Bonzon P-j Le Voyageur Sans Visage 1962

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LE VOYAGEUR SANS VISAGE par Paul-Jacques BONZON * «AH ! Si seulement je pouvais être invisible!» C'est ce que l'on souhaite bien souvent. Pour le jeune lycéen Sylvain, ce souhait s'est réalisé : sur sa demande, un savant le rend bel et bien transparent. Mais, au même instant, un accident de laboratoire provoque la mort du moderne alchimiste... qui emporte avec lui dans la tombe le secret de l'opération inverse ! Et voilà Sylvain, désormais invisible, entraîné dans mille aventures, des plus cocasses aux plus dramatiques. Comment tout cela finira-t-il ? On est littéralement emporté par ce récit palpitant, et si vraisemblable qu'on en vient à se demander si, après tout, l'homme invisible n'existe pas réellement !

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Paul-Jacques BONZON

LE VOYAGEUR SANS VISAGE ILLUSTRATIONS D'ALBERT CHAZELLE

HACHETTE

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A mon fils Jacques.

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TABLE

I. II. III. IV. V. VI. VII. VIII. IX.

LE SECRET DE PIERHEFITTE DISPARU ! L'AUTRE LABORATOIRE PANIQUE SUR LE BOUL'MICH’ A BORD DU « TRAS-OS-MONTES » COMMENT ATTEINDRE SANTOS? UNE CURIEUSE BOUTIQUE UN PAPIER SUR UN LAMPADAIRE RODRIGUES REUSSIRA-T-IL? EPILOGUE

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CHAPITRE PREMIER LE SECRET DE PIERREFITTE du collège, Sylvain jeta sa serviette sur un coin du buffet, prit le journal et s'assit. En première page s'étalait un gros titre : EN RENTRANT

Le chimiste Pierrefitte aurait réalisé l'idée extraordinaire de l'écrivain H. G. Wells : l'homme invisible. Suivait un article assez long mais plutôt

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vague qui voulait être sensationnel sans cependant donner aucune précision. « C'est donc si intéressant ce que tu lis? demanda sa sœur Jacqueline en se mettant à table. — Formidable! Tiens... » II lui montra le gros titre. Jacqueline eut une petite moue ironique : « Mon pauvre Sylvain, on ne te changera pas; toujours aussi naïf! Tu ne vois donc pas que c'est encore un truc du journal pour augmenter son tirage. Je parierais que tous les autres journaux en parlent aussi. - C'est bien simple, pour toi, Jacqueline, tout ce qui est nouveau n'existe pas. Tu es comme saint Thomas, il faut que tu touches pour croire. — Ah! pour ça, oui... et maman est comme moi... N'est-ce pas, maman? » Mme Rambaud qui entrait dans la cuisine, apportant les hors-d'œuvre, hocha la tête : « Allons, vous n'allez pas encore vous chicaner! Commencez donc de manger au lieu de discuter. Quand on a le ventre creux, on ne dit que des bêtises. » Jacqueline prit l'assiette de son frère et y déposa deux sardines. Il y eut un silence, qui ne dura pas, car Sylvain reprit : « Et aux autres découvertes de Pierrefitte, y crois-tu, Jacqueline? Par exemple, sa double décomposition du phosphore, considéré jusqu'à 9

présent comme un corps simple, ce n'est pas une illusion! - Oh! moi, tu sais, les savants... — Evidemment, tu te méfies de Pierrefitte. Pour toi, un savant est un type extraordinaire, une sorte de phénomène qui ne ressemble à personne. Tu ne crois pas aux inventions de Pierrefitte tout simplement parce que le bonhomme habite la même rue que nous dans une maison ordinaire. Tu trouves anormal qu'un savant porte un veston fatigué et des chaussures mal cirées; je le reconnais, Pierrefitte n'a rien d'un gentleman... — Pour ça, coupa Mme Rambaud, ton Pierrefitte est un drôle de bonhomme. Il suffit de le voir marcher dans la rue, tête baissée, le nez par terre. Pas plus tard qu'avant-hier, comme je rentrais de faire mes commissions, il m'a bousculée sur le trottoir... et sans s'excuser, bien entendu. - Et puis, poursuivit Jacqueline, je croyais que les savants vivaient toujours confinés dans leur laboratoire; lui, on le rencontre toujours dehors. - Si tu lisais plus souvent les journaux, affirma Sylvain, tu saurais que tu rencontres souvent Pierrefitte, parce que, précisément, il a deux laboratoires, un ici, l'autre en banlieue pour ses expériences dangereuses. » Jacqueline eut un sourire : « Evidemment, lui 10

aussi fait des expériences dangereuses, des bombes atomiques, sans doute. Ne nous étonnons pas si un jour il fait sauter tout le quartier. » Le retour à table de Mme Rambaud qui apportait un autre plat mit fin à la discussion. Pendant tout le reste du repas, Sylvain pensa à l'article du journal. Le corps humain invisible! Quelle extraordinaire invention! Devenir insaisissable, posséder la toutepuissance d'échapper à l'univers, d'agir à sa guise! Le repas terminé, il monta dans sa chambre pour retrouver le fameux roman de Wells qui, deux ans plus tôt, l'avait passionné. Il fouilla en vain les étagères et le placard. Il avait dû prêter le livre à un camarade qui avait oublié de le lui rendre. Déçu, il redescendit dans la cuisine où Jacqueline aidait sa mère à faire la vaisselle. « Dis donc, Sylvain, ton père Pierrefitte te fait oublier que nous n'avons pas de cours cet après-midi. Si tu m'emmenais au cinéma? On joue au Familia un film d'aventures : Les Deux Panthères. Régine l'a vu; il paraît que c'est bien. - Je me méfie un peu des goûts de Régine, mais si ça te fait plaisir... Passe-moi un torchon, je vous aide à finir la vaisselle. » A deux heures sonnantes, ils quittaient la maison. On était en janvier. Un ciel bas et lourd pesait sur Paris. Dans les rues courait un petit

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vent acide qui faisait grimacer les passants. Ils marchèrent d'un bon pas. En dépit des petites disputes quotidiennes à propos de tout et de rien, le frère et la sœur s'entendaient bien. Ils avaient à peu près le même âge, elle seize ans, lui quinze. La mort de leur père, trois ans plus tôt, en endeuillant le foyer et réduisant ses ressources, les avait encore rapprochés. Grâce à des miracles d'économie, Mme Rambaud avait pu les laisser au collège, et ils n'abusaient pas de la tendresse que la pauvre femme reportait sur eux. Comme ils arrivaient à un carrefour, Sylvain ne put s'empêcher de lever les yeux vers une des maisons d'angle. Jacqueline comprit et sourit : « Ça te travaille toujours, mon petit Sylvain! Tu vois, je ne suis pas méchante, je voudrais qu'un jour l'occasion se présente pour toi de voir le père Pierrefitte de près, de lui parler..., mais je te préviens, tu seras déçu. — Pourquoi? — Parce que l'homme invisible n'existe pas et n'existera jamais... du moins le véritable homme invisible, celui qui pourrait descendre les Champs-Elysées sans être vu de personne, qui entrerait chez vous, subtiliserait votre portefeuille sans qu'on s'en aperçoive. Ça, mon petit Sylvain, je ne le croirai jamais. Il faudrait être folle... Avoue que toi aussi...

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— Je reconnais que c'est ahurissant, formidable, affolant..., mais j'y crois quand même. » Ils arrivaient devant le cinéma. Ils traversèrent le hall sans même jeter un coup d'œil aux affiches. La séance commençait par un documentaire sur la pêche sous-marine à grande profondeur qui intéressa Sylvain. Quant au film d'aventures, il lui déplut franchement. Depuis quelque temps il aimait moins ces poursuites échevelées, ces embuscades d'où on était sûr de voir le héros sortir triomphant. A quinze ans, il commençait à philosopher sur la vie, et la vie était sûrement autre chose que ces fantaisies. « Tu vois, dit-il à sa sœur, pendant l'entracte, ces films-là, je ne les aime plus; ils sonnent faux. Toi, bien sûr, comme toutes les filles, tu ne vois que le côté sentimental... moi, j'aime la vérité, la vérité scientifique. » Quand, le spectacle terminé, ils se retrouvèrent dehors, la nuit était venue. Ils rentrèrent tranquillement^ marchant côte à côte en discutant. Ils venaient de dépasser une bouche de métro, quand Sylvain s'écarta et se baissa pour ramasser quelque chose. « Laisse donc cette saleté! » dit Jacqueline. Sylvain n'écouta pas. Il s'approcha d'une vitrine pour regarder de près sa trouvaille. « Jette ça, fit encore Jacqueline, qui reconnut un de ces petits carnets où les ménagères notent 13

leurs commissions. — Juste une minute, Jacqueline! File devant, je te rattrape. » Jacqueline hésita. Quand elle sortait avec son frère, elle n'aimait pas rentrer seule. Mais, ce soir-là, elle se sentait un peu fiévreuse. Peut-être couvait-elle cette mauvaise grippe qui depuis quelque temps ornait de trois millions de mouchoirs les trois millions de nez parisiens. Elle fit quelques pas, s'arrêta encore, se retourna et, finalement, se décida à rentrer. Pendant ce temps, les doigts tremblants de froid, Sylvain continuait d'examiner sa trouvaille. Le carnet était couvert d'inscriptions bizarres, de cascades de chiffres, d'équations. Il pensa d'abord à un carnet de notes d'étudiant. Pourtant non, ce n'était pas ça. Vers les dernières pages, des croquis d'appareils l'intriguèrent. Et tout à coup sur le verso de la couverture verte il lut : « 57, rue Laura-Ancin, deuxième étage, à droite. » Son sang ne fit qu'un tour. Le 57 de la rue LauraAncin était précisément la maison de Pierrefitte. Tout s'éclaira dans l'esprit du jeune garçon. Le carnet appartenait au savant; il tenait entre ses mains les formules de ses expériences secrètes, qui sait? le secret de l'homme invisible! Il fourra vivement le précieux carnet dans sa poche et repartit en pressant le pas. Arrivé devant 14

le numéro 57, il s'arrêta, indécis, regarda longuement la maison, une maison comme les autres, sans style, sans fioritures. Au deuxième étage les stores baissés de deux fenêtres laissaient filtrer la lumière. Etait-ce là que vivait le chimiste Pierrefitte? Il hésita. Chez lui on allait l'attendre puisque Jacqueline était déjà rentrée... Mais le chimiste, sans doute navré d'avoir perdu ce carnet, le cherchait partout... Et puis, oh! oui, surtout, il tenait la chance de voir de près le savant, de lui parler. C'était le moment puisque celui-ci était chez lui. « Bah! fit-il, maman sait que je ne suis plus un gamin. Elle attendra bien dix minutes... » * ** II pénétra dans le couloir. La loge du concierge était vide. Il ne s'attarda pas. L'immeuble ne possédait pas d'ascenseur; il arriva au deuxième, essoufflé autant par l'émotion que par la grimpée. Trois portes sur le palier. Celle de droite ne portait aucune indication. Sylvain la regarda un moment avant de sonner. Enfin il s'enhardit à appuyer sur le bouton. L'attente lui parut interminable. On aurait dit qu'il n'y avait personne à l'intérieur. Il allait sonner une seconde fois quand une vieille, très vieille dame vint ouvrir, discrètement, maintenant la porte 15

entrebâillée. Croyant avoir affaire à un représentant de commerce, elle demanda : « Que désirez-vous? » Mais soudain elle aperçut le carnet dans la main de Sylvain. « Ah! fit-elle, le carnet... Attendez un instant. » La porte se referma. Sylvain perçut le bruit d'un verrou qu'on tire et un trottinement de pas. Plusieurs minutes s'écoulèrent. Enfin la porte se rouvrit. Un homme apparut que Sylvain reconnut aussitôt. Il était petit avec une barbiche. Ses yeux étaient cachés par les lunettes aux verres très épais, des verres de myope sans doute; cependant, on devinait, derrière, un regard très aigu. « J'ai trouvé ce carnet, par terre, à une sortie de métro, déclara Sylvain. L'adresse était dessus, je le rapportais. — Ah! bien, bien, fit le savant, depuis deux heures je le cherche partout. Comment te remercier?... » II porta la main à la poche de son veston, sans doute pour y chercher un billet. « Oh! non, protesta Sylvain, pas d'argent, je suis trop heureux de vous avoir rendu service, monsieur Pierrefitte. » En entendant prononcer son nom, le chimiste eut un mouvement de surprise et fronça les

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sourcils : « Mon nom?... Tu sais mon nom?... Il n'était pourtant pas sur le carnet. » Sylvain se troubla un peu : « C'est que je vous croise souvent sur le trottoir, j'habite la même rue, tout au bout... et je connais toutes vos découvertes... » Son portefeuille à la main, le chimiste regardait curieusement, derrière ses gros verres de lunettes, ce grand garçon qui paraissait si ému et semblait attendre on ne sait quoi. « Oh! monsieur, reprit Sylvain, emporté par son enthousiasme, je suis si heureux de vous voir de près, de vous parler, c'est formidable tout ce que vous avez fait... » Le bonhomme sourit faiblement et hocha la tête. « J'ai suivi dans les journaux toutes vos découvertes... » Le chimiste fronça les sourcils, agacé. « Ah! les journaux, mon petit ami, les journaux sont des bavards capables d'inventer n'importe quoi quand ils ne savent rien. Il leur faudrait à tous de bonnes muselières. » L'air navré, Sylvain s'excusa, s'attendant à voir le chimiste lui fermer la porte au nez. Mais, après un mouvement d'humeur, le bonhomme regarda encore le collégien. « Entre », dit-il. Sylvain se demanda s'il avait bien entendu. Il hésita cependant, comme à l'entrée d'un 17

endroit mystérieux. Etait-il possible qu'un savant comme Pierrefitte, qui travaillait nuit et jour à ses recherches, eût du temps à perdre avec un garçon comme lui? « Oh! monsieur, protesta-t-il, je ne veux pas vous déranger. » Le bonhomme hocha encore la tête : « Bien sûr, une heure est une heure et une minute est une minute, mais tu viens de me rendre service... Et puis, mon garçon, ta physionomie est sympathique, tu me rappelles le garçon que j'étais à quinze ans, plein d'enthousiasme, de curiosité... Ça change tellement des journalistes. Ah! ceux-là... » En parlant, il poussait lentement Sylvain le long d'un couloir. Il l'introduisit dans une petite salle à manger, une salle tout ordinaire de petit bourgeois parisien dont Jacqueline aurait certainement souri. « C'est vrai, reprit encore le chimiste, je n'ai pas souvent l'occasion de bavarder avec des garçons de ton âge et ça me fait plaisir. Ainsi, c'est près d'une bouche de métro que tu as retrouvé mon carnet? J'ai dû le perdre en tirant mon mouchoir. J'étais, jusqu'à hier, le seul Parisien à n'avoir pas la grippe, mais cette fois elle me tient. » Il paraissait fatigué, et s'interrompait de temps en temps pour tousser : « Ainsi, mes recherches t'intéressent?...

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— Beaucoup... Surtout la dernière, celle dont les journaux parlent : l'homme invisible. — Les journaux ne savent rien, mon garçon, du moins pas encore. Et tout ce qu'ils ont pu raconter n'est qu'invention de leur part. La race des journalistes est une race odieuse. Ce sont eux qui m'ont rendu bourru et ont fait de moi un ours. » Sylvain ne sut que répondre. Les journaux avaient donc menti, l'homme invisible n'existait pas?... Il y eut un silence gêné. Soudain, le bonhomme, qui s'était assis dans un fauteuil, se leva. Sylvain pensa qu'il allait le congédier. « Ecoute, mon garçon, fit-il, je ne sais pas si tu comprendras ce que je vais te dire; j'aime la recherche scientifique pour elle-même, bien sûr, mais je ne suis pas étranger au côté humain des choses. Tu m'es sympathique et je sens que je peux compter sur toi, sur ta discrétion, je le vois sur ton visage. Est-ce vrai? — Oh! oui, dit Sylvain, je vous admire, tant! — Alors, disons que c'est la Providence qui, ce soir, t'a fait frapper à ma porte... » II s'arrêta encore, comme s'il hésitait, puis, brusquement : « Voilà... l'homme invisible... ou plutôt, l'homme transparent, est parfaitement au point... Seulement, avant de rendre publique cette découverte, j'aimerais prévoir ses conséquences, je veux dire ses conséquences psychologiques; pour

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être plus clair : savoir les réactions que pourraient entraîner le spectacle, si on peut dire, d'un homme invisible... Jusqu'à ce jour, l'expérience n'a été réalisée que sur une seule personne, sur moi-même. J'aimerais, puisque tu es là, et que tu me promets la discrétion, répéter cette expérience pour suivre tes réactions. Estce que cela ne t'effraie pas? — Oh! monsieur, au contraire. Voir le premier la réalisation de l'homme invisible! — Je te préviens, c'est plus impressionnant que tu ne l'imagines. — Je vous assure, je n'ai pas peur. — Alors, suis-moi... Mais je te le. répète, je te fais confiance, pas un mot de ce que tu auras vu..., du moins pendant quelque temps encore. - Je vous le promets. » Le chimiste quitta la petite salle à manger et tourna une clef. Ils se trouvèrent alors dans une salle encombrée d'une foule d'objets, d'appareils, de flacons, de réchauds disposés sur deux longues tables. En guise de siège, le chimiste indiqua à Sylvain une caisse. « La réalisation de l'homme transparent est certainement impressionnante, reprit-il, même lorsqu'on est prévenu. » II se dirigea vers une armoire, manipula des flacons, des seringues, effectua des dosages, emplit des tubes dont il examina la transparence en les plaçant devant des ampoules de couleur

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rouge orangé, se référant à chaque instant à des indications portées sur des fiches qu'il avait retirées d'un tiroir fermé à clef. « Evidemment, dit-il, je ne t'explique pas ce que je fais en ce moment, d'abord tu n'y comprendrais pas grand-chose... et je suppose que ce n'est pas ça qui t'intéresse.» Sylvain sourit, sans répondre, déjà très ému. Les préparatifs étaient extrêmement compliqués. Le savant recommençait ses dosages avec une minutie scrupuleuse, enlevant parfois ses lunettes pour coller son œil contre les tubes à essai. Cependant, à plusieurs reprises, secoué par des quintes de toux, il dut s'interrompre. Tous ces préparatifs paraissaient interminables. Enfin, le chimiste se redressa : « Voilà, c'est fini... Tu vas avoir devant toi un homme transparent, je dis bien transparent et non invisible, selon le mot de Wells, qui est un romancier et non un chimiste. Mon corps, formé de cellules vivantes, va donc devenir transparent, seuls mes vêtements demeureront visibles. — Et les os? » demanda Sylvain. Le savant sourit : « Ah ! oui, tu penses aux rayons X... Non, mon garçon, aucun rapport avec les rayons X basés sur les densités différentes des corps. Je te fais remarquer que, si la matière osseuse est dotée d'une vie plus discrète que les autres parties dû 21

corps, elle vit tout de môme. De plus, les radiations émises par les liquides injectés se dispersent en profondeur et se communiquent à tout le corps. Ainsi les éléments étrangers, par exemple un caillou que tu avalerais deviendrait absolument invisible dans ton estomac. - Et à l'extérieur? demanda Sylvain. — Tu veux parler des vêtements, je suppose... Eh bien, à l'extérieur, l'effet des radiations est si faible qu'il ne dépasse pas quelques dixièmes de millimètres. Je vais m'inoculer sous tes yeux, dans cette veine de l'avant-bras, ce liquide préparé devant toi. Au bout d'une vingtaine de secondes mon corps cessera d'être une réalité visible. Les chairs disparaîtront les premières, puis les organes comme le cœur, les reins, ensuite les cartilages, enfin les os. » Tout en parlant, le savant jetait de petits coups d'œil vers Sylvain, cherchant à deviner son émotion. « Vraiment, cette expérience ne t'effraie pas? — Oh ! non... je ne crois pas. » Pour montrer qu'au contraire elle l'intéressait passionnément, il posa encore une question : « Et combien de temps durera la disparition? - Aussi longtemps que je ne me serai pas injecté les contre-éléments, ceux-ci, qui sont tout prêts, et qui doivent annuler l'effet des précédents, » De plus en plus troublé, mais s'efforçant de 22

n'en rien laisser paraître, Sylvain demanda ce que le savant allait éprouver. Celui-ci expliqua : « J'attendais ta question. Tu voudrais savoir ce que je vais ressentir?... Eh bien, rien, absolument rien. Je n'éprouverai aucun malaise, ne perdrai pas une seule seconde le contrôle de mes pensées. Puisque la comparaison avec les rayons X te plaît, je ne serai pas plus incommodé que pour un examen radioscopique. La transformation n'amène aucun changement dans la circulation, la composition du sang, aucune perturbation dans la vie organique.» Sylvain, malgré tous ses efforts, sentait son calme l'abandonner. Il pensa à Jacqueline. Il aurait donné cher pour qu'elle fût là. Debout, devant une table, le chimiste emplissait minutieusement une seringue. Ses mains ne tremblaient pas, mais une nouvelle quinte de toux l'interrompit. Enfin, l'instant décisif fut là. « Attention! Je commence... » II prit la seringue, tâta la veine de l'avant-bras, donna un petit coup sec pour enfoncer l'aiguille et commença l'injection. Sylvain suivait attentivement la main qui poussait le piston. Tout à coup il eut l'impression que les doigts se décharnaient. Durant quelques secondes il distingua encore l'ombre grisâtre des phalanges, puis plus rien que la seringue suspendue dans le vide. Alors il leva les yeux et retint un cri. Le veston du chimiste flottait dans le vide, comme

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suspendu à un invisible portemanteau, et les lunettes se promenaient dans l'espace. Sylvain frissonna de la tête aux pieds et dut s'appuyer au mur, pris d'une sorte de vertige. « Mon Dieu », fit la voix du chimiste, une voix toute naturelle mais qui parut à Sylvain déformée, « tu te sens mal? » II se raidit et sourit. Oh! non, jamais il n'aurait pensé que la vue d'un être transparent pût être aussi impressionnante : « Non, ce n'est rien », dit-il. Pour le rassurer, le vieux Pierrefitte se mit à plaisanter. « Tu es blême comme si tu avais devant toi un revenant et pourtant tu ne vois rien... Tiens, prends cette glace et regarde-toi! » Très pâle, Sylvain recula devant le miroir qui 24

s'approchait de lui au bout d'une manche vide. En voulant prendre la glace, il effleura la main invisible. Ce contact lui causa une telle impression qu'il lâcha le miroir. Il eut envie de prendre la fuite. Non, il voulait être crâne. « Tu constates que mes mains et ma tête sont parfaitement transparents, fit remarquer le savant. Si je ne couvais pas cette mauvaise grippe, je me dévêtirais complètement, et tu constaterais ainsi qu'il ne reste absolument rien de moi... Et cependant je te vois parfaitement; j'observe toutes tes réactions. Je regarde ta main gauche qui tremble, et la droite crispée comme si elle serrait un bouton de porte, la porte par où tu voulais fuir, il y a un instant; c'est bien cela, n'est-ce pas?... Mais le choc est passé! Donnemoi ta main, tu réaliseras mieux que tu n'es pas en face d'un revenant. » Sylvain obéit et tressaillit au contact de cette main invisible qui pressait la sienne. « Ainsi, ajouta le chimiste, je pourrais rester éternellement dans cet état; mais la plaisanterie — j'imagine que tu considères cette découverte un peu comme une plaisanterie -— a assez duré. Regarde cette autre seringue que j'ai préparée tout à l'heure, c'est elle qui va me rendre à mon état normal. Suis bien l'opération. » Après avoir erré dans le vide, l'aiguille s'immobilisa. Le piston parut s'enfoncer tout seul 25

dans la seringue. Il y eut quelques secondes d'attente un peu anxieuse pour Sylvain. Puis les os, les chairs du savant sortirent du néant. La réincarnation totale et parfaite de Pierrefitte rassura Sylvain. Il poussa un soupir, comme s'il sortait d'un cauchemar. Vraiment, cette découverte lui paraissait extraordinaire. Il ne sut comment remercier celui qui, pour la première fois, venait de faire une démonstration en public. « Ainsi, fit-il émerveillé, vous pourriez rendre transparent n'importe qui? - L'expérience réussirait de la même façon. Et elle réussirait aussi sur des animaux, sauf sur les animaux dits à sang froid, la température ayant un rôle important dans l'action des éléments que je me suis inoculés. Pour en revenir aux hommes, je me suis assuré que les groupes sanguins, par exemple, ne doivent pas apporter de contre-indication. Seul le refroidissement total, le refroidissement de la mort, devrait détruire la transparence. » Entraîné par son propre enthousiasme, le vieux savant parlait à Sylvain comme il aurait parlé à un autre homme de science. « C'est formidable, répétait Sylvain, formidable!» Son émotion avait complètement disparu, il lui restait seulement la joie immense d'avoir été le premier à voir la réalisation extraordinaire

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du chimiste. C'est alors qu'une idée folle lui passa par la tête. « Ainsi, fit-il, par exemple, sur moi, vous pourriez... - Evidemment! » II y eut un silence. Sylvain hésitait, mais son idée se faisait pressante. « Oh! monsieur, s'écria-t-il, puisque... puisque vous pourriez... j'aimerais... sur moi... » Le visage du savant se rembrunit aussitôt. « Non, mon garçon, pas sur toi, je ne peux pas, je n'ai pas le droit. — Je vous jure que je n'ai pas peur. - Il ne s'agit pas de ça. Je pense à ma responsabilité. - Puisque vous avez plusieurs fois répété l'expérience sur vous-même... - Ce n'est pas la même chose, n'insiste pas... Un jour, peut-être, mais plus tard... sur quelqu’un qui acceptera, sachant à quoi il se soumet; mais pas un garçon dé ton âge. Que diraient tes parents s'ils apprenaient... - J'ai confiance, je sais qu'il ne m'arrivera rien... et je pourrais dire que j'ai été le premier... Oh! monsieur, vous ne savez pas ce que cela représenterait pour moi... »

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CHAPITRE II DISPARU!... QUE T'AVAIT DIT exactement ton frère en te quittant? — Je te le répète, maman, il avait trouvé sur le trottoir un petit carnet; il s'était mis à le feuilleter devant une vitrine éclairée. Il faisait froid, je suis vite rentrée. Il aurait dû arriver quelques instants après moi. — Tu te rends compte, Jacqueline, il est maintenant huit heures et demie. Si, avant de rentrer, il avait rencontré un camarade, il serait venu nous prévenir. 28

- Le carnet qu'il a trouvé contenait peut-être l'adresse de son propriétaire, il aura voulu le rapporter. - Il aurait pu l'envoyer par la poste... ou tout bonnement le déposer au commissariat, comme on fait d'ordinaire. - Evidemment..., mais tu connais Sylvain, il aime à rendre service. Qui sait, il y avait peut-être de l'argent dans ce carnet. Il a voulu le redonner tout de suite... En tout cas, s'il lui était arrivé un accident, nous le saurions déjà, il a toujours son adresse dans son portefeuille, il y a même le numéro de téléphone de notre voisin, le marchand de charbon. — Ah! Jacqueline, puisses-tu dire vrai! » Mme Rambaud se tamponna les yeux avec son mouchoir. Dans la cuisine, le repas attendait depuis longtemps. Ni l'une ni l'autre ne pouvaient se décider à se mettre à table sans Sylvain. Elles faisaient la navette entre la cuisine et la fenêtre qui donnait sur la rue. Tout à coup, Mme Rambaud sursauta. Une voiture venait de klaxonner sur deux tons. « Mon Dieu! une ambulance! » Plus vive que sa mère, Jacqueline s'était déjà précipitée à la fenêtre qu'elle ouvrit vivement. « Non, maman, pas une ambulance, les pompiers! - Les pompiers se déplacent aussi pour les accidents... Il s'est peut-être noyé... » 29

Elles étaient restées à la fenêtre. Une autre voiture rouge passa. « Tu vois, fit Jacqueline, c'est bien un incendie... Et notre Sylvain est tout bonnement en train de regarder brûler la maison. » Elle referma la fenêtre qui laissait pénétrer un froid vif. La mère et la fille revinrent à la cuisine sans cependant se décider à s'asseoir. Au bout d'un moment, elles retournèrent à la fenêtre. En bas, la rue paraissait plus animée que d'ordinaire. « Le feu! Le feu, au bout de la rue! » Des gens passaient en courant pour aller voir, sans doute. « Ne t'inquiète plus, maman, Sylvain est là, c'est tout près de l'endroit où je l'ai laissé. — Allons vite là-bas! Elles descendirent dans la rue. Comme elles arrivaient sur le trottoir, une nouvelle voiture de pompiers passa. Ce n'était certainement pas un simple feu de cheminée. D'ailleurs, on sentait déjà la fumée acre que le vent rabattait. Tout à coup, Jacqueline s'arrêta. « Qu'y a-t-il? demanda vivement Mme Rambaud. — Oh! rien. » Jacqueline venait de s'apercevoir que la maison qui brûlait était celle où habitait Pierrefitte. Cette constatation lui causa un choc. Elle eut comme un pressentiment. Malgré elle, un rapprochement se fit 30

entre le chimiste et Sylvain, et elle se reprocha de ne pas avoir attendu son frère. L'immeuble d'angle disparaissait presque entièrement dans la fumée. Elles s'approchèrent du cordon de police qui retenait les nombreux badauds. Se haussant sur la pointe des pieds, Mme Rambaud cherchait à reconnaître le manteau mastic de son fils, mais dans la nuit, et avec cette fumée, c'était impossible. Près d'elles, une femme expliquait : « Moi j'étais là quand le feu a pris, je me trouvais sur le trottoir. J'ai entendu une explosion, les fenêtres du deuxième étage ont sauté, et presque aussitôt j'ai vu sortir des flammes. Il paraît que c'est le chimiste Pierrefitte qui habitait là, vous savez, celui qui fait toutes sortes d'inventions. Ces gens-là, on ne devrait rien leur laisser dans les mains! Ils seraient capables de « bouziller » tout Paris! - Est-ce que quelqu'un a été blessé? demanda Mme Rambuad. - Seulement le père Pierrefitte, on l'a emmené tout à l'heure en ambulance, paraît qu'il avait des brûlures aux mains... Je ne suis pas méchante, mais si ça pouvait l'empêcher de recommencer... » A demi rassurée, Mme Rambaud entraîna sa fille de l'autre côté, ayant tout à coup cru reconnaître certain pardessus clair. Hélas! ce n'était pas celui de Sylvain. Pendant ce temps, les pompiers luttaient de toutes leurs lances contre le feu 31

qui semblait perdre de sa violence, mais dégageait toujours la même fumée acre. Dans sa précipitation, Mme Rambaud n'avait pas pris son manteau; elle grelottait. « Rentrons, dit Jacqueline, tu vas prendre froid et je parie que nous allons trouver Sylvain devant la porte puisqu'il n'a pas la clef. » Mme Rambaud hésita, puis se laissa convaincre, se raccrochant à cet espoir. Hélas! Sylvain n'était pas devant la porte. Sitôt chez elle, la pauvre femme s'écroula sur une chaise. « Un malheur est arrivé, Jacqueline, j'en ai le pressentiment... Va téléphoner! » Jacqueline descendit chez leur voisin, marchand de charbon. Le bougnat, complaisant, permettait de téléphoner chaque fois que les Rambaud en avaient besoin. Mais le téléphone ne marchait pas. La ligne avait peut-être été coupée par l'incendie. « Va jusqu'au commissariat », supplia Mme Rambaud. Jacqueline prit son manteau et partit en courant. Elle revint au bout d'un quart d'heure. Aucun renseignement sur Sylvain. Une seule personne avait été blessée dans l'incendie, M. Pierrefitte. A tout hasard, Jacqueline avait donné le numéro de téléphone du marchand de charbon pour qu'on puisse les prévenir.

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Alors commença une attente anxieuse. Tressaillant au moindre bruit dans la rue, au moindre tintement de timbre de 'vélo qui pût passer pour une sonnerie, Mme Rambaud refusa de dîner et de s'étendre. Inquiète, elle aussi, Jacqueline avait peine à cacher ses propres larmes. « C'est ma faute, se redisait-elle. J'aurais dû l'attendre. » Dix heures, puis onze heures sonnèrent. Jacqueline redescendit chez le marchand de charbon qui avait prêté la clef de son petit bureau où se trouvait le téléphone. Les communications étaient rétablies, mais le commissariat n'avait toujours rien à signaler, aucun accident de la circulation dont la victime pût correspondre au signalement de Sylvain. « Tu vois, dit Jacqueline pour rassurer sa mère, s'il lui était arrivé quelque chose, nous le saurions certainement. - Et s'il se trouvait dans la maison qui brûlé? — Qu'y serait-il allé faire? — Tu le sais aussi bien que moi : voir Pierrefitte. Depuis le temps qu'il désirait le connaître, le voir de près. — Puisque personne n'a péri dans l'incendie. On a retrouvé le chimiste, on aurait aussi retrouvé Sylvain. » Epuisée par cette attente, Mme Rambaud, qui avait toujours été de santé délicate, eut une

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défaillance. Jacqueline l'aida à gagner sa chambre et l'étendit sur le lit. « Jacqueline, reste près de la fenêtre. Si tu entends quelque chose, appelle-moi. » Une heure passa. Où était Sylvain? Pourquoi n'était-il pas rentré? Jacqueline, pour sa mère et pour elle-même, essayait d'échafauder toutes sortes de suppositions raisonnables. Sylvain était parti porter le carnet trouvé, il s'était attardé, on l'avait retenu à dîner... Mais non, c'était impossible. Minuit sonna, puis une heure. Il était trop tard, à présent; plus d'autobus, plus de métro, il ne fallait plus l'attendre avant le matin. A bout de nerfs, Mme Rambaud finit par consentir à prendre un calmant que sa fille lui prépara dans un verre d'eau. Au bout d'un moment, elle devint somnolente et finit par sombrer dans un sommeil lourd. Alors Jacqueline alla dans sa propre chambre qui donnait sur la rue et se colla le nez contre la vitre. Tout était redevenu calme. En face, le lampadaire éclairait le trottoir tout luisant d'une petite pluie fine qui devait être glacée. Elle imagina son frère errant dans Paris, transi. « Sylvain, murmura-t-elle, où es-tu? » Elle resta ainsi longtemps, allant de temps à autre jeter un coup d'œil dans la chambre de sa mère, puis revenant vite monter la garde devant la vitre.

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Tout à coup, elle tressaillit. Un petit bruit sec tinta contre la vitre comme si quelqu'un, du dehors, avait lancé un caillou. Instinctivement elle recula, puis se rapprocha. Personne dans la rue. Au même moment, le petit bruit contre le carreau se répéta. Si elle n'avait pas été sûre que personne ne passait dans la rue, elle aurait cru à la stupide plaisanterie d'un noctambule. Mais peut-être celui-ci se cachait-il juste au-dessous, sur le trottoir. Elle ouvrit brusquement la fenêtre pour le surprendre. La rue était vide. Comme elle se penchait, il lui sembla tout à coup entendre appeler. « Jacqueline! » Avait-elle bien entendu? Elle ne répondit pas et resta, l'oreille tendue. La voix reprit : « Jacqueline, c'est moi, n'aie pas peur! » C'était bien la voix de son frère... Mais d'où lui parlait-il? « Sylvain, où es-tu? Je ne te vois pas. — Est-ce que maman est là? — Dans sa chambre, elle dort... Mais où es-tu, Sylvain, je n'arrive pas à te voir? Qu'est-il arrivé ? - Descends sans bruit jusqu'à la porte, je t'expliquerai... Mais n'ouvre pas. » Oui, c'était bien la voix de Sylvain, mais une voix inquiète. Hébétée, elle se pencha encore pour apercevoir son frère, pensant qu'il parlait peut-être à 36

travers le soupirail de la cave. Une peur indicible s'empara d'elle. Si quelqu'un imitait la voix de son frère? Avant de descendre elle jeta un coup d'œil dans la chambre de sa mère qui, épuisée, dormait toujours. Alors elle descendit jusqu'au vestibule. Comme elle arrivait devant la porte, elle entendit : « Jacqueline, c'est toi? — Je suis là. — N'ouvre pas encore, écoute. » Cette fois, plus de doute, c'était bien Sylvain... Mais quelle voix altérée! « Jacqueline, il m'est arrivé quelque chose d'effroyable; je suis allé chez Pierrefitte, je suis devenu invisible! Tu entends, Jacqueline, invisible ! - Oh! Sylvain! - Surtout, en ouvrant, n'aie pas peur, il ne faut pas que maman s'éveille, elle serait effrayée. Maintenant tu peux ouvrir, je suis nu, je grelotte. » Les doigts crispés de Jacqueline n'arrivaient pas à tourner la poignée. Dans l'encadrement de la porte, elle ne vit rien que la rue déserte et la lueur du lampadaire en face, sur laquelle passaient les petites hachures brillantes de la pluie. « Efface-toi, murmura Sylvain, je ne veux pas te frôler, tu crierais de peur. » La jeune fille, debout contre le mur, n'osait faire un mouvement. Tout à coup elle ressentit

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un léger courant d'air, comme le sillage d'un passant qu'on croise. Elle porta sa main à la bouche pour réprimer sa stupeur quand elle vit la porte se refermer seule et la clef tourner d'elle-même dans la serrure. « Je suis là, Jacqueline, je te vois, je suis transi et je vais monter me coucher; n'éveillons pas maman, il faudra la préparer... » Jacqueline n'eut pas la force de répondre. Au léger craquement des marches, elle comprit que son frère montait l'escalier. Elle rassembla son courage pour le suivre, et vit la porte d'une chambre s'ouvrir comme par magie. Avant d'entrer dans la chambre de Sylvain, elle pénétra à pas feutrés dans celle de sa mère. La pauvre femme dormait d'un sommeil agité. Elle prépara un nouveau calmant au cas où elle s'éveillerait et revint chez son frère. Le lit était vide, aucune tête sur l'oreiller qui pourtant en son milieu accusait un creux comme l'empreinte de la tête d'un dormeur. Les couvertures faisaient un renflement et bougeaient légèrement. C'était absolument effarant. Elle ne pouvait s'imaginer que son frère était là, qu'il vivait, qu'il la voyait. « Entre! Je suis invisible, mais vivant; n'aie pas peur. » La voix ne parvenait pas à la rassurer. Elle s'avança en hésitant. « Donne ta main que je la prenne, reprit la 38

voix sans lèvres, tu verras que c'est bien la mienne. » Elle tendit sa main, un peu au hasard, vers le lit. Le contact chaud des doigts de son frère faillit encore lui arracher un cri. « Prends une chaise, assieds-toi près de moi, ferme les yeux pour croire que je suis comme avant. - Oh! Sylvain, comment est-ce arrivé? Dis-moi vite. - C'est ma faute, Jacqueline, ma faute et la fatalité... Ah toi qui ne croyais pas à l'invention de Pierrefitte!... J'aurais dû t'écouter quand tu m'as dit de jeter le carnet que je venais de trouver... » II parlait péniblement, la voix brisée. Malgré la chaleur du lit, il claquait des dents :

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« Ce carnet appartenait au chimiste. Tu venais juste de me quitter quand j'ai trouvé l'adresse sur la couverture. Tu sais comme j'avais envie de voir Pierrefitte. J'ai grimpé chez lui. Je ne pensais pas qu'il me ferait entrer. Mais il était si content de retrouver son carnet.. et puis ma tête lui plaisait. Il m'a parlé de ses expériences. Il avait envie de voir l'effet que pouvait produire l'homme transparent. Bref, devant moi, il s'est rendu invisible. - Mais toi, Sylvain? — Son expérience finie, j'étais tellement emballé que je lui ai demandé de me rendre, moi aussi, transparent, juste quelques instants, pour le plaisir d'avoir été le premier. — Et il a accepté?... C'est odieux! — Ne l'accuse pas, Jacqueline, c'est ma faute. Il ne voulait pas, sa découverte n'était peut-être pas tout à fait au point, il n'avait pas le droit d'abuser de ma confiance. Il a longtemps hésité, je t'assure, et pourtant je sentais qu'il en brûlait d'envie. Tu comprends, pour lui aussi c'était quelque chose de décisif. Après cela, dès demain, il pouvait rendre publique sa découverte... Bref, il a consenti... Il m'a fait une piqûre au bras; presque aussitôt je suis devenu transparent. Je suis resté ainsi plusieurs minutes, pas du tout effrayé. Pierrefitte l'était plus que moi; je sentais qu'il avait hâte de me rendre à mon état normal. C'est alors que la fatalité...

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— Explique-toi vite, Sylvain! — Je me regardais dans une glace, quand tout à coup, derrière moi, le savant a été pris d'une violente quinte de toux; ses lunettes sont tombées sur le plancher; il a voulu se baisser pour les ramasser. Comme il est très myope, il s'est heurté à une table; un flacon s'est renversé, un flacon d'alcool, et au même moment une grande flamme a jailli. Tout cela s'est passé si vite que je n'avais pas eu le temps d'intervenir. « Sauve-toi! Sauve-toi! » m'a crié Pierrefitte. J'ai voulu l'aider à éteindre le feu; presque aussitôt une formidable explosion s'est produite qui a défoncé les fenêtres. Nous nous sommes retrouvés par terre, mais sans mal. « Sauve-toi! » m'a encore crié Pierrefitte. La fumée nous prenait à la gorge, je me suis sauvé. J'ai cru que le chimiste me suivait. Dans l'escalier des gens criaient, affolés. Quelqu'un me frôla, qui hurla de peur. Sur le coup, je ne pensai pas que c'était moi qui l'épouvantais. Je le compris seulement quand je me retrouvai sur le trottoir et que je vis des gens ouvrir des yeux affolés en me regardant. — Oh! Sylvain! — Alors la peur m'a pris à mon tour. Je me suis mis à courir comme un fou pour m'engouffrer dans la première impasse venue. Il me semblait que je perdais la raison. J'ai cru que tout Paris me poursuivait. Malgré le froid, je 41

me suis déshabillé et j'ai jeté mes vêtements dans un trou d'égout pour être tout à fait invisible. » La voix s'arrêta un instant, comme si celui qui parlait revivait ces moments effarants. La tête dans les mains, les yeux fermés, Jacqueline soupira longuement. Son frère reprit : « J'étais transi. Une seule idée me hantait : rentrer chez nous. L'émotion, le froid me coupaient les jambes. En quittant l'impasse j'ai dû m'appuyer contre un mur avant de retrouver assez de forces. Pourtant je ne voulais pas mourir là, sur place. J'ai marché, en longeant les murs, grelottant. Une bouche de cave s'ouvrait au ras du sol; j'ai réussi à me glisser dedans. Il faisait bon; la chaleur du chauffage central m'a ranimé. - Pauvre Sylvain! - Je suis resté là une heure, deux heures, je ne sais plus. Ah! Jacqueline, au moindre bruit, dans la rue, je me mettais à trembler; il me semblait qu'on me pourchassait. Et puis, dehors, les bruits se sont espacés; il devait être très tard. Quand je n'ai plus rien entendu, je suis sorti de ma cave. J'ai marché longuement dans le froid, avant de retrouver la maison. » II se tut. Les yeux maintenant fixés sur le creux de l'oreiller qui marquait la place de la tête, Jacqueline avait écouté ce long récit sans en perdre un mot. 42

« Et Pierrefitte, demanda Sylvain tout à coup, qu'est-il devenu? Il ne lui est rien arrivé? » Jacqueline soupira, hésitante. « Jacqueline, il n'a pas été blessé?... Et sa maison n'a pas brûlé tout entière? Son laboratoire n'a pas disparu?... » La jeune fille répondit : « Hélas! je crois qu'il ne reste pas grand-chose du laboratoire. Avec maman, nous avons vu l'incendie; nous sommes allées là-bas, croyant t'y trouver; presque tout l'étage a brûlé... Quant au chimiste, on nous a dit qu'il était blessé, brûlé aux mains. On l'a emmené à l'hôpital. — Blessé? répéta Sylvain... Mais ce n'est rien, dis-moi que ce n'est rien! Il ne va pas me laisser comme ça, invisible? Ce serait épouvantable! Ce n'est pas possible, pas possible... »

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CHAPITRE III L'AUTRE LABORATOIRE EN RENTRANT du collège où il retournait pour la première fois depuis sa grippe, Robert Guénec déclara : « Maman, tu sais, Sylvain Rambaud... depuis quinze jours on ne l'a pas revu. — Pourquoi n'aurait-il pas été malade comme tout le monde? — Il y a autre chose. En rentrant, j'ai fait un détour pour passer chez lui. Tous les volets étaient fermés. 44

— Les Rambaud ont peut-être eu un deuil qui les a obligés à s'absenter. — C'est ce que j'ai pensé, moi aussi. Pour le savoir, je suis entré chez le marchand de charbon, leur voisin. Le bougnat me connaît, il m'a vu souvent venir chez eux. Sa réponse m'a suffoqué. Les Rambaud auraient déménagé brusquement, il y a une dizaine de jours. Quant à savoir pour aller où... bernique! le bougnat n'a rien voulu dire; il avait même l'air si embarrassé que cela m'a paru louche. Et je n'ai rien pu apprendre de plus. Jamais Sylvain ne m'avait parlé d'un déménagement. — C'est curieux, en effet. — Sylvain est un de mes meilleurs amis. Pour quelle raison m'aurait-il caché ça? Ce départ brusqué m'inquiète. » Mme Guénec sourit, essayant de le tranquilliser. « Veux-tu que je te dise, Robert, tu lis trop de romans policiers, tu finis par voir des affaires louches partout. — Non, maman, je t'assure que c'est sérieux. Je l'ai tout de suite compris à la tête du bougnat. Il doit être au courant. Pourquoi ne m'a-t-il pas donné l'adresse?... Tiens, un autre petit détail. Sylvain m'avait emprunté un bouquin auquel il savait que je tenais, un bouquin de sciences, il ne serait pas parti sans me le rendre..., ou il me l'aurait renvoyé.

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Tu sais, sans être négligent, il est possible que Sylvain... - Non, maman, il est arrivé quelque chose chez les Rambaud, quelque chose de très grave. » Tout le reste de la soirée, Robert ne pensa qu'à son camarade. Le lendemain, au collège, il questionna ses camarades. Personne ne savait rien de Sylvain, sinon qu'il avait laissé ses affaires sans même les faire prendre par quelqu'un. A tout hasard, il passa encore dans la rue Laura-Ancin pour questionner le bougnat. Celui-ci le rabroua, lui enlevant toute envie d'insister. Deux jours passèrent. Robert espérait, chaque soir, trouver un mot de Sylvain. Rien. Le dimanche suivant il s'apprêtait à sortir, quand on sonna à la porte. « Va ouvrir », dit Mme Guénec. Robert traversa le vestibule en pestant contre cette visite qui allait peut-être lui faire manquer son match de football. La porte à peine entrouverte, il resta saisi. Sur le coup, il reconnut à peine la sœur de Sylvain. En trois semaines son visage s'était fripé, creusé, et son regard, naguère si calme, avait quelque chose d'inquiet. « Jacqueline! s'écria Robert. Qu'est-il arrivé? » Il pensa tout de suite à un deuil, Sylvain était mort peut-être? Mais elle n'était pas vêtue de noir.

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« Entre, Jacqueline. » Mme Guénec, qui s'était avancée, ne put s'empêcher, elle aussi, de montrer sa surprise. « Mon Dieu, Jacqueline, un malheur?... un accident?... » La jeune fille se laissa lourdement tomber dans le fauteuil qu'on lui avançait et sortit son mouchoir pour s'essuyer les yeux. « Un accident! — Sylvain? — Oui! » Mme Guénec et Robert se regardèrent, n'osant poser d'autres questions. Effondrée dans son fauteuil, Jacqueline regardait autour d'elle, craintive, comme si elle avait peur d'être entendue par des oreilles indiscrètes. « Oui, Sylvain, reprit-elle. Ah! si vous saviez... » D'une voix douloureuse, elle raconta l'incroyables aventure de son frère. « Epouvantable ! reprit-elle. Quand Sylvain est rentré ce soir-là, j'ai cru mourir de frayeur, et le lendemain, à son réveil, maman a failli perdre la raison. Pendant deux jours, elle n'a plus su ce qu'elle faisait. Ah! Robert, si tu voyais Sylvain, si tu sentais près de toi cette présence invisible, c'est effrayant. Ce veston sans tête, ces manches sans mains font de mon frère un fantôme. Depuis trois semaines nous vivons tous dans un affreux cauchemar. 47

- Mais il ne va pas rester ainsi! Ce n'est pas possible! » Jacqueline secoua tristement la tête. « Si tu as lu les journaux, tu as appris que le chimiste Pierrefitte est mort! Pendant quelques heures, nous avons vécu dans l'espoir qu'il n'était que légèrement blessé, qu'il pourrait rendre Sylvain à son état normal. Hélas! il est mort à son arrivée à l'hôpital. Il paraît qu'on n'avait pu l'empêcher de revenir dans son laboratoire en flammes pour sauver ses découvertes. Et maintenant il ne reste absolument aucune trace de ses inventions. C'est affreux! » La jeune fille passa une main sur son front et se remit à pleurer. « Ma pauvre Jacqueline! » soupira Mme Guénec, bouleversée, en lui prenant la main. « Pierrefitte est mort, reprit Robert, mais il existe à Paris d'autres chimistes, d'autres savants... — Pierrefitte n'était pas un homme comme les autres, il vivait en sauvage, ne voyait pour ainsi dire personne et ne communiquait ses travaux que lorsque les expériences étaient définitivement au point. - Personne ne connaît ses recherches sur l'homme invisible? — Sylvain en est persuadé, et moi aussi, hélas !

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— Oh! Jacqueline, pourquoi n'être pas venue nous trouver plus tôt? — Sylvain ne l'a pas voulu. En apprenant la mort de Pierrefitte, il a eu un tel choc qu'il n'a voulu voir personne. — Même pas un médecin? — Par l'intermédiaire du marchand de charbon, notre voisin, dont le frère est concierge à l'hôpital Necker, nous avons pu faire venir un savant, un grand savant, paraît-il, qui s'occupe de biologie. Sylvain a consenti à se laisser examiner. Ce médecin ne nous a pas caché qu'à l'heure actuelle, il n'était pas possible de tenter quelque chose. Tout ce qu'il a pu nous promettre, c'est de se documenter auprès de ses confrères, spécialistes en histologie... et de respecter notre désir d'éviter toute indiscrétion pour fuir les journalistes. Hélas! il faut croire que ceux-ci avaient eu vent de quelque chose; peut-être avait-on aperçu Sylvain lors de l'incendie? Des curieux sont venus rôder devant la maison, ont sonné. Nous n'avons jamais ouvert. Cela devenait intenable... Alors maman a décidé de partir. Tu sais, Robert, que nous avons une petite maison de campagne dans la banlieue, tout près de Villebou, une maison isolée. Le marchand de charbon nous a aidés à déménager l'essentiel. Il s'est montré très bon avec nous. Je le crois aussi discret. — Très discret, reprit Robert. Il m'aurait plutôt 49

roué de coups de bâton que de me donner votre adresse... » Jacqueline sourit faiblement. Tout à coup, elle sursauta. Quelqu'un venait d'entrer dans l'appartement. C'était M. Guénec. Tandis que Jacqueline, son récit terminé, se reprenait à pleurer, Robert raconta vivement à son père le terrible événement. Celui-ci fut aussi bouleversé que sa femme et son fils. « Comment, s'étonna-t-il, vous n'avez pas songé à nous, à notre aide? Evidemment, nous ne connaissons personne dans les milieux médicaux, mais qui sait?... — Sylvain ne voulait pas, répéta Jacqueline. Si vous saviez comme il a changé! Il passe par de sombres moments de dépression. C'est en cachette de lui que je suis venue. » II y eut un long et pénible silence. « Mais alors, demanda M. Guénec, qu'envisagez-vous maintenant? — Nous n'osons plus espérer. — Avez-vous cherché à vous renseigner sur les relations de Pierrefitte? - C'était un vieux sauvage. - Peut-être pas tant que ça. La preuve, il s'était plu en la compagnie de Sylvain au point de lui révéler sa découverte. — En tout cas, il n'avait pour ainsi dire aucune relation avec les gens de science; le biologiste qui a 50

examiné Sylvain l'a lui-même affirmé. — Les journaux n'ont-ils pas dit qu'il possédait une sorte de laboratoire en banlieue? - A Verrières, pas très loin de Villebon. On nous a dit qu'on ne trouverait là-bas aucune trace de ses expériences sur l'homme transparent. - Ce n'est pas sûr. En tout cas, s'il est possible que, dans les milieux scientifiques, les recherches ne puissent aboutir, il n'est pas dit que par ailleurs... » Puis, se tournant vers son fils : « Qu'en penses-tu, Robert? - Je pense qu'il faut sauver Sylvain et que nous y parviendrons. Nous frapperons à toutes les portes. » Le ton du jeune garçon était si convaincu que Jacqueline sourit pour le remercier. « Pour moi, reprit M. Guénec, un homme comme Pierrefitte, si bizarre qu'il fût, n'était pas sans relations. Un savant prend toujours ses précautions pour assurer la survie de ses découvertes. Je suis convaincu que les précieuses formules qui permettent de rendre le corps humain transparent existent encore quelque part. - Moi aussi, assura Robert avec force. Oh ! puissiez-vous dire vrai, soupira Jacqueline. Il me semble être plongée dans un cauchemar qui ne finira jamais... — Qui finira, Jacqueline, fit Robert en lui 51

prenant la main. Dis à Sylvain que nous ne l'abandonnerons jamais... » * ** On était en février. Le froid demeurait vif. La voiture de l'architecte Guénec roulait à travers de petites villes de banlieue que l'aigre bise semblait paralyser. De temps à autre, des flocons de neige venaient se coller contre le pare-brise. D'un œil indifférent, Jacqueline regardait défiler ces paysages semi-campagnards. Il y avait un mois maintenant que « l'accident » était arrivé, et rien encore, absolument rien, ne pouvait laisser espérer que Sylvain retrouverait un jour son état normal. Pourtant M. Guénec n'était pas resté inactif. Dès le lendemain de la visite de Jacqueline il avait prospecté ses relations, avec beaucoup de discrétion. Hélas! un des professeurs les plus éminents de la capitale, chimiste réputé, avait déclaré qu'en effet, à l'heure actuelle, en France tout au moins, personne n'était capable de réaliser la transparence du corps humain. La seule chance était donc de chercher si Pierrefitte avait livré son secret à quelqu'un d'autre avant de mourir. C'est pour cela que l'architecte avait organisé cette petite expédition à Verrières.

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Assis près de Jacqueline, à l'arrière, Robert jetait de temps à autre un regard vers la jeune fille dont le découragement faisait peine à voir. « Tu verras, disait-il, mon père a raison, c'est par là que nous aurions dû commencer. >> Le trajet paraissait interminable. A Verrières, l'architecte dut s'arrêter plusieurs fois avant de dénicher le fameux laboratoire du chimiste. « Sur la route d'Igny, à la, lisière du bois », leur indiqua-t-on. Ils finirent par découvrir un pavillon en briques, près duquel s'élevait une sorte de hangar à toiture vitrée qui pouvait être un ancien atelier de mécanique ou une filature. En bordure du terrain, une pancarte portait l'indication : A VENDRE. M. Guénec frappa à la porte du pavillon. Le bonhomme qui ouvrit regarda les arrivants d'un air un peu soupçonneux et fronça les sourcils. « Vous ne savez donc pas que M. Pierrefitte est mort? — Il travaillait ici, n'est-ce pas? - Puisque je vous dis qu'il est mort... D'ailleurs, il n'y a rien d'intéressant... Est-ce que vous êtes de la police? Vous venez pour enquêter? » M. Guénec paya d'audace. « Non, pas de la police, dit-il en souriant. C'est ce terrain à vendre qui m'intéresse. — Ah! le terrain? » 53

Le bonhomme changea d'attitude. La méfiance fit place à la curiosité. « Est-ce vous le propriétaire? demanda M. Guénec. — Non, pas moi, je suis locataire du pavillon et du hangar que j'avais transformé autrefois en atelier. Le terrain appartient à une dame qui habite Paris. Vous avez peut-être l'intention de faire construire? - Sans doute..., mais pas tout de suite. » M. Guénec fit mine d'examiner le terrain comme si cette affaire l'intéressait réellement. Le bonhomme, qui avait certainement reçu de la propriétaire la mission de servir d'intermédiaire, tout au moins pour faire visiter les lieux, se montrait maintenant presque empressé. M. Guénec en profita pour amener la conversation sur le chimiste. — Ah! oui, dit le bonhomme, ce pauvre M. Pierrefitte a eu une bien triste fin. Nous lui avions sous-loué ce hangar, il y a huit ans. Tout le monde, dans le voisinage, disait qu'un jour il ferait sauter la baraque, mais ma femme et moi nous n'avions pas peur. M. Pierrefitte n'était pas dangereux. Je crois qu'il venait surtout ici pour être plus tranquille. Au moins ce n'est pas la place qui lui manquait. Il y passait des jours entiers à faire des calculs et des expériences. De temps en temps on le voyait sortir pour fumer une pipe. Tout le monde prétendait que c'était 54

un ours; peut-être, mais pas avec nous. En tout cas, il nous payait toujours son loyer bien régulièrement. - Il avait beaucoup d'appareils? - Ah! monsieur, s'il en avait! Tenez, si ça vous amuse, venez jeter un coup d'œil. Ah! on ne peut pas dire que le pauvre homme avait beaucoup d'ordre. Une chatte n'y retrouverait pas ses petits. Naturellement, après sa mort, personne n'est venu chercher tout ça. Qui voulez-vous que ça intéresse? » Les visiteurs, à la suite du bonhomme, entrèrent dans le hangar où régnait, en effet, un beau désordre. « Ce n'est pas moi qui l'ai mis dans cet état, dit le bonhomme en manière d'excuse, c'était toujours comme ça, et il défendait à ma femme de donner un coup de balai. » Pour faire le tour du local ils durent enjamber des bidons, des caisses, des bacs de verre, des cornues, des paquets de tubes à essais. M. Guénec regardait d'un œil apparemment négligent ce matériel hétéroclite quand, tout à coup, apercevant une sorte de placard contre le mur, il demanda : « Il rangeait sans doute ses papiers là-dedans? — Des papiers sans importance, car pour ce qui est de ses recherches, vous pouvez croire qu'il ne laissait rien traîner. Il arrivait et repartait toujours avec sa grosse serviette de cuir bourrée à craquer. »

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Pour prouver ce qu'il avançait, le bonhomme ouvrit le meuble de bois blanc. Il contenait des fioles et quelques éprouvettes. Sur les étiquettes des flacons, on ne pouvait lire que des chiffres. Au bas du placard s'ouvrait un tiroir. Il ne renfermait que de vieilles factures, des quittances, et trois ou quatre enveloppes à moitié déchirées, vides de leur contenu. Deux d'entre elles portaient un timbre étranger. « Des timbres brésiliens, remarqua tout de suite Robert qui faisait une collection. — Tu peux les prendre, fit le bonhomme, si ça t'intéresse... » Robert fourra les morceaux d'enveloppes dans sa poche. Il n'y avait plus rien à voir dans ce hangar où il faisait très froid. En refermant la porte, l'homme se tourna vers M. Guénec : « Vous connaissiez M Pierrefitte? — J'en ai beaucoup entendu parler; je m'occupe de travaux scientifiques, moi aussi. Vous m'avez dit qu'il bavardait quelquefois avec vous... Parlait-il de ses découvertes? - Oh! non, jamais, surtout pas de ses recherches. - Recevait-il des amis, ici, à Verrières? — Non. — Connaissiez-vous sa mère qui vivait avec lui, à Paris, et tenait son ménage?

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— Je l'ai vue une fois seulement. Je ne sais ce qu'elle est devenue depuis la catastrophe. — Il n'avait plus personne de sa famille? — Je ne pense pas... ou plutôt si, un neveu... C'est vrai, je me souviens, un drôle de bonhomme qui est venu ici une fois, dans les premiers temps; je crois bien qu'il voulait soutirer de l'argent à ce pauvre M. Pierrefitte. — Et vous sauriez où il habitait, ce neveu? » Le bonhomme se gratta la tête : « M. Pierrefitte m'en avait parlé un jour... Attendez, je crois que c'était du côté de Montmartre, rue... Jean-Samuel ou un nom comme ça... » S'étonnant soudain de ces questions, l'homme se redressa : « Mais pourquoi tout cela vous intéresse-t-il? » Comprenant qu'il n'en tirerait plus grand-chose, M. Guénec se remit à parler du terrain à vendre, remercia le bonhomme en le traitant aimablement de futur voisin, et les trois visiteurs regagnèrent l'auto. A peine dans la voiture, Jacqueline soupira et dit : « Vous voyez, monsieur, vous avez perdu votre temps pour rien... - Pour rien? reprit vivement Robert. Nous avons l'adresse du neveu de Pierrefitte! - Un neveu qu'il ne fréquentait plus depuis longtemps, tu as entendu ce que le bonhomme a dit. — Mais que nous pourrons tout de même 57

rechercher et qui saura peut-être nous dire où se trouve la mère du chimiste, puisque personne, rue Laura-Ancin, n'a su nous renseigner... Et puis ces enveloppes qui viennent du Brésil... » Jacqueline sourit, sceptique : « Du Brésil ! fit-elle. — Qui sait, reprit M. Guénec, il faut s'accrocher à tout, Jacqueline, quand on veut réussir. » Soudain, s'arrêtant au bord de la route, il dit à son fils : « Robert, montre-moi ces morceaux d'enveloppes. » Tous trois se penchèrent sur les papiers jaunis et abîmés. Ces deux lettres avaient bien été adressées au chimiste, à son domicile de la rue Ancin. Malheureusement les cachets de la poste brésilienne étaient à peu près illisibles. Impossible de déchiffrer le lieu de départ qui devait commencer par un s, la deuxième lettre étant peut-être un a. En revanche, à l'aide de la loupe qu'il avait toujours dans sa poche, Robert put comprendre qu'une des lettres était datée du 12 juin et l'autre du 27 du même mois. « Deux lettres de même provenance, aussi rapprochées, tu ne trouves pas ça curieux? dit-il à son père. La personne qui écrivait à Pierrefitte n'était pas une personne quelconque, plutôt une sorte de correspondant. Les timbres ne sont pas ceux d'un affranchissement ordinaire. Ils sont 58

de trois cruzeiros; les lettres devaient être lourdes. D'ailleurs, ça se voit, les enveloppes sont restées un peu déformées. » M. Guénec ne put s'empêcher de sourire devant l'assurance de son fils. « Tu sais, Jacqueline, dit Robert soudain enthousiaste, dans les romans policiers c'est toujours comme ça. On trouve par hasard un petit bout de fil et puis un beau jour, crac! on découvre le peloton. » Ils reprirent leur route en direction de Ville-bon où l'architecte devait déposer Jacqueline avant de rentrer à Paris. Après la sortie de la petite ville, la jeune fille demanda à M. Guénec de stopper. « Excuse-moi, Robert, dit-elle, j'aurais voulu que tu voies mon frère. Il ne veut recevoir personne..., même pas toi. Et pourtant, 59

tu es son meilleur camarade. Il faut lui pardonner, il a tellement changé. » Robert ne répondit pas. Les larmes aux yeux, Jacqueline remercia encore M. Guénec et descendit de voiture. La nuit tombait, une nuit froide de fin d'hiver, grise et humide. La jeune fille se dirigea en se hâtant vers une petite maison très modeste, située à deux cents mètres de là, au bout d'un jardinet. « Tant pis, dit brusquement Robert, Sylvain ne veut voir personne, mais moi je veux lui dire que tout n'est pas perdu. » II s'élança sur la route et rattrapa Jacqueline comme elle arrivait devant le jardinet. « Mon Dieu! s'écria-t-elle en sursautant. - Je sais, dit Robert, il ne veut pas. Mais alors, à quoi servirait un ami? » Et il entra avec elle. Ce fut Mme Rambaud qui les reçut, avec un mouvement de surprise en apercevant Robert. « Où est Sylvain? demanda Jacqueline. — Il a passé toute la journée dans la salle à manger. - Comment est-il? — Toujours déprimé. » Embarrassée, Mme Rambaud se demandait ce qu'elle devait faire, quand tout à coup on entendit tirer un verrou, une porte s'ouvrit. Pourtant averti, 60

Robert serra les mâchoires pour contenir son émotion à la vue de cette sorte de mannequin sans tête qui s'avançait vers lui. Maladroitement, il dit, la voix tremblante : « Sylvain, tu me reconnais? Je suis Robert Guénec, ton camarade de classe... » Un petit rire forcé secoua les épaules du mannequin : « Ah! toi aussi tu t'imagines que je suis devenu fou, que j'ai perdu la mémoire et que je ne te vois pas!... Rassure-toi, je constate que, malgré le froid, tu as une excellente mine... et que tu portes une cravate neuve, cadeau d'anniversaire, sans doute? •» Le ton ironique fit mal à Robert qui avait reculé d'un pas. « Tu vois, pourquoi es-tu venu puisque je te fais peur? Tu n'oses même pas me serrer la main! » Le jeune Guénec hésita devant la manche droite du mannequin qui se soulevait et s'avançait. Le contact de la main invisible lui fit passer un frisson à travers le corps. « Eh bien, mon vieux, il fait si froid que ça dehors, pour que tu trembles de la sorte? » Robert se sentit un instant désemparé. Dire que Sylvain était autrefois un si chic camarade! Se reprenant, il pensa soudain qu'à l'ironie mieux valait répondre par l'ironie. Il eut le courage de plaisanter, assurant à Sylvain qu'il avait une tache sur la joue 61

droite, sérieusement besoin de passer chez le coiffeur et de se couper les ongles. « Vraiment, insista-t-il, toi non plus tu n'as pas changé... Seulement je te préviens, quand tu souris, on voit ta dent qui se gâte; il faudra aussi passer chez le dentiste. » Surpris à son tour, Sylvain se tut, puis soudain se mit à rire pour la première fois depuis un mois. Robert sentit une main se poser sur son épaule et le pousser vers la petite salle à manger où brûlait un feu de bois. « Ah! soupira Sylvain, dire que personne ne croyait à l'invention de Pierrefitte! » Et pour son camarade, il reprit le récit de son étrange aventure. Peu à peu Robert s'habituait à cette voix qui semblait sortir du vide, une voix qui paraissait presque différente, tant on est habitué à lier les mouvements du visage, l'éclat du regard, aux paroles sorties des lèvres. Et à mesure que Sylvain parlait, il éprouvait de plus en plus le sentiment que tout n'était pas fini, que le secret de Pierrefitte n'était pas perdu pour toujours, qu'un jour Sylvain redeviendrait le joyeux camarade qu'il avait connu et qu'il aimait. « Sylvain, dit-il, moi, j'ai confiance. Ta sœur et moi nous avons juré de réussir... et nous te sauverons... »

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CHAPITRE IV PANIQUE SUR LE BOUL' MICH' « Tu SAIS, papa, tu te moques de moi avec mes enveloppes, mais je suis presque sûr que, si un jour nous trouvons quelque chose, ce sera de ce côté-là. - A condition de savoir qui les a adressées à Pierrefitte. — Nous le trouverons. — En attendant nous n'avons pas encore pu mettre la main sur le neveu du chimiste qui, lui, habite pourtant beaucoup moins loin. - Il n'y a que deux jours que nous sommes allés à 63

Verrières..., mais j'ai eu une idée. Cet après-midi, j'ai demandé à un agent où se trouvait la rue JeanSamuel. - Et il ne l'a pas trouvée, lui non plus? - Non... Mais dans le XVIIIe arrondissement, il y a une rue Jean-Savel. Notre bonhomme de Verrières a pu se tromper; en les prononçant un peu vite, les deux noms se ressemblent. » L'architecte regarda son fils en souriant : « Ma parole, tu ferais un bon détective. - Le plus ennuyeux, reprit Robert, c'est que cette rue est assez longue : une centaine de numéros ! Tant pis, nous frapperons à toutes les portes s'il le faut. » Dès le lendemain, ils se mirent en campagne. Cette rue Jean-Savel était une sorte de longue ruelle tortueuse serpentant derrière la Butte, dans un quartier totalement inconnu des Guénec. Comment y retrouver quelqu'un dont ils ne connaissaient pas même le nom? Car il n'était pas certain que le neveu s'appelât Pierrefitte, comme l'oncle. Sans être mal famée, la rue Jean-Savel n'avait rien d'attrayant. Elle n'était qu'un fouillis de vieilles maisons au bout de couloirs sans fin, au fond de cours sombres comme des caves. Le premier soir, le père et le fils rentrèrent exténués après avoir grimpé combien d'escaliers branlants, frappé à combien de portes, pour 64

s'entendre chaque fois répondre : « Pas de Pierrefitte ici. » Mais Robert ne se décourageait pas. Le surlendemain, ils venaient de visiter en vain une douzaine de maisons, pour la plupart dépourvues de concierge, quand au quatrième étage d'un vieil immeuble, ils tombèrent sur un petit bonhomme chauve, d'une cinquantaine d'années, qui, en entendant prononcer le nom de Pierrefitte, fronça les sourcils. « Le neveu de Pierrefitte, oui, c'est moi. Que lui voulez-vous? » II faillit leur fermer la porte au nez puis, se ravisant, déclara : « Des renseignements sur le chimiste? Vous tombez mal. Pour tout dire, je ne le voyais pas, je n'étais pas avec lui. » M. Guénec s'empressa de dire qu'il cherchait l'adresse de la mère du savant. « Ah! sa mère... Ma foi, je sais qu'après l'incendie elle a dû être hospitalisée quelques jours; depuis, je ne sais pas... — Où pourrait-elle être? — Je vous répète que je ne sais rien. Tout ce que je peux vous dire, c'est qu'elle a une cousine ou une nièce en Normandie... à Villeneuve-en-Bray, ce doit être du côté de Rouen. » Le bonhomme se tenait toujours dans l'entrebâillement de la porte. M. Guénec tenta encore 65

de lui demander s'il connaisssait les relations de son oncle avec des chimistes français ou étrangers, mais l'autre secoua la tête et, excédé, referma brutalement la porte. Robert et son père rentrèrent à la maison, déçus. Sans doute possédaient-ils une nouvelle adresse, mais il était probable que la vieille femme, s'ils la retrouvaient, ne savait pas grand-chose. D'après Sylvain, elle avait au moins quatre-vingts ans et elle devait commencer à radoter. « Tant pis, déclara Robert, nous irons là-bas. » Le dimanche suivant, M. Guénec et son fils prenaient la route pour Villeneuve-en-Bray, minuscule village enfoui au milieu des pommiers. « Ah ! oui, leur dit-on dans l'auberge où ils s'adressèrent, la mère du vieux fou qui a fait sauter sa baraque!... Vous la trouverez au hameau des Feuillus, au bord de la rivière. » Après avoir manqué deux fois de s'enliser dans un chemin bourbeux, ils découvrirent enfin la ferme. Une vieille petite femme tout en noir prenait le soleil sur le pas de la porte. Ils s'approchèrent. La vieille les regarda d'un mauvais œil. « Non, non, pas de journalistes! » s'écria-t-elle en agitant la main. M. Guénec, pour la mettre en confiance, commença par s'extasier sur les géraniums déjà fleuris, au rebord d'une fenêtre. Puis, de fil en 66

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aiguille, arriva à la catastrophe de la rue LauraAncin. « Ah! ne m'en parlez pas, soupira-t-elle, je me demande comment je ne suis pas morte d'émotion. » L'architecte la rassvira. L'entraînant un peu à l'écart de la maison, il lui demanda si elle se souvenait du jeune garçon qui, le soir de l'incendie, était venu frapper à la porte du chimiste. La petite vieille rassembla ses souvenirs : « Oui, je me rappelle, mon fils l'avait fait entrer; il rapportait un carnet. Ils sont restés longtemps ensemble dans le laboratoire... — Justement, votre fils a voulu tenter sur lui son expérience sur la transparence du corps..., et c'est à ce moment-là que l'incendie a éclaté. Le corps de ce jeune garçon est resté invisible. » La petite vieille ne parut pas se rendre compte de ce que cela signifiait. Puis regardant Robert : « Pourtant, je vois... - Non, ce jeune homme est mon fils. Il s'agit d'un de ses camarades. — Invisible? reprit-elle. Vous dites qu'il est resté invisible? Mon Dieu! est-ce possible? - C'est pour cela, pour essayer de le sauver, que nous sommes venus. Peut-être votre fils vous tenait-il au courant? — Il ne me parlait de rien.

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— Mais il avait des relations? » La bonne vieille secoua la tête; « II ne voyait personne, pour ainsi dire. — Il n'avait pas d'amis? — Je ne lui en ai guère connu qu'un seul. Il l'avait rencontré autrefois, pendant la guerre d'e 14. — Un chimiste, comme lui? - Je crois. - Où habite-t-il? » La petite vieille eut un geste évasif : « Oh! très loin, monsieur, pour ainsi dire au bout du monde! » Robert ne put retenir son émotion. Il pensa aussitôt aux enveloppes. « Au Brésil, peut-être? — Justement, au Brésil... Mais comment le savez-vous? » Robert se mordit la langue. Heureusement, la vieille femme n'insista pas. « Et vous le connaissez? demanda vivement M. Guénec. - Il a vécu plusieurs années en France, après la guerre. Il venait parfois , chez nous; un homme charmant, d'ailleurs. Il s'appelait Antonio Rodrigues. - Et au Brésil, vous connaissez son adresse? Il habite à Rio? - Non, pas à Rio, à Santos. Voyez si j'ai encore bonne mémoire, malgré mes quatre-vingt-un ans ! Je 69

peux même vous dire l'adresse : avenue Marajo, numéro 16. » L'architecte nota aussitôt cette adresse et demanda encore : « Savez-vous s'ils étaient toujours en relation? - Hélas! je ne pourrais vous dire; autrefois, c'était moi qui portais le courrier à la poste, mais depuis quelques années, à cause de mes jambes... Non, vraiment, je ne sais pas. Mais vous pouvez écrire. Vous direz que c'est de ma part, il se souviendra certainement de moi. Ah! s'il pouvait vous aider... Voyez-vous, mon fils passait pour un sauvage, mais si dans sa tombe il savait ce qui est arrivé à ce jeune garçon, il en serait très malheureux. » Quand ils quittèrent la vieille femme, Robert lui aurait volontiers sauté au cou. « Tu vois, dit-il triomphalement à son père en remontant en voiture, les timbres avaient raison! C'était le petit bout de fil qui nous fera trouver le peloton. » Ils rentrèrent trop tard à Paris pour aller le soirmême jusqu'à Verrières; mais dès le lendemain matin, tant pis pour le collège, Robert fila jusque làbas pour annoncer la nouvelle. Hélas! il trouva la petite maison de Villebon en émoi. La veille, alertés par on ne sait quelle indiscrétion, des journalistes avaient rôdé autour de la maisonnette, mettant Sylvain au 70

comble de la fureur. L'un d'eux s'était même montré presque insolent envers Jacqueline qui essayait de réconduire. Un autre s'était introduit dans le jardin et avait photographié la maison sous tous ses angles. « Je te remercie, Robert, soupira Mme Rambaud. Je veux, comme toi, me raccrocher à cet espoir, mais en attendant, d'ici quelques jours, la vie ne sera plus tenable ici. » Mis au courant au retour de Robert, M. Guénec décida, pour dérouter les curieux, de faire venir Sylvain à Paris, chez lui. « Bonne idée, déclara Robert, je me charge de le distraire. Et s'il veut travailler, en attendant de retrouver son visage, je lui passerai mes cours. » Ainsi fut fait. Une nuit, M. Guénec alla chercher Sylvain. On l'installa dans une chambre qui ne donnait pas sur le vestibule et où personne ne pouvait pénétrer à l'improviste. * ** Expédiée par avion, la lettre mettrait bien deux ou trois jours pour atteindre le Brésil. Même si l'ami de Pierrefitte répondait par retour du courrier, il ne fallait pas espérer la réponse avant une bonne semaine. 71

Cette attente parut à tous effroyablement longue. Chaque jour, Jacqueline venait aux nouvelles. Enfin, un matin, le facteur apporta une lettre recommandée, ornée de timbres étrangers. Mme Guénec était seule à la maison, seule avec Sylvain qui, dans sa chambre fermée à clef comme d'habitude, n'avait sans doute pas entendu ouvrir. La femme de l'architecte examina longuement l'enveloppe avant d'oser l'ouvrir. Pourtant, le fait que la lettre arrivait dix jours seulement après l'expédition de celle de son mari, le fait aussi qu'elle était recommandée, lui parurent favorables. Elle se décida à la décacheter. Elle était libellée en français, et même en excellent français. Une fine écriture serrée couvrait toute une page. Monsieur, La nouvelle de la mort de mon vieil ami Pierrefitte me touche profondément. Je n'avais rien reçu de lui depuis trois mois, mais je ne supposais pas qu'il n'était plus. L'autre nouvelle, V « accident » survenu à ce jeune garçon, me bouleverse également. Sous le sceau du secret, je puis vous dire que je suis au courant des recherches d'Etienne Pierrefitte sur l'homme transparent. Il me les a communiquées il y a environ six mois, alors que ses essais sur des souris et des cobayes se révélaient concluants. Il me disait 72

alors ses hésitations à lés répéter sur l'homme. Il m'avait fait promettre de ne pas divulguer ses expériences, mais je connais assez les sentiments humains de mon vieil ami pour penser que, dans un cas semblable, il m'autoriserait à utiliser ses recherches. J'ai donc étudié ses notes. Malgré mon grand désir de vous venir en aide, je ne vous cache pas les difficultés de tous ordres qui me rendront difficile la réalisation des expériences de Pierrefitte. Certains sels et surtout certain alcaloïde, provenant d'une plante extrêmement rare, seront difficiles à trouver. Mais le salut d'un homme est en jeu. Je ferai tout mon possible pour réussir. Antonio RODRIGUES. Mme Guénec relut deux fois la lettre. Puis elle courut frapper chez Sylvain : « Sylvain!... « II » a répondu! » Elle tendit la feuille que saisirent des doigts invisibles. Elle vit le papier rester immobile dans le vide, puis se mettre à trembler. Et tout à coup des sanglots emplirent la chambre. Sylvain pleurait, terrassé par cet espoir soudain, par cette luexir de réconfort qui venait de si loin. Quand, en rentrant du collège, Robert apprit la nouvelle, il sauta de joie. 73

« Ça y est, Sylvain, le cauchemar va finir! Mes timbres avaient raison! Je prends ma bicyclette et je vole à Villebon prévenir Jacqueline. » Pendant plusieurs jours, tous vécurent dans l'optimisme. Ce n'était plus qu'une question de temps, de quelques semaines, et Sylvain oublierait son cauchemar. Hélas! cette flamme ne dura pas. A force de réfléchir, Sylvain ne songea plus qu'aux difficultés, à tout ce qui pourrait empêcher le savant brésilien de renouveler l'expérience de Pierrefitte... Et qui sait si cet Antonio Rodrigues qui, certainement, n'était plus très jeune, n'allait pas, lui aussi, disparaître avant l'heure du salut? Il en perdit l'appétit et le sommeil. Depuis bientôt deux mois qu'il vivait en reclus, il s'anémiait. Peu à peu, la vie bruyante de Paris lui devenait étrangère. Pourtant, tandis qu'il ruminait toutes sortes de pensées dans son fauteuil, dehors, à mille petits riens, au pépiement des oiseaux sur les branches encore nues, au visage moins crispé des passants, on devinait l'approche du printemps. « Mon vieux Sylvain, déclara Robert un jour, tu ne peux pas toujours rester là à broyer du noir. Tiens, je me souviens de l'histoire d'un petit noir qui se lamentait de n'être pas blanc comme tout le monde et qui avait trouvé le moyen de le devenir, pour un jour. — Que racontes-tu? 74

— C'est demain Mardi gras, Sylvain, les masques vont déambuler dans les rues. L'occasion est unique. Nous nous déguisons et je t'emmène sur les boulevards I » Sylvain commença par protester; les regards braqués sur lui rappelleraient de trop mauvais souvenirs. D'ailleurs, Paris lui était devenu indifférent. Robert ne l'écouta pas. Il rapporta deux masques et, le lendemain, déguisés de la tête aux pieds, les deux amis sortirent dans Paris. On était aux premiers jours de mars. Il faisait presque beau. Aux nuages gris se mêlaient des lambeaux de ciel bleu. L'air était tiède, léger à respirer. Tout d'abord, à la rencontre des premiers passants, Sylvain se sentit gêné. On allait reconnaître l'artifice, les gens allaient fuir épouvantés. Mais non, au contraire, les Parisiens souriaient devant ces masques grotesques. Alors, ils déambulèrent dans les rues. Peu à peu, Sylvain oubliait qu'il n'était plus comme les autres. Avec son masque, son chapeau, ses gants, rien ne pouvait lé trahir. Et il pensait au temps heureux où il revenait du collège, avec Robert, en chahutant. Paris, qu'il croyait maintenant détester, retrouvait son aimable visage. « Si nous allions faire un tour près de la Seine? » C'était lui, maintenant, qui dirigeait la balade, entraînait Robert. Ils suivirent les quais, 75

s'arrêtèrent devant les bouquinistes, cherchant même, pour s'amuser, une édition de L'Homme invisible, de Wells. De là ils remontèrent le boulevard Saint-Michel, dont Sylvain avait oublié l'animation. La balade était longue. Sylvain avait un peu trop présumé de ses forces. Depuis si longtemps il ne marchait plus. Arrivés près du jardin du Luxembourg, il proposa : « Si nous nous asseyions un peu? » Ils entrèrent dans un café où personne ne parut surpris de leur accoutrement. « Ton idée était fameuse, Robert. Cette petite escapade me fait du bien; elle me donnera du courage pour attendre. » Ils bavardaient tranquillement depuis un moment, devant une tasse de café, quand tout à coup, à travers les vitres embuées, Sylvain crut remarquer, dehors, une animation anormale. « Que se passe-t-il? — Un défilé de masques, sans doute. — Non, autre chose... Regarde... Des agents? — Peut-être un accident, le carrefour est assez dangereux. » Mais Robert avait à peine achevé que des agents pénétraient dans le café, laissant l'un d'entre eux monter la garde près de la porte. « Une descente de police, murmura quelqu'un près d'eux. Un voleur vient sans doute d'opérer dans 76

le quartier et il s'est caché dans un café. » Sylvain se sentit pâlir sous son masque. Une descente de police, cela voulait dire : vérifications d'identité. , Rapidement, les agents s'étaient répandus dans la salle presque comble et, naturellement, tous les regards convergeaient vers Robert et Sylvain que leur déguisement rendait suspects. « Ne t'inquiète pas, dit Sylvain à voix basse, s'il m'arrive quelque chose je tâcherai de me débrouiller. Ne t'occupe pas de moi. » Des agents s'approchèrent de leur table. « Enlevez ce masque », firent-ils en s'adressant à Robert. Robert s'exécuta et montra sa carte d'identité dont l'agent releva le numéro sur un carnet. « Et vous? » Sylvain hésita : « Je ne peux pas... J'ai une blessure au visage... Je suis défiguré. » L'agent insista, brutalement : « Pas d'histoire! Enlevez-moi ça! » Sylvain comprit que toute nouvelle protestation était inutile. Alors, d'un geste vif, il arracha son masque. Des cris de stupeur partirent dans la salle. L'agent lui-même, complètement ahuri, avait reculé d'un pas. Le policier qui se tenait près de lui, voulant se montrer crâne, étendit la main pour se rendre compte de l'existence réelle d'une tète au-dessus des 77

épaules. Il heurta le front de Sylvain et recula à son tour en lâchant un juron. Après une seconde d'hésitation, Sylvain comprit que c'était le moment de payer d'audace. S'étant prestement débarrassé de ses gants, il agita les bras. Les manches vides produisirent immédiatement un effet extraordinaire. De nouveaux cris partirent, des cris de femme surtout. Comme un troisième agent arrivait en renfort, Sylvain, utilisant sa tête comme invisible boutoir, le bouscula rudement. Le désarroi fut général. Profitant de ce trouble, Sylvain se glissa derrière le comptoir où il se dévêtit complètement; et tout à coup, on vit apparaître un balai brandi dans le vide, faisant des moulinets au-dessus des têtes. La panique atteignit son comble. Des hurlements jaillirent, dans tous les coins du café. Les consommateurs se ruèrent vers la sortie. Sans se rendre compte 78

de ce qu'elle faisait, une femme se jeta contre une vitre pour gagner la rue au plus vite. En tombant, la glace se fracassa dans un bruit infernal. En un clin d'œil le café fut vide. Les agents eux-mêmes, complètement débordés, avaient pris le large. Dans le carrefour, le désordre était indescriptible. Toute la circulation, si intense à cet endroit du Boul’ Mich', se trouvait paralysée. Beaucoup de gens, ignorant ce qui s'était passé, parlaient d'une émeute. Robert, qui avait fui, ou plutôt fait semblant de fuir comme tout le monde, commençait à s'inquiéter pour Sylvain. A l'écart, le long des grilles du Luxembourg, il arpentait le trottoir, se demandant ce qu'il devait faire. A tout hasard, pensant que son camarade songerait peut-être à le retrouver là, il entra dans le jardin où la foule était moins dense. Tout à coup, il sursauta au contact d'une main sur son épaule et se retourna : « Robert, c'est moi!... Vite, sauvons-nous, je crève de froid... Appelle un taxi! » Ils durent attendre un bon quart d'heure avant de trouver une voiture. Enfin un chauffeur s'arrêta au signe de Robert qui ouvrit la portière et fit entrer d'abord Sylvain. Durant tout le trajet, ils ne soufflèrent mot. Jamais le chauffeur ne saurait qu'il véhiculait l'homme invisible de Wells. Une demiheure plus tard les deux copains se retrouvaient dans la chambre 79

de Sylvain. Alors, Robert explosa : « Formidable, Sylvain! Tu as été formidable!... Jamais je n'aurais cru!... Je t'assure, quand j'ai vu les agents entrer, je me demandais comment nous nous en sortirions... J'ai l'impression que ta petite balade dans le Quartier latin va faire du bruit. » Du bruit, certes, elle en fit ! Le lendemain matin de gros titres paraissaient sur tous les journaux, aussi variés, aussi extravagants les uns que les autres : L'homme invisible existe réellement! ou : Un monstre invisible sème la panique dans le Quartier latin! ou encore : Un balai hanté provoque un embouteillage monstre sur le boulevard Saint-Michel! Dans les articles qui suivaient, il était tantôt question d'une agression, tantôt d'un formidable « canular », tantôt d'une angoissante réalité. Et les mots « monstre invisible » revenaient à chaque instant sous la plume inquiète des journalistes. 80

Dans plusieurs de ces journaux on pouvait voir des photos montrant la devanture saccagée du café, le balai hanté, ou même les vêtements du « monstre » retrouvés derrière le comptoir. Et presque tous les articles, afin de rassurer les Parisiens, se terminaient ainsi : « Si réellement ce monstre existe, il faudra bien le retrouver. » « Pour me retrouver, fit Sylvain en riant, ce sera plutôt difficile. C'est une chance, je n'avais aucun papier sur moi. » En somme, cette aventure, qui aurait pu finir tragiquement, avait eu pour conséquence de redonner confiance à Sylvain. Ses nerfs étaient plus solides qu'il l'imaginait. Il s'habituait à la peur des autres. Si vraiment un jour il redevenait normal, il repenserait longtemps à cette extraordinaire balade sur le boulevard!

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CHAPITRE V A BORD DU « TRAS-OS-MONTES » Santos, 18 mars. vous mettre au courant des travaux que je poursuis. Les formules de mon ami français m'ont permis de réaliser, hier, la transparence de la cellule vivante. Deux cobayes et une souris sont devenus parfaitement invisibles. En revanche, l'opération inverse n'est pas au point. Plusieurs sels obtenus en partant de l'acide paritique présentent une extrême instabilité. De son côté, l'alcaloïde appelé termigane, extrait d'une plante rare en Amérique du Sud, se JE VIENS

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décompose avec une très grande rapidité. Dès que la contre-expérience sera au point, je vous le ferai savoir. Antonio RODRIGUES. Santos, 3 avril. A mon grand regret, je ne puis apaiser votre inquiétude. L'instabilité du termigane est telle que les contre-expériences n'ont pu réussir parfaitement. Les deux cobayes et la souris n'ont repris qu'imparfaitement leur aspect normal. Seuls les os et certains tissus cartilagineux ont retrouvé leur aspect primitif. Je vais renouveler les expériences sur d'autres animaux. Antonio RODRIGUES. Santos, 30 avril. La contre-expérience a, cette fois, parfaitement réussi. D'ores et déjà, je crois pouvoir affirmer qu'elle est valable pour l'homme, sans aucun risque. Cependant, l'instabilité que je vous ai signalée précédemment me parait être un obstacle important sinon capital. De même pour le composé obtenu au départ du bichl-rure d'éthyle, lequel est sensible à la lumière et surtout aux trépidations. Il n'est donc pas possible de les faire parvenir en France, même par 83

avion. Il faut envisager de faire préparer tous ces éléments, sur place, par un chimiste français, ce qui, malheureusement, demandera du temps et aussi, bien entendu, une compétence sûre, étant donné la délicatesse de certains dosages. A mon avis, le mieux serait de m'amener ici, à Santos, votre jeune et infortuné protégé. S'il acceptait de se rendre au Brésil, vous devriez me faire connaître la date exacte de son arrivée, afin que tout soit prêt en temps voulu, car ainsi que je vous l'ai peut-être signalé, la stabilité du termigane n'excède pas une dizaine de jours. J'attends votre décision. Antonio RODRIGUES. Cette dernière lettre, après la lourde inquiétude laissée par les deux autres, arracha un cri de triomphe à Robert. Il se précipita dans la chambre de son camarade en criant : « Sauvé! Tu es sauvé!... Tiens, lis! » Sylvain saisit vivement la lettre et lut d'un trait les lignes serrées du Brésilien. Puis sa main retomba, et le papier glissa sur le plancher. « En Amérique?... Tu es fou! — Pourquoi pas? — Mon pauvre Robert, tu n'y penses pas! En Amérique, moi qui n'ai même pas pu me balader dans Paris sans faire scandale... Et d'abord, 84

où trouver l'argent? Non, mon vieux, c'est insensé. Il faudra chercher quelqu'un en France. - Tu as vu ce que dit Rodrigues? Ce serait hasardeux. On ne joue pas avec ces choses-là... » Le soir même, dès que Sylvain se fut retiré dans sa chambre, une grande discussion eut lieu entre les Guénec. Ce fut le bouillant Robert qui l'amorça. « Voyons, maman, que penses-tu de tout ça? - Qu'il faut agir... et au plus vite. - Evidemment, fit l'architecte, agir au plus vite, par conséquent envoyer Sylvain là-bas. A première vue, cela paraît difficilement réalisable, et pourtant... Dès demain, j'irai voir Mme Ram-baud et Jacqueline. — Hélas! tu connais leur situation matérielle, elle n'est pas brillante. Auront-elles les moyens? Naturellement, Sylvain ne pourrait faire seul la traversée, il faudrait l'accompagner. Combien peuvent coûter deux traversées aller et retour pour le. Brésil? — Cher, évidemment... Mais je pense... — Bien sûr, moi aussi je pense que nous pouvons les aider. — Et moi aussi, dit vivement Robert. Je me faisais une cagnotte pour les vacances, je l'abandonne. — Reste à savoir si Mme Rambaud acceptera, dit Mme Guénec. Je la connais, elle est tellement scrupuleuse. 85

— Ah! coupa son mari, il s'agit de la santé, de la vie de Sylvain, elle ne peut pas s'y opposer. Ce n'est d'ailleurs pas elle qui m'inquiète, mais Sylvain. Voudra-t-il accepter? - S'il ne veut pas, assura Robert, je me charge de lui. — Mais qui l'accompagnera? demanda Mme Guénec. Certainement pas sa mère, la pauvre femme est trop fragile et, d'un autre côté, Jacqueline me paraît bien jeune. » L'architecte ne répondit pas. Il se frotta le menton, puis, au bout de quelques instants : « J'ai beaucoup de travail en ce moment, surtout avec ces nouveaux projets de groupe scolaire à Aubervilliers, mais tout peut s'arranger; j'en serai quitte pour prendre mes vacances maintenant et je me rattraperai au mois d'août. Qu'en pensez-vous? — Bien sûr, papa, il n'y a pas d'autre solution. » — Le lendemain matin, de bonne heure, l'architecte partait pour Villebon. Mme Rambaud, le voyant arriver de si bonne heure, s'imagina qu'un accident était arrivé à Sylvain. Sur le coup, la lettre la remplit d'espoir, mais quand M. Guénec expliqua ce qu'il avait projeté avec sa femme, elle s'affola. « Non, dit-elle, je ne peux pas, je ne peux pas vous demander pareil service. Vous avez déjà tant fait pour Sylvain... »

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Avec beaucoup d'autorité et de douceur, l'architecte lui fit admettre qu'il n'était pas question de discuter l'opportunité d'un départ pour le Brésil et que, par conséquent, toute objection riait superflue. Plus tard, quand Sylvain serait guéri, on reparlerait des questions d'argent. Ainsi, malgré quelques protestations de Sylvain, le voyage fut décidé. Il se ferait par bateau. Sylvain, en effet, ne voulait pas entendre parler de l'avion; d'abord à cause du prix de la traversée, ensuite parce qu'à bord d'un avion il lui serait absolument impossible de ne pas révéler son « infirmité », comme il disait. Pour rien au monde il ne voulait être la proie des journalistes auxquels, depuis lès incidents de Villebon, il avait voué une haine terrible. « Mon vieux, blaguait Robert, une croisière au Brésil! Monsieur ne se refuse rien! Dommage que Pierrefitte ne m'ait pas rendu invisible, moi aussi! Quel chic voyage nous aurions fait ensemble! Tu vas me donner des regrets! » En attendant, il fallait songer aux préparatifs. Retenu dans ses bureaux et sur les chantiers pour régler toutes sortes d'affaires avant cette longue absence, M. Guénec ne pouvait guère s'en occuper. Ce fut Robert qui s'en chargea. Au sortir du collège, il se précipitait dans les agences de voyages, s'informant des prochains départs pour l'Amérique du Sud. Ce n'était pas aussi facile qu'il l'imaginait, peu 87

de navires faisant directement la traversée France-Brésil. On finit par lui indiquer un bateau portugais, un paquebot de 25 000 tonnes qui, partant de Hambourg le 18 mai, ferait escale au Havre le 19, et de là filerait sur Rio après de brèves escales à Lisbonne et Dakar. Chaque soir, Sylvain et Robert se penchaient sur des cartes, suivaient l'itinéraire du navire, regardaient des vues du Brésil, des photos de Rio de Janeiro, trouvées dans des revues. « C'est vrai, répétait Robert, j'accepterais de bon cœur de devenir invisible pour aller avec toi là-bas. » Quant à Mme Rambaud et Jacqueline, elles ne savaient que croire. A l'immense soulagement de penser que Sylvain allait retrouver son état normal, se mêlait l'incertitude de ce long voyage au bout du monde. Mais tout était si bien arrangé. Et que risquait Sylvain avec M. Guénec? Hélas! Justement, tout était trop bien combiné. Le 14 mai, l'architecte, qui était parti visiter des chantiers à Saint-Mandé, rentra très fatigué, se plaignant d'avoir ressenti toute la journée de violentes douleurs au côté droit. « Bah! ce n'est sans doute rien, fit-il. Demain, après une bonne nuit, il n'y paraîtra plus. Mais le lendemain il ne put se lever. Les douleurs s'étaient accrues, accompagnées de fièvre. Un médecin diagnostiqua une crise aiguë

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d'appendicite. Le soir même, l'architecte était transporté dans une clinique et opéré. La vive émotion dissipée — l'opération s'était passée sans incident —, on se demanda avec non moins d'inquiétude ce qu'il adviendrait de Sylvain. Même si M. Guénec se rétablissait rapidement, il ne pourrait supporter les fatigues d'une longue traversée avant un bon mois. D'autre part, les places étaient retenues sur le bateau, et de son côté le chimiste Rodrigues se tenait prêt pour l'arrivée du paquebot. On envisagea toutes les solutions possibles. Qui pourrait remplacer M. Guénec? Sa femme? Il n'y fallait pas songer, elle ne supportait pas la mer; au cours de deux traversées pour aller en Angleterre, elle avait été malade à en mourir. Mme Rambaud? La pauvre femme aurait été d'un faible secours pour son fils et, n'ayant jamais fait de traversée, elle pouvait, comme Mme Guénec, être sujette au mal de mer. Alors, Robert déclara tout net : « Pourquoi pas moi? » Mme Guénec s'insurgea : « Tu n'y penses pas! D'ailleurs, ton père ne le permettrait pas, et Mme Rambaud n'aurait pas assez confiance. — Qui, alors? — Je ne sais pas, mais nous trouverons quelqu'un. —- Sylvain ne voudra pas et il aura raison. » 89

Le lendemain, la mère et le fils se trouvaient réunis à la clinique dans la chambre de l'opéré qui, déjà, allait beaucoup mieux. « Tout de même, s'écria Robert, je ne suis plus un gosse et je ne crains pas le mal de mer, moi! J'ai mon passeport de l'an dernier que j'avais demandé pour aller en Autriche, aux vacances de Noël. Je n'ai qu'à courir à l'ambassade du Brésil pour avoir mon visa... et puis, je connais un peu l'espagnol, c'est le cousin germain du portugais qu'on parle là-bas. » II parlait avec tant de véhémence que son père ne put s'empêcher de sourire. « Et puis, ajouta Robert, Sylvain était déjà mon meilleur copain; depuis son accident, il est devenu plus qu'un camarade. Je serais si heureux de l'aider jusqu'au bout! » II y eut un long silence. Robert, anxieux, regardait tour à tour son père et sa mère. Enfin l'architecte déclara en • se tournant vers sa femme : « Evidemment, je te comprends; comme toutes les mères, tu ne vois pas ton fils grandir, tu ne le crois pas encore capable de se conduire en homme... Eh bien, je lui fais confiance. Qu'il accompagne Sylvain à ma place. Je t'en demande pour lui la permission. » Bouleversé, Robert ne put retenir des larmes de joie. Il se pencha sur le lit et embrassa son père.

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« Merci, papa, je te promets de ramener Sylvain sain et sauf... et j'avais tant envie d'aller au Brésil! » Et le jour du départ arriva. Tout avait été soigneusement prévu. Sylvain voyagerait avec un masque que Jacqueline avait fini par dénicher dans un magasin et qui imitait d'assez près un visage naturel. Une paire de lunettes noires cacherait les trous des yeux. Sous aucun prétexte Sylvain ne quitterait ses gants, mais pourrait enlever son chapeau puisqu'il porterait aussi une perruque. Cet accoutrement devait, au départ, lui permettre de gagner sans encombre la cabine du bateau. On partit de Paris au début de l'après-midi dans la voiture de l'architecte que pilotait Mme Guénec. Jacqueline et Mme Rambaud étaient du voyage. Au Havre, on apprit que le Tras-Os-Montes, en retard sur son horaire, n'entrerait en rade que dans la soirée. Sylvain, que son déguisement gênait beaucoup, fut satisfait de ce contretemps. Faute de pouvoir se promener en ville, les voyageurs passèrent ensemble les dernières heures dans la voiture garée près du port, dans une petite rue. Mme Rambaud contenait mal son inquiétude. « Mon Dieu! soupirait-elle. Partir si loin!... » Elle ne cessait de regarder son fils. Elle s'était presque habituée à ne plus voir ses traits. Ce masque immobile, sans vie, lui faisait peur.

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Jacqueline, elle aussi, cachait mal son émotion. « Sylvain, murmura-t-elle, je te demande d'être prudent. Cette nuit, j'ai fait un rêve affreux. Il t'arrivait malheur, là-bas. Tu mourais de faim dans un trou. — Bah! dit Sylvain en s'efforçant de plaisanter, tu ne sais donc pas que l'homme invisible a tous les pouvoirs,.., même celui de voler des pommes aux étalages sans être vu! » II faisait nuit quand le navire entra dans le port. L'obscurité rassura Sylvain. « Et surtout, ne vous inquiétez pas! lança Robert en grimpant sur la passerelle. Dans deux mois je vous le ramène sain et sauf, bronzé par le soleil des tropiques... »

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* ** Après une escale de douze heures dans la magnifique rade de Lisbonne, le paquebot avait repris la mer. La température, très fraîche jusqu'alors, montait graduellement. Les trois premiers jours Sylvain n'avait pas quitté sa cabine, une cabine d'ailleurs confortable, presque luxueuse, à deux couchettes seulement. Jusqu'à présent, tout s'était bien passé. Aucun incident au moment de l'embarquement; l'obscurité avait permis à Sylvain de passer inaperçu, même à la douane : au contrôle des passeports, les inspecteurs, pressés, ne s'étaient pas donné la peine de lever les yeux sur lui. Les premiers jours, donc," Sylvain s'était trouvé bien dans sa cabine où il passait de longues heures à bavarder avec Robert. C'était presque une croisière d'agrément qu'ils entreprenaient. Mais bientôt ils commencèrent de s'ennuyer, Sylvain surtout qui ne prenait jamais l'air, ne voulant pas se montrer dans son déguisement de carnaval. Le regard inquiet de la femme de chambre et du serveur qui apportait ses repas lui suffisait. La chaleur aussi ..commençait à l'incommoder... et elle ne ferait que croître. « Pourquoi ne reviendrais-tu pas l'homme transparent? proposa Robert... Tu pourrais monter sur

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le pont en toute tranquillité. Si tu savais comme il y fait bon! » Pourquoi pas, en effet? Un après-midi, complètement dévêtu, il se décida à quitter sa cabine devenue une étuve, en compagnie de Robert. De confortables chaises longues étaient à la disposition des voyageurs dans les coursives et sur le pont. Libéré de ses vêtements, de son masque et de ses gants, Sylvain respirait enfin. La vitesse du navire apportait un petit vent léger, délicieux à sentir glisser sur la peau. Ils s'installèrent côte à côte, sur deux chaises longues, pour discuter à voix basse sans être remarqués. « Avoue que tu n'as plus de raison de broyer du noir, dit Robert. Dans un mois tu seras redevenu comme tout le monde et nous ferons un voyage de retour merveilleux... Bah! pourquoi penser encore à ces questions d'argent qui te tracassent... puisque mon père peut t'aider... — Justement, Robert, c'est difficile à accepter. — Tiens, puisque nous parlons d'argent, la nuit dernière j'ai fait un drôle de rêve; de l'argent, nous en gagnions plein nos poches, grâce à toi, l'homme transparent. — Comment? — Impossible de me souvenir, mais c'était épatant. » Sylvain sourit, de son sourire invisible. Ils étaient 94

là depuis un moment quand une vieille dame s'avança dans leur direction, sans doute pour prendre la chaise longue apparemment vide qui se trouvait à côté de Robert. « Pardon, intervint Robert, ce siège est celui de quelqu'un... de quelqu'un qui va revenir. » La vieille dame s'indigna : « Comment! je suis sur le pont depuis une demi-heure, je n'ai vu personne près de vous! » Craignant un incident, Sylvain allait se lever sans bruit et s'esquiver quand Robert dit vivement à la passagère : « Après tout, prenez-la, mais je vous préviens, c'est une chaise étrange, elle ne cesse de se déplacer dès qu'on la touche... Vous n'avez pas remarqué? - Je n'ai rien remarqué; vous êtes un grossier personnage! » Furieuse, la vieille dame saisit la chaise par un montant, mais celle-ci résista, puis se mit à balancer à droite, à gauche, et à glisser sur le pont. La passagère sursauta, poussa un cri et s'enfuit en levant les bras. « Hein! fit Robert en éclatant de rire, tu ne trouves pas amusantes de petites scènes comme cellelà? Et j'ai l'impression que tu pourrais faire encore beaucoup mieux si tu voulais! » La vie à bord, dans une longue traversée, devient vite monotone. Pour distraire ses passagers, le TrasOs-Montes organisait chaque soir, 95

dans le grand salon, des séances de cinéma, des conférences et des sauteries. Mais la population cosmopolite du navire ne pouvait s'intéresser aux films et conférences, presque toujours en langue espagnole ou portugaise. Un soir, en rentrant de voir un mauvais film, Robert déclara à Sylvain qui ne dormait pas encore, énervé par un coup de soleil pris sur le pont : « Mon vieux Sylvain, les passagers de ce bateau s'ennuient comme des rats morts, il faut faire quelque chose pour les distraire... et nous distraire en même temps. — Qu'as-tu trouvé? - Quelque chose de formidable... Ecoute plutôt...» II s'assit au pied de la couchette de son camarade et expliqua ce qui lui était passé par la tête. Le lendemain, le jeune Guénec se mettait à la recherche du commissaire du bord, qu'il trouva dans une coursive. Aimable par profession, le commissaire souleva sa casquette galonnée. « Monsieur, fit Robert avec aplomb, vous avez dû remarquer que vos passagers ne s'amusent pas follement à vos soirées? » Le commissaire hocha la tête : « Que voulez-vous, senhor, un bateau n'est pas une station de jeux. — Je me fais fort de distraire vos hôtes : je 96

suis illusionniste. » L'homme considéra avec curiosité ce jeune garçon inconnu et eut, malgré lui, une petite moue. « Je ne doute pas de vos talents, senhor, mais je vous avoue que les passagers de cette ligne sont plutôt blasés sur ce genre de spectacle. — Me permettez-vous tout de même une petite démonstration, là, devant vous? » L'assurance de Robert impressionna le commissaire qui acquiesça en souriant : « Je vous en prie, senhor. — Alors, ne bougez plus. Je fais un pas en arrière et j'enfonce les mains dans mes poches pour que vous ne soupçonniez aucun truquage. » Le commissaire attendit, les yeux ronds. Soudain, il porta vivement la main à sa casquette. Trop tard! Celle-ci venait de quitter sa tête et se promenait dans l'air, décrivant de savantes arabesques. « Ah! par exemple! » Après une longue promenade aérienne, la casquette s'était délicatement posée sur le pont. Ahuri, le bonhomme contemplait son couvre-chef, se demandant ce qu'il devait faire. « Attendez, fit Robert, ne vous donnez pas la peine de vous baisser, elle va revenir toute seule! » Et la casquette, cabriolant de nouveau en l'air, 97

pirouettant, montant, descendant, faisant semblant de sauter par-dessus bord, revient finalement se poser sur la tête de son propriétaire. « Et voilà! fait tranquillement Robert. Peu de chose, comme vous voyez! Ça fait tout de même de l'effet! Qu'en pensez-vous? » Complètement éberlué, l'homme lâche un juron et déclare en roulant terriblement les « r » : « Vous être vrrraiment trrrès forrrt ! Voudriez-vous présenter un numéro à nos passagers? » C'est ainsi que le soir même, l'illusionnisteprestidigitateur Robert Guénec faisait ses débuts dans le grand salon du Tras-Os-Montes. Dans la journée, le commissaire avait conté à qui voulait l'entendre l'extraordinaire aventure de sa casquette, et vanté avec une telle chaleur le prodigieux 98

talent du jeune Français que tous les passagers du paquebot se pressaient dans la salle. A neuf heures précises, le rideau de velours de la scène s'écartait devant un grand garçon mince, un peu gauche et intimidé, qui commençait par s'excuser de bien mal parler l'espagnol. « Mesdames et messieurs, je vais cependant me permettre de vous présenter quelques tours très simples... que je n'exécuterai d'ailleurs pas moimême, car je ne possède aucun pouvoir magique... Je ferai appel à travers les quatre mille kilomètres qui me séparent de mon pays à mon ami l'esprit transparent... Esprit transparent, es-tu là?... Esprit transparent, es-tu là?... » Quelques secondes d'attente, et une voix invisible répond soudain : « Ton ami l'esprit transparent est là!» Et Robert, de prendre la salle à témoin : « Vous avez entendu? L'esprit transparent est parmi nous... Mais il fait bien chaud dans cette salle pour travailler commodément. Voyons, esprit transparent, voudrais-tu m'enlever mon chapeau? » Comme par enchantement, le chapeau du prestidigitateur se soulève, traverse la scène, virevolte pour venir finalement s'accrocher à un clou au bout de la scène. Merci, esprit transparent. Voudrais-tu maintenant me débarrasser de mon veston, afin que 99

l'aimable société ne pense pas à quelque truquage des manches? » Sans que Robert fasse un seul geste, un seul mouvement, on voit son veston se soulever, descendre en arrière, rester un instant suspendu dans le vide comme à un invisible portemanteau, et finalement rejoindre le chapeau qui se soulève pour laisser la place au vêtement, avant de revenir se poser dessus. Un murmure d'étonnement parcourt la salle. Mais ce n'est pas fini. « Je vais demander encore à l'esprit transparent d'enlever aussi ma cravate, car vous n'ignorez pas, mesdames et messieurs, que nombre de prestidigitateurs utilisent leur cravate dans leurs tours. » Un nouveau murmure court de fauteuil en fauteuil. Pour le chapeau et le veston on pouvait penser à une invisible ficelle habilement manœuvrée de la coulisse, mais dénouer une cravate... Or voilà que celle-ci se desserre, se dénoue correctement, quitte le col de la chemise, folâtre comme un serpentin de carnaval, avant de rejoindre chapeau et veston. Les applaudissements crépitent. Robert s'incline, souriant, en vrai professionnel. Encouragé, il annonce : « Puisque vous êtes assurés de la présence réelle de mon ami l'esprit transparent, je vais vous prouver que celui-ci est également devin. 100

Il est parfaitement capable de dévoiler l'âge de n'importe quelle personne de la salle... Mais, par galanterie, il s'abstiendra de découvrir celui des aimables dames ici présentes ! Lequel, parmi ces messieurs, veut tenter l'expérience? » Doué d'une excellente mémoire, Robert a, dans l'après-midi, avec l'autorisation du commissaire, feuilleté le registre des passagers et retenu une vingtaine de noms et d'âges. Des mains se lèvent. Robert reconnaît quatre ou cinq de ses personnages. Il en désigne un. « Monsieur, mon ami, l'esprit transparent, va, à l'instant même, avec votre permission, dévoiler votre âge. » II se tourne vers le fond de la scène : « Esprit transparent, voudrais-tu demander à cette petite table de venir jusqu'ici? » Un guéridon qui se trouvait au fond de la scène se soulève et, sans aucune intervention apparente, vient se placer devant les feux de la rampe. « Esprit transparent, quel est l'âge de cet honorable monsieur? » Un grand silence emplit la salle. Que va-t-il se passer? Tout à coup, se lèvent du guéridon deux cartons portant des chiffres. « Trente-sept... Est-ce bien exact? — Exact », répond le passager. On applaudit. Robert salue et, s'adressant encore 101

au passager : « Autorisez-vous aussi mon ami, l'esprit transparent, à continuer cette petite expérience en indiquant votre nom? » Après les chiffres, ce sont des lettres qui se lèvent et se rangent soigneusement, en éventail, audessus du guéridon : ALVARÈS. C'est bien le nom du passager. Le tour amuse tellement l'assistance que Robert le recommence deux fois. Puis viennent d'autres expériences, plus ahurissantes les unes que les autres. La salle exulte. Par quels artifices ce jeune garçon arrive-t-il à les réaliser? Cependant, au fond du grand salon, où se tiennent debout des émigrants espagnols et portugais, une voix s'élève : « Truquage!... Bluff !... Nous voulons voir de près!... » Robert sourit : « Volontiers... Approchez, monsieur. » Les spectateurs regardent, l'air amusé, celui qui s'avance entre les rangs de fauteuils. C'est un grand garçon à l'air faraud. Il grimpe vivement sur la scène. « Merci d'être venu, monsieur... Mais avez-vous une excellente vue? — Très bonne. - Alors, examinez la scène, cherchez bien les ficelles... Il y a forcément des ficelles, vous pensez bien! » Le garçon, après une hésitation, traverse la scène, 102

écarquille les yeux, inspecte le plafond, s'avance même vers les coulisses d'où il ressort sans avoir rien découvert. « Comment? Vous n'avez rien vu? Ah! je comprends, il vous manque des lunettes! Tenez, voici les miennes, elles sont excellentes! » Et voilà les lunettes, dont Robert s'est affublé pour la circonstance, qui quittent son nez pour aller, toutes seules, se poser sur le nez du témoin. Un éclat de rire secoue la salle. L'homme rit aussi, mais d'un rire plutôt gêné. Otant les lunettes, il les jette sur le guéridon d'où, chose incroyable, elles reviennent se poser devant les yeux de Robert. « Puisque vous préférez vous en passer, fait négligemment le prestidigitateur, ouvrez l'œil... Tenez, voyez, ce fil qui traverse la scène, là, un peu plus haut... Vous ne distinguez rien? » L'homme secoue la tête. « Alors, prenez cette chaise et montez dessus. » Le garçon hésite, pressentant quelque diablerie. Au moment où il pose le pied sur le siège, ce dernier se dérobe. Le malheureux roule sur le plancher. Une explosion de rires salue la chute. Vexé, le garçon se relève vivement et, rageusement, veut s'emparer de la chaise qui se met à reculer devant lui à mesure qu'il avance, semblant le narguer. Pendant quelques instants c'est une poursuite^ effrénée autour de la scène, jusqu'à ce que le siège, s'immobilisant soudain 103

à terre, l'homme, entraîné par son élan, passe pardessus. Dans la salle, c'est du délire. Après s'être frotté, épousseté, le malheureux garçon ne demande pas son reste; il dégringole dans la salle et disparaît. Cette pantomime est le clou de la soirée. Le rideau à peine tiré, le commissaire se précipite vers Robert, le remercie chaleureusement et veut l'emmener dans sa cabine prendre des rafraîchissements. « Merci, senhor, ces sortes de séances sont très fatigantes pour moi... et l'esprit transparent. J'ai hâte de me reposer. — Alors je vous reverrai demain, n'est-ce pas ? Vous nous accorderez bien encore quelques séances?» Suivi de l'esprit transparent,, Robert gagne sa cabine. « Hein! Sylvain, quelle soirée!... Ah! tu la tiens, ta revanche! Nous nous souviendrons longtemps de cette traversée! »

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CHAPITRE VI COMMENT ATTEINDRE SANTOS? Tras-Os-Montes approchait de Rio. Dans vingt-quatre heures, les passagers verraient se dresser vers le ciel le fameux Pain de Sucre qui domine la rade de sa masse prodigieuse. Sur le pont, Robert et son invisible compagnon devisaient à voix basse, très à l'écart. Ils devaient prendre beaucoup de précautions. Depuis leurs expériences ébouriffantes, Robert était très observé. Pour éviter tout nouvel incident de LE

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chaise longue, Sylvain s'allongeait tout simplement sur le pont tout contre celle de Robert. « Dans deux jours, nous serons à Santés, Sylvain. Dans deux jours, l'esprit transparent sera redevenu mon bon camarade Sylvain. Avoue que cette traversée n'aura pas été tellement pénible avec nos petites séances... Et sais-tu qu'elles nous auront fourni l'argent de poche pour le retour? - Grâce à toi, Robert. - Grâce à l'esprit transparent; nous avons manqué notre vocation. A nous deux, nous pouvions faire fortune. » Sylvain soupira : « Fortune, oui, peut-être, mais pour l'instant je ne pense qu'au moment où je pourrai revoir mon visage dans une glace. Nous ne sommes pas encore à Santos, Robert. » Ils demeurèrent silencieux. Robert, promenant son regard à l'horizon, retint un cri : « La côte, Sylvain! » Le jeune Rambaud se leva et se pencha sur le bastingage. A l'horizon, s'étendait une longue bande bleue irrégulière. « La côte du Brésil, Sylvain, nous approchons. » Sylvain ne répondit pas, mais regarda défiler cette terre inconnue où il devait se libérer à tout jamais de son cauchemar. Il murmura : « J'ai peur, Robert. Je viens de penser tout à coup aux pressentiments de Jacqueline. Mon 106

cœur se serre d'une peur pareille à celle des oiseaux à l'approche d'un cataclysme. - Allons, fit Robert, tu n'es tout de même pas superstitieux? » Le lendemain, peu avant midi, l'étrave blanche du Tras-Os-Montes fendait les eaux de la plus belle rade du monde. L'un près de l'autre, Robert et Sylvain restaient à l'écart des passagers pressés de mettre pied à terre. Pour la première fois depuis Lisbonne, Sylvain avait repris son allure de mannequin. Avec son chapeau, ses gants, son cache-nez, il étouffait. Son masque surtout le gênait. Sous le soleil des tropiques, il transpirait à grosses gouttes. De loin, les passagers regardaient ce personnage ridicule qu'on n'avait jamais vu de toute la traversée. « Robert, murmura-t-il, je crains que nous n'ayons des difficultés à la douane ou au contrôle des passeports. Tout n'ira peut-être pas aussi bien qu'au Havre. — Toujours tes pressentiments! — Ecoute, Robert, il faut tout prévoir. Te souviens-tu de notre aventure du boulevard Saint-Michel, nous avions failli ne pas nous retrouver. Tu vois ce gratte-ciel jaune, là-bas, à gauche du débarcadère? Si nous nous perdions de vue dans cette grande ville, donnons-nous rendez-vous au pied de ce gratte-ciel. — Entendu... Mais quelle idée, Sylvain, il ne 107

t'arrivera rien. » Le flot des passagers s'écoulait. Ils prirent leurs valises et franchirent la passerelle. Les bâtiments de la gare maritime étaient au bout du quai. Ils se trouvèrent dans une grande salle moderne où avaient lieu à la fois la douane et le contrôle. Le contrôle paraissait sérieux. Les passagers passaient un à un, un tourniquet métallique gardé par deux officiers de police. Sylvain remarqua qu'ils examinaient avec soin les visages, faisant même enlever leur coiffure à ceux qui en portaient pour comparer avec la photo du passeport. « Impossible, murmura-t-il à Robert. Je vais faire scandale et nous ne sommes plus en France. » Il resta en arrière, puis glissa à son camarade : « Tant pis, avec cette chaleur je ne risque rien. Garde ma valise, je vais me déshabiller dans un de ces lavabos, là-bas; et je passerai le contrôle sans être vu... ou plutôt j'escaladerai la barrière au bout du quai; nous nous retrouverons dans la rue. — Et les vêtements? — C'est vrai, mes vêtements! Viens avec moi devant la porte du lavabo; quand je sortirai, tu les glisseras dans une valise. » Ainsi décidé, ainsi réalisé. Une demi-heure plus tard (les formalités avaient été longues et minutieuses), les deux camarades se retrouvaient sur

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un large boulevard au pied de l'immense gratteciel jaune. « Tu avais raison, approuva Robert, tu aurais eu des ennuis. Ton pressentiment nous a servis. Maintenant un taxi pour Santos. » Pendant les longs loisirs de la traversée, ils avaient eu le temps de réfléchir à cette dernière partie du voyage. Pour une raison d'économie, Sylvain aurait préféré faire le trajet Rio-Santos par le train, Robert pensait préférable de prendre tout simplement un taxi. Evidemment trois cents kilomètres, c'est une distance, mais ils avaient gagné un peu d'argent avec leurs séances. Finalement, malgré la dépense, pour éviter un changement de train à Sao Paulo, ils avaient opté pour le taxi. Ils se postèrent au bord du boulevard ou régnait une intense circulation. De luxueuses voitures passaient, étincelantes, silencieuses. D'un seul coup ils étaient entrés, après le calme de leur longue traversée, dans le mouvement d'une grande capitale. « Jamais je n'aurais cru qu'il fasse aussi chaud! dit Robert. Pourtant, c'est maintenant l'hiver ici. Tu as bien fait de te mettre en costume d'Adam. » Ils guettaient les taxis et n'en voyaient pas. « Ça n'existe peut-être pas au Brésil? » dit Robert en riant. Mais au même moment, une belle voiture obliqua de leur côté et freina : « Taxi, senhor? » Ils 109

hésitèrent. La voiture leur paraissait vraiment trop belle pour un taxi. Mais toutes les autos étaient luxueuses à Rio. « Je voudrais me rendre à Santos », déclara Robert. Le chauffeur fronça les sourcils. Il expliqua que lui-même effectuait un service urbain, maïs que les taxis ayant la licence pour la province se trouvaient à la gare centrale, où il pouvait le conduire. L'homme parlait vite; cependant Robert, qui avait mis à profit la traversée pour" se familiariser avec la langue, avait compris. « Alors, à la gare centrale! » Le chauffeur chargea les deux valises. Sylvain se glissa habilement dans la voiture derrière Robert, juste à temps pour ne pas se faire coincer un bras par la portière que l'homme refermait trop rapidement. Ils traversèrent des rues et des avenues grouillantes, bordées de rares arbres, inconnus des deux jeunes Français. La place de la gare centrale était aussi animée que celle de l'Opéra, à Paris, vers cinq heures du soir. Après le silence de la traversée, ils en étaient comme ivres." Le chauffeur, dans cette foule vraiment extraordinaire, ne trouva pas une place pour garer sa voiture. Finalement il stoppa dans un angle de la place, face à la gare. Puis, descendant de son siège, expliqua à Robert qu'il ne pouvait le conduire jusqu'à 110

l'emplacement des taxis de province à cause des départs pour les fêtes de Sao Paulo. Robert ne comprit pas très bien ce qu'il voulait dire, sinon qu'il leur faudrait faire à pied la traversée de la place pour aller jusqu'au stationnement. « Jamais je n'arriverai à traverser cette cohue sans éviter la bousculade », s'inquiéta Sylvain. Ils se trouvaient au pied d'un haut lampadaire. Robert, les valises à ses pieds, examinait le mouvement autour de la gare. « Ecoute, proposa-t-il, je vais aller me renseigner. Reste ici, ne t'éloigne pas de ce lampadaire; c'est notre point de repère. Cinq minutes et je suis de retour. » Il empoigna les deux valises qui ne pouvaient évidemment rester à la garde d'un fantôme. Sylvain le suivit des yeux un moment, mais très vite il se perdit dans la foule bariolée. Quelques instants plus tard, il était de retour. « Il y a de grandes fêtes demain à Sao Paulo, toutes les voitures sont prises d'assaut. Mais j'ai réussi à me faire indiquer un autre stationnement un peu plus loin. Attends-moi, je retourne voir. » Sylvain ouvrit la bouche pour lui demander de ne pas insister; il le laissa cependant partir. Toujours traînant ses bagages, transpirant à

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grosses gouttes, zigzaguant même, comme en souvenir des mouvements du bateau, Robert se noya de nouveau dans la foule toujours aussi dense. Cinq minutes s'écoulèrent..., puis dix... « Pauvre Robert, se dit Sylvain, il est exténué. Dire que je ne peux même pas garder les bagages! » Dix minutes encore, puis dix autres... Une inquiétude traversa Sylvain. Si Robert s'était perdu? S'il n'arrivait plus à retrouver l'angle de la place? Non, Robert n'est pas né de la dernière pluie. Un Parisien se débrouille n'importe où. Il n'a peut-être pas trouvé le lieu de stationnement des voitures; il est empêtré dans ses bagages. Mais tout cela n'est que suppositions. Avec le temps qui fuit. L'inquiétude se précise, devient de l'angoisse. Une heure maintenant... Une heure et demie... A force de regarder dans la direction de la grande porte de la gare, Sylvain sent brûler ses yeux. Le soleil commence à décliner. Un grand pan d'ombre s'allonge sur le trottoir, lé froid le pénètre. Deux heures... Une terrible envie lui vient de traverser la place. Mais que ferait Robert, si, accourant sous le lampadaire, il ne sentait plus la main invisible se poser sur son épaule? Une demi-heure encore... La nuit tombe vite sous les tropiques. Un malheur est sûrement arrivé à Robert. Un malaise?... un accident?... ou bien, dans

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cette grande ville cosmopolite, a-t-il été victime d'un aigrefin qui, voyant ce jeune étranger passablement désemparé avec ses deux lourdes valises, l'a entraîné on ne sait où?... Non, Robert n'est pas un naïf... Alors? Le malaise, l'accident?... Appuyé contre le lampadaire qui vient de s'allumer et jette une lumière crue au néon, il se sent défaillir. Ses jambes tremblent, il a froid. Des larmes brouillent sa vue; à travers ce brouillard, il croit vingt fois reconnaître la silhouette de Robert. La place, tout à l'heure si remuante, s'apaise. Il n'y tient plus. Esquivant les passants par d'habiles crochets, il traverse le grand espace libre, pénètre dans le hall de la gare, erre d'un guichet à l'autre. Sur le bateau, il a appris quelques bribes de portugais, les mots les plus courants, indispensables pour se tirer d'affaire. Les panneaux indicateurs ne lui apportent aucun renseignement. Alors, il repart en courant, manque de se faire écraser par une camionnette de glacier qui, naturellement, ne l'a pas vu. Il arrive, haletant, sous le lampadaire. Pas de Robert! Cependant, au pied du poteau, il aperçoit soudain un bout de papier. Un message de son camarade?... Sans réfléchir, il se baisse pour le ramasser. Un vieux Noir qui passe s'arrête, étonné par ce papier qui se déplie tout seul en l'air. Sylvain tressaille et rejette vivement sa trouvaille, un simple prospectus, d'ailleurs. 113

Alors, il attend encore. Au bout d'un moment, une jeune femme au teint basané, qui sort de la gare, un mouchoir à la main, vient s'adosser au lampadaire, tout près de lui, et se met à pleurer; une pauvre femme qui vient sans doute d'accompagner au train un être cher. Comme Sylvain, elle est seule... non, moins seule. En rentrant chez elle, elle trouvera quelqu'un pour apaiser son chagrin et, si elle n'a pas de famille, la vue de sa peine attirera tout de même la sympathie. La grande cité qui, du bateau, lui avait paru accueillante, avec ses larges avenues, ses grands édifices aux couleurs claires, l'effraie. Au moment où la femme s'éloigne, il a envie de la rattraper, de crier son angoisse, d'implorer une aide. Mais au premier mot, il ne soulèverait que la stupeur et l'effroi. Seul! Il est seul! Il a faim, il a soif, il a froid. Il ne peut rester là toute la nuit. Robert ne viendra plus. Alors il s'éloigne, s'engage dans une rue marchande. Ville tropicale, Rio de Janeiro garde fort tard dans la nuit son animation, son activité, malgré la dense obscurité. La marche fouette son sang endormi. L'allure nonchalante des passants lui évite les heurts redoutés... Mais où va-t-il? « Sylvain, se dit-il, ne t'inquiète pas. Robert n'est pas perdu, ce serait trop affreux. » Et soudain, il pense au port, au grand gratte-ciel jaune près des quais. Comment n'y a-t-il pas songé?... 114

C'est là-bas que Robert l'attend... * ** Trois jours ont passé... Trois jours lumineux, pétris de soleil, trois jours d'angoisse pour Sylvain. Ni sous le lampadaire de la gare, ni auprès du gratteciel jaune, Robert n'a reparu. Plusieurs fois par jour, Sylvain a fait la navette entre ces deux points de ralliement. Chaque fois la même déception l'a désespéré. Ceux qui s'imaginent l'homme invisible doué de la toute-puissance se trompent. S'il peut fuir, se cacher, commettre mille actes pour lesquels il ne sera pas soupçonné, en revanche il n'a pas le droit de révéler sa présence qui déchaînerait aussitôt la frayeur. Et rien n'est plus terrible que la frayeur des hommes. La moindre négligence peut être fatale à l'être invisible. Tout cela, Sylvain le sait. Depuis trois jours, il se bat avec toutes sortes de problèmes. Le premier a été celui de la nourriture. Aussi étrange que cela paraisse, il lui est moins facile qu'à un vagabond de chaparder quelque nourriture à un étalage. Si pauvre soit-il, le vagabond possède tout de même des poches. Il peut étendre

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le bras pour voler un sandwich et le faire disparaître aussitôt. Son larcin accompli, il peut, quelques pas plus loin, dévorer ce même sandwich tranquillement sans être soupçonné... Mais quelle serait la réaction du passant voyant un petit pain se baladant tout seul dans la rue? La première nuit, Sylvain l'a passée le ventre creux. Le lendemain, il a pu pénétrer dans une boutique et se fourrer dans un recoin où il a trouvé des biscuits. Pour dormir, la deuxième nuit, il s'est laissé enfermer dans une épicerie ; sitôt le magasin désert, il a fouillé sur les rayons. Du pain d'épice (un pain d'épice étrange, beaucoup plus parfumé et relevé que celui qu'on mange en France), du fromage et surtout des pamplemousses, l'ont nourri et rafraîchi. Rassasié, il s'est endormi d'un sommeil de plomb et le matin, à l'ouverture du magasin, tandis qu'un homme sortait des paniers de fruits sur le trottoir, il s'est éclipsé. Ragaillardi, redevenu presque optimiste, il est alors vite retourné à la gare, puis sur les quais du port. Hélas! Robert demeure introuvable. Il lui est sûrement arrivé un accident, un de ces accidents stupides comme on en voit des dizaines chaque jour dans une grande cité. Pour n'importe qui, même pour un étranger parlant mal la langue, se renseigner serait facile; pour Sylvain, tout est difficile. Trois jours déjà que Robert a disparu. Las 116

d'errer dans la ville, il s'est accoté à un arbre (chaque fois qu'il s'arrête, c'est contre un poteau, une borne, un arbre, pour éviter les heurts des passants). Il réfléchit. Attendre plus longtemps est inutile. Il doit maintenant, par tous les moyens, savoir ce qu'est devenu son camarade ou se débrouiller pour arriver seul jusqu'à Santos. Il se décide d'abord à rechercher Robert. Une idée lui vient : le téléphone. Les cabines publiques ne manquent pas. Mais comment se procurer l'argent? A tout hasard il descend vers le port, pénètre dans le hall de la gare maritime, rôde autour des cabines. A force de chercher, il découvre à terre trois pièces de un cruzeiro tombées d'une poche.' Discrètement, chaque fois que personne ne regarde de ce côté, il les pousse du pied vers la cabine où, s'étant encore assuré qu'il ne sera pas vu, il s'introduit rapidement. Une main sur la poignée de la porte, au cas où quelqu'un chercherait à entrer, l'autre feuilletant l'annuaire, il cherche les hôpitaux de la ville. Il y en a sept ou huit, sans compter les nombreuses cliniques. Pour commencer il choisit l'établissement qui lui paraît le plus important, à cause de ses trois lignes d'appel. Le cœur battant, il introduit sa première pièce. Un déclic, un grésillement. Une femme répond; elle parle horriblement vite et il ne comprend rien. Il ré117

pète plusieurs fois : Robert Guénec... Puis, ne trouvant pas ses mots, s'explique en français. Nouveau déclic; il croit qu'on vient de le brancher sur un autre service où un interprète va lui répondre. Vaine attente : la téléphoniste a raccroché. Alors il jette vivement un coup d'œil à l'extérieur : personne. Hâtivement, il forme un autre numéro. La nouvelle téléphoniste, plus aimable que l'autre, parle aussi vite. Il demande Robert Guénec, croit qu'on l'invite à attendre. Un espoir fou lui fait battre le cœur. Hélas! pas de Robert Guénec dans cet hôpital. Il ne lui reste plus qu'une pièce. Il vient de l'introduire dans l'appareil quand la porte, dont il avait imprudemment lâché la poignée, s'ouvre brusquement.

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Bousculant l'homme qui cherche à entrer et ne comprend pas ce qui lui arrive, il s'enfuit. C'en est fini de l'espoir de retrouver Robert par le téléphone. Il envisage alors de partir pour Santos; mais il faudrait d'abord téléphoner au professeur Rodrigues. Celui-ci pourrait peut-être venir le chercher jusqu'à Rio. Fallait-il être stupide pour n'y avoir pas pensé! Malgré l'incident de la cabine, il se remet en quête d'une pièce. Cette fois il a beau chercher partout, rien. A tout hasard il pénètre dans une cabine, feuillette l'annuaire. Les Rodrigues sont nombreux à Santos, mais aucun chimiste ou professeur. L'un d'eux est médecin mais ne se prénomme pas Antonio. Sylvain conclut que le savant n'a pas le téléphone. Inutile de chercher plus longtemps une pièce. Alors il sort du hall et réfléchit encore, appuyé contre un mur. Partir pour Santos par ses propres moyens lui paraît impossible. Comment monter dans un train, dans un car, en évitant tout contact? A force de se creuser la tête, il en arrive à cette dernière possibilité : écrire à Rodrigues, expliquer sa situation, lui demander de venir, comme il l'aurait dit au téléphone, lui fixer un rendez-vous près du gratteciel, par exemple, et le prier en même temps d'avertir la police pour retrouver Robert. C'est bien, en effet, sa seule chance. Mais comment écrire une lettre et la poster sans être vu ? 119

Cette idée en tête, il remonte vers la ville, erre dans les rues. Soudain, comme il vient de s'engager dans une petite rue peu fréquentée, il avise une boîte aux lettres fixée contre un mur, à quelques pas seulement d'une librairie. C'est une boutique modeste, offrant au regard des livres d'art, des gravures, des articles de piété, un petit magasin comme il en existe tant dans toutes les petites villes de France. Alors il se met à surveiller les allées et vernies des clients, assez rares d'ailleurs. La boutique paraît étroite, tout en profondeur. Elle est tenue par une femme. Il patiente longtemps avant d'entrer et attend l'heure de la fermeture. Dès qu'il aperçoit la boutiquière en train de rentrer les revues exposées audehors, il se glisse à l'intérieur. La boutique est encore plus étroite qu'il ne l'a cru. Un long étalage central réduit singulièrement l'espace libre à deux petites allées où il n'est pas possible de se croiser sans se toucher. Tandis que la libraire termine ses rangements, il se glisse jusqu'au fond où s'ouvre une arrièreboutique obscure, encombrée de piles de livres et de caisses. Il avance jusqu'au fond où il se trouve à l'aise, sans grand risque d'être inquiété. Sa boutique fermée, la marchande reste un long moment en bas, puis il l'entend monter un escalier. Par précaution, il attend encore; enfin,

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certain que le magasin restera désormais plongé dans le sommeil des livres jusqu'au lendemain matin, il quitte sa cachette. A tâtons, il cherche les rayons. Dans la journée il a, du dehors, repéré celui des articles de papeterie. Il sait aussi où se trouvent les timbres. Pour écrire, il s'approche de l'entrée de la boutique. La porte joint mal, un peu de lumière venue du dehors filtre dessous. Etendu sur le plancher, il pose sa feuille à plat, tout contre la porte. Il écrit, cachette l'enveloppe, colle un timbre; la lettre est prête. Il la cache soigneusement sous une pile de livres, tout près de l'entrée. Demain matin, il n'aura qu'à la saisir et courir la jeter dans la boîte toute proche. Ainsi qu'il l'a lu dans l'après-midi, la première levée a lieu à neuf heures. Le chimiste Rodrigues pourra donc avoir cette lettre le soir même. Avec un peu de chance, dans quarante-huit heures, le cauchemar sera terminé. Vraiment, c'était la seule solution. Fatigué par son épuisante journée d'inquiétude et de pérégrinations, il revient dans l'arrière-boutique et s'allonge sous une étagère encombrée de livres. Alors ses pensées vont vers Robert. Où est-il? Que fait-il? Dès sa lettre postée, le matin, il ira encore faire la navette entre la gare et le port. Enfin, malgré l'inconfort de l'endroit, il finit par s'endormir...

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CHAPITRE VII UNE CURIEUSE BOUTIQUE depuis un bon moment quand des bruits étranges le tirent de son sommeil. Des rats, sans doute! Tous les rats du monde, même les rats brésiliens, doivent aimer la poussière et les vieux livres. Il se dresse sur un coude. Non, ce ne sont pas des rats. Le bruit vient de la porte d'entrée. On dirait que quelqu'un cherche à introduire une clef dans la serrure. Des cambrioleurs? Qui sait, cette petite boutique renferme peut-être des éditions rares? TL DORT

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Un grincement, la porte s'ouvre, laissant un instant pénétrer la lumière du dehors, puis se referme. Sylvain perçoit un nouveau bruit de serrure, puis de verrous. Des pas glissent sur le carrelage. Le cœur battant, Sylvain ne sait que penser. Des cambrioleurs ne seraient pas entrés avec cette aisance et ils marcheraient avec plus de précaution. Il aperçoit les intrus, deux hommes qui s'arrêtent à l'entrée de l'arrière-boutique en discutant à mi-voix. L'un d'eux tourne un commutateur. Les deux hommes apparaissent nettement à Sylvain. Ils n'ont rien de cambrioleurs dépenaillés, bien au contraire. Très correctement vêtus, ils semblent revenir d'une soirée ou d'un spectacle. « Je me suis trompé, pense-t-il, ce sont les habitants de cette maison qui rentrent tout simplement chez eux. » Mais au lieu de monter se coucher, les deux inconnus continuent de parler. A plusieurs reprises, Sylvain distingue un nom : senhora Carlota... Peutêtre celui d'une actrice dont ils viennent d'apprécier le jeu au théâtre? Pourtant leur attitude est étrange. Pourquoi cet air de méfiance et de mystère? Pourquoi ces brusques regards vers la porte, comme s'ils n'étaient pas tranquilles? « Ah! pense encore Sylvain, si je connaissais leur langue! » .

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Tout à coup ils tournent la tête vers l'autre bout de l'arrière-boutique. Une femme vient d'apparaître au bas de l'escalier : la boutiquière! L'un des deux hommes, celui qui porte une petite moustache noire et des « pattes de lapin », lui fait signe d'approcher. Elle sourit en voyant l'autre homme désigner, du doigt, la poche de son veston. Alors l'inconnu fouille cette poche qui s'ouvre d'ailleurs à l'intérieur et en sort avec précaution un tout petit paquet enveloppé d'un simple journal. La femme prend le paquet, l'ouvre. Sylvain voit tout à coup scintiller sous la lampe les brillants d'une bague et d'une broche. Puis elle soupèse les deux joyaux et fait entendre un petit sifflement d'admiration. Sylvain a compris. Ces deux hommes ne sont pas venus cambrioler cette modeste boutique qui est au contraire leur repaire. Ils rentrent d'une fructueuse affaire. Il ne s'y connaît pas en matière de bijoux, cependant à en juger par la taille des brillants, par la mine des trois personnages, ces joyaux doivent avoir une grosse valeur. Quel hasard l'a conduit dans cette maison? Il en frémit. Sous son étagère il se trouve à trois pas des malandrins. Un éternuement, un faux mouvement peuvent le trahir. Ces hommes sont

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certainement armés; à la moindre alerte ils bondiraient. Il souhaite ardemment que le trio disparaisse au plus tôt pour soupirer d'aise. Mais les deux hommes ne paraissent pas pressés. Le plus petit, qu'il entend appeler Manoel, se baisse et, dans le mur opposé à celui contre lequel Sylvain est allongé, ouvre un placard. Il en sort un appareil bizarre qui ressemble à un microscope ou à un sextant de marine. Il dépose l'appareil sur une petite table tandis que la femme abaisse l'abat-jour. Il examine alors attentivement les bijoux, les tourne et retourne longuement devant l'oculaire sous le regard silencieux des deux autres. Puis, négligemment, il jette : « Un million! » Sylvain a bien entendu le mot qui se dit en brésilien comme en français. Un million de cruzeiros, sans doute, c'est-à-dire une somme énorme. Les bijoux repassent de nouveau de main en main. Enfin le plus petit des deux hommes les reprend et les remet dans le morceau de journal. Que vont-ils en faire? C'est alors que tout se précipite. Sylvain voit tout à coup les yeux de l'homme fixés dans sa direction comme si, brusquement, il avait cessé d'être invisible. Le malandrin fait un pas, exactement comme s'il voulait l'atteindre. Sylvain n'a que le temps de s'écarter pour libérer l'endroit fixé par l'homme 125

où se trouve peut-être une autre cachette. Mais dans son mouvement précipité, Sylvain heurte l'étagère au-dessus de sa tête. Deux livres tombent. L'homme se redresse vivement et reste immobile. La respiration suspendue, Sylvain attend. Après quelques secondes d'inquiétude, les deux hommes se regardent et échangent un sourire de soulagement. Mais Sylvain n'a pas suffisamment dégagé la cachette supposée, il veut s'écarter encore. Mal lui en prend. Son talon fait basculer une dalle mal scellée du carrelage. Les trois complices sursautent, la femme étouffe un cri. Ne sachant exactement d'où le bruit est venu, les deux hommes portent la main à leur poche et braquent leur revolver, à tout hasard, l'un vers l'entrée du magasin, l'autre vers le fond de l'arrière-boutique. Paralysé car un des canons, sans que l'homme ait cru si bien viser, est pointé vers lui — Sylvain n'ose plus respirer. L'attente lui paraît durer des heures. Au moindre bruit nouveau les balles peuvent partir. Il faut fuir, fuir vite... Mais la porte d'entrée est solidement verrouillée et le magasin, trop étroit, n'offre aucune cachette. Reste l'escalier par où la femme est descendue. Profitant des quelques secondes de désarroi pendant lequel les deux hommes restent dans

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l'expectative, il se glisse silencieusement entre eux et atteint l'escalier... C'est un escalier en bois. Une marche grince, les revolvers se tournent immédiatement de ce côté. Ne distinguant rien, les deux hommes restent encore dans l'attente. S'efforçant de ne plus faire criçr le bois, Sylvain monte lentement. Les hommes se sont avancés, l'arme au poing, jusqu'au bas des marches. Parvenu au sommet de l'escalier, Sylvain découvre l'entrée d'une pièce qui doit se situer juste au-dessus de la boutique et, par conséquent, donne sur la rue. Jouant le tout pour le tout il bondit, se heurte à une table qui se renverse à grand bruit. Au moment où il tâtonne pour trouver la poignée de la fenêtre, une cavalcade effrénée emplit l'escalier. Il a tout de même eu le temps d'ouvrir, de soulever le store de bois et de sauter sur le trottoir. Le choc a été rude, mais il ne s'est pas blessé. En se relevant, il aperçoit trois visages penchés sur la rue et qui observent prudemment les alentours. Retrouvant ses forces Sylvain s'enfuit, mais cent mètres plus loin il s'arrête. Son émotion passée, il pense soudain à cet extraordinaire hasard qui l'a jeté dans un repaire de malfaiteurs. Il ne faut pas les laisser filer. Au moins, que sa transparence serve à quelque chose! Il rebrousse chemin, revient près de la boutique.

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Au premier, la fenêtre s'est refermée. Aucun bruit ne transpire à l'extérieur. Il imagine les malandrins toujours en alerte, revolver au poing. Il fait les cent pas devant le petit magasin d'allure si paisible. L'air est frais; les nuits tropicales deviennent relativement froides vers le matin. Il lève les yeux vers la fenêtre dont le store n'a pas .été rabattu. On dirait que quelqu'un observe la rue derrière les rideaux. Enfin la porte du magasin s'entrebâille prudemment. Une tête apparaît. Après une longue hésitation une ombre sort sur le trottoir, se retourne pour examiner la maison puis rentre. Un quart d'heure passe. Sylvain se demande ce qu'il doit faire, quand la porte s'ouvre de nouveau avec précaution. Les deux hommes sortent, jetant vers les deux bouts de la rue des regards inquiets. D'un air apparemment désinvolte ils s'éloignent, se retournant cependant plusieurs fois vers la librairie. Arrivés au carrefour, ils obliquent brusquement à droite et allongent le pas. Sylvain court pour les rattraper et les suit à courte distance. Les deux compères marchent vite. Sylvain les Voit accuser une légère hésitation lorsqu'ils croisent un agent de police qui, casque blanc déjà sur la tête, bien que le soleil ne soit pas encore levé, part prendre son service en ville. Enfin les deux hommes s'arrêtent devant un garage, secouent le gardien noir qui sommeille 128

sur une chaise. Sans hésiter, Sylvain entre aussi; il ne risque pas grand-chose. Alors les malandrins se mettent en devoir de sortir une grosse voiture américaine. Aussitôt le moteur en marche, Sylvain saute sur le pare-chocs arrière... un peu trop vivement, car s'il est invisible, ses cinquante-huit kilos sont bien réels. La secousse ne passe pas inaperçue; les deux hommes se retournent mais pensent sans doute que le gardien, d'une pression de la main, vient d'essayer les amortisseurs. La voiture démarre rapidement. Sylvain se cramponne comme il peut. En passant devant la librairie la voiture ralentit légèrement, le temps d'un signe discret à la femme pour dire que tout va bien puis, à vive allure, elle traverse la

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ville encore déserte. Fouetté par le vent, Sylvain claque des dents. Où donc vont les cambrioleurs ? La voiture rejoint le bord de la mer et suit un magnifique boulevard, véritable autostrade. La route épouse parfaitement la baie de Rio encore toute pleine de nuit, mais que jalonnent les innombrables lumières riveraines. L'auto roule toujours, sans ralentir. Transi, Sylvain commence à s'inquiéter. Enfin apparaissent les premières villas d'une ville. Dans le petit jour naissant il lit un panneau : OLARIA. avec Robert il a vu ce nom de ville, au bout de la baie. Des places, des carrefours, une grande rue bordée d'arbres étranges qui sont peut-être des mimosas, une autre avenue, et la voiture stoppe dans une rue secondaire. Les deux hommes descendent, examinent les lieux comme s'ils ne les connaissaient pas puis, brusquement, pénètrent dans un immeuble. Sylvain les suit. Les deux compères poussent la porte d'un ascenseur. Pourvu qu'ils ne montent pas trop haut! L'esprit transparent s'élance dans l'escalier. Deuxième, troisième, quatrième étage. La grille de l'ascenseur s'ouvre. Essoufflé, Sylvain arrive sur le palier en même temps qu'eux. Cette fois, plus d'hésitations. Trois petits coups rapides à une porte, puis trois autres. « Que faire? se dit Sylvain. Entrer? Ce n'est guère prudent, qui peut sauter sans trop de mal 130

d'un premier, mais d'un quatrième?... Et qu'apprendrai-je? je connais trop mal la langue du pays! » Les hommes disparaissent derrière la porte. Il attend un moment, l'oreille tendue. A l'intérieur, on parle à mots couverts. Tant pis, l'essentiel est de se rappeler l'adresse, car, évidemment, c'est le produit de leur vol que les deux malandrins sont venus cacher là. Il redescend dans la rue. Il fait maintenant grand jour. Si la nuit tombe vite sous les tropiques, le jour surgit avec la même rapidité. Pourtant la ville est encore endormie. Tout le temps qu'a duré cette extraordinaire aventure Sylvain n'a pensé à rien, tenu en haleine par les événements. La réalité lui apparaît brutalement. Il s'est éloigné dé Santos, de Rio, de Robert, et surtout de sa lettre restée sous la pile de livres près de la porte de la librairie. Dès lors, une seule pensée le hante : repartir au plus vite pour Rio, rentrer en possession de sa lettre pour la poster. Le temps si clair avant le lever du jour se couvre maintenant de lourds nuages venus du large. Il descend vers la basse ville, marchant d'un bon pas pour se réchauffer, mais il s'arrête plusieurs fois, le souffle court. Tant d'émotions, de fatigue ont anéanti ses forces. Il n'a rien mangé depuis longtemps et si peu dormi. Près du port, il découvre une grande 131

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place où stationnent des autocars. L'un d'eux porte une pancarte : « Rio ». Il est déjà plein et prêt à partir. Sylvain s'accroche à l'échelle arrière qui sert à hisser les bagages sur l'impériale. Ainsi, en sens inverse, il refait le chemin de la nuit... mais beaucoup moins vite. Sans son inquiétude il pourrait"^ à loisir admirer la fastueuse baie de Rio dominée, tout là-bas, par le Pain de Sucre géant. D'ailleurs la baie, ce matin, n'est pas lumineuse. Les nuages courent bas; poussés par le vent, ils vont s'entasser sur le flanc de la sierra Dos Orgâos dont les sommets ont disparu. Il souffre du froid. L'autobus qui l'emporte s'arrête souvent pour prendre des groupes d'ouvriers. Le temps fraîchit de plus en plus. De larges gouttes perdues s'écrasent sur sa peau hérissée en chair de poule. Enfin, voici les faubourgs de Rio. Sylvain essaie de se reconnaître pour descendre le plus près possible de la librairie. Soudain, comme il se penche pour lire un nom de rue, le car prend un brusque virage du côté opposé. Il se cramponne de toutes ses forces à l'échelle; ses doigts gourds le trahissent. II lâche prise et roule sur la chaussée. Heureusement, l'allure du car était très réduite. Après quelques tonneaux, Sylvain s'immobilise contre un trottoir. Il est tombé en souplesse et n'a pas perdu conscience du danger.

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II se relève et, titubant, grimpe sur le trottoir juste au moment où passe en trombe une grosse voiture de laitier. Sur le coup, en roulant à terre, il n'a rien ressenti, mais une soudaine douleur paralyse sa cheville droite. Il a dû se fouler le pied. Le ciel, tout à l'heure seulement menaçant, se déchire. Des gouttes énormes marquent l'asphalte de taches sombres. Une pluie torrentielle s'abat sur la ville. C'est la débandade; les rues se vident comme par enchantement. Ruisselant, trempé jusqu'aux os, Sylvain essaie de gagner un abri. Mais ses forces l'abandonnent. Il s'agrippe à un poteau et, aveuglé, se laisse fouetter par l'orage. Une silhouette qui passe, enveloppée d'un imperméable, s'arrête, regarde dans sa direction, étend la main comme pour le toucher. Sylvain s'écarte. La pluie l'aurait-elle rendu visible?... Ah! non, il comprend; les gouttes, rebondissant sur son dos et sa tête, doivent se voir. Et la pluie tombe toujours. *** Pour l'étranger simplement de passage à Rio, la capitale du Brésil est une belle ville moderne où la vie doit être facile. Ce n'est pas tout à fait exact. Rio, qui voit pousser sous son ciel tropical de beaux arbres, de si belles fleurs, où les hommes ont élevé de 134

si beaux édifices, n'abrite pas que des heureux. Les pauvres gens sont nombreux. Le luxe insolent côtoie la misère la plus triste. Au septième étage d'un grand immeuble de l'avenue de Pétropolis vivait un riche banquier carioque (c'est le nom des habitants de Rio). Ce banquier, le senhor Ferreira, avait à son service un très vieux Noir et une jeune fille, presque une enfant encore, puisqu'elle n'avait que quinze ans. Elle s'appelait Maria Luisa. Maria Luisa avait passé toute son enfance sur le plateau brésilien, là-bas derrière la sierra da Mantiqueira, où s'étendent, à perte de vue, les champs de caféiers. Son père, d'origine espagnole, était venu se fixer au Brésil après la triste et sombre guerre d'Espagne et un séjour de deux ans en France. Comme beaucoup de ses compatriotes, il avait cru pouvoir faire fortune dans ce pays qu'on disait si riche... et comme tant d'autres il avait végété, simple ouvrier agricole, dans une plantation de caféiers. Puis un jour, pris par la sournoise « fièvre du plateau », comme on l'appelle, il était mort sur cette terre brûlante, laissant une veuve et quatre enfants. C'est ainsi que Maria Luisa, dès qu'elle avait eu l'âge de travailler, était venue à Rio où les salaires étaient moins misérables que sur le plateau. L'été dernier, en décembre, elle était entrée au service du senhor Ferreira. Elle faisait la 135

vaisselle, la lessive, le ménage, aidée par le vieux domestique noir qui, à cause de son ancienneté dans la maison, s'octroyait le droit de la commander. Puis sa patronne, la trouvant vive et intelligente, avait entrepris de la dresser pour le service. Ce soir-là, précisément, il y avait réception. « Luisa, commanda le banquier, descends à la cave. Je t'ai fait une liste des bouteilles à remonter; ne te trompe pas. - Bien, senhor! — Et tu regarderas en même temps si l'ouvrier que j'avais commandé est venu réparer la serrure. — Bien, senhor! » Chargée de deux paniers à bouteilles, elle sortit. En descendant, dans l'ascenseur, elle pensa : « Je voudrais que la pluie redouble; les invités ne viendraient peut-être pas, je pourrais me coucher plus tôt. » L'ascenseur de ce grand immeuble descendait jusqu'au niveau des caves qui, par ailleurs, communiquaient avec le couloir ouvrant sur la rue par un long corridor. La cave du banquier était la cinquième à gauche. En arrivant devant la porte, Maria Luisa pensa à vérifier si la serrure avait été réparée. L'ouvrier n'était pas venu. La porte était simplement poussée. Elle donna la lumière et s'avança vers les casiers de bouteilles. « Voyons, trois bouteilles de « Unico-Gatâo », deux de « Précioso », une de whisky, trois de 136

Champagne... Ah! oui, le Champagne. Papa en avait bu en France, il disait que c'était si bon... » Elle s'approcha de la lampe pour jeter un coup d'œil sur sa liste. Il lui sembla entendre tout à coup un gémissement. Elle sursauta, recula vers la porte et tendit l'oreille. C'étaient bien des gémissements, comme ceux d'un malade endormi. Elle écouta encore, le bruit cessa. Se ressaisissant, elle jeta un coup d'œil autour de la cave : rien d'anormal. Elle avait dû se tromper, le bruit venait de la rue. Elle se hâta de chercher les deux dernières bouteilles et se retira sur la pointe des pieds; mais juste au moment où elle tirait la porte, un nouveau gémissement, plus distinct, la fit encore tressaillir.

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La lumière était éteinte. Elle resta un instant en suspens, partagée entre la peur et la curiosité. La peur l'emporta. « Mon Dieu, qu'as-tu? » demanda sa patronne en la voyant revenir, le visage défait, s«.-s paniers à bouteilles à bout de bras. Elle eut envie d'avouer sa frayeur, mais on se serait encore moqué d'elle : « Senhora, je suis seulement un peu fatiguée. » L'arrivée des invités amena une diversion. Elle oublia son émotion. Cependant, vers minuit, quand, le repas terminé, elle se mit à la vaisselle, elle pensa de nouveau à ces gémissements. « Luisa, se dit-elle, tu n'es tout de même plus une petite fille, tu aurais dû regarder avant de te sauver. Si quelqu'un était malade, en bas, dans cette cave? » Elle eut encore l'idée d'en parler à ses patrons; ceux-ci, enfoncés dans les fauteuils du fumoir, .bavardaient joyeusement avec leurs invités. Elle ne dit rien, mais, une heure plus tard, quand les invités partis, sa vaisselle rangée, elle se retira dans sa chambre, au lieu de se coucher tout de suite, elle s'étendit sur son lit. Ces gémissements la hantaient, ils lui rappelaient toutes sortes de tristes souvenirs : la mort de son père, celle de son petit frère, qui, justement, avait tant gémi, les derniers jours.

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Alors, ce fut plus fort qu'elle. Elle se leva. « Il faut que j'en aie le cœur net, jamais je ne pourrais m'endormir. » Tout reposait dans l'appartement. Elle prit une clef et sortit. Avant d'appuyer sur le bouton de l'ascenseur, une longue hésitation la retint encore. Elle avait grande envie d'aller voir pour s'assurer qu'il n'y avait rien, qu'elle avait rêvé, mais la peur lui serrait la gorge. « Tant pis, Luisa, descends! » L'ascenseur s'ébranla. La porte de la cave était telle qu'elle l'avait laissée. Elle l'entrebâilla légèrement sans donner la lumière et écouta. N'entendant rien, elle appela à voix basse : « Qui est là? » Elle attendit, le cœur battant, souhaitant de toutes ses forces ne rien entendre. A demi rassurée par le silence, elle répéta : « Qui est là? » Alors, du fond de la cave, une voix répondit à la sienne : « Quelqu'un ! Malade ! » La jeune fille tressaillit. Son visage et ses mains se glacèrent. La peur la cloua sur place. « Malade... malade... », reprit la voix. Ce n'était pas une voix rauque d'homme aviné ni celle d'un vieillard, plutôt le souffle d'un homme épuisé. Plus morte que vive, elle entendit encore : 139

« Vous... pas peur... pas peur... » Les mots étaient hésitants... On aurait dit que la bouche qui les prononçait ne parlait pas couramment le portugais. « Pas peur!... Malade!... » Sa frayeur un peu dissipée par le ton de la voix, Maria Luisa retrouva ses esprits et sortit pour avertir ses patrons que quelqu'un se trouvait dans la cave; parvenue devant la porte, elle hésita, encore. Ses patrons dormaient, jamais elle n'oserait les réveiller. Il faudrait attendre le lendemain... Mais le lendemain, ne serait-il pas trop tard? Héroïquement, elle revint vers la cave, poussa légèrement la porte, sans allumer, et demanda : « Qui êtes-vous? Où êtes-vous? » II y eut un silence. Puis la voix reprit : « N'allumez pas... Ecoutez!... » Ne pas allumer! Qu'est-ce que cela voulait dire? Etait-ce un piège qu'on lui tendait dans l'obscurité? Mais la voix reprit encore : « Vous, aucun mal... malade... entrez... écoutez... Je suis au fond de la cave, derrière des caisses, sous de vieux sacs. » Elle eut le courage d'entrer; la voix était si déprimée, si haletante, que sa frayeur s'en allait. Brusquement elle donna la lumière. Ses yeux fouillèrent le fond de la cave. Derrière deux caisses, elle distingua un amas de sacs. 140

« Je ne vous vois pas. — Vous ne pouvez pas me voir. — Où est votre tête? — Je suis invisible! » Elle répéta le mot plusieurs fois : « Invisible ! » Elle se demanda si elle ne vivait pas un cauchemar. « Un accident, fit la voix, je suis devenu... devenu... transparent. Pourtant, là, derrière les sacs, je vous vois... Vous êtes une jeune fille... » Ces dernières phrases n'avaient pas été prononcées en portugais. « Ah! vous parlez français, fit Maria Luisa. Je connais un peu cette langue. — Alors, approchez, je vous expliquerai, vous comprendrez. Approchez. » Elle fit un pas, s'arrêta, s'avança, puis dit encore : « Je ne vous vois pas. - Ne craignez rien. Voyez-vous bouger les sacs? Ils enveloppent mon corps; j'ai froid, je suis malade...» Maria Luisa sentit une sueur froide couvrir son visage. Elle se tenait toujours prête à fuir et cependant une force irrésistible la retenait. « Tendez votre main, murmura la voix, je la prendrai, la presserai doucement. Vous verrez que je suis un être humain comme les autres. » Elle ne répondit pas, ne fit pas un mouvement. La voix insistait. 141

« Je suis folle! fit Maria Luisa. Je suis en train de devenir folle! - Non, pas folle; à votre place, j'aurais la même frayeur. Surmontez votre crainte, avancez votre main, vous ne risquez rien. » Lentement, elle tendit sa main en avant. Des doigts effleurèrent les siens. Elle poussa un cri. Tout son corps fut secoué d'un frisson. Cependant sa main n'était pas restée prisonnière d'un étau. Son envie de fuir céda. Elle comprit que c'était bien un être réel qui était là, un être qui souffrait. « Vous avez de la fièvre, dit-elle. — La pluie m'a traversé jusqu'aux os, je me suis foulé un pied. J'ai froid, pouvez-vous quelque chose pour moi?... Mais je voudrais que personne ne sache, personne. 142

— Pourquoi? » La voix soupira longuement : « Ecoutez... "» Et la voix se mit à parler, lente, fatiguée, à conter l'aventure extraordinaire d'un jeune Français perdu dans Rio. Quand elle se tut, la jeune fille se sauva dans le couloir et bondit vers l'ascenseur. Aussitôt dans sa chambre, elle se précipita devant la glace. Sa pâleur, ses yeux dilatés l'effrayèrent. La sueur inondait son visage. Elle se passa une serviette mouillée sur le front. « C'est bien vrai, je deviens folle! » A présent qu'elle avait quitté la cave, la voix lui paraissait plus hallucinante encore. Avait-elle rêvé? Pourtant, cette main brûlante de fièvre, elle l'avait bien touchée; ce n'était pas celle d'un esprit de la sierra. Elle s'effondra sur son lit, à bout de nerfs. Mais la voix inconnue la poursuivait : « Je suis malade; j'ai froid, j'ai faim... » Alors elle se releva, se passa encore de l'eau froide sur le front, se glissa dans la cuisine déserte, prit des fruits, une grosse tranche de ce pain d'épice parfumé, spécialité de Rio, revint dans sa chambre où elle arracha une couverture à son lit. L'attention qu'elle porta à ces gestes l'apaisèrent. Elle retrouva encore une fois le courage de redescendre à la cave, 143

presque surprise de ne pas trembler davantage. « Oh! une couverture, murmura avec reconnaissance la voix inconnue. J'ai si froid! » Une main invisible la lui enleva doucement. Maria Luisa eut encore un sursaut quand elle la vit se déployer toute seule et remplacer les vieux sacs sur le corps invisible. Mais peu à peu elle s'habituait. « Voulez-vous manger? demanda-t-elle. - J'ai très soif... » Elle tendit dans le vide un bol de jus de fruits qu'elle avait apporté. Le bol quitta ses mains doucement. Elle devina la place où était la tête de l'être invisible, reconnut, à l'inclinaison grandissante du bol, le mouvement familier de quelqu'un qui boit. Ce geste, plus que tout autre, la rassura. « Merci », murmura la voix tandis que la main invisible redonnait le bol vide, « je me sens mieux, et cette couverture me tient chaud... Vous me sauvez la vie... Dites-moi que vous n'avez plus peur... »

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CHAPITRE VIII UN PAPIER SUR UN LAMPADAIRE longue salle blanche percée de grandes ouvertures qui donnent sur la baie, la baie hier encore hérissée de vagues gigantesques, aujourd'hui redevenue d'un éclatant bleu turquoise. Dans la salle, deux longues files de lits d'où émergent toutes sortes de visages. Assis sur son lit, Robert regarde tous ces malheureux et se passe la main sur le front et réfléchit : « Quel stupide accident! Pourquoi a-t-il fallu que je trébuche juste au moment où passait ce camion? Je UNE

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me demande encore comment c'est arrivé... La fatigue, sans doute... Le poids des valises. Dieu merci, c'est fini. Non, vraiment, ,. depuis hier je ne ressens plus rien, absolument rien. » Soudain vient d'entrer un docteur métis qui passe d'un air désabusé dans les allées, jette un bref coup d'œil sur les feuilles de température fixées au pied de chaque-lit, bredouille quelque chose et s'en va plus loin. « Mais enfin, senhor, pourquoi me laisse-t-on v ici? Je ne suis plus malade. Je veux partir. » Le métis hausse les épaules, d'un air de dire : « Vous savez bien que ça ne me regarde pas! » « Attendez le médecin-chef! - On ne le voit jamais! - Attendez! » C'en est trop! On n'a pas le droit de laisser les gens croupir dans un lit quand ils n'ont plus rien. Le métis à peine disparu, Robert rejette ses couvertures, se lève et s'habille. Il se sent tout à fait d'aplomb. Au bout de la salle s'étire un long couloir. Avisant une infirmière qu'heureusement il ne connaît pas, il demande : « Le médecin-chef? — Que voulez-vous? — Lui parler, c'est urgent. » L'infirmière le regarde un peu soupçonneuse, puis le prenant pour un visiteur en quête d'un 146

renseignement : « Alors, attendez là. » Elle le pousse vers une salle où plusieurs personnes attendent sur des bancs, de pauvres gens pour la plupart, car Robert a échoué dans une sorte d'hôpital-hospice où se retrouvent les malheureux. Il s'assied comme les autres sur un banc et s'interroge encore sur Sylvain. Il y aura cinq jours ce soir. Cinq jours!... Qu'est devenu Sylvain? A-t-il pu atteindre Santos? Ce n'est pas certain. Il faudra tout de suite téléphoner là-bas. Le temps passe. Robert bout d'impatience. S'il ne tenait qu'à lui, il s'éclipserait sans demander l'avis des médecins, mais ses deux valises ont été déposées quelque part dans l'établissement et il ne pourra les récupérer qu'en montrant un bulletin de sortie. Il se trouve assis entre une grosse femme noir qui attend placidement en soufflant comme un cachalot et une jeune fille qui s'impatiente comme lui et ne cesse de regarder l'heure à la pendule au-dessus de la porte. « C'est long! murmure-t-elle en regardant Robert. — Très long!... » Ils se sourient. La jeune fille a un petit air fatigué et plutôt triste. A tout hasard, histoire de dire quelque chose, il demande : « Vous venez voir un parent malade? — Oh! non. »

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Elle paraît embarrassée, tourne la tête pour couper court à la conversation. Timidité? Discrétion? Robert n'insiste pas. D'ailleurs il vient d'entrevoir la blouse blanche du « chefe » qui reconduit quelqu'un dans le couloir. Il sort vivement : « Senhor medico! » Le médecin-chef se retourne, regarde pardessus ses lunettes celui qui l'interpelle ainsi. Il reconnaît Robert : « Comment? Debout? » Le médecin fronce les sourcils, commence par s'emporter. « Excusez-moi, coupe Robert, c'est grave et très urgent. » Le médecin le regarde encore en grimaçant et, bougonnant, le pousse vers son bureau. « II faut que je parte, senhor, c'est absolument indispensable! J'étais venu au Brésil pour me rendre à Santos y régler une affaire importante. La vie de quelqu'un en dépend. Je vous assure que je n'éprouve plus aucune douleur à la tête, aucun vertige, absolument rien. Plus de troubles de mémoire non plus, et ma vue est redevenue normale... Ainsi, je peux lire parfaitement les petites lettres de cette affiche. » Le médecin-chef l'écoute en continuant de maugréer. Robert insiste : « Laissez-moi partir, je vous en supplie! Je vous 148

promets de revenir au moindre malaise. » II est bien évident que, pour montrer pareille énergie, le malade a retrouvé son équilibre. Le médecin-chef paraît indécis; après tout, ce garçon est un étranger; s'il tient absolument à se refourrer sous une auto, eh bien, tant pis ! Il gribouille quelques mots sur une feuille de bloc-notes et tend le papier. C'est la « levée d'écrou ». Robert sort du bureau, passe devant la salle d'attente où la jeune fille attend toujours sur le banc, et court vers le bureau des entrées et sorties. Un quart d'heure plus tard il s'éloigne, sur le trottoir, ses deux valises à bout de bras. « Taxi! » II se fait déposer au plus vite près du port, au pied du gratte-ciel jaune, demande au chauffeur de l'attendre et se met à faire les cent pas sur le trottoir, espérant follement sentir tout à coup une main se poser sur son épaule. Hélas! Sylvain n'est pas là. A vrai dire, il n'y comptait guère. Après cinq jours, pareille rencontre eût été un miracle. Aucun signe non plus du passage de son camarade. « Chauffeur, à la gare centrale! » L'auto remonte vers la ville à travers la foule bariolée. Il se fait arrêter à l'angle de la place, près du lampadaire. Quel drôle de client, doit penser le chauffeur, qui ne sait s'il doit prendre le train ou le bateau. 149

Dix fois, vingt fois encore, Robert arpente le trottoir sous le lampadaire où ils se sont séparés. Sylvain n'a laissé aucun signe; il a donc pu atteindre Santos. Vite, le téléphone. Il pénètre dans une cabine de la gare, feuillette l'annuaire. Comme Sylvain, il relève de nombreux Rodrigues. Aucun ne lui semble le bon. Le seul qui porte le prénom d'Antonio le tente. Il appelle; ce n'est pas lui. Que faire? Il lui paraît impossible que le chimiste n'ait pas le téléphone. Tant pis, essayons d'autres noms. Un de ces Rodrigues est mentionné sans indication de profession. Il forme son numéro. « Le professeur Antonio Rodrigues, le chimiste? - C'est ici! Qui le demande? » Robert retient un cri de joie. Enfin il va savoir, être rassuré. Dans quelques heures il va voler à Santos et retrouver Sylvain en chair et en os, comme autrefois. « Allô... C'est Robert Guénec,. l'ami de Sylvain Rambaud... Je vous téléphone de Rio... Sylvain est-il chez vous? » Le cœur battant à tout rompre, il attend. Une voix d'homme, très lente, répond. Les doigts de Robert se crispent sur l'appareil. Il pâlit. Sylvain n'est pas à Santos et le professeur s'en étonne puisque le TrasOs-Montes a touché Rio cinq jours plus tôt. Robert explique comment il a perdu son camarade; et, désespéré, raccroche. 150

Il s'effondre sur le strapontin de la cabine, en proie à un violent désespoir. Que faire? Attendre?... Mais qu'apportera cette attente? Sylvain ne reviendra pas. Si le malheureux n'a pu atteindre Santos, c'est qu'un malheur est arrivé. « C'est ma faute, se dit-il, je n'aurais pas dû le quitter un seul instant. Il avait le pressentiment que nous nous perdrions. Oh! moi qui avais tant promis à Jacqueline et à sa mère de le ramener sain et sauf! C'est ma faute... Et maintenant, où est-il? Mon pauvre Sylvain, es-tu en train de mourir dans un coin, ignoré de tout le monde...? » Une voix en colère le tire de son cauchemar. C'est un Carioque qui veut occuper la cabine. Robert sort, tramant lamentablement ses valises. Quelques pas plus loin, il s'assied et se plonge la tête dans les mains pour réfléchir. A quoi servirait de prévenir la police? Tout simplement on le jugerait fou. Pourraiton croire, à Rio, à l'existence de l'homme transparent? D'ailleurs, comment retrouver la trace de quelqu’un qu'on ne voit pas? Non, aucune solution; il ne lui reste plus qu'à télégraphier en France pour annoncer la terrible nouvelle. Il se représente la douleur de Mme Rambaud et de Jacqueline à sa réception. Jamais plus, lui, Robert, n'osera paraître devant elles. Il avait tant insisté pour accompagner Sylvain!

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Cependant, ce télégramme, il ne peut se décider à l'envoyer tout de suite. II attendra encore un jour... Peut-être que d'ici là?... Toujours assis sur sa valise, dans un coin du hall de la gare, il ne prête aucune attention à la foule bigarrée qui le côtoie. « Un jour, répète-t-il, je me donne encore un jour... » Un peu soulagé par le délai qu'il s'accorde, il se lève, reprend ses valises et, passant devant un kiosque, s'arrête pour acheter un journal, n'importe lequel. Qui sait? Il jette un coup d'œil sur les gros titres. La découverte dans les rues de Rio d'un homme transparent ferait du bruit. On en parlerait pendant plusieurs jours. A la première page, rien, sinon, en manchette, un cambriolage sensationnel à l'ambassade du Mexique. Rien non plus aux pages suivantes qui ait un rapport avec Sylvain. Par acquit de conscience, il jette un coup d'œil à la rubrique des décès. Hélas! sans doute, après la mort, la transparence doit-elle disparaître... Mais comment identifier un cadavre nu? Il jette le journal dans une corbeille, reprend ses valises et s'éloigne. A la sortie de la gare il s'arrête, épuisé. Sa tête, qu'il croyait redevenue solide, lui fait mal. Les vertiges vont-ils le reprendre? « Un jour, répète-t-il, il ne me reste qu'un jour! » Malgré tout, il veut croire qu'il finira par retrouver Sylvain près du gratte-ciel. Trop fatigué 152

pour faire le trajet à pied, il prend un trolleybus qui l'amène près du port. Sur le boulevard qui longe la mer, presque face au gratte-ciel, il découvre un hôtel d'apparence modeste qui conviendra à sa bourse. Il entre, demande une chambre. Il s'étend sur le lit, se relève pour faire u*n peu de toilette et chasser cette détestable odeur d'hôpital qu'il traîne avec lui. L'eau fraîche l'apaise. Après les pluies torrentielles la chaleur est revenue, lourde, pénible. Il s'étend de nouveau, revient se pencher à la fenêtre. « Suis-je stupide! fait-il tout haut. Je cherche Sylvain comme si je pouvais le voir! » Au bord du trottoir, juste devant le gratte-ciel, s'élève un lampadaire semblable à celui de la gare. Soudain, une idée lui vient. Oh! comment n'y a-t-il pas pensé plus tôt ! A la hâte il déchire une feuille de carnet et griffonne ces mots : « Sylvain, attends-moi ici. » Il dégringole sur le boulevard, avec du papier collant fixe le billet sur le poteau métallique, souhaitant que personne ne le déchire. Apaisé, il remonte dans sa chambre, cherche un repos bien difficile à trouver. « Mon vieux Sylvain, où es-tu?... Où es-tu? » Il décide de descendre devant le gratte-ciel toutes les heures et même de se relever plusieurs fois dans la nuit. Entre chaque visite au 153

lampadaire il voudrait se distraire, penser à autre chose qu'à son inquiétude, mais à chaque instant ses yeux se fixent sur le cadran de sa montre. Que c'est long, une heure! Selon ses moments d'espoir ou de désespoir, les aiguilles vont vite ou trop lentement. Entre-temps il se relève pour courir à la fenêtre voir si personne n'a enlevé le papier. Cinq heures viennent de sonner. Le soleil baisse rapidement au-dessus du Moro de Cas-telo, la haute colline de la vieille ville. Dans deux heures la nuit tropicale tombera, épaisse, brutale, et pendant treize heures tiendra la ville dans l'obscurité la plus dense. Avant de descendre pour la quatrième fois, il se penche encore à la baie. Personne sur le trottoir, sauf une femme dont la tête disparaît sous le traditionnel chapeau brésilien en paille tressée. Machinalement il la regarde arpenter le trottoir, attendant le passage d'un autobus. Justement en voici un qui arrive. Des voyageurs descendent, d'autres montent; la femme au chapeau de paille reste sur le trottoir. Sans doute attend-elle le véhicule qui viendra dans l'autre sens. -Quelques minutes s'écoulent, un autobus passe, elle ne le prend pas. Tiens, la voilà qui s'arrête devant le lampadaire et regarde le petit papier. Pourvu qu'elle n'ait pas la stupide idée de l'enlever! Intrigué, il quitte sa chambre, traverse le boulevard. La femme au chapeau de paille est toujours là; contrairement à ce qu'il croyait, c'est une 154

jeune fille. Il a même l'impression d'avoir déjà vu ce visage, mais toutes les Carioques ne se ressemblent-elles pas avec leur teint hâlé, leurs cheveux noirs? Sans plus prêter attention à elle il se met à marcher. Tout à coup de petits pas trottinent derrière lui. « Senhor! N'êtes-vous pas Robert Guénec?... Je vous reconnais, je vous ai vu ce matin à l'hôpital Caritas. J'avais déjà fait trois hôpitaux. Quelle malchance! Oh! si j'avais su que c'était vous, près de moi, dans la salle d'attente! » Robert reste abasourdi. Lui aussi la reconnaît. Mais comment a-t-elle su son nom? « Qui êtes-vous? - J'ai lu ce papier fixé au poteau, je vous attendais. C'est votre ami Sylvain qui m'envoie. - Sylvain...? » Le choc est trop brutal; il vacille, se passe la main devant les yeux. « Sylvain! Vous savez où il est?... Vous l'avez vu?... — Il vous attend! — Où? — Venez avec moi. » Le pauvre Robert n'ose en croire ses oreilles. Sylvain n'est pas mort, il va le revoir. « Que lui est-il arrivé ? — Il est malade... » 155

Robert hèle le premier taxi qui passe. « Senhorita, demanda-t-il vivement, je ne comprends pas! Comment l'avez-vous trouvé? Dans quel état est-il? - Il a pris froid sous la pluie battante et s'est foulé la cheville en tombant d'un autobus en marche... Ce n'est pas grave, il avait surtout froid et faim. - Mais vous, senhorita, comment l'avez-vous découvert, puisqu'il est invisible? - Il gémissait dans une cave où il s'était réfugié. J'ai cru mourir de frayeur et je me suis sauvée... Heureusement, j'ai eu le courage de revenir voir. » Robert se tourne vers la jeune fille pour voir son visage. Elle paraît si frêle, si timide. Comment, en effet, n'est-elle pas morte de frayeur? « Vous l'avez sauvé », murmure-t-il. La jeune fille rougit de confusion. « Ah! si j'avais su que c'était vous, assis près de moi à l'hôpital, nous n'aurions pas perdu de temps. Votre ami Sylvain m'a envoyé ici, à tout hasard, après m'avoir fait visiter plusieurs hôpitaux. Une chance, c'était aujourd'hui mon jour de congé, j'ai pu faire tout cela. » Robert regarde encore avec admiration la jeune fille toute timide qui a pourtant fait preuve d'un courage extraordinaire. Après une longue course en ville, l'auto débouche sur l'avenue de Pétropolis. 156

« Excusez-moi, fait Maria Luisa, il vaut mieux arrêter la voiture avant la maison. » Robert fait signe au chauffeur. Ils font à pied le reste du chemin. « Cinquième porte à droite, indique la jeune fille. Moi, il faut vite que je rentre, je suis déjà en retard; je vais me faire gronder... Je reviendrai cette nuit et je m'arrangerai pour que le vieux domestique ne descende pas. » Elle s'esquive, peut-être autant par discrétion que par la peur d'une réprimande. Le cœur battant, Robert suit le couloir souterrain. La cinquième porte est semblable aux autres, simplement pourvue d'une serrure neuve. Il la pousse lentement. « Sylvain! — Robert! » Le jeune Guénec se précipite vers le fond de la cave d'où est venue la voix. Il reconnaît, sous une couverture, la forme d'un corps étendu. Les deux amis s'étreignent. Tous deux pleurent de joie, incapables de dire un mot. Ils restent ainsi un long moment, se tenant les mains pour bien se persuader qu'ils se sont retrouvés. « Ah! Sylvain, j'ai cru que tu étais mort... Où souffres-tu? Est-ce grave? — Maria Luisa ne t'a rien dit? — Si... J'avais peur tout de même. __ Ah! Robert, quelle aventure! Sans cette 157

fille envoyée par la Providence, j'étais perdu. Je lui dois une fière chandelle... Mais toi, Robert, tu es tout pâle et amaigri... - Un stupide accident, juste au moment où j'allais te rejoindre sous le lampadaire. Te souviens-tu, nous étions encore ivres de roulis et de tangage, j'ai bêtement trébuché sur une de mes valises. Un camion arrivait. Dieu merci, je ne suis pas passé dessous, mais ma tête a heurté un boulon de roue, j'ai perdu connaissance. Quand je me suis éveillé, j'étais sur un lit d'hôpital. J'ai mis trois jours à retrouver mes sens. J'ai fait des pieds et des mains pour partir... Me voici... Et toi, Sylvain, si tu n'es pas trop épuisé, raconte-moi... » A voix basse, Sylvain fait le récit de ces cinq jours d'angoisse. « Sans cette jeune Brésilienne, soupire-t-il encore, je mourais de froid et de faim; je ne sais si j'aurais eu la force de sortir de ce trou pour chercher à manger. Elle m'a apporté cette couverture, de la nourriture en cachette, des boissons chaudes et m'a même collé un sinapisme! Et pourtant, tu peux croire qu'elle mourait de frayeur! Je lui dois la vie, Robert, je ne l'oublierai jamais... »

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CHAPITRE IX RODRIGUES REUSSIRA-T-IL? route sinueuse, longeant une côte découpée où des rochers abrupts plongent leurs racines de pierre dans des flots profonds. De temps à autre, au large, de petites îles perdues, rocailleuses et désertes. La voiture file à belle allure sur cette voie toute neuve, tantôt taillée à vif dans le roc, tantôt enjambant des précipices. Robert jette un coup d'œil sur sa montre : « Encore deux heures et nous serons à Santos. » UNE

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Sylvain ne répond pas. Ce matin, en quittant Rio il était confiant, presque joyeux. A mesure qu'ils approchent, le doute l'effleure. « Tu ne vas tout de même pas, mon vieux Sylvain, continuer à te faire des cheveux blancs alors que nous touchons au but? - Il m'est déjà arrivé tant d'aventures... et puis, souviens-toi de ce que nous a dit Rodrigues quand nous lui avons téléphoné. - Evidemment, il avait tout prévu pour le lendemain de notre arrivée et nous avons huit jours de retard..., mais que risques-tu? Tout au plus un nouveau retard pour les préparations à refaire, ce qui n'est d'ailleurs pas certain. Et puis... » II n'achève pas. Le chauffeur noir vient de se retourner pour la troisième fois, ahuri d'entendre son voyageur parler tout seul tantôt sur un ton, tantôt sur l'autre, exactement comme un ventriloque. Alors les deux amis se taisent et se contentent de regarder le paysage sauvage et grandiose qui défile. Les kilomètres succèdent aux kilomètres. Les autos roulent vite au Brésil. Le temps paraît pourtant horriblement long. Sylvain pense à sa mère, à Jacqueline, qui doivent vivre dans une mortelle inquiétude, attendant des nouvelles, car elles n'ont peut-être pas encore reçu le télégramme disant simplement, sans autres explications, que la visite à Santos avait été retardée. 160

Il pense aussi à tout cet argent dépensé pour lui et, malgré lui, il jette un coup d'œil au compteur du taxi qui marque déjà une somme énorme." Pendant un long moment les deux camarades restent silencieux. Puis, tout à coup, un panneau annonce, en grosses lettres : SANTOS. Dans le lointain se dessinent les masses claires d'une grande ville. Et voici déjà les premiers faubourgs, moins riants que ceux de Rio; voici les quais, les docks, le grand port du Sud d'où partent vers les quatre coins du monde des montagnes de café. Car Santos est avant tout le port du café. On est presque surpris de n'en pas sentir l'arôme. « Quelle rue? demande le chauffeur. — 16, avenue Marajó. » Le chauffeur ne connaît pas la ville. Il s'adresse à un agent qui porte un casque blanc comme à Rio. Quelques zigzags à travers la ville et voici l'avenue Marajó. Avant de descendre de voiture, Robert se penche vers Sylvain : « Mon vieux, dans quelques heures tu vas redevenir un homme comme tout le monde. Il faut que ton extraordinaire aventure finisse joyeusement! - Comment? __ Prends mon portefeuille dans ma poche et règle toi-même le bonhomme! — Tu es fou ! 161

— Une bonne petite blague inoffensive..., la dernière, Sylvain. » Sylvain hésite, niais Robert paraît si heureux! La voiture vient de stopper contre le trottoir. Ils descendent. Robert s'approche du chauffeur qui décharge les bagages : « Combien, s'il vous plaît? - Cinq mille deux cents cruzeiros. » L'homme attend poliment, sa casquette à la main, et son regard se fixe sur la poche de Robert où se trouve sans doute le portefeuille. Mais voilà que, sans un seul mouvement de la part de Robert, le portefeuille sort tout seul de la poche, comme par enchantement, qu'il s'ouvre de lui-même... et que les billets s'échappent, se déplient et se réunissent en une petite liasse. « Voilà! fait Robert négligemment. C'est bien le compte, n'est-ce pas? » Mais le bonhomme n'a pas entendu. Il est d'abord devenu verdâtre, puis affolé, a pris les jambes à son cou comme si on avait voulu l'assassiner. Robert lui court après pour lui démontrer que l'argent n'est pas ensorcelé. Le pauvre Noir revient en hésitant vers sa voiture avec l'air de craindre qu'elle ne s'envole, comme les billets. La scène a été si drôle que Sylvain rit de bon cœur, se souvenant de l'aventure du boulevard Saint-Michel. Alors ils se dirigent vers l'immeuble, une vieille maison assez décrépie. Tous les savants du 162

monde ont donc une prédilection pour les vieux logis?... Cependant, au bout du couloir, s'ouvre un large patio comme ceux des vieilles demeures espagnoles. Une femme, qui rentre les bras chargés de sa lessive sèche, leur indique que le senhor Rodrigues habite au premier. Quelques marches seulement. C'est beaucoup pour Sylvain à qui l'émotion coupe les jambes. Il s'arrête à mi-chemin pour reprendre haleine. « Robert, est-il possible que ce long cauchemar soit sur le point de s'achever? » Sur la popte, une petite plaque, avec simplement les initiales : « A. R. » C'est là. Un coup de sonnette. L'attente se prolonge. Une servante métisse vient ouvrir, la tête enveloppée d'une sorte de madras qui fait ressortir son teint sombre de vieux bois d'Amazonie. « Le professeur Rodrigues? — Le senhor Rodrigues n'est pas dans sa casa. » Robert insiste : « Allez tout de suite lui dire que la personne qu'il attend est là. — Bien, senhor! » Oubliant ce qu'elle vient de répondre, la métisse tourne les talons et, se dandinant dans ses savates de paille, disparaît au bout d'un interminable couloir

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carrelé. Quelques minutes plus tard, débouche au fond de ce même couloir un petit homme maigrichon, qui boite assez bas. Derrière ses lunettes à monture d'or brillent •cependant des yeux perçants. « Ah! mon ami!... Mes amis, vous voilà enfin! » Le ton est cordial, le français absolument correct. A côté de Robert, le savant paraît presque nain. Il tend au jeune Guénec ses deux mains et, tout de suite, posant un doigt sur ses lèvres : « Chut! Entrez discrètement... » Puis s'adressant à Sylvain qu'il suppose se tenant derrière son camarade : « Vous, monsieur Rambaud, ne parlez pas, ma domestique a une peur terrible des esprits! » Ils pénètrent dans l'appartement, plus sympathique que l'extérieur et, contrairement à ce qu'ils pensaient, très bien tenu. Le savant les introduit dans un vaste bureau-bibliothèque. Sur une table s'entassent pêle-mêle de gros ouvrages scientifiques, des brochures, des manuscrits. Le chimiste referme vivement la porte derrière eux. « Maintenant, Sylvain Rambaud, vous pouvez parler. Que vous est-il donc arrivé, racontez-moi? Je m'inquiétais sérieusement. Tout était prêt pour l'arrivée du bateau. Ce contretemps est fâcheux, très fâcheux! » Sylvain narra son aventure d'une voix qui trahit son angoisse. Puis, hésitant : 164

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« Senhor, il n'est pas trop tard? — Je l'espère... Mais vous venez de toussoter à plusieurs reprises, êtes-vous en excellente santé? — J'ai pris un refroidissement, sous la pluie, à Rio. » , Le chimiste aux yeux vifs hocha la tête. Sylvain demande, de plus en plus inquiet t « Serait-ce un obstacle? — Je ne sais pas si mon confrère français l'avait remarqué comme moi, l'état fébrile qui, comme vous le savez, amène des modifications dans l'organisme, trouble parfois les expériences biologiques... — Vous voulez dire, interrompt Robert, que Sylvain n'est pas sûr de retrouver son état normal? - Si la fièvre est trop forte... Mais voyons plutôt. » Le professeur se lève, se dirige vers le fauteuil apparemment vide où est assis Sylvain. - Donnez votre poignet... Hum! le pouls est plutôt rapide et irrégulier... et vous tremblez. - C'est l'émotion, senhor. » Sylvain cherche à lire dans les yeux du chimiste; tout à coup, il éclate : « Senhor, quoi qu'il arrive, n'attendez pas davantage! Je vous assure que je me sens très bien. Je n'ai pas de fièvre! » L'homme sourit :

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« Je comprends votre impatience. Hélas! cela ne dépend pas tout à fait de moi. Je l'ai écrit à M. Guénec, certains contre-éléments présentent une grande instabilité. Tout était prêt pour la semaine dernière à l'arrivée du bateau, aujourd'hui... - Trop tard? — C'est-à-dire que je suis obligé de recommencer certaines préparations. Heureusement, j'avais prévu que le bateau pouvait avoir du retard; j'ai conservé un peu de cet alcaloïde, le termigane, qui sert de base à l'anti-élément principal. Mais c'est un produit difficile à se procurer, je crains seulement que la quantité soit un peu faible... Je n'ai rien voulu entreprendre avant que vous soyez là; la préparation me demandera plusieurs heures, nous ferons la piqûre demain matin. — Demain seulement », soupire Sylvain. Ces quelques heures, juste au moment de toucher le but, lui paraissent un siècle. « Rassurez-vous, reprend le chimiste d'une voix paternelle, je ne vous laisserai pas sortir en ville; je vous garde; vous êtes mes hôtes, vous coucherez ici.» Cette hospitalité toute simple émeut les deux camarades et rassure Sylvain. Mais demain est tout de même loin. Toute une longue nuit d'angoisse encore, avec beaucoup d'incertitude quant au résultat final. 167

Lorsque les deux camarades se retrouvent dans la petite chambre que la servante métisse leur a préparée... ou plutôt, a préparée à Robert, Sylvain ne cache pas ses craintes. La fièvre va tout gâcher, sans parler de ce fameux termigane dont la quantité sera insuffisante. Il restera infirme, d'une infirmité épouvantable; il deviendra à moitié transparent, on ne verra que son squelette. Il n'arrive pas à s'endormir et rumine toutes sortes d'extravagances. Enfin, le lendemain est devenu aujourd'hui. Le petit jour filtre à travers les stores de bambou. Quelqu'un frappe à la porte : « Le senhor Rodrigues vous attend. » Sylvain se lève. Il se sent fiévreux. Ce réveil brutal alors qu'il venait à peine de s'endormir lui fait penser à l'aube d'un condamné à mort. Tout souriant, le petit bonhomme les attend dans son cabinet de travail, aussi encombré que la veille. Il les fait passer dans son laboratoire. Contrastant avec le bureau, cette salle est très ordonnée. Deux longues tables au centre. Aux murs, deux grandes vitrines ripolinées. On se dirait plutôt dans une salle d'opération au moment d'une grave intervention chirurgicale... Et ne s'agit-il pas de cela, en effet? Sylvain sent son sœur battre la breloque. Il pense soudain que sa vie est entre les mains de ce petit bonhomme. Jamais, depuis le soir de l'incendie, il n'a eu aussi peur. Ses mâchoires 168

se contractent, ses ongles s'enfoncent dans ses paumes. « Vite, senhor, que se soit fini!... Même si je dois rester à tout jamais ce que je suis! » Mais tout bas, il pense : « Oh! non, ce n'est pas possible! » Le professeur vient d'ouvrir ses vitrines. Il en sort toutes sortes de flacons, des tubes, des appareils inconnus. Ses gestes sont précis, mesurés; son calme impressionne plus encore que ses gestes. « Vous m'excuserez, dit-il, tout ce que je suis en train de faire sous vos yeux ne pouvait être préparé plus tôt... Mais ce ne sera pas long. » Tandis qu'il s'affaire, Robert avise soudain, au fond du laboratoire, une grande glace où on peut se voir en pied et qui, assurément, ne fait pas partie d'un matériel scientifique. « Ah! oui, fait le chimiste, cela vous intrigue! J'ai pensé à l'impatience et à la joie de votre camarade au moment où il pourra enfin se regarder, se voir. » Cette attention de la part du savant bouleversé Sylvain, lui fait toucher du doigt l'imminente réalité. Vraiment, tout à l'heure, il pourra... Il regarde longuement la glace et essuie une larme sur sa joue. Le chimiste poursuit ses préparatifs, opère encore des transvasements, pèse des liquides au densimètre, fait chauffer un tube à essai, en observe la teinte, hoche la tête en y découvrant un léger trouble,

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regarde encore devant une lampe de couleur rouge orangé. Toutes ces opérations, Sylvain se souvient les avoir vu faire à Pierrefitte, mais il n'éprouvait alors que de la curiosité. Aujourd'hui, le moindre geste prend une tout autre signification. Et tout à coup, il pense : « II est si frêle, cet homme! Si tout à coup il s'effondrait, terrassé par une crise cardiaque! » Encore un dosage, un mélange. Enfin voici la seringue, l'aiguille. Ah! cette aiguille, avec quels yeux il la regarde! « Tout est prêt, asseyez-vous sur ce tabouret... Où est votre bras? » Robert est resté debout. Il tient l'autre main de Sylvain, cette main qui, dans quelques instants, doit redevenir visible. Les doigts du savant semblent se promener dans le vide comme des doigts distraits qui pianotent. « Ne bougez plus, je sens votre veine. » Minute terrible. Est-il possible que sur ce tabouret qui semble posé là, on ne sait pourquoi, un corps humain, tout à coup, va- prendre forme? « Vite, senhor, je n'en puis plus d'attendre! » Un petit coup sec. L'aiguille vient de traverser la peau, elle pénètre dans la veine. Lentement, le piston s'enfonce. Le liquide jaunâtre diminue. Le regard tendu, Robert retient sa respiration.

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Dix secondes... vingt... Encore rien! Mon Dieu! l'expérience va-t-elle échouer? Robert sent trembler la main de son camarade. Tout à coup, il pousse un cri. Quelque chose de vague, de flottant, qui ressemble à une ombre bleue, vient d'apparaître; puis cette ombre prend consistance. Les os du crâne se modèlent ainsi qu'on long trait, la colonne vertébrale, ensuite les humérus, les fémurs que surmontent* les os du bassin. Mais les images qui viennent de se former semblent s'arrêter là. Robert pense tout à coup aux paroles de Sylvain, la veille au soir : « Si je restais réduit à l'état de squelette! » Dix secondes, vingt... Le squelette est parfaitement formé, mais on ne voit que lui; aucune masse de chair ne vient le cacher. C'est épouvantable! Robert jette un coup d'œil vers le chimiste et lit dans son regard la même inquiétude. Vingt secondes encore. Le silence est si grand qu'il fait mal. Sylvain a cessé de trembler, mais sa main dans celle de Robert s'est raidie. Sans doute, s'il regarde ses bras, ses jambes, se rend-il compte de la catastrophe. Enfin les os s'estompent, comme englués dans une masse grisâtre, confuse. Puis cette masse se précise, le contour des bras, des cuisses, du visage, apparaît. Oh! voici les yeux, les yeux démesurément dilatés; voici la bouche, les lèvres. Voici Sylvain, enfin! Robert pousse un cri : 171

« Je te vois! Je te vois! » Puis, presque aussitôt : « Ciel! que tu es bronzé! Et que tes cheveux sont longs! » Sylvain, lui, n'a pas bronché. Il reste hébété, absent, assommé. Il regarde stupidement devant lui comme s'il n'osait abaisser les yeux sur son propre corps. « Sylvain, c'est merveilleux! Comme avant! Tout à fait comme avant! Viens te voir! » Il l'entraîne vers la glace. Tout d'un coup, Sylvain se découvre. Ses yeux se fixent sur ses yeux. Il ne peut plus les en détacher. « Comme avant!... Je suis comme avant! »

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Et il tombe dans les bras de son camarade en pleurant de joie... * ** Accoudés au balcon de leur petite chambre d'hôtel qui donnait sur un parc fleuri, les deux camarades respiraient l'air moins lourd du soir. « Mon vieux Robert, j'ai tellement pris l'habitude de vivre sans costume que je ne peux supporter mes vêtements; j'étouffe. - Rassure-toi, Paris n'est pas sous les tropiques et nous y serons bientôt. - Bientôt, c'est vite dit; notre "bateau ne part que dans treize jours. - Treize jours de merveilleuses vacances, Sylvain ! Nous n'avons pas volé cette petite compensation. - J'ai hâte de rentrer, hâte de montrer mon visage à ma mère, à Jacqueline. — Puisqu'elles ont, à cette heure, reçu ton télégramme... - Ce n'est pas la même chose, Robert, elles ne me croiront vraiment qu'en me retrouvant... Et puis, ici, nous dépensons inutilement de l'argent. - Bah! tu ne vas pas recommencer à ruminer ça! Fourre tes soucis dans ta valise jusqu'à l'arrivée au 173

Havre... Et tu voudrais partir tout de suite, sans revoir Maria Luisa! Tu ne penses donc plus que samedi prochain elle sera libre toute la journée! » Sylvain sourit, rougit un peu : « Je n'oublie pas Maria Luisa ni ce qu'elle a fait pour moi. » Robert lui donna une bourrade amicale. « Et maintenant, puisqu'il fait plus frais, qu'en dites-vous, monsieur-1'ex-homme-transparent, si nous allions faire un petit tour dans Rio? » Ils descendirent dans la ville. Le soir était splendide. Un soleil moins brutal qu'au cœur de la journée allongeait de grandes ombres sur les trottoirs. Les rues regorgeaient d'une foule bruyante et colorée. « Oui, vraiment, c'est merveilleux de se retrouver comme tout le monde, soupirait Sylvain. Désormais, le Brésil sera pour moi le plus beau pays du monde. » Ils déambulèrent sur les boulevards, voulurent revoir la fameuse « praca de l'Estaçao » (place de la Gare), le lampadaire de sinistre mémoire. De là, ils passèrent sous l'esplanade de « Moro de Castelo ». Puis ils traversèrent un parc peuplé de hauts cactus. Déjà, les lampadaires s'allumaient, les magasins s'illuminaient. Avec l'arrivée brutale de la nuit, la ville changeait d'aspect. Rio ne perdait ses charmes de ville tropicale que pour en retrouver d'autres. Ils s'arrêtèrent à la terrasse d'un café qui, en fait de café, servait surtout des boissons glacées. Comme ils 174

entraient, passa un petit marchand de journaux, pieds nus, la tête encore couverte d'un immense sombrero bien qu'il fît grand-nuit, et qui s'égosillait : « Correo do Brasil !... Le vol de l'ambassade! La police sur une nouvelle piste!... » Sylvain s'arrêta pour acheter le journal. En fait de nouvelle piste l'article ne révélait rien de sensationnel^ les voleurs couraient toujours. « Robert, dit gravement Sylvain, il faut, sans tarder, que je dise ce que je sais. C'est malhonnête de me taire. - Pourquoi ne pas attendre notre retour en France? - Il sera peut-être trop tard. Sylvain, c'est dangereux pour toi. Ton passeport n'est pas en règle puisqu'il n'a pas été présenté à l'arrivée à Rio; ensuite, comment expliquer que tu étais invisible? Personne ne te croira... On te prendra pour un complice de la bande et tu ne t'en sortiras pas. » Sylvain réfléchit. Robert disait vrai; ses révélations, même exactes, paraîtraient suspectes. Rentré en France, tout serait simple. Et cependant, autant pour être sûr de voir les malandrins sous les verrous que pour sa petite satisfaction d'avoir été utile à quelque chose, il hésitait. Le lendemain, après une bonne nuit sans cauchemar, il déclara à Robert : 175

« Tant pis, arrivera ce qui arrivera, il faut que je prévienne la police. » II se rendit au commissariat le plus proche où on lui indiqua le siège de la police d'Etat, un grand bâtiment blanc gardé par une demi-douzaine de sentinelles en casque et gants blancs. Là, on commença par l'envoyer d'un bureau à l'autre, comme pour s'en débarrasser. Son âge, sa qualité d'étranger, n'inspiraient pas confiance. Enfin, il fut reçu par un inspecteur de police qui, devant son insistance, finit par l'écouter : « Les bijoux de l'ambassade? Naturellement, vous aussi vous avez quelque chose à dire! — Des indications sérieuses. — Vous allez peut-être me dire que vous êtes en mesure de faire arrêter les cambrioleurs? - Ce n'est pas impossible ! — Nous avons déjà eu la visite d'une demidouzaine de détectives de votre espèce... sans résultat, naturellement!... Enfin, parlez! » Sylvain avait longuement réfléchi à ce qu'il dirait; la méfiance de Robert lui avait conseillé la prudence. Il avait fabriqué une histoire très vraisemblable pour expliquer comment, par hasard, il était entré dans la fameuse librairie. Naturellement, il n'était pas question d'homme transparent. Il ne tenait pas à passer pour fou.

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Son récit inventé tenait bien d'aplomb. Cependant l'inspecteur demeurait sceptique. « C'est bien, fit-il, rions allons voir. En attendant, nous vous gardons à notre disposition, ici-même. » Discrètement, mais efficacement, on le garda à vue dans les locaux de la police, le temps d'aller vérifier ses déclarations. Cela demanda plusieurs heures. Tard seulement à la fin de la matinée, l'inspecteur le fit de nouveau appeler dans son bureau. L'homme avait changé d'attitude à son égard. Il n'était d'ailleurs plus seul, trois autres inspecteurs l'accompagnaient. Sylvain se sentit impressionné. « Vos renseignements étaient exacts, lui dit-on, nous venons de les vérifier. Les malfaiteurs ont été retrouvés à Olaria... ainsi que les bijoux qui y étaient cachés... Mais pourquoi avez-vous tant tardé à faire ces révélations? - Je n'étais pas à Rio, j'ai appris seulement hier le vol de l'ambassade. — Mais puisque vous avez assisté au retour des cambrioleurs dans la librairie, voici six jours, vous auriez pu et dû prévenir immédiatement la police? - Je devais me rendre à Santos le jour même; je pensais avoir le temps, à mon retour. — Et comment se fait-il que votre passeport ne soit pas en règle? Comment êtes-vous arrivé à Rio! » Cette question, Sylvain l'avait aussi prévue. Il en 177

donna une explication qui ne parut pas satisfaire les policiers. « Ne serait-ce pas plutôt l'attrait de la prime offerte par l'ambassade? - Quelle prime? - Comment! Vous ne savez pas, quand tous les journaux en ont parlé? — Je n'ai pas lu les journaux, je comprends à peine quelques mots de portugais. » Sylvain comprit, comme l'avait prédit Robert, qu'on le soupçonnerait d'être un complice, et cette histoire de prime aggravait encore la situation. Il se ressaisit. « Rien ne vous permet de me soupçonner; simple étranger de passage au Brésil, mon seul désir était d'aider votre police. Est-ce ma faute si je n'ai pu le faire plus tôt? Si vous désirez des renseignements, je demande qu'on me conduise au consulat de France, qui en obtiendra de Paris. » En attendant, il fut encore gardé à la maison centrale de la police. Tard seulement dans l'aprèsmidi, alors qu'il commençait à s'inquiéter sérieusement, on consentit -à le conduire au consulat de France. Par une chance extraordinaire, vraiment inouïe, un des employés avait connu son père; ils avaient fait leurs études ensemble au lycée Henri-IV. On télégraphia à Paris et naturellement à Santos, au professeur 178

Rodrigues, qui assura que Sylvain était venu le consulter pour une grave maladie. Tout s'arrangea finalement. Sylvain en fut quitte pour la peur... Quand il retrouva le petit hôtel, qui, en son absence, avait été fouillé, Robert, qu'on avait interrogé, était bouleversé. « Eh bien, mon vieux, tu as failli nous mettre dans de beaux draps! » Ils n'en dormirent pas de la nuit. Le lendemain, ils venaient de se lever, quand un domestique noir frappa à leur porte. « Senhor Rambaud, vite, au téléphone! » Sur le coup, Sylvain crut que là police venait de nouveau lui chercher chicane. Il entra en tremblant dans la cabine. La communication ne venait pas de la police, mais de l'ambassade du Mexique. On invitait Sylvain à s'y rendre pour être félicité et pour lui remettre le montant de la prime de deux cent cinquante mille cruzeiros promise à la personne qui permettrait de découvrir les cambrioleurs. Sylvain faillit s'évanouir d'émotion. Il remonta l'escalier en courant et tomba dans les bras de Robert. « Deux cent cinquante mille cruzeiros! s'exclama celui-ci. Presque une fortune! Il ne te reste plus qu'à te mettre sur ton trente et un et à courir à l'ambassade! » Mais Sylvain secoua la tête : 179

« Non, je n'irai pas! Tu sais que je n'ai pas fait ça pour toucher une prime. Je suis assez heureux de voir que ma transparence m'a servi à quelque chose. » Robert ne fut pas de cet avis : « Tu es stupide, Sylvain! Tu ignorais cette prime, personne ne peut mettre en doute ta bonne foi... Et puis, tu te tracasses toujours pour l'argent dépensé ici. Ne pense pas à toi, Sylvain, mais à ta mère, à ta sœur. Il faut y aller ! » Ce dernier argument toucha Sylvain. Robert acheva de le décider, et l'accompagna jusqu'à l'ambassade où les attendaient des journalistes qu'ils arrivèrent à grand-peine à dépister. Une heure plus tard Sylvain, que Robert avait attendu dans le vestibule, sortait de l'ambassade, serrant précieusement dans son portefeuille le fameux chèque. « Tu avais raison, Robert. J'ai été reçu par la femme de l'ambassadeur elle-même; elle était si heureuse d'avoir retrouvé ses bijoux et de me remettre le chèque, que j'en oublie mes scrupules. — Tu vois, fit Robert en riant, tu as encore raté une vocation, tu aurais fait un fameux détective! La fortune était à tes pieds! — A mes pieds?... Tu oublies simplement que mes pieds étant invisibles, on n'aurait pas su où la déposer! »

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Robert éclata de rire. Ils traversèrent la ville à pied pour en jouir davantage. De petits marchands de journaux annonçaient déjà l'arrestation des voleurs de l'ambassade, découverts par un jeune Français. « Sylvain, déclara Robert, ne rentrons pas encore... Si tu nie payais à dîner dans un bon petit restaurant de la ville, puisque te voilà presque riche!» ... Le surlendemain, samedi, ils devaient retrouver Maria Luisa qu'ils n'avaient revue qu'une seule fois depuis le retour de Santos. Encore, cette rencontre avait-elle été très brève. Aujourd'hui, Maria Luisa serait libre tout l'après-midi. Bien avant l'heure du rendez-vous ils déambulaient sur l'avenue de Pétropolis. Sylvain était très ému. Ils n'attendirent pas longtemps après l'heure fixée. La jeune fille apparut, vêtue d'une simple petite robe à fleurs en coton, à grands ramages, mais qu'elle portait avec grâce. Elle s'était soigneusement coiffée et discrètement fardée. En arrivant près des deux jeunes Français, elle se trouva de nouveau intimidée. « Je suis beaucoup heureuse de vous revoir, ditelle en rougissant. Ah! monsieur Sylvain, j'ai vu sur le journal, les voleurs de l'ambassade ont été arrêtés; on ne disait pas votre nom, je suis sûre que c'est grâce à vous... — Et grâce à vous, Maria Luisa... Car sans vous, comment serais-je sorti d'affaire? »

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Elle secoua ses longs cheveux noirs, l'air incrédule. Robert et Sylvain l'emmenèrent en ville. Le soleil, tamisé par une petite brume venue du large, rendait l'atmosphère très supportable. La jeune fille marchait à côté de Sylvain qui la dépassait de toute la tête. Elle paraissait à la fois heureuse et confuse. Tous les dix pas, elle tournait discrètement les yeux vers Sylvain pour le regarder. « Vous me trouvez bien différent de l'image que vous vous faisiez de moi! » dit-il en riant. Elle rougit encore. « C'est vrai, avoua-t-elle, je vous croyais petit et brun; et vous êtes grand et blond... » Puis d'ajouter :

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« Pardonnez-moi d'être si émue. Depuis que vous êtes redevenu comme tout le monde il me semble que j'ai rêvé, que vous n'avez jamais été invisible, que, dans la cave, ce n'était pas vous... Vous ne reconnaissez pas ma voix? — Justement, votre voix, votre voix seulement me dit que je n'ai pas rêvé. » Tout en bavardant, ils descendaient une large avenue. Tout à coup, Robert s'arrêta. Ils se trouvaient devant un grand restaurant. « Où m'emmenez-vous? demanda-t-elle avec inquiétude. - Regardez cette horloge... N'est-ce pas l'heure de déjeuner? - Oh! pas ici! - Pourquoi? - C'est trop beau..., trop beau pour moi ! » Sylvain sourit. Il lui prit le bras pour qu'elle consentît à entrer. Le restaurant était, en effet, assez luxueux. Entre les petites tables fleuries, des serveurs tout en blanc circulaient, portant des plateaux garnis. Ils s'installèrent dans un coin, près d'une grande baie donnant sur l'avenue. Maria Luisa s'inquiéta : « Que dirait ma patronne si elle me voyait? — N'êtes-vous pas libre, aujourd'hui? » Elle sourit, partagée entre sa joie de se trouver dans un agréable décor et sa crainte d'être grondée. Comme tout à l'heure, elle ne cessait 183

de se retourner vers Sylvain. Elle demeurait inquiète. La présence dans la cave, de l'homme invisible, l'avait fortement ébranlée, malgré le courage qu'elle avait montré. Sylvain le comprit. Pendant le repas, il lui parla encore de l'expérience de Pierrefitte; pour elle, il essaya d'analyser les sentiments qu'il avait éprouvés pendant sa transparence, et les réactions de ceux qui l'avaient approché. La jeune fille écoutait, avec une attention extrême, cette voix qui l'avait fait trembler d'épouvanté et qu'aujourd'hui elle trouvait toute simple, toute naturelle. Les paroles de Sylvain achevaient de la délivrer de ce qui restait obscur en elle. Elle sourit d'un sourire confiant, remerciant Sylvain de lui apporter ce qu'elle désirait : l'oubli de ces terrifiants souvenirs. « Ah! oui, soupira-t-elle avec naïveté, je vous aime mieux comme vous êtes! » Le repas terminé, ils lui demandèrent où elle voulait aller. « Connaissez-vous le parc du « Palais » ? proposa-t-elle. C'est le plus beau de Rio. Il y pousse des fleurs magnifiques. On dit qu'il ressemble à un jardin de Paris, le jardin... voyons... le jardin des Tuiles!.... — Le jardin des Tuileries! » rectifia Robert en riant. 184

Le parc était très beau, en effet, mais sans doute ne ressemblait-il au jardin des Tuileries que dans l'imagination de la petite Brésilienne. Des arbres aux feuillages dentelés, ouvragés, répandaient sur le sol des ombres vigoureuses et élégantes. Des jets d'eau apportaient des vagues de bienfaisante fraîcheur. Rendue volubile par la satisfaction de ses compagnons, Maria Luisa se mit à parler de son pays qu'elle trouvait beau malgré la tristesse de sa propre vie. Elle oublia que dans deux heures elle retrouverait sa cuisine, sa vaisselle et le vieux Noir, toujours là pour la houspiller. « II paraît que la France est un pays encore plus beau que notre Brésil, fit-elle. — Qui le dit? - On parle souvent de la France, au Brésil. Les riches Carioques vont tous, au moins une fois, à Paris, et ils en reviennent émerveillés. — Et vous, Maria Luisa, vous aimeriez aller làbas? - Oh! non, pas moi! » Ce n'était pas du dédain, seulement de l'étonnement, comme si pareille chose était impensable pour une petite servante. Ils se promenèrent dans les allées. Le temps passait. Il passait même très vite. Tout à coup la jeune fille eut un petit cri en regardant une horloge publique : 185

« Déjà! » Elle en perdit sa gaieté et resta silencieuse. Sylvain devina qu'elle pensait à quelque chose mais n'osait l'exprimer. « J'ai été si heureuse, aujourd'hui, dit-elle simplement, je... » Mais elle n'ajouta rien. Sylvain se sentit très malheureux. Brusquement, il lui prit les mains. « Maria Luisa, dit-il, pour nous aussi, pour moi en particulier, cette journée aura été la plus douce que nous ayons passée dans votre pays. Nous aurions aimé vous revoir encore... Hélas! nous allons partir...» Elle ouvrit de grands yeux, le regarda furtivement puis détourna la tête. « Oui, reprit Sylvain, nous devions quitter le Brésil la semaine prochaine par le bateau... Mais vous devinez, après une pareille aventure, avec quelle impatience on m'attend en France. — Je comprends, soupira-t-elle. - Nous avons retenu nos places sur un avion qui rentre en France, après une escale aux Antilles. » Maria Luisa ne répondit pas. Un voile de tristesse passa sur son visage. « Oui, reprit-elle, je comprends, on vous attend. - Nous partons demain soir. - Demain soir! » 186

Elle baissait la tête pour cacher ses yeux. Sylvain lui reprit les mains. « Maria Luisa, je ne vous oublierai pas, je n'oublierai jamais ce que vous avez fait... Puisque vous aimez la France, peut-être y viendrez-vous un jour... Ne dites pas non. Rien n'est impossible. Vous viendrez en France, vous viendrez à Paris, nous nous reverrons. » Elle soupira longuement et ne répondit pas. Puis elle prit son mouchoir et essuya une larme. « Vous allez partir... Demain soir, je laisserai ouverte la fenêtre de ma cuisine. Quand les avions s'élèvent pour gagner la mer, ils passent toujours audessus de notre quartier. J'essaierai de voir dans la nuit les petites lumières vertes et rouges... Alors je penserai à vous, je vous suivrai dans votre long voyage... - Un voyage que vous ferez peut-être, un jour!» Elle sourit tristement, comme si elle reprochait à Sylvain de lui faire trop envie. Puis elle retira vivement ses mains de celles qui les retenaient. « II faut que je m'en aille, je suis en retard. » Et elle s'enfuit à travers le parc sans se retourner.

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EPILOGUE de banlieue. Au fond, une maison spacieuse, confortable mais sans prétention. Sous un poirier, assis dans un fauteuil d'osier, un homme parcourt des journaux et des revues, un crayon à la main. Trois pas plus loin, un gamin de quatre ou cinq ans s'amuse sur un tas de sable. « Dis, papa, c'est vrai, tante Jacqueline va venir tout à l'heure? — Oui, Pedro. - Et l'oncle Robert aussi? - Bien sûr. - Et Jacques, et Babette? — Eux aussi. UN JARDIN

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Satisfait, le gamin retourne se vautrer dans le tas de sable, tandis que le père se replonge dans ses revues et ses notes... Pas pour longtemps. Un coup de sonnette, à l'entrée, l'interrompt. « Cours vite ouvrir, Pedro, ce sont eux! » Lâchant la boîte qu'il emplissait de sable, Pedro trotte au bout du jardin, tout joyeux, prêt à sauter au cou de ses cousins. Mais la porte à peine ouverte, il revient en courant vers son père. « Un monsieur! » Le père fronce les sourcils et jette ses papiers sur le guéridon, près du fauteuil : « Encore un journaliste! On ne me laissera donc jamais en paix, même un jour comme celui-ci! » II se lève sans hâte et traverse le jardin à la rencontre de l'importun, ayant grande envie de le mettre à la porte. Mais l'homme, qui a l'air modeste, est sans doute l'envoyé d'un petit journal de vulgarisation scientifique. Il se présente comme tel, en effet. Sylvain Rambaud le prie de s'asseoir à côté de lui sous le poirier. Le reporter ne se le fait pas dire deux fois. « Que désirez-vous? Je vous préviens, je n'ai que quelques instants à vous accorder. J'attends des visites. — Quelques notes seulement. C'est spécialement votre dernière découverte qui intéresse notre journal : la congélation de l'eau de mer. » 189

Sylvain soupire; c'est la dixième fois, au moins, qu'on vient le voir pour lui poser les mêmes questions. Evidemment, la solidification de l'eau de mer à n'importe quelle température peut avoir des conséquences extraordinaires, et Sylvain en a étudié un certain nombre, mais il n'aime guère s'en ouvrir à tout venant. Il se contente de répondre aux questions toutes préparées du journaliste par des formules vagues. Le journaliste voudrait savoir, par exemple, s'il serait possible de solidifier une mer comme la Méditerranée ou la Manche, quelle dépense d'énergie réclame la congélation d'une masse de cinquante mètres cubes d'eau; si, du point de vue économique, cette découverte peut avoir une grande portée, etc. Puis, emporté par sa curiosité professionnelle, l'homme glisse sur d'autres terrains, les découvertes antérieures de Sylvain. « Vous savez, dit-il, que la rumeur publique prétend que vous détenez aussi le secret de l'homme transparent dont on a parlé à la mort du chimiste Pierrefitte et qui a fait beaucoup de bruit à l'époque...» A cette question, le front de Sylvain se plisse durement : « Je me soucie peu de la rumeur publique. Si vous voulez bien, je ne répondrai pas à cette question qui n'a rien à voir avec la congélation des mers. »

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En disant cela, il a regardé l'heure à sa montre et s'est levé. Le reporter a compris. Il rentre son stylo et son carnet. « Mon petit Pedro, va reconduire monsieur jusqu'à la porte. » Sylvain se rassied, étend le bras pour reprendre ses notes, mais, papier en main, s'arrête et réfléchit. Il y a vingt ans aujourd'hui, il débarquait à Orly avec Robert. Vingt ans!... Et l'homme transparent tracasse toujours les hommes! Alors, des souvenirs lui reviennent. Il revoit l'incendie de la rue Laura-Ancin, son long cauchemar de six mois, le Brésil, les rues de Rio, la jeune fille brune qui s'appelait Maria Luisa... et qui est aujourd'hui sa femme II pense à ses études qu'il a pu poursuivre et l'ont poussé vers la biologie et la chimie, à la célébrité naissante, dont il ne se soucie guère, mais dont il est tout de même l'esclave... Mais un nouveau coup de sonnette l'arrache à ses souvenirs. « Cette fois, ce sont eux! Cours vite, Pedro! » La porte du jardin s'ouvre devant Jacques et Babette qui précèdent l'oncle Robert et tante Jacqueline. Ce sont des embrassades sans fin. La tradition veut que chaque année, en effet, le 26 juin, les deux familles fêtent tantôt chez l'une, tantôt chez l'autre, l'anniversaire du retour. Malgré leurs activités différentes, puisque Robert a suivi son père dans l'architecture, les deux hommes sont 191

demeurés inséparables et leur amitié s'est encore resserrée le jour où Robert a épousé la sœur de Sylvain. Aujourd'hui, l'anniversaire est encore plus émouvant puisque c'est le vingtième. Le jour est aussi radieux que ce matin de juin où ils atterrissaient sur l'aérodrome d'Orly. Tandis que Jacqueline s'empresse de rejoindre Maria Luisa à la cuisine pour l'aider aux préparatifs du repas et que les trois enfants se ruent sur le tas de sable, les deux hommes demeurent dans le jardin pour bavarder. « Eh oui! mon vieux Robert, déjà vingt ans! Comme le temps passe! Nous étions des gamins et nous voici des hommes mûrs... Pourtant, il me semble que c'était hier... — J'espère tout de même que l'homme transparent a cessé de te hanter. - Me hanter serait beaucoup dire, mais j'y pense parfois... Et si j'oubliais d'y penser, il se trouverait toujours quelqu'un pour me le rappeler. Tiens, il y a quelques instants seulement, un journaliste a encore trouvé le moyen de m'en parler. -— Preuve que l'homme transparent intrigue toujours les foules... Et qu'as-tu répondu? — Rien. L'homme transparent n'existera jamais ! — Ainsi, tu es toujours décidé à garder secrètes les formules qu'Antonio Rodrigues t'a communiquées autrefois ? 192

— Plus que jamais! Tu comptes les emporter dans ta tombe? — Peut-être... Une découverte est toujours un progrès, un pas de plus vers la connaissance... mais de là à la vulgariser! - Autrement dit, la réalisation de l'homme transparent ne te paraît pas souhaitable? Je crois que tu penses trop à ta propre aventure. - Vois-tu, Robert, j'ai beaucoup réfléchi aux conséquences de cette découverte. Toi et moi travaillons dans des domaines différents. Dans le tien, tout est clair; tu es un bâtisseur, rien n'est discutable dans ton œuvre, je veux dire au point de vue humain... Nous autres, chimistes, c'est autre chose. A chaque découverte, la même question se pose : estce souhaitable? Quel usage en fera-t-on? » Robert sourit : « Tu ne changeras pas, mon vieux Sylvain, toujours aussi scrupuleux! - A moins de ne posséder aucun sens des responsabilités, comment être autrement? - Tu penses à ton angoisse passée... Tu oublies qu'il y a vingt ans tu as amusé follement les cinq cents passagers d'un paquebot et que ta transparence a permis de découvrir une bande de cambrioleurs! — Pardon, Robert; à bord du Tras-Os-Montes ce n'était pas moi qui amusais le public, mais toi... Quant aux gangsters, je les ai fait arrêter, 193

c'est vrai, mais j'aurais pu tout aussi bien... et même plus facilement, commettre un crime ou jeter la panique dans Rio! Imagine un univers où, à chaque instant, on pourrait se croire entouré d'êtres invisibles, surveillé, espionné, menacé! Ce serait tout simplement invivable! » Robert hoche la tête et sourit : « Tu es un sage, Sylvain. - Un sage, non, plutôt...» II va poursuivre son explication, quand une main se pose sur son épaule : « Eh bien, mes enfants, vous n'avez pas entendu qu'on vous appelait? A vous voir si absorbés, je parie que vous parliez encore de l'homme transparent! Laissez donc tranquilles ces mauvais souvenirs... Vous ne sentez donc pas d'ici ce fameux Arroz de Forno brésilien que notre gentille Maria Luisa vient de sortir du four? » La vieille femme aux cheveux blancs, au front ridé, qui se penche sur Sylvain, c'est sa mère qui vit tantôt chez son fils, tantôt chez sa fille, heureuse de voir grandir ses trois petits-enfants. « Allons, vite, à table... Et vous verrez que le bon plat qui vous attend n'est pas transparent, lui, mais bien doré et consistant! »

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TABLE

I. II. III. IV. V. VI. VII. VIII. IX.

LE SECRET DE PIERHEFITTE DISPARU ! L'AUTRE LABORATOIRE PANIQUE SUR LE BOUL'MICH’ A BORD DU « TRAS-OS-MONTES » COMMENT ATTEINDRE SANTOS? UNE CURIEUSE BOUTIQUE UN PAPIER SUR UN LAMPADAIRE RODRIGUES REUSSIRA-T-IL? EPILOGUE

8 28 44 63 82 105 122 145 159 188

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ŒUVRES COMPLETES

Paul-Jacques Bonzon ANNEE TITRE 1951 LE VIKING AU BRACELET D'ARGENT 1953 LOUTSI-CHIEN 1953 DU GUI POUR CHRISTMAS 1953 MAMADI 1954 FAN-LÔ 1954 LE JONGLEUR A L'ETOILE 1955 DELPH LE MARIN 1955 LES ORPHELINS DE SIMITRA 1956 LA BALLERINE DE MAJORQUE 1956 LE PETIT PASSEUR DU LAC 1957 MON VERCORS EN FEU 1957 LA PROMESSE DE PRIMEROSE 1957 LA DISPARUE DE MONTELIMAR 1958 LA PRINCESSE SANS NOM 1958 L'EVENTAIL DE SEVILLE 1959 UN SECRET DANS LA NUIT POLAIRE 1960 LE CHEVAL DE VERRE 1960 LA CROIX D'OR DE SANTA-ANNA 1960 LA ROULOTTE DU BONHEUR 1961 LES COMPAGNONS DE LA CROIX-ROUSSE 1961 J'IRAI A NAGASAKI 1962 LE VOYAGEUR SANS VISAGE 1962 TOUT-FOU 1962 LE CHALET DU BONHEUR 1962 LES SIX COMPAGNONS ET LA PILE ATOMIQUE 1963 LES SIX COMPAGNONS ET L'HOMME AU GANT 1963 LES SIX COMPAGNONS AU GOUFFRE MARZAL 1963 LES SIX COMPAGNONS ET L'HOMME DES NEIGES 1964 LES SIX COMPAGNONS ET LE PIANO A QUEUE 1964 LES SIX COMPAGNONS ET LA PERRUQUE ROUGE 1964 LA FAMILLE HLM ET L'ÂNE TULIPE (Où est passé l'âne tulipe?) 1964 LA MAISON AUX MILLE BONHEURS 1965 LES SIX COMPAGNONS ET LE PETIT RAT DE L'OPERA 1965 LES SIX COMPAGNONS ET LE CHATEAU MAUDIT 1965 LE SECRET DE LA MALLE ARRIERE (HLM n°2) 1966 LES SIX COMPAGNONS ET L'ANE VERT 1966 LES SIX COMPAGNONS ET LE MYSTERE DU PARC 1966 LES ETRANGES LOCATAIRES (HLM n°3) 1966 L'HOMME A LA VALISE JAUNE (HLM) 1967 LES SIX COMPAGNONS ET L'AVION CLANDESTIN 1967 CONTES DE MON CHALET 1967 VOL AU CIRQUE (HLM n°4) 1967 POMPON LE PETIT ANE DES TROPIQUES (avec M. Pédoja) 1967 LE MARCHAND DE COQUILLAGES (HLM) 1967 RUE DES CHATS SANS QUEUE (HLM) 1967 LE RELAIS DES CIGALES 1968 LUISA CONTRE-ATTAQUE (HLM n°7) 1968 LES SIX COMPAGNONS A SCOTLAND YARD 1968 LES SIX COMPAGNONS ET L'EMETTEUR PIRATE 1968 LE CHATEAU DE POMPON 1969 LES SIX COMPAGNONS ET LE SECRET DE LA CALANQUE 1969 LES SIX COMPAGNONS ET LES AGENTS SECRETS 1969 UN CHEVAL SUR UN VOLCAN (HLM) 1969 POMPON A LA VILLE 1969 LE PERROQUET ET SON TRESOR (HLM) 1969 QUATRE CHATS ET LE DIABLE (HLM) 1970 LE BATEAU FANTOME (HLM) 1970 LES SIX COMPAGNONS ET LES PIRATES DU RAIL

EDITEUR G.P. Rouge et Or Collection Primevère BOURRELIER-HACHETTE MAGNARD EDITEUR SUDEL EDITEUR HACHETTE SUDEL EDITEUR HACHETTE BIBLIOTHEQUE ROSE HACHETTE SUDEL EDITEUR HACHETTE HACHETTE HACHETTE BIBLIOTHEQUE VERTE Editions Delagrave IDEAL-BIBLIOTHEQUE IDEAL-BIBLIOTHEQUE DELAGRAVE BIBLIOTHEQUE VERTE BIBLIOTHEQUE VERTE BIBLIOTHEQUE VERTE BIBLIOTHEQUE ROSE DELAGRAVE BIBLIOTHEQUE VERTE BIBLIOTHEQUE VERTE BIBLIOTHEQUE VERTE BIBLIOTHEQUE VERTE BIBLIOTHEQUE VERTE BIBLIOTHEQUE VERTE BIBLIOTHEQUE ROSE DELAGRAVE BIBLIOTHEQUE VERTE BIBLIOTHEQUE VERTE BIBLIOTHEQUE ROSE BIBLIOTHEQUE VERTE BIBLIOTHEQUE VERTE BIBLIOTHEQUE ROSE BIBLIOTHEQUE ROSE BIBLIOTHEQUE VERTE EDITIONS BIAS BIBLIOTHEQUE ROSE DELAGRAVE BIBLIOTHEQUE ROSE BIBLIOTHEQUE ROSE DELAGRAVE BIBLIOTHEQUE ROSE BIBLIOTHEQUE VERTE BIBLIOTHEQUE VERTE DELAGRAVE BIBLIOTHEQUE VERTE BIBLIOTHEQUE VERTE BIBLIOTHEQUE ROSE DELAGRAVE BIBLIOTHEQUE ROSE BIBLIOTHEQUE ROSE BIBLIOTHEQUE ROSE BIBLIOTHEQUE VERTE

ILLUSTRATEUR Henri DIMPRE Louis LAFFOND Maguy LAPORTE Christian FONTUGNE JEAN TRUBERT Jeanne HIVES Claude JUILLARD Albert CHAZELLE Paul DURAND JACQUES POIRIER Igor ARNSTAM PAUL DURAND Philippe DAURE J-P ARIEL François BATET Henri DIMPRE François BATET Albert CHAZELLE Daniel DUPUY Albert CHAZELLE Albert CHAZELLE Albert CHAZELLE Jeanne HIVES Daniel DUPUY Albert CHAZELLE Albert CHAZELLE Albert CHAZELLE Albert CHAZELLE Albert CHAZELLE Albert CHAZELLE Jacques FROMONT Daniel DUPUY Albert CHAZELLE Albert CHAZELLE Jacques FROMONT Albert CHAZELLE Albert CHAZELLE Jacques FROMONT Jacques FROMONT Albert CHAZELLE Romain SIMON Jacques FROMONT Romain SIMON Jacques FROMONT Jacques FROMONT Daniel DUPUY Jacques FROMONT Albert CHAZELLE Albert CHAZELLE Romain SIMON Albert CHAZELLE Albert CHAZELLE Jacques FROMONT Romain SIMON Jacques FROMONT Jacques FROMONT Jacques FROMONT Albert CHAZELLE

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1970 1970 1970 1971 1971 1971 1971 1971 1972 1972 1972 1973 1973 1973 1974 1974 1974 1975 1975 1975 1975 1975 1976 1976 1976 1976 1976 1976 1977 1977 1977 1977 1977 1978 1978 1978 1978 1979 1979 1979 1980 1980 1981

LES SIX COMPAGNONS ET LA DISPARUE DE MONTELIMAR LE JARDIN DE PARADIS L'HOMME AUX SOURIS BLANCHES (HLM) SOLEIL DE MON ESPAGNE LES SIX COMPAGNONS ET LES ESPIONS DU CIEL LES SIX COMPAGNONS ET LA PRINCESSE NOIRE LES SIX COMPAGNONS ET LA BRIGADE VOLANTE YANI LE SECRET DU LAC ROUGE (HLM) LES SIX COMPAGNONS A LA TOUR EIFFEL L'HOMME A LA TOURTERELLE (HLM) SLALOM SUR LA PISTE NOIRE (HLM) LES SIX COMPAGNONS ET L'OEIL D'ACIER LES SIX COMPAGNONS EN CROISIERE LES SIX COMPAGNONS ET LES VOIX DE LA NUIT LES SIX COMPAGNONS SE JETTENT A L'EAU LES ESPIONS DU X-35 (HLM) LE CIRQUE ZIGOTO LE RENDEZ-VOUS DE VALENCE LES SIX COMPAGNONS DEVANT LES CAMERAS LES SIX COMPAGNONS DANS LA CITADELLE LA ROULOTTE DE L'AVENTURE (HLM) LES SIX COMPAGNONS ET LA CLEF-MINUTE DIABOLO LE PETIT CHAT DIABOLO ET LA FLEUR QUI SOURIT DIABOLO POMPIER LES SIX COMPAGNONS AU TOUR DE FRANCE LE CAVALIER DE LA MER (HLM) LES SIX COMPAGNONS AU CONCOURS HIPPIQUE LES SIX COMPAGNONS ET LES PIROGUIERS DIABOLO ET LE CHEVAL DE BOIS L'HOMME AU NOEUD PAPILLON (HLM) DIABOLO JARDINIER LES SIX COMPAGNONS AU VILLAGE ENGLOUTI DIABOLO PATISSIER LES SIX COMPAGNONS ET LE CIGARE VOLANT AHMED ET MAGALI LES SIX COMPAGNONS ET LES SKIEURS DE FOND LES SIX COMPAGNONS ET LA BOUTEILLE A LA MER DIABOLO SUR LA LUNE LES SIX COMPAGNONS ET LES BEBES PHOQUES LES SIX COMPAGNONS DANS LA VILLE ROSE LES SIX COMPAGNONS ET LE CARRE MAGIQUE

BIBLIOTHEQUE VERTE DELAGRAVE BIBLIOTHEQUE ROSE IDEAL-BIBLIOTHEQUE BIBLIOTHEQUE VERTE BIBLIOTHEQUE VERTE BIBLIOTHEQUE VERTE DELAGRAVE BIBLIOTHEQUE ROSE BIBLIOTHEQUE VERTE BIBLIOTHEQUE ROSE BIBLIOTHEQUE ROSE BIBLIOTHEQUE VERTE BIBLIOTHEQUE VERTE BIBLIOTHEQUE VERTE BIBLIOTHEQUE VERTE BIBLIOTHEQUE ROSE DELAGRAVE les veillées des chaumières BIBLIOTHEQUE VERTE BIBLIOTHEQUE VERTE BIBLIOTHEQUE ROSE BIBLIOTHEQUE VERTE BIBLIOTHEQUE ROSE BIBLIOTHEQUE ROSE BIBLIOTHEQUE ROSE BIBLIOTHEQUE VERTE BIBLIOTHEQUE ROSE BIBLIOTHEQUE VERTE BIBLIOTHEQUE VERTE BIBLIOTHEQUE ROSE BIBLIOTHEQUE ROSE BIBLIOTHEQUE ROSE BIBLIOTHEQUE VERTE BIBLIOTHEQUE ROSE BIBLIOTHEQUE VERTE DELAGRAVE BIBLIOTHEQUE VERTE BIBLIOTHEQUE VERTE BIBLIOTHEQUE ROSE BIBLIOTHEQUE VERTE BIBLIOTHEQUE VERTE BIBLIOTHEQUE VERTE

Albert CHAZELLE Romain SIMON Jacques FROMONT François BATET Maurice PAULIN Maurice PAULIN Maurice PAULIN Romain SIMON Jacques FROMONT Maurice PAULIN Jacques FROMONT Jacques FROMONT Maurice PAULIN Maurice PAULIN Maurice PAULIN Maurice PAULIN Jacques FROMONT Romain SIMON ???

Robert BRESSY Maurice PAULIN Jacques FROMONT Maurice PAULIN Pierre DESSONS Pierre DESSONS Pierre DESSONS Robert BRESSY Jacques FROMONT Maurice PAULIN Maurice PAULIN Pierre DESSONS Jacques FROMONT Pierre DESSONS Maurice PAULIN Pierre DESSONS Robert BRESSY Monique GORDE Robert BRESSY Robert BRESSY Pierre DESSONS Robert BRESSY Robert BRESSY Robert BRESSY

THEATRE 1953 Coquette chambre à louer 1954 Camping interdit 1954 L'insécurité sociale 1956 Les Carottes des Champs-Elysées 1956 Nous les avons vus 1956 Aux urnes, citoyennes ! 1957 Permis de conduire à tout âge 1957 La nuit du 3 mars 1957 Madame a son robot 1957 Plus on est de fous ??? Devant le rideau NOUVELLES 1952 Le Grand Linceul Blanc (Francs Jeux Africains n°16 du 20 novembre 1952) 1953 Les monstres de Maladetta (Francs Jeux pour les garçons No 174 du 15 Aout 1953) 1959 Le chamois de Zimmis Publiée dans le numéro 30 du 26 juillet 1959 "Ames Vaillantes" , illustrations de Yvan Marié (illustrateur attitré des Editions Fleurus). ??? Le père Noël n'avait pas six ans

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Paul-Jacques Bonzon Paul-Jacques Bonzon (31 août 1908 à Sainte-Marie-du-Mont (Manche) - 24 septembre 1978 à Valence) est un écrivain français, connu principalement pour la série Les Six Compagnons.

Biographie Paul-Jacques Bonzon est originaire du département de la Manche. Né à Sainte-Mariedu-Mont en 1908, scolarisé à Saint-Lô, Paul-Jacques Bonzon fut élève de l'école normale d'instituteurs de Saint-Lô, promotion 1924-1927. Il fut d'abord nommé en Normandie, dans son département d'origine. En 1935, il épouse une institutrice de la Drôme et obtient sa mutation dans ce département où il fut instituteur et directeur d'école pendant vingt-cinq ans. En poste à Espeluche puis à Chabeuil, il rejoint Saint-Laurent-en-Royans en 1949 et Valence en 1957 où il termine sa carrière en 1961. Il se consacre alors entièrement à son métier d'écrivain de livres pour enfants ayant rejoint l'Académie Drômoise des Lettres, des sciences et des arts, association culturelle qui groupe des écrivains, des savants, des artistes du "Pays Drômois". Son œuvre tranche sur la littérature pour la jeunesse de l'époque par le caractère réaliste et parfois triste de certaines situations : les enfants qu'il met en scène sont confrontés à la misère, au handicap, à l'abandon. Paul-Jacques Bonzon décrit la solidarité qui anime les milieux modestes auxquels ils appartiennent, n'hésitant pas à les insérer dans des contextes historiques marqués comme, Le jongleur à l'étoile (1948) ou Mon Vercors en feu (1957). La plus grande majorité de ses ouvrages ont été publiés à la Librairie Hachette. À ce titre, il se trouve être l'un des romanciers pour la jeunesse les plus représentatifs de cette époque. Plusieurs de ses ouvrages mettent en scène le Cotentin et plus particulièrement Barneville-Carteret, qu'il nomme d'ailleurs Barneret et Carteville dans ses romans. Les cousins de la Famille HLM y prennent leurs vacances. Delph le marin, publié chez SUDEL, se déroule à Carteret (Hardinquet, dans le roman) de même que "Le marchand de coquillages" ,"Le cavalier de la mer" ou encore "Le bateau fantôme". L'auteur connaissait bien la région. Il y venait régulièrement. Paul-Jacques Bonzon laisse une œuvre dont l'importance se mesure au succès rencontré notamment par des séries fortement appréciées comme Les Six compagnons, La Famille HLM ou Diabolo, mais pas seulement car ce serait oublier tout un autre aspect de l'œuvre, tout aussi significative de la qualité de l'écrivain. Les ouvrages de Bonzon ont été traduits, adaptés et diffusés dans 18 pays dont la Russie et le Japon. Les premières adaptations

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connues l'ont été en langue néerlandaise pour les Pays-Bas mais également pour l'Indonésie et l'Afrique du Sud. Il l'est encore aujourd'hui. Par exemple, Le roman Les Orphelins de Simitra a été adapté sous forme d'une animation diffusée, en 2008, au Japon, sous le nom de "Porphy No Nagai Tabi" (Le long voyage de Porphyras). Paul-Jacques Bonzon est aussi connu dans les milieux scolaires. Il publie chez Delagrave,à partir de 1960, une série d'ouvrages de lectures suivies pour l'école dont l'un, "La roulotte du Bonheur", se déroule dans son département d'origine. Il a écrit en collaboration avec M. Pedoja, inspecteur départemental de l'Éducation nationale, un livre de lecture destiné aux enfants des pays francophones "Pompon, petit âne des tropiques". Il décède à Valence le 24 septembre 1978. Néanmoins, les éditions Hachette poursuivront l'œuvre de l'écrivain en publiant, encore quelques années, plusieurs titres de la série Les Six Compagnons, mais sous d'autres signatures. Aujourd'hui, un peu moins d'une vingtaine de titres figurent encore au catalogue de l'éditeur, dans la collection bibliothèque verte, sous une présentation modernisée. En mars 2010, la première aventure de la série Les Six Compagnons a été rééditée en Bibliothèque rose dans une version modernisée. Le 12 mars 2011, la ville de Valence a inauguré un square à son nom, en présence de ses enfants, petits-enfants et admirateurs.

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Paul-Jacques Bonzon

Biographie :

rédigée par la dernière épouse de Paul

Jacques ; Maggy

Paul-jacques Bonzon est né le 31 août 1908 à Sainte marie du mont, Manche, en Normandie. Élève de l'école normale d'instituteur de Saint-lô, il fut d'abord nommé en Normandie. Pour des raisons de santé, il vint dans la Drôme où il fut instituteur et directeur d'école pendant vingt cinq ans. Marié, père de deux enfants : Jacques et Isabelle, il termine à Valence en 1961 sa carrière d'enseignant pour se consacrer entièrement à son métier d'écrivain de livres pour enfants. Il appartenait à l'"Académie Drômoise", association culturelle qui groupe des écrivains, des savants, des artistes du "Pays Drômois".Il ne rattachait pas ses livres à un courant historique quelconque, cependant il lisait beaucoup Freud, Bergson, Huxley. Très peu de romans, sauf ceux dans lesquelles il trouvait la documentation qu'il cherchait. Pourtant, il aimait Simenon dont il appréciait la psychologie, l'étude d'un milieu. A l'origine de son oeuvre est un concours de circonstances. Pendant la dernière guerre, instituteur dans le Vercors, (mon Vercors en feu), il eut à se pencher sur la condition de vie des enfants réfugiés, des juifs en particulier. Pour les aider moralement et les distraire, il leur lisait des histoires qu'il écrivait pour eux. Envoyé à un éditeur "Loutsi-chien" fut accepté. D'autres romans, tous retenus, suivront. Tout naturellement, l'instituteur qu'il était a écrit pour ses élèves, pour la plupart d'un milieu modeste. Ils se reconnaissaient dans les héros de Paul-jacques Bonzon, enfants de la rue, sans moyens financiers (la série Six compagnons), mais adroits, dévoués, généreux, chevaleresques même. C'est aussi cette connaissance des enfants qui lui a fait introduire des animaux dans ses romans : Kafi (Six compagnons), Tic-Tac (Famille H.L.M.), Minet, (La roulotte du Bonheur), Ali-Baba-Bikini (La maison au mille bonheurs), l'Âne (série des "Pompon"). Les romans sentimentaux, plus psychologiques sont le plus souvent une quête, celle d'une sœur, d'une famille affectueuse, d'ou leur atmosphère un peu triste, tous, et en particulier, ceux écrits pour les écoles, s'attachent à faire connaître la France ou les pays étrangers (Sénégal, Laponie, Japon, Portugal, Espagne, Grèce, Italie, Angleterre). La documentation est toujours très sérieuse, la vérité historique respectée (Le viking au bracelet d'argent, La princesse sans nom, Le jongleur à l'étoile).

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Ecrits dans un but éducatif et culturel, le livres de Paul-jacques Bonzon allient à une langue simple, pure, évocatrice, souvent poétique, le souci d'instruire autant que celui de plaire. Il a écrit en collaboration avec Monsieur Pedoja , inspecteur départemental de l'éducation nationale, un livre de lecture destiné aux enfants des pays francophones "Pompon, petit âne des tropiques". Chacun écrivait un chapitre et le communiquait. Il disparaît le 24 septembre 1978 à Valence, Drôme.

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Paul-Jacques BONZON J'ai demandé à plusieurs personnes si ce nom leur était familier et la plupart m'ont répondu par la négative... Mais lorsque j'ai parlé des "Six Compagnons", tout à coup des souvenirs leur sont revenus dans une bouffée de chaleur et de bonheur de l'enfance...! Paul-Jacques Bonzon a été un auteur très prolifique. Son écriture légère et fluide destinée aux enfants n'en est pas moins rigoureuse et très littéraire. Son style, un enchantement et ses histoires toujours bien ficelées jusque dans les moindres détails. Des adultes peuvent trouver grand plaisir à la lecture de ces histoires bien construites et dans lesquelles les grandes valeurs de la morale judéo-chrétienne ont cours. Mystère, tristesse, tendresse, émotion et joie, tout y est...! Nous avons donc réuni dans cette page, un peu en vrac, des informations pêchées à droite et à gauche sur cet écrivain et nous espérons que cela vous donnera peut-être envie de découvrir son oeuvre. ***

Biographie de P-J Bonzon:

Paul-Jacques Bonzon est né le 31 août 1908 à Sainte-Marie-du-Mont, Manche, en Normandie. Aujourd'hui, un bourg de 700 à 800 habitants, situé à deux pas de la baie des Veys, et des plages du débarquement. Fils unique né dans une famille aisée, Paul-Jacques eut cependant une enfance assez difficile face à un père autoritaire qui ne lui laissa pas souvent faire ce qu'il aurait aimé. Elève de l'école normale d'instituteur de Saint-lô, il fut d'abord nommé en Normandie. Pour des raisons de santé, il vint dans la drôme où il fut instituteur et directeur d'école pendant vingt cinq ans. Marié, père de deux enfants : Jacques et Isabelle, il termine à Valence en 1961 sa carrière d'enseignant pour se consacrer entièrement à son métier d'écrivain de livres pour enfants. Il appartenait à l'"Académie Drômoise", association culturelle qui groupe des écrivains, des savants, des artistes du "Pays Drômois". Il ne rattachait pas ses livres à un courant historique quelconque, cependant il lisait beaucoup Freud, Bergson, Huxley. Très peu de romans, sauf ceux dans lesquels il trouvait la documentation qu'il cherchait. 202

Pourtant, il aimait Simenon dont il appréciait la psychologie, l'étude d'un milieu. A l'origine de son oeuvre est un concours de circonstances. Pendant la dernière guerre, instituteur dans le Vercors, (mon Vercors en feu), il eut à se pencher sur la condition de vie des enfants réfugiés, des juifs en particulier. Pour les aider moralement et les distraire, il leur lisait des histoires qu'il écrivait pour eux. Envoyé à un éditeur "Loutsi-chien" fut accepté. D'autres romans, tous retenus, suivront. Tout naturellement, l'instituteur qu'il était a écrit pour ses élèves, pour la plupart d'un milieu modeste. Ils se reconnaissaient dans les héros de Paul-Jacques Bonzon, enfants de la rue, sans moyens financiers (la série Six compagnons), mais adroits, dévoués, généreux, chevaleresques même. C'est aussi cette connaissance des enfants qui lui a fait introduire des animaux dans ses romans : Kafi (Six compagnons), Tic-Tac (Famille H.L.M.), Minet, (La roulotte du Bonheur), Ali-Baba-Bikini (La maison au mille bonheurs), l'Ane (série des "Pompon"). Les romans sentimentaux, plus psychologiques sont le plus souvent une quête, celle d'une soeur, d'une famille affectueuse, d'ou leur atmosphère un peu triste. Tous et en particulier ceux écrits pour les écoles, s'attachent à faire connaître la France ou les pays étrangers (Sénégal, Laponie, Japon, Portugal, Espagne, Grèce, Italie, Angleterre). La documentation est toujours très sérieuse, la vérité historique respectée (Le viking au bracelet d'argent, La princesse sans nom, Le jongleur à l'étoile). Ecrits dans un but éducatif et culturel, le livres de Paul-Jacques Bonzon allient à une langue simple, pure, évocatrice, souvent poétique, le souci d'instruire autant que celui de plaire. Il a écrit en collaboration avec Monsieur Pedoja , inspecteur départemental de l'éducation nationale, un livre de lecture destiné aux enfants des pays francophones "Pompon, petit âne des tropiques". Chacun écrivait un chapitre et le communiquait. Il disparut le 24 septembre 1978 à Valence, Drôme. *** Article paru à sa mort: Valence. La mort de Paul-Jacques Bonzon va toucher des millions de jeunes et d'enfants à travers le monde. Il était leur écrivain, celui qui avait compris leurs goûts, et qui était devenu leur complice à travers une centaine de romans. Depuis plus de trente ans ( c'est à dire que ses premiers lecteurs sont aujourd'hui des hommes), il a enchanté des générations d'écoliers par ces récits d'aventure clairs, purs et passionnants. Son oeuvre a été traduite dans un grand nombre de pays, y compris le Japon, et partout elle a connu un et connaît encore, un étonnant succès.

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Originaire de Ste-Marie-du-Mont dans la manche, il était doué pour la peinture et la musique, mais son père avait voulu qu'il soit instituteur. Et c'est comme tel qu'il arriva un jours dans le Vercors, puis, plus tard, à l'école de la rue Berthelot à Valence, et qu'il commença à écrire des histoires qu'il lisait à ses élèves, guettant leurs réactions, et s'inspirant souvent de leurs remarques.. Ses héros les plus populaires sont les Six compagnons qu'il entraîna dans des aventures lointaines ou proches, à Valence, à l'Aven Marzal, à la Croix-Rousse, à Marcoules, et qui tiennent aujourd'hui un bon rayon dans la bibliothèque verte. Pour la bibliothèque rose, il mit en scène la famille H. L. M., et écrivit beaucoup d'autres récits comme Mon Vercors en feu, et d'autres fictions tel l' Eventail de Séville qui fut adapté pour la télévision. Paul-Jacques Bonzon avait reçu en France le grand prix du Salon de l'Enfance, puis, à NewYork, le prix du Printemps qui couronne le meilleur livre pour enfants paru aux Etats-Unis. Il avait abandonné l'enseignement assez tôt pour se consacrer à son oeuvre, entouré de son épouse et de ses deux enfants, une fille et un garçon, aujourd'hui mariés. Il travaillait le plus souvent directement à la machine dans sa tranquille demeure de la rue Louis-Barthou, prolongée par un charmant petit jardin. C'est là qu'il inventait ses belle histoires, et lorsqu'il avait achevé un chapitre il prenait sa pipe et venait faire un tour en ville de son pas glissé, calme et amical. Paul-Jacques Bonzon était naturellement membre de l'académie drômoises, viceprésident de Culture et Bibliothèques pour tous. Il était devenu un authentique Dauphinois très attaché à sa province d'adoption. Sa gloire littéraire, qui est mondiale parmi les jeunes, n'avait en rien altéré sa simplicité ni sa bienveillance : et il disparaît comme il a vécu, dicrètement. Pierre Vallier. *** Autres témoignages: Paul-Jacques Bonzon est très connu pour sa série de livres parus dans la bibliothèque verte, sous le titre "Les six compagnons". Outre de nombreux autres ouvrages pour la jeunesse de grande qualité, il a aussi publié des ouvrages scolaires. Paul-Jacques BONZON était instituteur. Paul-Jacques BONZON est surtout connu comme grand romancier de la jeunesse, d'ailleurs abondamment lauré (Second Prix "Jeunesse" en 1953. Prix "Enfance du Monde" en 1955. Grand Prix du Salon de l'Enfance en 1958). Ses ouvrages suscitent chez nos enfants - et chez bien des adultes - un intérêt croissant. Il sait, de longue expérience, que composer un livre de "lectures suivies" est une entreprise délicate, que le goût des jeunes est à l'action

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rondement menée, aux péripéties multiples voire violentes ou cruelles. Les livres d'évasion, de délassement, de bibliothèque, pour tout dire, laissent paraître ces caractères. Paul Vigroux, Inspecteur général honoraire. *** Paul-Jacques Bonzon a réalisé de très nombreux dessins. En fait il voulait à l'origine être dessinateur, peintre ou musicien mais sont père en a décidé autrement! A une certaine époque, il résidait en Suisse et vivait de ces dessins humoristiques vendus sous forme de cartes postales. Un dessin de Paul-Jacques Bonzon:

*** Voici quelques informations supplémentaires, tirées d'un ouvrage de Marc Soriano, aux Éditions Delagrave, 2002. L'auteur nous apprend que Paul-Jacques Bonzon, né dans une famille aisée, fils unique, père autoritaire, a eu une enfance difficile. Paul-Jacques Bonzon, en écrivant pour les enfants, se réinvente une enfance. Il écrit des aventures sentimentales qui sont des quêtes : une soeur, une famille normale... (Du gui pour Christmas, La promesse de Primerose). Cela plaît particulièrement aux filles, confie Paul-Jacques Bonzon. Il avoue aussi que s'il ne tenait qu'à lui, les ouvrages finiraient mal ! Ce qui plaît plus aux filles qu'aux garçons. Un seul titre finit mal : "L'éventail de Séville". Encore l'adaptation télévisée adoucit-elle la fin. Et des pays étrangers, pour la traduction dans leur langue, demandent "une fin heureuse". 205

Les six compagnons se vendent à 450000 par an en moyenne. L'auteur dit qu'on lui a reproché de "s'être laissé aller" à des séries, comme si c'était une déchéance pour l'auteur et un mal pour le lecteur. Paul-Jacques Bonzon reprend : "Il est important d'encourager la lecture à une époque ou elle est concurrencées par toutes sorte d'autres sollicitations". Bonzon avoue aussi son penchant pour les milieux modestes, qui, dit-il plaisent aux enfants. Il comprend, avec le temps, pourquoi sa série des "Six compagnons" a plus de succès que sa série "La famille HLM" : Il y a un chien ! Les ouvrages de Bonzon sont traduits dans 16 pays. ***

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Bibliographie:

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Titres hors séries: - Contes de mon chalet - Delph le marin - Du gui pour Christmas (Second Prix "Jeunesse" 1953) - Fan-Lo - J'irai à Nagasaki - La ballerine de Majorque - La croix d'or de Santa Anna - La disparue de Montélimar - La princesse sans nom - La promesse de Primerose - Le rendez vous de Valence - Le cheval de verre - Le jongleur à l'étoile - Le petit passeur du lac - Le secret du lac Rouge - Le viking au bracelet d'argent - Le voyageur sans visage - Les orphelins de Simitra (Prix "Enfance du Monde" 1955) - L'éventail de Séville (Grand Prix "Salon de l'Enfance" 1958) - L'homme à la valise jaune - Loutsi-Chien - Mamadi - Mon Vercors en feu - Saturnin et le vaca-vaca - Soleil de mon Espagne - Tout Fou - Un secret dans la nuit polaire ------------------------------

Les six Compagnons:

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1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 35 36 37 38

1961 1963 1963 1963 1964 1964 1964 1965 1965 1966 1966 1967 1968 1968 1969 1969 1970 1970 1971 1971 1972 1972 1973 1973 1974 1974 1975 1975 1976 1976 1977 1977 1978 1978 1979 1979 1980 1980

Les Compagnons de la Croix-Rousse Les Six Compagnons et la pile atomique Les Six Compagnons et l'homme au gant Les Six Compagnons au gouffre Marzal Les Six Compagnons et l'homme des neiges Les Six Compagnons et la perruque rouge Les Six Compagnons et le piano à queue Les Six Compagnons et le château maudit Les Six Compagnons et le petit rat de l'Opéra Les Six Compagnons et l'âne vert Les Six Compagnons et le mystère du parc Les Six Compagnons et l'avion clandestin Les Six Compagnons et l'émetteur pirate Les Six Compagnons à Scotland Yard Les Six Compagnons et les agents secrets Les Six Compagnons et le secret de la calanque Les Six Compagnons et les pirates du rail Les Six Compagnons et la disparue de Montélimar Les Six Compagnons et la princesse noire Les Six Compagnons et les espions du ciel Les Six Compagnons à la tour Eiffel Les Six Compagnons et la brigade volante Les Six Compagnons et l'œil d'acier Les Six Compagnons en croisière Les Six Compagnons et les voix de la nuit Les Six Compagnons se jettent à l'eau Les Six Compagnons dans la citadelle Les Six Compagnons devant les caméras Les Six Compagnons au village englouti Les Six Compagnons au tour de France Les Six Compagnons au concours hippique Les Six Compagnons et la clef-minute Les Six Compagnons et le cigare volant Les Six Compagnons et les piroguiers Les Six Compagnons et la bouteille à la mer Les Six Compagnons et les skieurs de fond Les Six Compagnons et les bébés phoques Les Six Compagnons dans la ville rose

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La famille HLM: Où est passé l'âne Tulipe ? (1966) (publié également sous le titre

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La famille H.L.M. et l'âne Tulipe) Le secret de la malle arrière (1966) Les étranges locataires (1966) Vol au cirque (1967) L'homme à la valise jaune (1967) Luisa contre-attaque (1968) Le marchand de coquillages (1968) Rue des chats-sans-queue (1968) Un cheval sur un volcan (1969) Le perroquet et son trésor (1969) Quatre chats et le diable (1970) Le bateau fantôme (1970) Le secret du Lac Rouge (1971) L'homme à la tourterelle (1972) La roulotte de l'aventure (1973) Slalom sur la piste noire (1974) L'homme aux souris blanches (1975) Les espions du X-35 (1976) Le cavalier de la mer (1977) L’homme au nœud papillon (1978) -----------------------------Série Diabolo: Diabolo le petit chat Diabolo et la fleur qui sourit Diabolo pompier Diabolo et le cheval de bois Diabolo jardinier Diabolo pâtissier Diabolo sur la lune

1976 1976 1976 1977 1977 1977 1979

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A suivre

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Livres scolaires: "Livres de lecture suivie" P.-J. Bonzon et M. Pédoja: - Pompon le petit âne des tropiques. CP. P.-J. Bonzon: - Le château de Pompon (CP) - Pompon à la ville (CP) - Le jardin de Paradis (CP, CE1) - La maison aux mille bonheurs (CE1, CE2) - Le cirque Zigoto (CE1, CE2) - Le chalet du bonheur (CE1, CE2, CM1) - Yani (CM1, CM2) - Ahmed et Magali (CM1, CM2) - Le relais des cigales (CM1, CM2) - La roulotte du bonheur (CM2) *** Voici quelques photos de couvertures de livres de P-J Bonzon (Cliquez sur une vignette pour voir la photo agrandie, puis sur le bouton "Précédente" de votre navigateur pour revenir à cette page).

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A suivre

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THEATRE 1953 Coquette chambre à louer 1954 Camping interdit 1954 L'insécurité sociale 1956 Les Carottes des Champs-Elysées 1956 Nous les avons vus 1956 Aux urnes, citoyennes ! 1957 Permis de conduire à tout âge 1957 La nuit du 3 mars 1957 Madame a son robot 1957 Plus on est de fous ??? Devant le rideau

NOUVELLES 1952 Le Grand Linceul Blanc (Francs Jeux Africains n°16 du 20 novembre 1952) 1953 Les monstres de Maladetta (Francs Jeux pour les garçons No 174 du 15 Aout 1953) 1959 Le chamois de Zimmis Publiée dans le numéro 30 du 26 juillet 1959 "Ames Vaillantes" , illustrations de Yvan Marié (illustrateur attitré des Editions Fleurus). ??? Le père Noël n'avait pas six ans

Sauf erreur ou omission

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