Contes Mauve

  • Uploaded by: DjeHadibi
  • 0
  • 0
  • February 2021
  • PDF

This document was uploaded by user and they confirmed that they have the permission to share it. If you are author or own the copyright of this book, please report to us by using this DMCA report form. Report DMCA


Overview

Download & View Contes Mauve as PDF for free.

More details

  • Words: 49,052
  • Pages: 170
Loading documents preview...
[«PUBLIC LIBRAHY

THE

an».,,.

3 3333 081 62 2598

V

D

30628

*

CONTES MAUVES DE

MA MERE-GRAND

H1T1EME MILLE

PRÉCÉDEMMENT PARUS CONTES BLEUS DE MA MÈRE-GRAND,

et

Henry Morin.

illustrés

par

illustrés

par Maurice Lalau.

CONTES ROSES DE MA MÈRE-GRAND,

Droits de traduction

:

de reproduction réservés pour tous pays

y compris

la

Suède

et

la

Norvège.

CHARLES ROBERT-DUMAS

CONTES MAUVES DE

MA MÈRE-GRAND DESSINS DE MAURICE LALAU

ANCIENNE LIBRAIRIE EU RNE

BOIVIN & C 5,

ie ,

ÉDITEURS

RUE PALATINE, MDCCCCXXIX

VI e

*

•93CAoî6'

\

LA FILLE

AUX LOUPS

• .





'

-

-

'.

i



.



-



*

I

'O^l était une

fois

une

guère riche mine, ches,

la

la

petite

fille

qui se nommait Anémone. Elle n'avait

pauvre enfant

figure tirée par le chagrin;

jambes grêles, deux bras

fluets,

la

:

des joues creuses,

un

petit

les lèvres

corps de souffreteuse

poitrine étroite

sous des

blan:

des

épaules

décharnées. Elle faisait peine à voir,

quand

elle allait à la rivière, le

dos rond, raidie sur ses

mollets, portant de toute la force de ses reins sa hottée de linge.

Mais lorsque, déposant son fardeau pour reprendre haleine, alors

Œ

on n'apercevait plus

ni ses joues

elle relevait la tête,

hâves, ni ses lèvres blêmes, mais seulement

CONTES MAUVES

4 ses

deux yeux

au

Ciel,

grands

clairs et si

d'un sourire plus

triste

DE.

MA MÈRE-GRAND.

qu'ils paraissaient

que des larmes,

et

emplir son visage. Elle souriait

demeurait

toute perdue, son-



geant que c'était dans ce Là-Haut diaphane que demeuraient les anges. Elle les imaginait enfants comme elle mais roses, dodus, aussi blonds qu'elle était brune,

avec des vêtements

cache-cache dans l'azur;

pour berceaux

— Eh

le

effort

de

nuit,

la

que

dormaient,

ils

duvet des nuées

bien, faut-il

Grand Dieu,

de nuages, tandis qu'elle

faits

et

je t'aide à

allait

leurs ailes

pour veilleuses

en loques.

jouaient à

les étoiles.

bayer aux corneilles?

voix de sa méchante belle-mère! Anémone,

la

Ils

sagement repliées, ayant

ses petits bras, rejetait sa hotte

d'un douloureux

sur son dos, et se bâtait vers

la rivière.

sages qui mouraient,

Les vieilles disaient à la veillée que les petits enfants montaient au Ciel et devenai nt des anges. Et Anémone, cassée en deux sous son

paquet de linge, marmottait entre ses dents menues « Mon doux Jésus, faites- moi vite mourir, pour que je sois bientôt un ange, :

que

ma maman. maman

retrouver

j'aille

Car Anémone n'avait plus de

du bon Dieu qui aime Elle était

les

humbles

donc partie pour

laissant derrière

et

»

elle

sur celte terre. La sienne était là-haut, près

et les appelle à lui

le Ciel,

un

Anémone, toute

quand il a

pitié

de leur misère.

soir d'hiver, tuée par le travail et le froid,

seule avec son

père qui était un pauvre

bûcheron.

du chagrin; mais l'homme beaucoup moins que l'enfant, puisque peu de mois après, il rentra de la ville, un beau soir, conduisant par la main une inconnue. C'était une fort belle femme à l'œil luisant comme un velours, aux cheveux noirs, Ils

avaient eu, tous deux, bien

au menton décidé, mais réputée dans tout

voisinage pour sa méchanceté et son

le

Anémone qui ignorait cela, n'allait guère tarder à l'apprendre. seconde maman, ma mignonne, embrasse-la, dit le bûcheron.

caractère acariâtre.



Voici ta

La

fdlette, interdite, se laissa baiser

comme une

au

front, puis, éclatant

en sanglots, s'enfuit

folle.

Quand elle fut loin, bien loin, elle s'abattit sur l'herbe, appelant à longs cris sa « Maman, maman! » Celle-ci l'entenvraie maman, celle qui était morte et au Ciel dait, Anémone en était bien sûre, mais le bon Dieu sans doute ne voulait pas :

qu'elle descendît, puisqu'elle ne parut point et qu'elle laissa sa fillette rentrer seule.

Le visage

sali

par les pleurs, creusé par

souper. Elle joignit les mains,

aux premiers mots

En rêve

Ufa~_

elle vit

:

elle

commença

le

chagrin,

la petite alla se

sa prière, mais le

coucher sans

sommeil passa sur

elle

s'endormit.

des anges qui voletaient

et, l'effleurant

de leurs

ai!es, lui soufflaient

£

"m LA FILLE AUX LOUPS. à l'oreille

«

:

On n'a pas deux mamans, Anémone, on comme une musique lointaine.

5

n'en a qu'une!

»

Et leurs voix

l'enchantaient

anges

Les lorsque



le

ne

trompée,

pas

l'avaient

poing de sa belle-mère l'ébranla

Allons, debout

Anémone,

aperçut

s'en

elle

dès son

réveil,

:

!

encore toute sonore de son rêve, se dressa sur son séant,

la tête

se frotta les paupières, écarquilla les yeux...



Et que ça ne traîne pas, hein

Une nouvelle bourrade

!

l'éveilla tout à fait.

D'un bond

elle quitta

son

de

lit

feuilles

sèches, jeta un jupon sur ses hanches et se hâta de prendre un chaudron qu'un doigt brutal lui désignait



:

Allons, ouste, à

chercher de l'eau! Et ne muse pas en route, sinon

la rivière,

gare!

Anémone ment.

au bon

Tout en

plaisir

de cette femme.

allant vers le ruisseau,

docile.

mauvais

Elle

«

lit

de son père

:

il

était

saisisse-

»

regard

et

Mon

le

chaudron n'avait pas

elle se

promit d'être bien douce, bien sage,

peut-être satisfaite

sera

«

le

me

Dieu, pourvu qu'elle ne

batte pas

été rincé

;

pensait-elle; et,

»,

menaçant

geste

de !

Elle fut battue cependant, et dès son retour

l'étrangère,

comme un

terrifiée,

tombée sur

pour parer Elle se

les

fit

les

tremblait

:

du ruisseau

:

« elle avait

lambiné;

l'eau était bourbeuse... » Ce furent des reproches

Anémone

Attends, je vais t'apprendre à pleurnicher, moi

Elle la secoua

rappelant

se

elle

»

d'abord, puis un pinçon au bras, deux taloches.



le

de grand matin. Elle en éprouva un gros

parti

eut peur.

Elle

le

après avoir glissé un regard vers

Ainsi donc, tout aujourd'hui, personne qui pût la défendre! Elle était

«

livrée

bien

sortit

bûcheron étant

vide, le

prunier,

genoux,

lui tira

les

pleura.

!

cheveux,

oreilles.

les

ses petits bras haut, croisés

L'enfant,

en avant de sa

tête

coups, jurait en sanglotant qu'elle ne pleurerait plus jamais, jamais.

si

humble qu'on cessa de frapper;

le

jour s'acheva sans nouvelle

correction.

Mais que de travaux

elle

dut faire! Ecurer les

|

oêlons, les marmites, fourbir la

crémaillère, nettoyer l'âtre, enlever les cendres, gratter la suie de

Vers

le soir, elle



eut quelque répit

me

le

bûcheron

cheminée.

allait rentrer.

Décrasse-toi, cria la mégère, que ton père ne te voie pas avec cette face de

souillon. Et tâche

tu

:

la

le

de ne pas avoir

paieras cher demain!

les

yeux rouges, car

s'il

remarque

tes

larmes,

CONTES MAUVES DE MA MÈRE-GRAND.

Anémone son père. fille

Il

obéit en tremblant

elle

:

même un

trouva

entra, déposa sa cognée dans

un

coin,

sourire pour accueillir

embrassa sa femme, puis sa

:



Ah, ah,

fit-il,

ça

me

réjouit le

cœur de vous

revoir. C'est

une bonne chose,

après une rude journée de travail, que de retrouver au logis des frimousses avenantes. Alors, on Il

fait

tapotait les joues

bon ménage toutes deux,

la

maman

d'Anémone

le

cœur gros

qui, confus^,

et la fille?

à éclater, les pleurs

au bord des paupières, cachait derrière son dos ses menottes gonflées, endolories. II

était

brave homme, un peu simple, aimant certes bien sa

fille,

mais peut-être

plus encore sa tranquillité.

un bon morceau de lard, puis alla se mettre au lit. jeux rougis de son enfant, ni ses mains enflées, pas plus que son air de pauvre animal battu, lorsque sa belle-

11

mangea

Il

n'avait rien remarqué, ni les

ni ta

sa

lassitude,

soupe

et

mère qui faisait la douceâtre, fixait à la dérobée son œil venimeux sur elle. Anémone, sitôt étendue sur son grabat, s'endormit, mais non sans avoir sa peine à sa chère «

m

Maman

maman

là-haut, près

confié

du bon Dieu.

chérie, qui es au Ciel, tu vois, j'ai eu bien

du chagrin aujourd'hui,

e!

LA FILLE AUX LOUPS. mes mains me

aussi des coups et tant de travail;

mon

jambes, tout

7

font bien mal,

et

mes

bras,

mes

corps. Pourtant, je suis contente que papa n'ait rien vu, et qu'il

s'endorme heureux, en s'imaginant que je m'entends bien avec sa vilaine méchante femme. Ma vraie maman, ma seule maman, c'est toi, je n'en aurai jamais d'autre, va, sois tranquille. Et je te promets de ne jamais

ne pas ici.

chagriner

le

Puisque tu es près du bon Dieu,

demande-lui de prendre

courage. N'oublie pas surtout,

Son chat Gris-Gris caresses.

toute

la

Il

d'ordinaire. la

Il

dormeuse,

pour

et

chaque

ventre de dessous

journée, affolé par

papa,

ta petite

qu'elle dorlotait

sortit à plat

mon

plaindra à

que tu le vois sans doute chaque jour, Anémone, afin qu'elle ne manque pas de ma douce maman. »

de

pitié

me

avoir des mots avec celle qui prétend te remplacer

ni lui faire

soir n'eut pas cette fois sa ration

le

vieux bahut où

il

remue-ménage qui bouleversait

le

s'était la

de

tenu caché

maison

si

calme

s'approcha, ronronnant et ronflant, passa, repassa lout au long de

fit

le

gros dos,

cogna

lui

joue du bout de son nez froid, mordilla

la

tendrement ses cheveux; enfin, voyant qu'on ne répondait pas à ses avances, il

alla se

coucher en boule, sagement, sur

C'était

un brave animal, haut sur

émeraude

n'est pas la la

pattes, tout gris

d'énormes moustaches qui

et

moustache qui

fait le

les pieds

matou,

lui

de sa jeune maîtresse.

de

poil,

avec de grands yeux

donnaient un air terrible; mais ce

et Gris-Gris était bien, je

vous

l'affirme,

meilleure pâte de chat qui fût sur terre.

Doux, obéissant,

fidèle,

il

celle-ci le lui avait rapporté,

était

un

adoré d'Anémone. Elle

soir d'hiver,

le

en revenant de

de sa mère

tenait

la forêt



;

elle l'avait

trouvé, miaulant, maigre et transi.

Tous deux avaient grandi ensemble. Six ans de camaraderie

les unissaient, six

années sans une morsure, sans une griffade, six ans de parfaite entente, de pattes

de velours, de cabrioles, de ronrons C'est à l'oreille pointue

et

de caresses.

de son ami d'enfance qu'Anémone

son âme. Elle en savait des secrets, cette oreille-là,

marche d'un était

grillon sur l'âtre.

discret.

écoutait avec

Il

grands arrondis,

impassibles,

me

il

parler de

comme

s'il

secouait l'oreille, impatienté, si

entendait la

qu'elle

yeux émeraude tout

ne comprenait pas; mais le souffle

comme

s'il

de

il

devait

l'enfant venait à le

voulait dire

:

« Inutile

de

près, chère petite maîtresse, je t'entends, va, sois tranquille. »

Lorsqu'elle pleurait



coups de museau, puis se

au cœur.

fine

sortait plus, car Gris-Gris

gravité joies et peines, ses

comprendre, car de temps en temps, lorsque chatouiller,

si

Ce qui y pénétrait n'en

confiait ce qui agitait

et cela arrivait

souvent



il

blottissait contre sa poitrine,

essuyait ses larmes à petits

comme pour

lui tenir

chaud

B CONTES MAUVES DE MA MÈRE-GRAND.

8

Lorsqu'elle

riait,

témoignait une gaité

il

jouait avec

folle, cabriolait, culbutait,

beau en jonglant avec une mouche, un brin de paille, puis, disparaissant tout Soudan, il s'amusait ensuite à sauter aux jambes d'Anétout et avec rien, faisait le

mone pour

causer des frayeurs.

lui

Telle était la

Du jour où cevoir que

matière

bonne vie

l'étrangère entra au logis, ce fut

la fillette et le

méchanceté,

à

d'autrefois.

Elle ne pardonnait à

fini

de rire pour tous deux. S'aper-

chat formaient une inséparable paire d'amis et en tirer

pour

fut

Anémone

cœur

ce

ni son hostilité

fielleux

demandait

— — —

Eh

ni le culte qu'elle

du premier jour,

vouait à sa mère défunte. Lorsqu'elle la voyait pensive,

le

moment.

d'un

l'affaire

regard perdu,

elle lui

:

bien, à quoi penses-tu, au lieu de travailler, pécore?

Je pense à

ma maman

qui est morte, répliquait l'enfant avec de

beaux yeux

tranquilles, ce qui mettait la mégère hors d'elle.

Insolente! grommelait-elle, en marchant sur la

fillitte, la

main haute.

une égratignure, un coup de pied payaient sa repartie. Mais Anémone se serait fait hacher p'utôt que de renier la mémoire de

Une

gifle,

la

morte.

La mauvaise femme, pour

se

venger, résolut de mener

Elle ne pouvait les voir ensemble, diable.

Quand

s;ins

la vie

envoyer d'une tape

elle balayait, elle lui lançait par les côtes

dure à Gris-Gris.

le

chat bouler au

un sournois mais

solide

coup de balai. S'd se glissait par la porte entre-bâillée, vite, elle poussait le battant pour tenter de l'écraser contre le chambranle. Heureusement que Gris-Gris, leste et méfiant, ouvrait l'oeil. Un bond en souplesse le sortait de ce mauvais pas.

Une

fois

cependant,

grosse touffe de poils 11

il

:

ne s'en

tira

qu'en laissant coincée dans

une seconde de

plus, et sa

queue y

porte une

la

pa-sait,

coupée net!

tourmenteuse aux jambes, puis, avec un miaulement

se retourna, griffa sa

rauque, disparut. « Diantre, pensa-t-il, tapi sous le toit, entre

sa

plaie,

diantre,

Ne

quitte

donc plus

l'oeil,

cette belle

car elle est de

De son « Que

ta

si

deux gerbées de chaume

méchante en voudrait-elle

maîtresse d'une longueur de queue, ami Gris-Gr

taille

à te poursuivre jusque sur son giron.

côté, elle pensait je te

femme

et léchant

à ta

peau?

s, et

ouvre

»

:

mon

pince seul, un jour, sale chat,

ami, et tu m'en diras des

nouvelles! » Elle n'osait cependant pas se venger ouvertement de lui, car elle savait Gris-

Gris dans les bonnes grâces du bûcheron, et

il

n'entrait pas

dans ses vues de

LA FILLE AUX LOUPS. mécontenter son mari. Pour ce dernier, était tout miel et

parfois des traits tirés, de la

mone

maigreur d'Ané-

:



Dis donc, la Louise, elle n'a pas

trop bonne mine,

va

ble qu'elle

grissant

— vite,

elle

sucre. Lorsqu'il s'inquiétait

petiote

la

toujours

?

11

me sem-

s'ainai-

?

mon

grandit trop

qu'elle

C'est

ami, expliquait-elle.

hochait la tête et ne ques-

Il

tionnait

pas davantage.

Parti

dès l'aube chaque jour, ne rentrant qu'au crépuscule,

il

ignorait

que sa doucereuse moitié rouait de coups son enfant

de

la

tuait

bien que succombant

Celle-ci,

à

et

travail.

peine, préférait souffrir sans

la

sonner mot. dre en

A

effet ?

quoi bon se plain-

Pour ame-

ner de- disputes, tour

menter son

père

Le bonhomme, entiche de sa femme, croyait ses dires

comme

parole d'Evangile; celle-ci,

jetant les hauts cris se serait prétendue calomniée... et

En

vérité, elle faisait

Anémone

mieux de

aurait eu tous les torts.

se taire.

L'enfant s'aperçut bien vite qu'il y avait brouille à mort entre sa marâtre et son chat;

ils

rien

»

!

griffes

m

mauvais yeux

:

«

Sale bête, grondait-elle.

et jurait

:

«

Fûûîiû... t!

fûùûû...

t !...

bombait

fûûûû...

t...

le !

»

Propre à

dos, sortait ses si

fort

que ses

ustaches en tremblaient. «

fort

b

se bourraient de

Lui, hérissait son poil, rabattait ses oreilles,

^ela

fin ; ra

inquièle.

mal, un jour ou l'auire

»,

pensait

Anémone. Et

elle se

montrait

CONTES MAUVES DE MA MÈRE-GRAND.

10

Pour dérober Gris-Gris aux noirs desseins de son ennemie, elle l'emmenait elle. Docile comme un chien, il la suivait à la fontaine, au bûcher, dans la forêt et jusqu'au ruisseau où, deux fois la semaine, elle se rendait pour partout avec

laver

le

linge de la maison.

Pendant que

linge se lavait, Gris-Gris remontait le courant, choisissait sur la

le

berge une place où

s'étendait à plat-ventre, avançant la tête au-dessus de l'eau.

demeurait des heures, à

Il

à

il

la

sotte

ablette

de sa patte,

soir

Gare à

l'affût.

les

il

jeune

la

Un

perche imprudente,

truite, à la

près du bord.

s'aventuraient

chat vous les harponnait.

le

sur l'herbe où

Le

qui

D'une brusque

plongée

revers de griffe les jetait, frétillantes,

croquait avec un bruit gourmand de mâchoires.

venu, Anémone regagnait

la

chaumière, courbant l'échiné sous sa hotte

dont l'eau dégouttait; Gris-Gris suivait sur ses talons, secouant son poil d'un air fâché chaque fois qu'une goutte

Or,

il

souris,

s'endormit sous

minet chéri... viens, c'est ce

lui

tombait sur

le

dos.

arriva qu'un matin le chat, ayant l'estomac lourd d'avoir

qui

fit

Anémone

bahut.

le

mon

eut beau l'appeler

Gris-Gris!... viens vite...!

m'aura-t-il devancée,

se

dit-elle, je vais

rassura. Sous le meuble, Gris-Gris poursuivait son

Mais, voici que

le soleil

les

géraniums de

ne l'entendit pas,

maison. »

«

Cette pensée la

qui jusque-là se cachait, darda tout à coup entre deux

la fenêtre,

saupoudra d'or

chaumière, éclaboussa

la

le sol

battu et vint s'épanouir

en une houppette argentée sur un bout de queue grise qui dépassait d'un le

bas

et

Peut-être,

somme.

nuages une gerbe de rayons. L'un d'eux pénétra dans de rose

il

trouver en route.

le

trop de

Gris-Gris...

«

la

»

son malheur. Très anxieuse, elle quitta

mangé :

du bahut. La mégère

filait,

lumière piquant droit dans

la

assise près

salle lui

ment... et soudain, ce qu'elle aperçut

fit

de

la croisée

petit rien

entr'omerte; ce rais de

lever la tête; elle regarda machinale-

lui dilata le

cœur.

«

Là-dessous!...

il

est là-

dessous! » balbutiait-elle, frémissante de joie.

Tout de suite

elle

trouva sa vengeance.

Se levant sans plus de bruit qu'un spectre,

du manteau de

la

cheminée, se courba vers

où de l'eau bouillait pour

la

la

Le pauvre animal ébouillanté, 11

tourbillonna

un

d'un bond fantastique, traversa l'air

d'un horrible

Derrière

lui, la

s'approcha

pas de loup

à

crémaillère et décrocha

le

jaillit

la

direction

hors de sa cachette,

instant, les la

dans

chambre

le poil

yeux sanglants, dans et disparut

par

la

du dormeur. fumant, fou de la

vapeur, puis,

fenêtre en déchirant

cri.

mégère

chaudron

soupe.

Elle le souleva et, à la volée, lança son contenu

souffrance.

elle

ricanait, se frottait les mains, la face réjouie.

1

LA FILLE AUX LOUPS. Quelques heures plus tard,

une bête lamentable

elle

:

comme Anémone

1

rentrait

un pauvre chat pelé qui

du

traînait à

bois, elle vit venir a

grand'peine sur ses

pattes de devant son arrière-train ankylosé. Elle fut saisie de pilié

jour

mon

comme

Gris-Gris deviendra vieux et infirme

celte

:

«

Dire qu'un

malheureuse bête.

un miaulement doux et triste. « Mon Dieu, mais c'est cœur retourné

»

Elle pensait ainsi, lorsque l'animal poussa

L'enfant s'arrêta net, blanche, le

mon

c'est Gris-Gris,

précautions

:

qu'une

n'était

il

:

Gris-Gris! » Elle se précipita, plaie.

le

prit

lui,

dans ses bras avec mille

regardait sa maîtress.: de ses bons grands

Il

yeux émeraude aux paupières maintenant hideuses chat, mon pau re chat! »

et boursouflées.

«

Mon pauvre

Elle le ramena au logis; il tremblait la fièvre. Chemin faisant, elle se creusait la tète pour comprendre

ce qui avait bien pu lui songea tout*d'abord à sa belle-mère, mais son âme nette ne pouvait imaginer tant de bassesse. Elle se fit un reprocbe de ce soupçon « De quel droit, arriver. Elle

:

sur quelles preuves accuses-tu cette vilaine

Son

et injuste qu'elle? »

La mégère, la



Deviendrais-tu aussi méchante

chercha ailleurs, sans pouvoir trouver.

esprit

voyant entrer tout en larmes,

la

Comment

contes

là ?

feignit

est-ce Dieu possible? Qu'est-ce que tu

Ce pauvre

n'y a pas une heure,

l'aime pas, tu le

?

compassion.

me il

femme

Gris-Gris, que si

le sais, c'est

cœur fendu

gai,

une

bien

si

vérité,

à voir souffrir ainsi

j'ai

vu sur

vivant!

le toit

Je ne

mais qui n'aurait

une pauvre créature

du bon Dieu? L'enfant fut

touchée qu'elle se haussa sur ses pieds

si

pour payer cette

pitié

effleuraient la joue

de

d'un baiser. la

vilaine

Gris se raidir dans ses bras.

dardait ses griffes,

ennemie un

Comme

femme

ses lèvres

elle sentit

miaulait de

rage

sait bien, lui.

»

Rouge comme un coq, yeux,

elle

voulut

mais l'émotion

il

sur son

jetait

et

,

regard de haine qu'Anémone recula.

tel

Son cœur se crispa. Elle comprit tout soudain ment, c'est elle! Gris-Gris l'accuse; il

Gris-

Bien qu'à demi-mort

lui

la

flamme aux

crier son mépris;

l'étranglait

:

elle s'enfuit,

muette, serrai. t sou chat contre

elle.

"

:

«

Sûre-

fi

II

force de soins et de tendresse, la

Mais quel pauvre animal ce étant restées paralysées, celles

il

fut

fillette

sauva son chat.

désormais

!

Ses pattes de derrière

rampait, se soutenant à grand'peine sur

de devant, tandis que son arrière-train traînait

comme une

loque. Son poil autrefois d'argent souple, maintenant rude, terne,

tombait

le

:

malheureux chat, croûteux, galeux, rogneux,

était

une

pitié

ambu-

lante.



le

Mieux vaudrait



Tu

as bien raison,

c'est cruauté

ce pauvre martyr,

fût crevé,

un

dit

soir

mon homme,

bien;

Laissez-moi il

c'est ce

que

je

me

mon

;

:

Gris-Gris; laissez-le vivre par pitié. Voyez, je le soigne

ne se plaint jamais. Regardez ses bons yeux,

m'aime,

tue à répéter à la petite

que laisser vivre un pareil miséreux.

Mais Anémone suppliait

— il

fois qu'il

dix.

bûcheron.

c'est

il

me

veut vivre pour

voir,

mon cher papa, laissez-le mourir ici de sa ma chère maman l'a elle-même apporté. Papa, elle était, ce soir-là, si heureuse de me faire plaisir. Je l'aimais c'est tout ce qui me reste d'elle... mon

seul ami. Papa,

pauvre mort, dans notre maison, où tu te souviens, tant. Gris-Gris,

— Mais — Tu

Allons, c'est bien, n'en parlons plus; garde-le, dit enfin la

haine de la mégère

Dès qu'elle

as encore été faible envers ta

n'a qu'à pleurnicher

vre

veillait.

fille,

fut seule

le

père.

avec son mari

:

lui reprocha-t-elle. Cette péronnelle

pour que tu fasses ses quatre volontés. Son chat, son

Gris-Gris»!... Et

s'il

me

dégoûte, moi, ce sale animal?

cœur? M'as-tu seulement demandé mon avis? Je débarrasser de cette affreuse bête; je ne veux plus

S'il

me

«

pau-

soulève

voulais justement te prier de d'elle ici.

le

me

LA FILLE AUX LOUPS. Le bûcheron embarrassé hochait et finit



A

par pleurera son tour.

ne sachant que répondre. Elle

la tête,

impatienté

ia fin il s'écria,

insista

:

Voilà bien des histoires et des pleurnicheries pour une vilaine bête dont

peau ne vaut pas

même un

rouge

liard, tant elle est

bustez pas plus longtemps, l'une et l'autre.

me

rogneuse. Morbleu, ne

Arrangez-vous ensemble;

me

chat des friches ou des miches, mais, pour Dieu, ne assez

i3

faites

parlez plus de lui

!

la

tara-

de ce

J'en ai

!

le départ du bûcheron, la belle-mère dit à Anémone veux plus de ton sale chat ici. Arrange-toi pour le faire disparaître; autrement, c'est moi qui m'en chargerai.

Le lendemain, après



:

Je ne

L'enfant eut beau pleurer, tordre ses mains, sa marâtre

:

Anémone

«

jucha

elle

de sa hotte, puis s'éloigna vers

comme

ranimai impotent de

la

et le porta

place où elle avait

Au

nouillant près de

— Mon

Lorsque

lui

soir tombant, elle prit entre ses bras

jusqu'au pied d'un grand hêtre qui se dressait non

coutume de

le

lit

laver.

fut

achevé,

Gris-Gris, lui dit-elle en pleurant,

mon bon

chat.

parce que tu es infirme et laid.

y coucha Gris Gris, puis s'age-

elle

Ce

Non, ma

il

ne faut pas que tu reviennes chez

n'est pas parce

remettais les pattes à suivras pas.

porterai à

Au

manger

la

mon

et

et te

mon

ne t'aime plus ni

je

jamais je ne

chat-chat chéri

promènerai un peu au

;

(iris-Gris; allons, sois sage, ne

Elle se pencha, l'embrassa et s'enfuit en se

mon

sois bien sage. soleil.

Le chat ne bougea pas, comme

s'il

avait compris;

plaintive qu'il aurait attendri

un

roc.

Tu

tristes,

me

bouchant il

t'ai

Gris-Gris.

Demain

comme

si

lu

Tu ne

je t'ap-

verras, on pourra être

du courage.

A

demain,

suis pas!

les oreilles.

miaulait d'une voix

si faible,

Heureusement qu'Anémone ne pouvait

,1'entendre.

Le jour suivant,

trouvé

voir. Elle te tuerait,

maison. Alors, tu vas bien m'obéir,

revoir,

heureux encore, va... Oui, mon bon chat aux yeux seul ami,

que

chère bête, je t'aime bien plus tendre-

ment qu'autrefois, justement parce que tu es misérable, si doux ni si bon. Mais ma fausse mère ne veut plus te

si

un jour magnifique

:

nous, lu comprends,

mon

lit

grosses racines formaient un creux que l'enfant garnit de feuilles sèches,

tapissa de mousse.

me

»

la rivière.

tout baigné de soleil et égayé d'oiseaux.

Deux

put fléchir

d'habitule Gris-Gris au sommet

Elle abattit sa besogne, sans rire ni chanter, bien qu'il

loin

ne

elle

se releva désespérée.

son jour de lavage;

C'était

supplier,

Je n'en veux plus, répétait-elle obstinément, je n'en veux plus.

rougeoyait l'aube,

Anémone

s'éveilla

en sursaut.

CONTES MAUVES DE MA MERE-GRAND.

14

prêta

Elle

l'oreille

ne

oui, elle

:

pas

s'était

trompée, on grattait à

la

porte,

un miaulement

doux

appelait.

«

C'est

Gris-Gris », pensa-t-elle

de suite,

tout

cœur

le

sautant d'émoi. Elle alla

ouvrir Elle

:

c'était bien lui.

dans

l'enleva

ses

bras, transportée de

bonheur. Ses

petits

pieds nus

retraver-

sèrent

chambre

sans

la

bruit

elle

;

recoucha,

De sa main fermait



la

se

vite, vite. elle lui

gueule

:

mo

Tais-toi,

n

Gris-Gris; ne miaule pas surtout. Pense donc,

revenu? Pauvre chat, tu

Mon cœur me

le disait

bien!

Gris... dors... va... je Il

se tenait à quatre

de sa maîtresse,

t'es traîné

veux

de

si

Tu aimes donc te

veiller,

elle

si

loin jusqu'à

tant ta maîtresse?

mon bon

pour ne pas ronronner,

Mon pauvre

frottait

son museau contre

Mais l'animal

de fatigue, l'enfant n'avait pas eu son compte de sommeil, ce qui

de dix minutes,

ils

dormaient

comme deux

es

Gris-

chat.

débarbouillait à coups de langue.

la

t'entendait! Alors, tu

moi! Que tu dois être fatigué!

les

était

fait

joues

épuisé

qu'au bout

bienheureux.

Mais quel réveil, bonté divine!

La mégère

avait

dix doigts, et

empoigné Anémone par

bras qu'elle serrait à y imprimer ses

le

elle la secouait, elle la secouait

!

Sa tignasse à demi répandue sur sa figure pourpre de rage, injures, trépignait giiffes

de colère; pourtant

elle n'osait

dehors, babines relevées, attendait, prêt à

la

Hois

d'ici,

tous deux, et vite! vociféra-t-ellc.

de malheur ne reparaisse jamais

Anémone,

ici

un dernier

Et

fais

soufflet.

en sorte que ce chat

!

celte fois, porta Gris-Gris

mille

riposte.

Elle finit par lâcher l'enfant, après lui avoir appliqué



elle hurlait

pas toucher Gris-Gris qui, toutes

beaucoup plus avant dans

la forêt.

LA FILLE AUX LOUPS. Elle

au

bien

lit

avec

sépara de lui

se

même

le

chagrin que

se mit

le soir

la veille, et

triste.

Le lendemain, comme pour emplir sa cruche,

émeraude qui

aperçut soudain, dans

contemplaient

la

de l'eau à

elle allait puiser elle

fontaine, et s'agenouillait

la

le

buisson deux grands yeux

Gris-Gris s'était traîné jusque-là, ne pouvant vivre

:

sans sa maîtresse.

gronda tendrement, mais

Elle le

cette troisième fois. Elle traversa

plein «

angoissée

pensa-t-elle,

petit

«

:

effet, le

De quoi

:

«

pitié,

ne pourra plus revenir,

il

chat ne revint pas. Anémone,

aura-t-il vécu

Après avoir terminé sa prière, en

hameaux, puis

et trois

loin,

enfin,

en

champ, l'abandonna. Pauvre

Le jour suivant, en

mère

perdre bien, bien

très fort et s'en alla le

deux bourgades



elle

se demandait-elle

recommanda

à

c'est bien trop loin. » le soir,

se

coucha

tout

douloureusement.

nouveau son Gris-Gris à sa le prenne

Douce maman, fais qu'il trouve quelque âme compatissante qui il n'y a pas que des méchants sur terre... »

Trois jours s'écoulèrent.

Un



comme la Souillon, ma mie, matin,

fillette

rentrait à la

lui dit la

chaumière, rapportant un fagot

mégère qui ne

lui adressait

joindre une insulte, ton chat est encore revenu! Je

miaulant

faim. Alors j'ai eu pitié de lui et de

la

l'ai

Cette

toi.

jamais

la

découvert dans fois,

il

ne

:

parole sans y le

cellier,

te quittera plus,

Va le voir, je te le permets, tu seras contente de moi. Anémone laissa choir son fagot. En deux bonds, elle fut au

je te le jure.

Saisie,

Bonnes gens Au spectacle !

son cœur à deux mains

qu'elle vit, elle poussa

un

cri

cellier...

déchirant et comprima

Gris-Gris était étendu raide mort, sa bonne tète grise

:

aux yeux émeraude fendue d'un coup de bêche.

Un ricanement était là,

satisfait éclata derrière l'enfant

;

elle se

retourna

:

sa

marâtre

contemplant son œuvre.

Anémone ramassa son larmes, dévora

chat sans mot dire, les dents serrées. Elle renfonça ses

ses sanglots,

ne voulant pas s'abandonner en présence de cette

mauvaise femme, curieuse de sa douleur. Elle passa,

droite, devant elle,

s'arrêta

un

instant, la

regarda des sabots au

bonnet, sans un reproche, sans une plainte, mais son regard était

mépris que l'autre

Anémone

si

pâlit et recula.

alors s'éloigna, lente, muette, portant

dans

sa

jupe relevée

de son chat. Elle jeta

chargé de

une bêche sur son épaule

Dès qu'elle se sentit hors

de vue,

et se dirigea vers le ruisseau.

elle

donna

libre

cours à son chagrin.

le

cadavre



CONTES MAUVES DE MA MÈRE-GRAND.

i6

C^o -t.
Ah,

ro*

»

*o.

mégère avait pu la voir et commeelle eûtété satisfaite Parvenue à la rivière, elle la remonta si

la

l'entendre,

!

à petits pas.

veux lui choisir une place où il doux de reposer, près de cette

« Je lui soit

même

rivière dont

croquer je

aimait

il

tanl

une place que puisse apercevoir en lavant... » les poissons,

Elle arriva

qu'elle s'était



à l'endroit

couché,

elle l'avait

soir

le

vue contrainte

de l'abandonner pour la pre-

mière

fois.

Son

lit

encore

était

fait

entre les deux grosses raci-

nes; tout

émue,

l'enterrerait

hêtre.

heurta

le

tombe,

la

cendit le petit

comblait,

corps.

un

elle

y des-

Comme

caillou

blanc

tranchant de sa bêche.

Elle

le

ramassa.

lisse

et

d'un grain

si

décida qu'elle

mît à creuser, puis,

Elle se

ayant achevé

la

elle

au pied de ce beau grand

Il

serré qu'on l'eût

était

elle

LA FILLE AUX LOUPS. de marbre;

dit

de

lui »,

dans sa poche

glissa

elle le

Je

«

:

'7 le

conserverai

en souvenir

pensa-t-elle. Lorsqu'elle eut jeté la dernière pelletée, elle piétina douce-

ment la terre qu'elle garnit ensuite de plaques de mousse. Ayant terminé, elle s'assit au pied du hêtre et laissa tomber entre

tes

mains

son front trempé de sueur. Elle

était

de misère

lui

bout de courage. Songeant au retour à

la

semblait que

eut un accès de désespoir.

la haïssait, elle

peu de terre qui recouvrait Gris-Gris

le

même de sa mère ne la pouvait plus soutenir Mon Dieu, mon Dieu, comme je voudrais mourir mon Dieu, je voudrais être morte!... »

séparait à lout

abandonnée,

la

:

!

.Mon Dieu, ayez pitié de

Elle gémissait ainsi, tête basse, et ses larmes tombaient sur la

Ayant

qui

la

D'où venait-elle

regardait en silence.

mousse.

debout devant

enfin levé les yeux, voici qu'elle apr-rçut,

femme

petite

la

elle se voyait

pensée

moi,

chaumière

un ami désormais, sans personne

reprendre, sans

dévotion de celle qui

jamais du seul être capable de souffrir avec elle;

«

la

sarcasmes de sa perfide belle-mère, à cette vie de coups reçus,

les

qu'il lui faudrait

qu'un père à Il

à

accablée,

où l'attendaient

elle,

une

vieille

Depuis quand se

?

courbée par l'âge et pauvrement vêtue; ses che-

tenait- elle là? Elle était toute

veux couleur de lune illuminaient un beau visage sillonné de rides. Ses regards demeuraient fixés sur Anémone, empreints d'une douceur et d'une pitié infinies. L'enfant tendit les bras vers

elle.

— Tu as donc bien du chagrin, ma douce La voix



Oh

madame

Tout de suite

laissa parler

elle

elle

son cœur

la

elle

;

vieille petite

lui prit la

dit ses

l'inconnue. Et elle s'y trouvait

aucun

si

femme

main, puis,

front; enfin, lorsque l'enfant acheva

calculée, ne négligeant

parfumée. misères simplement,

sans haine, sans cris de vengeance.

de tant d'infortune

auprès d'Anémone,

?

!

telles qu'elle les soutirait,

Touchée

comme

jeune, fraîche,

était

oui,

enfant

si

bien, qu'elle parlait

menu

fait, afin

la

mort de sa mère,

pitoyable, l'écoutait,

la

la

première

fois

qu'un être humain

Songez que lui

c'était,

montrait visage

consolait, la choyait.

Elle se faisait toute petite, fermait les

yeux,

dérobée pour s'assurer qu'elle ne dormait pas elle à

les

d'allonger son histoire et de

se laisser plus longtemps bercer, caresser les joues, embrasser.

depuis

au genoux de avec une lenteur

l'attirant contre elle, la baisa

récit, elle reposait sur

son

bien,

détail ni

à la voix pure s'était assise

:

croyait rêver, «

se pinçait à

la

Quelle chose étrange, pensait*

part soi, cette brave petite vieille qui devrait être sèche

comme

sarment,

CONTES MAUVES DE MA MERE-GRAND.

18

comme pomme

ratatinée et ridée et les Il

mains d'une douceur de

de dire qu'elle n'avait pas trop osé

est juste

yeux

les

un giron moelleux comme un nid

a

blette,

satin. »

Elle les leva

la petite vieille était

regarder jusqu'ici, car

une enfant modesle

baissés, ainsi qu'il sied à

tout à

la

et timide...

hardiment, et poussa un long

coup,

elle tenait

cri

d'admiration

devenue une grande jeune femme souple comme un

dont

et

lis

:

le visage était un pur ravissement.

— Vous

sûrement une

êtes

fée,

madame,

Anémone presque

dit

sans oser bouger, saisie de se trouver ainsi sur

les

voix basse,

à

genoux d'une

puissante

si

personne.



mon

Oui,

veux

enfant, et je

quelque chose pour

faire

toi,

car tu es vrai-

ment trop malheureuse. D'abord je veux punir ton odieuse marâtre,

je

veux

qu'elle...

— Oh, Madame,

nom de

en supplie au

Anémone avec vivacité, ne faites pas bonté. Ne me vengez pas. Je ne veux pas

interrompit votre

Abandonnez-moi plutôt à ma misère, mais père l'aime tant,

ne voit

et

sité

me

es la meilleure des

Par

filles,

vivent dans

mignonne, de

paix,

est tes

Anémone.

quand l'innocence ne

suffit

la

les

donne,

il

la

généro-

pas, :

pour

il

le

faut lutter

pour

les siens

homme ;

et

et fermer

mal. Mais je veux te récompenser,

toi ?

rendiez

perfide moitié,

d'être brave

vois-tu,

ma

mon

Parle,

la vie

à

mon

enfant,

demande.

chat Gris-Gris, et qu'il

avant.

enfant, cela m'est impossible. La vie, vois-tu, est affaire à Dieu,

reprend à sa fantaisie

morts, pas plus

les bêtes

— Mon Dieu, Madame, moi?

faire

madame, que vous

comme

qui

que ces deux méchants

Il

Je voudrais,

lui

par leur faute. Ton père,

par son aveugle faiblesse envers sa

— Hélas, mon

il

n'est pas juste

il

également,

pourrais-je

coup,

filiale, ta

tourments.

Anémone. Que Que veux-tu? fût leste et vif

même

Relève-toi. Ta pitié

souffre

yeux, se taire est souvent encourager



frapper du

consens à ne pas châtier cette affreuse

toi, je

d'aimer son repos pour faire un bon père les

être vengée.

méchante en repos, mon

madame, épargnez-le.

pitié,

bien à contre-cœur, car

c'est la

le

vous

la fée.

touchent. Pour l'amour de

femme; mais

cause

La punir serait

!

elle.

aux genoux de

Elle s'était jetée

— Tu

vous saviez

si

n'entend que par

laissez cette

cela, je

Je n'avais qu'un ami,

que

les

;

je

gens.

ne suis qu'une fée

Forme un autre

et

ne puis ressusciter

souhait.

que voulez-vous que souhaite une pauvre il

est

mort, vous ne pouvez

me

le

rendre;

il

comme ne me reste

fille

plus qu'à rentrer au logis en vous remerciant de votre grande bonté. Permettez-

ffl

ELLE APERÇUT UNE VIEILLE PETITE FEMME.

CONTES MAUVES DE MA MERE GRAND.

20

moi seulement de venir à vous quand j'aurai trop de chagrin;

madame la Fée. Anémone se reprit

— Ne

je suis

seule,

à pleurer.

pleure pas, chère petite.

pas de te donner un compagnon

Tu

es seule, dis-tu. F'ourquoi ne

la

je suis

es

me demandes-tu

?

— Hélas, madame Fée, qui voudrait de moi? — Tu un cœur de bonté d'amour, Anémone, et

et te

si

peu de chose...

donner un compagnon qui

t'égale en mérite n'est pas chose facile. Pourtant je sais

quelqu'un non loin

je crois digne toi. Sa vie est plus pénible encore

la

ami

si

que

d'ici

que

Le veux-tu pour

tienne.

?

— De —

tout

mon cœur, madame.

Soit donc,

Anémone,

S'il est

malheureux,

je l'aime déjà.

sera bientôt fait selon ton désir. Écoute maintenant, bien ce que je vais te dire. Tu es loin d'en avoir uni avec la souffrance, tu vas ta route droit et sans faiblir, tu trouveras le bonheur au bout. il

et retiens

mais

si

Comme

tu auras bien des épreuves, je

dans ta poche chat...

Tu

;

tu

y avais serré

veux

le caillou

te faire

un présent qui

blanc, trouvé en creusant

t'aidera. Fouille la

tombe de ton

l'as?..

— Oui, madame.

— Donne-le moi. Elle le prit, elle

l'éleva sur ses

prononça à voix lente

deux mains ouvertes

et, se

«

Elle rendit à l'enfant

le soleil,

Caillou plat, deviens sphère; Caillou blanc, sois jade vert.

comme un pétale de

tournant vers

:

une boule de jade

polie

»

comme un

cristal,

douce au toucher

lis.



Prends cette boule, Anémone, elle est fée. Suis-la partout où il lui plaira conduire, elle te guidera vers ton bonheur. Mais, apprends comment te servir de ce talisman : dépose cette boule devant toi sur le sol, puis tourne trois fois en répétant: de

te

« Jade vert, jade luisant, Tourne, vire, tourne, Jade vert, jade luisant,

Guide-moi, roule devant. tu

la

verras virer sur elle-même, vite,

aura achevé son troisième tour,

1

1

I

»

comme pour prendre son

elle se

élan, et, lorsqu'elle

mettra à rouler dans une direction qui sera

LA FILLE AUX LOUPS. celle

de ton bonheur. Suis-la hardiment. Où

gentille

arrèle-toi...

s'arrêtera,

elle

I

Adieu,

Anémone

Elle étendit la

yeux, éblouie

main vers

Quand

la fillette

qui,

elle les rouvrit, la

tout éclaboussée de lumière,

bonne

fée avait disparu.

tout autour d'elle, appela, cria aux quatre coins de

merci,

2

madame la

Fée!

»

Personne ne répondit.

la forêt

:

«

ferma

les

Elle regarda

De tout mon cœur,

LI

e n'ai

de

pas rêvé pourtant, se dit

la

main

Elle la

au

soleil,

Anémone, puisque j'ai

Boule de Jade qui est

la

sauter dans sa main et

finit

— Que

comme

les petites filles

vous êtes

couleur s'entend

et se

la

dans

le

creux

;

elle la

fit

miroiter

caresser doucement, trou-

perfection de cette pierre. Elle

parlent à leur poupée

:

chère Boule de Jade! Que j'aime vous regarder! Votre

jolie,

bien avec

si

jouent, serpentent,

par

la



»

contempla, admira sa couleur, son poli

vant plaisir à passer ses doigts sur lui parlait

fée...

le soleil,

mêlent

le

votre transparence laiteuse dans laquelle se

vert, le jaune et le bleu. Et qui penserait

que

dans votre mignonne personne se cache tant de science, vous qui êtes à peine aussi grosse qu'un Vite,

œuf?

Alors, vraiment, vous êtes

si

savante, chère Boule mystérieuse?

essayons votre vertu.

Elle déposa la Boule sur la

mousse, retira ses sabots pour être plus

leste,

mit à décrire un cercle, puis deux, puis trois. Elle chantait en courant «

Jade

vert,

et

se

:

jade luisant,

Tourne, vire, tourne,

Jade vert, jade luisant, Guide-moi, roule devant.

Au premier

tour,

Anémone

sur lui-même; lorsque

du

cercle

La

que

les pieds

fillette était

A

qui ne quittait pas le Jade des yeux, l'avait vu virer

troisième tour fut achevé,

il

bondit, alla tomber en dehors

de l'enfant avaient tracé, puis se mit à rouler tout

seul.

émerveillée.

La Boule roulait coups.

le

»

à fort raisonnable allure,

délibérément, sans hésitation ni à-

trois pas derrière, la fillette suivait, angoissée

:

LA FILLE AUX LOUPS. «

Mon beau

pas

mon

Jade! oh,

Dieu, pourvu que je ne

23

perde

te

que deviendrais-je? pen-

..

sait-elle.

Au

bout d'un instant,

rassura

évitait ronces, halliers,

nait les souches,

ne

tiers. Elle

sur

le

sol

peine,

se

contour-

les cailloux,

de préférence

suivait

elle se

magique

pierre

la

:

les

ren-

laissait nulle trace

qu'elle

effleurait

avec

déplaçant

à la

légèreté d'une bulle de savon. Elles traversèrent libre,

un espace

de jacinthes,

fleuri

primevères, d'anémones,

on

au printemps,

était

les pieds

île

— car



que

de l'enfant bon gré

mal gré écrasèrent au passage;

la

Boule

aucune.

Après avoir

bonne heure, à une clairière dressait, haut

lequel

la

s'arrêta.

Bou

Après

avoirtournoyé sur elle-même, elle

s'élança

contre

Jui,

le

heurta,

retomba sur

la

mousse

aux.

pieds de

la

fillette.

CONTES MAUVES DE MA MERE-GRAND.

24

Et celle-ci vit une chose admirable

craquement, sans un bruit; roi.

lui tendit les

Il

Bonjour, Anémone.

La

fillette,

L'émotion d'ailleurs

si

elle

chêne s'ouvrit avec lenteur, sans un de

fils

:

bouche bée, écarquillait

ne savait trop

le

:

un jeune garçon apparut, vêtu comme un

mains en souriant



fois, elle

et

yeux

les

tout grands. Ravie et apeurée à

la

devait rester ou s'enfuir.

coupait bras et jambes, sans quoi, je crois bien qu'elle

lui

aurait pris celles-ci à son cou.

— Bonjour, Anémone,

je te fais

L'arbre avait disparu

il

comme Il

le

;

donc peur

?

n'y avait plus là qu'un jeune prince qui s'avançait, beau

jour. La pauvrette clouée sur place tremblait ainsi

bras autour du cou,

lui jeta les

la

baisa sur les

deux joues

que

feuille

au vent.

:

— Bonjour, Anémone, tu ne veux donc pas de moi pour ami d'un rêve. brusquement comme Ce — Oh, que messire, de grand cœur... mais vous voulez ?

si elle

fut

sortait

plaisanter, sans

et

si,

doute? Elle se dégagea, rougissante, et ajouta

:

— Vous ne craignez donc pas de gâter

pauvre

ma me

de

fille

dépeignée. Et je

mon

se soucie de oint I



comme

je suis faite

pour qu'un

sais trop bas placée

:

en haillons, pieds nus,

haut et

si

amitié. Les gens de votre condition et

si

ceux de

puissant seigneur la

mienne ne sont

mis au monde pour aller ensemble. Petite

de haillons,

comme mon amie,

Anémone, il

l'eau

amitié

sorte? Voyez

vos belles dentelles en embrassant une

n'est

du

pour

ciel

ne plaisante point. Le coeur ne s'habille

je

lui

vêtement que pureté,

Donne-moi

la

ni

de joyaux ni

et ton coeur, je le

sais, est

main, veux-tu?... regarde-moi.

je t'en supplie. Je te dois plus

que

la vie.

Parle, tu

.

là...

pur sois

veux bien de mon

?

Anémone répondit gravement

— Encore une

fois, oui,

:

messire, puisque vous ne vous

fée m'avait bien dit qu'elle

me

moquez

point.

donnerait un ami, mais je l'attendais

La bonne

fait

comme

moi, pauvre, dépenaillé. Je l'aurais aimé sous ses loques ni plus ni moins que vous

dans vos beaux atours. Mais voici que ce compagnon est un noble seigneur, un...

— Un de — Un de — Calme-toi, fils

fils

toire;

roi,

Anémone.

roi,

mon doux

Jésus!...

cesse de t'étonner, petite

mais auparavant, permets que

tant de mois je suis arbre

Anémone.

je bâille et

quejemesens

me

Je

veux

te conter

mon

his-

détire tout à loisir... Depuis

tout raide, vois-tu... Ouf!

que

cela fait de

LA FILLE AUX LOUPS.

25

bien de se dégourdir bras et jambes et de pouvoir gesticuler tout son saoul!... Lh...

encore un pas de course, deux, ou trois bonds, quelques courbettes et mes reins

auront repris leur souplesse

Quand



il

eut

!...

de se démener,

fini

il

revint vers

donne-moi

Et, maintenant, lui dit-il,

sautons, chantons! Veux-tu? Regarde jolies!

Ecoute

resté

longtemps privé de tout cela!

Il

un

si

entraîna la

fillette

danser et

air à

par

faisait

:

la clairière

:

Tra,

«

sourd

la, la...

des pas savants, cérémonieux

et les fleurs sont si

soleil

que parfums! Je

n'est

l'air

j'étais aveugle,

dansons un peu, rions,

et

grand

fait

oiseaux chantent! Respire

les

:

mains

les

il

:

la fillette.

;

j'étouffais

la... la...! »

comme

gracieuse, elle l'imitait, forçant ses pieds à la cad< nce

:

à

un

suis

..

chantonnait

Il

bal de la cour;

elle était ravissante

de

gaucherie. finirent

Ils

par une révérence.

des mines, puis, tout soudain,

se regardèrent

Ils ils

un

instant sans rire, en se faisant

perdirent ensemble leur sérieux et partirent en

gambadant. jouèrent à se poursuivre,

Ils

se lancèrent des fleurs,

firent

deux

parties

de

cache-cache, trois de chat perché, et enfin, hors d'haleine, se retrouvèrent assis côte à côte sur la mousse.



Maintenant que nous nous sommes bien amusés,

comme «

je te

l'ai

promis,

hommes sujets

aussi

conter

nombreux que

dont sa sagesse assure

vécu heureux,

s'il

avait

grand nom. En vain nait-elle

mon

demeurait

eu un

:

que peuplent des

cette forêt.

Vénéré de ses

bonheur, tendrement aimé de son épouse,

fils

auquel

fatiguait-il le Ciel

saintes

Écoute donc

et fertiles contrées

aux arbres de

les feuilles

le

jeune prince, je vais,

il

pût laisser derrière

lui l'héritage

de ses prières, en vain

aurait

il

de son

reine entrepre-

la

deux époux prodiguaient-ils l'or aumônes aux pauvres leur union

les

œuvres, leurs

:

stérile.

Un matin que

de méditer dans

le

Roi se promenait à travers son jardin privé où

la solitude sur les affaires

à demi-nu, drapé dans un manteau. jais,

histoire.

de lointains pèlerinages, en vain

de leurs coffres aux

«

te

Le Roi mon père règne sur de vastes

dit le

Il

de

l'Etat,

il

vit

venir à

avait le visage bronzé,

il

lui

a

un

coutume

homme

une barbe de

des yeux flamboyants.

Le

en l'apercevant, s'arrêta, frappé de stupeur. Sache, en effet, petite Anémone, que le Jardin privé » est clos de hautes murailles, gardé tous les «

roi,

ce

cent pas par les plus farouches archers, et que la

s'attendre à tout,

loi

punit de

Tu penses bien que dans ces circonstances sauf à y rencontrer un homme.

tente d'y pénétrer.

le

mort quiconque

monarque pouvait 4

CONTES MAUVES DE MA MÈRE-GRAND.

26

— « le

Qui es-tu? demanda-t-il d'une

voix, vibrante

mon

L'autre, sans se prosterner devant

bras et prononça,



Roi, tes

vœux

bouche véhémente

seront exaucés

la joie

dixième année;

chevauchera

il

il

je

tes

le

jour à un

genoux,

immense

mon

unique,

orgueil,

mon

si

tu

Un

ravissement.

capitale avec d'autres enfants de son âge,

me

garde. Roi, je

veillent sur ta

ceux qui tué

me

le

le

de

te

il

le tien...

ou

il

me

jour qu'il jouait par fut

l'enchanteur

livres. Je suis

un

laissant

rues de ta

les

écrasé par un cavalier de ta

du mal causé par

tenir responsable

personne et que tu paies de ton or.

mien, je prendrai

Fils

pour

mourra. L'heure venue,

tu as

fils!

choisiras.

tu

Adieu.

J'ai dit. « Il

suis juré alors

barbe

Moi seul pourrais

et stérile.

Tysrem. J'avais une épouse chérie qui mourut prématurément, fils

que

fils

tirera ta

frapperai de maladie lente vers sa

le

périra, et ta douleur sera

l'arracher à la mort; je ne le sauverai que

étendit

fier,

:

ton épouse donnera

:

que tout au monde; de tes ans. Mais

lu chériras plus

grise et fera

la

de colère.

père, demeurant sombre et

déploya son manteau, tapa du pied, et s'envola sous

la

forme d'une chauve-

souris gigantesque. «

Le Roi

a

II

sentit sur

son visage

le

vent glacé de ses ailes.

rentra bouleversé au palais, et prit soin de cacher à tous, surtout à

l'étrange apparition et les

Moins d'une année après cette prédiction, je vins au monde. Je penser les réjouissances qui furent ordonnées dans le royaume.

reine,

te laisse à

«

des présents de

la

graves paroles qu'elle avait prononcées.

provinces;

toutes les

les

églises

me

Il

s'enrichirent d'ex-voto,

vint et

le

la cire monta en quelques heures du simple au triple, tant on brûla de moi. Jamais enfant ne fut plus choyé. Mon père, voulant que je pour cierges fasse un prince accompli, choisit lui-même mes maîtres parmi les plus illustres.

prix,

de

On m'enseigna en

est

toutes les choses qu'un mortel de

longue, Anémone,

il

y en a de peu

que de danser, monter à cheval,

faire

mon

rang doit savoir;

réjouissantes, va.

S'il

ne

des armes, chasser! Mais on

la

s'était

me

liste

agi

tenait de

mortelles heures assidu sur des livres très gros, très ennuyeux.. Je t'assure que c'est fort pénible d'apprendre le métier de roi. Enfin, je m'appliquais de mon

mieux; lais

je

me

montrais docile, studieux, mais j'avoue que bien souvent je bâil-

sous cape. Mes leçons préférées étaient celles que je recevais de

lorsqu'il

peuples

me :

prenait sur ses genoux, pour

me

parler de

mon

père,

mes devoirs envers mes

de justice, de bonté, de clémence, de générosité.

En

l'écoutant, je

caressais sa barbe grise qu'il avait très longue et soyeuse... »

Le jeune prince dut s'interrompre, oppressé. L'émotion

le tenait

à

la

gorge,

LA FILLE AUX LOUPS.

27

il versait des larmes. Pour se consoler, il contempla le fin visage de sa nouvelle amie; ses beaux grands yeux lui souriaient. Ayant raffermi sa voix, il poursuivit :

Je ne te parlerai pas de

«

ma

courage; je ne puis penser à aimais

la

me

mère, petite Anémone, car cela sans

elle

me

Je l'aime autant que tu

désespérer.

mon

tienne^ n'est-ce pas tout te dire? Revenons à

En

l'enchanteur et ses paroles? je ne sais.

ravirait tout

père. Avait-il oublié

tout cas, s'd y songeait parfois,

il

devait croire à quelque vision, née de sa tête fatiguée par les lourds soucis de l'Etat.

Nous vivions heureux,

«

J'allais

ma

sur

unis,

dixième année,

calmes...

pourtant,

et

lorsque je

le

malheur

brusquement

fus

veillait.

d'un

saisi

mal

étrange qui dérouta tous les médecins du royaume.

Malgré leurs drogues

«

et leurs soins, je m'affaiblissais

frais pas, je sentais la vie se retirer

de moi. Les docteurs

chaque jour. Je ne soufplus fameux,

les

mandés

de l'étranger, déclarèrent n'y rien comprendre.

Pour obtenir du

a

ques

mon

:

maladie par recherche à

les

état

Ciel

ne

et

hanté depuis

père,

de tambour, jusque dans

sommes énormes

s'il

se présentait. Peine

«

Entre temps

«

Un

perdue

devenu

certain soir, les

même

fit

le

:

le

ma

envoya à sa

Il

le

plus infime.

royaume

Il

offrait

lui-même

à

magicien demeura introuvable.

faible

si

début de

le

publier partout son signalement

hameau

à qui le lui amènerait, la moitié de son

j'étais

ne passerais pas Or, ce

Mon

s'améliora pas.

des processions, des prières publi-

fit

plus fins limiers de sa police et

son de trompe

a

guérison, on

prédiction de l'enchanteur, était fou de douleur.

la

des

je

ma

que

que

je n'avais plus

médecins se retirèrent en hochant

souffle.

le

la tête.

Selon eux,

la nuit.

soir,

comme mon

père,

débouta

sa fenêtre ouverte, contemplait,

perdu de chagrin, sa capitale endormie sur laquelle son fils ne régnerait jamais, voici qu'un hibou entra dans l'appartement. Il se posa sur le tapis, secoua ses plumes, s'allongea, prit la forme d'un homme et dit :

— «

Me

Te souviens-tu de moi

voici.

Le roi reconnut l'enchanteur;

il

?

tomba sur

les

genoux, leva vers

lui

des mains

suppliantes.



Il

est, je

crois,

qu'une lueur de vie,

grand temp> que et si

faible

pourrait l'éteindre. Décide-toi donc. point

peut le

j'arrive, poursuivit-il.

qu'en étendant

Tu peux

le

bras

sauver ou

me fléchir eu m 'offrant de l'or, tes biens, me donner mieux et plus que cela. Ce que je

temps presse.

le

ta

Ton fils n'a plus que je déplace

l'air le

perdre. N'espère

couronne même;

veux,

c'est ton

fils.

mon

art

Hâte-toi,

CONTES MAUVES DE MA MERE-GRAND.

28

«

pas,

L'enchanteur croisa

— «

il

les

bras et attendit.

ajouta d'une voix implacable

Roi, dans quelques minutes

A

il

Comme

l'appartement



j'agonisais,

gens de cour, m'arracha des bras de

trempant

mon

visage de ses larmes.

prostré ne lui répondait

sera trop tard.

ces mots, rappelé à la tragique réalité,

précipita vers

le roi

:

Il

mon

père se releva d'un bond.

bousculant gardes,

11

se

domestiques,

ma mère et m'emporta serré contre lui, comme la tempête, sa longue barbe

courait

grise voltigeant au-dessus de ses épaules. «

11

entra dans la chambre,

me

était temps mon ra\isseur; de ma dixième année.

remit à

sonnait qui marquait l'accomplissement

il

:

l'heure

LA FILLE AUX LOUPS.

f

'is

*

29

Tombé

sur les genoux, sans pouvoir

prononcer une parole, rait le

mon

père implo-

^'""tAU-^O.

magicien des yeux, des mains, de toute sa pose

_

de pitoyable suppliant.



Roi, dit celui-ci, cet enfant vivra.

Ne

crains point pour ses jours.

Il

ne

sera touché à nul cheveu de sa tète. Je vais l'emmener loin d'ici pour le dérober

aux yeux des hommes, fils

et l'instruirai

dans

et, le

mon

temps venu,

art, afin d'en

je le considérerai faire

un grand

et

comme mon

propre

puissant enchanteur.

CONTES MAUVES DE MA MÈRE-GRAND.

3o

Mais ce temps ne commencera que du jour où année. Jusqu'à cette date, il

il

pourra être délivré. Mais Et

«

il

faudra

que son cœur

:

que

ait la

le

prince aura achevé ta vingtième

ne m'appartient pas entièrement. Jusqu'à cette dat°, ne pourra

il

cette jeun^

l'être

fille s-oit

que par l'amour d'une jeune

pauvre

fille.

obscure;

et

pureté de l'eau qui tombe du Ciel;

qu'elle po>sède le talisman qui la guidera vers ton

fils;

que par amour, elle s'offre pour le racheter aux pires souffrances; qu'elle voue librement ses yeux aux larmes, son esprit au chagrin, son corps à douleur;

la

qu'enfin elle ne se rebute ni devant les ans qui passent ni les obstacles qui

demeurent. de par

« Et, si

le

monde, ô Roi,

existe

il

une mortelle qui, remplissant ces

conditions, subisse sans faiblir ces épreuves, alors, par elle et par elle seule, ton

sera délivré. Tel est son de- tin!

fils

«

Sache en outre,

ferai si

que tu ne t'abandonnes pas

afin

mystérieuse sa retraite

épreuves à subir pour

les

qu'elle échappera à

le ravir à

Ayant

dit,

il

moi par

s'envola avec

de

fols

son enchantement sont

estime au-dessus des forces humaines. Adieu! i

à

malice des

la

espo

que

rs,

hommes;

et

que

telles

je

que

je les

»

la fenêtre.

Tu imagines mon effroi, petite Anémone, car j'avais, pour mon infortune, recouvré au contact du magicien force et santé. Je fus l'impuissant témoin du dé«

sespoir de

mon

longs cris

déchirants... Nous passâmes au-dessus des jardins royaux,

père. C'est en vain que je lui tendais les bras;

de

disparaître notre capitale qui,

jonchée de poudre d'or sur

le

je l'appelais à et je vis

avec ses mille lumières, semblait une

loin,

velours sombre de la terre. Puis, je ne distinguai

plus rien, nous étions entrés dans les nuages, et loppait. Le magicien volait à

que

la

nuit

du

ciel infini

nous enve-

me

larges coups d'ailes dont la cadence

berçait;

je m'endormis. oc

Quand

je m'éveillai,

il

faisait

grand jour.

L'enchanteur,

debout devant moi, paraissait

je l'aperçus, je

ne pus retenir un geste d'épouvante



Ne

me dit-il, comme mon

crains rien, enfant,

au contraire

te considérer

nous autres, fées et magiciens, de de bienvenue, «

Et



il

Ce

me

tiens,

prends ceci

tendit

le

sifflet,

sifflet

poursuivit-il,

il

ne

fils

faire

à

dans cette

J'étais

veiller sur

que

voici.

mon sommeil. Lorsque

:

te sera point

chéri.

forêt

fait

de mal. Je

veux

Et, puisqu'il est d'usage chez

ceux que nous adoptons un présent

:

d'opale que tu vois suspendu à

donne

à

qui

le

mon

cou.

possède deux compagnons

fidèles.

LA FILLE AUX LOUPS. Il

de

sutlit

siffler,

aussitôt

ils

«

fit

Il

avec

les

comme j'ai

accourent. Mais,

que tu n'auras pas vingt ans sonnés,

tant

3i lieu

de

je frappe ce talisman

mains des gestes mystérieux

et

me

méfier de

toi,

de mutisme...

prononça d'une voix lente

:

Pierre tu fus, pierre redeviens,

«

Muette

est la pierre,

muet

tu seras,

Son, fixe-toi, plus ne bouge, Sifflet,



ne

Muet

gnifique.

de

la

il

jeune

est, et fille

comme

cristal

muet

celle-là je

tes

n'est plus

il

comme

du

l'eau

ne puis rien

d'ici et

Tu

n'en tires

qu'un joyau ma-

bouches mortelles hormis qui doit

Ciel

plus fort de

et le

contre sa pureté. Pour ce qui est de

en arbre, afin que tu ne bouges

de

rompu;

est

restera pour toutes

il

au cœur pur

forme humaine, car sur brise

pas. »

Maintenant, tu peux essayer. Porte-le à tes lèvres. Souffle!

aucun son, n'est-ce pas? Son charme celle

siffle

toi, je

que, dans ce coin de

te

rendre ta

mes

arts

se

vais te changer

forêt,

parmi tant

semblables tu ne puisses être reconnu ni retrouvé. Si cependant celle qui

peut venir à

vient et te rend ta forme humaine, sache que je te

toi,

homme que deux

à n'être

heures par jour.

condamne

Ce temps passé tu redeviendras

arbre. «

II

leva

main

la

et je

me

sentis fixé

arrachée à un chêne voisin, en disant «

au

sol.

Homme-roi,

ma

me

toucha avec une branche

:

sois arbre-roi,

Prince, deviens chêne!

me

Il

»

mes pieds plongèrent mes bras se ramifiairnt à l'entour de mon corps devenu tronc; je n'avais plus d'yeux ni d'oreilles, une sorte de mort tomba sur moi, et je fus le chêne que tu as vu, Anémone. Je le serais encore, si tu ne m'avais délivré, car c'est toi la jeune fille au cœur pur comme l'eau, c'est toi... Mais, Dieu tout-puissant, que m'arri\e-t-il ?... Je prends Et je

«

dans

le sol

sentis m'allonger;



ils

tête

piqua vers

le

ciel,

s'échevelèrent en racines, tandis que

racine... je deviens bois... je... » Il

arrivait

achevé,

simplem nt que

et qu'il fallait

que

le

le délai

Cette transformation eut lieu en

fermer un œil.

en

effet

pour

Anémone ne

elle si fertile

de deux heures fixé par

le

magicien

était

jeune prince redevint chêne.

moins de U mps

s'en inquiéta

qu'il

ne vous en faut pour

pas autrement.

en merveilleux qu'elle n'en

La journée avait été

était plus à

s'épouvanter

CONTES MAUVES DE MA MERE-GRAND.

32

de voir un l'avait-il

homme

se

;

d'ailleurs,

le

jeune

prince ne

pas prévenue?

du chêne et, baisant sa rude écorce Adieu, gentil compagnon, dit-elle; adieu, charmant prince; adieu, cher

Elle s'approcha



métamorphoser en arbre

:

arbre-roi, à demain.

OJL.

IV

némone reprit

chemin de

le

la

maison. Elle marchait,

avivés, l'âme en liesse, pensant,

qu'à

la jolie

Boule de Jade. Ce

lèvres, qu'elle

la

jeune

fille,

fut

franchit le seuil de

La mégère n'en croyait au-devant de

ma

et, les

ni ses

poings sur

pimpante, chanson

yeux

et rire

aux

chaumière.

la

yeux

les

les

plus à son beau prince

foi,

ni ses oreilles. Elle se jeta

hanches,

la

bouche mauvaise,

invectiva



D'où viens-tu, traînarde? Comment, petite malheureuse, tu as l'audace de alors que je me ronge le sang ici, à t'attendre depuis plus de trois mortelles heures...

rmtrer en chantant,

main pour

Elle allongeait déjà la c'était le

bûcheron qui

rentrait.

lorsqu'un pas retentit sur

la gifler,

Force fut à

méchante femme

la

le seuil

de

:

dévorer

sa colère.

Le lendemain,

sa grosse besogne achevée,

cheveux

visage, lissa ses

tournait fixaient

le

au

un regard

dos, elle jeta

mur

:

elle

noirs, mit

eut

le

du

Anémone

se lava les

linge blanc. Pendant

que

mains

et

le

sa belle-mère

sur l'éclat de miroir que deux clous temps d'apercevoir deux grands yeux profonds, des furtif

joues fraîches, une bouche rose framboise tt une

de repousser sous son bonnet. Ensuite elh

mèche

rebelle qu'elle se dépêcha

alla s'asseoir à

son rouet pour

filer

sa

quenouillée habituelle. Et ce jour-là, je vous affirme qu'elle ne leva pas le nez pour regarder voler les mouches. Ses doigts tordaient la laine vite, vite, son pied se hâtait, la roue ronflait, à croire

naient de concert par Et,

comme

la

que dix

Gris- Gris

revenus sur terre ronron-

chambre.

sa belle-mère

venait de

la

laisser

seule

une minute, vlan! 5

elle

CONTES MAUVES DE MA MÈRE-GRAND.

34

planta

au grand galop s'élança dans

beau chêne.

Elle

— — — —



mon cher ma chère

Bonjour,

hop!

la clairière; et

qu'il était

contre

soudain

l'écorce;



prince Généreux s'avança

ai-je

de tradition dans sa royale famille

com-

s'embrassèrent, se firent mille gentillesses et

Ils

prince. fleurette.

Vous

n'êtes pas trop engourdi

Non

point. Mais

vous regarder à jupe de drap

?

que vous voici

me

Dieu

loisir.

fraîche, et pimpante, et jolie! Laissrz-moi

pardonne, vous avez votre bonnet des dimanches,

sabots de fête. Pourquoi et pour qui ces beaux atours?

fin et

mon

Pour qui? Pour vous,

je venais

compagnon. Pourquoi?

gentil

Parce

que

vous voir, oui-dà.

heureux de se trouver l'un près de

se contemplaient,

Ils

heurta

la

le

:

dans

:

Bonjour,



nom

Généreux,

elle fut

ne fut pas longue à parvenir à son

de Jade,

forme humaine

l'arbre tressaillit et prit

de donner aux aînés?

la forêt. Elle

Boule

la

tira

dit qu'il s'appelait

pliments

en deux bonds

laine et fuseau; ouste!



de se

l'autre et

le

dire.



Comme

nous sommes peu raisonnables, tout de même,

voici plus d'un

mon

tantôt redevenir arbre, sérieux... Voyons,

si

cher Généreux,

j'essayais le

pendu à votre cou, au bout de à

mes

lèvres.

dit que, seule, la

un maître

premier baiser échangé. Mais

Anémone,

— —

et je rêvais à

siffla

étrange que

les feuilles

grande

jeune

fille

envi.'

de

le

porter

j'essaie?

de ne pas vous l'avoir proposé dès

perdu dans

la

de

qui vous rendrait

un son? Voulez-vous que

sot

dit ni fait

tout chatoyant,

nuit de vos yeux,

ma

le

chère

jolies choses...

Un

timidement. vie

la

de

la

appel

forêt

retentit,

aigu,

formidable,

puissant,

sembla un instant suspendue pour écouter;

en tremblaient. Et voici qu'un bruit de course éperdue parvint à leurs

un sifflement de tempête. eu le temps de s'en épouvanter que deux animaux débouchèdans la clairière. C'était deux loups, un noir, un blanc, deux

d'abord, confus,

peine avaient-ils

rent ventre à terre loups

si

là,

Allez!

oreilles. Lointain

A

de

j'étais

vois

le

allez

Alors, je siffle?

Elle si

soudain Anémone,

nous n'aurons rien

sa chaîne de perles, et j'ai

Ne m'avez-vous pas

Certes oui, et je suis

et

d'opale? je

sifflet

votre forme humaine pourrait tirer de lui



fit

bon quart d'heure que nous perdons à nous sourire! Vous

jumeaux sans doute,

Terrifiée, la

jeune

fille

il

se rapprochait en

car, au poil près, l'un était l'image exacte

de

l'autre.

se serra contre le prince; celui-ci tira sonépée...

LA FILLE AUX LOUPS.

Mais

loups, avec de bons

les

yeux

35

w***.

ot

battant de la queu3, s'approchaient et léchaient les pieds

Comme

un peu rassurée,

elle les regardait,

Et voici qu'à sa stupéfaction profonde,

elle



des

parlent,

Ils

Vous entendez

— —

ils

ce qu'ils

n'entends

Je

parlent

me

que

comme

disent

des

ils

d'Anémone.

se mirent à hurler

doucement.

comprit ce qu'ils hurlaient créatures humaines,

:

s'écria-t-elle.

?

hurlements

semblables

à

ceux

que poussent

leurs pareils.

la

Il

faut

donc que

je

possède de par ce

sifflet la

de

faculté

comprendre

langue des loups, car écoutez, cher prince, voici ce que l'un d'eux «

Jeune

fille

nous sommes tes esclaves, car

j'opale, notre maître, lequel et sait tirer

de

lui

tu tiens entre

nous commande d'aimer

et

me

hurle

tes doigts le

de servir qui

un son. Nous nous réjouissons d'appartenir

à

le

:

sifflet

possède

une aussi

jolie

CONTES MAUVES DE MA MERE-GRAND.

36

une mùchoire de diamant,

maîtresse. Je m'appelle Le Noir; je possède l'acier

comme

yeux sont de

rubis,

fines et défions

le

ils

le

disparaîtrons

quand

frère;

nomme

se

il

deux

course; notre échine peut porter un

la

A

cheval son cavalier. tu diras

Au

«

:

ton coup de

loin!

»

sifflet

que ce don vous

faut

discours je ne comprends mot

vous avoue que,

sants. Je

tranquille.

En

qu'ils

se réjouirent de cette

animaux

talisman

le

»

n'entends qu'aboiements rauques et fort déplai-

je

dans

ne

secret, je

le

donne

pourront quelque jour vous être

bonne fortune,

me

sentirais guère

ces

deux hardis

fort utiles.

ample connaissance avec

firent

les

ne se lassaient point de caresser; ceux-ci, jaloux de montrer

qu'ils

leurs talents,

plus

commande, ce sont deux chiens

l'occasion présente, je bénis le Ciel qui vous

compagnons. J'imagine Ils

:

pattes

personnel, chère fleurette, car, à tous leurs

soit

je n'étais pas

si

les

nous apparaîtrons. Nous

dociles; maîtresse, nous t'aimons; maîtresse, nous t'obéissons. Il

ses

et

homme

en posant sur ton front

notre maître. Dispose de tes loups, maîtresse,



brise

elle

Le Blanc

trouent les ténèbres. Nous avons tous

vent à

aisément que

mon

Et celui-ci est

paille.

faisaient

mille tours de souplesse.

Et

temps passa

le

même

Généreux se retrouva métamorphosé en chêne, avant

vite

si

que

d'y avoir pensé.

Demeurée seule, Anémone posa le sifflet sur son front et dit « Au loin! » Les deux loups détalèrent. Elle rentra bien vite et alla s'asseoira son rouet pour achever de filer sa laine. Sa belle-mère, soit calcul, soit retenue, ne lui fit aucune :

observation. Le jour s'acheva dans

Au

bout d'une quinzaine,

mone, ne

— —

ma

Ah

se tint plus ça,

ainsi

calme.

marâtre, qui voyait chaque après-midi sortir Ané-

de curiosité;

où vas-tu

Madame,

la

le

elle

lâcha

chaque jour,

c'est bien simple, je vais

mes

ma

me promener



au plus

tôt

me

hors de votre vue, dans l'avez tué,

il

faut bien

le cellier,

que

je

me

)'ai

deux yeux pour

La question

11

faut croire,

être aveugle

? Il

le

et

Sachant que vous débarlui,

pendant

jardin. Maintenant

Me prends-tu pour

y a quatre jours,

il

si

fit

simple

?

une pluie

fil

mouillé. Serait-il indiscret

elle

troubla

Anémone

qui, s'efforçant de payer

:

madame, que

je m'étais abritée sous

roche, à moins que ce ne soit dans quelque creux?

^w»„

:

fait ?

inattendue;

était

d'aplomb, répondit



la forêt.

ma besogne

bûcher,

le

épouvantable; pourtant tu es rentrée du bois sans un

de te demander ce que tu as

langue

distraie seule.

Ta-ra-ta-ta, chansons que cela, langue dorée!

Crois-tu que

dans

présence. Autrefois, quand j'avais un chat, je jouais avec

loisirs,

que vous

lui brûlait la

toi ?

société vous est insupportable, j'achève

rasse de

question qui

la



un arbre ou sous quelque vouliez-vous donc que je

LA fille AUX LOUPS. fusse ?

En

maison

la

pour

h madame,

vous semblez, sauf votre respect,

vérité,

plus proche est à trois lieues de nous, et qu'il faut

me

s'y rendre. Je

et, d'éclaircie

suis

les gouttes

montrée assez adroite pour passer entre

me

éclaircie, je suis rentrée sans

en

oublier que la deux bonnes heures

tremper, voilà tout. Rien

faire

de plus naturel, madame.

Anémone

baissait la

tète;

elle se sentait trahie

par

rouge de son

le

front, sa

voix hésitante, la pâleur de ses joues; c'était son premier mensonge. Elle n'eût jamais imaginé que mentir fût si difficile, ni si pénible le sentiment d'avoir démérité devant sa conscience. Mais que vouliez-vous qu'elle fît autre chose? Elle ne pouvait cependant pas lâcher

la

vérité

silence. Enfin elle leva les épaules et



Ne

La jeune

fille

mensonge par

le

Eh

montrer

En une brusque

malhabile. Pouah! j'en

sifflait le

mépris

:

tes maladroites excuses, apprentie

toute ta face décomposée.

sentiment qu'elle

et le

;

la méritait

révolte contre elle-même, elle cria

bien, oui, c'est vrai, j'ai essayé

si

regarda un instant en

la

d'une voix où

reçut l'insulte en plein visage

lui fut insupportable.



La méchante

m'en donner à garder avec

crois pas

coquine, tu sues

?

lui dit

de mentir

et je

bouche amère,

ai la

remercie Dieu de m'y

cœur empoisonné. Donc,

Vous ne l'apprendrez jamais; de moi

Où?

je l'avoue, j'étais à l'abri, c'est exact.

le

:

Oh, vous avez beau planter vos yeux dans mes yeux, je ne baisserai pas les miens. Sachez que là où je mène mon âme il ne se trouve point de boue pour la salir. Je n'ai d'autre parure qu'elle, et j'ai soin de la tenir blanche. tout au moins.



Que

vas-tu

me

parler

d'âme propre ou

sale,

à propos d'une chose que,

voici dix minutes, tu déclarais toute naturelle? Assez de

garde ton secret,

au besoin. Tout et vite!

Toute

insolence,

le

finit

toujours par se savoir.

conduite est louche

ta

ta gaieté,

ta coquetterie!

ce jour,

ment. Elle varia ses heures de s'il lui

en coûtait

prenait jamais la



chaumière,

attendant, écure-moi ce chaudron,

depuis quelque temps. Ces sorties, sur

J'ai l'œil

sortie, eut le

suite le

même

chemin. Elle

le

vent,

comme

vais-je aller aujourd'hui? » Puis elle partait et ferme.

et avait la satisfaction

-H-

Tâche de

courage de renoncer

indifférent, regardait le ciel, tournait

gauche, braquait son nez dans

où marchant sec

toi.

cette

droit!...

filer

Au

bout d'un temps

si

elle se



et

Dieu

sait

elle

ne

s'arrêtait sur le seuil

de

à quelques rendez-vous. Pour dépister

deux jours de l'air

En

grands mots, friponne,

l'apprendre; et je l'y aiderai

mieux que ça! Aurais-tu peur de fuser les bras, mijaurée? Anémone, se sentant surveillée, usa de ruse, et fort habile-

Allons, veux-tu frotter

A dater de

me

hasard se chargera bien de

la

la

mégère,

tête à droite, puis à

demandait

:

«

Voyons,

dans une direction quelconque,

elle faisait

brusquement demi-tour

de découvrir sa belle-mère qui, s'étant glissée derrière

CONTES MAUVES DE MA MERE-GRAND.

38

elle,

surprise par cette volte-face inopinée, demeurait plantée

comme une nigaude

au beau milieu du sentier.

Anémone



raillait

Bonjour,

:

madame. Eh

doute? Je serais ravie,

s'il

quoi, vous

me

suiviez? Vous allez où je vais, sans

vous plaisait que nous fassions route ensemble.

L'autre tournait les talons sans répondre. Elle rentrait, la rage au cœur.

Vingt

Dès

fois elle

espionna, vingt

fois ses

malices furent déjouées.

qu'elle était certaine de n'être plus surveillée,

En deux bonds

ils la

portaient à son cher prince.

Ils

Anémone

sifflait

ses loups.

s'embrassaient tendrement.

ILS

PARTAIENT

A

FOLLE ALLl'RE.

TT"!

--

CONTES MAUVES DE MA MERE-GRAND.

40

s'excusait d'être en retard et lui donnait pour la peine

Elle

Anémone

enfourchait

Blanc,

le

Généreux

piquant au plus épais du bois. Allongés sur

au vent,

fonçaient, laissant derrière

ils

bûcheron,

Noir, et

le

partaient à

plus.

folle allure,

cou de leur bêle, cheveux claquant

le

eux

ils

un baiser de

l'air

frémissant de leur passage. Le

chasseur qui par hasard apercevaient cette chevauchée fantastique,

le

se signaient, tout pâles et,

cœur poigne

le

jambes flageolantes. Les jeunes gens

demeuraient longtemps

d'effroi,

faisaient halte

devant une caverne

les

solitaire.

Une déchirure béante à travers un fouillis de ronces donnait accès dans cetle demeure souterraine; un long couloir sombre débouchait dans une salle qu'éclairait une invisible fissure ouverte sur le ciel. Ils entraient. Les yeux s'habituaient vite à cette sorte de crépuscule qui, adoucissant le heurt des lumières et des

bres, faisait plus intimes les choses et plus modelés les visages.

de roc,

minuscules corolles. Des ondes de parfums erraient, parfois lourdes à

entêter, le plus souvent légères,

égale régnait. Nul bruit c'était

pour

om-

étaient

de mousse. Des plantes étranges, jamais vues, géantes ou naines, la voûte leurs fleurs énormes, ou bien ouvraient à hauteur de che-

le sol

dardaient vers ville leurs

murs

les

les

yeux, l'âme,

corps,

le

presque

discrètes,

ne troublait

la

un

Une température

irréelles.

majesté de cette mystérieuse retraite; lieu

de repos délicieux.

Les deux jeunes gens prenaient place à l'endroit sur une sorte de banquette formée par un

le

plus éclairé;

relief puissant

s'asseyaient

ils

de mousse;

et là ils

devisaient de mille choses

Généreux

instruisait

Anémone.

Il

enseigna l'histoire du monde,

lui

littérature, la

Et

géographie,

fallait

il

qu'il

lui

y eût la-dessous

il

lui

arrivait

dates, embrouillait les

puis à écrire, ensuite

facilités et

le

faits,

corriger

la

montra élève modèle.

quelque bon tour de

à la Boule

fée

la

d'une mémoire surprenantes.

fidèlement tout ce que son maître

elle répétait

souvent de

lire,

de son peuple, de sa maison, puis

les sciences, l'art. Elle se

de Jade, car Anémone témoignait de

Non seulement

apprit d'abord à

celle

apprenait, mais

lui

quand dans son exposé

confondait les

il

commettait des erreurs de calcul ou demeurait

coi

au milieu d'un morceau.



Ecoute, déclarait-il souvent, je

rien qu'à les entendre, des vers

retiens,

qui

me

que

le

suis

émerveillé.

que

j'ai

valurent tant de pensums et quelquefois

vieux Milochas

cent fois

le

jour

:

fut

ici,

« Cultivez

joie derrière les verres

eu

même

si

le

Quand on pense que grand mal

à

apprendre

et

fouet! Tiens, je voudrais

qui m'enseignait les belles lettres et

votre mémoire, monseigneur!

»

11

me

répétait

en pleurerait de

en disques de ses savantes lunettes.

Elle lui souriait de toutes ses dents, de ses

lu

deux yeux, de son cœur.

LA FILLE AUX LOUPS.



Paie-moi de

ma

peine, disait-il, une fois

Elle l'embrassait tendrement.

raains

:

Alors venait

un des deux, loups accourait;

chacun avait son jour de service.

Il

la

contrée, car

aux pauvres gens. Une source

leçon terminée.

collation.

c'était tantôt le

aux arbres de

Anémone

Elle frappait dans ses

Blanc, tantôt

portait dans sa gueule

meilleurs fruits tout frais cueillis par lui

du Duc, seigneur de

la

la

4'

le

Noir, car

un panier rempli des

la forêt

ou aux espaliers

leur avait défendu de rien prendre

du roc; ils en buvaient l'eau claire. Lorsqu'il était temps de repartir, l'un des deux loups laissé en faction au dehors s'avançait dans le couloir et hurlait L'heure, maîtresse! » Chacun enfourchait aussitôt sa monture et les animaux partaient, parcourant à cette même allure de bourrasque le chemin bien connu qui menait de la clairière à jaillissait

:

la

a.

caverne. La transformation coutumière s'opérait.

Généreux disparaissait

:

un beau chêne de plus ornait

la

forêt; et

ayant congédié ses bêtes, reprenait ses sabots laissés dans un fourré à la maison.

Anémone,

et filait vite

rv

uraht près d'une année troublée

cett'1

existence se poursuivit sans que fût

des deux jeunes gens. Chaque jour les rendait

félicité

la

l'un à l'autre plus chers.

choisirent un après-midi trempé de soleil, que le printemps

Ils

revenu

doux, léger, pour se promettre l'un à

faisait

Leurs paroles furent simples;

donnés bien avant



C'est

ils

qu'ils ne l'eussent

du jour que

tu es

laissèrent parler leurs

cœurs

l'autre.

qui s'étaient

permis.

venue vers moi, Anémone, que

je t'aime.

— Et moi, longtemps, depuis beaucoup minute que commence Généreux ma — Ecoute, Anémone serment de prendre pour femme, c'est

:

depuis

à

vie

:

que

toi,



i'être ta Ils se

toi.

et

de n'aimer

que

toi.

Nulle main humaine, nul obstoi

où que tu

sois.

Je te jure

et tous.

regardèrent longuement. Était-ce pressentiment des souffrances à venir?

Le prince :

cher

sois.

et n'aimerai

femme, malgré tout

mon

rencontré.

Nulle main humaine, nul obstacle, nulle épreuve

épreuve ne m'empêcheront de venir à

mais leurs yeux étaient graves; cou

t'ai

te

où que tu

J'irai à toi

Généreux, je n'aime

îcle, nulle

je

la

je fais

de ne vivre que pour

ne m'arrêteront.

toujours,

plus

ils

attira la

jeune

demeurèrent

travers la frondaiso

i

ils

fille

ainsi

ne versèrent pourtant pas une larme.

sur sa poitrine, elle

debout sous

le soleil

bras autour du

lui jeta

les

dont

rayons,

les

glissant à

vert tendre, tombaient tout au long d'eux en fins rais de

clarté. Ils



échangèrent un premier et pur baiser d'amour.

Veux-tu que nous nous promenions

très

doucement, à tout

cher Généreux? demanda Anémone. Le bonheur m'oppresse, et

de pleurer; je suis lasse

et ai

j'ai

mon

petits pas,

envie de sourire

besoin de marcher à ton bras. Et puis,

il

fait si

LA FILLE AUX LOUPS.

43

doux aujourd'hui, je voudrais, tant je suis heureuse, je voudrais prendre le Ciel sur mon cœur pour l'embrasser. Eh bien, allons, ma chère fleurette. Oui, appuie-toi sur moi. Il me semble que mon âme s'est agrandie pour recevoir la tienne. Va, je saurai te gagner ou



ma vie. Regarde sur le sol, regarde, mon amour, nos deux ombres marcher enlacées, ce sont les ombres de deux heureux. Vois-tu, c'est ainsi qu'un jour, nous irons dans la vie, toi et moi, unis à jamais.

j'y laisserai

Ils

s'éloignèrent à pas lents par les primevères jaunes et les jacinthes violettes

entre les hauts fûts des arbres ruisselants de lumière.

Or,

il

dant sur

même

arriva que précisément, ce les

jour, la belle-mère

herbes foulées, réussit à découvrir

peine visibles, mais

d'Anémone,

traces de la jeune

les

fille

se gui-

pourtant à

delà haine percerait des murailles. La piste menait tout droit à la clairière où d'ordinaire se dressait l'arbre-roi. Lorsque la mégère y parvint, les deux jeunes gens étaient déjà loin. Elle se mit à fureter partout, tournant l'oeil

en rond. Soudain

elle

poussa un

d'Anémone que

celle-ci

de triomphe

cri

comme

avait,

:

elle

venait de découvrir les

d'habitude, cachés dans

le

sabots

creux d'un

buisson.



que

Ah, ah,

ricana-t-elle, enfin, je te tiens, maîtresse fourbe!

tu repasses par

ici

pour reprendre

Il

faudra bien

tes sabots; et alors je verrai... ah, ah,/.,

je saurai... ah, ah, ah!

De

joie elle claquait les sabots l'un contre l'autre,

s'avisa alors

de monter dans un arbre pour dominer

rendre compte de

la direction

d'où

viendrait

la

comme

Anémone.

maîtresse branche, bien à califou chon, disposa

des battoirs.

Elle

situation, car elle tenait à se

Elle s'installa

autour

le feuillage

sur une

d'elle, afin

de

dissimuler sa présence; puis, devenue invisible, elle attendit.

Sa rage

et sa stupéfaction furent

grandes, lorsqu'elle

vit

Généreux

et

Anémone,

couple harmonieux, marchant à pas légers, déboucher d'un sentier pour entrer

dans Péclaboussement de Elle

faillit

soleil

qui emplissait

la clairière.

dégringoler de dépit.

Le prince s'avançait, magnifique dans son costume de cour, chargé de dende rubans, étincelant de joyaux, il tenait sa bien-aimée par la taille. Elle

telles, allait,

gracieuse, souple, jambes et pieds nus; mais son visage rayonnait aussi pur,

aussi fin, aussi noble

que

celui

d'une Vierge de

Tout autre que ce cœurenfiellé n'aurait pu, en

A

demi morte de fureur,

pait ce luxe et cette misère

elle vit

vitrail. les

voyant, se tenir d'admiration.

passer au-dessous de

que l'Amour menait par

la

la

branche qu'elle occu-

main.

CONTES MAUVES DE MA MERE-GRAND. yeux

ses

s

ils

échangè-

rent leur baiser d'adieu; sous ses

yeux,

Généreux redevint chêne. Elle en

une

éprouva

frayeur telle qu'elle s'éva-

nouit.

doit

Il

y

avoir une pro-

vidence pour

mé-

les

chants, car elle ne tomba point de son perchoir et lorsqu'elle reprit ses sens la

clairière était solitaire.

Anémone

ayant

chaussé

ses sabots était rentrée au logis.

La vilaine descendit de son

arbre

encore, molles.

et les

Il

ahurie

tout

,

jambes

lui fallut

quel-

que temps pour reprendre ses idées nettes. «

cière,

Mais

c'est

une sor-

une magicienne, une

damnée

,

un

suppôt

Satan que cette fille,

de

horrible

se disait-elle.

Avez-

vous vu ce prince de

si

haute mine bijoux

LA FILLE AUX LOUPS. splendides, ses plumes, ses broderies magnifiques,

guenon en loques! Et comme

cette

s'aimer!

se

ils

45

menant comme une épousée

Comme

regardaient!

Et toutes ces mignonnes choses qu'ils se sont dites,

Attendez, mes petits. Ah, vous vous aimez!... attends,

plus de larmes que vous n'avez de cheveux sur je

me

que vous versiez

Laissez-moi bien réfléchir,

trouve une belle et bonne vengeance. Ah, gueuse d'Anémone, dire que

une année

voici bientôt

qu'elle

me

d'arbre qui l'aime! Vous Elle

la tête.

misérables.

les

l'homme-arbre, at-

toi,

tends, toi, la souillon sorcière, je m'arrangerai de telle sorte

que

semblaient

ils

menaça

le

le

me

berne

et se

paierez!

gausse de moi

Et ce grand nigaud

!

»

chêne du poing, puis se hâta de prendre

car elle avait

la fuite,

cru entendre une de ses branches craquer.

En

Elle arriva à la chaumière, suante et fumante de colère. sa belle-fille d'un œil foudroyant, et

— qui signa également. — Peste de Qu'est-ce

se

lui

soit

fait

prend

?

se

demanda naïvement Anémone qui par gronda

cette gueuse,

son signe de croix tout

la

marâtre entre ses dents,

comme une bonne

et

la voir si simplette, si naturelle, croirait-on

avec

démons?

la

politesse

voici qui

Mon doux Sei-

brave chrétienne.

gneur, à les

entrant, elle toisa

avec ostentation un ample signe de croix.

fit

jamais qu'elle

fait

commerce

Attends, va, monstre de perfidie!

Le lendemain, à peine

le

bûcheron

eut-il

tourné

que sa femme chaussa

les talons

ses sabots des grands jours, se coiffa de son plus haut bonnet, mit

Anémone

sur sa robe des dimanches, puis dit à

— Garde maison, — Vous rentrerez — ma la

tablier fin

ne t'éloigne point surtout que je ne sois revenue.

et

madame?

tard,

Je rentrerai à

un

:

pécore. Tard

fantaisie,

ah, cela dérange vos projets,

ma

si

je

veux,

tôt s'il

mie!... Votre galant n'aime

aux rendez-vous... ah, ah, ah !... La méchante éclata de rire, fit une grimace sardonique

me

plaît.

Ah,

sans doute pas

attendre

rapides, laissant «

Anémone

Est-ce pure méchanceté

anxieuse.

inquiétude

Que ne ?

puis-je,

Faut-il

La marâtre rêta à

le

cœur

Saurait-elle quelque chose? se

courir le

lui battait

quelques

toises

de

eut un sourire

:

lui,

à

pas

retour de cette vilaine

bien

demandait-elle, lui

conter

femme

mon

? »

fort.



se dressait le chêne-roi. Elle s'ar-

puis se mit à tourner autour en traînant les pieds.

un vaste

« Paifait

Généreux pour

vers

s'était dirigée vers la clairière

Elle traça de cette façon elle

?

hélas,

donc que j'attende

Ainsi pensait-elle et

et s'éloigna

stupéfaite, indignée.

!

»

cercle de

gazon foulé

murmura-t-elle

;

;

sa

besogne achevée

et elle s'éloigna, satisfaite.

H

CONTES MAUVES DE MA MÈRE-GRAND.

46

Elle marchait à grandes enjambées, à

demeure du

la

Elle trouva celui-ci

mangrant en

déférence et essuya d'un revers de le

bonjour

bienvenue,

la



était

longue

famille la soupe de dix heuies.

manche

Mon

la Louise.

malade — ou peut-être

de grâce, se^ez-vous place à

route

la

qui

menait

sa

11

bouche grasse, avant de

se leva par

lui

souhaiter

:

— Soyez serait-il

car

forestier.

et

compère,

bûcheron que Dieu garde,

le

— que

pis je vous vois de si grand matin ? Mais, mangez un morceau avec nous. Allons, les petiots, faites

la table.

Merci, maître, je ne puis accepter, car je dois repartir bien vite. Non, Dieu

mon homme n'est point souffrant, de choses que, ma foi, je préfère confier à merci,

— Holà, dame bûcheronne, — Très grave, maître. Vous dehors — Mais Louise

est-ce

mais

à vous entretenir de choses...

j'ai

vous seul.

donc

grave

si

plairait-il

?

de m'ccouter en faisant

les

cent pas

?

certes, oui, la

mon

vous suis. Le temps seulement de prendre

je

;

bonnet, car je crains fort les courants d'air.

La rusée coquine Elle prit

savait par ouï-dire

donc un

contenue commença

— Vous me Elle

mort

à plusieurs reprises, et à voix

Eh

me

bien, au souvenir de ce que

court encore tout

le

j'ai

vu

et

long de l'échiné.

Bigre,

fit

le forestier,

en se signant aussi.

Elle se haussa sur ses pointes et lui souffla dans l'oreille Il

Il

y a dans

la forêt

un arbre possédé du

diable, dites-vous

sentait ses

cheveux

Elle reprit

Oui,

...

:

diable...

?

se hérisser et la sueur perler à leur racine.

avec satisfaction une pâleur de cire envahir



commère à m'émou-

que je veux vous conter,

un nouveau signe de croix.

fit

— — — Du

de grand mystère, se signa

:

connaissez, maître, et savez que je ne suis point

voir facilement. la petite

air

le forestier très superstitieux..

les

joues du brave

La mégère

vit

homme.

:

du

diable!

Un

tout noirsà pieds griffus.

Ils

l'ai vu de mes yeux. Il était quatre heures démons dansaient une ronde, des diablotins vingt au moins; ilsavaientdes yeux flamboyants,

chêne!... Je

de l'après-dinée; autour de

lui

des

étaient

des queues en fer de lance et des langues fourchues...



Des yeux fourchus?... des langues en

tes?... bredouillait le forestier effaré.

fer

de lance?... des queues flamboyan-

Ah, mon Dieu

!

.

1 4

AUTOUR DE

LUI DES

DEMONS DANSAIENT UNE RONDE.

CONTES MAUVES DE MA MERE-GRAND.

43

— Et comme

chêne, maître,

le

crapaud,

de bras noirs

— Oui, — ne Je

et

il

le

battait la

visqueux...

chêne

!

Devenu un énorme démon,

Quanta

sa tête, oh, maître...

sa tète?... eh bien, sa tête...? l'ai point vue, maître, mais je

bras de ce

démon

la

suppose horrible. Les diablotins,

d'arbre m'avaient causé une

nouie, sans en voir plus long et en criant

moi, tout avait disparu. Le

gris et pustuleux

ses branches transformées en autant

mesure de toutes

:

telle

« Jésus

frayeur que je

!...

»

nom de Notre-Seigneur

Quand les

me

je suis

les

suis éva-

revenue à

avait dispersés

sans

doute...



N'auriez-vous point eu la berlue? Ètes-vous sûre de n'avoir pas rêvé, la

Louise



mais sur

?

C'est bien ce

mon

que

je

me

suis

demandé

à

moi-même, en reprenant mes

incertitude n'a pas duré longtemps, les preuves étaient là, dans l'air et

le sol.



sens,

Des preuves?... mais quoi donc,

mon Dieu?

ÏÏB LA FILLE AUX LOUPS.

— Une vapeur de

que j'en ai toussé plus d'une heure ensuite, maudit par les pieds de ces diables; même que ;

cercle tracé autour de l'arbre

le

49

soufre, d'abord,

leurs griffes, par places, ont arraché l'herbe. Je suis sûre que si l'on cherchait bien, on trouverait par terre des éclats d'ongles, tant étaient furieux les entrechats qu'ils battaient...

II

en

du

jaillissait

feu, maître, je

vous

— Mais, arbre, ce chêne, vous connaissez? — Précisément. — me désigner, qu'on sans — justement pourquoi venue, maître. — Et bien vous avez Louise, cet

Il

le dis.

le

faut

le

l'abatte

C'est

tarder.

je suis

fait, la

fort bien.

mon mignon, cria le bonhomme à l'aîné de ses enfants, du dimanche, prends le pichet de faïence blanche à fleurs bleues va-t-en au village chez monsieur le Curé. Tu le prieras de te remplir ton pichet Holà, Ambroise,

mets et

tes habits

d'eau bénite, puis tu reviendras, en prenant garde de n'en point répandre en

chemin. Va

mon

vite,

bellot.

Se retournant alors vers

— N'ayez de

mégère

la

:

crainte, la Louise, nous l'abattrons, et tôt, dit-il.

Avant de commencer peau, à ce mécréant, nous l'aspergerons d'eau bénite, et non mais aussi nos outils, scies, haches, coins, cognées. Ainsi nous

lui travailler la

seulement

lui,

aurons plus de cœur à la besogne, parce qu'on se sentira, comme qui dirait d'accord avec le bon Dieu. Mais, j'y pense, la Louise, je vais vous accompagner, et vous demanderai de vous détourner de votre chemin pour me mener à l'arbre endiablé. Je veux

le

Attendez-moi un brin

Le à

la

soleil était

voir de :

le

mes deux yeux, de façon à

temps d'avaler ma soupe

encore assez haut dans

éviter toute méprise.

nous partons ensemble.

lorsque la vilaine

le ciel,

femme

revint

chaumière.

Anémone pour voir

qui, cent fois déjà plantant

si

elle n'arrivait pas,

le

cœur sans doute

était

oui, c'est bien elle. Elle chante!

Derrière

les

?

son rouet,

:

s'était précipitée à la

comme une

porte

voix lointaine qui

oui, quelqu'un venait là-bas, quelqu'un

joyeux.

Elle écouta encore, puis tout à

encore inventée



distingua soudain

chantait. Sur le seuil, elle prêta l'oreille

dont

et

coup blêmit

Mon

Dieu, mais c'est sa voix;

Bonne Sainte Vierge,

quelle méchanceté a-t-elle

:

«

Quel malheur m'a-t-elle préparé

? »

arbres, la chanson, sans cesse plus proche, semblait une réplique

aux angoisses de

la

jeune

fille.

L'air était vieillot, guilleret

:

7

CONTES MAUVES DE MA MÈRE-GRAND.

5o

«

Au rendez-vous, le lendemain, Mon bel ami ne vint... Qui

me

rendra,

Landerirette,

Mon ami que Qui

me

j'adore?

dira,

Landerirette, Si dois l'attendre

Qui

me

encore?

dira,

Landerira, Si

jamais reviendra?

Landerirette, landerira.

Et

la

mégère déboucha dans

la clairière,

n

lançant à plein gosier ses dernières

roulades.



Ah, ah,

dais pas de

gage que tu ne m'atten-

te voici, belle esseulée, se moqua-t-elle. Je

si tôt?... ni

de

si

belle

Qu'y

humeur... Mais pourquoi ce visage d'une aune

de

a-t-il

nouveau

signifient,

cette figure

mijaurée?

Fi

maman

qui

,

donc, au

ici?...

?

rien? Alors, que

ces

yeux pleurards

lieu

de sourire à sa bonne

solte

,

veux,

revient au logis?... Allons, je

parce que je suis tente,

que tout

le

con-

monde

aujourd'hui soit content

comme moi.

Gai, gai, fais

LA FILLE AUX LOUPS. Anémone, ma mie, car

risette,

La jeune

ne se

fille

le fit

5i

je te permets de sortir... et dès qu'il te plaira.

pas répéter deux fois;

même

ses épaules et partit en courant, sans

remercia, jeta son fichu sur

elle

pensera mettre son bonnet.

Elle parvint hors d'haleine à la clairière, tira de son la

sein

la

Boule de Jade

et

cogna contre l'arbre. Généreux parut; c'est à corps perdu qu'elle se jeta dans

ses bras. Elle riait et sanglotait tout ensemble.



dite

Ah, mon ami, mon

seul ami, pardonne-moi, je suis folle... mais cette

femme... avec sa chanson... avec sa gaîté... m'a tourné

peur atroce de ne plus

mon

te revoir,

la tête...

jamais! Mais, Dieu soit loué, tu es

cher, cher Généreux! Ah, que

mon cœur me

fait

celui qu'elle aimait et d'où

pour

elle

émanait toute

J'avais

une

bien à moi,

mal...

D'instinct, parce qu'elle se sentait défaillir, elle chercha de ses

de

là,

mau-

yeux

les

yeux

vie.

Elle s'effraya de les rencontrer tristes infiniment.



Oh, mon Dieu, qu'as-tu

Pourquoi ce regard triste? Ah,

?

je t'en supplie, fais

démens

sourire tes yeux. Dis-moi que rien ne nous menace... Calme-moi... Parle, le

deuil de tes regards...

Le prince parla d'une voix que



— — — — yeux

Hélas,

ma

fleurette chérie,

faisaient

ma

sourde

Oui, témérairement pour tout ce qui est

Tu

les

larmes contenues.

bien-aimée, hélas!... Es-tu courageuse? toi.

Parle

!

seras forte ?

Je le suis

;

parle vite

!

Anémone, mon amour, regarde-moi bien se quittent aujourd'hui le

moins

possible...

nos yeux qui s'aiment tant... eh bien,

ils

;

de tous

oui,

Écoute sans

tes regards. défaillir...

Que nos

Nos yeux,

seront longtemps oui, longtemps sans

se revoir.

— Ah, Dieu, — ne

tu

me

quittes?

te quitte pas,

Je

Oui, laisse-moi te dire. souffre

pas

c'est vrai,

;

écoute

:

Ne

le

ma

chérie,

on m'arrache

te tords point les

à toi... Qui?...

Ta marâtre.

mains, ne gémis pas, calme-toi, ne

plus horrible est dit, maintenant. Oui, on nous sépare

on nous éloigne l'un de

l'autre...

d'espoir que je veux te parler; qu'il faut

mais nous nous reverrons,

que

tu

me

;

et c'est

parles à ton tour, car, moi

aussi, j'ai mal... bien mal...

ne purent continuer;

Ce

fut

elle dit

— je

demeurèrent enlacés, mêlant larmes et sanglots. Anémone qui se reprit la première. Les yeux agrandis, la bouche résolue,

Ils

et ils

:

Mon

bien-aimé, ne te laisse pas abattre, reprends courage. Regarde-moi,

ne pleure plus, je ne tremble plus. Je veux être plus forte que

la destinée.

CONTES MAUVES DE MA MÊRE-GRAND.

52

Qu'avons-nous à redouter

Les années,

?

méchanceté des hommes

les obstacles, la

?

mais ce n'est rien, cela, puisque nous nous aimons! Va, Généreux, je serai ta femme. Tel tu quitteras mon cœur ici, dans cette forêt, tel tu le retrouveras, je te le jure,



Dieu seul

sait

Anémone, ma chère de

chéris, loin

la

et où.

comment

fleurette,

serra les poings,

le

raffermie

je

ne

te verrai plus!...

il

reprit

maintenant,

cœur,

ma

ne

sais

abattre...

j'ai

fleurette,

moi, ce matin. je

mon

J'ai

le

temps passe...

:

être fort, je le suis.

je

tu as raison,

fini

esprit s'égarait, car te perdre, vois-tu, te perdre... Mais c'est

entendu de sa bouche que ton horrible marâtre, ayant appris, secret, a décidé le maître-forestier à

rien

:

je serai sauf...

sur moi qu'ils frapperont, car Tysrem m'aura emporté loin

fois

parjure

me

que ton

Ecoute sans larmes ni

salut

dépend non seulement de

toi,

d'ici.

«

Sache, Prince,

mais encore de

celle qui

déjà a réussi à te rendre ta forme humaine. Si tu trahis son amour, le sien,

c'est fait

de

retraite elle est à des milliers

grandement

faire

vont venir m'abattre, tout à l'heure peut-être, mais ce n'est pas

faiblesse... Oui, ils

une

Pardonne-moi

du courage. Ecoute donc, puisqu'en effet le temps presse. Ton ne t'avait point trompé. Tysrem, l'enchanteur, est venu vers

comment ni par qui, notre Ne tremble pas; ne crains

m'a-t-il dit,

yeux

tes

désespoir crispa son visage.

— Ah, Généreux, supplia Anémone, courage, D'une voix — Oui, veux mon amour,

cette faiblesse,

pour vivre sans

ferai-je

pureté de tes lèvres? N'étions-nous pas déjà assez éprouvés, tous

deux? Anémone, dire que Il

quand

de

loisir

toi,

tu m'appartiens à jamais!

de lieues

t'en choisir

d'ici.

Quant

à ta

si elle

nouvelle

Avant qu'Anémone y parvienne j'aurai

une autre plus mystérieuse encore

et plus loin-

taine! »



du monde. Ma chère Boule de Jade mon bonheur ? Et mon bonheur ne c'est toi. Alors, tu vois bien, Généreux, que nous nous reverrons! Quant à trahir nos serments?... l'un ou l'autre... toi ou moi?... ah, mon Généreux, Je saurai t'y rejoindre, fût-elle au bout

m'y conduira

comme

il

;

doit-elle pas

me

guider vers

nous connaît peu, ton misérable enchanteur.

Elle souriait maintenant, transfigurée.

en silence



Que

ta

la

contempla quelques instants

:

tu es belle,

puis, parle-moi;

âme

Le prince

Anémone! Ah,

donne-moi

ton cher et pur visage

;

laisse-moi te regarder longtemps encore; et

Que mes yeux gravent à jamais dans mon que mon oreille fixe dans ma mémoire la musique de tes

mains

!

voix; que je sente pour des mois, des années,

pressent les miens.

la

douceur de

tes doigts

que

LA FILLE AUX LOUPS.

— Ils

amour que

Je t'aime, Généreux, je n'aurai d'autre s'étaient assis sur

un tronc d'arbre jeté bas par

mêmes

Elle lui répétait ces paroles, les

53 toi.

l'orage.

sans cesse;

il

écoutait, la contemplait à

grands yeux extasiés.



Anémone, dit-il enfin, voici l'heure où je vais pour la dernière fois redevenir chêne. Avant de me quitter, arrache-moi un morceau d'écorce et garde-le en souvenir de moi. A mesure que notre réunion se fera plus proche, tu le verras devenir de bronze, d'argent, puis d'or.



mon cher Généreux, en échange de

Hélas,

donner

magique

Je n'ai rien de

?

cheveux

ton talisman,

à t'offiïr. Mais, tiens,

et garde-la. Qu'elle te fasse

souvenir de

au monde d'autre bien que son cœur,

la

que pourrai-je

coupe-moi

pauvre

fille

cette tresse

— —

A

de

qui, ne possédant

donné dans sa pureté.

te l'a

Le prince, avec son coutelas trancha une des longues nattes d'Anémone; noua autour de son poignet après

te

l'avoir baisée

il

la

dévotement. lisse levèrent.

Adieu, Anémone, je t'aime et t'aimerai toujours. Adieu, Généreux, je suis tienne à jamais. peine eurent-ils

le

temps de s'étreindre une dernière

fois

que

le

prince était

redevenu chêne.

Anémone



Beau

joyeux,

le

Anémone douce

glissa sur les

genoux;

chêne, dit-elle

elle éleva ses

mains jointes vers

cœur sautant d'amour. Demain,

tu tomberas sous

la

:

cognée, et demain

sera loin d'ici. Adieu, tout ce qui fut témoin de la vie de

clairière

le ciel

en pleurant, adieu! je ne viendrai plus vers toi, les pieds

mon cœur,

toi,

dont je chéris chaque brin d'herbe, vous tous, arbres amis, qui for-

miez autour de notre bonheur

comme un mur

verrai jamais plus sans doute.

Que

je

bienveillant de verdure. Je ne vous

vous contemple encore, avant de m'en

aller

de vous. Elle

promena comme une caresse



Généreux,

dit-elle, qu'il soit fait selon

un soupir tomba de

frissonnait; la

cime, et

la

et,

elle

elle

arracha

entama

le

le bois,

il

lui

morceau d'écorce,

blessure saigna.

Anémone poussa un cri de douleur Mon Dieu, Généreux, faut-il que



quand

tout ce qui

ton désir.

D'une main tremblante,

Elle avait ouvert son couteau.

sembla que l'arbre

un lent regard sur du chène-roi.

circulaire

l'entourait. Puis, se relevant, elle s'approcha

:

tu souffres par

moi

!

Elle se haussa vers la plaie, y appliqua ses lèvres... et, sous ce baiser, le sang

tout à coup s'arrêta.



Adieu,

mon amour,

adieu

!

cria-t-elle

54

'

CONTES MAUVES DE MA MÈRE-GRAND.

D'une étreinte désespérée rageusement à

elle se

lui, elle s'enfuit

pressa contre le chêne-roi, puis, s'arrachant cou-

sans tourner la tète.

VI

Anémone ne

ette nuit-là, la

reposa guère. Réfugiée sous

cheminée, tandis que dormaient

en secret rallumé

lumignon

le

bûcheron

le

manteau de

femme,

et sa

elle avait

et, à sa lueur fumeuse, elle

tirait

versant autant de larmes qu'elle cousait de points. D'un

l'aiguille,

carré de toile bise, elle se d'opale, la Boule de Jade et le

le

le

fit

un

petit sac



morceau d'écorce. En ayant

elle

enferma

le

sifflet

tiré les coulisses, elle

suspendit à son cou, puis passa en revue ses quelques hardes. Elle reprit

une couture, remit coucha qu'au

une pièce, affermit



petit jour

:

ici

cette boucle, reprisa cet accroc et ne se

l'aube barbouillait de rose sa fenêtre,

comme

elle soufflait

son lumignon. Elle dormit sans la

chaumière; ce

le ciel



un rêve

et tout

d'un somme. Elle n'entendit pas son père quitter

fut la

mégère qui

quelle

mine

l'éveilla,

comme

le

soleil

était déjà

haut dans

:

Bon Dieu,

tirée! Qu'as-tu

donc, sotte bête? On dirait

ma

parole,

que tu t'amuses à pleurer en dormant. Tu as les joues toutes couturées de larmes. Allons, debout! va me rincer à grande eau le chagrin de ta figure. Et puis, fais-toi belle. Quelque chose me dit que ce jour-ci comptera dans ta vie, Anémone,., oui-dà... je te laisse la surprise Et,

comme

la

jeune

du

mise sur son séant,

fille s'était

grossier, puis s'en fut par la

reste. elle lui éclata

chambre, en chantant ironiquement «

Qui

me

rendra,

Landerirette,

Mon ami que Qui

me

j'adore?

dira

Landerira, Si 55

jamais reviendra?...

»

au nez d'un :

rire

CONTES MAUVES DE MA MÈRE-GRAND.

56

Anémone

pour ne pas lâcher

se mordit les lèvres

les sanglots qui l'étranglaient.

Elle enfila sa cotte de grosse laine, sortit, tira au puits

plongea son

fin

visage, ses bras minces.

long frisson, grelotta quelques instants

;

Au

un grand seau d'eau

et

y

un sang aux

contact de cette fraîcheur, elle eut

puis vint la réaction qui lui mit

le

aux yeux. joues, le rose aux Toute ragaillardie, elle rentra manger son croûton de pain sec. Elle n'avait plus envie de pleurer sa bouche s'éclairait d'un sourire mélancolique. lie songeait que dans quelques heures elle serait loin du foyer paternel, et un regret montait à son cœur. Bien qu'elle eût pourtant vécu entre ces pauvres murs lèvres, l'éclat

;

I

de longues heures de misère,

pas sans une grosse émotion l'idée de

elle n'acceptait

demain ni jamais peut-être. Elle considérait les objets familiers comme si elle les voyait pour la première fois; elle les enveloppait d'un long regard, leur disait mentalement adieu. Elle oubliait sa méchante belle-mère, n'entendait ne plus

revoir

les

plus ses couplets railleurs, ses allusions perfides.

Le ménage achevé,

elle sortit et

regarda avec attendrissement nelles étalaient face laient. Elle

au grand

parcourut

le

le

fit

une dernière

fois le

tour de la chaumière. Elle

chargé de mousse; sur

toit

le faîtage,

laque de leurs pétales; des moineaux piail-

soleil la

Une bouffée de souvenirs

l'assaillit

elle :

poussa

la

une femme

assise la regardait venir, avec

maman!

Toute sa petite enfance tenait entre

Oui,

c'était

bien

ici

que

la

morte aimait

queue dardée en

une douceur les

«

s'asseoir,

c'est

— —

Au

revoir,

madame,

cheveux l'unique mouchoir Holà,

manante,

te

en

glaive,

Maman, ma

ombre

bras de cette

n'avait pas cinq ans alors, mais elle se rappelait... Elle et quitta le jardinet

elle

banc vermoulu,

infinie...

chérie.

bien ainsi qu'elle se

posait; et ce romarin!... elles l'avaient planté, toutes deux, autrefois

dans sa poitrine,

si

porte moisie du jardinet et entra.

c'était Gris-Gris, la

l'échiné en arc, ronronnant au-devant d'elle; puis, là-bas, sur le

»

comme

grenier, le bûcher, le cellier, à pas pensifs,

marchait à travers des tombes. Puis

des rave-

cueillit

un

:

Anémone

brin, le cacha

sans un regard en arrière.

dit-elle

sèchement,

fin qu'elle

possédait

après qu'elle eut noué sur ses



c'était

voici partie bien vite. Sais-tu

un cadeau de son père.

que

c'est

jour de lessive

aujourd'hui... Qui fera ta besogne? Est-ce ton bel empanaché, ton chevalier

chêne, qui viendra savonner à Elle s'attendait à voir

ta

Anémone

place

?...

ah... ah... ah...

bondir. Celle-ci

la toisa

au

!

d'un long regard tran-

quille et s'éloigna sans daigner répliquer.

Sur



le seuil l'autre lui criait

:

Gageons, que tu ne resteras pas dehors aujourd'hui aussi longtemps que de

coutume.

I-PT

ri

LA FILLE AUX LOUPS. Anémone,



un sourire de

se retournant, lui jeta

57

pitié.

Oui, va, ricane, insolente, sorcière! cria-t-elle. « Tel s'en va en riant qui

revient en pleurant!

»

ah... ah... ah...!

Elle se mit à chanter à tue-lête

:

J'aimais un

«

chêne,

joli

Que mon cœur, mon cœur a de peine J'aimais un joli chêne,

I

L'ont jeté bas les gens,

Rataplan, L'ont jeté bas, les gens

Mais,

du

comme Anémone,

même

de son

!

»

pas tranquille,

mière

:

«

Il

faut

que je

spectacle tout à loisir.

la

elle

cette

fille

du diable

Anémone marchait chaque pas

ce

doux grand

veux

Mon cœur

m'offrir

en

frétille d'aise !...

?

vite

l'en éloignait.

Ah! vengeance, douce vengeance... Mais que

!

fait

»

maintenant;

La mégère cependant ne

Encore des détours qu'elle

bonhomme de chemin,

droit

malices sont cousues de

fil

pour

fait

dos de

le

me

!

au chêne;

la clairière

s'en étonna pas autrement.

jeune

la

ma

dépister. Va,

ou de travers,

blanc

dos à

elle tournait le

Tout en se défilant avec soin derrière «

au fond

porte de la chau-

verra son père; qu'elle apprendra que son beau galant est tombé

sous sa propre cognée...

donc

la

va-t-elle dire, faire, lorsqu'elle apercevra son

voie et l'entende souffrir; je

Que

benêt de chêne couché tout de son long par terre?

Et quand

allait disparaître

fermé

sentier, elle s'élança sur ses traces, après avoir vite

fille,

pensait

elle

va ton

belle,

:

petit

où tu veux aboutir. Tes

je sais bien

»

Elles marchèrent ainsi deux bonnes heures, l'une suivant l'autre; et la méchante commençait à s'inquiéter, lorsqu'Anémone tout d'une pièce se retourna Oh, oh, madame, je vous ai vue. A quoi bon vous cacher dans cette enfoncée :



y a beau temps que je vous savais derrière mes talons... allons, sortez de votre cachette... mais sortez donc de verdure

? Il

!

Comme la mégère cependant

ne bougeait point,

la

jeune

sa direction. Elle la trouva accroupie, toute penaude,

Se voyant découverte, les

abandonna sa

retraite

et

quelques pas dans

hallier.

se rua sur

Anémone,

ongles en avant.



Prends garde, rugissait-elle,

D'un saut de côté, la

elle

fille fit

dans un

la

jeune

le

fille

visage tordu par l'évita,

belle-mère revint sur elle au galop,

mais,

la

haine.

comme une

bête

furieuse,

tète basse, les dents grinçantes, prêtes

à mordre, 8

ï

CONTES MAUVES DE MA MÈRE-GRAND

58

Anémone

se dérobait à cette furie par

en zig-zag. L'autre écumait de ne

Soudain, un coup de

:

les

une course

pouvoir

formidable

sifflet

taire la forêt tout entière

la

saisir.

fit

oiseaux cessè-

rent de chanter, les insectes de bourdonner, le

vent de souffler,

de bruire;

les feuilles

la

mégère elle-même s'arrêta, la bave aux mâchoires, ses cheveux coulant en serpents noirs sur ses épaules.

El

l'on n'entendait plus rien

qu'un

frémissement, sans cesse plus proche et qui semblait arriver

du fond de

j.

l'horizon Ils

le

:

c'étaient les loups qui

débouchèrent en trombe dans

accouraient, obéissants au l'allée, et

vinrent,

le

poil

sifflet

-.!-*•-•._«

d'opale.

fumant, se frotter

long des jambes d'Anémone. Les dents du Noir étincelaient, les yeux du Blanc

flamboyaient; tous deux ouvraient une large gueule, et leur langue était longue, rouge, haletante...

À fille

leur vue, la

commanda



mégère, poussant un

cri

d'épouvante, voulut

fuir,

mais

la

jeune

:

Empêchez-la de bouger, mes chers loups!

Un bond femme.

Ils

simultané plaça dardaient vers

le

elle

Noir à gauche,

le

Blanc à droite de

des regards terribles et gourmands,

la

et ils

mauvaise hurlaient

en LA FILLE AUX LOUPS. à petits coups de gueule brefs, aigus,

une friandise. La mégère, tombée sur



balbutiait

livide,

vivre,

au

aboient les chiens qui convoitent

nom

:

de ta mère Anémone...

pitié...

de Dieu!

La jeune

ne put, devant tant de lâcheté, se défendre d'un mouvement

fille

de dégoût. Pourtant



genoux,

pitié... laisse-moi

Pitié...

nom

au

les

comme

59

elle

répliqua d'une voix calme

:

madame, d'invoquer

ici le nom de Dieu ni celui de ma Mon intention n'a jamais été de vous faire du mal. Vous m'attaquiez, j'ai appelé à ma défense mes fidèles amis. Certes, il me serait facile de me défaire

Point n'est besoin,

mère.

de vous

:

mes loups attendent; sur un signe de moi,

ils

dévoreraient votre chair

toute vive, et leurs mâchoires ne laisseraient ni une once de votre corps, ni un

de votre

— —

fil

cotte...

Anémone!...

pitié... pitié...

Mais ce signe, je ne

poursuivit tranquillement

le ferai pas,

la

jeune

fille.

Un cœur bien né dédaigne la vengeance; c'est affaire aux âmes de votre trempe, madame. Vous m'avez fait bien du mal, et je vous tiens aujourd'hui à ma merci, vous étreignez mes genoux, baisez la boue de mes sabots... Je pourrais vous châtier,

eh bien, je ne

le ferai

pas.

A

Dieu seul appartient

Relevez-vous, je vous abandonne à sa main;

de vous. Allons, relevez-vous, vous Glacée d'effroi,

les

levant vers la jeune

yeux béants,

fille

ses

la

il

saura,

le

s'il

droit de vous punir. lui plaît, faire justice

dis-je.

mégère demeurait à deux genoux sur

l'herbe,

mains jointes.

Celle-ci l'aida avec fermeté à se mettre debout.

— —

Pardon, balbutiait-elle... grâce... pardon...

Demandez pardon à Dieu, madame, non à moi, lui seul est notre juge ici-bas et dans le ciel. Adieu, madame, que sa volonté s'accomplisse sur vous comme sur vous êtes à deux bonnes lieues au moins de la demeure de tous... Mais j'y songe ;

mon Il

Dans

père.

la nuit

est

l'état

tombée. Que

homme

de faiblesse où

dirait-il à

toi

sans



femme

lui faire le

Je ne

Mais

le

s'il

et

l'emporte chez

les

mâchoires

elle s'évanouit.

:

trouvait porte close et maison vide

quand

il

faire reporter

elle ?

pas... j'ai peur... je

Noir ouvrit ;

madame, vous

Tu

moindre mal. Tu reviendras

veux

de son échine

vous vois, vous n'y sauriez parvenir avant

d'habitudes, et entend voir,

sur table. Je vais donc,

de cette

je

son retour,

la

?

rentre, couvert mis et soupe

au logis

:

Holà, Noir, saisis-

déposeras courtoisement à sa porte,

ici, ta

mission terminée.

ne veux pas! hurlait

l'autre.

d'un revers de gueule,

il

la jeta

en travers

~n CONTES MAUVES DE MA MERE-GRAND.

6o Il

partit en

coup de vent, bondissant comme un

En moins de temps où demeurait

un mégère

n'en faut pour clore

qu'il

bûcheron.

le

lévrier.

Il

jeta

bas

la

œil,

il

parvint à la clairière

regarda de ses yeux

et la

flambants.

En vérité,

passait sa langue sur ses babines. «

11

se disait-il, elle est jeune encore,

et tendre, et bien en chair. Foi d'honnête bête, elle ferait

un brave homme de loup comme me Pardonner à ce monstre...

deux

Ma

voilà!

maîtresse est bien trop belle âme...

donné comme tombe

Je lui eusse

!

un fameux repas pour estomacs de mes

les

loups, moi! »

Tout en grommelant de

la sorte,

il

secouait, la

la

sans parvenir à

tiraillait,

la

ranimer. Attends, pensa-t-il, je vais te faire payer ta chevauchée au loup, mauvaise

«

bête, cela te réveillera peut-être. 11

saisit

la

aux cheveux,

la

clairière jusqu'à la maisonnette. lui

»

traîna par cailloux et épines à travers toute Il

rudement contre

la jeta

la

porte;

et, satisfait

voir les vêtements en loques, le visage et les bras zébrés d'égratignures,

lui fit

pour adieu une horrible grimace,

Le Noir eut

vite fait

et repartit

de rejoindre Anémone.

sans toutefois se vanter de

la

vengeance

Il

qu'il avait

comme une

lui

la

de il

flèche.

rendit compte de sa mission,

exercée contre

la vilaine

bûche-

ronne.

— Or

ça,

mes amis,

dit la

jeune

Elle leur dit son intention

de

la

conduire, fut-ce

Tous

même

trois discutèrent

de voyager.

Ils



En Un

de suivre

tenons conseil. la

Boule de Jade jusqu'où

alors sur la façon la

plus rapide et la

plairait

les

plus

commode

ferait l'étape

en

Anémone.

maîtresse, hurla le Noir qui décidément était

et le plus hardi des

lui

loups, deux heures l'un, deux heures l'autre.

route, donc, et sans tarder, dit instant,

il

au bout du monde.

tombèrent d'accord pour décider qu'Anémone

chevauchant alternativement



fille,

deux, rappelle-toi que loups nous sommes

et

le

plus éloquent

que,

ma

foi...

nous avons faim, grand faim, ne t'en déplaise.



Je suis impardonnable de n'avoir point pensé à vos estomacs. Mais, hélas,

que vous donnerais-je, mes pauvres amis?



Rien que

la

permission de nous éloigner un instant, maîtresse. Dès que

tu nous voudras à nouveau près de toi, siffle-nous.



Soit.

Anémone posa

le sifflet

d'opale sur son front et prononça

:

«

Au

loin!

»

Les deux compères disparurent.

-a

LA FILLE AUX LOUPS. Au

bout d'une demi-heure,

Anémone

les rappela.

6i Ils

accoururent fidèlement

en un galop d'enfer. Le Blanc portait dans sa gueule une poularde

rôtie, le

Noir

une miche de pain blanc.



Voici,

maîtresse

:

à table!

Le voyage sera long,

il

de prendre

sied

des forces.

La jeune qu'elle avait

fille,

ma

en voyant son dîner arriver, Dieu foi très

grand faim. La la

sait d'où,

volaille sentait

découpa sur l'heure,

si

bon

pensa qu'elle

et l'attaqua à

belles dents.

Ravis, ses loups puis, tandis qu'en

la contemplaient. Quand elle fut rassasiée, elle les remercia, deux coups de gueule ils avalaient les restes, elle tira de son

sein la Boule de Jade, traça le cercle et tourna trois fois en chantant

:

« Jade vert, jade luisant, Tourne, vire, tourne; Jade vert, jade luisant,

Guide-moi, roule devant.

k peine avait-elle achevé sa

EE

course à travers bois.

le

couplet magique que

»

la

Boule merveilleuse prenait

CONTES MAUVES DE MA MERE-GRAND.

62



Vite, vite, maîtresse!

Ils

partirent.

Le

hurlèrent les

un

Jade menait

deux

bêtes.

Les

d'enfer.

train

allongeaient, n'ayant pas trop de leurs quatre pattes pour Ils

allèrent ainsi des heures

phosphorescent,

le

Blanc alluma ses yeux.

le poil

Et

allongeaient,

suivre.

Jade

le

:

chevauchée se

la

se

fit

poursuivit,

champs, prés, vignes, par monts, par vaux.

fantastique, à travers

Les loups,

le

La nuit tomba

des heures.

et

loups

couché, fendaient

l'air

avec un bruit de cascade;

les

cheveux

d'Anémone claquaient au vent. Enveloppés d'ombre, nos voyageurs demeuraient pour

invisibles

passant attardé qu'ils croisaient. Celui-ci ne distinguait rien

le

d'eux qu'un disque lumineux fonçant, sikncieux, dans

une double traînée de

haletante,

Enfin,

la

Boule s'arrêta, sauta dans

gentiment embrassée

que poursuivait,

la

main d'Anémone

après l'avoir

qui,

promena ses amenés la fantaisie

remit dans son sac à coulisses. Le Blanc

la

,

le noir, et

clarté.

yeux circulairement, afin de reconnaître le lieu où les avait du Jade rien qu'un océan d'herbes endormies, une plaine qui semblait Que nous importe après tout d'être ici ou là, dit Anémone. :



tes

mon

yeux,

cher Blanc,

environs. Endormons-nous

Mais,

comme

ils

s'il y en a dans les nous tombons de fatigue. Demain il fera jour.

humide,

les loups

tresse s'y étendit. Ils se couchèrent tout

corps une sorte de



lit

Éteins

pourraient inquiéter les gens,

vite,

la terre était

infinie.

elle

ne voulurent point que leur maî-

de leur long,

sommeilla jusqu'au

piquée droit au-dessus d'eux en plein

ciel, récitait

de leurs deux

h-i faisant

petit jour.

Une

alouette qui,

au Créateur sa prière du matin,

les éveilla.

deux heures de marche environ, une ville se dressait. Un clocher pointu comme un hennin émergeait d'un moutonnement de toits.

Devant leurs yeux,

Le

soleil

à

qui se haussait à l'horizon plaquait sur toutes ces ardoises de larges

touches miroitantes d'or et de rose. le

La muraille grise de l'enceinte semblait

rebord d'un gigantesque plateau supportant



mais

Que

ma

c'est

beau! s'écria

Boule de Jade

Elle tira la rites prescrits,

me

la

jeune

fille;

et

la cité.

que j'aimerais voir cela de près,

permeltra-t-elle d'y entrer?

sphère magique, elle vit celle-ci

la

posa sur

Lorsqu'elle eut accompli les

le sol.

prendre son élan vers

lenteur, voulant indiquer sans doute qu'on eût à la

Anémone. Le soleil

s'était

levé

et,

radieux,

poussière de ses rayons. La jeune le

jetait fille

la

cité.

Elle roulait avec

suivre à pied,

ce

que

fit

au-devant des voyageurs l'éblouissante

entre ses

deux loups,

Noir à gauche, semblait marcher dans une gloire.

le

Blanc à droite,

LA FILLE AUX LOUPS. Un archer montait

la

garde à

la porte

de

la ville.

nocturne, les yeux encore barbouillés de sommeil, II

lui



Il

sembla que

Aux

armes!

63

il

Engourdi par

froid

les vit venir.

cette triple apparition s'approchait, portée sur cria-t-il

le

un nuage

d'or.

en se signant.

y eut grand remue-ménage dans

le

corps de garde, des soldats sortirent,

bouclant leur baudrier, traînant leur arbalète. Ils

s'alignèrent, puis, talons joints, raidis, le nez haut,

demeurèrent immobiles.

Et c'est ainsi qu'Anémone et ses loups furent reçus avec

au

seul

gouverneur de

la

les

honneurs réservés

place.

Elle ne s'en étonna pas autrement, croyant qu'il était d'usage d'accueillir ainsi

chaque voyageur. Elle regardait curieusement

.-»

les

uniformes avec un

joli sourire

rf°,r

CONTES MAUVES DE MA MÉRE-GRAND.

64

amusé, serrant dans

Le Noir

— de

et

le

Double

si

en bousculant

l'officier,

Niais!

fais

revenue s'y placer.

était

la

queue.

la sentinelle.

sortir

Es-tu ivre

une

poste pour

le

?

Je l'avais prise pour

s'inclinant

et

s'écria

bélître,

grommela

galant chevalier,



Boule de Jade qui

la

grand matin, ou dors-tu debout, que tu

montreuse de bêtes

— —

main

sa

Blanc l'encadraient, battant gravement de

une

sainte, messire, balbutiait l'autre.

en haussant

l'officier

les

comme

épaules. Mais

il

était

enleva d'un geste large sa toques à plumes blanches, puis

il

:

Sois la bienvenue, jeune

— Montrer gagner — Tu

le talent

leur nourriture et

arrives un

Que

fille, dit-il.

viens-tu faire céans?

de mes compagnons aux habitants de cette

peu

tôt,

mon

ville,

messire,

pain.

car nos bourgeois dorment encore,

ouverte que dans une bonne heure

d'ici,

c'est l'ordre

la

porte ne sera

du gouverneur

et je

ne

puis te laisser entrer avant ce temps.



Qu'à cela ne tienne, messire, j'attendrai. Et avec votre permission, pour

charmer vos yeux

et

dérouiller

les pattes

de mes compagnons, je veux vous

donner un échantillon de leur savoir. Les soldats formèrent beau. L'officier et



le

le

Anémone aux animaux dont les yeux pétillaient de manœuvrer en dignes piquiers du Roi notre maître.

Puis, s'adressant à l'officier

Messire,

choses de Ils

la

lui dit-elle,

:

avec un sourire qui l'ensorcela, je suis ignorante des

guerre. Vous plairait-il de leur

comme

vous obéiront

Le jeune

officier

manquer un mouvement;

Lorsque tout

fut fini

Vivat! Bravo!

»

ils

bée, ses soldats regardaient

le pas,

l'exercice?

un

:

le

Noir et

le

maniant leur canne avec ensemble,

terminèrent par une passe d'escrime.

et qu'ils reprirent sur leur

loups, ce fut parmi les assistants «

commander vous-même

à moi.

commanda. Bouche

Blanc allaient, venaient, marquaient sans

faisaient déjà le

Voici vos hallebardes, dit

de malice. Attention



deux loups

cercle autour d'elle. Les

sergent prêtèrent leur canne.

véritable délire.

quatre pattes leur aplomb de Ils

applaudissaient, criaient

Les pièces blanches tombaient et tintaient

comme

:

grêle autour

d'Anémone. Elle remercia avec un sourire ravissant.

Comme

l'heure n'était pas encore venue qu'il lui fût permis d'entrer en ville,

elle s'assit

sur un haut tambour et se mit, à voix enfantine et douce, à dire à ces

hommes un

conte du vieux temps.

Tous écoutaient, loups

et soldats, pris

au charme de sa parole, à

la

grâce simple

ET LA FILLE AUX LOUPS. de ses poses, à

candeur du

la

cheveux noirs où épaules, ses mains semblaient

contait silence

la

comme

qu'un aveugle

Anémone

était

vraiment belle

mat

ses

ainsi,

l'ivoire

de ses

nouaient sur ses genoux. Elle se balançait avec des

fines se

ondulations de fleur sous

récit.

allumait des clartés faisaient plus

soleil

le

65

brise; ses grands

yeux ouverts sur

la

vision qu'elle

agrandis encore. Ses paroles tombaient dans un

imaginée seule. Elle avait achevé

l'eût

et nul n'osait

tel

bouger

ni parler.



Eh

Ce

bien, messires, êtes-vous satisfaits?

comme

fut

remerciant.

la

leur

dut-elle

s'ils

ne

Ils

faire

d'un

sortaient la

vider avec eux

de

pas que de l'écœurer un peu

qui ne laissa

;

l'entourèrent,

Ils

qu'avec de gros

partir

laissèrent

l'honneur

rêve.

mais

l'acclamant,

regrets.

un hanap de vin

elle

Encore frais,

ce

n'eût point été autrement

quitte de ces braves gens. L'officier n'en finissait point de la complimenter;

il

la

suppliait de revenir dans la journée.

— Jamais — Mais, au

je ne repasse là

où une

que nous puissions

t'appelles,

fois j'ai

passé, messire, dit-elle. Adieu

moins, avant de nous quitter, jeune

nommer au

te

fille,

!

dis-nous comment tu

bivouac, lorsqu'il sera parlé de

toi.



nom? comment

Oui, ton

t'appelles-tu?

Ton nom, ton nom! réclamaient

les soldats.



Je

n'en

point,

ai

mes amis. Allons, adieu

cette

fois

pour tout de bon,

adieu! Elle s'éloigna.

Quelqu'un dans

— —

Elle

Adieu,

la foule cria

Fille

la

:

aux Loups!

se retourna, souriante; le

Oui,

soit, la Fille

Elle leur jeta

Toutes

— Adieu,

plaisait

lui

:

un baiser du bout de ses dix doigts, puis s'enfuit bien vite. toutes les mains lui renvoyèrent son baiser, toutes

lèvres,

les

voix crièrent

nom

aux Loups! les

:

aux Loups !... La Fille aux Loups, que Dieu te garde !... La Fille aux Loups!... la Fille aux Loups! Elle enfila toujours courant deux ou trois ruelles, pour ne s'arrêter qu'à bonne la Fille

distance du corps de garde. Elle s'assit

molles et

sur une borne

la tête

Après avoir

un peu

soufflé

:

«Ouf!

à l'envers

:

» le

quelques instants

fit-elle,

car elle se sentait les jambes

vin sans doute en elle

était cause.

se remit en chemin. Sur ses talons 9

ffi

rr

CONTES MAUVES DE MA MÈRE-GRAND.

66 les

de nature hostiles aux errants, grognaient « Conçoit-on que notre bailli laisse ainsi traîner par

loups suivaient. Les bourgeois,

lorsqu'ils la rencontraient

:

graine de potence et ses deux fauves!

la ville cette

rue n'appartient plus qu'à ces gens-là

!

En

de nos jours,

vérité,

»

Le menu peuple au contraire souriait à

cette jolie

fille.

Les badauds

s'assemblèrent vite autour d'elle lorsque, s'arrêtant sur

cortège.

Ils

marché,

elle

leur annonça

la

avec un gentil sourire qu'elle

lui faisaient

place du

la

donner

voulait leur

spectacle.

Le Noir n'était

en

la

et le

que

Blanc se montrèrent impayables de drôlerie

rires et acclamations.

comptant

était saisie

La séance achevée,

de se voir

si

Mais



«

:

mon

Mais,

fois

mois de labeur pénible! » Des larmes soudain

lui

trois, quatre,

dans

;

autant que

mon

cher

montèrent aux yeux.

:

!

ramassant

Puis,

Anémone

Dieu, pensait-elle, je

courageusement ses lèvres à sourire Grand merci, seigneurs et gentes dames dit-elle en saluant à

elle força

foule ce

la

recette fut bonne.

cinq

gagne en quelques minutes de jonglerie papa en un

riche

la

son argent, vite,

vite,

elle

déroba à

se

la

ronde.

bienveillante

la

de son public.

curiosité

Elle marchait au hasard des rues, pensive, hantée par la vision de la forêt natale,

de

hutte paternelle; elle se

la

menue, ne désirant qu'une chose

faisait

:

passer inaperçue. Les loups, comprenant sans doute, affectaient des airs flâneurs

de braves

et

bons chiens.

Arrivée dans un coin de faubourg



Allez manger,

Venez

d'ici

mes chers je

à

peu près désert,

elle leur dit

car vous devez avoir grand faim,

une heure me retrouver dans

loups, merci

mes

cette auberge. Et

de votre peine; ce sont vos talents qui

:

gentils bateleurs!

du fond du cœur,

me gagnent ma

vie,

ne l'oublierai pas. Elle leur

montra une maison qu'une gigantesque enseigne de métal découpé

désignait à l'attention des passants.

d'Argent

Sur

le

— Bien, maîtresse, répondirent

«

:

Au

Sanglier

prononça

:

«

Au

loin

!

»

clin d'œil ils disparurent.

La mélancolie qui pesait sur Anémone ne conduite chez une brave

comme

lisait

les loups.

Elle posa le sifflet d'opale sur son front et

En un

on

fronton

».

lui

vieille hôtesse qui,

coupa pas

l'appétit.

Le hasard

cliarmée de son air honnête,

la

l'avait

soigna

son enfant.

La jeune fille se trouva si bien chez cette bonne femme qu'elle résolut d'y demeurer jusqu'au lendemain. D'ailleurs, maintenant qu'elle avait mangé, elle se

ILS

S

ASSEMBLERENT VITE AUTOUR D'ELLE.

1

Il

II'



---

II

CONTES MAUVES DE MA MÈRE-GRAND.

68 sentait les était

membres

lourds, les paupières

pesantes, pénible de mettre un pied devant l'autre.

Comme vieille, la

ses loups revenus grattaient à

voyant recrue de fatigue,

s'allongea sur le

lit

et

tomba

aussitôt

Et, tandis qu'elle rêvait de

sur

la

la

le

corps de plomb;

porte, elle alla leur ouvrir.

il

lui

La bonne

conduisit à sa chambre. Elle s'y enferma,

dans un profond sommeil...

Généreux,

le

Noir

et le Blanc,

tour à tour, veillaient

elle.

n

VII

.endant des mois

Anémone

Boule de Jade qui

Pâme de

Boule de Jade,

ville

elle la prenait

baisant à petits coups



de

en

ville,

la

ma

entre ses mains et lui disait en

:

chérie, vous dont

matière est

la

que j'aime, vous, transparente comme

celui

toujours suivant

semblait bien indolente.

lui

Souvent, à l'étape, la

alla

comme comme la

lisse

l'eau et verte

mousse tendre, cher Jade couleur d'espoir, pourquoi n'avez -vous pas pitié de moi? Pourquoi allez-vous si lentement? Vous ne savez donc pas quel feu me dévore, ni combien je languis loin de mon bien-aimé. Pourtant, je vous porte

mon cœur,

contre

chaque battement

vous l'entendez battre... Vous ne comprenez donc pas qu'à il

supplie

:

«

Plus vite, plus vite, plus vite!

Boule de Jade, soyez bonne, abrégez

mon

»

Boule de Jade,

tourment.

La sphère magique écoutait tout cela, mais n'en roulait le lendemain ni plus ni moins vite. Anémone suivait, le cœur rongé d'impatience. Là où ils passaient la faveur publique les accueillait; on les connaissait maintenant par tout le royaume il n'était si obscur village où on ne parlât de la Fille aux Loups. Voyageurs et pèlerins contaient les tours merveilleux et l'astuce de ses ;

bêtes; les poètes errants chantaient sa grâce, célébraient sa bonté. petits

garçons

la Fille

malins

aux Loups

Anémone de satin

«

et

avait

de

comme

les

Loups de

la Fille »

;

des

On

disait des

fillettes « belles

comme

».

gagné déjà beaucoup, beaucoup d'argent. Elle aurait pu se

soie, rouler carrosse, avoir laquais

vêtir

poudrés et mettre à ses loups de

larges colliers d'or; mais elle ne voulait pas. Elle était restée la

même

petite

bûche-

ronnette accorte, simple, portant jupon de bure, corselet de velours, chemise de lin blanc. Elle se contentait de remplacer ce qui s'usait, prenant toujours même 09

it

CONTES MAUVES DE MA MÈRE-GRAND.

7° étoffe,

gardant

même

façon. Elle n'avait changé que ses sabots qui se fendillaient

à la semelle; elle en avait acheté une paire en hêtre ciré, très l'élégance

abîmer,

la

ravissait.

Elle s'en montrait toute

De elle,

ma

foi,

Quant

dont

Encore, pour ne pas

les

à ses

deux animaux,

ils

allaient le col

ne s'en plaignaient pas.

l'argent qu'elle gagnait elle faisait l'autre

et

souvent à cheval sur son épaule, suspendus à un lacet de

les portait-elle

cuir, tandis qu'elle trottait pieds nus. libre et,

fière.

mignonne

pour

les

pauvres

:

c'était

deux parts

de beaucoup

;

l'une, la plus faible, était la

pour

plus forte.

Donnez, beaux

sires, et belles dames, aux pauvres gens! Mes loups dansent pour la misère, Donnez aux indigents. » «

Pitié

disait-elle,

en agitant

et tintait la

monnaie.

devant chaque spectateur

«

la

sébille

d'étain



sautait

Donnez encore, donnez toujours! pour les pauvres mes amours.

C'est

La recetle terminée,

elle

courait

à

ses

malheureux.

Manchots,

bancals,

LA FILLE AUX LOUPS. culs-de-jatte, infirmes, malades, estropiés de corps

ou

7'

miséreux de tout

d'esprit,

sexe, de tout âge, l'attendaient groupés en cercle.

Debout au milieu d'eux,

mêmes

gestes

chaumière paternelle lorsqu'elle donnait autrefois grain à ses poussins. Elle promenait ses yeux sur sa couvée de misère, ravie de de

qu'elle avait sur le seuil le

distribuait son argent avec les

elle leur

cœur

faire le bien, le

la

tellement épanoui qu'elle oubliait souvent de réserver sa part.

Elle tournait alors sur elle-même, secouant son tablier, agitant haut les

pour bien montrer qu'elles étaient vides,



Je n'ai plus rien,

suivie par la

Elle s'éloignait,

bouches. Et

jambes des

renommée de

la

:

du

plus rien, plus rien

tout...

bénédiction de tous ces cœurs, de toutes ces

ses bienfaits trottait par tout

des grands.

petits et

et disait

mes pauvres gens,

mains

Il

n'était personne,

hormis

le

royaume sur

le roi

les

peut-être, pour

qui tant de cœurs priaient.

Beaucoup

la

connaissaient sans l'avoir jamais vue. Les pires

lui tiraient leur

bonnet

d'instinct son portrait

bêtes à quatre pattes

et les

gamins, à force d'entendre parler

une bonne femme maigre

:

on en voyait sur tous

;

Elle allait, venait, de jour,

de

les

nuit, par bois,

comme

les meilleurs

d'elle, gribouillaient

comme un

fil,

suivie de

deux

murs.

par plaines, seule ou accompagnée

de ses loups, son sac tintant d'écus ou vide, sans que jamais mauvaise rencontre

Une

advînt.

lui

de piété populaire s'étendait sur

sorte

Cependant, malgré

misérables.

maient pour

elle,

la

la

aimait tant les

souhaits de bonheur que tous ces gens for-

les

pauvre enfant

Certaines tombées de nuit

elle qui

était loin d'être

heureuse.

bouleversaient. Elle pensait alors que, sous presque

membres de la famille c'était l'heure bénie du labeur achevé, du repas qui fume, du lit qui attend après la prière en commun. tous les toits,

la fin

Elle frissonnait

:

du jour groupait

«

Mon

les

:

Dieu, que font ceux que j'aime en ce crépuscule-ci

père que j'ai abandonné?

Me

maudit-il

?

Me

pleure-t-il? Et, toi,

mon

?

Mon

prince bien-

Anémone? M'aimes-tu toujours ? Sais-tu que la pensée de toi est autour de mon cœur comme une main fermée ? Sais-tu que jamais je ne m'endors sans ton nom sur mes lèvres ?... Hélas, mon bien-aimé, que aimé, où es-tu

j'ai

?

Rêves-tu à la

de peine loin de

toi

!

triste

»

yeux perdus, doucement leur long museau sur ses genoux

Lorsqu'ils la voyaient ainsi, sombre, les et posaient



Parle-nous de

lui,



quand

il

:

maîtresse, imploraient-ils, nous l'aimons,

porté sur notre dos, sa main nous a caressés, et oreille

ses loups allaient à elle

t'entretenait d'amour. Parle-nous

Ah, mes bons loups, que

le

de

nous l'avons

son de sa voix plaisait à notre lui, maîtresse...

je suis heureuse de vous avoir, vous, tant de fois

33

72

CONTES MAUVES DE MA MÈRE GRAND.

témoins de notre

félicité. Dites,

n'est-ce pas qu'il est noble, et grand, et beau...?

Les animaux approuvaient de

Et son chagrin s'apaisait, puisqu'elle

tête.

la

trouvait à qui parler de lui.

Chaque

contemplait

soir, elle

reux. Elle l'examinait, Hélas,

«

le

tournait, le retournait avec piété entre ses doigts.

tristement,

disait-elle

lui-même, quand

fragment d'écorce, présent dernier de Géné-

le

Quand deviendras-tu de bronze,

transformeras-tu?

te

écorce chérie, morceau précieux de

hélas,

puis

d'argent, puis d'or...?»

Pauvre Anémone, combien de

Un «

certain jour faut

Il

me

vis

que

que

Peut-être

homme

n'est pas

pardonnerez- vous

tout cela?... Serait-ce

?

Suis-je

malade

est-il

à lui avancer

:

L'inquiétude dans laquelle je ?

Et

oui,

si

le

s'il

Duc,

chôme, si dur

un écu. Mon Dieu, mon Dieu,

donc une sans-cœur que je

n'ai

pas pensé plus tôt à

un avertissement?... Et tandis que peut-être il souffre, moi, ici. Je fais la charité aux pauvres, sans songer que

ne manque de rien

sa

fille,

le

premier pauvre

je

Toute

lui.

!

tourmentait plus que de coutume

ne possède point d'économies, et notre seigneur

vit-il ? 11

aux pauvres gens,

me

la

de ses nouvelles, se dit-elle.

j'aie

ronge. J'ignore tout de

de quoi

soirs elle devait encore poser cette question

pensée de son père

la

la

et le plus

journée

elle

fit

une langue d'une aune, avait été fructueuse.

digne, c'est lui! Allons, vite, au travail pour lui!

danser ses loups. Les pauvres bêtes,

les pattes

le

soir,

»

tiraient

leur rentraient dans le corps, mais la recette

Anémone remercia

ses amis en les embrassant

tendrement

tour à tour. Le soir, tandis qu'ils dormaient, elle empilait liards, sous, deniers, testons

:

elle

en compta pour trente

livres.

Elle

descendit

chez

son hôtesse

changer cette pesante monnaie de cuivre contre cinq beaux écus doubles.

En remontant En

danser dans ses mains, s'amusant de

l'escalier, elle les faisait

entendre tinter, de

les

voir tournoyer et luire, très fière aussi de se trouver

rentrant dans la chambre, elle eut un

chant des loups endormis,

elle leur

fit

mouvement

les

riche.

d'espiègle gaieté. S'appro-

sonner sa fortune aux oreilles;

ils

entrou-

embrumé de sommeil. Elle les embrassa fougueusement Regardez, chers loups de mon cœur, comme nous sommes riches! Croyez-

vrirent un œil tout



si

:

vous que nous gagnons de l'argent, nous

vous pensé, mes louveteaux et tintants!

Jamais

?

mes

de père n'en aura vu tant à

retira

Et main-

!

Les animaux se rendormirent, tandis qu'un

Anémone

la fois!

pauvres harassés, et pardonnez-moi de vous avoir

réveillés, j'étais trop contente, tant pis

babine.

hein! Trente livres! L'eussiez-

Trente livres, vous dis-je, en beaux écus trébuchants

mon bonhomme

tenant, rendormez-vous,

trois,

de ses épaules

le

sourire

indulgent relevait leur

mouchoir brodé

qu'elle tenait de son

LA FILLE AUX LOUPS. père; elle l'étala,

y déposa ses écus, puis

— Dormons, maintenant,

le

73

noua solidement par

coins.

les

dit-elle.

Elle alla pousser le verrou, puis, s'étant dévêtue, elle tira sur elle les hauts rideaux de l'alcôve, après avoir donné d'une tape légère le bonsoir à ses loups. Le lendemain, elle s'éveilla dès l'aube. Ses deux compagnons procédaient déjà à leur toilette, se léchant à larges coups de langue les pattes et le poitrail.

— Bonjour,

longue course



gentils amis, leur dit-elle.

Qui de vous

s'offre à

me faire une

longue,

?

Moi, répondirent-ils ensemble.



Eh

bien, pour ne pas faire de jaloux, nous allons tirer à la courte paille.

Celui qui aura le brin le plus long partira.

Le sort désigna

— —

Que

une mesure

battait

le

Blanc.

Voici.

joie, sa

queue

vive.

Mon cœur

avoir de ses nouvelles.

me

maîtresse? demanda-t-il, pendant que, de

faut-il faire,

est tant inquiet

Va donc vers

mon

de

lui,

père que je ne puis plus durer sans

porte-lui ce mouchoir, et reviens aussitôt

dire fidèlement l'état dans lequel tu l'auras trouvé. La route est longue, je le

mais

sais,

tes

jambes sont

causer de frayeur.

Ne

mais attention surtout de ne pas lui au cou à la manière des chiens,

prestes. Fais vite,

de

t'avise pas

lui sauter

pour l'accabler de caresses. N'oublie pas que tu es loup, objet de terreur pour hommes, ne va pas me le faire mourir de peur



N'ayez crainte, maîtresse, je saurai

Le Blanc de

par

filer

saisit

la porte,

chande d'herbes 11

et

il

la fenêtre.

Il

ne s'embarrassant pas

et,

tomb dans

la

i

rue entre une mar-

bouscula d'une ruade et disparut en trombe.

les

des heures pour parvenir à la forêt où bûcheronnait

Ayant

et essuyait à

présenter.

mouchoir aux écus,

parcourut plusieurs

II la

qu'il cherchait.

le

sauta par

un portefaix,

fallut courir

lui

d'Anémone. cognée

dans sa gueule

me

jeté bas

deux mains

les

fois

en tous sens et

un arbre,

brave

le

finit

homme

le

père

par découvrir celui

avait laissé choir sa

sueur qui trempait son visage. Il s'assit sur la souche fraîche coupée, souffla quelques instants, puis tira de son bissac une gourde

de terre

cuite,

de

la

viande

Tapi dans un fourré, de nous présenter, se il

a l'estomac plein. Il

le

et

la

un morceau de

Blanc l'observait

dit-il

;

l'homme,

II

se mit à

« Laissons-le

comme

le

manger.

achever son repas avant

loup, doit être meilleur

quand

»

déposa dans un creux de broussailles

gueule prudente,

:

pain.

cueillit

des fleurs.

mouchoir aux écus, puis, à coups de Tant bien que mal, il en fit un gros bouquet le

chèvrefeuilles, muguets, violettes et narcisses, puis revint

:

à

son embuscade.

£ CONTES MAUVES DE MA MERE-GRAND.

74

Le bûcheron, ayant à larges rasades les

sursauta, se frotta les yeux, ahuri.

il

jambes flageolaient, molles sans avoir

Une

même

l'idée

la

dîner,

étoupe. Force

portait fleurs,

la

rêvassait,

tête.

tenta de se lever, mais ses

Il

de demeurer

lui fut

là, affalé,

cri.

cérémonieusement.

une manière de grand chien blanc qui marchait en faisant le beau. sur la tête une couronne de lierre, entre ses pattes de devant une gerbe dans

la

laissa alors

Dès

gueule un linge blanc.

profonde révérence; 11

comme

de pousser un

bête, sortie de la verdure, venait à lui,

C'était Il

son

yeux mi-clos, un peu engourdi, dodelinant lourdement de Soudain

de

descendre

fait

trois

tomber mouchoir

queue en panache,

aperçut l'homme

qu'il

il

fit

une

pas encore, puis une autre; trois pas, une autre encore.

les

et

oreilles

bouquet, posa une patte sur son cœur, puis, droites,

il

jusqu'à

s'inclina

terre

avec une

majestueuse gravité.

Ces politesses achevées, un coup de reins pattes.

11

fit

le

remit d'aplomb sur ses quatre

demi-tour, poussa un hurlement joyeux, se ramassa

fantastique, franchit

le

mur verdoyant

qui barrait

la clairière;

il

et

d'un bond

disparut.

Le bûcheron n'avait pas encore repris son tant la stupeur le tenait.

maqué qu'épouvanté: exemple!...

en

voilà

«

souffle,

Il

bredouillait, plus esto-

Ah

bien!... ah ça!... par

une aventure'...

»

Et son

LA FILLE AUX LOUPS. imagination travaillant

continua son monologue

il

Seigneur,

«

:

75

vous vu ce chien, ce loup, cette bête plus haute qu'un ours, de tournure,

si

rompu aux

belles manières...

mon

Dieu! avez-

et si blanc,

noble

si

Ce doit être au moins quelque grand

seigneur, duc, prince ou roi enchanté... Mais, voyons ce qu'il a laissé choir. » Il

s'approcha avec méfiance. Avant de ramasser

ou cinq signes de croix

Mon doux

tenait de sa grand'mère. a

de bel

et

bon argent

I

Ses mains tremblaient et maladie.

comme

le

qu'il avait à

cœur...

le

II

parvenue à

qu'elle devait être

son cœur s'épanouit d'aise

mon

enfant chérie...

»

la :

bruns d'une petite

fille

Pendant ce temps, monts, plaines, nuit!

bond

On

donné à

darda sur

sa

Ma

répétait-il

comme

fut

le

messager

fût

baissaient

chère petite

recevait

s'il

fille...

un

loup. si

Il

lui

songea

riche présent,

ma douce Anémone...

en versant des larmes, tandis que sa main

herse

la

se

bête blanche vient

homme ou

comme

si

elle caressait

:

il

les

cheveux

lui...

atteignit les portes de la ville

Il

yeux

reconnut

le

Il

Blanc, gueule ouverte et langue ballante,

forêts, vallons.

chômage

son bonnet,

priait, ses

a Cette

:

»

esprit droit et simple ne chercha pas plus

agenouillée près de

le

l'un, puis

contre

tira

Il

qu'il

Ce

fille.

venait tout juste de relever le pont-levis.

deux archers

;

»

fortune pour lui faire tenir

«

roi notre sire.

peine considéré jusqu'alors.

droite, d'un geste machinal, allait et venait,

la

blanche!...

qu'il

livres,

six.

à distance qu'elle ne l'oubliait pas. Peu

faisait savoir

lui

importaient les circonstances et que

et

bête

comprit soudain

Son

part, se dit-il... »

Son enfant

aux armes du

bonhomme, assuré désormais

voilà,

quatre

fit

il

les esprits sylvestres

mais ce sont cinq écus de

bien frappés

et

étant celui qu'il avait autrefois

sûrement de sa

!

bon chrétien remercia Dieu. Tandis

mouchoir

un grand coup contre loin.

Te

«

Jésus

Bénie soit cette honnête

s'agenouilla et en fixèrent sur

Et neufs, :

mouchoir,

le

et marmotta Voraison contre

Il

franchissait

comme

descendait

franchit le fossé d'un

alluma brusquement ses yeux,

les

sur l'autre et leur glissa entre les jambes, tandis qu'ils se

tâtaient, éblouis...

Une seconde



après,

paraît bien allant Il

il

grattait à la porte

Bonjour maîtresse, :

dit-il,

je lui ai

trouvé

le teint fleuri, l'œil vif, et

a semblé plus surpris qu'effrayé de

Et

le

Blanc raconta par

Anémone en

le

d'Anémone.

chasse tes papillons noirs.

menu

me

voir...

les détails

fut toute ragaillardie.

de sa

visite.

J'ai

bon

vu ton père appétit,

ma

;

il

foi...

VIII

e lendemain,

ils

se remirent en roule au gré

du Jade. Trois semaines

entraient dans la capitale du royaume. une puissante cité, célèbre par un long passé d'art et de gloire. La Fille aux Loups ne se lassait pas d'admirer le luxe des maisons et la splendeur des monuments. Elle allait, le nez en l'air,

après,

ils

C'était

ayant chaussé ses sabots, défripé sa jupe et rangé sagement ses mèches. Sur ses talons qui faisaient li

flic, flac,

foule les serrait de près.

badauds

qu'elle traînait à sa

elle se

l'aise d'ailleurs, tant

droit devant elle, ignorait les

remorque. N'y tenant plus,

se sentir sans cesse piétiner les pattes et

par un pan de sa jupe;

mal à

ses loups suivaient, fort

Anémone, cheminant

marcher sur

la

le

Noir, impatienté de

queue,

maîtresse

tira sa

retourna: un moutonnement de têtes emplissait

'avenue. Point embarrassée du tout, elle

lune gracieuse révérence «

La

Fille

ces gens

un

joli sourire,

leur

fit

:

aux Loups!... La

— Pour vous — Au carrefour!

promena sur

Fille

aux Loups!...

servir, messires et gentes

*

criaient mille voix.

dames.

au carrefour!

Elle se trouva portée plutôt qu'elle n'alla jusqu'au prochain croisement de rues.

Devinant ce que ces gens voulaient,

elle

guette. Des archers à cheval, craignant

ranger

— A

la

traça dans

un tumulte,

l'air

un cercle avec sa ba-

étaient accourus;

ils

firent

foule.

Les vieillards,

les

infirmes et les petits au premier rang! criait

Anémone.

travers la foule les estropiés béquillaient, les boiteux gambillaient, les malades

sa traînaient. 76

On

s'écartait

pour leur

faire place,

tandis que les gamins, jouant

LA FILLE AUX LOUPS. des coudes, se faufdaient au premier rang.

Quand

tous furent installés,

77 la Fille

aux Loups commença. Elle présentait ses bêtes avec esprit, allant, s'était sentie si légère,

— Bonté que doucement Noir en achevant un — comme-une divine, maîtresse,

le

Belle

venant, voltant. Jamais elle ne

spirituelle.

si

tu es belle à regarder aujourd'hui, lui hurla

saut périlleux.

sainte d'église, maîtresse, renchérit le Blanc qui faisait

poirier fourchu.

le

que devait également penser un seigneur de haute mine qui, campé sur son cheval, s'était arrêté pour la contempler. Un cavalier l'accompagnait, son ami sans doute, car il s'appuyait familièrement sur son épaule. La foule C'est ce

tournant

dos, n'ayant d'yeux que pour

le

spectacle, ne les avait pas remarqués.

le

Du haut de

leur selle

ils

regardaient, l'un

distraitement, l'autre



celui qui portait

vêtement

le

plus riche et montait

le

plus beau coursier

On

ravissement.

— avec une

l'eut dit

sorte de

en extase, tant

son visage exprimait de béatitude.

Lorsque

une

loups, saisissant chacun

les

sébille d'osier, s'approchè-

rent pour faire la quête et que les

pièces

s'abattirent

— Tenez,

valier à la

fit

comme

d'Anémone

grêlons autour

le

mine

ca-

fière,

en tendant à son com-

pagnon un

anneau

d'or finement ciselé qu'il ôta

de son doigt,

prenez

ceci et le lui

donnez. Dites-lui en outre de venir demain

au palais

faire

dan-

ser ses loups; est

mon



tel

plaisir.

Bieu, monseigneur.

le

:

CONTES MAUVES DE MA MERE-GRAND.

78 II

main qui

s'inclina, baisa la



lui

remettait

bague

la

poussant son cheval

et,

:

Holà, peuple, cria-t-il, que l'on s'écarte! Place, place à la maison du Roi!

même mouvement

D'un

toutes

Jes

tournèrent,

se

tètes

tous

s'enlevèrent, toutes les bouches s'ouvrirent; mille cris en jaillirent



les

bonnets

:

Beau Prince! Vive Monseigneur! Vive notre gracieux prince! L'homme aux riches vêtements, au fier cheval, était en effet le fils du Roi, surnommé le « Beau Prince », à cause de la perfection de son visage et de sa noble stature. Vous auriez en vain cherché par tous ses états gentilhomme de Vive

le

meilleure mine

il

n'avait point son pareil. Les

de leurs recherches;

fatiguaient

le

et

:

teurs les gants, les mouchoirs,

vénéraient façons

comme

rubans

femmes

reliques. Les

elles le trouvaient

:

les

les

beau

dames de

la

cour en étaient

folles

bourgeoises achetaient à ses serviqu'il

et filles

avait portés ou touchés et les du peuple y mettaient moins de tue-tête, lorsqu'il paraissait

et le lui criaient à

en public; les plus riches lui jetaient des fleurs, les pauvres des baisers.

Mais

le

Il

Prince se montrait aussi sombre et réservé qu'il était

Aucune ne pouvait

tourné.

se

flatter

d'avoir

jusqu'ici

joli

et

bien

son cœur.

battre

fait

hommages de toutes ces femmes, ayant pour regard, les mêmes propos, et ne se montrant envers celle-ci qu'envers cette autre. Une telle

passait indifférent, à travers les

chacune

le

même

sourire, le

même

plus galant, ni plus courtois

ni

froideur mettait

le

Roi son père au désespoir.

— Vous ne vous marierez donc jamais, mon — Que voulez- vous, mon cher seigneur, répondait

se plaignait-il,

fils?

faute, ne croyez point à

mon mauvais

vouloir.

Eu

celui-ci,

n'y a pas de

il

que

vérité, bien

ma

je m'efforce

à vous satisfaire, je ne suis jusqu'ici parvenu à aimer personne.

Ce lui

n'est

cependant pas

les

prétendantes qui manquaient. Dieu

en avait déjà présentées

cheveux, de peau;

il

été lui

en chercher dans tous lui!

même

défiler

les

de toutes

pays de

tailles et

complexions, on avait

Pas une qui trouvât grâce

terre.

la

Lorsqu'il en avait passé en revue quelques douzaines, :

«

Que

combien on

de toutes races, de toutes nuances d'yeux, de

en avait vu

devant

en bâillant

:

sait

il

se retirai t

ces péronnelles m'ennuient! » disait-il à son confident, ce

seigneur qui l'accompagnait aujourd'hui

sans être aussi beau que son maître,

il

ne

et

qu'on appelait

« Joli Sire » car,

pas d'avoir fort avenante

laissait

figure. Joli Sire fendit

Son cheval Il

à grand'peine le cercle des curieux.

flairant

les

loups

s'approcha enfin d'Anémone

commission.

et

renâclait, s'acquitta

pointait,

aussi

fringuait, moite

galamment

de peur

qu'il pût

de sa

LA FILLE AUX LOUPS. ayant pris

Celle-ci

Tout à coup



le

bague

la

la

tournait et

79

retournait

la

entre

ses doigts.

la tendit à Joli Sire.

elle

Rendez ce présent à votre maître, lui dit-elle d'une voix douce, tandis que lui montait aux joues; je suis une très pauvre fille qui ne demande qu'à

rouge

passer son chemin bien vite en gagnant sa vie et celle de ses bêtes. Je n'ai que

de cet anneau. Une pièce de monnaie serait

faire

me

laissez aller.

gentilhomme

s'efforça-t-il

votre gracieux sire, et

En

vain

le

pour payer

les

gens d'autres façons



Anémone

comprendre que

si

elle

le

les rois

ont

commun

des

ne voulait pas offenser

le

secouait d'un geste obstiné sa jolie tête brune

prince

:

:

gardez votre présent. Ne l'ayant pas gagné je ne

Merci, messire, merci,

veux

faire

lui

d'autre monnaie que

et

mortels; qu'elle eût à accepter le bijou

peine perdue!

de

mieux venue. Remerciez

la

l'accepter.

Joli Sire



à

la fin

perdit patience

:

Et que voilà bien une insolente

un

nerait

saint.

On

voit bien, la jolie

commère! fille, que

son entêtement

s'écria-t-il,

tu n'as jusqu'ici guère fréquenté

de gens de qualité. Apprends que lorsqu'un prince désire,

temps

et

de discours perdus.

Mon

maître a parlé, obéis

tu tiens à ta liberté, je te conseille

au palais royal, accompagnée de

D'un geste colère son cheval,

il

partit

il

jeta

la

au grand

dam-

:

ordonne. Assez de

il

prends cet anneau. Et

de ne point manquer de

te présenter

si

demain

tes bêtes.

bague au visage de trot rejoindre

la

jeune

puis, enlevant

fille,

son maître qui

s'était

éloigné sans

l'attendre.

Le bijou rebondit sur

main de

aux

sa maîtresse.

aisselles, avait suivi

— Ronne

Fille

le

pavé. Le Noir

le

happa au vol

de son œil unique toute

la

aux Loups, crois-moi, conserve

la

tortu qui, béquilles

scène, lui dit cette

déposa dans

et le

En même temps un vieux borgne

bague

:

et te

rends demain

ponctuellement au palais. N'excite pas la colère des grands, car elle est dure au

menu peuple dont nous sommes. Surtout ne manque pas de prince avec cet anneau au doigt. Agir autrement serait

paraître devant le

l'offenser.

Garde-toi,

de ne pas obéir aux désirs des puissants. Écoute ce conseil d'un vieux soldat qui ayant servi vingt ans sous leurs ordres, perdu pour leur gloire un œil, n'a obtenu

de leur reconnaissance, en paiement de tant de misère, que deux béquilles de frêne et le droit de mendier. Fille aux Loups, ne fais pas la rebelle... Sache hurler avec



les loups!

Merci, père, je songerai à tout cela, répliqua la jeune

Elle s'éloigna, après avoir

comme

fille.

d'ordinaire distribué sa recette aux pauvres.

CONTES MAUVES DE MA MÈRE-GRAND.

8o

Le

dans sa chambre d'auberge,

soir,

Ayant ouvert

tourna trois

cercle,

« Soit, dit

chanta

fois,

Anémone, je

Le lendemain,

elle

interrogea

la

formule magique

coucha,

resterai. » Elle se

tenta à

elle

d'un pas résigné vers

traça

un

Boule ne broncha pas

:

le

:

elle quitta

Jade ne bougea

pas

son logis et se dirigea

palais royal.

le

fait toilette, elle s'était

cependant parée de son linge

ses cheveux, finement peignés,

Point de bonnet;

la

:

elle

fort triste.

nouveau l'expérience

davantage. Alors, flanquée de ses deux loups,

Sans avoir

Boule de Jade.

la

porte toute grande pour lui laisser libre sortie,

la

la

coiffaient

le

plus blanc.

d'ébène souple;

bras et jambes nues; sabots aux pieds.

Les gens disaient en



-

Comme

elle est

voyant passer

la

douce et rose

— cheveux — Regardez

:

:

on

dirait d'un

brugnon

frais cueilli!

Qu'elle est jolie! Ses lèvres sont des baies de grenade, ses

de

profonds, ses

yeux deux

qui se dore.

la nuit

velours de ses joues, la chaleur mate de son teint

le

ciels

:

on

dirait

une rose-thé qui marche! Tout en cheminant,

aux Loups

la Fille

faisait

exécuter mille tours à ses bêtes,

et la

dans cet appareil qu'elle parvint

amusée se pressait autour du palais; la garde prévenue sans doute les lui ouvrit toutes grandes. Anémone se retourna encore une fois vers le peuple qui lui faisait cortège foule

aux

C'est

d'elle.

grilles

;

elle

eut un charmant sourire

— —

Adieu, mes bons amis!

Vive

la Fille

aux Loups

Elle gravit le perron.

jusqu'à rent.

la

porte de

Un grand

de ses talons

comme

et

le

si elle

se

fit,

pas de

!

ces poupées de cour? Quelle

si

Elle entra. Toutes les conversations cessè-

n'entendait plus rien que

l'on

le

claquement

gène aucune à travers tous ces gens

!

murmura

Beau Prince à l'oreille de Joli Sire. dans sa simplicité que toutes

le

cette majesté! N'est-elle pas plus noble

belle encore



et

officiers l'attendaient qui la conduisirent

ses loups sur les dalles.

était leur reine

Elle est magnifique

Contemple

clamèrent-ils.

du Trône.

la salle

silence

!

En haut deux

tranquille, elle s'avançait sans

Le regard



:

que

je

démarche

Ah,

!

Joli

Sire,

mon

ami, elle est plus

ne l'imaginais!

Contenez-vous, seigneur, on nous regarde, on remarque votre émoi. Vous

Que ne dirait-on pas m'en moque!

froid d'ordinaire, calmez vos transports.

— Eh! on

dira ce

que

l'on voudra, je

Le prince s'élança au-devant d'Anémone.

!

±fc

LA FILLE AUX LOUPS. Depuis

qu'il l'avait

boire ni dormir, ce

cœur La

rencontrée

paralysait sa langue;

Tel était votre

Eh

le prince,

baiser la main.

lui

fit

une profonde révérence.

Une

bon

se

il

balbutia

:

d'être venue.

fille,

plaisir,

monseigneur

trépignait d'impatience

;

j'ai obéi.

soudain, au beau milieu de

Bravo, bravo,

— D'où

la

il

:

représentation

admirable

c'est

Assez maintenant, jeune ajouta-t-il

trouver seul avec

se

mettait ses gants, les retirait, tortillait ses mouchoir de dentelle. Enfin, n'y tenant plus, il s'écria

rubans, déchirait son

ne

Il

timidité jusque-là inconnue

Le spectacle commença. Le Beau Prince, ayant hâte de

je

pu manger

bien, fais danser tes loups.

Anémone,



n'avait

il

:

entré en ouragan dans

était

se sentait rougir, pâlir; enfin

il

Je te remercie, jeune



ensorcelé

L'amour

d'elle.

aux Loups, voyant venir

quatre pour ne pas

— —

comme

jusqu'alors rebelle, bousculant tout.

Fille

tint à

était

il

ne parlait que

il

g,

Et

!

:

nous

sommes hautement

satisfait!

reposer tes loups. Holà, qu'on nous laisse seuls, foule des gens de cour qui se hâta de gagner les sorties!

fille, fais

en s'adressant à

la

vient, demanda-t-il, lorsque le dernier courtisan eut passé le seuil, vois pas à ton doigt la bague que je t'ai donnée? Sais-tu que ne point la

c'est m'oflenser

que

porter

?. ..

— Pardonnez, monseigneur,

répondit-elle avec embarras, mais j'ai fait

^

vœu de

n'en pas porter... Elle mentait. La vraie raison était qu'elle eût pensé

acceptant d'un autre que Généreux un présent, si mince au front. Le prince la trouva ainsi plus adorable encore.



veux de

roi,

— et

J'admets l'excuse, faire ta fortune.

que je

garderai

te

C'est trop

vous que je

le secret.

d'honneur

me

puisque vous

me

te

questionner

et sois assurée,

lui

monta

sur

ma

et

parole

n'ai nul secret à dire;

un que

certes par méfiance, mais

femme ne partage si

Le rouge

amour en

je m'intéresse à toi

monseigneur, mais je

il

est

ce n'est point à

de mode au pays

ses secrets qu'avec celui qu'elle aime...

— En que m'aimais? — ne vous aimerai monseigneur... — Jamais un grand mot, rang ne point habitués — pourtant, — Et me moi de sorte

à son

Parle donc franchement.

faire,

Non

fût-il.

fille,

priez de parler franc, en aurais-je

le confierais...

d'où je suis qu'une

mais écoute, jeune

fit-il,

Permets-moi de

manquer

tu

Je

jamais,

!

voici

sont

vilain

d'entendre.

Je le dis s'il

bien

et le dirai.

déplaît à

l'entendre

?

mignonne, que

les

gens de

mon

CONTES MAUVES DE MA MÈRE-GRAND.

82

— il

mes

Soit,

lèvres se tairont, mais

mon cœur

le criera

!

Le prince tapa du pied. Une bouffée de colère empourpra ses joues; pourtant se contint. Il se fit humble, avoua son amour, implora, tomba aux genoux d'Ané-

mone.

Il

fléchir

lui offrit

en

lui

de

puis des bijoux, des titres, enfin son trône.

l'or,

peignant

le

désespoir auquel son refus

pas d'autre épouse qu'elle; et

si elle

sans descendance, l'avenir du

mort

assuré, enfin sa

à lui, car

ne cédait

le

sentait

:

tenta de la

« Il n'aurait

à ses prières, c'était la lignée royale

royaume compromis, il

contraindrait

Il

le

que désormais

malheur de son peuple il

ne pourrait vivre sans

elle. »

eut beau s'abandonner aux transports les plus passionnés,

Il

Anémone demeurait

immuable, toute droite entre ses deux loups. Mais tu ignores donc la pitié? s'écria-t-il enfin en élreignant ses genoux.



Rien ne pourra donc

— Ma — Quoi Yeux-tu par en aimes un — grand de vous, pitié est à tous,

dire

?

tu

cœur de pierre mon amour à un seul.

te fléchir,

autre



Oui,

comme



que tu aimes déjà? Parle, mais parle donc...

?

pitié

J'ai

!

seigneur.

des pauvres, des estropiés,

des miséreux auxquels,

dit-on,

tu

distribues

l'aumône. Ah, c'est trop d'insolence! Au fils de ton Roi qui t'offre son amour, son trône, tu jettes lui

en retour

les miettes

faut partager avec les

plus bas truands de son

royaume! En

vérité

j'ai

supplié trop longtemps. J'ordonne maintenant! Et si

tu aimes ailleurs,

tunt

pis!

Tant pis

d'une

pitié qu'il

LA FILLE AUX LOUPS. pour ton cœur

et

pour celui de

l'autre,

83

quelque coureur de route

sans doute?... quelque montreur de bêtes auquel tu engageas ta bien fou de m'inquiéter de gens de cette sorte

Ciel, je suis

n'ai

je les

qu'à vouloir, et je veux!...

promesses,

— —

les

Je suis le

flls

toi,

Par

le

du Roi

:

gré, malgré... Après

Monseigneur, vous vous oubliez, votre raison s'égare...

ou

tu accepteras

un cachot duquel

si

lucide. Ecoute, je t'accorde jusqu'à

mon amour, ou

je

vous

demain pour

fais jeter, toi et tes bêtes,

dans

ne sortiras plus vivante. Je vous y laisserai languir, tous les nourriture sans jusqu'à ce que tes loups, las de jeûner, te dévorent! Ainsi

Fille

Quand

tu

Demain tu reviendras prononcer toi-même ton arrêt. aux Loups écouta, impassible, blanche comme une morte.

j'ordonne. Va-t'en

La

Tu m'aimeras bon

que

!

Tais-toi, je ne fus jamais

réfléchir:

trois,

menaces

!

ainsi

foi ?...

le

!

prince eut achevé, elle

lui jeta

un regard de mépris tranquille,

révérence et se retira sans un mot, sans un geste.

lit

une

,_J_

IX

jeune

a

d'une démarche mécanique,

allait

fille

bouleversée,

si

étourdie qu'elle se trouva hors du palais, sans savoir elle avait

— La

pu en

Une acclamation amusés

l'heure

pour qu'elle

l'accueillit

et qui, l'ayant suivie

les

même comment

sortir.

aux Loups!... La

Fille

si

;

Fille

aux Loups! gens qu'elle avait tout à

c'était les

jusqu'au palais du

attendaient sa sortie

roi,

amusât encore.

promenant sur

Elle regardait sans voir,

la foule ses

yeux obscurcis par

les

larmes, hébétée, prête à défaillir. Elle sentait cependant qu'il fallait se

donnez-moi

la

force de résister

deux mains son cœur dont sourire ses lèvres dont

— Tes Déjà

le

!

fais

:

«

Mon

fui, elle

eut

le

le

Blanc

et le

sans

courage de

qu'Anémone

les rires fusaient,

mêlée semblait se passer en dehors

tira

par

tendre



la

une révérence.

faire

les

applau-

eût repris conscience. d'elle

;

et

pourtant

elle

encourageait ses bêtes, souriait aux assistants...

Enfin, enfin, le spectacle se termina. Elle vit, la

à

!

dissements crépitaient,

loups faire

comprima

Noir pirouettaient, déjà

Tout ce à quoi allait, venait,

implora-t-elle,

Elle se raidit contre son chagrin,

danser tes loups

formé, déjà

elle était

Dieu,

battements détraquaient sa poitrine. Forçant à

les

sang avait

loups, tes loups

le cercle était

»

!

dominer

quête...

manche,

Une

et le

comme dans un

fatigue affreuse l'accablait

Blanc

lui dit

d'une voix qui

;

rêve, ses

elle était livide.

lui

deux

Le Noir

sembla lointaine, mais

la si

:

Vite, maîtresse, suis-nous, domine-toi... Rentrons dans la première

auberge

venue. Laisse-toi mener, allons! Elle entra, traînée par eux,

dans une hôtellerie

qu'ils choisirent.

84

--_._

-

.*

~..

LA FILLE AUX LOUPS. Dès qu'elle

fut

dans sa chambre

peur qui l'assommait. Elle ferma

elle s'affala

les

yeux

sur

le lit,

sans plus résister à

coup

et tout à

;

85

le

la tor-

sommeil tomba sur

elle.

pour pouvoir à son réveil enfin ranger deux idées bouta bout. elle pensa « Généreux, Généreux, ils veulent m'empêcher de

Elle dormit assez

Tout de

suite,

te rejoindre

!

:

»

Elle s'était assise sur le pied

du

lit

et

demeurait

mains nouées sur ses genoux, obsédée par

les

cette

l'œil fixe,

cheveux épars,

les

unique pensée.

Ses loups la regardaient avec de bons yeux pitoyables,

n'osant troubler ce

désespoir.

Soudain

la

Boule de Jade

point songé plus tôt à

elle.

lui

de sa main, Péleva vers le jour

doucement,

et lui parla

— Mignonne, mon me menace

ger qui

pensé à chérie, d'ici

toi

j'ai

:

elle la prit

de tons

et

de

de n'avoir

dans

le

creux

clartés, la baisa

:

espoir unique est en

me

peur de ce

et elle s'étonna

;

l'habiller

toi.

Puisque tu es

tu ne m'abandonneras pas.

:

qui dois

mémoire

comme pour

d'abord, mais

toi tout

revint en

L'ayant tirée de son sac,

le

dan-

Pardonne-moi de n'avoir point

chagrin avait bouleversé

guider vers

fils

fée, tu sais le

mon bonheur,

ma

raison.

sphère

aide-moi! Conduis-moi hors

de Roi. Jade précieux, Jade précieux, sauve-nous!

Vite, elle le déposa sur le plancher, puis courut trois fois autour de lui et trois fois

chanta suivant

le rite prescrit.

Hélas, au troisième tour, la Boule ne bougea pas. se dit Anémone, qui ne pouvait croire dû tourner trois fois, ou je me serai trompée en chantant. Elle recommença une fois encore, puis une autre le Jade resta collé au sol. Alors, à deux genoux, Anémone supplia. Larmes perdues, paroles vaines a

II

faut

la réalité.

que

j'aie la tète à l'envers,

Je n'ai pas

à »

:

le

:

Jade demeurait inflexible. Elle se tordait les bras



Tu veux donc me

:

livrer à

mon

pire ennemi, cruel, disait-elle. Est-ce là ce

bonheur vers lequel tu dois me guider? Je n'en veux pas! Près de Généreux est bonheur, uniquement pies de lui. Et puisque tu ne veux pas me conduire,

mon

perfide, j'irai seule! Elle

ramassa

la

Boule et

la

serra dans son sac.

— Venez, mes chers compagnons, Blanc chambre; — Maîtresse, considère que

dit-elle.

Elle allait quitter la

dit-il,

ville sont

closes à cette heure.

le

la retint

la nuit est

Tu ne pourrais

par

le

bas de sa robe.

tombée; sortir.

que

de

la

Mieux vaut donc que

tu

et

les portes

a

CONTES MAUVES DE MA MERE-GRAND.

86

manges d'abord

;

ensuite tu te reposeras en attendant le jour. La route de

demain

sera longue peut-être. Répare tes forces et dors; nous veillerons sur toi.

La jeune

fille

Le lendemain, ce

— les

fut le

Noir qui

lit

l'éveilla



elle

s'endormit, les nerfs brisés.

:

nous faut déguerpir. J'entends sous nos fenêtres passer charrettes des maraîchers venant des environs porter leurs légumes à la ville.

Donc

Alerte, maîtresse,

les

s'habilla

:

profitons-en.

rapidement,

encombre

appela

l'hôte,

solda

son

écot

et

partit.

une des portes de la ville. De peur d'être reconnue, elle enveloppée d'un manteau de pastourelle acheté chez un fripier. Elle avait

Elle arriva sans s'était

il

portes sont ouvertes

Anémone

E

Son cœur étant trop lourd pour qu'elle

se rendit à ses sages conseils.

eût appétit, elle se jeta sans souper sur le

à

LA FILLE AUX LOUPS. rabattu

capuchon sur

8?

ses traits seul passait le bout de son joli nez. Nous autres, connaissons bien, nous ne l'aurions pas reconnue. deux loups s'étaient séparés pour ne pas trahir leur maîtresse partis, le

qui pourtant

Les

;

la

;

l'un devant, l'autre derrière elle,

baguenaudant,

et, allaient,

Tous

l'oeil

ils

avaient pris l'allure de fort honnêtes chiens,

doux,

la

queue en trompette.

devaient se rejoindre hors de l'enceinte, au premier calvaire rencontré. Anémone passa innocemment à la barbe des archers de garde qui, à califourchon trois

sur un banc, jouaient

aux dés;

soldat se croit tenu de faire

qu'on cache ainsi son minois qui te font peur

Le cœur

ils lui

?

— Mignonne

?

jetèrent les inévitables plaisanteries

au passage d'une



Hé,

la

jolie fille

«

:

pastourelle,

On

est

est-ce les archers

bergerette, qu'as-tu fait de tes

moutons?

lui battait fort lorsqu'elle franchit le pont-levis. Elle

son capuchon pour libérer ses oreilles et écouta

si

on ne

que tout donc bien laide

du Roi

»

desserra un peu

pas

la suivait

:

personne

!

Elle respira.



Boule de Jade,

dit-elle,

en sortant

le

talisman de son sac à coulisses, je

vais te consulter à nouveau. Pour l'amour de Dieu, secours-moi, aie pitié de détresse.

ma

un gros arbre qui poussait au bord de la route. Trois fois elle tourna autour du Jade, trois fois elle chanta la strophe magique celui-ci s'obstina à ne point bouger. D'un geste fâché Anémone le ramassa. Elle se cacha derrière



Méchant,

lui dit-elle.

Elle l'eût battu Elle

si elle

avait osé.

poursuivit son chemin, marchant bon pas. Parvenue à

du paysage une haute croix de

route, elle aperçut au fond «

;

un détour de

la

pierre.

C'est là qu'ils m'attendent », se dit-elle. Celte pensée l'encouragea.

Elle approchait; déjà ses

yeux distinguaient au pied du monument une tache Noir sans doute qui l'ayant devancée l'attendait, lorsqu'un nuage de poussière s'éleva qui le déroba à sa vue. C'était un peloton de cavaliers accourant

sombre,

au grand

le

trot et qui barrait la route.

Anémone

avait à peine eu le

temps de

le

reconnaître qu'elle entendit derrière elle de rapides battements de sabots. Elle se retourna : une autre troupe sortait au galop de la ville. Saisie

de peur,

aussi, obliquèrent.

se vit en jetant au

un

la Il

y eut

fille se jeta à travers champs; les cavaliers, eux un court temps de charge, et la pauvrette épouvantée

environnée d'un cercle de chevaux piaffant, encensant, vent en un furieux cliquetis de gourmettes l'écume de leurs naseaux. clin d'oeil

Et cent paires d'yeux elle!

jeune

la

regardaient; cent voix criaient

:

« C'est elle, c'est bien

»

_U

CONTES MAUVES DE MA MÈRE-GRAND.

88



Ah, ah,

aux Loups! Te

Fille

la

voilà

Est-ce ainsi qu'on

prise!

fausse

compagnie au Beau-Prince, mon seigneur! qui conduisait cette chevauchée, avait sauté à terre.

Joli Sire,

le feutre bas,

Il

s'approchait

raillant.

il y eut un furieux remous de chevaux, des caracoles, des ruades, et deux loups surgirent de cette forêt dansante de pattes. Ils se placèrent aux côtés de la jeune fdle, les yeux flambants, le poil hérissé.

Soudain

les



Maîtresse, hurlaient-ils, bataille, bataille! Oh, oh,

sera velours à nos frère, allons-y!



gosiers.

Au jarret

Halte! cria

la

jeune

les

il

va y avoir

démange! La chair de

rieux coups de crocs! Oh, oh, la gueule nous

de fu-

ici

ces mécréants

Maîtresse, ne bouge pas, laisse-nous faire! Hardi,

chevaux,

hommes

les

à

la

gorge!... sus!

vous défends de bouger.

fdle. Je

Au nom du

talisman

tout-puissant, votre maître, arrêtez, arrêtez!

Prêts à bondir,

— — ces

ma

le

Noir et

le

Blanc s'indignèrent.

Alors, tu vas te laisser faire?

veux point de sang versé, pas une goutte

Je ne

pauvres gens m'est liberté

plus

chère que

de meurtres. Je vous

interdis

la

à cause de

mienne.

Je

moi

ne veux

!

La

et dociles!... je l'ordonne!... Allons, derrière

mes

de

payer

pas

de bouger. Suivez-moi où que

vie

j'aille...

talons, et vite!

Les loups obéirent en grondant de dépit. Les mains

de

liées

sur

le

dos, encadrée par les cavaliers,

Anémone

reprit le

chemin

la ville.

La voyant passer en semblable équipage, suivie de ses bêtes mornes,

queue pendantes, par cette

fille

les

gens se demandaient quel pouvait bien être

au pur visage.

Ils

hochaient

le

front,

le

tête et

crime commis

haussaient

épaules

les

« Que leur importait après tout? C'était la justice du Roi! » Dans la haute salle du trône elle comparut devant le Beau Prince. Dès que celui-ci l'aperçut, il s'élança vers elle, dénoua fébrilement ses liens, puis, ayant ordonné qu'on le laissât seul avec elle, il tomba à ses genoux Jeune fille, dit-il d'une voix tendre, tu as désobéi à mes ordres, tu as tenté de fuir, je serais en droit de te punir, au moins de t'adresser des reproches. Cependant, regarde, je t'ai moi-même délivrée et me voici à tes genoux, te demandant pardon du traitement que mes gardes t'ont fait subir. Parle sur un mot de toi je leur ferai payer cher leur geste maladroit Oser charger de liens

et s'éloignaient

:

:



:

!

ces poignets délicats...

En disant Anémone

ces mots se

il

les voulait

galamment

baiser.

déroba d'un bond.

.._

w LA FILLE AUX LOUPS.

89



Arrière, cria-t-elle, plutôt sur eux les plus lourdes chaînes que la trace de vos lèvres. Je vous défends de m'approcher... Le Beau Prince s'était relevé. Les poings crispés, blême de colère, l'œil égaré, il marcha sur la jeune fille qui, rompant à mesure, se trouva bientôt

acculée à

muraille. Toute droite, adossée à la tapisserie, elle planta son regard fier et tranquille dans les yeux du prince fou de rage. la



Oui ou non, interrogea-t-il brutalement, veux-tu être ma femme? Allons, réponds, pas de discours Choisis ou la vie avec moi sur un trône, ou la mort dans un cachot, sous la dent de tes loups. Réponds! Est-ce oui? est-ce non? C'est non! I

:



Elle avait jeté ce refus d'une voix ferme.

— Insensée! Tu viens de prononcer ton arrêt de mort... de mort! — pense! J'y

— Encore une —

fois, c'est

non?

Je ne répondrai plus...

3>2>OtA<6

y penses-tu?

CONTES MAUVES DE MA MERE-GRAND.

go



Archers! appela

prince, en courant soulever

le

donnait

portière qui

la

sur ses appartements.

Les soldats accoururent. Alors, s'adressant à leur chef



:

femme! ordonna-t-il. Qu'on la jette dans le cachot réservé aux criminels d'État. Vous me répondez d'elle sur votre tête. de

Saisissez-vous

cette

Allez!

emmenèrent

Ils

la Fille

aux Loups.

Derrière eux, le Beau Prince s'arrachait les cheveux, déchirait ses vêtements, se frappait la poitrine.



Malheur

à

je

l'aime...

Dieu

pitié,

pitié!...

arrachez-moi du cœur cet amour

insensé!

Ah, misérable que

moi, je

l'aime

encore...

tout-puissant,

je suis! Joli Sire

qu'on

était allé

chercher, se hâta vers

monde

transports et eut toutes les peines du



Je

ne puis vivre sans

criait-il,

elle,

à

lui.

trouva dans

le

Il

les pires

l'empêcher d'attenter à sa vie

je l'aime

et

me

elle

:

Ah,

hait...

ses

yeux, ses grands yeux de mépris! Et moi qui l'aime encore, maintenant plus

que jamais. Hélas, hélas!... laisse-moi mourir... abandonne ton prince à son lamentable destin...

Tandis que

Beau Prince se désolait

le

bois, les pieds attachés par une lourde

les trois

assise sur

prisonniers on avait refermé une lourde porte

garnie de verrous, de serrures. Pas d'air,

Dehors deux gardes

De

Anémone,

lentes heures passèrent. Enfin

pas de jour

un

:

:

on entendit un bruit de

un

geôlier parut,

Voici

tes bêtes et

l'eau,

:

de

bardée de

silence de

fer,

tombe.

toi...

ferrailles

remuées,

portant une cruche.

— pour pour de de de manger — Quelle heure demanda Anémone. — m'est défendu de Sache seulement, au comme une énorme de — Merci, boire, interdit

billot

pertuisane au poing.

veillaient, la

de barres d'acier poussées, tirées

un

chaîne aux murs de son cachot, mains

venaient, farouches.

jointes, priait. Ses loups allaient,

Sur

ainsi,

C'est

tout.

Il

t'est

permis

c'est l'ordre.

est-il ?

te le dire...

Il

lune brille

moitié

ciel

pauvre

fille,

que

la

perle.

geôlier.

11

accompagné du même fracas de pênes et de verrous. Et nouveau le silence dans ce sépulcre de pierre.

repartit,

ce fut à

Tout à coup



le

Noir dit dans l'ombre

Maîtresse, souviens-toi que

Le Blanc à son tour parla

:

bientôt,

:

mes mâchoires broient

l'acier

comme

paille...

QUELLE HEURE EST-IL DEMANDA ANÉMONE?

CONTES MAUVES DE MA MERE-GRAND.

92



mes yeux,

Et que

— Et que nous — Et moi

maîtresse, sont

courons

vite,

vite

si

deux lumières que

vivantes...

pour nous

vent peine

le

suivre,

ajoutèrent-ils ensemble. aussi, je ne pense qu'à fuir, répliqua

...

pensée. Mais j'attendais

plétait leur

Anémone, comme

com-

si elle

Elle est venue, dit le geôlier; à

nuit...

la

l'œuvre donc, mes chers loups! Je compte sur vos talents pour

me

tirer d'ici!

Noir, romps-moi ces entraves! Blanc, allume un de tes yeux, tout doux, que nulle lueur ne

sous

filtre

Un claquement

la

porte.

une chute de

sec,

crocs du Noir Une paupière que

ont travaillé

1rs

dans

voici

le

Anémone

:

«

ferrailles

Tu

sur

Blanc cligne, une lueur qui

le

un grognement joyeux;

le sol,

es libre, maîtresse! »

tamisée par

jaillit,

elle,

et

cachot du jour très doux..

a déposé sur

le

sol la

Boule de Jade. Elle hésite, son cœur bat.

Enfin elle se décide.

— Sphère

magique,

pour

dit-elle,

la

lu vas décider de ma mort ou de ma

A elle

pas lents

chante

troisième

le

et

achevé,

tour

lentement roule vers

la

De

le

dernier

si

m

i

ferme

de nous les

trois.

larmes

la

Boule enfin

son jade se

faisait

vire

lumière,

porte. ses

crocs magnifiques, cric,

crac,

croc!

Le Blanc darde ses yeux

clarté aveuglante, éblouissent sentinelles et poste

Et

pitié

»

mot chanté,

phosphore comme

La porte s'ouvre.

serrures et verrous.

de

Jade vert, jade luisant...

Elle s'allume,

Le Noir a bondi.

de

demande mon chemin,

Jade chéri, aie

:

o

Et

vie,

tourne trois fois; d'une voix qu'appesantissent

elle

trois fois

sur elle-même.

dernière fois je te

de garde;

le

:

il

arrache

deux

jets

Noir d'un coup

seau les bouscule. le

Jade passe, puis derrière

marche. Par

la

vertigineuse,

Courtisans,

folle,

lui le

les escaliers

Blanc que chevauche Anémone;

puis une ruée de chambres en salles, de cours

hommes

d'armes,

le

Noir

tournants du palais, c'est une montée en vis

valets détalent,

poursuivent,

en perrons.

se bousculent,

se

heurtent, tournoient...

Et

n'ont pas compris encore, que déjà nos

ils

de

la porte

U,

:

ils

à

la ville.

En deux coups de mâchoire bascule

compagnons sont parvenus

passent...

le

Noir brise

les

chaînes du pont-levis; celui-ci

.

LA FILLE AUX LOUPS. Et et la

c'est le

champ

libre alors, la terre à perte

de vue endormie sous

course en tempête vers un point que seul le Jade connaît

93 la

lune,

X

eux ans encore

Anémone

et ses

loups ont erré par

monde, deux

le

longues années que n'a traversées nulle aventure. Plus de sept cents soirs se sont succédés sans

que paraisse plus voisin

course décevante; plus de sept cents Ciel cette

même

prière quotidienne

:

fois la

jeune

terme de leur

le

fille

a élevé vers le

Seigneur, faites-moi retrou-

«

ver celui que j'aime » sans que luise pour elle l'espoir d'une réunion prochaine.

Tantôt à allure

folle,

tantôt à

marche

lente,

ont vu des pays et des pays encore, jamais

Ils

ont suivi

ils

les

hommes à peau Vingt fois Anémone

Les loups ont dansé pour des des huttes, dans des palais.

tant elle avait derrière elle de

royaumes

et

la

sphère capricieuse.

mêmes. brune, à peau blanche, devant s'est

crue au bout de

de capitales;

reparti, côtoyant les fleuves, contournant les monts, longeant les mers.

Elle l'ignore. elle

lui

importe d'ailleurs;

il

n'existe

pour

elle

Jade est



qu'une terre

est-elle :

celle

?



découvrira Généreux.

Et, ils

Peu

la terre,

et vingt fois le

puisque

le

vont encore, Et voici que

Jade roule, roule toujours, roule

ils

encore,

ils

vont,

eux

autres,

vont toujours. talisman

les a conduits, au débouché d'une vallée, dans une un arbre, pas un brin d'herbe un sol grisâtre qui rejoint l'horizon là-bas, si loin qu'on croirait infinie cette morne étendue. Sous les pattes du Noir et du Blanc une poussière tiède tourbillonne, comme s'ils galopaient à travers une jonchée de cendre. le

plaine immense. Pas

Anémone contemple

:

ce désert à grands yeux inquiets. Elle qui a vu déjà tant et

tant de contrées, s'alarme du silence tragique qui pèse sur celle-ci rien 9!»

que

le

on n'entend halètement des bêtes; pas un oiseau, pas un souffle de vent. On ne :

LA FILLE AUX LOUPS. voit rien

:

en haut pas un nuage, un

95

dense qu'il paraît d'encre

ciel si

en bas ni

;

une mousse, nulle trace d'être ou de plante.

un arbre, ni un buisson, ni La nuit, sans crépuscule, tout d'un coup, tombe, et c'est plus cette plaine que l'on sent partout, emplie de néant et d'ombre. Jusqu'au lendemain et

la

chevauchée se poursuit à travers cette immensité noire

muette.

Brusquement, d'une unique le

sinistre encore,

saccade,

grand jour déborde, cru, sans 11

même

éclaire la

Anémone, bien place,

le soleil

se hausse sur l'horizon

dont

douceur nuancée de l'aube.

plaine, toujours!

qu'elle

voyage depuis des heures,

ne distinguait

si elle

profile,

la

devant

loin, fort loin

croirait n'avoir pas

une maison.

elle,

minuscule, entre deux arbres plus élevés, semblant

comme

bougé de

Celle-ci se

elle

découpés

dans du papier noirci, puis plaqués sur une large bande éblouissante qui barre fond du paysage

une immense étendue d'eau

:

— La mer!

la

Le Jade

comme une

Enfin

file

ils

mer!

s'écrie

limite partout

la

le

vue.

Anémone.

flèche, et derrière lui les loups, infatigables.

parviennent à un vaste enclos de verdure au milieu duquel s'élève une

maison sobre d'aspect, on

dirait

l'habitation

d'un pêcheur. Derrière

elle,

à

perte de vue, c'est la plaine encore, mais une plaine liquide aussi vaste, aussi

morne, aussi désolée que

la

première... Et là-dessus

flamboie un impitoyable

soleil.

Le Jade

est

Celle-ci a

revenu prendre sa place contre

mis pied à terre

et,

la

poitrine

d'Anémone.

après avoir d'un franc baiser payé ses loups de

leur peine, elle se dirige vers ce qu'elle suppose être la mer.

Sur

la rive croissent

d'étranges roseaux,

leur tige est noire, noires sont leurs

tels

feuilles, et

en longs et souples pinceaux. Nul souffle ne

on dirait que chaque

feuille

que n'en

vit

jamais

la

jeune

fille

:

d'argent leurs fleurs qui s'étalent

les agite, et

pourtant

ils

bruissent;

a une langue pour se plaindre, et ce sont des sanglots

qu'exhalent ces roseaux funèbres.

Anémone écoute et

frémit; mais l'onde est là, tentante de toute sa fraîcheur pres-

sentie. Elle y hasarde le bout de son pied le relire

avec un long

cri

de surprise

:

nu

Anémone

mais à peine

l'eau est

d'un tiédeur fade de sang versé... Les et s'en écartent

;

l'ya-t-elle

lourde, épaisse,

plongé qu'elle

et tiède surtout,

loups accourus n'en veulent point boire

avec dégoût.

alors revient vers l'enclos; elle pousse la porte basse, entre et

à petits pas, ravie

de sentir sous ses pieds

de ce sable cendreux.

la

marche

caresse moelleuse de l'herbe au lieu

et CONTES MAUVES DE MA MÈRE-GRAND.

96

Une prairie en pente douce monte de la grève vers une maison grise à toit de chaume que flanquent deux grands arbres feuillus. Leur ombre, en ce début de jour, s'allonge, reposante pour rendent

Sur

et

la

l'œil fatigué

par

la

double réverbération que

plaine et la mer.

le seuil la

les fenêtres et la

jeune

fille

s'est arrêtée

:

des

filets

sèchent,

pendus au mur,

porte sont closes.

Elle prête l'oreille

:

pas un bruit ni dedans ni dehors, toujours l'angoisse de ce

silence au milieu duquel elle circule depuis tant d'heures. Elle saisit le heurtoir en

ébranle

la

forme de poisson,

Elle s'enhardit, lève la clenche, pousse la

elle

frappe

:

un

fracas de tonnerre

maison, roule, se répercute, puis meurt... Personne!

porte ne cède pas. Alors elle appelle

— Holà!

du genou, mais

la

serrure est fermée

holà!... oh!

Sa voix, dans cette immensité, semble ne pas dépasser ses lèvres; sans portée, sans écho. Rien ne répond

—'.-:.

elle s'éteint

monte en sourdine la plainte funèbre roseaux immobiles. Pas un vol d'oiseau, pas une présence d'inun battement d'ailes, ni un grincement d'éljlres, rien que ces sanglots

que chantent secte; ni

:

:

les

:

seule,

LA FILLE AUX LOUPS. venant du bord de l'œil

morne,

mer

la

97

et la respiration courte des loups qui, la

queue basse,

terne, suivent, apeurés.

le poil

— Comment trouvez-vous

mes chers compagnons ? demande Anémone

ce lieu-ci,

qui, obsédée par le silence, leur parle plutôt par besoin d'entendre leur voix et la

sienne que pour écouter leur réponse. C'est le Noir,



moins timide, qui réplique

Sinistre, maîtresse, sinistre

:

cette cendre, ces

:

roseaux en deuil, cette maison

morte, cette mer aux eaux lourdes, br... br...! Fuyons cette épouvante, maîtresse. Tire la Boule magique, tourne trois fois, trois fois chante, et portons.

La jeune comprend

consulté

a

fille

Jade; mais

le

celui-ci ne

Anémone

bouge pas,

:



Il

faut rester

mes doux amis,

ici,

avec tristesse.

fait-elle

Elle s'assied sur le seuil qu'un large auvent de bardeau couvre d'ombre, prend sa tête entre ses

mains

et, les

coudes sur

les

genoux, songe, songe...

Ses loups, allongés auprès d'elle, ferment

les

yeux, s'endorment.

Et des heures passent ainsi, lentes, dans un affreux silence. Combien qui n'a pas sommeillé ne pourrait, elle-même,

Quand

de sa rêverie,

elle sort

au

le soleil

?

Anémone

le dire.

du

ras

flot glisse

entre chaque brin

d'herbe ses rayons horizontaux.

Soudain un point sombre apparaît, préciser, grandir, puis se profiler en

qui affleure l'onde.

— Oh!.

.

oh

Anémone

là!...

court à

très loin, très

reculé.

une barque noire sur la

grève

voit

le

se

le

disque de lumière

si

grande maintenant

:

Oh!... oh!... cric-t-elle vers la barque

qu'elle cache le soleil et paraît

Anémone

voguer dans une

gloire.

Pas de réponse.

— Oh!... Un

oh!... ho!... ho!... ého!...

l'homme

clapotis de godille lui parvient, mais

qui, debout, très grand,

manie

rame ne daigne pas répondre.

la

— Oh!... ho!... ho!

La barque s'approche;

Anémone

s'est jetée

D'un geste large



Salut, jeune

il

la

au-devant de

Que

fille.

Anémone répond en

fais-tu

s'il

je

tremblant

vieillard

lui; ses

l'arrête à distance

La voix parle comme chantent

— Seigneur,

Un

voici.

pieds barbotent dans l'eau lourde.

:

en ce lieu

les

par

?

Et que veux-tu de moi

?

cordes basses d'une harpe.

:

cherche celui que j'aime,

n'est point passé

à barbe de lune en descend.

et

vous pourriez peut-être

me

ici ? 13

dire

CΠCONTES MAUVES DE MA MERE-GRAND.

98

— Jeune aimes car

dernier mortel qui passa sur ces bords n'est point celui que tu

fille, le

y a environ trois mille ans de cela; depuis je n'ai vu personne, hormis

il

toi.



Trois mille ans! Mais depuis



porte

Depuis

longtemps que

si

aide-moi plutôt à hâler

?...

quand vivez-vous donc, seigneur?

je crois bien n'être jamais

ma barque

— Seigneur, demande Anémone,

né; mais que t'im-

sur la rive.

en tirant sur l'amarre, ne pourriez-vous rien

pour m'aider à rejoindre celui que mon cœur aime? Ce n'est certes pas sans

faire

ma

dessein que la Boule de Jade, qui est fée, m'a conduit vers vous. Prenez pitié de

misère.

— La Boule de — Oui,

Jade, dis-tu?

seigneur,

Us avaient hâlé en

tira le

Tu possèdes

la

Boule de Jade?

la voici. la

barque sur

rive.

la

Anémone

deux mains larges ouvertes.

Celui-ci se prosterna d'abord, puis le reçut sur ses Il

lentement face au

l'éleva

dans

ouvrit son sac à coulisses,

talisman qu'elle tendit au vieillard.

soleil qui,

s'abîmant soudain dans l'onde, plongea tout

la nuit.

Anémone

Alors ce que virent, ce qu'entendirent croyable

La Boule de Jade s'entoura de

:

bleues, laiteuses, dorées, puis elle

se

chose

et ses loups est

peine

à

clartés qui jaillissaient

en houppes vertes,

mit à chanter d'une

voix harmonieuse

et pure.

Le

vieillard,

ciel, cette

écoulait.

comprenait

Il

tenait pieusement sur ses

recueilli,

tombée du

comme une

paumes,

étoile

sphère mélodieuse. Le visage baigné par l'étrange lumière, les

paroi

s qu'elle chantait et

il

qui demeuraient mystérieuses

pour Anémone dont l'âme ne percevait que

céleste et ravissante

dernière note frissonna, lente, mélancolique

comme un

adieu

;

musique. Une

la

Boule se

tut,

puiss'éleignit.

— Jeune

dense,

le

toire. Je

fille,

dont

voix vibrait, sonore

la

Maître de toutes les Destinées m'a parlé par puis t'aider peut-être. Ecoute

aux

confins du

que

tu crois

n'est pas

dit le vieillard

monde,

:

et je suis l'éternel

le

lieu



le

et

Jade;

te voici

grave dans il

m'a

parvenue

la nuit

dit ton his-

est

presque

gardien de cette plaine liquide. Ces

flots

de l'eau ne sont pas de l'eau, mais des larmes; ce que tu crois une mer

une mer, mais un

lac,

son

nom

est le

Lac des Larmes.

Il

contient, jeune

toutes les larmes versées par l'humanité depuis qu'elle existe. Pas

répaud en ce monde qui ne jour est tombée

la

soit

mystérieusement

première larme du premier

recueilli

homme;

en ce

et

fille,

un pleur ne

lieu. C'est ici

se

qu'un

depuis s'y sont rassem-

blées, innombrables, toutes celles qu'ont pleurées à travers les siècles des milliers

de

LA BOULE DE JADE

S

ENTOURA DE CLARTÉS.

_u_

CONTES MAUVES DE MA MERE-GRAND.

100

générations. Ce lac est

merveilleuses



immense

quelque jour

et,



«

le

:

roseau qui gémit »,

demeures auprès de moi,

tu

si

nénuphar qui sanglote

le «

Sur ses bords croissent des plantes

entendues sans doute

tu les as déjà

jonc qui se lamente »,

le «

et lugubre.

»

dont

les pétales noirs

je te rapporterai

en guise de parfum

exhalent des sanglots.



Vous avez

de moi.

»

— Tu

interrogea

seigneur,

dit,

Dois-je donc rester ici... le dois, si tu

Anémone

:

«

si

tu

demeures auprès

?

veux, rejoindre jamais celui

que

tu aimes. Et tu devras rester

longtemps, longtemps.

— — —

Combien de mois

Cinq ans! répéta Anémone d'une voix douloureuse. Mais, seigneur, non,

c'est impossible; votre c'est

?

Cinq ans.

un

faible

cœur,

endurci

si

cœur de femme, un cœur

soit-il,

ne peut exiger cela du mien

:

qui aime, seigneur, et déjà tout rongé de

chagrin... Cinq ans, mais je serai fanée alors... mais

me

ne

il

trouvera plus belle.

..

cinq ans, seigneur... cinq ans!...



ment

Et cinq ans qui fatiguent

mains

les

ce Jade

:

!

Ecoute, voici ce que

« Celle-ci

Elle fera tout

corps, rident le visage, creusent les joues, défor-

le

dans

dont

la

le

nom

maison; tu

est la

le

Maître de Toutes

Anémone,

mèneras à

les

Destinées m'a dit par

sera pendant cinq ans ta servante.

ta fantaisie.

Au

bout de ces cinq ans,

tu la prendras dans ta barque et tu la passeras sur l'autre rive es l'immortel gardien. Mais à

servage

elle

une condition

:

c'est

du

lac

dont tu

que durant ces cinq ans de

ne verse pas une larme, pas une seule, quoi qu'elle souffre, endure,

rêve ou pense! Sinon, c'est

fait

de son bonheur. Tu

la chasserais

de ces rives

et

jamais au grand jamais, elle ne passerait ce lac derrière lequel s'étend la contrée



vit celui qu'elle

Tu

aime.

as entendu, jeune

»

fille,

acceptes-tu?

— Généreux par delà mer de larmes; votre servante, seigneur, mon amour m'aideront. Je — Et maintenant, ô jeune sache La que est là-bas,

cette

il

serai

fille,

tombe une larme, une seule, où que je sois, fût-ce même

et elle

ceci

:

terre

poussera une clameur

à l'autre extrémité

si

Dieu

suffit, j'accepte.

et

et

ne pleurerai pas.

tu foules est fée

;

qu'il

y

haute que je l'entendrai

du lac Perds donc

l'espoir de

me

tromper.

— —

Vous ne l'entendrez pas crier, seigneur, car je ne pleurerai pas. Anémone, ton malheur me touche et ton courage me plaît. Puisque te voici ma servante, je m'arrangerai pour que ta tâche ici soit douce. Tu me verras chaque matin partir dans ma barque, et chaque soir rentrer à l'heure qui précède la nuit. Tu

-i£z-i«:

ra'-ïtf

LA FILLE AUX LOUPS.

101

ménage en ordre, sois ponctuelle, diligente, propre, et nous nous entendrons à ravir. Pour le moment, dis à l'un de tes loups d'allumer ses yeux, et à leur clarté aide-moi à décharger mes poissons. seras seule tout le jour et maîtresse

D'ordinaire

il

me

au

reste assez de jour

logis. Tiens le

pour

aventure est venue troubler l'harmonie de

A

la

Le

lueur que dardaient

vieillard puisait

tendait à

le

prunelles du Blanc

le coffre

mais ce

soir ton

vie... ils

de sa barque

travaillèrent.

et

en retirait

les

poissons qu'il

dans des paniers. Elle frissonnait de dégoût, n'osant regarder, sentant sur ses mains leurs corps visqueux,

Anémone.

tournait la tête,

dans

les

faire cette besogne-,

ma

Celle-ci les entassait

frétillement gluant de leur agonie. C'était à la vérité d'étranges et troublantes bêtes

aux formes jamais vues que

ces poissons péchés au Lac des Larmes. 11



au passage y en avait de hideux et de magnifiques ; il les lui nommait celui du Mensonge, Perfidie, la celui de puis Tiens, voici le poisson du Doute, :

CONTES MAUVES DE MA MÈRE-GRAND.

[02

monstres horribles

trois

tié! ...

!

.

.

Et ces deux beaux-là

.

Les deux plus communes sont lent

dans ces eaux. Tiens,

qui sans cesse dévore.

Lorsque la

poisson

le

d'Amour

je te passe celui

gueule énorme, toute en crocs

Le

la

Charité, celui de la Pi-

et le poisson

d'Amour,

il

de Mort;

pullu-

ils

ravit par sa forme, sa grâce,

miel ou venin... Maintenant, prends cet autre. Flasque, noir, petit corps,

distillent

vers

de

celui

mais garde-toi de ses piquants qui, suivant l'heure ou sa fantaisie,

ses couleurs;

lible,

?

ce lac, Anémone, qu'espèces se nourrissant de larmes...

ne se pêche en

II

le

coure

c'est le poisson

:

infail-

à de grandes profondeurs de larmes...

vit

Il

deux

fut vide, tous

de Mort, chasseur formidable,

se chargèrent des paniers et remontèrent

maisonnette.

marteau contre

vieillard heurta le

la

porte en prononçant

yeux du Blanc balayèrent

s'ouvrit aussitôt. Les

un mot magique

ténèbres d'un

les

;

elle

vaste couloir.

entrèrent.

Ils



Anémone, dit domaine suis-moi.

le vieillard,

demain sera ton

je vais te faire visiter ce qui

;

alluma une antique lampe de cuivre en forme de cœur

battit le briquet,

Il

flamboyant qui

était

suspendue sous

Anémone

le

manteau de

cheminée

la

;

le

Blanc éteignit

commença.

ses yeux, et la visite

trouva tout

si

propre,

si

net,

si

ordonné, qu'elle se senlit rassurée par

tant d'intimité et d'harmonie domestiques. Meubles et

comme

pnrquet luisaient

miroirs et les cuivres, clair fourbis, accrochant la lumière, faisaient dans l'ombre

de chaudes taches d'or. Le

deux

blanc,



de bonheur pour

n'y point connaître

— —

une

le

Je m'efforcerai,

et te

vaillants

Il

chambre

:

un

lit

au linge

étroit

toi

fille.

Je ne te souhaite pas d'y vivre heureuse, car

qu'auprès de celui que tu aimes;

mais

puisses-tu

Anémone, de mériter ce nom. Pour le moment, songeons Demeure ici, mon enfant. Un de tes loups va m'accompa-

rapportera ton repas; je veux que tu

le

prennes seule ce

soir,

avec

tes

compagnons. Bonne nuit! il

désigna se3 yeux et ajouta

:

Et surtout, mignonne, ne pleure pas.

s'éloigna avec le Noir qui marchait à son côté et lui léchait la main.

Ce dernier ne

fut

pas long à revenir, portant dans

d'une serviette blanche les

sa

malheur.

D'un geste affectueux



homme lui montra

Merci, père.

à ta faim, à ta fatigue.

gner

vieil

petite table.

Voici ta chambre, jeune

n'est

il

chaises,

et qui contenait

de

fort

la

gueule un panier recouvert

bonnes choses. Vite,

la

jeune

fille

disposa sur la table. Elle mit trois assiettes, approcha les deux chaises. Le Noir

FRF ht

LA FILLE AUX LOUPS. Blanc s'y assirent; elle-même prit place sur

et le

le

io3

pied de son

lit,

et

on soupa

de bon appétit.

moulus de fatigue qu'ils ne songèrent pas à veiller. Le dernier coup de mâchoire donné, les deux loups s'installèrent chacun dans un coin et s'endormirent. étaient tous trois

Ils

Anémone

si

se déshabillait.

Comme

elle ôtait

glisser sous son chevet, elle le trouva le

contenu sur son

de Jade, enfin

un

— Et «

le

Du les

A

tout y était

:

d'une lourdeur

le sifflet

:

il

était lourd, très lourd. Elle

lui

chantaient dans

mesure que notre réunion

Mon

le

le

en vida

souleva, elle laissa échapper

courut à

la

lampe

:

se

fera

le

cœur

:

plus proche, lu verras ce

morceau

»

elle alla,

dans sa

joie, se jeter

au cou de ses loups

embrassa toute éperdue.

L'espoir

en

insolite. Elle l'ouvrit,

Dieu, balbutia-t-clle voilà que j'allais pleurer de bonheur...

Et renfonçant ses larmes, qu'elle

sac à coulisses pour

bronze, s'écria-t-elle, avec ravissement, c'est du bronze!

paroles de Généreux

d'écorce devenir de bronze, d'argent, puis d'or.



le

d'opale et sa chaîne de perles, la Boule

fragment d'écorce. Mais lorsqu'elle

de surprise

cri

lit;

de son cou

la

berça très doucement, quand elle fut dans son petit

lit.

XI

,endant que la Fille aux Loups et ses bêtes promenaient par empires et

royaumes leur

Tysrem qui

garer d'Anémone,

l'avait

tion qni,

de place à et

vie errante, le prince

nier de l'enchanteur

la



fantaisie

il

le

de son maître.

Il

suffisait à

une autre phrase, et l'édifice mouche, où bon semblait au magicien. Ayant d'excellentes raisons de

Cent guetteurs, postés par

se

lui

se méfier

Tysrem de le

posait,

le

faire certains signes

château s'envolât. sans

d'Anémone,

il

plus

de

Un

bruit

autre

qu'une

avait pris ses précautions.

sur les remparts, surveillaient les environs.

montré dans un miroir enchanté l'image de telle qu'elle

Pour

par je ne sais quelle force diabolique, pouvait changer

geste,

apparue

surveillait étroitement.

enfermé dans un château de son inven-

de prononcer une phrase magique, pour que

avait

Généreux demeurait prison-

celle qu'il redoutait.

Il

leur

Elle était

courait alors les routes, casquée de ses lourds cheveux bruns,

en coite courte, pieds nus et accompagnée de ses loups.



jamais vous apercevez celle-ci ou ses bêtes, sonnez du cor, sonnez du

Si

plus loin que vous la verrez! Quiconque la laisserait approcher périrait sur

mon

ordre en d'affreuses tortures.

Malgré ces précautions,

que

effet il

il

ne se sentait pas au fond

ne se serait pas embarrassé de tous ces

cher.

Il

aurait

pu semer autour du château

quelques boisseaux de graines et crie

très tranquille.

le plus subtil de ses artifices ne pouvait rien contre

dès qu'on

la

«

hommes d'armes

Il

savait en

Anémone, sans quoi qui lui coûtaient fort

volant, pour en garantir les approches,

d'herbe babillarde

» laquelle

germe en une nuit

touche.

La pauvre Anémone ne se doutait guère du luxe de surveillance provoqué par sa personne; mais 104

la

Boule de Jade qui

la

guidait

le

savait bien.

Dix

fois déjà, elle

LA FILLE AUX LOUPS. avait

failli

cor et

joindre

le

châleau volant, mais dix

le palais était allé

io5

guetteurs avaient sonné du

fois les

se poser ailleurs, bien loin, ce qui explique les itinéraires

capricieux du Jade.

Généreux habitait au centre du château un appartement magnifique; il n'était en apparence aucunement surveillé peu de domestiques, pas
qu'elle criât, d'une voix sonore et grave

Prince sort

Le Prince entre

! . . .

!

»

comme un bourdon de

également; dès que Généreux s'en servait, «

Le Prince m'ouvre... Le Prince me ferme!

étaient sans cesse au courant des pas et

promenades

il

disposait d'un

cathédrale

:

a

Le

Les chambres prenaient jour par des fenêtres, fées elles glapissaient

d'un ton de fausset

» Ainsi l'enchanteur

:

ou son remplaçant

démarches du jeune homme. Pour ses

magnifique jardin sans murs, barrières ni clôture,

mais perfidement entouré sur sept

toises

de large d'une

a prairie babillarde ».

Ainsi cloîtré, Généreux charmait ses loisirs en chantant ou rêvant. Sa pensée et ses lèvres étaient hantées parle souvenir et le

son passé d'amour.

A

nom d'Anémone.

Il

évoquait souvent

travers sa tête, toute vibrante de l'harmonie lointaine des

serments échangés, passaient une succession d'images riantes ou tristes, dominées par la mince et virginale figure de sa bien-aimée, tantôt en vigueur et lumières, tantôt en mélancolique grisaille.

chantait cette magie de sons et de couleurs en

Il

s'accompagnant sur son théorbe...

et

ceux qui

l'écoutaient,

même

les petits

pages

ignorants des choses de l'amour, ne pouvaient retenir leurs larmes. Tous allaient répétant ses vers par les chambres, les cours, les jardins, volant tout entier retentissait des louanges de

de

les entendre.

Il

la belle

si

bien que

défendit à quiconque de chanter ou de parler

primait plus que par signes. Généreux dut obéir

le

château

Anémone. Tysrem enrageait

comme

:

on ne s'ex-

se dédommagea en jouant du théorbe. La voix de l'instrument remplaça la sienne; cela agaça Tysrem qui le lui enleva. Comme il entrait dans ses vues que le jeune

homme s'ennuyât à périr, il ne lui laissa ni pendant des semaines, des mois, Généreux ne

A

ni

il

parchemin, ni plume. Et

lut. n'écrivit,

ne parla ni ne chanta.

vivre ainsi replié sur lui-même, sans cesse en tète à tête avec la pensée d'Ané-

mone, de

livre,

les autres,

il

finit

sortir et

par tomber dans un sombre découragement;

demeurait de longues heures immobile,

il

comme

avait perdu le goût prostré, le

menton

entre les mains, les yeux fixes...

Un

certain après-midi,

soie, regardait «

Que

par

comme

la fenêtre

le

jeune homme, assis dans un vaste fauteuil de

ouverte voler les oiseaux dans

le

jardin et pensait

ces gracieuses bêtes sont heureuses de pouvoir chanter à plein

cœur

H

:

et

CONTES MAUVES DE MA MERE-GRAND.

io6 franc gosier

à

»,

ferma

fut si forte qu'il tait,

plus ravissante jeune

la

les

yeux

blanc

et devint

une séduction vivante.

!

Il

comme un

yeux pour

qu'il voyait!

convaincre qu'il

se

en chair et en os

lui

Songez que c é-

lingp.

premier visage féminin

le

rouvrit les

devant

et qu'il avait bien

ne rêvait pas,

qu'il ait

tille

depuis sa séparation d'avec Anémone,

Et quel visage

un léger bruit de pas. Il se vue de sa vie. L'émotion

derrière son dos

entendit

il

retourna et aperçut

la

plus adorable

des princesses.

Toute grâce colliers

dans ses voiles blancs,

et souplesse

de perles rehaussaient de leur orient

elle

Des

s'avançait souriante.

incomparable de son front

l'éclat

et

de sa gorge. Quatre négrillons à turban bleu pâle portaient sa traîne un autre, tout d'azur vêtu, agitait au-dessus de sa tète un gigantesque éventail de plumes. ;

Généreux,

le

sang aux joues maintenant, avait repris conscience

bond pour recevoir Elle lui tendait

main,

qu'on

il

lui

s'agenouilla. Et,

se leva d'un

comme

il

élevait le bras

pour

saisir

abandonnait, sa large manche glissa jusqu'à son coude,

découvrant son poignet auquel

était

Anémone... Anémone!...

«

il

sa troublante visiteuse.

la

et baiser les doigts

;

»

noué une tresse de cheveux bruns.

chantèrent douloureusement

souvenirs soudain

les

vibrants par son âme.

D'un bond



il

debout

fut

de

et aimerai jamais, Il

reculant à distance respectueuse,

et,

M'apportez-vous, madame, des nouvelles de

ma

bûcheronnette

jolie,

de

prononça ces paroles d'une voix ferme, mais

connue eut un

mouvement de

recul.

Le prince

ma si

chère

il

s'inclina

:

personne que j'aime

la seule

Anémone?

nuancée de passion que

l'in-

se tenait raide, guindé, rougissant

non d'embarras, non de trouble, mais d'indignation contre lui-même. « Lâche, se donc si faible qu'il suffit de la présence d'une femme, si belle soit-

disait-il, es-tu elle,

pour que

L'inconnue,



Eh

tu oublies tes serments! » la

bouche dédaigneuse,

quoi, seigneur, est-ce

demander dès En vérité cet

l'abord, sans

étrangement sur

ma

Elle

fit

daigner

la saluer,

si

d'amour à une

fille

il

des nouvelles d'une autre?

faut

de bûcheron

!

demi-tour, pourpre de colère, et repoussa sa traîne d'un

coup de pied

qu'elle

lui

que vous vous mépreniez vous pensez qu'une princesse de mon rang

plus galants. Et

personne,

s'abaisse à servir de courrier

:

compliment à adresser à une femme que de



même

accueil est des

railla

envoya bouler

ses

si

brusque

quatre négrillons à l'extrémité de

la

chambre. Cela fut

de

d'un

rire, ce qui

tel effet

mit

le

comique que Généreux ne put s'empêcher

comble à

la

d'éclater

confusion de la pauvre petite princesse.

LA FILLE AUX LOUPS.

107

Tysrem

Elle courut tout d'une haleine se plaindre à

en termes véhéments



consolation, à

:

Excusez-le, princesse, il

l'envers, car

faut il

que

le

lui

en manière de

dit-il,

chagrin

lui

ait

mis

tète

la

est d'ordinaire le prince le plus galant

du monde. Ne pleurez plus

et fiez-vous à

moi, je vous

aisément

trouverai

un époux plus digne que

lui.

Et

il

se hâta

la

ramener

ses

états

de

dans de

et

la

rendre à son père qui était un puissant roi

de ses amis.

fond,

il

Au

se souciait

de cette petite comme d'une muscade et peu lui importait

qu'elle

trouvât mari à son

goût

;

lait

c'était

ce qu'il vou-

amener

Généreux à trahir la foi «

jurée.

Nous verrons bien qui l'emporou de moi, et si je ne par-

tera de lui

viendrai pas à

mo 11

lui

faire

ie. »

n'y parvint cependant pas.

Généreux,

à toutes celles

encore, d'Anémone.

Tysrem

il

Il

leur promettait

de ce rebelle. car

prendre de l'amour pour une autre que sa maudite Ané-

n'y a

qu'on

lui

présentait parlait uniquement, toujours et

rebuta par sa constance les plus résolues. C'est en vain que

monts

Toutes

et merveilles si elles réussissaient à

perdaient

femme au monde

patience un jour ou

l'autre

gagner et

le

cœur

renonçaient;

qui ne finisse par se lasser d'entendre les louanges

perpétuelles d'une autre.

L'enchanteur multiplia

les

embûches,

fit

naître les occasions, usa de surprise,

CONTES MAUVES DE MA MÈRE-GRAND.

io8

provoqua

rencontres les plus inattendues; peine inutile

les

de roc. Avouons à son grand mérite que, tentation,

il

ma

Il



tentation en tentation le

» et

le

temps marchait,

C'est aujourd'hui

que

tu

amour pur

Le Maître de toutes



je t'ai pris

ne

te laisse aller

il

Là où je pourrai étala son

:

Le Prince

terme se

barbe hirsute.

la

Ton

sort s'est accompli.

je ne puis désormais plus rien contre toi

Destinées m'ordonne de

les

me

y a dix ans. Prépare-toi donc à

que contraint

et forcé!

suivre.

Tu

— du moins rapporter



Mais sache que

je

te

Prends garde, Généreux, prends garde

1

te nuire, je te nuirai!...

manteau sur

le sol.

— Assieds-toi près de moi, sur ce manteau, obéit.

Tysrem

et les souffla

dans

fit

un grand geste

direction

la

poursuivit-il.

circulaire, arracha

du vent. Tout

deux ailes qui s'attachèrent aux épaules du magicien. Généreux dans ses bras. était

brune

:

as vingt ans révolus.

directement.

11

la tresse

les jours défilaient et le

matin, l'enchanteur se présenta, l'œil flamboyant,

parla d'une voix saccadée et haineuse

barbe

déposait sur

il

de

Anémone,

voir,

prince aurait atteint sa vingtième année.

as gardé ton

Il

lui arrivait-il

Que ne peux-tu me

«

à la première

et fidèle baiser.

rapprochait où

Un

:

moi!

serais contente de

bien-aimée, tu

De

Généreux demeurait

:

succomber

failli

montrait désormais une magnifique constance. Aussi

contempler parfois son bracelet en pensant

un tendre

avait

s'il

tard lorsqu'ils

nuit close, et fort

aussitôt le Il

parvinrent

prit

deux

poils

de sa

manteau devint

son vol, emportant

au-dessus

d'une

ville

homme très grande et très éclairée. Tysrem voleta de ci, de là, cercle, comme s'il cherchait à se poser, puis soudain, il s'abattit

qui sembla au jeune

en zig-zag, en

au centre d'une pelouse, dans un jardin entouré de hauts murs. Il

déposa son passager sur l'herbe, souffla sur

le sol,

il

s'élança à

Généreux, sous

nouveau dans le souffle

Le prince dormit toute d'un éblouissement de

la nuit et :

il

tapant du pied contre

les airs et disparut.

du magicien,

soleil

lui, puis,

était

tombé dans un profond sommeil.

une partie de

la

matinée.

Il

se trouvait étendu sur l'herbe, dans

jardin qu'il examina curieusement. Tout n'y était qu'harmonie massifs,

choix

le

tracé des allées, le velours

même

frémissait

de leurs parfums

un peuple d'oiseaux

et

s'éveilla

sombre des pelouses,

les

:

un coin de

l'ordonnance des

nuances des

fleurs, le

jusqu'au gazouillis discret tombant des arbres où

rares. S'étant levé,

il

se dirigea vers

un point où

rideau de verdure, s'interrompant brusquement, donnait libre vue sur

i_*_

au milieu

le

le

paysage.

LA FILLE AUX LOUPS. Une émotion

violente

poigna;

le

[09

à cinq cents pas de

là,

lui,

inondée de lumière connue,

qu'elle buvait à pleines fenêtres, se dressait, imposante et bien

la

façade

du château paternel. joignit les

Il

mains pour adresser à Dieu une fervente action de grâce lorsque,

tout à coup, des bras solides se nouèrent autour de son corps et le soulevèrent de terre.

En un

grise

qu'il

clin d'œil

il

puis poussé devant un officier à longue barbe

fut ligoté,

pour l'avoir vu

reconnut

Abichmed, capitaine aux archers du



Malheureux,

trompé notre surveillance, Jardin Privé de Sa Majesté

?

roi,

chargé de

royale.

suite

la

C'était

garde du Jardin Privé.

la

d'une voix altérée, par quel stratagème as-tu

celui-ci

dit

souvent dans

dans quel sombre dessein as-tu pénétré dans Tu vas payer de ta vie ce forfait.

et

Les soldats, sabre au poing, encadraient

prisonnier et

le

le

par dessous

lui jetaient,

leurs sourcils en broussaille, des regards furieux.



que

Capitaine, répliqua-t-il, veuillez envoyer dire à votre Très-puissant Maître

celui qu'il attend vient

Abichmed haussa pensa-t-il.

de tomber du

épaules;

les

il

Cependant l'assurance,

imposaient, «

Ma

importe qu'elle

le

il

le

doit avoir,

calme

la tête

aux pieds

et les riches

un fou

»,

vêtements du prince

lui

homme me

:

oc

C'est

paraît êtrede qualité;

pour punition de son crime,

la tête

tranchée, peu

ou dans un quart d'heure. 11 n'est point Abichmed, mon

tout de suite

soit

de

mentalement, cet

foi, ajouta-t-il

et puisqu'aussi bien

ciel.

le toisa

d'affaire qui ne se puisse différer, et (u es assez vieux courtisan,

ami,

pour savoir qu'on a toujours

d'excès de zèle

:

auprès de Sa Majesté

La

temps de

le

défère au désir de ce garçon, et attends

sans impatience

prouva qu'en l'occurrence

suite

la

faire

une

bêtise...

dépêche-moi un de les

événements.

philosophie du vieil

donc, pas tes

hommes

» officier

était

la

bonne. 11

le

eut tout lieu de s'en réjouir en

effet,

lorsqu'il

vit

le

Roi lui-même, oui,

Roi en personne, sans escorte, sans suite, seul, accourir... Et à quelle allure!

Galopant

comme

que neige sous

plus leste de ses pages, cheveux et barbe voltigeant ainsi

le

bourrasque.

la

Hors d'haleine,

il

se tenait, fier et droit,

— Généreux!... Il

l'avait

s'arrêta

mon

reconnu,

devant

Généreux qui,

ficelé

des pieds à

la

tête,

au milieu des archers. fils...

malgré

mon

fils

les

ans,

chéri! balbutia-t-il.

malgré une

horrible

cicatrice

qui

le

défigurait.



Mon

fils...

D'un élan

il

mon

enfant chéri!

se jeta contre lui,

bousculant

les

hommes de garde

qui, la face

CONTES MAUVES DE MA MÈRE-GRAND.

110

contre terre,

se prosternaient,

éperdus.

le

Il

versaient d'abondantes larmes. Tout à coup



Détachez

mon

fils! cria-t-il

serra dans ses

bras.

Tous deux

:

aux archers d'une voix tonnante. Vive

le

Prince

Généreux!



Vive

le

Prince Généreux! répétèrent

Maintenant, sur le

visage.

le

vieillard

menant son

Tous deux gravirent

les assistants.

fils

les

par

degrés

la

main s'avançait,

le

bonheur

du perron qui conduisait aux

appartements royaux.

La bonne nouvelle

s'était

répandue.

De

toutes les fenêtres jaillissaient

des

acclamations, des tapis se déroulaient, étalant au clair soleil la souple mosaïque

de leurs couleurs. Je vous laisse à penser le ravissement de la reine lorsqu'elle revit son enfant ne se peut imaginer de scène plus touchante; les beaux yeux des dames de la :

il

cour étaient trempés de pleurs.

Des hérauts partirent dans toutes

les directions, s'arrêtant

aux carrefours pour

publier l'heureuse nouvelle.

3

1

LA FILLE AUX LOUPS. Le peuple, en témoignage de et besogne, puis s'en fut vers

Dans

lui causait

ce retour, planta là outils

palais acclamer le prince héritier.

le

riait, on s'embrassait. Le soir il y eut illuminations, flambeaux, mascarades et cavalcades aux lampions. Enfin, de

rues on dansait, on

les

aux

retraites

que

la joie

1 1

mémoire d'homme on n'avait rien vu de pareil. Les mourants eux-mêmes s'inquiétant de tout ce vacarme en demandaient la raison avant de sauter le pas, puis, l'ayant entendue, mouraient plus tranquilles... L'allégresse était générale. Quelques



savants la

et

non des moins

lune elle-même sourire...

Tandis que



sérieux. 11

est vrai

affirmèrent

que

peuple en liesse sautait,

le

l'on

lendemain

le

s'esclaflait et chantait

bourgeois; que

qu'ils avaient

vu

but tant cette nuit-là!

par

les rues

que

;

noblesse du royaume assemblée

dans

les

maisons festoyaient

dans

la

grande Galerie du Palais célébrait ce beau soir à grand étalage de bijoux, de grâces et de danses, le Roi et son épouse retirés dans leur apparte-

de

les

la

toilettes,

ment ne

se lassaient point d'admirer le

Généreux,

chéri enfin rendu à leur amour.

un coussin aux pieds de sa mère, lui contait ses aventures. doigts dans ses cheveux qu'il avait noirs et doux comme soie

assis sur

Elle passait ses

ondée. Une question pourtant

de lui causer de



fils

la

Dites-moi,

lui

brûlait les lèvres, qu'elle n'osait poser, craignant

peine. Mais elle était

mon

fils,

femme

:

la curiosité l'emporta.

demanda-t-elle en hésitant un peu, d'où vient cette

profonde cicatrice à votre joue droite, qui vous donne encore,

est possible, la noblesse

s'il

La reine

parlait ainsi

pour ne pas

le

de votre visage

l'air si

martial et rehausse

?

désoler mais, au fond d'elle-même, trouvait

affreuse cette plaie qui le défigurait. Elle creusait en effet d'un sillon large d'un

du jeune prince qu'elle traversait en biais de l'oreille au menton. Généreux comprit ce mensonge délicat; il sourit et répliqua

doigt la joue

:



Madame,

je

ne puis

satisfaire votre curiosité, car j'ignore

préféré avoir gagné cette

ou un dragon

;

la vérité,

delà

défiguré

éveillé,

moi-même

l'origine

bonne opinion que vous avez de moi, j'eusse cicatrice dans quelque lutte glorieuse contre un géant

de cette blessure. Certes, pour

hélas sorte.

!

la

un matin

je

me

suis

Vengeance de magicien, sans doute...

je

ne

sais

est plus plate et fort terne

:

rien de plus. Il

se

garda bien de souffler mot d'Anémone,

joue n'était rien d'autre que alors qu'il était

La

reine,

lesses,

et

demain,

le

d'avouer que ce creux dans sa

du morceau d'écorce

qu'elle lui avait arraché

encore chêne.

un peu

on ne

la trace

et

se

prince

dépitée, n'insista pas.

coucha qu'au

fit

On

continua à se dire d'infinies gentil-

petit jour après mille

venir secrètement

le

Maître de

la

embrassements. Le len-

Police;

il

lui

demanda

s'il

I

CONTES MAUVES DE MA MÈRE-GRAND.

12

n'avait point ouï parler d'une

deux

L'autre lui répondit

loups.

jeune bateleuse appelée devait être sortie

moins

trois

— —

la Fille

de par

le

monde en compagnie de

qu'effectivement,

il

avait souvenance d'une

qui

fille

allait

aux Loups, qui

du royaume, car

avait traversé le pays; mais elle

n'avait plus

il

entendu parler

au

d'elle depuis

ou quatre ans.

Je vais la faire rechercher, Seigneur, et sans tarder

;

comptez sur tout mon

encore dans vos états, je vous la ferai amener, morte ou vive. Pour l'amour de Dieu, garde-t'en bien, maladroit! Sache seulement où elle trouve, rien de plus, et viens m'en avertir en grand secret. Mais s'il tombe un

zèle. Si elle est

se

seul cheveu de sa tête par ta faute ou celle des tiens, tu le payeras de ta vie.

Des mois passèrent. Le Grand Maître de la Police avait envoyé des agents un peu partout hors du royaume. Aucun ne rapporta de nouvelles précises. Lorsque le

dernier fut rentré tout aussi bredouille,

ment

:

« Je

ne

inconcevable chagrin.

même

errait,

Il

le

prince se laissa aller au décourage-

jamais », se répétait-il; et son âme

la reverrai

sombre, rêveur,

pour en apprendre

voulurent

distraire;

le

s'amuser tout seul,



de tous, évitant

ses parents.

Lorsque ceux-ci s'aperçurent de ce changement d'humeur, reste

pénétrée d'un

était

irritable, loin

peine

Si

Généreux

cause.

regimba

ne pas se plaindre.

s'obstinait à

déclara

et

firent tout et le

net qu'étant assez

Ils

grand pour

trouvait fort mauvais qu'on le voulût égayer malgré lui.

il

j'ai,

la il

ils

cette

peine

m'est

chère,

répétait-il à

sa

mère d'un ton

impatienté. Pour l'amour du Ciel, laissez-moi en repos.

Ses deux pauvres parents se désolaient toute ils

tombèrent

d'accord qu'il fallait le

marier

:

la sainte

journée.

Un beau

une épouse, des enfants,

soir,

voilà ce

qui l'arracherait à sa mélancolie. Généreux bondit à cette proposition. Son père eut beau faire valoir les arguments les plus touchants faisait

vieux

;

qu'il voulait lui

enfants... rien n'y



Eh

bien!

fit.

soit,

du monde, disant

céder son trône et bénir avant de mourir ses petits-

Pourtant, de guerre lasse, un matin, Généreux

mon

qu'il se

père, je consens à

me

lui dit

laisser marier. Mais, je

me

juré de n'épouser jamais que celle qui pourra faire disparaître la plaie de

visage et rendre à



quille,

Enfin donc, il

ma joue mutilée mon fils! s'écria

se trouvera bien dans

mes

:

suis

mon

son aspect d'autrefois. le

états

vieillard transporté

quelque

fille

de

joie.

Va,

sois tran-

d'habile médecin pour opérer

ce facile miracle. Dès demain, je ferai publier un édit qui portera tes conditions

jusqu'aux confins de

mon royaume.

La nouvelle à peine répandue, la défilade commença. Il fallut organiser un service d'ordre aux portes du palais pour contenir la foule des prétendantes.

LA FILLE AUX LOUPS.

II

y en avait de toutes

les

sa

13

conditions, de tous les âges, depuis la plus répugnante

sorcière jusqu'à la plus pure

Chacune apportait

1

fille

de

roi.

méthode, son onguent, son remède. Pas une ne

réussit.

Et cela dura des mois et des mois.

Un

soir

que Généreux

entendre une à l'oreille «

voix.

errait

— ce devait

par

le

Jardin Privé, seul, à son ordinaire,

être celle

de sa conscience



lui

dire

il

crut

rudement

:

N'as-tu pas honte de demeurer

tes parents

que tu désoles

qu'attire seul l'éclat de ton

recherche

à travers

épreuves

Veux-tu donc qu'elle seule

de

et

te

te

ici

dans

l'inaction,

donner en spectacle

rang, tandis que la et

de

te laisser cajoler

par

à des milliers

de femmes

Anémone

erre à ta

vaillante

misères! Qu'attends-tu, pour aller au-devant d'elle

mérite; qu'elle te vienne quérir

colique paresse où tu croupis? Allons, debout! Le

monde

ici

?

dans cette mélan-

est vaste! Va-t'en

gagner

ton bonheur! »

Ce

fut

comme

si

une main brutale arrachait un voile de ses yeux.

II

vit

Anémone,

1

CONTES MAUVES DE MA MERE-GRAND.

14

flanquée de ses deux loups, et trottant, infatigable, vers

Elle lui tendait les

lui.

bras... souriait...

ries,

partir, se dit-il, et sur l'heure!

veux

« Je fit

seller

»

son meilleur cheval, passa chez

remplie d'or, puis

le trésorier

de dire de vive voix adieu à ses parents,

plus

il

leur

pli qu'il

abandonna sur

Son cheval

remit une bourse

leur promit de revenir le

11

supplia de ne point s'inquiéter de lui et termina en les

tôt qu'il pourrait, les

assurant de son profond amour. Les larmes aux yeux, le

aux écu-

se rendit

Ne se sentant pas le courage demanda par écrit pardon de

peine grande qu'il leur causait en s'éloignant.

la

qui

il

lui

ses appartements.

monta dans

il

Sans différer,

table, puis se hâta

la

l'attendait;

cacheta de son sceau

il

de descendre aux écuries.

l'enfourcha et partit.

il

une longue étape. Vers le soir, il parvint à un petit village. Un paysan rentrait des champs, menant par la bride une haridelle décharnée qui tirait une vieille charrue. Il

fit

à vive allure

— Holà, brave homme, prince, -- A vos ordres, seigneur. — As-tu des enfants? — Sept, seigneur, quatre gars — Eh bien, bonhomme, prends ce cheval, garde-le pour arrête-toi

dit le

!

et trois filles.

qui est de velours et d'or

selle, Il

fin,

tu la vendras

elle

:

tes gars.

Quant

sera la dot de tes

à la

filles.

poursuivit sa route à pied.

Au

prochain hameau,

pleine d'or.

Comme

11

il

alla meilleur

la nuit était

jeta

dans

le

tablier

d'une

vieille

infirme sa bourse

pas ensuite, se trouvant allégé.

presque close,

croisa un coureur de routes, qui cheminait,

il

dépenaillé, besace en sautoir, bâton à la main.

— Hé! l'homme, veux-tu troquer ton bâton contre ma cravache — Oui-dà, jeune moques? — Que non compère, fit-il,

tes

loques

contre

mon

vêtement,

?

fou, tu te

allons, fais vite.

pas,

L'échange opéré, Généreux poursuivit sa route, Il

là,

faisait

doux,

embaumant Il

rêva qu'il

les étoiles

le foin;

était

il

Et

c'est le

s'y étendit et

ne

redevenu chêne,

délivrer en lui caressant

dans

peuplaient un

la

le

cœur

léger.

ciel de velours tiède.

fut

et

Une meule

était

pas long à s'endormir.

qu'une

petite

bûcheronne venait

le

joue avec une Boule de Jade.

justement ce soir-là que

sac à coulisses de sa chère

le

morceau d'écorce devint de bronze,

Anémone.

XII

u

château, lorsqu'on apprit

son fds;

la

grand tapage, affichant

yeux rouges,

les traits

gues assurent

même que

jamais depuis,

ayant

paraître

devant leur

roi, à

gens de service couraient

les

seule

fin

louant aujourd'hui

ici,

le

là,

As-tu vu passer un cavalier

ma

trois

en secret avant de

ils :

:

ainsi bien des indignes s'enrichirent. allait

gagnant son pain

comme

de cette forme-ci, de cette grandeur foi.

»

lan-

yeux pleurards. Cuisiniers et « Avez-vous des oignons? » raflaient tous ceux qu'ils trouvaient,

prince, sous ses haillons,

demain

les

firent tant d'afiaires;

à la

de ferme en ferme,

ci,

comme

là?... »

Il

Les autres s'éloignaient; pas un ne

ça

?

sur

tel

l'interrogèrent

:

cheval? avec une selle

répondait, secouant le

se

sueur de son corps. Cent

des cavaliers royaux lancés à sa recherche l'arrêtèrent,

fois

ce n'étaient

d'avoir les

revendant ensuite à des prix fabuleux

Pendant ce temps,

menant

larme rebelle, recoururent aux

marchés des alentours

demandaient-ils aux marchands d'herbes. Et

«

la

:

grande

d'adieu de

De méchantes

désordre.

maraîchers ne

les

fut

de bon ton d'avoir

était

Il

ne manquaient pas d'en éplucher deux ou

Ils

lettre

plus parfaite désolation

la

et plaintes.

effet

relisait la

courtisans gémissaient,

les

battus, les vêtements en

beaucoup de grands seigneurs en oignons.

les

lisait et

Reine pleurait,

que larmes, sanglots

du prince, ce

la disparition

lamentation. Le Roi, atterré,

la tête

:

«

Non,

reconnut.

royaume sans avoir été autrement inquiété. Son teint s'était hâlé au grand soleil, à l'air des champs, à la poudre des routes; ses mains à force de manier la fourche ou le fléau avaient aux paumes de gros cals; ses jambes et ses bras avaient gagné en muscles, bref Généreux faisait Il

parvint aux frontières de son

un aussi beau gars de culture 115

qu'il avait été joli prince.

.

CONTES MAUVES DE MA MERE-GRAND.

n6 Il

allait

par

les routes,

rant désormais l'ennui

comme

:

cheveux à «

la

brise, l'œil vif,

chanson aux lèvres, igno-

Anémone

se répétait-il obstinément

Je retrouverai

Cependant, jusqu'ici personne n'avait pu Toujours leur il

mêmes

les

mémoire

me

»,

pour ancrer en soi-même cette conviction.

:

«

Ah

réponses vagues.

Il

lui

fournir de renseignements précis.

interrogeait; les gens cherchaient dans

oui... attendez donc...

une

semble bien avoir vu ça... par exemple,

est partie?...

vous savez,

je

mais par

ne

me

là, je crois...

fille

oui, par là.

avec deux loups?... oui, oui,





longtemps.

y a

il

Par où

elle

ma

foi,

Si elle était jolie?...

souviens plus... »

Et Généreux repartait. Un jour, que fort loin de ses

états,

il

traversait

lamentable qui semblait venir de dessous terre.

une



forêt,

Au

il

entendit

secours

,

au secours

Qui m'entendra?... Qui vrera

?. ..

vais-je

Généreux, son

chemin

dans

la

est



!

déli-

donc périr ici ?.

.

se ,

fit

détournant de

quelques

pas

direction de la voix.

Holà,

là,

me

hélas!...

hélas...



une voix

cria-t-il,

qui

donc

implorant secours? Moi,

moi qui

généreux

suis

passant,

tombé dans

urte

/&=-

-.

x

LA FILLE AUX LOUPS.

117

fosse à bêtes féroces. Dirige- toi vers moi...

sauve-moi par

bien garde de ne point choir dans le piège,

comme

Le prince s'avança, sondant

sol

le

pitié!...

mais prends

moi...

du bout de son bâton.

parvint à une

Il

brusque enfoncée de terre recouverte de branchages, de mousse, de gazon.

coucha tout de son long

hasarda

et

la tête

La voix, en dessous, tout proche,



criait

au-dessus de

fosse

la

:

il

ne

Il

se

vit rien.

:

Courage, courage, généreux passant... sauve-moi... ne m'abandonne pas...

que mal dégagé

Lorsqu'il eut tant bien

humaine qui

sembla toute menue

lui

l'orifice,

et qui lui

il

aperçut en bas une créature

hurlait

«

:

merci! » à pleins

poumons.



Cramponne-toi à

ramena

Il

ma

à la surface

Celui-ci jeta autour des et

ceinture, dit le prince, je vais te hâler hors de ce trou.

une espèce de nain difforme, aux jambes torses et velues. genoux de son sauveur deux bras démesurément longs,

remercia à chaudes larmes de reconnaissance qui ruisselaient sur sa longue

barbe.



chez

et rentre le

mon bonhomme,

Relève-toi,

toi. J'ai fait

dit le prince

que ces effusions impatientaient,

ce que n'importe qui eût

fait

à

ma

place. liénis plutôt

hasard qui m'a conduit près de cette fosse.

— Non,

seigneur, je ne rentrerai pas chez moi avant de vous avoir, autrement

que par des paroles, témoigné récompense. Sans tout savoir, n'ignore pas que vous êtes à

la

ma

gratitude.

Vous m'avez sauvé

la vie, cela

mérite

beaucoup de choses, prince Généreux, et je or je puis vous aider

je sais

recherche de votre bien-aimée

;

même forêt habite un terrible géant, un talisman merveilleux qui possède la vertu de faire se rejoindre les amants séparés. Quiconque le porte avec soi va droit vers l'être qu'il aime; nul obstacle ne l'arrête, une force irrésistible le pousse, il n'est pour lui ni fleuves, ni mers, ni déserts, ni montagnes; il faut qu'il arrive à la retrouver. Ecoutez-moi bien

gardien du

Cœur d'tëmerande

:

Dans cette

lequel est

:

c'est

— —

la

loi.

Je

veux ce Cœur d'Emeraude;

Ouais, voilà qui est vite dit,

l'arracher à son gardien.

de son vrai cœur à

— Eh — Pas

lui;

celui-ci

faut

le faut.

prince Généreux, mais

auparavant

il

faut

cache ce joyau dans sa propre poitrine, à côté

donc que tu

le

tues pour le lui arracher.

bien, je le tuerai. si

vite!...

Sur son corps ne mord nul tranchant, ne pique nulle pointe,

ne marque nul coup. moi, je connais tu as été

il

Or

me

il

bon

le

et

Il

faut le vaincre à la lutte; et

secret qui

que

permet de

je te dois la vie.

il

est terriblement fort! Mais,

le terrasser... et je

vais te le dire, parce

que

CONTES MAUVES DE MA MERE-GRAND.

nS

— — Refuse de

mon bon

Parle, nain,

mesurer avec

te

ment. Le combat sera dur,

nom de

le

ta

ami, parle

il

lui

vite...

autrement qu'à

se peut

que

la lutte...

tu faiblisses

bien-aimée, tu sentiras soudain

:

Puis attaque hardi-

prononce à voix basse

alors,

fatigue fuir de toi, tes forces

la

devenir surprenantes, immenses; et tu vaincras. Puis



lui

il

indiqua le chemin à suivre pour rencontrer

Adieu, prince, tapa du

Il

sur laquelle

— Bonne

lui dit-il,

le

géant.

lorsqu'il eut achevé.

pied et s'enleva d'un élan jusqu'à la haute branche d'un chêne

retomba à califourchon.

il

chance, lança-t-il au jeune

homme

qui, le nez en l'air, n'était pas

encore revenu de sa surprise.

— Merci, généreux lui

11

adressa de

la

comme

dos qu'il entendit

le

de

nain.

main un dernier adieu, puis

peine avait-il tourné

un bruyant et sinistre ricanement.

sonna longtemps aux échos de

rire gouailleur

A

s'éloigna.

la forêt

«

:

Il

frissonna; l'éclat

Quelque monstrueux

chat- huant sans doute », pensa Généreux. Cependant, sans vouloir se l'avouer, il

se sentait tout chose et

Ayant rière

la

chemin indiqué par

suivi le

où un géant

aperçut

le

prince,

il

se leva

Tout d

suite

nain,

arriva bientôt à une étroite clai-

il

il

:

énorme

grand que cela

l'interpella

il

était

:

un tronc d'arbre. Dès

qu'il

sa tête dépassait de plusieurs hauteurs

les plus élevés.

Je l'imaginais plus j

le

de laids pressentiments.

se reposait, assis tranquillement sur

cîme des bouleaux «

comme traversé

», se dit

— Holà grand homme, pourquoi — m'en doute, avorton. — me Cœur d'Emeraude. sais-tu

!

crânement Généreux.

:

je viens?

Je

faut le

Il

A

peine Généreux eut-il prononcé ces mots qu'une voix cristalline tinta dans

corps du géant trine

«Délivre-moi... délivre-moi...

:

du monstre...

masse des chairs plus

de

»

On

au

dans

la

le

poi-

l'entendait assez distinctement, quoiqu'assourdie parla

qu'il lui fallait traverser.

courage

pitié... pitié... je suis

cœur; d'un

Le

regard

prince, à cet appel, se sentit encore

de

défi

il

toisa

son

effroyable

adversaire.

— Ah...

ah... tu

veux

le

Cœur d'Emeraude,

prendre. Quelle arme choisis-tu

le j'ai

de tout dans

mon

la

massue,

la

dague, l'épée,

arsenal... allons, choisis!

— Non, non, pas d'armes, —A ah, la lutte!

?

gouaillait celui-ci, eh bien, viens

c'est à la lutte

ah, ah...!

que

je

veux

te

vaincre.

la

pertuisane

?

LA FILLE AUX LOUPS.

119

i5i

Mi.

fo

>v

^

rire

Le géant se mit à tous les oiseaux, de

la

que

fort

si

forêt s'enle-

vèrent d'un coup, ce qui

un puis-

fit

X tv

sant bruit d'ailes.

L

Généreux, sans plus attendre, rua

sur

l'un

des

son

de

mollets

se

adversaire qu'il fut loin de pouvoir

entourer de

bras.

tenta

Il

de

vains efforts: allez donc

l'ébranler;

déraciner

ses

un chêne!

Le géant, empêtré par

les

ches, n'avait pas encore eu

de dégager

là-haut

ses

le

bras.

bran-

temps Déjà

V

^v<»v^.<

ITT

CONTES MAUVES DE MA MÈRE-GRAND.

120

Généreux

se sentait faiblir

sueur ruisselait de

la

:

un jour d'orage; ses veines gonflées à poussait, tirait. Peine perdue «

Anémone...

»

Et soudain,

comme

si

il

:

toute force se retirait de

de se soulever sur

la terre, flasques

que

celui

comme gélatine;

d'un crustacé

un peu

:

« Je suis

»,

— bien

put

qu'il

le sol,

» ragea-t-il.

!

la

A

pensa

il :

tête

s'efforça

Il

pression, s'étalèrent

corps de l'infortuné prince était aussi

le

Il

murmura

il

contre

mou

peine eut-il pris conscience de son

un index énormes descendaient vers

mort

bouillie entre ces formidables doigts.

tement

s'affaissa

il

de nain

traître

de sa croûte.

sorti

effroyable état qu'un pouce et s'écarter

lui,

coudes... horreur: ceux-ci cédèrent sous

les

sur

Ah,

«

pluie d'un toit

la

muscles bandés à rompre,

Alors en toute ferveur,

faiblissait.

mous, jambes avachies.

ballante, bras

comme

lui

éclater, ses

lui.

Il

les vit

prince qui se voyait déjà réduit en

le

n'en fut rien. Le géant le saisit aussi délica-



qu'il lui froissât trois côtes

et l'éleva à

hauteur

la

de son œil.

— Ah...

ah, ricana-t-il, en dardant sur le prince le regard d'une prunelle aussi

large qu'une roue de carrosse, le voilà, ce vaillant lutteur, décrocheur

d'Emeraude. Attends,

Te tuer II

je

l'abaissa jusque

Généreux.

Il

pygmée,

devant ses lèvres

sentit sa tête rentrer

géant lançait

le

je te réserve

et souffla

sur

gaillard de

ma

trempe.

mieux.

lui.

Un

froid mortel engourdit

dans ses épaules, ses jambes dans son ventre, ses

bras dans ses côtes, et ce fut tout...

oblongue que

un

vais t'apprendre à te frottera

serait trop peu, insolent

du Coeur

était

Il

el rattrapait

devenu une

dans sa main,

sorte de grosse pierre

comme

les petits

enfants

font sauter les osselets.

— Et maintenant Le géant leva

le

va-t'en à tous les diables, affreux caillou

bras, prit son élan et.

partit à travers les airs Il

alla

retomber

à

. .

frrrt

1

comme jailli

!

d'une fronde,

le

prince

en un sifflement de bolide.

des centaines de lieues, par

milieu des états de son père, sur sa chute vertigineuse écrasa

la lisière

comme

del'i

trois

royaumes, au beau

d'un champ de blé, dans une mare où

pâte à flan quatre innocentes grenouilles. L'eau

aux campagne tout se taisait, grand calme des champs, le grillon

claqua, une éclaboussure formidable salit herbe et épis à plus de trente toises alentours... Pendant

puis peu

à

peu,

un temps une frayeur pesa sur

la vie reprit

son cours. Dans

le

la

:

poursuivit sa musique frénétique, la faux se remit à tinter.

Dans

la

mare,

les

grenouilles effarouchées avaientd'un bond réintégré leur trou.

Se sentant maintenant plus de cœur

;iu

ventre, elles haussaient avec prudence leurs

gros yeux de jais et d'or pour voir ce qui venait

du

ciel.

De

a si

grand bruit de leur arriver

plus hardies s'approchèrent à la nage; une jeune téméraire hissa

même

IL

SOUFFLA SUR

LUI. l6

CONTES MAUVES DE MA MERE-GRAND.

122

sur

le

nouveau venu

sa

gluante personne et coassa de triomphe

:

la

connaissance

était faite.

Et les mois, puis les mois passèrent, patinant ce qui émergeait du prince Généreux, duvetant son pied de mousses aquatiques. Parfois une bergeronnette se posait sur

lui, aiguisait

en quatre coups de

tète

son bec contre ses arêtes;

les

pâtres

s'aidaient de lui pour ne pas se mouiller lorsqu'ils franchissaient l'eau...

Qui aurait

dit

était le prince

à la

quecelte pierre verdie, à demi envasée dans

Généreux,

l'espoir

bastonnade pour insulte à

Et pourtant...

la

du royaume, aurait majesté royale.

la

bourbe d'une mare,

été certainement

condamné

XIII

.endakt que Généreux, parti à travers

Anémone

destinée,

vivait

-succession d'heures,

matin, soir.

monde, s'acheminait vers sa au bord du Lac des Larmes une morne

de jours, de mois toujours semblables. Chaque

vieillard s'éloignait

le

le

dans sa barque pour ne rentrer que

emportait deux vastes amphores et un

Il

filet

:

le

filet

le

pour

pêcher, les amphores pour accomplir une mystérieuse besogne ignorée d'Ané-

mone, mais

qu'elle imaginait importante et grave, tant étaient solennels les gestes

avec lesquels

il

maniait. Jamais elle n'avait osé l'interroger à ce sujet.

les

Demeurée seule de

l'aube au crépuscule,

Anémone

vaquait aux soins du ménage.

Rien ne se pouvait imaginer d'aussi propre, de mieux ordonné, de plus harmonieux

que son filait

intérieur. Sa tâche terminée, elle s'installait près de la fenêtre ouverte et

à son rouet, car elle ne craignait rien tant que rester inactive

passe plus vite aux laborieux.

lugubre à entendre,

pour se boucher sur

elle.

les oreilles.

En

rivage montait si

le

temps

le

chant funèbre des roseaux,

si

continu qu'elle lâchait souvent ses fuseaux

ce moment-là, de grands désespoirs s'abattaient

Les loups inquiets venaient d'un bond se placer tout contre leur maîtresse,

l'un à droite, l'autre à

museau allongé,



Du

monotone,

si

:

ils

gauche. En arrêt sur leurs pattes raidies, cou tendu,

guettaient.

Maîtresse, maîtresse, suppliaient-ils, ne pleure pas, surtout, ne pleure pas

Mais parfois, de ce

triste

cœur trop

!

lourd, des larmes montaient, perlaient au

coin des paupières et, malgré tout effort, contre toute énergie, soudain roulaient.

L'une

d'elles

touchant

le sol, et c'était fait

le

Blanc

ils

cueillaient les larmes au passage. Pas

à

droite,

Lorsqu'Anémone 123

le

à jamais

Noir à gauche veillaient

s'était reprise, elle

du bonheur d'Anémone mais, d'un large coup de langue ;

et

une ne tombait sur

la

terre fée.

embrassait fougueusement ses bêtes.

CONTES MAUVES DE MA MÈRE-GRAND.

124



Ah

mes

!

chéris, soupirait-elle,

mes

Et cela était dit d'une voix tendre,

mes chéris... éperdument reconnaissante, que ces

chéris, si

simples mots valaient plus qu'un long discours.

Jamais

ne s'aperçut de rien.

le vieillard

un

Lorsqu'il rentrait, elle l'accueillait avec

regardait le visage pur d'Anémone, puis

Il

cuivres, le luisant des parquets; et ses

âme

à

de son

la netteté

A

logis.

la

voir

vis, et

611e, disait-il

Que

couvre de

ta

Pour

ferai-je

lui plaire, elle

de sa forêt natale.

Parfois, prise la

pait,

si

douce,

les



écoutait

gorge bloquée par

Généreux, son amour, poils qu'éclairaient ses

sentait

meilleures heures de

chanson des roseaux.

la sinistre

ceux

il

en sa poitrine.

cire

dont l'âme

elle,

comme

fond de tristesse

était à

en extase dans

la

mon

sanglots.

les

qu'elle aimait

:

Il

sa

— des

nuit subitement venue.

elle-même à l'évocatrice mélancolie de ses chansons,

l'entouraient tous

des

tu seras partie? Allons, distrais-moi, je suis chagrin,

chantait Il

poli

souvent, voici des milliers et des milliers d'années que je

quand

voix pure

le

allaient de la netteté de cette

accorte et diligente,

comme

pourtant c'est de ta venue chez moi que datent

existence.

airs

si

des meubles,

le brillant

yeux attendris

son vieux cœur se fondre de tendresse

— Jeune

mais grave sourire.

gentil

elle

s'interrom-

semblait que, dans cette ombre,

lui

mère défunte,

le

bûcheron, son père,

eux le fantôme de Gris-Gris tout ébouriffé dans ses yeux émeraude.

et derrière

Ainsi passait la vie

A

mesure que

le

plus léger. Elle se surprenait à rire, à chanter.

coup de

le cœur d'Anémone Un jour même, emportée

terme des cinq ans approchait,

gaité, elle entraîna ses loups à travers le jardin

qu'elle termina en révérences sur révérences, tandis

dans une farandole amusée

que ses animaux cabriolaient,

culbutaient, faisaient la roue, s'enlevaient en sauts périlleux



Que

cela sent

te dérouiller les

bon

la liberté,

jambes, car

Or, à quelque temps de

de coutume.

mot

le

moment

là,

Anémone alluma

dire, puis

demeura sur son

un la

est

proche où

triste,

suis

il

et adieu,

faudra de nouveau savoir

hideux Lac des Larmes!

certain soir, le vieillard rentra plus grave

lampe de cuivre

et servit le repas.

Il

le prit

que sans

siège, songeur, sa tète blanche entre ses mains.

— Vous semblez père — Je mon enfant. en — Ne pour vous consoler? — Non, Anémone, Sois gaie au le

:

maîtresse, disaient-ils. Et que tu as raison de

Encore quelques jours, maîtresse,

en jouer...

battait

par un

?

hasarda-t-elle.

effet,

puis-je rien

rien.

quittes.

contraire, car c'est

demain que

tu

me

LA FILLE AUX LOUPS.

— — —

Demain!...

Elle tremblait toute, et son

la

Enfin!... enfin! Quel

mon

Oui,

cœur

ce sera



le

:

âme, bien

qu'il

déchire

Va, Anémone, pars sans un regret, sans détour-

!

au bout de

est là-bas,

Va donc, heureuse jeune

rompre

murmura-t-elle.

!

J'aime ce cri de ton

enfant; enfin!

Généreux

la tète.

battait à

bonheur

mienne. Ah, que tu as raison

ner

125

fille...

Derrière

ta route... toi,

pour

il

te sourit, te

le vieillard

tend

les bras.

désormais seul,

deuil de ta grâce, de ton charme, de ton sourire.

Oh! pardon, père, pardon!



Tu aimes, pour

entier,

le

enfant, c'est là ton excuse. Va, emporte d'ici tout ton

donner

qui t'attend

à celui

tel



te

cœur bien

conduit ta destinée...

Mais parfois, lorsque ta pensée te reportera à ces dures et lentes années d'épreuve, se lamentent les roseaux, alors souviens- toi

au bord de ce Lac des Larmes où

du vieux Passeur qui t'aima

comme

son

enfant.



Oh

!

père, père

! . . .

De ma vie

je

ne

vous oublierai.



Anémone, lorsque

tu

seras morte

depuis des milliers d'années, tu existeras encore pour moi

,

aussi

pure qu'aujourd'hui dans

fraîche

mon

aussi

,

souvenir.

Sache que je suis condamné à vivre jusla dernière larme se soit tarie

qu'à ce que

dans ce

lac.

Ainsi donc, enfant, ta

mé-

moire sera immortelle car aussi longtemps y aura un homme, un seul, sur cette ce lac ne tarira pas. Va te terre, hélas qu'il

!

reposer,

dès

le

Anémone; demain

jour, et tu partiras vers ton destin.

Le Jade nous Il

je t'éveillerai

instruira.

s'éloigna, après avoir

mains sur

étendu les en un geste de bénédic-

elle

tion.

Anémone

regagna

chambre. Ayant ouvert porte, elle poussa

sa la

un long

__

CONTES MAUVES DE MA MERE-GRAND.

I2Ô

de surprise. Le cher morceau d'écorce qu'elle avait suspendu au mur pour pouvoir le contempler chaque jour luisait doucement, comme paré d'un rayon de

cri

lune. Elle courut à

l'enleva, le serra contre son cœur...

lui,

Anémone

devenu d'argent.

était

rude caresse de ses loups

sentit sur ses joues la

le

morceau d'écorce

de ravissement. Soudain,

semblait ivre

c'est qu'elle pleurait

:

elle

de bon-

heur sans s'en apercevoir. Heureusement que les braves bêtes veillaient; encore eurent-elles fort à faire à dévorer toutes ses larmes, tant elles coulaient pressées...

Le lendemain, aux premiers rayons du

Anémone.

le vieillard éveilla

soleil

brutalement surgi de l'horizon,

Elle s'habilla rapidement, sortit et lui tendit la

Boule

de Jade. Il

Et

prosterna, puis l'élevant sur ses paumes,

la prit, se

le

comme

Jade,

avait

il

fait



Enfant,

le vieillard, le

fit



un homme

le

talisman eut achevé sa mélodieuse

ma bouche

t'ordonne de

plaira de te mener. Lorsque tu seras

lui

il

Jade par

duquel

s'y trouvera sur l'épaule

que tu accompagneras,



la lumière.

:

qu'autrefois, là rive,

tourna vers

cinq ans auparavant, phosphora et se mit à chanter.

Le vieux Passeur écoutait en extase. Lorsque confidence

la

il

aussi longtemps

que

le

suivre ainsi

parvenue sur

se perchera

il

le

:

c'est cet

Jade demeurera sur son épaule.

Bien, père, j'obéirai.

Anémone tourna

trois fois

autour de

Boule merveilleuse, chanta

la

trois fois le

verset magique, et celle-ci se mit à rouler droit vers la barque; elle

sur la proue et s'immobilisa. Le

s'installa

amphores

déposa à ses pieds, sous

qu'il

sa haute taille



l'autre

homme

le

vieillard

suivait,

y sauta,

deux

portant les

banc du milieu. Ensuite, redressant

:

Embarque commanda-t-il. !

Anémone

entra à son tour et prit place à l'arrière entre ses loups. Le Passeur

s'assit, leva ses

rames

dans l'onde lourde épais sillage

du passeur cieuse.

comme

et la

d'un

;

et la

même coup

il

les

abaissa

:

elles entrèrent, silencieuses,

barque s'éloigna sans secousse, laissant derrière

si elle

voguait sur de

l'huile.

On

n'entendait que

plongée clapotante des pales. La traversée

Enfin l'étrave mordit sur l'autre rive.

n'attendait, ce qui

ne

laissa

pas d'inquiéter

la

fut lente,

fille.

un

ahènement

le

morne,

Celle-ci était déserte

jeune

elle

;

Le Jade sauta à

silen-

personne terre, suivi

Le Passeur, ayant ramené ses rames dans sa barque, d'Anémone prit les deux amphores, les plongea dans le lac et les retira emplies de larmes et de ses loups.

;

il

débarqua avec

— —

elles.

A

cet instant le Jade bondit sur son épaule et s'y fixa.

père, s'écria la jeune

Enfant,

mon

fille,

je bénis le sort qui fait

vieux cœur s'en

réjouit.

Que

soit

de vous

loué

le

mon

guide.

Maître de toutes

33

LA FILLE AUX LOUPS. les Destinées,

me

qui

127

charge de conduire tes pas, car





je vais, jeune

fille,

se voient des choses étranges. Tiens, prends ceci. Il

tira



de son sein une large écaille d'or

Cette écaille est fée.

suffit

Il

de

la

qu'il lui tendit.

prendre entre ses dents

et

de se souhaiter

en un lieu quelconque pour y être instantanément transporté, soi et tout ce que l'on tient. Mais garde-toi de desserrer les mâchoires en chemin, et ne t'effraie pas si

cendres. là

du voyage, il ne te reste dans la bouche qu'une pincée de est écrit en effet que ce talisman doit mourir, lorsqu'il sera parvenu te conduire. Quant à moi, j'y viens chaque jour, et il me suffit de frapper

arrivée au terme II

où je vais

le sol

du pied pour y

Anémone

être rendu soudain et sans fatigue avec

mes deux amphores.

serra bien fort les coulisses de son sac suspendu à son cou,

s'assit,

assura son manteau et prit ensuite

Blanc sous son bras droit,

le

le

Noir sous son

bras gauche.

— Vous bien — Es-tu prête demanda — Oui, — Serre bien serez

mes

gentils,

?

le

loups, et vous n'aurez pas peur...

Passeur.

père.

l'écaillé

homme

va

Le conseil

était

homme

où cet

entre tes dents et pense

«

:

Je

me

souhaite

bon, car à peine

Anémone

eut-elle pensé

:

« Je

me

souhaite

va! » qu'elle se sentit brusquement soulevée de terre, et

projetée à travers les airs par quelque engin effroyable. Elle n'eut point

d'avoir peur la

ranima

au départ

:

elle fut saisie elle se

:

;

où cet



» Tiens-toi bien...

!

mais

le

d'un

tel



comme

le

temps

Un choc chaque bras, comme

vertige qu'elle perdit connaissance.

retrouva assise avec ses loups sous

décor avait changé. C'était une route blonde encadrée de talus

herbeux qui montait,

fin

sablée

net ratissée. entre

et

deux pelouses, vers un

château magnifique.

Debout devant

elle,

une amphore dans chaque main,

le

vieux Passeur

la

regardait. Elle se frotta les yeux, puis se mit sur ses jambes, encore tout étourdie.



Allons,

mon

enfant, suis-moi.

Quelques instants après, incrusté

d'or;

celle-ci

heurtaient à une porte massive en bois de rose

ils

tourna d'elle-même sur de lourds gonds d'argent.

Ils

entrèrent dans une cour de marbre blanc entourée d'un portique en malachite

aux

cintres de lapis.

taillés,

Sous chaque arceau, des orangers nains, identiquement

pareillement chargés de fleurs et de fruits,

odorantes de neige, de verdure

haut et transparent

Anémone

et d'or.

affinait les tons,

s'arrêta, l'âme et les

Un jour

tempérait

yeux

s'arrondissaient en sphères

délicat

tombant du

ciel

infiniment

les reflets, adoucissait les

ravis par cette

ombres.

harmonie calme de couleurs.

CONTES MAUVES DE MA MERE-GRAND.

I2b

Un

jet

d'eau sautant d'une vasque crépitait, perlant

cristallines.

Rien d'autre que ce ruissellement

le silence

de ses gouttelettes

ne troublait l'imposante

frais

demeure, pas un écho de voix lointaine, pas un de ces bruits domestiques qui maisons des hommes. donc? demanda sommes-nous Où

hantent



les

Sans répondre,

le

Passeur tendit

la

la

jeune

fille.

main vers

le

portique

grande, svelte, vêtue de longs voiles blancs, s'avançait,

le

:

une jeune femme

visage pur,

la

démarche

aérienne.

— Bonjour, Passeur,

histoire

;

dit-elle

gravement,

Anémone.

et salut à toi,

Je connais ton

je t'attendais.

Anémone

la

contemplait, saisie de sa beauté, mais tellement intimidée par

la

mélancolie de son sourire et l'air de tristesse répandue sur ses traits qu'elle ne put

même



balbutier un bonjour. La jeune Je suis la gardienne éternelle

femme

poursuivit

:

du Rosier de Fortune.

Si tu

veux t'engager

à

LA FILLE AUX LOUPS. me

me

servir trois ans en tout ce qu'il

129

de t'ordonner, et

plaira

ce temps d'observer un silence absolu, de ne parler à

aucun son, alors

férer

ces trois années

il

t'arrive

âme

que

je t'aiderai à retrouver celui

qui vive, de ne pro-

de parler, ne fût-ce qu'un mot, un seul, achèveras

si

durant

de

c'est fait

ta

lamentable

accepta sans balancer.

madame,

Bien,

me

je

pendant

du Lac des Larmes.

Anémone



tu jures

tu aimes. Mais

tes espoirs: je te précipite sur la terre d'où tu viens, et tu

vie au bord

si

je

serai

trois

ans

votre

servante

ans

trois

;

durant

tairai, je le jure.

prononça ces mots d'un ton résolu, mais au fond de son cœur elle pensait douloureusement « Trois ans encore... trois ans!... Et quelles épreuves nouElle

:

pauvre de moi, ne reverrai-je Généreux qu'à

velles m'attendent ensuite? Hélas,

Mais

d'être grand'mère?...

l'âge

veux.

vieille, je le

veux

je

le

revoir et je le reverrai, jeune ou

»

Ses loups battaient tristement de

la

queue

avec de bons yeux

et la regardaient

apitoyés.



Suis-moi,

Anémone

garde-toi

et

de prononcer un

aperçoives, car dès maintenant, je te considère

La jeune femme

du

fleurs

à

était

boutons

d'or

rouge,

quoi que

mot,

mon

admirables de nuances

et

ses branches et ses

feuilles

tu

service.

un somptueux jardin qui occupait

milieu d'une pelouse un rosier puissant s'élevait, haut

tige

le

centre

étranges de formes.

comme un chêne

d'or jaune;

il

:

sa

portait trois

et trois fleurs d'or vert.

Anémone le

conduisit jusqu'à

où poussaient des

palais, et

Au

la

comme

vit le

vieux Passeur s'avancer

et vider

au pied de l'arbre magnifique

contenu de ses amphores.



Tu as devant toi le Rosier de Fortune, dit la jeune femme. Regarde-le bien, Anémone; c'est un arbre singulier, aussi vieux que le monde, et tout entier de métal précieux. Chaque matin un coup de vent éparpille ses feuilles; elles s'envolent et

retombent sur

la terre

mêlée. Avec elles s'abat sur c'est elles

les hommes se les disputent dans une horrible monde un tourbillon de malheurs et de crimes



le

:

pourquoi cet arbre maudit ne s'arrose que de larmes; il

ne saurait vivre,

et c'est la

besogne de ce vieillard.de

il

l'en

diennement. La tienne sera de m'aider à soigner ce beau jardin brables fleurs qui y croissent ne sont point des fleurs, mais les

hommes

veiller

de

depuis qu'il en existe en ce monde.

la

Tu auras

s'en nourrit, sans

les

abreuver quoti-

fleuri.

Les innom-

soupirs poussés par

tout le

temps de t'émer-

richesse de leurs formes, de leurs nuances. Je t'apprendrai à te

familiariser avec elles,

à distinguer les soupirs de

bonheur, d'espérance, 17

des

r-

CONTES MAUVES DE MA MERE-GRAND.

r3o

il y en a autant de variétés que l'âme humaine connaît d'émotions. Mais leurs pétales sont si frêles, si délicats qu'au moindre son échappé de tes lèvres ils se détacheraient de leur tige. C'est pourquoi, mon enfant, il faudra te taire aussi longtemps que tu seras auprès

soupirs de deuil, de remords, de désespoir

de moi

:

un

tombé

seul pétale

gardienne de ces soupirs

mystérieux terre



soudain

et

comme vue Regarde,

elles

s'appuyèrent. La jeune pieds,

ses

femme fit un signe Anémone aperçut la

d'une tour élevée. regarde bien, c'est l'heure où

enfant,

Elle les vit en effet tourbillonner en

des

A

le

vent souffle, et voici

qui tombent!

les feuilles

Et ce

salle basse.

parquet s'ouvrit.

le

car je suis l'éternelle

pitié,

compte au Maître du Monde. Autour de la muraille courait

dois

dans une

un balcon de porphyre auquel

chasse sans

et je te

et j'en

Elle la conduisit ensuite

:

comme

en bas

fut

hommes

sortis

on ne

un

de lumière dorée.

frisson

une moisson subite de bras venait de

si

sait d'où, se

du

jaillir

sol

;

mains hautes,

ruaient, innombrables, les

pour attraper au vol cet or qui tombait. Et une clameur qui devait être immense et discordante lui parvint, affaiblie par la distance, à peine perceptible; puis des éclairs d'acier luirent à travers la foule qui grouillait.

La jeune femme étendit



le

Vois, enfant; écoute

égard pour

les

d'âge! C'est

la

:

bras.

se battent en bas,

ils

hideuse lutte pour

Anémone à deux mains se voila



ils

s'égorgent,

ils

râlent.

Sans

liens du sang, de l'amitié, sans distinction de race, de sexe,

Remets-toi jeune

fille,

dit

l'or! le visage. la

Le parquet se referma.

gardienne du

Rosier, je ne

t'imposerai

plus désormais ce désespérant spectacle; c'est assez d'une fois. Je vais maintenant te

conduire à ta chambre. Elles repassèrent par

qui

l'y avait

Jardin des Soupirs.

le

attendue. Elle

lui

exprima par

pût, la reconnaissance dont débordait son

baignés de larmes. les pieds,

puis

ils

A

elle s'éloigna ensuite,

leur tour les loups s'approchèrent

vieillard

du Passeur

les

yeux

et lui léchèrent

était simple, toute blanche, et si claire

que l'âme vous

que d'y entrer.

La première chose que il

congé du

moins gauchement qu'elle

gestes, le

cœur;

prit

se retirèrent en faisant quatre révérences.

La chambre d'Anémone riait rien

Anémone

la

jeune

y avait cinq ans qu'elle ne

fille

s'était

aperçut au vue,

elle le

mur

fut

elle

se dévisagea longuement,

miroir. Et,

comme

décrocha d'une main joyeuse.

Elle l'approcha de sa figure, curieuse de se reconnaître.

aux tempes,

un

approchant

Grand Dieu le miroir,

!

La sueur

l'éloignant,

XX

»

1

C

EST LA HIDEUSE LUTTE POUR

L

ORl

CONTES MAUVES DE MA MÈRE-GRAND.

l32

larmes lui mettaient aux yeux. essuyant d'un revers de manche la buée que les ce visage amaigri, ce teint Bonté divine!... Ainsi donc, c'était elle, bien elle, Larmes, ces paupières fatiguées, cette recuit par l'impitoyable soleil du Lac des cinq années de servage ce front ridé! Ainsi donc, voilà ce que

bouche amère, avaient

fait

de

la

radieuse Fille aux Loups

Elle s'effondra sur le pied de son

fanée, vieillie! »...

lit

Et à travers sa pauvre

!

.

.

.

Plus

.le

beauté, de grâce, de jeunesse

et pleura à grands sanglots

tète

:

en déroute tournoyait cette pensée

est impossible qu'il t'aime encore... » Elle

ne t'aimera plus... Il longtemps abîmée dans un indicible chagrin.

«

II

Tout à coup

une dernière

elle se releva, droite, pâle

d'énergie. Elle prit

avec lenteur, puis d'un geste décidé

fois

le

!

« Flétrie, :

demeura

miroir, s'y regarda

elle le jeta

contre

le sol. Il

semelles de ses sabots en mille pièces qu'elle écrasa et dispersa sous les figure pour ne pas amollir son courage. Elle elle ne voulait plus voir sa minable longue et large écharpe de soie, puis ouvrit une commode, prit dans un tiroir une Elle la noua en quatre, elle se l'appliqua résolument sur la bouche. :

s'y brisa

l'ayant pliée serré sur sa

Et

nuque

c'est ainsi

:

«

De

parler. » cette façon, pensa-t-elle, je suis sûre de ne pas

qu'Anémone commença son

Rosier de Fortune, dans

le

Jardin des Soupirs.

service

auprès de

la

gardienne du

XIV

uiuNT

années

trois

parole la

Anémone

servit fidèlement et sans proférer

une

gardienne du Rosier de Fortune.

échappa nulle plainte, bien qu'hélas le temps lui durât. De son père Elle s'ennuyait à périr, songeant à ceux qu'elle aimait. Il

ne

lui

ne savait rien. Vivait-il encore?... elle n'osait même plus se inquiète « S'il lui était poser cette question. De Généreux elle était moins d'argent. devenu serait point arrivé malheur, pensait-elle, le morceau d'écorce ne elle

:

Mais où peut-il

être,

m'aimera-t-il encore,

de jeunesse?...

»

mon Dieu? lorsqu'il me

Pense-t-il

reverra

Elle versait souvent

Généreux du moins

moi? M'aime-t-il toujours? Et

à

sans plus de beauté, de fraîcheur,

bien

des larmes.

était plus favorisé qu'elle.

Envasé dans sa mare à gre-

mois, années dormait, insensible, son lourd sommeil de pierre; jours, lenteur; il devenait un peu passaient sur lui sans qu'il souffrît de leur abominable

nouilles,

il

plus moussu, voilà tout.

Or, un

d'écorce, elle veilla

:

le

de dessous son chevet son cher morceau main et s'émers'étonna de le trouver si lourd. Vite, elle ouvrit la elle d'écorce était devenu d'or! Elle bondit de joie, car

matin qu'Anémone

tirait

morceau

était terminé. comprit que son temps d'épreuve auprès du Rosier de Fortune pénétra dans sa chambre. Elle remerciait le Ciel à genoux, lorsque sa maîtresse



courageuse enfant, je vois que tu sais déjà ce que vrai, tu es libre. Les trois ans sont je venais l'annoncer. Allons, oui, c'est bien écoulés, dénoue ce bandeau de tes lèvres; réjouis-toi!

Anémone,

lui dit-elle,

Elle lui ouvrait les bras.

l'épaule de la jeune 133

femme,

ma

Anémone

s'y précipita et, laissant aller sa tête sur

elle se mit à pleurer

tendrement. Elle

s'était,

pendant

CONTES MAUVES DE MA MERE-GRAND.

i3 4

mutisme,

ces trois années de

ne

lui



chère

te

— En

main jusqu'au Rosier d'Or,

la

le

vertu de faire se

Généreux, car

une des

le

comme

autrefois,

il

te

Jade ignore sa retraite. Arrache donc au géant par ruse ou par

Cœur d'Emeraude. Pour un

conseil.

t'aider, je

mais

trois

de formuler ton

premier souhait

la

veux

donner deux choses

te

et conserve-la précieusement. Elle

Prends cette rose,

tes souhaits, et

trois roses qu'il

géant, gardien du Cœur d'Emeraude. Ce talisman possède la rejoindre les amants séparés. Il te le faut si tu veux retrouver

fleur et

main,

servie,

:

force le

de

cueillit

t'éloignant d'ici, dit-elle, suis docilement le Jade

conduira vers

Au

mots

récompenser. Viens avec moi.

portait, et la lui tendit

la

doux et émus. femme, tu m'as fidèlement

poursuivit la jeune

petite,

mena par

Elle la

trois

les

venaient plus. Elle remerciait à longs regards

Ma

veux

je

résolument accoutumée à se taire que

si

seulement, pas un de plus.

vœu

Il

te suffira

:

celte

exaucera

de

la tenir

à haute voix pour qu'il se réalise sur-le-champ.

rose s'épanouira; au second elle s'effeuillera

toute; au

troisième ce qui restera d'elle deviendra poussière entre tes doigts. Maintenant voici le conseil

:

méfie-toi

Anémone remercia gnons



et faire

du premier mendiant rencontré.

Je vais, dit celle-ci, prier le vent qui

Rosier d'Or, de vous déposer doucement sur tu verras,

vous serez,

qu'il sera nécessaire;

toi

et

fois le verset

Elle s'orienta vers

mystérieuses paroles;

a rouler,

un

ses loups et

souffle la

la terre.

invisibles aussi

Boule de Jade, enfant, tourne

d'elle

elle étendit le bras...

et

le

longtemps

Ané-

trois fois et

prononçant de

comme le Jade commençait comme fétus la jeune fille,

Soudain,

un aveuglant tournoiement de

feuilles d'or.

passèrent en rafale par-dessus les toits du palais, tourbillonnèrent à travers airs et s'abattirent

après une chute vertigineuse, fort moelleusement sur

Mais quel hideux spectacle

crispés,

armes brandies. La

le sol.

aux yeux épouvantés d'Anémone! passant contre eux sans les voir, se ruant sur

:

tion sur les lèvres,

Ils

les

alors

s'offrit

Une foule hurlante déferlait, tombé du ciel ce n'étaient que

l'or

du

vent.

se prosterna en

furieux s'éleva qui emporta

Boule, dans

les feuilles

Allons, adieu, gentille

fait.

magique, car je vais invoquer

un point connu

jeune femme.

Là, ne t'effraie pas de ce que

ceux qui t'accompagnent, ta

la

chaque matin éparpille

aucun mal ne vous sera

mone, adieu mes braves loups. Tire chante trois

deux compa-

sa bienfaitrice, puis alla en hâte prévenir ses

son baluchon. Elle revint prendre congé de

folie

faces convulsées,

dans

les

yeux,

la

bouches tordues, poings

rage aux dents, l'impréca-

des hommes, innombrables, s'étreignaient

grappes, s'égorgeaient par paquets.

Ici,

:

ils

des vainqueurs chargés de

luttaient par l'or

conquis

-,-"

tb

LA FILLE AUX LOUPS.

i35

couraient, poursuivis par une meute clamante de misérables;

trônaient

quelques-uns

là,

cadavres, comptant leur

or.

tout, des agonies partout,

sur

du sang par-

tout; les loups y pataugeaient en galopant rouges étaient leurs pattes , rouges :

les

éclaboussures sur les sabots et

d'Anémone, rouge

aussi

la

la

robe

sphère de

Jade...

Enfin

sortirent de cette horreur!

ils

Encore durent-ils courir plus de dix lieues,

avant d'échapper à

la

scélérate

clameur qui montait de ce champ d'épouvante. étaient parvenus à l'orée d'une

Ils

forêt qui semblait selet

immense. Un

pénétrait

y

ruis-

grand clapotis

à

herbeuses où

entre deux

rives

renoncules

piquaient

l'or

frais

leurs pétales. Des oiseaux chantaient; par dessus les

un

voyageurs

pur nacrait son azur

ciel très

de minces traînées de nuages.

II

régnait une telle paix en ce lieu

que

jeune

la

fille

et

s'y reposèrent corps et s'être

lavés

à

ses

loups

âme, après

grande eau des

souillures tout à l'heure subies.

Le Jade, bon prince, attendait, immobile sur un quartier de roc, offrant aux baisers du soleil la

merveille de ses trans-

parences,

la

délicatesse

tons.

Anémone juste le

à

s'éveilla

temps pour

voir repartir.

des

tas

de

y avait des morts par-

Il

de ses

les

de

^'

CONTES MAUVES DE MA MERE-GRAND.

i36



Alerte, debout, amis!

Elle

enfourcha

le

cria-t-elle à ses loups.

Noir dont

tour de porter, et

c'était le

la

course recommença.

Elle dura toute une semaine. Enfin, après avoir traversé des contrées singulières,

peuplées d'habitants étranges,

arrivèrent dans des pays où la

ils

campagne

portait des arbres et des fruits tels que nous en voyons chaque jour, et où les

hommes

s'habillaient et paraissaient vivre

comme

tout le

monde.

Le Jade reprit alors une allure de promenade. Anémone eut ainsi le temps de mieux considérer choses et gens. Or, certaine matinée que, chevauchant le Noir, elle suivait

d'un fossé, une espèce de nain vieux,

de vignes. Les mains jointes,

vrillons

elle

aperçut, assis au revers

et difforme, aux.

jambes tordues comme

sous de hauts peupliers une route déserte,

chantait à voix pleurarde

il

:

La charité, ma belle dame, La charité au laid stropiat,

«

Faites

aumône

Dieu, juste

de

Anémone

leva vers

Il

des yeux

si

elle

demanda

— —

ma

à

misère,

bon, vous

le

rendra.

lamentables que

»

cœur de

le

celle-ci fut saisi

Gardienne du Rosier de Fortune,

pitié. Oubliant le conseil de la

Noir et tandis que, soupçonneux,

et

elle arrêta le

Blanc s'approchait du mendiant

le

et le flairait,

:

Mais que

fais-tu là,

brave

homme,

si

loin

de tout

et

de tous? Et qui prend

soin de toi? Hélas,

mon bon

ange, je suis d'un village à trois lieues d'ici; on m'appelle

Nabot-Ie-Tortu, et d'ordinaire je mendie

mon

sur cette route, deux vilains gars m'ont volé tout meurtri à la merci de la première

dame,

pitié,

me

m'aider à

mon

bel oiseau

blanc du

pain. Ce matin,

mes

comme

abonne âme rencontrée.

bon

je béquillais

béquilles, rossé, puis abandonné

Dieu.

Si

Pitié,

ma

jolie

seulement vous pouviez

mettre sur mes tristes jambes, avec deux branches de peuplier qui

me serviraient de cannes, je viendrais peut-être à bout de regagner mon village. Anémone descendit de son loup et, tandis que le Jade impatienté, tournait sur lui-même comme une toupie, elle s'approcha du nain et se baissa pour l'aider à se mettre sur ses hideuses jambes.

qu'un faon mais le

le

et jeta

Blanc

bras.

au cou de

veillait.

la

jeune

D'un bond

fille

Tout soudain,

fut sur lui,

il

Le misérable poussa un hurlement atroce

pardon!...

je...

»

Il

n'acheva pas

:

Le Noir

il

se releva, plus leste

noueux il l'eût étranglée, d'un coup de mâchoire il lui broya

ses dix doigts

lui

;

.

«

Ah...

ah...

avait sauté au cou!

pitié!...

Un claque-

LA FILLE AUX LOUPS. ment de

ses dents de diamant,

et

gorge tranchée, tout sanglant, sur

i3 7

même

nain retomba sans

le

faire ouf,

Les deux loups s'empressèrent auprès de leur maîtresse évanouie; bientôt connaissance et ouvrit de grands yeux étonnés.

— Mais que expliquèrent — Pourquoi

elle reprit

passé? demanda-t-elle.

s'est-il

du nain.

la perfidie

lui

Ils

la

le talus.

au Noir. Le vilain homme était assez du Blanc. Méchant Noir, ne pourras-tu jamais dominer ton naturel brutal?... Mais es-tu sûr au moins qu'il soit mort?... Oui?... l'avoir tué? reprocha-t-elle

puni

par

morsure

cruelle

la

Me

Le pauvre malheureux!

— —

Mais

voulait te tuer, maîtresse...

il

Qu'importe! Puisqu'il n'avait pas réussi,

un peu ma faute

:

Elle s'approcha



il

fallait

pardonner. Et puis,

Hou!

la

du cadavre

laid et faux

le

et le

visage!

considéra avec attention

En

Je suis sûre de n'avoir jamais vu cet

ma mort?

vérité, ces traits

:

me

ne

rappellent rien.

homme... Alors?... Pourquoi

toute pensive. Elle ne pouvait deviner en effet

venait de faire justice de son pire ennemi, et qu'elle avait sous les

de l'enchanteur Tysrem.

Celui-ci

avait

pris

Anémone

et ses

qu'il

compagnons

par

clairière habitée

le

percevait

Géant.

le

se remirent en route et Il

les entendit

Hé! hé!

dit-il

la

mousse.

d'une voix ronflante qui secoua

quel est cet imprudent qui s'aventure dans

Et, vit

Il

?

il

la

avait l'oreille

attendait, assis à

:

les feuilles

mes parages

comme

il

effroi

n'était pas sans usages,

que

la

il

se leva

cime des plus hauts

pour

arbres

ceinture. Cependant, elle répondit sans trembler

— — —

Noir corps

de toute

Mais, Dieu

me

la forêt,

pardonne,

une femme!

avec



le

le

de Généreux.

fait

venir de loin, car

pas d'une fourmi sur

que

yeux

parvinrent bientôt à

califourchon sur un escabeau aussi haut qu'une maison

c'est

il

forme de cet abominable nain,

la

espérant se débarrasser d'elle aussi facilement qu'il avait



voulait-

Etrange aventure!

Anémone demeurait

si fine

c'était

Gardienne du Rosier de Fortune m'avait bien recommandé méfier du premier mendiant rencontré.

me

de

voici son trépas sur la conscience!

lui faire

honneur.

lui arrivait

à

Anémone

peine à

la

:

Oui, c'est une femme; c'est moi, la Fille aux Louns.

Et que veux-tu?

Le Cœur d'Emeraude Naturellement! Je m'en doutais. C'est toujours

la

même

chanson. Sais-tu,

mauviette, qu'il en est passé par cette clairière des mille et des mille qui, tous vou18

-M

CONTES MAUVES DE MA MERE-GRAND.

i38

Cœur d'Emeraude, ont tous ici laissé leur peau. Tu as donc assez de la vie? Que t'importe! Veux-tu, oui ou non, me donner le Cœur d'Emeraude? Tu ne l'auras qu'avec ma vie, car je le garde dans ma poitrine, tout près de mon vrai cœur à moi. Pour venir l'y prendre, il faut me vaincre en combat

lant le

— —

choisis ton arme...

singulier. Parle,

Anémone, sans daigner répondre, le désigna d'un geste à ses bêtes A moi, mes loups! Sus, sus, sus! Hardi le Noir, hardi le Blanc! Abattez:



moi ce monstre! Les deux animaux s'élancèrent, s'escrimant des griffes puissante masse

du géant. Un

un grondement de tonnerre

rire

Ah, ah, ah! Voyez-moi

«

:

des crocs contre

et

méprisant fusa, répercuté par

Ah,

cette petite perfide!

ah, ah! Elle envoie contre moi ses loups... ah, ah, ah! sans

même

la

comme

la forêt

prévenir...

ah, ah, ah!., je ne les sens pas plus que morsures de puce; ah, ah, ah!...

Le Blanc

Noir revenaient vers Anémone,

et le

geignant, hurlant. Contre

Cœur d'Emeraude

Alors,

filer

Anémone pensa

d'elle

effroyable



entière.

comme

Ayant gagné quelques à coulisses, vite

elle

du géant martelaient

semelles

vacarme de branches cassées

:

Ne

«

faiblis pas,

son adversaire étendait vers

pour se mieux fau-

toises d'avance sur son

en

tira la

la

terre,

Rose

:

Il

la fleur



la

main,

contre

lui,

jeune

et cria

fille

prononcé

monstre s'abîma sur

:

un

bouillie la

la

jolie

voix

aussi,

toi

forêt

toute

bout de

:

poitrine de ce géant crève

qu'il

et

en

Cœur d'Emeraude!

Elle avait à peine

de sang

même

temps!

broyant tout en

s'avançait fièrement; elle darda à

de toute sa

Je souhaite qu'à l'instant

sorte le

rouge

la

ennemi,

était

:

Vous ne m'échapperez pas, dussé-je réduire en Je vous écraserai comme limaces!

La Rose à

le

suppliait

Oui, oui, courez! Allez les loups, cachez-vous! grondait-il, et

la Fille!

bras

les

avait conscience de cette défaite,

délivre-moi! »

à la Rose d'Or. Et,

vite, vite, elle ouvrit le sac

Autour

s'il

du monstre

elle s'enfuit, se faisant toute petite

à travers les buissons.

»

en sang,

tu sois, courage!... Délivre-moi! et je te conduirai

tu aimes. Courage,

formidable main,

elle sa

comme

clans la poitrine

n'abandonne pas! 0, qui que vers l'être que

et les pattes

chair du géant leurs crocs s'étaient ébréchés, leurs

retournées, arrachées. Et,

grilles le

la

gueule

la

jaillit

jusqu'au

le

le

dernier mot que

la

Rose d'Or s'épanouit

dos, en un effroyable craquement d'arbres.

ciel

et

retomba, trempant

c'était sa poitrine qui s'ouvrait.

la

Un

et

que

torrent

forêt d'une rosée tiède et

Puis ce fut un éblouissement; et

merveilleux apparut dans un rayonnement de clarté émeraude

:

le

Cœur

LA FILLE AUX LOUPS.

139

gloire à toi, Gloire au créateur de toute lumière", gloire à l'éternel soleil, et chantait-il. nuit! » jeune fille, qui m'as délivré de l'exécrable «

Et

il

vint se poser sur l'épaule

tout entière,

pour

la

je Ils

comme

vêtir....

vais te

partirent.

si le

d'Anémone. Une lumineuse douceur l'enveloppa

vert léger des

feuilles

au printemps

s'était

fait

clarté

Les loups contemplaient, éblouis.

mener vers celui que Le Cœur d'Emeraude

tu aimes. allait le

En

route,

Anémone;

premier, guidant

la

suis-moi.

Boule de Jade,

la marche. Les pauvres puis venait Anémone sur un des loups; l'autre fermait mais la gueule leur Anémone, bêtes ne se plaignaient point pour ne pas retarder douloureusement. faisait bien mal et leurs pattes saignaient

un royaume par jour, tant ils se hâtaient. Le quatrième jour, ils pénétrèrent dans un quatrième royaume. La jeune fille, s'étant rendue seule dans la première ville rencontrée pour y les officiers acheter des provisions, s'étonna fort de voir les drapeaux en berne et sabre. Elle en demanda circulant avec un crôpe noué à la poignée de leur Ils

traversèrent

CONTES MAUVES DE MA MÈRE-GRAND.

140 raison à un

la



Comme

Sache que

que

voit bien

regarda

la

comme

elle

Et nous portons

fois.

n'y aura ni réjouissances, ni fêtes publiques tant que

sera pas revenu. Ainsi le veut notre Sire, ainsi le veut

nous aimons fidèlement notre

Anémone

roi

la

lune

:

!

le

le

le deuil, et

prince Généreux ne

cœur de

ses sujets, car

son deuil est notre deuil, sa joie sera notre

:

Comme

de questions.

l'accabla

tombait de

venue en ce royaume

depuis que notre vénéré roi ayant retrouvé son

perdu une seconde

l'a

si

tu es étrangère et nouvelle

c'est deuil national ici,

prince Généreux,

ûls, le il

bourgeois, qui

on

était

il

joie.

complaisant et bavard,

il

la

renseigna tout au long. Elle connut ainsi qu'elle était entrée dans les états de

son prince bien-aimé; et que celui-ci, parti,

disait-on, à

recherche d'une

la

épouse, avait disparu depuis quelques années.

Toute songeuse Vers midi gris,

les

Au

commanda

Halte!

le

La jeune

fille

champ. Le temps

était

!

» C'était à

ne

intempéries, tachée çà et

les



de mousse. but

les

:

deux

réjouis-toi, voici ton prince bien-aimé.

de grands yeux.

écarquillait

Mais je ne vois rien,

ni personne.

lui non plus ne te voit pas, car il est au milieu de cette mare. C'est le géant, mon ravisseur, métamorphosé. Et moi, le Cœur d'Emeraude, je ne puis lui rendre

Pourtant vous êtes face à face, mais

la pierre

qui

se remit en route.

plein

Cœur d'Emeraude. Nous sommes au

amants sont réunis. Anémone,

— —

mare en

milieu de l'eau croupie, gluante, verdie, une pierre émer-

devenue lépreuse sous

geait,

compagnons. On

grenouilles s'époumonaient a Coax..! coa!... coa... coax

point s'entendre.



elle rejoignit ses

arrivèrent au bord d'une

chargé de nuages. Mises en joie par ces promesses de pluie pro-

ciel

le

chaine

ils

que

l'a ainsi

tu aperçois

sa forme humaine, car je ne possède que l'unique pouvoir de faire se rejoindre les

amants séparés. Déjà

Anémone

Ma

tâche est accomplie, à

avait saisi

la

Rose d'Or

bien-aimé Généreux reprenne à

Ce

fut sur le sol

redevenue Généreux,

«

cri

la

;

elle s'élançait à

nom

Anémone!... Généreux!

»

Eulin

et tant

leurs

se séparèrent,

deux cœurs que

ni

toi

faire le reste. dit-elle,

dans

la

algues

et

d'or, et

de

la

poitrine des

ses

et,

la rive.

embrassement dura des minutes. noble, et pur, et grand l'amour dans

était

l'un ni l'autre

du prince,

mousses

deux jeunes gens.

ne remarqua

le

changement, pourtant

bien visible, que le temps avait apporté à leurs traits. C'est à peine s'aperçut de la cicatrice

que mon

mare un apeure-

grandes enjambées vers

jaillit

et leur

de

Je souhaite,

pierre avait secoué ses

éperdu, un double

ils

«

sa forme humnine. »

une jonchée de pétales

ment des grenouilles

Un

l'instant

:

c'est à peine si

si

Anémone

Généreux distingua les rides

LA FILLE AUX LOUPS. que souffrances

et

Le ravissement

Gravement félicité.



à

misère avaient creusées dans

assis,

Enfin

le

visage de sa bûcheronnette.

le

heures passaient... Le soir vint...

les

loups se tenaient à distance, témoins discrets de cette

les

prince remarqua leur présence

:

mes braves, vous, chers compagnons de ma douce Anémone. Vous

êtes là,

Et l'on se

fit

fête

vous

Leur tour

aussi,

et

de reconnaissance. Lors,

le

l'écart.

:

ne pourrais-tu, jeune

Volontiers, cher alors,

souvent pensé

deux eurent leur grande part de remerciements Cœur d'Emeraude s'avança vers Anémone et dit

guidée vers ton bien-aimé

je t'ai

est

j'ai si

Boule de Jade restaient modestement à

la

vint ensuite; tous

— Puisque avec vous, — — Eh bien

leur dit-il;

avec force caresses, baisers, léchades, embrassements.

Le Cœur d'Emeraude

et

Et

était sur eux...

141

me

fille,

et

que maintenant

rendre

la

le

bonheur

liberté?

Cœur d'Emeraude.

prends-moi

de toutes tes forces contre

et jette-moi

ciel

le

d'où je viens. Elle saisit le

un grand élan

Cœur d'Emeraude

et,

après l'avoir tendrement baisé, elle prit

put contre

et le lança aussi fort qu'elle

Le joyau monta, monta haut, très haut, puis

laissant derrière

lui

le ciel

un prestigieux

déjà grisaillant.

sillage

de lumière.

se fixa, scintilla... le firmament comptait

de plus... Et c'est cette étoile que, depuis, les

amants regardent,

une

Il

étoile

lorsqu'ils sont

séparés.

Anémone



«

son cher prince

dit alors à

Écoute, Généreux,

il

:

faut nous quitter

une

ton rang que nous rentrions ainsi, tous deux, en

donc! Regagne

toi

joie

du

retour,

et

au plus tôt

annonce au

le

auquel

il

toi.

Prie-le

invitera tous les princes ses

Va, Généreux, adieu,

mon

Je rentrerai par la Porte

encore, car

furtifs,

dans

Palais. Rassure tes parents.

roi ton père

choisie pour épouse viendra vers

fois

il

ne sied pas à

Hâte-

ta capitale.

Abandonne-toi à

que dans cinq jours

celle

que

en outre de préparer un grand

tu as festin

voisins et les grands de son royaume...

bien-aimé, dans cinq jours je reviendrai près de

du Sud. Et

la

s'il

toi.

plaît à Dieu Tout-Puissant c'est de ce

jour, de cette heure que datera la fin de nos misères.

Elle

dit.

Ils

s'étreignirent

l'autre, ils s'éloignèrent

sous

une dernière la

fois,

puis

poudroyante clarté des

s'étant arrachés

l'un

étoiles impassibles.

à

a?;s la

^V>

depuis

capitale,

retour du prince Généreux, on travaille

le

sans trêve ni repos.

A

peine a-t-on eu

temps de festoyer une matinée pour célé-

le

brer l'heureux événement qu'il a fallu, de par l'ordre du roi,

reprendre à

celle

outils

les

et

besogner jour

que tous attendent une réception digne

tous les corps de métiers, c'est à qui fera

château ne désemplit pas

:

le

mieux

nuit

et

d'elle les

pour

préparer

du royaume.

et

Dans

choses; l'esplanade du

corporations sur corporations apportent leurs pré-

senls en cortège solennel. Les rues, les places sont des chantiers où dansent les

marteaux, grincent

les scies,

chantent les rabots; partout se dressent des mâts,

s'élèvent des arcs de triomphe; des bannières flottent, des guirlandes traversent et reiraversent

au-dessus des

de leurs lanternes, fleuris.

le

les portes, les fenêtres, et

de verdure lancent des

Ce matin édiBce

portant d'un balcon à l'autre le

le

fait

:

le Fils

de

les

aux carrefours

façades, des soies

les bassins

couronnés

du Roi

a choisie pour épouse.

du haut en bas du somptueux domestiques met la dernière main aux

une bousculade

d'ouvriers,

foule

préparatifs de fête

bigarrure

parfumée...

son entrée celle que

palais c'est

une

jets d'eau

la

caprice de leurs cordons

Des velours lamés, des satins luisants habillent

anciennes drapent

Dans

têtes,

bariolage de leurs oriflammes,

affairée;

tout est nettoyé, brossé, fourbi, ordonné.

du Trône est prête à recevoir ses hôtes. Le Grand Maître des Cérémonies pas^e une dernière inspection, accompagné des hauts dignitaires auxquels La

il

salle

désigne d'avance leur place, suivant leur naissance et leur rang

chaises,

:

fauteuils,

tabourets sont étiquetés avec soin. Le Premier Trésorier sort de leurs

142

1

LA FILLE AUX LOUPS.

i

43

dames d'atour parent leur souveraine de sa plus riche toilette. Généreux revêt un costume de satin blanc et son père ordonne une rapide retouche à son manteau d'apparat.

ecrins les joyaux de

Un

de

tapis

soie

la

Couronne,

aux

fds

déroule sa magnificence sur

du Sud.

la

hauts et touffus

comme

chemin qui mène de

le

sous

disparaît

Celle-ci

hautes tours qui

les

et

verdure,

la

la

draperies,

les

dans

l'herbe

les

demeure royale

prés,

à la Porte

Les

crépines.

les

flanquent sont garnies d'archers qui doivent à l'entrée de

leur future souveraine pousser

trois

vigoureux

«

Vivat!

Des trompettes à

»

cheval, échelonnés par relais, sonneront de proche en proche, dès qu'elle aura franchi l'enceinte de la cité.

Une

tente de pourpre et d'or la recevra

où sont

tenus prêts un vêtement d'une extraordinaire splendeur, des joyaux magnifiques, puis une haquenée toute blanche, harnachée de blanc, sellée de velours blanc, bridée et caparaçonnée d'argent mat.

Midi! Les cloches tintent dans tous

dans

la

Généreux saute,

poitrine de

par

à grand'peine

les

marche entre deux grands

cœur

du Sud passe modestement une jeune

fille

qui

loups.

Les trompettes jettent par

aux Loups

à tous les beffrois; le

saute; par les rues les badauds contenus

gardes à cheval se haussent sur leurs pointes, se bous-

culent; et là-bas, sous la Porte

vivat! » Et le

les clochers,

les airs le fracas

Grand Chambellan s'avance.

de leurs cuivres

met genou en

Il

:

«

Vivat! vivat!

terre devant la Fille

:

— Très-Haute,

Très-Puissante, Très-Noble

Dame, au nom du Roi, mon

maître, en celui de tout son peuple, je souhaite à Votre Altesse la bienvenue dans notre capitale. Lui plaît-il d'entrer dans cette tente où sont préparés pour elle

des habits royaux que le prince Généreux la prie de revêtir?

— Relevez- vous,

messire, et soyez remercié.

Puis, souriant de touie son voir, elle



Roi,

la

ravie au peuple qui s'écrasait pour la

ronde une volée de baisers

mieux

:

Salut à vous tous, chers braves gens, et salut à votre belle cité. Vive le

mon

Ce

envoya à

âme

fut

nelles et

seigneur, vive le Prince Généreux!

dans

le

public

du

chacun se rua vers

délire;

une poussée rompit

Anémone,

le

cordon de senti-

s'efforçant de baiser le bas

de sa cotle

de bure. Elle entra dans la tente pour déférer

mais

elle refusa

obstinément de revêtir

au désir de son bien-aimé Généreux, la

fastueuse toilette qu'il lui avait

fait

préparer.



Non, non,

répétait-elle

doucement, ni bijoux,

ni

beaux vêtements. C'est

"t-r-

'44

CONTES MAUVES DE MA MÉRE-GRAND.

on pauvre bûcheronnette,

telle

m'a connue et aimée, que veux apparaître à son peu-

qu'il

je

ple, à sa cour.

Elle accepta seulement quel-

ques rafraîchissements et

demanda

ensuite une aiguière

~r-c-

LA FILLE AUX LOUPS.

et

un bassin.

et les



i

45

Elle lava les pattes de ses loups, puis après s'être passé le visage

mains à

l'eau

:

Allons, messire, dit-elle au chambellan.

Elle sortit.

Le grand

soleil, les

de tous côtés

lui

acclamations,

le

tournèrent un peu

parfum des

la

haies

de soldats, seule, pieds nus sur

souriante, suivie de ses loups qui

de derrière. des

hommes

A

elle s'avançait le

Promenant

mais cela ne dura pas.

lête;

sur la foule son beau regard tranquille,

roses, des œillets qu'on lui jetait

tapis

de

soie,

maintenant entre deux

cheveux

lissés,

mine

gravement marchaient debout sur leurs pattes

vingt pas de distance venait l'escorte des grands seigneurs et

d'armes.

Les petites gens qui se bousculaient pour

la

regarder, à la voir

si

simple,

9

CONTES MAUVES DE MA MÈRE-GRAND.

146

comme eux du menu

reconnaissaient pour une des leurs, sortie

la

peuple, et ne

l'acclamaient que plus chaleureusement.

Généreux, à

la

première fanfare de trompettes, avait

l'âme, a Elle passe sous quitte la tente.»

Une seconde

Porte », pensa-t-il.

la

Souffrez, cher seigneur, dit-il,

peux demeurer en

Je ne

salle,

d'un

ruines

pleurant à

Criez

:

couvrant de baisers,

la

la

Enûn

lâcha

il

deux

Anémone Il

la

Sans

le

»

Et

la serrait

l'air,

comme

modeste sous sa bure,

la conduisait

il

à l'étouffer,

»

qui, toute rouge, eut quelque elle,

il

et

:

Vive notre Princesse!

repartirent,

habits de satiu blanc. fine

cette rencontre.

montra au peuple, riant

dissaient, les acclamations roulaient et se répercutaient

puis tous

traversa

où s'élèvent encore aujourd'hui

un spectacle ravissant. Les bonnets volaient en

C'était

degrés,

les

au grand scandale des gens de cour présents,

disant et répétant

comme moi

:

bien- ai niée.

ronge.

commémora

Braves gens, braves gens, voici celle que j'aime!

a a

l'endroit

qui plus tard

l'étiquette,

la fois,

me

ma

marcha bon pas au-devant d'Anémone.

mi-route environ, à

dans ses bras,

l'enleva

un muscle ne bougeait

descendit

il

« Elle

:

genou devant son

courre au-devant de

place, tant l'impatience

monument

moindre souci de

je

attendre la réponse,

quitta le palais et la joignit à

Il

les

même

sans

Et,

que

jusqu'au fond de

fanfare sonna

piétinait d'impatience. Soudain, fléchissant le

Il

père assis majestueusement sur son trône et dont pas



tressailli

les

mains applau-

fracas d'orage.

mal à reprendre haleine lui

;

magnifique sous ses

fièrement, son poing fermé soutenant

la

main de sa bien-aimée.

C'est ainsi qu'ils parurent Ils

se prosternèrent

fût

donné de

devant toute

la

cour, devant la reine, devant le roi.

au pied du trône, attendant suivant l'usage que l'ordre leur

se relever. Ils ne pouvaient

prononcer une parole tant l'émotion

les

étreignait.

Un

silence profond pesait sur l'assemblée.

en descendit

mone

le

roi,

quittant son

trône,

Il se pencha, prit la main d'AnéGénéreux et, attirant ainsi les deux jeunes pressa longuement sur sa poitrine. Lui non plus ne pouvait

degrés d'un pas majestueux.

qui toujours étreignait celle de

gens vers

lui,

rien dire...



les

Enfin

11

il

les

se reprit enfin, et d'une voix assourdie par les larmes

Soyez bénis, mes enfants. Jeune

fille,

je

il

dit

:

connais ton histoire et ne sais

sur cette terre d'âme plus pure que la tienne, ni d'épouse plus digne que toi

pour notre bien-aimé



Sire,

fils.

grand merci, répondit Anémone. Et pour vous prouver que

bien celle que vous attendez, regardez ce miracle.

je suis

LA FILLE AUX LOUPS.

de toute

— Voyez

en

son sac à coulisses,

ouvrit

Elle brillait

tira

le

M7

précieux morceau d'écorce qui

pureté de son or, et l'appliqua contre

la

joue de Généreux.

la

tous! s'écria-t-elle.

La hideuse cicatrice avait disparu, et si complètement que le plus avisé médecin du royaume n'aurait pu distinguer la moindre trace de suture. La Reine

à son tour

fit

mille gentillesses à sa future belle-tille qu'elle entraîna

dans ses appartements pour

faire revêtir enfin

lui

une

toilette plus

conforme à

son rang.

Pendant ce temps,

les

deux loups

courtisans qui

travers les serrer, voire

même

étaient fort entourés.

leur faisaient fête,

à baiser.

Ils

— pour

Des groupes animés se formaient ne s'entretenait que de

faisait

et

des courbettes, mais

ils

n'en

vanité.

conversations allaient bon train; on

et les

aux Loups

la Fille

promenaient à

donnant gravement leur patte à

— aucune

moment du moins

le

se

se sentaient, de par l'élévation de leur maîtresse,

devenus d'importants personnages; on leur tiraient

Ils

de ses aventures merveilleuses. Tous

s'accordaient à la trouver magnifique, admirable, qui dix jours auparavant ne l'auraient,

même

malgré toutes ses vertus, pas

honorée d'un regard. Les souve-

rains des états limitrophes ne tarissaient pas d'éloges sur sa beauté, sa distinction et la noblesse de ses manières.

en aparté que cette opinion se

ménager

l'alliance

était

de Généreux

Les méchantes langues disaient d'ailleurs

uniquement dictée par

le

souci qu'ils avaient de

de son père, ceux-ci étant de très redoutables

et

et puissants voisins.

Enfin, vers trois heures on se mit à table et

à sa toilette plus de

temps

qu'il n'était

d'appétit contrarié ne tint point contre

n'en était plus Toutefois,

même

question

on commentait

être passés? » se

il

était

grand temps. Beaucoup

on commençait à trouver que

tomacs grondaient,

il

:

:

la

les

d'es-

jeune princesse mettait,

convenable. Mais cette mauvaise

humeur

bonne chère. Quand on apporta

le rôt,

tous les invités étaient en parfaite gaîté.

fort l'absence des

demandaient

la

deux loups

:

«



peuvent-ils bien

convives, en voyant demeurés vides les sièges

qui leur étaient réservés à droite et à gauche de leur maîtresse.

— on en



aux entremets que la curiosité générale obtint satisfaction. On entendit soudain un furieux halètement au dehors, puis la tenture se souleva et les deux animaux entrèrent en coup de vent. Ce

fut vers

les

six heures

était

d'Anémone, allés chercher ses parents au milieu de leur forêt. Le Blanc portait le bûcheron qui, fort tranquillement à califourchon sur lui, salua en grande courtoisie la société avant de mettre pied à terre. Le Noir Ils

étaient, sur l'ordre

amenait en travers de son échine

la

bûcheronnj évanouie;

il

la laissa

choir sur

g CONTES MAUVES DE MA MERE-GRAND.

148

f)nillliliiii|liiiiUMiimiimi|iii

le

moindre aménité. Les serviteurs s'empressèrent; on

tapis sans la

on

l'eau à la face,

de

lui frotta

Le bûcheron

était déjà

dans

suite et retrouvée sans trop

J'avais toujours pensé,

étroitement sur son tu serais

un jour

tout de bon.

Et sa

il

c'était

gloire de

Ah, tu

es bien

la

du jour que

cœur,

il

reconnue tout de

froisser ses dentelles et ses godrons,

digne

resté fidèle à sa

celle-ci,

l'avait

:

fille

et je lui

de

ta

que

tu étais toute

pour

es reine

chère défunte mère...

Que ne

mémoire!

qui revenait lentement à elle

vilain

Il

ma maison... Souviens-toi quand « ma petite reine », et voici que tu

ajouta tout bas à l'oreille de sa

Quant à un vrai

fille.

:

prix, à larges volées de bois vert.

car

bras de sa

les

cœur pour ne pas

la

grand Dieu,

femme



cour prêta son flacon

grand saisissement sous une couronne de princesse mignonne, disait-il, en se gardant de la presser trop

jeunette, je t'appelais souvent

suis-je,

la

de

Enfin elle reprit ses sens.

sels.



dame de

tempes, une

les

jeta

lui

fille,

en

lui

désignant d'un signe de lête

:

tu as fui la maison, je ai

Ton

ne se passait guère de jour que

fait

chat et

mon

me

suis aperçu

depuis payer sa méchanceté toi,

vous êtes bien vengés,

bras ne

lui

le

que bon

allez,

trempât une bonne

et

rude soupe d'époux maJ content.

3

LA FILLE AUX LOUPS. La misérable bûcheronne avait,

'49

aussi, reconnu son souffre-douleur de

elle

jadis.

debout péniblement et s'approcha, si humble, si dolente, que le cœur d'Anémone se fondit de pitié. Elle avait tellement changé, la malheureuse, depuis que pesait sur elle le juste ressentiment de son mari ridée, flétrie, cassée, bref devenue vieille femme bien avant l'âge. Allons, madame, approchez, venez ça et embrassez votre belle-fille qui vous Elle se mit

:



pardonne de grand cœur. Tant de générosité l'accabla; princesse et baisa



en sanglotant aux pieds de

bas de sa traîne. Elle balbutiait

le

Comment

Pardon, pardon...

«

elle s'effondra

la

:

oublierez-vous jamais

le

mal que

vous

je

ai

fait?

Celle-ci

comme



la

la

Oubliez

mais

plus

doucement

releva, la consola aussi

les

mauvais jours,

comme

je les oublie

de reproches, de querelles,

charge de Grand Inspecteur des

toi

dit-elle.

Désor-

retrouvée. Nous

est

mon époux une

au prince

Bûcherons royaux. Quant à vous, madame,

vous serez de mes dames d'honneur

vais faire

et je

donner des ordres pour que

vous apprête un trousseau ainsi qu'un choix de robes dignes de votre rang.

Elle

se tourna ensuite vers le roi

— Maintenant, — ma — qu'on acclame dehors. — j'ordonne,

:

m'accorder une prière?

Sire, voulez-vous

Volontiers,

fille.

laisse entrer et défiler ici le

C'est

est juste qu'il soit

Il

Ainsi



:

moi-même,

puisqu'Anémone

ne nous quitterons plus. Père, je demanderai pour

l'on

qu'elle pût, car elle tremblait

Puis la conduisant auprès de son père

feuille.

Holà donc,

bon peuple qui se presse

et

nous

témoin du bonheur de ses souverains.

monarque.

dit le

huissiers, ouvrez les

échansons, écuyers tranchants,

valets

portes à

deux

battants!

Et vous tous,

de bouche, qu'on s'apprête à servir

et

régaler ces braves gens! C'est grande liesse pour tous aujourd'hui!

Lorsque la

la

salle

fut pleine

princesse réclama

restait plus

— Une

que

la tige

bonne

choix. De deux

fée,

j'ai

de leurs sujets mangeant, buvant, se gaudissant, tirant de son sein la Rose d'Or dont il ne

silence et,

le

et le pistil

:

proclama-t-elle, m'a

déjà

fait

prince Généreux que voici.

Il

un jour donné

trois

usage pour rendre à ses sujets

m'en

reste

un

et à

les

répliques de se croiser, suivant ce que pensait chacun

:

mon

mon amour

troisième. Parle, ô peuple,

conseilles-tu de souhaiter?

Et

souhaits à

le

que me

,

CONTES MAUVES DE MA MERE-GRAND.

i5o

— Bonheur... — Eh non, mes

jeunesse

santé...

éternelle...

longue

fortune...

riche

vie...

lignée...!

amis, ce ne sont point



Le prince Généreux nous ne faisions passer l'heur de

vœux de

roi

!

moi ne serions dignes de régner un jour, si nos sujets avant le nôtre. Ecoutez donc mon souhait dernier

ni

même

peuple être heureux au prix

dans

la

paix laborieuse; que

Et, tandis

que

la

en faveur de son

de notre bonheur, de lui soit épargnée.»

et

fils,

fêtes

de

restait

la

parquet.

le

roi, fatigué

les

en acclamations, ce qui

d'Anémone

et

Puisse notre

guerre

Rose d'Or tomba en cendres sur

Le mariaçe de Généreux de l'allégresse générale. Le

«

notre vie; qu'il croisse

salle entière éclatait

la

:

lendemain au

fut célébré le

d'un long règne, abdiqua

le

milieu

même

jour

du couronnement surpassèrent en durée

et

magnificence toutes celles qu'on avait données jusqu'alors.

Le Blanc étonnèrent

et

par

le

Noir,

la

à

Conseil

Privé

qu'ils

de leurs avis. Le jeune Roi fonda en leur mémoire devinrent les Grands Mailres celui-ci se portait au cou,

sagesse

V Ordre des Loups dont

suspendu

créés ducs et pairs, siégèrent au

ils

:

un ruban de moire couleur jade. Distribué

attribué à l'unique mérite,

il

fut bientôt le plus

fort

parcimonieusement

et

ambitionné du royaume.

La Boule de Jade fut montée à griffes de platine au bout du sceptre royal. Le sifflet d'opale, conservé en cas de besoin, prit place dans un écrin capitonné de satin parmi les joyaux de la couronne; la chaîne de perles qui le soutenait fut démontée, vendue, et l'argent qu'elle rapporta distribué aux pauvres. Quant à Généreux

et

à son épouse,

Et parce qu'ils s'étaient tant et

si

leur accorda la grâce de mourir tous

ils

vécurent longtemps, longtemps.

fidèlement aimés pendant leur vie,

deux ensemble,

le

même

jour, à

la

minute, entourés de leurs enfants, petits-eufants et arrière-petits-enfants.

Cayeux-sur-Mer, 20 août 1920.



Saint-Gormain-en-Laye, 8 avril 1921

le

Ciel

même

LE

151

CHASSEUR ET LE MIROIR QUI VOIT TOUT

A Maurice Lalau,

en amitié sincère.

LE CHASSEUR ET LE MIROIR QUI VOIT TOUT.

l

y avait une fois un chasseur qui ne rentrait bredouille. Un matin il

allait

chaque jour

partit

comme de coutume,

i53

à la chasse et jamais

jusqu'au soir sans voir seulement le nez d'un lièvre ou

la

mais

il

courut

queue d'une per-

drix. « Tant que je n'aurai pas tué quelque chose, je ne rentrerai pas à la maison » se dit-il, et il continua de battre la campagne. La nuit le surprit comme il entrait dans une forêt. «"Je finirai bien par rencontrer quelque gibier » pensa-t-il, et il poursuivit son chemin il ne rencontra rien. Au petit jour, il :

de

sortit

au bord de la mer. La première chose qu'il aperçut fut un énorme poisson qui, échoué sur le sable, s'épuisait en vains efforts pour reprendre l'eau. Le chasseur s'approcha « Pauvre bête » dit-il ; il posa sou fusil, la

forêt et parvint

:

sa veste et, roulant le

par

le

— —

poisson

mit bas

!

comme une

futaille,

il

finit

non sans grand peine

remettre à l'eau. Dès que celui-ci se sentit dans son élément,

Que veux-tu en récompense de Rien, répondit le jeune homme.

ta

bonne action

?

il

lui cria

s

CONTES MAUVES DE MA MÈRE-GRAND.

.5 4

Mais



poisson répliqua

le

Arrache-moi une

Quand

il

arriva dans une plaine où s'élevait

un énorme serpent qui grimpait à Là-haut, dans leur nid, de le

sait

jamais.

un arbre

très haut

un bruit singulier. ce que c'était et aperçut d'un coup de fusil.

à s'endormir, lorsqu'il fut éveillé par

compte de

sauta sur ses pieds pour se rendre

Il

on ne

et je viendrai.

pour se reposer.

s'étendit

il

commençait

te servir,

manche

arracha une écaille du ventre, l'empocha et partit.

lui

bout d'une semaine

au pied duquel Il

pourra toujours

tu auras besoin de moi, frotte-la sur ta

Le chasseur

Au

:

écaille, cela

l'arbre

;

il

l'abattit

petits aiglons tout tremblants

de peur virent avec joie

chasseur tuer leur ennemi.

Quant et se

à celui-ci, après avoir considéré sa proie,

recoucha

il

;

ne

haussa

il

épaules,

les

fit

la

moue

pas long à se rendormir.

fut

comme un sonneur lorsqu'arrivèrent le père et la mère des aiglons. En apercevant le jeune homme ils entrèrent dans une grande fureur. Il

ronflait

— Et

Voici ils

se

coquin, s'écrièrent-ils, qui chaque jour dérobe un de nos enfants!

le

précipitèrent sur lui dans l'intention de lui crever les

yeux

et

de

le

déchirer de leurs serres.



Ne

lui faites

pas de mal, surtout, ne

pas de mal! crièrent les petits

lui faites

même, car c'est lui qui a tué le serpent. En entendant ces mots les aigles se radoucirent. Loin de

à cet instant

dirent leurs ailes entre lui et et cela aussi

longtemps

Lorsqu'il s'éveilla,

le soleil

comme

lui faire

des écrans pour

du mal

lui faire

ils

éten-

de l'ombre;

qu'il dormit.

ils lui

dirent

:

— Que veux-tu en récompense du bien que — Rien, répondit chasseur. — Arrache-moi toujours une plume, nous viendrons. besoin de nous, — Bon, jeune homme.

tu

nous as

fait?

le

dit l'un

des aigles, et quand tu auras

brûle-la,

dit le

Il

lui

arracha une plume de

car ce jour-là encore la

lune

allait se

il

la

queue

ne rencontra pas

montrer,

il

et se remit à chasser, le

moindre gibier. Le

aperçut un renard

mais sans succès; soir enfin,

:

— Ah, ah, tombes mon compère, vas y longtemps que chasse sans pouvoir trouver — Aie do moi, renard. Chasseur, épargne-moi donnerai que voudras. — Et que peux-tu me donner, pauvre renardeau dit-il, tu

Je te

ce

bien,

rien

je

tu

passer. Voilà assez

!

lui cria le

pitié

comme

tu

?

!

Ne me tue pas

!

LE CHASSEUR ET LE MIROIR QUI VOIT TOUT.



i55

Ne

in-

t'en

Arra-

quiète pas.

che-moi une touffe de

poils,

et si

un

jour tu as besoin

de mes services, souffle

trois

fois

dessus et je viendrai.

—Js~

Le jeune hom-

me, après

lui

avoir arraché

une bonne

touffe

entre

deux,

les

de

poils,

épaules,

poursuivit son chemin.

Toujours chassant, il un royaume sur

arriva dans

lequel régnait un roi dont la fille

unique

était la plus jolie

créature qui se puisse voir. Elle était blonde, grande,

yeux de jade sombre, une bouche de avait des

svelte,

corail, les joues aussi

conque

dres de ton que

la

d'un

rose;

coquillage

outre

ces

possédait

perfections le

«

ten-

et, elle

Miroir qui

voit Tout. »

avait

Elle

trompe «

La Princesse

et

placarder dans tout

fille

royaume

cet avis

fait

publier à

:

du Roi épousera l'homme qui sera capable de se cacher

«

bien qu'elle ne puisse

«

et elle

le

découvrir. Mais

si

elle

le

découvre,

il

lui

d'elle si

app; rtien Ira

sera libre de disposer de sa vie. »

Beaucoup

étaient

venus qui avaient accepté

et elle les avait tous fait périr

Le chasseur décida, dès

H

le

le pari,

mais aucun n'avait réussi

impitoyablement.

qu'il apprit

l'étrange gageure, de tenter lui aussi

CONTES MAUVES DE MA MERE-GRAND.

i56 l'aventure.



se présenta

Il

Tu

princesse qui

la

fait

le

trouva très

un

découvre, tu es

te

son goût, car

à

il

de sa personne.

as trois jours, lui dit-elle, pour te trouver

trois jours je

de ces

à

bien et parfaitement

était fort

homme

une cachette.

au bout

Si

mort; sinon je serai ton

épouse. Va. Il

bance et

:

on ne rencontrait que

Quand on

joyeuse vie.

ta lète et

m'amuse.

Le troisième jour lui avait donnée

:

«

Mais

la

Mais

c'est

Alors installé,

il

se rendit au

le

poisson

princesse au

la

bord de

la

mer

Miroir qui voit Tout

«

bom-

mort

!

justement

train

que tu risques

»

il

riait

au nez

pour cela

que

et frotta sur sa

manche

l'écaillé

énorme

puisse

me

trouver,

».

et,

après que

le

chasseur s'y fut

plongea au plus profond delà mer.

La princesse, son Miroir magique à celui-ci lui

fit

celui-ci parut.

;

poisson ouvrit sa gueule

le il

il

menant grand

tu ne parais pas te douter

«

:

trois jours

capitale,

d'ici tu seras peut-être

répondait

et

rues de

les

Que veux-tu? demanda-t-il. Que tu me caches si bien que personne au monde ne

même

pas

lui disait

par

»

que

— —

lui

que dans un ou deux jours

de ses interlocuteurs je

Pendant

quitta la princesse, tout ébloui de sa beauté.

montrât

la

main, cherchait, cherchait;

les coins et les recoins les plus secrets

vait pas le chasseur. Elle se résignait déjà lui plaisait fort



de

et bien

la terre, elle

— sans trop de peine

que

ne trou-

d'ailleurs, car

il

à l'accepter pour époux, lorsqu'elle aperçut, dépassant de la

gueule d'un poisson gigantesque, tout au fond de l'océan, un mince bout de soie bleue. Et ce bout de soie bleue n'était autre chose portait le jeune

— — — —

Ah,

le voilà, le voilà!

Je

l'ai

Certes, tu étais dans le C'est exact, voici

sortit

ma

de

la

à

découvert,

elle lui

répondit

:

tête.

j'ai failli

capitale et,

fois.

ne pas

Je te fais grâce de la vie, car tu t'y es

te trouver. Essaie

donc encore une

fois.

si

Je te

parvenu en plein champ,

tira la

plume

d'aigle de sa

deux oiseaux furent vite là. que nul ne me puisse trouver!

Cachez-moi, leur dit-il,

L'un des aigles

du

si elle l'avait

jours. Va.

veste et l'enflamma. Les



gland du bonnet que

ventre d'un poisson.

Je n'en veux pas pour cette

habilement pris que

Il

le

trouvé, s'écria-t-elle, toute joyeuse.

Lorsqu'il parut devant elle pour savoir

donne deux

que

homme.

ciel.

le prit alors

sur son dos et vola avec

lui

jusqu'au plus haut

LE CHASSEUR ET LE MIROIR QUI VOIT TOUT. La princesse avait beau écarquiller ses yeux de jade

:

:5

peine perdue

le

!

7

chasseur

demeurait introuvable.

Malheureusement pouvant plus

— Ah,

au

petit

Et,

tenir,

il il

faisait

chaud là-haut,

si

ah, s'écria tout à coup

il

se présenta devant elle,

son sourire triomphant,

il

encore une

qu'il avait

aigle, tout

C'est vrai,

fois

que

genoux

de

et hâle-toi

sortir

la

fois je te fais grâce.

Mais

ôte-toi

de

de notre royaume. C'est à cette condition

Imprudent, !

Eh

faire

cacher. Fais vite

ou de

la tète

me

deux

permettre une

toi.

qu'il est impossible

bien, soit, entêté! Mais je te

tu ne réussis pas, tu seras exécuté sans

Le chasseur

trancher

veux donc pas admettre

tu ne

A

mort, car je ne peux plus vivre sans te voir.

demande ou de me

je te

rien ni personne

te

perdu.

je te laisse vivre.

ce cas je préfère

dernière fois de parier contre



voir

pitié.

ta vie.

En

rien qu'à

vie.

devant mes yeux



suite,

soleil.

le

seule

n'y

d'un aigle.

les ailes

comprit tout de

— Tu sur un près du — dispose de ma avec une tendre regarda Elle — Je ne veux point de Encore une étais

que

soleil,

princesse, je le tiens! le voilà! Je le reconnais

la

bout de sa ceinture rouge qui passe enlre

quand

du

tout près

sa ceinture pour se débarrasser de ses vêtements.

dénoua

de

me

cacher

donne ma parole que si cette fois un jour pour

pitié ni merci. Je t'accorde

!

sortit

en grande diligence de

du renard qui arriva

la ville.

Il

souffla trois fois sur les poils

tout courant.

— Qu'y — Gros danger pour ma a-t-il?

cacher que

la

tête,

compère.

me

tu ne parviens pas à

Si

princesse au Miroir magique ne

puisse

me

découvrir,

si

bien

c'est fait

de moi.

Le renard



Ne

se gratta la tête, puis après avoir réfléchi,

de rien,

t'inquiète

mon

fils,

mange,

il

répondit gaiement

bois, dors

:

tranquille et reviens

ce soir ici-même.

Dès que

le

jeune

homme

se

fut

éloigné,

il

glapit

de façon

singulière

et

tout à coup des milliers et des milliers de renards accoururent des quatre points

cardinaux.



Creusez-moi une galerie qui mène

dans son

palais.

Et

vite

d'ici

jusque sous

il

trône de

la

princesse,

!

Les animaux se mirent à l'œuvre. Lorsque terminée;

le

s'y glissa et arriva

jusque sous

le

le

chasseur revint,

trône de

la

la

galerie était

princesse. Celle-ci se

XI

i

CONTES MAUVES DE MA MERE-GRAND.

58

retournait, impatientée, regardant dans

tournait, se

yeux

de jade. « Mais c'est que je ne trouve pas

Et lorsque lui

piqua

la

heures furent écoulées,

vingt-quatre

les

jambe d'un coup

!

le

Miroir, à user ses

chasseur par malice

le

d'aiguille. « Aïe! » cria-t-elle,

en faisant de

un geste comme pour chasser une mouche. Lorsqu'il se présenta devant elle, modeste mais rayonnant de Tu as gagné le pari, dit-elle. Mais où étais-tu donc?

— — Ah, — moi, — Sous ton — Impossible. — Pourtant,

beaux

» répétait-elle.

joie

la

main

:

voilà!

Dis-le

je l'en prie.

trône, ici-même.

j'y étais. Est-ce

qu'une mouche ne

t'a

pas piquée à

la

jambe

tout

à l'heure?

— —

Si,

ma

Mais comment sais-tu

foi.

Parce que cette mouche

Elle le regarda et, elle

comprit



Tu

et se

comme

faisait

es digne d'être fut

mon époux,

?

moi.

mine encore de

mit à rire franchement

Et leur mariage dit-on —

il

c'était

la

piquer avec son aiguille,

:

dit-elle.

célébré dès le lendemain avec grande

pompe

et

magnificence

car, moi, je n'y assistais pas.

(D'après un conle populaire eubéen.)

--*»îV*»^_ -~
TABLE DES MATIÈRES

Page».

La Fille aux Loupa Le Chasseur et le Miroir qui voit tout

^L-

1

151

v>

s/\

->.. t\ 'fi

'*J <*

1

V.

'

, \J)

X

v R7*

^S&fe

& fWfi

)

—^0^j 7

'"^

7) 77 <7

\7 /

)

y

i

s.

'

7\

A'v \

(

;

V

).

\\i

*\i

WÊÊm .-* .

Related Documents

Contes Mauve
February 2021 1
Les Contes Du Dragon
February 2021 1
Contes Ce1 Ce2
February 2021 0
Contes: Charles Perrault
February 2021 0
Contes Pour Enfants
February 2021 0

More Documents from "Comeau-Montasse"

Contes Mauve
February 2021 1