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Le développement urbain durable: rétrospective, enjeux, perspectives
Cyria Emelianoff, Université du Maine (Le Mans), Espaces Géographiques et Sociétés
Université de Yaoundé 1, 24 février 2015
I. Histoire des idées et opérationnalisation sous contrainte Idées socle du référentiel de la ville durable posées dès le début du XX° siècle, aux tous débuts de l’urbanisme, travaux de Patrick Geddes (1915), poursuivis par Lewis Mumford (après guerre), Ian McHarg (1967): un projet écologique pour la ville pour répondre à des besoins sociaux, au-delà des préceptes hygiénistes, remettant en cause le productivisme économique. Projet socio-écologique marginalisé, 3 moments d’opérationnalisation partielle, sous l’effet de contraintes exogènes : Post-1968, contre-culture et Club de Rome: inscrivent le développement dans un horizon de raréfaction des ressources // mobilisations citoyennes pour la qualité de vie. Prémisses de politiques écologiques urbaines Chocs pétroliers: liens morphologies urbaines/consommations énergétiques, transition énergétique urbaine villes états-uniennes(Morris 1982). Tentative avortée Premier rapport du GIEC (1990): ère du Global Change, constitution d’ICLEI et invention du DUD. Institutionnalisation de la VD.
Patrick Geddes et la critique anti-utilitariste
Tradition écossaise : critique radicale du modèle de développement industriel imposé par l’Angleterre, Thomas Carlyle et John Ruskin.
Patrick Geddes, urbaniste et biologiste, déploie une compréhension socio-écologique de l’urbanisme fondée sur la prise en compte du milieu biophysique, du rapport à la nature et au vivant, des patrimoines historiques, des besoins sociaux et civiques. Tonalité: « Notre ère industrielle à ses débuts, et trop longtemps en effet dans sa continuité, a été encline à extraire du charbon presque n’importe comment, pour faire monter la vapeur presque n’importe comment, pour faire tourner les machines presque n’importe comment, pour produire des produits bon marché afin d’entretenir la population presque n’importe comment- et tout cela pour avoir plus
de charbon, plus de vapeur, plus de machines et plus de gens, presque encore n’importe comment – et pour nommer le résultat « progrès de la richesse et de la population ».1915 L’évolution des villes.
Analyse de Geddes (1915)
Repenser la ville à partir de ses ressources endogènes: ressources culturelles (héritées), naturelles (environnement régional, nature interstitielle), énergie civique, à faire fructifier. Pour résoudre le problème de l’habitat (prolifération des taudis et supertaudis), réaménager les villes existantes à l’échelle des régions urbaines (coopération intercommunale), et non créer des villes ex nihilo (cités-jardins, villes nouvelles satellites). Les clés de transformation des conditions de vie en ville: le mouvement civique en urbanisme à partir des foyers, des quartiers, de l’éducation civique, de la réappropriation de la ville par les habitants. Préserver simultanément les ressources naturelles globales ou nationales (eau, énergie, paysages): les « vraies richesses de la vie », proportionnellement inverses aux richesses financières acquises par la compétition économique et la pensée morbide de l’industrialisme. Passage des villes paléotechniques aux villes néotechniques, impliquant l’abandon du charbon au profit d’une électricité renouvelable.
Lewis Mumford, sociologue, disciple de Geddes « Le déclin des villes ou la recherche d’un nouvel urbanisme »(1956): déclin d’une ville désorganisée par l’automobile et le repli sur la cellule familiale
Analyse critique : - Adaptation de la ville à l’automobile et contraintes qu’elle fait peser sur la vie quotidienne et les paysages - Fonctionnalisation des modes de vie urbains (nord-américains) et désocialisation induite, - Consumérisme et la croissance - Prédominance de la technique dans les choix d’urbanisme. Nouvel urbanisme : Organisation urbaine décentralisée, polycentrique Mixité fonctionnelle et sociale à l’échelle des quartiers Réintroduction des conditions de nature: resserrer la banlieue, l’équiper et renaturer les métropoles
Ian McHarg, Design with nature (1967) Geddes
Mumford
McHarg
Ian McHarg: « l’inventeur » de la planification écologique (méthode), figure du mouvement environnementaliste nord-américain: la contreculture déploie les thèmes de la critique anti-utilitariste.
Planification écologique: canalisation des extensions urbaines sur les espaces qui présentent le moins de valeurs et de fonctions écologiques ou agricoles: à l’opposé des ceintures vertes, qui ne respectent pas la nature existante. Revitaliser les villes existantes, grâce à une nature qui a une valeur esthétique, émotionnelle, affective et fonctionnelle. Place centrale accordée aux « services rendus par la nature ». Ainsi les dunes sont plus efficaces que les digues pour protéger les villes littorales ; les marais préviennent des inondations ; la nature rafraîchit le climat estival, etc. Ignorer ces services génère des coûts publics et à long terme.
Au-delà de McHarg, legs de l’écologie urbaine des années 1965-75 Composante scientifique : écosystémique urbaine (métabolisme urbain, économie ciculaire) Composante architecturale et urbaine : planification écologique
Composante politique : Critique écologiste: Ivan Illich, André Gorz, … Post-68: mouvements citoyens pour la piétonisation, les TC, la nature en ville, la démocratie directe
Dans la lignée de la contre-culture apparaît le premier ouvrage d’urbanisme durable en 1986 (avant Brundtland), « Sustainable Communities. A new synthesis design for suburbs and towns », Van der Rynn et Calthorpe. Séminaire en 1980 réunissant des pionniers de l’architecture et urbanisme écologique dans un ranch californien (Institut de recherche sur l’énergie solaire)
« Sustainable communities »,
1986
Caractère sanitaire de la prise en compte de l’environnement par les urbanistes/ Chocs pétroliers: intégration de l’environnement au motif de l’état des ressources écologiques
Contexte d’économie postindustrielle, basée sur l’intensité des connaissances: « faire plus avec moins », équilibrer production régionale et commerce mondial
Du fonctionnalisme au contextualisme : amplifier les qualités uniques de chaque lieu Importance des « commons », espaces ni publics ni privés, appropriés et gérés en commun, base de la construction des communautés
Proposition urbanistique : remplissage suburbain dans les dents creuses, redéveloppement des zones pavillonnaires, petites centralités périphériques : le « périurbain durable »
Essor du new urbanism après 1993 : Congrès du new urbanism
8 principes pour des communautés durables (1986, trente ans) Augmenter la densité et aménager l’espace public pour des interactions sociales Des services et commerces de proximité pour des gains de temps, d’énergie et d’espace
Favoriser les lieux de travail dans le quartier ou à domicile Des bâtiments efficaces du point de vue des consommations énergétiques et de l’accès à l’information
Un urbanisme qui favorise les réseaux sociaux
Une production locale d’énergie et d’aliments
Le recyclage de l’eau et des déchets
Un système de transports qui offre des options équilibrées
Vision de la VD: autonomisation politique et matérielle
La critique de l’urbanisme moderne. D'Ath ènes à Aalborg
Charte d'Athènes (1933)
Principe de la table rase Abstraction de l'architecture / contexte environnant (historique,géographique, culturel, écologique) Style international Zonage Fluidification de la circulation Urbanisme d'experts Géométrisation et rationalisation de la ville
Charte d'Aalborg (1994)
Attitude patrimoniale. Partir de l'existant et le mettre en valeur Insertion du bâti dans un environnement multidimensionnel Diversité architecturale Mixité fonctionnelle et politiques transversales Reconquête de la voirie par tous les modes de transport Urbanisme participatif. Singularité des réponses
1990’s: Global Change, justice environnementale et villes durables
Aux questions sanitaire et de raréfaction des ressources s’ajoute celle du dérèglement des grands cycles biogéochimiques: limites des capacités d’épuration de la biosphère et altération des grands compartiments terrestres: l’ère du Global Change. Focus: écologie globale (/écologie locale/territoriale) Une nouvelle vague de travaux consacré aux « sustainable cities »: seconde approche et étape de la ville durable, par des auteurs travaillant pour des organisations internationales, tournés vers les villes des ped, les interdépendances nord-sud et les injustices environnementales VD: ville qui n'externalise pas ses coûts de développement, Mitlin D. et Satterthwaite D., 1994. Haughton et Hunter, écologie de l’ombre, détachée de l’hinterland; les coûts externalisés subventionnent la croissance urbaine Positionnement de certains acteurs et villes sur le terrain de la régulation du Global Change.
Au final, quelques définitions de la VD 1. Une ville qui n'exporte pas ses coûts de développement : Solidarités à longue portée et non qualité de vie 2. Une dynamique, un horizon, et non une réalité 3. Quelques caractéristiques a minima: une ville compacte et fonctionnellement mixte, qui offre une qualité et une diversité de vie (Beaucire, 1994) 4. Pas de modèle, Charte d’Aalborg : « Chaque ville étant différente, c’est à chacune qu’il convient de trouver son propre chemin vers la durabilité ». Recontextualisation des politiques publiques : prise en compte du contexte écologique et territorial
II. L’invention du DUD: ICLEI
A sa source : des politiques étrangères locales, aux Etats-Unis. Un réseau de villes bannissant les CFC pour l’application du Protocole de Montréal. Contester la dimension internationale des régulations environnementales globales. Appui du PNUE et organisation au siège de l’ONU d’une conférence de villes pour un futur durable (1990), avec l’appui du Centre pour une diplomatie innovante et IULA. Fondation d’ICLEI (Gouvernements locaux pour la durabilité). Plans de réduction du CO2 urbain(1991) Alliance entre environnementalistes dotés de pouvoirs faibles: PNUE, Villes, réseaux transnationaux dédiés à la durabilité Plans Climat: 1er acte des politiques de DUD: une politique étrangère locale
Invention et diffusion d’une nouvelle génération de politiques publiques par ICLEI Des inventions lexicales qui deviennent des politiques urbaines : agenda 21 local, plan de réduction du CO2 urbain, éco-budget, écoconstruction et écotransport (Allemagne). Puissantes stratégies de diffusion « Campagnes »: LA21, Cities for Climate Protection, campagne européenne des villes durables, … Mise au point d’outils méthodologiques, guides, banques de « bonnes pratiques » (émulation, compétition politique), formations, programmes d’évaluation, de recherches, multiples congrès et séminaires, ... Echo rencontré ? renforcement des pouvoirs locaux // Tradition des réseaux de villes Rôle secondaire des Etats: en aval, entérinent sans modifier les contenus, diffusent, règlementent et financent: adaptent partiellement les cadres de l’action publique
Traductions législatives françaises LAURE (1996, loi sur l’air et l’utilisation rationnelle de l’énergie, PDU), LOADDT (1999, pays, conseils de développement), SRU (2001, SCOT, PADD et PLU), Lois Grenelle (2009, 2010) Loi Grenelle 2 : PCET, bâtiments neufs BBC 2012 et à énergie positive (BEPOS) 2020, réhabilitation de 800 000 logements sociaux et du parc tertiaire 2020, de 400 000 logements/an, des bâtiments de l’Etat dès 2012. Programmes incitatifs: appels à projets agendas 21 locaux (1997), appels à projets éco-quartiers et éco-cités (2009, 2011)
Cohabitation de conceptions divergentes ou complémentaires
La ville durable: un fuel pour la croissance, un marché à l’export (démonstrateurs), économie bas carbone
Une ville écosystémique, ressaisie des ressources territoriales (métabolisme territorial, économie circulaire)
Le lieu d’une émancipation politique possible, d’une ressaisie de l’environnement par tout un chacun, d’une transition socio-écologique civique
Un nouvel acteur d’une politique mondiale: géopolitique urbaine émergente (Sassen), nouvelle diplomatie des villes pour le climat
Existence de champs de pratiques contradictoires: symptomatique de périodes où coexistent d’anciens et nouveaux cadres d’action et de représentations.
+ Un champs conflictuel, où s’expriment des divergences politiques, de fortes résistances et lourdes reconfigurations économiques.
III. Principales applications
Agendas 21 locaux Plans climat (+ transition énergétique) Politiques de mobilité et planification durables Eco-construction et écoquartiers Plus récent: plans de biodiversité urbaine, trames vertes
1. Plans Climat locaux
Promus par ICLEI (1991) puis institutionnalisés après 2005. UE 2008, paquet énergie-climat: les 3x20, facteur 4. Responsabilisation des acteurs urbains face au changement climatique Développement des énergies renouvelables en ville (dont biomasse, méthanisation déchets) et de la petite cogénération Eco-construction Adaptation aux changements climatiques (îlot de chaleur urbain, zones d’inondation, isolation thermique, …) Engagements difficiles à tenir (- 25% CO2 1990-2005): augmentation des consommations énergétiques et des mobilités (biens et personnes) 75% d’énergie grise… Modes de consommation
Les expériences les plus abouties Villes suédoises (Växjö, Stockholm) : Transition vers la biomasse pour le réseau de chaleur et les véhicules particuliers (électricité décarbonée) En 1996,Växjö (78 000 hab.) adopte à l’unanimité du conseil municipal le projet « fossil fuel free city » (2050). Stockholm (800 000 hab.) relaie l’objectif, ainsi que 2 compagnies de service public : SL et Fortum Résultats : environ -30% CO2 Villes allemandes (Fribourg 219 000 hab., Hanovre 516 000) : Sortie du nucléaire et décentralisation énergétique : centrales en cogénération + panachage d’énergies renouvelables // villes compactes, polycentriques, avec réseaux de TC étendus à tarification intégrée Résultats: - 9% CO2 à Hanovre, - 20% à Fribourg
2. Principales approches de planification Plusieurs axes de planification peuvent être distingués et se combinent souvent: Le renouvellement urbain massif, particulièrement en première couronne la planification croisée du réseau de transports en commun et des extensions urbaines (Copenhague): -le déploiement des transports en commun et modes doux à l'échelle des régions urbaines -la densification urbaine le long des infrastructures de transport collectif existantes et des gares (DTA, transport development areas) l'organisation polycentrique de la ville Les écoquartiers
La densification du pavillonnaire (modèle polynodal Newmann)
l'aménagement de trames et corridors verts, qui canalisent l'urbanisation
Politique de resserrement urbain : extension du centre. Stockholm
Hammarby Sjöstad
Partage de la voirie
Densité et renaturation
Royal Seaport, quartier sans énergie fossile 2030
Ville horizontale: ville polynodale (Newman, 1992)
Modes doux à l’échelle des agglomérations: les autoroutes cyclables
Origine: Copenhague, avril 2012.En site propre,20 km/h, priorité aux carrefours (feux vague verte), stations de gonflage des pneus. 20-30 km de long Déploiement: 28 autoroutes cyclables Danemark.
Diffusion: Belgique (Flandres, Gand), Allemagne (Berlin: 12 autoroutes), Royaume-Uni (Londres, 12 autoroutes en projet), Suisse, Suède (autoroute à 4 voies Malmö-Lund)
Personnes à mobilité réduite, topographies accidentées: assistance électrique
Modes doux à l’échelle des agglomérations: les autoroutes cyclables. Bénéfices: Peu onéreux/TC pour les ménages et les pouvoirs publics. Limite la congestion/délestage du réseau routier Danemark: 40 millions d’euros d’économies en dépenses de santé (obésité, infections respiratoires) Environnement et CO2: pas de pollution Energie grise et consommation de matières premières: très faible. Or en France 75% de l’énergie consommée = énergie grise
IV. Prospective 1. Sur un plan politique: co-production de l’environnement quotidien (multiscalaire): pourvoyeuse de reconnaissance, d’utilité sociale et de bien-être social, d’émancipation politique: « empowerment écologique ». Du « vivre ensemble » au « faire ensemble ». Fabrique habitante de l’environnement urbain. 2. Sur un plan économique: politiques et économies de la sobriété: économie de ressources (financières et matérielles, dont l’espace), sphères d’autoproduction (alimentation, énergie, finances publiques ou collectives), mutualisation d’espaces, équipements, outils, biens, idées, savoirs... Économie et espaces collaboratifs. 3. Sur un plan écologique: multi-fonctionnalisation de la ville: espace naturel, agricole, productif (matériaux biosourcés…). Territoire hybride
Eva-Lanxmeer (800 hab.), champ captant d’eau potable
Les habitants jardiniers : la transformation d’un quartier d’Arnhem
Spijkerkwartier » et « Spoorhoek »: péricentral en déshérence, 5700 hab. Années 1970: actions d’embellissement par les fleurs par des habitantes, puis plantations d’arbres par le « Groupe vert » 1983-86, jardin écologique, initiative d’un professeur de biologie Elargissement des mobilisations en opposition à l’urbanisation des terrains Terrains concernés: cour d’école fermée en 1976, usine de cuir, cours d’immeuble, terre-plein sur avenue, anciens ateliers, ancien orphelinat, rues vertes. 11 jardins + pieds d’arbres, pieds d’immeubles, coins de rue. Municipalité: mise à disposition du foncier, subvention pour l’achat d’outils, de plants, de graines (5000 €/an), insertion des actions d’habitants dans le Plan Vert de la ville et contractualisation avec les groupes. Forte requalification du quartier Diffusion de la démarche : 6 groupes équivalents dans la ville