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® Casbah-Editions, Alger , 2012. ISBN: 978 - 9961- 64 - 933 - 6. Dêpôt légal : 3919 - 2012 . Tous droits r éservés.

CHADLI BENDJEDID MÉMOIRES

CIIADLI BENDJEDID MÉMOIRES

Tome 1 Les contours d'une vie 1929-1979 Rédigé p ar Abdelaziz BOUBAKIR Tnuluit dt )':U'abe pal' Mthenmw HAMADOUCHE

Villa n C6 , lot. Saïd Harndine, 16012 , Alger

11 est, parmI les croyants, des hommes qlll ont ete smceres dans leur engagement envers A llah Ce/tams d'entre ew: ont attemt leu/" fin ; et d'Qlltres attendent encore .. et lis n 'ont vane aucunement (dans leur engagement). (Le Saint C oran, Al-Allzâb , vusd 23)

A mon père, lLy:emple d'altrlllsme et de magnammite. A

ma mère, en hommage ci: ses sacnfices et ci: son hunulile.

HOMMAGE AILX maltyrs de la Guerre de Llberatlon tombés SIL/' cette terre géné-

reuse qu 'ds ont abreuvée de leur sang p u/'. A mes compagnons d'armes qw se sont sacnjiés pour cette pa/ne et qUI Jill sont restesfidèlesàjama/s. Aw; génerahons jilfures, plUssent ces memOires tellr être utz /es.

TABLE DES MATIÈRES

PRECISlOHS

15

PRo!.OOUE

19

OlAPITRE. 1

MEs

C hap itr e II

LA PRISE DE CONSCIENCE ( 1945-1954)

CHAPI11I.E

m

CHAPIlllI N

RACINES ET MON ENFANCE ( 19::!9-1945)

Lu années de brauc (1954-1956)

75

Le Congres de la Soummam et la créatlon de la

BASE DE L'EsT (1956-1958) Chapitre V

" 97

Le COMPLOT DES COLONElS ( 1958-1959)

133

CHAPIlllI VI L' état-major génëraJ ou le retour de l'espOIr

(1958-1959)

165

CHAP!TIlE VII Le premier pruonmer aprh C hapitre VIII

r Indépendance

Le "IXNEMENT DE REDRESSEMENT DE JUIN 1965

ChapÎll'e IX A LA

~

REOlOO IIi1LITAlRE ( 1964 -1919)

CHAPITllI X Le, relations avec le Maroc

lIVant

CHAPITRE. XI SOUVENIRS DE VOYAOES

CHAPI11lE

xn

197

Boumediene tel que Je \' il! connu

1979

:!53 ::!81 301

,"'1

,

PRECISIONS

J'ai longtemps hésité avant d' entamer l' éctittu'e de ces mémoires, car j ' ai toujoms considéré que ma vie et mon parcoms de combattant n ' é-

taient

lien

comparés

aux

énonues

saclifices

consentis par mon peuple tout au long de sa longue histoire. Connue je suis convaincu que 1110 n dévouement dmant la GuelTe de Libération et les effotts que j ' ai fmunis au lendemain de l'Indépendance n ' étaient qu' UtI devoir qu' il m ' incombait d' accomplir au même titre que tous les Algétiens de ma génération . Mon hésitation fut renforcée par la lectme des mémoires de plusiems honunes politiques et grands chefs militaires - dont ceux de persotmalités algétiennes évidemment ; j ' ai constaté que la plupatt de ces œuvres étaient imprégnées d' lUl nat'cissisme qui met en avatlt la personne de lems autem s au déuiment de la vétité et de la modestie qu' appelle tout témoignage histotique. Cependatlt, l'insistance d' IUl cettain nombre de mes atrus, patmi les fidèles moudj altidine, a fini pat' avoir raison de ma réticence. De plus, les tentatives de cettains de potter atteinte à mon passé

15

C HADLI BENDJEDID - MÊMO IRI S

militant ont confOlté ma conviction de m 'engager dans cette expérience . Mais, au 11l0lnent où je lne suis luis à lne relnémorer mes souvenirs - proches et lointains -, je me suis trouvé confronté à lm dilenune. Le premier tenne réside dans le fait que la plupaIt de mes documents relatifs il mes aImées de lutte ont été soit égaI'és, soit altérés pour mollit raisons qu'il serait long d' exposer ici . Le second a trait à ma mémoire qui est allée s' affaiblissaIlt, deVenaIlt, COlmne dit le dicton, « lin simple écho à une voix éteinte ». J'ai choisi pOLU' titTe à cette première paItie Les contours d 'une vie, parce qu'il s'agit, réellement, de sitnples btibes de n1a vie. L'houune, c'est COlll1U, quelle que soit la puiSSaI1Ce de sa mémoire, n' en est pas moins incapable de tout retenir. J'ai, par ailleurs, élagué volontairement certaines questions dont l'évocation pOlUTait être interprétée conune tille attaque contre des persOlu1es ou quelque règlement de comptes. DaI1S ces mémoires, j ' ai tenu à relater les faits tels qu'ils se sont dérolliés, évitant de défonner la vérité, de blesser qui que ce soit ou d' exagérer les événements. Je suis convaincu que ce télnoignage aussi sincère que modeste - quelle que soit sa valeur, au demeuraIlt -, pOlUlmt servir de matétiau aux histOliens qui auront la latitude de traIlcher s' agiSSaIlt de questions nationales et d' événements historiques, source de polémique et de divergences. De même, j'ai évité, autaIlt que faire se peut, d' évoquer les événements auxquels je n' ai pas plis part ou daIlS lequels je ne fus pas partie prenarlle.

16

PRtCISlO NS

Le lecteur remarquera de lui-même que ma nalTation des faits passés est imprégnée par mes positions et mes opinions actuelles. Ceci est normal, dans la lnesure où, souvent, nous ne prenons conscience du sens de celtaines attitudes histOliques et de leur contexte qu' après leur déroulement, quand bien même nous en eussions été les.témoins oculaires. Parfois, on se retrouve plis dans la spirale d'événements graves et on n'en l1leSme les effets sur soi et sur le pays que plusieurs décennies plus tard. Par acquis de conscience, donc, j ' ai tenu à retracer ces événelnents avec hOlUlêteté du ntieux que j ' ai pu -, en essayant, par-là même, d'en tirer les leçons. Mon SOullait est que ces mémoires me représentent auprès des gens conuue j 'ai toujours espéré qu'ils me cOlmaissent et non sous le plisme déformant qui a été créé autour de ma personne. Enfin, je ne manquerai pas de remercier les amis qui m'ont aidé à reconstituer des faits précis et m'assurer de l' exactitude des noms de personnes et de lieux. Mes remerciements vont tout particulièrement au Professeur Abdelaziz Boubakir, qui s' est attelé avec patience à l' emegistrement et au décryptage de mes témoignages, après un effOlt de longue haleine qui aura duré quatre aImées.

PROLOGUE

Je suis né une rumée avrult les cérémoniaux provocatems pru- lesquels la France célebrait le centenaire de la colonisation à la grrulde indignation des Algéliens qui se sentirent htuniliés. POlU- SlU-, les images que renvoyaient ces manifestations ruTogrultes fment pom nos grrulds-pru-ents et nos pru-ents lm moment de grMde doulem et de fmsti-ation, d'autrult que les autmités fi-Mçai ses entendaient, à bllvers cette conunéllloration, affirmer et glmifier le tiiomphe du projet colonialiste, en prétendMt avoir mis fin définitivement aux nombreux soulèvements spontMés et à toutes les fonnes de résistMce vaillrulle que noti-e peuple a opposés à l'rumée fi-Mçaise et, après elle, aux hordes de colons emopéens, depuis le prelnier j om où ils fOlùèrent le sol algélien_ Nos aïeux et nos pru-ents ont longtemps souffert de l'injustice et de la misère sous le joug du colonialisme, dMs des conditions irùltunaines. Cette souffrMce lem était d'autrult moins suppmtable qu'ils voyaient lems villages incendiés, lems terres spoliées, lem tissu social effiloché et lem identité aliénée_

19

C HADLI BENDJEDID - MtMOIRE S

A l'époque où nous ouvrimes les yeux, les jeunes de nIa génération et tuai -tnêtue, sur cette amère réalité et découvrimes que notre pays était sous occupation étTangère, les conditions de vie étaient lamentables. D' tm côté, les colons brandissaient orgueilleusement le slogan de « l ' Algélie fiançai se », de l' autre, nos parents nounissaient en nous le sentiment d ' apprutenance à tme telTe glOlieuse et à tme religion rulcrée drulS les cœms. Il était, dès lors, tout à fait natmel que nous nous intenogions sm les raiSOllS qui nous ont conduits à tme situation aussi abemmte et sur les moyens de nous en sOltir. Pru' chance, la lutte implacable menée pru' notre peuple, à la faveur d' tme prise de conscience rendue possible grâce au mouvement national, toutes tendances confondues, nous a ouvelt la voie de l' action politique, bien que la cause pour laquelle le pays combattait et les débats qui avaient cours à l ' époque fussent au-delà de notre capacité d ' assimilation . Chemin faisant, nous conunencions à comprendre que la libération du pays devait passer inexorablement pru' un choix ru'du et que le chemin vers la liberté était semé d' embûches et nous réservait saClifices et souffrrulces. Les massacres du 8 mai 1945 furent l ' étincelle qui aigttisa notre volonté et nous convainquit défirtitivement qu' il fallait que nous fassions quelque chose. Cela dit, la question était de savoir ce que nous pouvions faire . Après la tuerie de mai 45, un mot s'imposa en guise de réponse : le djihad. Bien sûr, ce mot n' avait pas la même signification qu' auj ourd' hui . Je me souviens, en effet, que

20

PROLOGUE

les j elUles parcouraient les campagnes, à la recherche des moyens qui les eussent aidés à libérer lem' pays et jeter l ' occupant dehors, La libération de la ten-e et la défense de l ' Islam étaient IUle seule et • Inelne cause. Je faisais paItie de ces jeunes qui avaient besoin qu' on les prelme paI' la main et qu' on les OIiente, Et l'hem'e de véIité sonna durant la nuit du 1" novembre 1954 . Ma génération avait le choix entre mle existence de selv itude et IUle vie digne à laquelle elle ne pouvait accéder qu'à travers le djebel, le maquis, au pétil de sa vie, DaIlS ma région, j'étais accusé d' insoumission à l 'administration coloniale et aux caïds, ce qui m ' encouragea à rallier la lutte année, AupaI'3vaIlt, cette accusation était collée à mon père si bien qu ' il fut smn onuné « El Hadi le subversif » et moimême « le fils du subversif ». Il faut dire que j'étais fier de ce qualificatif qui équivalait pour moi à un vélitable acte de naissaIlce, Six mois à peine après le déclenchement de la lutte atmée, je passai de la « subversion » à la guetTe contre la FraIlce. Cette traIlsition bOlùeversa toute ma vie. Auj ourd' hui, qUaIld me revietment en mémoire mes aImées de lutte, je remercie Dieu d' avoir guidé mes pas CaI', SaIlS Lui, je n' amms pas trouvé le droit chemin, et ll1a vie, sans cette lutte, n'aurait eu aucun sens. La révolution aImée m 'adopta, me redonna espoir et me pemùt de rêver. Elle fit de moi un honune conscient de ses choix et de ses responsabilités et soucieux du devenir de son pays et de son peuple, J'embrassais, qUaIlI à moi, cette révolution avec toutes ses qualités et ses défauts, En fait,

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CHADLI BI NDJE DID - MEM OIRE S

existe-t-il dans l ' histoire de l' humanité une seule révolution qui ait été paIfaite ? Cette question, j e l' adresse aux voix diSSOnaIltes qui, pom des raisons politiques évidentes, ne voient daIlS notre Guene de Libération que les aspects négatifs. A ceux -là, j e cOilSeille de s'intéresser aux eneurs qui ont été conunises au sein des mouvements de libération et autres mouvements sociaux qu' a COiliUS le monde contemporain, jusques et y complis la révolution fraIlçaise. Ils amont tôt fait d' admettTe que toute révolution est synonyme de victoire et d' échec, d' espoir et de déception, et que la réalisation des obj ecti fs pow· laquelle elle est menée, justifie les eneurs qui peuvent entacher son paI·cours. Il en fut ainsi de notre révolution aImée : malgré les graves enems qui ont pu être conunises en son nom, elle n' en a pas moins réalisé le rêve de notre peuple d' accéder à Wle vie respectable et pacifique. J'ai vécu, avec les moudjalndine, les moments de gloire cOimne ceux du doute, lorsque nous nous slUprimes à croire que notre révolution allai t s' éteindre. PowtaJ1t, nous avons résisté et niomphé grâce à la volonté des honliles et à lems saclifices. Plus d' un denn-siècle s' est écolùé depuis la fin de non·e révolution aImée et elle continue d' ên·e au cœm de l ' actualité, que ce soit daIlS le débat politique à l ' intéliem du pays, daJ1s le cadre des relations avec l'ancienne puissance coloniale ou dans celui de l'éct1tme de l ' instoire. Je pense que le temps est venu pOlU· qu ' elle soit libérée de l' insnumentation politique au nom d' lUle légititnité que les générations aculelles regardent d' lm œil méfiaIlI ;

22

PROLOGUE

il faudra confier la mission d'écIiture de notre histoire aux acteurs sincères et aux histOliens. J'ai été l ' un des premiers à appeler à substituer à la légitimité histOlique la légitimité constitutionnelle pour constmire une AlgéIie démocratique. II n 'y a pas de doute que cette approche est difficile il mettre en œuvre en raison de l ' obstination de celtains cercles nostalgiques qui font l'apologie du colonialisme et qui, malheureusement, trouvent un écho ici, en Algélie. J'ai été également le premier il appeler à tourner la page de passé, sans pour autant la déchirer parce que persOlUle - ni la génération de Novembre ni les générations fuhu·es - n' en a le di·oit, car il s'agit de l ' histoire de l 'Algélie. Les Climes colonialistes sont touj ours vivaces dans la mémoire collective et la blessure ne s' est pas cicauisée. Et même si cette blessure se refenne un jour, cette page n ' en restera pas moins gravée dans l ' histoire à jamais. Nous avons, nous moudjallidine, accompli une mission sacrée à laquelle l' Histoire nous a appelés. Il est de nou·e devoir aujourd' hui de céder la place aux nouvelles générations, parce qu' elles sont plus aptes que nous à constmire une Algélie prospère, où régnent paix et justice sociale. Je suis convaincu, du haut de mes quau·e-vingts ans, que le pays ne m ' est redevable de lien et que tout ce que j ' ai accompli n ' a été rendu possible que grâce il la volonté de Dieu. Je fais partie des premiers moudj allidine qui ont assumé, sans discontinuer, les missions et les devoirs que l ' Histoire lem a dictés, depuis que je fus responsable adjoint d' lUl

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C HADLI BENDJEDlD - MEMOIRES

groupe au début de la révolution jusqu 'à mon dépru1 de la présidence de la République en janvier 1992. J'ai toujours considéré que ce que j'ai fait est moins lm honneur qu'lme exigence. Enfin, j'espère que le lecteur ne mrulquera pas de constater que j'ai voulu que cette première pru'tie de mes mémoires soit un simple témoignage ; guère plus. Cette pru1ie couvre la péliode a1lrult de 1929 à 1979 ; elle traite de mes racines, de mon enfrulce, de la plise de conscience, de mon ralliement à la lutte anuée, de mon combat à la Base de l' Est et à l'état-major de l'ALN, et des missions qui m ' ont été confiées, en trul! que responsable militaire, au lendemain du recouvrement de la souveraineté nationale. Cette pru1ie sera suivie d'lm second tome qui abordera des questions imp011rultes et sensibles ayant mru'qué l ' histoire récente de l' Algélie, Puisse Dieu guider mes pas. Chadli Bendjedid Alger, le 14 avIiI 2012 ,

,.

CHAPITRE 1 MES RACINES ET MON ENFANCE 1929-1945

l'ai touj ours répondu, non sans fierté, à ceux qui me questionnent sur mes origines, que « je suis U/1 Ama:igh arabisé par l 'Islam ». Pom moi, cette fonnule d' Ibn Badis représente une vérité à laquelle je crois fermement parce qu' elle définit mon identité et mon appartenance et même ma place en tarll qu'Algérien darlS ce monde. Je suis né le 14 avril 1929 datlS la localité de Sebâa, qui signifie « sepl » et renvoie au noyau du clarl des Ben Djedid composé de sept membres . On l'appelle aussi Yârch (tribu) des Djedaïdia. Selon une autr'e légende - je ne sais si elle est vraie - ce nom est tme défOlmation du mot Sebha qui serait lui-même une altération de Saba ' (au Yémen). La bourgade se tr'ouve à l' extr'ême est du pays, entr'e Armaba et la localité de Bouteldja, eX-Blarldatl. Située non loin de la mer, Sebâa est plarltée au beau milieu d'tme vaste plaine altel1larlt à perte de vue tenes cultivables, végétation sauvage et mar·écages. Au loin, on distingue le massif monta-

25

C HADLI BENDJEDID - MÉMOIRE S

gneux de Bouabad qui servit de refuge aux combattants dmant la lutte année. Les maisons sont disséminées sm une tetTe sablonneuse mais feltile. Vues de loin, elles semblent collées les unes au autres, tandis que cel1aines apparaissent isolées au milieu des fennes et des jardins. Actuellement, Sebâa s' est agrandie et est devenue lme agglomération rattachée administrativement à la wilaya de Tarf, liInitée par la mer Méditenanée au nord, Guelma et Souk-Aluas au sud, AImaba à l' ouest et la fiontière tunisienne à l'est. La région est cOlUme pom ses lacs (Lac des Oiseaux, Oubeira, Tonga et El Malha) qui constituent lme des plus belles réserves nallu·elles au monde, et vers laquelle migrent en hiver les oiseaux venant d' Emope. C 'est dans ce milieu nallu·el fascinant, entre Oued Kebir, Oued BOlmamoussa et la Seybouse, que j'ai passé mon enfance et mon adolescence ainsi qu' une paItie de mes aIUlées de lutte. J'ai grandi, comme tous les enfants à cette époque-là, daIlS lm envirolUlement où les légendes, les mythes et les histoires populaires façolUlaient la vie de tous les j oms. Ce que notre grand-mère nous racontait avait valem de véIité absolue . Ses histoires ont forgé notre imagination, nos sentiments, notre perception du monde et notre relation avec le temps et l'espace. PaI1Ui les légendes concemant ma famille, certaines situent nos Oligines en Péninslùe aI·abique ; au Yémen plus exactement. Mes aIlcêtres se seraient rendus aux Lieux Saints de l' lslaIn pom y accomplir le pèleIinage puis, fUyaIlt la disette, amaient continué lew· chemiIl à travers l'Egypte

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MEs RA CiNE S ET MON ENFANCE (1929- 1945)

vers la Libye. Là, ils se seraient scindés en deux groupes. L'lm s' est fixé à Sebha, à l' ouest, et l' autr'e a poursuivi sa route jusqu' aux hauts plateaux algéliens. Durant son péliple, ce deuxième groupe se divisa également en deux, le premier prolongea son péliple plus à l' ouest, tandis que le second prenait la direction du nord pour s'installer dans ce lieu qui prendra par la suite le toponyme de Sebâa. Les membres de la famille qui se sont dili gés plus à l' ouest se fixèrent à Ksar Chellala et pOltent des noms différents du nom Oliginel ; les autr'es s'installèrent dans le Djebel Amour, à Aïn Sefra et pOlt ent le nom de Bendjedidi. Mon oncle - qui fut kh odja, c' est-à-dire secrétaire à la mailie de Bouhadjar - m' a raconté avoir rencontré cette branche de la famille lorsqu'il fut condaJllilé à mOlt et dépOlté, avec d' autr'es militants, au caJnp de concentr1ltion de Bossuet, près de Sidi Bel-Abbès. Quant aux denùers, les récits indiquent qu'ils se sont rendus au SallaJ1I Occidental où ils se sont fondus daJ1S la poptùation locale. Evidenunent, cette mythologie sur les Oligines renvoie, dans ses lnenus détails, à ce que relataient les récits de la majOlité des faJlùlles algéliemles sur leurs aJlcêtr'es, et ce qu' avait rappOlté l' énùnent lùstOlien AbdenalunaJle Ibn KhaldoWl sur les migl1ltions des tribus aJ'abes, lew's conditions, leurs spécificités et leurs modes de vie. Ce qui dénote, SaJ1S doute, Wle celtaine nostalgie, aJlcrée daJ1S les esplits, d'lUl passé lointain qui leur rappelait leurs gloires, mais qui restait conune incompréhensible et inaccessible.

27

C HADLI BI ND JEDID - Mi MOIRI S

Donc, à en croire ces récits, je serais moi-même descendant d' tme tti bu issue de la péninslÙe arabique, dont Wle partie serait installée à l 'ouest de la Libye et en Tunisie, une autt-e à Ksar Chellala, tme tt-oisième dans le dj ebel Amom , et tme quattième à Seguia Hatma et Oued-Dallab _ Malgré cette dispersion, à tt-avel"S des régions éloignées les Wles des autres, le lien fatuilial serait dememé, d' après ce que nous racontaient nos pat-ents, entre ses di fférentes bratlChes, et ce jusqu' à Wl passé proche. Preuve en est que des membres des deux filiales libyerme et twrisielwe continuaient à rendi-e visite à notre village et à pattager avec nous nos joies et nos peines. Ainsi, à l ' occasion du matiage d' un des fils de mon grand-père Cheikh Mohatned, des membres de la branche de Sebha et d'Ouchetata ont été invités, ont répondu à l ' invitation et sont venus à Sebâa, à dos de chevaux et chameaux. Ils y sont restés sept jom s et sept nuits, à titt-e d' invités d' hOlwem de f 'aarch. Les Djedaïdia de Ouchetata ont plusiems fois tenté de raffemrir lems liens avec Cheikh Mohatned, et sont allés même jusqu' à demander la main d' tme de ses filles Mon grand-père a, au début, accepté, mais il s' est vite rétracté, ayatlt eu pem pom sa fille de la cruauté de l ' exil _ Ils ont intelprété son refus conuue tm matlque d' intérêt de J'aarch des Bendjedid pom eux, suite à quoi, ils rompirent lem relation avec !tri. Pendatlt la révolution, ils ont renoué le lien, strite à la rencontre de mon père, alors en exil en Tunisie, avec lew-s chefs, lesquels se firent le plaisir de !tri proposer lems selv ices.

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MEs RACINE S ET MON ENFANCE ( 1929-1945)

Quant à notre grande famille, elle s' est installée, COimne je l'ai déj à évoqué, à Sebâa, où elle a procréé, acquis de vastes tenes cultivables, et pu conselver sa structlU"e tlibale hennétique, à travers des alliances et des solidruités fruniliales et lIibales , Il n ' existe, bien entendu, pas de docwnents qui attestent ces propos, ils sont fondés SlU" des récits que des générations s' appliquèrent à lI'ansmetu'e de père en fils , Enfrults, nous écoutions, mes cousins et luoi, ces histoires passionnantes sur notre généalogie, conune s'il s'agissait de miracles qui nous rappelaient la geste des Béni !-IiI al , C ' était, pOlU" nous, lUle SOlU"ce de fielté, et nous nous en enorgueillissions bien devrull les aull'es, en claluarlt : « N O IlS sommes des A rabes p ure souche! » Tous ces récits SlU" les oligines et la fili ation peuvent êlI'e vrais, COl1Une ils peuvent êlI'e Wle pw'e fabulation ou tout simplement invraisemblables, Mais cela démontre, à ne point en douter, que les frunilles algélielmes accordent encore de l'impOitance à cette question et que pOlU" l' Algélien les racines sont au cœlU" de la quête de son identité, de sa persOimalité, voire de sa place dans le monde d'auj olU"d' hui , POlU" ma prut, j'ai complis, à l 'âge adulte, que ce qu' on nous racontait SlU" les Oligines étai t lUl mélrulge de réalité et de ficti on, J' ai alors tout de suite 1I1IIlché sm la question : je suis fier de mon runazighité et de mon apprutenru1Ce ru'abe, tout en restant attaché à ma confession muslùmane, Ce lIiptyque consti tue, à mon sens, l'identité algélielme dru" sa lichesse et sa diversité,

29

CHADLI BrNDJEDID - MÊMOIRES

Sm cette histoire de racines, je voudrais raconter lUle anecdote : à notre anivée à Sanaa, en 1980, pow- lUle visite officielle, j ' ai été swpris de voir le peuple yéménite me réserver un accueil des plus enthousiastes, hissant des banderoles sm lesquels était écIit avec Wle très jolie calligraphie arabe : « Bienvenue s ur la terre de vos ancêtres

.1

»

J'en ai été très ému, et cela m' a rappelé ces histoires qu'on me racontait pendant mon enfance, et qui se transmettaient de génération en génération. Le soir même, Aluned-Ali Ghezali, à l' époque ministre de l'Habitat, et qui m' accompagnait dans ce voyage, m' a confié qu'il avait observé Wle similitude troublante entre notre dialecte et celui des Yéménites. Puis, il m'a demandé de l'autOliser à visiter quelques marchés de la ville de Sanaa pom s'en assw-eL Il est revenu le soir, très étOlUlé et stupéfait, pour lue lancer : « Monsieur le Président, ils on/ des traditions qui ressemblent beaucoup aux nô/l'es, et leurs dialectes ressemblent incroyablement à nos dialectes berbères .1 »

Après l'installation des sept fi-ères dans la région, de petites familles sont venues, par successions, de différentes régions du pays, pom s'installer autom d' eux, en quête de protection et de sécurité. Elles lem prêtèrent allégeance en échange de certains services, dont celui de Clùtiver lems terres. Le système social qui régnait était le système traditiOlUlel, tant en matière d' organisation des relations fruniliales qu 'au sein d'lUle même frunille . Aussi, l'organisation de la petite COlmnunauté était-elle soumise à ce qu'on peut appeler el-macheikha, qui supposait la sownission de toute

MEs RACINES ET MON ENfANCE (1929-1945)

la l1ibu à lm cheikh incontestable et incontesté, que l' on consulte en toute chose et en toute circonstance. Le chef de la l1ibu des Bendjedid se chargeait du règlement des différends, sa parole faisant foi dans toutes les affaires. Le denuer chef de la l1ibu fut Cheikh Mohamed, mon grand-père matemel. A sa m01t, la macheikha avait disparu. Les aut01ités coloniales avaient tout fait pom démanteler cette aut01ité afin de lui substituer celle des caïds, un vélitable pouvoi.r parallèle. En fait, faire allégeance en échange" de protection dépassait le cadi-e des relations l1-aditionnelles connues ; c' était en vélité pom la population l' expression du refus de l 'adilulusl1'lltion coloniale, qui avait pillé ses tenes les plus feltiles et démantelé son système l1ibal . Cela explime aussi, d' lme ceJtaine manière, son refus de n-aiter et d'avoir le moindi-e contact direct avec le colonialisme qui incamait, aux yeux des Algéliens, tant du point de vue religieux que moral, « J'impiété ». Les petites fanulles installées autom de nol1-e l1ibu prêtaient allégeance de différentes manières, et selon des lites conventi01Ulels. Cette sujétion se l1-aduisait par l'obéissance, le respect et prufois aussi la crainte. Le chef de la l1ibu Bendjedid représentait, aux yeux des autres, à la foi s les pouvoirs religieux et temporel. Ainsi, à tin-e d' exemple, en était-il des lites d' entenement. Il existait à Sebâa un smil cimetière, situé autour du mausolée de Sidi Kllaled. Celui-ci était une s01te de siège de oaollïa, qui compOltai t lm spacieux dOltoir pom les hôtes de passage et lme

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CHADLI BrNDJEDID - MtMO IRf S

école coranique. Aujomd 'hui, il n' en reste que des ruines. Cela dit, celtains habitants du village continuent, jusqu'à auj omd'hui, à y chercher bénédiction et à éClire sm ses mms des pli ères et des SOlÙlaitS, conmle celtù de voir ses filles matiées, ses gat'çons réussir à lems examens, lems fenunes guélir de lem stélilité ; et même, pat'fois, des ptières pom obtenir lUI logement. Sidi Khaled était lUI saint patron. Tout le monde ne j urait que pat' lui , Nous, les Djedaïdia, entenions nos mOlts à l' est du mausolée, c' est-à-dire à sa di'oite, Nos cousins, de la fatnille Saïfi, entelTaient les lems à notre di'oile, Et il était interdit aux auti'es fatnilles de Sebâa d' entetTer les leurs à la gauche de nos tombes, QUatlt aux fatnilles pauvres, elles itùnunaient lems morts 10itl denière nous, du côté ouest. Ces us sont en vigueur à ce jour. Nous SOlmnes, donc, une fatnille de nobles, datlS le sens que confèrent à ce mot les Algétiens, Notre fatnille était réputée pom son combat contre l'itljustice datlS la région de Sebâa et ses environs. Mon at1ière grand-père, Mabrouk, était SUltOUt comUl pOUl' son refus de payer ttibut aux Ottomatls. En effet, ces denùers imposaient aux poplùations de lomdes ponctions, qu 'ils collectaient pat' la force, et confisquaient les récoltes, pillaient les lichesses et elùevaient le bétail ; ce qlÙ amena mon at1ière grand-père à se révolter et à les combattt'e pendatlt longtemps. On peut bien l' assinùler à ces légendaires gat'diens de l'hOlmem de la ttibu ayatll combattu les différentes fOlmes d' occupation au coms de l'histoire contemporaine de l'Algétie. Lors d'Ulle de ses nombreuses

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batailles, il perdit un bras, ce qlU !tu valut le smnom de « Mabrollk BOlldraa » qlÙ se répandit dans la région, à telle enseigne que les gens dOilllèrent son nom à lem progénitme. A la fin du XIX' siècle, le colOIualisme réussit à étendi-e son autOIité sm l'ensemble des régions situées sm la plaine d'Amlaba, à travers les lois scélérates qu'il avait pronuùguées pom exproprier les paysans de lems tetTes, lesquelles avaient conservé jusque-là lem statut de propriété collective. Il réussit également à démanteler le système nibal . La région a vu l ' arrivée de plusiems vagues de colons et de prédatems qlÙ se sont emparé des meillemes terTes, et ont bénéficié de grandes facilités pom créer leurs fermes, lems usines et leurs ateliers. Ces colons étaient venus de divers pays emopéens, la majOIité étant issue du sud-est de la France. Mais il y avait aussi des Maltais et des jlÙfs. Lem nombre atteindi-a des dizaines de milliers à la prerlÙère moitié du XX' siècle. C'était l 'âge d'or du colonialisme. En parallèle, les autorités coloniales, dans le souci de prévenir d' éventuelles révoltes, s' appliquaient à réserver WI n-aitement particulier à quelques grandes familles et à ceux qu'on appelait les notables, en en faisant lem- relais auprès des indigènes. La famille Bendjedid faisait partie des grandes fanùlles ayant joué ce rôle dmant l ' époque ottomane, plUS dmant l 'occupation française. Je me rappelle que mon cousin matemel était encore caïd, jusqu' au tout début de la guetTe, avant de démissionner sous prétexte de maladie. Quant à mon oncle patemel, Bralum, il fut nonuné

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khodja, c' est-à-dire secrétaire municipal, à Bouhedjar. Après le déclenchement de la révolution, il démissiOlma de son poste, et dans le même temps, son fil s, Khaled, rej oignit le groupe de militants qui activait avec Abdenalunane Bensalem . Khaled fut condamné à mOlt par contmnace, avant d'êti'e an'êté, quelque temps plus tard, et de connaître les affi'es de la torture, Ses bOlUTeaux hù disai ent : « Pourquoi Bensalem et Bendjedid ne viennent-ils pas maintenant pour le tirer de là ? » Ptùs, ml jour, il fut lâché du haut d' tlll hélicoptère et momut sur le coup, que Dieu ait son âme, Mon grand-père Mohamed était slUllOnuné « Beyleck », du fait qu'il possédait de vastes tenains et jouissait d ' mle grande notOliété auprès de la poplùation, A l'instar de tous les paysans traditionnels, il avait plusieurs épouses et tllle libambelle d' enfants. Le mati age COllSatlguin était très répatldu au sein de noh'e grande fatnille, pat'ce que celle-ci refusait de s' allier avec des fatnilles de moindi'e rang, Cheikh Mohatned a épousé lUle femme qlÙ s'appelait Chebla, issue d' tllle fatnille COlUme des Olùed Sidi-Abid, C' était mle fenune de cat'actère, plutôt belle dans sa tenue chaOlùe. Ma mère tirait fielté de son appattenatlce aux Olùed Sidi-Abid. Jusqu' à lUl passé pas h'ès lointain, tllle : erda était orgatùsée chaque atmée à Sidi-Abid, C'était souvent l'occasion de rencontres enh'e chevahers et notables, Des membres de noh'e aarch y prenaient patt, Aiuned, mon grand-père patemel, a épousé, lui aussi, lUle fenune prénonunée Djemaa, issue d' tllle fatnille renonunée des Ziadites, qui habitait à Batlai - actuellement ChÙlatù . On racontait qu' elle

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avait le pouvoir de gué!ir, avec son lait ou un morceau de pain retiré de sa bouche, les persOlUles atteintes de la rage. La famille refusait également de s' allier avec des familles hors de son clan, par souci de préserver sa cohésion. Les choses ont ensuite changé ; les grandes familles cherchaient à s' allier les tmes avec les autres pom trouver protection et sécmité. Enfant, nous nous racontions une anecdote qui était, en même temps, mle devinette . Un jom, mon oncle Brahim acheta ml cadeau et alla rendre visite à sa scem . Sm· son chemin, quelqu' un lui demanda où il allait. Il lui répondit : « Je vais rendre visite à ma sœur, dont l 'époux n 'est autre que mon frère! » L'explication à cela est que, à la mOlt

d'lm honune, son frère reprend sa veuve, pom assmer sa protection et celle de ses enfants. S'il lui anive, par exemple, d' avoir des enfants avec elle, l' oncle pate11lel devient oncle mate11lel et viceversa. Panni les conséquences du 111aliage consanguin, l' app31ition de plusiems maladies, en plus de nombreux conflits et d'imbroglios liés à 1' hé!itage et à la transmission de propliété. Je me rappelle une de ces histoires qu'on se racontait avec autant d'émerveillement que de fie!té sm mon gr31ld-père Moh31ned. Les gens évoquaient avec admiration sa façon de les traiter avec aut31lt de !iguem· que de souplesse. Il était, pom ainsi dire, un honUlle inflexible et jouissait d' tUle autOlité absolue dans la région. Sa décision était indiscutable, et il était très SC11lplÙeUX sm les préceptes isl31niques. Il savait être dm quand il le fallait, et tolérant qU31ld il le fallait.

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On raconte qU'llIl homme se sentant hwnilié par grand-père, décida de se rendre dans IUle forêt avoisinante. Il s'an·êta devant IUl inunense chêne et se mit à se plaindre : « Mohamed Bendjedid m 'a fait ceci.. . Mohamed Bendjedid m 'a fait cela ! » Il déversa toute sa rancœur, mais ne savait pas qU 'llIl honune, ramassant du bois non loin de là, avait tout entendu. Au soir, le bOlùlOllune rapporta à mOIl grand-père tout ce qu 'il avait vu et entendu, après av oir eu sa promesse de ne pas s' en prendre à la persoIUle. Quelques jours plus tard, grand-père fit venir la persoIUle en question et ltù lança : « Alors, comme ça, /11 es parti /e plaindre de moi à l'arbre? » Et l'honune llÙ répondit, interloqué : « Si maintenant même les arbres parlent et alertent Mohamed Bendjedid, je jure de ne plus revenir ici -' » Grandpère en lit beaucoup et le rassura : « N 'aie pas pellr, à partir d 'aujourd'hui, nous sommes amis .1 » Il aimait aussi la chasse et SOitait souvent dans les bois proches en compagnie de ses amis . Pratiquer la chasse et posséder IUl fusil étaient, à l' époque, un signe d'op,ùence. Chasseurs chevronnés, ils s' aventlU"aient parfois jusque tard dans la mùt, bravant le froid de 1' hiver, pour chasser le celf de Barbruie, des fauves et toutes sOites d' animaux. Le lion n 'avait pas encore diSpru"l1 drulS ces régions. Un jOlU", grand-père fut attaqué pru· fme liOille qrù lrù lacéra ses vêtements . Au moment où il tombait SlU" le ventre, la bête le plit pru· les cheveux et lrù ruTacha la peau du crâne. Il serait mort sans l'intelvention de ses runis. Deprùs cet incident, on le smTIonuna « E I-Fer/as » (le chauve).

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J'ai vécu ainsi mon enfance avec Ines cousins, bercé par les légendes sur les anciens, glOlifiant à souhait les épopées et sublimant le passé. Un univers régenté par les valeurs de chevaleIie, d ' héroïsme, d' hOlUleur et de respect des aînés. C ' était notre petit univers, idéal, mais peuplé de mystères et d' énigmes. Je ne conselve de la maison où je suis né que de vagues souvenirs. Nous vivions à deux kilomètres de Sebâa, en pleine campagne. Nous habitions tme grande maison près d'un cours d' eau et de champs clôturés qui selvaient d' enclos pOlU· les chevaux et le bétail . Les membres de la famille passaient le plus clair de leur temps à travailler dans les champs. Nous jouissions du respect des voisins. Les relations de solidruité et d' entraide étaient prédominantes au sein de la lIibu et du voisinage. Le sens de la solidruité s'expIimait particulièrement à l 'occasion des semailles et des moissons, et aussi pendant les épidémies C'était, sans doute, nolI·e appui pour faire face aux épreuves et aléas de la vie. La frunille Bendjedid était un exemple de générosité et de solidruité. Sa notOliété s'étendait jusqu 'à AIUlaba, et même pru·-delà la frontière ttmisielUle. C ' était tme frultille lI·aditiOlUlelle, drulS le sens complet du tenue, inlI·aitable sur les questions d' honneur et de sang, lI·ès conselvalIice, et attachée aux couttuues, aux traditions et à la ltiérarchie sociale. Mon ru·bre généalogique, tel qu' emegislI·é drulS l ' état civil de l ' admiItistration coloniale, est donc conune sui t :

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Du côté du père, je suis Chadli Bendjedid, ben El-Hadi (1897), ben A1uned (1860), ben Mabrouk ( 1800), ben Mohamed ( 1740), ben Mabrouk, dit Boudillâ ( 1660). Du côté de la mère, je suis Chadli Bendjedid, ben Salha, bent Cheikh Mohamed, ben Mabrouk, ben Mohamed, ben Mabrouk_ El-Ha di, le « fautem de troubles» Mon père, El-Hadi, est né le 9 décembre 1897_ Il était agricultem, propriétaire de ten-es clùtivables héritées de son père, et qui lui suffisaient pom vivre dignement. Son souhait était de transmettre à ses enfants l'amour de la tetTe et le désir de la trllvailler avec dévouement. Il était le « chouchou » de la famille, comparé à ses quatr-e sœurs qui ne juraient que par « la tête d 'EI-Hadi ! » Il était, dès sa prime enfance, un dm à cuire et un récalcitrant, mais sans êtr-e pour autant autOlitaire_ Cela lui valut, d' ailleurs, le sobriquet de « mouchmvech » (le fauteur de tr-oubles), pendant ses ruUlées d' activisme drulS le mouvement national et dmant la révolution, à cause notrulUnent de sa pugnacité et de son crullctère entier. Ses runis le smnorlUnaient « Aarna », qu'on peut trllduire pru- : le noble intr-aitable_ Il était 1' muque fils de son père_ Lorsque sa mère priait pom lui, elle hu disait ; «Va, EI-Hadi , Que D ieu le donne beaucoup d 'argenl elle fasse perdre le bon sens _, » A ceux qui lui demandaient COlnment lUl honune peut avoir de l'ru-gent s' il a perdu son bon sens, elle rétorquait : « A quoi servirait d 'avoir de l 'argent s 'il a perdu son bon sens ? }) Cette

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sagesse est restée gravée dans mon esplit, à telle enseigne que je l ' ai touj OlU"S appliquée aux responsables du tiers-monde : « Dieu 'ellr a/ou/ donné, mais les a privés de savoir-faire .1 » Ma mère pOltait également le nom de Bendjedid, et se prénonune Salha. N ée en 1899, elle est de deux ans la cadette de mon père. C ' était tille fenmle nlodeste et généreuse, ne s' occupant que des affaires de la maison, et veillant à notre éducation. C' est elle qui nous a appris les contes poptùaires, toutes les énigmes et les devinettes. Elle était l'exemple de la fenune sobre et docile, très pieuse, croyant au destin. Ma mère a vraiment souffert pOlU" nous élever et nous éduquer. Et quand les gens la questionnaient à notre sujet, elle disait : « Je ' es ai éduqués grâce au bO/1 Dieu ! » J'ai trop longtemps vécu loin d' elle, à cause de mes fréquents déplacements d'une ville à l ' autre et je n' ai pu la revoir, dlU"ant la période de la guene, que b'ès rarement. A mon élection conune président de la République, elle se b'ouvait à Alger, invitée chez sa sœw' mruiée à WI enseignant d' Oligine kabyle. Elle a été la première persOlme que je suis allé voir pOlU" lui demrulder de plier pOlU" moi et de me souhaiter bOlme Chrulce. Elle rendit l' âme le 12 juin 1990, jOlU" de l ' rumonce des réslÙtats des élections municipales. C ' est au moment où je fini ssais d' accomplir mon devoir électoral, que me pruv int la nouvelle de sa mOlto Le soir même, je plis le vol pOlU" AImaba afin d' org ruuser ses ftmérailles. A ce jOlU", je me rappellerai touj ours, à chaque fois que je vais me recueillir SlU" sa tombe, la scène

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de mon déprut de Sebâa, en compagnie de mon père, pom me rendre à AIUlaba afin d'y pomsuivre mes études . Elle n ' a pas anêté de plemer, suppliant mon père de renoncer à sa décision de m' envoyer à Annaba. A l' école de Rahbet Zer'a A six ans, j ' ai rej oint l'école publique primaire pom indigènes, à Bône. C' était en 1935 . J'étais, à l' époque, le premier de la fruuille d' El Hadi Bendjedid à entrer à l'école, mes deux frères, Aluned et Hocine ayant opté pom l' école coranique. L' école s'appelait « RaMet Zer 'a », du fait qu' elle était située en face d'lme grande place où les marchands vendaient lem blé et autres céréales. A l'indépendance, elle fut rebaptisée Ecole de gru-çons Aslah Hocine_ Beaucoup d' élèves qui y ont fait leur classe sont devenus de grands militants du mouvement national et d' illustres moudjaludine pendant la Révolution. J'ai appris les mdiments de la langue française auprès d 'lm brillant et sympathique enseignant du nom de Maloufi . Cet établissement scolaire, réservé aux indigènes, était dirigé par lm Emopéen qui répondait au nom de Ptmeau. J'y ai suivi mes éhrdes de 1935 jusqu'à 1940_ A l'époque, j'étais hébergé chez ma tante au qurutier populaire, cité Auzas, et parcomais chaque jom, à pieds, six kilomètres en aller-retow-. Bône fut, pmu' lTIai, à la foi s lUle aventure, une découverte et un choc_ Une avenhu-e, pru-ce que j'avais quitté mon village et les nuerlS. A cet âge-là, on ne peut que

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ressentir la solitude et le dépaysement, quand on a quitté la tendresse de sa maman et la convivialité des amis. De temps à autre, j'achetais des friandises pom les offrir à un petit garçon qui me rappelait mon frère Hazzam. J'étais l' enfant choyé de la famille. Mon entrée à l'école m ' en a éloigué et j ' avais conune le sentiment d' avoir grandi prématuré1nent. Ce fut lille découvelte, parce que je me trouvais pOlU" la première fois dans une grande ville grouillant d' animation, où vivaient des gens de différentes ethnies et nationalités, et originaires de toutes les régions d' Algétie. Il y avait comme une division du travail, les gens de chaque région du pays étant spécialisés dans une activité conunerciale précise. Je n' avais pas encore découvelt le phénomène colouial, mais je me retrouvais confronté aux complexités d' Wle grande cité, que je n 'anivais pas à saisir. Ce fut enfin lill choc, parce que je me retrouvais au milieu d' ElU"opéens que je ne cOlmaissais pas et ne comprenais pas. Ils parlaient une langue différente de la mienne ; lelU"s croyances étaient différentes des miennes, et lew· mode de vie différent du nôtre. Il y avait panni eux des Français, des Italiens, des juifs et des Maltais. Ils étaient différents de nous, à tous points de vue. Ma seule consolation, à cette époque, était l'affection dont me couvrait ma tante, qui prenait bien soin de moi. Les jow"S les plus helU"eux pom moi étaient les jow"S de vacances, quand je retowuais à Sebâa, pOlU" prutager avec mon père sa passion favOlite : la chasse et le cheval.

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L' exil du père Vers la fin des almées 1930, mon père fut interdit de séjom à Sebâa, et expulsé penda/tt presque six ans à Ba/Tai - actuellement Chiha/u - à cause de ses démêlées récunentes avec l'adnulustration coloniale et les caïds de la région, qui l ' accusaient de {( semer le trouble » et d 'inciter la population à se révolter contre les Français. Son exil fut IUl coup tenible pom la fa/nille Bendjedid, et pom moi pa/ticulièrement. J'étais alors en cinquième. A m on {( exil » à Bône venait s' ajouter celui de mon père qui était le protectem de la fa/nille dans les épreuves difficiles. Toute ma fa/tulle fut contrainte de se déplacer à Ba/Tai, à cause de cet exil, et je dus m oi-même quitter Bône pom rej oindre, en classe de sixième, l'école pIimaire lnixte de Ba/Tai. Je ga/'de à ce jom l' image d ' une élève emopéelUte plus âgée que m oi, qui s'appelait Jea/me. Elle s'asseyait à mes côtés, et ne cessait de m ' embêter en pa/'odiant m on nom, pal' un jeu d' inversion de lettres. Je Iipostais de la même ma/uère en lui lançant : « Jeannot lapin ! », qui était le refrain d 'IUle célèbre chanson que fredOimaient les élèves en classe. Ni la classe qui nous rémussait, ni les cours que nous suivions enseluble, ni même la compréhension de cel1ains instituteurs, n' étaient à même de réduire le fossé qui nous séparait. Mon séj om à Ba/Tai ne dma pas longtemps, puisque mon père m ' a très vite envoyé à Mondovi (actuellement Dréan), chez IUl cousin pom y pomSlùvre mes études m oyelUles. Pom prendre m até-

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Iiellement en charge la famille, mon père dut hypothéquer la maison natale avec ses teues, qui allaient être plus tard confisquées pOlU' défaut de paiement. POlU' reprendre son activité d' agIiclùtelU', il dut louer la fenne Bissete, propriété d' une juive résidant en France. Ses amis d' AML (les Amis du manifeste et des libeltés) l' aidèrent à suppOlter cet exil épouvant. Nous étions trois AlgéIiens au collège de Mondovi FeraOlUl, N aïli et moi . L'école était située à proximité des Chemins de fer, non loin de la stèle commémorative dédiée aux soldats français et aux indigènes mOlts polU' la France, pendant les deux GuelTes mondiales. Les noms des soldats algéIiens étaient gravés aux côtés de ceux des Français SlU' le marbre de la stèle qui, d' après celtains dires, alU'ait été transférée en France à l ' indépendance. Le collège était réservé aux enfants des colons et des fonctiOlUlaires elU'opéens. Nous nous étions inscIits, mes deux camarades algéIiens et moi, avec une autolisation spéciale. On nous faisait asseoir au denuer rang ; cela suffisait palU' nous faire sentir que nous étions des enfants de citoyens du deuxième collège. Nous nous sentions vraiment étouffés par le racisme ambiant. Ainsi, les élèves elU'opéens nous regardaient-ils avec condescendance et méplis. Bien que nous fussions dans la lnêlne classe, je n'ai pas souvenir d'avoir eu des amis panui eux. Nous sentions dans le tréfonds de nous-mêmes ce décalage entre ce que nous avions appli s dans notre envirOlUlement fanulial et les écoles conuuques, et ce que nous

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inculquait l'école française. L' expression : « Nos ancêtres les Gaulo is » et 1'h)'IIUle : « Maréchal, nous voilà J », qu' on nous faisait écouter dans la com, au lever des coulems au premier jom de chaque semaine, éveillaient en nous lUI sentiment ambigu que nous étions incapables de nous expliquer. Noire selùe consolation était notre sens puissant de l'altruisme et noh·e attachement à ce que nos parents avaient ancré dans nos esprits : « Apprene= le savoir des Européens, mais ne les imite= pas .1 » C'est dans cette école que j'ai compIis la signification du mot « indigène », qui nous vexait tant et blessait noh·e amom -propre. Je me rappelle encore, dmant mes études à Mondovi, d'tm incident qlÙ m' a beaucoup marqué. J'avais lm camarade de classe français, menem d'lme bande de trublions, qui tentait d'imposer sa loi et ses caprices à l' ensemble des élèves. Il n ' arrêtait pas de me provoquer, essayant à tout prix de m' enh·aîner à la bagane, en me menaçant de me battt·e si je ne ltù appOltais pas des bonbons. Selùe l'intervention de l'institutem, il qlÙ je me plaignis, put me sauver de cette bande. Je ne SIÙS resté à Mondovi qu'tme armée. Un temps suffi sarlt pom saisir les inégalités socio-éconOlmques entre nos deux univers. Je ne pense pas

qu'il y ait de ville plus polluée par· le racisme et « la haine de l' Arabe » que Mondovi, à cette époque. J'ai su, plus tar·d, que cette ville a enfanté lUl grand écrivain fiançai s, AlbeIt Carnus, qlÙ déclar·a que, s'il lui était dOlmé de choisir « entre sa mère et la justice » en pleine guelTe de libéra-

tion, il choisirait sa mère, c' est-à-dire la Frarlce.

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Mes études furent entrecoupées, et j 'ai dû les abandOImer très tôt, à cause de l'exil de mon père et des contraintes de déplacement de ville en ville, Ainsi, j ' ai passé mon enfance, et lme partie de mon adolescence, entre Sebâa, BlandaIl, Arulaba, BaITai et Mamice, Enfants, nous ne comprenions pas pütu'quoi les bourgades de la vallée d' Almaba portaient des noms étrangers de batailles ou d' officiers, tels que BlaIldaIl, LaIlly, BaITai, Bugeaud, Mondovi ou encore Yousouf. Nous le saurons plus taI'd : cela traduisait l' attachement du colon à la force militaire, à la confiscation des teITes paI' le sabre et le sang, En 1939, les augures de la Seconde GuelTe mondiale se profilaient à l' hOIizon, avant de s' embraser sur tous les fronts , Nous, les enfaIlts, ne pouvions comprendre ce qui se passait autour de nous, Un enfant de notre âge ne peut, en effet, saISIr l' aIllpleur de paI'eils événements qu 'après coup, QUaIld nous inteITogions les adlùtes, ils nous répondaient : «C'est une g uerre entre mécréants l » Nous avons alors complis que c' était lme guelTe qui ne nous concemait pas, Nous entendions les noms de Pétain, Hitler, Mussolini, De Gaulle, Staline" , Tout cela résOImait à nos oreilles conulle des choses tout à fait mystélieuses et incompréhensibles, Nous suivions les nouvelles de la guelTe paI' la Radio, Le speaker, Yütmes Balui, de radio Berlin Intemationale, entaIllait ses émissions paI' une introduction que nous avons applise paI' cœur, et qui paI'aphrasait la sourate « Ez-zalzalah » : « lei, Berlin, Voix des Arabes .- Quand la terre tremblera d 'un violent tremblement, et q1le l 'A llemagne

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fera sortir ses fardeaux, et que les Anglais diront : « Q u 'a-t-elle ? »; ce jour-là, elle con tera son histoire, selon ce qu 'Hi/1er lui révélera l » En novembre 1942, les Alliés débarquent sur les côtes d' Atmaba, dans la foulée de l 'opération Torche. Nous découvrions pour la première foi s les soldats anglais, et en même temps les « bons de ravitaillement ». Les pères de famille s' alignaient dans de longues chaines pour obtenir, une fois par mois, les provisions dont ils avaient besoin, telles que la sem oule, le café, le sucre... Même notre fanulle, qlÙ était relativement aisée, y recourait, conune toutes les fanlilles . La pauvreté s' était répandue, les f31mlles de paysans, poussées P31· la fanune, fuyaient les c31upagnes pour s' installer dans les faubourgs des villes. Les masses de rmséreux risquaient leur vie en brav311t les tirs des soldats 311g1ais, pour tenter désespérément de subtiliser quelques sacs de provision, près de l' aérog31·e d' Almaba . La faim poussa lm Algérien à prendre le risque de s'introdlùre dans le c31up des soldats anglais, et put voler quelque chose qm lm p31ut être un sac de sem oule, av311t de découvrir qu' il contenait lm soldat anglais endonm 1 La situation allait en s' aggravant à cause des mauvaises récoltes. Sous prétexte de souterur l' effOit de guerTe, l' acl.nunistration coloniale avait décidé de confisquer tout le bétail et les réserves de céréales stockées p31· les pays31lS. Durant la même 31ll1ée, les écoles furent tr311sfonnées en c31ups militaires pour héberger les troupes alliées . Face à cette situation, je fus obligé de retoumer à Sebàa, pms de revenir à Bône pour

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reprendre mes études intenompues à Rahbet Zer' a. Pendant ce temps, mon père rentrait d' exil. C'est ainsi que la famille se rémut de nouveau et nous nous sentîmes en paix et en sécmité malgré les affres de la guelTe. A Sebaâ, je pomsuivis mes études en français chez III institutem que mon oncle Tayeb avait fait venir dans sa fenne pom enseigner à ses enfants . Cheikh Saleh A mon retom à Sebâa, je rejOignis l ' école coraluque. Nous nous asseyions à même le sol, comm e c ' était le cas dans toutes les écoles COI1uuques. Nous éCI1vions avec de la résine sm' une tablette en bois, recouveIte d ' argile que nous fabl1quions nous-mêmes, la plmne étant taillée dans des tiges de roseau . Le vacanne emplissait tout l ' espace. Par expéIience, notre institutem', Cheikh Salall, savait qui récitait bien le Coran et qlÙ le faisait moins bien. Il était sévère, mais juste. Parfois, il battait avec sa longue baguette les élèves paresseux et peu assidus, n' épargnant même pas son propre fils, en lelU' assénant quelques « fa /aqate » lancinantes et achamées. Quant à moi, je ne me souviens pas avoir été frappé III jom . J'apprenais ce qlÙ nous était demandé palU' la jomnée, et palU' le lendemain. Avec hù, j'ai réussi à apprendre le Coran jusqu' à la limite de la SOlU'ate « Ya Sin ». J'ai smtout aimé les récits fablùeux des prophètes que Cheikh Saleh nous contait, et pruticulièrement cehù du prophète David (le Salut de Dieu soit SlU' lIÙ). Je n' ai jrunais cessé de méditer le sens de son I1istoire : gratifié de pouvoir, de

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sagesse et de prophétie par Dieu ; rémussant les lichesses de la vie d'ici-bas et celles de l'au-delà. Dmant tous mes mandats à la tête de l'Etat, je me suis efforcé de ne pas oublier la parole de Dieu : « 0 David .1 NOlis avons fait de toi lin calife slIr la terre, juge donc en toute équité parmi les gens, et ne suis pas la passion, s inon elle t'égarera du sentier d'Allah. Car cellx qui s 'égarent dll sentier d 'Allah auront un dur châtiment pour avoir oublié le jOllr dujugemenl dernier. »

Je garde toujoms l'image de Cheikh Saleh. Peut-être est-ce mle image sublimée, largement façOlmée par l'imagination de l' enfant que j ' étais alors. Sans doute est-ce mle image idéalisée par tme incmable nostalgie pom cette péliode de ma vie. Il était si beau avec son bmllous itmnaculé et sa barbe effilée. C'était un hOlmne pieux, qui incamait, à mes yeux, la pmeté, la loyauté et la sagesse. Un jom, il a dit à mon père, en ma présence : « Ton fils allra lin grand destin .1 » Plus tard, il lui reconunanda de m' envoyer à la ZeitOlma pom continuer mes études. Dans les aImées 1950, mon père décida, en effet, de m'y envoyer et il m'acheta tm trousseau pom la circonstaIlce. Mais le destin en a voulu autrement, pom des raisons que j'ignore. Cheikh Saleh était tm adepte de la tariqa hibriya ; il avait épousé tme fenune analphabète de Bisla-a et s' était installé à Sebâa, en se considéraIlt COlmne lUl des nôtres. Il parlait avec lm accent Oliental dù, SaIlS doute, à son long séjom en Olient pom études. On se demandait toujoms COlmnent ce cheikh avait pu develur tm adepte de l'ordre de

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MIs RACI NES ET MON ENFANCE ( 19"..9- 1945)

la hibriya, ici dans la région d' El-Kala, alors que cet ordre était plutôt répandu dans l'ex!:rêmeouest algérien. Cet instituteur nous a imprégnés de l' esplit nationaliste, et semé en nous la foi . A l'indépendance, je l' ai rencontré, mais il n 'a pas pu me reconnaître, parce qu'il avait perdu la vue. A la même période, j 'ai suivi, de façon intennittente, des cours de français auprès d' une instituuice française, fille d'tlll colonel et épouse du caïd Mokhtmi, habitmt! avec lui à la fenne de mon oncle Bralum. Cette Française qui veillait à l'éducation des filles de son mmi à la maison, me proposa de me joindre à elles ; elle voulait créer lm climat d' énuùati on en cl asse. Elle me disait toujours : « Pourquoi es-Ill différent des auh-es ? » Elle ajoutait dans un m-abe approximatif : « A nta rassek khechin .1 » (Toi, tu as la tête dure 1) Elle voulait dire pm--là, bien entendu : « Toi, lit n 'aimes pas les Français! » Elle suggéra à mon père de m' envoyer chez sa sœur en France, POlU- pOlU-suivre mes études, mais il ne voulut lien savoir. Notre première cache d' mmes Après l'école coranique, nous prenions très tôt nou·e dîner, pour sortir nous promener jusqu' aux linUtes du village. Pm-fois, nous preluons le lisque, faisml! fi des aveltissements des pm-ents, de sOitir à l' aube. De temps à auu·e, nous voyions le ciel flmuboyant qu ' illtllninai ent les projecteurs, du fait des combats aéliens qui opposaient les Alliés aux Allemmlds. Plusieurs fois , nous vîmes des avions s'abîmer en mer. Les combats aéliens se déroulaient devant nous, à tel point

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CHADL I BrNDJEDID - MÉMOIRES

que nous avions l ' impression d' être de la prutie. Le hurlement des Stuka venant de TlUusie ou de Libye, et slUvenrult à toute heure, était assourdisSrul!. De temps à autre, la mer jetait sur la plage des épaves d'avions ou de bateaux. Un jour, à l' aube, Nauru·, le fil s de mon oncle Djell oul , découvllt l' épave d' lII1 appru·eil allemand et nous en fit prut. En nous rendant sur place, nous trouvrunes une nutraillette, lUl fusil allemand de type Mauser, un fusi l ntitTailleur fixé à l 'avant de l 'aéroplrule Quand je reconstitue aujourd ' hui ce que nous avons fait à cet âge-là, je reste médusé. Ce n' était pas une avenhu'e, lUaiS lU1 vrai coup de folie, Nous démontâmes la ntitTaillette et le fusil et nous rappOItâmes les rumes à la fenne pour les lublifier à l' aide d' lUle graisse que nous avions plise dans lU1 atelier de forge apprutenant au père de Mabrouk, puis nous les enveloppâmes dans lU1 morceau de liège utilisé conune cellules d'abeilles, et les enforumes drulS lUle fosse sous des cactus. Nous avons tenu le secret de ces rumes, Mabrouk et moi, jusqu ' en 1955 . Qurult au fusil -nutrailleur, que nous n'avions pas réussi à déll1onter, nous le retrouvâmes calciné avec les ronces sous lesquelles nous l ' avions caché. Des nuueurs avaient circulé, à l'époque, selon lesquelles des sous-mruins allemrulds s'approchaient la nuit des côtes de la région, envoyrult des signaux llUmneux, pour tenter de livrer des rumes aux jelII1eS Algéliens, dans le dessein de les inciter à se révolter conh-e les Frrulçais. Etait-ce vrai ? Dieu seul sai!. Ce qlU était sûr , pru- conh·e, c' est

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MI s RACI NES [T MON ENFANCE (1 9".-9 - 1945)

que beaucoup d' Algériens sOlùmitaient la défaite de la France, et se prenaient, par-là, de sympathie pom Hitler, qu'ils SUI1lOlmnaient : « Hadj Hitler ». Ils laissaient entendre que le HUu·er viendrait nous libérer des Français. Exactement cOimne cela s' était passé pendant la Grande guene, où llll élan de sympatlue était né en favem de la Tmquie et de l'Allemagne. Déjà, certains Algériens SUl1lommaient GuillalUne II « Hadj Guillaume » en racontant qu'il se serait converti à l'islam . Ils ne cachaient pas lem sympathie, l'affichant dans les cafés et sm les marchés, en signe de défi envers les Français . A cette période, les autOlités colOluaies avaient décidé de bri ùer les registres de l'état civil, de pem que les Allemands ne mettent la main dessus et s' en servent pom mobiliser les jeunes Algériens . L' attitude de la j etlllesse algérierUle était, à vrai dire, beaucoup plus passiOlUlée, dictée par la logique selon laquelle « " ennemi de mon ennemi est mon ami. » Ils n'avaient pas, bien évidenunent, entendu parler de l' holocauste, ni des crimes de « Hadj Hitler ». Même les partis nationalistes n 'avaient pas, à l' époque, défllU tille position claire sm la question. J'ai eu à vérifier, deux décemues plus tard, cette attitude émotiOlUlelle, à travers mes contacts avec Moharmnedi Saïd, qui avait rej oint l' armée allemartde et atteni en Tmusie, avart! d'être arTêté et condar1ll1é à perpétuité. Lorsqu 'il har1ll1guait ses troupes, il rendait touj oms hOimnage au muphti d' El Qods, El-Hadj El-Husseïny, qu 'il évoquait conllne étart! son arru . DarlS son mode d' orgarusa-

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C HADLI BENDJIDID - MÎMO IRI S

tion militaire, et sa vision de la discipline, il s'identifiait aux officiers nazis. Il rétmissait en lui tm mystélieux mélange d' éducation nazie, avec sa liguem-, sa foi inébrruùable en Dieu et son tempérrullent de montagnru'd kabyle . Il se mit longtemps à chercher, le long des fi'ontières, les Algéliens qui l'auraient « donné » aux Français. En 1944, mon père adhéra, avec celtains notables de la région, à la section locale des AML, lancé pru' Ferhat Abbas et revendiqurult une république indépendante drulS Wl cadre fédéral avec la République fi·ançaise. Mais l'initiative fit long feu. Les événements vont alors s' accélérer pom- aboutir aux massacres du 8 mai 1945, qui ont été le déclic pom- notre conscience et tm towllrull drulS notre position vis-à-vis du colonialisme. Désonnais, l' Algélie empnmtera tme voie différente et doulom-euse vers la luite rumée.

* ** Il est nattu'el que la mémoire d' tm hOl1une retielUle des moments prutictùièrement hem-eux de son enfrulce et son adolescence. La mielUle était-elle hem-euse ? Je ne samais trop dire, mais lorsque je la reconstittle aujom-d' hui, du haut de mes quatre-vingts rulS, je la retrouve sous la fonne d' un ensemble d'images et de souvenirs de l' affection de la mère, de la liguem- du père, de l'ambiance conviviale avec les runis, des scènes de solidruité entre AlgéIiens drulS les épreuves difficiles et, en Inême temps, des scènes de nrisère et de

désolation que le colonialisme a imposées à mes semblables.

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CHAPITREll LA PRISE DE CONSCIENCE 1945-1954

J'avais sei ze ans lorsque les événements du 8 mai 1945 éclatèrent. A Sebâa, ce jOLU'-là était semblable aux autres jom-s, mome, Puis, des informations conunencèrent à nous parvenir, selon lesquelles des manifestations pacifiques avaient lieu ;i A1maba au com-s desquelles fut brandi pom- la première foi s l'emblème national. Les manifestations fm-ent réprimées dans le sang, Quelques jom-s plus tard, des infonnations contradictoires et inquiétantes circulèrent qui provoquèrent une grande colère à travers villes et villages, Les aînés parlaient avec doulem- et réprobation, dans les cafés et sm- les marchés hebdomadaires, de sOlùèvements qui avaient secoué plusieLU'S villes de l' Est, dont Sétif, Khenata et Guelma, à l'occasion de l' annistice. Les Algériens avaient scandé des slogans contre le fascisme et le colonialisme, mais la police coloniale et les colons avaient riposté en tirant sm- les manifestants, sans distinction aUClme. Nous appr1mes, par la suite, que les an'es-

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C HADLI Bl:ND JEDID - MÎMOIRI S

tâti ons, les assassinats et les ratissages durèrent plusieurs jours sous la fenùe du general Du val qui mobilisa Legion etrangère, Tabors marocains et soldats senégalais. Les infOimations precisaient aussi que des villages avaient ete bombardes et qu 'il avait ete fait appel pour cel a à l' aviation et à la ITlaIlne. Je n 'ai pas besoin de decrire la violence du choc que nous avions ressenti, tant les livres d' histoire regorgent d 'eclits relatant cette tragedie. La lIistesse et le des espoir se lisaient sur les visages au lendemain des massacres. Je remarquai cela chez mon père qui m'avait patU complètement bOlùeverse. Il etait devenu taciturne et avait perdu son air debOlUlaire et sa vitalite habituels. J'avais des amis qtÙ avaient perdu des proches durant ces evenements lI·agiques et qtÙ nous avaient fait pati d' expeditions puuitives dont furent victimes d'itUlocents villageois, des catnages qui s' ensuivirent, des atTestations collectives, des simulacres de procès .. . La FratlCe s' est vengee de sa defaite contre l'Allemagne en massacrant 45 000 Algeriens . Mais cette repression sauvage n' a fait qu' emaciner chez les Algeriens l'idee de l'impetieuse necessite de prendre les atmes pOlU" se debat1
La PRIS[ DE CONSCIENC[ (1945-1954)

({ Allah Akbar » avant chacune de nos actions ruTIlées . La foi en le mrutyre et le devoir de libérer le pays allaient de pair, mais sans extrémisme aucun.

Après les événements du 8 mai, les autorités coloniales se mirent à confisquer les récoltes des pauvres frunilles paysruIDes à lm moment où l'agJiculture dépérissait et où les paysruls étaient contraints de s' exiler vers les centres urbains à la recherche d' lUl gagne-pain. Même les propriétaires fonciers ne furent pas épru'gnés ; ma frunille subit le même SOIt et fut spoliée des vastes lopins de teITe qui apprutenaient à mon père et qui fiu'ent laissés à l 'abandon. Les événements du 8 mai 1945 ont constitué un tOlUnant décisif pOUl' les gens de ma génération. Je cOllunençai à comprendre, sous l ' influence de mon père, que rien n' allait être conune avrult en Algérie. Je m ' engageai dans l'action politique après avoir longtemps cru que ce domaine était l 'aprulage des adultes. J'étais le seul - panni les jelmes de mon âge - à être autOli sé à m' asseoir avec nos aînés ; on m' appelait l ' rumn. Les adlùtes, dont mon père, abordaient des sujets d' ordre politique, tels que la dissolution des Amis du mruufeste et de la liberté, les COUl'S mrutiales, l ' empri SOlIDement de Ferhat Abbas, l ' expulsion de Messali Hadj et Baclùr El Ibralumi ... Une armée jOUl' pOUl' jOUl' après les événements, Ferhat Abbas créa l 'Uruon démocratique du Maru feste algérien, UDMA. Le pruti voulut tirer les leçons des massacres de l'ruIDée précédente et choisit la voie du réalisme, appelrult à réfonner le

C HADL I BINDJED ID -I\tttMOIRIS

système et à bâtir llll Etat fOit et juste sous la coupe de la démocratie française . Il gagna à sa cause les propIiétaires teniens, les représentants de la petite bomgeoisie, les fonctioilllaires et les membres des professions libérales des villes de la pl aine d' AImaba. Mon père fut lil des premiers à y adhérer au parti . Il conlIibua avec enthousiasme à la campagne en favem de la paIticipation aux élections de l ' Assemblée législative du 2 j uin 1946. L' UDMA obtint onze sièges sm les lI·eize à pomvoir. Il y avait paImi les élus tm aIni de mon père, Bey LagOtme, gros propliétaire tenien fort connu à AImaba. Plus tard, mon père se présenta aux élections cOmlntmaies sm les listes de Ferhat Abbas, c' est-àdire conlI·e l ' adminislI·ation coloniale. Les candidats ne pment récolter un nombre suffisant de voix ; il Y avait ballotage et, après d' âpres négociations , mon père décida de dOimer les voix de ses électems à un colon, après qu' il lui eut posé lI·ois conditions : le droit des élevems à bénéficier des pâturages de la région, l'ouveltme d'tme route publique à Sebâa et la conslIuction d' tme école. Le colon respecta ses denx premiers engagements, mais il n 'y eut point d' école. Mes prelniers pas en politique Je fis mes prelniers pas dans le monde de la politique grâce à mon père qui fut mon guide. Bien sûr, j ' entendais paI·ler de Messali Hadj , Ferhat Abbas et Cheikh El Ibrallimi, mais je ne saisissais pas encore la signification des conflits qui les opposaient à l ' administration coloniale. Le niveau

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La PRIS[ D[ CONloTI[NC[ ( 1945-1954)

du débat politique me dépassait. Aussi, devais-je lue fonuer luoi-nlêlue . C'est ainsi que je lue retrouvai, moi, le jelme adolescent, investissant le monde de la politique par le truchement des élections , En effet, mon père m ' encomagea à pruticiper, en tru1l qu' obselvatem, au scrutin de 1947 organisé après l ' adoption pru' le pru'lement français du statut de l ' Algélle, que les prutis nationaux rejetèrent en bloc, Je fus choisi pom cette mission pru' lUl institutem fr8.\1çai s qui présidait le bmeau de vote ouvmt aux éleclems de Sebâa à Olùed Oiab, Il me souvient que nous avions runené les électew's depuis lems bomgades et lem avions assmé la now11hu'e et l' hébergement pom les encomager à voter pom les listes du pruti et faire échec aux tentatives de fraude que nous craigruons , Ce fut une première expélience pom moi, qlu me pennit d' apprendre le b,a,-ba du travail prutiS8.\1, et plus pruticulièrement la propag8.\1de politique, l 'orgruusation des rassemblements, les hru'llngues, la disl11bution d' affiches, etc, OrulS le cenl1'e où je fus affecté, le caïd Mokhtrul essaya d' influer sm le coms du vote ; il s' assit ostensiblement sm lme chaise à côté de l ' lU11e et n' eut de cesse de dévisager les électew's pom les impressiOlmer et les pousser à voter pom la liste de l' adininisl1'lltion, Mon père m ' uwita à m ' infonner auprès du responsable du cenl1'e sm le cru'actère légal ou non de la présence de ce caïd en ce lieu, QU8.\1d je lui posai la question, il me répondit pru' la négative, puis il l' expulsa du bm'eau, AVrult de sOltir, le caïd m ' insulta et me menaça de représailles, Joignru1l le geste à la parole, il se plai-

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C HADLI BINDJEDID · MEMOIRES

gnit à la gendannerie qui me fila durant plusieurs jours dans l'intention de m ' ruTêter. Je fus contraint de fuir à Almaba à bord d' une Traction qni apprutenait au député algélien Bey Lagoune. Ce caïd était un ami de la fruuille avrull d' en devenir l' elmemi juré, au point que mon père en pâtit durant de longues rumées . Mon père se relnit au travail de la telTe après tme longue rupture due à son exil forcé et à la Seconde GuelTe mondiale . Ses telTes couvraient la plaine d' Almaba et longeaient Oued Lekbir qni conunence aux frontières hmisielmes et aboutit au grand lac appelé la Makhadha, lequel s' étend de Mamice jusqu' à un endroit nonuné « 45 ». Les eaux montaient en hiver, obligerult les habitants à utiliser des radeaux pour se déplacer entre les rives du mru'ais. Mon père calquait l'orgruu sation du travail et les méthodes d'inigation et de récolte sur celles des colons ; il acquit des maclunes aglicoles modernes pour labourer ses telTes. D'ailleurs, la cru'casse du tracteur qu'il avait acheté dans les rumées 50 gît touj ow'S devrult les rnines de notre maison qui fut détruite durant la révolution. La conCWTence entre lni et les colons de la région battait son plein, mais la bataille était inégale. Un j olU', lm colon lui dit SlU' lm ton iroluque Ge selvais de traductew') : « Si Bendjedid, le c iel est vaste el plein de p oussière. Si tu continues de le regarder, tes ye1lx s 'en rempliront ». Il était clair

qu'il sait quoi blait

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essayait de le dissuader de les inuter cru', pence colon, il n 'atteindrait jrunais lelU' luveau, qu'il fit. De son côté, l'adJuinistration l'accad'impôts et n 'ruTêtait pas de dépêcher des

LA PRJSl: DE CONSCIENCE (1945-1954)

inspectems pom inventOIier ses biens et ses récoltes. Une foi s, les conunis françai s notèrent dans lem mppOIt que mon père élevait des porcs. Quand il se rendit à El Kala pom se plaindi·e en expliquant que les Musulmans ne faisaient pas l' élevage des porcs ni ne mangeaient lem viande, parce que prosclite par la religion, il eut cette réponse cinglante : « Paye tes impôts d 'abord, après on verra ! » Les colons avaient inventé cette histoire de toutes pièces pom le faire plier. Mais mon père ne se laissa pas faire . Il coopérait parfois avec des agricultems emopéens, dont son arni Bemard. Les deux honunes achetaient de jeunes bovins auprès des paysarlS au mar·ché de Malllice (Ben M' hidi actuellement), les élevaient et les nonnissaient conune il se devait à Sebâa - région liche en aliments de bétail -, puis ils les revendaient au prix fOIt sm les marchés de la région. De temps en temps, j ' accompagnais mon père sm mle calèche au marché de Mamice qui se tenait tous les mercredis, et celui de Blarldarlles lundis. A l' époque, il acheta mle jmnent qu' on avait retirée des comses hippiques qui se déroulaient à Almaba. Il en était fier et l' entretenait avec soin. Un jom, des incomms s'introduisirent darlS l' étable la nuit, en sOliirent la bête, la conduisirent jusqu 'à ml endi·oit proche et la criblèrent de balles. La balle suivarlte était vraisemblablement destinée à mon père qui complit cela conune tUl avertissement clai.r : il fallait qu'il cesse de telùr tête aux colons. Génémlement, j'aidais mon père à organiser le travail sm nos teues ; je m'occupais entre autre de

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CHADLI BE NDJEDID - MÊMOIRES

la comptabilité. Nous payions aux paysans des avances que nous défalqtùons de leurs salaires à la fm du mois. Je me souviens que je lem offrais des denrées alimentaires à l'insu de mon père. Je crois que l' affection que j ' éprouve à l' égard des paysans deptùs touj oms est due à cette relation qui me liait à eux lorsqu'ils travaillaient chez mon père. Le travail de la tene, à cette époque-là, était difficile. Les paysans oimaient de l'aube au coucher du soleil. La pluprut d' eno'e eux étaient des saisOtmiers venus des Amès et des régions frontalières, poussés pru' la frurune, le chômage et la misère. La plaine feltile d'Almaba lem' offrait une occasion de gagner tm peu d' ru·gent. Ils s' y installaient a'vec lems frunilles des labours aux récoltes. Sur nos telTes, ollvaillaient des khanunès - les paysrulS qui obtierment le cinqtùème des reventlS de la récolte - ainsi que des jardiniers. Mon père les employait dm'rult les SaiSOtlS de récolte d' ru'achides, de tabac, de blé, d' orge, de légmnes secs et de divers légtmles. Ils prenaient la moitié de la récolte après déduction du prix des semences et des auo'es frais . QUrult aux colOtlS, ils exploitaient ces paysruls de façon éhontée, allant jusqu 'à inventer cette fOt111ule péjorative : « L 'arabe, il faut llli faire slIer le bllrnolls ». II va de soi que cette expression tradtùt, drulS le même temps, un esplit de suffisance et d' ruTogance dont se prévalaient des colOtlS de la pire espèce, à l'image des Zarrut, Laml, Albeltini, Cru'denti, Magran, Beugin et tous les auo·es. Après que ceux-ci eurent imposé lem' mailmùse sur l'admitùso'ati on locale, créant ainsi

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La PRISE DE CONSCIENCE (194 5-1954)

lUl puissant lobby au sein-même des conseils elus, ils accaparèrent les ten'es des ârollch en usant de chantage, de requisition, de menaces, provoquant l' éclatement des familles au sein desquelles étaient semees les graines de la discorde pom pousser celiains de lelU's membres à vendre lem parcelle. Celiains pment ainsi s' approplier de milliers d'hectares, au point que Beugin, lUl colon jtùf, slUveillait ses tetTes en les slUvolant à bord d'lm avion, tellement elles etaient vastes. Outre l' exploitation, celiains colons extorquaient les droits des paysans. C' est ainsi que l'tm d' eux, Bertagna, remlUlerait les paysans avec des jetons qtÙ ressemblaient à de la monnaie pom les forcer à s'approvisiOlUler dans ses propres magasins : il lem versait un salaire d'une main et le recuperait de l'autre. Le travail agIicole dans les telTes de mon père ne m'interessait pas vraiment. J' ai passe mon enfance et une grande pattie de mon adolescence dans les villes d'AlUlaba, Bamù et Mondovi . Avec le temps, j'ai firù pat· me detacher de la catnpagne. J'ai, alors, demande la pennission de mon père pom passer lUl concolU"S d' entrée au centre de formation professiOlUlelle d'Annaba (Oued Kouba actuellement), auquel avait patticipe aussi, quoique

sans

succès, Illon cousin Iuatelnei Mabrouk. C' etait à la fin de l' atUlee 1947. Nous

recevions des coms theOliques et pratiques datlS les domaines du bâtiment et de l' electIicite et divel"S auti'es metiers manuels. DatlS ce centi'e, où j'étais responsable du dOlioir, nous étiOllS astreints à lUl régime d'intemat d'une extrême sévélité, et

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C HADLI BENDJEDID - MtMOIRE S

la fonnation y était d'Illl nivean élevé auquel peu d' Algériens pouvaient aspirer. Là-bas, je côtoyai des stagiaires venus d'autres régions, telles que Guelma et AImaba. Nous collections régwièrement des cotisations au profit du Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD), en dépit de la modicité de la bourse qlÙ nous était allouée. A la fin de chaque mois, un nùlitant du parti dont nous ignorions le nom, prenait contact avec vous pour récupérer l'ar'gent. Les slogans politiques prônés par' les partis nationaux à l'époque étaient obscurs pOlU' nous. La notion d' indépendance nationale était une sOite de rêve flou, runbigu, mais nous en étions fenllelnent convaincus, SlUtOUt que nous ployions sous le poids de l'injustice et de l' ar'bitraire, Nous voyions les étrangers - Maltais, Italiens et jlùfs notarlUnent prospérer dans la plaine d' Armaba, y trouver du travail sans coup férir et jouir des conditions de réussite qlÙ leur étaient offertes par' l'adnùrùstration, alors que les Algériens étaient renvoyés de leur travail pOlU' les motifs les plus futiles. Je fus moi-même victime d'lm licenciement abusif. J' obtins lm diplôme qui ne me servit pas à grarld-chose darlS ma vie pratique. Quand je quittai le centre, lm des enseignants me demanda de ltù proposer IUl nom pour me suppléer à la supervision du dOitoir. Je pOitai mon choix sur MllStapha Seraïdi . Mustapha avait de l'aplomb et de l'intelligence à en revendre. C' était le plus clairvoyant d' entre nous tous. Sa farnille comptait de nombreuses victimes des massacres du 8 mai 1945 et beaucoup de

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martyrs. J'avais un autre anu mtime en la personne île Malunoud. Nous l 'appelions Oueld errOllmia (le 1 ils de la Française) parce que sa marâtre étai t d' oligine françai se. Tous les soirs, après les cours, nous sortions nous promener dans les mes d' Annaba. Parfois, nous nous aventmions jusqu'au cours Bertagna, l' actuelle place de la Révolution qtÙ était, à cette époque-là, lUI espace réselv é exclusivement aux Européens. Nous aimions regarder les films et slùvre les rencontres de football ; nous fréquentions les cinémas et les stades chaque fin de semaine. Malgré la rude compétition qtÙ marquait les derbies mettant aux plis es les clubs de Guelma et Armaba, le football n ' en représentait pas moins lm sym bole d' apprutenance à une pauie et à mIe religion. Chez Tabacoop En 195 1, je reJOIgfÙ s Tabacoop, tUle société créée à Mondovi en 1920 et qlÙ s' était s'implrultée à Almaba deux rumées plus tru'd, C ' était lUle coopérative des productelU's de tabac et des vignerons d' Armaba et de Guelma qfÙ employait une main-d ' œuvre autochtone bon mru'ché, mais aussi des Européens. Cette société a longtemps exercé toutes sOItes de pressions sur les paysaIlS et les petits producteurs pour les runener à céder leurs prodlÙtS à des plix délisoires que les colons fixaient à leur gtùse, en lelU' créant des enU1lves bmeaucl1ltiques pom les étouffer. Mais la situation chrulgea daIlS les rumées 1950 pour diverses raisons, au prelfÙer rang desquelles la plise de conscience qlÙ s'était répruldue dans le nùlieu

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C HADLI BENDJEDID - MtMOIRI S

nu'al grâce au tTavail de sensibilisation des prutis nationalistes, Ceci eut pom- conséquence l ' emploi, pru' les actiormaiJ"es de la société, d' inspectem-s et de morutem-s recrutés prumi les enfants des digrutaires et des grruldes fruuilles commes de la région dont je faisais prutie. Je fus affecté à Ouled Diab où mon travail consistait à veiller au respect, pru' les paysans, des critères de production et de plantation de tabac, à leur prodiguer des conseils et à les noter au prorata de la qualité de la récolte . Avec les autres jeunes inspecteuTs, nous nous réunissions réglùièrement à la cantine des cadres, au siège de la société à Sidi Bralum, non loin de l ' église Saint Augustin, pom- y recevoir les instructions, les orientations et prépru'er des programmes de travail. Les réllluons étaient présidées pru' Illl colonel de l ' rumée française à la retraite. Prumi les rurus qui ont travaillé avec moi dans cette société, figm-e Layaclu Ben AZ7a qui se liera d' rulutié, pru' la suite, avec Aturu'a Bougiez, Illl preux moudjalrid de la Base de l'Est. (Je l 'ai l'encan/ré dans les années 1980. Il était employé che~ Sona/rach, Je 11Ii ai proposé 1/n poste de chef de daii'a mais il déclina poliment mon offre), J'eus souvent l' occasion de remru'quer que certains caïds de la région exerçaient des pressions sm- les paysans afin d' obterur d' eux des pots-devin. En contreprutie, ils devaient vanter lem-s produits auprès de la société. Je suis entré en conflit avec l ' Illl d' eux ; il s ' appelait Ouchène, J'ai transluis tUl rappOlt à l ' aclIuilustration et, quelques jOIll'S plus tru'd, il fi.Jt convoqué par le responsable aclIuirustratif qui le rappela à l'Ol'clI'e,

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LA prise de conscience (1945-1954)

Un jour, il me croisa au marché hebdomadaire de Bouteldja. Il accotu'ut vers moi et me dit : « Hé, Si Bendjedid, 1101lS sommes 101ls les deux des hommes. A partir d 'myourd'hui, 1101lS sommes amis l » Les

gens qui étaient présents ce jotu'-là n 'en revenaient pas : lm caïd qui mène les gens à la cravache présentant ses excuses à un jelme garçon ! Je le rencontrai après l'indépendance dans une rue d' Atmaba. Il fit mine de ne pas m' avoir vu et totuna la tête du côté opposé Quand je l'appelai « Hé, caid ! », il me salua gêné. Il était clair qu'il SOlÙlaitait qu 'on oubliât son passé. Je quittai la société Tabacoop en 1952. Durant les deux années qui j 'y avais passées, j ' avais gagné tule liche expérience pratique à travers les relations avec les paysans dont j ' ai eu à constater les conditions de travail abominables et les souffrances . Mais ce que j ' avais remarqué de plus important chez eux, c' était leur amour de la tene. Je reprutis à Sebâa et consacrai le plus clair de mon temps à ma passion : la chasse. Je SOltaiS aux am"ores - lllêllle en hiver -, Ille rendais dans les

bois et les lacs alentours avec deux chiens et chassais les canards, les lièvres et les perdrix ; pru' contre, je ne chassais jamais le celf de Barbruie. Les chasseurs disaient que cet rulimal, quruld il était blessé, versait des lrumes conune lm être htunain. Je fus étOlmé, lme fois, devrult le comportement bizalTe d'lm troupeau de cerfs . Au début de la Révolution, nous fûmes, Atssani et moi, ainsi que trente autres moudj ahidine, encerclés après lme vaste opération de ratissage menée pru' 1' ru'mée française, appuyée pru' l'aviation et l'infante-

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C HADLI BrNDJ[DI D - MÉMOIRES

rie. Nous fùmes contraints à la retraite dans lme forêt avoisinante . Nous nous réfugiâmes dans lm bassin profond - on eùt dit lme excavation causée par un astéroïde. L' elUlemi amait pu nous y enterrer vivants s'i! nous avait reperés . Or un troupeau de ceJfs broutait calmement près de nous, alors que cet animal faJ"Ouche est COlUlU pom prendre la fuite à la vue de l'honune. Les jours s'egrenaient, monotones. Je passais mon temps entre la chasse et mes devoirs familiaux. Jusqu' au déclenchement de la révolution. Luem d' espoir Le 1" novembre, la guen-e éclata. C' etait Wle consequence logique de l'indifférence de la France vis-à-vis des revendications legitimes du peuple algélien, de l'étouffement des libeltés et de la répression barbare qui s'abattait sm les citoyens innocents. Nous fmnes plis de COlut. Nous ne nous attendions point à cet événelnent et nous n'en cOfmai ssions ni les chefs ni les objectifs. Même le conflit qui opposait les messalistes aux centralistes et qui s' était aggravé dmant l'éte 1954, nous n'en comprenions pas vraiment les motifs, la gravité et les effets sm l' avenir du pays. Pom· moi, en tous cas, ce ftlt IUle luem d' espoir. Je sentais qu' un événement impOltant voi.re Clucial venait de se prodlùre cette nuit-là. J'en étais d' autant plus convaincu que mon père avait l' oreille constamment collée à la radio, à l'affüt de la moindre nouvelle. Et, à chaque fois qu'i! en entendait une mauvaise, il cliait pom qu' on éloignât le poste avant qu 'il ne le brisât en nùlle morceaux.

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prise de conscience (1945-1954)

A AIU1aba et ses environs, il n' y eut pas d' opéralions ce j om--Ià, malgré la présence de moudjaltidine au maqltis. Il fallut attendre fin 1954 début 1955, pom- voir les prentiers groupes de militants passer à l'action année. Un petit groupe s'était constitué dans notre région, qui conunença à activer sous le conunandement de ChOlticlti Aïssani, qui recevait les ordres directement d' Amara Laslai, dit Bougiez. Ce groupe venait de temps à autre à Sebâa pom- mobiliser les jetmes, sensibiliser les habitants sm- les desseins de la révolution et collecter des infonnations sm- les mouvements de l'elU1emi et de ses agents . Les prentiers moudj altidine avaient accordé tme imp0l1ance ptimordiale à la sensibilisation politique et au travail de mobilisation pom- conlt'er la propagande coloniale qni parlait de « complot étranger appuyé par Le Caire et les pays socialistes », qualifiant les moudjaltidine de « hors-la-loi ». Mon père et moi étions en contact avec ce groupe. Amara Bougiez avait dOlU1é insltuction à Aïssani de prendre attache avec mon père et moi pour prendre notre avis sm- tout. Paradoxalement, les pires ermentis de mon père, qui lui avaient causé tant de problèmes avec l ' adrniltisltlltion française, avaient tourné casaque après le déclenchement de la révolution au point de solliciter sa protection ; ils se réfugièrent chez nous quelque temps, jusqu ' au j om- où il les plia de s' en aller. J'entrai en contact avec le groupe et en infonnai les chefs des annes que nous avions cachées en 1942 . Quelques jom-s plus tard, ils m ' envoyèrent tme personne - dont j'ai perdu le nom -, à qui je

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remis deux rumes, dont la mitraillette Mauser. Je l' accompagnai, à la nuit tombée, jusqu' à un lieu sûr. J'appris par la suite que la première pièce avait été récupérée pru' un de mes rurus et que la mitraillette avait été confiée à l'adjoint d' Aïssruu . Je dememai à Sebâa sm instruction de ce delruer, guettant les mouvements de l' eJUlenu et collectrull les renseignements. Ptùs, il ruliva ce à quoi je ne m ' attendais pas : un jeune frufelu tenta de cOl1unettre ml assassinat. Ce n 'était, en fait, qU'lm vlùgaire règlement de comptes entre deux individus. Ce geme d'actes isolés était mOIUlaie comante au début de la révolution, en raison de la mauvaise orgmusation et de l'absence de clruté quant à ses objectifs. Celtains profitaient de cette situation pom régler lems comptes avec lems adversaires et imputaient lems actes aux moudjaludine. Ce n 'était pas lm hasru'd si je fus nus dans le collimatem, puisque mon père et moi - je le rappelle - étions qualifiés de fautems de troubles. La gendrumelie et les caïds nous slUveillaient sans cesse et notre donucile fut perquisitionné à plusiems replises. Même mes oncles patemels et matemels n ' aimaient pas que leurs enfrulls me fréquentent. Je reçus mIe convocation du hiblUlal de Mamice. Je ne sais pas pom'quoi la persOIUle qlÙ avait déposé plainte conh'e moi m' accusait d' avoir tenté de la hIer. Il est fOIt à pmer qu' elle y avait été poussée pru' la gendrumelie ou lm caïd. A la bruTe, le juge écouta le plaignant d' abord, puis, en sOItant du hibmlal, ce denuer me pli! pru' la main. Je complis qu'il s'était réh-acté et avait retiré sa

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LA prise de conscience (1945- 1954)

plainte. Malgré cela, je fus écouté par le juge d' instruction qui n' en démordait pas, me posant des questions à n' en plus finir ; il voulait tout savoir sm- nloi : Illon travail, Ina famille, Illon père, mes occupations, mes amis.. . Suite à quoi, il me remit en libelté provisoire. C ' était la première fois que j'affrontais un juge. Je recOlmais que j'étais pris de peur et de doute. Quelques jours plus tard, je reçus une seconde convocation . Mais de la gendannelie, cette fois. Je compris que la situation était grave. Alors, je pris attache avec le groupe et infonnai Aïssani . Ce dernier s ' apprêtait, sur ordre de Bougiez, à quitter la région. Il essaya de me convaincre de rester et de le remplacer à son poste. Je lui dis : « Ce lui qui est convoqué à la gendarmerie n 'en ressort jamais [vivant] ». Devant mon insistance, il filÙt par accepter de m ' intégrer au groupe. Cela s' est passé fin févlier, début mars 1955 . Nous nous dirigeâmes, par tille nuit pluvieuse, vers Sidi Trad. La neige couvrait encore les cimes des montagnes. J'avais 26 ans. Avant de rallier le maqlùs, j'avais demandé conseil auprès de mon père qui m ' y encouragea en me tenant ces propos : « Dans six mois, tout sera fini l » l'avais aussi conslùté Illon précepteur, cheikh Salall, qui bélùt ma démaTche et Ille dit : «Tuas pris la bonne décision l »

*** Je n' ai donc jamais fait p31tie de 1' 31mée fr31lçaise et n' ai même pas accompli le selvice militaire dans ses r31lgs, conune je n' ai j31nais p31ticipé à la guelTe contre le peuple vie1:n311Ùen en

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Indochine, ainsi que cela a été colpmté à mon sujet, pour des motifs politiques fallacieux visant à pmter atteinte à ma réputation et faire croire que j ' ai rallié la révolution sur le tard. J'ai tenu à expliquer cela d' une façon claire et nette pow' éviter toute fausse interprétation : j e ne considère pas le fait d' avoir appaItenu à un moment dmmé à l ' année française comme Wle honte ou lm déshmmeur. J'ai touj ours fait la distinction entre ceux qlÙ, pour Wle raison ou Wle autre, ont été obligés de servir sous le di'apeau françai s, et ceux COlmnunément COllllllS sous le nom de « déserteurs de l'armée française » qui ont rej oint le maquis très tard et qui furent source de beaucoup de désaccords pendant et après la révolution. Je compte, panni ceux qlÙ ont fait pattie de l ' at,mée fi'ançaise, llll gratld nombre d' atnis qlÙ ont servi cette atm ée aVatlt de retolllller leurs atmes contre elle, dès qu' ils eurent pris conscience que l'heure de vélité avait sOllllé ; celL'(-là se sont battus avec bravoure contre ceux qlÙ furent leurs chefs datlS les casellles fratlçai ses. Nous appelions ces soldats et sous-officiers à nous rej oindi·e, deplùs le début de la lutte atmée. Il y eut, en effet, plusieurs déseltions qui défrayèrent la clu'onique, telles celle de Salem Giuliano et Kat1l Abdelkader, ainsi que l'opération de la casellle d' El Btiha, quattier général de la troi sième compagnie de tirailleurs algériens, exécutée pat' Abdenaillnatle Bensalem, Mohatned Tallat' Aouacluia, Ali Boukhdir, Youcef Lau'èche et d' auu·es encore, en mat:; 1956. Ces denuers s ' empat·èrent de grandes quatltités d' mnes dont la révolution avait gratld

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LA prise de conscience (1945-1954)

besoin. Après leur désertion, ils affi·ontèrent le colonel Bigeard et ses troupes dans une bataille héroïque. Dès qu' ils eurent intégré nos rangs, ils nous appOltèrent une aide précieuse, grâce à leur expérience acquise dans l 'année fi1lIlçaise, à fOlmer les premiers groupes de mOlldjahdine et devinrent, par la suite, de grands chefs à la Base de l'Est. Certains sont tombés au champ d' hOlUleur. Il est clair que les fausses infOlmations qui ont été répandues sur ma prétendue appartenance à l'armée fi-arlçaise, sont le fait de certains politiciens, à la tête desquels A1uned Ben Bella, polU" des raisons co!Umes qu' il n' est pas utile de rappeler ici . Moharned Har-bi confirme cela lorsqu' il dit : « Q ue p Ollvais j e f aire, moi qui ai toujours été méfiant, p rudent et craignont ln manipulation ?J 'ai dit que Ben Bella était le chef de l 'armée et qu 'il devait conna Ître la vérité ». Cette fausse infonnation a dù être reprise, involontairement, par des histOliens co!Ums pOlU" être pointilleux Slu" la vérifi cation des fai ts et loin de toute calOlmue - à l ' exemple de Benjarnin Stora et Gilbert Meyruer et dont les écrits ont été pris pOlu" une vérité absolue. Moharned Har-bi écrit darls ses mémoires Une vie debout, par-Jarlt des désertelU"s de l ' armée frarlçaise : « que moi et Abderrahmane B ensalem avions déserté l 'armée f rançaise p our rejo indre le maquis en 1956 ». L'erTeur de Moharned Har-bi est qu' il s' est référé au livre de Gilbert Meyruer, conune il l'avoue lui-même, ce dernier ayarlt vraisemblablement puisé l' infOlm ation darls les archives du Service lustOlique de l 'Année de teITe (SHA T) ;

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plus exactement, des archives du Service des liaisons nord-africaines du colonel Shoen. Les doculuents en question indiquent, faussement, que « Chadli Bendjedid a rallié les rangs de VArmée de Libération nationale venant de l 'armée française ». Harbi ajoute qu 'il n' a pas eu acces à ces arclùves lui-Iuêlne. La même eneur a été comnùse par GilbeIt Meynier, dans son livre Histoire intérieure du FLN, en éctivant, à la page 282 : « Furent créés des zones opératiollilelles - Nord et Sud - que BOlunedieillle confia à des chefs de maquis COimne Abdelghani Mohammed Ben Ahmed, Mohanuned Allag ou Malunoud Guermaz, dont certains étaient aussi d' anciens officiers de l' année fi'ançai se, conune Abdenalunane Bensalem et Chadli Bendjedid » [Gilbert Meynier, Histoire intérieure du FLN, 19541962, Casball-Editions, Alger, 2003 , p. 282] La même eneur est reptise à la page 320 : « Les désertions de soldats algériens se nuùtiplient dans l'armée française . Certains dOilllent des cadres à l'ALN, COimne le maréchal des logis Ali Youcefi, dit Moustache, ou le sergent Chadli Bendjedid » [Benjanùn Stora, Algérie, histoire contemporaine, 1830-1988, Casball-Editions, Alger, 2004, p.323.]. Dans son livre Algérie, histoire con temporaine 18301988, Benjamin Stora, qui a dû lni aussi se référer à la même source, reprend la même information erTonée : « Chadli Bendjedid, né à Bouteldja, près d'Annaba. SOlls-officier de l 'armée française. Rejoint l 'ALN en 1955 )J . Cette falsification de la vérité n' a

malheureusement pas épargné mon pere, certains lùstOiiens ayant éClit qu'il fut employé de l'adnù-

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La prise de conscience (1945-1954)

nistration française. Mon père n' a jamais été ni caïd ni rénuméré par l'autOlité coloniale. C 'était un militant connu dans la région. Il adhéra, au début, au pruti de Ferhat Abbas puis il rej oignit le Mouvement pOlll· le triomphe des libeltés démocratiques (MTLD). Lorsque j ' étais président de la République, j 'avais demruldé à lm de mes collaboratelll"s de faire en sOite que cette enelll" fùt cOlligée, mais il ne l'a pas fait. Aujolll"d' hui, je crois nécessaire de délnentir cette contrevérité dans ces méul0ires, pOlll" appOiter lllle conection à l'écritlll"e de l'histoire de la révolution et réhabiliter les persormes qui ont été victimes du mensonge et de la fal sification. J'espère sincèrement que ces histOiiens apporteront, à lelll· tOlU" conune ils l' ont promis, les rectifications nécessaires.

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CHAPITREill ,

LES ANNEES DE BRAISE 1954-1956

L' aJUlée 1955 fut cruciale pour moi. Durant le premier trimestre, j ' étais passé de l' obselvation du phénomène colonial et ses injustices à la prise d'aImes. Le choix ne fut pas facile ; il s' effectua daIlS le stress, l'hésitation et la confusion. Le soulèvement aImé nous a, en effet, surplis en ce sens que nous ne saviOilS lien des prépaI'atifs qui l'ont précédé, tout conuue nous ne cOimaissions pas ses desseins à long tenue et ignOiions tout de ceux qui en détenaient les rênes, même si les gens évoquaient le djihad sans définir toutefois les moyens de le mener et les visées qui lui étaient assignées. Aujourd' luù, à chaque fois que je repense à mes aImées de lutte, beaucoup d'images défilent sous mes yeux, dont celle d'lm honuue llmatique, sOlU-d et muet, nonuué Remalù . A Sebâa, nous le sumonunions « D en vich ». A chaque fois qu'il me croisait, il m' aITêtait au beau milieu de la chaussée, me montrait les montagnes au loin, d'lUle main, en imitant le crépitement des balles

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C HADLI BENDJEDID - MÉMOIRES

et le vrombissement des avions, et posait l 'autre SlU' mon épatùe, conune s 'il VOtùait me dire qu' il était temps pOlU' moi de monter au maquis et que j'allais porter un grade. Cela s'est passé tme année avant le déclenchement de la Révolution. « F01l ne croit q1l 'il n 'a il appris », dit le proverbe. Quand les habitants de Sebâa se rendirent compte de mon absence, ils comprirent et gardèrent le secret. Mais ils étaient convaincus que je n 'allais pas tenir plus de quelques mois, car ils croyaient que les enfants des grandes familles ne pouvaient suppOlter les ligueurs de la vie dans le maquis. Au lieu des quelques mois, mon absence dlU'a sept longues atUlées. Je rej oignis la Révolution après que l ' atme que nous avions cachée depuis douze atlS, datlS la fenne de mon oncle matemel m' y eut précédé. Le jOW" où j' intégrai le groupe qui activait datlS la région, Chouichi AiSSatU, son prenuer responsable, ordorma que me [ftt restituée mon atme et me nomma adjoint-chef de groupe. Une semaine plus tard, le chef, Wl atlcien nu litant comlU sous le sobliquet de Tekhla fronça (il répétait souvent cette pluase qui veut dire « qlle la France aille 011 diable »), se blessa glièvement aux yeux en hemtatlt Wle branche d'at"bre de plein fouet, alors que nous nous déplacions pat· tme nuit noire. En raison de son âge avatlcé, il exhOlta AiSSatll de le déchat"ger de sa responsabilité. Ce demier acquiesça et me désigna à sa place. Notre effectif fut scindé en groupes, le premier conunandé pat· AiSSatll lui-même et le second placé sous mon conunatldement. Nous coordomuons le travail Aïssatu et moi-même et meluons pat-fois des

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U s ANNÉ I S DE BRAISE ( 1954- 1956)

actions cOlnbinees. Les liaisons avec les autres groupes étaient inexistantes. Au début, nous nous contentâmes d' expliquer les objectifs de la Révolution aux habitants des campagnes, en dépit de notre manque d' expéIience dans l 'organisation révolutionnaire et en matière de sensibilisation et de mobilisation. Notre action consistai t à les convaincre que nos moudj ahidine œuvraient à libérer le pays du j oug colonial et à leur expliquer que nous n ' étions pas des bandits, COlmne la France V01Ùait le faire croire. Dès les premiers j ours de l' action rumée, le problème de l ' rumement se posa avec acuité. En plus de l ' absence d' entraînement, les premiers combattrults mrulquaient d' annes suffisrumnent perfectiOlUlées pour affi'onter la machine de guelTe coloniale. De plus, la pluprut d' entre eux n ' en maîtIisaient pas le m ruuement. Nous étions rumés de fusils de chasse et de pistolets datant de la Seconde Guen-e mondiale. Pour résoudre ce problème, les responsables mirent au point lm plrul visant à récupérer des rumes auprès des citoyens et à encourager les soldats algéliens mobilisés dans les rangs de l ' rumée frrulçaise à déselter avec rumes et bagages. Il était difficile de convaincre les nu'aux de se dessaisir de leurs fusils de chasse, bien qu' adhérant à la cause. C ' est que l'rume étai t pour eux à la fois un moyen de défense et un signe d'hOlUleur et de vüilité. Quruld nous ne réussissions pas à les convaincre de nous remettre leurs rum es, nous les leur prenions de force. Ce qui aggrava la situation, ce fut la décision des autOlités frrulçaises de réquisitiormer les

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C HADLI BrNDJEDID - MÊMOIRE S

atmes qui étaient en la possession des citoyens . Quatll au problème du ravitaillement, il ne se posait pas avec autatlt de difficlÙté, taIlt les villageois nous now1issaient et nous offraient le gîte ; ils étaient d' autatll plus rassmés qu' ils nous cOIUlaissaient, du fait que nous étions de la région . Nous ne restions jatnais plus de trois j OlU·S datlS lUl même lieu pom ne pas être repérés et ne pas faire cowir aux habitaIlts le Iisque des représailles. Face à la supérioIité de l ' etmemi en nombre et en atmement, nous avons opté pom la méthode de la guéIilla. Nous swprenions l ' etmemi et déstabili si ons ses forces pow· saper le moral de ses soldats. La tactique adoptée pat· Bougiez consistait à former de petits groupes rapides, afin d' éviter au maximum la confi·ontation directe avec l' elmemi . Nous concentJi0ns nos actions pIincipaiement SlU" l' élément swpIise et les attaques éclair suivies d ' lUl repli rapide. La plupati du temps, nous ciblions les convois d' approvisionnement militaires, dont lUl près de Sebâa, et sabotions les fil s téléphoniques. Nous tendions des embuscades entre Blatldatl, Tatf, ZitoWla et Aïn Kenna, notatnment à Khengnet Aïj Olul, entre BlatldaIl et Tatf, CaUSatlt à l ' etmemi des pelies hwnaines si importatltes que l ' atmée était obligée de déplacer des citemes d' eau pom effacer les tJ·aces de Satlg. Les colons ne se déplaçaient plus que sous l ' escOlie des blindés et à des dates bien détenninées. N ous avions donc réussi, ne serait-ce que SlU" le plaIl psychologique, à faire sentir à l' elmelni qu ' il n' était plus le maîtJ·e de la situation.

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Les almées de braise (1954~ 1956)

Conunent la tombe de mon grand-père sauva la vie de mon père Mon père aussi liJt panni les premiers à rallier le combat en dépit de son âge avancé - il avait 50 ans. Il pruticipa aux premiers balbutiements politiques au sein des groupes qui activaient à El Kala, BruTai, Blruldan, Mondovi, Mawice et Sebâa, sous la conduite d' honunes qui, pru- la suite, feront les hemes de gloire de la lutte rumée druls la wilaya de Souk-Aluas et à la Base de l ' Est, tels que Mohruned El Hadi Arru-, BechaÏlia Alaoua, AlnruBenzouda, Alnara Bougiez, Hadj Khemru-, Ressaa Mazouz, Aïssruu Chouichi et El Ati Bouteldja qui fut le premier à tomber au chrunp d' hOlmem à Blruldan, le village qui pOlte son nom deplùs l'indépendance. D' autres groupes activaient druls les sectems de Ouenza, Beui Salall, El Maclu-ouha et Nbaïl, mais ils étaient isolés les lUlS des autres en raison de l ' absence de coordination et d' Wl commandement lmifié. Au premier semestre de l'ruUlée 1955, l'rumée française lança de vastes opérations de ratissage dans la plaine d' Almaba, drulS le but d' étouffer la Révolution drulS l ' œuf, en démantelant les groupes annés et empêchant l' adhésion du peuple à la cause. Dmrult ces opératiOllS d' envergme, les Français utilisaient tous les types d' annements, y compIis l' aviation et l'infantelie. Mon père faillit laisser sa vie dans ll1le de ces opérations, mais il eut IUle idée incroyable pom se tirer d' affaire. Il était recherché et l 'année française le traquait drulS tous les COiIlS et recoins de la région. Dénoncé, il se retrouva encerclé en compaglue de deux autres soldats de l ' ALN à

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qui il enj oignit de s' enfuir Quant à lui, il se réfugia au cimetière de Sebâa. Il ouvlit la tombe de mon grand-père, ramassa ses ossements dan s lm mouchoir, en fit ml coussin, s ' allongea au cœm de la séplùtme et se couvlit à l ' aide des pienes tombales. Il demema dans cette fosse qui était si proche du cOlmnandement des opérations qu' il put écouter jusqu' aux échanges enb'e les soldats et entendre le bmit des canons et des avions qui effectuèrent des raids jusque tard dartS la nuit Il ne ressortit de son refuge qu' après le reb'ait de l ' année française. C' est lme histoire à peine croyable ! Ainsi la tombe de mon grand-père sauva la vie de mon père. Un j om , il fut pmu'suivi par des gomniers à cheval et il réussit à s ' échapper in exb'elnis. Il renconb'a sm son chemin, alors qu' il fonçait à vive aIlme sm sa monhlre, des paysans en b-ain de batb'e de l ' orge. Il attela son cheval aux lems et comut se cacher dans l ' amas d'orge, Quand les gmnniers anivèrent sm place, ils demandèrent aux paysans s'ils ne l' avaient pas vu et ceux-ci répondirent que non. Quand les gomniers rebroussèrent chemin, le fugitif sortit de sa cachette le corps dégolùinant de suem. Mon père nùlita dans la région longtemps. Vers la fin de l' année 1956, il fnt désigné cmmnissaire politique à Sebâa et OlÙed Diab, Deux ans plus tard, voyant que son âge ne lui peJmettait plus de poursuivre sa nùssion, je demandai à lm groupe de moudjalùdine, sous le cmmnandement de mon adjoint militaire, Haddad Abdermom', de lui faire b-averser la frontière vers la Tlullsie où il demem-a avec les réfugiés algéliens jusqu ' à l'indépendance. Il fut rappelé à Dieu en 1976.

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LES ANNÉES DE BRAISE (1954-1956)

L' rumée 1955 fut aussi une étape d' une extrême impOItrulce datls le pru'coms de la Révolution, Le gouvemement de Mendès Fratlce nonuna Jacques Soustelle gouvemem général de l ' Algélie avec mission spéciale : rétablir la paix et atlérultir les insmgés, conune nous qualifiait la propagrulde coloniale. De son côté, le ministre de l ' Jntéliem, François MitteITatld, réussit à obtenir du gouvernement de gratlds renfOIts militaires, Il ne cessa pas de c1runer haut et fOIt au pru'lement ou drulS les média, que « l 'Algérie, c 'eslla France », Sm le platl militaire, l'rumée fi-ançaise lrulça de vastes opémtions de mtissage, notrumnent datls les Amès. Sm les fi'ontières est, où nous activions, elle mobilisa, dumnt les six premiers mois de la même rumée, des forces gigrultesques composées de trois régiments de pru'achutistes, lUl bataillon de tiraillems algéliens et lille compagnie de la Légion étrrulgère aéropOItée, outre des goumiers, DUl-ant la même rumée, la Révolution vécut des événements tragiques Didouche Mom ad tomba au chrunp d' hOImem en jruwier, Mostefa Ben BOlÙaïd fut ruTêté le mois Sui Vrult, puis tomba lui aussi en mrutyr quelque temps après son évasion de la plison centrale de Constantine. Suite à cela, les Am ès entrèrent datls Ulle ère de conflits sectaires et de règlements de comptes fmuicides qui ement un impact négatif non seulement sm la Wilaya J, mais également sm les régions d' El Kala et de SoukAlu'as qui COIma1U'ont à lem tom tme péliode de chaos et de suspicion, au point que les djounoud fuyaient, l ' rume à la main, vers lems régions respectives. Dès lors, nous ne confiions les rumes

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CHADLI BINDJEDID - MtMOIRES

automatiques qu'aux soldats en qui nous avions pleinement confiance. J'étais, à cette époque, responsable dans la région d' Aïn El Kenna. Lorsque mes honunes - ils étaient Oliginaires de Sebâa et Olùed Diab pour la plnpmt - remm'quèrent ce phénomène, ils me demandèrent la pemussion de rejoindre eux aussi notre région. J'opposai lUI refus catégOlique, mon souci étant de maintelur la discipline et l'ordre. Les notables de la région Plirent attache avec moi pour me proposer l ' aide finmlcière et matèJielle nécessaire si j 'acceptais de rentrer au bercail avec mes honunes. Ce compOltement préludait à III {( sectarisme » (régionalisme) Imvé qui allait avoir des conséquences néfastes sur la Révolution. Bougiez reprend les choses en main Devant cette situation délicate, AInm-a LaskIi, dit Bougiez, se révéla hOllune politique compétent, orgmusateur doué et chef militaire blillmlt. Je pm'lerai de lui tel que je l'ai connu et côtoyé à l ' occasion de nombreux événements cruciaux. Je reviendrai aussi sur son témoignage concemant celtains faits que je n' avais pas vécus personnellement mais dont j'avais ressenti les effets sur le tenain. Amm-a LaskIi est né à Merdès, près de Ben M' hidi . Son père Tallm' travaillait la boue et la glaise dmls lUI cours d' eau, d' où son sum om {( BOllgie= » (contmction des mots {( bOlle » et {( g laise »). Il fit ses classes élémentaires à Bouteldja, puis il partit à AIUlaba pour y poursuivre ses études moyermes et secondaires. Il s ' emôla dmlS l ' mmée ffaIlçaise et fut affecté sur le cuiI-assé

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L t 5 aIUH~t5 dt brailt (1954-1956)

Richelieu. Ses nombreux voyages lui pemurent de cOlUlaÎtre la situation dramatique qui prévalait dans les colOlues françai ses. Une fois dégagé de ses obligations militaires, il adhéra au MTLD. J'ai fait la cOlUlaissance de Bougiez à Annaba avant le déclenchement de la Révolution. Je l ' ai rencontré la toute première fois lorsque j e lui ai remis ma bicyclette pom la revendre dans son magasin de brocante au souk de Djaballall. C'était aussi l'anu de mon père avec qui il nulitait au sein du parti. Bougiez était panm les nulitants les plus actifs de la section d' Annaba. Il était doué d' tille intelligence hors pair et était d' rul séIieux sans pareil ; deux qualités qui le dotaient d'tille force de mobilisation et d' orgaIusation rare. Il fut le témoin de toutes les dissensions qui ont lllaI·qué le Mouvement, notaIlUnent la cIise de juillet 1954, dmant laquelle il s' opposa aux centralistes daI1S le conflit qui les nut aux plises avec la base du paIti restée fidèle à Messali Hadj . Il était responsable de la collecte des fonds et de la disuibution de l'orgaIle cenu·al du paIti . Il fut, conune nous tous, smplis paI· le déclenchement de la guelTe. Bougiez rapporte dans son témoignage : « J'ai su que certains élélnents qui militaient avec nous au sein du comité avaient rallié secrètement l'orgaIusation révolutiOlUlaire, sous la conduite du frère AInaI· Benaouda, cOimnaIldant de la 2' Région, et son adj oint, le frère MohaJUed EI-Hadi AraI·. Beaucoup paImi ces éléments avaient émis le vœu de rej oindi·e la lutte aImée après son déclenchement, mais sans y paIVelUr en rai son de l' absence de moyens de liaison enu·e nous et les responsables de la

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Révolution ». Il ajoute : « Le groupe qui avait pu rallier la Révolution, à lem tête lem responsable Benaouda, avait tenté d'entrer en contact avec plusiems chefs, dont le chalud Badji Mokhtar, mais leurs tentatives furent vaines à cause de l' absence du responsable chargé des liaisons. C'est pom cela que le frère Benaouda a préféré laisser cmtains moudjaludine, qui n'étaient pas fichés par les autOlités colOluales, regagner la ville en attendant que les conditions soient rémues pom passer à l'action année» . Bien qu'il n'y ait pas eu d'actions années à AImaba et ses environs la nuit du 1" novembre, la police procéda à des anestations massives dans les rangs du MTLD . Pom avoir subi ml intelTogatoire en règle, Bougiez nIt contraint d' activer dans la clandestinité, après qu'il eut réussi à fonner des groupes d' action directe appelés « Epée noire >>. Ces denuers avaient pom nussion d'exécuter les elmenus et les collaboratems de l' administration française. Dès les prelTuers n10is du soulèvelnent anné, Bougiez put reprendre les choses en main et nrit sm pied les premiers groupes avec succès. Il devint notre prenuer responsable dans toute la région d' El Kala et de Souk Alu·as, puis à la Base de l'Est. Une fois hors d'Almaba, Bougiez essaya d'entrer en contact avec le groupe qui avait été dépêché par AInar Benaouda à El Kala, Kef Chehba et Oued El Hout, sous la conduite de Mohamed El Hadi AI,IL Quand il put les joindre enfin, il les trouva dans tme position d'expectative car ils avaient perdu tout contact avec lems supéliems et n'avaient pu prendre auctme üutiative militaire . Il étudia la

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LEs ANNEES DE BRAISE (1954-1956)

situation avec eux et ils décidèrent de rallier la lutte année sans attendre les instmctions de lems chefs. Lem' nombre limité greffé à lem manque d' expérience fit qu'ils se contentèrent, au début, d'opérations de liquidation physique d' agents de l'administration et d'attaques contre les groupes d' autodéfense - mis en place et équipés par l'armée française au commencement de la Révolution - et les gardes champêtres, dans le but de récupérer un InaxinllUTI d' annes. Suite à cela, Bougiez conunença à désigner des chefs à El Kala, B1andan, Chott, Chafi a, Zitolma et les monts de Beni Salah. Comme il fallait adopter lme stratégie pom pouvoir obtenir des aImes efficaces, Bougiez se déplaça en Tunisie avec un groupe de moudjaludine pom' s' en procmer, collecter des fonds et mettre au point des piaI1S pom ériger mle sélie de postes aux fins d'y stocker les aImes. Ces postes devaient s' étendre de Ain Orahem jusqu ' aux frontières Iibyermes. Ils fment en effet créés et nous les déployâmes le long des frontières, à des endroits sécmisés que l' année fraIlçaise ne pouvait atteindre, 11 réussit aussi à acheter des aImes en Tmusie grâce à des cotisations qu'il avait rétulies sm place, 11 essaya égaiement de prendre attache avec les représentants de la Révolution à l ' étraIlger - Ben Bella, plus exactement - pom obternr des fonds et de l ' aImement. Pom ce faire, il dépêcha des moudj aIlidine en Libye, mais la nussion n' aboutit pas, bien que sa requête eût eu ml écho favorable auprès de la délégation. Mais Ben Bella exigea, sel on Bougiez, que nous prernons en charge le transpOlt des

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annes entre la Libye et les frontières algériennes ; une telle opération était difficile à réaliser par nos propres moyens à l ' époque. Mohamed El Hadi Arar, représentant de Bougiez, resta en Libye jusqu' à l'indépendance. Après son retour de Tunisie, Amara Bougiez rencontra Ahmed El Aurassi au maquis de Beni Salah ; il était venu des Aurès pour découvtir la région. Les deux honunes coordOlmèrent leur:; effOlts pour rétablir les liaisons avec la zone Il, interTompues à la suite de la disparition de Badji Mokhtar, tombé en martyr. Bougiez alla à la rencontre du cOllUnarldement du Nord-constarltinois et prit part à la rencontre prépar'atoire de l'offensive du 20 aoùt 1955 . Je me trouvais à Aïn El Kenna avec le groupe que je connnarldais, quand me parviment des instructions de Bougiez m 'ordOlmant de larlcer des opérations armées. Cellesci eurent lieu dans toute la zone située au nord de la ligne fenoviaire reliant Ouenza et AImaba. La partie est fut épar'gnée pour nous servir de zone de repli , Bien que nous ayons subi de grosses pertes, ces attaques eurent le mérite de jeter le peuple darlS la bataille, SlUtOUt que les Amès ployaient sous les frappes du général Par·larlge. Après aoùt 1955, Abdallall NouaolUia rallia Souk-Aluas et cOllUnanda le sectem de Nbaïl, armonçant qu' il allait chapeauter les deux tier:; de la région Il COllUnarldée par AIn ar' Benaouda, ainsi que toute la région restée sans chef après la mOlt de Badji Mokhtar' ; la région relevait désOlmais de la {{ wilaya historique des Aurès », comme aiment à l ' appeler certains. Mais un conflit éclata dès les

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premières hemes entre Guettai et ses adj oints. La région COIUUlt al ors de graves tmbtùences causées par une guerTe de leaderslùp SUivre d' U11e vague de règlements de comptes. CeJtains responsables se transfonnèrent en ({ chefs de g uerre » et cela eut U11 impact négatif sm les capacités combati ves de l' ALN . La comnùssion diligentée des Amès ne réussit pas il faire cesser ces querelles intestines. Une des conséquences de l ' envoi de cette cOimmssion fut l' assassinat de Dj ebar Omar dans des conditions mystérieuses. Cette guelTe frahi cide conh"aigJùt Guettai El Ouardi il quitter Souk-Alulls avec ses hOlTunes, tous Oliginaires des N emelncha. Auparavant, nous lem avions restitué les annes qu' ils avaient apport ées avec eux ; nous avions pem que leur conflit ne gagnât nos rangs. Eh"angement, certaines de ces rumes se reh"ouvèrent enh'e les mains de l ' année française après que les rmùets qui les h1lfiSpOitaient fment abandOlmés et s' enfhirent Après le déprut de Guettai, l' idée de la création de la wilaya de Souk-Aluas conunença à germer. Les responsables de la région proposèrent à A.tnru"a Bougiez d'êh"e à sa tête. Au début, il refusa en raison de la dégradation de la situation au sein de l' ALN, puis il firùt pru' accepter, conillle il le dit luimême : ({ ... suite à l ' insistance des responsables de la région et bien que j e ne fhsse pas au COUl1l11t de ce qui se passait, cru" mon l1lyon d' action se limitait à la région d' El-Kala et que je ne me rendais à Souk-Alu"as que pom pruticiper aux rétl1Ùons mensuelles ». Bougiez reprit le même type d' orgruùsation politique et militaire qu' il avait rms en place il

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El Kala, Il regagna la confiance du peuple et réussit à imposer la discipline et à nettoyer les rangs de l'année, Au maquis de Beni Salal" il créa lm vélitable fichier de tous les soldats et officiers de SoukAllias et d' El Kala, contenant les noms des éléments de l' année, l'31Ulée d' intégration, les noms des chollhada, etc, La gestion de ce fichier était confiée à Layachi BouaZ7a, lm 3lni qui avait travaillé avec moi à Tabacoop , Layachi était instmit et avait IUle grande expéIience en matière d' org31usation, Néanmoins, cette tentative de créer la wilaya de Souk-Alu"s n' aboutit pas en dépit des grands effOlts déployés p31' Am3l
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Après les attaques d' août 1955, il fut décidé de tenir la réunion à la région Il. Les responsables jetèrent lem dévolu sm le village d' El Maclu-ouha, dans le mont de Beni Salah, qurutier général d' Amru-a Bougiez. La région offrait les conditions de sécLUité nécessaires vu son relief escru-pé, ses forêts denses et sa proximité des frontières tunisielmes, ce qui pelmettait allX responsables se trouvant à l'étrrulger de s' y rendre SrulS grand Iisque_ Mais l'intelTIlption des liaisons avec la région II empêcha la tenue de la réLUuon _ C' est aillSi que les respOllSables de la Révolution finirent par opter pom le village d' Ifii Ouzellaguène, drulS la vallée de la Sounullrull _ Aïssruu, le bru-oudem Aïssruu était pétri de comage et de hardiesse, à la limite de la téméIité _ Il n' hésitait pas à entr-er en action contre l' elmenu même quand l' équilibre des forces ne lui était pas favorable _ N ous l' appeliOllS le ({ barol/deur »_ Il était convaincu que la fin pom laquelle la Révolution avait été déclenchée justifiait le recom s à n' importe quel moyen. Ce n ' était pas du macluavélisme, mais Aïssruu faisait prutie de ceux qui justifiaient l' usage de la violence quelle qu' elle fût après en avoir longtemps souffelt ellX-mêmes_ Issu d' LUle frunille pauvre, il fut obligé de selv ir sous le drapeau français_ Il pru-ticipa à la guelTe d' Indochine et lorsqu 'il fut démobilisé, sa sihlation ne s' anléliora pas. Pis, il s' enlisa dans la misère. Nous avons souvent eu des prises de bec, pru-ce que je ne prutageais pas nombre de ses décisiOllS prises à la va-vite, sans prendre le

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temps d'y réfléchir. Il était violent et dur, condamnant à mort sans jngement qniconque lui paraissait louche. Il me disait, quand je m'opposais à ses décisions : {( NO lis le condamnerons et s ; n01ls avons eu lorI, Dieu nOlis pardonnera -' » Salenl Gilùiano a eu à vivre lUl épisode similaire au lendemain de sa

désertion de l' année française . Giuliano : à deux doigts de l' exécution Salem Gitùiano est issu d'une famille italienne qui s'est fixée dans la plaine d'Annaba durant la deuxième paltie du XIX' siècle. Sa grand-mère s' était conveltie à l' Islam. En 1954, Giuliano était mobilisé dans les rangs de l'année française . Une année plus tard, il s'enfiùt de la caseme de Blandan avec lUl groupe de camarades, panni lesquels figurait mon compagnon d' ru1lles, Abdelkader Kru'a. Ils se dispersèrent drulS différentes régions pour ne pas être repérés, Giuliano rejoigrlit noh'e groupe, à l' est de Bouteldja, Quruld l'ensemble du groupe de déserteurs rullva au crunp, Aïssruu elU'egish'a leurs noms, Ce fut au tour de Giuliano de s'identifier. AïssruU hù demanda son prénom et il lni répondit : « Salem », pnis son nom, et GitùirulO de le décliner. AïssruU fronça les sourcils, croyant que GitùirulO le raillait. Puis il lni lrulça tlll chapelet de pru'oles obscènes et ordOima à ses hOllunes de le condtùre vers lUl bois proche pour l' égorger. Gitùiano ne doit sa slUvie qu' aux supplications de djolUlond originaires d'Almaba qni le cOimaissaient et qni expliquèrent son cas à Aïssruu . Lorsqu' enfin Giuliano intégra le gronpe, AïssruU et hù devilU'ent ruuis . Il

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patticipa à la première opération à ses côtés, qui eut pow- cible le cow-s d' eau traverSatlt Blandatl et Boltane. Il fut désigné à la tête d' lUle section à Chafia et Chott, puis promu au ratlg de chef d' lm groupe de choc, aVatlt de cOlruuatlder lUle compagnie au sein du 4' bataillon dont la patticipation à la fatueuse bataille de Souk-Ahras est gravée en lettres d'or datlS l ' histoire de la Révolution. Le déchaînement des spahis Les profondes dissensions datlS nos rangs ne détoUInèrent pas notre attention de la mission qui était la nôtre. N otre zone d' action était vaste et dangereuse pat·ce que COllStatruuent sw-veillée par les nnités de spahis - des goruniers - statiOlU1ées datlS la plaine de Righia. Il n' est pas facile de déClire à quel point les gOUIuiers étaient déchaînés lorsqu' ils nous traquaient à cheval . Ils étaient plus hat·gneux que les Français eux-mêmes. Ils avaient pour mission de matdler sur les pas des moudjallidine avant le lancement de toute opération de ratissage. Les spahis étaient recmtés patlru les anciens gat·diellS appattenatü au rebut de la société, avant de devenir des hatlis, au déclenchement de la Révolution. Nous les abhonions Cat·, pour nous, ils avaient vendu leur patrie pow- mOlllS que lien. A vrai dire, nous les détestions luêule plus que les Français. Les batailles qui nous opposaient à eux étaient d' lme violence lllOwe. Un j ow-, nous nous rendîmes à Sebâa, après lme longue mat·che. Nous décidâmes d'y passer la nuit. Les mOllssabi/il1e nous réveillèrent à l ' aube et nous inf0l111èrent que les

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goumiers se déplaçaient dans nob-e direction sur leurs chevaux, prélude il un ratissage. Nous sortîmes de nos chaumières - nous étions cinquante, c' est-il-dire tille section entière - et nous repliâmes vers tille colline située il quelque deux kilomètres d'Wl endi-oit appelé Koudia HaIura, pour éviter que les villageois subissent les bombaI-dements et les pilonnages_ Mais les gOlUniers nous repérèrent et s' aITêtèrent non loin de nob·e position_ Aïssani mit une serviette blanche sur la tête pour leur faire croire que nous étions des civils, rnais la luse n 'a pas maI-ché. S' ensuivit lUl accrochage d' tille violence indescliptible_ Nous avions des mib-aillettes de type Bren, de fabricati on aIlglaise. Nous réussîmes il tuer quelques-uns d' entre eux et il faire till plisonnier aImé d' tille mitraillette de type 24-29. Quand nous récupérâmes son aIme, le CaI10n et l'olifice étaient encore ftunaIlts. Nous descenrumes jusqu' au pied de la colline et tuâmes lems chevaux. Aïssani licanait en disant : ({ Avec toi, même les bêtes y passent 1 » Le fait est que nous étions obligés de tuer lems montmes POlU- les empêcher de nous b·aquer et de nous attaquer. Quelques instaIlts plus taI-d, l' aImée française COlmnença à ratisser la zone et nous dfunes nous replier. Ma première blessme A la fin de l' été 1955, nous reçûmes l' ordi-e de nous rendi-e daI1S la région de Henaya et de dememer au plus près d' tille petite plage située enb·e Cap Rosa il El Kala et le méaIldi-e d' une rivière qui se jette daI1S la mer non loin d' Aïmaba.

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Les années de braise (1954-1956)

Nous devions attendre l ' accostage d' un bateau chargé d' anues . Le choix du lieu avait été étudié avec minutie , c' était lm endi'oit montagneux, calme et isolé, situé loin des camps de l ' année française . Quelques familles y étaient installées qui clùtivaient de petites parcelles de telTe. Le groupe d ' Aïssani et le lnien montaient la garde à tour de rôle. Vingt jours s'écaillèrent et le doute conunença à nous gagner. Bougiez nous avait dOlmé le mot de passe qui consistait en trois signaux ImlÙneux. Une nuit, nous vîmes un bateau au large. Nous envoyâmes les tt'ois signaux et reçùmes les mêmes. Nous clûmes que c' était le bateau que nous attendions. Mal nous en prit, car il s ' agissait, en fait, d' un navire de guelTe fi1U\çai s qui ouvrit le feu sur nous. Je fus touché au pied di-oit par lm éclat d'obus. La blessure était si profonde qu' elle s ' infecta et Illon pied enfla. Heureusement, l ' éclat n 'avait touché IÙ l'os IÙ les nerfs. On me tt-ans féra en Tmùsie où j e fus soigné par le D' Yalùa Yacoubi, un médecin algélien qui tt-availlait dans un des hôpitaux m siens près des fi'ontières algérielmes. Je restai à l'hôpital ml mois entier(l) S'agissait-il du yacht j ordanien D ina qui réussit, l 'automne 1955, à tt-omper la vigilance des gardecôtes et accoster entt-e Melilla et Nador ? Le bateau avait à son bord lme cargaison d' aimes, des équipements et lm groupe d'étudiaIlts venant d' Egypte, paIlni lesquels se tt'ouvait Mohamed

1. J 'ai été blessé 10le deuxième fois en 1958 à BOllkous.

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C HADLI BrNDJEDID - MÎMOIRES

Boukharouba qui sera COllllU sous le nom de Homui Boumediene et deviendra le chef d' étatmaj or général de l ' ALN puis président de la République ? Si c' est le cas, notre mi ssion amll consisté à détOlUller l'attention de l' erlllemi l'om penuettre au yacht jordanien de pom suivre sa route jusqu' aux côtes marocaines. Ceci n' est qu ' une hypothèse. Ma rencontre avec Amirouche Omant ma convalescence, je fis la rencontre du colonel Amirouche dans l'échoppe d' Ahmed Kebaïli à Souk Loo·ba. Il était entré en Tunisie en novembre 1956 après avoir échoué drurs sa tentative de remettre de l'ordre doolS les Amès. Je goo·de de lui l ' image COillme de tous : élrurcé, balèze, le regoo·d pénébllnt, erlliuitouflé doolS sa kachabia booiolée et la tête couverte d'lm chèche. AInirouche tenait fOitement à l' unité des rangs au point qu' il n ' eut de cesse de réconcilier les fi·ères eilllemis, aussi bien à la Wilaya 1 qu' en Tunisie. En 1959, alors qu' il se rendai t drurs ce pays l'om· faire le poiut Slu" la situation avec le gouvemement provisoire, il tomba en mootyr· avec le colonel Si El Haouès au mont Toouer, drurs des conditiOIlS mystérieuses. Le sort a voulu que je sois celui qui allait découvrir - j ' étais alors président de la République - que les corps d' Amirouche et Si El Haouès se trouvaient drurs une cave du cOIlliuOOldement général de la GendOO111erie nationale. J'ordoilllai alors, srurs attendre, qu' ils soient iIùmmés au COOTé des Mootyr·s à El Alia.

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LE SANNIU DE BRAISE (1954-1956)

Nos relations avec les Yousséfistes Avant de clore ce chapitre, je dois préciser ml point impOitant relatif à nos relations avec Salah Ben Youssef. J'ai entendu cettains affitmer qU'lm groupe de ftdèles de Salah Ben Youssef, opposés au régime de Habib Bomg uiba, amait demandé le soutien des moudjaludine algériens et qu'Amara Bougiez amait refusé au prétexte qu'il ne pouvait pas entrer en conflit avec la Tunisie qui venait d' obtetur son autononue. Or, la véIité est que nous avons aidé Salall Ben Youussef parce que ses choix politiques étaient proches des nôtres. Ben Youssef était pamu les personnalités les plus en vue qui appelaient au déprut de l ' rumée françai se de tout le te!Titoire tutusien. De même qu' il œuvrait à étendi·e l'action année à tous les pays du Maglu·eb. Aussi, hù avions-nous envoyé lm groupe composé de qlùnze soldats - dont mon cousin El Hocine -, pom entraîner les Yousséfistes à Aïn Draham, Souk Larba, Baja et Tabarka, au maniement des rumes, à l ' organisation et à la préparation au combat, mais le groupe rentra en Algétie au bout de deux mois, drulS lm état lrunentable, après que les éléments fidèles à Bomglùba ement divillgué l' affaire et en raison de la faiblesse d' organisation de Ben Youssef qui péchait pru· son élitisme et son absence d' ancrage daIlS les nlilieux popillaires. Son influence se linutait au Sud de la Tmusie. Qurull à Tayeb Zellak, qlÙ avait sollicité l ' aide de Bougiez au nom des Yousséfi stes, il fut maintenu drulS nos rangs et nonuné mufb , en dépit des suspicions dont il était l' objet.

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CHADLI BE NDJEDID - MÉMOIRI:S

A vrai dire, ce soutien était une fonne de reconnaissance au peuple tunisien frère qui ne ménagea aUC1Ul effOit pom soutenir noti-e Révolution, que ce soit en argent ou en matérieL La solidarité entre les deux peuples dma tout au long de notre lutte année, malgré les difficlùtés_ Nous avons, pom- notre paIt, continué à soutenir le peuple Imusien jusqu' à l'indépendaIlce_ Ainsi, alors que Bomguiba revendiquait la fixation de la fi-ontiere enti-e son pays et l' AlgéIie à la bome 233 , nous reçûmes de Bomnediene - Ben Salem el moi - l' ordre de prépaI-er deux bataillons de la zone opératiormelle nord, afin de soutelur les fi-ères tmusiens dmant la crise provoquée en 196 1 PaI- le refus de la France d' évacuer la base navale de Bizelte_ La confi-ontation avec l' aImée françai se n 'eut pas lieu_

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CHAPITRE IV ,

LE CONGRES DE LA SO , ET LA CREATION DE LA BASE DE L'EST 1956-1958

L' appel à la tenue d' ml congrès national qui réunisse les responsables du sOlùèvement anné était plus que nécessaire, deux oomées environ après le déclenchement de la Révolution. Jusqu'au milieu de l'oomée 1956, nous n' avions toujOlU"S pas de platefonne idéologique et politique, à l' exception de l' appel du 1" novembre qui est, en réalité, moins lU1 progrOOlline aux objectifs clairs qu'lme énonciation de plincipes généraux. DffilS le même telnps, les cinq régions avaient, avant cette date, besoin que soit désigné instanilllent lU1 cOlmnOOldement national qlÙ prelUle les décisions à lm niveau centralisé, coordolUle les effOlts jusque-là époo·s et travaille confonnément à une stratégie à long tenne à même de mettre fin au chaos, à la division et à la com-se au pouvoir. C'est que chaque région menaitla lutte indépendOOllinent des autres, avec ses moyens faibles et selon les méthodes définies poo· son

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responsable. L' absence de coordination était le talon d' Achille de la luite année à ses débuts. Les régions les plus exposées à l ' effondi'ement étaient les Amès et Souk-Alu·as. Amara Bougiez n' avait pas pu se déplacer pom rencontrer les responsables de la Révolution, en raison de la situation dangereuse qui prévalait dans la région de Souk-Alnas et des remous qui avaient failli miner les rangs des moudjalùdine. De plus, il avait découvelt un plan d' assassinat qui le visait - bien qu'il füt toujoms sm ses gardes fomenté par son adj oint sm instigation de ses adversaires. C ' est pom cela qu' il avait choisi, en juin 1956, de déléguer Amar Benzouda, représentant d' El Kala, et Hafnaoui Remadiùa, celui de Souk-Alu'as, pom exposer les points de vue des moudjalùdine de ces deux régions. Les deux émissaires étaient pOitems d' un rappOit détaillé sm les sihlations politique, militaire et écononùque de la région. Dans sa nùssive, il exhOitait les paIticipaIltS au congrès à ne prendi'e aucune décision concemant la région aVaIlt d' y dépêcher une comnùssion d' enquête pom éhldier la sihlation qui s' était aggravée du fait des profondes divergences entre les responsables, des conflits hibaux, de compOitements sectaires et de l ' anaI'clùe causée paI' le repli des moudjalùdine des NemaIncha, avec leurs aImes, vers les monts de Tébessa. Bougiez dépêcha Ime auh'e délégation auprès de la représentation de la Révolution à l ' étraIlger, nlluùe du même message. En h
LE CONGRi;S DE LA SOUMMAM ... ( 1956-1958)

être Ali Kali. Lorsqu'ils furent mis au courant de leur mission, ils leurs dirent - selon le récit de Bougiez - que le congrès s' était déjà tenu et lem' demandèrent de leur confier les documents en leur possession pour les remettre aux responsables de la Révolution. Les deux émissaires rentrèrent à Djebel Beni Salah, QG de Bougiez à la fin du mois. Nous ftunes smp lis d' apprendre que le congrès s' était tenu en août dans la vallée de la Somumam, sans la pat1icipation de la Wilaya 1 après la mOlt de Mostefa Ben Boulaïd et l' assassinat de Chihani Bachir, et en l'absence des leaders histOliques (Aluned Ben Bella, Hocine Ait Aluned, Mohatned Boudiaf et Mohatned Khider) pour des raisons incolUlUes. La région de Souk-Aluas fut exclue et les congressistes ne lurent pas le rappOlt que Bougiez leur avait soumis et qlÙ avait dû être détruit ou tenu secret. Le congrès maintint Souk-Alu'as dans le giron de la 2' Région qui allait deverur la Wilaya n. Nous ftunes smplis aussi d' apprendre que des décisions impOltatltes pour l'averur de la Révolution et le deverur de la région de Souk-Almls avaient été plises SatlS que le congrès n 'ait plis la peine de cOlmaître notre avis SlU' cette question. Mêlne si, à la vérité, aucun de nous, datlS la région de Souk-Aluas et El Kala, ne niait l'impOltance des résoluti ons adoptées pat· le Congrès de la Somrunatn. Lors de nos réuruons, AInat'a Bougiez contestait moins les décisions du congrès que l'exclusion, la mat'ginalisation et la non-recOlmaisSatlCe de Souk-Aluas en tatlt que wilaya. Il adoptait mle position tactique, en ce sellS qu' il voulait faire pression sur les responsables de la Révolution pour aboutir à ml rêve longtemps

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C HADLI BINDJEDID - MtMOIRES

caressé par les moudjahidine d' El Kala et SoukAlu'as : celui de voir leur région érigée en wilaya au même titre que les autres régions. Conuue tout le monde le sait, le Congrès de la Soununam se solda par l'adoption d' tille platefonne impOitante qui dOlUla naissance au Conseil national de la Révolution algérienne (CNRA ), composé de 34 membres, et au Comité de Coordination et d' Exécution (CCE) composé d' Abane Ramdane, Larbi Ben M'hidi, Krim Belkacem, Saâd Oahleb et Benyoucef Benkhedda. Le ten-itoire national fut divisé en six wilayas . La structure organique des mutés de combat fut, également, revue et le bataillon fut adopté conune la plus grande muté dans l ' Année de Libération ; désonnais, il était composé de 500 à 600 combattants et se subdivisait à son tour en trois compagnies, de 160 à 180 dj otilloud chactille. La compaglue était, quant à elle, composée de trois sections, chacune comprenant entre 35 et 50 hommes et la section comptait à son tour trois groupes de 12 honunes. En fait, cette structure différait d' une zone à tille autre : son application était souple et adaptée aux spécificités de chaque zone. La tenue nulitaire fut tulifomusée et les grades furent créés dont le plus élevé était celui de colonel. Le colonel était le responsable militaire et politique de la wilaya. Le responsable de zone avait le grade de capitaine et était secondé par trois lieutenants. La région était conunandée par tm sous-lieutenant secondé par trois aspirants. Le chef du kism pOitait le grade d'adjudant-chef ou d'adjudant et était secondé par trois sergents-chefs. Le chef de groupe avait le grade de sergent et il avait deux caporaux -

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chefs ou caporaux à ses côtés. Quand on relit la platefonne de la Somllinam, avec le recul nécessaire et loin de toute passion, on peut dire qu' elle était d' un grand appOIt, au double plan politique et opérationnel. Cependant, la question qui n' a pas obtenu de consensus et suscita, d' ailleurs, de profondes divergences et lme grosse polémique à l'époque, était le principe de la primauté de l'intérieur sm l'extériem et la primauté du politique sm le nùlitaire. La délégation de l' extérieur s'opposa au preIIÙer principe, pour des raisons évidentes. Quant au second, nous ne pouvions nous y opposer, étant conscients de la nécessité d' ml contrôle politique sm toute action année. La délégation de l'extérieur s'est illustrée par son attitude inéductible, notarllinent avec Ben Bella et la Wilaya I, où des conflits, parfois violents, éclatèrent à cause de ce problème. Cela dit, ces deux principes autom desquels se sont articulés les conflits majems ayant marqué le par-coms de la luite armée n'avaient plus de sens après la décision du CCE de se retirer d' Alger et le départ de ses membres pom- la Tmusie et le Mar·oc en juin 1957, suite à la grève des Inùt joms. ***

L' encerclement des « fauteurs de troubles» Pom s' être opposés à la marlière dont avait été orgarusé le congrès de la Somllinarn - et non point pom ses résolutions -, on nous accusa d'êtJ-e des « jauteurs de troubles », et nous deveruons ainsi, aux yeux de la direction issue du congrès, des « hors-la-loi ».

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Ce qualificatif nous sera collé pendant longtemps conune lille fatalité. Le CCE refusera de nous appOiter la moindre assistance, qu'elle soit matérielle ou militaire, suite à la demande qui en a été faite par Amara Bougiez. Un vrai blocus économique nous fut imposé , les populations des régions frontalières furent contraintes de se réfugier en Tmusie ; et nous étions, quant à nous, obligés de compter sm nous-mêmes pom nous approvisiOimer. Nous avons vécu dans la nusère la plus totale pendant six mois, réduits à nous nOlU1ir de la sOllika (rollina), lme nuxtme de blé mOlùu et de caroube, qu 'on mélangeait avec de l'eau et qu' on servait aux . Pom sortir de cet étau mOitel, le conunandement décida d'exploiter les ressomces natm-elles qu' offrait la région, notamment le chêne-liège, en pruvenant à fom11ir les outils nécessaires pom couper du liège et les ouvriers qualifiés, qui étaient généralement des mOllssebline et des réfi.tgiés, dont certains avaient déjà exercé le métier. Un plan rigomeux fut élaboré pom le succès de l'opération, conduite par Sadek Bomaoui, et qui consistait à prévoir les moyens de transpOlt, les dépôts de stockage sm le teniloire tmusien et à assmer mle bonne protection militaire. Les ouvriers coupaient le liège sous escOite des djounoud ; puis cette matière était transpOltée à dos de millets vers la Tmusie, pom y être vendue à des sociétés tmusiennes. Ainsi, Amru-a Bougiez réussit à écoiller lille chru-ge de deux bateaux de liège vers l' Italie. Il plit même attache avec le ministre tmusien des Finrulces pom !tri demrulder de nous exonérer d'impôts, ce qu'il refusa. Ces recettes nous ont

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aidés, telnporairelnent, tions de vie.



a

aInéliorer

nos

condi-

Tentative de création d'tille nouvelle wilaya Après le congrès, Zighoud y oucef dépêcha Ammar Benaouda pom contrôler les frontières, et Brahim Mezhoudi pom mettre fin au sentiment de révolte qui commençait à monter à Tébessa. Mais les deux émissaires n 'ont pas utilisé le dialogue pom' convaincre ; ils ont plutôt opté pom la violence et les rumes pom' imposer les résolutions du congrès de la Soununrun. Beaucoup de dj omlOud sont tombés, hélas !, victimes de ces conflits dont ils ignoraient les tenants et aboutissrultS. Cela dit, Benaouda et Mezhoudi ont échoué dans lem' mission, et ne tardèrent pas à rej oindre TlUÙs. Après le congrès, nous nous senti ons exclus et mru·ginalisés. La déception était grande drulS les rangs des moudjallidine. C'est alors qu' Amrull Bougiez entruna mle vaste opél1ltion de sensibilisation, renoua le contact avec les responsables de l' ALN qui avaient tenu lUle rémlion en décembre 1956, et ils tentèrent à nouveau de constituer lUle wilaya autonome, indépendrulte des Wilayas 1 et H, qui s' appellerait Nn El Beïda. Ils réitérèrent lem rejet des résolutiOilS du congrès de la Soummrun, pom les motifs suivatlts : - Non-représentation de l'ensemble des régions ; - Inadéquation avec la prenlière ligne d'Olientation de la Révolution ; - RecOimaissrulce de la primauté du politique sm le militaire et de l'intériem sm l' extériem ; - Absence de référence au cru'actère rullbo-islamique de l' Etat algérien.

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Ils réclamèrent aussi la mise à l'écrut des éléments qui continuaient à activer à Tmus, et la fOl1uation d' tm comité représentatif de l'ensemble des régions pom les liaisons et la coordination. Ils s' engagèrent, de leu!" côté, à achenuner des aImes vers les maquis, et renouvelèrent la confiance à Ali Mahsas, chrugé de représenter l 'rumée politiquement et nulitairement à l'extéliem. Il est probable qu'Amara Bougiez ait renoncé à l ' idée de créer cette nouvelle wilaya, de crainte que les différends de la Wilaya 1 ne s'étendent à EI-Kala et Souk-Alu'as . Rencontre avec Ourumrule Face à cette situation, le CCE dépêcha en septembre 1956 Aluru' Ourumane, frruchement désigné à la tête de l ' organisation militaire de la délégation extélieme du FLN , en Tmusie, pom tenter de remédier à la situation délétère qui couvait et d' écruter Ali Mallsas et ses prutiSruLS, qui refusaient touj om s d' adhérer aux résolutions du congrès de la Somumruu. L' affrontement était inévitable entre les deux cruups, et il fut d' mle telle complexité que cela ruuena Bomguiba à intervelur en persorme pom résoudre le conflit. Cela aboutit au déprut de MalLSas vers l 'Allemagne druLS des conditions pom le moins dramatiques. Omrult cette péliode, l'énussaire de Krim Belkacem, Aluru' Ourumrule, rencontra Aluru'a Bougiez et ses adjoints. Ceux-ci lui expliquèrent la position des moudjaludine de la région, et Bougiez lui proposa de lui organiser tme rétmion avec les responsables des kisms de la région.

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C'est ainsi que nous nous sonunes rendus à Souk Larbâa, dans les environs de Baj a, où nous avons rencontré Ouanmme dans la fenne d'lm des petitsfil s de Cheikh EI-Mokrani. Je ne me souviens pas exactement de tous ceux qui ont assisté à la rémuon, mais celtains témoignages évoquent les noms stuvants : Mohamed-Tahar Aouacluia, Abdenalunane Bensalem, EI-AïssaIU ChOlUclu, TallaI- Z'biri, ZentaI- SlimaIle, MohaIned-LaldldaI- Sirine, EIHadj LakhdaI-, Sebti BomnâaI-af, MohaIlled Lasnab, EI-Hafnaoui Remadnia, MohaIlled-Salall Becluchi, Diab OmaI-, Tayeb DjebbaI-, Ressaâ Mazouz, Allaolla Bechaüia, Youcef Boubir, LakhdaI- OUaI1i, Lehouaslua Moussa, El-Hadj KhenunaI-, TallaI- Sâad Sâayoud, TallaI- SaïdaIu, Chadli Bendjedid et d' autres_.. Bougiez mppOite dans son témoigne que le nombre de paI1icipants à cette réunion était de 150 moudjaludine, mais j 'estime que ce chiffre est exagéré_ Amara Bougiez nous a présenté OUaIlU"ane conune étant désigné PaI- le CCE pour eXaIniner la situation daIlS la région de Souk-Alu-as sur le terrain. Lui-même préféra sOl1ir et ne pas paI1iciper à la rémuon, pour ne pas être soupçonné de vouloir influencer les responsables des Kisms. OUaIlU-ane nous exposa les résolutiOilS du congrès de la SOmlUnaIn, en insistaIlt sur leur caI-actère national, et nous paI-Ia des grands enj eux auxquels la Révolution était confrontée, en mettaIlt l'accent sur la nécessité d' unir les l-angS . Il conclut en diSaIlI que la constitution d' mle nouvelle wilaya était incompatible avec les résolutions du congrès,

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et que, si nous agissions de la smte, on venait chaque région réclamer son droit de créer sa propre wilaya. Il essaya de nous forcer la main polU' nous Inettre sous sa hltelle, mais nous avons refusé,

en affichant notre attachement à nos responsables. Car il était, pOlU' nous, impensable d'abandonner Amara Bougiez qui avait eu le mélite de constituer les premiers groupes de moudj ahidine qu'il diJigea depuis le début, et de lui substituer une persmme ignorant les réalités de la région. La rémuon s' est achevée la nuit et nous nous sonunes séparés, chacun prutant dans sa direction. Plus tru'd, Ourumane a présenté ml compte-rendu de sa nUssion aux membres du CCE, dans lequel il suggérait la nuse en place d'llUe orgruusation spéciale pOlU' la région. Dans son témoignage, Bougiez affinne détenir des docmnents confinnant cette suggestion, prullU lesquels celui qui évoque la décision du CCE de faire de la région de Souk-Alu'lls une base d' approvisimmement, à titre de wilaya. Ce docmnent est, d'après lui, signé pru' Benyoucef Benkhedda, K.rim Belkacem et Saâd Dalùeb . Bentobbal n'alU'ait pas signé, pOlU' la simple raison qu 'il refusait de dissocier la région de Souk-Alu'lls de la Wilaya Il, et bien évidenunent aussi à cause de ses différends profonds avec Bougiez. Les chefs de la Wilaya Il n' ont jrunais adnus la création de la Base de l' Est, que celtains continuaient à considérer, jusqu' à 1962, conune prutie intégrrulte de la Wilaya Il. C' est ainsi qu' est née, offi ciellement, la Base de l' Est, à la fin de 1956. Cependrult, la décision du CCE était venue consacrer une réalité déjà établie SlU' le tenain depuis plusielU's mois. Il convient de

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smùigner que les vélitables enjeux ayant entamé les circonstances de la création de la Base de l' Est étaient liés à l'impOltance stratégiqne de ce tenitaire qui s' étendait de la COlllimme d' OlUn Tbol, au nord-est d' El-Kala, jusqu' à AImaba, Tébessa et Sedrata, au sud, à AImaba et Guelina au nord-ouest, et aux frontières tunisiennes, à l' est. Il s' agit d'tille véIitable zone de transit des frontières tmusiermes vers l' intéIiem-, qill se distinguait par ses forêts denses et ses reliefs inaccessibles qtU pouvaient selv ir pom- stocker les annes ou pom installer des postes de conunandement (PC), à l'image des montagnes de M' cid, Kef Chahba, Bouabad, Dir, El-Kom-si, et les massifs de Béni Salall et d' Ouled Becluh, etc. Le commandement de la Révoluti on avait complis cette impOltance stratégique et lill accordait, par conséquent, lUl intérêt paItictùier, d' où les clUCaIleS qill ont éclaté à sa création. De son côté, l' année française s' était aperçue de son impOltaIlce comme base de soutien logistique pom- les wilayas de l'intéliem-. Ce qui l' amena il envisager la construction des lignes MOlice, puis Challe, afin d' empêcher l'entrée des convois d'aImement et de ravitaillement. H faut rappeler que les trois-qmllts des aImes et des mlUutions ayaIlt pu être introdillts sm- le tenitoire national, l' ont été il travers la Base de l'Est, et sous escOlte de ses dj olUloud. L'orgaIrisation que diIigeait AInaI" Bougiez, avant la création de la Base de l'Est, était constituée au dépaIt de groupes, pills de sections. La section activait dans lUl pélimètre géograpluque nOllliné le sectem- (kasma). Il y avait ti'ois groupes : lUl groupe COnmlaIldé par Choillclu EI-AissaIri,

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dont j'étais l'adjoint, et qui activait sm- le péIimetre allant de Sebâa, Blandan, Chott, Ouled Diab. Il y avait aussi le groupe d'Allaoua Bechaùia, dont le champ d' action s' étendait de Boukous à BabLebhar. Quant à la zone couvrant Chafia jusqu 'à Béni Salall, elle était sous l'autOlité de Tallar Saâd Saâoud, dit « Spaghetti ». Amara Bougiez a eu acces aux doclUnents du congres de la SOlUrunam. Bien qu'il se soit opposé à ses résolutions politiques, il s'attela tres scmplÙeusement à structm-er la région d' EI-Kala et de SoukAhras suivant la nouvelle organisation militaire. A cette période, les responsables de Souk-Aluas et d' EI-Kala prirent attache avec Ben Bella et lui suggérerent de se rendre dans lem- région, mais il n' y vint jamais, pom- des raisons que nous ignorons. Il se contenta de nous déléguer Ali MallSas pom- prendre contact avec nous. Je le rencontrais pom- la premiere fois. Nous lui avons fait par1 de nos démarches en matiere d' orgarlisation, de recrutement et de fOimation . Nous avions aussitôt entarné la structm-ation de la base et l'élaboration des plarlS de recrutement et de formation. Nous n 'avions rencontré aUClUle difficlùté, par·ce que les structm-es prévues par· le congres de la SOUllunarn étaient presque les mêmes que celles qui étaient appliquées sm- le tenain au niveau de la Base de l' Es!. Réorgarlisation de la région A la fin de 1956, la région de Souk-A1ul1S et EIKala a été réorgarlisée en trois zones, qui, à lemtom-, étaient subdivisées en trois régions, comptarlt chacune trois sectiOilS .

r Oll

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Le commandement de la Base de l' Est était constihlé d' Ill conseil, présidé par Amara Bougiez, secondé par deux adj oints, à savoir : - Mohamed Aouacluia. - Slimane Belachari. Le cOimnandement de la zone 1 était confié à ElAïssani Chouichi, secondé par trois adj oints : - BechaÏlia Allaoua, adjoint militaire. - Ressâa Mazouz, adjoint politique. - El-Hadj Khmmnar, adjoint renseignement. La zone Il était conduite par Abdenalunane Bensalem, secondé par trois adj oints : - Lakhdar Ouarti, adj oint militaire. - Hafnaoui Remadnia, adjoint politique. - Djebbar Tayeb, adj oint renseignement. Tahar Z ' biIi était chargé de la zone 1II, avec COimue adj oints : - Sebti Bomnâaraf, adj oint militaire. - Moussa Lahouasnia, adjoint politique. - Mohamed-Lakhdar SiIine, adjoint renseignement. Création des bataillons Le premier bataillon a été [onué en octobre 1956, c'est-à-dire avant la création officielle de la Base de l'Est. Il était diIigé par Chouichi ElAïssam, et son champ d'action s' étendait d'Oum Tbol, à l ' est, jusqu' à Oued-Seybouse et Djebel Dir au nord, et à Damous, près de BOlùladj ar, au sud. Le deuxième bataillon fut créé peu de temps après. Il était condlùt par Abdenalunane Bensalem. Son champ d' action allait d' OuedBOIUlamoussa à Nbaïel et s'étendait jusqu' aux limites de Souk-Alulls.

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Le troi sième bataillon était confié à Tahar Z'biJi à Souk-Alu'as, Le quattième ne fut nùs en place qu' à la prenùère moitié de 1958, AiJ,gi, après la nùse en œuvre du plan Challe, les Français pensaient avoir réussi il isoler l'intériem des bases de soutien ; c 'est alors qu' Amara Bougiez prit la décision de fOimer un quattième bataillon qu'il chargea de mener des opérations de franclùssemenl. Il sera constitué de tt'ois compagnies prélevées dans les trois zones, Au rùveau de la zone l, nous l'avons renforcé avec une compagrue de 180 dj ounoud, cond,ùte par Salem Giuliano, Il sera chargé, entt'e autres tâches, de mener et de séctuiser les opérations de franclùssement vers les wilayas intériemes et de partager le tenitoire resté vacant en zone H, Harnmarn Nbaïel, avec le tt'oisième bataillon. A la tête du quattième bataillon, on tt'ouve Moharned SiJine, secondé par' Youcef Latt'ache, COl1Une adj oint nùlitaire, Aluned Draïa, adjoint politique et Ali Babay, char'gé du renseignement et de l'information, Il existe diverses versions en ce qui conceme les objectifs tactiques et stt'atégiques et le choix du lieu et de la date du frarlclùssemenl. Tous les indices révélaient que l'armée française était au comant de la mission du bataillon qu' elle se mit aussitôt à guetter. Le bataillon réussit à franclùr la ligne MOlice, mais son chef, Lakhdar' SiJine et Aluned Draïa, avaient lnanqué au rendez-vous, pour des raisons qui demetu'ent incoilllUes à ce jom. Ce bataillon va mener la bataille de Souk-Ahras, l'IUle des plus glorieuses de la GuelTe de Libération, Elle dma toute

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lme semaine, et vit la prulicipation de 700 moudjahidine, dont la majOlité furent tués. De la zone l, selùs 18 dj ounoud étaient revenus, d' après ce que m ' a rappOIlé Salem GilÙirulO, qui avait replis le cotrunruldement du bataillon, suite à la mort du héros Youcef Latrache au combat. Deux compagnies relevrult des Wilayas II et ni, et une section de la Wilaya l, pruticipèrent aux combats. Plus tru"d, un cinqlùème bataillon fut créé, plÙS un sixième, chru-gés d' escotler les convois se cfuigerult vers l ' intélieur, en se pOSitiOIlllrult entre les deux lignes électIifiées. Neuf compagnies ont été fonnées à la Base de l' Est. - La zone 1, comprenrult les première, deuxième et tI"oisième compaguies. La zone II, comprenrult les quatIième, cinquième et sixième compagmes. - La zone III, comprenaIlt les septième, IllÙtième et neuvième compagnies. J'ai été, qUaIlt à moi, nonullé responsable de région, chef de la prelmère compagme, avec le grade de lieutenrult, secondé par Haddad AbdeIlllour, cOlruue adj oint lrùlitaire, Aluued Tru-k:h ouche, cOlruue adj oint politique, et Hruudi Hruued, adj oint au renseignement. Il y avait deux autres compagmes drulS la région, diligées respectivement pru" Youcef Boubir et Belkacem Arrunoma, dit Beledholliolli. Un cOlruuruldo de la Base de l'Est sera aussi COnstihlé, chru"gé de l'intervention rapide et de l ' exécution d' attentats, viSrult à éliminer des tI"aîtres, et semer la tenem chez les colons et les collaborateurs de la Frrulce.

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Le chef de la compagnie coordOlUle son action militaire et politique avec le chef de régi on, en appliquant les instnlCtions d' Amara Bougiez. A son tom, le chef de compagnie distribue les tâches il ses adjoints, selon le schéma suivant : L'adj oint politique, appelé aussi le conunissaire politique, est chargé d' accomplir les tâches ci• apres : - Mise en œuvre de la politique du FLN dans les régions rurales et les centres mbains, organisation des cellules de base et recrutement des mo ltssebline et dj ounoud ; - Education politique des poptùations civiles ; Mise en place de uibunaux poptùaires pom statuer sm les affaires de maIiage, de divorce et d'hélitage, régler les conflits et l'inscIiption il l' état civil ; - Collecte des cotisations et des subventions . De son côté, l'adj oint lnilitaire s' occupe des tâches suivantes : Orgauiser des unités de combat (compaguie, section, groupe) et les doter en munitions, en matéliel et en tenues militaires; - Elaboration des plans de batailles et d' embuscades ; FOl1nation lnilitaire ; - Ptise en charge des blessés. Quant aux tâches incombant il l'adj oint chargé du renseignement, elles se résument conuue suit : - Collecter des renseignements sw' l'elUlelni et sUlv eiller ses luouveluents ; - Dénoncer les collaboratems et les u·aiu'es.

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J'ai touj ours tenu à ce que mes adj oints accomplissent ces tâches avec la plus grande pmdence et la plus grande liguem. J'ai déjà eu l' occasion de travailler avec des adj oints, à l'image de Haddad Abdennom et Aluned Tarkhouche, qui fai saient preuve d' un sens élevé de la responsabilité. Démonstration de force Fin 1956, j'ai décidé, apn;s l'adoption de la nouvelle organisation et l' obtention d ' wufoI1nes et de grades, d' effectuer lme townee avec la compagnie à travers la première région qui s' étendait d' OuedSeybouse à Taref en passant par le lac d' El Mkhada et Blandan . Le but etait, bien entendu, de faire lme dtimonstration de force et de relever, par-là, le moral des populations, qui en seraient ainsi plus convaincues de la nécessité de la lutte atm ée, en voyant lme atmée disciplinée, bien entraînée et bien équipée. Après notre sOItie, à la tombée de la nuit, de Sebâa direction du sud de Blandatl, lm cOIllinatldo elUlemi nous intercepta au niveau d'lm petit hatneau nOIlliné Halloufa, où se trouvait lUl centre d' approvisiOIUlement. Le connnatldant n'a pas ose nous attaquer, parce que nous étions supérieul"s en nombre, mais n' a pas cesse de slùvre nos traces. Pendatlt ce temps, l' atmee française a nus en alelte ses troupes présentes datlS la region, dmant toute la mùt, et elle reussit à nous assiéger au sud de Blatldatl, au lieu-dit Halloufa. Au lever du jom, des Pipper connnencèrent à nous swvoler. D' habitude, lorsque ce type d' avion slUvole l'espace, c' est le signe qu 'lme opérati on d' envergme se prépat·e. Deux patrOlùlles fment dépê-

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CHADLI BENDJEDID - MÉMO IRES

chées pom inspecter les lieux " A lem retom , le responsable m ' infOIma que tout était nonnal et qu' il n' y avait auctme tr"ace de l'ennemi " Mais, loin d'être rassm é, je décidai d' envoyer Wle deuxième patr"ouille" Celle-ci revint cinq minutes plus tard pom m ' avertir que nous étions cemés" Nous nous repliâmes vers la crête, pendant que les Français se dirigeaient en grand nombre vers nous de toutes parts" Ayarlt remar"qué W1 mouvement de P3l1ique darlS les rangs de la compagnie, j'intervillS alors énergiquement pom restamer la discipline et ordOIUlai d' ouvrir le feu, aV3l1t que l'étau ne se ressene sm nous, puis d' ouvrù Wle brèche darlS les rangs de l'ennenu . Nous nous accrochâInes avec les soldats de la cavalerie (spalus), en abat1Îmes W1 certain nombre, et récupérâmes deux chevaux" Après la fuite des cavaliers, Kaddom Bowu"arll prit l'initiative, avec sa section, de les pomsuivre, et réussit à en abath"e quelques autres" Le ciel était clair et, tout d' Wl coup, les nuages conunencèrent à s'arn onceler" Quatr"e avions B26 conunençaient à nous swvoler, mais les nuages compacts les empêchèrent de bombar"der nos positions" Ainsi, la providence sauva la compagrue, ce jom-là, d' tm 3l1éarltissement certain, les aviatems fi"3l1çais ay3l1t arTêté de lar"guer letu"s bombes de pem de toucher lems soldats" Après celte bataille, je pris la décision de scinder la compagnie en tr"ois sections, divisées, à lem tom, en tr"ois groupes (kism). La prenuère section prit position entr"e Sebâa et Otùed Diab, la seconde d3l1S les environs de BI3l1darl, et la tr"oisième fut installée à l ' ouest d' El-Kala"

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« L'ennemi est devant et la Iller derrière VOLIS! » Amanl Bougiez me contacta depuis Ttuus, me demandant d' affecter un groupe de combattants pOUl' convoyer une cargaison d'annes et de Humitions. Je chargeai alors Haddad Abde!U1our, mon adjoint militaire, et Tarkhouche Aluned, mon adjoint politique, de cette nussion hautement périlleuse. Ils pIirent avec eux des millets, et nous nous sonunes fixés rendez-vous, avant leur départ, à un endroit précis. Quelques jours après lem retom, les renseignements français découvlirent lem" plan, à cause d' IUle « fuite ». La même nuit, l ' année françai se se préparait à encercler le groupe et se mit à chercher ses traces. J'étais à Bourdim, non loin de Blandan, avec mle section. Pendant que les civils s' employaient à nous préparer le dîner, j ' avais le pressentiment que quelque chose allait ,mi ver. J'ai alors demandé aux djOlUloud de se préparer à se rendre au lieu où se trouvait le groupe. Les civils n ' ont pas complis la raison de mon insistance et pensaient que j'étais mécontent d' eux au point de ne pas voilloir prendre notre dîner en lem com. pagme. C' était une nuit sombre et orageuse. Notre guide, mon cousin Hocine, qui COIUlaiSSait parfaitement la région, réussit à nous accompagner à travers les tenains escrupés et les buissons jusqu' à Henaya. J'y ai retrouvé les éléments du groupe exténués. Ils s' apprêtaient à donnir, mais j'ai insisté pom déplacer les rumes et les dissümùer quelque prut en pleine nuit. Mes adj oints ont essayé de lne convaincre de relnettre la chose au

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lendemain, m ais j ' ai campé sm m a positi on, et lem ai ordOlUlé de contacter les m01lssebline pom lem demander de les aider dans cette tâche. Mon intuition avait été juste, puisqu' au lever du soleil, nous nous retrouvâmes assiég és, après que l ' année française et les goumiers eussent bouclé toute la • reglon. Le gardien avait remarqué lm goumier qui s' approchait de son cheval . Lorsqu' il l' interpella en lui disant: « Q 1Ii est-ce ? », il n' eut pas de réponse. 11 essaya de lui tirer dessus, sans succès car la crutouche étai t m ouillée. Et le goumier de lui rétorquer, avec ironie : « Celle arme ne tue pas les hommes .1 }) Après avoir entendu le tir du gomnier qui, hemeusement, avait raté le gru'dien, nous sor1Îmes de nos ablis, avrult d 'y revenir rapidement, accw és pru' le tir nouni de l'eIUlemi . Un accrochage violent s ' en suivit et dma jusqu'au lendemain m atin. Nous ne dûmes notre salut qu'aux fûts de récolte qui se trouvaient à l' entrée des refug es et que nous dûmes ébrécher à l' aide de nos poignru'ds pom en sortir et nous faufiler, moi et mon adjoint Tru·khouche. A notre sOltie, nous trouvâmes Haddad Abdennour et ses hommes encerclés SlU' un temun nu et nous nous lTÛmes aussitôt à tirer pom couvlir leur repli . Puis, nous mru'châmes d ' lm pas alelte en direction de la mer, sm une distrulce d' lm kilomètre. Le conunruldo SIUVait nos traces sm le sable, alors qu' il était à 500 mètres sewement de nous. Nous nous sonunes enfoncés dans la forêt pom nous y abliter. Les Frrulçais ont "VOlÙU y entrer, mais lem chef les en a empêchés, après avoir été infOlmé que nous déteruons des rumes •

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automatiques, Nous installâmes lUle pièce de type 24/29, mais à ce moment, je vis lUle celt aine panique s' emparer des dj olUloud qui me demandèrent ce qu'il y avait lieu de faire, Je leur donnai ordre de creuser des tranchées et de s'y engouffrer. Nous les voyions aniver ; ils étaient supélieurs en nOlubre et en annes. J' ajoutai : « Soit nOlis tombons alt champ d 'honneur, soit nOlis les exterm inons ; il 11 'y a pas d 'autre choix .1 » lis conunencèrent à

nous bombarder par des tirs d' rutillelie, mais les obus passaient loin denière nous, pour s' échouer sur le bord de la mer. Nous nous retrouvions darrs la même situation que Truiq Ibn Ziyad, lors de sa conquête de l'Andalousie : « L a mer est derrière et ['ennemi de vant vous f » Le calme ne revint qu'au début de l'après-midi , A notre sOIt1e, le conunando avait déj à quitté les lieux, Le lieutenant avait laissé pour moi, accroché sur lUl roseau lUl billet où il avait éclit : « Nous te connaissons bien ; s i tu te rends, nOlis le g arantirons t01l1 et le donnerons lin g rade s upérieur. »

Ce lieutenant, nonuné Frrulcoville était tm officier de la SAS réputé pour ses méthodes traîtresses et machiavéliques pour essayer de gagner la poplùation et de temir, pru' là-même occasion, l'image des moudjalùdine, 11 rassemblait la poptùai ion pour la hru'anguer et !tù pru'ler de la grruldeur de la France, de sa « mission civilisatrice » en Algélie, et de sa « mansuétude », au point de pru'-

dOIUler même à ceux qui avaient plis les rumes contre elle, Devrult les habitrults de Sebâa, il tenait mon fi'ère cadet, Abdelmalek à ses côtés, en disünt : « No us savons que le frère de ce jeune g arçon a

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CHADLI BtNDJEDIO - MÉMOIRES

pris les armes con tre nOliS, et qu 'il est maintenant GU maquis. Mais comme VOliS voye; bien, nous ne nOliS sommes pas vengés de lui ; c 'est la preuve que la France est clémente. » Ma lnère, qui chél1SSait mon petit frère, souffrait tant d' assister à cette scène que, pom metti-e fin à ce calvaire, je décidai de recruter mon frère _ Lorsqu 'il a rejoint le maquis, je lui ai remis lm fusil qui était plus long que lui _ Puis, je l ' ai désigné comme secrétaire auprès du connnissaire politique du secteuL Quelques joms après l ' accrochage, j ' ai décidé de monter lme embuscade contre ce lieutenant. J'ai chargé quatre djolmoud qui se sont pOltés volontaires pom cette mission. L' embuscade était lme vélltable aventme, lm acte suicidaire et totalement fou, parce que nous l ' avons dressée dans lm endroit complètement déboisé. J'ai demandé au chef de la section d' installer ses honnnes non loin du lieu d' exécution de l'opération. Je lui ai aussi demandé de prendre deux chevaux pom les utiliser dans le repli rapide vers la crête qui était à deux kilomètres de nous . Ce lieutenant avait l'habitude de quitter son poste en direction de la route principale, en s ' arrêtant au virage de Righiya pom se rendi-e au marché du lundi _ Nous avons mené l'opération connne nous l ' avions planifiée. Le lieutenant fut gravement blessé, et lUl hélicoptère fut dépêché pom l' évacuer à l'hôpital d' Atmaba. Quelques j om s plus tard, il sera transféré en France pom des soins, avant de revenir quelques mois plus tard, patu- être promu connnandant. Aux populations , il disait : « Les fellagas l1e S0l1 1 riel1 ! Ce l1e SOI1 / que des

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LE C ONGRÈS DI LA SOUMM AM ... (1 956-1958)

hors-la-loi » qu' il se promettait de combattre et d' anéantir. « Q I/e p ellvent faire Chadli et les f ellag as f ace al/x canons de la France ? » Il resta quelques j om s à Almaba, puis la quitta à jamais. L' embuscade qui je lui ai dressée était ma réponse à sa letlTe et à sa proposition perfide. Dj eddi Khaled en tenue verte

Un jom d' été 1957, alors que je me dirigeais à la tête d'tille section, de Zeitouna vers Blandan, nous nous sonuues retrouvés subiteluent plis au milieu d' tUle vaste opération de ratissage. Encerclés, nous étions contraints de nous replier vers une forêt et de nous abriter dans IUle fosse. Ils voulaiént m' arTêter vivant. J'ai entendu lem chef leu!" dire : (( Vous deve= arrêter l 'homme à la serviette rOl/ge », faisarlt allusion à moi. La serviette en question contenai t des doclUuents importants sm les dj ounoud, les mOl/ssehline et les gens qui versaient des cotisations ; je l'ai bien mise au secret pom éviter qu' elle ne tombe enlTe les mains de l' ennemi. Après avoir beaucoup attendu, ils se sont mis à bombar-der l'endi·oit par- des tirs d' artillerie et des avions T6 se mirent, avec lem tenible vrombisseluent, à nous sluvoler à raSe-lllotte. Nous son1mes restés toute la jOlUllée confinés darls la fosse, et j'ai demarldé aux dj OIUloud de résister et de ne pas céder, quel que soit le prix à payer, priant Sidi Khaled de nous venir en aide. Soudain, je me sentis pris d' lUle étrange fatigue ; j'ai essayé de lutter contre le sonllueil, lUaiS en vain. J'ai alors dit au chef de groupe : « Je vais dormir I/n p el/, et si les militaires 110 1lS attaquent, réveille-moi .1 » Pris de

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C HADLI BENDJEDID - MtMOIRES

sonuneil, j ' ai VU dans le rêve Sidi Khaled sOltir comme d' tm écran de cinéma, vêtu d' un accoutrement vert et coiffé d'lm chèche en soie. J'ai fait une prière pour qu'il nous sOlte de ce siège. Il me tendit tme main et, d'tm air railleur, me lança : « C 'est maintenant que tn penses à moi ? » Quand je tentai de lui tenir la main, je me réveillai. Nous sonunes restés retranchés jusqu' à Ime heure tardive de la nuit. Il faisait très chaud, et nous étions contraints de suçoter l' eau des plantes pour nous rafraîchir un peu . Le chef de groupe, qui était tm grand fumeur, a failli boire son mine, tellement il avait soif. Sauvés par la prière Début 1957, Djebel Bouabad, dans les environs de Chafia, a été le théâtre d'Ime bataille rangée, qui vit la paIticipation de deux compagnies et dura du matin jusqu' à tme heure avancée de la nuit. Dès que j ' ai appris la nouvelle, j 'ai décidé de rejoindre les moudjahidine à la tête d' mIe section. Mais les combats avaient cessé. Sur le chemin, le conunando de Bigeard nous prit en embuscade. Nous allions vers une mOlt certaine. A notre aITIvée devaIlt tme som'ce d' eau, au niveau de l'intersection, j ' ai demaIldé aux moudjalùdine de nous aITêter pour faire nos ablutions et accomplir la prière du dohr. Les Français, CroyaIlt que nous avions chaIlgé d' itinéraire, ont vite déplacé leur plan sur la deuxième route. Après la prière, nous continuâmes notre route et, très vite, nous nous aperçlùnes qu'ils nous guettaient. Leurs traces sur le sol étaient visibles. Nous fimes le trajet en trois

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LE C ONCRÈS DE LA SOUMMAM ... (1956-1958)

étapes, et lorsqu'ils nous découvrirent, ils se mirent à nous pOlU"suivre, mais nous étions déjà entrés dans la forêt. Les T6 se mirent alors à planer au-dessus de nos têtes. Un harki qui était avec eux, dit au chef du cOlrunando, le lieutenant Thomas : « Ce sont des lâches. 1 A chaqlle fo is, ils f llient ». Et le chef de lui rétorquer : « S 'ils étaient des lâches, ils n 'auraient pas h-aversé la roule en plein jOlir .1

»

Cet échange nous a été rapporté, plus tard, par lUl soldat sU11l0lmné « Rih fi ech ebbak », qui était ligoté à lm tronc d'arbre et qui avait réussi à se délivrer. 11lOmas était réputé pOlU· ses méthodes cruelles et son désir de se venger sur les civils à chaque foi s qu'il se trouvait incapable d' affi·onter les moudj allidine. Il trouva la mOlt à djebel Medjerda dans lill violent accrochage, suite à l' attaque qu' il avait menée la veille contre la baseanière de la région II, cOlmuandée par Fadhel Bouterfa. Le procès de Slimane « L 'assallt » Après avoir vu cOlmnent a été créée la Base de l' Est et cOlmuent a évolué son organigrarmne ; après avoir expliqué ses nussions et son rôle, je voudrais évoquer à présent, plus en détail , l ' appar·eil judiciaire mis en place par le FLN. La Révolution algérielUle, à l' instar de toutes les révolutions années de par· le monde, n' est pas exempte d' excès . Au début, on exécutait SlU" la base d' lille simple suspicion ou d' une délation, voire pour non-paiement de cotisation. Mais le conunandement de la Révolution a remédié à la situation, après le congrès de la

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C HADL I BrNDJEDID - MÉMOIRES

Soummam, en mettant en place llll appareil judiciaire compOltant deux sections : 1' tme spécialisée dans les affaires civiles et l ' autre, plus impOlt ante, concemant les ui btmaux militaires, et s ' occupant exclusivement de l' ALN . Les gens n' étaient pas familiers aux uibllllaux civils, mais peu à peu, ils n ' hésitaient pas à y recolllir pOUl régler leUls litiges, conuue le divorce, 1' héli tage, les conflits liés à la propli été, le mariage, l' établissement de l' état civil, etc. Il est clair que le but était d' affaiblir l ' adminisu1ltion coloniale en en éloignarlt le citoyen, et en renforçant la confiance de celui-ci dans les institutions naissantes de la Révolution. L' accroissement du rôle que conuuençaient à j ouer ces assemblées poptùaires encoUlagel1l les citoyens à boycotter l' adminisu·ation coloniale, quasi-définitivement, à partir de 1956. Sans être prétentieux, je dirais qu' avarlt même la création de ces ui bllllaux, je m ' imposais touj OUlS la plus grarlde ligueUl darls les inf0l1l1ations avarlt de prononcer llll verdict. Quarld j ' étais responsable de région, puis de zone, j ' exigeais touj OUlS de vérifier les renseignements qui nous par·venaient sUl les persolUles incriminées. Et si ces infonnations s'avéraient exactes, je delnandais à leUl farnille ou aux sages de la région d' essayer de convaincre les pers ormes mises en cause pOUl tm délit, de renoncer à lem compOltement. Mais je n' étais point indulgent avec les personnes coupables d' actes pouvarlt nuire à notre combat ou susceptibles d' influencer le moral des dj olllloud. A tiu·e d' exemple, en 1957, j ' ai dormé ordre d' exécuter lm chef de groupe pOUllme affaire de mœUlS.

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LE C ONGRÎ S DE LA SOUMMAM ... (l9f>(> l' t

A l ' époque de l ' état-maj or, j ' ai appliqué la mème sentence contre une autre personne pom le mème motif Une fois, mon fi'ère Abdelmalek a connnis IUle petite faute et a été condanmé à 10 jom s de pIison. Mais le responsable de la région n' a pas jugé bon d' appliquer la sentence. Lors d' IUle visite d' inspecti on dans la région, l'ayant app1is, j ' ai tout de suite ordOlmé à Abdelkader Abdellaoui, le chef de région, d' appliquer le jugement tel qu' il était appliqué aux dj OlUloud et aux sous-officiers. Le conunandement de la Base de l'Est a installé IUle haute instance judiciaire, dont la fonction est de statuer sm les grandes affaires ayant trait à l ' intérèt de la Révolution, connne la tralùson, la divlùgation de secret nùlitaire, la sédition, l ' attentat à la pudeur et l'homosexualité ... L' un des plus célèbres procès tenus à la Base de l'Est fut celui de Slimane Guenoune, dit « L' assaut », en 1957. Le cOlfunandement de la Base de l ' Est tenait expressément à assmer l' anivée des convois d' armement à lem destination, pom parer au manque d' aImes et de munitions dont souffraient les wilayas inté1iemes, suite à l ' édification des lignes MOlice et Challe . C' est pomquoi, il reconunaIldait touj om s à la compag1ùe d' escOlte d' ètre prudente et vigilante, d' emprunter les itinéraires les plus sûrs, d'éviter au 111axinuul1 de s' accrocher avec l'e1menù afin de ne pas exposer les populations rurales aux représailles de l ' aImée française. Cependant, ces instructions n' étaient pas touj ours respectées, connne le montre l ' exemple de ce qui est aI1ivé au convoi conduit paI' Slimane GuenOlUle, dit « L' assaut », vers la Wilaya III, suite

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CHADLI BENDJ[DID - MÉMOIRES

à la VIsIte qu ' avait effectuée Amirouche à la Base de l'Est Ce moudjahid était lm vrai baroudeur, ce qui lui valut bien son SlU110m. Son nom a blillé à une péliade très difficile qu' avait traversée la Base de l' Est, marquée par l ' embrouillement, l'incapacité du conuuandement à prendre des décisions et l ' inaction des lUutés sur les frontières . {( L'assaut » était, aux yeux des combattants, lUl exemple de bravoure et d' intrépidité fii sant la témélité. Il n' hésitait pas à prendre le lisque avec ses honuues de livrer des batailles inégales. Il cherchait l'ennenu, n' ayant cure des calculs stratégiques ou tactiques. Il menait les combats par la telTeur et la menace, sans se soucier anClUlement de la vie de ses hOlmnes .

Pendant l ' été 1957, Amara Bougiez le chargea d' escOlter lm impOltant convoi d' ru111es, de mlUutians et de médicruuents vers les Wilayas III et IV . Au cours de ce trajet pénible, {( L' assaut » ne se déprutit pas de son tempérrunent téméraire, ni de son compOltement quelque pen excentiique. Alors, à chaque fois qu' il soupçOlmait une embuscade, il se mettait, tel lUl forcené, à tirer drulS tous les sens et de façon aléatoire. Il utilisait les ru111es et les mllllitions de la compaglue, mais il ne se gênait pas de se servir, prufois, des ru111es et nnuutians destinées à la wilaya. Il lui rul1va aussi de provoquer des accrochages drulS des villages ou des hruueaux, exposrult leurs pop,ilatiOllS aux représailles de l ' ru111ée elUlenue. C' est ainsi que {( L' assaut » fera découvlir les itinéraires d'achenunement des ru111es vers l' intélielU".

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LE CONCRtS DE LA SOUMMAM ... (1956-195)1.

Cette fois, il abandOlma le convoi il Serdj EIGhow, c' est-il-dire il la limite de la wilaya II, et rebroussa chemin avec sa compagnie vers la Base de l' Es!. Quelque temps plus tard, Amara Bougiez reçut un rappOlt d' Amirouche lui faisant prut des elUUlis qu 'avait causés « L'assaut » et des dégâts que sa conduite avait dfI occasiOlmer il sa wilaya. Bougiez ordolUla alors il AbdelTalunrule Bensalem de mettre « L' assaut » aux ruTêts, de désrumer ses honunes, et de le juger. Le tribunal était composé, en plus d' Amru·a Bougiez, de Mohruned Aouacluia, le responsable militaire de la Base de l' Est, Remadnia Hafnaoui, Zine Noubli et moi-même. La défense était assmée pru· Ahmed Tru·khouche, Abdelkader Abdellaoui et Mohruned-ChéIif Messaâdia. Trois chefs d'inclùpation étaient retenus contre Slimrule « L' assaut » : insubordination, ingérence dans les affaires d' une autre wilaya et accrochage inutile avec l'elUlemi . L' accusé fut condruTUlé il la peine de mOlt mais cette sentence était plutôt destinée il complaire il la Wilaya III , puisque Bougiez n ' en ordolUla pas l' exécution et la conunua en peine de plison, en considération de la bravow·e de « L' assaut » et de son sens du sacIifice drulS les combats qu'il avait menés. Les lignes de la mOlt La plus noble, mais aussi la plus drulgereuse tâche que la Base de l' Est ait eue à accomplir avec autant d' abnégation que d' habileté, fut l'acheminement des rumes et des mwùtions vers l'intéliem·, notrunment vers les Wilayas HI et IV. Cette tâche était Wle véIitabIe aventme ; les moudjalù-

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C HADLI BINDJEDIO - MÉMOIRES

dine marchaient vers tme mOit celtaine, n 'ayant cm-e des difficwtés ni des lisques qu ' ils encouraient. Des milliers ont laissé lem- vie dans ces opérations, les survivants continueront à en pmier les stigmates sm- leur corps jusqu 'après l'indépendance _ Les héros de la Base de l'Est ont réalisé ce miracle, sans pareil dans l'histoire des guelTes, défiant ainsi les postes de contrôle implantés par les Français tout au long des fi-ontières et sur le tenitoire national _ Ils traversaient en pleine nuit la ligne MOlice, en coupant les fi ls barbelés à l'aide de cisailles isolantes et en désamorçant les mines dévastauices, qu'ils faisant parfois exploser par des tubes de Bangalore _ Le convoi était escOlté par tme compagnie et les djounoud utilisaient, au début, chevaux et mwets pour U1lllSpOiter les atmes et les munitions_ Puis, tout d' Ult coup, le COimUatldement décida de les abandOlUler, après que l'elUlemi les eùt découvelts à maintes replises_ Suite à quoi, le djotmdi se u-ouva obligé de pat-COUlir, à pieds, des centaines de kilomèu-es, chargé en plus de sa propre atme, de deux ou u-ois auu-es pièces et de leurs nuritions_ Le nombre de convois acheminés par la Base de l' Est vers l' intétiem- dépasse la u-entaine, selon Amat-a Bougiez_ Ces convois u1lllSpOitaient des annes autmuatiques et, parfois aussi, des mortiers de calibres 45 et 120 nUll _ Les moudjalùdine évoquent, à ce j om-, avec fielté les convois conduits vers les Wilayas ni et IV pat- des vaillants combattatltS conuue Aluned Besbassi, Mohatned Kebaïli , Youcef Latrèche et Slimane GuelUloUlle, dit « L'assaut ».

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LE C ON CRÈS DE LA SOUMMAM ... (1956-1958)

1957, les travaux de constmction des deux barrages sur les fronts est et ouest se poursuivaient d' an"llche-pied" 11 était clair que le conunandement de l ' année française cherchait, par-là, à isoler complètement les combattants de l' ALN et à leur ôter tout soutien" Il s' avérera, plus tard, que le miuistre de la Défense, André Morice, dont le nom est dOlmé à lille de ces deux lignes élecuifiées, a persOlmellement profité de ce projet, en écoulant le fil barbelé fabriqué par son usine à l ' année" A la fin des U"llV31lX, les populations nu"ent évacuées de force et regroupées dans des cenu"es d'intemement et dans des postes proches des casemes et des points de contrôle" Toute la région s' étendant de la ligne MOli ce jusqu' aux frontières tunisielmes devenait un « no man 's land »" A la fin de l'armée, le barTage ar1ivait jusqu'à Tébessa en se prolongearlt versTigrine par" lill système de r"lldars et de pau"ouilles de slUveillance" En plus de sa fonction première, qui était celle d'empêcher l' infilu"lltion des convois d' armement, la ligne MOlice a été consu, ute aussi pom protéger la voie fenée reliant El-Ouenza à Tébessa et Annaba, par" laquelle étaient transpOltés le char"bon et le matériel militaire" « La ligne de la mort », comme nous l' appelions, étai t élecuifiée, semée de champs de mines, et u"aversée, enu"e les deux lignes principales, par" des sentiers et parfois des routes bihunées reliant les blockhaus pas très éloignés les lUlS des auu"es, réservées à des pau"olulles de herse" Le barl"l1ge étai t doté de proj ectelll"S ilhurunant en penna-

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CHADLI BINDJEDID - MÊMOIRES

nence les lignes et les alentours. Des avions la survolent sans anêt dans les deux sens, afin de détecter le moindre mouvement ou tentative de fi'anchissemenl. Fin 1958, début 1959, le deuxième b~lITage fut édifié denière le premier, baptisé « Ligne Challe », du nom du général Mamice Challe. Il s'étend de Bab Lebhar à Lâayoune, puis à l ' est d' El-Kala, AïnLassel, pOlU' aboutir à ZeitotUla, Botù1adjru' et Souk-Allras, avrull de bifurquer à Lenllidj et Tigrine et de longer la descente de Oued-Souf, en passrull pru' Tébessa. Après la construction des deux bruTages, les tentatives de frru1clùssement devenaient hautement lisquées, voire dru1s la pluprut des cas impossibles. Cette impennéabilité des deux lignes fut objet de controverse entre ceux qui appelaient à les franchir quel qu' en soit le plix en vies hmnaines, et ceux qui réclrunaient au conllnandement de fommr les moyens propres il réduire le nombre de victÎlnes. Beaucoup nous ont reproché, à nous les officiers de la Base de l' Est, de n 'avoir lien fait pour empêcher la construction des deux lignes. Celtains, dont Mohru11lnedi Saïd, sont allés plus loin, nous accusru1t de vow oir faciliter la tâche à l ' rumée fi1U1çaise et d' inciter les civils à pruticiper à leur constmction dru1s le but de leur soutirer des cotisations. En vérité, nous n' avons pas cessé de sui vre toutes les phases de la constmction de ces deux lignes. Nous avons tenté, à plusieurs replises, d' entraver la progression des travaux pru' des accrochages et des embuscades. Aussi, avions-nous demru1dé au c0I11Inandement

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LE C ONGRES DE LA SOUMMAM ... (1956-1958)

de la Révolution de nous envoyer en renfOlts les unités restées inactives dans les camps de ZeitOlUl en Tunisie. Amara Bougiez a évoqué cette question dans son témoignage : « L 'armée ji-ançaise s 'esl déplacée à la fin de 1957 vers les fi"onlières eSI, el déclencha une vaste opération de ratissage qui durera un mois, en déployant une armada de soldats, par voie terrestre et aérienne, appuyées de sept unités du Génie, équipées d 'engins sophistiqués, destinés à aménager le territoire pour ériger la ligne Morice. C 'étaien t ces unités du Génie q1li implantaient au fur et à mesure,

derrière les engins, les fils barbelés, semaienl les champs de mines, el passaienl les fils électrifiés de haute tension. Comment des unités de l'ALN, plus habituées à la guérilla, pouvaient-elles affronter un tel déploiement durant un mois, avec des troupes équipées de toute sorte d 'armes modernes, sous la protection et la couverture permanente de l 'avia tion ? Certaines voix disent des choses insensées, comme celle insinuant que nOliS aurions incité le peuple à participer à ces travaux, pour leur soutirer des cotisations aux maquis. Ces propos ne peuvent émaner d 'un homme sensé, connaissant le terrain et ayant vécu les péripéties de la lulfe armée Olt ayant participé à certains événements ; car la France, avec tout ce qu 'elle a mobilisé comme effectifs et moyens colossal/X, deslinés à cel objeclif, se passera il bien de la main-d'œuvre algérienne, à l 'exception peut-être d 'un certain nombre de civils faits prisonniers lors de ratissages ».

J'ai prévenu Mohammedi Saïd plus d'une foi s, dans des comptes-rendus détaill és, des dangers

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C HADLI BENDJEDID - MtMOIRI S

que constituait pour nous le projet de constiuction de la ligne Challe _ Je ltù ai demandé notanunent de nolIS fournir des aImes et de mettre il noti-e disposition, daIlS les zones 1 et II, les unités de combat des Wilayas II, III et IV iImnobilisées le long des fi-ontières, afin d'empêcher l' aImée fi-aIlçaise d'éIiger la ligne Challe, qtÙ Iisquait d'asphyxier les maquis en les COUpaIlt des poptùatiOllS et des sources d' approvisiormement. Mais je prêchais daIlS 1e déselt ! Après le paI-achèvement de la construction des deux lignes de la mOlt, l'approvisiOlmement des wilayas intérieures en annes et en Inatériel devenait de plus en plus difficile_ Les opératiOllS de fraIlchi ssement finissaient généralement, soit PaIl 'échec, soit par la mOlt des combattaIlts, électrocutés, déchiquetés PaI- les mines ou tombaIlt daIlS des embuscades que leur dressaient les éqnipes de SmVeillaI1Ce dissélninées tout au long des deux lignes_ En conséquence, le tenitoire de la Base de l' Est s'en trouvait fragmenté pratiquement en trois zones coupées les lUles des auu-es_ La prenùère, à l 'ouest, isolait AImaba, Mondovi, BaITai, EI-Besbas, Z ' Iizer, MOlice et Oued Seybouse_ La deuxième était pli se en tenaille entre les deux lignes_ QUaIlt à la troisième, située à l' est ; elle est devenue lme « zone interdite » lUl no man 's land. L'année française a rassemblé les pOptùatiOllS daI1S des caInps proches des postes militaires pom- lnieux les SlU-veiller et les empêcher d' avoir le moincù-e contact avec les moudjahidine_ Les popwations étaient obligées de demaIlder lm laissez-passer pour se rencù-e à leur travail. Ce docmuent leur fixait les

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LE C ONCRÈ S DE LA SOUMMAM ... (1956-1958)

heures de sOitie et d' entrée de 9h à 16h. Tout retru-dataire était considéré conune suspect ou s' exposait à la mort. Pom nous ravitailler, nous étions contraints de faire des actions de diversion, pom détoumer l' attention de l'elmemi. Ainsi lme section s' accroche avec l' elmemi dans Wl endroit précis, afin de permettre à IUle auh·e de s'inh-oduire dans les villages pom se ravitailler. L'activité de la Base de l' Est a remru-quablement évolué enh·e 1957 et 1958. Grâce aux capacités d'organisation d' Amara Bougiez, nous avons réussi à meth-e en place des selvices impOitants pom l'action année. Il y avait, ouh-e les tâches confiées aux adj oints du chef de zone, dans les domaines militaire, politique et du renseignement, des selv ices vitaux tels que ceux de 1' rumement, de l' approvisiolUlement, des liai sons et de la santé. Des cenh-es de fonnation ont également été créés, lesquels ont fait de la Base de l'Est le poumon de la Révolution et son cœm battant. A l'intention de ceux qui sous-estiment le rôle qu' a joué la Base de l' Est ou qui tentent de régler de vieux comptes avec elle, en laissant dire que les textes de la Révolution n 'en ont pas prévu l' existence, nous reproduisons ici IUle leth-e du colonel Amirouche, qui s' est rendu à deux replises à la Base de l' Est, et y a renconh-é ses responsables puis, à son retom à la Wilaya ni, adressé la leth·e suivante à Amara Bougiez :

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C HADLI BrNDJEDID - MÊMOIRES

FROIIT ET ARMÊE DE LIBERATIOII

WILAYA III

AUX ARMÉES , LE 8 MARS 1958

Au frere colonel de la Base de l'Est moment

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courage aux moudJaluchne de la Base de l'Est F,",

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Comité

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Wibyn,

CHAPITRE V LE COMPLOT DES COLONELS 1958-1959

L' incident du Kef, que d'aucuns appellent, à tOIt, tantôt « le complot des colonels », tantôt « le complot de Lamour; » a fait couler beaucoup d' encre. Tout le monde a dissmté sur ses tenants et aboutissants, même cenx qui ne sont mêlés ni de près ni de loin à cette affaire. Je dois smùigner d' emblée que, à la Base de l' Est, nous n ' affectionnions pas beaucoup ce tenue de « complot », pour la simple raison que ce mot, à cOllllotation dépréciative et anx relents politiciens avérés, pouvait donner une fausse interprétation d' un épisode dillmati que de notre lutte anuée, ou temir l ' image de notre Révolution en la présentant cormue une série de manigances, d' intrigues et de complots. Ce qui est, évidenuuent, loin d' êtr·e le cas. Ayant vécu cmtaines phases de l' incident du Kef et rencontr·é certains membres du G PRA, pmu· négocier avec enx le SOIt de Mohamed Lammui et de ses call1arades avant leur exécution, il est de 1110n devoir d' appOlter ici mon témoignage sur le sujet.

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L' affaire n ' était guère, en fait, lm conflit pom le pouvoir ou une luite de clans, il s' agissait plutôt de divergences profondes sm les méthodes de la luite année et la gestion politique de la Révolution, ainsi que sm le choix des diligeants ; autrement dit sm le deverur de la Révolution de façon globale. Mohamed Lamomi, Mohamed Aouaclnia, Aluned Nouaoura, le cOlllinandant Mostafa Lalœhal et la majOlité des officiers de la Wilaya 1 et de la Base de l ' Est étaient persuadés que la Révolution avait dévié de sa voie initiale et qu' il fallait réagir pom remédier à la situation avant qu' il ne soit trop tard. C ' est ainsi qu' a genné, peu à peu, l'idée d' employer la violence contre le tlitunvirat pom l' amener à revoir les décisions qu' il avait plises contre Amanl Bougiez et Mohamed Lamotui, après la dissolution du Comité des opérations militaires (COM). Il faudillit revenir lm peu en anière pOlU" replacer l ' incident du Kef dans son contexte hi stolique réel, en évoquant le SOIt de la Base de l ' Est et ce qui se tramait contre elle dans le secret. L' état-major de l'Est N ée dans la douletu· et les lannes, la Base de l' Est n' atull pas vécu longtemps. Deux ans après sa création, elle fut entenée dans des conditions tout aussi dOlilolU"euses, fin 1958. Le lideau filt tiré SlU" les exploits et saclifices de ses diligeants et de ses soldats . Le SOIt ullgique qu ' ont connu celtains de ses chefs marquera à jamais les moudjaludine de la région et eut tul effet indéluable SlU" le coms de la Révolution en général . Mais les enjeux qui l 'ont

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entolU'ée dès sa création a fait d' elle l 'objet de convoitises des politiciens et de celtains avenUlliers, et d' inuigues de ceux qui lorgnaient vers le . pOUVOIr. L'année qui vit le démantèlement de la base a été l ' lUle des plus troubles et des plus agitées, à plus d'lm titre, Ainsi, au niveau de la direction du CCE, les divergences entre ses membres allaient en s'aggravant et vont se répercuter négativement sm la combattivité de l' ALN , Ces différends éclatèrent au grand j om après l' assassinat d' Abane Ramdane, à la f111 de 1957 , Au début, nous avons prêté foi à la version donnée par le j olUnal E 1Moudjahid sm la préslUuée mort de Abane au champ d' hOlmem, mais nous avons vite été désarçOlmés en apprenant la vélité amère : ses compagnons d' aImes l'avaient enu
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de combiner entre les opérations militaires et des concessions très minimes au profit des Algériens_ L' anivée du général de Gatùle au pouvoir marqua le début de la période la plus dme et la plus périlleuse pom la Révolution algérierme_ Certains dirigeants politiques s'étaient laissé duper en ayant cru aux initiatives lancées par le général de GalÙle" SUltOut après son voyage en Algérie, en juin 1958, puis à son armonce du plan de Constarltine _ Le proj et de Constarltine représentait, en fait, la car-otle et le plarl Challe, visarlt à arléantir l' ALN en intensifiarlt les opérations de contrôle et de ratissage dans les zones frontalières, le bâton_ Char-les de Gaulle comOllilera sa politique par sa farneuse ({ offre » dite la ({ paix des braves », qui était synonyme pom nous de reddition pUl-e et simple et de refus de tout dialogue sur l'avenir politique de l' Algérie _ Le plarl Challe Il me par-ait impOltant d'évoquer ici la grarlde offensive mise au point par- le général MaUlice Challe, après qu' il eut été désigné par- le général de Gaulle en 1958, conuue chef d' état-major. La stratégie du général visait à atleindi-e des objectifs précis, dont celui d' isoler les wilayas intériemes des bases d'approvisionnement, notarmnent à partir de la Base de l ' Est, et de les couper des poplÙations en créarlt des centres de regroupement et des zones tarnpons, notanuuent entre les lignes Challe et MOlice, de prévoir des opérations d' envergure, telles que les opérations ({ Etincelle» dans les HautsPlateaux, ({ Jumelles » en Kabylie, « Pierres préciell-

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ses », dans le Nord-Constantinois, et d' envisager lùtélielU"ement l' édification d' une ligne électtifiée baptisée à son nom et que nous appelions ({ la ligne de la 1II0rt »_ La France a mobilisé des moyens énormes pOlU" réaliser cet ouvrage dans les plus brefs délais_ Le but était de renforcer la ligne MOlice et de harceler les moudjaludine pOlU" les empêcher d' entt-er SlU" le tenitoire national et d'acheminer des annes et des munitions vers les maquis intélielU"s et dans le même temps, de créer lille zone tampon s' apparentant à lill « no man's land »_ C' est dans cette cOI~ onctlU"e difficile que fut lancé le plan de démantèlement de la Base de l' Est. La prenuère étape fut accomplie au COlU"S de la prenu ère moitié de 1958, lorsque Klim Belkacem plit la décision, hâtive, de créer le COM SlU" les frontières est et ouest. Le but avoué était de charger cet organe de conduire la lutte année dans les maquis, mais c' était en réalité le début de la mise à mOlt de la Base de l' Est ët de la liquidation de ses dirigeants _ Les divergences entt-e les tt-ois ({ B » furent étalées au grand jOlU", même au sujet de la création du COM _ Boussouf, Klim Belkacem et Bentobal étaient contt-aints de patVelur à un compronus, en prenatll en compte le ptincipe de la représentati on régionale et le souci de représenter l' ensemble des wilayas_ Désonnais, le ptincipe de la direction collégiale SlU" lequel s' était appuyée la Révolution à son déclenchement était adapté aux réalités du telTain et au jeu des équilibres_ SlU" la frontière ouest, le COM était diligé patHouati BOlunediene, qui avait été imposé patBoussouf, secondé pat- le colonel Sadek. Tous deux

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diIigeaient la luite année dans les Wilayas IV et V , Quant au COM de l' est, il était devenu un vrai foyer de divergences et d' antagonismes qui auguraient d'une déflagration à COlut te/me, Rien ne laissait entrevoir un semblant d' eff0l1 de cOOl'dination et de travail collectif entre son chef, Mohanunedi Saïd de la Wilaya III, Mohamed Lamomi de la Wilaya 1, Armnar Benaouda de la Wilaya" et Arnara Bougiez de la Base de l ' Es!. Le conflit entre Bougiez et Benaouda était à son paroxysme, Celui-ci cOOl'dOimait avec Bentobal la neutralisation de Bougiez, Après le départ de Bougiez du COM, tout l'organigrarlmle de la Base de l' Est fut charnbotùé, avec la désignation à sa tête du cOimnandarlt MoharnedTallar' Aouacluia, secondé par' le cOimnandarll Chotùchi EI-Aïssani , La zone 1 sera confiée au beau-frère de Bougiez, Ressâa Mazouz, secondé par' trois adjoints, avec le grade de lieutenarlt, à savoir Chadli Bendj edid, Youcef Boubir et Belkacem Anunoma, dit Beledholtiolti, Des changements similaires fment opérés au niveau des zones 2 et 3, qtÙ étaient restées sous l' autorité d' AbdelTalunane Bensalem et de Tallar' ZbiIi, Dissolution du COM A la fin du mois de septembre de la même armée, le CCE, rémù au Caire, rendit son tùtime décision avant d'être remplacé par' le gouvemement provisoire, pOitarlt dissolution du COM et accusant ses membres de défaillance, d' incapacité à appliquer les décisions du cOlmnandelnent et, enfin, d'incompétence, Aussi, des décisions ar-bitraires fiu'ent pri-

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ses à leu!" encont!"e. A notre niveau, nous les officiers de la base, nous avions pressenti url stratagème visant à liquider nos responsables et à se venger d' eux, d' autant plus que nous avions constaté Wle certaine discrimination dans la nature et le degré des sanctions prononcées à l' encontre des mis en cause. Des peines excessivement lourdes étaient prononcées contre les chefs de la Wilaya 1 et de la Base de l' Est, tandis que les autres membres eurent di·oit à des sanctions plutôt clémentes. Ainsi, Bougiez fut dégradé au rang de capitaine et interdit de toute activité avant d'être expulsé vers Bagdad - et non pas vers le Soudan, connne on a pu le lire dans certains ouvrages. Lamouri a été, lui aussi, dégradé et déporté vers Djedda, même si, en fait, il n'y est jamais parti (il se réfugiera en Libye). Le CCE se contenta d'exptùser Benaouda pour twe durée de trois mois à Beyrouth. Quant au premier responsable du COM, Mohanunedi Saïd, premier à être accusé d'incompétence, il sera rattaché au GPRA au Caire, pOlU" être chargé, un mois plus tard, de diriger la nouvelle organisation dénommée l' Etat-maj or de l' Est. C' est sans doute Amara Bougiez qui a poussé Lamouri à rej eter les décisions du G PRA ou, à vrai dire, celles du hiurnvirat. Il cherchait à résoudi·e le problème par des moyens pacifiques et dans le cadi·e réglementaire. Mais Lamouri, lui, a opté pmu· la violence . li a connnencé à coordorUler ses efforts pour déloger les militaires du GPRA, avec l' aide d' Aluned Nouaoura qui lui a succédé à la tête de la Wilaya 1 et de Mohamed Tahar AouacJuia, successeur· de Bougiez à la tête de la

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Base de l'Est. Le point de discorde essentiel était cette demande expresse d'accélérer l'enti-ée de l' anuée sur le tenitoire national dans des conditions quasi-impossibles . Mais Nouaoma et Aouacluia s'y opposèrent, exigeant conuue condition de diIiger les bases frontalières . Pendant ce teInps, Lrunollll s'était nus à coordonner avec Mostafa Lakehal, dit Palestro, son entrée en TlUusie. L' eITem de LamolUi était de tenir son conciliabule en Ttulisie, au lieu de le faire à la Base de l 'Est. Car, là-bas, on pouvait lui assmer la protection nécessaire, SlUtOut que la pluprut des chefs des trois zones adhéraient à sa thèse . Aouacluia enclencha alors lille sélie de rélUuons avec nous, en zones 1, 2 et 3, en attendant l' rul-ivée d' Anurouche et Si El Haouès _ L' accusation qu'il va fonntùer, dans ses intelventions, se réslllnera au fait que le GPRA vivait à Ttulis dans le faste, pendrult que les moudjalu dine souffraient le mrutyre en raison du mrulque d'rumes et de mmuti ons_ Il ne manqua pas de réclruuer des explications sm l 'assassinat d'Abrule Rruudane _ L'idée de remplacer Ferhat Abbas pru- Lrurune Debaglune à la tête du G PRA avait également été lruse en avrult à la , ll1eIue occaSIon. Kl-im Belkacem et Maluu oud ChéJif appl1rent 1'ru1ivée de LrunOlUi au Kef, conduit pru- ml chauffem qui avait été chru-gé de le rruuener de Tlipoli . Il est aussi plausible que le lIimuvirat a découvelt ce qui se lI-ruuait contre lui par le biais d'espions infiJlI-és dans nos rrulgs et mes adjoints chassés pru- les dj olmoud et poussés à rallier les troupes de la Wilaya Il .

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La rémuon s ' est tenue en présence des officiers de la Wilaya 1 et de la Base de l ' Est, dont notrunment le commandrult ChouicJu El-Aïssruu, le colonel Aluned Nouaoma, Mostafa Palesh"o, Aluned Draïa, MohaIlled-ChéIif Messaâdia et le conunruldant Belhouchet. Le tI1mnvirat avait réussi à convaincre Bomguiba que les pruiicipants à la réwuon du Kef ne conspiraient pas selùement contre le GPRA, mais complotaient aussi pom le renverser, lui, et asseoir à sa place Salah Benyoucef, lui fai Srult accroire que la maj orité d' entre eux avaient soutenu le mouvement de Benyoucef dès le début de la Révolution, La Garde nationale tmusielme ne tru'da pas à faire in-uption drulS l'immeuble qui ablitait la réUluon, et procéda à l ' ruTestation des pruiicipants, Ce fut IUl coup dm pom nous, Quelques j oms plus tard, la même Gru'de nationale tunisielme se nut à déplacer les djOWlOUd algéIiens sm les frontières pour nous encercler et nous couper les vivres. Nous nous reb-ouvions pris entre le Inarteau de 1' rumée des frontières, conduite pru' Ali Mendjeli, et l ' encJmne de l' rumée française, Nous n'avions pas le choix : ou nous nous engagions drulS Me guen-e fratlicide, ou nous nous rendions à l ' elmenu , Nous optâmes pour la solution pacifique dans le cadi'e réglementaire, Notl'e rencontl'e avec KIim Belkacem et Lakhdru' Bentobal Pendrult ce temps, Klim Belkacem plit la décision d' écruier Ressaâ Mazouz du conunruldement de la zone 1, à cause de son lien de parenté avec

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Amara Bougiez, et de déléguer Abdelkader Chabou, Mohamed Alleg et lm jeune officier répondant au nom de SalmlOui, à la région. Sm place, Chabou consultera les chefs de région, Haddad Abdellliom, Kara Abdelkader et Boutelfa El FadlIel, sur celui qui serait le mieux indiqué pour succéder à Mazouz ; tous lui dOlllièrent le nom de Chadli Bendjedid. C ' est ainsi que je devins chef de la zone 1. Dans le souci d' alTêter l ' engI·enage de la crise, nous décidâmes, nous les chefs des zones 1 et 3, de charger Bensalem de prendi·e contact avec Mohanunedi Saïd en vue d' organiser Ime rencontre avec lm représentant du G PRA, afin de tirer les choses au clair, et éviter une confrontation fatale entre frères . Mazouz refusa de se rendi·e en TIUlisie et me demanda de partir à sa place. Aupar avant, Boubir et Beledhou;ou; avaient tenté de renverser la direction de la zone 1, mais les soldats les en avaient dissuadés en tirant des coups de semonce en l ' air. Les deux hommes s'enfuirent au camp Zeitolllle, ou ({ l 'Armée de la république » conune ils l' appelaient. Il se peut que Boubir et Beledhou;ou; aient mis au comant le G PRA du coup d' Etat en préparation . Nous pIimes la route, AbdelTaiunane Bensalem, Zine Noubli et moi-même, en compagnie de Mohanunedi Saïd - très à cheval SlU· les horaires de prière bien que nous fussions en déplacement - en direction de Ttmis, où le groupe était incarcéré. Il y avait Krim Belkacem et Bentobal Boussouf étant absent. Les deux premiers cités avaient pu convaincre Larno1ll1 de nous demarlder de revenir à la légalité. Je me souviens encore de

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ses supplications : « Au nom de la fra ternité, au nom des moudjahidine, ail nom des principes de la Révolu/ion, renh'e; dans les rangs et laisse; notre sort enh-e les mains dll GPRA ! » Nous eûmes beau essayer de persuader les membres du gouvemement provisoire que la réunion en question était lme simple réunion de conslùtati on pour essayer de trouver une solution à la situation, Krim et Bentobal persistèrent à dire que Lamouri et ses camarades fomentaient lm coup d' Etat contre les dirigeants de la Révolution « p Olir le compte d 'intérêts étrangers ». Nous leur demandâmes de les maintenir en plison et de ne pas les exécuter ; demande qu' ù s approuvèrent avec, cependant, la condition de leur livrer Aluned Draïa, qui avait réussi à s ' échapper et à rej oindre le tenitoire national . Lors de la rencontre, Mohamed-Chérif Messaàdia, se tenant au loin, me fai sait signe qu 'il ne fallait pas les croire. Les traces des tortures qui avaient été infligées pal' les éléments des 3 « B » étaient perceptibles sur le visage tmnéfié de Lam oml. Aouacluia, quant à lui, se tomna vers Bensalem et lui lança : « Prends soin des enfants, Bensalem -' » Il savait sans doute le S0l1 qui l'attendait. Il était dit que Bourguiba aurait proposé sa protection à Lamomi , mais celui-ci l 'aurait déclinée, préférant s' en relnettre à ses cOlnpagnons d'annes. Rentrés au pays, nous lem· avons livré, conune entendu, Draïa. Après la fin de l' enquête, lm tribunal a été mis en place, sous la présidence de Houari Boumediene, avec Ali Mendjeli conune procureur et Kaïd Aimled et le colonel Sadek

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connne assesseurs. Les colonels LaInouri et Nouaoura, le conunandant Aouacluia et le capitaine Mostafa Lakehal seront finalement exécutés ; les autres seront condamnés à des peines de prison allant de quatorze mois à deux ans. Ces exécutions vont avoir des conséquences néfastes smle moral des soldats et des officiers qui ne feront plus confiance au GPRA, et encore moins aux trois « B ». Les tentatives de dissidence, de désobéissance et de désertion vont se multiplier. Lorsque BOlUllediene pri! le commandement de l' état-major, il libéra Belhouchet, Draïa, Messaâdia et Lakhdar Belhadj, et les chargea, avec Abdelaziz Bouteflika, d'ouvrir 1111 front au Mali.

Le plan du conullandant ldir Vers la fin de 1958, des échos conunençaient à nous patveuir, faisant état d' wl platl COlUlU pat- le nom de son conceptem-, le conUllatldant ldir. A vrai dire, nous n' avions aUCIUle idée précise sur les détails de ce nouveau progratlUlle élaboré dans le cabinet de Krim Belkacem à Tunis. De même que nous n ' avions compris le datlger de ce platl qu'1l11e fois adopté pat· Krim, lequel voulait le mettre en œuvre SatlS nous consulter, ni dematlder notre point de vue sur le sujet. A l' époque, nous étions, Abdemrlullane Bensalem et moi, occupés à chercher les moyens susceptibles de nous aider à franchir la ligne MOIice et, en même temps, à restaurer la discipline dans les ratlgs des unités dont nous avions la chat·ge datlS les zones 1 et 2, suite au climat de révolte engendré pat· l ' atTestation, le jugement, puis l 'exécution des chefs de la Base de l'Est, en mat-s 1959.

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Dans ses grandes lignes, le pl an en question proj etait de fonner Wle année modeme, bien enti'aînée et bien équipée, adoptant le style des années classiques dans les combats contre lm erulemi supél1eUl" en rumes et en effectif ; c' est-à-dire formée à la confrontation directe, à la guelTe des positions et sownise à lme hiérarchie stricte en matière de discipline. Il est clair que ceux qlÙ ont conçu et essayé de mettre en application ce plrul n' ont pas étudié les expél1ences des peuples ayant mené des guelTes de libération avant nous. C'était tout à fait à l'opposé du mode de combat que nous pratiquions, c' est-à-dire la guél111 a basée SUl" le factew' d' usUl"e, l'effet SUl"pI1Se, les embuscades et le souci impérieux d' éviter l' affrontement avec l' elUlemi en cas d'inégalité des forces . A cela s' ajoute le fait que le plan en question faisai t table rase de l'élément le plus imp0I1ant qlÙ nous avait aidés à résister et à réussir : le soutien essentiel que nous app0I1ait la population. Il est étrrulge de s'apercevoir que ce plrul intervenait juste après le plan Challe, qui avait causé d'énonnes pel1es aux wutés combattru1tes à l'intérieUl" connne SUl" la brulde frontalière, en procédant an bonclage et en pruvenant à conper tout soutien à l' ALN. Notre rejet du plrul p0I1ait aussi bien sUl" le fond que SUl" les instnunents et méthodes de son application. Klim Belkacem s' était entouré au miuistère des Forces armées d' officiers dont la désertion de l'rumée frrulçaise ne datait que de quelques mois et accordrult son entière COnfirulce à eux et à leur capacité présumée à réorgruliser

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tecJuuquement l'rumée. Ainsi, lem a-t-il confié les mutés inullobilisées sm les frontières, alors que nous les récJruluO!lS pom empêcher l'édification de la ligne Challe. Sm le plrul stratégique, le plrul ldir avait ml but, bien qu'inavoué : liquider sinon neutraliser les « mouchawicJune » (les fautems de troubles), conUlle on nous appelait désOllllaiS, et faire main basse sm les mutés de la Base de l'Est, en prévision de l'entrée sm le tenitoire national, qui décolùerait d'éventuelles négociations avec la prutie française. En fait, ce plrul s' est hemté au rejet total, de la prut des diIigerults, mais aussi des dj omloud. Il avait comme devise : (( Applique, sans discuter .1 », ignorant les réalités du tenain, la psychologie des moudjaludine et la structme sociologique des mutés combattrultes. Le plus suspect est le fait que son conceptem était lm déseIiem de l' rumée frrulçaise et que les personnes chru'gées de le mettre en oeuvre étaient, elles aussi, des déseltems de ladite rumée, qui avaient réussi à se faire adinettre à Tmus drulS l' entomage de KIim et de son directem de cabinet. Après les premières tentatives d'application, nous avons complis que la première cible était les moudjaludine. En effet, le plan exigeait que les combattrulls de la première heme refassent lem' instruction. C'est ainsi que, en application du plrul ldir, Mohru1Ulledi Saïd refusera de nous affecter les troupes ü1Ullobilisées au-del à des liontières. Peut-être craignait-il que, s'il nous dotait en rumes et en lmités, nous récidivions. Le souvenir de l'incident de Kef étrult encore vivace drulS les espIits.

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Le conunandement de l ' état-maj or de l'Est préféra mettre certaines mutés à la disposition des officiers désertems de l'année françai se. C' est ainsi qu' il préleva une partie de la zone 1 dans la région d' El-Kala pour y installer un bataillon conduit par Mohamed Boutella, et ml deuxième entre moi et AbdelTaiunaIle Bensalem, confié à Slimarle Hoffinarl, et entre Bensalem et Zine Noubli, un troisième bataillon sous l ' autorité de Selim Sâadi . De cette façon, l' étau se resselTait sm nous. Désormais, nous étions cemés : du côté des frontières, par ces nouveaux bataillons et la Garde nationale tunisierme, et du côté intérieur par les divisions françai ses positiormées par--delà les deux balTages, et qui étaient dirigées par le général Vancksan et composées de cinq mutés de parachutistes de Bigear·d, Jearl-PielTe et Trinqiller et d' autres aIlciens de l' lndoclune. Le plan ldir eut des effets désastreux, puisqu' il se répercuta négativement sm la combativité et le moral des moudjaludine, et fut à l ' origine de plusiems cas de dissidence et de désobéissaIlce, à l ' image de la dissidence des mutés de la Wilaya I, à djebel Chaâmbi, la sédition de Harnma Loulou et la honteuse reddition d' Ali Hambli . Il s' agissait, en fait, d' tille idée saugrenue du cOnilllarldaIlt Idir, qui avait exploité le dévouement de Mohanunedi Said et la confiance de Klim Belkacem, bien que ce dernier ait firli par le remettre en cause, au vu de ses résultats catastropluques, sous la double pression de Boussouf et Bentobal. Il est, en effet, malhemeux de voir le corrunaIldant Idir exploiter la loyauté et le parcom-s nuli-

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tant de Moh3lllinedi Saïd pom essayer de mettre en œuvre son pl3l1 de réorg3lusation de l '31mée sm les fi"ontières tUlusiennes" COilline il a pu mettre à profit son 311utié avec Klim Belkacem" Ce denuer était l'inspiratem de son chef de cabinet, le conun3l1dant ldir, et Moh3lllinedi Saïd et les D.A.F, les instruments de son exécution. Le colonel Si Nacer Je dois m3l·quer ICI Ulle halte pom évoquer Moh3lllinedi Saïd, alias Si Nacer. N,Ù ne peut, évidenunent, metti"e en doute son patriotisme, ni son dévouement POUl" la cause de son peuple. Il était l'llll des prelniers moudjaludine à avoir répondu S3l1S hésiter il l'appel de la patrie. Son combat sincère était associé à Ulle felvem religieuse phénoménale et à Ull tempérament rugueux de montagn3l·d kabyle. Toutes ces qualités feront de lui Ulle persorUlalité originale et mystélieuse à la fois. Il était doté d' un comage à la llinite de la témérité, ne reClù3l1l guère deV3l1t les difficlÙtés, ni face au d3l1ger. Il faisait sa pli ère d3llS toutes les positions et p3ltout, et il était d' Ulle austélité légendaire. Ses idoles avaient pom nom Hitler et El-Hadj ElHusseïny, le mufti d' El-Qods, qu'il disait avoir rencontr"é pend3l1l la Seconde GuelTe mondiale et qu'il évoquait souvent d3llS ses discoms . Le dévouement et la loyauté de Moh3lllinedi Saïd sont indiscutables, du point de vue moral . Mais il est Ull fait qu 'il était plus enclin à recoUlir aux m3luères fOltes et à la menace, qu 'à essayer de convaincre p3l" l ' 31"gUlnenl. Il était Ull de ceux qui avaient vraiment souffelt des affres et des hor-

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reurs du colonialisme. C' est pourquoi, sans doute, la finalité de libérer son pays justifiait les moyens auxquels il pouvait avoir recow"s. Aussi, sa vision de la discipline était-elle assimilée plus à la soumission et à l' obéissance qu' à la justification et à la conviction. Son engagement dans l' année allemande avait dû lui inculquer les méthodes des années classiques, si différentes de celles de la guérilla et, généralement, de la guelTe révolutionnaire. Sa devise était : (( Exécute l 'ordre, sans discuter ni demander p ourquoi l » Il ne savait pas que les moudjahidine étaient, en réalité, des frères lutlant pour une cause conumme et qu'ils n 'étaient pas des soldats dans lme mmée réglùière. L 'lmique souci de Mohanunedi Saïd était de déj ouer toute tentative de désobéissance. Si bien qu' il ne faisait point de distinction entre la discipline et la soumission. Sa cenception de la discipline convenait plutôt à Wle année classique que pour des combattants luttant pour Wle cause juste et sacrée. Il ne concevait pas qU'Wl moudjalud, avant d'exécuter lm ordi"e, doive comprendi"e, en être convaincu et être sûr que cet ordi"e selt la cause pour laquelle il lutte. Mohmllinedi Saïd a prouvé les limites de sa conception, son incompétence et le peu de cas qu 'il faisait de la vie des hOIllines. Un jour, il nous a rendu visite à la zone l , et nous lui avons aussitôt rassemblé les dj owlOud, pour Wle harangue. Il monta sur Wle table, que nous nous empressâmes de telur, Abdemùunane Bensalem et moi, pour éviter qu' il n'en tombât, tellement il était lourd. Puis il se lmlça, conune à son habitude, dans un discours exalté avec sa voix tOIU-

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tmante. Il n ' était pas lUl fin orateur, mais son exaltation enflammait les djolUloud. Cela faisait partie de sa vision de la mobilisation, de la galvanisation et de la discipline durant cette péliode difficile où l'abattement était à son paroxysme. Il conclut en scandant : « Vive l'Algérie 1 Vive la Révollition .1 Vive les moudjallidine / )) Et quand il ne trouva rien à aj outer sur sa lancée, il aj outa : « Vive Rebbi .1 » (Vive Dieu!) Il renchérit en aIUlonçant : « Je me suis en tendu avec le mufti de la Palestine, mon ami El-Hadj EI-HlIsseiny, qll 'llne fo is l'Algérie libérée, nOlis lib érerons la Palestine .1 » Après son départ, WI officier se mit à le railler, en disarrt : « NOliS n 'avons pas lib éré l 'A lgérie, et IlIi, il vellt lib érer la Palestine 1 » Ces propos parviendi·ont à Moharmnedi Saïd qui devait certainement avoir des taupes darls nos rarlgs. A l' occasion d' wle deuxième visite qu'il effectuera darlS la zone 1, il saisit l'OppOltwlité pour me demarlder si nous n' avions pas, chez nous, WI officier qui s'appelait Abdelmadjid. Je ltu ai répondu par· l' affinn ative. Il m ' a alors demarrdé de le faire vernr « tOlit de sllite .1 » J'ai compris qu'il VOlÙait le pwlir. Alors, je lui ai expliqué qu'il était absent ce jour-là, « parce que je l 'ai chargé d 'une mission à l 'intérieur )J. C' est de cette façon que cet officier, tout chétif du reste, a pu échapper à lme sarlction certaine. Une fois, j'ai char·gé mon adjoint militaire, Abdelkader AbdellaOlu, de prendi·e contact avec Moharmnedi Saïd à Ghar·dimaou, pour l'informer de nos démêlés avec la Garde nationale turlisienne et certains habitarrts des frontières qlU ne cessaient de nous har·celer, lors de notre francrusse-

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ment des frontières, et nons faisaient du chantage SlU" notre annement, nos munitions et nos provisions. Je lui ai demandé d' intelvenir officiellement pOlU" résoudre le problème auprès des autolités nuuslermes. Mais grande fut ma slUpl15e, quand j 'appl15 que Mohammedi avait demandé à Abdellaoui de me recommander de les « Iller 10lls >J. Quand Abdellaoui lui expliqua l' inanité d' lUle telle suggestion, SlUtOUt que nous avions à faire à des populations sans 31111es, disséminées SlU" la bande frontalière s'étalant SlU" lUle centaine de kilomètres, il lui a rétorqué : « Alors, IIIe~-en la moitié et épargne= , 'mttre .1 » En vérité, Moh3111lnedi Saïd n ' a pas beaucoup Ch311gé à l' indépend311ce. Sa gr311de felvelU" religieuse le conduira à épouser les SIOg311S du Front isl31nique du salut, et il deviendra lUl felvent p31tiS311 de l ' édification d' lUl Etat isl31nique. Je me souviens l'avoir reçu, au lendeluain des événetuents d' octobre 1988, avec lm groupe de moudjaludine au siège de la Présidence. Il s' est nus à discuter avec moi avec le mème langage et le mème ton d311S sa voix que je lui COiliaiSSaiS pend311t la lutle 31111ée. La reddition de H3ll1bli Un des épisodes les plus doulolU"eux qu' ait COiliUS la Révolution à la fin de 1958, fut la reddition d' Ali H31nbli, officier de la zone 5 de la Wilaya 1. Beaucoup a été dit SlU" les raisons de sa reddition au 3' régiment de cavalerie. Il est probable qu' il se soit révolté contre le GPRA et contre Krim et Moh3111lnedi Saïd plus précisément, p31' protestation contre les méthodes de gestion de la

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guelTe. Hambli occupa, avec ses honunes, djebel Sidi-Aluned sm'Plombant une vaste plaine qui s'étendait jusqu' aux fi'ontières tmusielUles . Et vu l'inaccessibilité de la zone, il était difficile de l'en sortir. Mohanunedi Saïd fera appel à des renfolts de plusiems régions et de camps d'instruction, et l' encercla du côté tmusien, parce que les Français, qui étaient au fait de la dissidence, avaient assiégé la région du côté du tenitoire algérien et hri avaient coupé, ainsi, l' approvisionnement. Hambli lança un avertissement à Mohanunedi Saïd, hri demandant de lever le siège, faute de quoi il irait se rendre aux Français. Mais Mohanunedi Saïd rejeta l' offi'e et refusa de dialoguer avec lui . Il alla même jusqu 'à prendre lui-même lUle mitrailleuse calibre 12/7 et OUVlir le feu aléatoirement en direction de la crête, Hambli fiuit par se rendre à l' année fi'ançaise, Celle-ci exploita ce regrettable incident pom faire pression sm les moudjaludine. Les avions n'arTêtaient pas de smvoler les zones 1 et 2 pom lar'guer des tracts présentarll la reddition de Harnbli cormne le résultat de la farneuse offre du général de Gaulle, dite « la paix des braves », et d'autres nous prévenant contre les 3 « B », et d'autres encore déclivant Larlune Debaglrine cormne un « vautour )}. La reddition de Harnbli fit l' objet d'une exploitation odieuse dans les médias. Ainsi, il amait été denière lUl celtain nombre d'attaques contre des carnps de moudjalridine, notarmnent contre le siège de l'état-major à Ghardimaou, L' armée française l'utilisa aussi darlS son action de propagarlde, en lui fai sarlt faire des tomllées darlS les mar'chés

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et les agglomérations pom essayer de convaincre la population de l'inutilité de combattre la France. Il mourut avant l ' indépendance dans des circonstances mystérieuses. Il est possible que les Françai s l ' aient trré dès qu' ils n' ont plus eu besoin de lui . La dissidence de Harlllla Loulou En application du plan ldir, le cOllUnarldement des frontières en Ttmi sie tenta de rétmir les dj ounoud des écoles d' instruction en prévision de lem entrée en Algérie. HarlUna Lmùou fut le preITÙer à répondre à cet appel, alors qu' il était à la tête de tout 1111 bataillon . Mais au moment où il s'apprêtait à franchir les frontières, les dj ounoud furent embar-qués darlS des camions pom être ensuite affectés vers les centres d' instruction. Les moudjahidine se sentirent Illuniliés, ce qui suscita 1111 sentiment de révolte et de désobéissarlce dans lems rangs, à tel point qu' ils refusèrent d' appliquer les ordr-es. Ces valemeux combattants, qui avaient prouvé lem cow-age dans le feu des COlnbats, bravé la ligne MOlice et vu les COlpS de lems compagnons électrocutés ou déchiquetés par les chaIups de nunes, ne cOluprenaient pas qu'on vierlle lem demander de refaire lew- instruction sous les ordr-es des offi ciers déserlems de l' armée françai se. COllSéquence de cette Illuniliation HarlUna LOlùou déclar-a sa dissidence, en rejetant tout ordre émanant du commandement de l ' étatmaj or de l'Est ou du GPRA hlSuuit par- l' antécédent de Harnbli, l' état-major prit soin de ne pas couper l'approvisiOlllement à ses hommes. Cette situation persistera jusqu' à 1960.

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Lorsqu'il prit la tête de l' état-major de l ' ALN, Boumediene agit avec sagesse et tenta de mettre un tenne à la sédition de Hanuna Lotùou par le dialogue. Il demanda à Abdemùunane Bensalem de prendre contact avec lui, mais HaIllina Lowou refhsa de le recevoir, et le lui fit savoir en lui tiraIlt dessus de loin. PaIœ que LOIÙOU en vowait à Bensalem de ne pas avoir plis de position au sujet de l ' exécution d' Aouacluia, et d' avoir livré Draïa au GPRA. Une deuxième tentative, menée par TallaI' ZbiIi, aboutit au même échec. Puis, Borunediene s ' en remit à moi et me demaIlda de selvi.r de médiatem entre lui et le bataillon rebelle. J'ai COfUlU HaIlUna Lowou en 1956, lors de la réruuon que nous avions tenue avec OUaImaIle, et je ne l'avais plus revu deplus. Il fait partie des prenuers moudjaludine ayant réalisé de graIlds exploits à la Base de l'Est. Je me rendis à l'endroit où il s' était réfugié daIlS la zone 3, Lorsqu'on l' infOlma que Chadli Bendjedid aI1ivait pom s' entretelur avec lui, il me reçut les bras ouvel1s et me fit bon accueil. Je passai toute la mut dans son caInp, à lui expliquer la nouvelle situation et réussis, Dieu 111erci, à le convaincre de rentrer dans les raIlgs. Je me souviens à ce jom de la denuère phrase qu'il avait prononcée : «Tu ni 'as convaincu et je te fais confiance. Pour toi, j 'accepte de revenir .!» Plus taI'd, Borunediene me chargea de rencont.rer le 56' bataillon - ex-S' - dont les membres, poru' la plupaI1 Oliginaires de BéIU-Salall, avaient refusé d' appliquer l' inj onction qui lem- avait été faite paI' l ' état-majo.r de se déplacer de la zone située entre TabaI'ka et Aïn Drahem, et de se déployer à

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Menqar El-Bat! (bec de canard). Auparavant, ce bataillon avait rejoint les troupes de la Wilaya H, dont le chef aimait le présenter cOimne lme « Armée de la R épublique. » Je savais que le sentiment de révolte avait gagné les rangs de ses hommes et ses chefs de compagnie, mais j 'ai néanmoins plis le Iisque. J'ai essayé au début de convaincre son chef, Anunar Chemam, d'exécuter le plan du cOimnandement, mais il ne voulait pas assumer sa responsabilité, arguant que c'étaient les chefs de compagnies qui refusaient d' exécuter les ordres. Je me suis alors directement adi·essé il lm de ces chefs de compagnie, qui était il nos côtés, pom tenter de le dissuader. Devant son refus obstiné, je l' ai giflé devant ses hOllunes. Ces derniers mu·aient pu ouvrir le feu sm moi en voyant lem chef se faire hmnilier de la s0l1e. A la fin, Atmnar Chemam reviendi·a quand-même il la raison et son bataillon se résolut il se déployer il l'endi·oit même qui avait été préalablement défini par l' état-maj or. La fin tragique du cOllUnando Hidouche Avant l'anivée de Hourui Bomnediene il la tête de l' état-major de l' ALN, nous avons reçu la visite de Klim Belkacem et Mohrumnedi Saïd, juste après la rencontre de TIipoli. Ces deux demi ers timent lme rémuon avec nous il la zone 2, où fut sOlùevée la question du franclu ssement des responsables de Wilayas et des différentes mutés positiormées sm les frontières tunisietmes. Ktim Belkacem nous demanda, il moi et il Bensalem, d' assmer la séclllisation du fj-ancrussement d' une compaglue rele-

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vant de la Wilaya Ill , Nous lui avons expliqué les difficultés d'lllle telle action, et que ces djOlllloud n' étaient pas assez fonnés aux lourdes mitraillettes Thomsson avec lesquels ils devraient passer, et qui étaient encore sous graisse dans leurs caisses , Puis nous lui avons demandé de nous accorder llll peu de temps pour entraîner la compagnie et préparer le fi'rulclùssement au moment et à l' endroit opporUlllS , Alors, Mohrurunedi Saïd intervint, s' adressant cl Bensalenl : (( Ya Si Abderrahmane, /u connais la bouillabaisse ,? Fais comme la bouillabaisse, mélange 10 111 el avale ! » Nous étions sidérés, Bensalem et moi, pru' ses propos pour le moins ilTesponsables, pru' sa témérité et le peu de cas qu' il fai sait de la vie des combattrults, Devant leur volonté obstinée de voir la compagnie franchir la frontière, nous n 'avons pas obtempéré, pru'ce que nous savions que c' était lllle avenUlre aux conséquences incalclùables, Nous refi.Jsions d' errunener ces jelllles maquisards à lUle lTIOlt celtaine. Nous savions aussi que Krim voulait obterùr llll exploit médiatique, lorsque ses collègues apprendraient qu ' une compagnie avait frrulchi la ligne MOIice suite à sa visite aux frontières, En jlùn 1959, le cOirunruldement de l' état-maj or de l ' Est prit la décision d'autOiiser à rentrer SlU" le tenitoire national llll certain nombre d' mùtés relevrull des Wilayas " et ni, après une f0I1l1ation intensive daItS les centres de Oued Mellag, et ce en application de la décision du cOirunruldement de fOlU1ùr des annes, des provisions et des équipements aux maquis, C ' est ainsi que le cOirunruldo Hidouche qlùttera le crunp de ZeitOllll et sera chargé de

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tnmspot1er des postes radio de type ANRGC 9 pour rétablir le contact entre Ghardimaou et la Wilaya m, IUl impot1ant lot d' aImes et de médicaments et de l' argent. Les hotlmles de Lazher Daâs, de la Wilaya Il , étaient chargés d'escot1er le commaI1do jusqu'à sa wilaya d' otigine, Après l' anivée des deux Ulùtés au PC de la zone 1, j ' ai chargé Aluned Tarkhouche de diriger l' opération, et Haddad Abdermour responsable de la prenùère région et Fadhel Boutelfa responsable de la deuxième région d'accompagner les deux UlÙtés, chaCUlI dans la région qu'il dirigeait. J' ai demaIldé à ces deux Ulùtés de traverser l'Oued Seybouse, en direction de Dj ebel Edough, au cours de la même mùt où elles devraient franclùr la ligne Motice, à cause des reliefs escarpés et daI1gereux de la région et de l'existence de nombreux baITages et postes de contrôle de l' aImée, Une équipe spécialisée daIlS la détection des mines aI1tipersotmel pour les désaInorcer et le fj-aIlcru ssement des fils baI'belés devait les accompagner. Nous les avons équipées de deux CaI10ts pneumatiques pour traverser les torrents de Oued B0Ul1aII10USSa et de la Seybouse et les nombreux maI,"s que compte la région, Dès le lendemain, les deux Imités réussirent à rej oindre la région que dirigeait Fadhel Bouterfa, lequel les conduisit jusqu'à Djebel Bouabad qui surplombait la vaste plaine de Righia , La deuxième étape fut menée paI' Haddad Abderulom' qui cotmaissait paI'faitement la région dont il était natif. Les deux étapes furent péuibles, à cause des reliefs escaIl'és et de la rmùtitude de Iivières, de marais et de postes de contrôle militaires,

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Tous les indices laissaient présager le succès de l 'opération : deux unités militaires de 130 combattants bien entraînés, des chefs nùlitaires très aguenis et connaissant prufaitement le temun et des glU des qw connaissaient tous les affluents de l 'Oued Seybouse, Ainsi, Aluned Tarkhouche, Haddad Abdennour et Fadhel Boutelfa, appuyés pru' l'éqwpe de frru1chisselnent, réussirent à escOlter les deux cOlllpagrùes et fi'ancilli la ligne, Mais le cOlmnando Hidouche ne pruvint pas, lw, à traverser la livière, pour ne pas avoir appliqué mes instructions, en s ' obstinant à passer la nwt dru1S les vergers attenants à la Iivière, Le cOlmnando se trouva assailli par l ' elUlenù qlu fit aussitôt appel à des renfOlts d' AIUlaba et d' El-Mellah , L' accrochage dma toute la journée, Les moudjalùdine utilisèrent des mitraillettes MG de fabIication allemru1de, Face à la résistance coriace de nos cOlllbattants, l' elmenll fut conhmnt de recourir au napalm et aux blindés, Les habitants des environs d' NUlaba virent des avions T6 bombru'der en rase-mottes la position des moudj alùdine, Assista aussi aux combats, lm groupe de jourl1alistes ru1glais qw se trouvait là pru' hasru'd, Cette tentative de fi'ru1clùssement, bien qu' avOltée, eut des échos retentissrulls drulS l ' opinion intemationale cru' les jomnalistes bl1tanlùques allaient monh'er au monde entier que la France n 'avait pas réussi à pacifier le pays, On cOlUlaît plusieurs versi ons de l ' échec de l'opération , Certains soutierment que les éclairems amment abandormé le conunru1do, tandis que d' auh'es affirment que ses membres se seraient

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égarés sur la route pour se retr'ouver sur le chemin d' Annaba et auraient été contraints de s'abriter quelque paIt entr'e BounaInoussa et Sidi -Salem, D'autr'es encore soutierment qu' wle patr'olulle militaire française aurait aITêté Wl citoyen algérien qlU, paI' mép,ise, leur aurait indiqué le lieu où se tr'ouvaient les moudjaludine, les ayaIlt plis pour des FraIlçais, La majOlité des membres du COlmnaIldo tr'ouvèrent la mort, Seuls tr'ois ou quatr'e ont swvécu, Aujourd' hui, une stèle cOlmnémorative est dressée sm' leur sépultm'e, en honunage à ces glOlieux moudjaludine, « Heureux

d 'avoir échappé à l' ellfer))

COlmnent tr'aitions-nous les plisOlwiers ? Nous n' avions mù besoin de COlUlaÎtr'e les clauses de la convention de Genève pour bien traiter les plisonmers de guelTe, et leur assurer la protection nécessaire. A Ina connaissance, aUClill prisoruuer, lU détenu fraIlÇais ou de la légion étr-angère n ' a été sOlmus à la tOltm'e, Notr'e sainte religion nous défendait lme telle pratique, et notr'e hOlUlew' de moudjalùdine ne nous autorisait pas à maltr-aiter des soldats plisolUÙers, Nous nous contentions de les intelToger pom' obtelur des renseignements, avant de les remettr'e à la Croix-Rouge, Cel1ains de ces détenus ont éClit des messages à l' opimon française pour saluer le bon traitement qlU leur a été réselvé paI' l' ALN, appeler leurs compatriotes à lm sursaut de conscience et les adjw-ant à ouvlir les yeux sur les climes conums paI' l' aImée fl-ançaise en Algétie,

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Auj ow'd' hui, à chaque fois que j e repense à mes années de lutte, une nllùtitude d' images et de scènes vimment se bousClùer dans Ina Inémoire, dont lme photo que je conserve chez moi à ce jour. Nous avons mené de violents combats contre les parachutistes de la Légion étrangère, et nous avons réussi, à maintes reprises, à en faire quelques prisOlUliers, suite à des embuscades que nous avons montées contre eux. La majOlité de ces parachutistes étaient des Allemands, constituant Wle année bien entraînée lnais néarunoins très pmtée sur le massacre de civils irUlocents. Ils étaient sans foi ni loi, tuant sans pitié et sans état d'âme. Cer1ains d ' entre eux, excédés par tant de cruauté qu ' ils faisaient subir' aux autres, finirent par fuir l ' année française et se rendre à l' ALN qui les prit en charge m oralement et matériellement à tTavers le Service de rapatriement des légiOlUlaires déserteurs mis en place par le FLN en 1956. Al ors que d' autr'es ont choisi de rester dans les rangs de l 'ALN et de vivre dans notre pays après l'indépendance. Vers la fin 1959, ml groupe de légiormaires s' est rendu à la zone 1. J'ai dOlUlé instr"llction de les trmter convenablement avant de les remettre au Croissant rouge algérien. Dès que Mohannnedi Saïd apprit la nouvelle, il vint au PC de la zone 1 et me demanda de lui rassembler ces légiOlUlaires allemands que nous avions bien prépru'és psychologiquement et qlU étaient heureux de retr·ouver bientôt la liber1é. Mohrumnedi Saïd ru1iva en tr'ombe à mon PC. Moi, je contemplais de loin cette Mohrumnedi Saïd, fmieux, scène émouvante criant à la figure des pru'achutistes en allemruld.

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Les signes de frayelU" qui s' esquissaient SIU" lem's visages étaient suffi sants pOIU" deviner ce qu'il lem' disait. Dans les années 1990, l'ambassade d' Allemagne m 'a envoyé tille photographie me montrant avec ces parachutistes déseltelU"s, avec la légende suivante : « Ce tte photo est tirée du maga::ine allemand Mtillclmer Illusbiesta, da té de février 1960 ». On pouvait lire également : « Eh b ien, n 'ave:-volls pas peur de nOlis ?, déclare " officier algérien en souriant aux légionnaires déserteurs (et c'est bien ce que je lem' ai dit). Il s étaient contents d 'avoir échappé à l 'enfer ». Lorsque le chancelier allemand Herzog applit l 'histoire de cette photo, il m 'adi'essa mle letb'e de remerciement et de recOimaissance à l' occasion de

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armiversaire.

On peut citer une multitude d' exemples, dont celui-ci . Nous avions capturé un soldat blessé à Sidi-Trad. Il apprutenait au conunando Bigeru'd qui avait fait son insbuction à Skikda. De temps à aub'e, celui-ci s'insinuait dans les montagnes pOIU" s'accrocher avec nous, notrumnent à Djebel EIBellout, suite à l'action menée pru' les moudjallidine conb'e le village de Zeitolille. Un jOIU", ils interceptèrent lm jeune gru'çon qui gru'dai t des vaches drulS les pru'ages, le tOItlU"èrent et le ligotèrent avec du fil de fer pOIU" le forcer à lelU" indiquer le lieu où se b'ouvaient les moudjallidine. La section de Selmotille Mohruned de la 3'''>< zone que conunruldait Kru'a Abdelkader les plit en embuscade et s'accrocha avec eux. Dès qu'ils flU"ent SOitiS SIU" Ull telTain découvelt, les moudjallidine les slU"plirent pru' ml déluge de feu. Ils en tuèrent

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quelques-lms, firent pllsoruuer un soldat et pIirent son anne, Les autres avaient pllS la hute, Je n' étais pas loin d' eux, près de Hanunam SidiTrad, Dès que j'eus applls la nouvelle, je pllS avec moi deux sections pour les rej oindi'e, L' at1illeIie bombat'dait encore, suivie de l ' aviation et des blindés, Des hélicoptères ne tat'dèrent pas à atterllr pour évacuer les blessés et les mOlts, Durant la bataille, nous récupérâmes des postes-radio et lme gratlde quantité d' atmes, Je pllS le pIisomuer avec moi, et nous nous sOlrunes retirés, L ' hOlmne mat'chait denlère moi, et de temps à autre, les dj ounoud l 'éperolUlaient datlS le dos avec les baïolUlettes de leurs fusils, Quand il sut que j ' étais leur chef, il se plaigJut à moi de leurs agissements, Je lem ordOlUlai de cesser leur jeu, et !tu dematldai, à !tu, de mat'cher devatll moi pom le prémwur de la colère des dj Olwoud, Un peu plus tat'd, nous découvrîmes datlS sa poche lme letb'e de son catnat'ade mOlt au combat, destinée à sa fiatlcée, Le prisorulier avait aj outé en bas de la letb'e : « 11 (le soldat mOlt) criait ton nom avant de rendre l 'âme, » J'ai renus le pllsoruuer, aillSi que la lettre à Mohatmnedi Saïd, Au!re exemple d' lm soldat du contingent fait prisoruuer L' état-major décida d' lme vaste opération de nuit, à travers tous les postes se trouvant sm le long des frontières pat1Ùlèles à la ligne Challe, d' El-Kala jusqu' au sud de Bouhadjat" Cette opération couvrait toute la zone opératiOlUlelle du nord, Le 13' bataillon était POSitiOrulé sm les frontières

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Le complot des colonels (1958--1959)

nord. Nons avons décidé de prendre d' assaut un poste du conunando Bigeard, à proximité d'Omn Tbol. Au moment de l' attaque, les soldats français, plis de panique, fuyaient sous notre puissance de feu . Lorsque les moudj ahidine ont fini de cisailler les fil s, ils retrouvèrent ce soldat dans un de ces blockhaus et l' an êtèrenl. Lorsque j'applis la nouvelle, le lendemain, j e demandai au chef de la section de ramener le pli sOlUlier. Je savais que ces j elmes Français s' étaient retrouvés engagés dans mle guene qui n ' étai t pas la lem. Celtains d' entre eux avaient refusé d' y participer, parce que lem conscience les en empêchait. Lorsque je lui ai posé la question de savoir s'il étai t bien, il m'a répondu : « 0 1li, ch ef ! i> Je lui ai alors rétorqué : « Tu as vu p ar toi-même co mment nOlis traitons les prisonniers. M ais quand l 'armée f rançaise arrê te des fe llagas, comme VOliS nOlis appele=, elle les traile comme des singes el leur fa it s1lb ir les pires s1lpplices i>. J' ai été smplis par sa réponse qui était d'tme rare audace : « Mais chef, il y a des bons el des ma1lvais, de notre cô té co mme du vôtre .1 » J'avoue que sa répons e était pertinente. C' est pomquoi, d' aillem s, j'ai cessé de l ' intenoger, parce que je savais, du reste, qu' il allait subir un long intenogatoire au QG de l' état-major. J' ai reconunandé de ne pas le brutaliser pom qu' il garde une image positive des moudj allidine, différente de celle que les services de l ' action psychologique s' escrimaient à dormer de nous. Nous avons remis le plisorulier à l'état-maj or, lequel le remit à son tom à la Croix-Rouge intemationale.

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CHAPITRE VI •





L'ETAT -MAJOR GENERAL OU LE RETOUR DE L'ESPOIR 1958-1959

La seconde moitié de l'rumée 1959 fut tille des péliodes les plus sombres de l'histoire de la Révolution. La dissidence de Dj ebel Chaâmbi drulS la Wilaya l, la reddition d' Ali Hrunbli et la sédition de Hruruna Lotùou - avrult que je fini sse pru" le convaincre de revenir à la légalité - étaient des signes aV8l1t-com-em-s d'tille dissolution des liens entre le conun8l1dement et les responsables des unités combatt8l1tes. Cette situation d'immobilisme et de pagaille générale d8l1S les rrulgs des mùtés combattrultes sm- les frontières était, en fait, le réswtat logique et natm-el du conflit qui minait le G PRA, lequel n'avait pas réussi, six mois après sa création, à instaurer un lninünmll de cohésion et de coordination entre ses membres, et notrurunent entre les 3 « B ». Boussouf, KIim Belkacem et Bentobal tentaient, à l'approche des négociations avec la

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C HADLI BI NDJEDID - ME MOIRE S

France, chaCIU1 à sa manière, d' avoir la haute main sm- l'année des frontières et la Base de l'Est. Chacun d' entre eux considérait que celui qui contrôlerait les forces années détiendrait le destin politique du pays. L' ambition de Klim était tellement démesm-ée qu' il ne regardait pas les réalités du tenmn d' Wl œil lucide. Quant au chef du GPRA, Ferhat Abbas, et nonobstant son liche parcom-s, sa cIùtm-e et sa renommée intemationale que tout le monde lui reconnaissait, il était déj à bien hors course. Sm- le tenain, Mohrnmnedi Saïd avait lrnnentablement échoué drnlS sa mission visrnlt à rétablir la confirnlce des honunes et à instamer la discipline au sein des wutés de l' année, après la vague de révolte et de dissidence qlU était née en lem- sein. Un j om-, il a été vu à Ghrn'dimaou se tenrnlt la tête entre les maillS et entendu dire, les lrn11les aux yeux : « Les trublions onl eu raison des hommes loy aux, c 'en est fini de la Révolution l » Mais) malgré ce constat aIuer) il n'a pas su en tirer des enseignements utiles pom- mettre fin à la situation délétère qlU régnait. Il persistait, au contlmre, à accabler les chefs de la Base de l'Est et de la Wilaya l, qu' il accusait d' avoir facilité la tâche à l'année françai se pom- constll.Ure les lignes Molice et Challe, et lemreprochant lem- laxisme pom- assw'er les opérations de fraJlcru ssement vers l' intéI1em-. Prn' aiIlem-s , Mohrnmnedi Saïd n' a pris aUCIUle lueSlU-e POlU- trouver tille solution au mouveluent de dissidence ayaJlt eu pom- théâtre dj ebel Chaàmbi, persistrnlt à désigner des officiers déseltem-s de l ' rn11lée frrnlçaise à la tête d' Wl millier de djOlUloud

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L 'Hat-major général ou le retour de l'espoir (1958-1959)

des Amès N ememcha qui se sentaient abandOlUlés par le conunandement de la Révolution, par vengeance pom le soutien qu' ils appOltaient à lems chefs qui avaient été exécutés après l' incident de Kef. La mptme devenait, alors, un fait accompli entre le commandement de la Révolution et les nuités combattantes, Ainsi, les dj omlOud vont chasser le capitaine Zerguini sous la menace ; après lui, Mohamed Boutella sera contraint, à son tom , de déguerpir après avoir été chassé par le 5' bataillon, Même le moudjalud Azeddine, qui jouissait pom'tant du respect de tous, n ' a pas réussi à convaincre les djOlUloud et lems chefs de « revenir ail l1idham », Malgré tous les drames qui ont eu lieu, Mohanunedi Saïd, de comuvence avec KIim Belkacem, le conunandant ldir, du miIustère de la GuelTe, et le cOlmnandant Kaci de la base de Tmusie, continuait à ignorer cette réalité, Au lieu de chercher une solution par le dialogue et 1' ru'gumentation, le conunandement s' obstinait à accuser ces dj OlUloud et lems chefs de semer le trouble et le désordre pom fuir les combats et les qualifiait de « mOllchawichine », Ce qualificatif suscitait chez les dj ounoud un sentiment d' amertume, de dépit et d' abattement. Ils avaient prouvé, plus d'lUle fois, lem bravome dans les combats, et portaient dru1S lem chair des traces indélébiles de lems saclifices, Désonnais, ils se trouvaient incapables de répondre à des questions qui ne cessaient de les tru'auder que s' est-il passé ? Pomquoi se retrouvent -ils sans chefs ? POlu'quoi les accuse-t-on d' être des fautems de troubles ? Lakhdru' Bomegâa a raison de dire que « la chance

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CHADLI BrNDJEDID - MÉMOIRE S

de la Révolution dans la Wilaya IVest partie avec les mOllchawichine -' » Ces luêlues {( mOllchmvichine )} qui ont acheminé les cargaisons d' aImes sans lesquelles les moudjahidine n ' aru-aient pas pu affronter l'erUlemi ...

La réunion des dix colonels Afin de srumonter le climat de révolte et de confusion, et de remédier à la situation d' impasse politique au plus haut niveau du conunaIldement, lme réruuon d' aI·bitrage a été convoquée à Tunis, à laquelle vont assister, outre les « 3 B », sept colonels, à savoir : HouaIi Borunediene, MohaIlUnedi Saïd, respectivement de l'état-major de l'ouest et de l ' est, Hadj LakhdaI· de la Wilaya l, Ali Kafi de la Wilaya n, Yazoru-ène de la Wilaya m, Delulès de la Wilaya IV et Lotfi de la Wilaya V. Ces dix colonels se trouvaient, tous SaI1S exception, à l' époque, hors du tenitoire national . Les raisons principales ayant luotivé cette réunion-Iuarathon, étaient, à mon avis, au nombre de trois : la prenlière a trait au conflit endémique OppOSaIlt certaines wilayas de l' intéIieru- et la Base de l' Est ; la seconde est relative à l ' exécution des colonels de Vincident du Kef et ses conséquences néfastes sru· l ' esprit de combat au sein des ruutés ; enfin, la troisième et la plus ru-gente, est la dissidence des ruutés releVaIlt de la Base de l ' Est et de la Wilaya 1. Trois wilayas réclaInaient lm ChaIlgement daI1S la haute hiéraI·clue politique à l ' extérieru- ; il s'agit des Wilayas l, lU (Anlirouche) et VI, en plus de la Base de l'Est. Les Wilayas n, IV et V demaIldaient, elles, le maintien du conunaIldement tel quel.

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L ' ~la l-maj or ginéra l ou le retour de l' espoir (1958-1959)

Les échos qui nous pruvenaient de cette réunion étaient rru-es, souvent contradictoires et inquiétrulls. Sa longue durée (plus de trois mois), l ' interruption des travaux, puis leur reprise, étaient autant d' indices que les divergences entre les pru·ticipants n ' avaient pas pu èt:re sunnontées, et que celles-ci auguraient d' lill éclatement inuninent du G PRA_ Les colonels sont convenus de convoquer la t:roisième session du CNRA à Tripoli du 16 décembre au 18 janvier. Celle-ci sOltira avec des conclusions dont les couséquences positives se sont vite fait ressentir sur le tenain. On peut en citer quelques-lilles prumi les plus imp0l1rultes : - Mise en place d' un état-maj or qui sera confié à Hourui BOlunediene, et qui comptera aussi Ali Mendjeli, Kaïd Aluned et Azeddine Zen-rui _ - Suppression du ministère de la Guene, et son rempl acement pru· lill Comité interministériel de GuerTe (CIG), composé de KIim, Boussouf et Bentobal. Ces deux décisions vont mettre Wl tenne définitif aux aspirations que cultivait Krim Belkacem pour s ' approprier le leadership . Sur le plrul militaire, la session a recOlrunruldé, notrurunent, l 'intensification des opérations militaires et l'accélération de l' entrée des chefs militaires dans lem-s wilayas d' Oligine. Bownediene à Ghru-dimaou Hourui Bownediene a rej oint Ghru-dimaou dans des circonstances difficiles_ Mais il mivait au bon moment. Il fallai t bien redi-esser la situation av rult qu' elle ne devierille incontrôlable. Bownediene

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C HADLI BINDJIDID - MEMOIRES

était l' honune de la situation, envoyé par la providence pow' accomplir cette mission. Nous ne le connaissions pas, mais nous entendions parler de lui , Pour nous, il demeurait étranger aux problèmes des frontières est ; ce qui, du reste, !tù pennettra d' appréhender et de traiter la situation avec lucidité et sang froid , Heureusement que nous ne savions pas encore que c' était lui qlÙ avait présidé le t:J.ibunal ayant condanmé à mort les colonels, Nous sonunes pattis, nous les chefs des t:J.'ois zones, AbdeITalunatle Bensalem, Zine Noubli et nloi-mêlne, à sa rencontre à Ghardiluaou, après son installation à la tête de l' état-major au cow's du premier semest:J.'e de l' atmée 1960 . Nous avons tout de suite senti l'immense écatt ent:J.'e lui et Mohatmnedi Saïd, Il écouta attentivement not:J.'e exposé sur la situation à la Base de l' Est. D' ailleurs, il écoutait plus qu 'il ne pat'lait, inteITogeait plus qu'il ne répondait et échatlgeait plus qu'il n 'ordonnait. Nous étions, à la fin, rassurés : 1' honune était Wle persOIme intègre et pat:J.iote jusqu'à la moelle et il était SU110ut visiOlmaire. Au retouf, nous avons convenu, AbdeITalunatle Bensalem et moi, de lui accorder une chance pour mett:J.'e en œuvre son platl de sOItie de cIise, La première mesure pIise pat' l'état-major fut la création d' un bureau teclmique auquel seront rattachés les officiers déserteurs de l'atmée française (Chabou, Zerguini, Boutella, Hoffinan et Abdelmoumène), Bownediene les chat'gea de mett:J.'e au point un platl orgatùque pour réorgatuser l' atmée, la redéployer et la restmcturer en bataillons et en mutés d'atmement lomd, Ainsi, ils

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L ' Ê TAT~MAJOR ÇÊNtRAL

ou LE

RETOUR DE L 'ESPOIR (1958-1 959)

se constituèrent en état-maj or réduit SUl" lequel s' appuiera Bownediene pow' mettre en œuvre son nouveau plan , Cette meSUl"e conuibuera à résorber le désa!Toi des dj mmoud et à créer lm climat plus favorable au rétablissement de la confia!lce enu'e eux et le conuna!ldement. Bownediene cha!'gera les officiers Illoudjahidine de cfuiger les nouveaux bataillons. La Base de l ' Est sera divisée, suivant le nouveau plan organique, en deux zones : la zone l , qui s' appelle désonnais la zone opératiOlmelle nord, sous l ' autOlité d 'AbdetTalunaJle Bensalem, secondé pa!' Chadli Bendjedid, rej oints, après l' intégration des unités des Wilaya H, III et IV, pa!' Abdelkader Chabou qui dirigeait aupa!'llvaJlt le ca!np de Zeytowle et sera cha!'gé, daJlS la nouvelle zone, des affaires adlllitùsu'lltives et sécwitaires. En réalité c' était l' œil de Bowllediene da!lS la zone. QUa!lt à Djelloul EI-Khatib, qui était secrétaire-général de la zone, il sera rattaché à l ' état-maj or pOUl" occuper, en fait, le même poste. A la veille du cessez-le-feu, Aluned Ben Ahmed Abdelgha!ù nous rejoigtùt et fitt chargé du retlSeignement. Bensalem et moi étions responsables de tenain SUl" les urutés en matière d' exécution des opérations militaires et de fi'aJlclùsselllent des fil s barbelés, QUa!lt à la zone 2, qui s ' appelle désonnais la zone opérationnelle sud, elle sera dirigée pa!' Salall Soufi, secondé par Saïd Abid et Moha!ned Alleg, Elle comprenai t les wùtés des fi'ontières est de la Wilaya 1. Après nou'e renconu'e avec Houa!i Bownediene à Gha!'cfunaou, l ' état-maj or nous adressa le nouvel orga!ùgrarmne pOUl" réorgaJÙser les u'ois zones en

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CHADLI BrNDJIOIO - MÎMOIRIS

fonne de bataillons légers. C'est ainsi que fment créés, en zone 1, deux bataillons, le 11' et le 13', en plus de deux compagnies d' anuement lomd ; et en zone 2, trois bataillons, le 12', le 17', le 20' et le 56" qui existait déjà et qui s'appelait le 5' bataillon. Boumediene réussit à instamer la discipline et l'ordre, et les mutés étaient désonnais somnises il lm cOlmnandement mufié et centralisé, alors qu 'elles étaient, auparavant, sounnses à leUl"S chefs directs . Après avoir reçu, de la prut du G PRA, les wlités relevrult des Wilayas Il, III et IV inunobilisées sm les frontières, Bomnediene eut l'idée de « brasser » djOlmoud et officiers, et réussit à fornler Ulle aImée lllodelne, bien entraînée et bien , . , eqmpee. Le méIite revient à Hourui Boumediene d'avoir aidé il trrulScender les mentalités régionalistes et lIibalistes qui prévalaient au sein des mutés. Le brassage des djOlllloud et officiers et le redéploiement des mutés drulS de nouveaux pélimèlI'es géographiques, ont filu pru' démrulteler ce qu' on pomrait appeler les « féodalités » et il ruu1i.luler l' esplit des « seigneurs de guerre» qui a été à l'Oligine de graves dissidences . Ce brassage a conlIibué au contact enlI'e éléments de la Base de l' Est et les djOlllloud des Wilayas n, m et IV, et aidé il bruuur l'idée du « 1Vï/ayisme » avec ses effets néfastes sm le moral des troupes lors des combats. Cette mesm'e a aussi rulcré da!ls l' espIit des combattrults, l'idée qu'ils luttaient pom mle cause : la libération de lem pallie, Des liens nouveaux ont été tissés au sein des mutés, fondés sm le dévouement il mle cause conmlmle. Etrult dOlmé que la

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L 'ETAT-MAJOR CENtRAL

ou LE RETOUR DE L 'ESPOIR (1958-1959)

Base de l' Est était une zone de transit et d'approvisiOlmement pour l'intétieur, nous avions connu ce brassage bien avant l'avènement de l' étatmaj or. Les éléments de la première compagme, pms ceux du 1" bataillon, venaient de régions différentes. Même les officiers que j'ai nommés à la tête de ces umtés, étaient d' Oligines diverses. Par exemple, Aluned Tarkhouche était de Jijel , d'Oued-Zenati, Kara Abdelkader Abdellaoui Abdelkader de Tissemssilt, Fadhel Boutelfa de Chafia, Aluned Lesnami de Chief, mon secrétaire Ougtine, d' Alger et persOlmel, Mustapha Boudjemâa EI-Marouki, du Maroc. A telle enseigne que la région 1 était sWl10lwnée ({ La légion étrangère », en référence aux Oligines diverses de ses djounoud et officiers . Nous avons aussitôt entamé la réorganisation des wutés des prenuère et deuxième régions. Boumediene nous a rendu visite, accompagné des membres du bureau technique, en prenlière région, pour assister à la fonnation de deux bataillons, dont les éléments étaient prélevés du 1er bataillon. C'est ainsi que nous avons créé, successivement, le 13' bataillon, à la tête duquel j'ai nOlluné Abdelkader Abdellaoui, et le Il' bataillon, confié à Aluned Tarkhouche. Les chefs de régions se sont f0l1llellement opposés à l' affectation de Khaled Nezzar à la zone 1. Ils doutaient encore des intentions et mobiles de celtains D.A.F. , considérant qu'ils nous espiOlmaient au profit de l'étatmajor de l'Est. Je les ai néalUnoins convaincu d' appliquer la décision du conunandement pour des raisons de discipline. J'ai intégré Nezzar au com-

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C HADLI BENDJEDID - MEMOIRES

mandement de la zone en tant que conseiller mili taire et chef d'tille compagnie d' annement lomd. Il faudrait, ici, rendre justice il Boumediene pom la natme de ses relations avec les officiers déseltems de l' année française. Cette question a soulevé mOlùt polémiques et a été exploitée de façon tout il fait arbitraire, utilisée par celtains pom régler de vieux comptes personnels. Elle est restée longtemps conune une plaie ouvelte au point d'envenimer la vie politique algéllelUle. C'est aussi l'une des pIincipales raisons ayant valu il Boumediene de sévères reproches de la prut de ses plus proches rums. Bomnediene est accusé, entre autre, d' avoir réintégré les déseltems de l ' rulnée frrulçai se, de les avoir désignés il des postes sensibles et aidés il gravir les échelons et ètre promus il des postes stratégiques pendrult et après la Révolution. Cette mise en cause, si elle compOite tille prut de vélité, n' en est pas moins insidieuse. Le fait est que Bomnediene, il son rullvée il la tète de l'état-major, avait h'ouvé ces officiers OCCUprult des postes de responsabilité au ministère des Forces rumées, et il la tète de bataillons et des écoles d'insh'llction. Il avait également héIlté d' mle situation chaotique caractéllsée pru' le démantèlement des w1ités combattantes, la mptme de confirulce enh'e le C01l1mruldement et les dj Olilloud, et pru' l'absence de sh-atégie pom' reprendre l'initiative dans la conduite de la guelTe. Boumediene se hemta il deux cenceptions opposées de l'organisation de la guelTe : celle frunilière aux moudj ahidine, axée sm la guéIilla comme

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L ' ÎTAT~M AJOR CÎNÉRAL OU LE RETOUR DE L 'ESPOIR (1958-1959)

mode d'action - un choix volontaire de discipline conune modèle -, et tU1e autre, que certains officiers déserteurs, en tête desquels figurait le commandant Idir, voulaient imposer à n ' impOite quel plix, faisant fi des réalités du telTain, basée sur les méthodes d'organisation propres aux années classiques. Le génie de Boumediene tient au fait qu' il avait saisi, vite et au moment oppOitun, l'ampleur des divergences entre les deux visions et leurs conséquences désastreuses sur les capacités de combat des djotU1oud. 11 choisit, alors, tU1e solution médiane, alliant les deux options, et procéda au brassage des djounoud et officiers des différentes structures et au redéploiement des ttlutés, tout en élaborant tU1 programme d' insnuction politique et militaire et en révisant les méthodes d' insn"tlction et les modes de combat. Bottluediene a hélité cette situation de Kiim Belkacem, lequel avait placé sa confiance aveugle Sttl' le directettl' de son cabinet, en l' occttll'ence le cOimnandant Idir, et son plan relevait davantage du caplice de son auteur que d'une réelle maînise des réalités du tenain. Bottluediene prendra en considération le sentiment de suspicion dont étaient empreintes les relations enn'e les moudjaludine et celtains officiers déseltettl's de l'anuée française . La prenuère mesure pratique qu' il va prendre est de retirer les officiers déselteurs et de les rattacher au bureau teclu1.ique au luveau de l'état-major. BOttluediene était conscient de la venue tardive de ces offi ciers à la Révolution, et avait toutes les raisons de douter des motivations de celtains d'entre eux, du fait que leur déseltion de l ' anuée f1'3n-

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çaise, qui coïncidait avec l 'avènement du général de Gaulle, avait dû laisser planer quelques soupçons sm' cette décision . D ' autant plus que le général de Gaulle aurait fait savoir, dans ses cercles rest:reints, qu'il voulait bien savoir conunent les choses se déroulaient au sein de l 'ALN, parce qu' il était persuadé que celle-ci était la force la mieux qualifiée pour düiger l ' Algélie postindependance. La vision de Bmmlediene sur la question etait à la fois lucide et pragmatique, 11 était persuadé qu' au moins ml celtain nombre de ces officiers détenaient lUl grand savoir-faire teclllùque acquis dans les écoles nùlitaires françaises, dont on pouvait tirer profit. C'est pmu'quoi, d' ailleurs, il initia cette conjonction des teclllùques d' organisation et d' instruction et de conception des plans de guelTe des mlS et du dévouement des moudjalùdine, qui a vite donne ses fmits. Par ailleurs, Bomnediene, dans sa str'ategie de contr'ôle de l ' année et son ascension individuelle au pouvoir, était avant tout soucieux de gagner la confiance des hOlmnes. Il savait, par son sens pratique, que certains officiers désertem's étaient plus imprégnés de l' esplit de somlùssion, d'obéissance et de stri cte discipline, et qu' ils appliquaient les ordi'es sans poser de question, lÙ émettr'e des préjuges politiques. Et c' est là ce qu' il recherchait. Bomnediene a donc réussi à occulter, lnOlnentanément, cet antagOlùsme entr'e les moudj alùdine et celtains officiers déserteurs. Les dernières armées de la guelTe vont l'aider, grâce à l ' évolution des capacités de combat de l ' armée et à l' harmolùe qui prévalait entre les dj mUloud et lem' COln-

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mandement, à faire taire les voix qui continuaient encore à poser ce problème. Mais cette question finira par resmgir, comme si elle était setùement différée. Celtains officiers moudj ahidine reprochaient à BOlUnediene de les avoir nonunés à la tête d' unités opératiOlUlelles, alors qu ' il avait désigné les officiers déseltems à des postes sensibles au ministère de la Défense. Ce litige était lUle des raisons directes de maintes tentatives de dissidence et de coups d'Etat, dont celles menées par Chabaui et Tallar Zbüi. La nouvelle organisation La zone opérationnelle nord, qui s'étendait d'EIKala au nord jusqu'aux frontières de la Wilaya l, au sud, comptait, à la fin de 1960, les bataillons suivants: Le II' bataillon, conunandé par Aluned Tarkhouche ; Le 12' bataillon, cOlmnandé par Ali Boukhedir ; Le 13' bataillon, conunandé par Abdelkader Abdell aoui, puis par Kaddom Bouhrara ; Le 27' bataillon, conunandé par Mohamed-Salall Bechichi ; Le 15' bataillon, cOlmnandé par Mohamed Ataïlia ; Le 25' bataillon, cOlmnandé par Youcef Boubü' ; Le 17' bataillon, conunandé par Maklù ouf Dib ; Le 21' bataillon, conUllandé par Abdallall Boutellla, remplacé ensuite par Mokhtar Mekerkeb ; Le 24' bataillon, cOlmnandé par Bowladja Felfeli, remplacé ensuite par Zouaghi AImnar, dit « L 'Indochine» ;

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Le 19' bataillon, cOillinandé par Selim Saâdi ; Le 39' bataillon, conunandé par Abden-ezak Borulara ,. Le 29' bataillon, conunandé par Mohamed Ben Mohamed ; Le 56' bataillon, cOillinandé par Mahfoud BOllilOuar, remplacé ensuite par Anunar Chmllinam. Ces bataillons et compagnies d'annement lourd ont été déployés tout au long de la ligne Challe et des frontières tunisiennes. Le secret de cette nwnérotation, délibérément décousue, est que l'état-major veillait à ce que l' ennemi n 'en découvrît ni le nombre, ni les zones de déploiement. Ces bataillons vont, par la suite, changer de zones et de noms. CeItaines pOiteront les noms de chouhadas tels Zighoud, Didouche ou Amirouche. Des compagnies d' annement low'd seront créées pow· appuyer les bataillons dans les grandes batailles ou dans les opérations de harcèlement des positions de l 'ennemi . En moins d' wle année, et grâce à la mobilisation et au redéploiement des unités de wilaya, les effectifs de la zone nord passaient de 4 000 à plus de 10 000 hOillines. Dans la zone sud, l ' effectif avoisinait les 6 000. Les deux zones constituaient ensemble Wle année de 16 000 honunes. L' armement des compaguies avait nettement évolué. Ainsi , dès 1960, nous disposions de mOiti ers de calibres 120, 85 et 75, de mitrailleuses arlti-aéliennes de type 7/1 2 MT et de batteries de calibre 57. Une fois qu' il eut fini d'organiser et d'équiper les bataillons, l'état-maj or élabora un plarl d'offensive massive sur la ligne Challe, dont l'objet était de réduire le potentiel de l' ermemi et de détruire

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L ' tTAT-MAJOR CtNtRAL OU LE RETOUR DE L 'ESPOlR (1958-1959)

ses m oyens de défense. Ce plan alliait les raids fm-tifs, les embnscades et les actions de diversion. Les cibles de l ' offensive s' étendaient le long de la ligne, d' EI-Kala jusqu' aux frontières de la Wilaya 1. Ces offensives auxquelles prenaient prut tous les bataillons et les compagnies d ' rumement lom-d ont été menées sous le conunruldement direct de Hourui Boumediene, en coordination avec le bm-eau tec\mique rattaché à l' état-major, et nous nons chargions, Abdenaimlane Bensalem et moimêllle, de les Illettre en œuvre sur le tenaiu. Pru' devoir de mémoire, je dois évoquer m on ami et compagnon d ' rumes, le moudjalud et héros AbdelTalunane Bensalem, Des moudja\tidine de la Base de l'Est m ' ont récenunent pru'lé des circonstrulces malhem-enses et injustes de sa dispruition, Bensalem était un chef valem-eux qui condnisait hu-même les combats, De plus, il était d'tme bonté exemplaire et d ' une modestie exceptiOlmelle. Sa longue expétience à Diên Biên Phù l' avait agueni ; c' est là qu'il avait découvert que le fruneux SIOgrul Chrultrult « l 'invincibilité de la France » n' était qU' Wl mythe, après la défaite ctusante que les Vietnruniens avaient fait subir à l'rumée frrulçaise . C ' est là-bas aussi qu'il avait apptis le dévouement des peuples pOlU' leur cause juste, Nous avons travaillé ensemble au lU veau de la zone opérationnelle nord et au nUlustère de la Défense nationale, Puis, nous nous avons divergé, suite à son soutien à la tentative de coup d' Etat de Tallru' ZbiIi , Après ses démêlés avec Bownediene, il était revenu à sa région natale, à Botihadjru', pom- mener tme vie très simple prulni les moudjaludine,

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En 1980, lm chamier a ete decouvelt et les autolites locales ont demande à Bensalem d'identifier les corps, etant dOlUle que la region relevait de son autOlite pendant la guelTe. Sur le site, Bensalem se mit à reconstituer minutieusement toutes les etal'es de la bataille, qui etait conduite par son camarade Tayeb Djebbar, conune si elle se deroulait à l'instant même sous ses yeux et sous sa conduite. Sous l' effet de l' emotion, il fut plis d' lm malaise dont il ne se releva pas . Il mourut sur ce geste epique et quasi-mythique, après avoir ressuscite la bataille du 5' bataillon. Occupe par le seisme qui venait de frapper El-Asnam, je n'ai pu malheureusement assister à ses fimerailles. J'ai néalllnoins chargé le Premier ministre, Abdelghani, de me representer et de presenter mes condoleances à sa famille . Avant sa dispatition, il avait sollicité une entrevue avec moi, pat' l'intennédiaire d'lm atni . J'avais accepté avec grand plaisir mais le SOIt en a voulu auti'emenl. A ses atnis, il disait : « J 'ai trop peur pour Chadli de son entourage. »

Le differend avec le G PRA Le clash entre le GpRA et l' état-major était inévitable au vu des divergences de vues et de visions sur les questions inherentes à la conduite de la guelTe. Le conflit allait en s'aggraVatlt, aVatlt d'éclater en jlùn 1961 , lorsque l' attillelie de l'ANP a abattu un avion de recOlUlaisSatlce français audessus du centi'e d'instruction de Mellag. Son pilote, Fredélic Gaillat'd, filt capturé pat' l'étatmajor, après avoir sauté en pat'aclmte sur le tenitoire Ilmisien, et accusé d'espiOlUlage. Sous la

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ciNtRAt ou LE

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pression du gouvemement ttuusien, le G PRA a demandé de livrer le pIisoruùer aux autOIités ttuusiermes, mais Boumediene et ses collègues de l' état-major, s' y sont refusés, prétextant que le pilote était mOit. Les Tmusiens mirent la pression pom récupérer le pIisOIulier « mort ail vif », en menaçant d'intervenir contre l'ALN et de lui couper tout approvlSlormement. Au début, Boumediene avait hésité ml moment, sous la pression d' Ali Mendjeli et Kaïd Aluned qui s' y opposaient fennement, avant de céder à la fin et de livrer le pilote. C' était tme épreuve difficile pom Bomnediene. Il avait celtes perdu mle bataille, mais il avait gagné lUl prui. Pom la prenuère fois, donc, le conflit SOitait au grand jom . L'état-major entama lUle vaste crunpagne, accusant le GPRA de vouloir hunrilier l'année, et convoqua une réunion avec les chefs des zones nord et sud, et les responsables de bataillons, de compagnies d' rumement lomd et de crunps d'instruction à Oued Mellag. A l' OI·di·e du jom, l'évolution du conflit entre l' état-major et le gouvenlelnent provisoire. Bomnediene n'a pas beaucoup pru·lé ; il s' est contenté de nous rumoncer la dénussion des membres de l'état-major. Ali Mendjeli était, qUrult à lui, fmieux . Tenrull les membres du gouvemement pom responsables de toutes les tru·es et de tous les malhems, il accusera notrumnent KIim Belkacem de vouloir affaiblir l'année. Le 15 juillet, le cOilUnruldement de l'état-major présenta sa délnission au gouvelnelnent provisoire' et fit circuler tme pétition auprès des chefs d' mutés combattantes. Cette pétition, au ton très

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CHADLI BENDJ[DID - MÉMOIRES

vinùent, dénonçait la politique du G PRA et ses concessions au président Habib Bourguiba que le conunandement de l'état-major SOUpÇorUlait de visées expansioruUstes. Les rédacteurs du texte s ' élevaient également contre la politique de dilapidation et de népotisme que pratiquait K.rim Belkacem. A la veille de la tenue de la session du CNRA à Tripoli, nous avions signé, nous les officiers , une autre pétition dénonçant les agissements du G PRA, et s'opposant à la désignation du conunandant Moussa à la tête de l ' état-major. J'ai été chargé de recueillir les signatmes des officiers de la zone opératiorUlelle nord, parmi lesquelles figurait la mierUle, en tête de liste. Il y avait en tout 2 1 signahIres. Les signataires sont AbderTalUllarle Bensalem, Saïd Abid, Salall Soufi, Malunoud Guenez, Moussa Hassaru, Aluned Ben Aluned Abdelgharu, Abdelharrud Abdelinoumène, Slimarle Hoffman, Mohruned Zerguiru et, enfin, MoharnedSeglur Nekkache, responsable srutitaire de l'ALN . Je payerai cher mon engagement, après moins d' une arUlée, au retom de la délégation de la Wilaya Il de la farneuse réuruon de Tripoli . La petition en question Considérait que la derrussion du conunarldement de l' état-major etait lm acte « éminemment politique » et exigeait, à l'occasion, le retom aux principes de la Révolution pour poursuivre la luite armée, tout en reclarnant, au passage, un contrôle finarlcier sm les membres du gouvemement Un mois plus tar"d, les officiers de l' ouest vont signer, sous l ' imprùsion de Kaïd Aluned, une pétition siIrulaire saluant le retrait

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des membres de l ' état-major des travaux du CNRA. Contrairement à ce que vélùclùaient celtaines déclarations, selon lesquelles ces attitudes seraient de caractère interne, que, en dehors du cercles des initiés, ses réslÙtats seraient insignifi ants, que, pom preuve, la Révolution a pOlU"SlI.ivi son chelnin malgré les difficlÙtés, et que Benkhedda et son gouvernement amaient fai t montre d' une lucidité indélùable, en alliant réalisme et liguem, contrairement à ces allégations, ces deux pétiti ons elU'ent un impact fonnidable dans les rangs de l'année et appuyèrent les positions du conmlandement de l 'état-major, soutenu, en cela, par la maj orité des offi ciers et des dj OlUlOud des frontières est et ouest. Benkhedda n ' a pas réussi, après avoir limogé et, pom celtains d' entre eux, dégradé les membres de l ' état-major, à imposer Si Moussa comme chef d' état-major. Et 100"Squ 'il s'est rendu à Ghardimaou, il n' y a trouvé aUCIill membre de l'état-maj or à son accueil. Au lnêlne InOlnent, il nous rendit visite au PC de la zone nord, à Ouchetata, où nous l ' avons reçu, Bensalem, Abdelghani et moi. C' était l' occasion pom lui de montrer le degré de conullluùon entre les diIigeants et les dj OlUlOud . • **

Pamù les décisions impOitantes plises par les colonels lors de lem rémùon-marathon à TlUÙS, l' impératif de voir les chefs officiers regagner le tenitoire national pom réorgaIùser les mùtés combattantes et raIùmer la lutte aImée après Iille

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période d'inertie qn' ont connne les maquis de l'intériem', depuis le parachèvement de la ligne Challe, Celtaines wilayas, notanunent la II, réclamaient l'entrée du conunandement de l'état-major. Mais cette demande semblait aussi bien inéaliste que pratiquement impossible. 1l faudrait sans doute la mettre sur le compte de la lutte pom' le contrôle de l' année. BOlmlediene entreprit d' appliquer la décision, Fin 1960, Tallar ZbiIi traversa vers la Wilaya J, et le colonel Lotfi tombait au champ d' hOlUleur, j uste après avoir traversé par le sud. Avant lui, tombait au champ d' hOlUleur Abdenalunane Mira, dans lme bataille héroïque, alors qu'il était sm' le chemin du retour à la Wilaya III. Le colonel Sadek Dehilès m' avait sollicité, à deux reprises, pmu' préparer son franchissement, mais il n' en a pas eu l' 0ppOltmuté, En mars 1960, Aluned Benchérif a pu franchi!' les deux lignes Challe et MOlice, On a beaucoup dit et écrit sur le franclu ssement de Benchérif. J'ai lu quelques témoignages qui relatent avec une haute précision cette opération, COlmne si leurs auteUl"S y avaient assisté. D' autl"es encore se sont attIibué, toute honte bue, le rôle de diligeants, alors qu'ils n' étaient que de simples exécutants. Sans citer de noms, je dirai, pour l'histoire, que c'est 11loi qui avais assuré le franchissement de Benchérif. J'avais choisi, pour cela, une zone montagneuse inaccessible, entre Aïn ElKenna et Zeitotma, où nous n'avi ons jamais orgalusé d'opérations de ce geme. J' ai chaI'gé le chef de la prenuère région, Haddad AbdelUlour, accom-

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pagné dn conseiller mjlitaire, Khaled Nez7ar, et de deux sections, de séctuiser le franchissement. Je comptais essentiellement sur l ' effet de surpIise. Nous nous SOlmnes accrochés avec l'année française sur les deux flancs du lieu de franchissement et avons mené tule attaque de diversion pom tromper la vigilance de l'ennemi . Ainsi, Benchélif et les dj OtulOUd quj l 'accompagnaient réussirent à passer la ligne Challe. Le lendemain matin, ils tombèrent en accrochage avec l' elmemi, après le déclenchement d' tille grande opération de ratissage. La majeme partie de ses honunes y laissèrent lem vie. Benchélif et quelques stuvivants fment, quant à eux , condujts par Salall Bouchegouf, qui cormaissait parfaitement la région, à Djebel BéIU-Saiall, où Benchélif restera longtemps avant de passer la ligne Morice. Quelque temps plus tard, nous avons applis son arTestation près de Som El-Ghozlarle. Quarlt à Salall Bouchekouf, il est resté cantomlé entre les deux lignes, à Djebel BéIU-Salai1, jusqu ' au cessez-le-feu. Sid-A1uned Je me rappelle encore, à ce jom, du martyr A1uned Tar·khouche - ou Sid-Ahmed, COlIl!lle les officiers, les dj otuloud et même les civils aimaient à l 'appeler. Je l 'ai cormu à sa sortie de la Zeitmma, qu' il avait dû qrutter pom nous rejoindre bien avant la création de la Base de l' Est. Amar-a Bougiez l' avait désigné COlmne adjoint politique darls la premjère compaglue dont j 'avais la char·ge. leI' ai nonuné luoi -lnêlne au renseignelnent, puis chef du Il' bataillon. Il était pour moi plus qu\m

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frère . Ses qualités hlUnaines et morales étaient lUl exemple pom les djOlUlOUd. Il était d' lUle telle aménité, d' lUle telle prévenance, que je n' ai jamais vu persOlme, dans la zone dont j'avais la charge, lui vouer lUle quelconque aversion ou mal veillance. Il m' a beaucoup aidé, par son travail et son dévouement, à mainteni.r élevé l ' espIit comba tif du Il' bataillon, qui était devenu, en un COlut laps de temps, l ' lUle des meillemes structmes, réputée pom ses actions réussies contre les postes de la ligne Challe, notanunent à LaàyolUle et OlUnTbol. Il était doté d' lUle fOimation politique élevée et d' lUle rare éloquence, qui l'aidera à devenir lUl grand niblUl. Il a déployé de grands effOlts, en tant que conunissaire politique, pom relever le moral des dj olUloud, expliquer les objectifs de la Révolution, mobiliser les m Ollsseblil1e et conn'er, dans le même temps, le n'avail de propagande qu' effectuaient les SAS dans les milieux civils. En tant qu' adjoint chargé du renseignement, il se monn'a incontestable dans la collecte d'infonna tions concemant l' ennemi et dans sa disposition à slUveiller ses mouvements. Il tomba au champ d' honnem, avec son compagnon d' anne, Chelbi Mohamed-ChéIif, en 196 1 dans la bataille de LaâYOlme, près d'OlUn-Tbol, tue par lUl obus. Après sa mort, j ' ai nonuné Boutelfa Fadhel à la tête du Il' bataillon. A l' indépendance, je suis allé à la recherche de sa famille à Jijel, mais je n ' ai pas pu la retrouver. A mon élection comme président de la République, j ' ai demande de baptiser lUllycée à Jijel , à son nom.

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La mOlt de Haddad Abdmillour et Yazid Ben Yezar Je n 'oublierai pas aussi mes compagnons d ' rume, Haddad Abdelillour et Yazid Ben Yezar, dont j 'avais prépru'é le fj-anchissement vers le pays . Le premier était un moudjahid cOliace et intrépide, au point de n ' avoir jrullaiS eu à se plaindre en VOulrult se positionner entre les lignes Challe et Morice, Le second était lill intellectuel d' El-Milia qui était décidé à rej oindre la Wilaya Il, à la tête d ' IUle quru'rultaine de combattrults, après plusieurs tentatives avortées à d' autres endroits de la ligne Challe. Abdelkader Abdellaoui, qui était chru'gé d ' lille mission entre les deux lignes, devait traverser avec eux. Je chru'geai Haddad AbdellllOur, l'adj oint militaire du 13' bataillon, de les escOlter, tant je lui fai sais confirulce, pour sa bravoure, sa longue expéIience et sa pru-faite COlillaiSSrulce de la région . Il me recOllUllrulda IUle clairière entre Aïu Laâssel, ex-Youcef, et El-Feline, qui me semblait convenir, du fait notrulUllent que nous n 'y avions jrullaiS tenté le franchissement et que, par conséquent, l ' rumée frrulçai se ne pouvait SoupçOliller IUle tentative de ce type à cet endroit. La deuxième raison est qu ' il y avait une forêt assez proche de la route, ou les combattrulls pouvaient éventuellement s' abriter. En assurrult la couvelture de la route des deux côtés, les dj olUlOud utilisèrent les tubes de brulgalore pour détruire les fil s bru'belés, creusèrent IUle trrulchée de 50 cm de profondeur, pellllettrull le passage d' une section de djOlUloud sans risque, et coupèrent les fils électrifiés de 5 000 volts . Pour éviter les tirs des mitr'ailleuses installées devant le blockhaus, Haddad AbdellllOur

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dorma ordre à ses honmles de rallier la forêt toute proche. Un accrochage s' ensuivit et les djOlmoud pénétrèrent de plain-pied dans lm champ de mines. La tentative échoua : plus d' une dizaine de djounoud y trouvèrent la mOlt, en plus de nombreux blessés et de prisolUuers. Blessé, Abdellaoui fut contraint de se replier avec les quelques smvivants. C ' est ce jom-là que mon compagnon d' anne, Haddad AbdelUlom , qui ne m ' avait jamais quitté depuis son engagement dans la lutte année et son affectation cOimne adj oint militaire dans la prenuère compaglue, est tombé au champ d' hOimem avec Yazid Ben Yezar et son assistant Aluned Lesnami . A chaque fois que l 'occasion de visiter Annaba se présente à moi, je vais me recueillir devant la stèle conunémorative éIigée à lem' mémoire, à Aïn Laâssel. A Sidi Trad J'ai passé lme bOime prutie de mes rumées de combat drulS la région de Sidi Trad, à l' extrénuté de la brulde frontalière, dans la COlTuntme de Zitomla. La région était réputée pom ses reliefs escrupés, ses pentes raides et ses grottes imprenables. C'est pom'quoi les Français n 'ont jrunais réussi, malgré lems nombreuses tentatives, à atteindi'e Hrumnam Sidi Trad. Même lem aviation évitait de slUvoler ces montagnes, pom s' épru'gner noti'e rutilleIie installée sur les crêtes, Une fois, nous avons réussi à abattre lm appru'eil de type T28, à la lisière de Sidi Trad, au lieu-dit Kef El-Houml, à l' aide d' lme mitrailleuse de type 45 MG . Après cette action, l ' elmenu n ' hésita pas à bombru'der ces grottes avec

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ses B26 américains. Avant le parachèvement de la constlUction de la ligne Challe, cette région fi·ontahère s ' était transfonnée en théâtre pour embuscades dressées par les première et troisième compagnies pour empêcher l ' elmemi d' occuper nos positions et d'atteindre la zone fi·otllalière. Dans IUle de ces embuscades, nous avons capturé un soldat de la légion étrangère. Nous avons donc choisi cet endroit pour le repos et la convalescence des djOWlOUd, parce qu' il y avait IUle station thennale dont l ' eau était réputée pour ses veltus thérapeutiques. Non loin de cette station, à l'ouest, se trouve le mausolée du saint patron, Sidi Trad Belmacer, érigé à l' intérieur d'tUle zaOlüa, sur un plateau que les tribus avoisinantes utilisaient comme cimetière. Les habitants visitent le mausolée et demandent la bénédiction, en posant leurs lèvres sm les slVaqem, une sotte d' ustensiles en tetTe cuite qui étaient posés sur le tombeau. On atltibuait à Sidi Trad de nombreux miracles. La Révolution combattait ce geme de pratiques et de croyances, c ' est pourquoi nous avons interdit à la population de visiter le mausolée. Je me rappelle d' une anecdote : IUl jour, je fus blessé à la jambe di·oite et les djOWlOUd, pow· blaguer, di saient que la malédiction de Sidi Trad s' était abattue sur moi.

« Chadli parle-t-il de la guelTe ? » Je garde encore des souvenirs inoubliables de mon ami photographe et caméraman yougoslave, Stevan Labudovic. Il imposait le respect par sa taille, mais aussi par sa modestie, ses qualités

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lllorales et son dévouelnent sincère pour les valeurs d' amitié et de fidélité _ Un jom , son épouse, Roziska, demanda à la miemle lors d' un voyage en Yougoslavie, si « Chadli p arle de la gllerre »_ Mon épouse lui répondit que je n' en parlais pas_ A son tour, ma fenune demanda à son hôtesse si Stephan, lui, en parlait. Roziska lui rétorqua que lui non plus n' en parlait jamais _ Pom1ant, Labudovic a vécu la guelTe avec nous et a été témoin de ses atrocités et des crimes du colonialisme_ Il a immOitalisé les exploits des moudjaludine dans des milliers de mètres de pellicule qui constituent, auj omd' hui, une mémoire vivante de l' Algérie combattante_ Labudovic était, avec son compatriote Zdi-avco Pecar, l' Italien Epoldi et l'Américain Edmond Ritchi, l'lm des rares jomnalistes étrangers à avoir séj omné longtemps dans les deux zones opératiOimelles nord et sud, et écrit sm les combattants, filmé lem vie quotidimme, rencontré les chefs de bataillons et, sm10ut, inuno11alisé les moments de franclussement des lignes Challe et MOlice_ Labudovic était venu en Algérie en 1960, àprès lme renconh-e enh-e Aluned Bomnendjel et le maréchal Tito à Brioni, où le prenuer avait demandé au leader yougoslave d' aider les combattants algériens en envoyant lm caméraman réaliser des rep0l1ages sm la Révolution et fonner une équipe de cameramen algériens _ Tito choisit pom cette mission Labudovic, qui était son caméraman persOimel et avait été son compagnon lors de la lutte des Yougoslaves conh-e les nazis_ Au début, Labudovic VOlÙait rej oindi-e les Amès, mais les dif

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ou LE

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ficultés qu ' il avait rencontrées pour fi-anclùr la ligne Challe et la mOIt du cOIllinandant A1uned EIAggoune l 'en empêchèrent. Il rejoigrùt alors mon PC et resta avec moi quatre longs mois, Il parlait un peu le français mais avec lm accent. Lorsqu' il ne pouvait pas s'explimer, il dessinait des lettres en l 'air avec la main, Il se considérait COilline dj oundi à paIt entière, au point qu' il me demaIlda de prolonger son séjour avec nous, paI'ce qu' il percevait son dépaIt comme lme déseltion , Un jour, il me sollicita pour monter !me embuscade aux Français, en plein jour, afin qu' il puisse filmer. Je ne pouvais qu' exaucer son vœu, Nous avons effectivement dressé cette embuscade et nous nous SOIllines bien accrochés avec !me compaglùe fraIlçaise, Après notre retrait, Labudovic avait égaI'é ses appaI'eils, qui étaient sa seule aime, Heureusement qu' ml jemle djO!Uldi, qui s' üùtiait avec lui à l ' ait de la prise de vues, les retrouva accrochés à Wle braIlche d' aI'bre, Une fois, apercevaIll Labudovic sur Ull rocher s'apprêtaIlt à filmer, j ' eus conune le pressentiment que quelque chose allait se passer. En effet, à peine quelques mümtes plus taI'd, des B26 commencèrent à nous sUlvoler. Je lui demaIldai de s'éloigner, COilline il ne voulait pas s ' exécuter, je l ' interpellai SlU" ml ton violent. A peine s ' était-il éloigné, que l'aviation se mit à bombarder au napalm le rocher SlU" lequel il se tenait ; la masse de piene fut littéralement pulvélisée, A cette vue il resta conune tétaIùsé, puis il se précipita vers moi et me plit daIls ses bms en pleuraIlt. Il venait d' échapper mü-aculeusement à Ulle mOIt celtaine,

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Il disait toujours que s'il venait à mourir, ICI , avei nous, il serait « martyr ». Labudovic refusait de filmer le napalm, parce que cela lui rappelait la bombe atomique. Jusqu'au jour d' aujourd'hui, il confie à ses ami-, qu'il reste redevable de sa vie à son « chef > * Chadli. Il était aussi lm ami intime de Houai i Bownediene. A l'indépendance, ce denuer le recevait sans protocole. Un jour, il lui demanda de velur, lui et sa fenmle, en Algérie, pour y célébréi la naissance de leur enfant. Mais la naissance fui prématw'ée, et parce que Labudovic avait souhaite que Bownediene soit le panain du nouveau-ne Wle fille à qui Bownediene choisira le nom d' Ida -, ce denuer demandera à l'ambassadeui algérien à Belgrade d' offrir à la maman, Roziska, cent fleurs pour chaque lettre du prénom « Ida », c'est-à-dire trois cents au total . Je l'ai rencontre pour la denuère fois , avec son épouse, chez luoi Alger, lors de sa visite en Algérie, en mai 2007. Kt conune à chaque fois, il fondit en lannes en m' évo quant : « Mon chef qui m 'a sauvé la vie ! » A sel anus, il confiait : (( Dans ma vie, j 'ai connu deux chefs :Josip Broo Tito et Chadli Bendjedid. » . 1

hÙlwnation de l' honune « à la peall /loire » A Sidi Trad, toujours, j ' ai irùlwné le pellSeur et nulitant Frantz Fanon. C' est là lm fait que certains ont cherché à occrùter. D' ailleurs, même dans les colloques orgruusés chaque rumée sur sa persOima lité et sa pensée, on n' a jrunais dit que « c 'est Chadli qui "a inhumé ». Fanon était décédé dans Wl hôpital du Mruylruld aux Etats-Unis, où il était

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soigné pom une leucémie, A l'époque, nous entendions parler de lui et nous savions que c' était Illl intellectuel Oliginaire de Mrutinique qui avait rej oint la révolution algélielme, à l'instru' de nombreux révolutiOimaires et intellectuels étrangers, li avait travaillé il Tlmis avec Abrule RaJlldane au déprutement de l'infol1nation et pruticipé activement à la médiatisation de la Révolution algélielme à travers ses ouvrages, ses intelventions daJlS les forums intemationaux et pru' son action diplomatique, notrullinent en Afrique, Je ne peux, cependrult, confil1ner la véracité des mmeurs qui avaient circulé, selon lesquels Français et Américains se seraient entendus pom laisser Fanon sans soins. li avait laissé Illle lettre à ses runis, druls laquelle il lem demruldait de l'enteITer en Algérie, au cimetière des mrutyrs, A sa mOIt, sa dépouille a été h-ansférée en Tlmisie, Le GPRA sollicita l'état-major pom h"OlIVer Illl cimetière pom mrutyrs, Mais on n ' en h'ouva aUCllll druls cette région, Au coms de la première semaine de décembre 1961 , le secrétaire général de l'ex-étatmajor de l'Est, le lieutenant Ait Si Mohrullined, me contacta de Tlllus pom me demrulder s' il existait un can'é pom les mrutyrs druls la zone nord, Je l' infOImai que nous inlumuons nos mrutyrs au cimetière de Si fana, situé sm le versrult sud de Sidi Trad, En effet, nous y avons enteITé Illle douzaine de mrutyrs calcinés, avec lems rumes, pru' lm bombru'dement au napalm de l ' aviation ennemie qui les avait smplis sm les hautems de Sidi Trad,

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Mais, au lieu de b1lIlsférer sa dépouille et do l'inhumer secrètement, le gouvemement provi soire préféra aIUloncer la Ulmt de Frantz Fanon et, plus grave encore, infonné qu'il serait entelTé au cimetière des maItyrs, en tene algélielUle. Le G PRA avait SaIIS doute des calculs politiques que nous ignOllons. Mais l'annonce de l'entenelnenl de Frantz FaIIOn en tenitoire algélien nous causa de gros elUluis et faillit nous coûter cher. Dès que les autmités fi1lIlçai ses ement vent de la nouvelle, elles lancèrent deux avions de type 826, pom smvoler en pennanence le long des frontières, dans la région que nous slllllmmnions le « no man 's land », à la pOlu'suite de tout ce qui bouge pom le bombaI·der. Nous avions creusé la tombe, la nuit, et tout prépaI'é pom entelTer FaIlon. Le lendemain, lme délégation représentaIlI le GPRA et l'état-major aIliva, pOltaIlt la dépOluile mOltelle, à Oued 8aghla. Dans la délégation, on recormaissait MohaIned-Seghir Nek:kache, le responsable santé de l' ALN, le médecin Yaàcoubi , lllle représentaIlte de la Croix-Rouge intemationale et les deux jOlllualistes yougoslaves Pecar et Labudovic. Je n' ai pas apprécié le compOltement de certains membres de la délégation, venus prendre des photos devant le cercueil du défllllt. En aIlivaIlt aux fi'ontières, je lem ai expliqué que je ne pouvais pas lem faire prendr'e de lisques du fait qu'ils ne connaissaient pas la région que l' aviation slllvolait sans cesse. {( NOlis finirions par êh'e découverts et pilonnés », lelll' ai-je dit. Finalement, la délégati on rebroussa chelnin. Fanon fut iIrlllllUé au cimetière

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de Si fana où nous lui rendîmes des hOlmeurs militaires. Nous avons entené avec lui, COlmne il l'avait smùmité dans son testament, ses ouvrages Peau noire et masques blan cs, La cinquième année de la Révolution algérienne et Les damnés de la terre. Après l' indépendance, en 1965, les moudj ahidine ont plis l'initiative de transférer ses ossements au cimetière des martyrs d' Aïn EI-Kenna.

CHAPITREVll LE PREMIER PRISONNIER , . APRES L'INDEPENDANCE

Il est des paradoxes dans la vie qu'il est difficile d' expliquer et de croire, et qu' on accepte tels quels. Je n' ai jamais mis les pieds dans une prison coloniale bien que les autOlités françaises m'aient plusieurs foi s condamné à mOlt par contmnace. Et, aussi étrange que cela puisse paraître, je me suis retrouvé denière les baneaux à l'indépendance. Ma détention dma un mois ou plus, dans l'isolement le plus total à l'intéIiem d' une casemate aussi noire qU'lUle tombe. Je souffIis de dmùems insuppOltables . La pIison, c' est COlUm, n'a pas que du mauvais. Me concemant, et malgré ce que j ' ai enduré moralement et physiquement, cette expétience dmùoureuse a confOlté chez moi une vieille idée pharaotuque : l'être hmnain platufie et le SOIt le nat·gue. La vétité est que j ' ai touj ours évité d' évoquer ce draIne qui ln'est ani vé, au ffiOlnent où nous fêti ons encore la victoire. Mais, bien que j'aie tout fait pour oublier, j ' en gat-de touj ours les tenibles ima-

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ges dans n1a Inén10ire, bien Inalgré n10i . Il In'ani.ve

poofois de poser cette question à mes compagnons, sans aUClme ani.ère-pensée : « Q ui est le premier prisonnier p ost-indépendance ? ». Ma question les

étOlme touj om s. Ce premier prisomuer, c'est tout simplement Chadli Bendjedid. Je raconte l'lustoire SoolS exagération ni fiOlitmes. J'ai été le prernier officier à rentrer au pays, quelques j oms avoolt la procloouation du cessez-lefeu . La Révolution passait poo' une période difficile où tout pouvait OOliver. Nous autres officiers attendions l ' oomonce des résultats du denuer romld des négociatiollS d' EviaJl avec impatience. La façon dont les discussiOllS se dérmùaient était loin de nous rassmer. Les divergences de vue menaçaient de creuser le fossé entre le G PRA et l'état-major général . Nous étions quasiment daJlS l 'impasse. Il ne se passait pas IUl j om SOOlS que les accusations mutuelles et la guelTe des cOlmumuqués n 'aggravent encore lUl peu plus la situation. Pom l' état-maj or général, il n' était plus question de revenir en anière ou de faire des concessions,

au regard de l' effervescence qui régnait daJlS les rOOlgs de l ' oomée et de la multiplication des voix opposées à certaines dispositions de l' accord que nous considérions conuue IUle atteinte tlagrOOlte aux acquis obtenus au prix de sept oomées de lutte. Les points d' achoppement concemaient, POO" exemple, la location de la base navale de Mers El Kébir et de ses oomexes militaires au profit de la France, les conditiollS de coopération avec l' OOlcien OCCUpaJlt, le statut de la nunOlité emopéenne et les avantages dont elle devait j ouir, etc.

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LE PREMIER PRI SONNIER APRÈ s L 'INDÉPENDANC E

Sur ces entrefaites, l'état-maj or général intensifia, dès février, sa campagne de sensibilisation en direction de l'année des frontières, SlU' le danger de ces accords et leurs réslùtats néfastes pour l'avenir du pays. La campagne avait été rigoureusement étudiée selon une stratégie qui visait il montrer un GPRA capitulant face il la puissance coloniale et, dans le même temps, mettre il nu les velléités néocolonialistes de la classe dirigeante fi'ançaise, Parallèlement il cela, les bataillons stationnés le long des fi'ontières multipliaient les actes de sabotage contre les lignes éleclliques. C' était lm message clair il la France et au GPRA que rien ne pouvait se faire sans l' assentiment de l' ALN ou contre sa volonté, Il serait en'oné de croire - conune le font cert ains histOliens - que noll'e opposition aux accords d'Evian était une question de rivalité persormelle enll'e Houari Bomnediene et Benyoucef Benkhedda. Ce denuer nous avait rendu visite darlS la zone opératiOllllelle nord et nous l'avions reçu avec les hormeurs dus il sa qualité de Chef du gouvemement, en dépit des graves divergences qui nous opposaient au sujet de l'avenir du pays. Abdelhafid Boussouf avait fait de même, secrètement, pour tâter le tenain. Je l' avais accompagné moi-même dans lme visite d' inspection aux Imités de la zone nord ; j ' avais fait nune de ne pas le cOllllaÎlI'e. Noll'e opposition il ces accords n' obéissait pas non plus il quelque tactique de l'état-maj or général pour s' adjuger le pouvoir. Il est vrai que Bomnediene avait su exploiter et instrumenter le différend sur ce point, refusarll d'envoyer lm

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représentant de l' état-maj or général à Evian et s ' abstenant de voter en faveur du cessez-le-feu malgré l'adoption du texte par le Conseil national de la Révolution algérienne et l ' assentiment des cinq chefs histOliques empIisOlll1és . Le fait est que la position de l ' état-maj or général reflétait une tendance générale qui prévalait dans les rangs de l ' ALN , dont les chefs reprochaient aux négociateurs algéliens de ne pas prendre en considérati on la réalité du ten-am. La plupatt d' entre nous croyaient fennement que l ' avenir appattenait à ceux qui avaient pris les annes et non pas à ceux qui avaient fait de la cause de tout lUl peuple un fonds de conunerce dans les salons de TlUÙS ou les ({ harems » du Gouvenleluent provisoire. Si l 'histoire nous a applis que les révolutions sont le fait de deux catégOlies d' honunes - ceux qui les mènent et ceux qui en profitent -, nous, pat' contre, étions fat'ouchement opposés à cette logique. Mais, je dois l ' avouer, en dépit du bouillormement qui régnait au sein des troupes relevant de l'état-major général, les soldats ne cachaient pas lem j oie face à l ' approche de la fin des hostilités. Ils avaient souffelt des affies de la guelTe et enduré lme tenible tragédie . Lem seul SOlÙlait était qu' ils puissent enfin rentrer chez eux et revoir lems fatuilles le plus tôt possible. Je n' oublierai jatnais l ' image de mes soldats versatlt des latmes de j oie et d' inquiétude en même temps. Je voyais datlS leurs yeux lUle lueur d' espoir mêlée à lme angoisse refoulée, due à lem incompréhension face à des luttes intestines et aux profondes div er-

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LE PREMlER PRlSONNIER APRÈs L 'INDEPENDANCE

gences qui faisaient éclater les rangs de la Révolution, au moment où elle était si proche de la victoire. Leurs questions au sujet de leur devenir et de l ' avenir de leur pays étaient lancinantes et dOlùoureuses. Nous évitions d'y répondre autant que faire se pouvait, conscients que nous étions de la gravité de la situation, entourée de trop de zones d' ombres. Les dirigeants des zones nord et sud étaient inquiets pour la péri ode de transition qui devait durer six mois, vu l' absence de garanties concrètes sur le retrait de l 'année française dont les effectifs se chiffraient à 800 000 honunes. Ce qui accentuait nos doutes, c' était la force locale dont celtains vOlùaient qu'elle suppléât à l ' ALN. Cette entité hybride était fonnée, dans sa majorité, d' honunes qui avaient combattu les moudjaludine. Nous y voyions un prolongement de la promoti on Lacoste et le fer de lance d' une action visant à pmter 1111 coup fatal à la Révolution. De même, nous n 'avions pas confiance en l'organe exécutif provisoire que présidait Abdemùunane Farès . La question de la libération de celtù-ci par le général de Gaulle, la veille de la signature des accords d' Evian, et la relation avérée qui liait les deux honunes suscitaient mOlùt intelTogations. Nous avions consacré nos effmts, à cette époque-là, à la sensibilisation de nos hmmnes sur la nécessité de faire cm]>s avec le commandement de l'état-major dans la lutte qui le mettait aux p'ises avec le GPRA et de soutelur ses revendications appelant à rejeter la décision relative au désannement de l ' Année de Libération nationale et à accélérer son retour au pays dans les plus brefs délais.

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Un des problèmes les plus graves qui s' étaient posés, avait trait au SOIt réselvé à l' ALN : allaitelle être dissoute conune le revendiquaient la France et ceItaillS cercles pro-colonialistes suspects ? Allait-elle être remplacée par les supplétifs, ennemis des m oudjaludine, dont l'option fut évoquée pour assurer la péliode de transition ? Qu' allait-il advelur des éléments de cette année qlÙ avaient consenti d ' immenses saclifices pour la libération de la prutie ? Allait-on les remercier et les plier de rentrer gentiment chez eux connne si de lien n ' était ? Comment le problème des rumes allait-il être réglé ? Etait-il concevable que cette force de frappe fùt balayée d ' IUl revers de main pour satisfaire les lubies des politicru'ds ? Ces intenogatiOIlS tounnentaient les djounoud plus que les officiers, Notre position ne souffi1Ùt pas d ' runbages et était indiscutable : nous refusions le mru'chandage et le chrultage tout simplement. Cru' désrumer l' ALN revenait à ouvrir la voie aux règlements de comptes et à l'exacerbation de l ' esplit de vengerulce chez les collaborateurs et les sbires de la France qui auraient honte de leur passé peu honorable. C ' est pour cela que l ' étatmaj or général adopta lUle position intrrulSigerulte sur cette question, L'Année de Libération nationale ne pouvait pas rentrer au pays au m ême titre que les réfugiés. Notre vision future de son rôle était différente de celle du GPRA . De plus, c' était lme question d ' hOImeur 1 Boumediene et Mendjeli rappelaient constanunent, drulS leurs réuniollS avec nous, ce qu' il était advenu des rumées mru'ocaine et tmu-

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LE PREMIER PRISONNIER APRl:S L'lNDtPE NDAN CE

sienne après l'indépendance de ces deux pays . Leurs éléments furent désannés qui finirent marginalisés et exclus, victimes de l'ingratitude. Le SOIt des soldats ttuusiens et marocains nomlissait chez nous ml sentiment d' ameltmne car nous aurions subi la Inêlne déconvenue.

Le 18 mars, Benyoucef Benkhedda atll1onça, dans ml discours radiodiffusé à pattir de TlUUS, l' abouti ssement à lU! accord global à Eviatl et appela, au nom du G PRA, à l'atTêt de toutes les opérations militaires sur tout le tenitoire national, à compter du lmldi 19 mat.. à nudi . La joie du peuple dans les villes et les villages fut inunense. Les djOlmoud de l' ALN accueillirent la nouvelle pat- des salves de coups de feu en l' air. Mais les nouvelles que nous entendions à la radio ne nous disaient tien qui vaille. Les responsables - ceux de l'intétieur notamment - se pressaient d' occuper les postes qui leur pennettaient d'accapat·er le pouvoir. La course au trône était telle que celtains chefs enj oignaient à leurs hmmnes de rej oindre leur wilaya d' mi gine. Mais les bataillons qui étaient stationnés le long des frontières avaient pu maintenir la discipline et la cohésion au sein de leurs rangs. Outre l' atnplification de la clise enb-e le GPRA et l'état-major général, les ab-ocités conunises patl'OAS qui s' opposait catégmiquement aux accords d' Evian, prenaient de l'atnpleur, notatmnent à Alger, Armaba et Oratl, indiquatlt que la spirale de la violence et du telTmisme n' allait pas s' atTêter de sitôt. Ce qLÙ nous préoccupait le plus, c'était la complicité des Européens et d'lUle pattie de l'at·mée française avec cette orgatlisation telTOllste.

CHADLI BENDJEDlD - MÉMOIRES

La guelTe civile fiappait à nos pOites et nous tenions à l ' éviter coùte que coùte. Bomnediene traçait sa voie vers le pouvoir doucement mais sùremen!. Mais il était conscient qu' il était inCOIlliU du grand public en tant qu' honune politique et ne jouissait pas d'IUl soutien suffisant auprès des wilayas de l 'intéliem. C'est pom cela qu' il se mit à la recherche de « SO/1 » homme. Les alliances se faisaient et se défaisaient du jom au lendemain : Bomnediene s'allia avec Ben Bella et Klrider pom assmer IUle couvertme politique à l' année. En tant qu' officiers, nous savions qn' il avait eu des contacts avec les cinq prisOimiers au château d' Alùnoy et qu' il lem avait exposé son point de vue pom une sOitie de crise : il lem avait proposé la création d'ml Bmeau politique et la présentation d'lm progranune pom l 'après-indépendance. Bomnediene joua sm les livalités et l'avivement des querelles entre les cinq pers Oillialités. Il avait choisi de s' allier avec Ben Bella parce que Mohamed Boudiaf avait refusé d' être « à la bolle de l 'armée », COilliue il l ' avait dit llù-même. L'accueil des cinq Après le cessez-le-feu, confOlmément aux accords d' Evian, les autorités françai ses libérèrent Ben Bella, Boudiaf, Aït-Ahmed, Klrider et Bita!. Ces denùers effechlèrent une tmilllée au Maroc, en Egypte et, enfin, en Twrisie. J'ai fait partie des officiers qlÙ ont accompagné BO\Ullediene et les général pom les membres de l ' état-major accueillir à l'aéropOit de Tunis, le 14 aVlil 1962.

LE PREMIER PRI SONNIER APRIS L 'INDÊPENDANCE

Nous avions remarqué l' absence de Boudiaf, ce qui laissait entendre que les différends entre les cinq hOlwnes - Wl secret de Polichinelle, au dememant ne s'étaient pas aplanis ; ils s'étaient plutôt aggravés à l 'orée de l ' indépendance. Malgré cela, le jom de lem libération fut illle véIitable fête pom les officiers, quelques membres du G PRA et les réfugiés algériens qui les accueillirent en grandes pompes. Ben Bella embrasa les sentiments des gens venus l 'accueillir en les haranguant du haut de l'estrade habituellement réservée au président Habib Bom guiba : « NOliS SOIll/nes des Arabes l NO liS sommes des Arabes .1 Nous sommes des Arabes .1 », at-il martelé. Bow·g uiba fut agacé par· ces propos qu' il interprêta conune tUle alliarlce avec Abdennasser, à son détriment, d' autarlt plus que Ben Bella venait du Caire. Le désaccord entre Abdennasser et Bomguiba sm la Révolution algérierUle et la cause palestinierUle est COlUlU de tous. Bomguiba n 'avait pas Ben Bella en odelU· de sainteté, préférarlt traiter avec le binôme KIim Belkacem et Benyoucef Ben Khedda. Il m ' avouera plus tar·d, alors que j ' étais Président, qu' il n 'avait j arnais eu confiarlce en Ben Bella. Après cela, Bownediene organisa illle visite des cinq aux tmités de combat dans les zones nord et sud. C ' était Wle occasion pom eux de découvrir le niveau élevé atteint par· l'ALN en matière d' organisation, de disposition au combat et de maltrise de l ' armement sophistiqué que nous avions reçu des pays socialistes. A la fin du mois, le conunarldement de l'état-major général accusa le GPRA de ne pas avoir imposé les dispositions inscrites dans

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CHADLI BrNDJEDID - MÉMOIRES

les accords d' Evian après les provocations de Par mée fj-ançai se contre les unités de l' ALN dans les monts de Beni Salah . L' état-major général rendit public un conummiqué acerbe dans lequel il dénonçait les violations répétées des clauses dr l' accord, menaçant de riposter avec force si ces provocations ne cessaient pas. En réaction au rapprochement entre Ben Bella et l'état-major général, le GPRA coupa les vivres à l'année des frontières et gela son budget. Ce fui lme erTem monumentale que l'état-major général mit à profit pom attiser la colère des officiers et des djolmoud. D'lm autre côté, cette décision n' avait aucun effet, car l'état-major général avait pris ses dispositions dans les zones nord et sud. Il avait suffisanunent de ressomces pom continuer d'approvisioilller les Imités sans l' aide du GPRA . Celuici conunit une autre maladresse fatale en demandant à son homologue hmisien d'interdire aux unités de l' ALN de franchir la fi'ontière et d' accéder à la Tlmisie. Cette décision faillit conduire à lme confrontation atm ée entre nous et la Gat'de nationale hmisieillle. Oatts une tentative de swmonter la crise, Ben Bella, soutenu pat' Khider et Bitat, proposa la tenue d'Ime session du CNRA . La rélmion eut lieu du 21 au 28 mai à Ttipoli, datlS une atmosphère électrique, sm fond de graves divergences entr'e les patiies qui luttaient pom le pouvoir et l'opposition représentée pat' le trio Klim Belkacem, Boussouf et Ben Tobal. J'avais dematldé à rentr'er au pays . Oatts cette situation pom le moirts atnbiguë, Houati

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LI PREMIIR PR1 S0NNlI R APRÈs L'INDEPINDANCI

Boumediene me chargea d'une mission auprès des responsables de la Wilaya Il pour les convaincre d' éviter la confrontation et l'effusion de sang. Ali Mendjeli me remit une quantité d'annes que je devais offrir à mes interlocuteurs. Avant de me rendre dans la Wilaya H, j 'eus le sentiment bizaITe que quelque chose allait ani ver. Celte pensée me hanta tout au long de mon chemin. Je saluai mon frère Abdelmalek - il était sous-officier -, retirai ma montre et la lui offiit en ayant ces propos prémonitoires : « Sait-on jamais ce que nOlis réserve le desfin .1 » J'avais deux sections . L'une, couunandée par Abdelkader Abdellaoui, devait se diIiger vers la paItie nord de la zone, entre les deux lignes (TaI-r, Zitolma, Aïn El Kenna, Blandan et l'ouest d' El Kala), et l' autre, conunaIldée paI' MohaIlled Salall Bechichi avait ordre de se rendre daIlS la région de HaInmaIn Nbaïl. Je passai paI' l' endroit appelé Bec de canard et traversai la ligne Challe de nuit, près de Souk-Alu-as, sous lm pont proche de la voie ferrée. Nous n'efunes pas trop de difficlùtés à traverser, CaI' la gaI'de avait été baissée après le cessez-lefeu. Nous passâmes toute la joumée dans un poste entre les deux lignes. Le soir, nous vîmes lme colOIme de CamiOIlS traIlSp0I1aIlt des soldats et un groupe de haI'kis. Ils étaient vraisemblablement à notre recherche après qu'ils eurent découveI1 les traces de notre passage. La colorme s' aITêta à 300 mètres de nous à cause d'tme paJ1l1e SlUvenue sur lUl des caInions. Nous étions en état d' aleI1e pennanente, prêts à paI'er à toute éventualité. Mais il n'y eut pas d' accrochage. A la tombée de la nuit, des moussabiline de Souk-Alu-as viment vers nous. Un

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CHADLI BrNDJEDID - MÊMOIRES

groupe accompagna la section de Abdellaoui jusqu' à Belu Saleh, et un autre guida Becluclu et ses honuues vers Hanunam N ' baïl. Je restai, quant à moi, avec des militants que j'accompagnai à Souk Ahras. Le lendemain, j 'inspectai les deux sections. J'avais réussi à me rendre à Belu Salall en tenue civile, en compaglue d' un caïd que les soldats de la Légion étrangère cOlmaissaient bien. Je me souviens que nous avions passé le baITage en voiture. J'étais assis à côté du caïd qui tremblait de tout son corps. Il récitait le Coran sans ruTêt. Les soldats ne firent pas attention à moi, se contentrult de lui rendre le salut. Je passai en revue la section que j'avais envoyée à Belu Saleh. Salail Bouchegouf se trouvait entre les deux lignes. Je chru·geai Abdellaolù de superviser cette zone avec lui . Je relms aux deux hommes de l' ru·gent puis je me rendis à Hrurunrun Nbaïl et y passai la mùt. Il était prévu que Abdellaolù cOlrunande la zone 1, qlÙ se trouvait entre les deux lignes, Bouchegouf la zone Il et Beclùclu la zone qui s'étalait entre Souk-Aluâs et Hrurunrun N ' baïl. Nous avions pom Imssion de prépru·er le retom de l' Année de Libélâtion sm le ter11toire national . Après cela, je reçus - à ma demande - le responsable de la région de Guelma. Je le priai de m 'accompagner jusqu' au centre de conunruldement de la Wilaya Il. Pru· précaution, j'avais choisi de passer la mùt en ville, chez lm policier algélien COIlllll dans la région. Malgré cela, les autOlités fiâllçaises ement vent de ma présence à Guelma. Le lendemain, la radio diffusa l' infonnation selon laquelle « l 'adjoint de Bensalem

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LE PREMIER PRlSONNŒR APRÈs L'INDEPENDANCE

est entré à Souk-Ahras avant de se rendre à Guelma ». L' atmosphère était chargée d' éleclIicité au sein des unités de la Wilaya II . J' enj oignis à Becruclù de quitter la zone afin d' éviter tout incident avec eux, mais il passa outre mes ordres et demema sm place. C'est alors que des soldats anivèrent de Guelma et ouvlirent le feu sm ses hommes du haut d' une colline avoisinante. Beclùcru dut se replier pom éviter l ' effusion de sang . Suite à cela, le responsable de la région m'accompagna au QG de la Wilaya II qui se II-ouvait dans IUle zone montagneuse enlI-e Collo et Mechat. Etait présent, mon secrétaire particulier, Tayeb Hafiane, lUI jeune de Souk-Ahras. Je II-ouvai les responsables de la Wilaya n se préparant à se rendre à la rélUùon de Tlipoli . Ils étaient en session ouvelte. Je complis, à II-avers ma discussion avec Salall Boublùder et Abdelmadj id Kalù enas, qu' ils rejetaient l' autorité de l' étatmaj or général et revendiquaient la réintégration des soldats de l ' année des frontières dans lems wilayas d' oligine. Les djounoud suivaient, abasomdis, ma discussion houleuse avec Abdelmadj id Kalùenas _ Je m ' adi-essai à Smvl El Arab en ces terInes : « No us devons travailler main dans la main pour éviter la confrontation. L 'état-m ajor général est décidé à rentrer en A lgérie et souhaite que nOlis surmontions ensemb le cette phase difficile ». Salah Boubnider était déconcerté, énelvé, clispé. Je lui dis : « La g uerre est finie maintenant et il faut que nOlis œuvrions ensemb le à sauvegarder l 'intégrité territoriale et l'unité du peuple e t de l'armée. No us devons transcender nos divergences, parce que les mis-

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sions qui nous attendent requièrent cela

». Quel ne

fut pas mon étmmement lorsque je l'entendis dire : {( Je ne céderai pas 1In empan de la wilaya .1 }) Il voulait dire la Wilaya II et l ' ex-Base de l' Est. Et d' ajouter : « Ces colonels (entendre Benaouda, Kafi et Mendjeli), nous ne les avons pas faits prisonniers che= nOlis et nous leur avons permis de se rendre en Tunisie. Et voilà que vous en ave= fait des colonels et des =aïms ! » Je rétorquai : « C 'est le GPRA qui les a promus au grade de colonel, pas nOlis .1 » .

«Des putschs à ell avoir les cheveux gris! » A la fin, nous convînmes d'ajOluner la discussion SlU' la mission que m 'avait confiée l ' état-maj or général jusqu' après la rémuon du CNRA . Durant les premiers j ours de ma présence SlU' le tenitoire de la Wilaya II, je fus accueilli et traité convenablement. Mais, lUle fois de retolU' de Tripoli, le compmtement à mon égard changea du tout au tout. Mon anne me fut retirée et mes papiers confisqués, parce que les responsables du G PRA avaient dit à Boubruder, lorsqu'ils avaient su la natlU'e de la mission qui m ' était échue : « Chadli est le plus grand des perturbateurs. Son nom est parmi les premiers de la liste des officiers ayant signé la pétition dénigrant le GPR4 et soutenant l 'état-major général ». Je fus anêté et traité comme lelU' pire ermenu . Quand l' état-major général apprit mon anestation, il dépêcha Mohamed Attaïlia, puis Hachemi Hadj erès pOlU' s' enquérir de mon sort. Les deux hommes furent atTêtés à lelU' tom' dans la plaine d ' Armaba. Bralum Clubout disait de moi : « Celui-ci a tellement participé aux

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LE PREMIER PR1 S0NNIER APRÎ s L'INDtPENDAN CE

plltschs qI/ 'il en a les chevel/x gris .1 » Il demanda à mes geôliers de redoubler de vigilance. « QI/ant à ceilli-Ià (il parlait d' Attaïlia), s 'il a perdu son bras, c 'est à cause de ses fourberies .1 » J'essayai de convaincre mon secrétaire particullier de s' en aller, mais il refusa et préféra rester avec moi en prison. A Mechat, je fus jeté dans une casemate au plafond si bas que je ne pouvais me mettre debout. Le sol était jonché de planches sur lesquels des clous étaient plantés à moitié pour m ' empêcher de m ' allonger. Je passai des jours et des nuits accroupi, ne pouvant ni Ille lever, ni m'étendre, ni donllir. Je me demandai au fond de moi-même : ({ Qu 'est-ce qui peut bien transformer un moudjahid en bourreau pour qu 'il en arrive à torturer de la sorte un auh-e moudjahid comme lui ? D 'où vient toute ce tte haine ? Avons-nolis comba tht toutes ces années et sacrifié tout ce que nOliS avions pour en arriver à retourner les moyens de torture de nos ennemis d 'hier contre nous-mêmes ? » J'étais abattu physiquement et moralement. Quand j ' essayais de me mettre sur le côté, je sentais les clous s' enfoncer davantage dans mon COlpS . Je ne sais pas combien de jours j ' ai passés dans le noir ; peut-être vingt ou plus. Lorsqu' on m' en sortit, je crus qu'on allait me fusiller, parce qu' on m 'avait conduit à tUle canière située près de Mechat. Je demandai à « ROl/ge » (Attaïlia) de m ' allmner mle cigarette ; une cigarette d ' adieu ; l 'adieu aux compagnons, à la famille, à la vie ... Je confiai mon SOIt à Dieu qui m ' avait anllé de patience. Mais, dès que nous dépassâmes la carrière, je compris qu' on n ' allait pas m ' exécuter. Je

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crois que je dois la vie à l'intelvention résolue de BOlUuediene et Mendjeli . En effet, j 'ai appIis par la suite que BOlUuediene avait menacé la Wilaya 11 de représailles si jamais il m'anlvait quelque chose. On me ligota les mains avec une corde mouillée. Quand celle-ci sécha, elle me sena les poignets si fOlt que j ' en ressentis une dOlùem atroce. Je saignais . On m' embarqua à bord d'tme Jeep en direction d' El Milia. Il n' était plus question de me tuer. Je fus enunené - avant le référendlUn - à la pIlson d' El Milia, vidée de ses demieI-s déte nus politiques par l' année françai se. Je vis, dans l'immeuble faisant face au pénitencier, des soldat s de la Légion étrangère s'esclaffant et Cllant à tuetête : « Voilà que les fellagas s 'entretuent maintenant .1 » J'alUllis préféré mOlU1.r que d' entendre ces railleIies sarcastiques. Quelques jOlU-S plus tard, le chauffem de Ferhat Abbas fut amené dans la lnêlne prison. De ma celltùe, j'entendais le peuple scander « Vive VAlgérie .1 Vive les moudjahidine .1 Vive Ben Bella

.1 »

Après El Milia, je fus transféré à Constantine, mains liées. Là-bas, on me jeta dans le sous-sol du QG de la Wilaya II . J'ai su que de nombreux responsables militaires et politiques étaient détenus dans ce lieu, panni lesquels Kaïd Aluned et HacheIni Hadjerès. DlU1l1lt mon séjom en pIlson, Salah Boubnider négociait avec Ben Bella au sujet de la levée du siège dans le Nord-constantinois. Le 24 juillet, il me convoqua dans son bmeau et m'infonna que la Cllse était finie, qu'il avait scellé lUl accord politique avec Ben Bella et

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LE PREMIER PRISONNIER APRÈS L 'INDÎPENDANCE

lioumediene et que j 'étais désonnais libre. Puis il me proposa, sm lUl ton teinté de remords, de me dOIUler un peu d' argent pom me coiffer et me raser. Je ren.lsai et lui demandai de m'établir un sauf-conduit pom passer les baITages de la Wilaya Il SaIlS encombre. En quittant la prison, je broyais du noir mais je n ' éprouvais pas de haine. J'avais senti que Boubnider regrettait ce qu'il m ' avait fait endmer. J'ai été le prernier officier à êtTe jeté en prison après l' indépendance, et le delnier à en SOItir. .. Malgré les souffrances physiques et morales que nous avaient infligées les responsables de la Wilaya II, je ne ressens aucune animosité à lem égard. Quarante ans après cet incident, je rencontrai SalVt El Arab au Palais de la cwtme à l'occasion du 1" novembre, et lui posai Wle question à laquelle il ne s'attendait pas : « Ammi Sala", te souviens-tu du jour oit tu nI 'as jeté dans une casemate ? » Il blêrnit. Je le rassmai en lui disant : « Ne t 'inquiète pas, je ne , 'en liens pas rigueur l » Quant à Brahim Chibout, qui voyait en moi un putschiste invétéré, je n ' ai pas vowu le narguer. Quand j'étais à la tête de la 6' Région rnilitaire, lui était wali de Armaba . Président, je l'ai nonuné lninistre des Moudjalridine dans le gouvernement de SidAhmed Ghozali . Abdelmadjid Kalùenas se confia à Abdelkader Abdellaoui, plusiems aImées après l'incident. en ces tennes : « Nous avons été injustes envers le moudjahid Chadli ». Je quittai ConstaIltine rassmé ; la crise est derrière nous, me dis-je. Mes soldats faillirent ne pas me recOimllÎtre tellement mon état de saIlté s' était

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altén;. Je ne pouvais pas deviner que Larbi Berdjem allait prench-e la ville d' assaut le lendemain et a!Tèter lm grand nombre de cach-es militaires et politiques, dont Lakhdar Ben Tobal _ Tout conune je n' arums jamais pensé que j'allais l'ruTêter moi-même moins de deux mois plus tard. Sur ma route vers Taoura (ex-Grunbetla), siège provisoire de l' état-major général, j'appris que Boumediene et Mendjeli étaient en déplacement à Boussaâda. Djelloul Khatib, le secrétaire général de l' étatmaj or général, m'infonna que Boumediene m'avait nonuné - avant son déplacement - adjoint de Lru-bi Berdjem à la Wilaya II et chef d'lm sous-groupement qu'il venait de créer, dont le QG était à Truf et l' effectif s' élevait à 6 000 hOIillnes. Boumediene et le cOIillnruldrull Abde!Talunane Bensalem me rendirent visite à Tru-r, drulS une conjoncture difficile. Borunediene était honipilé pru- le GPRA qui, selon lui, avait fait montre de pusillruùmité en cédrult aux runbitions néocoloIÙalistes, fai sant fi des intérêts suprêmes de la nation, et VOlÙait récolter les fruits de la victoire et faire croire au peuple qu'il avait réalisé rulnùracle. Il me demanda mon avis sur la situation, conune s' il voulait me tester. Je lui répondis sans la moindre hésitation: « Si Boumediene, vous me connaisse:; et connaisse: mes positions ; vous save:; que je ne reviens jamais en arrière. J'ai été conda111né à 1110rt plusieurs fois et rien ne me fait peul' désormais. Nous avons résisté plus de sept ans face à "arméefrançaise et je ne crois pas que les manœuvres des politiciens vont

nOlis arrêter. Si cela devait demander des mois slIpplémentaires de guerre, soit! Il nOlis faui agir vite pour

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LE PREMIER PRISO NNIE R APRÈS L 'INDÎPENDANCE

éviter au p euple une guerre civile. » Boumediene soutit conune à son habitude, et me dit : « Avec toi ml moins, les choses sont claires, Si Chadli .1 » A cet

instant précis, je pris conscience que BOlUnediene avait l'ambition de prendre le pouvoir au regard de son insistance à balTer la route au GPRA _ Je n' étais pas à Truf - QG du bataillon qlÙ comprenait les meillems bataillons de la Base de l' Est - lorsque l'état-major général dotma ord.re à ses bataillons statiotmés dru1S les Wilayas l, V et VI de mru-cher sm la capitale POlU- en déloger la Wilaya IV_ Khaled Nezzar fut chru-gé de cotrunrulder les Il' et 13' bataillons qm fment fonnées dans la zone 1 de la Base de l'Est ; ils étaient prumi les meillems bataillons en tennes d'entraînement et d' équipement et avaient livré de grruldes batailles à l ' rumée fi, mçaise_ Les deux bataillons firent mouvement en direction de Boussaàda, où se trouvaient Borunediene et Ali Mendjeli qtÙ se prépru<ùent à pénétrer drulS la Wilaya IV via Som El Ghozlrule et Ksar El Boukhrui _ Ils se j oigrùrent aux autres bataillons conunruldés pru-Tallru-ZbiIi. Des affi-ontements violents et sanglants ement lieu entre frères, mais les forces de l'état-major général elU-ent le dentier mot pru-ce que plus aguenies et Imeux rumées _ Les soldats du GPRA, daIlS lem écrasante majorité, fai saient partie du groupe du 19 mars, c'est-à-dire ceux qm avaient rallié l' rumée après le cessez-Ie-feu_ Mon fi-ère Abdelinalek fut blessé ; il fai sait prutie du 13' bataillon que cotrunandait Kaddom Bouluara _ Les chefs des deux bataillons me racontèrent, plus tard, que les dj Olilloud évitaient la conti-ontation,

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émus par les slogans scandés par le peuple tout au long de lelU" trajet vers Boussaâda : « Sbaâ S17il1 baraka! .1 Il (Sept ans, ça suffit !) A JijeL Au moment où les bataillons ralliés à l'étatmajor général se trouvaient à Boussaâda, en attendant l' ordre de faire route vers la capitale, HouaIi Boumediene me chaI-gea de prépaI-er le reste des bataillons de la Base de l'Est avec deux autres bataillons de la Wilaya Il pOlU" me rendi-e à JijeL Une fois là-bas, LaI-bi Berdjem et moi-même nûmes SlU" pied six bataillons SlU" les hautelU"s de la ville, à CaIUp Chevalier, une caseme qui avait été évacuée PaI- l' aImée françai se. Le 17' bataillon reçut l' Ol-di-e de se déployer SlU" les monts de Texéna. Les Jijeliens fm-ent étOlU1és de voir lelU" ville se tl1lnsfOlmer en gaI-mson du j OlU" au lendemain. Nous étions en état d' alerte pemlaIlente et suivions le développement des événements minute PaI- minute. Notre chaInp d'action s' étendait jusqu'à Souk Letrùne, c'est-à-dire à la lisière de la Wilaya rù . Nous craigrùons que le conùté de liaison de défense de la république, créé à Tizi-Ouzou PaI- Krim Belkacem et MohaIned Boudiaf s' alliât avec la Wilaya IV pOlU" occuper la capitale. Ma nùssion consistait à occuper les bases aI1ière à Béjaïa et Tizi-Ouzou et pénétr-er dans la capitale à paIur de ces deux villes, au cas où les soldats de la Wilaya III feraient mouvement vers Alger. La première semaine du mois d' août, lm modus vivel1di fut conclu entr-e Krim Belkacem, Mohamed Boudiaf et MohaIld Ouilladj d'lm côté, et lm repré-

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sentant de l ' alliance entre Ben Bella et l ' état-maj or général, plus cOimmmément appelée « Le groupe de Tlemcen », de l'autre. Mohand Oullladj joua lm rôle impOitant dans la conclusion de l' accord, en ce qu' il réussit à convaincre les pruties au conflit à écouter la voix de la raison et évacuer les runbitions pel"Sonnelles. L' accord aboutit à la reconnaissrulce du Bureau politique en trull qu' institution suprême. Suite à cela, Hourui BOlUnediene me contacta pour m ' infonner des clauses de l ' accord et faire lUl point de situation sur le retrait des soldats de la Wilaya IV de la capitale. La crise avait atteint des proportions telles qu' elle était devenue insupportable. Si bien que, le 30 aoùt, l' état-major général se vit contraint de donner l ' ordre - en coordination avec le Bureau politique -, de foncer sur Alger. Des forces des Wilayas H, 1, VI et V plirent prut au r.aid. Après cinq jOlU"S d'âpres combats, la tragique guelTe fratricide prit fin. Les soldats de l'étatmaj or général, et à leur tête Hourui BOlUnediene, entrèrent il Alger. C'était le début d' lUle nouvelle ère qui allait être, elle aussi, jalOlmée de clises et de drames .

• ** La C1ise de l'été 1962 trouva son dénouement avec l'entrée de 1' rulllée ralliée à l ' état-maj or général à Alger, le 9 septembre, mettant fin aux rêves de ceux qui alimentaient l ' animosité entre fi·ères. Le peuple retrouva l'espoir après les tiraillements qui slùvirent le cessez-le-feu et faillirent précipiter le pays dans la tempête d'IUle guelTe civile aux conséquences imprévisibles.

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CHADLI BENDJEDID - MtM OIRES

Le cIi de « sept ans, ça s uffit .1 » était plus fOit que le crépitement des balles. Nous avons tous été mewtIis par la mOit d'innocentes victimes dans les affrontements entre l' étatmaj or général et les forces de la Wilaya IV. Il n'était pas du tout facile de voir ceux qui, la veille, combattaient dans la même tmnchée, retowller lems aImes les WlS contre les autres. Mais il fallait trouver une issue, mt-ce paI' la force, et meth'e un tenue à cette tenible tragédie dmant laquelle les aIlIagoni stes ont fait prévaloir l'aInbition dévorante sm la raison, la retenue et le saIlg-froid face à la gravité de la situation, En réalité, l' état-major général était la seule force sm le telTain en mesme de s'imposer, grâce à l' wuté de ses rangs et à la discipline de ses soldats qw faisaient corps avec lems chefs, Même ceux qlU contestaient la direction de l'état-major général, taIltôt au nom de la légitimité, tantôt au nom de la primauté du politique sm le militaire, ou qlU l' accusaient d'imposer lme solution paI' la force, cherchaient, au fond d'eux-mêmes, à gagner ses favems. L' état-major général sortit SaIlS graIld dégâts de cette crise tragique, Ses membres sentaient qu'ils avaient épaI'gné au peuple une épreuve insuppOitable et lme nouvelle effusion de SaIlg, Ils avaient nus fin à une course effrénée au pouvoir et à la répaItition du butin de guelTe. Outre ce sentiment d' avoir selv i à sauver le pays, l'état-major général disposait d'lme aImée de 24 000 honunes et jOlUSSait du soutien des Wilayas l,V et VI, ce qlU lui pelmettait de peser de tout son poids en taIlt que paItie prenaIlte ou, à tout le moins, en taIlt qU 'aI'bitre daIlS tout règlement politique.

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LE PREMIER PRI SONNIER APRI S L 'INDÉPENDANCE

Fin septembre, le premier gouvemement de l' Algélie indépendante est fonné. Il est présidé par Aluued Ben Bella. C' est, sans auClUl doute, lUI gouvemement de règlement de clise et de compromis mutuel s. Hourui Boumediene réussit à décrocher cinq pOItefeuilles ministéiiels et gru-de celui de la Défense nationale. Au début, Ben Bella avait hésité il accepter le poste de président du Conseil. Il en est touj oms ainsi avec lui ... Il n' y a pas de doute que la raison de son refus au déprut - tenait au fait qu'il craignait de pru-rutre aux yeux de ses détractems et de l' opinion publique conuue lUI otage de l'état-major général, d' autant plus que ses deux adversaires Ait Aluued et Boudiaf nuùtipliaient les déclru-ations allrull dans ce sens et l'accusaient d' être « attiré par le p Ol/voir ». BOIUllediene réussit à le convaincre, au bout de plusiems rencontres qui avaient réuni les deux hOIlliues à Villa Rivaud, à Tlemcen, en présence d'officiers et de moudjaludine. Boumediene lui gru-rultit qu'il avait le soutien total de l ' rumée et Ben Bella s'engagea à préselver la séclUité et la stabilité. L'aImée de Libération nationale plit l'appellation d' Aimée nationale poplùaire (ANP) et il lui 1111 confié de nouvelles missions dont la plus mgente, il laquelle BOlUnediene accorda IUle pliOIité absolue : il paItir d'IUle entité fonnée d'anciens moudjaludine en faire IUle aImée réglùière modeme ; à paItir d'IUle aImée de libémtion en faire IUle aImée d' édification. De nouvelles directions fin-ent créées au uiveau central, chrugées de la plrulifica-

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C HADLI BEN'DJIDID - MÊMOIRE S

tion, des finances, de l'annement et des persOlmels_ La plupmt d' enb-e elles furent confiées aux officiers déselteurs de l ' mmée française _ Quant aux officiers moudjahidine, ils furent nonunés à la tête des régions et des mutés _ Ces désignations eurent pour effet de créer mIe cassure au luveau du conunandement de l ' institution nulitaire, dont les conséquences conunencèrent à apparaître quelques mmées plus tm-d _ Les officiers moudjaludine avaient peu confimlce en les déserteurs de l ' mmée frmlçaise, en raison du ralliement tm-dif de ces denuers à la Révolution_ Ils les accusaient d' œuvrer à leur exclusion et à leur mm-ginalisation au nom de l' expéri ence et de la « maîtrise technique »_ Ni le recouvrement de l' indépendmlce, lU les nouvelles nussions assignée à l ' ANP, lU la sagacité de Boumediene ne pemurent de dépasser ce conflit hérité des mmées de guelTe_ Malgré tout cela, les conun mldmlts de Régions concenb-èrent leurs effOlts sur la réorgmu sation des mutés et l'intégration des soldats rendus à la vie civile et la prise en chm-ge de lem-s problèmes sociaux_ Berdjem et son discours enflmruné Fin octobre de la même mmée, Houm1 Bomnediene me confia le conunmldement de la 6' Région nlilitaire, en remplacement de Lm-bi Berdjem, dénu s de ses fonctions à la suite d' lUI discours acéré qu' il avait prononcé sur les ondes de la radio de Constantine _ Avmlt de pm-1er plus en détail de cet épisode, je dois rappeler que j ' étais l' adj oint de Lm-bi Berdjem, ou « Larbi Mila » cOlrune nous l 'appelions_

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LE PREMIER PRISO NNIER APRÈS L'INOÊPE NDANCE

Celui-ci faisait prutie des premiers moudjahidine à avoir rej oint la Révolution, dès les premières heures de son déclenchement. C ' était un honune com ageux et fidèle et qui travaillait avec abnégation . Mais il était trop impulsif et aventmeux , ce qui le conduisit à commettre des enems monumentales à plusiem's replises. LlU et Tallru' Belloucif s' étaient j oints à l'alliance conclue entre Ben Bell a et l' étatmajor général, après la rémuon de Ttipoli . Je n' avais pas d' infonnations précises sm ses relations avec les autres membres du Conseil de wilaya, mais j ' ai su, pru' la slute, qu' il n' était pas satisfait de l'accord auquel Boubluder et Ben Bella avaient abouti et qu'il craignait que celui-ci n' eût été conclu à ses dépens . Quruld je SOltiS de ptison et quittai Construltine, Lru'bi Mil a décida d' occuper la ville pru' la force et d' ruTêter ses responsables politiques et militaires. Cela déclencha des affrontements qlU firent de nombreuses victimes prumi les citoyens. Berdjem plit les rênes de la wilaya mais il n'y resta pas longtemps . Très vite, un conflit - dont j ' ignore les tenrults et aboutissrults - éclata entre lui et Ben Bella et Bomnediene. Je pense que la cause en fut la présentation de sa cruldidatme aux élections législatives SaIlS son consentement préalable (le sClutin devait se dérouler en septembre). AVaIlt cela, il eut tme discussion lnouvelnentée avec Ben Bella qu' il voulait convaincre de la nécessité de compter sur les hOlmnes « qui 0 11/ fait , 'his/aire >). Mais Ben Bella lui répondit avec froidem et désinvoiture : « Laisse tomb er l 'histoire et les hommes qui 0 11/ fait , 'his/aire .1 » Pom l ' rulecdote, qUaIld Berdjem reprutit à ConstaIltine, ses collaborateurs l ' infonnè-

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C HADLI B1:NDJIDID - ME MOIRE S

rent qu' il venait d' avoir un enfant et lui demandèrent de lui choisir Wl prénom. Il lem répondit, comroucé : « Ela larikh » (SaIlS histoire). On m ' a dit que son fil s pOiterait ce prénom à ce jom ... Après cet incident, Berdjem se rendit au siège de la radio locale et y improvisa un discoms épique et violent daIlS lequel il s'en plit au gouvernement et à sa politique et proclaIna son opposition à ses décisions. Il tennina son allocution radiophonique à la façon graIldiloquente de de Gaulle : « C 'esl 10 111 ! C 'est t0 1l1 ! C 'esl t0 1l1 ! » Le discoms amait pu attiser la colère de la Wialaya n et rallumer la mèche encore finnaIlte de la discorde qui s' était éteinte depuis peu, après le ralliement de ses responsables à l' état-major général . Le soir, Bownediene et Ben Bella plirent attache avec moi et m ' enj oignirent de l ' aITêter et de prendre la tête de la Région. A vrai dire, la sédition de Berdjem et les raisons qui l' y avaient conduit me laissèrent paIltois, taIlt lien ne laissait entrevoir la présence d' Wl conflit profond entre lui et le gouvemement. Mon étonnement fi.1I encore plus graIld face à l 'absence de tout signe d'agitation chez lui alors qu' il s ' apprêtai t à aIilloncer sa dissidence. Je passai la nuit entière à quadiiller la ville et bloquer toutes ses issues. Je craignais que Berdjem eût mis les deux bataillons qui lui étaient restés fidèles en état d' alelte. Le lendemain matin, alors que nous l'attendiOllS, MohaIned Attaïlia et moi, à l'enb"ée de son bureau, nous fiûnes smpl1s par son compOitement. Il venait à son travail conune si lien ne s' était passé. Je lui demaIldai : « As-tll e ll connaissance de la décision du gouvernement te

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LE PREMIER PRI SONNIER APRts L 'INDÊPENDANCE

déme ttant de tes fonc tions et me nommant nouveau commandant de la R égion ? » Il me répondit sèchement : « O lli ! » Je rétorquai : « Bs-tll conscient de la gravité de ce que tu as commis? » Et lui de répondre en somiant : « Olli ! » J' en restai bouche bée,

incapable de rajouter ml mot. Attaïllia SOitit son anne et menaça BeI'djem qui s'ablita derlière moi, mais je l' empêchai de lui faire du mal, J' infOimai Larbi Berdjem que le gouvemement avait décidé de le placer en résidence smveillée et lui demandai de rentrer à son domicile, en lui garantissant qu' il n'avait lien à craindre, à condition qu'il n'en ress0l1e plus, Je fi s poster des gardes devant l' entrée de sa maison, Plus tard, Houali BOUlllediene demanda après moi mais, ne m 'ayant pas trouvé, il demanda des nouvelles de BeI'djem auprès de mes collaborateurs, Ils lui dirent qu'il était assigné à résidence et que des soldats avaient été affectés à la smveillance de son domicile, Bomnediene eut cette réflexion : « Chadli est trop sentimental » Quelque temps plus tard, des hommes de la sécmité enunenèrent Berdjem à Aflou où il fut intemé, Un remous se produisit dans les rangs d'lUl autre bataillon encadTé par d'anciens désel1em s de l' armée fi"lUlçai se et cOimnandé par Larbi Belkhir. Les officiers de ce bataillon semaient la zizanie en incitant les soldats à la rébellion contTe les officiers moudjalùdine, Sm mon ordre, ce bataillon fi.!t encerclé et désanné, Malhemeusement, deux soldats furent tués, PaT la suite, une conmùssion fut dépêchée d' Alger, présidée par Chabou, pom enquêter SUl' l'incident. Ordre fut dOlmé de dégrader les officiers

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C HADLI BENDJl:DID - MtMOIRES

du bataillon. Le lieutenant Larbi rabaissé au grade de sous-lieutenant.

Belkheir

fut

La restmchlration de l' année En 1963, BOlUnediene opéra IUle reconversion de l' année, transfonnant ainsi l' ALN en IUle aImée nationale poptùaire. En maI:;, la 4' RM (Biskra, COlnmaIldée paI' le colonel MohaIned Chabani) et la 5" (commandée paI' AmaI' Mellall) fment suppl1mées. L' état-major me chaI'gea de procéder à la fusion des 5' et 6' Régions pom en faire la 5' Région, basée à ConstaIltine. La mission me paIut difficile au débnt, d' autant qu' elle avait été initiée SaIlS aUCIUl plaIl orgaIuque préalable. Mais je la menai à bien grâce à mon expéIience passée à la Base de l'Est à la collaboration des officiers et à la discipline des soldats. Je redéployai les bataillons, les équipai et opérai des ChaIlgements à lem tête. Je n' hésitai pas à libérer les soldats qui avaient rallié la Révolution après le 19 maI:; après lem avoir vel:;é lem solde de tout compte. Je ne lem fai sais pas confiaIlCe, CaI' je cOllSidérais que lem ralliement avait pom but d'infiltrer nos rangs daI1S le cadre d'IUle stratégie nuse au point paI' la Troisième force ou répondait à la volonté de ceItaines wilayas de gonfler lems effectifs après le cessez-le-feu pom s'en selv ir comme moyen de pression aux fins d' imposer lems conditions sm le terrain. Quoi qu'i! en soit, ces soldats maIlquaient de discipline, d'entraînement et d' expél1ence au COlnbat. En outre, l'aImée, dans le cadre de ses nouvelles nussiollS, n'avait pas besoin des services de ces honunes qtÙ ne pointaient à la caseme qu' à la fin du mois pom toucher lem solde avant de dispaIllÎtre.

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LE PREMIER PRiSONNJER APRÈs L'INDEPENDANCE

Ma première préoccupation, à cette époque-là, allait vers la supelvision du retrait de l'année française du Nord Constantinois, confonnément aux accords d' Evian. Cette opération était hautement sensible. La région concentrant le plus grand nombre de soldats français, nous craignions que des dépassements ou des actes de vengeance fussent conunis . Le sang n' avait pas encore séché et les lru'mes cotùaient encore. FOIt heureusement, l'opération fut accomplie SrulS incident. Je m' efforçai du mieux que je pouvais de maintenir la paix et la séctuité et de protéger les habitations après les pillages des biellS vacants qtù eurent lieu d3llS la ville. J'avais demrutdé aux selvices compétents du müùstère de la Défense nationale de m'envoyer tm respOllSable pour récupérer le fonds national de solidruité à Constantine. Je n'ignorais pas les runbitiOllS de celtaines gens, conune je savais, du reste, que celtains collaborateurs de Larbi Berdjem avaient puisé dans ce fonds. C' est pom cela que j ' avais tenu à assister en persOlUle, avec le directem des Finrulces du ministère de la Défense nationale, à l'opération de pesage et de classification avrult de signer le bon de livraison. Le fonds était tul véIitable trésor, contenrult des centaines de kilos de bijoux en or et en ru·gent. C'était tute autre preuve des énonnes saClifices que notre peuple - les fenunes en pruticulier - a consenti pom la réstm-ection de l'Etat algéIien. Mendjeli se retoume contre Boumediene Ali Mendjeli me rendit visite à Dru' El Bey, le siège de la Région. L' entrevue faillit totuner à l 'in-

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C HADLI BENDJIDID - MÊMOIRE S

ci dent. Je l'avais reçu avec les hOimnages dus a l ' ancien moudjahid et au vice-président d«* l ' Assemblée nationale cons tituante qu' il étaii . Mais j ' ai vite constaté, à travers ses allusions, qu' il omdissait un complot contre BOlUnediene. Je cru-, comprendre qu' il préparait le ten'ain à nne alliance entre lui et Ben Bella pom destituer le ministre de la Défense et prendre sa place, J' ai fait la cOlUlaissance de Mendjeli à l ' étal maj or général, à Ghardimaou, et dmant les visites d' inspection qu 'il effechlait à la zone opération nelle nord et les réunions qu' il organisait avec nous au finnament de la clise entre l' état-maj or général et le G PRA. Je ne lui fai sais pas confiance et ne sup portais pas son empOitement et son entêtement Kaïd A1uned, le conunandant Azeddine et même BOlUTIediene ont souffelt de son caractère acruiâtre lorsqu' ils ement à travailler avec lui à l'état-major général . Mendjeli ne cessa pas de clitiquer BOlUnediene et sa gestion, l ' accusrult de favOiiser les officiers déseltems de l ' rumée françai se, Mais ce qui me mit la puce à l'oreille, ce fut son passage du reproche et de l'allusion à la déclru'ation ouvelte de son intention d' évincer BOlUnediene du minis tère de la Défense, Je ltù expliquai que notre devoir plioIitaire consistait à gru-antir la stabilité des insti tutions et éviter toute action qtÙ mènerai t le pays vers une aventure aux conséquences désastreuses. Devant mon refus persistant d' entrer drulS son jeu, et voyant que je haussais le ton, Mendjeli SOitit son anne, la braqua SlU' moi et amait appuyé sm la gâchette, n' eût été l ' intelv ention des officiers de la Région qui s'intell'0sèrent entre nous deux, N ous

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LI PREMIER PRISONNIER APRÎs L 'INDÉPENDANCE

venions d' éviter le pire_ Le soir, je fis prut à lionmediene de l' incident et il en infOima Ben Bella à son tom qni ordonna à Mendjeli de regagner Alger sm-le-chrunp _ Je sus plus tru-d que Mendjeli s'apprêtait à agir de la même manière auprès de tous les conunandants de Région pom débarquer Botunediene_ Ma rencontre avec Che Guevrull Pru1ni les souvenirs que je gru-de encore en mémoire figme ma rencontre avec Emesto Che Guevara _ En jnillet 1963 , le Che effectua une visite en Algérie pom assister aux festivités du premier rumiversaire de l ' Indépendance_ Il était runvé la veille du 5 Juillet pom Wle visite de quatre jom-s et il resta trois semaines ! Il visita l ' Algérie ville par ville _ 11 se rendit en Kabylie, prit prut au déminage des frontières ouest... Je le reçus à Construltine où il passa deux jomuées entières_ 11 était hemeux de découvrir l ' Algérie et se monlill impressiorUlé prusa natw-e et 1' htunilité de son peuple dont il admirait la lutte héroïque et la résistance face au colonialisme français_ A l'époque, Che Guevrull était affairé à constihJer lm front mondial mu conli-e l'impérialisme _ Il considérait l ' Algérie comme un pôle essentiel pom Wle telle initiative et Ben Bella était prutrull_ Le Che était Wle persOlUlalité rêveuse, illW1Unée, fougueuse et, smtout, atypique, ru-bol1lnt IUl béret, tUle bru-be et IUl gros cigru-e_ Certes, je ne prutageais pas ses OpllUOns sm de nombreux sujets, mais je fus épaté pru- son enthousiasme et sa mruuère d' expliquer les choses les plus compli-

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C HADLI BENDJEDID - MÊMOIRl:S

quées avec les mots les plus simples. Il voulut sli rendre dans les Aurès, fief de la Révolution. Sm son chemin, il eut un accident grave mais, pm miracle, il s'en SOitit vivant, tandis que son chaut feur, qui l'avait accompagné dmant tout son pélipIe en Algérie, y laissa la vie. Le Che le plein a comme on plew'e un frère . Cette simplicité, je l' ai aussi perçue chez Ir général Giap lorsqu'il me rendit visite quelque'» aImées plus taI'd il Oran. En fait, la simplicité est le propre de tous les graIlds révolutiOimaires de cv 111onde.

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Mon parcours militaire, en tant que moudjahid, fut graduel et ininterromllU. J'al assumé successivement les resllOnsabilités suivantes: 1955 : chef de groupe: 1955 fin 1956 : responsable de kislll ; 1956 : chef de région; - 1958-1959 : chef de zone, puis membre de I;i zone Nord opérationnelle jusqu'à l'indépendance.

CHAPITRE V III LE MOUVEMENT DE REDRESSEMENT DE JUIN 1965

Le mouvement de redressement révolutiOlmaire du 19 juin 1965 - que celtains qualifient de coup d' Etat - était planifié voire rumoncé longtemps avrult sa swvenrulce. Il était de notOliété publique que la lWle de miel entre le président A1uned Ben Bella et son ministre de la Défense Houali Bownediene était finie et qu 'on s' acheminait inexorablement vers le renversement de l'Wl ou l'éviction de l'autre. On dit que Ben Bella amait présenté Wl jOlll' son ministre de la Défense à lm jOlU1laliste étranger en ces tennes « Voici "h omme qui complote contre moi ! » A son tolU', Bownediene m 'avoua en octobre 1963, qu'il en avait assez de Ben Bella et de sa manière de gérer les affaires publiques. Il me dit que la relation entre eux deux s'était gravement dégradée. « La situation ne prêle pas à l 'optimisme H, lue dit-il sur Wl ton qui confinnait ses doutes. Le froid entre les deux honunes était perceptible jusque drulS les images que diffusaient les médias de l' époque,

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CHADLI BIND JI DIO - .MÉMOIRES

chacun d' eux paraissant cont:rmié, évitant de croi ser l ' autre comme si, entre les deux hommes, il y avait tUle inimitié répIimée ; ils avaient été réunis pm" la guerTe et la politique et sépm"és pm" les aspi rations et les appétits. Il serait faux de croire que les profonds désaccords entre les deux honunes seraient dus à une différence de tempérament ou une incompatibilité d' Iuuneur. Les véritables raisons ont trait il des divergences de vue sur les problèmes qui s' étaient posés au lendemain de l' indépendance et la m mlière de les résoudi"e. La cIise était pmtout et ses effets touchaient tous les aspects de la vie" A l ' époque, l ' AlgéIie ressemblait à nn volcml en ébtùlition qui menaçait d' éruption à n ' importe quel moment. Outre l' état de désolation laissé pm· le colonisatem, son héritage désastreux et la complexité des problèmes sociaux (chàmage, stagnation économique, inertie des entreprises, etc. ), cette période était mm"quée pm" une lutte smlS merci autom des grandes Olientations politiques et du choix des hOllunes. Il en réslÙta, tout natmellement, tUle corme fiévreuse au leadersllip et à l 'accapm"ement du pouvoir. Les problèmes qui, en fait, n' avaient été que retm"dés - ptùsqu-il n 'y avait pas eu d' entente à Tripoli sm la mmlière de les résoudi"e -, resurgirent de plus belle. Ce qui aggrava la situation, ce fut la démission ou l ' écmtement des postes de décision de personnalités politiques connues pom lem dévouement à la patrie. En avril 1963, le secrétaire général du parti, MohaIlled Kllider, claqua la pOlte en raison de ses divergences avec Ben Bella au sujet de la

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LE mouvement de redressement de juin 1965

manière d' organiser le parti et du rôle de ce dernier. Deux mois plus tard, Boudiaf fut ~l1Tèté pour « complot contre le pays ». Ferhat Abbas démissiOlma pour protester contre la manière avec laquelle était préparée la constitution. Le pays était sur lme poudiière et la guelTe civile pointait à l ' hOlizon. Ben Bella était impliqué dans tous ces événements, mais il fuyait ses responsabilités et imputait à Bomnediene et - évidenunent - aux lnilitaires le di·arne de la guelTe des frontières et l ' embourbement de l'armée en Kabylie.

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Dans lm climat aussi tendu, tout le monde s' attendait à ce que le FLN tranchât durant le congrès du 16 aVlil 1964. Le congrès, dont même le nmnéro était controversé - était-ce le l'' ou le III' ? -, fut lm autre épisode de l ' antagonisme larvé entre Ben Bella et Boumediene. Tout indiquait que le président VOlÙait étendi·e son hégémonie à tous les rouages de l ' Etat. Il était clair, à travers la carnpagne de propagarlde qui précéda la tenue du congrès et la constitution de la comlnission préparlltoire qui sera phagocytée par· les éléments de gauche, les laïcs et les proches du président, que ce dernier cherchait à tout plix lme couvertme idéologique pour justifier ses choix ; laquelle couverture prenait la fOlme d' ml nouveau prograrrune politique que Ben Bella voulait complémentaire à la rémllon de Tlipoli dont la session n ' avait pas été clôhrrée et dont lUl grarld nombre de persOlmalités ne recOlmaissait pas les décisions.

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C HADLI BINDJEDID - MÊMOIRES

Nous considé110ns, au sein de l'annee, que cette

politique était aventmeuse parce qu'elle relevait d'lllle simple lubie et était caractérisée par un dis coms démagogique et poplùiste. Dans la pratique, le pays s'était transfonné en un champ d' expélien ces qui ne constituaient guère plus que des mode les étrangers à la société algélimme. Que ce soit dans le choix de la sémantique de ses discoms, ou dans l'application de sa doctrine SlU' le tenain, Ben Bella utilisait un mélange hétéroclite d'idées socia lisantes inspirées des expéIiences yougoslave, chinoise, cubaine et soviétique, auxquelles il adjoignait lUIe touche islamisante pom la rendre crédible. C' était albi stant de voir le lytlune des nationalisations,

par

exenlple,

s'accélérer

d'tille

façon alIlUissante, n'épargnant pas même les ruiisans, les petits cOlmnerçrulls, les bains mames, les salles de cinéma et même les cafés. Aussi, la plupart des soldats firent-ils corps avec HOUru1 Bumediene qui refusa, au début, de prendTe prut au congrès, considérrult que le rôle de l' rumée consistait à défendre les choix du peuple et protéger l 'lUuté et la séclUité du tenitoire national et non quelque stahlt de membre du Bmeau politique ou du Conuté centr'al, COlmne cela était en viguem dans les pays socialistes. Mais BOlUnediene Chrulgea d' avis à la denuère nunute pom des considérations tactiques . C' est ainsi que nous prîmes part aux travaux du congrès, de pem que Ben Bella n' exploitât les sentiments et l'enthousiasme des militants du pruii pom écruter le commruldement de l'rumée et l' éloigner de la plise de décision sm des questions qui pounaient compromettr'e l' ave-

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LE mouvement de redressem ent de juin 1965

nir du pays. Nous convÎlUnes avec Boumediene de refuser toute participation des responsables de l ' armée au Comité central . Boumediene justifia cette posi ti on par sa crainte que des décisi ons allant à contresens des intérêts du peuple fussent plises avec la bénédiction de l 'année. Nous fUmes étOIUlés, dès le premier j om des assises, par la violence des diatJ.ibes de cel1ains congressistes à l'encontJ.-e de l'institution lnilitaire, notanunent les responsables des fédérati ons qui appelaient à « l'épI/ration des administrations et de "armée ». Cela paraissait conune un plan savamment orchestJ.-é sous la houlette d' Wl menem tapi dans l 'ombre. Ces responsables se plaignaient de l ' ingérence des conunandants des Régions militaires dans lems affaires et revendiquaient la primauté de l' action partisane sm les aspects militaires et demandaient à ce que l ' action de sensibilisation politique au sein des wutés de l ' rumée fiH confiée au Bmeau politique du pru1i Bownediene ne demrulda pas la pru-ole dmrult le dérolùement des tJ.-avaux . Il demema silencieux mais néaIUnoins tendu, écoutrult avec intérêt les cnhques qui fusaient drulS la salle. Quruld les congressistes se nurent à scrulder des SIOgrulS appelrult à « purifler " armée » des désel1ems de l' rum ée française Chabruri était pru1iculièrement remonté conh-e eux -, Bownediene se sentit visé. Ce fut la goutte qui fit déborder le vase. BOlUnediene demrulda la parole et monta à la hiblUle_ Il répliqua à ses déh-actems sm le ton de l'holtune sûr de lui, dans lUl discom s violent qui dlU-a jusqu' à IUle heme tru-dive de la nuit Il lança, irOIuque : « QI/i est donc ce

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C HADLI BENDJEDlD - MEM OIRES

pllr fi ls de pllr qlli vOlldrait Pllrifier l 'armée ? » Un silence lourd pesa sm la salle. Boumediene aj outa que l'exclusion des officiers déserteurs de l' année française était une « revendication irréaliste », parce que ces honunes ont servi la Révolution bien qu 'ils l' aient ralliée sur le tard, et que l'année a bénéficié de leurs connaissances teclmiques dmant la GuelTe de Libération et continue d' en bénéficier à ce jour. « Ce sont des A lgériens comme VOliS .1 » lança-t-il, avant de s'intenoger : « D evrons-nous donc recourir à l 'expertise éh-angère p our entraîner et encadrer noIre

armée ? » Puis il conclut : « De tOlite f açon, le Congrès est souverain ; s 'il me demande d 'exclure ces officiers, j e me conformerai à sa décision >J . La stratégie adoptée par Ben Bella consistait à imposer une Inainnuse du pruti SUl" l 'ru1née.

Sachant qu'il allait être élu secrétaire général, cela vmùait dire qu'il allait, en toute logique, s' assw'er lm contrôle persOImel sur l'institution, C' est pour cela, d' ailleurs, qu 'il eut cette réponse « Boumediene sera tout avec le parti el ne sera rien sans le parti .1 » A la fin des travaux, le principe du parti IUlique - mais d' avarlt-gar'de - fut adopté. L'entérinement rapide du document de la Charte d' Alger donna l'impression que les choix idéologiques n' avaient qu'tille impOltarlce de second ordi'e et que les enjeux primordiaux étaient concentrés sur la répartition des postes et des centres de décision, Ben Bella croyait à tOIt que l'équilibre des forces avait basctùé en sa favem, après le congrès, dès qu'il réussit à imposer ses honunes au sein des stmctmes centrales et de base du parti , Il s' adjugea les fonctions cumlÙées de Secrétaire

LE MOUVEMENT DE REDRESSEMENT DE JUIN 1965

général du FLN et de Chef du gouvemement, et commença à jeter les bases, de façon improvisée, d' une gouvemance autocratique, ignorant les mises en garde y compris de son proche entolU'age, Parallèlement à cela, il s ' attela à éloigner les responsables de l'année des centres de décision et s ' apprêta à se débanasser de l' honune fOlt qu' était H0U111i BOlUnediene. Son but inavoué cOllSistait à avoir la haute main Slu' tous les rouages de l'Etat, l 'appareil du paIti et l' institution militaire, La sédition de ChabaIu Certains conflits nous ont été imposés paI' les circonstaI1CeS, d' autres étaient provoqués de notre propre fait. Pamu ces conflits, la dissidence de ChabaIu qui n' était, en fait, qU'I111 vil complot dont fut victime 1111 des officiers les plus hOlU1êtes qu' ait cormus l' Algérie. Je me dois, ici, de reverur Slu' les faits et les conséquences de cette affaire, paI'ce que j'en nls un des actelU'S principaux. C ' est moi, en effet, qui ai nUs en échec cette tentative de rébellion avant qu' elle ne prit des propOltiOllS plus graves. ChabaIri conunandait la 4' RM . Le conflit qui l'opposait à BOlUnediene avait pOlu' OIigine l ' affectation, paI' ce denuer, des aIlcierlS déseI1enrs de l' aImée française aux postes sensibles du ministère de la Défense nationale, Or, ChabaIu les considérait COlmne lUIe Troisièlne force qui représentait lUI danger réel pOlU' la Révolution, De plus, une rtllnelU' persistante faisait état de son remplacement inuninent à la tête de la 4' Région paI' AmaI' Mellall. ChabaIu refusa de répondre à

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la convocation de Ben Bella qui lill enjoignait de rej oindre le Bureau politique à Alger. La clise entre les deux hOITunes était dans l' impasse, en dépit des nombreuses tentatives de mémation initiées par des persOlUlalités politiques et mUitaires de premier plan ; elle était si grave qu' elle menaçait d' éclatement l'institution militaire qui en était à ses balbutiements. Beaucoup de gens, dont les amis de Chabam, étaient persuadés que Bownemene nowlissait lUle animosité envers ce denùer et le considéraient connne son Iival . Ils pensaient que c' était Bownemene qui avait poussé Chabruù à la sémtion, l ' avait encerclé à BisIa-a, constitué le uibwlal nùlitaire et ordonné son exécution. La véIité est tout auu·e. Hourui Bomnemene a eu à clruifier sa position sw· cette affaire drulS une intelview qu' U avait accordée au jOLU11aliste égyptien Lotfi Al Khouly. Il avait déclru·é, en substance: « C 'est Ben Bella qui a palissé le frère Chabani vers cette fin hoagique ; vers la mort. Durant tOli te une armée, Ben Bella a fa it tOlit son possible pOlir semer la discorde entre l 'étatmajor et Chabani, le commandant de la 4' RM. Par la s uite, il me désigna au Bureau politique en même temps que les colonels Chabani et Zb iri. Ce faisant, Ben Bella vOlilait remplacer Chabani à la tête de la 4' Région. Mais Chabani découvrit le stratagème de Ben Bella et refusa de rejoindre le Bureau politique. » Ceci est la version de Hourui BOLUnediene. Il est de mon devoir, à mon tour, de témoigner tout au moins sur les faits drulS lesquels je fus partie prenante daIlS cet événement u-agique.

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LE MOUVEMENT DE REDRESSEMENT DE JU IN 1965

En réalité, c' est Ben Bella qui avait monté le colonel Chabani contre Hourui Boumediene. Ben Bella n' avait pas cessé de mrulœuvrer et d'mu'dir des complots depuis que nous l'avions fait accéder au pouvoir. Il avait la fourbeIie d3l1S le Srulg et il n'avait pas ch3l1gé d'lUl iota. Il avait toujours voulu semer la zizanie entre nous . Chabani était membre de l'état-major, adjoint de Tallar Zbui aux côtés de Bensalem et du colonel Abbés . Mais il n'y a pas de doute que ses runbitions étaient autrement plus grandes au regru'd de son j elUle âge. Il rumonça son insubordination d3l1s des conditions floues à lme péliode difficile à plus d'Wl égard. L' Algélie prulsait ses blesSlIl"eS et nOlIS éprouvions encore des

difficlùtés monstres à mettre en place les institutions du pays et de la société. Nous faisions face à d'iImombrables problèmes hélités de l'ère coloniale. QU3l1d la rébellion deviIlt Wl fait accompli, Bowllediene me contacta pru' téléphone - il se trouvait aux côtés de Ben Bella - et m'infol111a que ce demier me demruldait de prendre d'assaut le siège de la 4' RM . L' état-major avait plis la décision à l'unarillnité de faire échec à la tentative de désobéiss3l1ce au plus tôt. Un plrul avait été lniS au point pOlU' éteindre le feu de cette discorde qui menaçait de déchirer le pays. L' état-major me mit au fait de ce plrul et m'illf0l111a qu'il allait dépêcher Amru' Mellall d'Arris. Je devais, qU3l1t à moi, superviser l' opération et assurer la coordination des forces engagées drulS cette action. J'étais secondé pru' mon adj oint de la 5' Région, Moh3l1led Attaïlia. Ces instructions me pru'Viment par télégrrumlle et je ne savais pas que Chabani

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C HADLI BENDJEDID - MÉMOIRES

avait été infonné de l' opération dans ses moindres détails, grâce à la complicité d'Ull responsable du chiffre, originaire de Biskra. Du coup, il avait pris des mesmes pom contrer notre plan. FOit hemeusement, je n' avais pas appliqué le plan de l' étatmajor à la lettre. Agi ssant selon les dOlUlées du ten1lin, j 'ai fait déplacer le 17' bataillon - Ull des nrieux équipés et entraînés - à travers Barika. J' ordOlUlai à son conunandant de n'entrer à Biskra qu' à notre anivée et de nous attendre aux abords de la ville, sm Ulle colline, pom que nous pmssions le voir. Chabarri ne s'y attendait pas. Quarld nous arlivâmes à Khenguet Sidi Nadji, nous pfunes apercevoir ses positions. Je disposais de quelques char's et j'ordonnai à mes soldats de n' ouvIir le feu qu' à mon signal . Pendant ce temps, je reçus ordre de BOUlnediene d'installer Ull QG à Batna, croyarlt que la confrontation allait dmer. J'envoyai les deux sections darls deux directions différentes et les séditieux fment ainsi cemés. Quand les hommes de Chabarri se rendirent compte qu'ils étaient encerclés, ils s'enfuirent vers lems cantOlUlements. Même Chabarri fut smpIis par la rapidité de l' opération. Tout conune il était loin de s' attendre à voir ses hOimnes prendre la fuite et l'abandonner sarlS tirer lUl coup de feu . Quand il fut infOlmé qu 'il était encerclé, lm et son armée, il n' en revint pas. Il prit la fuite à son tom avec son état-major oubliant darlS son bmeau sa veste darlS laquelle nous trouvâmes sa carte d'identité. Quarlt à ses soldats, qm étaient retoUlllés darlS lem caseme et avaient refeImé le pOitail denière eux, ils se rendirent sarlS la moindre résistarlce. Chabarri, lm,

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alla trouver refuge à Bousaâda, le 8 juillet 1964, chez son ami Saïd Abid, à qui il demanda protection. A la fin de l 'opération, j ' infOimai Boumediene par téléphone et il eut du mal à me croire. Je lui ai dit : « La rébellion a pris fin et les choses sont redevenues normales ». Je sentis, à l'intonation de sa voix et à ses questions insistantes sur le déroulement de l 'opération, qu' il était sceptique. Je précisai : « L e groupe s'est rendu sans avoir tiré une balle ». Toujours aussi pelplexe, il s' enquit du SOIt de Chabaui, se demandant conunent l ' opération avait pu se tenniner en lm temps aussi COlut et sans combat. Je lui assurai que Chabani s ' était enfui, que ses hommes avaient capitulé sans combattre et que nous maîtIisions parfaitement la situation. Sur ce, je réprutis les soldats de la 4' Région sur d'autres bataillons à travers le pays, sur ordre du ministre de la Défense. La rébellion avait été étouffée dans l' œuf sans qu " Ule goutte de Srulg n' ait été versée. Mais la tragédie de Chabaui allait conunencer quelques jOW1i plus tru"d. Ben Bell a utilisa ses atlIibutions en tant que Président pour influer sur le cours du procès. Le SOIt de Chabaui fut scellé. Un triblUlal Révolutiormaire fut mis sur pied. Boumediene me fit savoir que le Président Ben Bella m ' avait nonuné membre du tribunal, aux côtés de Saïd Abid et AbdelTalunane Bensalem. Il Ine dit : {( Le Président vous demande de le condamner à mort. Si Va llS ne me croye= pas, prene= contact avec lui dès que vous sere= dans la capitale .1 )) Bien sûr, je l' ai cm, cru' Boumediene ne m ' a jamais menti .

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CHADLI BrNDJrOI() - MÉMOIRES

l'aiInerais coniger des infonnations enonées qui ont été publiées dans la presse nationale, selon lesquelles Aluned BenchéIif, Aluned Draïa et Aluned Benaluned Abdelghani auraient fait partie du tribunal qui a jugé Chabani. C' est faux . Le triblmal était composé des officiers cités plus haut et présidé par lm juge civil d' Alger, nonuné Malunoud Zeltal. Nous nous sonunes rendus à Oran, où était enfenné Chabani avec d' autres plisOlUliers politiques au pénitencier de Sidi El Homui. Il y avait panni eux Mohamed Khobzi, Mohamed Djeghaba, Hocine Sassi, Tahar Ladjel, Saïd Abadou, Aluned Taleb-Ibralumi et d' autres opposants à Ben Bella. Le procès fut expéditif. Après délibération, la peine de mOlt fut prononcée contre Chabani pour tentative de rébellion contre le pouvoir et de déstabilisation de l'année. A l' annonce du verdict, nos regards se croisèrent et je ressentis, à cet instantlà, que persOlUle d' entre nous n' était convaincu par cette sentence sévère. En tant que nulitaire, je m ' étais plié aux ordi'es du Président auxquel s je ne pouvais me soustraire. Pour tenter de sauver la vie de Chabaru, je lui demarldai de solliciter la grâce auprès de Ben Bella. Il me répondit, effondré : « D emande=-/a lui en mon nom l » N ous char'geâmes Saïd Abid, en sa qualité de conunandarll de la l'" Région nulitaire de demander la grâce auprès du Président Ben Bella, mais celui-ci opposa un refus catégoIique et exigea que l ' exécution eût lieu, considérant que le verdict du uiblmal était définitif et sans appel. Quand Saïd Abid nous fit cOlUlaîu'e la réponse de Ben Bella, je

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lui dis : « Sollicite une grâce en notre nom, nous les officiers, el dis à Ben Bella qu 'i! nous a demandé de le condamner à mort et que nous nOliS sommes exécutés, bien que nOlis ne croyions pas q1l 'il mérite cette peine qu 'il lui demande de commuer en emprisonnement ». Saïd Abid relança Ben Bella, et ce demier pesta : « Je vous ai dit exécute;-Ie cette nuit .1 })

Ben Bella manqna de respect il Saïd Abid, le menaça en proférant des mots injtuieux : « Si jamais tli me déranges une autrefois, je (...) .1 » et lui raccrocha an nez. Dès le prononcé du verdict, j'ai obselvé une augmentation du nombre de gendarmes dans la salle et autom du ttibnnal et compIis qu'ils redoutaient que nous fassions évader le condamné avant l'exécution. Le 3 septembre, Chabani fut passé par les aImes il l' aube, daI1S Wle forêt près de CaIlastel, en présence des membres du ttibnnal et des éléments de la GendaImeIie nationale. Après l'exécution, son corps fut mis daI1S tm cercueil et entelTé daIlS lm endroit incolUUI. J'ai applis paI' la suite que Ben Bella, alors qu'il s' apprêtait il se rendre au Caire, le lendemain, lut la nouvelle daI1S le jownal et s' écria : « Dommage .1 C omment a-I-on pu exécuter un jeune officier comme Chabani ? » Vingt aIlS plus taI'd, je réhabilitai ChabaIu et ordOlmai le tt1ll1Sfelt de ses ossements au CaITé des MaItyrs du cimetière d' EI-Alia. Aujomd'hui, j'atteste que Bownediene n' a lien eu il voir drurs le procès de ChabaIu et que ceux qui ont essayé et essayent encore de l' impliquer daI1S cette affaire, le font dans l'intention de nuire il sa réputation, Je témoigne que c' est Ben Bella qui a ordOlmé l'exécution

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C HADLI BINDJIDID - MtMOIRE S

de Chabani, que c' est lui qui a refusé de conunuer sa peine en elUpI1S01Ulelnent et que c'est encore lui qui a insisté pom que l'exécution ait lieu le j om -même. Tous nos effOits pom sauver Chabani fm·ent vains.

• •• Au premi er semestre de l ' ruUlée 1965, le divorce entre les deux honunes était définitivement consonuné. Le clash fut précédé pru· des événements qui rendaient toute réconciliation impossible. En effet, Ben Bella profita d'lUl voyage de Bownediene à Moscou pom annoncer, lors d' un meeting popillaire, la nomination de Tahru· Zbiti à la tête de l' état-maj or général sans même en avoit· référé à son mitustre de la Défense. Cette décision réSolU13it COlmne tille provocation criante pour BOlUllediene qui a dû l' interpréter conune un signal d' alrume qui allait certainement être suivi pru· son remplacement par le même Tallru· Zbiti à la tête du nurustère de la Défense nationale. Le Président entreprit Wle autre démru·che tout aussi drulgereuse qui consista à créer une nulice directement rattachée à lui . Cette action représentait pom nous, les officiers, un affront gravissime. Il était inconcevable d' accepter la présence d' wle force rumée pru·allèle qui échappât au contrôle de l ' institntion militaire et rester passif face aux dépassements et aux atteintes aux libertés individuelles et aux biens dont elle se rendait coupable. Le Président alla plus avant drulS son opération de démrullèlement du groupe d' Oujda. C'est ainsi qu' il poussa Aluned Medeglui à démissiOlUler de

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LE MOUVEMENT DE REDRESSEMENT DE JUI N 1965

son poste de ministre de l' lntélieur et Kaïd Aluued de celui de ministre du TOlllisme et restreignit les prérogatives de Chérif Belkacem au ministère de l' Olientation nationale. La goutte qui fera déborder le vase sera l' éviction d'Abdelaziz Bouteflika du mini stère des Affaires étrangères, à la favern de l' absence de Boumediene qui se trouvait au Caire porn représenter l'A1gélie à la réunion des chefs des gouvernements arabes porn le soutien à la cause palestinierme. Tous ces événements se dérolÙèrent dans IUl climat tendu, marqué par les préparatifs de la Conférence afro-asiatique, ou le « Second Bandung » conuue on la qualifiait à l'époque. Ben Bella vorùait se servir de ce fonuu porn asseoir sa réputation internationale et sa puissance en tant que leader parmi les dirigearlts du Tiers-monde. L' acharl1ernent de Ben Bella à assurer à cette conférence et au Festival mondial de la jelUlesse lll1 succès retentissarlt, pariicipait de sa propension à l'action internationale au détriment de l'intériern. Un grand nombre d' officiers voyaient d'un lnauvais œil ses accointances avec les leaders du Tiers-monde, à l'instar- de Djamel Abdermasser, Neluu,Tito, SékouTorné et Chou enLai . Au lieu de consacrer ses efforts au règlement des problèmes quotidiens des citoyens, Ben Bella s'occupait de se construire IUle arna fictive darlS le monde des grands en s'arc-boutant à sa célébrité à la Révolution algélierme. acquise grâce BOllluediene et les officiers proches de lui militaient porn une politique propre à assrner l' équilibre entr-e les priolités intéliernes et les exigences extélieures.

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C HADLI BrNDJEDID - MtMOIR[S

Mon affectation à la 2' Région militaire CeItains ont éCIit que ma mutation à la 2' Région militaire entrait dans le cadre de la préparation du mouvement de redressement de juin 1965 et que Bomnediene allait s'y replier pom organiser la résistance en cas d' échec de l'opération. La véIité est tout autre . Bomnediene n' était pas satisfait du niveau d' organisation de cette Région sensible. C' est pom cela qu' il me confia cette mission. La prenùère semaine du mois de JUIll, il s ' entretint avec les commandants de Région lm à un, dans le secret le plus total . Il lem demanda de prendre leurs dispositions en prévision d'un événe1nent qui allait {( survenir bientôt », et ce, en coordination avec le conunandant Abdelkader Chabou, secrétaire général du IlÙIùstère de la Défense nationale. Il y a lieu de rappeler que les conunandants de Région et les mutés qui ont participé à ce coup de force étaient en état d'aleIte mais n ' ement vent de la natme de lem nussion qu'à la deInière IlÙnute. Au départ, il fut convenu d'arTêter Ben Bella le 17 juin à sa sortie du stade d' Oran où devait se dérouler mle rencontre entre l 'Algérie et le Brésil. J'ai assisté au début du match mais je ne suis pas resté jusqu'à la fin par·ce que j'étais char-gé de la sécmité. L' idée fut abandonnée in extrenus de pem que l' arTestation de Ben Bella ne provoquât des troubles parmi les suppOIters et se propageât dans toute la ville ou qu ' elle fût pIise pom lm erùèvemenl. Ben Bella savait-il ce qui se trarnait contre lui ? Frarlchement, je ne samais le dire _ Mais j ' ai senti, lorsqu' il avait atteni à Orarl, qu' il

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LE MOUVEMENT DE REDRES!o'EMENT DE JUIN 1965

m 'évitait sciemment. A l'aérop0l1, il s'adressa à moi avec froidem, allant jnsqu 'à faire une entorse aux règles protocolaires. Le lendemain, le joumal El Djo1lmho1lria éClivit que « le Président a été accueilli à sa descente d 'avion par

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lieutenant »

U'étais alors conunandant). Pom moi, le message était clair. Aussi, refusai -je de l' accompagner à Sidi Bel-Abbès ; je chargeai mon ami, Abdelkader Abdellaoui, qui était chef de compagnie, de le conduire à l'aérop0l1 et de lui dire, au cas où il demanderait après moi, que j 'étais fatigué et que je m'excusais de mon absence. A Sidi Bel-Abbès, le Président prit la parole dans un meeting populaire et insista, comme à son habitude, sm la pomsuite de la Révolution socialiste sous ml régime et IUle direction conUlllUlS, exprimant sa détermination à « affronter les co mplots qui se trament contre l 'A lgérie à l'intérieur comme à l 'extérieur ». Dans ses discoms, Ben Bella recomait toujoms à des expressions et des adages poplùaires. Je me souviens qu'il avait dit, ce jom-Ià : « L a caisse de lomates contient toujours quelques tomates pourries. Et si nOliS voulons préserver la caisse, il suffi t de j eter ces tomates p 01lrries ». Il allait de soi qu'il fai sait allu-

sion à nous. Maghrous, conunissaire politique de la wilaya d' Oran et proche de Ben Bella, n' anêtait pas de monter le wali (un élément du groupe de Rocher Noir) contre le connnandant de la Région militaire, poussant l'outrance jusqn'à inciter la population de Sidi Bel Abbès à assiéger IUle caseme de l' année. H'

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C HADLI BENDJEDID - MtMOIRES

La veille de l' opération, le commandant Chabou In'adressa la nussive suivante, connne convenu auparavant dans son bureau : {( Al/frère Chadli, «Je t'envoie les instructions concernant l 'affaire. Je te demande de faire parvenir par un courrier sûr la lelfre destinée à Si Salah S01ifi. Le document doit lui parvenir cette nuit. « Le déclenchement sera fait celte nuit. L 'heure te sera indiquée par téléphone dans la phrase suivante :

« La IT, Région envoie sw' la 2' RM 2, 3, 4 ou 5 dossiers. » Le chifji-e indiquera l 'heure. Il y a lieu d 'arrêter : Maghrouss ; Djellouli ; Guadiri ; BOl/djeltia ; Sou(yah (c' étaient des éléments fidèles à Ben Bella dans la région ouest). La liaison sefera par radio ou par téléphone».

Je reçus également de Boumediene les instnlctions concemant la 2' RM pOitant sw' la proclamation de l'état d' urgence à travers son tenitoire. En voici le texte : « La dégradation de la situation in térieure en A lgérie ran I politique, économiq ue que sociale a décidé les Révolutionnaires à prendre leurs responsabilités comme par le passé. Répondant à la confiance des militants conscients, des anciens 11101ldjahiddine et dll peuple, ils on/ décidé de créer IIne situation nouvelle qui permettra à la Révolution algérienne de con /in uer suivant les principes qui sont nés pendant la luite sacrée pour l 'indépendance. Dans ce but, le vice-président du Conseil, minish'e de la Défense nationale, ordonne au commandant de la 2' Région militaire, le commandant Be11tijedid

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LE MOU VEMENT DE REDRE SSIM .ENT DE JUI N 1965

Chadli, de prendre ses disp ositions p Olir déclencher l 'état d 'urgence s ur tout le territoire de sa région à la date et à l 'heure qui lui serontfixées ultérieurement. A u jo ur et à l 'heure qui seront indiquées, les mesures suivantes seront prises :

17 Isolement total du territoire de la région militaire du reste du pays par l 'ANP et la gendarmerie. Tout mouvement d'entrée ou de sortie du territo ire

de la région sera interdit. En p articulier bOll clage total des grands axes, p orts et aérodromes ainsi que

de la fro ntière. 2 °1 Une surveillance constante des unités marocaines à la frontière sera effectuée. Des réservistes de la

l ' DlP seront prêts à/aire/ace à toute action de "armée marocaine en A lgérie. Si une intervention marocaine s 'effechle sur notre ferritoire, immédia tement le ministère de la Défense nationale sera prévenu et la mobilisation des anciens moudjahidine sera effectuée p our fa ire face à l 'agression marocaine. 3°/ L'ordre pub lic sera maintenu avec foutes lesforces exis tantes sur le territoire (unités combattantes, sécurité militaire, centres d 'ins truc tion, etc.)

D ans ce bllt : a) Contrôle de tous les mouvements à l 'intérieur de la région militaire par la gendarmerie nationale avec la participation de l 'armée.

b) TOlites les al/torités administratives ou p olitiques dont les activités pel/vent troubler l 'ordre seronf g ardées à vu e.

c) Con trôle de tous les bâtiments publics d 'intérêt national (mairies, s/préfectures, p réfecture, banques,

etc.) d) Protection rigo ureuse des étrangers.

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C HADLI B1:NDJIDID ~ MEMOIRES

47 Les pouvoirs publics et politiques seront contrôlés par le commandant de région à travers la sécurité militaire, la gendarmerie, les commissaires politiques,

des officiers qualifiés. 57 Les Compagnies nationales de sécurité (CNSj, la milice, seront invitées à se placer SO llS l'autorité de l 'armée. Elles seront neuh-alisées en cas de reflls. 67 Un officier sera désigné pour prendre contact avec les autorités militaires françaises et les consulats étrangers pour les informer que des mesures d 'ordre interne ont été prises sllr instructions des autorités supérieures afin que soient protégés leurs ressortissants etlellrs biens. En raison de la présence de troupes françaises sur notre territoire, il sera demandé alt.:\: autorités militaires françaises d 'éviter tout mouvement à l 'extérieur du périmètre accordé par les accords d 'Evian en précisant que cette mesure sera rapidement levée.

77 Campagne d 'explication à mener par les cadres et les militants connus suivant les directives qui parviendront. Ces directives seront complétées suivant la situation particulière de la région par des insh-uctions précises du commandant de la région avec tOlyours pour buts :

- Le contrôle total de la région militaire. - Le maintien de l 'ordre absolu. - La protection des organismes de l'Etat et des

biens publics. - La correction paifaite des cadres et des djounoud vis-à-vis de la population. - L 'organisation des liaisons. Les mesures préparatoires d 'exécu tion de cette directive seront prises dans le secret le plus strict.

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LE MOUVEMENT DE REDRESSEMENT DE .mIN 1965

Seuls les cadres dont le commandement est absolu. , ment sur p euvent etre prevenus.

.

Les modalités d 'application, les instructions et les ordres à donner seront patfaitement étudiés pour p ermettre leur rapide exécution . La levée de l 'état d 'urgence sera donnée par le

ministre de la Défense nationale. Celle levée de l 'état d 'urgence voudra dire que le commandant de région a toute initiative p our assouplir certains contrôles compte tenu de la situation sur son territoire. 11 doit garder néan moins toutes les unités en état d 'alerte et maintenir une vig ilance extrême p our intervenir en cas d 'incidents ou de troub les. Toute intervention devra se faire avec la rigueur et la prudence requises. Le vice-président du Conseil Ministre de la Défense nationale. »

Houari Boumediene

J'exécutai ces instmctions avec la ligueUl' reqluse et dans le secret le plus total, après les avoir adaptées aux spécificités de la région. Je transmis les instructions à Salah Soufi, COlmnandant de la 3' Région militaire, la nuit-même. La veille du jour J, je fi s patv enir mes ordres aux bataillons et aux mutés releVatlt du teni toire de la Région sous mon conunandement. Je préférai pl acer la police sous l'autOlité de la Gendatmelie nationale au lieu de la Sécmité militaire pom éviter toute supputation. A Ih30 [du matin], Talrat· Zbiri, le colonel Abbès, Saïd Abid, AbdemùUnatle Bensalem, Abdelkader Chabou et Aluned Draïa procédèrent à l' atTestation d'Alllned Ben Bella

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C HADLI BrNDJ[DID - MtMOIRIS

dans sa résidence, il la Villa Joly. Le conunandant Chabou m ' infonna que l 'opération s'était déroulée avec succès . Le coup d' Etat eut lieu sans aucune cbfficulté et sans affrontement avec les éléments fidèles au président déchu, panni lesquels seront également an"étés Hadj Ben Alla et Mohamed Seghir Nekl::ache. La rue ne bougea pas et les réactions à travers le monde allaient de la condanmation au silence et il la neutralité, honnis Fidel Cash"o qui expIima sa « vive indignation » eu égard aux relations éh"oites qui le liaient il Ben Bella. A Oran, les gens se réveillèrent le samecb sm les musiques militaires et les blindés occupant la rue. Aucun incident ne fut signalé, mais, malhemeusement, il y eut quelques victimes dans les manifestations qui secouèrent la ville d' Annaba. Le comnumiqué du 19 juin résume bien le bilan de Ben Bella : {( Mauvaise gestion des biens nationaux, gaspillage, instabilité, démagogie, chaos, mensonge et improvisation imposés comme mode de gouvernance à travers la menace, le chantage et l 'atteinte aux libertés individuelles. Un climat de terreur qui a imposé à certains la déliquescence et à d 'au tres la peur, le silence et la soumission» .

•• • Le 19 juin, il 4 hemes, je reçus du ministère de la Défense nationale un télégranune portant le sceau de la confidentialité, qui me dOlmait le feu vert pom alléger le cbspositif mis en place la veille afin de pennettre lm retom rapide à une vie normale, avec inshuction de maintenir l'état d' alerte et de se tenir préts à toute éventualité. Après le

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LE MOUVEMENT DE REDRESSEME NT DE JUIN 1965

,

sucees de l'opération, nous convîmnes avec Boumediene de ne pas être promus à des grades • • • supenem s pom que nous ne paraIssIOns pas, aux yeux de l ' opinion publique, comme des assoiffés de pouvoir comant après les grades, d' autaIlt plus que ceItains ne nous considéraient pas plus que cOllune des factieux n' ayant lien à envier aux putschistes d' Asie, d' Afiique et du Monde aI'abe, Ce n' est qu' en 1969 que je serai promu colonel, mon denuer et plus haut grade dans l ' aImée, après des aImées de loyaux services rendus auprès de l ' institution, SaIlS discontinuer, depuis 1955, •

••• Beaucoup de choses changèrent depuis le 19 juin 1965 : le Conseil de la Révolution, qui maIlquait de cohésion, se disloqua - et nous n ' avons pas publié le Livre blaI1C qui condaInnait le pouvoir persOlmel [de Ben Bella] et que nous avions pronus au peuple - et l'Etat se renforça paI' des iIlStitutions constitutiOlmelles , Toutefois, cela ne veut pas dire que nous n' avons jaInais cOllmus d' en'ems de gestion compaI'ables à celles conunises paI' Ben Bella , En 1980, je décidai d' accorder l ' aIlllustie à ce denuer et ordonnai qu' il fût traité avec les honneurs dus au nulitaIlt de la prmnière heme et au Président qu' il fut, en dépit de l'opposition de celtainS pom qui Ben Bella n'avait pas ChaIlgé malgré les longues aImées passées en pIison et pouvait représenter lUl daIlger pom le régime à l' étranger. Malgré cela, j'iIlSistai pom qu' il fût libéré, Après qu' il eut choisi l'exil avec Ait Aluned et aImoncé son opposition ouvelte au

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C HADLI BENDJEDID - MEMOIRES

pouvoir en place - c' était son droit le plus absolu -, il outrepassa toutes les règles de l' opposition et se répandit en accusations fallacieuses pom salir ma réputation et celle de ma famille .

*** Aujomd' hui, quand je revois le film des événements de juin 1965 et la péliode qui les a précédés, la persOIUlalité de Ben Bella me rappelle lm chef fatimide qui ordOIUla que [ftt anéantie toute la nibu qui lui pava le chemin vers le pouvoir afin que l'lùstoue ne dise pas qu' il fut porté au n-ône par elle. Ben Bella a voulu faire de mème _ Malgré sa poplùarité et son ama à la linùte du culte de la persOIUlaiité, il essaya, dmant ses n-ois ans de domination, de nous éliminer lm à lm pom avoir le champ libre et régner sans prutage après que nous ltù avons offert le pouvoir sm un plateau en or. C ' était lui le cfuigerult fatinùde et nous la Uibu à extelllùner. Mais 1' Iùstoire ne se répète pas touj oms de la mème façon ...

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CHAPITRE IX •

A LA 2' REGION MILITAI RE

1964-1979

Je ne fus pas maintenu longtemps à la tête de la 5' Région militaire. Après l'éviction de Loo·bi Berdjem et la mise en échec de la sédition de Chabani , le colonel Houooi Bomnediene me désigna, fin 1964, à la tête de la 2' Région militaire en remplacement d' Abdelharnid Latrèche, tOOldis que la 5' Région échut il Abdallah Belhouchet. Ma mission fut définie avec précision : réorgoouser les mutés de 1'oomée selon IUl nouvel orgoougranune, en tenaJlt compte des leçons tirées de la Gl/erre des sables. La première décision que je plis fut de sortir le siège du COllUnaJldement de la Région du palais du bey, taJlt il était inconcevable, sm le plan sécmitaire, de le maintenir en plein cœm de la ville, ce qui pouvait constituer ml réel daJlger pom les populations civiles en cas de guelTe. De plus, son emplacement ne pennettait pas de sauvegarder le secret nulitaire doolS lUle situation d' alelte maximale. La restl1lctmation de la Région ne fut pas tUle sinécme. Je trouvai la plupoot des officiers

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et des soldats affairés il des tâches exclusivement administratives, alors que la Région manquait de bataillons organisés et n' avait pas de progranune précis d' entraînement et de fonnation. Je commençai par mettre en place IUl plan d'urgence pour réorganiser complètement la RM, avec priorité absolue il la constituti on de nouveaux bataillons suffisanunent entraînés, légers et capables d'intervenir en tout temps et tout lieu. Je réussis en lUl temps record il monter trois bataillons, aidé en cela par mon expéli ence acqnise il la base de l' Est et il la 5' Région. En 1969, je fus promu au grade de colonel. C' était le grade qui était le mien lorsque je quittai l' atmée. En 1984, lorsque je procédai il la réorganisation de l' atmée, je promus lUl groupe de colonels au grade de général . On me demanda de pOtter Inoi-InêIne ce grade ou un grade supéIieuT, en Ina qualité de ministre de la Défense et de conUnatldatlt suprême des forces atmées, mais j 'ai décliné la proposition en ironisatlt : « Je n 'ai pas envie q1l 'on m 'appelle le générai-président .1»

Les effOtts de réorgatrisation de l' atmée dans la région ouest se soldèrent pat· la création de grandes IUrités de combat il la fin de l'atUlée 1970, dont la fatneuse 8' BB (brigade blindée) il Ras El-Ma, il Sidi Bel-Abbès, qui a vu le jour il la faveur d'lUl projet que j'ai supelvisé et matélialisé avec \Ul groupe de tecluriciens du nrinistère de la Défense nationale. Cette bligade, qlù constitue la plus gratlde troupe pennanente de l' atmée algérienne, est éqlùpée de bataillons de blindés et d'infantelie mécatrisée appuyés pat· des IUrités d' attillelie,

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A LA 2' RimoN MILITAIRE (196'1 1979)

de génie militaire, de défense aérienne, de reconnaissance et de logistique . La 8' BB a pris prut à la guelTe d' octobre 1973 aux côtés des autres rumées ru-abes. Elle demeure le fl euron de l'rumée algérielme et sa force de frappe. Au milieu des rumées 1970, la 2' Région militaire, qui comprend les wilayas d' Oran, Mostagrulem, Sicli Bel-Abbès, Tlemcen, Mascru-a, Saïda etTiru-et, représentait 27% des effectifs de l ' AN P, avec ses forces tenestres, aériennes et navales_ Elle comp01te aussi l ' Ecole supérieure d' aviation de Tafraoui ; l ' Ecole de l ' administration générale ; l' Ecole des cadets de la Révolution ; les centres d' instruction militaire ; les centres des services sociaux de l ' rumée. Boumecliene nI! agréablement SlUpriS lorsque je lui proposai d' inaugurer lU1 complexe sportif militaire . Il avait cru que Chabou avait débloqué lUl budget pour la réalisation de cet ouvrage au détriment des autres Régions . Lorsqu ' il m ' intenogea sur la provenance de l 'ru-gent, je lui répondis avec luun om : « Je l'ai volé -' » Le fait est que j ' imposais aux sociétés nationales qui réalisaient des projets pour l ' ru-mée, de contribuer avec leurs propres eff01ts à la réalisation d' infrastructtu-es pour l' institution militaire. C ' est ainsi que fut éligé ce complexe sportif sans que le ministère de la Défense ne déboursât le moindre centime_ J'ai également cédé des infrastructures militaires à des institutions civiles_ En mru-s 1966, je cédai la caseme de Sénia au ministère de l' Education qui en fit l ' lUlivel-sité actuelle_ La cérémonie officialisant cette cession se déroula en présence de Hourui BOlUuecliene.

C HADLI BENDJEDID - MtM OIRI S

l' étais, dlU"ant toute ma présence à la tête de la 2' Région militaire, concentré SlU" les questions d'ordre militaire ; je m 'attelai au renforcement des capacités combatives de l' année. Je me rendais de temps à autre à Alger pOlU" participer aux rétUlions cycliques du Conseil de la Révolution qui se rétrécissait conune tUle peau de chagrin - il ne comptait plus que huit membres -, aux réunions conj ointes entre le Conseil de la Révolution et le gouvemement ou encore aux réunions des commandants de Région qui se tenaient au ministère de la Défense. Boumediene me chargeait parfois de le représenter à l' étranger. Cette pétiode a vu aussi des événements importants voire graves, au premier rang desquels la tentative de coup d' Etat menée par Taha Zbiri - je fus lUl élément essentiel dans sa mise en échec, le suicide de mon ami Saïd Abid, l' évacuation de Mers El Kebir, mon différend avec Kaïd A1uned, mon refus de prendi"e le ministère de l' IntérielU", ma rencontre avec le général Giap, la préparation du congrès du paIti ... La tentative de coup d' Etat de TallaI· Zbili La tentative de putsch menée paI" TahaI" Zbili en décembre 1967 fut la plus graIlde scission au sein du Conseil de la Révoluti on après les démissions d' Ali Mahsas, Bachir Boumaza et Ali Mendjli . QUaIld je me remémore cet épisode, je m ' étOlll1e touj oms des propos de Zbili qui déclaI"e taIltôt : « Si ce 11 'était p as Chadli, j 'aurais pris le p ouvoir », taIltôt : « Chadli se serait [de tOlite fa çol1}

A LA 2 ' RÉG I ON MILITAIRE (1964- 1979)

placé du côté du vainqueur » Pourtant, la vérité est tout autre. J'étais au fait de désaccords entre le président Bomnediene et le chef d' état-major. Mais j ' étais loin d' imaginer que Tahar ZbiIi allait en aniver à l 'usage de la force pour accaparer le pouvoir. En réalité, ces désaccords concelnaient aussi certains membres du Conseil de la révolution qui reprochaient, ouveltement ou en secret, à Bomnédiène d' accaparer le pouvoir avec le groupe d' Oudjda et de confier à des DAF des postes sensibles du ministère de la Défense. Le conflit s' aggrava après le refus de ZbiIi d' assister aux festivités du 1" novembre 1966 et du fait des fréquents déplacements qu' il effectuait entre l ' état-major et le bataillon de blindés statiOIlllé à Bordj el Balui. Déplacements que Bomnédiène suivait de très près. Le conflit atteignit son apogée suite à l ' échec des médiations entreprises par des persOIlllalités politiques et militaires. J'ai plis la pleine mesure du danger à Abdenahmane Bouzaréall, au domicile de Bensalem qui nous avait invités à déjelmer après la rémuon du Conseil de la révolution et des COInmandants de régions . Nous étions cinq Saïd Abid, Abdenahmane Bensalem, le colonel Abbès, Yaluaoui et moi-même à prendre notre repas ensemble dans mle ambiance fratemelle, discutant de divers problèmes qui nous préoccupaient à l'époque. Le soir, je devais rentrer à Oran par avion. Je ne m ' étais pas rendu compte qU' lm complot se tramait et que j ' allais être impliqué à mon insu. Nous nous installâmes dans le salon pour prendre le café. Je remar-

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C HADLI BENDJEDID - MÊMOUU:S

quai que l'assistance était plus silencieuse que d' habitude. AUClUl de mes interlocuteurs ne nu· mit au courant de ce qui se mijotait. Je les vis qui faisaient un clin d'œil à Said Abid, cOlUlaissant la solide anùtié qui nous liait et qu 'ils votùaient, me semble-il, exploiter. Puis, ils lui firent signe de m' en parler en leur nom. Said Abid se leva et me dit sur lUl ton réprobateur mêlé de sollicitude dan', lequel je perçus conune un appel à l'aide : - Es-tu satisfait de cette sihtatiol1, Si Chadli ? Je veux dire la situation du pays. Tous ces problèmes ne t 'affectent-ils pas? - Quels problèmes ? Itu dis-je. - Les problèmes dans lesquels se débat le pays, voyons / Tu trollves cette s ihtation normale? - Tous les pays [du monde) vivent des problèmes. Certes, il y en a beaucoup [che: nOliS), mais je pense sincèrement qu ';ts peuvent être réglés par le dialogue et à h-avers les institutions en place, rétorquai-je. - No us avons essayé de les résoudre dans ce cadre, • mats sans sucees. •

En clair, Said Abid VOtùait parler de l'accaparement du pouvoir par le clan d'Oujda et de l' obsolescence du Conseil de la Révolution qlU avait perdu lUl grand nombre de ses membres. De plus, Boumediene avait pratiquement vidé l' état-major de ses prérogatives qu'il avait nùses enh·e les mains des anciens officiers déselteurs de l' année française, au nÙlùstère de la Défense. A ce moment-là, je compris qu'il y avait anguille sous roche : notre présence tous ensemble au donùcile de Bensalem n 'était pas iImocente, SlUtOUt lorsque Said Abid revint à la charge :

2"

AL .... 2' RÉGION MILITAIRE (196<1 1979)

- Nous sommes appelés à prendre une décision cru ciale s ur-le-champ. C ' était clair. Ils planifiaient le renversement de Boumediene. Je leur dis : - Vous connaisse: ma franchise . Alors, laisse:-moi vous dire dès à présenl, pour que VOliS ne disie: pas plus tard que je vous ai trahis : je m 'opposerai à toute personne qui utiliserait la force el la violence pOlir prendre le pouvoir. Je connais Tahar Zbiri depuis 1956 ; je Vai même connu avant Boumediene. Melle=vous ça bien dans la tête : je me mettrai en travers du chemin de tous ceux qui recourront à la violence pour porter atteinte à la stabilité du pays. Ma position làdessus est claire. De guelTe lasse, ils insistèrent pour que je les rejoigne. Quand je les quittai, je me rendis compte de la gravité de la sihlation. Je sentais que le pays allait cOlUlaître une période de trouble et que le sang allait de nouveau corner. Il fallait, croyais-je, que les problèmes fussent réglés dans le calme et la sérénité pour éviter au pays de s' elùiser dans wle guelTe civile dont il n 'avait pas besoin. J'ai vmùu lever toute équivoque sur cette affaire, pour que tout le monde sache quelle fut ma position à l ' égard de cette tentative aux conséquences dramatiques. Je me rendis chez Tallar Zbiri, à El-Biar, et lui dis : - J 'étais avec les compagnons el ils m 'ont informé de leurs intentions. J 'ai voulu que III saches ce que je pense de toul ça. Il esl plus que probable qU 'ils viennent te voir et le refilent de fa usses informations sur ma posilion.

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CHAD LI BENDJEDID - lVItM OI RE S

Je lui répétai ce que j ' avais dit auparavant et lui expliquai mon point de vue en lui disant que c' est à l ' intérieur du Cons eil de la Révolution que les problèmes devaient être débattus et tranchés : L es institutions existent. Je ne suis pas prêt à habituer l 'armée aux coups d 'Etat qui sont devenus une mode au Moyen-Orient, en Afrique et en A sie, insistai-je. Tahar Zbiri ne fit aUClm cOlmnentaire, mais son silence en disait long . Je compris qu' il était décidé à aller jusqu' au bout. J'étais à la fois démoralisé et angoissé. Quel projet Zbiri allait-il proposer [connne a1temative1 ? A supposer qu' il réussisse son coup de force, de quelle vision de l 'avenir était-il pOlteur ? Il n' était pas question d' attendre. Je me rendis en toute urgence à la présidence de la République et demandai à voir le président Houari Boumediene. Quand il me reçut, je lui dis : -Je suis venu te saluer et te souhaiter plein succès dans ta mission. Je retourne aujourd 'hui à Oran. Sache que ta position sera la mienne et que tu me . , . , trouveras totljollrs a tes cotes. Je me contentai de ces quelques mots et ne lui divlÙgUai pas le secret de ma rencontre avec Zbiri et les autres compagnons. Bomnediene ne dit mot et somit, signe que les services de renseignelnents l ' avaient infOlmé du complot. Il par'aissait serein. Je repartis pour Oran en compagnie de Mohamed Salah Yahi aoui qui me demanda de mettre à sa disposition lm hélicoptère pour rej oindre la 3' Région militaire. Je refusai, au prétexte que le temps de neige n' était pas propice à lm tel vol. Ce qu' il voulait, en réalité, c' était de parvenir le

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A LA 2' RÎGION MILITAIRE (1961 1979)

plus vite possible à la 3' Région pour me b,mer le chemin et m' empêcher d'intervenir contre les forces ralliées à Tabar Zbiri . Durant la deuxième quinzaine du mois de décembre, les unités s' ébranlèrent de Médéa, Miliana et El Asnam (Clùef) en directi on de Blida. Elles étaient conunandées par Layachi, gendre de Zbiti. J'étais en contact pennanent avec Boumediene, l'infOlmant des détails des préparatifs. 11 me demanda d' envoyer des tireurs de bazookas car Zbiti fai sait mouvement sur Alger armé de chars. Face à un tank, selù lm bazooka ou IUl auh'e blitldé est efficace. Je dépêchai deux avions h-anspOltant deux sections qui attenirent à Boufarik. De là-bas, elles furent dirigées vers ElAffi"OIUl où elles prirent position sur des collines, en attendant l' anivée des avions de Ouargla. Les deux sections ouvrirent le feu sur les chars dont plusieurs furent incendiés, bloquant la voie et empêchant les autres blindés d' avancer, tandis que d'auh'es engins eurent des avaries en cours de route. L'affaire fut réglée en moins d'lm quart d'heure à coups de bazookas et grâce à l'intervention des Mig 17 et Mig 21. La nuneur disait que ces avions étaient pilotés par' des Russes, mais ces allégations étaient complètement fausses. Les soldats alliés à Zbiri s' égaillèrent darlS les montagnes avoisinantes,

abandonnant

chars

et

CaInions

en

feu . Certains préférèrent se rendre. C' est ainsi que prit fin cette opémtion démentielle qui était vouée à l' échec d' avarlce en raison de fautes tactiques et teclmiques grossières. En effet, quel est ce militaire tenté par' lm coup d' Etat qui ne prendrait pas en considémtion la couverture aérierme

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CHADLI BINDJrDID - MEMOIRE S

et la distance, sachant qu'El Asnam se trouve à 200 kilomèb'es d' Alger? Avant cela, j ' avais dépêché un bataillon afin d' occuper la caseme des putschistes à El Asnam et les Pliver de ravitaillement. Abdelkader Chabou et moi n 'étions pas d'accord sur la pers orme qui devait conunander l 'opération, Chabou avait envoyé IUl télégranune aux bataillons lem enjoi gnant de n' exécuter que les ordres émanant de lui , Je dus alors contacter les chefs de ces bataillons en mgence pour lem' demander de n'exécuter aUCIUl ordre, honnis ceux qui viendraient de la 2' Région. Après l'échec de la tentative de coup d'Etat, Tallar Zbiti et quelques-mlS de ses honunes (ils étaient tous de la même région, ce qui confinne l 'aspect régionaliste et bibal de cette opération aVOltée), se sauvèrent. Il se peut que les selvices de sécmité lem aient assmé ml passage sécmisé jusqu ' aux frontières hmisielU1es, avant de rejomdre le Maroc. Kasdi Merbah vint me voir pom me demander de lui remelli'e les officiers de la 2' Région qlÙ étaient solidaires de Zbiti, ce que je refusai . Quand il s' en plaignit à Bomnediene, celuici le plia de ne pas insister, en hù disant : ({ Chadli est responsable de ses actes ». En 1979, Tallru' Zbiti me fit prut, pru' le buchement d 'ml émissait'e, de son souhait de renb'er au pays, Je lui demruldai de patienter ml peu, le temps pom moi d' étudier l ' affaire. Un jour, ml de mes collaboratems à la présidence de la République m ' infonua que Zbiti était à l'aéropOit. Je l' autOilsai à renb'er et à rester chez lui . En oub'e, je hù imposai de s'éloigner de la vie politique.

2.2

A LA 2- RÎclON MILIT....IRE (1964--1979)

Le suicide de Saïd Abid

Saïd Abid n'avait pas pu me convaincre de me j oindre aux putschistes. Il s' étai t rendu compte que je n' étais pas un adepte des coups d' Etat et que j'étais résolu à intelvenir sans luénagelnent pom faire ban1lge à tous ceux qui utiliseraient la force pom prendre possession du pouvoir. Il savait pertinenunent que je conunandais de grandes unités de combat, qui plus est luiellX équipées que les autres. Saïd Abid hésita longtemps et finit par adopter une attitude de neutralité, perdant du coup la confiance de Boumediene et de Zbiri, en même temps. Il ordOlma à toutes les unités de la 1" Région de regagner lems casemes et dit à ses honunes : « N 'intervene; pas, laisse;-les s 'entretuer l Je ne slds ni avec le groupe de Boumediene ni avec cel"i de Zbiri ». Mais les proches de Zbiri - à leur

tête Zerdani - le menacèrent, l'inslùtèrent et le traitèrent de lâche. Cela pOlta lm coup sévère à son moral, si bien qu'il sera retrouvé sans vie dans son bm·eau. Le bnùt com·ut qu'il amait été exécuté par ml conunando ou que Slimane Hoffinan l'amait tué. Ce geme de rumems est fréquent en pareille circonstance. Les honmles de Saïd Abid y crurent et se confinèrent à l'intérieur des caSeines de la l'·' Région dont ils interdirent l'accès à qui que ce fût, dérùant au pouvoir en place toute légitimité. Bomnediene réagit avec sang fi·oid et évita de recomir à la force, préfél1lnt, au contraire, apaiser les esprits. Il me demanda de rappeler à la raison les responsables de la mutinelie. {( Ils le respectent et l 'écoulent. Essaye de les convaincre [de revenir à la raison] , », me dit-il. Je ne quittai pas Oran et

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C HADLI BINDJIDID - MEM OIRE S

appelai au téléphone un chef de bataillon à Ténès que je COlUlaiSSaiS bien. Je le priai d' entrer en contact avec les responsables des autres bataillons et de leur faire cOlUlaître mon engagement à faire toute la lumière sur les circonstances de la mOit de Saïd Abid. Je lui assurai que nous allions déclencher une enquête sérieuse à ce suj et et que si jamais il s' avérait que Saïd Abid avait été assassiné, la loi s' appliquerait à l ' encontre des auteurs dans toute sa rigueur. Les chefs militaires se contactèrent les lUlS les autres et finirent par mettre fm à la mutinerie. Je continue de croire, à ce j our, qu 'une guelTe civile n ' a été évitée que par la grâce de Dieu. V owant cOlUlaître la vérité et balayer tout doute et, swtout, tenir ma pamle, je me rendis au domicile du défunt. De son vivant, il m ' invitait souvent à déjewler ou à dîner chez lui quand j'étais de passage à Alger. Je fus reçu par son épouse. Elle était en proie à la plus déchirante affliction. Je lui dis : -Je suis venu vous voir, sachant que la situation est g rave. Je veux que vous me disie~ la vérité ! Elle hésita lUlmoment, puis elle me répondit : - SaÏd s 'est suicidé ; c 'est lui qui s 'est donné la mort. Puis elle aj outa : - Mais ils l 'y ont poussé. Oui, les responsables l'onl p oussé à se s uicider. Ils venaient tout le temps che~ nous, surtout Ab dela~i~ Zerdani, et ils l 'ins ultaient et insultaienl sa famille. Ils lui disaient : « Tu es Wl lâche! Tu n' es pas un vrai Chaoui ! » Il les écoutail tête baissée et ne leur rép ondait pas. Ils voulaient qu 'il se mette du côté de Tahar Zbiri. Avant de com-

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A LA 2- REGION MILITAJRI

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1979)

mettre le geste ultime, j 'ai senti qu 'il me disait adieu au téléphone. 11 m 'a dit qu 'il allait partir en voyage très loin et qu 'il n 'allait pas pouvoir m 'appeler. 11 m 'a dit aussi : « Quand notre fils grandira, dorme-lui Ina chenrise avec les galons ».Je m 'exclamai, abasourdie : « Mais tu m'appelles toujoms quand tu pars en mission ou en voyage ! ». 11 eut celle réponse : « Là où je vais, il n'y a pas de téléphone ». Je rétorquai : « Je sais que tu en trouveras lUl et que tu nous appelleras 1 » J 'étais loin de me dOl/ter que ces mots allaien! être les derniers ».

Quatre mois après la tentative de coup d' Etat de Tahar Zbiri, Hourui Bomediene échappa à lm attentat. Alors qu'il quittait le Palais du gouvemement, au sortir d'lm Conseil des ministres, un agent des CNS tira sm lui et le toucha à la lèvre supérieme. Quant à son chauffem qui avait pu le sauver miraculeusement, il fut atteint par plusiems balles et transpOlté à l' hôpital Maillot. Le bmit coumt que BOlUnediene était mOlto Juste après l' attentat raté, le conunandant Mellall - rulcien adjoint de Tallru' ZbiIi à l'état-major - appela ses ruuis, prului lesquels Mohrurunedi Saïd, et les infonna qu' il venait d' éliminer Boumediene et qu 'il ne restait à l'opposition qu' à prendre le pouvoir. Mais l'état du Président n'était pas grave et il dut convoquer la presse pom démentir la rrunem. Dès que j 'appris la nouvelle, je prutis pom Alger de toute mgence et me rendis au chevet du Président, à l ' hôpital Maillot. Je IlÙ demruldai d'infliger des sanctions exemplaires à l' encontre des auteurs, mais il me répondit calinement : « Ce n 'es t pas grave .1 » Quelques jours plus tard, les services

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C HADLI BENDJEDID - MEMOIRES

de sécurité mirent la main sur le conunanditaire et ses complices. Une fois président, j 'accordai la grâce à Amar Mellah. La récupération de Mers El Kébir En février 1968, je supervisai l'évacuation de la base de Mers El Kébir par la marine fi'ançaise avant la date butoir fixée à cet effet. C ' est lUle réalisation dont je suis très fier. C' est que je considérais que l'indépendance de l'Algérie était incomplète, tant que cette base stratégique n ' était pas récupérée et que le dentier soldat fi'ançais n ' avait pas quitté le tenitoire algérien. A la fin de l ' année 1970, les forces aériermes algériermes recouvrèrent la base de Bousfer, le dentier lieu dememé dans le giron de l ' année fi
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conunllIl accord. Bien que la France recOlmût l'algélianité de cette base, elle n' en réussit pas moins à obtenir des privilèges, à l'instar de la mise à la disposition de la France par l' Algérie, des facilitations nécessaires au bon fonctiollilement de celleci, dont la libre utilisation des aéropOlts du voisinage. L'Algélie recOlmaissait aussi le droit de la France à utiliser le sol et les soutenains de la base, ses eaux tenitOliales et son espace aérien. De même que l' accord octroyait à la France toutes les prérogatives se rapportant aux questions de défense, de sécwité et de maintien de l' ordre à l'intériem de la base. Les Français avaient la mainmise sm toute la région jusqu' à Aïn El Tmk. Nos soldats n 'avaient même pas le droit d'accéder à cette zone powtant algériellile. Le président Bownediene me chargea de mener des négociati ons avec l'année fnlllçai se pom trouver ensemble des mesmes diligentes pom évacuer les Français de la base de Mers El Kébir avant l' expiration des délais inscrits dans les accords d' Eviall. Avant de parler des négociations, je dois rappeler que les Français avaient entamé, sans nous aviser, la construction de fortifications défensives pom protéger Mers El Kébir contre toute attaque. Ces rempruts commençaient au Mmdj adj o (Bousfer) et s' étendaient jusqu' à Srulta Cruz, sm les hautems d'Oran. Cela voulait dire que 1' rumée française prévenait Wle offensive probable des Algériens ou envisageait d' occuper la base même après l'expiration des délais imprutis . Les Français avaient tiré tille leçon de l' opération « Catapulte », dmant laquelle la mruine runéri-

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caine détruisit leur flotte à Mers El Kébir, en 1940, et s'étaient inspirés de l'expéIience des Alliés pendant la Seconde GuelTe mondiale. L'opération « Torch », cOlmnandée par le général Eisenh ower ne dura que trois jours. Au début, les Alliés voulurent débarquer à Mers El Kébir, croyant que la base était tenue par les soldats fidèles à De Galùle, mais ils furent plis sous les feux de l ' artilleIie des forces du maréchal Pétain. Ils durent alors débarquer aux Andalouses. A l' époque, il y existait une jetée qui leur facilita le débarquement sur la plage avec chars et camions. Les années alliées montèrent vers Mmdj adjo et pilonnèrent les positions du maréchal Pétai n. Les Français avaient dû penser que si les Algéliens vOlùaient 1111 jom récupérer la base par la force, ils procéderaient de la même manière. J'étais en contact pelmanent avec le général conunandant de la base. Quand je sus que les Français avaient entamé la construction des fOlti fi cations, je demandai à le voir. C'était 1111 gatùliste qlÙ faisait preuve d'lm sens élevé de l ' hoilllem lrùlitaire. 11 me déclara, avec une incroyable fi"allclùse, lorsque je lui demandai les raisons qui poussaient les Français à construire ces remparts : « Nos renseignements indiquent que VOltS vous apprête= à nous attaquer, alors nous prenons nos dispositions pour nous défendre ». Je lui dis : « II n 'existe aucune raison qui nOlis ob ligerait à recourir à la force. Nous sommes signataires des accords d 'Evian et ces derniers sont clairs là-dessus ». J'ajoutai : « Au nom du ministère de la Défense nationale, je puis vous assurer que nOlis n 'avons aucunement l 'intention de nOlis en pren-

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A LA 2 e REGION MILITAIRE (1964- 1979)

dre à VOllS ». Il lue jura alors « sur [son] honneur militaire » qu' il allait dormer l'ordre d'alTêter les travaux. Ce fut fait. Je lui rappelai, par aillems, que la clause relative à la concession de Mers El Kébir expirait bientôt et lui demandai d'autOliser certains de nos jelmes officiers de la mruine nationale à suivre des cycles de fonnation et d' entraînement pour gru,mtir la bOlme mru·che de la base après son évacuation pru· l ' rumée frrulçaise. Je demandai aussi que le matéIiel qui s'y trouvait fût laissé sm place. Les Français finirent, après des négociations ru·dues, pru· accepter de fonner 50 officiers et de nous céder le matéliel d' tule valem globale de 15 lnilliards, pom seulement lm milliard de centimes. Je crois que c' est le général de Gaulle luimême qui avait dOlmé son feu vert et approuvé cette somme. Je tnmsmis lm rappOlt détaillé au ministre de la Défense qui suivait les négociations de près . Tout s'était bien passé. Le 31 janvier au soir, lllle cérél110nie consacrant la rétrocession fut organisée, dmant laquelle le drapeau fillnçais fut baissé. Le 1" févlier, la base de Mers El Kébir redevenait officiellement algéIienne. L'emblème national fl otta et l ' hynme national retentit sm la base pom la preJnière fois . Le jom de l ' évacuation, le conunandrult de la base, Wruller, m' invita à une réception pom m ' en remettre les clés. La cérémonie se déroula à bord d' un bateau aruané au port. Les autres navires avaient déjà quitté la base. Le général conunandrult de la base et les membres de son état-major pl1rent prut à la fête, de même que 1' runbassadem de FI1lllCe et son épouse. De mon côté, j ' étais accompagné des

2.'

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membres de l'état-major de la 2' Région militaire. Durant la cérémonie, l ' épouse de l 'ambassadeur plit le menu et demanda au général fi'ançais de lui signer lm autographe, Le visage du déjà ex-cOlnmandant de la base rougit et ses yeux se remplirent de lannes. Il me demanda la pennission de fouler mle demi ère fois le sol algélien. Sur ce, nous nous saluâmes avant que le demier navire français plit le large en tirant des salves d' adieu. Plus tard, je passai en revue les mutés de la maline algélielme ml tOlpiIleur et lm patrouilleur - qill venaient d' accoster à la base navale, en présence de Hou31i Bomnediene, de membres du Conseil de la Révoluti on et d' officiers de la m31ine nationale, Mon désaccord avec Kaïd Aluned La Révolution agraire fut 31moncée en novembre 1973. L'ordOlmance et la ch31te de la révolution agraire étaient prOlmùguées et mle conunission nationale installée. Ensuite viment les dispositions org31u s31lt les coopératives aglicoles et la création de l' Union nationale des pays31lS algéliellS (UNPA). Des c31npagnes de volont31iat, menées p31' les étudi31lts, furent l31lcées pour expliquer les objectifs de cette révolution qill était, pomtant, loin de faire l ' un31unuté au sein du Conseil de la Révolution, dont celtaillS membres s 'y opposaient secrètement. Je fus étOlmé, ml jour, d' entendre Aluned Draïa me dire : « Pourquoi /on p ère devrai/-il faire don de ses ferres ail profit du F onds de la R évolution agraire? » D ' autres - not31nment Kaïd Aluned - y étaient ouveltement défavorables. Personnellement, j ' aimais à smùever les

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A LA 2~ RÎGION MILITAJRE (1964--1979)

problèmes des campagnards à chaque fois que le sujet de la tene était évoqué. La raison en est que je suis moi-même lm fil s de la campagne et que je COlUlaiS la valem de la ten'e du fait que mon père possédait de vastes superficies et que j'ai longtemps côtoyé les paysans dmant ma jelmesse. Je répétais souvent que les lllraux n' avaient pas bénéficié des acquis de la Révolution et qu'ils vivaient encore dans l'inconfOlt et le dénuement. Les habitants des campagnes ont embrassé la cause dès ses premières hemes et ont souffeI1 de ses affres. Ce sont eux qui cachaient les moudjalùdine, lem fournissaient la nOillTihn'e et lem servaient de guides au maquis. Ils ont suppOlté les plus gros saclifices et payai ent au plix fOlt chaClme de nos batailles contre l'année française qui lem faisait subir les pires sévices en représailles de ses peI1es. Franchement, je n' étais pas très convaincu par la Révolution agraire telle qu' elle était envisagée. J' étais plutôt de l'avis de ceux qui disaient qu'il fallait que nous fassions quelque chose pom les paysans en lem concédant plutôt les telTes abandOlUlées et en lem octroyant des facilitations et des crédits. Mais lm groupe de laïcs réussit à convaincre Boumediene de faire le contraire. Dès lors, les bmeaucrates dont s' était entomé Tayebi Larbi au nÙlùstère de l' Agticulhn'e deviment les vélitables gestiOlUlaires, prOlmùguant les lois et distribuant les ordres. Le paysan s'en tr'ouva pénalisé, égaré qu'il fut dans lm dédale de situations confuses et lme pléthore de lois invraisemblables et, qui plus est, le desselvaient complètement.

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Plus il Y a de lois, moins celles-ci sont efficaces, Sllltout quand il s'agit du travail de la tene. Ces bmeancrates avaient brandi le fameux slogan : « La terre [appartient) à ce/IIi qlli /a travaille ». Or, il se trouve que ces mêmes bmeaucrates avaient décrété lme série de textes directement inspirés de modèles socialistes contradictoires et aux antipodes des réalités sociales algéllelUles . Avec le temps, le paysan, qui n' était pas habitué aux coopératives de production et de cOillinercialisation, COillinença à s'éloigner de la tene et ne profita plus du fiuit de ses efforts. De même que les fonnes adoptées pom le travail de la tel1"e, loin d' avoir réglé les problèmes, n 'avaient même pas pu garantir l'autosuffisance. Bien au contraire, la situation se compliqua davantage au point que l ' Algélle se vit obligée d' impOiter tous ses produits de consOillination, des œufs aux viandes et au lait, en passant par ... les oignons 1 Un jom, j 'étais avec ma famille à bord d' lm yacht et j ' ai vu un chalutier üllinobilisé non loin de là. Je m 'en approchai, saluai les pêchems et lem demandai ce qu' ils fai saient là. Ils m ' ülfonnèrent que le bateau avait subi une avaIie. Je lem demandai de nouveau : ({ Vous faites partie d 'une coopérative de pêche ?

»

Après hésitation, ils me répondirent par l 'affinnative. Quand je les incitai à m ' en dire plus, ils fini rent par se confesser à moi : « E'cherka helka (l 'association est source de désagréments) ; nOliS ne sommes pas habit1lés à celle façon de travailler ».

Je reviens, après cette digression, au débat orageux voire violent qui opposait padois Hourul Boumediene et Kaïd Allllled. Le premier tenait

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mordicus à la Révolution agraire, tandis que le second la rejetait cruTémenl. Notre rôle au sein du Conseil de la Révolution devait consister à rapprocher leuTs points de vue, lnais qui, panni nous, prenait la pru'ole pom ce faire ? J'avais conunencé à remru'quer que Kaïd Aluned avait tendance à élever la voix sm Boumediene sans que les membres du Conseil ne disent mol. Or, lem silence signifiait qu ' ils étaient soit neutres soit d' accord avec Kaïd Abmed, Lorsque je me rendis compte que la situation avait atteint llll degré tel qu' elle menaçait l' unité de la direction politique, je demruldai la pru'ole et intelvins en diSrult : « Si SlimGne, certes, lu es le secrétaire général du parti, mais c'est Boumediene le chef de l 'Etat et c 'est à l1li q1le revient le dernier mot, Laisse-le aller j1lsq1l '011 bOllt de sa politique et on verra ... P ourquoi veux-tu nOlis imposer ton avis ? NO liS t 'avons désigné à la tête du parti, maintenant, si t1l 11 'es pas convaincu par la R évolution agraire, libre à toi, mais ne complique pas les choses .1 » Ce désaccord de fond fit que Kaïd A1uned basclùa drulS l' opposition à BOlllnediene en 1972 après que les deux honunes ement travaillé longtemps main drulS la main à l'état-major général et au Conseil de la Révolution. Je voudi-ais dire, à la fin, que Si Slimrule (Kaïd Aluned, N OL ' E), qui est mort en exil , Dieu ait son rune, avait raison. Evidenunent, j'étais pour lme réfonne agticole à condition qu' elle fût appliquée de façon rationnelle et réfléchie et sans toutes ces structm-es bm-eaucratiques hypertrophiées qui nous ont conduit à la catastrophe que l ' AlgéIie a COlUlue dlUl111t deux décemues . Bien sûr", je n'étais

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pas d'accord avec Kaïd Aluned et je me suis opposé à lui, mais j ' insiste pom dire, auj omd' hui , qu 'il avait vu juste et que nous tous avions tOIt. Quand BOlUnediene entra dans le coma, j'étais responsable des corps de SéClUité. La première décision que j ' avais ptise après avoir longuement consulté les rappOlts qui me paIvenaient au sujet de l'interdiction absolue de conunerciali ser les produits aglicoles dans Ime wilaya autre que la wilaya d'Oli gine, fut de lever celte interdiction.

Boumediene me prollose l'Intérieur Vers la fin de l'aImée 1974, le conflit entre le président BOlU'llediene et le ministre de l' lntétiem Aluned Medeglui atteignit le point de non-retom . Medeglui était Me figme de proue du groupe d'Oujda. Malgré son hmmlité et son call1ctère introvelti, c'était ml hOllune de décision. Il militait pom lUI Etat modeme et fOlt et s'y était attelé avec abnégation et honnêteté . Il avait réussi, depuis sa nOlmnation connne ministre de l' Inté,iem, à reshèlctmer l' admüùsh'ation algélie!Ule et jeter les fondements des institutions de l' Etal. Medeglui se considérait cOlmne le père de l' arumnish-ation algétie!Ule et sa conviction trouvait lUI écho auprès de celtains éléments du groupe d'Oujda qlÙ le confortaient daIIS sa vision. Il h-availla d' aITache-pied pom étenru-e sa toute-plÙSSaIlce à tous les rouages de celte arulùnish-ation. 11 est fort possible, d'aillems, que cette propension à l' hégémonie rut la raison pl1ncipale de son différend avec BOlUllediene, qUaIld bien même d'auh-es sujets opposaient les deux honU1les, notaIlU1lent la

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Révolution agraire dont il contestait l'application, et l'ingérence du paIti daI1S le fonctiormement de l 'administi1ltion, si bien que Medeglui ne cessait pas de menacer de claquer la pOlte, lors des réunions du Conseil de la Révolution, Le président Boumediene l'lit la décision de limoger Alulled Medeglui alors que lui-même se trouvait en visite de travail à TiaI'et. Je m 'apprêtais à le saluer sur les frontières de la 2' Région militaire, à TisselTISsilt, lorsqu'il lue dit : « Viens avec n01ls à Alger J » Nous passâmes la nuit à El ASnaIll, Tayebi LaI-bi vint me voir et m 'inf0l111a, après m 'avoir sondé nn bon moment, qu'lm remaniement du gouvemement était sur le point d' être aIUloncé et que le Président me proposait de prendi'e le ministère de l'Intélieur, « C 'est donc p01lr cela que Boumediene m 'a demandé de l 'accompagner j usqu 'à Alger », me dis-je, NéaIUllOins, je déclinai son offre pour deux raisons, D' abord, paI'ce Bomllediene ne m ' en avait pas fait la proposition lui-même, préfémnt m ' aborder par le biais de Tayebi LaI-bi pour connaître ma réponse, Or, la responsabilité d'lm ministère de souveraineté de cette envergure devait être discutée de vive voix avec le Président lui-même, Ensuite, paI'ce que je savais que les atuibutions des différents services de sécmité étaient imbliquées au point que le minisu'e de l' Intétieur n ' était pas libre de ses décisions, Ce j our-là, Medeglui me paIut préoccupé, Il n ' arrêta pas de me demaIlder, conUlle s'il savait ce qui l 'attendait : « TlI nOliS accompagnes à A lger ? » Il paI-aissait évident que le Président avait défitùtivement u'aIlché, Le limogeage de Medeglui eut pom'

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effet d' aggraver son mauvais état psychologique. Bomnediene demanda alors à Aluned Draïa d' être à ses côtés et de le soutenir moralement. Medeghri était cOlmu pom ne jamais se séparer de son anne de poing, même quand il se rendait à la Présidence. Le 10 décembre de la même rumée, il fut retrouvé mOlt à son domicile. On pru-Ja de suicide dù à son état dépressif Suite à mon refus, Bomnediene confia le ministère de l ' lntériem à Mohruned Ben Aluned Abdelghani . Ma rencontre avec le général Giap Panni les meillems souvenirs que je gru'de encore, ma rencontre avec le général Giap . Je l ' ai reçu à Oran, le 8 jrulVier 1976, lors de sa toute première visite en Algérie. Il était accompagné par Abdallall Belhouchet. La rencontre fut chaleureuse et conviviale. J'étais habité pru' le même sentiment que lorsque j ' avais rencontré Che Guevara à Construltine quelques rumées plus tôt ; c' est lli1 sentiment difficile à décrire , mle adiniration mêlée de déférence face à l 'hmnilité du révolutiolmaire. Je pense que cet émerveillement est dù au fait que nous avons combattu la même puissance coloniale, lui à Diên Biên Phù et moi en Algérie. De cette rencontre, je retiens smtout, outre les qualités humaines de mon hôte, son inunense capacité à expliquer les différentes tactiques de la guérilla. Sa grande expérience du terrain lui a pennis de lruniner l ' rumée françai se à Diên Biên Phô et de rempOlter des victoires historiques contre les rumées du Sud Viêt-Nrun et des

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A LA 2° RÎÇ(ON MILITAIRE (1964-1979)

Etats-Unis. Il abordait aussi les sujets politiques dans un langage fOlt simple mais tellement expressif. N ' est-ce pas lui qui a dit, à la salle Harcha, que « l'impérialisme est 1111 mauvais élève » ? Il ne s'est pas séparé de moi dmant tout son séjom il Oran, évitant de parler il Abdallah Belhouchet dont il savait qu' à Diên Biên PM, il se trouvait dans l'autre camp. A la fin de sa visite, le général Giap m'offIit le drapeau du Viêt-Nam et je lui fis cadeau, il mon tom, de mon pistolet qui ne m'avait jamais qtùtté dmant la GuelTe de Libérati on. La seconde fois qu'il vint en visite en Algélie, je le reçus en tant que président de la République. Il n ' avait pas changé ; il était touj oms aussi affable et souIiant. J'avais décidé d' effacer les dettes du Viêt-Nam . J' en avais parlé au ministre des Affaires étrangères, mais celui-ci ne «D

lU 'y

fitjruuais repenser.

où tiens-tll cela ?»

J

La delnière visite de Houati Boumediene à Oran eut lieu en févIier 1978. Il s'y était rendu à la tête d'tille impOltante délégation, pom inaugurer de gratldes réalisations dans le domaine des hydrocat'bmes à Arzew, il l'instat· du complexe de gaz natmel liquéfié GNL 1, de la première tratlche du nouveau pOlt et du complexe de méthanol et d' autres délivés du pétrole. A Bethioua, il posa la prelnière pielTe de la nouvelle usine de liquéfaction de gaz GNL2 . Le lendemain, il inaugma le batTage de Saâda à Reli zane. Le soir du prelnier jom de sa visite, nous dînâmes avec lui il Mostagatlem, le D' A1uned Taleb-

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CHADLI BENDJ[DID ~ MÎMOIRES

Ibrahimi et moi . Boumediene ne tarda pas à prendre congé de nous, prétextant tm coup de fatigue . J'avais obselvé sur son visage le même lictus que lors de ses précédentes visites à Oran, mais j ' étais loin de m'imaginer que c'étaient les symptômes de la maladie qui le rongeait de l'intélieur et qui allait l'empOiter quelques mois plus tard. Quand BOlunediene nous laissa selùs, nous abordfunes le sujet du congrès du patti dont les prépat'atifs préoccupaient le Président. Il était prévu que le congrès conigeât le pat'cours politique et aboutît à la création d'tm patti poptùaire fOit et capable de mobiliser les citoyens autour des grands choix du pays. Vu que j ' avais une grande cOnfiat1ce en le docteur Taleb-Ibrahimi, je lui demandai de poser le problème des responsables qtÙ usent et abusent de leur pouvoir et de leurs [hautes 1 fonctions dat1S les appat'eils de l' Etat pour s'enrichir illicitement. Je Itù dis : « NOliS comptons sllr toi. Le mot d 'ordre de la prochaine étape devra être celui-c i : « D'où tiens-tu cela ? » Je lui répétais que le SlOgat1 qtÙ était le nôtre jusque-là, l 'homme qll 'il jallt à la place qll 'il jallt, n' avait jatnais été réellement appliqué de façon adéquate. Boumediene avait tat1cé ces gens-là dat1S un de ses discours, en les invitatll à choisir entre l'engagement et la prébende. Ce jour-là, il avait dit, entre autre : « Dorénavant, il ne sel'o pllls possible de tenir le bâton par le miliell .1 » Quat1d BOllinediene venait prendre quelques jours de repos à Orat1, je lui parlais de la nécessité d'opérer des réf0l1lles dat1S les stmctures de l'Etat et de Chat1ger les honunes. Mais ce n' était pas la prenùère fois que j 'abordais ce sujet. J'insistais

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A LA 2~ RiGlON MILITAIRE (1964-1979)

souvent aupres de lui palU" qu'il accélérât la tenue du congres du parti, en lui disant : « Si les choses ne changent pas, je demande ma retraite ». Je ne bluffais pas ; je vOlùaiS vraiment jeter le tablier si bien que je me suis mis à chercher lm logement à Alger palU" y passer le restant de mes jOlU"S avec ma famille .

CHAPITRE X LES RELA TIONS AVEC LE MAROC AVANT 1979

J'ai düigé la 2' Région militaire dmant 15 armées consécutives. J'étais pleinement conscient de la gravité de la responsabilité qui m' incombait. C' est que cette région est très sensible et revêt tme grande impOltance stratégique, en raison de l'étendue de son tenitoire, de la concentration du tiers des effectifs de l'armée en son sein et du type d' armement hautement sophistiqué dont elle est dotée. De plus, la 2' Région longe la frontière avec le Mar·oc, ce qui la rend d' autarlt plus sensible. La probabilité était fOlte pom qU'llil conflit armé éclatât avec ce pays il n'impOlte quel moment, sm fond de tensions pennanentes. Ma setùe préoccupation était d'éviter d'en arliver aux armes, tout en veillarll à l'intégIité et il la SéCUlité du tenitoire national . Cette harltise me tounnentait SaIlS cesse en tant que moudj alud et responsable nulitaire, par·ce que j 'appartiens il une génération qui croit dm connne fer en l'Uluté des peuples magln·ébins ; tUle génération convaincue que ce qui lie les peu-

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C HADLI BENDJEDlD - MEMOIRES

pies de la région est autrement plus impOltant que ce qui les sépare et qui considère que les liens historiques et religieux, l ' wùté géograplùque et l ' aspiration à tm averùr commun font de celte région un bloc homogène. Mais l ' infamie du colOlùalisme et les ambitions [malsaines] de certains honunes politiques en ont voulu autrement. Il va sans dire que cette conviction est fondée sm l' expérience vécue à la favem de notre luite conunune dmant notre glOlieuse Révolution. Nous n ' oublions pas que les peuples fi'ères marocain et I:wùsien ont accueilli à bras ouverts les moudjalùdine algériens à tm moment difficile. Conune nous gardons touj oms en mémoire que certains Marocains et Twùsiens ont pris les annes avec nous et ont combattu dans la même tranchée jusqu'au sacrifice suprême pom l'indépendance de l ' Algérie. Il est regrettable de dire que le recouvrement de l ' indépendance par les pays maglu'ébins a dOlUlé lieu à des querelles tenltOlialistes obéissant à des calCtÙS étroits chez certains hOlllines politiques et à des velléités expansiOlmistes chez d' autres, ruinant les espoirs des nationalistes qtù rêvaient d' tm Maglu'eb wù et libre. Le problème des revendications frontali ères avait smgi avant l ' indépendance de l'Algérie. Hassan Il avait exercé divers types de pressions sm le gouvemement provisoire pom l' empêcher d' organiser le référendwn sm l' autodétermination sans la région de Tindouf dont il clamait la marocanité. Il déploya ses troupes le long des frontières . Ce fut le premier signe révélatew' de ce que cette bande frontalière allait se transfOlmer en Wl

LES RELATIONS AVE C LE MARO C AVANT 19 79

temun miné qlU allait souffler toutes les bOlUles volontés qw nOlUllssaient le rêve d'lm Maglu'eb uni . Les frontieres est n ' étaient pas en reste, pwsque l' approche de l'indépendance avait aussi aigtusé l'appétit de Bomgwba qw réclamait à son tom 1' ruUlexion de tenltoires a1géllens. Ces intentions belliqueuses tantôt ouveltes, tantôt cachées - faisaient que je me méfiais des desseins de Hassan II. A tel point que nos forces ru11lées étaient en état d'alerte quasi penurulent. Les relations entre l' Algétie et le Mru'oc étaient presque tout le temps tendues, mru'quées par lUl défaut de confiance mutuelle, de coopération fratemelle et de bon voisinage, De même que les rappOitS entre Hourul BOlUuediene et Hassrul Il étaient ctispés, conune s'il existait entre les deux hOlmnes de vieux COlnptes à régler ou une anin10sité si profonde que ni l'lU1 ni l' autre ne pouvaient la SlU11l0nter. Cette relation mouvementée a créé lUl climat de suspicion dont l'impact négatif aJUuhila toutes les tentatives ViSrult à jeter les fondements d'lU1e coopération flUctueuse pom les deux pays et les deux peuples qw rêvaient de stabilité, Q1U de nous peut oublier que le Mru'oc a tenté d'occuper lme prutie du tenltoire nati onal au moment où l' Algélle SOitait déclurée, blessée, d 'lUl conflit anué ayant dmé plus de sept ans ? C' était lme agression condru1Ulable. Le fruueux CIl de Ben Bella, hagrolll7a, hagrolll7a l (Us nous ont agressés) nous rappela que le rêve de toute lUle génération de voir les peuples maglu'ébins gagner la bataille de l' mUté apres celle de l'indépendrulce, n ' était qu'lU1e clumere.

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C HADLI BINDJIDID - WMOIRE S

Je me trouvais en Chine lorsque j'applis que l' année marocaine s' était infiltrée, le 15 octobre 1963, à l'intéIiem des tenitoires algéIiens, à Hassi Beïda, et y avait implanté des camps militaires. J' essayai de convaincre les diIigeants chinois d' écOUlter notre visite mais ils insistèrent pom que nous l'achevions. A notre retom au pays, la Gl/erre des sables était déj à finie, l' année marocaine s' étant retirée grâce à la mobilisation du peuple algélien qtù avait défendu l'intégIité de son tenitoire bec et ongle, aux démarches de l' OrgaIùsation de l' Ulùté afIicaine et aux pressions de Djamel AbdelUlasser et Fidel Castro. A ce sujet, j ' aimerais ouvIir Ulle paI'enthèse pom saluer la sagesse de Mohand Otùhadj qtù mit tm tenne à sa rébellion en Kabylie pom se joindre aux forces réglùières engagées daI1S la bataille contre l'inltus maI·ocain. Comme je salue le courage du leader Mehdi Ben BaI'ka qtù fut le setù homme politique maI'ocain à condaInner ouveltement et SaIlS aInbages les visées impéIialistes du roi, qualifiaIlt l' agression maI'ocaine de « trahison à la Il/Ile des p euples maghrébins p our l 'unité ».

Cette positi on comageuse lui a valu la condaInnation à mmt paI' contumace. Il sera assassiné en octobre 1965. La leçon que nous avions tirée de cette guelTe éclair, en tant que nùlitaires, c' était que Hassan n n' avait pas renoncé à ses visées aIUleximmistes et qu'il ne recmUlaissait pas les frontières héIitées de la colonisation et dont l'intaIlgibilité est insClite daIlS la ChaIte de l'OUA. Cette vision était paItagée paI' la classe politique maI'ocaine et à sa tête

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LES RELATIONS AVEC LE MARoc AVANT 1979

le parti Al Istiqlal d'AI/el El Fassi, qui rêvait d' un « gral1d Maroc » comprenant de larges tenitoires de l'ouest et du sud-ouest algériens et de Mamitanie jusqu'au fleuve Sénégal. Nous avions, à maintes reprises, exprimé à Bomnediene, en tant que militaires, notre rejet catégOlique de toute concession sm la question des fi-ontières _ Boumediene n'était pas satisfait de la manière dont le problème du bomage avait été discuté avec la Ttmisie. Sa position était que les fi-ontières algérie/mes ne pouvaient, de quelque façon que ce soit, faire l 'objet de marcliandage ou de chantage, d' autant qu'il savait pertinemment que certains dirigeants politiques cherchaient à garantir au Maroc une compensation économique contre l 'abandon de ses ambitions tenitOliales. Cette position avait été clarifiée de la manière la plus ferme par Ben Bella lors de sa rencontre avec Hassarl II à Saïdia, en mai 1965 ; rencontre à laquelle je fus empêché d' assister pom des raisons que j ' ignore_ Les relations enti-e l'Algérie et le Mar-oc ne se sont pas arlléliorées après le redressement de juin 1965 . Chaque partie campait sm ses positions. Plus grave, la présence d' une opposition mar-ocaine sm notre sol, héritée du règne de Ben Bella, constituait un obstacle supplémentaire à l ' apaisement entre les deux pays_ Hassarl II faisait un abcès de fixati on de cette opposition qtÙ s' était réfugiée en Algérie en 1963, considérarlt le règlement de cette question conune un préalable au réchauffement des relations entre les frères erl1lemis. Tout comme il accusait l' Algérie d' appOiter aide et soutien à son rival politique Mehdi Ben

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C HADLI BI ND JEDID - Mi MOIRI S

Barka. La direction politique de cette opposition activait dans la capitale, tandis que son bras rumé se trouvait dans deutf centres de l'Ouest du pays, le premier à Sidi Bel-Abbès et le second à Mohrurunadia ; autrement dit, sur le tenitoire de la Région que je cOlrunruldais . Conscient de la nécessité d' apaiser le climat de guelTe latv ée qui régnait entre les deux pays, Boumediene, en prévision de la première visite qu' il devait effectuer au Mat·oc, pli! attache avec moi pour cOlmaî tre mon opinion sur l' opposition mru·ocaine. Je lui ai dit, après lui avoir fait un état des lieux : {( Je ne crois pas en une opposition qui active hors de son p ays. Si les frères marocains veulent s'opposer au pouvoir en place, qU 'ils le f assent cheo eux ». Puis, je l'ai infonné que je détenais des infonnations qui indiquaient que les selv ices secrets mat'ocains avaient infiltré les rangs de cette opposition. Convaincu pru' mon point de vue, Boumediene me demanda d' agir dans l 'intérêt suprême du pays . L' opposition mru'ocaine était atmée et entraînée pat· l ' AN P, tandis que l ' action politique et logistique relevait du FLN . A l ' époque, le mOllh afedh (COlrunissaire) national du patti pom la région d' Oran, s' appelait Gouaslnia Chadli Abdelhatnid. Ce nom induisit en elTeur les services de renseignement mat'ocains et fit croire à Hassan II que c' était moi, Chadli Bendjedid, qui organisais et Olientais politiquement cette opposition. Les Mat'ocains ont longtemps confondu entre Illon 110111 et 111011 préllOln, tout COllnne, au début de

la Révolution atmée, le 2' BW'eau croyait que Chadli étai t mon nom de fatnille. J' ai donc sciem-

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ment entretenu l'équivoque pmu' épargner à ma famille les représailles de l'année françai se. Mais le subterfuge ne résista pas longtemps, Je dOlmai l ' ordre aux selvices de sécmlté de démanteler l' organisation année et de récupérer les rumes, tout en veillrult à trouver des débouchés dans les domaines autogérés pour ceux qui choisiraient de rester en Algélie, QUrult à ceux qui ont préféré bénéficier de la grâce royale, nous leur avons facilité le retour da!ls leur pays, La confusion entre mon nom et mon prénom m ' a créé un sérieux problème avec Hassa!l H, Durrult la première visite de Boumediene au Mru'oc, j ' étais la deuxième personnalité de la délégation drulS l'ordi'e protocolaire, mais Hassrul Il modifia la liste et me classa au quauième rrulg, Je sentis, durrult les enu'etiens, que le roi était froid et distrult avec moi et complis la raison de cette attitude, Le soir, je refusai de prendi'e prut au dîner qu' il avait dOlmé en l ' hO/mem' de la délégation algérielme. J' avais dit à Mouloud Kassim : « Si jamais Boumediene le demande la raison de mon absence, dis-lui que je suis fatigué el que je ne pourrai pas assister à la cérémonie », Plus tru'd, Bomnediene reprochera à Hassa!l n son compOltement vis-à-vis de moi. Lors de ma deuxièlue visite au Maroc, je sentis le roi nl0ins hostile à mon égard. AVa!lt sa première renconu'e avec le monru'que alaouite, Bomnediene misait sur l' opposition mru'ocaine, Il considérait que l' Algélie était redevable au Mru'oc, pour avoir lui -même longtemps séj om11é à Nador et Oujda, où il fut témoin de l ' accueil réselvé pru' le peuple mru'ocain aux moudjaltidine.

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Du coup, son appui à cette opposition était rIDe marque de recOlmaissance au peuple marocain. Mais, après les sonunets d' Ifrane et de TIemcen, Il s'abstint de faire le moindre pas qui eût pu polluer l'atmosphère entre les deux pays. Cette période fut caractérisée par rUl respect mutuel et rUle bOlme entente, les deux honunes évitant les discours polénuques. Panni les signes apparents de cette nouvelle politique, la décision de Boumediene de me désigner pour le représenter, du 12 au 22 mai 1970, aux trois fêtes marocaines : la fête du Trône, la fête de la Jeunesse et la fête des Forces années royales, ou les {{ Trois g lorieuses », conune les appellent les Marocains. La délégation était composée des chefs d' état-major de toutes les Régions nulitaires. Les relations entre les deux pays étaient bonnes. Nos frères luarocains nous reçurent avec les honneurs et firent montre d' rIDe grande hospitalité à notre égard. Nous primes part au gigarrtesque défilé nulitaire orgarrisé à cette occasion. J'étais assis à la droite du roi Hassan II, tarrdis que son frère Abdallah, 1' héJitier du trône, était assis à sa gauche. Les délégations étrarrgères étaient étonnées de la chaleur de l ' accueil qui nous était réservé par' Hassan II ; il n' était pas dans ses habitudes de faire s'asseoir à sa droite dans sa cabine royale un invité étrarrger quel que fût son rang. Un général m ' expliquait, debout à ma droite, légèrement décalé vers l ' ar1ière, les détails de la parade à laquelle avait pris part une formation de l' armée algérierme. Durarrt cette visite, le roi me décerna une Médaille royale. Fait saillant, l ' officier de rarlg qui pOltait l ' emblème national et qui n' était autre

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que mon frère Abdelmalek, refusa de baisser le drapeau au passage du roi devant la f0!111ation algériemle. Quand on lui en demanda la raison, il répondit en ces tenues : « Le drapeau pour lequel sont tombés un million et demi de martyrs ne peut être baissé devant un homme, fiit-ce lin roi l)}

Oufkir tâte le pouls A la fin du défilé, le roi chargea le général Oufkir d' organiser des cérémonies en l' honneur de la délégation algéliemle. Avant cela, l'officier supéIieur marocain avait demandé à Chabou s' il n' était pas inconvenant d' aborder avec moi des sujets politiques. Pendant que nous visitions Casablanca, Oufkir s ' enquérait de temps en temps de noh'e situation. Un JOur, un groupe de jelUles officiers , au grade de conunandant, s ' approchèrent de moi . Après discussion, je compIis qu' ils voulaient me faire passer un message. Ils finirent par me livrer le fond de leur pensée : « Essaye~, en Algérie, d 'empêcher Kadhafi de sceller une union entre la Libye et l 'Egypte, en attendant que nous ren versions la monarchie ici au Maroc et mettions en place lin régime républicain. Après, nOlis construirons ensemble "Union du grand Maghreb arabe ». Je reconnais que leur audace me laissa pantois. Je me demandai, au fond de moi-même, si ces officiers étaient sélieux ou essayaient juste de jauger les intentions de l'AlgéIie. Je découvlis le subterfuge lorsque je m ' aperçus que le général Oufkir les appelait auprès de lui l ' IUl après l' auh'e, visiblement pour qu' ils lui rendent compte de mes propos . L' ère était aux coups d' Etat en AfIique, en

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Asie et dans le Monde arabe, et le Maroc n ' était pas à l 'abl1, Mes doutes se continuèrent lors de notre déplacement à Manakech. Je descendis à la Mamounia, lUl hôtel de haut standing très apprécié par l ' ancien Premier Ministre britannique Winston Churchill . J' avais pour habitude de me réveiller tôt le matin et de prendi·e mon petit déj euner dans le hall de l ' hôtel. Alors que j ' étais seul, lUl jeune hOlmue s' approcha de moi et me demanda la pennission de s ' asseoir à ma table. Il me parut bizane. Après lm moment d' hésitation, il me tint le même di scours que les jelmes officiers de Casablanca. J'éludai ses questions par des réponses évasives en prétendant ignorer tout du sujet. J' étais convaincu que c' était encore lm élément du général Oufkir. De deux choses l ' une : soit Outkir vmùait cOlm3Ître ma position sur le roi et la monarchie en général, parce qu' il savait que j ' étais à la tête de grandes unités de combat de l ' armée algérielU1e statiOlmées sur les frontières avec le Maroc, soit il était sérieux et échafaudait lm plan pour détrôner Hassan Il . De retour en Algélie, j ' en infonuai Houari Boumediene. Il ne me répondit pas et se contenta de sowire, COlmue à son habitude. Bowuediene était-il au courant de quelque chose ? Franchement, je n'en ai aucune idée. Je n'avais aucune relation avec le général Outkir. Pourquoi alors avait-il tenté de me sonder SlU· cette question ? Cette intelTogatian m ' inhigue à ce j our. Je savais, par conh·e, qu' il enh·etenait de bons rapp0l1s avec le colonel Chabou, secrétaire général du ministère de la Défense nationale, tous deux ayant selv i sous le

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LES RELATIONS AVI C LE MARoC AVANT 1979

drapeau français. Lorsque le colonel Chabou périt dans lm accident d' hélicoptère, en avril 197 1, le général Oufkir assista à ses ftmérailles et plem-a sa mort à chaudes lannes. Des informations non confirmées parlent d'lm complot coordOlUlé entre Chabou, Oufkir et ml général tmnsien, lui aussi ancien conscrit de l' armée fr
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accord pOitant sur la création d' une conmussion mixte chargée d' officialiser le bomage des frontières . La comnussion était co-présidée par Mohamed ZerguiIu et le général Oufkir. Le Maroc recoillmt l'algérianité de la nune de Ghar Djebilet et les deux pruties conviurent de créer une société mixte pour en assurer l' exploitation conjointement. Le sonunet fut llll succès sur tous les plaJls, puisqu' il ouvrait la voie vers l 'apaisement du climat politique et fai sait naître l' espoir d' une coexistence pacifique et d'lm retolll" à des relations nOimalisées entre les deux pays. DrulS le même temps, BOUluediene luena lllle nussion de bons offices entre le Mru"oc et la Malllitruue. Ses effOits furent cOlll"onnés par un accord de bon voisinage entre les deux pays et aboutirent, en septembre de la même ruUlée, au SOimnet de Nouadlubou qui recOimnaJlda l'accélération de la décolonisation du Sallru
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LES RELATION S AVE C LE MARoc AVANT 1979

une monarchie constitutiormelle, tllle autre tentative de coup d' Etat eut lieu, menée, cette fois, par le général Oufkir lui-même ; lui qui était considéré conuue le pilier du royamue, Ici, en Algérie, nous savions que l 'opposition et une partie de l' élite militaire étaient attirées par' l ' expérience algériemle en matière d' industtialisation, de réforme agraire, de démocratisation de l ' enseignement, etc" et qu' elles aspiraient à renverser la monar-clue pom constnùre un Maglueb mu , Mais l ' Algérie s' en tint au principe de noningérence darlS les affaires intériemes de ses voisins. Cette expéIience nous avait dénlOlltré à tous, et en premier lieu à Bomuediene, la fragilité du tt'ône, après les nombreuses secousses qtÙ le firent vaciller en moins de denx arlS, NéaruuoitlS, nous n ' avons jaruais tenté d' exploiter situati on , Certes, Bomuediene corlSidérait Hassatl H conuue tlll obstacle important sm le chenun de l' muté magluébine, mais, après les sonuuets d' Ifi'atle en 1969 et Tlemcen en 1970, il adopta tllle politique pragmatique à son égar'd fondée sm la cohabitation et le respect mutuel. Il s' est interdit tout soutien à l ' opposition mar'ocaine qtÙ corlSidérait l' Algérie COllUue ml modèle et un exemple, Bomnediene dépl oya des efforts titarlesques pom sauver le projet d' Uruon du Maglu'eb ar'abe, Il s' efforça de convaincre le roi de la nécessité d' appliquer l ' accord de Nouadlubou signé par' l'Algérie, le Mar'oc et la Mamitarue et qui appelait clairement il intensifier et il coordormer les efforts entre les chefs des trois Etats pom accélérer le processus de décolorusation darlS la région confor-

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mément aux résolutions des Nations lmies. Mais ce projet d' unité butait sans cesse sm la question du Sahara Occidental. Le roi du Maroc accusait l' Algélie de vouloir déstabiliser son trône déjà chancelant, par son soutien politique et militaire au Front Polisatio. Pire, la presse mat'ocaine n' a jatnais cessé d'accuser l' Algélie de nOlmir des visées tenitOliales sm le Sahat·a. Je témoigne, aujow'd' hui, que Houatl Bownediene n' a jatnais posé le problème sous cet atIgle ni dmant les sessions du Conseil de la Révolution ni au COlrrs de nos rencontres. Nous militions tout bonnement pom l' élimination du colonialisme dont nous avions tellement souffel1 et dont nous cOlUlaissions les affres lnieux que quiconque. Nous avons plis fait et cause pom le droit à l' autodétennination, consacré par l'organisation des Nations wues datlS sa Chat1e adoptée au lendemain de la Seconde GuelTe mondiale. L' ONU a appelé, datlS plusiems de ses résolutions, à se confonner à ce plincipe au Sal13.Ia mat'ocain et a engagé l' Espagne à organiser un référendum au Sal,at." Occidental. En Algélie, nous avons approuvé le référendwn sur l' autodétennination de notre pays pat1atIt de notre atnère expélience colOluale et des lourds saclifices consentis durant les atUlées de guelTe. Mais le Mat·oc et la Mawitatue, pOm1atIt signataires des docwnents onusiens, complotaient pour se pat1ager le tenitoire salu·aoui. Hassan II et Mokhtat· Otùd Daddall conclment, en octobre 1974, lm accord secret aux tennes duquel le Maroc atUlexait la pattie nord et la Mamitatue la pattie sud du Sal,at'a Occidental . Par la suite, les deux dili-

LES RELATIONS AVIC LE l\IIAROC AVANT 1979

géants se rétmirent à Rabat pow- effectuer le tracé des frontières avant de signer un pacte de défense COlmnune.

Nous sentions que toute celle manœuvre était ditigée contre l' Algétie. Les calculs de chaclm de ces deux pays étaient clairs : Hassan Il œuvrait à isoler la Mawitanie de l' Algétie et faire accroire à la conummauté intemationale que le dossier Sallraoui était définitivement clos. Ould Daddall, lui, voulait réfréner les ambitions du Maroc qni lorgnait du côté de son tenitoire, en scellant lUl nouveau tracé des fi-ontières entre son pays et son voisin du nord. Le revirement fulgw-ant d'Ould Daddall était perçu par Bownediene COimne Wl coup de poignard dans le dos, voire lUle haute traluson de ses engagements plis avec l' Algélie. Le président mawi tatuen ne ratait aUClille occasion d'affinner qu'il était lill atm de l'Algérie où il passait le plus clair de son temps. Il se fowvoya complètement lorsqu'il crut qu'il allait s' épat-gner les foudi-es du roi en tOWllatlt casaque. J'ai entendu BOWllediene tenir au président Olùd Daddah, lors de sa denuère rétmion avec lui à Bechat-, en présence de membres du Conseil de la Révolution - la rétmion dtll"a cinq hew-es -, des propos qu'il n' avait jatnais tenus aupat-aVatlt. Boumediene avait perdu son flegme habituel lorsque, datlS lill discours qui a fait date, il s' en ptit au président mawitatuen en des tetmes peu cowtois. Depuis lors, il dOlU1a des instmctions fennes pow- soutetur l'opposition d'Ülùd mawitanietU1e jusqu' à la déchéatlce Daddall, en juillet 1978. Son ralliement au Mat·oc datlS l'affaire du Sahara Occidental et son incapa-

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cité à maîtriser la nouvelle situation sont les deux raisons directes de sa déposition. Les relations avec le Maroc et la question sahraouie étaient au centre des préoccupations de Boumediene. C' était à l' ordre du jom de toutes les réunions du Conseil de la Révolution, de même qu'il m'en parlait tout le temps dmant ses fréquentes visites à la 2' Région militaire. C' était moins tUle obsession qu' mte question d' honnem. Il répétait sans cesse qu'il ne laisserait pas le roi spolier les tenes salu·aouies. La situation se détériora après la marche organisée par Hassan Il qui occupa ainsi le Sahara Occidental. Par cette action, le roi SOIUla le glas de l' accord d' amitié entTe nos deux pays. Nous avions deux choix : recom1r aux atmes ou régler le conflit pat· la voie diplomatique fondée sm le respect de la légalité intemationale et des décisions des Nations unies et de la Com intemationale de Justice. Nous débattîmes longuement de la question du Saltat
leurs bases en cas de guerre. » Je n'avais pas le droit de lui mentir datlS des circonstances aussi graves. Ce qu'il avait entendu lors de la rémtion ne lui a

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LI S RELATIONS AVE C LI MARo c AVANT 1979

pas plu_ Il réagit violenunent : « Alors, cela vellt dire qlle je n 'ai pas d 'hommes .1 » Quand je lui répétai que je ne lui avais dit que la sbicte vélité et qu'il fallait que nous la prenions en considération, il me répondit, plus calme : « Je ne parlais pas de toi, Chadli .1 » Puis, il s'adi-essa à Abdelaziz Bouteflika : « Dans ce cas, prépare tes bataillons, Si Abdelaoio .1 » Il voulait dire que nous n'avions d' aub-e choix que de privilégier la solution diplomatique_ A nob-e sortie de la rélUuon, lUl membre du Conseil crut utile de me metb-e en garde : « P Ollrqlloi t 'opposes-tu à lui ? 11 t 'en tiendra rigueur e t se vengera de

toi , » Et d'ajouter, médisant : « S 'il était lin homme, il j etterait son burnous et ren trerait che: lui

sans pills attendre .1 » Je lui répondis, assonullé, SlU-

tout que cet énerglUllène se b-ouvait sous la protection de ce luêlue blUTIOUS : {( Je suis militaire co mme lui et j 'ai dit ce que j e p ensais en toute franchise_ Cela dit, j e SlIis tout à fa it prêt à prendre ma retraite et redevenir un citoyen normal, (si c 'est ce

vellx dire] .1 » Boumediene préférait ma francluse à l 'hypocrisie des cOlUtisans et des flagorqlle

fil

neurs.

Partant de mon constat, il chargea Moharlled Zerguilu et Salim Saâdi d'effectuer une inspection générale des lUutés de la 2' Région lnilitaire et de lui présenter lUl rapport détaillé SlU lelU état en matière d' orgarlisation, d' armement, d'approvisiormement et de prépar-ation au combat. Un mois plus tar-d, le rapport était SlU son blUeau_ Zerguilu et Saâdi étaient ar1ivés à lUle conclusion aub-ement plus accablante que la lnielme_ Quand BOlUllediene lut le contenu du rapport, il les éjecta

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de son bureau, honipilé. Puis, au bout du compte, il finit par se rendre à l' évidence que je disais vrai . Mais il y avait panni nous des aventuriers qui le convainquirent de la possibilité de l' intervention d',m bataillon fonné d' appelés du contingent à paItir de BechaI. Celte maladi·esse nous valut le tragique épisode d' Amgala 1 où nos soldats furent faits prismullers. Nous étions en état d' alerte maximale et les deux pays s ' engagèrent dans une spirale dangereuse qtÙ entaIna gravement les relations enti·e eux et faillit conduire à lme guelTe aux conséquences fâcheuses. La colère ne manqua pas de gagner les rangs de l'aImée, taIldis que certains membres du Conseil de la Révolution tentaient de faire pOlter à Botunediene la responsabilité de celte hturuliation, l ' accusant de salir la réputation de noti·e aImée. Mais Amgala 2 sauva la situation et remit Botunediene en positon de force. L' incident eut également des contrecoups politiques à l' intérieur du pays, après la signature d' tul appel paI· Ferhat Abbès, Benyoucef Ben Khedda, Hocine LallOuel et Cheikh Kheireddine en maI:; 1976. Bien que le doctunent appelât les deux paI·ties à aITêter la guelTe au nom de la fratelTùté mustùmaIle et de la solidaIité humaine et regrettât le mauvais ti-aitement infligé aux ressorussaIlIs maI·ocains - qui seront exptùsés - et la IJ-agédie vécue paI· les poptùations de Segtùa EI-HaIma et du Ri o de Oro, le message, en réalité, était tule incitation à la destitution de Boumediene, accusé d' autocratie et d' idolâtiie, et une remise en cause des grands choix du pays. Le doctunent contestataire fut d' autaIlI plus critique qu' il coïncida avec

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les débats sm la Charte nati onale et l'élection présidentielle. Bomnediene se sentit particlùièrement visé par le marufeste et prit la décision de faire placer ses autems en résidence smveillée à lem domicile. Les relations algéro-mar-ocaines restèrent tendues, mais les deux pays réussirent à ti-anscender l' état de gUelTe en dépit de carnpagnes médiatiques féroces. Sm le plarl diplomatique, il n' y eut ni vainquem ru vaincu . La rencontre qui devait se terur à Bruxelles enti-e Houari Bownediene et Hassarl II n' eut pas lieu. Fin septembre 1978, nous apprîmes la maladie de Bomnediene, après son retom du Sonunet du Front du refus qui s' était tenu à Daruas. Le 27 décembre, il 1111 rappelé à Dieu. La crispation enti-e l' Algérie et le Maroc demema jusqu' au jom où je renconti-ai le roi Hassarl n, le 26 février 1983 [au frontières]. Nous décidàmes ensemble de rouvrir les frontières fermées depuis 1975 _ C' était ma prenuère interv ention darlS le dossier des relations entre l'Algérie et le Mar-oc et de l'affaire du Sallar-a Occidental, hérité de feu Houari Bomuediene. Je veillai à le suivre persolUlellelnent avec persévérance et constance dmarlt mes ti-eize armées passées à la tête du pays. D' auclUls parièrent que j'allais abandonner la cause saluaouie et m 'en laver les mains à la façon de Ponce Pilate, partar1l de la thèse que le conflit enti-e l' Algérie et le Maroc était dû à lm duel entre le président Bomuediene et le roi Hassan II . Ceux-là oublient que la position de l' Algérie est lUle position de principe fondée sm

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le droit des peuples à l'autodétennination et le règlement des conflits dans le cadre de la légalité intemationale.

CHAPITRE XI SOUVENIRS DE VOYAGES

J'ai eu la chance de visiter quelques pays dont je garde d'excellents souvenirs. Mes voyages m'ont pennis de découvrir les expéIiences d'autres peuples qni m' ont grandement servi dans mon parCOlU"S en tant que responsable militaire et politique. J'ai visité la Chine, l' Egypte, le Maroc, Cuba, l' Union soviétique, la Tchécoslovaquie et l' Ouganda, en tant que représentant peI"SolUlel de Bownediene ou du Conseil de la Révolution. Mes souvenirs les plus marquants restent mes rencontres avec le leader chinois Mao Zedong et avec le président égyptien Djamel Abdennasser.

Vous êtes merveilleux! Il «

lUI

gralld peuple et votre pays est

Mon premier voyage après l'indépendance m'a conduit à la lointaine Chine. C' était en octobre 1963. Près d'Wl demi-siècle plus tard, je ressens toujoms le même bonhem lorsque je me remémore ce pétiple. Hourui Bownediene me convoqua au ministère de la Défense nationale et me chru·gea de

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conduire lme impOltante délégation militaire qui compOltait les chefs d' état-major des Régions nùlitaires, en Clùne pom pmticiper à la célébration du 29' anrùversaire de la Longue Mm'che, Une autre délégation algélielme civile était conduite par Amar Ouzeggane. J' avoue que j ' étais hemeux et peltmbé à la fois, Hemeux parce que l ' occasion m ' était offelte de visiter lUl pays mm qlÙ a foumi à l' A1gélie un soutien politique et lmlitaire inestimable dmant la lutte année. Peltmbé parce que mes compagnons et moi-même voyagions pom la prelm ère foi s à l'étranger et ignOlions tout des règles protocolaires dans lesquelles nous étions totalement néophytes, Les Chinois voulaient nous assister dans le domaine lmlitaire et, dans le même temps, sOltir de l ' enclavement dmlS lequel ils se trouvaient et étendre lem influence aux pays nouvellement libérés du joug colonial . J'intelTogeai BOlUnediene - P ourquoi n 'irais-tu pas toi-même, d 'autant que l'invitation t 'a été adressée p ersonnellement en tant que ministre de la D éfense ? JI me répondit sm le ton de l' honune assmé du bien-fondé de ses doutes : - Il veut nous couper l 'herbe sous Je pied. .. « 11 », c' était Ben Bella, Et d' ajouter, sm lUI ton touj oms aussi allusif : - L a situation n 'a rien de réj ouissant. BOlUnediene craignait de quitter le pays parce qu' il flairait lUl coup founé de Ben Bella qui l ' eùt éjecté du Conseil du gouvemement et débm'qué de son poste de lmlùstre de la Défense nationale en son absence,

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SOUVENIRS DE VOY AG ES

Nous embarquâmes pom Pékin. Dmant tout le voyage - faute de vol direct sm Pékin nous avions dû transiter par Palis et Hong Kong -, les propos soupçOlmeux de Boumediene me hantaient l' esprit. Lorsque nons atten1mes à l' aéroport d'Orly-Sud, un incident faillit provoquer IUle crise diplomatique entre l' AlgéJie et la France. A notre descente d'avion, nos passepOits nous fment confisqués et l' appareil resta inunobilisé sm le tarmac de l' aéropOit dmant de longues hemes. Quand je protestai en ma qualité de chef de la délégation, je découvlis que mon nom était sm lme liste de condanmés à mOit interdits d' entrée sm le tenitoire françai s. La France n' avait pas mis à jom ses fiches de contrôle aux frontières plus d'Wle rumée après l' indépendrulce de l'Algérie. Après Wle longue attente, les responsables de l'aéropOit reçment instruction de nous laisser repartir. Quruld mon passepOit me fus restitué, il était mouillé et fi'oissé, si bien que j'avais failli ne pas le recOlmaître. Nous remontâmes à bord de l'avion et, après lm très long voyage, atten1mes à Hong Kong, où nous attendait le directem de l' agence de presse chinoise. Ne pru'lant que le fi'rulÇaiS, nous eûmes tout le mal du monde à conunuuiquer avec les responsables de l' aéropOlt, jusqu' à ce qu'wle interprète crunbodgiemle fiH appelée à la rescousse. Dès qu 'ils sW'ent que nous étions algéliens, ils se mirent à nous parler de la Révolution dont ils suivaient les nouvelles de près, omettrull même de nous deluander nos CaInets de vaccination .

Les officiels chinois nous attendaient à la frontière, car les relations entre la Chine et Hong Kong

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étaient rompues. N ous montâmes dans lm train spécial omé aux cmùems algéliermes en direction de Pékin. Le ti'ain traversa pratiquement toutes les provinces de Chine ; à croire que nous refaisions la Longue Marche ! Le voyage dura toute Wle semaine. Nous étions tellement éreintés que nous demandâmes aux responsables clùnois la pemussion de rentrer au pays en lem expliquant que la situation à nos frontières ouest était explosive. Mais ils insistèrent pom que nous pom sui vions notre visite jusqu' au bout. Dans la province de N anjing, le général Xu Sluyou m ' offIit un sabre de samouraï datant de la guelTe sino-j aponaise (1 9371945). Nous avons également visité Ülümqi, capitale de la province musulmane du Xinjiang à majOlité ouïghome rurcophone. Nous Mnes impressiormés par l ' arclùtectme exceptiOlmelle de lems mosquées et étonnés, swtout, d'apprendre qu' ils cOlmaissaient bien l' AlgéIie et qu' eux aussi s' intéressaient à notre Révolution année. Le nunistre de la Défense chinois, le maréchal Lin Piao, sWl10nuné le N apoléon de la Chine, était quelque peu contraIié par l 'absence de Bownediene. N os tentatives pom expliquer à nos hôtes les raisons impélieuses - sans entrer dans les détails - qui l'avaient empêché de répondi'e à l ' invitation fment vaines. Lin Piao ne nous reçut pas et chargea son chef de cabinet de nous accompagner. Il n' empêche, le séj om ne fut pas exempt d' anecdotes. Celtains membres de la délégation étaient déconceltés par la façon de saluer des Clunois et le sowire qui ne quittait jamais lems lèvres. La veille de notre retom en Algélie, via la

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SOUVINIRSOE VOY AGES

Binnanie et l ' Egypte, le leader chinois Mao Zedong, accompagné de Chou en-lai et des membres du Bmeau politique, organisa lUle cérémonie en noti'e honnem. Il nous fit lUl accueil d' une cordialité exti'ême. Je garde en mémoire les mots qu' il m 'avait dits ce jom-liI : ({ Vous êtes 11/1 grand peuple et votre pays est merveilleux .1 » La colère de ChoukaÏIi il Gaza En 1966, j'accompagnai Hourui Boumediene, pru111i lUle délégation militaire de haut rang, drulS sa prenùère visite officielle en Egypte. Bownediene accordait à ce déplacement une importance pruticulière ; il œuvrait il relrulcer les relations enti'e les deux pays après la péliode de fi'oid qui avait slÙvi le redi'essement de jlÙn 1965, Il était au comant des difficultés que traversait l ' Egypte il l' intéIiew' conune à l'extéliem, notrufUnent son implication daJls la guelTe civile au Yémen et la menace israéliefUle. La visite fut un succès il tous les égru'ds : Elle consolida la position de l ' AlgéIie drulS le Monde arabe et raffemùt le prestige de BOlUnediene dans la région. Le gouvemement égyptien avait adopté - c'est COfUm - lUle position tactique pru' rappOlt au redi'essement du 19 jlÙn, Le Caire tenait à ce que les relations entre nos deux pays se pomSlùvent nonnalement, tout en s ' inqlÙétaJlt sm le SOIt réservé à Ben Bella. Dj runel AbdefUlasser avait, en effet, dépêché le maréchal Abdelhakim Amer, qui était accompagné du jOlU11aliste et éClivain Hassrulein Heykel, il Alger pom discuter de la possibilité de libérer Ben Bella et de lui pennetti'e de

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se rendre en Egypte. Mais Bomnediene avait hésité à prendre une décision individuelle sm cette question sensible et préféré la somnettre au Conseil de la Révolution. J' avais dit à Bomnediene : « Ali nom de quoi les Egyptiens s 'immiscent-ils dans nos affaires intérieures? » Il lue répondit : {( Au nom de l 'arabité ». Je rétorquai : {( Si l'arabité veut dire s 'ingérer dans nos affaires intérieures, alors, nous ne sommes plus des Arabes ». Bac1ùr Bomnaza, qlÙ était assis à côté de moi, laissa échapper un larg e somire. Depills ce jom, et à chaque fois qu ' il me rencontrait, il me lançait, en me taqlùnant : « Si Chadli, nous ne sommes plus des Arabes l )} Nous avions, bien entendu, rejeté la demande égyptierme. Au Caire, Aluned Choukaiii, le représentant de l 'OLP auprès de la Ligue arabe, rendit visite à Houari Bomnediene et lill demanda d'autOliser la délégation llÙlitaire algéIierme à se rendre à Gaza . ChoukaÏ1i votilait à travers cette visite, remonter le moral des combattants palestirùens en lem faisant rencontrer les moudjalùdine algériens. La Révolution algérierme était, à l ' époque, pom' le peuple palestirùen ml modèle et ml exemple. Nous embarquâmes à destination de Gaza à bord d' un avion spécial égyptien et prîmes part à un meeting dmarlt lequel ChoukaïIi par-Ja avec exaltation de la libération de la Palestine et de la solidarité des frères ar'abes avec la cause palestirùerme, pills il salua la délégation algéIienne et ne tarit pas d' éloges sm notre Révolution armée, La fmile scandait des slogans glorifiant l 'arabité, l ' Egypte, l ' Algérie, Abdermasser.. , Au moment où la masse criait « Vive Abdennasser ! », Choukaïri me tendit le

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micro, en ma qualité de chef de la délégation algérienne, sans qu' il m ' en eût averti auparavant. Pris de comt, j e dus improviser ml petit discom's dans lequel je saluai le comage de la résistance palestilùerUle et assmai le peuple palestinien du soutien inconditionnel de l ' Algérie à ses droits légitimes, avant d'appeler les combattants palestiniens à ne compter que sm eux-mêmes . J'aj outai que le soutien des frères arabes était impOit ant mais qu' il ne suffisait pas. « La Révolution algérienne en est la pa/faite illustration », expliquai-je. Je rappelai que le soutien extériem nous avait beaucoup aidés mais que nous ne devions la victoire finale qu' à nos effOits propres. Je ne m ' étais pas rendu compte que la plupart des officiers et sous-officiers instructems étaient des Egyptiens. Les serv ices de sécmité égyptiens comprirent, à travers mon discoms, que j'incitais les Palestilùens à rejeter la tutelle égyptienne et à se rebeller contre elle. Je savais, du reste, que Choukaïri travaillait en étroite coordination avec les services de renseignement égyptiens, mais mon intention n' était pas de créer tme discorde entre Palesti.rùens et Egyptiens. Loin de là. Le lendemain, Ahmed Choukaïri repartit en Egypte, fmieux, dans le même avion... mais sans nous ! La délégati on algérierme dut alors rej oindre l'Egypte sm ml vol régulier, dans 1U1 appareil plein à craquer de voyagems ployant sous le poids de lems bagages. Il y avait parmi eux IUle fenune qui pOitait un parùer rempli de poules. L' avion ressemblait à IUl de ces autobus bondés des rues du Caire. Après mle escale tecluùque à l'Olt Saïd,

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nous attenimes enfin au Caire. Au pied de l ' avion, il y avait le représentant de l 'OLP, mais point d' officiel s égyptiens. Nous rentrâmes au Kasr AIOubba Palace, le lieu de résidence officiel de la délégation, à bord de deux véhiclùes loués par le représentant palestinien. Nous dfunes porter nos valises nous-mêmes de l'entrée de l ' hôtel jusqu' à nos chambres. Je fi s exprès de critiquer la situation en Egypte tout au long du trajet. Je savais que la pluprut des chauffems de taxi en Egypte étaient des indicatems des services secrets ; je voulais donc que mes attaques lem parviennent. Lorsque Abdermasser fut mis au COUl<mt du cornportement indigne de Choukaïri, il le sennorma. Le soir même, Abdermasser org ruusa lm dîner en 1' hormem de la délégation algérienne et insista pom que je m ' asseye à côté de Hussein El Chafei - son vice-président et responsable des affaires d' Al Azhru· - et de deux rutistes renommées ; je crois que l ' une d' elles n ' était autre que Faten Hrunruna. Abdermasser était assis avec BOlUnediene à la table d' en face . Il sOluiait tout le temps à notre adresse et faisait signe, de temps en temps, à El Chafei de discuter avec moi. Je ne rapportai pas l' incident à BOlUnediene cru· je savais que Kasdi Merball, qui était du voyage, l'avait déjà fait. Nonobstant cet événement, notre séjom au Caire fut très bénéfique et agréable. Les Egyptiens nous invitèrent à lUI concert d' OLUn KaitholUn et nous réservèrent la prenuère rangée. Quruld la diva se nut à chrurter, elle nous salua en agitant son foulru·d qu' elle tenait touj oms dans sa main sm scène. BOLUnediene était lUI grand adnU-

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SOUVENIRS DE VOlAGES

rateur de la cantatIice egyptienne dont il COlUlaiSsait le repertoire par cœur, mais Nasser etant absent, il ne put assister à la soirée pom des considérations protocolaires . Mon périple au pays des Pharaons m ' a pennis de decouvrir le sens de l ' humour egyptien. Même AbdelUlasser avait la blague facile . D' aillems, on dit qu' il amait institué lm service special pom collecter les histoires drôles. Il disait : {( Je suis le sel/l et unique ::aïm et je ne partagerai ce tih"e avec personne d 'atih'e qu 'Olim Kalthol/m ! » Il nous raconta la blague slùvante : IDl jom, Mohamed Abdelwallab est venu se plaindre des taxes trop élevees qlÙ I,ù etaient imposees. Sachant à quel point il etait pingre, AbdeJUlasser hù repondit {( Calme-toi Mohamed, pourquoi t 'emportes-tu ainsi ? Nos frères algériens, pOllrtant connus pour leur nervosité, 11 'ont pas bOl/gé le petit doigt lorsql/ 'ils ont appris le COI/p d 'Etat conh'e Ben Bella. Et toi tll perds tes IleIfS pOllr une banale histoire d 'impôts ?Vaen Algérie, ça t 'apaisera .1 » Cette observation en apparence humOlistique, n' en cachait pas moins IDl sous-entendu politique. Une autre blague etait en vogue, à cette epoque, qlÙ disait que Boumediene, en se promenant avec AbdelUlasser dans les lUes du Caire, hù demandait de COiltoID1ler tel ou tel quattier pom eviter d' être alpague pat' les conunerçants à qlÙ il devait de l' agent du temps où il etait etudiant à l ' universite El A=har. Quelque temps plus tat'd, il fut decidé, lors d'lm sonunet de la Ligue at-abe, la création d' Wl office en chat'ge de la coordination entre les at11lees at-abes. Une délegation rnilitaire egyptielUle, cond,ùte

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par un général, visita la 2' Région, mais je refusai de la recevoir et chargeai mon chef d'état-major de l' accompagner. Je n' avais toujours pas digéré le coup de Choukaüi à Gaza. Pour l ' histoire, le général égyptien s' en était plaint à Bomnediene. Chez les leaders de la Révolution cubaine J'ai découvelt Cuba et ses chefs révolutiOlmaires en 1968, lorsque j'ai représenté l'Algérie à la conunémoration de l' attaque de la caseme Moncada. Mon séjour dura dix jours. Les relations entre nos deux pays étaient plutôt tièdes, caractérisées par une méfiance mutuelle, suite à la condarllilation par· Fidel Castro du redi·essement du 19 juin 1965. Ce jour-là, il prononça lm discotu"s virulent diffusé par· la radio cubaine qui eut pom· conséquence le rappel des arnbassadeurs des deux pays et la felmeture des bm·eaux de l'agence de presse Prensa Latina à Alger. Ma visite à Cuba était IUle occasion de coniger la fausse image que les Cubains avaient de nous ; ils ignoraient tout de l' expélience algélienne de l'après-indépendance. Castro et ses compagnons, qu' tille arnitié solide liait à Ben Bella, considéraient son renversement comme tille contre-révolution et IUl coup d' Etat contre la légitimité révolutiollilaire et la volonté du peuple. Castro était même allé plus loin, en affilmarlt : {( Ils onl retourné les armes de la Révolution contre celui qui représentait incontestablement la volonté de t01lt le peuple ».

Il était impératif de lever ce malentendu entre deux pays à l'avarlt-gar·de du mouvement de libération nationale. Ma mission était avant tout poli-

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SOUVENlRS DE VOYAGES

tique et consistait à réchauffer les relations bilatérales et les remettre sm les rails. A l ' aéropOit de la Havane, nous fûmes accueillis par le conunandant Oscar Femandez Mell, membre de l ' état-major et du Comité central du pruti conu11lmiste cubain, M. Gru·cia, responsable du déprutement Afiique du Nord au ministère des Affaires ét:rrulgères, et le capitaine Luis Perez, responsable des relations extéliemes au ministère de la Défense. Nous descendimes à l' hôtel Habana Libre et nous y reposâmes toute la jomnée. Le cOlnmruldant Mell s'excusa de ne pas pouvoir rester avec nous. Il était occupé à rassembler 50 000 soldats dans la province de Crunagüey. Le lendemain, les cOillinruldrults Mell et Flavio Bravo, le responsable de la défense civile, paru:rent gênés quant à l' orgruusation du progrrulline de la visite. Je lem fis prut de mon smùlait de rencont:rer Annando Hrut, membre du Bmeau politique chru-gé de l' Ol-gruuque, Raul Cast:ro, nUlustre des Forces rumées, et Ratù Rua, nunist:re des Affai.res étrangères. Le 30 juillet, nous nous envolâmes pom la province d' Oliente, berceau de la Révolution cubaine. A Srultiago de Cuba, nous consacrâmes la j OtU1lée à la visite des sites lustOliques consacrés au héros Frank Isaac Pais Gru·cia, assassiné à l 'âge de 22 rulS et que les Cubains considèrent conune tm mrutyr de la Révolution. Nous eûmes l' occasion de visiter aussi la fenne d'où était pruti le mouvement du 26 juillet et la caseme Moncada, transfonnée en école. Le lendemain, on nous fit découvlir les réalisations qui avaient vu le jom· dans cette pro-

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vince gouvemée par le cOlwnandant Glùllermo Garcia Fria, tels que les banages, une fenne d' Etat et un 1'011 de pêche. Par la suite, nous nous rendîmes au deuxième fiont ouver1 par Raul Castro, le frère du Lider Maximo. Le vendredi, je visitai le poste de contrôle de la base américaine de considéraient Guantanamo que les Cubains cOlwne lm taquet dans le corps de l'île de la liber1é. Je ne pouvais pas imaginer que cet îlot se transformerait, sous l'ère Bush, en une prison où les règles les plus élémentaires de la liber1é et des droits luunains allaient être bafouées. Le conunandant Glùllenno Garcia nous fit lm exposé détaillé sm la situation économique et sociale à Cuba et expliqua les grandes lignes de la « Révolution écono mique », conune on l' appelait làbas. Dans sa présentation, il nùt l'accent sm le rôle déterminant de l'année dans la réalisation de cet objectif (encadrement, fOimati on, contrôle ... ). Le cOlwnandant aborda l' aspect politique, faisant état des nombreuses difficultés que le régime cubain rencontrait dans sa luite l'om augmenter la production dans Wl envirOimement hostile et lm isolement étouffant, le tout ajouté à l'incompréhension des alliés, c'est-à-dire l'Union soviétique et les autres pays socialistes. Il émit le SOlÙlait que des pays cOlwne Cuba, le Viêt-nam, la Corée, l'Algérie et la S)'Iie j oignent lems effOl1s l'om renforcer lew· coopération et faire front conunWl contre les pays impérialistes. Quant au conunandant Lara, il nous parla des problèmes agricoles, notanunent l'absence de main d'œuvre qualifiée l'om la coupe de la carme à sucre. Al ' école militaire interarmes

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SOUVEMR S PE VOIACES

de Cohiba Aguillo, je constatai les grands effmis déployés en matière d' organisation et d'assiduité. Le denuer jour, je fus reçu au milustère de la Défense par le chef d' état-major qui s' excusa de l' absence de Raoul Castro. La rencontre la plus impmiante fut au nurustère des Affaires étrangères, où le nurustre essaya de justifier la froidelU' des relations entre nos deux pays par « lin simple malen/endll )l. Il salua la fermeté de la position algériemle sur la crise du Proche-Orient et exprima son espoir de voir se développer les relations entre son pays et le nôtre. La rencontre fut une occasion pour moi de faire comprendre il mon interlocuteur qu'il serait erTOné de nous considérer conune des putsc!ustes : « NOlis sommes des moudjahidine, tout comme VOllS, êtes des révolutionnaires », lui dis-je. Cette visite ouvIit la voie il une nouvelle ère dans les relations entre nos deux pays et prépara le tenain il la visite de Fidel Castro en AlgéIie qui eut lieu en mars 1972 . A Moscou

En 1972, le président Houari Boumediene me désigna pOlU' le représenter persormellement et représenter le Conseil de la Révolution aux cérémonies du 50' amuversaire de la création de l'Union soviétique, en décembre 1922 . J'étais accompagné du cOlmnarldarlt Abdesselarn Chabou et de M. Moharned Flici, représent311t du FLN. Nous nunes reçus il l'aéropOlt par' le vice-ministre de l' Enseignement supérieur, président de l'association d'amitié algéro-soviétique, vice-président du

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déprutement des affaires intériemes au Comité Central du PCVS. Etaient également présents notre runbassadem et notre attaché militaire à Moscou. Nous passâmes la première nuit drulS le somptueux hôtel Sovietskaya avec les délégations des autres pays. Le lendemain matin, nous prîmes prut à l' ouvertme des festivités au Kremlin. La cérémonie était présidée pru· Nicolaï Podgomy, président du Soviet suprême, qlÙ, après une comte allocution, passa la pru·ole au secrétaire général du pruti commlUliste soviétique, Lemud Brejnev. Celni-ci prononça le discoms le plus long que j'aie jrunais entendu (il dma quatre hemes et dernie), drulS lequel il insista sm le renforcement des relations avec l' Algérie et la Sytie. Le seul président à avoir soulevé la question palestiruerUle fut Ceausescu qlÙ appela toutes les pruties en conflit à œuvrer pom une paix juste et durable au Proche-Orient. Pru11U les délégations ru·abes, seuls les représentrults de l ' Egypte, de la Sytie, de l'Irak et de l'Algérie avaient pu prendre la pru·ole, pru· manque de temps. J'ai prononcé un comt discoms en frrulçais drulS lequel j ' ai salué les grandes réalisatiorlS du peuple soviétique et sOlùigné l ' excellence des relatimlS entre les peuples algérien et soviétique, renforcées pru· la lutte rumée dont je saluai grandement le soutien de l 'Vruon soviétique et ses louables effmts pom la liberté et la paix dans le monde et la coopération et la fratenùté entre les peuples . En fait, ce discoms a une histoire : lorsque j'appris qu ' mle délégation représentant les conumuUstes algériens allait prendre prut à la cérém mue, je demruldai à notre runbassadem d' infmmer les

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responsables soviétiques que la délégation algéIielUle se retirerait dans le cas où des AlgéIiens autres que les représentants officiels de l ' Algélie seraient invites, et de Inesurer les conséquences d' lm tel retrait sur les relations entre les deux pays. Pour éviter tout incident diplomatique, les Soviets durent se plier à mon exigence. Les conummistes algéIiens furent invités à nouer des rencontres hors de la capitale, avec les représentants du Komsomol (l ' organ.isation des j elmesses conununistes) et les syndicats, outre des visites dans les kolkhozes et les sovkhozes. Quand les festivités Plirent fin, nous fimes une visite à Leningrad (Saint-Pétersbourg) et en Estonie. Notre délégation était la seule à avoir choisi cette destination. Pour les autres délégations arabes des visites dans les républiques soviétiques musulmanes avaient été prograrrunées. Je filS ébloui pal' la beauté de la ville que nous atteigtûmes de nuit, par train. C' est Ime ville magnifique à l ' arcrutectme hannonieuse. Je visitai les sites les plus renOlTUneS, conune la maison de Lenine à Razlev, le musée de VErmitage réputé pour ses trésors d' rut wuversel, Ime usine de fablicati on de turbines pour les centrales élecl1iques et le croisew' Aurore, témoin du déclenchement de la Révolution d' Octobre. Je me recueillis au mémOlial de Piskruiovskoïé où reposent 480 000 victimes du siège de Lelungrad qui dw." 900 j ow·s. A Tallirm, capitale de l' EstOlue, j ' ai eu des discussions avec des responsables du pruti . Je lem ai pru'lé des réalisations de l ' Algélie drulS les domaines de l'indusnie, de l ' agIiculture et de la culture. Un de nos interlocuteurs avait grruldement appré-

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cié le fait que nous ayons choisi de visiter son pays « qui était p euplé uniquement de pro testants et d 'orthodoxes, avant que les M us ulmans tatars ne s 'y fixent à leur tour », nous expliqua-t-il . Le mode de

gestion d' un kolkhoze de pêche attira mon attention : les bénéficies n'étaient pas distribués aux travaillems mais réinvestis pom le développement du kolkhoze et l' amélioration des conditions de vie. Le kolkhoze éqlùvalait il une ville autosuffisante où existaient de petites industries agroalimentaires et textiles, des infrastructmes sanitail'es et des ateliers de maintenance . De retolU· il Moscou, j'eus des discussions avec MM. Oliansky, chargé de l' enseignement au sein du Comité central, Savitsky, vice-ministre de l' Enseignement supéIiem et Romantsev, responsable du dépmiement des pays arabes au Comité central . Les rencontres furent très cordiales. Les Sovietiques m' ont fait pmi de lem intérêt pom toutes les questions concemant l' AlgéIie, mais je me rendis compte qu'ils ignoraient malhemeusement tout de la politique intéJieure de notre pays. J'en veux pom preuve les propos que me tint Olimlsky sm l'éviction de Kaïd Aluned en m 'intelTogemlt sm son successeur. Je lui expliquai en deux mots que Kaïd Ahmed avait été mon compagnon d' mmes et qu'en Algérie nous constnnsions « lin Etat qui ne disp araît pas avec les hommes ». {( Ce qui co mpte pour nOliS, c 'est la voie à suivre et non les p ersonnes », lui dis-je. A la fin de la discussion, il m' avoua qu' il était satisfait du limogeage de Kaïd Aluned parce que les Soviets voyaient en lui « un élément conservaleur ». S' agissmlt du Monde arabe, Oliansky

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considérait que l ' Egypte n' était pas sélieuse dans son OIientation socialiste. Quant à la réunification des deux Yémen, il craignait que l ' Arabie Saoudite n ' en fùt le seul bénéficiaire et il fit allusion à la possibilité de voir l'AlgéIie jouer lUl rôle impOItant en matière de soutien au Yémen du Sud. A Moscou toujours, je rencontrai les étudiants algéIiens , civils et militaires, et abordai la question de l ' ouveltme d' IUl centre clùtmel algéIien dans la capitale soviétique pom lem pennettre de conserver des liens avec lem pays et lem crùtme. Je discutai avec eux aussi des questions de la bomse et de l'accueil et leur promis de transmettre lems préoccupations aux hautes autOIités du pays. Lors de la cérémonie conunémorant le 50' anniversaire de la fondation de l'Union soviétique, les discoms des prutis conununistes occidentaux ne truissaient pas d' éloges sm l'URSS . De mruùère générale, nous prutions avec la celtitude que les responsables soviétiques étaient favorables au renforcement des relations de lem pays avec l ' Algélie dont ils étaient convaincus qu' elle devait jouer un rôle prépondérant drulS le Monde rullbe et le continent afIicain. Après l ' éviction de Kaïd Aluned, le Krenùin appela à lUl rapprochement plus affilmé entre le PCU S et le FLN. Le sonunet afii cain de Krunpala En juillet 1975, j ' accompagnai le président Hourui BOlUnediene au Sonunet afIicain de Krunpala. Le sonunet m ' a pemùs de faire la cOIUlaissrulce de plusiems leaders afIicains et rull-

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bes, tels que Julius Nyerere, KelUleib Kaunda, Samora Machel, Yasser Arafat et d' autres . Je rencontrai pOlU' la première fois le jeune colonel Mouammar Kadhafi qui me pruut slU'excité. Je ne sais pas pOlU'quoi je me rappelai, à cet instrult précis, le calme et la solemuté du roi Idriss Senouci . A l' époque, Anwru' Sadate promettait à Kadhafi de lui infliger IUle leçon qu' il n' oublierait pas de sitôt. Mais l'intervention de Bomuediene dissuada le président égyptien d' aller plus loin. C ' est peutêtre pour cela, d' ailleurs, que Boumediene l' invita à nous accompagner en Ougrulda et à éviter de smvoler l ' espace aérien égyptien à bord d' IUl avion libyen. Kadhafi était assis à côté de BOlUuediene, lui expliqu3I1t les nussions des congrès populaires et les fonctions des conutés poplùaires, tentrult de le convaincre de la nécessité de supprimer les fi'ontières tenitOliaies entre les deux pays. Anné d'une rame de papier, il illustrait ses propos pru' des croquis. DIU'3I1t le sonunet, BOlUnediene avai t fait tout son possible pOlU' dégeler les relations entre Agostino N eto et Williruu Holden pOlU' faire barrage au mouvement sépru'atiste UNITA de Jonas Savimbi . Je ftlS également désagréablement SlU'pris pru' le comportement de ldi Anun Dada, devenu président de l' OUA . Beaucoup de dilige3I1ts de pays afiicains furent offilsqués par son compOitement grossier de soudru'd, son runbition excessive et ses attitudes aussi folkiOliques qu' oulI'3I1cières. Dans une nuse en scène frultasque, Anun Dada fit son entrée drulS la salle, pOlté sur une chaise pru' quatre honunes de race blrulche. La

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presse s' en fit l'écho et tira à boulets rouges sur le président ougandais dont le pays sera dans le collimateur de plusieurs capitales occidentales. Les relations entre Houooi Botunediene et Jtilius Nyerere n ' étaient pas au beau fixe . Je ne comprenais pas cette mesentente entre les deux honunes, d'autOOlt que Julius Nyerere était tule persOfmalite respectée pour son combat en faveur de la libération des peuples africains, ses effOlts itùassables pour l' instauration de l' égalité entre les races et les etlmies et sa lutte contre le colOltialisme et le racisme. Qu' est-ce qtÙ avait donc pu pousser Botunediene à lill tOtuller le dos et refuser de lill serrer la main en dépit des nombreuses qualités qill leur étaient COlmntuteS ? Il se peut que Botunediene eût adopté cette attitude inOOlticale poo-ce que Nyerere - il était catllOlique - avait critiqué la conversion de Antin Dada à l' [sloon ou en raison de sa position vis-à-vis du redressement du 19 jtùn. La relation entre Botunediene et Nyerere se déteriora davruttage Stùte à l' itLVasion poo- [di Antin Dada du tenitoire tOOlzamen en 1978. Nyerere chrutgera neaJlIlloins sa position à l' egoo-d de l' Algérie après son entree en gtrene contre l'Ougrutda et [' expulsion d' Antin Dada de Koonpala. L'A[gérie l' avait soutenu ntilitairement mais exigea qu' il se retirât de l' OugOOlda et que le président déchu fût remplacé poo' tut chef d' Etat musulinrut.

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J'ai fait la cOlUlaissance de Boumediene en févIier 1960 . C ' était l ' époque où il commençait à émerger du lot après avoir rallié Ghardimaou en provenance de l ' état-major de l'Ouest, suite aux décisions de la 3' session du Cons eil national de la Révolution algéIielUle tenue à TIipoli . Après sa désignation à la tête de l ' état-major général, nous allâmes le voir, Abden-alunane Bensalem, Zine Noubli et moi, en tant que chefs de zone à la Base de l ' Es!. Notre démarche fai sait suite aux changements opérés dans la struchIre de l ' ALN et aux nouvelles missions qui lui étaient échues dans IUl contexte nouveau. Nous étions - je l' avoue - méfiants eu égard aux expéliences que nous avions vécues avec de précédents diIigeants. Cinquante ans se sont écoulés depuis et j e le revois toujours COlline au premier jour de notre rencontre. Il était mince et élancé. Il avait les cheveux roux, les j oues creuses et les dents bnmies par le tabac. Il fumait tellement qu' il alllUnait chaque cigarette au mégot de la précédente. Il

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était tel lUl ascète, mangeant peu et s' habillant modestement, au point qu'il était difficile de le distinguer au milieu de ses soldats. La sévéIité et la solennité qui se lisaient sm son visage cachaient mal IUle grande timidité. Bomnediene était int:roverti , tacinU1le et pudique. Il écoutait plus qu'il ne parlait et ne prenait jamais de décisions hâtives ; il veillait touj om s à consulter ses collaboratems et il n' a jamais été autOiitaire COimne cmtains le prétendent. Mais, dans le même temps, il était efficace et inflexible lorsque l'intérêt du pays était en jeu. Dans sa vie de tous les jours, il était 11lunble, elmemi du faste et de l'ostentation. Fidèle à ses principes d' hmnilité depuis le maquis jusqu' à sa mOlt, il ne s'est jamais laissé gli ser par ses fonctions de lninist:re de la Défense ou de chef de l' Etat. D'lUle façon générale, il prenait ses décisions après avoir énldié toutes les probabilités et en avoir anticipé les effets ; il laissait les choses Inlu1r. Mais tille fois pl1ses, ses décisions étaient in-évocables. C' était sa façon de gouvemer. Lors d' mle réunion à Ghardimaou, Boumediene VOlùut tout savoir sm la situation et ne fit aUCtUl commentaire. Il vOlÙait en particulier, cOlm3Ître nos capacités lnilitaires, sonder le moral des troupes et avoir des infonnations sm les lignes Challe et MOlice. La rencontre avec lui nous redonna confiance en l'avenir ; nous étions convaincus que l'honune avait été envoyé par la Providence pom sauver la Révolution. Nous nous mîmes d'accord, Bensalem et moi, à notre retom, pom dOimer sa chance à Bomnediene, parce qu' il était nouveau [dans notre région] et n' était COimu des officiers

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que de nom . De plus, il n' était pas compromis dans les événements qui avaient secoué la Base de l'Est. Fort heureusement, nous ign01ions qu' il avait présidé le tribunal qui avait condanmé LamolUi, Aouacluia, Nouaoura, le conunandant Lalœhal et les autres offi ciers à la peine de m011 . Sinon, notre position aurait sans doute été différente. En véIité, nous œuvrions à sunnonter cette situation de blocage quitte à faire des concessions. Nous étions convaincus, en effet, que la sauvegarde de la Révolution et l'objectif visant à la remettre dans le bon chemin importaient plus que tout. Il n'y avait aucun bmt conunun enb'e Houari BOlUnediene et Moharmnedi Saïd, que ce soit darlS leur tempérarnent, lelU' clùtme ou leur aptitude à diliger les honunes. Quant à la gestion des affaires de l ' Etat, que ce fÎlt au sein de l ' armée, au Conseil de la Révolution ou au gouvemement, Bomnediene n'agissait jarn ais en despote, demandarlt tOUjOlU'S l' avis de ses collaborateurs avarlt de b·arlcher. C ' était IUl fin négociatem' et un polémiste convainquant. Sa méthode de gestion s'insClivait darls la durée, loin de l 'improvisation et de la précipitation. Après sa m011, cel1aillS ont cherché à esquiver leurs responsabilités directes dans des décisions plis es de façon collégiale, imputarlt des réslùtats négatifs ou des insuccès au selù président Bomnediene. Il est de mon devoir de confirmer que nous tous assum ons les grandes décisions plises sous la présidence de BOlUnediene, qu' elles aient été positives ou négatives, par'ce que Bounlediene ne diligeait pas selù . En tout cas, il n' agissait jaruais SaIlS en référer à ceux qu' on

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appelle cOillinunément {( le groupe d 'O'yda », aux moudj ahidine connnandants des Régions militaires, aux officiers déseltems de l' année française ainsi qu' à ses conseillers spéciaux. Je crois qu' à travers cette diversification, il voulait assmer un celtain équilibre dans la sphère décisiOimelie. BOlUllediene accorda lme grande impOitance à l ' arabisation. Cet intérêt est né de sa conviction que la réhabilitation de la langue nationale faisait paItie intégraIlte des revendications sOlùevées par le mouvement national et inscrites dans les documents offi ciels de la Révolution algérienne. Omant sa présidence, il fut procédé à l' arabisation de l ' administration et de la justice, de même qu'une politique globale d' aI-abisation progressive de tous les paliers de l ' enseignement était mise en place_ Politique dont j ' ai pom suivi l ' application après sa disparition. Cela dit, BOlUllediene n ' était pas lm adepte de l ' enfennement sm soi_ Il a toujours appelé à s'ouvrir aux autres langues et cwtmes pom em1crur la langue arabe_ Lui-même parIait COlU1llllillent le français mais il n' utilisait jaInais cette laIlgue dans ses allocutions . Il était profondément CroyaIlt et veillait à appliquer les préceptes de l ' Islam et à les adapter au choix socialiste. Il ne faut pas oublier qu' il a étudié à la mosquée d' AI Azhar. Son livre préféré était le COl1ll1 qu' il avait appl1s par cœm et dont il citait souvent les versets dans ses discours. Il considérait l ' Islam conUlle lme religion de justice sociale et d' égalité face aux droits et devoirs. Mais, dans le même temps, il réprouvait l' accaparement de la pensée islamique et l ' intelprétation [subj ective1

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de la volonté divine. Il disait toujom-s que « l 'Islam rejette l'exploitation de l 'homme par l 'ho mme ». Qui ne se souvient pas de sa fameuse phrase prononcée devant les ditigeants des pays islamiques au sonunet de Lahore en 1974 : « NOlis refllsons d 'enh-er au paradis le ventre vide ! » En fait, cette affinnation explimait uue nouvelle VISIOn d' lm Islam cOlTespondant aux réalités de notre époque. Un Islam tolérant et ouvelt au dialogue. Cette déclaration lui valut uu chapelet de critiques à l ' intéIiem- conune à l'extéliem- du pays. Il s' est opposé avec felmeté à toutes les fonnes de fondamentalisme, d ' extrémisme et de SlU·enchère dont se prévalm-ent celtains en utilisant la religion à des fins politiques. Il est tout à fait à son hOlUlem- d' avoir constmit des dizaines d'instituts d' enseignement religieux et veillé persOlUlellement à l 'organisation de séminaires sm- la pensée islamique. BOllinediene et moi étions liés par lme relation de respect et de confiance mutuels . Il ne doutait jamais de mon abnégation et de mon amitié. Nob·e amitié a été forgée par beaucoup de vicissitudes et d' expétiences COlllinuues, telles que la sédition de Chabani, la vaine tentative d' Ali Mendjeli de m'inciter à lue smùever contre lui, le nlouveluent de redi·essement du 19 juin, la tentative de coup d' Etat ratée de Talul.r ZbiIi, etc. Boumediene avait compIis que j amais je ne le poignarderais dans le dos, en dépit des viles intentions de celtains de semer la discorde enb·e nous. Je lui rendais visite au siège de la Présidence à chaque fois que j ' étais de passage à Alger. D' aillelU·s, il avait dOlUlé

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CHADLI BI:NDJIDID - MÎMOIRIS

instruction au service du Protocole de me laisser entrer sans rendez-vous ni pennission. Un jom, je lui rendis une visite de cOllltoisie chez lui, lorsqu'il était encore célibataire. Le voyant en compagnie du Prernier ministre tunisien Bahi Ladgham, je fi s un pas en anière pom ressOltir, mais il m'interpella : « Rentre donc Si Chadli ./ » 11 me présenta à son hôte en ces tenues: « Je VO liS présente Je chouchou de Boumediene .1 » Je ne savais pas que certains membres du Conseil de la Révolution me qualifiaient ainsi. Aluned Taleb-lbralùmi rapporte dans ses mémoires (Tome Et), que BOlUllediene lui amait parlé, sm son lit de mOlt, de ses relations avec les différents membres du Conseil de la révolution. 11 lui a dit, me concemant : « Le seul membre du Conseil de la R évolution dont je n 'aie pas eu à me plaindre est Chadli. Il intervient peu lors des réunions regroupan t les membres du Conseil de la révolution et du gouvernement, mais il a beaucoup de bon sens. Lorsquej 'avais des problèmes qui me préoccupaient, je me rendais à Oran le rencontrer. Il me pilotait dans sa voiture et ces balades avec lui réussissaient à me faire oublier mes

tracas d'Alger.1JJ ». Je suis fier de ce témoignage. 11 est vrai que je n'interv enais pas beaucoup lors des rélllùons et Boumediene me le reprochait souvent. Parfois, il me demandait pomquoi je n' apparaissais à la télévision qu' à de très rares occasions . Omant les denùers joms de sa vie, il me rendait visite au siège de la 2' Région rnilitaire, à Oran, 1. Aluntd Taltb-Ibl'all.imi, Mémolres d'un Aigellen, 1. 2.

Editions, Aigu, 2009, p. 435.

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1

Casball.-

B OUMEDIENE TEL Q UE JE L 'AI CONNU

lorsqu'il se sentait dépIimé. En général, ses vlSltes étaient inopinées à tel point que le chef du protocole, Abdelmadjid AllallOum et Abdelaziz Bouteflika m' appelaient pour savoir s' il était avec moi. Je lui avais réseIvé lme villa à Bousfer - l' ancieIme résidence du conunandant de la base de Mers El Kebir. Je l'accompagnais moi-même dans ses virées à Oran et ses environs ; c'est moi qui conduisais. Je donnais instruction aux gardes du corps de rmuer denière nous sans attirer l'attention. Un jour, au nlOInent où je In'anêtais à un carrefour à Boutlilis, lm garde-champêtre tomba des nues en nous voyant circluer seuls en voiture dans cette petite bomgade : « Boumediene et Chadli sous mes y eux .1 »), s'ecI1a-t-il, abasourdi . Peu avant sa mOlt, BOlUnediene réfléchissait séIieusement à des changements radicaux dans la politique agIicole, l'induslIialisation et les nationalisations. 11 m'a même confié, plusieurs fois, qu'il avait regretté ces choix. 11 tenait absolument à convoquer lm congrès du parti pom évaluer les aspects politiques intéIieurs en vue d' en identifier les lacnnes et envisager de nouvelles altematives. Omant une de ses visites à Oran, je lui fi s prut de mon opinion sur les grands projets. Je lui dis que l'indnslIie indushialisrulte n' a pas fait de l'AlgéIie lm pays induslIialisé, que la Révolution agraire a coupé le paysan de sa teITe, que la bureaucratie étouffait les citoyens et qu'il était temps de Chrulger les honunes et de réfonner les institutions. Nous discutions jusqu'à des hemes tru"dives de la nuit autom d'nn jeu d' échecs ; je ne le battais j runais. Je sautais sm l'occasion, de temps en

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C HADLI Bl:ND JEDID - MÎMOIRI S

temps, pour lui parler de questions dont j 'estimais qu'il fallait les trancher et de celtains travers qu'il fallait coniger. B OUlnediene aiInait à se confier à tnoi et lne parlait de choses intimes, bien qu' il ne ffIt pas habitué à parler de sa vie plivée, des IOLU'des responsabilités qui l ' accablaient et de la bâÎbise des hOIllines. Je lui ai dit, tille fois, que beaucoup de ses proches collaborateurs feignaient la loyauté envers hù et le poignardaient dès qu' il avait le dos tOLUné. J' ajoutai : « Ces gens-là profitent des bienf aits et crachent dans la soupe ». Quand je hù demandai pourquoi il ne se séparait pas d' eux, il me répondit : « Si j e f aisais ça, les gens dira ient que Boumediene s 'est déb arrassé de ses compagn ons comme on je ffe 1//1 chiffon ». De fait, BOLUnediene ne se précipitait jamais dans sa plise de décision lorsqu'il s'agissait de remplacer quelque responsable dans son entourage inunédiat. Le plus important changement qu'il ait eu à enb'eprenclre eut lieu en 1977 . Le Président voulait metbe fin à des lobbies qui cOIllinençaient à se constituer. Il releva A1U11ed BenchéIif du conunandement de la GendanneIie nationale et le nOIllina à la fonction civile de Illimsb'e de l ' Hydraulique et de l' EnvirOIU1ement. Il en fit de même pour Aluned Draïa, le directeur général de la Sùreté nationale, qu'il nOImna aux TranspOIt s. Ce j our-là fut le plus beau de sa vie BOlU11ediene n' hésitait pas à me parler de sa vie pIivée avec tille franchise déconcmtante. J'essayai touj ours de le convaincre de se mrui er en hù disant : « La Révolution est terminée maintenant. Il

,,.

BOUMEDIENE TEL QUE JE L 'AI CONNU

est temps que tu accomplisses l 'autre moitié du devoir religielLT [en te mariant} ! » Il me répondait : « D ans ce cas, je te laisse le soin de me chercher une épouse J » Je le plis au mot et me mis à chercher

panni les familles honorables lme fenuue qui eût pu épouser le Président. Mais je me suis très vite ravisé, convaincu que le mruiage devait être fondé sm le libre choix. Un jom, il me dit, blasé : « Si Chadli, si le choix était lin âne, je l 'aurais mis devant moi et bastonné à mort -' }) Je ne sais pas, à ce jour,

s' il VOlÙait pru'ler de quelque échec drulS sa vie persOIUlelle ou de décisions qu'il amait regretté d' avoi.r p,ises. La fatigue se lisait sm son visage. Il souffrait mais ne se plaignait pas. Il SUppOItait son mal en silence et avec cOlu·age. Il avait mauvaise lnine, mais je ne savais pas qu'il était malade ; je croyais que c' était dû au SlU1llenage. Il me pru'lait de la force morale de Georges Pompidou et de sa maladi e qu'il avait cachée à l' opinion publique. Je me souviellS encore de ce qu ' ù m' avait dit ce jomlà conuue si c' était hier : « J 'admire la patience de Pompidou >), J'étais loin de me douter que luimême était souffrrult. Le destin a VOlÙU que les deux honuues mement de la même maladie de Waldenstrôm, une hémopathie maligne rru'e. J' ai entendu dire qu'il amait contracté ce mal après avoir consommé du petit-lait et de la galette prépru'ée pru' sa mère, Je crois qu'il n'est même pas la peine de répondre à ces calembredaines! A son retom de Druuas où il avait plis prut au sonunet du Front de la résistance et de la fermeté, Bomuemene se nl0ntrait de Iuoins en luoins en

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C HADLI BENDJ[DID - MtMOIRES

public. Les nuneurs les plus folles cOillinençaient à circlùer. Ce/tains disaient qu' il s' était éclipsé pour réfléchir à tête reposée à des changements majems qu' il allait opérer bientôt, d' autres parIaient de divergences profondes au sein du Conseil de la Révolution qui l ' auraient contnuié au point de se retirer de la vie publique, d'autres encore privilégiaient la thèse du coup d' Etat voire de l ' assassinat. Il en était touj ours ainsi quand le président n'apparaissait pas à la télévision. Décision fut prise de le transférer à Moscou. Il préféra l' URSS aux Etats-Unis et à la France pour des impératifs de sécmité. Je suivais l'évolution de sa maladie au jour le jour. A1uned Taleb-Ibrahimi , qui devait se rendre à son chevet à Moscou, me delnanda : « Y a-t-il lin message que tu voudrais lui transmettre ? » Je lui répondis : « Dis ail Président de prendre soin de lui et de ne pas se faire de soucis : lanl que je suis là, il n 'y aura pas de co mplol }) . Bomnediene s' était senti sOlùagé d'apprendre qu' il ne souffrait pas d' un cancer et rassuré par mes propos. Il était même de bOlU1e hmnem·, selon Taleb-Ibrahimi . Mais son état de santé se détériora. De retour au pays, il reçut les membres du Conseil de la Révolution et du gouvernement à la villa Dar El Nakhil. Ce n ' était plus le BOlUnediene que je COlU1aiSSaiS ; il avait considérablement maigri . Ses yeux n' avaient plus le même éclat. Il n' avait plus d' entrain, au point de ne plus pouvoir parler. Ses pieds étaient enflés. Quand je lui serrai la main, il ne me lâcha pas, conune s' il V01Ùait me dire quelque chose, mais en aparté. Je compris par· la suite qu' il voulait m ' inf0l111er qu' il m ' avait

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BOUMEDIENE TEL QUE JE L 'Al CONNU

chargé de la coordination des corps de sécillité. Dès que j ' apptis cela, je me rappelai tout de suite ce qu' il ne cessait pas de me dire auparavant : « Chadli, veille slIr le pays el la Révolution! » C ' est que les persOimes à qlÙ il avait confié la mission de m ' en infonner n' avaient pas appliqué la volonté du Président, et ce, avec la complicité d' autres membres du Conseil de la Révolution. Mais, devant le pélil menaçant, ces mêmes persOimes n.u·ent obligées de se plier à ses ordres. J'applis la décision de ma nomination à ce poste par la voix du secrétaire général du mimstère de la Défense, Abdelhamid Lal:rèche. BOlllnediene momut le 27 décembre 1978. Sa dispruition dorma lieu à une lutte SrulS merci pom sa succession qlÙ faillit fai:re vaciller l ' Etat. Certains ont essayé d' exploiter la tenue du congrès de la jellllesse pom se faire élire, d' autres ont cruTément recolll·u au soutien de pays étrrulgers, d' autres encore se sont engagés drulS des alliances conh·e-natme. Tout cela ne m ' intéressait pas. J'avais senti que j'avais perdu llll compagnon d' annes et llll runi h·ès cher, dont le selil souci était de libérer le pays du joug colonial et de consh,ÙTe une Algélie juste et prospère. Il rêvait d' une société soudée et libérée de la dépendance et de l ' ignorrulce. Il s'est dormé sans compter au service de son peuple au point de se négliger et de délaisser sa propre frunille . Nous étiOilS dans le même bateau, lui et moi. J'ai toujoms été à ses côtés drulS les moments les plus dangereux h·aversés pru· son régime. Je le vois toujoms améolé de hunière.

331

CHADLI BENOJEDIO - MEMOIRES

Je suis indigné d'entendre dire que j 'awms effacé les traces de l' ère Bownediene. Ceux qui tierulent de tels propos sont ceux qu'on appelle les barons du système à qui la situation a longtemps profité et tme minOlité de gauche qui a essayé de me faire chanter, sans y pruvenir. Dès que j'entrunai les réformes, des voix fusèrent qui m' accusaient de vouloir définitivement tow11er la page. Or, ce que j'ai entrepris, c'était la réfonne d'lm système qui était drulS l'impasse et qui n 'était pas imputable au setù chef de l' Etat. Ce qui est plus étOlUlant encore, c' est que ces mêmes persOlUles qui m' accusent d' avoir VOtÙU jeter Boumediene au rebut de l ' histoire, sont ceux-là mêmes qui ont qualifié de « décennie noire » la période dmant laquelle j'ai été président de la République.

Achevê d'imprimer en septembre 2012 Sl.l' /es presses de flmprlmer/e

casbah-Editions Lot S'id Hamdine, Hydra, 16012,Alger-Algêrie TéI. : 0215419101021541911IFax : 021541217 . MaiI

: c~alc_

AIQef, 2011

CHADLI BENDJEDID Mémoires Chadli Bendjedid est

ne le 14 3'\'1;11929 à Sebàa, daü-a de

Bouteldja, daus la wilaya de Tarf Il rejoint la lutte année début 1955 el assume successivement plusieurs responsab ilités

fi la Base de l 'Est. Eu 1962, il est chef. adjoint du commalldrult de la 6 t Rég ion

III ilitaires

militaire an grade de cOlluualldrult. En 1963, à la tète de la 6e Région militaire, il slIpelvise l 'évacuation de l' année fnulçai se du NOI"d-constanti.nois. En 1963-1964. il commande la 5e Rég ion militaire avant d ' être nOlllme commaudant de la le RM. à Oran. Le 19 juin 1965, il dev ient membre du Conseil de la Rév olution. En 1968 , il supervise l ' év acuation par la mrullle françai se de la base navale de Mers El-Kébir. En 1969, il est élevé au grade de colollel. En janv ier 1979, élu seCl'étaire général du FLN par le 4e Congrès du pru1i, il est élu président de la République le 7 féVller 1979 et sera réélu en 1984 et 1989. Après les événement s d ' octobre 1988, il entreprend des réfonnes politiques profonde s. En février 1989, il organise

1111

référendum pour l ' amendement

de la Constitution, OlIVl'rull ainsi ulle n ouv elle ère fondée sur la démocratie et la libel1é d ' expression . Il démissionne elljanvier 1992.

Tome) : Les contours d 'mIe vie 1929-1979 1/ estnaU/rel que /a mémoire d '"n homme retienne des moments particulièrement hellret.Ll de son elllallce. La lIIielllte elait-elle heureuse ? Je Ile saurais trop dire, mais lorsqlle je III y pel/che mljollrd'llI.Ii, du lIaut de mes qutl/re-l'ingls ans, je la rell'Oln'e assurement COlllllle IJII ensemble d 'images el de sOIn'etùl'S de l'affection de la mère, de la rigueur du père, de "ambiance coul'il';ale arec les rouis, des séquel/ces de solidarité eulre Algériens dans les éprem'es difficiles el, el/même temps, des scèl/es de lIIisère et de désolalioJl qlle le colonialisme tl imposées à mes compatriotes.

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