Kadath Chroniques Des Civilisations Disparues - 025

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COMITE DE REDACTION : ivan verheyden, rédacteur en chef patrick ferryn, secrétaire de rédaction jean-claude berck, robert dehon, jacques gossart, jacques victoor AVEC LA COLLABORATION DE : jean bianco, jacques dieu, jacques keyaerts, christine piens, édith pirson, albert szafarz, nicole torchet ECHANGES AVEC LES REVUES : bres (j.p. klautz et a. gabrielli, la haye) nouvelle école (alain de benoist, paris) question de (louis pauwels, paris) MAQUETTE DE GERARD DEUQUET

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Au sommaire — notre cahier atlantide — l’atlantide en méditérranée, Jacques Victoor……..……….……...…..… — y aurait-il eu deux atlantides ? Jacques d’Arès...…………………...….. — l’archipel indonésien, du pithécanthrope à borobudur Jean-Claude Berck ………………………...…. — les vestiges vitrifiés, Robert Dehon………….......……………………...…… — le fragment m-160 : la boussole olmèque avant les chinois ? Ivan Verheyden……………....………………...……... — enquête sur les contacts transpacifiques (2), Patrick Ferryn….....………..

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A la recherche De kadath

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Perseverare diabolicum... Etalant partout son ignorance dans tous les domaines, Jean-Pierre Adam est de ceux qui persévèrent. Il ne rate plus aucune occasion de donner sa propre définition de groupes tels que le nôtre. Ainsi dans Science et Vie (avril 1977) nous traitant de « secte », il nous attribue « la théorie de la race supérieure des « Grands Anciens occidentaux » ! Dans les Cahiers Rationalistes (août 1976), il s’inquiète même de ce que « ça prend une très mauvaise tournure dans certains mouvements comme le mouvement GRECE, comme le mouvement KADATH belge, qui cherchent à restaurer la théorie raciste d’Allemagne nazie, et ils ne s’en cachent même pas, d’ailleurs ». Pauvre lecteur, vous n’aviez donc pas remarqué ? Suite à notre droit de réponse, ledit Adam, avec l’humour irrésistible qui le caractérise, fait amende honorable : « Les Grands Anciens dont KADATH recherche l’Héritage après l’Ahnenerbe n’étaient pas blonds aux yeux bleus, nous nous étions grossièrement trompés : ils étaient de petite taille et avaient la peau verte » (Cahiers Rationalistes, juin-juillet 1977). Parlant de nazisme, M. Adam oublie de citer son maître, le Dr. Goebbels, lorsqu’il préconisait (à la suite de Voltaire, il est vrai) : « Mentez, mentez, il en restera toujours quelque chose ». Mais, à l’intention de gens pareils, nous préférons Schiller disant que « contre la stupidité, les dieux eux-mêmes luttent en vain ». Le groupe Atlantis fut bien sûr gratifié du même traitement — bien qu’il n’atteigne jamais la virulence qui nous est allouée. Il avait eu le malheur de ne pas non plus avaler les couleuvres du livre d’Adam, contrairement à l’Union Rationaliste, qui lui avait décerné un prix. En lisant notre cahier Atlantide, le lecteur verra qu’une controverse peut être conçue de manière positive. A titre de comparaison, voici, démonté par François Dupuy-Pacherand, le mécanisme mental de J.-P. Adam vis-à-vis de la question (Atlantis n° 290, septembre 1976 — voir aussi le n° 292, mars 1977) : « Après avoir cité dans le plus grand désordre, et très brièvement, diverses hypothèses en cours (dont quelques-unes assez contestables) sur les rapports qui ont pu exister entre l’Atlantide, l’Europe ancienne, et le continent américain, M. J.-P. Adam écrit ensuite (page 60) : « Toutes ces propositions, on s’en doute, relèvent de la fantaisie la plus totale et le lecteur sensé est assuré d’y trouver autant de sujets d’hilarité que dans la lecture du meilleur Allais. Le danger existe cependant et il est dû à l’extrême variété des hypothèses émises ; à supposer qu’un jour la preuve soit fournie de la relation entre l’Amérique et une civilisation occidentale, la crétoise par exemple, il se trouvera toujours un glorieux énergumène pour se dresser en criant : Je vous l’avais bien dit ! ». Cette citation mérite qu’on s’y arrête car elle résume et démontre admirablement l’incroyable partialité de l’auteur, et on peut s’en montrer stupéfait. Que parmi les nombreuses hypothèses actuelles l’une d’elles puisse se révéler exacte, dans l’avenir, et M. Adam s’en déclare par avance exaspéré. Ce qui tendrait à montrer : 1° que notre auteur n’est pas tellement certain de la solidité éternelle de ses propres négations ; 2° que pour lui, une éventuelle vérité, parce qu’elle pourrait le contredire, devient une pensée tellement insoutenable qu’elle en devient à ses yeux « un danger » ... On peut encore remarquer que celui qui pourrait s’écrier, dans le cas décrit par M. Adam : « Je vous l’avais bien dit », ne saurait être légitimement qualifié d’ « énergumène » puisque ses vues seraient en principe vérifiées. Le côté déplaisant et tendancieux de cette façon d’argumenter est tellement anormal qu’il prétend ridiculiser d’avance, et de façon quasi-injurieuse, des chercheurs qui pourraient cependant avoir raison dans le futur. Est-ce ainsi que l’on peut prétendre défendre l’archéologie de « l’imposture », et se réclamer d’une école scientifique et rationnelle ? ». KADATH

CIVILISATIONS EFFONDREES

1. L’ATLANTIDE EN MEDITERRANEE ?

Le premier éditeur du « Timée » de Platon fut Crantor, vers —300 : il croyait à l’Atlantide. Crantor fit même des vérifications en Egypte, où les prêtres lui affirmèrent que la relation de cette histoire existait encore « sur des piliers ». Aristote, par contre, considérait l’Atlantide comme un mythe. Platon étant le seul à en parler, il considérait que ses affirmations étaient invérifiables (cfr Strabon, II, 102 et XIII, 598). Et l’autorité intellectuelle d’Aristote fut telle dans notre culture que, jusqu’au XVIème siècle, l’Atlantide ne suscita qu’indifférence. Il fallut attendre les grandes découvertes de Colomb et consorts, pour que l’intérêt renaisse à l’égard du mystérieux continent englouti. Francis Bacon émit l’idée que l’Atlantide était l’Amérique. Peu avant lui, Guillaume de Postel y avait déjà pensé, mais ce fut Abraham Ortelius, savant flamand mort en 1598, géographe de Philippe II, qui défendit cette idée avec le plus de conviction. Depuis cette époque, les thèses concernant l’Atlantide ont foisonné, et une bibliographie complète remplirait un numéro entier de KADATH ! Les hypothèses de localisation les plus variées ont été proposées. Les plus étranges aussi, voire les plus saugrenues : certains ont même situé l’Atlantide... au nord-ouest de la France ! Parmi tous les travaux que l’Atlantide a suscités, il faut saluer au passage la très bonne revue française Atlantis, qui publie des études intéressantes sur le sujet depuis... un demi-siècle. Il va sans dire que je n’ai pas l’intention de clore définitivement le sujet en quelques pages. Après avoir résumé les principales données du problème, je vous présenterai mon point de vue en laissant la porte grande ouverte aux hypothèses passées, présentes et à venir : ici, plus que jamais, le constat d’incomplétude est de rigueur.

Histoire approximative d’un hypothétique continent. Vers —570, Solon, dictateur d’Athènes, venait d’achever une série de réformes économicopolitiques. Afin que ses mesures puissent prendre effet en son absence, et aussi pour se reposer quelque peu des affaires épuisantes de l’Etat, Solon décide de prendre des vacances en Egypte. Il part donc pour Saïs, dans le delta du Nil. Jusqu’à Solon, l’histoire de la Grèce avait connu de catastrophiques interruptions causées par des déluges, sécheresses et autres désastres. La Grèce n’avait donc pas d’archives historiques : tout au plus des mythes et des traditions imprécises. L’Egypte par contre, qui n’avait pas souffert des catastrophes en question, possédait des archives et des traditions d’une remarquable continuité, et les prêtres de Saïs avaient tout à apprendre à Solon. C’est donc avec un petit complexe d’infériorité (« Ah ! Solon, Solon, vous autres Grecs êtes toujours des enfants... ») que Solon entend pour la première fois la tragique histoire de l’Atlantide. Les Athéniens, cependant, y avaient joué un rôle de premier plan, puisqu’ils sont censés avoir sauvé l’Egypte de l’invasion atlante ! Solon n’en revient pas ! Les prêtres qui lui racontèrent l’histoire et le guidèrent pendant son séjour en Egypte furent probablement Psenophis d’Héliopolis et Sonchis de Saïs ; ils étaient fort hellénophiles et réservèrent à Solon un accueil chaleureux, en souvenir du grand service rendu jadis à l’Egypte par les mercenaires grecs. Rentré à Athènes, Solon confie le récit qu’il vient d’entendre à un personnage qui nous est inconnu, ou bien rédige des notes. Nul ne sait en réalité ce qu’il fit exactement. Solon meurt vers —558.

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Critias l’Ancien (—530 —440), neveu de Solon, prend connaissance de cette histoire, soit grâce aux notes de son oncle, soit de la bouche de l’intermédiaire inconnu. Lorsque Critias l’Ancien atteint l’âge canonique de 90 ans, soit très peu de temps avant sa mort, il raconte l’épopée de l’Atlantide à son petit-fils Critias le Jeune (—450 —403) qui est à ce moment un enfant de 10 ans... Enfin, devenu adulte, Critias le Jeune rassemble ses souvenirs et en fait profiter son neveu Platon (— 429 —347), qui les consigne par écrit. Près de 170 années se sont écoulées depuis le voyage de Solon à Saïs... Et c’est dans le « Timée » et dans le « Critias » (incomplet) qu’en quelques brèves pages Platon nous transmet ce qu’il sait de l’Atlantide. En écrivant ces deux dialogues, Platon s’est donc trouvé dans la position inconfortable de l’homme qui a vu l’homme qui a vu l’homme qui a vu l’homme qui a vu l’ours ! !

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Platon, fondateur de l’Académie d’Athènes, qui dura de —385 à +529, est certes un personnage illustre, respectable et digne de foi. Il fit certainement de son mieux pour transmettre le plus fidèlement possible l’histoire de l’Atlantide à la postérité. On peut donc le croire lorsqu’il affirme à quatre reprises dans son récit que l’histoire de l’Atlantide est une histoire vraie. L’Atlantide n’est pas un mythe. Mais qui oserait soutenir que les souvenirs de Solon sont parvenus intacts à Platon ? La plupart des spécialistes de l’Atlantide, précisément, le soutiennent, et pensent qu’il faut prendre le texte tel quel, en bloc et au pied de la lettre. Je considère personnellement que des erreurs ont dû se glisser dans ce récit, quelle que puisse être la bonne foi de ses narrateurs successifs. Platon luimême émet d’ailleurs des réserves dans son texte, lorsqu’il fait dire à Critias : « ...après si longtemps mes souvenirs n’étaient pas assez nets », ou lorsque, prudent, il déclare : «...il est difficile de croire que... il faut cependant répéter ce que nous avons ouï dire... ». En vertu de ce qui précède, mon attitude à l’égard du récit de Platon est donc nuancée : un témoignage précieux, mais malheureusement unique, incomplet, et probablement approximatif. La fin de l’Atlantide. Voici, en résumé, ce qu’on peut lire dans le « Timée » et le « Critias ». Neuf mille ans avant le voyage de Solon, il y avait un continent nommé Atlantide, dans l’océan Atlantique, en face des colonnes d’Hercule (le détroit de Gibraltar). Le texte précise que la Méditerranée est comparable à « un port dont l’entrée est étroite », tandis que ce qui est au-delà du détroit « forme une véritable mer ». Platon distingue deux capitales : « l’antique métropole » située sur une petite île ronde, et « la plaine royale » sur une grande île rectangulaire. Il en donne même les dimensions ; nous aurons

d’ailleurs l’occasion de revenir sur ce point. Les Atlantes dominaient toute la Méditerranée, puisqu’ils étaient « maîtres de la Libye jusqu’à l’Egypte, et de l’Europe jusqu’à la Tyrrhénie ». Leurs visées impérialistes amenèrent les Atlantes à menacer directement l’Egypte et la Grèce. Les Athéniens réagirent et les refoulèrent, sauvant ainsi l’Egypte en même temps. C’est à cette époque qu’il y eut « des tremblements de terre et des inondations extraordinaires, et, dans l’espace d’un seul jour et d’une seule nuit néfastes, l’île Atlantide, s’étant abîmée dans la mer, disparut ». L’armée athénienne fut anéantie à l’occasion du même cataclysme. Le texte nous apprend aussi qu’il y avait en Atlantide des éléphants, des parfums et des fruits en quantités infinies. Le pourtour de l’île de l’antique métropole était fait de pierres blanches, noires et rouges. Afin de ne pas alourdir inutilement cet article, je ne cite pas le texte de Platon in extenso. Il est cependant souhaitable de lire au moins une fois ce récit dans son entier. Je renvoie donc le lecteur à la bibliographie s’il veut se procurer le « Timée » et le « Critias ».

Le monde selon Platon. Quelques exemples de localisations. A partir de données aussi ténues, les imaginations se sont débridées. A un point tel que, très vite, l’Atlantide est devenue un symbole empreint de romantisme : celui du Jardin d’Eden, de la civilisation-mère fabuleusement éloignée dans le temps et merveilleusement organisée, le paradis perdu détruit par un cataclysme épouvantable. La réalité est pourtant plus prosaïque, et l’étude du problème est dominée par deux grandes questions : l’Atlantide était-elle réellement située dans l’océan Atlantique, et à quelle époque a-t-elle vraiment disparu ? Je vais essayer de répondre successivement à ces deux questions.

L’Atlantide atlantique, chère à Paul Le Cour, estelle possible ? A l’Ecole des Mines de Paris est conservé un fragment de tachylite (lave vitrifiée), trouvé en 1898 par 3000 mètres de fond à 900 km au nord des Açores, dans l’Atlantique. Si cette lave s’était formée au fond de l’océan, elle serait cristalline, et non vitrifiée. S’agit-il d’un morceau d’Atlantide ? C’est loin d’être sûr. La tachylite a pu être apportée par un iceberg ou, ce qui est plus probable, par un courant de turbidité. Il s’agit de courants à haute densité coulant sur le fond de l’océan : c’est ainsi que l’on trouve fréquemment au fond de l’océan des débris organiques terrestres. La tachylite peut aussi provenir d’un volcan sous-marin qui aurait temporairement émergé : la lave se serait ainsi solidifiée à l’air, avant de s’enfoncer sous les eaux. Il y a cinq exemples connus dans les Açores. Enfin, cette tachylite est extrêmement ancienne, et a dû se former bien avant la disparition de l’Atlantide. Selon l’observatoire géologique Lamont aux USA., l’étude de la répartition au fond de l’océan des fossiles de foraminifères (de type « chaud » : spirale à gauche, de type « froid » : spirale à droite) indiquerait que l’Atlantique se serait brusquement réchauffé il y a 10.000 ans. Peut-être l’effondrement de l’Atlantide a-t-il brusquement permis au Gulf-Stream de passer ? Mais ce n’est là qu’une fragile supposition, car on pense généralement que la formation du GulfStream date de la disparition du pont continental transatlantique, soit d’il y a 60 millions d’années. Encore une fois, on est loin de l’Atlantide. Les partisans de l’Atlantide atlantique invoquent également à l’appui de leur thèse les similitudes géologiques, biologiques, anthropologiques et linguistiques entre l’Europe et l’Amérique. Ils l’expliquent par la présence de l’Atlantide en tant que lien entre les deux continents. Il ne faut cependant pas oublier que : — si les anguilles, tant européennes qu’américaines, se précipitent chaque année vers la mer des Sargasses pour y pondre et mourir, ce n’est pas parce qu’elles vivaient jadis en Atlantide. Elles font cela depuis une époque bien antérieure à l’ère tertiaire... — les oiseaux volent et les graines sont portées par le vent. — le cheval fut introduit en Amérique par les conquistadores. — l’agave et le cactus ont été importés en Europe. — les Mongols ont jadis franchi le détroit de Behring. — les contacts par mer entre l’Europe et l’Amérique, entre l’Asie et l’Amérique, à une époque historique ou préhistorique, ont été beaucoup plus fréquents qu’on ne le pense généralement. — la plupart des géologues sont d’accord pour affirmer que le fond de l’océan Atlantique existe sous sa forme actuelle depuis environ un million d’années...

Malgré tout ceci, les tenants de l’Atlantide atlantique nous proposent les localisations suivantes : 1) Un territoire qui aurait recouvert l’actuelle mer des Sargasses, plus les Açores, Madère, les Canaries et les îles du Cap-Vert. Ces îles seraient en quelque sorte les « mâts de l’épave », le toit de l’ancienne Atlantide. Mentionnons cependant que les algues flottantes qui recouvrent la mer des Sargasses ne sont pas un indicateur de hauts fonds : les algues sont amenées de Floride par les courants, et la profondeur de l’océan y est de 5000 mètres. 2) Un pont continental transatlantique. J’ai dit plus haut que celui-ci a sans doute disparu il y a quelque 60 millions d’années. 3) La dorsale atlantique médiane. Il s’agit d’une chaîne de montagnes sous-marine orientée nordsud qui va de l’Islande à Tristan da Cunha. Elle rejoint l’arête centrale de l’océan Indien pour encercler ensuite l’Afrique. Formée il y a 15 millions d’années à l’air libre, elle est actuellement recouverte par 3000 m. d’eau et occupe vraisemblablement le fond de la mer depuis au moins 280.000 ans. On y trouve cependant des sédiments récents, mais ceux-ci datent d’un minimum de 30.000 ans. 4) Un continent situé dans la partie orientale de l’Atlantique. Mais les sédiments meubles qu’on trouve dans cette région sont tous antérieurs au Pléistocène, et la croûte terrestre continentale », composée de silicate d’alumine, qui doit faire normalement 10 km d’épaisseur pour tout continent qui se respecte, n’y atteint que 3 km (Université de Cambridge). 5) La région de Tartessos, à l’embouchure du Guadalquivir, au nord de Cadix. Mais le premier récit de Platon précède la destruction de Tartessos par les Carthaginois... 6) Un continent situé à l’emplacement actuel de la Manche, soit au nord-ouest de la France. C’est impossible, car la formation de la Manche résulte d’un phénomène nommé « transgression flandrienne », qui commença en —18.000 et évolua très lentement. Un exemple de la transgression flandrienne est la lente submersion du golfe du Morbihan. Je ne m’étendrai pas longtemps sur les hypothèses farfelues, car il y en eut beaucoup : par exemple celle qui situe l’Atlantide au Chott-el-Djerid en Tunisie (il s’agit là au contraire de l’émersion d’une zone de sable !), ou les mythiques destructions, avec ou sans collisions planétaires, du Gondwana ou de la Lémurie. Ce sont là des hypothèses de conversation tout juste bonnes à égayer les longues soirées d’hiver... En fin de compte, si la localisation atlantique de l’Atlantide n’est pas rigoureusement impossible, je la considère néanmoins comme très peu probable. Il est possible que de nouvelles découvertes nous apportent un jour la preuve de l’existence d’un continent englouti dans l’océan, mais dans l’état actuel des connaissances

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rien ne permet de l’affirmer. Je laisse néanmoins la porte ouverte à cette possibilité puisque Platon lui-même affirme que l’Atlantide était située dans l’Atlantique. Mais, comme je l’ai dit plus haut, Platon a pu se tromper en toute bonne foi. Il faut savoir que l’océan Atlantique fut baptisé ainsi par Hérodote une génération avant Platon. Celui-ci a donc pu y placer son continent par souci de logique, d’autant plus que les dimensions qu’il nous donne pour la plaine royale sont trop grandes pour que cette plaine puisse trouver place en Méditerranée. Mais nous verrons que ces dimensions sont probablement erronées. Il est aussi possible que, ne sachant pas grand-chose à ce sujet, Platon ait placé l’Atlantide dans l’océan dans un souci... de symétrie. Ainsi, le vaste empire terrestre des Perses, à l’est, était contrebalancé par le vaste empire maritime des Atlantes à l’ouest.

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mot n’a qu’une valeur de mille millions. Un traducteur français risque donc d’y laisser sa bosse des maths... et d’altérer considérablement le sens du texte ! Nous verrons que si l’on admet cette erreur à propos des dimensions de la « plaine royale », on retombe sur les dimensions de... la Crète ! De toute manière, en tenant compte de cette éventuelle bévue de Solon, la date du cataclysme qui détruisit l’Atlantide est ramenée à 900 ans avant Solon, soit vers —1500. Nous allons voir qu’en adoptant cette solution, le récit de Platon devient tout-à-coup très plausible. Un bref rappel historique.

Enfin, dernier argument mais non le moindre, il n’est pas du tout invraisemblable qu’au long des 170 ans de transmission du récit, un des intermédiaires ait mal lu ou mal compris un mot-clé : il faudrait lire alors « à mi-chemin entre la Libye et l’Asie » (mezon) au lieu de « plus grande que la Libye et l’Asie » (meson) ; ce qui, non seulement situerait l’Atlantide en Méditerranée, mais en réduirait notablement les proportions. A ce propos, je développerai plus loin une autre hypothèse, que je considère personnellement comme la bonne dans l’état actuel de nos connaissances. Il s’agit d’une Atlantide méditerranéenne, dont « l’antique métropole » serait Santorin en mer Egée, et dont la « plaine royale » serait la Crète. Ceci nécessite d’amples explications, mais avant cela il nous faut encore discuter de la véritable ancienneté de la catastrophe atlante. Neuf mille ans avant Solon ? Est-ce possible ? Pourrait-il s’agir d’un colossal anachronisme ? Force nous est en tout cas de reconnaître qu’en —9600 il n’y avait « ni Egyptiens pour consigner les événements, ni Grecs pour accomplir les exploits qui leur sont attribués » (Spiridon Marinatos). Il est très peu probable que les Magdaléniens aient pu organiser une invasion navale de l’Egypte prédynastique, et encore moins probable que d’hypothétiques préGrecs, qui devaient encore se trouver dans les limbes de l’Histoire, aient pu se trouver là pour sauver l’Egypte in extremis ! Alors, où est l’erreur ? Selon Eudoxe de Cnide, au lieu de lire « 9000 ans avant Solon », il faut lire 9000 mois..., soit 750 ans, ce qui ramènerait la disparition de l’Atlantide aux environs de —1350. C’est possible, mais je penche plutôt pour une erreur d’interprétation beaucoup plus subtile. Par une erreur de lecture ou de compréhension du langage égyptien, Solon aurait écrit « mille » chaque fois qu’il s’agissait de « cent ». Ce n’est pas aussi biscornu qu’il y paraît. C’est ainsi qu’en anglais, un billion vaut un million de millions, alors qu’en américain le même

Vers —4000 apparaissent sur la scène de l’Histoire les premiers Crétois. Venus du nord, ces proto-Grecs envahissent la Grèce néolithique, descendent en mer Egée dans les îles Cyclades et poussent jusqu’à l’île de Santorin, la plus méridionale des Cyclades, où ils fondent leur première et antique métropole, jetant les bases de leur futur empire marin. A ce moment, l’Egypte est au stade prédynastique. Vers —3000, ayant inventé les navires à quille, nos proto-Grecs s’embarquent, depuis Santorin, pour l’île qui va devenir leur plaine royale, la Crète. C’est l’époque du Minoen Ancien I : le roi Minos fait démarrer la civilisation crétoise. La Grèce est toujours au néolithique, l’Asie mineure voit naître la première Troie, l’Ancien Empire égyptien démarre sous l’impulsion du roi Ménès. Curieuse ressemblance de date et de noms : — 3000, Minos-Ménès ! Vers —1750, la Crète a beaucoup progressé ; on est au stade Minoen Moyen III, deuxième palais de Cnossos. La Grèce voit déferler sur ses terres d’autres nordiques, les pré-Grecs ou Achéens, futurs fondateurs de Mycènes et de Tirynthe. L’Egypte est en pleine période intermédiaire avec les pharaons hyksos.

Vers —1500, la Crète est à l’apogée de sa puissance maritime et économique. C’est le stade Minoen Récent II. La Crète domine toute la Méditerranée, y compris la Grèce mycénienne qui est alors en plein essor. Les Crétois entretiennent avec l’Egypte de fructueuses relations commerciales. Vers —1400, une catastrophe raie de la carte la civilisation crétoise. Le commerce avec l’Egypte cesse brusquement. C’est l’époque de la guerre de Troie. Mycènes est à l’apogée de sa puissance, et les Mycéniens profitent de la situation pour envahir la Crète et en devenir les nouveaux maîtres. Après un moment d’interruption, le commerce reprend avec l’Egypte, mais les Egyptiens découvrent que la Crète a changé de mains. Tout en continuant à acheter à la Crète la résine de mousse de chêne, la résine de pin et le bois de cèdre, les Egyptiens s’empressent de reconnaître politiquement les nouveaux maîtres de la Crète. C’est ainsi que les peintures représentant les Minoens avec leur étui pénien sont retouchées afin de transformer le vêtement en jupe mycénienne ! Un bel exemple en est la tombe de Rekmirê, où il semble bien que la retouche ait eu lieu entre — 1470 et —1460, ce qui situerait la catastrophe qui détruisit la Crète aux environs de —1470. Vers —1250, les « peuples de la mer » (des préVikings ?) balaient la Méditerranée, et notamment les Mycéniens-Crétois décadents. La Grèce voit enfin arriver les vrais Grecs à l’occasion des invasions doriennes. L’Egypte est sauvée des peuples de la mer grâce à l’appui efficace de mercenaires grecs. En résumé, si les Crétois sont les Atlantes, ce que je vais essayer de prouver, la fin de l’Atlantide a pu se situer vers —1470, soit environ 900 ans avant Solon. L’épisode de la guerre entre les Grecs et les peuples de la mer, 200 ans plus tard, a pu prêter à confusion, et être assimilé par la suite à une guerre des Grecs contre les Atlantes. Voyons maintenant ce qui a bien pu détruire brutalement la civilisation crétoise-atlante vers —1470. La catastrophe de Santorin. Santorin ou Théra, ex-Kallistê (la très belle), exStrongylê (la circulaire), est la plus méridionale des Cyclades. Aujourd’hui, elle a la forme d’un croissant, dont les extrémités semblent vouloir broyer comme le ferait une pince l’îlot de Therasia et le minuscule rocher d’Aspronisi. Le lac intérieur renferme deux autres îlots : Palea Kameni et Nea Kameni ; ce dernier porte le volcan qui causa et continue de causer périodiquement les malheurs de l’île. Santorin est à 110 km de la Crète. Les petits bateaux n’aiment pas se rendre à Santorin lorsque le vent souffle, car le goulot d’accès au lac intérieur est étroit et le risque de se fracasser contre la falaise est réel. En arrivant à l’île par temps maussade, l’impression générale est sinistre.

On est écrasé par la hauteur des falaises qui bordent l’intérieur du croissant (250 mètres) et on frissonne quelque peu en songeant que la profondeur des eaux du lagon varie de 200 à 400 mètres, ce qui interdit tout ancrage : les bateaux s’accrochent à des ancres flottantes. L’ensemble du paysage évoque à juste titre une gigantesque catastrophe passée, qui n’a laissé de la belle île ronde qu’un amas de débris.

7 Maquette de Santorin, faite à Athènes d’après une carte de l’Amirauté britannique.

Il y a dix millions d’années, un continent reliait la Grèce actuelle à l’Asie mineure. Il était chaud et fertile, on y trouvait des singes et des éléphants nains. Au quaternaire eut lieu un effondrement gigantesque qui donna lieu à la formation des îles de la mer Egée et de la Crète, avec un foyer volcanique central très instable. Survint alors une longue période d’accalmie sismique, qui permit le peuplement humain. Santorin s’appelait alors Strongylê, l’île ronde. Vers —1500, le volcan de l’île se réveilla et les habitants crétois connurent plusieurs périodes éruptives successives qui se traduisent sur le terrain par un dépôt de plusieurs mètres de pierre ponce. L’éruption paroxystique, celle qui allait donner naissance à l’histoire de l’Atlantide, eut lieu vers —1470 et laissa un dépôt de 30 mètres de cendres nommées tephra. La tephra contient 97 % de verre volcanique, ce qui permet de fabriquer un excellent ciment : Ferdinand de Lesseps l’utilisa pour la construction de Port-Saïd, et les cimenteries d’Athènes l’exploitent toujours. L’éruption fut d’une violence inouïe, que l’on peut chiffrer à environ cinq fois celle du Kraka-

toa en 1883 ! En quelques heures, le volcan de Santorin vomit 60 km3 de matière, ce qui eut pour effet de créer sous l’île une gigantesque cavité au toit fragile. Bientôt, sous la pression colossale des gaz contenus dans cette cavité, la voûte explosa. Une grande partie de l’île s’effondra alors de 500 mètres, créant un trou monstrueux, une caldera de 83 km2. Aspirée, la mer se précipita avec une violence accrue dans la caldera, pour rejaillir ensuite au centre de celle-ci, créant un raz de marée dantesque, un tsunami dévastateur de 200 mètres de haut qui déferla sur la mer Egée. Ce tsunami, associé ou non à des tremblements de terre, fut vraisemblablement à l’origine de la destruction de la civilisation crétoise. Il détruisit d’un coup toute la flotte crétoise, et aussi les villes. Les retombées de cendres volcaniques anéantirent la végétation pour plusieurs années. La Crète, ruinée, paralysée, dévastée, devenait une proie facile pour les Mycéniens à l’affût...

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Les traces de l’éruption. A Santorin, elles sont évidentes. De l’île ronde, il ne reste qu’un croissant et quelques îlots. Le lagon est la caldera. Les dépôts de pierre ponce sont impressionnants, et permettent de reconstituer l’histoire volcanique de l’île. Spiridon Marinatos y a même découvert une autre Pompéi, à savoir la cité d’Akrotiri, accrochée au bord du précipice et entièrement recouverte de cendre volcanique. Les habitants ont eu le temps de fuir la ville, puisqu’on n’y retrouve ni cadavres ni objets précieux. Mais les ustensiles de cuisine, les jarres où l’on stockait les aliments, les objets usuels, s’y retrouvent quasi intacts sous la cendre. J’ai visité Akrotiri, et c’est émouvant. On a l’impression que la vie y fut brutalement suspendue. Du seuil d’une maison, j’ai vu une tasse intacte, à moitié enfouie sous la cendre. Elle était tombée de son étagère sous la violence de l’explosion... L’île d’Anaphi se trouve à 24 km à l’est de Santorin. Trois dépôts de pierre ponce y témoignent de la violence du cataclysme. Sur la côte ouest d’Anaphi, on trouve de la pierre ponce en abondance à 350 mètres de la côte et à 50 mètres d’altitude ! Sur la côte nordest, deux dépôts : l’un à 750 mètres à l’intérieur des terres et à 160 mètres d’altitude, l’autre à 1700 mètres de la côte et à 250 mètres d’altitude ! Cela dépasse l’imagination... Les recherches de Ninkovich et Heezen de l’observatoire Lamont (Université de Columbia) ont consisté en 21 prélèvements d’échantillons du fond de la mer Egée, jusqu’à 3700 mètres de profondeur. Deux couches distinctes de tephra ont ainsi été découvertes : leurs indices de réfraction sont différents. La couche inférieure concerne une autre catastrophe qui eut lieu il y a 25.000 ans (période würmienne). La couche supérieure, qui concerne le cataclysme qui nous occupe, s’étend sur une zone de 900 km de long et 300 km de large, au sud-est de Santorin...

Cette orientation permet de déterminer que l’éruption eut lieu en été puisque ce furent les vents du sud-est qui véhiculèrent la cendre. Les traces de raz de marée. Le papyrus égyptien d’Ipuwer, « Admonitions d’un sage égyptien », mentionne l’interruption brutale du commerce avec Keftiu (la Crète, Caphtor dans la Bible). Manéthon associe le règne de Thoutmosis III (—1490 —1436) au Déluge de Deucalion (ceci est rapporté par le Syncelle en +800). De quoi s’agit-il ? D’une tradition vivace au cap Sounion (pointe méridionale du Péloponnèse) qui évoque une inondation catastrophique présentée comme le résultat d’une rivalité entre Athéna et Poseidon. La même tradition existe en Argolide où il s’agit cette fois d’une lutte entre Poseidon et Héra. A Trézène et au golfe de Salonique, Euripide mentionne la vague envoyée par Poseidon pour noyer Hippolyte, une vague monstrueuse qui survint à la suite d’un bruit terrifiant... (« Hippolyte », 1198 à 1212). En Lycie, Plutarque (« Moralia », 248 a-b) décrit une énorme vague qui inonde la plaine ; en Troade, Strabon (I,58) parle d’une vague de fond qui inonde Troie après un séisme ; à Rhodes, Diodore (V, 56-57) raconte l’inondation catastrophique de Rhodes qu’il impute à une grande « marée montante ». Enfin, à Samothrace, Diodore (V, 47, 3-5) parle d’autels disposés en cercle le long d’une ligne qui fut atteinte par le front des vagues lors d’une grande inondation venue de la mer.

La caldera de Théra : la bande horizontale sombre est une coulée de lave.

Dans la légende des Argonautes, il faut épingler l’épisode du géant Talos, alias le volcan : — il est présenté comme le garde redoutable des approches septentrionales de la Crète. Les premiers marins mycéniens fréquentaient cette région avec prudence. — il projette les rochers (bombes volcaniques ?). — il s’affaisse « en repos » quand son sang s’est écoulé « comme du plomb fondu ». — quand la caldera est formée, il reste un grand œil aveugle (Cyclope). — son talon est fragile (allusion au volcan subsidiaire de Santorin, celui du cap Mavrorachidi?). — la fiancée du fils de Talos se nomme Kleisithéra, la « clé de Théra » ou clé de Santorin. — le fils de Talos est Leukos (la cendre blanche ?). — après l’explosion, des ténèbres terrifiantes s’abattent sur les Argonautes et Jason fuit... vers Anaphi !! Le tsunami passe sous son vaisseau et le nuage volcanique amortit le bruit des explosions ultérieures. C.Q.F.D. Après la catastrophe. A Santorin, lorsque le volcan se réveille, la mer prend une teinte laiteuse quelques jours avant l’éruption. Les habitants sont donc avertis de son imminence. L’absence de cadavres et d’objets précieux dans les rues et dans les maisons d’Akrotiri indique que les habitants ont eu le temps de fuir. Mais ont-ils pu fuir assez loin pour échapper aux bombes volcaniques et au tsunami ? C’est moins sûr, quoiqu’en mer le danger inhérent au raz de marée soit moins grand que dans un port : la lame de fond peut passer sous le bateau sans le faire nécessairement chavirer (témoin l’aventure des Argonautes). Il a donc pu y avoir quelques survivants. En Crète, le tsunami fut probablement accompagné de secousses sismiques résultant de l’explosion de la montagne à Santorin. L’ensemble dut être fort dévastateur, mais les survivants furent probablement nombreux. L’invasion mycénienne en a sans doute fait fuir un grand nombre. Empruntant les quelques bateaux restants de la fière flottille crétoise, ils se dispersèrent, selon toute vraisemblance. A l’époque classique, il existait une tribu d’ « Atlantes » en Tunisie. Les Philistins de Palestine sont-ils d’anciens Crétois ? Le prophète Amos semble le suggérer (Amos, 9, 5-7) puisqu’il écrit vers —800 que la migration des Philistins est liée à des phénomènes volcaniques et à des inondations. Il nomme la Crète (Caphtor)... Y eut-il des réfugiés en Egypte, dont le récit parvint à Solon 900 ans plus tard ? Toute référence égyptienne à la Crète (Keftiu) cesse sous Aménophis II, soit vers —1450. Certains survivants se réfugièrent aussi dans la partie occidentale de la Crète et dans le Péloponnèse (en Messénie). Les Mycéniens, pour leur part, assimilèrent la civilisation crétoise, dont l’écriture

« linéaire A » devint le « linéaire B » à cause des vocables grecs archaïques qu’il fallut assimiler. La Crète dut les impressionner très favorablement, puisqu’on retrouve le détail suivant dans l’architecture de la porte des lions à Mycènes : les lions royaux de la maison d’Atrée s’appuient sur un pilier de type minoen ; ce pilier est lui-même dressé sur un autel minoen ! Certains auteurs pensent que les ténèbres causées par l’éruption furent une des plaies d’Egypte. Auquel cas, le passage de la mer Rouge par Moïse aurait eu lieu à la faveur du tsunami ! En effet, lorsqu’un raz de marée se prépare, il est bien connu que la mer commence par se retirer durant un laps de temps plus ou moins long (Moïse passe...), puis elle revient avec violence (Pharaon est englouti...). C’est presque trop beau pour être vrai, et Moïse aurait eu alors une sacrée veine ! De toute manière, cela ne cadre pas tout à fait avec les dates que je proposais pour l’Exode dans KADATH n° 20. Si l’Exode s’est produit en même temps que la catastrophe de Santorin, soit vers —1470, cela donne le pharaon Thoutmosis III. Alors que je penche pour Aménophis III, vers —1408. Il y a donc trois possibilités : — l’Exode n’a rien à voir avec la catastrophe de Santorin. — la destruction de Santorin a eu lieu plus tard qu’on ne le pense. — l’Exode se serait produit plus tôt que prévu, sous Thoutmosis III. Je m’abstiens de trancher. La Crète pourrait-elle être l’Atlantide ? Platon distingue nettement dans son récit les deux parties de l’Atlantide : l’ « antique métropole », une petite île ronde, et la « plaine royale », sur une grande île rectangulaire et montagneuse. Les dimensions de l’antique métropole sont : 50 stades de rayon, soit une île d’un diamètre d’environ 20 km. Ceci est compatible avec les dimensions de l’antique Strongylê, dont les débris constituent actuellement Santorin. Quant à la plaine royale, elle mesure, nous dit Platon, 3000 stades sur 2000 ! Elle est entourée d’un fossé de 10.000 stades, et Platon ajoute qu’il doute fort que l’homme ait pu creuser un tel fossé. Il n’est donc pas sûr des chiffres qu’il avance, mais il rapporte ce qu’on lui a dit. J’ai dit plus haut, à propos de la date du cataclysme, qu’il était fort probable qu’à un stade de la transmission du récit, peut-être au stade de Solon lui-même, on a dû confondre les milliers et les centaines. Toujours en vertu de cette impression, je réduis donc les dimensions de la plaine royale à 300 stades sur 200, ce qui donne 54 km sur 37. Ceci est très compatible avec les dimensions de la plaine de Cnossos... Dès lors, tentons d’interpréter le texte en fonction d’une Atlantide méditerranéenne dont les deux foyers seraient Santorin et la Crète :

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● Timée, 25, A : de l’Atlantide on peut se rendre sur des îles qui permettent d’atteindre ensuite le continent qui se trouve au-delà de ces îles. Je traduis : de Crète, on peut se rendre dans les Cyclades, et de là, en Europe continentale. ● Critias 113c, 116a, 115c-d : le palais se trouve sur une colline à l’intérieur des terres, près d’une plaine fertile située à mi-chemin de l’île le long de la côte. Le palais de Cnossos convient très bien. ● Critias 117c, 118b : la description qui est faite du pays évoque la côte méridionale de la Crète, c’est-à-dire la côte la plus familière aux Egyptiens. ● Critias 119d-e : dans la tauromachie atlante, les taureaux sont chassés à la massue et au nœud coulant, puis offerts en sacrifice. Ceci correspond point par point aux scènes de l’arène de Cnossos représentées sur les coupes crétoises de Vapheio. ● Critias 117a-b : la description des palais et des sanitaires évoque ce que l’on sait du palais de Minos. ● Critias 115a : les herbes et les aromates. C’était l’essentiel du commerce entre la Crète et l’Egypte ! ● Critias 114e : les éléphants. Les Crétois chassaient probablement l’éléphant en Afrique du Nord ; l’ivoire crétois était fort apprécié.

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Comment, me direz-vous, intégrer dans tout ceci le fait que les « Athéniens », en refoulant les Atlantes, auraient sauvé l’Egypte de l’invasion ? Je pense qu’il s’agit là d’un épisode postérieur de deux siècles, qui a été accolé à la légende de la disparition de l’Atlantide. En effet, vers —1250 (période de déclin des Mycéniens de Crète et de Grèce), les « peuples de la mer », des Suédois, Danois, Allemands, Tyrrhéniens, Siciliens, Sardes et Corses, ont déferlé sur la Méditerranée et menacé sérieusement l’Egypte de Ramsès III. A cette occasion, des mercenaires grecs ont sauvé l’empire égyptien affaibli. Il semble que beaucoup de ces Grecs se soient ensuite établis à Saïs, ce qui expliquerait les sentiments amicaux des Saïtes à l’égard des Grecs en général et de Solon en particulier, et aussi l’intégration de l’épisode dans l’histoire de l’Atlantide racontée par les prêtres de Saïs. Cet épisode est connu grâce aux inscriptions du temple égyptien de Medinet-Habou. Il est presque certain que les Atlantes étaient des IndoEuropéens. C’est Paul Le Cour qui m’en apporte la preuve. Minos est à rapprocher de Ménès (Egypte), Manou (Inde), Manus (Germanie), Menu (triades bardiques), Manitou (Algonquins), Men (Breton), Man (langues germaniques), Moine (Français). L’ensemble dérivant du sanscrit Mouni. Conclusion. L’Atlantide atlantique me paraît peu probable. Je pense que Platon a parlé, sans le savoir, de Santorin et de la Crète. J’ajouterai qu’au cap Matapan

(Péloponnèse), les promontoires de Ménare et de Malea sont aussi nommés « Colonnes d’Hercule » car c’est là qu’Hercule descendit aux enfers... Mes arguments essentiels sont : — 170 ans se sont écoulés entre le voyage de Solon et le récit de Platon. — rien ne permet de dire qu’il y a un continent englouti dans l’océan. — il faudrait lire mezon », « à mi-chemin de » (et non meson, « plus grande que »). — quand Platon écrit « mille », il faudrait lire « cent ». — Santorin a fort bien pu s’engloutir en 24 heures, et entraîner la Crète dans sa ruine. — les descriptions que fait Platon pourraient très bien convenir à propos de la Crète. Ceci dit, notre point de vue est-il différent de celui de notre illustre consœur, la revue Atlantis ? Je ne le pense pas. Pour feu Paul Le Cour et pour l’actuel rédacteur en chef Jacques d’Arès, l’Atlantide est engloutie dans l’océan et on la retrouvera peut-être un jour, et la Crète en est une colonie qui a résisté au temps. Mon avis est que l’Atlantide et la colonie ne font qu’un… JACQUES VICTOOR Bibliographie succincte. Archeologia n° 102, janvier 1977. Atlantis n 284, juillet-août 1975 et n 285, septembredécembre 1975. A. Bessmertny : « L’Atlantide », Payot 1949. Col. A. Braghine : « L’énigme de l’Atlantide », Payot 1939. F. Butavand : « La véritable histoire de l’Atlantide », Ed. Chiron, Paris 1925. E. Cayce : « Visions de l’Atlantide », J’ai Lu 1973. R. Dévigne : « L’Atlantide, sixième partie du monde », G. Crès et Cie, Paris 1923. 1. Donnelly : « Atlantis, the antediluvian world », R. Steiner publ., N. Y. 1971. Maitland A. Edey : « Antiques civilisations égéennes », Ed. Time-Life 1975. A. G. Galanopoulos et E. Bacon : « L’Atlantide, la vérité derrière la légende », Albin Michel 1969. W. Ley et Sprague de Camp : « De l’Atlantide à l’Eldorado », Plon 1957. J. V. Luce : « L’Atlantide redécouverte », Tallandier 1973. Spiridon Marinatos : « Some words about the legend of Atlantis », Athènes 1971. Platon : Sophiste - Politique - Philèbe - Timée - Critias, Garnier-Flammarion 1969. Otto Silbermann : « Un continent perdu, l’Atlantide », Ed. Genet, Paris 1930. Andrew Tomas : « Les secrets de l’Atlantide », Laffont 1969.

2. Y AURAIT-IL EU DEUX ATLANTIDES ? Jacques d’Arès, rédacteur en chef de la revue Atlantis Le défenseur de l’Atlantide atlantique que je demeure, dans le sillage de mon maître Paul Le Cour, se permet de considérer que l’étude de Jacques Victoor sur « L’Atlantide en Méditerranée ?» est particulièrement bien étayée. Il est incontestable que, parmi les localisations les plus variées qui sont proposées depuis quelques siècles, celle de Jacques Victoor, à la suite des travaux du Professeur Spiridon Marinatos, est de loin — avec la localisation atlantique — la plus plausible, encore qu’il ne faille pas, à mon avis, rejeter sans examen — à titre de colonie — l’hypothèse d’Heligoland défendue par le pasteur Jürgen Spanuth. Ainsi que m’y a invité très aimablement la rédaction de KADATH, je vais donc me permettre de commenter l’étude de Jacques Victoor sur quelques points et d’y ajouter certaines considérations susceptibles de déboucher sur une autre optique.

Dans son préambule, Jacques Victoor rappelle que pour Aristote, l’Atlantide était un mythe ; et il souligne avec raison l’autorité intellectuelle d’Aristote au cours des siècles. Si le lecteur permet que je me cite moi-même, je dirai qu’Aristote « constitue un sommet qui pratiquement ne sera jamais dépassé. Symboliquement, tout sommet comporte deux faces, l’une ascendante, l’autre descendante. Pour Aristote, la première est représentée par sa formation platonicienne. Lui-même se situe au sommet, tandis que la seconde face correspond à tout ce qui découle depuis plus de deux mille ans des principes aristotéliciens ». (Encyclopédie de l’ésotérisme, tome 2 : religions non chrétiennes). Hélas, Aristote est à l’origine du matérialisme et de la spécialisation, de telle sorte que personne n’est plus capable de considérer qu’un mythe plein de signification profonde peut être en même temps un récit historique, même si ce dernier comporte quelques erreurs. Et sur ce plan, je suis tout à fait d’accord avec Jacques Victoor pour considérer que le récit de Platon en comporte quelques-unes. Mais il n’est pas étonnant de constater la difficulté à discerner quelles sont ces erreurs quand on observe, par exemple, les versions contradictoires de l’histoire de la dernière guerre mondiale, malgré l’abondance de documents... et la proximité de l’événement. Platon, dit-on, était le seul à parier de l’Atlantide, ce qui permettait à Aristote de considérer les affirmations du fondateur de l’Académie comme invérifiables. Voilà bien une preuve de l’étroitesse d’esprit aristotélicien, car il y a lieu de faire des rapprochements entre la « civilisation atlantique » (je dirai plus loin pourquoi je préfère cette dénomination plutôt que « Atlantide atlantique ») et divers textes ou traditions occidentales, notamment l’Odyssée et l’Argonautique qui ne pouvaient

être inconnus d’Aristote. Au surplus, je remercie Jacques Victoor d’avoir rappelé « que l’océan Atlantique fut baptisé ainsi par Hérodote une génération avant Platon ». Mais je me permettrai de ne pas être d’accord avec la conclusion qu’il en tire. Je dirais même au contraire, car Platon connaissait bien évidemment les travaux de celui que l’on appelle « le père de l’Histoire », et il me paraît impensable que l’auteur du « Critias » ait employé à plusieurs reprises l’adjectif « atlantique ».. pour qualifier une partie de la Méditerranée toute proche de lui (voir Timée, 24, e : « du fond de la mer atlantique ». Cfr. également Critias 114 : «A tous, il imposa des noms : le plus ancien, le roi, reçut le nom qui a servi à désigner toute cette île et la mer qu’on appelle atlantique, parce que le nom du premier roi qui régna alors fut Atlas »). Et Platon insiste, dans Timée (25, a), lorsqu’il dit que l’on pouvait « gagner tout le continent sur le rivage opposé de cette mer qui méritait vraiment son nom ». On pourrait même presque dire qu’Hérodote a implicitement parlé de l’Atlantide en parlant de l’océan, qu’il a sans doute baptisé ainsi parce qu’il connaissait peu ou prou l’existence ancienne de « l’île Atlantide ». D’ailleurs, J. V. Luce, dans son livre « L’Atlantide redécouverte », auquel se réfère Jacques Victoor, rappelle qu’Hérodote avait également entendu parler d’un « peuple atlante » qui vivait autour d’un oasis du désert, très loin à l’ouest de l’Egypte. Outre que nous sommes très loin de Santorin et de la Crète, un tel argument me paraît, de toute manière, plus plausible qu’un simple « souci... de symétrie ». Pour moi, si le récit de Platon ne doit pas être pris au pied de la lettre dans tous ses éléments, c’est un témoignage précieux sur le passé, non seulement sur le plan de la géographie physique, mais également sur celui de l’importance des civilisations pré- ou protohistoriques.

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En ce qui concerne la localisation, Jacques Victoor se demande si l’Atlantide atlantique, chère à Paul Le Cour, est possible. Je crois qu’une remarque préliminaire s’impose. Dans ce domaine, comme dans beaucoup d’autres d’ailleurs, quelques découvertes toutes récentes remettent totalement en cause certaines données acquises, et les écoles de spécialistes s’affrontent, sans que l’on puisse avoir des certitudes dans un sens ou dans un autre. Il convient donc d’être très prudent avant de rejeter ou d’admettre tel élément du problème. Au demeurant, pour bien apprécier les différents arguments, il faut se souvenir que Platon parle d’un groupe d’îles plus ou moins importantes, et non pas d’un continent au sens où nous l’entendons. Jacques Victoor énumère, en les réfutant, quelques-uns des arguments des tenants de l’Atlantide atlantique. Il cite au passage l’observation très intéressante — que je ne connaissais pas — d’un laboratoire géologique U.S. selon lequel l’Atlantique se serait brusquement réchauffé il y a dix mille ans. Je me permets de m’étonner que mon confrère en atlantologie n’oppose à cette constatation fragmentaire mais capitale que la date incertaine de la formation du Gulf-Stream et de la disparition... il y a 60 millions d’années du pont continental transatlantique. (J’avoue, au passage, avoir toujours été ahuri de la facilité avec laquelle on date, par exemple, de 60 millions d’années un tel événement, alors que l’on est incapable, à mille ans près, de savoir à quelle date a eu lieu le déluge de Noé, il y a environ 6000 ans, pour prendre un autre exemple. Et que s’est-il passé durant les 59.994.000 ans qui séparent les deux événements ?!) Et je ne parle pas de la théorie de Wegener sur la dérive des continents et de la « tectonique des plaques », qui sont en contradiction avec la disparition du pont continental atlantique et qui, non seulement n’interdisent pas l’hypothèse de l’Atlantide atlantique, mais la confirment (Cf. Atlantis, n° 287, article de William Fonsèque). Que le lecteur veuille bien me pardonner cette digression ; j’en reviens au réchauffement de l’Atlantique il y a dix mille ans environ. Comment ne pas rapprocher ce fait et cette date, en premier lieu de l’époque donnée par Platon pour la disparition de l’Atlantide ; en second lieu de la fin de la dernière période glaciaire connue (c’est-à-dire d’un réchauffement !) ; en troisième lieu de la fin de la transgression flandrienne ayant formé la Manche et la mer du Nord, d’une part, et provoqué l’envahissement par les eaux du « plateau continental », d’autre part, aussi bien sur les rives d’Europe que sur celles de l’Amérique du Nord ; en quatrième lieu de la découverte extraordinaire, il y a quelques années du « mur des Bahamas » dont les données géologiques et la datation au carbone-14 appliquée à des tourbières submergées voisines permettent de dire que ce « mur » remon-

terait à au moins dix mille ans (découverte notamment mise en valeur par Pierre Carnac, membre du comité de KADATH) ; en cinquième et dernier lieu, de la récente découverte, non pas d’une mais de deux pyramides submergées près du même site, fait qui m’a été confirmé il y a quelques mois par un éminent membre du CNRS français. A tous ces faits, s’ajoutent quantité d’autres détails venant les confirmer, dont j’ai énuméré quelquesuns dans le livre « L’Atlantide atlantique », en complétant, par une mise à jour en 1971, la 3e édition du livre de Paul Le Cour « A la recherche d’un Monde perdu : l’Atlantide et ses Traditions ». S’y ajoutent également un certain nombre de découvertes plus récentes dans des domaines variés. Sans doute convient-il de dire également que l’hypothèse de l’Atlantide atlantique, si elle était définitivement vérifiée, permettrait de résoudre quantité d’énigmes archéologiques et historiques, au nombre desquelles on peut citer : l’origine des Guanches et des Basques, l’origine des Egyptiens pré-pharaoniques, l’origine des constructions mégalithiques, etc... Si cette hypothèse ne tient pas, il n’y a plus de réponse à ces questions ! Mais, je ne voudrais pas abuser de l’aimable hospitalité de la revue KADATH, tant il est vrai que ce problème nécessiterait, pour être exposé clairement et aussi complètement que possible, plusieurs volumes. Je me permets simplement de reprendre la conclusion de Jacques Victoor et ses arguments essentiels pour que l’Atlantide atlantique soit très peu probable et que Platon ait parlé, sans le savoir, de Santorin et de la Crète. 1. D’accord, « 170 ans se sont écoulés entre le voyage de Solon et le récit de Platon ». C’est tout le problème de la transmission de la tradition orale. Beaucoup d’exemples nous prouvent que ce n’est pas un écueil. 2. « Rien ne permet de dire qu’il y a un continent englouti dans l’océan ». Un continent au sens habituel, d’accord. Par contre, un groupe d’îles dont certaines ont pu être importantes, a très bien pu exister. N’oublions pas à ce propos les nombreux « bouleversements terrestres » actuellement à peu près prouvés, mais difficilement admis parce qu’ils remettent totalement en cause la théorie transformiste et matérialiste de l’évolution linéaire de la Terre et de l’humanité. 3. « Il faudrait lire mezon, à mi-chemin de, et non meson, plus grande que ». Cette éventuelle faute d’orthographe n’a aucune valeur en elle-même, sauf de permettre une interprétation, contredite par l’essentiel de tout le reste du texte. 4. « Quand Platon écrit « mille », il faudrait lire « cent ». On ne peut que répondre de la même manière. Je crains qu’il ne s’agisse d’interprétations gratuites. 5. « Santorin a fort bien pu s’engloutir en 24 heures, et entraîner la Crète dans sa ruine ». J’en suis tout à fait persuadé, mais je considère que la ca-

tastrophe de Santorin — incontestable — ne fait qu’expliquer la disparition brutale de la civilisation crétoise, sans avoir de rapport avec l’Atlantide de Platon. 6. « Les descriptions que fait Platon pourraient très bien convenir à propos de la Crète ». Pour accepter cette hypothèse, il faut au préalable répondre favorablement aux postulats 3 et 4 cidessus... pour la plupart des descriptions. Pour quelques-unes d’entre elles, cela est possible, notamment dans l’ordre culturel, mais il n’y a là rien d’étonnant si l’on considère la Crète comme une « colonie » atlante ayant échappé au désastre, l’apport « atlantéen » en Crète correspondant au toujours énigmatique (sauf avec l’hypothèse de l’Atlantide atlantique) envahissement du bassin méditerranéen par un mystérieux « peuple de la mer » ayant apporté la civilisation du bronze.

Depuis plus de cinquante ans, à travers les 294 numéros de la revue Atlantis, nous avons accumulé nombre de réflexions et de matériaux prouvant l’existence d’une « civilisation atlantique » qui aurait englobé, grosso-modo, pour m’en tenir à l’aspect européen et nord-africain, l’Ethiopie (qui a été appelée Atlantie), le Sahara avant qu’il ne soit désert, le pays entourant l’Atlas, le plateau continental dont les bords sont notamment marqués par les îles du Cap-Vert et les Canaries (que l’on n’hésitait pas, à la fin du siècle dernier, à appeler officiellement « débris de l’Atlantide » sur les cartes de géographie), le même plateau, avec bien sûr l’arrière-pays, s’étendant au large des côtes européennes, englobant Manche, mer du Nord et mer d’Irlande, et surtout un certain nombre d’îles plus ou moins importantes, dont deux des sommets sont constitués par les Açores et par les îlots

L’emplacement de l’Atlantide, d’après Paul Le Cour. Cette carte fut établie d’après un document du service hydrographique de la Marine, faisant apparaître le plateau sous-marin ou « dorsale atlantique », et l’emplacement des anciens rivages, avec les profondeurs respectives du plateau et des fosses océaniques qui l’entourent. L’auteur s’est seulement permis d’ajouter, avec un point d’interrogation, les mots « Hyperborée » et « Atlantide ».

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« Formigas » photographiés par Paul Le Cour en 1935, et dont les autres sont seulement à quelques dizaines de mètres sous la mer, au beau milieu de l’océan Atlantique, comme le révèlent des documents très récents. Mais, d’autres « bouleversements » plus partiels et d’origines diverses sont intervenus depuis lors, de telle sorte que les pistes sont un peu brouillées, Cependant, les preuves ressortissent à tous les domaines, et l’on s’aperçoit que c’est presque toute l’Histoire de l’humanité qu’il faut réécrire ! Jacques Victoor termine son article en écrivant : « Mon avis est que l’Atlantide et la colonie (la Crète) ne font qu’un... » Je me permettrai de ne pas être de son avis. A moins de conclure comme J.-A. Foëx dans un article de Science et Vie de 1970 que j’ai signalé dans « L’Atlantide atlantique » : rapportant une phrase prononcée en 1967 par un membre de l’Académie des Sciences de l’URSS, « peut-être n’aurons-nous pas à attendre la fin de ce siècle pour que l’hypothèse de l’Atlantide vienne à se vérifier » nos auteurs ajoutaient : Il ne s’agit peut-être pas de l’Atlantide de Platon, puisque des découvertes récentes permettent de la situer à Santorin ? Mais il s’agit quand même d’une Atlantide ». Y aurait-il eu deux Atlantides ? C’est une simple question de terminologie !

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Bibliographie sommaire. Jacques Victoor voudra bien me pardonner si je me permets de considérer que sa bibliographie est incomplète quant à certaines données essentielles pour comprendre l’ensemble du problème de l’Atlantide. Aux titres qu’il propose au lecteur, et avec lesquels je suis tout à fait d’accord, je me permets donc d’en ajouter quelques-uns parmi beaucoup d’autres. Paul Le Cour : « A la recherche d’un Monde perdu : l’Atlantide et ses traditions ». Leymarie, Paris 1931. Paul Le Cour, Jacques d’Arès, Doru Todériciu : « L’Atlantide atlantique ». Diffusion Dervy, 1971. Marcelle Weissen-Szumlanska : « Les origines atlantiques des anciens Egyptiens ». Omnium Littéraire, diffusion Dervy 1965. Pierre Carnac : « L’Histoire commence à Bimini ». Laffont 1973. Immanuel Vélikovsky : « Les grands bouleversements terrestres ». Stock 1957. Jacques d’Arès : « Encyclopédie de l’ésotérisme ». Jean-Pierre Delarge, Paris 1974 (plus particulièrement les deux premiers volumes). Jean Phaure : « Le cycle de l’humanité adamique ». Dorvy 1973. Revue Atlantis dans son ensemble ; parmi les articles récents, plus particulièrement les numéros 265, 274, 275 et 287.

QU’EST -CE-QUE ATLANTIS ? L’association « Atlantis » a été fondée à la Sorbonne le 24 juin 1926, sous le nom primitif de Première Société d’Etudes Atlantéennes, par un homme extraordinaire, Paul Le Cour (décédé en 1954), surnommé dans la presse « l’Homme de l’Atlantide ». Autodidacte audacieux mais prudent, il a consacré sa vie à rechercher et à tenter d’expliquer les grandes lois qui régissent l’évolution du monde et de l’homme. A sa suite, une équipe de chercheurs, provenant des horizons les plus divers mais nourris de sa méthode libérale, défriche des terrains variés, presque totalement inexplorés par un trop grand nombre de savants et d’universitaires bien qu’il s’agisse de connaissances susceptibles d’être comprises, non pas seulement de spécialistes, mais de toute personne ayant conservé le « bon sens » que lui donne l’étincelle de l’Esprit. Partie de l’hypothèse scientifique de l’existence, il y a de nombreux millénaires, de la célèbre Atlantide — vestige le plus lointain de notre civilisation occidentale — à travers les textes de Platon et de nombreux autres documents méconnus, l’Association Atlantis tente de retrouver par les voies de l’archéologie scientifique et traditionnelle et par les lois d’analogie, notamment celle contenue dans le symbolisme, ce que toutes les civilisations anciennes ont appelé la Tradition. ● L’archéologie est « scientifique » lorsqu’elle étudie les civilisations anciennes grâce aux monuments figurés et aux objets qui en restent. Elle est « traditionnelle » lorsqu’elle étudie les mêmes civilisations à travers tous les autres vestiges et notamment les textes sacrés, les mythes, légendes et les symboles. ● La Tradition, « paradosis » en grec, d’où vient notre mot paradis, correspond aux grandes Lois de l’Harmonie universelle, remarquablement résumées dans la célèbre formule attribuée à Hermès Trismégiste, que tous le monde énonce mais que presque personne n’explique et n’applique : ce qui est en bas est semblable à ce qui est en haut, et ce qui est en haut est semblable à ce qui est en bas pour accomplir les miracles d’une seule chose. ● Les traditions de tous les peuples connus font allusion, à travers leurs symboles et leurs légendes, à des connaissances très étendues qu’auraient eues leurs ancêtres. Ces connaissances en partie occultées, ont été conservées et se sont transmises à travers les manifestations les plus diverses de la vie de l’homme au cours des siècles. Ce sont elles, dégagées de leurs transformations successives, qu’il s’agit de retrouver. La revue illustrée « Atlantis » dont chaque numéro spécialisé est axé autour d’un thème de réflexion, paraît tous les deux mois sous la direction de Jacques d’Arès. En dehors des grands articles de fond, elle rend compte des recherches et des travaux de l’Association et annonce l’ensemble des manifestations. L’abonnement peut partir de n’importe lequel des six numéros d’une année, correspondant aux période de parution : janvier-février, mars-avril, mai-juin. etc. L’adhésion part de la même date. L’adresse d’Atlantis : 30, Rue de la Marseillaise - F 94300 Vincennes. Tél. 328.31.95.

LE PASSE PRESENT

L’ARCHIPEL INDONESIEN, DU PITHECANTROPE A BOROBUDUR De l’avion venant des Indes, le voyageur qui a survolé l’Asie du Sud-Est et ses plaines fertiles découvre brusquement de nouveaux horizons. En effet, dès que l’on dépasse la péninsule de Malacca, la toile de fond du paysage change. Un chapelet d’îles apparaît. Celles-ci nous font découvrir, tantôt une savane proche, tantôt une forêt dense et frémissante. Des cônes volcaniques surgissent. L’Indonésie se révèle à nous comme un vaste archipel de quelque trois mille îles. Situé entre l’Asie du Sud-Est et l’Australie, cet archipel s’étend d’ouest en est sur cinq mille kilomètres et du nord au sud sur deux mille kilomètres. Il est généralement admis que le terme d’Indonésie, employé pour la première fois et dans une acceptation plus large au XIXème siècle par l’ethnologue allemand Adolf Bastian, recouvre uniquement le territoire de l’actuelle République d’Indonésie, c’est-à-dire les grandes îles de la Sonde : Sumatra, Java, Kalimantan (Sud-Bornéo), Sulawési (Célèbes) ; les petites îles de la Sonde qui s’alignent de Bali à Timor ; les Moluques et l’Irian Barat (Nouvelle Guinée occidentale). Situées de part et d’autre de l’équateur, les plus grandes îles de l’Indonésie ont un climat équatorial. Toutefois, Java, qui comprend les deux tiers de la population, et les petites îles de la Sonde ont un climat tropical, plus chaud et humide. Les îles sont généralement montagneuses et les volcans sont innombrables. Quatorze volcans javanais dépassent trois mille mètres, ainsi que sept volcans sumatranais. Si les plateaux de grès et les pitons calcaires sont nombreux, les grandes plaines, elles, sont plutôt rares. Voie de passage entre l’océan Indien et le Pacifique, l’Indonésie, le pays des épices, du poivre et des clous de girofle, a été au cours des âges un centre d’attraction du commerce international et un lieu de rencontre de civilisations. Et cependant, ses ressources naturelles paraissent, encore aujourd’hui, illimitées : du riz, du thé et même du café, au caoutchouc, à l’étain et au pétrole. Le pays compte actuellement 137 millions d’habitants. La variété de sa nature et les divers groupes humains qui le composent, rendent l’étude de cet

archipel immense extrêmement complexe. Malgré un brassage perpétuel de cultures et de nombreux apports extérieurs, les différents peuples de cette région du monde ont su, cependant, créer chacun leur civilisation propre. Dès que l’on croit avoir compris un problème, aussitôt on observe, on apprend quelque chose qui remet tout en question. La préhistoire en Indonésie commence avec la découverte de restes osseux en 1891, par le médecin militaire hollandais d’origine huguenote Eugène Dubois. Une calotte crânienne, quelques dents et un fémur constituèrent l’essentiel de cette mise au jour à Trinil dans le centre de Java. Ces fragments de l’humanité la plus primitive se trouvent aujourd’hui au musée de Haarlem aux PaysBas. Dubois les attribua à un hominien, intermédiaire entre l’homme et le singe, qu’il baptisa en 1894, « Pithecanthropus erectus ». Faute d’arguments décisifs, la controverse fut vive. De nombreuses hypothèses furent envisagées. Plus tard, ce Pithécanthrope de Java, aux traits similaires à ceux de l’homme préhistorique continental du Sud asiatique, fut apparenté au Sinanthrope découvert près de Pékin. C’était le début d’une ère de découvertes et d’études de plusieurs sites préhistoriques en Indonésie. De nombreux ossements furent retrouvés dans le centre et l’est de Java, principalement entre 1936 et 1941. Toutefois, on n’a pas trouvé, jusqu’à présent, d’instruments de chasse de l’époque du Pithécanthrope (pléistocène moyen, de 400.000 à 120.000 avant J.-C.). Cet hominien subvenait probablement à ses besoins, uniquement par la cueillette. Les éléments à tranchant unique retrouvés, lui suffisaient-ils pour survivre ? De 120.000 à 20.000 avant J.-C. (pléistocène supérieur), on voit apparaître en terre indonésienne, des types humains plus évolués. Dans un premier temps, se manifeste l’ « Homo Soloensis » (du nom de la rivière javanaise Solo) apparenté à la race néanderthalienne en Europe. A la fin de cette

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époque, apparaît l’ « Homo Wajakensis », à caractéristiques australoïdes, première forme de l’ «Homo Sapiens» dans ces régions. Nous savons que la chasse était pratiquée et que l’outillage était dominé par des instruments lithiques sur lames. De nombreux outils paléolithiques ont été retrouvés dans la région de Patjitan, au sud-est de Java. On les attribue généralement à ces populations primitives qui se succédèrent des Néanderthaloïdes de Solo aux Proto-Australoïdes de Wajak. Il est à remarquer que l’Indonésie est à la fois une partie du continent asiatique et un pont naturel reliant l’Indochine à l’Australie. A l’époque glaciaire, le niveau de la mer était sensiblement plus bas que de nos jours, de sorte que Sumatra, Java et Kalimantan étaient reliées au continent asiatique par le plateau de Sunda, qui émergeait alors de l’océan, ce qui permit le passage de nombreuses populations. Ce n’est qu’à la fin de l’époque glaciaire, et à la suite de plissements et d’effondrements que l’archipel prit son aspect actuel. Le niveau de la mer s’élevant, la plate-forme de la Sonde, la plus vaste du monde, fut couverte d’une mince couche d’eau (moins de 55 mètres en moyenne ; certains fonds marins atteignent cependant les dix mille mètres). Néanmoins, malgré les changements géologiques, l’archipel resta lié au continent.

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Les industries de pierre et d’os indonésiennes connues pour le mésolithique (environ 10.000 à 2000 avant J.-C.) se rapprochent fort de l’outillage et des ossements humains trouvés dans la péninsule indochinoise, notamment dans les sites de Bac-Son et Hoah-Binh, au Viêtnam. Les préhistoriens ont été longtemps d’accord pour soutenir la théorie selon laquelle la plupart des populations occupant à présent le sol de l’Indonésie auraient une origine continentale. De là, l’idée d’une première vague de « Proto-Indonésiens » d’origine indochinoise, qui a précédé plusieurs vagues d’Indonésiens de type mongoloïde. D’autres auteurs parlent de « Proto-Malais » qui auraient été refoulés à l’intérieur de l’Indonésie par des « DeutéroMalais » plus évolués. Ces « Proto-Malais » sont restés jusqu’au XXème siècle en marge des grands courants d’échanges. Je pense plus spécialement aux Batak de Sumatra, aux Dayak de Kalimantan et aux Toraja de Sulawési. Ces diverses théories, largement répandues, ne reposent, en fait, que sur l’examen hâtif de quelques sites, mal fouillés. Ce schéma devra probablement être révisé à la lumière des découvertes qui se continuent aussi bien en Indochine, en Australie qu’en Indonésie. Des fouilles importantes de sites néolithiques, commencées il y a dix ans sous la direction du Professeur Soejono, sont toujours en cours à Java et à Bali. S’appuyant sur des critères linguistiques, le philologue Dyen estime, lui, qu’il faudrait rechercher le

foyer originel indonésien en Mélanésie et non pas en Chine méridionale, comme on le croit habituellement. Ne faudrait-il pas apparenter les premiers habitants de l’Indonésie aux aborigènes de l’Australie et de certaines îles du Pacifique ? Il y a dans les îles de la Sonde et même en Irian (notamment chez les Papous) des groupes humains qui leur sont proches. Il ne faut, cependant, pas oublier que la race noire est minoritaire en Indonésie. Actuellement, ses habitants sont pour la plupart des Malais, sans qu’on puisse d’ailleurs définir exactement ce qu’est un Malais, tant les différences physiques sont nombreuses. En fait, il n’y a pas de race malaise. Les Malais résultent des métissages les plus divers : une vingtaine d’ethnies de cultures et de langues différentes peuplent cette Insulinde qui se cherche encore une âme. « Bhinneka Tunggal Ika », (« une et diverse à la fois ») telle est bien la devise du pays, que formula Mpu Tantular dans le poème javanais Sutasoma. Comme on le voit, le peuplement de l’archipel est un problème qui fait encore l’objet de bien des conjectures. C’est au mésolithique qu’apparaissent en Indonésie les espèces humaines dites modernes. Ces nouveaux types, qui ont occupé l’archipel avant l’arrivée des Malais, peuvent être classés en Australoïdes (qui survivent dans les tribus australiennes), Négritos et surtout Veddas. Si on ne rencontre les Négritos, noirs de petite taille, que dans les montagnes, les Veddas, eux, plus grands et à la peau claire, se retrouvent un peu partout dans l’Insulinde. La culture primitive du mésolithique, fondée sur la cueillette et la chasse, a subsisté, jusqu’à nos jours, chez les Punan de Kalimantan et les Kubu de Sumatra, populations habitant dans des régions montagneuses couvertes de forêts vierges. Le trait commun de ces groupes est le nomadisme qui implique l’absence d’un habitat permanent. Le passage du mésolithique au néolithique (à partir de 2500-2000 avant J.-C.) se traduit à la fois par l’usage d’outils en pierre polie et par l’essor de l’agriculture. La population se nourrit de plantes à tubercules et de fruits tropicaux. Elle commence à cultiver le riz, dont le point de départ doit être recherché aux confins du Viêtnam et de la Chine. Les cultures agricoles du néolithique sont caractérisées par deux outils principaux : la hache à coupe transversale quadrangulaire et la hache cylindrique. La hache quadrangulaire, la plus courante, se retrouve dans toute la péninsule et surtout à Java. En ce qui concerne les techniques, on peut affirmer l’existence de poterie. De nombreux débris de céramique découverts offrent une décoration à caractère géométrique. De plus, il est à peu près certain que la technologie actuelle de la céramique chez les Toraja, remonte à ces traditions reculées. Elle consiste en un procédé de battage : la motte d’argile, façonnée en forme de vase, est frappée au moyen d’un battoir en bois

jusqu’à ce que la paroi ait acquis l’épaisseur voulue. Le vase est ensuite séché et soumis à la cuisson sur feu ouvert. Vers la fin du néolithique, un changement se produit dans les civilisations de l’Asie du Sud. On assiste à la construction de vastes monuments de pierre, qui ont donné à l’époque et à sa culture le nom de mégalithique. Ce mégalithique préhistorique a laissé des traces un peu partout en Indonésie. De Java, on connaît des sarcophages en pierre, ornés de motifs géométriques ou de figures humaines et animales, des dolmens, des statues de grandes dimensions et des cistes en pierre. Bali nous offre également des sarcophages en pierre, mais aussi des « sièges des esprits » sculptés, dressés aux carrefours de routes. Kalimantan possède des urnes cylindriques, utilisées comme tombeaux, et de nombreuses statues dont les figures ont presque toujours un caractère frontal. Le territoire le plus riche en monuments mégalithiques est Sumatra. On y a retrouvé des sarcophages en pierre remarquables et des dolmens. Ils étaient généralement bâtis sur les hauteurs. Des terrasses à étages soutenaient de petites pyramides, qui elles-mêmes servaient de supports à ces « sanctuaires ». Ceux-ci, bien que situés principalement à Sumatra, se retrouvent également à Java, notamment sur les pentes du mont Yang. A l’heure actuelle, on trouve encore des cultures mégalithiques vivantes à Sumatra : dans le nord, chez les Batak et dans les îles de Samosir et de Nias ; dans le sud à Pasemah. Quelques foyers subsistent aussi dans le centre de Sulawési, chez les Toraja et dans les îles Florès et Sumba. A Sumatra, en dehors des menhirs disposés en ligne droite ou en cercle, ce sont surtout les statues en pierre qui méritent l’attention. Une partie d’entre elles sont statiques, les autres sont dynamiques à figures humaines et animales (buffles, éléphants...). De nombreuses statues représentent des guerriers casqués et portant l’épée. Les artistes s’intéressaient souvent au modelage de la tête : les yeux étaient globuleux et la mâchoire saillante. Grâce à une pierre très malléable, souvent d’origine volcanique, ils en tiraient des effets spéciaux. Comme le mégalithique a survécu en Indonésie jusqu’en ce XXème siècle, il n’est pas toujours aisé de dater ces pierres. C’est de cette même époque mégalithique que datent les champs d’urnes qui furent mis au jour à Java, Sumatra et Kalimantan. Ces urnes renfermaient, soit des morts ensevelis en position accroupie, soit des crânes. Ces poteries funéraires étaient ornées de dessins géométriques et de figures humaines à tête triangulaire. Dans la seconde moitié du premier millénaire de notre ère, apparaît la métallurgie. Venant de la Chine du Sud (site de Shi-Chau Shan dans le

Elément de la partie supérieure d’un sarcophage en pierre (2000-1500 av. J.-C.), découvert à Sumatra (Musée ethnographique de Budapest). Yunnan) et de l’Indochine (site de Dongson au Viêtnam), le travail du métal se répandit en Indonésie. Ces populations connaissaient aussi l’art du tissage. Les vestiges indonésiens de cette époque offrent des analogies remarquables avec les civilisations du bronze et du fer du sud-est de l’Europe. Ce fait s’explique par des migrations européennes qui atteignirent, notamment, le Yunnan et le nordest de l’Indochine. La technique de la fonte du bronze était connue dans les îles importantes. Pour les objets de petit format, on employait le procédé de la cire perdue, tandis que les objets plus grands étaient coulés dans des moules en pierre. Cet âge du bronze est très bien représenté en Indonésie. De superbes haches d’apparat et de nombreux tambours de bronze ont été découverts jusque dans les îles orientales. Il existe plusieurs types de tambours de bronze. Le manteau du type principal est souvent orné de motifs géométriques ou de guerriers et barques stylisés représentant un oiseau. Le tympan, lui, comprend de huit à seize pointes représentant le soleil. Ces tambours sont les principaux instruments d’un culte animiste lié au cycle agraire. Le plus beau spécimen, « la lune de Bali », est encore vénéré au temple Panataran Sasih de Pejeng. C’est un tambour immense (diamètre 1 m 60, hauteur 1 m 86) orné de huit

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grands visages humains stylisés. Ces tambours, par la technique et le décor, sont à rapprocher des objets découverts en Indochine, au Yunnan et aussi en Malaisie. Cette similitude de travail permet d’affirmer que l’archipel a été touché par la civilisation de Dongson, qui se serait étendue à partir du IIIème siècle avant l’ère chrétienne. Dès cette époque, l’histoire de l’Indonésie est liée à celle de la péninsule indochinoise et du sud de la Chine. Les mers de Java et de Florès jouent le rôle de mers intérieures facilitant le commerce et les rapports entre les peuples. Mais, plus encore que le sous-continent chinois, c’est l’Inde qui marquera de son empreinte indélébile ces peuples dits malais.

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Les premiers contacts avec l’Inde ont dû être très anciens. La légende javanaise d’Aji Saka a, sans doute, un fondement historique. Ce prince indien aurait appris aux Javanais l’écriture et l’astronomie. En tout cas, au début de l’ère chrétienne, un courant continu porte les Indiens vers les îles. L’Indonésie, tout comme l’Indochine, a assimilé à son propre fonds divers éléments indiens (langues, structures sociales...). L’Inde leur apporte principalement les grandes religions, le brahmanisme et le bouddhisme, ainsi qu’une culture artistique déjà élaborée. Les petites principautés agricoles, qui pratiquaient l’irrigation et qui avaient déjà une structure sociale, seront touchées les premières par la culture indienne. Par contre, la tradition indonésienne se maintiendra dans le peuple avec une persistance très nette de l’animisme. On peut, dès lors, parler d’une civilisation indomalaise. Elle est florissante dès le début du Vème siècle. Les immigrants venus de l’Inde sont d’abord brahmanismes, ensuite bouddhistes. Les foyers essentiels demeurent Sumatra et Java. A Sumatra, il existe deux royaumes indo-malais : au centre, celui de Malayu (actuellement Jambi) peu important, et au sud celui de Srivijaya (actuellement Palembang). Ce dernier étend son autorité, du moins à certains moments, sur le Cambodge, le Siam, Sri Lanka, une partie de Java et de Kalimantan, et les Philippines. La puissance de Srivijaya repose surtout sur l’activité maritime. Ce royaume est maître de la mer du Vème siècle au Xème. A Java, qui est déjà l’île la plus peuplée et la mieux cultivée, l’organisation des royaumes est plus confuse. Au VIIIème siècle, c’est la même dynastie, celle des Sailendra, qui règne dans le royaume de Srivijaya et au centre de Java. La suprématie alterne alors entre les cités marchandes de Sumatra et les centres agricoles de Java. En tout cas, c’est une époque de haute civilisation. Une architecture remarquable se développe au centre de Java. Ainsi s’élève, par exemple, sur le plateau de Dieng, un ensemble de constructions remarquables d’une grande simplicité. C’est aussi et surtout, parmi les autres édifices, Borobudur, dressé au sommet d’une colline qui domine la vallée.

Après l’effondrement de l’empire Srivijaya au XIIIème siècle, il y a un recul de la civilisation indonésienne. Son premier âge d’or est terminé. Vers 1300 se constitue un nouvel empire, celui de Modjopahit. Son extension territoriale est considérable. Il s’identifie presque à la République indonésienne actuelle. Les contacts avec l’extérieur, et plus spécialement la Chine, se multiplient. De nombreux Chinois s’implantent également dans l’archipel indonésien. Les grandes îles nouent des relations commerciales avec l’Arabie, la Perse et l’Europe. Puis, c’est l’Islam. Après s’être infiltré à Sumatra dès le XIIIème siècle, il prend véritablement pied à Java vers 1400. Toutefois, Bali est restée, pratiquement jusqu’à nos jours, fidèle à sa culture indianisée qui, malgré son évolution, surtout par voie de syncrétisme, est toujours reconnaissable. A vrai dire, il s’agit d’un syncrétisme où l’hindouisme se mêle aux traditions animistes. Actuellement, 85 % des Indonésiens sont musulmans. Sur le plan économique, cette apparition de l’Islam en Insulinde coïncide avec un essor du commerce mondial. Grâce aux marchands indiens et arabes, les épices indonésiennes sont bien connues en Europe, au XVIème siècle. D’où la tentation de mettre la main sur les îles à poivriers et girofliers. Autrement dit, la phase coloniale de l’Indonésie peut commencer. Elle ne s’achèvera que le 17 août 1945. Les arts qui se développent dans les royaumes indianisés d’Indonésie sont essentiellement religieux. Il reste peu de monuments à Srivijaya, l’empire maritime florissant, rival des royaumes javanais, établi à Sumatra. Et, si à Kalimantan les traces d’indianisation sont très anciennes, elles restent cependant isolées. En fait, c’est à Java que ces arts ont connu leur plus bel épanouissement, entre le VIIème et le XVème siècle. Les sommets de cet art s’édifièrent entre 700 et 900 après J.-C. Aussi, je ne retracerai que les grandes lignes de cette période. On parle d’art indo-javanais ou dit de Java central, parce que c’est là que se trouvent la plupart des monuments qui s’y rattachent. Cet art indo-javanais correspond aux candi (temples) édifiés successivement sous les règnes des Sanjaya (hindouistes), des Sailendra (bouddhistes) et des rois de Mataram (hindouistes). A Java central, les grands sites sont, dans le nord, le plateau de Dieng et le mont Ungaran, dans le sud, la plaine de Kedu et, à l’ouest de celle-ci, la région de Prambanan. Sur les dix-huit emplacements de sanctuaires hindouistes repérés sur le plateau de Dieng, il n’y a plus que huit temples bien conservés. Ces huit sanctuaires sont le groupe d’Arjuna (Arjuna, Semar, Srikandi, Puntadewa, Sembadra), le Darawati, le Gatotkaca et le Bhima. Ces candi çivaïtes sont de forme carrée (cinq mètres de côté) ; les blocs sont posés les uns sur les autres, sans mortier. Au sommet de la porte et des niches figure une tête de kala (monstre), d’où descen-

dent, le long des deux côtés, des rinceaux terminés par des têtes de makara (monstres mythologiques mi-poisson, mi-éléphant). Ce motif décoratif, caractéristique de l’art indo-javanais, symbolise l’arc-en-ciel qui relie le monde des hommes à celui des dieux. A l’est du plateau de Dieng, sur le mont Ungaran, se trouvent les neuf petits groupes de sanctuaires de Gedong Sanga, comparables à ceux du groupe d’Arjuna, mais possédant un décor sculpté beaucoup plus riche. Au sud de Java central, dans la plaine de Kedu, se dresse le célèbre Borobudur, « la Montagne Cosmique », le monument le plus remarquable de l’art bouddhique. Pour l’atteindre, il faut quitter Jogyakarta, la ville chérie de Java, et emprunter, pendant 32 km, une route qui serpente à travers une des plus fertiles campagnes du monde. Le Mérapi, tout proche, dresse son cône superbe, plus haut encore que les nuages. Pour prestigieux qu’il soit, Borobudur était, il n’y a pas si longtemps encore, menacé de tomber en ruine. L’humidité et les précipitations avaient, au fil des ans, endommagé le monument. La colline artificielle qui lui servait de support s’affaissait. Les pierres, taillées dans la lave du Mérapi, étaient rongées ou recouvertes d’une mousse noirâtre. Heureusement, afin d’interrompre cet inexorable processus de désagrégation, les autorités indonésiennes, en collaboration avec l’UNESCO, ont entrepris depuis 1975 une gigantesque opération de restauration. On a, en effet, décidé de démonter la quasi-totalité du monument et de le remonter ensuite. Autrement dit, il faut consolider la colline avec de nouvelles fondations et traiter chimiquement 300.000 pierres pour arrêter l’oxydation et l’érosion provoquées par des micro-organismes. Le coût de l’entreprise, qui devrait être terminée en 1982, s’élèvera à cinq cent millions de francs belges. Borobudur a été édifié à la fin du VIIIéme siècle et au début du IXème siècle après J.-C., par les Sailendra. Le Borobudur est, comme tel, le monument typique du monarque absolu. Il est, pour l’essentiel, une pyramide étagée construite sur une colline semi-artificielle et formée de six terrasses carrées de taille décroissante et de quatre terrasses circulaires. L’édifice mesure 113 mètres de côté à la base et si on tient compte des saillies, 123 mètres. Sa hauteur originale était de 37 mètres (42 mètres en tenant compte de certains ajustements). Actuellement, il s’élève à 31,5 mètres du sol. La large terrasse inférieure était utilisée pour les processions. Les cinq autres terrasses carrées ont une paroi interne et une paroi externe, cette dernière constituant la paroi interne de la terrasse située immédiatement en dessous. Sur les terrasses circulaires sont disposés en cercle de petits stupa creux (sortes de gros bulbes aux murs troués, en losanges ou en carrés, et surmontés d’un clocheton). Il y en a successivement 32, 24 puis 16, au fur et à mesure que l’on monte. Ces 72

stupa renferment chacun une statue du Bouddha. Tout en haut, sur la dixième terrasse, un immense stupa central d’un diamètre de 15 mètres, couronne l’édifice. Il est fermé et vide ; il symbolise l’inaccessible Vérité, l’Absolu que nul n’atteindra jamais. On a, cependant, extrait de cet ultime stupa un bouddha inachevé, probablement plus tardif, qui soulève bien des controverses. Certains prétendent même, qu’à l’origine ce stupa renfermait une statue en or de 13 kilos. Quatre volées d’escaliers disposées dans la ligne médiane des carrés conduisaient à ce stupa supérieur.

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Jadis, les moines bouddhistes venaient à Borobudur pour méditer. Les trois principales parties du temple, de la base au sommet, représentent les grandes étapes de cette méditation. La base (Kamadhatu) symbolise l’influence de la matière ; la deuxième partie (Rupadhatu) est composée de quatre galeries qui illustrent la recherche de la spiritualité. Enfin, les quatre dernières terrasses, circulaires et non plus carrées, représentent l’étape de la rupture avec la vie humaine, l’approche de la béatitude ; cette dernière partie s’appelle Arupadhatu. Seuls les initiés avaient accès aux terrasses supérieures. Des niches disposées aux parties supérieures des murs des terrasses car-

rées abritent des statues de Bouddha. Celles-ci, au nombre de 432, présentent des positions de mains (mudra), différentes sur les diverses faces du monument. Ces mudra, au nombre de cinq, diffèrent selon les quatre points cardinaux et le zénith.

cosmos (le monde du désir, le monde des formes et le monde vide de formes), selon la doctrine du Mahayana ou Grand Véhicule, qui considère le Bouddha non plus comme un personnage historique exemplaire mais comme une émanation du principe divin.

Autant que par son architecture, Borobudur est célèbre par ses bas-reliefs. Dans l’ensemble, ils sont bien conservés. Il y a, sans compter le soubassement, 1300 reliefs et 1472 éléments décoratifs. Mis bout à bout, ces divers reliefs formeraient une fresque de cinq kilomètres. En fait, la décoration varie fort d’un étage à l’autre. Les terrasses circulaires sont dépourvues de tout ornement. La partie inférieure, elle, est richement ornée, pour symboliser la différence entre les sens (terrasses carrées) et l’âme (terrasses circulaires). Les 160 reliefs se trouvant sur la large base, représentent le fonctionnement du karma (récompense des bons et châtiment des mauvais). Les 120 reliefs de la première galerie sont consacrés aux principaux événements de la vie de Bouddha et des légendes qui s’y rattachent, tandis que sur les murs des galeries suivantes, on voit des scènes tirées de la vie des différents Bodhisattva (esprits parvenus à un tel degré de perfection qu’ils peuvent devenir eux-mêmes des bouddhas). La statuaire de Borobudur se caractérise par une grande douceur du modelé.

Cette « Montagne Cosmique » symbolise le processus au cours duquel l’âme atteint l’absolu incarné par le stupa supérieur. Par sa forme, le Borobudur est unique, en ce sens qu’il unit en un seul ensemble des terrasses carrées et circulaires, créant ainsi un immense stupa dont la coupe transversale est la seule de son genre. Il n’est pas impossible que, comme l’affirme Sutjipto Wirjosuparto, il s’agisse là d’une combinaison de la pensée religieuse indienne et de l’ancienne religion indonésienne. Le Borobudur serait une pyramide en terrasses d’un type remontant à l’époque mégalithique, en rapport avec le culte des ancêtres ; mais, en même temps, le monument symboliserait les dix degrés de l’état de Bodhisattva. Ce grand stupa devint l’expression de l’idéal bouddhique classique. La fonction du monument était double : un pèlerinage devait permettre d’atteindre et la communion avec les ancêtres et le nirvana. Afin d’être complet, notons que, non loin du Borobudur, se trouvaient deux petits temples, le Candi Mendut, plus ancien et le Candi Pawon. Ce dernier servait, sans doute, de halte purificatrice au pèlerin avant de gravir la montagne sacrée.

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C’est à l’est du groupe du Borobudur, dans la plaine de Prambanan, que l’on trouve le plus grand nombre de monuments de la période de Java central. Citons parmi les temples bouddhistes du IXème siècle, le Candi Kalasan et le Candi Sari, le Candi Sewu et le Candi Plaosan. Le Candi Sewu était un immense ensemble architectural de 240 templions, disposés en carrés concentriques et entourant un sanctuaire qui abritait une entité suprême, le Vairocana, entourée de ses hypostases ou émanations. Cet ensemble, presque complètement ruiné, formait un mandala (forme géométrique renfermant des divinités) architectural, un peu à la manière du Borobudur, mais entièrement réalisé au niveau du sol.

Le Bouddha dans le geste de l’appel de la terre en témoignage (Bhumi-sparsa mudra). La figure humaine est traitée dans un style fait de plénitude souriante et d’harmonie. En plus de leur importance pour l’histoire des religions et des arts, de nombreuses scènes du Borobudur nous donnent, par leurs détails, des renseignements sur l’agriculture, la navigation et le costume de l’époque. Il semble certain que le Borobudur, dans ses milliers de bas-reliefs, reflète les trois sphères du

Au milieu du IXème siècle, les Sailendra furent relégués à Sumatra. Le pouvoir en Java central revint aux mains de la dynastie hindouiste de Mataram. Pour faire contrepoids au Borobudur bouddhique, ces rois se firent construire un monumental ensemble de temples, le « Prambanan », du nom du village voisin situé aujourd’hui à 15 kilomètres à l’est de Jogyakarta. Ce majestueux groupe de Prambanan, correspondant hindouiste du Borobudur, est le plus vaste et le plus bel ensemble de l’art indo-javanais. Il date de la fin du IXème siècle : le çivaïsme a remplacé le bouddhisme Mahayana. Ce monument est aussi appelé le Candi Lara Jonggrang (« la mince jeune fille »),

du nom de la statue de la déesse Durga, sœur de Vichnou et sakti (épouse) de Çiva, trouvée dans le temple principal. Cet ensemble est formé de trois enceintes quadrangulaires successives, mesurant respectivement 110, 220 et 390 mètres de côté. Les principaux temples se trouvent au centre des deux clôtures intérieures, elles-mêmes situées dans l’angle sud-ouest de la grande cour intérieure.

Le temple de Çiva à Prambanan. Celle-ci comprend trois grands temples et trois petits qui se font face, plus deux autres petits temples. Le bâtiment central, qui est le plus grand (d’une hauteur de 47 mètres sur une base de 30 mètres de côté), est consacré à Çiva, celui au sud à Brahma et celui au nord à Vichnou. Sur l’aire située entre les deux enceintes intérieures, il y avait autrefois 224 templions tous semblables de 14 mètres de hauteur. Un seul n’est pas en ruine. Le sanctuaire principal, celui de Çiva, fut entièrement remonté par anastylose. Plus que les autres, il annonce l’art ultérieur de Java oriental, par l’importance du soubassement et l’étirement en hauteur du temple terminé en pointe. Par sa verticale, il préfigure même les constructions d’Angkor (XIIème siècle). Il est à noter que la restauration de ce complexe çivaïte ne fut terminée qu’en 1953, après quatre-vingts ans d’efforts. Les Services Archéologiques indonésiens, faute de moyens, n’arriveront peut-être jamais à restaurer l’ensemble de ces bâtiments, dédiés à la Trinité hindouiste. Tous ces temples sont construits sur le même modèle, quoique différents de taille. Ils consistent en une haute base qui se termine en

galerie, déterminant une plate-forme sur laquelle s’érige le temple à deux étages. Ces derniers sont séparés par un entablement horizontal et le second étage est surmonté par un toit à étages successifs. Toutefois, seuls les trois grands temples possédaient un plan carré complexe et un escalier menant au templion-porche et à la galerie. Leurs balustrades étaient ornées de panneaux à reliefs. Ces derniers, dans les temples de Çiva et de Brahma, représentaient des scènes tirées de l’histoire de Rama, alors que ceux du temple de Vichnou relataient des épisodes de la vie de Krishna. En ce qui concerne leur conception artistique, ces reliefs ressemblent beaucoup à ceux du Borobudur. Toutefois, l’art se fait plus réaliste. Ainsi, dans les 42 panneaux du Candi Lara Jonggrang qui illustrent le Ramayana, les attitudes des personnages se différencient nettement. L’art devient dynamique : danseurs, animaux et végétaux prennent vie. On trouve davantage d’éléments empruntés à la vie familière. La composition est plus variée et moins compartimentée qu’à Borobudur. L’art témoigne d’une connaissance approfondie de l’anatomie. Les artistes cherchent visiblement à réaliser un équilibre entre la représentation figurative et le décor ornemental. Je terminerai en mentionnant une particularité étonnante de ce complexe de Lara Jonggrang. Le point d’intersection des diagonales du carré intérieur ne se trouve pas dans le sanctuaire du temple principal, mais à gauche de l’escalier oriental. Et c’est précisément, à cet endroit qu’on a mis au jour, lors de la restauration, une urne remplie de cendres. Le temple servait, sans doute, en même temps de sépulture aux princes. L’archipel indonésien, qui est loin de nous avoir révélé toutes ses richesses et ses mystères, demeure une des régions les plus passionnantes du monde. JEAN-CLAUDE BERCK Bibliographie A.J. Bernet Kempers : « Ancient Indonesian art », Amsterdam 1959. « Borobudur, Mysteriegebeuren in steen, Verval en Restauratie Oudjavaans volksleven », Servire B.V. Wassenaar 1973. T. Bodrogi : « L’Art de l’Indonésie », Editions Cercle d’Art (traduit du hongrois), Paris 1972. J. Bruhat : « Histoire de l’Indonésie », Collection Que Sais-je ? n° 801. PUF, Paris 1958. G. Coedes : « Les Etats hindouisés d’Indochine et d’Indonésie », de Boccard, Paris 1964. L. Frédéric : « Sud-Est Asiatique - ses temples, ses sculptures », A.M.G. Flammarion, Paris 1964. V. Monteil : « Indonésie », Collection Petite Planète, n° 44. Ed. du Seuil, Paris 1972. R. Soekmono : «New lights on some Borobudur problems », Bulletin of the Archeological Institute of the Republic of Indonesia, n° 5, Jakarta 1969. S. Suleiman : « Concise Ancient History of Indonesia », Jakarta 1974. J.D. Wickert : « Borobudur » (traduit de l’allemand) P.T. Intermasa, Jakarta 1975.

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MYSTERIEUSE CELTIE

LES VESTIGES VITRIFIES

« Nous vous raconterons la découverte de telles ruines, leurs controverses, la fiction et l’utilisation pseudo-scientifique qu’elles procurèrent, et les progrès de l’archéologie vers la solution que les énigmes présentèrent » (L. Sprague de Camp : « Citadels of Mystery »).

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Les vestiges vitrifiés sont, dans leur ensemble, des constructions qui, à l’époque de leur utilisation, furent sévèrement atteintes par le feu, si bien que certaines structures en pierre montrent des traces de fusion et de vitrification. Rêve et frisson, car si du granite a fondu, il vient immédiatement à l’esprit que la chaleur développée devait être particulièrement importante : de l’ordre de 1200 à 1500 °C selon le type de granite. Comment atteindre ces températures ? C’est là, sans doute, l’aspect le plus sensationnel de l’énigme, d’autant plus que le public a une vague idée de la vitrification par le biais des expériences atomiques qui provoquent aussi des liquéfactions minérales. Et nous avons les acteurs de la pièce qui entrent en scène : d’une part, les tenants de l’emploi d’une méthode quelconque permettant de très fortes températures, d’autre part, les partisans de multiples solutions normalisées en ce sens que le hasard sert plus la combustion qu’autre chose : deux écoles après tout. Et deux aspects de la question qui sont ambigus parce que se profilent, pour les uns, une technologie qui n’est pas en rapport avec l’état de la civilisation du moment, et pour les autres, un réductionnisme que nous connaissons. Le malheur est que le regain d’intérêt de la part du public a été rehaussé de thèses proposant une intervention extérieure faisant appel à une technologie extraterrestre dans toute l’acceptation du terme. Pour moi, il s’agit là d’une recherche intensive de la facilité et, comme je le disais plus haut, de raccrocher la vitrification à quelque cataclysme atomique : d’une pierre deux coups. On apporte une solution en prouvant cette fameuse, fumeuse dans ce cas, intervention extraterrestre.

Bel exemple de test de Rorschach. Pourtant il ne fait aucun doute que le problème subsiste et demeure équivoque, la distribution géographique des cas de vitrification étant peut-être le premier terme de l’équation. Aussi, vais-je essayer de vous résumer l’énigme, et pour ce faire je découperai cet article en diverses sections : 1) ce que constitue un vestige vitrifié, 2) la distribution géographique, 3) ce qu’en disent certains auteurs, 4) quelles furent les premières recherches, 5) quelles sont les dernières hypothèses. Le lecteur considérera cet article comme un rapport, et je crois qu’il pourra se faire une idée nette de la situation. J’ajouterai encore que si l’énigme des vestiges vitrifiés perd en sensationnalisme, elle y gagne par la connaissance architecturale, par la motivation des peuples qui utilisèrent les constructions et les méthodes de « mise à feu » telles que nous pouvons les imaginer actuellement. Les camps retranchés. Il est certain qu’une région volcanique sera riche en vestiges vitrifiés, la population autochtone ayant employé le matériau le plus abondant. Il va sans dire que les vitrifications qui nous occupent sont celles apparues après la construction d’un ouvrage quelconque. Il se fait que ces édifications se regroupent essentiellement en installations de type militaire : fortifications, camps protégés, etc. L’aspect général se présente sous la forme d’une butte qui peut être artificielle, ou d’un promontoire choisi pour ses facilités de défense. Le sommet du relief est renforcé par des murailles dont l’aspect tactique est évident. Du simple contour par murets, on peut passer aux enceintes doubles, en étage si nécessaire, jusqu’aux ouvrages plus compliqués faisant appel à des retranchements annexes ou à des systèmes de murs intérieurs formant ce que je pourrais appeler des lignes de retraits. Il ne fait donc aucun doute que la destination en était la défense contre toute attaque humaine.

Le tort vitrifié de Dun Lagaidh en Ecosse : vue générale de l’ouest, et plan général du site (niveaux en pieds, échelle 1/545).

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La construction proprement dite apparaît comme étant faite de terre rapportée, d’armature de bois et de pierre. La surface du retranchement varie de quelques dizaines à plusieurs centaines de mètres carrés, la complexité suivant le rapport de superficie. Disons aussi que le terme anglais « hillfort » (fortification de colline) visualise parfaitement le type d’aménagement. Les différents sites que nous survolerons ne sont plus que des épaves, ils sont accessibles sans difficulté, si ce n’est que des fouilles archéologiques peuvent y avoir lieu, d’où restriction compréhensible. D’autre part, de nombreux châteaux-forts du Moyen Age, des villes romaines fortifiées, des burghs saxons sont bâtis sur d’anciens sites qui nous intéressent,

vous cornprendrez aisément quel travail subsiste. Bref, « un camp retranché (hillfort) est un fort, qui possède des défenses artificielles crées par l’homme dans le but de le protéger, mais aussi exploite le terrain pour donner un avantage de hauteur sur ceux qui approcheraient le site » (1). Pour en revenir aux vitrifications, il n’est pas douteux que ce sont les forts de pierres qui nous attirent le plus. Ces derniers sont toujours constitués (1) Je ne peux que proposer un seul livre, mais remarquable « Hillforts, Later Prehistoric Earthworks in Britain and Ireland » édité par D.W. Harding, Academic Press, Londres 1976.

de pierre sèche non cimentée, les murailles peuvent être relativement épaisses, jusqu’à deux mètres, ou encore tout simplement graciles, alors des soutènements apparaissent. Les structures internes des murs sont soit des agencements de pierre sèche, soit des armatures en bois, le tout étant non cimenté. Nous ne nous étendrons pas plus sur les multiples façons d’étançonner des murs à l’aide de madriers, je préfère que le lecteur se réfère au livre « Hillforts » cité en référence. Remarquons tout de même que la construction à l’aide de blocs de pierre ou de moellons — sans mortier — permet à l’oxygène de passer dans les interstices, quand bien même l’ensemble serait soutenu par des madriers en bois : nous verrons par la suite l’importance que revêt cet assemblage en cas de feu.

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Diverses méthodes externes :

De manière générale le camp retranché est donc voué quasi exclusivement à un usage militaire. Dans certains sites, de grande superficie, il apparaît une structure interne qui dénote l’occupation sociale : abris rangés (rues), accès poternés ; des recherches récentes montrent des activités « industrielles », telles le tissage ou la fabrication d’outils. Ces investigations suggèrent encore que les occupations furent intermittentes ; il y a création du camp, désertion de celui-ci et réoccupation plus tard. Seule compte la faculté de refuge pour la population. En ce qui concerne les camps sis en Grande-Bretagne, Michael Avery précise les relations entre différents sites : « Trois aspects sont à considérer : premièrement, les relations spatiales entre forts, deuxièmement, les relations entre les forts et les sites non-fortifiés, troisièmement, l’utilisation de ressources disponibles par les habitants du fort, surtout au point de vue nourriture... ». Il est à préciser que l’extrait ci-dessus concerne uniquement le sud de l’Angleterre, mais nous pouvons facilement y voir un contexte qui permet de se faire une idée de l’environnement des camps retranchés : des recherches couvrent actuellement les hinterlands possibles des forts, et pourront par la suite définir s’il y avait une inter-influence, ne fut-ce que du fait de la superficie gérée par un site.

A. Pieux plantés dans le sol. B. Pieux plantés dans une structure artificielle, surplombant un fossé. C. Muraille de moellons consolidant la terre ramenée, en surplomb d’un fossé. D. Structure de pierres et de bois, avec une armature sous forme de charpente en bois, tant frontalement que longitudinalement (« timber-framed »), et surplombant un fossé ou une pente naturelle. Il va sans dire que c’est ici que nous retrouverons les vestiges vitrifiés.

Nous en arrivons alors à l’étude des datations, celles-ci vues uniquement sous l’éclairage des occupations successives, ceci étant revu par le radio-carbone (inutile de voir l’évolution des datations, ce serait se lancer dans l’histoire de l’archéologie britannique). Et toujours nous suivons les investigations d’outre-Manche : la première fourchette de dates couvre la période de 750 à 500 avant J.-C. mais peut probablement être ajustée à —1000. La construction de certains forts se prolongea sur des durées relativement longues, parfois une centaine d’années, et nous pouvons aisément le comprendre par les occupations suc-

cessives qui engendrèrent des modifications sinon des reconstructions partielles. Les contrôles au C14 permettent à M. Avery de proposer une progression géographique : « La construction de camps peut probablement avoir débuté au nordest du Pays de Galles, s’être étendue au sud de l’Angleterre, au Yorkshire et à l’Ecosse centrale, et seulement après au nord de l’Angleterre et au sud de l’Ecosse ». Ceci concernant les îles britanniques uniquement, la progression sur le continent est à ce jour inconnue, du moins selon les sources que je possède : un groupe de recherche s’est constitué à Guéret (France) mais aucune nouvelle ne nous est parvenue depuis 1976. Certains camps retranchés sont pourtant contemporains du dernier stade de l’Age du bronze et furent occupés ou réoccupés au début de l’Age du fer, si toutefois nous nous tenons à la datation européenne. En clair, les forts apparaissent entre 1100 et 1000 avant J.-C. et leur construction s’étage jusqu’à — 500. Une dernière chose doit être précisée : les oppida (du latin, oppidum, ville muraillée) que nous connaissons dans nos régions sont postérieurs aux forts et s’en distinguent par le fait qu’ils ont, en dehors de la fortification, une destination industrielle et commerciale, tandis que les camps retranchés n’affectent que la sécurité d’un groupe social, l’unique activité en dehors de la défense, s’ordonnant sur la seule subsistance. Disons aussi que l’épopée des forts est étrange eu égard à ce que nous savons de la vie durant le premier millénaire avant J.-C. ; nous y rencontrons une structure de préservation de communautés agraires face à des dangers physiques : ceci révèle une attitude de bon sens, d’ingéniosité (art militaire à tout le moins) et de désir de survivre. Gageons que les amateurs de cataclysme nucléaire seront ravis. Je ne veux pas assimiler toutes les vitrifications aux camps retranchés, nous verrons quelques exemples où il n’y a pas de fortification, mais l’essentiel du problème est constitué par des ouvrages militaires. Que ce soit en ouvrages importants ou secondaires, l’Angleterre est particulièrement bien fournie, le sud, sud-est et l’est sont des concentrations remarquables. Au nord, citons l’Ecosse, son pourtour côtier et surtout la zone des Highlands du sud. L’Irlande possède quelques grands forts sur ses côtes ainsi que dans le Leinster. Les îles Orcades sont également représentées — île Sanday — où des cairns portent des traces de fusion de roches. J’aurai l’occasion plus loin de vous citer les lieux. En France, une pénétration sud-est se révèle (ce n’est évidemment pas limitatif, tout reste à faire), Bretagne, Orne, Vienne, Mayenne, Creuse, ce dernier département semblant être le plus intéressant. En Centre-Europe, des vestiges vitrifiés paraissent exister en Bohème (aucune documentation véritable), et, pour être complet, la Turquie propose des ruines de ville à

Hattousa, où selon l’archéologue allemand Bittel, des briques sont fondues en une masse rouge très dure et des pierres réfractaires furent trouvées brisées sous l’effet de la chaleur. Jusqu’à preuve du contraire, il me semble que l’on s’éloigne du concept de vitrification pur et simple. Donc, nos sources nous forcent à étudier essentiellement les cas français et anglais, là même où intervient la fusion des roches les plus dures comme le granite ; corollairement les températures à atteindre seront aussi les plus élevées. Cette entrée en matière donne une petite idée du décor, nous allons maintenant parcourir, en un premier temps, les opinions très diversifiées d’auteurs qui ont mis en exergue les vestiges vitrifiés, ensuite, nous nous attarderons sur les travaux de deux archéologues qui, à un siècle d’intervalle, menèrent des investigations intensives sur le terrain. Un sujet brûlant. Charles Fort, dans son « Livre des Damnés », est sans doute le premier à attirer l’attention du grand public sur le phénomène de la vitrification ; pour le moins, il ne le fait pas avec un égal bonheur. Son hypothèse correspond au catastrophisme de bon aloi : il fait intervenir la colère divine, Azuria, et explique la peur des hommes dans leur retraite sur les collines ; la construction de forts est le dernier espoir de défense de la gent humaine et Fort, malicieusement, remarque que l’Homme s’est toujours tourné vers des solutions de suicide de masse : l’ennemi, pour Fort est aérien, pourquoi alors se nicher sur le sommet des collines ? Le châtiment est pervers, c’est l’électricité qui fond les roches ; de nos jours, on pourrait parler de plasma téléguidé, par laser pour être au fait de l’actualité. Fort ajoute qu’il y a crime « au sens local » : comprenne qui peut ces fantasmes qui seront repris au fur et à mesure de la progression de l’édition. Robert Charroux, dans « Le livre du passé mystérieux » (un best-seller de l’époque), s’attarde aussi sur le sujet et s’interroge sur la mystérieuse civilisation qui a édifié les forts vitrifiés. Il ne s’écarte pas trop des thèses de Fort, reprenant l’intervention du dieu Azuria et flattant son public qui ose s’intéresser au passé de la France. Ose, dit-il en prenant ses distances et traitant, à juste titre, les idées de Fort comme étant saugrenues. Poursuivant, Charroux pose bien la situation : « De prime abord, on peut penser que des brasiers ardents ont été allumés au pied des murailles pour fondre le granite de façon à assurer une meilleure cohésion des éléments. L’explication devient peu convaincante quand elle se rapporte à l’intérieur qui seul a été vitrifié, alors que les faces externes, parfois épaisses de un à deux mètres, sont construites en pierre parfaitement naturelle ». Reprenons ces phrases : assurer une meilleure cohésion — étanchéité ? — du rempart. Peu vrai-

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semblable : l’assise granitique n’y gagne en rien même si elle est fondue. Et encore si c’était vrai, quel intérêt pour les défenseurs ? On se place trop souvent dans l’esprit d’un combattant actuel, une charge creuse tirée d’un tank n’aurait sans doute pas les effets escomptés sur un solide vitrifié, ne comparons pas une carabine automatique et un javelot, jusqu’à preuve du contraire ces armes n’étaient pas utilisées. Quant à la fusion interne du mur, nous verrons plus loin ce qu’il faut en penser, Charroux n’avait pas tous les éléments pour y répondre. Il rappelle, d’autre part, les hypothèses de Edmond Coarer-Kalondan et de GwezennDana ; ces derniers, dans leur livre « Les Celtes et les Extraterrestres » imaginent des correspondances entre les traditions et des armes offensives ultramodernes tels le lance-flamme, la « nuée atomique » (je suppose que c’est l’effet calorifique dont il est question, pas de souffle ni de radiations ?), de la matière isolante vitreuse (qui, elle, évite les rayons laser, sans doute), bref un arsenal à faire rêver le Pentagone. Si le scénario imaginé tient au récit de la tradition, le mystère des forts vitrifiés n’en est pas débrouillé pour autant. Il n’empêche que Charroux est vraisemblablement le premier à porter l’existence de forts vitrifiés en France à la connaissance du grand public. De ces quelques exemples de la littérature, tellement parallèle qu’elle diverge un rien, nous ne pouvons retenir qu’un aspect globalement négatif : ou vous vous précipitez dans l’archéologie-fiction ou vous restez parfaitement logique. Les termes s’annulent. Il y a donc d’autres explications sinon des pistes plus franches. Je vous convie à me suivre dans ce dédale de vitrifications, où j’espère que les avis fusionneront.

Un pionnier, James Anderson. James Anderson est un antiquaire, comme on disait à l’époque, et écrivait dans la revue « Archaeologia ». Ses rapports concernant les vestiges vitrifiés sont certainement une des meilleures références qui subsistent à ce sujet. Il était aidé par un certain John Williams, géologue de son métier. L’article, paru en 1777, étudie les généralités concernant les « hillforts » et nous fait découvrir le site de Knock-serrel, près de Dingwal (Rossshire) : le camp est de forme allongée, perché sur une colline et entouré d’un mur de coupe triangulaire. Le versant extérieur s’aligne sur la pente et est fortement atteint par le feu : il porte des traces de vitrification, et surtout les blocs le constituant sont scellés par une matière qui a fondu. La paroi intérieure est, elle, formée par des moellons et de la terre. Anderson propose une solution pour l’amalgame de pierres et de matière fondue : le nord de l’Ecosse est riche en un minerai de fer terreux qui se vitrifie très vite : les constructeurs remplissaient alors les interstices des blocs avec le minerai terreux, recouvraient la paroi

extérieure d’un bûcher et la température surchauffait à la fois la pierre et faisait fondre le minerai. Williams, de son côté, fit une coupe dans le mur, et put ainsi vérifier les assertions d’Anderson : « Tout le pourtour du mur est couvert d’une croûte d’à peu près deux pieds d’épaisseur, consistant en des pierres noyées dans une matière vitrifiée ; certaines des pierres sont à moitié fondues là où la chaleur fut la plus élevée, et toutes ont souffert de la chaleur considérable. » Anderson expliquait également que, dans la masse du mur, une pierre pouvait être, à une extrémité, fondue et scellée dans le substrat vitrifié, et de l’autre côté être vierge de toute action du feu. Pour lui, il ne faisait aucun doute que le foyer était agencé à l’extérieur, et cela après construction de la paroi. Selon l’antiquaire anglais, l’existence de forts où les pierres sont très fortement attaquées par le feu, au point de ressembler à des scories, mais sans présenter de trace de cimentage vitrifié, provient du fait que le minerai de fer terreux ne se rencontre pas dans toutes les régions ; les constructeurs écossais furent simplement copiés par d’autres peuplades, ces dernières ignorantes de la qualité particulière du minerai de fer terreux. Dans un deuxième article, paru dans Archaeologia en 1780, Anderson offre une suite à ses démarches ; ce sont des détails de structure qui n’apportent rien de plus à ce que nous connaissons déjà. Un autre gentleman intervient après la parution du texte, Daines Barrington (Archaeologia 1780). Il présente un rapport au sujet du fort de Dunagoyle, île de Bute ; la discussion s’étend sur les motifs de construction et sur les facultés de vie lors d’un siège, à ce sujet nos antiquaires anglais ne manquent pas d’humour et je ne puis résister à vous en faire part dans cet article aride : « (concernant les réserves d’eau), il nous informe qu’il y a des cuvettes asséchées à l’intérieur de ces forts. En réponse à quoi j’observe qu’un abri contre les intempéries est aussi nécessaire au sommet exposé d’une colline écossaise, tandis que le whisky (ou un succédané) serait plus nécessaire que la seule eau ». Mais Barrington soulève un autre lièvre dans la conclusion de son rapport : « Je conclurai ces observations, en suggérant, que si la vitrification répond au but du cimentage, il est vraiment extraordinaire que les anciens habitants d’Ecosse ne l’appliquèrent pas aux maisons ou aux huttes dans lesquelles ils vivaient, mais réservèrent ce procédé dispendieux et incommode seulement à des fortifications qui ne furent peut-être pas une seule fois attaquées sur un siècle de temps. » Les vestiges vitrifiés étaient très étudiés par les antiquaires anglais et nombreux furent les articles et autres lettres ; citons encore Robert Riddel, Archaeologia 1790. Si toute la lumière n’était pas faite sur l’énigme, affirmons, dans le langage de l’époque, qu’ils exécutèrent « a very elegant work », et les recherches tombèrent dans l’oubli.

Forts de France. Le centre de renseignements reste le musée de Guéret dans la Creuse. En effet, plusieurs vestiges prétendus vitrifiés cernent la région : Châteauvieux, au nord de Guéret, Ribandelle, Thauron, St. Georges-de-Nigremont, etc. Ajoutons encore Thorus et Château-Larcher, en Vienne, Argentan dans l’Orne, et Sainte-Suzanne en Mayenne. Cette liste est loin d’être exhaustive, j’ai déjà dit plus haut que des investigations sont en cours, mais que très peu d’informations me sont parvenues. D’autant plus que ce qu’on connaît paraît assez énorme ! Par exemple M. de Nadaillac rapporte que « l’espace entre deux parois est rempli par une nappe de granite fondu, large de quatre mètres, épaisse de soixante centimètres et reposant sur un lit de tuf. On ne trouve pas de trace de mortier ». Il s’agissait du fort de Châteauvieux qui épouse une forme ovale, de 128 m de long et dont les remparts mesurent 7 m à la base pour 3 m au sommet ; nous souhaitons des renseignements supplémentaires car une « nappe de granite fondu » semble tirée par les cheveux. La Ribandelledu-Puy-de-Gaudy, appelée aussi Fort de Chabrières, près de Guéret, est un de ces grands camps retranchés puisqu’il couvre une superficie de 13 hectares et a un périmètre de 1500 mètres. Il fut occupé par les Celtes (?), les Romains et les Wisigoths ; la vitrification extérieure ne dépasse pas 2 cm d’épaisseur, tandis que l’intérieur des parois semble avoir été consolidé par des coulées de granite ; on dit également que la masse vitrifiée est divisée en sections de 3 m de large, ce qui laisserait croire qu’il y a eu des opérations successives : attendons de plus amples informations avant de nous exciter. A Thauron et au su de ce qui précède, on peut se rappeler qu’il y a eu erreur lors de l’essai de vitrification, en effet les pierres sont tellement cuites — calcinées — qu’elles ressemblent plus à de la lave qu’à autre chose. Rien ne dit que ce ne sont pas des blocs de lave, nombreux dans le Centre, qui furent utilisés comme matériau de base. Le camp de Péran ou « les Pierres Brûlées », dans la commune de Plédran près de Saint-Brieuc mesure 134 m de long sur 110 m de large ; trois caractéristiques de vitrification se chevauchent, on dit que les pierres formant le mur sont liées par fusion et non par mortier. Robert Charroux prétend que c’est du verre fondu qui cimente les murailles, et dans « Bretagne mystérieuse » de Le Scouëzec (Guide Noir Tchou), il est écrit : « ...la route de Saint-Julien laisse sur la gauche les vestiges d’un oppidum gaulois, construit à l’époque de l’indépendance. Il est connu sous le nom de camp de Péran. Le mur est double et des traces d’incendie y sont relevées. Il est probable que les poutres de soutènement brûlèrent en même temps que les ouvrages de bois : de là proviendrait la vitrification constatée à l’intérieur des talus actuels. » Ils disent « à l’intérieur des talus » ? Bizarre, bizarre.

Mais dans l’état actuel de l’information il m’est difficile de trancher pour l’une ou pour l’autre ; en France, je crains, les vitrifications resteront nimbées de mystère ou s’attarderont encore dans « l’époque fantôme du bronze », expression de Robert Charroux que j’apprécie. Pour être complet, j’ajoute qu’un certain M. de Cessac fit une étude touchant les forts vitrifiés de la Creuse : malgré les recherches — les fouilles ! — de notre collaboratrice Christiane Piens, il fut impossible de mettre la main sur une quelconque référence. Comme vous vous en apercevez, on ne peut conclure quoi que ce soit. Jusqu’au jour où un articulet de Stanley Thomas parut dans le New Scientist traîtant du livre de D. W. Harding. Ce livre, épais, regroupe divers articles ou études rédigés par des archéologues anglais ; le sujet cerné étaient les camps retranchés, qu’ils soient vitrifiés ou non. Nous avons déjà suivi quelques paragraphes de Michael Avery, nous allons suivre trois autres collaborateurs du livre : W. J. Varley, James Dyer et, plus précisément dédié aux vitrifications, Euan MacKie. Création ou destruction ? Avant tout, nous devons remarquer que la terminologie anglaise marque une différence essentielle entre « forthill » et « timber-framed forts » ; le premier est une appellation générique tandis que la seconde est spécialisée, elle signifie que les murailles, de portée verticale ou en pentes, sont constituées de deux matériaux essentiels : les pierres et le bois qui charpente l’édifice. Les madriers sont internes, imbriqués si je puis dire, et ils sont finalement recouverts par les moellons. C’est là que le problème va se décanter. Dès 1935, V. G. Childe de la Society of Antiquities of Scotland, suggérait que la vitrification était une technique de construction, mais en 1938 revirement d’opinion, c’est la thèse accidentelle qui prévaut : des expériences prouvent que des murailles charpentées de bois auxquelles on boute le feu, développent assez de chaleur pour vitrifier la blocaille. On pourrait croire que tout est dit, toutefois si l’on suit MacKie, on ne peut que respecter sa prudence : « Il est évident que les seules conclusions qui peuvent être tirées directement de ce genre d’évidence (mis à part la distinction entre le minerai vitrifié et les scories de métal) sont 1. que le roc a fondu et 2. que la composition de la fusion va indiquer la température atteinte. Les analyses chimiques, par elles-mêmes, ne vont pas nous dire comment la chaleur fut obtenue, et encore moins quels furent les motifs sociaux et les activités des peuples du fort lors de l’incendie.» MacKie met le lecteur en garde : « Il est nécessaire d’exposer cela, à cause des conclusions générales qui suivent les descriptions des analyses chimiques, lesquelles peuvent être prises au pied de la lettre par le lecteur peu averti ». Je dois ajouter que dans toute la littérature que j’ai parcourue, c’était un pas que pas mal avaient franchi. MacKie conti-

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nue : « Les efforts pour créer expérimentalement de la roche vitrifiée (telle qu’elle se trouve sur les sites, NDLR) par des feux sur chaque côté et sur le sommet de tas de moellons, ont été effectués sans succès par le passé. » De nos jours également d’ailleurs, seule l’armature en bois permet une fusion. L’archéologue anglais note encore la difficulté que, si on désirait s’attaquer à une coupe dans une forte concentration vitrifiée, il faudrait y aller aux pains de plastic. Comme lui, je vois mal les autorités acquiescer.

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Il n’empêche que les fouilles opérées sur les quelque 70 vestiges vitrifiés d’Ecosse permettent de tirer des conclusions, sinon absolues, parfaitement valables : (a) la vitrification est incomplète sur la plupart des sites ; (b) même sur le fort le plus sévèrement vitrifié (Rahoy et Inverpolly), la masse de fusion ne dépasse pas 1 m 20 à 1 m 50 de haut ; (c) les traces de vitrifications apparaissent le plus souvent sur des parois verticales de pierre sèche, les soubassements étant protégés par les éboulements ; d’ailleurs les zones vitrifiées sont minimes par rapport aux énormes travaux effectués par moellonnage et remblais, et MacKie ajoute avec justesse : « Il est grotesque de maintenir qu’un mur épais, massif et défendable, devrait être construit pour ensuite être délibérément détruit par le feu et la fusion »; (d) les stratifications observées dans chaque excavation de fort vitrifié et les trouvailles qu’on y fit, rendent parfaitement clair que le foyer et la vitrification se passè-

rent toujours à la fin de l’utilisation du fort, comme un procédé de destruction qui causa cette fin ; (e) les expériences de V. G. Childe ont montré qu’un mur de pierres sèches avec charpente de bois, brûlé dans de bonnes conditions, produit tous les phénomènes observés dans les forts vitrifiés. W. J. Varley, au sujet des excavations faites au fort de Castle Hill, Almondbury, explique une reconstitution avec des éléments obtenus in situ : la pierre peut changer de couleur dès 400° C, et le même marquage de la pierre par le feu se retrouvait après une exposition de 10 minutes à 800° C. A ce sujet, il faut dire que ce sont certains éléments contenus dans le minerai qui s’en échappent sous forme de gouttelettes, ce qui a fait dire à un auteur que cela ressemblait à des tectites lunaires... Si de nombreux points d’interrogation subsistent dans l’affaire des vestiges vitrifiés, on peut, malgré tout sérier les problèmes et être certain que les vieilles thèses appelant une intervention extérieure sont à rejeter absolument. Personnellement je suppose que les recherches qui sont, ou seront menées en France s’aligneront sur les constatations apportées par les archéologues anglais. MacKie commentait acidement : « Pourtant il est un fait que la théorie de vitrification créative (en opposition à destructive, NDLR) continue à vivre, toujours expliquée — telle est mon expérience — par ceux qui ignorent la masse de preuves issues des excavations. » ROBERT DEHON

Abernethy, Pertshire (Ecosse) : face intérieure de la muraille, avec les emplacements des solives.

PIECES A CONVICTIONS

LE FRAMENT M-160 : LA BOUSSOLE OLMÈQUE AVANT LES CHINOIS ? Notre vieille Europe semble avoir eu ses premières notions de magnétisme au VIème siècle avant J.-C., puisque Thalès de Milet faisait allusion aux « pierres d’aimant ». A partir de là, il fallut deux mille ans pour acquérir la notion de déclinaison magnétique, c’est-à-dire l’écart entre le nord magnétique et le nord vrai, astronomique. On mesure l’effort. Les Chinois avaient connaissance d’un magnétisme nord-sud, à l’époque des Han, soit au IIème siècle avant notre ère, et ce grâce à la « cuillère pointant au sud », dont on retrouve des allusions dans les textes. Mille ans après seulement, à l’époque T’ang, ils disposaient de la boussole géomantique à trois cercles : l’un pour indiquer le nord-sud astronomique, les deux autres pour les repères à 7½ ° de part et d’autre, soit précisément la déclinaison magnétique. Il semble bien pourtant que les Olmèques de San Lorenzo au Mexique précédèrent tout ce beau monde de près d’un millénaire. C’est en 1967 que P. Kroster de l’Université de Yale, au cours d’une campagne de fouilles dirigée par Michael D. Coe, découvrit à San Lorenzo (Veracruz) un objet en oxyde de fer, long de 34 mm, et qui fut répertorié comme fragment M-160 (M pour Université de Michigan où il est entreposé). L’artefact provenait d’une couche stratigraphique ne contenant aucun résidu plus ancien que l’époque dite « Early Formative », et remontant à —1400 jusque —1000. Coe plaça l’objet sur un morceau de liège, qu’il mit à flotter dans un baquet en plastique rempli d’eau. L’artefact semblait bien fonctionner comme un instrument de pierre aimantée, s’orientant géomagnétiquement. Une boussole. Il y a boussole et boussole. Outre la taille de trônes et de sarcophages massifs, de têtes colossales, d’objets rituels en jade et en serpentine (voir KADATH n° 21), les Olmèques se sont montrés très habiles dans le travail des oxydes de fer. Trois types d’objets ont été retrouvés ainsi : — des miroirs plans, grands comme l’ongle du

pouce, et polis sur une seule face, ce qui suggère qu’ils furent utilisés en incrustation (1). — des perles polies et percées de plusieurs trous. — des miroirs concaves plus grands, ayant jusque 10 cm de diamètre, de forme circulaire ou elliptique, et à surface de haute qualité optique d’un côté, l’autre face restant inachevée. Ils ne présentaient aucune trace d’un adhésif quelconque, ni de peinture ou d’incrustation. Ces miroirs concaves étaient paraboliques, c’est-à-dire que leur rayon de courbure augmente lorsqu’on s’éloigne du centre de l’axe de symétrie. Eux aussi étaient percés de trous, sans doute pour être suspendus par une corde, comme pendentifs ou pectoraux, ainsi qu’on peut le constater sur une figurine olmèque. Le gisement des oxydes de fer dont sont faits ces miroirs a été découvert en 1966 par Flannery à San José Mogote, dans l’Etat d’Oaxaca. Par l’étude des céramiques associées, on a pu dater l’exploitation du site à —1400 —1000, même époque donc que le « Early Formative » de San Lorenzo, où les miroirs étaient en usage. Ceci implique un commerce s’étirant de la côte pacifique vers la côte atlantique du golfe du Mexique, donc sur plusieurs centaines de kilomètres. Les Olmèques étaient donc d’habiles artisans dans la taille et le polissage des objets en oxydes de fer. Nul doute dès lors qu’ils en aient observé les propriétés attractives. En polissant la magnétite, on constate aisément que les fines granula(1) Albert Szafarz, spécialiste en appareils d’optique, nous fait remarquer qu’un petit miroir plan est, dans nos télescopes modernes de type Newton, ce qu’on appelle le « diagonal » et sert à focaliser l’image du miroir concave vers un oculaire. L’autre face de ce miroir ne servant évidemment à rien, il n’est pas nécessaire de postuler que sa surface « devait être » incrustée.

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tions et la poussière de fer s’y agglutinent. Ainsi, en polissant leurs miroirs en oxydes de fer, les artisans olmèques observèrent-ils que la pierre aimantée — tout minerai de fer avec magnétisme rémanent — attirait d’autres morceaux de fer. Le premier pas est ainsi franchi vers la découverte de la boussole. Grosso modo, on peut schématiser pour celle-ci trois étapes, selon la qualité des propriétés que l’observateur aura pu mettre en évidence. 1. La boussole d’ordre zéro. C’est la connaissance de la polarité magnétique et de propriétés d’orientation géomagnétique de la pierre aimantée. En suspendant l’aimant a un filament à l’abri des courants d’air, ou bien en le déposant sur un flotteur dans l’eau ou le mercure liquide, on peut le voir s’orienter dans une direction particulière, n’importe laquelle. Ce n’est pas une véritable boussole, puisque l’expérimentateur peut ignorer que la Terre agit comme un gigantesque aimant, avec ses pôles nord et sud correspondant approximativement au nord et au sud célestes. Néanmoins, la polarité magnétique peut être constatée directement en notant la réaction de deux pierres aimantées l’une sur l’autre, ou en voyant se matérialiser le champ magnétique dans de la poussière de magnétite ou de la limaille de fer.

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2. La boussole de premier ordre. C’est la connaissance de la réelle orientabilité des pôles vers le nord et le sud des points cardinaux. Ici aussi, la polarité devient apparente, une extrémité pointant toujours vers le nord (ou le sud, peu importe). Une longue barre ou une aiguille aimantée aura tendance à présenter ses pôles magnétiques aux extrémités, en s’orientant d’elle-même nord-sud. Cette tendance, il faut le remarquer, peut être indépendante de la connaissance qu’en aurait l’artisan. Il pourrait, en effet, avoir taillé à dessein son échantillon dans un dépôt de minéral natif orienté précisément nord-sud. Mais il pourrait le calibrer ou le compenser de manière à ce qu’il s’oriente de lui-même dans cette direction. A noter aussi que

l’utilisateur ignore encore la déviation magnétique, c.-à-d. le fait que sa boussole pointe au nord magnétique et non au nord vrai. 3. La boussole de second ordre. C’est la connaissance de la polarité magnétique aussi bien que de la déviation géomagnétique, et le fait aussi que celle-ci varie avec le temps et selon les divers endroits de la Terre. Cette compréhension est bien plus sophistiquée, et ne fut découverte qu’au XVIIème siècle, bien que les causes et l’origine en soient encore mal connues. Cette connaissance est indispensable pour élaborer la boussole de navigation. La boussole géomantique des Chinois. L’ancêtre des cadrans-boussoles chinois est le shi ou table divinatrice de la période des Han. Il est cité durant tout le millénaire comme « aiguille du sud », et malgré qu’on n’ait jamais trouvé de cuillère aimantée, on peut être sûr que ce dispositif a bien existé. Il pouvait être en bronze ou en bois peint. Le shi est fait d’un plan terrestre, une planche carrée indiquant les points cardinaux, surmonté d’un plan céleste, un disque rotatif montrant le ciel avec, au centre, la Grande Ourse, constellation très importante dans l’astronomie polaire chinoise. Le nord est au-dessus, et l’extrémité de la Grande Ourse devient un pointeur azimutal, imitant le circuit diurne en désignant les 24 points azimutaux successifs de la boussole. Par la suite, le plan céleste fut remplacé par une cuillère en bois, pierre ou poterie, la Grande Ourse étant aussi appelée la « Cuillère du nord ». Vers le premier siècle avant notre ère, on façonna des cuillères aimantées en magnétite, taillées et équilibrées de manière à pivoter librement en réponse au champ géomagnétique sur la plaque terrestre en bronze, poli au maximum. La poignée indiquait le sud. Pour les Chinois en effet, c’est le sud qui était le plus important : l’empereur représentait l’étoile polaire et, assis sur son trône face au sud, il réglait toutes choses dans leur parfait accomplissement.

Il est vrai que les plates-formes, les complexes tumulaires étaient constamment orientés à 8° ouest ; même les offrandes de jade ou de serpentine étaient disposées sur ou en rapport avec la ligne centrale traversant l’axe du site. C’est le cas par exemple pour le complexe principal de La Venta (à l’exception du groupe Stirling), à Laguna de los Cerros, et la structure de Huitzo à Oaxaca. Le plateau de San Lorenzo a probablement été taillé artificiellement, et son centre complexe de tumuli est pratiquement orienté nord-sud. Michael Coe parvint même à mettre à profit cette orientation constante, pour découvrir d’autres monuments enterrés. Néanmoins, il faut faire une distinction, car « les archéo-Mayas ne s’intéressaient guère aux points cardinaux. Leurs points de référence du ciel étaient avant tout la croix oblique formée par les lignes des solstices. Bien sûr, ils suivaient dans la même mesure l’axe de passage du soleil au zénith. D’où l’on peut conclure qu’ils s’intéressaient au nord et au sud, mais guère à l’ouest et à l’est » (R. Camby). Ce n’est que bien plus tard, à partir du Xème siècle, que la boussole fut employée pour la navigation. Au Moyen Age, rivières et canaux intérieurs prévalaient sur les parcours océaniques. Mais dans le contexte terrien et agraire qui était celui de la Chine, les magiciens impériaux ne concevaient la boussole que dans un but de divination : la géomancie taoïste, la plus raffinée et la mieux enracinée dans la culture chinoise. C’était l’art d’adapter les résidences des vivants et les tombes des morts, en harmonie avec les courants locaux de la respiration cosmique. La cité était un « symbole cosmo-magique » (Wheatley), plus particulièrement un microcosme cosmologique orienté selon les quatre points cardinaux. Elle était aménagée selon les principes du feng shui, la « science des vents et des eaux » : les vents, souffle de la circulation terrestre à travers les veines et les vaisseaux du macrocosme terrestre, et les eaux allant et venant hors de la vue, charriant les impuretés et déposant les minéraux. Needham fait remarquer que cette conception des choses n’est pas empirique, mais plutôt la théorisation d’une action à distance. Le contexte terrien et agraire était analogue pour les Olmèques. Mais en allait-il de même pour eux dans l’orientation de leurs centres cérémoniels ?

Le fragment M-160 de San Lorenzo. Le fragment M-160 est une petite barre d’hématite, soigneusement taillée et polie, de forme rectangulaire et de section trapézoïdale. Elle fait 34 x 9 x 4 mm. Sur une des faces, une rainure hémicylindrique de 2 mm de diamètre court presque parallèlement aux côtés, mais formant néanmoins un angle de 2° avec l’axe central de la barre. Le minéral est dur et cassant, ce qui implique une grande habileté et beaucoup de temps de la part des artisans. Toutes les faces ont un poli optique impeccable, obtenu selon une technique inconnue. Peut-être la barre fut-elle travaillée avec une corde trempée dans l’eau puis dans un composé à polir. Toujours est-il que, pour le moment, l’objet est unique en son genre, du moins pour la Mésoamérique. C’est malheureusement un fragment d’une pièce plus grande. D’après les dimensions des plus grands morceaux d’oxydes de fer qu’on ait découverts, et compte tenu de l’extrême fragilité du minéral, on pense que la barre originale ne devait pas dépasser les 10 cm. Fin 1973, John B. Carlson, professeur d’astronomie à l’Université du Michigan, soumit le fragment M-160 à des analyses physiques, dont les résultats furent présentés au 41ème Congrès des Américanistes à Mexico, en septembre 1974, et que voici résumés en bref.

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La technique du spectroscope de Môssbauer permet de déterminer la composition minérale ainsi que la structure des différents minerais de fer, et ceci afin d’en situer l’origine archéologique. On distingue ainsi la magnétite (Fe3, O4,), l’ilménite (Ti Fe O3,) et l’hématite (Fe2, O3,). D’après le pourcentage de ces divers constituants, Wheeler Pires-Ferreira, assisté de B.V. Evans, a pu noter les similitudes géologiques entre les miroirs de San Lorenzo et les centaines de morceaux d’oxydes de fer trouvés à San José Mogote dans l’Etat d’Oaxaca. Pour le fragment M-160, ainsi que deux autres miroirs plans, la meilleure ressemblance est à rechercher du côté de Cerro Prieto à Tehuantepec, dans la même région. Mais on ne peut prouver formellement que l’objet vient de là. Toujours est-il qu’il se compose d’hématite pure, dite aussi « maghématite ». Cet oxyde contient un ferromagnétisme parasitaire relativement fort et stable.

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Les expériences de Carlson consistaient à placer le fragment sur une natte de liège flottant sur l’eau, ou directement sur du mercure liquide, l’objet étant protégé des courants d’air par une boîte de petri d’un diamètre de 9 cm. Le mercure liquide est facile à obtenir en chauffant le cinabre orange courant (HgS). On en a retrouvé des quantités substantielles chez les Mayas, à Copan, Quirigua et Paraiso. Le fragment M-160 était mis à flotter avec la rainure vers le haut, et des relèvements étaient faits en visant le long de la rainure une tige placée à plus de 30 mètres de distance. Les visées étaient comparées à celles d’une boussole magnétique. C’est ainsi qu’on a pu, grâce au fragment M-160, aligner la tige à ½° près. L’orientation moyenne était de 35°5 à l’ouest du nord magnétique. La persistance des orientations indique que le champ magnétique interne était suffisamment fort pour répondre rapidement au champ géomagnétique, et ceci même en cas de vibrations et de perturbations du support un jour de vent violent. Les expériences sur le magnétisme même sont trop techniques que pour prendre place dans le cadre de cet article. Disons simplement que des spectres ont été pris selon deux plans perpendiculaires, et ils indiquent que le moment magnétique rémanent est largement dans le plan de la ligne de flottaison, et donne, pour le vecteur, une magnitude totale de 1,1 emu. L’arc tangent donne un azimut géomagnétique de 35°7, ce qui est dans la logique des expériences de flottaison. Ces mesures ont été faites au laboratoire de paléomagnétisme de l’Université d’Oklahoma, à l’aide d’un magnétomètre à spin. Une expérience non prévue confirma les premiers résultats. Accidentellement, le fragment M-160 a été fracturé à un centimètre de son extrémité. L’analyse séparée des deux morceaux révéla une variation interne très substantielle du vecteur de moment magnétique. Réassemblés, le vecteur original total était récupéré.

Le fragment M-160 est donc bien une boussole magnétique. Il faut d’ailleurs reconnaître qu’il n’a rien d’un supposé objet du culte et, pour une fois, personne n’avait suggéré pareil usage. Le morceau manquant aurait modifié le vecteur de moment magnétique, et on sait que plus long est l’objet, plus grand est l’effet : les lignes de champ magnétique se rapprochent alors du grand axe. Dans ce cas, elles s’orienteraient de plus en plus vers le nord magnétique. On calcule que si l’objet original était double du fragment en question, soit 6-7 cm, il se serait aligné très près du nord. Reste la rainure hémicylindrique. Vu le soin du travail des artisans olmèques, ils auraient pu aisément la faire parallèle aux côtés. Au lieu de cela, elle fait un angle de 2° avec l’axe de la barre. Ceci est visiblement intentionnel, et était probablement l’étape finale de calibration en vue d’une orientation désirée, le nord en l’occurrence. Dans ce cas, nous aurions bien affaire à une boussole de premier ordre, et non d’ordre zéro. En calculant encore les modifications de vecteur magnétique provoquées par cette rainure, Carlson estime devoir conclure à une longueur originale de 7 cm pour l’objet complet. Or, nous l’avons vu, la fragilité de ce minerai n’a pas permis aux Olmèques d’arriver à façonner des miroirs d’oxyde de fer de plus de 10 centimètres. Mille ans avant les Chinois, les Olmèques disposaient donc de la boussole. Est-elle à l’origine de leur obsession à aligner les centres cérémoniels à 8° ouest, voilà une autre question. Ou bien leur science était-elle exclusivement astronomique ? L’archéologue M. Hatch a défendu la thèse selon laquelle La Venta serait orienté sur l’azimut du coucher de la Grande Ourse, entre —1000 et — 500. Nul besoin alors de boussole. On l’a dit, le fragment M-160 est pour le moment unique en son genre. IVAN VERHEYDEN Bibliographie John B. Carlson : « Lodestone compass : chinese or olmec primacy ? ». Science, vol. 189 n° 4205, septembre 1975. K.V. Flannery in Dumbarton Oaks Conference on the Olmec. E.P. Benson éd., Dumbarton Oaks, Washington 1968. Michael D. Coe: « America’s first civilization ». American Heritage, New York 1968. - « Map of San Lorenzo ». Yale University, Dept. of Anthropology. New Haven, Connecticut 1968. M. Hatch in Papers on Olmec and Maya Archaeology. Archaeological Research Facility, University of California, Berkeley 1971. Joseph Needham : « La science chinoise et l’Occident ». Ed. du Seuil, Paris 1973. J. Wheeler Pires-Ferreira : « Formative Mesoamerican exchange networks ». Thèse à l’Université du Michigan, 1973. - Wheeler and B.J. Evans : « Môssbauer spectral analysis of Olmec iron ore mirrors », présenté au IXème Congrès de Science Anthropologique, Chicago 1973.

ANCIENS ROIS DE LA MER

ENQUETE SUR LES CONTACTS TRANSPACIFIQUES (2ème partie) « Alors que l’Europe en était encore à l’Age de la pierre, il y avait en Equateur une civilisation ». C’est ce que déclarait en 1862 Sir Roderich Impaey Murchison devant la très sérieuse Royal Geological Society de Londres, suite à la découverte de figurines d’or et de céramique par James S. Wilson en Equateur. Ces objets, aujourd’hui disparus, avaient en effet été trouvés dans des couches sous-jacentes de terreau végétal qui avaient été recouvertes d’une épaisse couverture de dépôts marins. Cela témoignait que la côte de l’antique royaume de Quito, après avoir été occupée, s’était enfoncée dans la mer d’où elle émergea plus tard. Sans doute Roderich Murchison surestima-t-il quelque peu cette culture lorsqu’il la compara à l’Europe, mais toujours est-il que cette terre de l’Equateur fut longtemps pour certains le berceau de la plus ancienne culture amérindienne connaissant l’art de la céramique. Nous verrons plus loin qu’elle semble d’ailleurs l’être toujours et représente sans doute le point de départ des hautes civilisations du Pérou et peutêtre aussi de Mésoamérique. Valdivia et les pêcheurs du Jômon. Il fallut attendre l’automne de 1956 et un de ces bienheureux accidents auxquels l’archéologie doit tant pour en savoir plus. A Valdivia, petit pueblo de l’embouchure du rio Valdivia, en bordure du Pacifique (province de Guayas, au nord-est de Guayaquil), un archéologue amateur, Emilio Estrada, prospecte des amas coquilliers lorsqu’il trouve parmi les déchets des tessons de poteries. Puis, de tombes creusées à même le sol, il exhume des ossements, des outils, des poteries et des figurines de pierre et de terre cuite. Il reconnaît là le style et la technique de décoration présents dans la céramique de Guanape, la plus ancienne connue à l’époque sur le littoral péruvien, et qui remonte à 2000 ans avant notre ère. Mais bientôt des fouilles en bonne et due forme sont effectuées avec l’aide d’archéologues américains de la Smithsonian Institution de Washington, Betty J.

Meggers et Clifford Evans. Ces travaux révéleront des sites plus protégés livrant une poterie mieux préservée, près de la partie moderne du village de Valdivia. Ces trouvailles sont analysées par la Smithsonian Institution et le carbone-14 confirmera que les découvertes sont plus anciennes qu’on ne l’avait supposé ; elles remonteraient en effet à environ 3000 ans avant notre ère ! Ceci constitua déjà un événement dans le monde des américanistes, puisque l’apparition de la céramique se voyait soudainement catapultée dans le temps de près d’un millénaire. Cette période dénommée depuis « Valdivia », s’étend sur près de 2000 ans et se divise en quatre phases dont on rencontre des témoins également dans les alentours : à San Pablo, Punta Arenas, Buena Vista, Guangla, El Malte, Sabana et Real Alto. Une population primitive avait donc occupé cette côte, vivant de pêche et de cueillette mais, semble-t-il, dans l’ignorance au début de l’agriculture et de la céramique. L’étude anthropologique des squelettes révéla qu’à Valdivia les crânes de la couche inférieure étaient dolichocéphales ; or, les pêcheurs du littoral péruvien, de type dolichocéphale, ignoraient la céramique ; tandis que la couche supérieure recelait des crânes brachycéphales, plus nombreux. Il parut donc probable que deux types humains vivaient conjointement à Valdivia, le second ayant apporté la céramique et peut-être aussi l’agriculture. Hormis les nombreux et variés tessons de poteries et les haches en pierre provenant de ce lieu et des environs, Estrada, Meggers et Evans, puis d’autres encore par la suite, découvrirent une multitude de figurines en terre cuite de quelques centimètres de hauteur, représentant pour la plupart un personnage féminin fortement stylisé, à la lourde coiffure enveloppant pratiquement toute la tête. Cette abondance de statuettes féminines, les petites « Vénus » de Valdivia, laissa supposer une culture matriarcale et serait l’expression d’un culte de la fécondité coïncidant avec l’apparition de l’agriculture dans le monde. Ces découvertes éclairèrent donc d’un jour nouveau l’histoire des

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s’entrecoupent et dessinent des croisillons, des créneaux, des décors en dents de scie, des chevrons... Des excisions permettent de mettre en relief un motif, comme par exemple des demisphères. Et même le fameux décor typiquement jômon de la corde imprimée dans l’argile est présent à Valdivia. Grâce à la générosité d’une fondation nationale, Betty Meggers et Clifford Evans s’envolèrent vers le Japon où ils visitèrent les sites jômons et étudièrent longuement leur production de céramique. Cet examen leur prouva que la majorité des techniques décoratives et des motifs caractéristiques des débuts de la poterie de Valdivia, sont également représentés dans les sites à céramiques de Kyushu, datant de la période transitoire entre le jômon ancien et le jômon moyen, soit vers 3000 avant notre ère. Ce sont surtout les sites d’Ataka, de Sabata et d’lzumi, dans l’île de Kyushu, qui présentent le plus de similitudes avec Valdivia ; on y retrouve effectivement les amas coquilliers ainsi que des fragments d’os et de pierre mélangés aux tessons. Le contexte dans

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premières cultures amérindiennes mais de plus, produisirent également l’effet d’une bombe dans les milieux intéressés : en effet, notre trio, Estrada, Meggers et Evans, dans leur quête des causes de cette brusque apparition de la céramique à Valdivia, remarqua qu’un groupe d’individus vivait à cette époque dans des conditions similaires, sous un climat identique, utilisant les mêmes instruments de pierre, d’os et de coquillage, mais... au Japon ! En outre, et c’est là l’élément majeur de leur thèse, les poteries de Valdivia sont très semblables et présentent exactement les mêmes caractéristiques que celles de la culture du jômon (en japonais : jômon = dessin de corde) (1). Les poteries de Valdivia, modelées à la main, se présentent principalement selon les modèlestypes suivants : les jarres et cruches aux formes anguleuses ou aux formes arrondies. Les vases sont souvent recouverts d’engobe rouge et reposent fréquemment sur quatre pieds. Les cols des jarres sont parfois ondulés et les bords des cruches sont quelquefois munis d’un anneau extérieur d’argile. Pour la décoration de leurs céramiques, les Valdiviens utilisèrent différentes techniques fort variées, tout au long des quatre phases : gravures faites à l’aide d’un coquillage ou d’un os de chien, incisions en ligne fine, le « peigné », le « sillon » fait par le doigt, la « ponctuation » faite par l’ongle, etc... Les motifs sont géométriques : des lignes obliques formées de minces colombins

(1) Pour on savoir plus sur les Jômons, voir l’article d’Edith Pirson dans KADATH n° 9.

Tessons de poteries, jômones à gauche, valdiviennes à droite. (A noter l’empreinte d’un osselet qui décore les tessons du haut).

lequel furent découverts ces témoins archéologiques est donc semblable à celui de Valdivia. Pour Estrada, Meggers et Evans, il ne faisait dès lors aucun doute que ce furent des naufragés du jômon qui introduisirent l’art de la céramique (et peut-être de l’agriculture) chez les primitifs valdiviens de la côte équatorienne. Et nous voici à nouveau plongés dans les controverses concernant les relations transpacifiques ; en effet, si cette théorie fit grand bruit il y a une dizaine d’années et paraissait inattaquable, emportant l’approbation d’un grand nombre, il semble aujourd’hui qu’il faille la considérer avec beaucoup de circonspection. C’est du moins ce qui ressort des quelques travaux récents qui abordent la question. Mais une fois encore, comme c’est le cas pour la plupart de ces sujets touchant aux contacts, on assiste ici à une lutte ouverte entre partisans et adversaires du diffusionnisme. Retenons cependant les faits suivants : ● Les plus anciennes céramiques connues au Japon sont signalées par L. Frédéric ; elles proviennent de Fukui, près de Nagasaki, et dateraient de —7450. La culture jômon s’étale, elle, entre — 5000 et —3000 et près de 75.000 sites archéologiques en produisirent des témoins. Rappelons les phases du jômon : — — — — —

jômon archaïque jômon antique jômon moyen jômon tardif jômon final

—5000 à —3700 à —3000 à —2000 à —1000 à

—3700 —3000 —2000 —1000 — 250

● Alors que la céramique est déjà connue et utilisée de longue date au Japon, de l’autre côté du Pacifique, les Amérindiens l’ignorent toujours jusqu’en —3000 où surgissent les premières terres cuites de Valdivia. ● A l’époque des travaux d’Estrada, Meggers et Evans, ce site fournit la plus ancienne datation de céramique pour le continent américain. ● La période dite de Valdivia est elle-même divisée en quatre phases : — — — —

période A période B période C période D

—3000 à —2300 à —2000 à après

—2300 —2000 —1500 —1500

● Enfin, signalons également qu’aux similitudes entre les céramiques de Valdivia et celles du jômon, nos trois archéologues ajoutèrent, pour étoffer leur théorie, d’autres éléments tendant à prouver des relations transpacifiques avec l’Asie. Ils firent observer que de chaque côté de l’océan on retrouve les mêmes modèles réduits en terre cuite représentant des habitations. Ces maisonnettes sont rectangulaires, les murs sont épais et surtout, le toit est double rappelant la forme d’une selle : le faîte est incurvé, les extrémités remontent en s’effilant. Elles proviennent, en Equateur, des sites de La Tolita, de Bahia de Caraquez, de Jama et de fouilles en Esmeraldas et au nord de Manabi.

En Asie, on les rencontre dans le Sud-Est, en Indonésie, à Sumatra, en Nouvelle-Guinée, dans les îles Carolines, à Java, en Thaïlande, et HeineGeldern en découvrit aussi une représentation sur un tambour en bronze du Tonking. Il y a également une forte ressemblance (que certains estiment plus probante) entre les modèles équatoriens et des maisonnettes indochinoises de la période des Han. Les antidiffusionnistes quant à eux disent que l’aire de répartition de ces modèles est trop vaste (on en trouve même dans la culture trypolienne entre —3500 et —1900, et en Bulgarie) et qu’il y a trop d’écart chronologique... Emilio Estrada attira aussi l’attention sur l’utilisation de part et d’autre du Pacifique : — du repose-tête rectangulaire, concave, à base plate, en forme d’être anthropomorphe ou zoomorphe, avec une, deux ou trois colonnes centrales ; — de poids rectangulaires en céramique servant aux filets de pêche ; — de flûtes de pan aux tuyaux plus longs aux extrémités et s’en allant raccourcissant graduellement et symétriquement vers le milieu de l’instrument ; — de figurines assises en tailleur, dont les jambes ne sont pas croisées, mais reposent l’une sur l’autre parallèlement, et dont les mains sont posées sur les genoux. Elles portent en outre une coiffure cônique, de lourds ornements cylindriques passés dans le lobe de l’oreille, des bracelets et un collier au ras du cou. Ces caractéristiques sont visibles sur un bouddha de Campa (Annam) et sur une figurine de Bahia en Equateur ; — de la navigation sur radeaux à un ou plusieurs « gouvernails » que l’on utilise encore en Amérique du Sud, au Viêtnam ou à Taiwan. Il y en avait en Chine dès le Vème siècle avant notre ère. Mais revenons à présent aux céramiques de Valdivia et aux modèles jômons qui les auraient inspirées. On opposa principalement deux arguments à Estrada, Meggers et Evans : primo, les caractéristiques de l’artisanat de Valdivia sont trop simplistes et reflètent plutôt les premiers pas des premiers céramistes. Il paraît évident que n’importe quel individu voulant décorer de manière primitive un objet en argile utilisera inévitablement du matériel simple tel qu’un bâtonnet, un petit caillou pointu ou un coquillage, puisqu’il y en avait à profusion, ou encore les doigts eux-mêmes, ainsi que des incisions faites au moyen de l’ongle. Il n’est donc pas nécessaire d’invoquer un contact pour arriver à cela. Certains ont même poussé très loin — trop loin à mon avis ! — les comparaisons, en allant jusqu’à objecter qu’en mettant en parallèle des motifs apparemment identiques sur des poteries valdiviennes et jômones, le motif japonais aurait été dessiné à l’aide de toute la surface de l’ongle tandis qu’en Equateur, tenez-vous bien,

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seule la tranche de l’ongle incisa l’argile ! On n’est évidemment pas près d’en finir avec de tels arguments ! Il me faut cependant signaler deux faits importants au niveau de la forme des récipients : si dans la plupart des cas les poteries du jômon ont le fond plat, dans la céramique de Valdivia cette caractéristique ne se retrouve pas ; tous les fonds sont arrondis. De plus, les Valdiviens fabriquaient des vases tétrapodes qu’on ne trouve pas chez les Jômons. Secundo, on argua que s’il semblait y avoir une similitude, l’océan à lui seul constituait une barrière trop importante pour être franchie par ces populations primitives. A cela je rappellerai un fait qui ne cesse de m’étonner et que je citais déjà dans notre n 13 de KADATH (« Races extracontinentales en Mésoamérique ») à propos des premiers peuplements du continent américain : les thèses officielles n’hésitent pas à songer à une vague de peuplement par des piroguiers venant du nord de l’Asie, par la chaîne des îles Aléoutiennes, sur de fragiles canots et ce, à l’époque mésolithique soit environ entre —10.000 et — 5000 ! Or, on sait que les Jômons pratiquaient la pêche en haute mer et possédaient certainement des embarcations munies de balanciers... De plus, dans les eaux situées au sud de l’île de Kyushu se rencontrent des courants parmi les plus violents de tout le Pacifique, et qui se déplacent vers le nord-est le long des côtes du Japon d’environ 45 à 65 kilomètres par jour. Il faut ajouter à cela qu’au sud du Japon sévissent de nombreux typhons qui suivent ensuite la direction de ces courants. Pour nous qui avons perdu tout contact avec la nature et les éléments, une telle croisière fortuite est impensable et les chances de survie seraient minimes ; mais ces populations côtières primitives (prenons par exemple les peuples de Micronésie), rencontraient sur mer un environnement familier, et pouvaient parfaitement subsister durant une période plus ou moins longue. Les courants auraient ensuite amené nos pêcheurs jômons vers les côtes de l’Amérique du Nord qu’ils auraient longées ; d’autres courants prenant le relais les auraient portés vers la zone de l’Equateur, particulièrement proéminente vers l’ouest dans la configuration de l’Amérique du Sud, point de convergence de différents courants océaniques venant du nord et du sud pour former ensuite le courant équatorial vers l’ouest. Evoquant ce genre de périple, le sinologue Joseph Needham précise que durant le XIXème siècle, des jonques de l’Est asiatique s’échouaient sur les côtes américaines au rythme d’une tous les cinq ans ! De tels naufrages furent par ailleurs si fréquents dans des temps plus reculés, qu’ils allèrent jusqu’à constituer la source d’approvisionnement en fer et en cuivre d’une tribu d’Indiens de Colombie britannique ! Enfin, hormis des tentatives volontaires telle que celle d’un jeune Japonais de 23 ans qui atteignit la baie de San Francisco en août 1962 sur un radeau de quelque 5 mètres de longueur, j’ajouterai encore que la revue « Overland Monthly » de San

Francisco publia en 1875 une liste de quinze cas de jonques chinoises et japonaises qui vinrent s’échouer sur les rivages américains depuis les débuts du XIXème siècle ! A ceux qui se demanderaient si le voyage fortuit était possible en sens inverse, J. M. Goedertiers mentionne le cas d’un galion espagnol qui quitta le Mexique en 1609 dans le but de rallier Manille et qui dériva jusqu’au Japon (« A dictionary of Japanese History », New York, 1968). Cet obstacle formé par l’océan ne semble donc pas si insurmontable que certains veulent le faire croire. Que l’on m’explique donc comment ont fait les piroguiers du mésolithique... Plus ancien que Valdivia. Qu’il y ait eu contacts ou pas, il fallut bien considérer que la céramique était apparue en premier lieu à Valdivia. Par la suite, certains ayant mis en relief des traits communs entre ces cultures formatives de l’Equateur (et particulièrement durant les phases dites de Machalilla puis de Chorrera, qui suivent celle de Valdivia) et les premières hautes civilisations du Pérou et de Mésoamérique, 1000 à 1500 ans plus tard, Valdivia fut considérée comme le berceau de ces hautes civilisations. Mais ceci est une autre histoire, et là aussi les sujets de désaccord sont nombreux. Cependant, voilà qu’à Puerto Horminga, au nord de la Colombie, Henning Bischof a retrouvé depuis des poteries que le radiocarbone fait remonter à 3910 et 3840 ans avant J.-C. Valdivia ne détiendrait donc plus le record de l’ancienneté pour la céramique. Entretemps cette ancienneté avait été portée à —3100 par de nouvelles découvertes à Loma Alta, un peu à l’est de Valdivia, puis entre —3400 et — 3300 à Real Alto. Enfin, en 1971, Julio Viteri Gamboa découvrit des poteries qu’il qualifia de pré-valdivia, ou style de San Pedro. Ces poteries, qui paraissent plus anciennes, sont différentes du style de Valdivia et n’offrent plus aucune ressemblance avec les céramiques jômones. Mais, et c’est Donald W. Lathrap qui le souligne, « le matériel de San Pedro n’est pas l’ancêtre de celui de Valdivia », et « les faits nous forcent à considérer l’existence d’un minimum de deux traditions distinctes de l’art de la céramique et ce à une époque antérieure à 3000 ans avant notre ère : San Pedro et Loma Alta (Valdivia) ». Il est selon moi bien malaisé de trancher cette épineuse affaire des céramiques de Valdivia, du moins pour l’instant en l’absence d’autres éléments. Suivant que vous lirez des auteurs diffusionnistes ou non, Valdivia sera, ou ne sera pas, une preuve de contacts transpacifiques. Plusieurs adhérents aux théories d’Estrada, Meggers et Evans, pensent, plus d’une décade après la publication de leurs travaux, que l’origine de ces céramiques n’est plus à rechercher au-delà des mers, mais bien en Equateur même, comme semblent l’attester les poteries plus anciennes découvertes

dernièrement. En outre, les datations faites par le radiocarbone sont à présent remises en question, et il y a de fortes présomptions pour que la date de —3100 (Loma Alta) doive en fait signifier environ —4000 ; c’est du moins ce qui fut annoncé à l’occasion d’une importante exposition itinérante sur l’Equateur, montée par le Field Museum of Natural History de Chicago en 1975, et qui prit fin en juillet 1977. Rangeons donc Valdivia parmi les « indécidables », et attendons... L’origine asiatique des Olmèques. Betty Meggers fit à nouveau parler d’elle il y a plus de deux ans, et provoqua une fois de plus l’ire des antidiffusionnistes, en publiant un article dans la revue « American Anthropologist » sur la possible origine transpacifique de la civilisation olmèque. Elle y expose les similitudes qu’elle remarque entre cette culture olmèque et celle des Chang (pour quelques précisions sur ces cultures, je vous renvoie à notre n° 12 où j’ai parlé des Chang ainsi qu’à notre cahier consacré aux Olmèques dans KADATH n° 21). Je vous rappelle brièvement que l’on fait démarrer la culture olmèque vers —1200 (—1500 selon certains) dans l’aire de la Mésoamérique, tandis que la culture Chang s’étale de — 1700 à —1028, et marque pour la Chine le début des temps historiques. Précédant la période olmèque, on connaît de petits établissements de complexes du type village-ferme, sans religion dominante ni structure sociale bien établie, ni même de poterie standardisée. On associe cette période au style « Ocos » qui définit cette céramique. Puis, soudain surgit la civilisation olmèque : une société parfaitement structurée, une religion élaborée, un calendrier précis, une écriture, des édifices monumentaux et un art fabuleux... Bref, une très grande civilisation dont l’influence s’étend rapidement au reste de la Mésoamérique. Parallèlement, en Chine, mais bien plus tôt, la culture des Chang transforme tout aussi radicalement la société néolithique, établissant une dynastie, des structures sociales, un rituel élaboré, des métiers spécialisés et apportant l’écriture et la métallurgie. Certains spécialistes tels que Kwang-chi Chang et William Watson ne manquent pas non plus de s’étonner de cette brusque évolution. Voici quelques parallèles mis en évidence par Betty Meggers : ● Les Chang, tout comme les Olmèques, possédaient un calendrier, une écriture, une structure sociale capable de diriger et de procurer du travail à une large couche de population et ce pour des ouvrages considérables ; leur religion élaborée était administrée par une caste de prêtres ; ils mirent sur pied un réseau structuré permettant d’acheminer une grande variété de matériaux bruts des limites des territoires jusqu’aux centres administratifs ou cérémoniels ; dans les deux cultures, la masse de la

population vivait en petites communautés éparpillées, dont le labeur des habitants fournissait la nourriture, les biens de luxe et autres commodités à l’aristocratie occupant les grands centres. ● Les principales structures cérémonielles des Chang et des Olmèques sont formées de plateformes rectangulaires en terre, surmontées d’un édifice, et orientées suivant le même axe nord-sud (voir à ce sujet « Les ultimes demeures des Fils du Ciel » dans KADATH n° 12). Ces centres sont en outre équipés d’un système de drainage. ● Des documents de l’époque Chang expliquent que l’empereur, ainsi que ses vassaux, faisaient usage de lames de jade en tant que symbole de leur rang et de leurs fonctions ; or, des bas-reliefs olmèques semblent nous montrer le même genre d’attributs. ● Le jade possédait curieusement une importance énorme dans ces deux cultures et fut considéré comme le matériau le plus précieux, supérieur à l’or lui-même et des vertus magi-

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En haut : types de lames en jade utilisées comme symbole de rang sous la dynastie des Chang. En bas, à gauche, un personnage olmèque portant un bâton semblable, avec la même incision au sommet. A droite, une scène de la stèle 3 de La Venta.

ques et divines lui étaient attribuées. Alors que le jade est connu et travaillé depuis les temps néolithiques en Chine (voir « Jade et immortalité dans l’Empire du Milieu », KADATH n° 17), les plus anciens spécimens découverts en Mésoamérique proviennent de sites datant de 1000 ans avant notre ère. Or, la beauté et la précision de la taille de ces objets dénotent une grande maîtrise et, par conséquent, il doit y avoir là une longue tradition dans le travail de ce matériau particulièrement dur... D’où vientelle donc ? ● Les deux cultures vouaient une dévotion particulière au félin : le tigre pour l’une, le jaguar pour l’autre. Le tigre était un motif ornant le plus fréquemment des haches en jade et souvent aussi, le masque du tigre était dépourvu de mâchoire inférieure. Ceci se retrouve d’une manière identique pour le jaguar chez les Olmèques.

● Il semble que dans la Chine ancienne, on ait gardé le souvenir d’une déformation crânienne assez curieuse : sur les représentations des premiers souverains mythiques, on peut en effet observer la forme effilée du crâne mais avec deux proéminences, comme si une encoche avait été faite au sommet du crâne ; une semblable entaille est figurée sur de nombreuses figurations du jaguar olmèque et peut se voir également sur le masque en bronze du tigre chinois. ● Tout comme le félin, l’oiseau et le serpent sont des animaux extrêmement importants dans les deux religions, et l’iconographie des deux cultures nous offre plus d’une représentation de la combinaison de ces deux animaux en une seule divinité. ● Betty Meggers note encore l’importance accordée par les Chang et les Olmèques aux montagnes, auxquelles ils associent des divinités de la pluie. De même que ce fut le cas pour Valdivia, la contre-attaque ne se fit pas attendre, et l’un des principaux reproches que l’on fit à Betty Meggers fut de vouloir envisager une filiation entre la Mésoamérique et la Chine par-delà un océan, alors qu’on est encore loin d’avoir prouvé qu’il y ait eu une relation entre Chavin et la Mésoamérique, sur le même continent et à une distance relativement peu longue...

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En haut, a et b : haches olmèques de La Venta, ornées du masque du jaguar. — Au milieu : haches de l’époque Chang (a : en jade, b : en bronze); elles sont décorées du masque d’un félin dépourvu de mâchoire inférieure. — En bas, a : masque en bronze de style Chang, et b : masque du jaguar de la niche de l’Autel 4 à La Venta.

Sur les traces de Heine-Geldern : Paul Shao. Puisque je me suis attaché à vous soumettre des identités culturelles relevées de part et d’autre du Pacifique, je ne peux passer sous silence un ouvrage récent paru en 1976 (« Asiatic Influences in Pre-Columbian Ancient Art »), et que je trouve personnellement assez étonnant. J’ignore l’accueil qui lui fut réservé dans le milieu des américanistes, et je ne sais s’il a fait à l’heure actuelle l’objet d’une contre-argumentation mais gageons que cela ne saurait tarder ! Quoi qu’il en soit, j’estime que cette étude originale abondamment illustrée est une pièce importante à verser au dossier, et qu’elle s’inscrit en droite ligne dans les idées de Robert Heine-Geldern. Son auteur est le Professeur Paul Shao, natif de Canton, qui enseigne l’architecture au Design Center de l’Iowa State University. Certes, ne manquera-t-on pas de lui reprocher, s’il est à la fois diplômé des universités de l’Ohio, du Kansas et du Massachusetts, ainsi que du Great China Art College... il n’est pas archéologue et dès lors, diront d’aucuns, méfiance et circonspection ! Pour Paul Shao, les traits communs les plus marquants entre la Mésoamérique et l’Est asiatique se rencontrent entre le IIIème et le IXème siècle de

notre ère, et plus précisément encore, au cours de la période classique des Mayas (soit entre 600 et 900) et de la dynastie chinoise des T’ang (de 618 à 907). Après avoir parcouru les plus grands musées et les plus importantes collections d’Amérique, d’Europe et d’Asie, Paul Shao s’attarda — du moins dans l’ouvrage dont il est ici question — à l’étude des similitudes entre les positions cérémonielles et les parures de prêtres, de hauts dignitaires ou de divinités, dans des chefs-d’œuvres mayas et asiatiques ; il compara les différents motifs des multiples têtes superposées dont sont affublés certains personnages ; un nombre d’attributs iconographiques distincts d’autres personnages représentés en position assise ; une série de gestes rituels que montre la statuaire, etc... Choisissant parmi quelque 300 illustrations de ce livre, je vous soumets les exemples que voici. Il sera d’abord question d’une étude comparative concernant plus particulièrement les célèbres stèles de Copan au Honduras, un des sommets du baroque dans l’art maya, et des peintures ou des statues de dignitaires ou de divinités chinoises.

Du point de vue vestimentaire, on peut ainsi voir qu’un général de l’ancienne dynastie Wei, Chang Sun Sung, dont on attribue le portrait à Chen Hung sous la dynastie des T’ang, est coiffé d’une tête de monstre emplumé dont le masque est dépourvu de la mâchoire inférieure, tout comme sur les stèles C et H de Copan, et sur la stèle 6 de Piedras Negras (Peten, Guatemala) où la ressemblance est plus frappante encore. Outre la position des pieds et des mains qui est presque identique, il porte comme sur la plupart des stèles de Copan ainsi que sur la stèle 24 de Naranjo (Peten) et sur le linteau nord de la Maison L de Yaxchilan (Chiapas, Mexique), une ceinture nouée sur le devant de la taille et dont les pans retombent presque jusqu’aux chevilles. L’endroit où elle est nouée se trouve juste en-dessous de la gueule d’un monstre dépourvu de mâchoire inférieure comme sur la coiffe. Un bodhisattva de la dynastie des Sui (Chine, VIème siècle) et des Rois-Gardiens de la dynastie des Ming (XIVème siècle) portent une ceinture identique. Les poignets des manches de Chang Sun Sung sont ornés d’une tête de mons-

La stèle C de Copan (photo et dessin) et un dessin du Général Chang Sun Sung. Similitude entre les coiffures couvre-chefs, les ornements des épaules, des poignets et des ceintures. Ceci est également visible sur le croquis des stèles A et N.

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tre de la gueule ouverte duquel sortent les mains ; ce genre d’ornement est présent à Copan. Il a de plus à la hauteur des genoux et sur les épaules, un autre masque de monstre, toujours dépourvu de mâchoire inférieure, comme sur les stèles mayas.

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Détail de fresque du linteau nord de la Maison L à Yaxchilan : à noter, la ceinture ornée du masque d’un félin, dépourvu de la mâchoire inférieure, tout comme sur le portrait de Chung Sun Sung.

Tous les personnages de Copan portent, reposant au creux des bras, une sorte de sceptre horizontal d’aspect tantôt rigide, tantôt flexible, qui s’achève aux extrémités par une gueule de serpent ouverte. Son usage demeure inconnu, mais l’on suppose qu’il s’agit d’une parure cérémonielle ; sur plusieurs bas-reliefs de la dynastie des Han et dans l’iconographie tibétaine du IXème siècle on peut voir de longs « sceptres » maintenus horizontalement dans le creux des bras... Ces doubles gueules de monstres jointes par le corps sont d’autre part fort semblables aux jades et aux bronzes des Chou, dont la gueule se termine par une lèvre supérieure plus longue et recourbée vers le haut (ce qui n’est pas sans rappeler le masque du makara et les serpents emplumés de Copan que j’ai montrés dans la première partie de cette enquête, KADATH n° 23). Une autre particularité curieuse : sur un linteau de Chiapas (Mexique) on peut voir une de ces gueules de serpent à l’extrémité d’un sceptre, dont la mâchoire inférieure porte une longue et fine barbiche à la Ho Chi-Min, et qui est également un des attributs communs des dragons chinois. Toujours à Chiapas, un dieu au nez en trompe est affublé de la même barbiche.

Quittons à présent Copan. A Calakmul (Campeche, Mexique), à Chichen Itza (Yucatan) et à Naranjo existent quantité de stèles et de basreliefs montrant un personnage debout sur un esclave, un captif ou un démon gisant au sol. Ceci est très courant à la fois au Japon et en Chine. Où cela devient plus étrange, c’est lorsqu’on regarde attentivement la position et le visage du personnage foulé aux pieds sur un relief du Temple des Jaguars et du Temple des Guerriers à Chichen Itza : les victimes sont représentées de face ; on n’en voit donc que la tête, les épaules et les bras ployant sous le poids de celui qui se tient debout sur son dos. On retrouve identiquement la même représentation sur des tombeaux des Han, avec en plus le point commun suivant : tout comme chez les Mayas, de la bouche distordue par la douleur sort une longue langue qui pend jusqu’à terre puis se sépare en deux pointes qui remontent en se recourbant vers la gauche et vers la droite !... Les éléphants mayas. Paul Shao consacre un chapitre de son livre à cet épineux problème qu’on ne se lasse pas d’évoquer à propos des contacts transpacifiques ; certains affirmèrent — et affirment toujours — avoir reconnu dans l’iconographie maya, et ailleurs encore sur le continent américain, des figurations d’éléphants ! Le premier à mentionner ce fait est John Lloyd Stephens dans son fameux livre « Incident of Travel in Central America, Chiapas and Yucatan » en 1841 : il remarqua au sommet de la stèle B de Copan, deux éléments qu’il associa à des trompes d’éléphants. Plus tard, Alfred Maudslay se rendit sur les lieux et put voir la stèle en question, encore intacte alors, car elle fut depuis mutilée. Il proposa quant à lui d’y voir des tètes de tapir au museau allongé plutôt que d’éléphants. Vers 1909, c’est G. B. Gordon qui, dans un article, identifie les deux têtes d’animaux à celles d’un oiseau local au bec fortement recourbé. Il est soutenu par Alfred Tozzer du Peabody Museum et par le grand spécialiste de l’art maya Herbert Spinden. Une féroce bagarre s’engagea alors à coup de livres et d’articles, car un ardent diffusionniste anglais, le Dr Elliot Smith, prit la défense de l’éléphant, si j’ose dire ! Et de clamer partout que si l’on rejetait aussi catégoriquement cette hypothèse, c’était parce qu’elle remettait tout simplement en question toute l’histoire de l’évolution des anciennes civilisations d’Amérique. Paul Shao voit également de possibles figurations d’éléphants sur certains monuments mayas, et en particulier sur la stèle M de Copan, dont le personnage porte une coiffure où il est en effet possible de voir les oreilles et les défenses de l’encombrant animal. Une vaste cavité est visible à l’endroit où selon Shao se trouvait la trompe, ce qui tendrait à prouver qu’il y avait là un appendice important, à en juger par la trace de la mutilation. Et ce ne peut être, ajoute-t-il, le masque d’un tapir ni d’un oiseau

en raison des défenses... On retrouve d’ailleurs au Japon un personnage nommé Yaksa, dont la tête est surmontée d’une coiffure représentant le masque d’un éléphant avec les défenses sur le côté (période Kamakura, vers 1200). Ce personnage a la même pose que celui de la stèle M : les pieds écartés en V et les mains jointes, ce qui est l’attitude typiquement orientale d’un être en adoration. Quant aux créatures de la stèle B, Paul Shao estime qu’il s’agit d’êtres hybrides, mélange de l’oiseau cher aux opposants de Smith, et de l’éléphant. Il croit donc à une influence asiatique.

Fréquemment on a associé le nez en trompe du dieu de la pluie, Chac, avec la trompe de l’éléphant. Il y a bien sûr maintes théories à ce propos ; on a même dit que la forme particulière du nez de Chac figurait la trombe d’eau... Shao, se basant sur une céramique figurant Chac, songe là également à une trompe d’éléphant, car l’on peut distinctement voir les défenses sortant de la bouche. Pour les diffusionnistes, cet attribut de Chac est peut-être à assimiler au masque du makara asiatique dont j’ai déjà parlé. Heine-Geldern avait proposé, suite à la découverte au San Salvador d’une statue de pierre, d’établir un parallélisme avec le dieu hindou Ganesha, au corps d’homme et à tête d’éléphant. Il faut cependant préciser que cette statue du San Salvador est très grossière et peu convaincante.

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Détail de la Stèle M de Copan : le personnage porte une coiffe, dans laquelle Paul Shao voit la tête mutilée d’un éléphant.

Détail de la Stèle B de Copan, avec les deux têtes d’éléphants.

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En guise de conclusion. Il serait possible d’accumuler durant des pages entières encore, les analogies recensées par différents chercheurs dans le but d’établir qu’il y a bel et bien eu des relations transpacifiques ; mais cela mènerait trop loin et déborderait du cadre d’une brève enquête. Je me suis donc limité à des faits que j’ai jugés importants pour un survol de la question. Ces faits constituent-ils une évidence ? Détient-on une preuve formelle ? Jusqu’à présent l’archéologie, sur base des critères de contacts qu’elle a fixés, répondrait par la négative, car elle exige des fouilles et des intermédiaires, ainsi que je l’ai dit dans la première partie. Au niveau des comparaisons pures, elle les refuse pratiquement toutes en vertu de certains postulats. Il s’agit de conditions qui ont été fixées et qui doivent être remplies, afin de pouvoir établir si des similitudes culturelles sont le fait d’inventions séparées ou d’une transmission : 1) les éléments culturels comparés doivent être du même âge ; 2) une longue période d’évolution doit pouvoir apparaître pour l’élément culturel dans la société donneuse et à l’opposé, une soudaine apparition du stade terminal doit avoir lieu dans la culture receveuse ; 3) l’aire de répartition de l’élément diffusé dans la culture receveuse doit être plus réduite que dans la culture donneuse. Cependant, si la diffusion est ancienne et fut populaire, l’aire de répartition peut être égale ; 4) la possibilité d’une diffusion est d’autant plus grande que le caractère des éléments comparés s’éloigne de l’aspect fonctionnel. En effet, deux objets semblables peuvent être l’aboutissement d’une série de caractères liés à un mode de vie, à un climat, à un environnement, à des besoins, au matériel disponible identique ; 5) il y a plus de chance qu’il y ait eu des contacts si l’on retrouve des similitudes entre les complexes plutôt qu’entre les simples éléments que l’on compare. Un style de céramique, un jeu compliqué, sont des exemples de complexes formés d’éléments simples. Voilà donc fixées les règles du jeu ; mais voyons cela de plus près. 1) Ainsi donc, si les éléments comparés sont contemporains, ils peuvent être retenus pour une hypothèse de contacts... Je suis quelque peu étonné, et me demande pour quelle raison ils devraient nécessairement être du même âge. Je reprendrai un argument d’Heine-Geldern : soit un modèle-type ayant cours quelque part en Inde, qui se transmet lentement et atteint même des régions fort éloignées du Sud-Est asiatique après une longue période ; puis, poursuivant sa route, il va, après un laps de temps plus long encore, influencer des cultures établies dans des îles du Pacifique.

Supposons à présent que quelques siècles s’écoulent et que le modèle-type ait toujours la faveur des populations. Un beau jour, des navigateurs quittent ces îles et, soit volontairement, soit fortuitement, atteignent les rivages du continent américain où ils réussissent à introduire le modèle qui leur est familier. Ne perdons pas de vue qu’entre-temps, le modèle de base a peut-être été complètement abandonné par ses promoteurs et ce, depuis peut-être fort longtemps, et même a pu être détruit sans laisser aucune trace. Supposons aussi — pourquoi pas ? — que les modèles intermédiaires aient à leur tour disparu pour l’une ou l’autre raison ; ou aussi, que nous ne les ayons pas encore retrouvés. On ne pourrait nier qu’il y a cependant eu contact, et pourtant, en vertu du point 1 cet exemple ne pourrait être retenu ! Il faut ajouter à cela la difficulté de dater avec précision certains éléments ; j’ouvre un livre au hasard et je tombe sur une statuette mexicaine que l’on date probablement du post-classique, soit de 900 à 1521 de notre ère ... Cela fait une marge probable de 621 ans ! Etant donné que de l’autre côté du Pacifique, une autre statuette que je déciderais de comparer daterait probablement du VIIème, du VIIIème ou du IXème siècle (et si cela se trouve son origine exacte serait en plus inconnue, comme c’est souvent le cas !) la tâche ne serait pas aisée ! Pour en terminer avec ce point 1, je signale encore que dans bien des cas, les dates sont sans cesse reculées ; reportez-vous à ce que je disais au sujet des datations nouvelles proposées pour Valdivia... 2) Quant à cette « longue période d’évolution » dont il est question au point 2... encore faut-il qu’on en retrouve des traces. Et si ces traces furent détruites à l’époque ? Combien de fois une culture n’a-t-elle pas fait table rase des productions de la société qu’elle a supplantée ? Les chroniqueurs de la conquête espagnole attestent à suffisance de la quantité considérable de trésors culturels qui furent purement et simplement effacés par les conquérants. On est aussi en droit de supposer qu’elles demeurent toujours ignorées, faute d’avoir été découvertes par nous : cela signifierait-il qu’elles soient inexistantes ? 3) Le troisième point suggérerait que les aires concernées auraient livré tous les témoins archéologiques sans exception : comment le savoir ? 4) Peut-être est-ce, selon moi, le quatrième point qui paraît le plus curieux en regard de la plupart des similitudes proposées à ce jour ; bien sûr, je le considère comme hautement valable pour toute une catégorie d’éléments. Par exemple, si de part et d’autre du Pacifique, l’on retrouve des récipients en céramique à trois pieds, je ne m’étonnerai pas outre mesure et je n’invoquerai pas de relations culturelles. En effet, le potier a dû rapidement se rendre à l’évidence qu’un vase tripode était plus stable, et s’il aura préféré le tripode au tétrapode je ne sursauterai pas non plus face à cette coïncidence, car il est tout bonnement bien plus facile

Relief en pierre de Borubudur (an 800) et détail de la stèle I de Quirigua, (an 800 aussi !) : des personnages assis en tailleur dans une niche surmontée du masque d’un démon dépourvu de mâchoire inférieure, avec au bas, une autre gueule d’animal « à trompe ». Similitude fonctionnelle ?

de faire un vase à trois pieds qu’à quatre ! Nous sommes là en présence de contingences purement fonctionnelles ; mais lorsqu’il est question de l’utilisation de miroirs ronds en bronze ou en pyrite comme ceux que je montrais dans la première partie de cette enquête, je m’étonne ! Non pas à propos de leur petite taille ni de leur forme circulaire — c’est là simplement une implication pratique —, mais bien en constatant qu’ils sont ornés au Mexique comme en Chine de triangles ajourés sur tout le pourtour de leur circonférence ; cela n’a plus rien à voir avec le côté fonctionnel de l’objet ! De même, pour l’absence de mâchoire inférieure à la tête de la créature décorant la coiffe, les épaules, les genoux et la ceinture des stèles de Copan et du général Chang Sun Sung, je crois qu’il est exclu d’invoquer l’aspect fonctionnel ou un prototype naturel ! 5) Ces derniers exemples tombent d’ailleurs dans la catégorie du cinquième point : il ne s’agit pas là en effet d’éléments simples, mais bien d’un complexe ornemental. C’est également de l’étude de plusieurs complexes, dont il fut question dans l’analyse des armes et des instruments aratoires que fit Daniel Randall Beirne (voir première partie) : chaque objet retenu était classé en fonction des six techniques de base pour l’emmanchement, et de dix-sept caractéristiques spécifiques de chacune de ces méthodes ! Il y a donc bien plus que l’aspect fonctionnel de ces objets qui entra en ligne de compte, il y a un complexe de dix-sept caractéristiques spécifiques... Parlant de complexe, l’exemple de la représentation du lotus en Amérique et en Asie me semble assez convaincant (voir également la première partie) : chez les Mayas et chez les Indiens, on figure la fleur du lotus, la tige et aussi le rhizome, alors que ce dernier n’est en principe pas visible puisque enfoui dans la vase ; des figurations humaines empoignent la tige de la plante ; ces personnages sont

assis ; il y a des animaux aquatiques aux extrémités de ces frises comportant des lotus ; ils semblent dévorer la fleur de la plante ; cette fleur et ses feuilles sont représentées de manière naturaliste ; le rhizome est, lui, stylisé et de plus sert d’arabesque, etc... Ce qui nous fournit une belle série de coïncidences exagérées ! Et bien que chaque élément puisse être de nature toute simple et aisément réinventable par différentes cultures, je pense qu’il n’en demeure pas moins que leurs chances de se combiner de la même manière entre eux, pour former des complexes identiques des deux côtés de l’océan, sont plutôt maigres ! Dans la même optique, il y a aussi le problème de l’usage des jades funéraires, sur lequel j’avais déjà attiré l’attention lors d’articles précédents : en Chine comme en Mésoamérique, des objets en jade étaient placés près des défunts. Le dignitaire du tombeau de Palenque portait un masque fait de fragments de jade ; en Chine, il y avait des linceuls de jade pour préserver la dépouille ; des perles de jade étaient quelquefois placées sur la langue du défunt, tout comme en Chine, et plus curieux encore, ces jades étaient parfois taillés en forme de cigale ! Ce n’est pas tout : les jades funéraires étaient aussi fréquemment saupoudrés de cinabre... En outre, le jade est particulièrement dur à tailler et est relativement rare et difficile à trouver ; à tel point que les Indiens tout comme les Chinois avaient des collecteurs de jade professionnels, qui gardaient jalousement le secret permettant de découvrir et d’identifier ces pierres à l’état brut. Le Professeur Gordon Ekholm disait à propos des contacts transpacifiques : « ...On soupçonne, on a l’intuition ; un peu comme le policier qui se trouve dans une pièce où flotte une odeur de sang, où des impacts de balles sont visibles mais où, hélas, le cadavre a disparu ainsi que l’arme du crime !... ».

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Je terminais mon premier article par un constat d’incomplétude ; je ne pense pas qu’il s’agisse d’une forme d’échec, au contraire, je pense que ce constat permettra de poursuivre l’enquête et de retrouver « le cadavre et l’arme du crime» dont parle Ekholm. Le grand américaniste Paul Rivet était opposé à la théorie diffusionniste car, reprochait-il à Heine-Geldern, notamment, « il est stupéfiant dans ce cas, que les Indiens n’aient pas utilisé la roue ou la technique de la vraie voûte...». J’ai signalé dans la première partie que les Indiens connaissaient parfaitement le principe de la roue. Reprocher que la roue n’ait pas été adoptée et utilisée couramment dans la vie pratique, signifierait qu’un trait de culture primordial pour notre société aurait dû avoir la même importance dans un autre contexte culturel. Or, l’histoire des explorations et des colonisations européennes en Afrique, en Asie et en Amérique nous a maintes fois prouvé que les apports culturels transmis n’étaient pas toujours acceptés en bloc, mais parfois repoussés net par défaut de contexte socioculturel, politique, religieux ou autre, ou repris partiellement après transformations. Quant à la nonconnaissance de la vraie voûte, il semble que ce soit erroné : en effet, L. Satterthwaite mentionne sa présence dans une longue chambre du site maya de La Muneca et, précise-t-il, « ils savaient exactement ce qu’ils avaient construit là ! ». Je crois, pour terminer, que ce n’est pas tellement le manque d’éléments qui fait défaut, car s’il faut en croire les différents chercheurs dont je vous ai présenté les théories, l’Amérique (et principalement la Mésoamérique, car c’est là que des similitudes sont le plus souvent relevées) semble avoir été plus d’une fois contactée par le Sud-Est asiatique, puisqu’on y retrouve des traces d’éléments présents chez les Chang, les Chou, les Han, les T’ang et même dans les cultures prébouddhiques de l’Inde. Sans doute n’est-ce pas par hasard si c’est dans cette zone que les diffusionnistes rencontrent le terrain le plus propice à leurs thèses ? Il serait opportun selon moi, de reposer le problème à la lumière de toutes les données acquises à ce jour et de faire la synthèse d’une étude exhaustive. Ceci ne serait pas une mince affaire, faut-il le dire, et représenterait une œuvre de titan. Mais seule cette tâche, accomplie par une équipe de spécialistes bien documentés, pourrait être menée à bien et permettrait d’y voir plus clair, car pour l’instant, il faut le reconnaître, malgré l’abondante littérature existante, il règne un grand désordre parmi toutes les théories avancées. PATRICK FERRYN

BIBLIOGRAPHIE ●Emilio Estrada : « Valdivia, un sitio arqueologico formativa en la costa de la Provincial de Guayas », Publication del Museo Victor Emilio Estrada, n° 1, Guayaquil 1956. « Nuevos Elementos en la cultura Valdivia, sus possibles contactos transpacificos », Guayaquil 1961. ●Betty J. Meggers, Clifford Evans, Emilio Estrade : Early Formative Period of Coastal Ecuador : The Valdivia and Machalilla Phases », Smithsonian Contribution of Anthropology, vol. 1, Washington 1965. ●Emilio Estrada et Betty J. Meggers : « A complex Traits of probable Transpacific origin on the Coast of Ecuador», American Anthropologist 1961, vol. 63, n° 5, pp. 913 à 939. ●Emilio Estrada, Betty J. Meggers, Clifford Evans : « Possible transpacific contact on the coast of Ecuador », Science, n° 135, pp. 371 à 372, Washington D.C. ●Betty J. Meggers : The Transpacific Origin of Mesoamerican Civilization : A Preliminary Review of the Evidence and Its Theoretical Implications ». American Anthropologist, vol. 77, n° 1, mars 1975. pp. 1 à 27, Washington D.C. « Contacts from Asia », chapitre 8 du livre « The quest for America », Rail Mali Press, Londres 1971. ●Jorge Enrique Adoum : « Portraits d’ancêtres du vieil Equateur », article paru dans « Le Courrier de l’Unesco », avril 1974. ●Henning Bischof : «The origin of pottery in South America. Recent radiocarbon dates from South West Ecuador », 40ème Congrès International des Américanistes, vol. 1, pp. 269 à 281, 1973. ●Henning Bischof et Julio Viteri Gamboa : « Prevaldivia occupations of the South West Coast of Ecuador », American Antiquity, vol. 37, n° 4, pp. 548 à 551, octobre 1972. ●James A. Ford : « A Comparison of Formative Cultures in the Americas : Diffusion or the psychic unity of man », Smithsonian Institution Press, Washington 1969. ●Robert Heine-Geldern : « Representations of the Asiatic Tiger in the Art of the Chavin » Actes du 33ème Congrès International des Américanistes, San José 1959. ●Betsy Hill : « A New Chronology of the Valdivia Ceramic Complex Nawpa Pacha, 1972-74, 10-12. ●« Ancient Ecuador : Culture, Clay and Creativity 3000-300 B.C. », catalogue de l’exposition organisée par le Field Museum of Natural History, Chicago, Illinois, 1976. Texte de Donald W. Lathrap. ●Joseph Needham : « Sciences and Civilization in China», chapitre 29 : Voyages and Discoveries Nautical Technology, vol. IV, 3, University Press. Cambridge 1974. ●Jean Roudillon : « Valdivia », édité par l’auteur, 198 boulevard Saint-Germain, Paris VIIème. ●Paul Shao : « Asiatic Influences in Pre-Columbian American Art », The Iowa State University Press, Ames, Iowa, 1976. ●Elliot Smith : « Pre-Columbian Representations of Elephants in America », Nature 96 (2404), 1915. ●Herbert J. Spinden : «A Study of Maya Art », Dover Publications, Inc., New York 1975.

Source des illustrations : Lucinda Rodd d’après Friedländer, p. 4 — Parfitt Mills Ass., p. 6 —A. G. Galanopoulos, p. 7 —D. F. Goodrick, p. 8 — d’après Paul Le Cour, p. 13 — Petite Planète, p. 17-21 — Fred D. Awuy et Yazir Marzuki, p. 19-20 — Albert Szafarz, p. 19 — Academic Press London, p. 23-28 — © KADATH - R. Dehon, d’après Avery, p. 24 — Joseph Needham, p. 30-31 — J. B. Carlson, p. 31 — Jean Roudillon, p. 34 — d’après Betty J. Meggers, p. 34 — d’après Ling, Laufer, Pina Chan, Covarrubias et Heizer, p. 37 — d’après Bernai, Laufer et Orta Nadal, p. 38 — Thompson - P. Ferryn, p. 39 — Paul Shao, p. 40-41 — © KADATH - P. Ferryn, d’après Paul Shao, p. 43.

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