La Revue Du Praticien-dermatologie

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Dermatologie B 173

Cancers cutanés épithéliaux Épidémiologie, étiologie, anatomie pathologique, diagnostic, principes du traitement PR Brigitte DRÉNO, DR Claire BERNIER Clinique dermatologique, CHRU, 44093 Nantes Cedex 1.

Points Forts à comprendre • Les carcinomes cutanés sont des tumeurs malignes de la peau qui se développent aux dépens des kératinocytes de l’épiderme de la peau et des muqueuses ; cela exclut le mélanome, les tumeurs cutanées développées à partir des annexes, les métastases. • Ils représentent 15 à 20 % des cancers en France et sont les plus fréquents de tous les cancers chez l’homme, leur incidence est de 70/100 000. • Le soleil a une action essentielle, il induit des mutations des gènes. Les 2 types de rayonnements UVA et UVB sont impliqués. • D’autres facteurs favorisants sont les virus et les facteurs génétiques. • Le diagnostic clinique est confirmé par l’examen histologique. • Le traitement est chirurgical sauf sur certaines localisations spécifiques : radiothérapie ou curiethérapie. Une exérèse intralésionnelle augmente le risque de rechute.

Épidémiologie Les carcinomes cutanés épithéliaux sont les plus fréquents des cancers humains et des cancers cutanés. Ils posent actuellement un véritable problème de santé publique car leur incidence continue de croître. Cela est dû en grande partie à notre mode de vie où l’exposition solaire tient une place importante mais aussi au vieillissement de la population, ces cancers survenant plus volontiers dans la seconde partie de la vie. On distingue 2 grands types de carcinomes cutanés épithéliaux : le carcinome basocellulaire, qui représente les 2/3 des carcinomes cutanés et est caractérisé par une évolution locale, n’induisant pratiquement jamais de métastases ; le carcinome spinocellulaire ou épidermoïde, qui a un potentiel métastatique.

Carcinome basocellulaire C’est le plus fréquent des cancers cutanés, mais aussi de tous les cancers chez l’homme de peau blanche (15 à 20 % en France). Son incidence est inversement corrélée à la latitude, ce qui montre le rôle prédominant des

ultraviolets (UV) dans la carcinogenèse cutanée. Ainsi, elle est estimée à 70/100 000 en France, 200/100 000 aux États-Unis et peut atteindre 4,2 % dans certaines régions d’Australie. Le carcinome basocellulaire survient avec prédilection chez les sujets de phototype clair (blonds ou roux, aux yeux bleus, aptes aux « coups de soleil »). Il est exceptionnel sur peau noire et sur les muqueuses. On note une prédominance masculine avec environ 2 hommes pour 1 femme. L’incidence croît avec l’âge. Ainsi, les carcinomes basocellulaires sont surtout rencontrés après 40 ans.

Carcinome spinocellulaire ou carcinome épidermoïde Deuxième cancer cutané par ordre de fréquence, son incidence est estimée en France à 10 à 20/100 000 chez l’homme et 5 à 10/100 000 chez la femme. Comme pour le carcinome basocellulaire, on retrouve une incidence très élevée en Australie, atteignant 250/100 000 à 1 % dans les zones les plus tropicales. On retrouve donc toujours une forte corrélation avec la latitude, l’incidence des carcinomes spinocellulaires doublant lorsque la latitude diminue de 8 à 10. Ce carcinome atteint la peau mais aussi les muqueuses. Il survient le plus souvent sur des lésions précancéreuses, photo-induites ou non. Il prédomine chez les sujets de phototype clair, et ne survient que rarement chez le sujet à peau noire. On retrouve une prédominance masculine avec 2 ou 3 hommes pour 1 femme. Il survient en général plus tardivement que le carcinome basocellulaire, après 60 ans.

Étiologie Plusieurs facteurs peuvent favoriser le développement des carcinomes cutanés.

Facteurs physiques et chimiques Le rôle des ultraviolets est prépondérant dans la genèse des carcinomes cutanés. Cela se traduit par une localisation fréquente de ces carcinomes sur les zones exposées. Les 2 types de rayonnement UVA et UVB interviennent dans le développement de ces carcinomes cutanés ainsi que les 2 types d’exposition solaire, aigu (coup de soleil) et chronique, ce dernier ayant toutefois un rôle

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prédominant. Les ultraviolets induisent des mutations au niveau des gènes régulateurs de la prolifération cellulaire. D’autres facteurs physiques peuvent intervenir dans le développement des carcinomes cutanés comme les radiations ionisantes, les cabines à ultraviolets proposées pour bronzer. L’exposition prolongée à certains agents chimiques comme l’arsenic, les hydrocarbures polycycliques aromatiques, les goudrons de houille peuvent favoriser le développement de carcinomes spinocellulaires.

Facteurs génétiques Il peut exister des prédispositions génétiques au développement des carcinomes cutanés. Ainsi, des anomalies héréditaires des gènes du système de photoprotection de la peau s’accompagnent d’une fréquence élevée de carcinomes basocellulaires, telles les affections héréditaires liées à une perte de la photoprotection naturelle comme l’albinisme – où les cellules mélanocytaires ont disparu – et les affections héréditaires liées à des anomalies des systèmes de réparation de l’ADN, comme le xeroderma pigmentosum. Cette prédisposition génétique peut aussi se manifester par la présence de malformations diverses qui permettent alors de faire le diagnostic de l’affection. Ainsi, la nævomatose basocellulaire, de transmission autosomique dominante, associe des troubles neurologiques, oculaires, endocriniens, osseux et cutanés avec une apparition précoce dès l’enfance de carcinomes basocellulaires.

Facteurs viraux Les infections virales chroniques peuvent induire progressivement des mutations de certains gènes cellulaires favorisant le développement secondaire des carcinomes cutanés. Ainsi, les malades transplantés rénaux, cardiaques, hépatiques développent des carcinomes cutanés fréquemment dans les années qui suivent leur greffe. Cela est lié à l’immunosuppression induite par leur traitement qui favorise la présence dans leur peau de virus du groupe des papillomavirus (HVP). Ces carcinomes apparaissent de ce fait souvent sur des zones de peau recouvertes de verrues. Il existe des infections chroniques à papillomavirus héréditaires comme l’épidermodysplasie verruciforme, de transmission autosomique récessive qui induit des carcinomes dès l’âge de 30 ans souvent à partir de lésions type verrues planes. Dans les carcinomes spinocellulaires se développant sur les muqueuses, du papillomavirus est souvent retrouvé, notamment les types 11/16 et 16/18.

Facteurs cutanés prédisposants Certaines lésions cutanées peuvent, au cours de leur évolution, secondairement se cancériser, justifiant ainsi souvent une exérèse préventive. 2158

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• Il peut s’agir de lésions congénitales : l’hamartome sébacé de Jadassohn réalise, sur le cuir chevelu, une plaque alopécique, ovalaire, jaunâtre, légèrement surélevée dont on conseille actuellement l’exérèse prophylactique dans l’enfance, en raison du risque d’apparition de carcinomes cutanés. L’apparition secondaire de tumeurs cutanées, bénignes ou malignes comme les carcinomes basocellulaires peut survenir. • Il peut s’agir de lésions acquises et la transformation se fait alors essentiellement vers le carcinome spinocellulaire. Les cicatrices de brûlures, les ulcères chroniques peuvent se compliquer à long terme de carcinomes spinocellulaires. Il faut savoir biopsier des bourgeonnements se développant sur un ulcère chronique. Le lichen érosif qui se développe essentiellement sur les muqueuses buccales et génitales peut avoir une évolution secondaire vers un carcinome spinocellulaire.

Diagnostic Carcinome basocellulaire Il siège préférentiellement sur les zones photo-exposées, à savoir le visage et le dos des mains, avec une prédominance au niveau du nez, du canthus interne et des régions périorbitaires. Il peut cependant être présent sur tout le reste du tégument, notamment le tronc. Les localisations palmo-plantaires et au niveau des muqueuses sont exceptionnelles. Au début, le carcinome basocellulaire se présente le plus fréquemment comme une papule ferme, arrondie, translucide de quelques millimètres de diamètre, parcourue de fines télangiectasies. Parfois, il s’agit d’une érosion superficielle, en « coup d’ongle », persistante. À la phase d’état, l’aspect clinique est variable et l’on en décrit 7 formes dont les 3 premières sont les plus fréquentes : • nodulaire (fig. 1), c’est la forme la plus fréquente (50 %). La lésion est arrondie, nodulaire, ferme, translucide, parsemée de télangiectasies ; • plan cicatriciel (fig. 2), il est caractérisé par une lésion arrondie, ovalaire ou polycyclique avec un centre atrophique, dépigmenté, simulant une cicatrice. L’examen de la bordure de la lésion permet le diagnostic en identifiant les petites papules perlées, de quelques millimètres de diamètre, fermes, translucides, serrées les unes contre les autres ; • superficiel (fig. 3), il siège le plus souvent sur le tronc et sur les membres inférieurs. La lésion est une plaque érythémateuse, avec une fine bordure perlée, à peine visible. Il se développe lentement en surface ; • sclérodermiforme, il est caractérisé par une lésion sous forme de placard jaunâtre, cireux, infiltré à la palpation. Les limites sont difficiles à préciser et, pour cette raison, l’exérèse en est souvent incomplète, ce qui en fait une forme à risque élevé de récidives ;

Dermatologie

1 Carcinome basocellulaire nodulaire. 4 Carcinome basocellulaire ulcéreux.

2 Carcinome basocellulaire plan cicatriciel.

3 Carcinome basocellulaire superficiel.

• ulcéreux (fig. 4), il forme une ulcération chronique, indolore, rouge, avec des bords taillés à pic. Il faut rechercher les perles caractéristiques en périphérie de l’ulcération. L’évolution peut être extensive, voire destructrice avec une invasion des tissus mous, des cartilages ou même de l’os sous-jacent. On parle alors de forme térébrante. Le délabrement peut être considérable. Lorsque le bourrelet périphérique perlé est très

5 Carcinome basocellulaire tatoué.

peu visible, les bords de l’ulcération ne sont pas surélevés et l’on parle alors d’ulcus rodens ; • tatoué (fig. 5), il se présente sous la forme d’un nodule translucide avec des zones pigmentées bleues ou noires liées aux dépôts de mélanine. Le diagnostic différentiel est le mélanome ; • végétant : la lésion prend un aspect papillomateux, qui peut alors ressembler à un carcinome spinocellulaire.

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6 Extension locale d’un carcinome basocellulaire.

L’évolution est le plus souvent locale, mais peut aboutir à d’importantes destructions des tissus mous et osseux avoisinants (fig. 6). Les métastases ganglionnaires sont peu fréquentes, liées essentiellement à des évolutions prolongées ou à un terrain immunodéprimé. Les métastases viscérales sont exceptionnelles.

Carcinome spinocellulaire Il touche la peau et les muqueuses.

1. Lésions précancéreuses Contrairement au carcinome basocellulaire, il survient fréquemment sur des lésions précancéreuses qu’il faut savoir diagnostiquer et traiter avant leur transformation en carcinome. • Les kératoses actiniques se développent essentiellement sur les parties découvertes, visage, dos des mains, avant-bras car l’exposition solaire chronique joue un rôle important dans leur apparition, ce qui explique qu’elles surviennent le plus souvent après 50 ans. Cliniquement, elles forment des croûtes brunâtres qui récidivent après grattage, ce dernier induisant souvent un léger saignement car les croûtes sont adhérentes. Progressivement au cours du temps, leur base s’infiltre, signant le passage vers le carcinome spinocellulaire. Elles sont souvent multiples. Les formes très kératosiques prennent un aspect de corne cutanée. Histologiquement, des atypies cellulaires apparaissent au sein des kératinocytes de l’épiderme. Le traitement consiste à les brûler à l’azote liquide. • Les leucoplasies siègent sur les muqueuses buccales et génitales. Elles forment des plaques blanches, bien limitées, qui ne s’enlèvent pas avec un abaisse langue éliminant une candidose. L’autre diagnostic différentiel est le lichen plan qui réalise plus souvent un aspect en réseau. Ces plaques de leucoplasies peuvent être enlevées si elles sont de petite taille ou doivent être enlevées si une croûte, une érosion ou une lésion végétante (fig. 7) apparaissent, signant la transformation vers le carcinome spinocellulaire. 2160

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7 Carcinome spinocellulaire de la lèvre inférieure (localisation sur une muqueuse). • La maladie de Bowen siège sur le visage et sur le corps. Il s’agit d’une lésion érythémateuse discoïde, bien limitée, recouverte de fines squames ou croûtes. Après grattage, on observe une surface légèrement bourgeonnante, suintante. L’évolution est lente et peut rester superficielle pendant de nombreuses années avant d’évoluer vers un carcinome spinocellulaire vrai.

2. Carcinome spinocellulaire Le carcinome spinocellulaire, au début, se présente sous la forme d’une élevure cutanée dont la base est infiltrée à la palpation. À la phase d’état, on décrit : • la forme ulcéro-végétante, tumeur infiltrée, avec une ulcération centrale ; • la forme bourgeonnante (fig. 8), constituée par un nodule rouge rosé, infiltré, avec à sa surface des croûtes noires adhérentes qui saignent facilement au contact ; • la forme végétante qui se développe notamment sur les pieds. Sur les muqueuses, il réalise une ulcération chronique ou une lésion bourgeonnante saignotante.

8 Carcinome spinocellulaire dans sa forme bourgeonnante.

Dermatologie

L’évolution est d’abord locale, mais on peut observer une extension locorégionale avec apparition de métastases ganglionnaires voire de métastases hépatiques ou pulmonaires. L’atteinte ganglionnaire est notamment à rechercher dans les carcinomes spinocellulaires se développant à partir des muqueuses et chez les malades transplantés immunodéprimés.

Diagnostic différentiel 1. Carcinome basocellulaire Dans sa forme nodulaire, le diagnostic différentiel peut se poser avec une tumeur bénigne fréquente du visage : l’adénome sébacé.

2. Carcinome spinocellulaire Le diagnostic différentiel majeur est le kérato-acanthome, tumeur ulcérée bénigne avec un aspect croûteux central dont la principale caractéristique est une apparition rapide en quelques semaines. Parmi les lésions précancéreuses, le Bowen ou carcinome in situ peut parfois simuler une lésion de psoriasis et la plaque de leucoplasie est à distinguer du lichen plan et de la candidose.

9 Histologie d’un carcinome basocellulaire : masses tumorales bien délimitées à bordures palissadiques dans le derme.

Anatomie pathologique Le diagnostic de carcinome cutané évoqué cliniquement sera confirmé par une biopsie cutanée qui permet d’apprécier le type histologique.

Carcinome basocellulaire Typiquement (fig. 9), il est formé de cellules de petites tailles regroupées en amas à limites nettes avec une disposition palissadique en périphérie. Ces amas sont localisés dans le derme. Les cellules tumorales sont typiques, avec un aspect monomorphe constitué par un noyau de grande taille, très basophile, un cytoplasme réduit basophile (ces cellules ressemblent aux cellules de la couche basale de l’épiderme). Les masses tumorales peuvent s’anastomoser entre elles et être connectées à l’épiderme, qui peut être ulcéré.

Carcinome spinocellulaire Le carcinome spinocellulaire (fig. 10) est une prolifération également intradermique, où les cellules tumorales de plus grandes tailles sont regroupées en travées ou lobules qui peuvent être anastomosés mais sont moins bien limités. Les lobules sont constitués de couches cellulaires plus ou moins concentriques, dont la zone centrale dans la forme typique est constituée par des amas de kératine (globe corné). Les cellules tumorales comportent de nombreuses atypies nucléaires (noyau de grande taille, hyperchromatique et de forme irrégulière)

10 Histologie d’un carcinome spinocellulaire : prolifération de cellules malpighiennes en boyau mal limité dans le derme avec atypie cellulaire et évolution kératosique centrale.

et de nombreuses mitoses. Le degré de différenciation, kératinocytaire, est très variable. Moins il est présent, plus le pronostic est mauvais. Dans le carcinome in situ ou maladie de Bowen, la prolifération est limitée à l’épiderme, la membrane basale n’est pas franchie.

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Traitement Curatif 1. Traitement chirurgical L’exérèse chirurgicale est le traitement de première intention des carcinomes cutanés. En effet, cette technique permet un contrôle à la fois de l’histologie et des limites de l’exérèse de la tumeur. Cette exérèse doit toujours être extralésionnelle. Les limites d’exérèse tiendront compte des facteurs de risque de rechutes qui sont : la taille de la tumeur, son siège, son type histologique et le caractère primitif ou récidivant de la lésion. Elles pourront ainsi varier de 2 à 10 mm. Les marges en profondeur doivent passer au sein de l’hypoderme ou, si celui-ci est absent, passer au ras du périchondre, du périoste ou de l’aponévrose épicrânienne. Pour les carcinomes des muqueuses, on préconise une marge d’exérèse de 5 à 10 mm pour les lèvres buccales, 10 à 20 mm pour le pénis et pour la vulve. Le risque de récidive après exérèse chirurgicale est évalué à 5 % pour les carcinomes basocellulaires et 7 % pour les spinocellulaires lorsqu’il s’agit d’une première exérèse ; il augmente respectivement à 40 et 60 % lorsqu’il s’agit d’une rechute. Le traitement chirurgical peut se faire selon 2 méthodes : • l’exérèse suture en 1 temps pour les tumeurs de petite taille et sans facteur de risque de rechute ; • l’exérèse en 2 temps utilisée lorsqu’il existe un ou plusieurs facteurs de risque de rechute. L’exérèse de la tumeur est réalisée dans un 1er temps, en respectant les marges classiques. La reconstruction n’a lieu que dans un 2e temps, lorsque l’examen anatomo-pathologique a confirmé le caractère extralésionnel de l’exérèse permettant ainsi, si besoin, une reprise chirurgicale avant tout geste de chirurgie réparatrice. Il n’y a pas d’indication à faire un curage ganglionnaire préventif de l’aire de drainage en l’absence d’adénopathie cliniquement suspecte. S’il existe une adénopathie suspecte, celle-ci est enlevée et si l’examen anatomopathologique confirme la nature métastatique, un curage ganglionnaire est alors effectué.

2. Autres méthodes Elles doivent être réservées à des malades inopérables ou à des localisations spécifiques. • La cryochirurgie (azote liquide) est indiquée principalement dans les lésions précancéreuses après contrôle histologique. • La curiethérapie interstitielle consiste à mettre en place des fils d’iridium dans la tumeur. Ces fils délivrent en moyenne 1 gray par heure et la dose moyenne délivrée est de 60 grays. Elle relève d’indications spécifiques à certaines localisations du visage comme le carcinome spinocellulaire de la lèvre inférieure. Elle peut donner un bon résultat fonctionnel et esthétique (en particulier sur le visage). En revanche, il n’y a pas de pièce opératoire et il est donc nécessaire d’avoir une histologie avant de débuter le traitement. 2162

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• La radiothérapie externe est utilisée lorsqu’il existe une contre-indication à la chirurgie ou en complément, lorsqu’une reprise chirurgicale n’est pas réalisable et que l’exérèse de la tumeur est intralésionnelle. Elle est aussi utilisée en complément du curage ganglionnaire. • Les traitements médicaux comprennent : – la chimiothérapie locale par le 5 fluorouracile (Effudix) est parfois utilisée pour les carcinomes basocellulaires superficiels multiples ; – la chimiothérapie par voie générale est utilisée au stade métastatique avec un taux de réponse très faible ; – l’interféron α en injections intratumorales est en cours d’évaluation, de même que les rétinoïdes.

Préventif La photoprotection est l’élément indispensable pour la prévention des carcinomes cutanés. Elle est nécessaire dès l’enfance, doit être particulièrement rigoureuse chez les sujets de phototype clair. Elle repose sur les crèmes solaires mais aussi la protection vestimentaire. L’intérêt des rétinoïdes chez les malades développant des carcinomes multiples est à l’étude. Enfin, les patients présentant des lésions précancéreuses doivent être suivis régulièrement afin de permettre un traitement précoce des lésions. ■

POUR EN SAVOIR PLUS Grosshans C. Les épithéliomas cutanés. Encycl Med Chir (Paris, France), Dermatologie 12750 A10, 1989 ; 7 : 18. Guillaume JC. Tumeurs de la peau. In : Saurat JJ et al. (ed.). Dermatologie et Vénéréologie, 3e édition. Paris : Masson, 2000 : 573-87.

Points Forts à retenir • Les carcinomes cutanés sont les plus fréquents des cancers humains. • Il en existe 2 grands types : les carcinomes basocellulaires (2/3 des carcinomes cutanés) et les carcinomes spinocellulaires (1/3 des carcinomes cutanés). • Le carcinome basocellulaire n’atteint jamais les muqueuses. Il a essentiellement un potentiel de récidive locale. • Le carcinome spinocellulaire peut atteindre les muqueuses et survenir sur des dermatoses préexistantes. Il peut donner des métastases ganglionnaires et viscérales et a une évolution plus sévère chez l’immunodéprimé. • Tous les deux siègent surtout sur les parties découvertes, car leur développement est favorisé par le soleil. • Le traitement chirurgical est le premier traitement du carcinome cutané et une exérèse doit toujours être extralésionnelle et comporte un examen histologique.

Dermatologie B 324

Cicatrisation normale et pathologique Physiopathologie et anatomopathologie DR Patricia SENET1, DR Sylvie MEAUME2, PR Louis DUBERTRET1 1. Institut de recherche sur la peau, service de dermatologie, hôpital Saint-Louis, 75475 Paris Cedex 10. 2. Service de gérontologie, pavillon de l’Orbe, hôpital Charles-Foix, 94205 Ivry-sur-Seine.

Points Forts à comprendre • La cicatrisation met en jeu de nombreux processus cellulaires et moléculaires, habituellement décrits en 3 phases se chevauchant : phase vasculaire ou inflammatoire, phase proliférative puis de maturation. • Cela permet de mieux comprendre la séquence des événements cliniques et les buts de la réparation tissulaire qui sont de recruter les cellules effectrices, de synthétiser un nouveau tissu puis de le remodeler. • De nombreux facteurs exo- ou endogènes peuvent perturber ce scénario, aboutissant souvent à un retard de cicatrisation.

Cicatrisation cutanée normale Après la formation d’une plaie aiguë, la cicatrisation normale se déroule en 3 grandes phases. Ces phases complexes se chevauchent dans le temps.

Phase initiale vasculaire et inflammatoire Elle dure 2 à 4 j et aboutit à la formation du caillot puis à la migration des cellules participant à la réaction inflammatoire.

1. Étape vasculaire La mise à nu du sous-endothélium vasculaire provoque l’adhésion et l’activation plaquettaire (grâce au facteur de von Willebrand, la thrombine et le collagène extravasculaire). Les protéines aboutissant à la formation du caillot de fibrine (facteur de von Willebrand, fibronectine, etc.) sont libérées par les plaquettes activées et par l’extravasation sanguine. Ce caillot sert d’une part à arrêter le saignement et d’autre part de matrice provisoire pour la migration des cellules pro-inflammatoires, dermiques et épidermiques sur le site de la plaie.

Les plaquettes activées libèrent des facteurs de croissance (platelet-derived growth factor [PDGF], le basic fibroblast growth factor [bFGF] et les transforming growth factor α et β [TGFα, β]).

2. Étape inflammatoire Les polynucléaires neutrophiles et les monocytes sont attirés dans la plaie par les facteurs de croissance libérés par les plaquettes et par des peptides bactériens, des facteurs du complément, des produits de dégradation de la fibrine et de la lyse cellulaire. Les neutrophiles, premiers leucocytes présents dans la plaie, libèrent des enzymes protéolytiques favorisant la pénétration des cellules dans la plaie et des cytokines pro-inflammatoires participant au recrutement et à la prolifération des fibroblastes et des kératinocytes. Ils ont également un rôle de détersion locale. Les monocytes migrant dans la plaie se différencient ensuite en macrophages activés. Ils libèrent dans la plaie des facteurs de croissance (TGFβ, le tumour necrosis factor α (TNFα), le vascular endothelial growth factor [VEGF] et le PDGF) amplifiant la réponse inflammatoire et stimulant la formation du tissu de granulation. Ils ont également un rôle de détersion locale (phagocytose de micro-organismes, débris nécrotiques, etc.). Vers le 5e jour, peu de cellules inflammatoires persistent, les fibroblastes deviennent le type cellulaire prédominant.

Phase de réparation tissulaire Elle dure 10 à 15 jours.

1. Formation du tissu de granulation ou bourgeon charnu Cette phase correspond à la prolifération des fibroblastes, à l’angiogenèse et à la synthèse de la matrice extracellulaire. Les fibroblastes, les macrophages et les cellules endothéliales migrent dans la plaie en même temps. Cette phase est largement dépendante des facteurs de croissance libérés dans la plaie (epidermal growth factor [EGF], le TNFα, le TGFβ et le PDGF). La migration des fibroblastes dans la plaie est précoce (48e h) favorisée par l’expression sur leur membrane de

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CICATRISATION NORMALE ET PATHOLOGIQUE

récepteurs de la famille des intégrines pour les composants de la matrice extracellulaire. La migration et la prolifération des fibroblastes est essentiellement sous la dépendance de facteurs de croissance produits par les plaquettes et les macrophages mais également par les fibroblastes eux-mêmes (stimulation autocrine) : PDGF et TGFβ. Ils synthétisent et remodèlent une nouvelle matrice extracellulaire composée au début principalement de collagène III puis de collagène I. La matrice provisoire sert de support à la migration des cellules et également de réservoir de facteurs de croissance. Les fonctions des fibroblastes sont modulées par l’interféron γ et la matrice elle-même. À ce stade, la cicatrice est une fibrose jeune contenant de nombreux fibroblastes et une trame fibrillaire lâche en périphérie d’une perte de substance. Les métalloprotéinases, enzymes protéolytiques essentiellement produites par les fibroblastes, et les dérivés de la plasmine sont nécessaires à la migration des cellules et au remodelage matriciel. La migration des cellules endothéliales s’effectue à partir des vaisseaux sains les plus proches, sous la dépendance de facteurs de croissance (bFGF, vascular endothelial growth factor [VEGF]) et de composants de la matrice extracellulaire aboutissant à la formation d’un réseau vasculaire indifférencié (bourgeon charnu), visible in vivo vers le 5e jour. Le bourgeon charnu est composé de fibroblastes, d’un infiltrat inflammatoire (monocytes, lymphocytes, polynucléaires), de fibrine en superficie et de néovaisseaux dans une trame fibrillaire œdémateuse. La contraction de la plaie pour en rapprocher les berges est étroitement liée à la formation du tissu de granulation et à la transformation de certains fibroblastes en myofibroblastes capables de se contracter et de transmettre leur activité contractile au tissu environnant par interaction entre les protéines du cytosquelette et de la matrice extracellulaire.

du tissu de granulation, structure collagénique plus dense, organisation du réseau vasculaire. Les métalloprotéinases, enzymes dégradant la matrice extracellulaire, et leurs inhibiteurs, synthétisés par les fibroblastes, interviennent largement dans les phénomènes de remodelage matriciel. La contraction de la plaie est achevée vers le 21e jour. Le contenu en collagène est maximal à cette date, mais la résistance de la cicatrice à l’étirement n’atteint qu’environ 15 % de celle de la peau normale. Le remodelage matriciel accroît la résistance de la cicatrice de façon considérable, jusqu’à 80 à 90 % de sa force finale vers la 6e semaine. Les cicatrices sont moins résistantes et moins élastiques que la peau normale, en partie à cause d’un certain déficit en élastine et aussi en raison de la reconstitution d’une matrice extracellulaire relativement désorganisée. La cicatrice est alors fibreuse, la population fibroblastique se raréfie et l’infiltrat inflammatoire disparaît (fig. 1).

2. Épithélialisation La migration des cellules épithéliales s’effectue à partir des berges ou des annexes. Les principaux stimulus de la phase d’épithélialisation sont les facteurs de croissance de la famille de l’EGF, le KGF (keratinocyte growth factor) et les TGF α et β produits par les fibroblastes ou les kératinocytes de façon auto- ou paracrine. Lorsque la plaie est fermée par une monocouche de kératinocytes, ceux-ci arrêtent leur migration, se multiplient et se différencient. La membrane basale se reconstitue progressivement grâce aux interactions derme-épiderme. La colonisation de l’épiderme par les cellules de Langerhans et les mélanocytes s’effectue secondairement quand la plaie est fermée.

Phase de maturation Le remodelage de la matrice extracellulaire dure jusqu’à 2 mois après la fermeture de la plaie, suivi par une phase de régression qui peut persister jusqu’à 2 ans : raréfaction 892

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1 Cicatrice fibreuse (

) avec organisation conjonctive différente du tissu originel ( ) [hémalun-érythrosinesafran, x 40 ].

Dermatologie

Cicatrisation pathologique Les cicatrices pathologiques peuvent être un retard du processus (plaies chroniques), une altération (cicatrices rétractiles) ou un excès de celui-ci (botryomycome, chéloïdes).

2 Cicatrice chéloïde sur lésions d’acné du visage.

Cicatrisation excessive Les chéloïdes sont des lésions cutanées nodulaires intradermiques fibreuses, exubérantes avec des extensions en « pâtes de crabe » (fig. 2). Elles récidivent en cas d’ablation chirurgicale. Elles s’opposent aux cicatrices hypertrophiques qui sont limitées à la zone traumatisée, ne présentent pas d’extension et qui ont tendance à la régression spontanée. Les chéloïdes présentent d’abord l’aspect de cicatrices hypertrophiques (cicatrice épaissie, érythémateuse) mais elles continuent d’évoluer après le 6e mois, sans amélioration spontanée. Elles surviennent après des plaies chirurgicales, des traumatismes, des brûlures ou de simples réactions inflammatoires (folliculite d’acné). Leur apparition spontanée est discutée. Lors de leur formation, les chéloïdes présentent une activité fibroblastique excessive responsable d’une production importante de fibres collagènes épaissies et hyalinisées. La matrice extracellulaire est abondante et à terme la cellularité est faible. Les nodules de collagènes ainsi formés peuvent refouler les structures avoisinantes (fig. 3). Leur pathogénie est encore mal élucidée. Les facteurs favorisant la survenue de chéloïdes sont : population à peau noire, âge jeune, siège (partie inférieure du visage, lobules d’oreilles, région thoracique haute, particulièrement région présternale, acné conglobata, réactions à corps étrangers, plaie profonde. Le botryomycome est une petite tumeur vasculaire inflammatoire pédiculée non épidermisée (fig. 4), correspondant histologiquement à une prolifération endothélio-capillaire excessive et inflammatoire empêchant l’épithélialisation. Son exérèse permet l’épidermisation et la fin de la cicatrisation.

Cicatrices rétractiles Les rétractions excessives sont souvent le résultat d’une plaie mal orientée par rapport aux lignes de tractions physiologiques de la région. Elles surviennent fréquemment après des brûlures profondes. Elles peuvent avoir

3 Cicatrice chéloïde : épais trousseaux de fibres collagènes

4 Botryomycome du cuir chevelu après plaie traumatique.

hyalinisées à disposition nodulaire [hémalun-érythrosinesafran, x 40 ].

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CICATRISATION NORMALE ET PATHOLOGIQUE

des répercussions fonctionnelles importantes notamment sur la mobilité des membres. La physiopathologie précise est mal connue. La présence dans le tissu de granulation de fibroblastes provenant du fascia et les tractions mécaniques exercées sur les fibroblastes stimulent fortement la synthèse de collagène et augmentent le rapport inhibiteurs des collagénases-collagénases.

Retards de cicatrisation Les causes des retards de cicatrisation sont nombreuses. Plusieurs facteurs locaux ou généraux peuvent entraver le déroulement normal des différentes phases de la cicatrisation (voir tableau).

TABLEAU Principales causes de retard de cicatrisation Causes générales Carences nutritionnelles ❑ carences protéiques, vitaminiques, zinc Causes vasculaires ❑ insuffisance artérielle et (ou) veineuse ❑ microangiopathie (sclérodermie, vascularite, diabète, etc.) Causes endocriniennes ❑ diabète (micro- et macroangiopathie, causes infectieuses) ❑ hypercorticisme Maladies du tissu conjonctif ❑ syndrome d’Ehlers-Danlos, déficit en prolidase Troubles de la coagulation et causes hématologiques ❑ thrombopathies, déficits facteurs VIII, XIII ❑ syndromes myéloprolifératifs, cryoglobulinémie, ❑ anémies hémolytiques héréditaires (drépanocytose, etc.), anémies d’autres origines Causes iatrogéniques ❑ corticoïdes, radiothérapie, chimiothérapie Divers ❑ déficits immunitaires, insuffisance cardiaque, ❑ vascularite ❑ vieillissement, tabac

Causes régionales ❑ Surinfection bactérienne, virale ou fungique ❑ Hématome, présence de débris fibrineux, nécrotiques ❑ Dénervation ❑ Erreurs de traitement local

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1. Micro-organismes La présence de micro-organismes dans les plaies chroniques est très fréquente et peut aider au recrutement cellulaire lors de la phase inflammatoire. Cependant, une prolifération bactérienne excessive peut amener une lyse cellulaire, dégrader la matrice extracellulaire, favoriser les micro-thromboses et ainsi retarder ou compromettre la cicatrisation. Il est essentiel de bien distinguer la colonisation d’une plaie par des micro-organismes et son infection. La colonisation de la plaie existe dès qu’il y a effraction épidermique. Au taux inférieur à 105 germes par gramme de tissu, il est exceptionnel que cette flore de surface entraîne des dégâts infectieux au niveau de la plaie. Une exception doit être faite pour le streptocoque β-hémolytique où le nombre de germes requis pour poser le diagnostic d’infection est moindre (103 germes par gramme de tissu).

2. Malnutrition Les carences protéinocaloriques sont celles qui auraient le plus de conséquences. Elles altèrent toutes les phases de la cicatrisation. La malnutrition protéino-énergétique altère également la phagocytose augmentant ainsi le risque d’infection. Le déficit en vitamine A peut avoir pour conséquence une réponse inflammatoire inadaptée et le déficit en vitamine C une diminution de la production de collagène par les fibroblastes, une augmentation de la fragilité capillaire et une augmentation du risque infectieux. La supplémentation systématique en vitamine C chez les patients porteurs d’escarres n’a cependant pas montré de bénéfice clinique.

3. Stress Le stress a été identifié comme un cofacteur potentiel susceptible d’entraver la cicatrisation. Le mécanisme d’action proposé est celui d’une stimulation sympathique avec libération de substances vasoconstrictives. Il n’existe par contre pas d’élément objectif pour dire que la douleur est un cofacteur retardant la cicatrisation. Des essais de stimulation électrique et de musicothérapie ont montré que ces techniques pouvaient diminuer la douleur chez les malades porteurs de plaies aiguës postopératoires sans pour autant accélérer la cicatrisation de leurs plaies.

4. Pathologies vasculaires Les patients souffrant d’une maladie affectant les vaisseaux diminuent leur aptitude à cicatriser (fig. 5). Dans l’artériopathie chronique oblitérante des membres inférieurs, c’est l’hypoxie due à l’artériosclérose qui est responsable de ce retard de cicatrisation. Les mécanismes sont plus complexes dans l’insuffisance veineuse où s’associent plusieurs éléments : ralentissement circulatoire avec hypoxie de consommation, formation de manchons fibrineux péricapillaires pouvant altérer la diffusion de l’oxygène, anomalies rhéologiques telles qu’une hyperagrégabilité plaquettaire, diminution de la fibrinolyse locale, piégeage leucocytaire. Ce dernier processus peut être à l’origine du relargage d’enzymes

Dermatologie

8. Corticoïdes et anti-inflammatoires non stéroïdiens

5 Ulcère de jambe artériel.

• Les corticostéroïdes administrés par voie systémique et à forte dose retardent la cicatrisation. Cet effet est essentiellement lié à leurs actions anti-inflammatoire et inhibitrice sur la prolifération fibroblastique, la synthèse de collagène et l’épithélialisation. Les corticoïdes locaux inhibent la phase de bourgeonnement des plaies. • Les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) entraînent une vasoconstriction et suppriment la réponse inflammatoire. Ils diminuent la synthèse de collagène et la contraction des plaies. Ils interfèrent enfin avec la migration leucocytaire et augmentent le risque infectieux. Il n’est pas clairement établi qu’ils aient un impact chez l’homme aux doses où ils sont habituellement utilisés en thérapeutique. ■

protéolytiques, de cytokines (TNFα) et de radicaux superoxydes responsables d’altérations endothéliales et de destruction tissulaire.

5. Diabète Il est classique de dire que les malades diabétiques présentent fréquemment des retards de cicatrisation. Le contrôle de la glycémie semble essentiel pour une cicatrisation normale. L’hyperglycémie altère les fonctions leucocytaires, diminue la phagocytose ainsi que le chimiotactisme et accroît le risque infectieux. L’altération des fibres du système neurovégétatif chez le diabétique entraîne des shunts artériolo-veinulaires responsables d’une hypoxie cutanée par exclusion des capillaires cutanés. Les lésions du système sympathique provoquent aussi des altérations trophiques des parois vasculaires. L’atteinte sensitive modifie les zones d’appui et entraîne un remaniement de l’architecture du pied et la survenue de traumatismes. L’ensemble de ces facteurs expose le pied des patients diabétiques à des plaies chroniques, souvent difficiles à cicatriser, se compliquant fréquemment et pouvant conduire à l’amputation (mal perforant plantaire diabétique).

6. Déficits immunitaires Les patients atteints de déficits immunitaires, qu’il s’agisse de sujets infectés par le virus de l’immunodéficience humaine, de patients cancéreux ou recevant des traitements immunosuppresseurs, présentent presque toujours des défauts de cicatrisation. On note chez ces sujets une altération de la qualité de la phase inflammatoire, ainsi que des anomalies des possibilités de détersion des débris nécrotiques et (ou) de la résistance aux infections.

7. Troubles de la coagulation et pathologies hématologiques Les déficits en facteurs de la coagulation et les thrombopénies compromettent la formation du caillot initial et de la matrice provisoire de fibrine. Les états d’hypercoagulabilité et d’hyperviscosité qui existent dans les syndromes myéloprolifératifs entraînent également des retards à la cicatrisation.

POUR EN SAVOIR PLUS Berbis P. Impasses de la cicatrisation cutanée. Rev Prat 1994 ; 44 : 1776-80.

Points Forts à retenir • La cicatrisation met en jeu de nombreux processus cellulaires et moléculaires décrits en 3 phases se chevauchant : phase vasculaire et inflammatoire, phase proliférative et phase de maturation. • La phase vasculaire (2 à 4 j) aboutit à la migration de cellules inflammatoires (neutrophiles et monocytes) et à la constitution d’une matrice provisoire. Les plaquettes et les macrophages sont à ce stade les principales sources de cytokines. • La phase de formation du tissu de granulation (10 à 15 j) correspond à la prolifération des fibroblastes, à l’angiogenèse et à la synthèse de la matrice extracellulaire. L’épithélialisation est le terme de cette phase. • La phase de maturation correspond au remodelage progressif de la matrice extracellulaire, afin de constituer une cicatrice résistante aux forces de traction. • Les causes de retard de cicatrisation sont nombreuses et fréquentes, qu’il s’agisse de facteurs locaux ou généraux. Le défaut d’apport ou de diffusion de l’oxygène jusqu’à la plaie en est le mécanisme le plus fréquent. • À la différence des cicatrices hypertrophiques, les chéloïdes ne se limitent pas à la zone traumatisée et continuent d’évoluer après le 6e mois.

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Dermatologie B 378

Corticostéroïdes topiques cutanés Principes et règles d’utilisation DR Nathalie BÉNÉTON, PR Philippe SAIAG Service de dermatologie, CHU Ambroise-Paré, 92104 Boulogne.

Points Forts à comprendre • La définition d’une corticothérapie locale ou topique en dermatologie est l’administration d’un glucocorticoïde par voie percutanée (dermocorticoïde). • Le corticostéroïde appliqué par voie topique a le même mécanisme d’action cellulaire qu’un glucocorticoïde naturel ou synthétique administré par voie systémique. • L’utilisation en dermatologie des dermocorticoïdes est liée à leur activité anti-inflammatoire et à leur activité cytostatique. • L’intérêt de la voie topique réside en une action locale directe sur les cellules cibles de l’épiderme ou du derme.

L’apparition des corticostéroïdes (DC) en topiques cutanés dans les années 1950 a été une révolution thérapeutique en dermatologie. Les corticoïdes locaux actuellement utilisés dérivent d’un glucocorticoïde naturel : l’hydrocortisone ou cortisol, par des modifications de structure plus ou moins complexes. Ces modifications, avec en particulier l’adjonction d’atome de fluor, augmentent leur efficacité clinique anti-inflammatoire. Les dermocorticoïdes sont cités comme traitement de référence dans de nombreuses dermatoses inflammatoires. Ils sont aussi utilisés du fait de leur action cytostatique dans des maladies comme le psoriasis. La prescription du produit est régie par des principes de pharmacologie cutanée qu’il est important de connaître afin de rechercher un rapport maximal efficacité-effets secondaires. Remarque : l’administration de glucocorticoïdes dans la peau par voie injectable ne sera pas traitée dans cette référence universitaire.

d’autre part une action antimitotique avec diminution du renouvellement cellulaire mais aussi diminution des fonctions de synthèse de diverses cellules de la peau. Les mécanismes cellulaires de l’action du dermocorticoïde sont similaires à ceux du glucocorticoïde administré par voie générale. L’activité immunosuppressive des glucocorticoïdes est intriquée à leur activité anti-inflammatoire.

1. Mécanismes généraux d’action Le glucocorticoïde diffuse passivement à travers la membrane cellulaire de la cellule et se lie à un récepteur cytosolique spécifique. Les cellules cibles de la peau contenant un récepteur aux glucocorticoïdes sont multiples : kératinocyte, fibroblaste, cellule de Langerhans… Le complexe récepteur-glucocorticoïde est ensuite transloqué dans le noyau. Le récepteur agit alors dans le noyau comme un facteur de transcription sur des séquences d’ADN nommées : GRE pour glucocorticosteroid responsive elements ou éléments répondant aux glucocorticoïdes (fig. 1). Les gènes placés sous le contrôle de ces séquences sont alors soit réprimés, soit activés. Le complexe récepteur-glucocorticoïde agit aussi par interaction sur des facteurs de transcription dont AP-1 et NF-κB, qui régulent des gènes codant pour des cytokines intervenant dans la réponse immunitaire et inflammatoire.

Cellule

Noyau

Récepteur Transcription w

Glucocorticoïde

GRE

Principes Mode d’action biologique Les 2 effets pharmacologiques obtenus par l’application cutanée d’un topique glucocorticoïde sont d’une part une action anti-inflammatoire et immunosuppressive,

Gèn e ARN m

Protéine

1 Mode d’action cellulaire du glucocorticoïde par interaction avec les GRE (glucocorticosteroid responsive elements).

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CORTICOSTÉROÏDES TOPIQUES CUTANÉS

2. Activité anti-inflammatoire

2. Activité « anticellulaire »

L’action anti-inflammatoire des dermocorticoïdes, non spécifique, s’exerce quelle que soit la cause de l’inflammation. Il existe d’une part une action immédiate (vasoconstriction) et d’autre part une action plus retardée (quelques heures) impliquant des interactions avec le génome de la cellule cible. • Vasoconstriction immédiate : l’efficacité des dermocorticoïdes se traduit par une vasoconstriction superficielle du derme et une diminution de la perméabilité capillaire, ce qui a pour conséquence la diminution rapide de l’œdème et de l’érythème. Il existe une bonne corrélation entre l’effet vasoconstrictif et la puissance antiinflammatoire du dermocorticoïde. Le niveau d’activité de celui-ci pour la pharmacologie est calculé d’après le test de McKenzie ou test de vasoconstriction en peau saine qui repose sur la cotation à l’œil nu du blanchiment induit par le dermocorticoïde appliqué sur peau humaine sous occlusion. En France, ce test permet la classification des dermocorticoïdes en 4 niveaux d’activité. • Interaction avec le génome de la cellule cible : l’action du complexe récepteur-glucocorticoïde conduit à la modulation négative de la transcription de certains acides ribonucléiques messagers (ARNm) codant les protéines pro-inflammatoires suivantes : IL1 (interleukine 1), IL2, IL6, TNF α (tumor necrosis factor), IFN γ (interféron), GM-CSF (granulocyte macrophage colony stimulating factor)… ou pour des molécules d’adhésion cellulaire (dont ICAM1 pour inter-cellular adhesion molecule) intervenant dans le processus inflammatoire. À l’inverse, le dermocorticoïde induit la synthèse de polypeptides, dont la lipocortine, inhibant la phospholipase A2 et ainsi la voie de l’acide arachidonique à partir des phospholipides membranaires de cellules cibles (fig. 2). La synthèse des médiateurs inflammatoires dérivés de l’acide arachidonique – prostaglandine, leucotriènes, thromboxanes – est ainsi diminuée.

Une des propriétés des dermocorticoïdes est leur activité antimitotique qui est liée à l’inhibition de la synthèse d’ADN de nombreuses cellules de la peau. Elle s’exerce sur le kératinocyte dont le renouvellement diminue, ce qui entraîne un amincissement ou une atrophie réversible de l’épiderme. L’action cytostatique sur le fibroblaste entraîne la diminution de la synthèse du collagène, des fibres élastiques et des macromolécules dermiques, à l’origine d’une atrophie cutanée non réversible et de vergetures. Parfois, il existe un amincissement du tissu hypodermique. L’action antiproliférative s’exerce aussi sur les cellules de Langerhans et les mastocytes. Les dermocorticoïdes diminuent la mélanogenèse, à l’origine de la dépigmentation possible à long terme.

3. Activité immunosuppressive Les dermocorticoïdes modifient essentiellement les réponses immunitaires cellulaires (tableau I). Ils diminuent les capacités de présentation antigénique et de migration des cellule de Langerhans. Celles-ci ont également une activité mitotique diminuée. Les propriétés de migration et de phagocytose des cellules monocytemacrophage et des polynucléaires sont diminuées. Les dermocorticoïdes stabilisent les membranes lysosomiales des cellules phagocytaires et des mastocytes. Les fonctions des lymphocytes T sont également altérées par l’inhibition de leur prolifération et de leur activité cytotoxique spécifique. L’activité cytotoxique des cellules NK (natural killer) est aussi abaissée. Certaines de ces actions sont responsables de l’effet anti-inflammatoire des glucocorticoïdes.

Pharmacologie Quelques notions de pharmacologie sont nécessaires pour comprendre l’activité et les effets secondaires des dermocorticoïdes.

1. Classification Corticorticostéroï

Lipocortine



Phospholipides membranaires

Phospholipase A2

Acide arachidonique An t i ✰ Cyclo-oxygénase inflammatoires non stéroïdiens

✰: inhibition.

Prostaglandines Leucotriènes thromboxanes

2 Activité des dermocorticoïdes sur les différentes cellules de la peau. 2252

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Il existe une vingtaine de molécules de dermocorticoïdes commercialisées en France. Les dermocorticoïdes sont classés selon des niveaux d’activité anti-inflammatoire appréciés par l’échelle de vasoconstriction de McKenzie qui comporte, en France, 4 niveaux (tableau II) : classe I (activité anti-inflammatoire très forte), classe II (activité anti-inflammatoire forte), classe III (activité antiinflammatoire assez forte ou moyenne), classe IV (activité anti-inflammatoire faible ou modérée). Les facteurs suivants entrent en jeu dans le niveau d’activité anti-inflammatoire d’un dermocorticoïde : – la structure chimique de la molécule qui conditionne sa diffusion et son affinité pour le récepteur spécifique de la cellule cible ; – l’excipient ou véhicule contenant le glucocorticoïde ; – la concentration dans l’excipient. L’excipient joue un rôle très important expliquant qu’une même molécule associée à un véhicule différent puisse appartenir à des classes d’activité différentes.

Dermatologie

TABLEAU I Activité des dermocorticoïdes sur les différentes cellules de la peau Cellules cibles

Effet anti-inflammatoire et immunosuppresseur

Épiderme kératinocyte mélanocyte cellule de Langerhans

baisse du renouvellement cellulaire, de l’épaisseur des cellules baisse de la mélanogenèse baisse de la mobilité et des fonctions de présentation antigénique

Derme fibroblaste monocytemacrophage polynucléaire mastocyte lymphocyte

baisse des synthèses des fibres collagènes et élastiques, de la substance fondamentale baisse des propriétés de migration et de phagocytose, stabilisation des membranes lysosomiales baisse des propriétés de margination, de diapédèse et de phagocytose, stabilisation des membranes lysosomiales stabilisation des membranes lysosomiales baisse des propriétés de prolifération et de cytotoxicité

Hypoderme adipocyte

atrophie du tissu graisseux

2. Pénétration ou absorption cutanée d’un médicament par voie topique La pénétration d’un produit par voie cutanée varie en fonction du médicament lui-même, du véhicule (ou excipient) auquel il est associé, et de l’état de la peau. Les notions suivantes permettent une meilleure compréhension des règles de prescription. • Paramètres liés au topique : trois facteurs interviennent dans la capacité d’absorption d’un topique cutané : la concentration du médicament (corticoïde) dans l’excipient, le coefficient de partage du médicament entre le stratum corneum et le véhicule, et enfin le coefficient de diffusion du médicament dans le stratum corneum. Le taux d’absorption est grossièrement proportionnel à la concentration. Ainsi, pour augmenter l’efficacité d’un traitement dermocorticoïde d’une classe donnée, il faut passer à une concentration supérieure, et non pas augmenter la quantité appliquée. Le coefficient de partage correspond à la capacité du médicament à quitter son véhicule pour se solubiliser dans le stratum corneum (point d’équilibre). L’augmentation de la solubilité dans les lipides facilite la pénétration du corticoïde dans le stratum corneum qui est lipophile. Le coefficient de diffusion du médicament dépend de la

structure et du poids moléculaire de la molécule glucocorticoïde. Les modifications chimiques de l’hydrocortisone ont abouti à des dérivés mieux absorbés. L’excipient a une grande importance dans l’absorption d’un produit topique et conditionne la galénique. Les pommades sont constituées soit d’un excipient gras exclusif, soit d’une émulsion « eau dans huile ». L’excipient gras des pommades permet un effet semiocclusif. Les crèmes et lotions sont le plus souvent des émulsions aqueuses « huile dans eau ». Elles ont une bonne diffusion, un effet occlusif moindre que les pommades mais surtout une bonne qualité cosmétologique. Les gels semi-solides ont un pouvoir de pénétration inférieur à celui des crèmes. Le propylène glycol augmente la pénétration d’une préparation et peut suffire à faire passer un même corticoïde à une classe supérieure [par exemple : bétaméthasone (Betneval) classe II => bétaméthasone (Diprolène) classe I]. De même, la formulation en particules micronisées fait passer le désonide de la classe III (Locapred) à la classe II (Locatop) pour une même concentration. L’association d’une autre molécule à la préparation glucocorticoïde-excipient a une action sur l’absorption des produits. Les associations suivantes augmentent l’absorption du corticoïde et complètent son action. Ainsi, l’acide salicylique, agent kératolytique, ou l’urée, agent hydratant augmentent la pénétration du corticoïde. Les occlusions provoquées augmentent la pénétration et ainsi l’efficacité des dermocorticoïdes mais aussi leurs effets secondaires. Les mécanismes sont : la diminution de l’évaporation de l’eau et la meilleure hydratation de la couche cornée, la diminution de l’évaporation du glucocorticoïde, l’augmentation de la chaleur locale. Elles peuvent être réalisées par l’emploi des films plastiques pharmaceutiques (Tegaderm…) ou aussi ceux utilisés pour la cuisine, ou encore par l’emploi de bandages humides. Elles sont particulièrement indiquées pour les lésions « épaisses », résistantes au traitement, ou dans certaines localisations (palmoplantaires). • Facteurs liés au patient : – l’âge : l’absorption est accrue chez l’enfant, en raison d’un rapport surface cutanée-poids supérieur à celui de l’adulte, chez le prématuré en raison d’une perméabilité augmentée et chez le sujet âgé ; – la localisation des lésions : la couche cornée, véritable barrière naturelle, se comporte comme une membrane semi-perméable et laisse passer les produits par diffusion passive. Le glucocorticoïde diffuse par voie transépidermique ou par voie folliculaire. L’absorption varie selon les paramètres cutanés suivants : épaisseur de la couche cornée – lorsqu’elle est épaisse (plante, paume) ou fine (scrotum, paupières, visage, plis), l’absorption diminue ou augmente respectivement –, altération de la couche cornée (lorsque la couche cornée est altérée par une dermatose érosive, la pénétration augmente), occlusion naturelle (la pénétration est accrue lorsque le produit est appliqué dans les plis – plis inguinaux, interfessiers, sous-mammaires –, ou sous les couches).

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2253

CORTICOSTÉROÏDES TOPIQUES CUTANÉS

TABLEAU II

Activité*

Dénomination commune

F

Galénique

Très forte

Bétaméthasone dipropionate Clobétasol propionate

Diprolène Dermoval

+ +

Crème, pommade Crème, gel

0,05 0,05

Forte

Bétaméthasone dipropionate Bétaméthasone valérate Bétaméthasone valérate Désonide Diflucortolone valérate

+ + + +

Hydrocortisone 17-butyrate

Locoïd

-

Crème , pommade, lotion Crème , pommade, lotion Crème , pommade Crème Crème, pommade, Pommade Crème, gel Crème Pommade Pommade Pommade Crème Crème (hydrophile, lipophile) Crème, crème épaisse, émulsion fluide, lotion, pommade

0,05 0,10 0,10 0,10 0,10 0,10 0,05 0,025 0,025 0,05

Halcinonide Hydrocortisone acéponate

Diprosone Betneval Célestoderm Locatop Nérisone Nérisone gras Epitopic 0,05% Synalar Synalar gras Topsyne Topsyne APG Halog Efficort

Modérée

Alclométasone dipropionate Bétaméthasone valérate Désonide Désonide Désoximétasone Difluprednate Fluocinolone acétonide Fluocinonide Fluocinonide Fluocortolone caproate

Aclosone Célestoderm Relais Locapred Tridésonit Topicorte Epitopic 0,02 Synalar Topsyne 0,01 Topsyne Ultralan

+ + + + + + +

Crème, pommade Crème Crème Crème Crème Crème Solution Pommade Solution Pommade

0,05 0,05 0,10 0,05 0,25 0,02 0,01 0,01 0,01 0,50

Faible

Hydrocortisone Hydrocortisone Hydrocortisone

Hydracort Hydrocortisone Astier Dermaspray démangeaison

-

Crème Crème Solution

0,50 1,00 0,50

Difluprednate Fluocinolone acétonide

Classe II

Classe 1

Liste des différents dermocorticoïdes commercialisés en France (Vidal, 1999)

Classe IV

Classe III

Fluocinonide

Nom de spécialité

+ + + + -

%

0,10 0,127 0,10

* Avec leur activité anti-inflammatoire, la présence (+) ou non (-) d’un atome fluor (F) et leur concentration en pourcentage. Betneval buccal : comprimé à sucer à 0,1mg/comprimé.

3. Effet réservoir – Tachyphylaxie – Effet rebond Après application d’un dermocorticoïde, le produit diffuse progressivement de la surface vers la profondeur c’est-à-dire de la couche cornée vers la couche basale de l’épiderme et vers le derme, en quelques heures à quelques jours. Cet effet réservoir permet des applications espacées du dermocorticoïde en règle uniquotidienne. Lorsque la couche cornée est altérée (dermatoses suintantes ou érosives), l’effet réservoir diminue et on peut recourir à une application biquotidienne. À l’inverse, l’application répétée de dermocorticoïdes diminue voire inhibe l’efficacité clinique (tachyphylaxie) et augmente les effets secondaires. L’effet rebond correspond à la recrudescence de la dermatose à l’arrêt brutal des dermocorticoïdes, après traitement prolongé. 2254

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Règles d’utilisation Les règles de prescription d’un dermocorticoïde sont les mêmes que celles d’un traitement par voie systémique : il faut poser l’indication, choisir le produit adéquat, et détailler sur l’ordonnance les zones à traiter, la posologie, et la durée du traitement, et enfin expliquer les effets secondaires possibles.

Indications dermatologiques Les dermocorticoïdes sont indiqués dans les dermatoses inflammatoires primitives. Les indications types sont : la dermatite ou eczéma atopique, l’eczéma de contact, la lichénification. Les indications suivantes sont aussi « classiques » : psoriasis, lichen plan, lichen scléro-atrophique, dyshidrose,

Dermatologie

pustuloses palmoplantaires, prurigo, eczéma «variqueux», lupus érythémateux chronique, prévention des chéloïdes. On peut les utiliser aussi dans des indications particulières de façon courte comme : piqûre d’insecte, brûlure superficielle, érythème solaire, dermite séborrhéique.

Contre-indications ou non-indications Les seules contre-indications formelles aux dermocorticoïdes sont les dermatoses infectieuses et surtout les dermatoses à herpès virus (herpès, zona) à cause du risque d’extension locale et de nécrose. Dans l’acné juvénile et rosacée, il existe un risque d’aggravation et de corticodépendance pour lequel ils sont aussi contre-indiqués. Il en est de même pour l’érythème fessier sous les couches en raison du risque de survenue d’un granulome glutéal infantile.

Choix du niveau d’activité L’échelle de puissance établie d’après les tests de vasoconstriction et les essais cliniques est primordiale dans le choix du corticoïde local car elle permet d’appréhender son degré d’efficacité et ses effets secondaires potentiels. Il faut prendre en compte dans le choix du niveau d’activité : – la nature de la dermatose (sensibilité aux dermocorticoïdes, sévérité, traitement antérieur) : on choisit en général le dermocorticoïde de la classe la plus faible et supposé suffisamment efficace pour traiter la lésion ; – la localisation à traiter : il faut éviter l’emploi de la classe I ou II sur le visage par exemple. On utilise plutôt un niveau d’activité moyen ou faible comme dans les plis ; – l’âge du patient : chez l’enfant, il faut préférer le niveau III en première intention.

Choix de la galénique On dispose de crème, de pommade, de lotion, de gel. Les pommades sont indiquées dans les lésions sèches ou hyperkératosiques. Les crèmes sont utilisées dans tous les types de lésions et en particulier dans les lésions suintantes. Les lotions sont réservées aux régions pileuses (cuir chevelu…) ou lors de lésions suintantes. À part, on cite le Betneval en glossettes ou comprimés à sucer qui est indiqué dans certaines dermatoses inflammatoires de la cavité buccale.

Prescription La prescription médicale doit comporter la dose à appliquer en quantité suffisante pour traiter la surface cutanée atteinte, en nombre d’applications par jour, et en durée. • Traitement d’attaque : il est d’environ 7 à 15 jours. Dans la majeure partie des dermatoses inflammatoires, une application quotidienne suffit. • Décroissance : on réalise un sevrage progressif pour éviter l’effet rebond à l’arrêt des dermocorticoïdes. Cet effet n’est en realité observé que pour des dermatoses

chroniques et des traitements prolongés. La décroissance se fait par espacement progressif des applications ou par le passage à un produit à niveau d’activité inférieure. Il faut préciser la zone à traiter, le nombre total de tubes à fournir par le pharmacien. Le traitement doit être expliqué au patient : réalisation pratique, effets secondaires potentiels. Dans les prescriptions au long cours, il importe de contrôler le traitement pour éviter les surdosages. Les associations dermocorticoïdes-anti-infectieux (antibiotique, antifungique…) sont classiquement déconseillées du fait du risque de sensibilisation (néomycine, polymyxine), de sélection de germes, et surtout d’indications empiriques souvent le reflet d’une incertitude diagnostique.

Effets secondaires Les effets secondaires sont rares lorsque les dermocorticoïdes sont utilisés de façon courte. Ils sont résumés dans le tableau III. Dans les traitements de longue durée, il peuvent être limités si le traitement est bien conduit et surveillé.

TABLEAU III Effets secondaires des dermocorticoïdes Effets locaux ❑ irritation immédiate ❑ atrophie cutanée : télangiectasies, vergetures, purpura, ecchymoses, cicatrices stellaires, plaques déprimées ❑ ralentissement de la cicatrisation ❑ hypertrichose, acné, dermite péri-orale ❑ granulome glutéal infantile (fluorés, couches) ❑ rôle pro-infectieux : bactérien, mycosique, viral, parasitaire ❑ allergie de contact ❑ cataracte, glaucome (application sur les paupières) ❑ dépendance, rebonds Effets systémiques ❑ freinage de l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénal ❑ syndrome cushingoïde/ hypercorticisme iatrogène ❑ retard croissance, hypertension intracrânienne bénigne chez l’enfant

Effets secondaires locaux • Réaction locale immédiate : elle consiste en des sensations de brûlures, de démangeaisons, d’irritation ou de sécheresse. Elle traduit une irritation en rapport avec la dermatose et la nature de l’excipient. Elle est transitoire. • Atrophie épidermique : elle se traduit par la plus grande visibilité du réseau capillaire (télangiectasies) et peut survenir dans les traitements prolongés ou surdosés (occlusion, niveau d’activité inadapté à la localisation). Lorsque l’atrophie est superficielle, elle régresse quelques mois après l’arrêt du traitement. Au maximum, l’atrophie atteint le derme et l’hypoderme et donne des vergetures et parfois une plaque déprimée au site de l’application, irréversibles.

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CORTICOSTÉROÏDES TOPIQUES CUTANÉS

Sur les zones atrophiques, on observe parfois un purpura par fragilité capillaire. L’atrophie dermique entraîne aussi des petites hémorragies intradermiques lors de traumatismes à l’origine de cicatrices stellaires. • Infections : le rôle favorisant pro-infectieux des dermocorticoïdes est un effet secondaire souvent cité. Il est actuellement discuté dans la dermatite atopique, où les dermocorticoïdes diminuent la densité en staphylocoque doré, en contrôlant la dermatose et en restaurant la barrière cutanée. Les dermocorticoïdes ont été incriminés aussi dans la survenue de surinfection herpétique de dermatoses comme la dermatite atopique (syndrome de KaposiJuliusberg). Dans les plis, sous occlusion provoquée, les dermocorticoïdes peuvent favoriser l’apparition de pyodermites (folliculites, miliaires…) bactériennes mais aussi mycosiques, du fait de la macération et de la baisse des défenses immunitaires locales. Le granulome glutéal infantile, rare, correspond à des papulonodules rouge sombre sur les fesses des nourrissons traitées par dermocorticoïdes sous l’occlusion provoquée par les couches. Il régresse spontanément à l’arrêt du dermocorticoïde. Enfin, l’application de dermocorticoïdes sur une lésion de nature infectieuse peut en masquer la composante inflammatoire et favoriser son extension (herpès circiné, impétigo, gale…). • Acné induite : on peut observer lors d’application de dermocorticoïdes sur le visage des acnés induites ou des dermites péri-orales (acné localisée). L’hypertrichose au site d’application est un effet secondaire peu fréquent. Elle est en règle réversible à l’arrêt du dermocorticoïde. • Dermite de contact : la prévalence de l’allergie de contact au dermocorticoïde, paradoxale, est rare. Elle est probablement sous-estimée. Elle doit être suspectée quand la dermatose échappe au traitement corticoïde auquel elle était sensible. Il peut s’agir d’une sensibilisation à l’excipient ou au glucocorticoïde. Cette sensibilisation apparaît en général dans les traitements prolongés au cours de dermatoses chroniques, avec des traitements séquentiels. • Glaucome ou cataracte peuvent survenir lors de l’application prolongée de dermocorticoïdes sur les paupières.

Effets secondaires systémiques Les effets secondaires systémiques sont possibles et sont liés à la diffusion dans le réseau vasculaire dermique et hypodermique du glucocorticoïde. Les facteurs de risque souvent intriqués sont à connaître : traitement prolongé ou surdosé (quantité, nombre d’applications) ; emploi de niveaux I ou II, de dérivés fluorés ; occlusion ; traitement de grandes surfaces cutanées ; nature érosive de la dermatose ; enfant. Les effets sont les mêmes que ceux observés après une corticothérapie par voie systémique. • Freinage de l’axe hypothalamus-hypophyse-surrénales : le freinage de l’axe corticotrope est presque constant. Une application d’un dermocorticoïde puis2256

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sant à la dose de 50-100 g/semaine chez l’adulte pendant 2 semaines suffit à inhiber l’axe. Les fonctions se normalisent en quelques jours ou semaines après l’arrêt des dermocorticoïdes. La frénation peut exposer au risque d’insuffisance surrénale à l’arrêt du traitement ou lors d’un stress. • Syndrome cushingoïde ou hypercorticisme iatrogénique : il est rare et comporte un « faciès cushingoïde », et des troubles métaboliques : diabète, hypertension artérielle, rétention hydrosodée, ostéoporose. • Chez l’enfant, on observe parfois un retard de croissance staturo-pondéral souvent réversible à l’arrêt du traitement.

Conclusion Les dermocorticoïdes constituent un outil thérapeutique indispensable en dermatologie. Leur prescription médicale contrôlée permet d’éviter la majeure partie des effets secondaires. Leur développement est en cours afin de trouver des composés plus efficaces (structure, excipient), ayant des effets secondaires moindres (cellules cibles, métabolisme cutané sans absorption systémique). Le champ de leurs indications s’accroît actuellement. Ils permettent parfois, dans certaines maladies cutanées, l’épargne d’un traitement par voie systémique, en cours d’évaluation dans la pemphigoïde bulleuse par exemple. ■

POUR EN SAVOIR PLUS Dubertret L. Thérapeutique dermatologique. Paris : MédicineSciences Flammarion 1991 : 739-46. Goodman A, Gilman R. Les bases pharmacologiques de l’utilisation des médicaments. 9 e édition. Paris : McGraw-Hill. 1990 : 1572-92.

Points Forts à retenir • Le traitement par corticostéroïde topique est le traitement de référence de nombreuses dermatoses inflammatoires : dermatite atopique, eczéma de contact, lichénification, psoriasis… • Le traitement par voie topique transcutanée est conditionné par des principes de pharmacologie cutanée à connaître, liés au produit lui même, à l’état de la peau, à l’âge… • La prescription d’un dermocorticoïde doit être détaillée sur l’ordonnance (dose, lésions à traiter, durée), expliquée au patient et contrôlée par le médecin. • Les effets secondaires sont essentiellement locaux. Il existe un passage systémique possible avec les risques d’une corticothérapie systémique.

Dermatologie B 170

Dermatite atopique Diagnostic, évolution, traitement PR Frédéric CAMBAZARD, DR Jean-Loïc MICHEL Service de dermatologie vénéréologie, hôpital Nord, 42055 Saint-Étienne Cedex 2.

Points Forts à comprendre • La dermatite atopique se traduit par un ensemble de manifestations cutanées inflammatoires, d’évolution chronique ou récidivante, principalement représentées par un eczéma à des antigènes de l’environnement. C’est la plus fréquente des dermatoses de l’enfant. • Elle est particulièrement invalidante en raison de l’importance du prurit qui l’accompagne. • Le diagnostic en est habituellement facile et le problème principal est celui d’une prise en charge thérapeutique adaptée qui évite la survenue de complications dont certaines (surinfections virales ou bactériennes, généralisation de l’eczéma) nécessitent parfois une hospitalisation. • Le traitement repose sur l’emploi d’un dermocorticoïde. Il doit être prescrit rapidement pour éviter l’évolution vers la chronicité qui est souvent désespérante, favorisée par des traitements inadaptés ou mal conduits.

Diagnostic Diagnostic positif • L’interrogatoire doit rechercher des antécédents familiaux d’atopie : dermatite atopique, asthme, rhinite ou conjonctivite saisonnière, urticaire ; des antécédents personnels d’atopie ; la date de début des lésions cutanées, habituellement vers l’âge de 3 mois mais parfois plus tôt ou beaucoup plus tard. • L’examen clinique, très évocateur, permet d’emblée de poser le diagnostic. Les lésions élémentaires sont celles d’un eczéma avec des lésions qui peuvent être aiguës, surtout chez le nourrisson, associant érythème, œdème, microvésicules, suintement, croûtes et desquamation. Ces lésions surviennent au sein d’une sécheresse cutanée diffuse. Chez l’enfant plus grand, la chronicité du grattage conduit à une lichénification des lésions avec une peau épaissie et pigmentée.

Ces 2 formes de lésions peuvent être associées. Dans tous les cas, elles sont mal limitées et prurigineuses, s’accompagnant d’excoriations et retentissant sur le sommeil. La topographie des lésions est très caractéristique. L’atteinte est symétrique, touchant initialement les convexités du visage (avec un respect médio-facial), les plis rétro-auriculaires, le cuir chevelu, les convexités du tronc et des membres. La zone sous la couche est habituellement parfaitement respectée (protection du dessèchement cutané et éviction des aéro-allergènes). Le pouce sucé est souvent atteint. Avec l’âge, l’atteinte se localise dans les grands plis (coudes, genoux, cou) et certaines zones sont particulièrement rebelles telles que les chevilles, les poignets, les mamelons et les plis sous-auriculaires. Classiquement, le diagnostic positif repose sur l’association de critères majeurs (prurit, évolution chronique, topographies suggestives et terrain atopique) et de critères mineurs dont les principaux sont la sécheresse cutanée, des eczématides achromiantes, un prurit déclenché lors de la sudation, une sécheresse cutanée, un âge précoce de survenue, une dermite non spécifique des mains ou des pieds, un eczéma des mamelons, une cheilite, une pigmentation péri-oculaire ou un pli souspalpébral bilatéral (signe de Dennie-Morgan), une pâleur faciale, une intolérance à la laine, une accentuation périfolliculaire, une hypersensibilité alimentaire, un dermographisme blanc… Théoriquement, 3 critères majeurs et 3 critères mineurs sont nécessaires pour diagnostiquer la dermatite atopique mais en fait l’aspect clinique est souvent d’emblée caractéristique et ces critères sont plus théoriques que pratiques. • Les examens paracliniques ont, dans la majorité des cas, peu d’intérêt. La biopsie cutanée n’est pas réalisée en pratique sauf pour éliminer un autre diagnostic. Elle montrerait dans l’épiderme un œdème intercellulaire (spongiose) évoluant vers la formation de vésicules et un afflux de lymphocytes T (exocytose). Les manifestations dermiques sont moins spécifiques avec une dilatation capillaire et un infiltrat lymphocytaire périvasculaire. Les numérations formules sanguines montrent une éosinophilie parfois importante. La normalité des plaquettes permet d’éliminer un syndrome de WiskottAldrich chez les garçons. Le dosage des IgE sériques totales est parfois très élevé. Les IgE sériques spécifiques peuvent être recherchées

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DERMATITE ATOPIQUE

après réalisation des prick tests pour trouver une allergie alimentaire pouvant conduire à un régime d’éviction dans certains cas. La recherche d’une sensibilisation aux pneumallergènes n’a pas d’intérêt car leur éviction n’est pas possible et la mise en route d’une désensibilisation s’accompagnerait de poussées d’eczéma importantes.

Diagnostic différentiel • Un eczéma de contact comporte les mêmes lésions élémentaires mais est suspecté en raison d’une topographie évocatrice. Il peut bien sûr être associé à une dermatite atopique. • La dermite séborrhéique est une dermatose érythémato-squameuse, non prurigineuse du petit nourrisson, de topographie initialement bipolaire (cuir chevelu et siège), touchant également le fond des plis (axillaires, inguinaux), parfois associée à des lésions psoriasiformes à distance. Elle débute souvent dès le 1er mois de vie et traduit probablement des soins d’hygiène mal adaptés sur un terrain psoriasique. • La kératose pilaire est une hyperkératose folliculaire touchant la convexité des joues (où elle s’accompagne d’un érythème diffus), la face externe des bras et la face antérieure des cuisses. De transmission souvent autosomique dominante, elle est stable et non prurigineuse. • La gale peut s’eczématiser mais la présence de sillons, de nodules scabieux dans un contexte familial différent permet de rectifier le diagnostic. • Les histiocytoses langerhansiennes sont souvent diagnostiquées initialement comme une dermatite atopique. En fait, il s’agit de petites papules croûteuses touchant le tronc, le cuir chevelu, associées à des lésions purpuriques du fond des plis et granulomateuses de la région périanale ou de la muqueuse buccale. • Exceptionnellement, la dermatite atopique s’intègre dans le cadre d’un syndrome génétique tel le syndrome de Wiskott-Aldrich lié à l’X, ne touchant que les garçons, s’accompagnant d’une thrombopénie, d’une thrombopathie et d’un déficit immunitaire. Les lésions d’eczéma sont particulières en raison de leur caractère purpurique. Elles disparaissent après une greffe de moelle. La maladie de Buckley s’accompagne également d’épisodes infectieux à répétition et d’une dermatite atopique sévère avec un faciès grossier et d’importantes lésions lichénifiées.

Évolution L’évolution de la dermatite atopique se fait par poussées, favorisées par les saisons (plus de lésions l’hiver en raison de l’effet desséchant du chauffage, des bains chauds et du temps froid), les épisodes infectieux (ORL, poussées dentaires), les stimulations immunitaires (vaccins, aliments exotiques). Globalement, les lésions ont tendance à s’accroître les premières années avant de régresser entre les âges de 3 et 5 ans. Dans 10 à 20 % des cas, les lésions peuvent 1356

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persister à l’âge adulte en particulier lors des formes sévères durant l’enfance. Les complications sont fréquentes.

Extension et généralisation de l’eczéma Il existe lors de la dermatite atopique une hyperréactivité aux allergènes de l’environnement. Les altérations cutanées (lésions d’eczéma, lésions de grattage) favorisent la pénétration des allergènes dans l’organisme et donc la stimulation immunitaire à l’origine de l’eczéma : c’est dire l’intérêt d’un traitement efficace qui, en normalisant la peau et en faisant disparaître le prurit, limite les stimulations antigéniques externes. Ainsi, les dermocorticoïdes ne sont pas un simple traitement symptomatique de la dermatite atopique mais participent bien à son traitement étiologique. Par contre, des traitements locaux inadaptés, qu’il s’agisse de topiques irritants, de savons antiseptiques trop concentrés, d’une corticothérapie locale mal conduite (trop forte, trop courte), vont aggraver progressivement les lésions cutanées, parfois par l’intermédiaire de rebonds, s’accompagnant de poussées aiguës et suintantes. Le prurit souvent insomniant s’accompagne d’un état d’agitation avec accentuation des lésions de grattage, favorisant à la fois les surinfections cutanées et l’aggravation de l’eczéma. La généralisation des lésions peut conduire à une érythrodermie.

Surinfections Elles peuvent être : • bactériennes : la peau atopique est constamment colonisée par du staphylocoque doré, sa pénétration étant favorisée par l’altération du stratum corneum (sécheresse cutanée). Ce germe peut avoir également un rôle allergisant, entretenant de ce fait l’eczéma. La surinfection peut devenir évidente sur le plan clinique avec des lésions de folliculites ou d’impétigo avec parfois de la fièvre. D’autres surinfections sont possibles et en particulier streptococciques. La peau peut être la porte d’entrée d’une infection viscérale plus importante (septicémie, arthrite…). Les adénopathies cervicales, axillaires et inguinales sont fréquentes mais plus d’origine inflammatoire (par stimulation immunitaire) qu’infectieuse ; • virales : si les surinfections par le virus de la vaccine ont disparu depuis l’arrêt de la vaccination contre la variole, l’herpès reste une complication grave de la dermatite atopique lors des primo-infections, pouvant réaliser le syndrome de Kaposi-Juliusberg : apparition rapide sur toutes les lésions d’eczéma de vésicules ombiliquées qui se groupent en placards émiettés, souvent croûteux et hémorragiques, associés à une hyperthermie. L’évolution, autrefois gravissime, a été complètement modifiée depuis l’emploi de l’aciclovir. La prévention de telles complications nécessite l’éducation des parents vis-à-vis de leur récurrence herpétique.

Dermatologie

La fréquence des molluscum contagiosum (petites tumeurs épidermiques à poxvirus) est classiquement plus importante au cours des dermatites atopiques ; • les surinfections fungiques sont exceptionnelles, souvent limitées à une candidose des plis du siège.

Dermites du siège Elles sont exceptionnelles chez le nourrisson atopique où la zone sous la couche est souvent la seule où il n’y a pas d’eczéma. Par contre, lorsque le siège est atteint, la dermite réalisée est souvent intense, associée à une surinfection candidosique, bactérienne, aggravée par une macération sous les couches, source de difficultés thérapeutiques.

Retentissement familial C’est une complication fréquente des eczémas mal ou non traités avec augmentation des tensions familiales favorisant l’aggravation et l’extension des lésions.

Traitement Même si l’évolution de la dermatite atopique se fait de façon spontanément favorable, le plus souvent après quelques années, il est important de mettre en route un traitement adapté dès les premiers mois de vie : en effet, plus il est précoce, plus ce traitement est simple, bien compris par les parents et rapidement efficace. Dans le cas contraire, l’ancienneté du prurit, les habitudes de l’enfant, la certitude des parents de l’absence de toute possibilité de traitement efficace rendent la prise en charge beaucoup plus difficile à un stade évolué. Le traitement repose sur des mesures d’hygiène, des soins topiques et un traitement général.

Mesures d’hygiène Elles sont simples : les bains ne doivent pas être trop chauds ; à plus de 35 ˚C, ils aggravent le dessèchement cutané (effet dégraissant de l’eau chaude). Il faut qu’en sortant du bain les plaques ne soient pas plus rouges (aggravation de l’inflammation cutanée par la chaleur du bain). Après l’âge de 3 mois, les bains ne doivent pas dépasser 32 ˚C. Ils doivent être courts et peuvent être avantageusement remplacés par des douches. Celles-ci seront données 2 fois par jour lors des saisons de fortes chaleurs, sans savon le matin. La chambre ne doit pas être trop chauffée ni trop sèche (mettre de l’eau au-dessus du radiateur l’hiver) ; l’enfant ne doit pas être trop couvert. Il ne doit porter directement sur la peau que des vêtements en coton. Il convient également d’éviter le contact des vêtements irritants (laine, acrylique) des parents lors de la tétée. Il faut limiter

la présence de poussières dans l’environnement et, si possible, les pollens et les animaux à poils ou à plumes. L’introduction de certains aliments (œufs, poissons) sera retardée. La prévention de la contamination en cas d’herpès récurrent de l’entourage doit être expliquée aux parents. Si l’été la lumière et le soleil ont un effet très bénéfique, la chaleur et l’hypersudation vont au contraire aggraver les lésions dans les plis. C’est dire l’intérêt des séjours au bord de mer qui s’accompagnent souvent d’une nette amélioration cutanée.

Soins topiques Ils sont fondamentaux et reposent sur le traitement de 3 facteurs : la sécheresse cutanée, la surinfection cutanée et surtout l’inflammation. • La sécheresse cutanée doit être limitée, outre les mesures d’hygiène habituelles, par l’application biquotidienne de crèmes ou d’émulsions hydratantes, à répéter éventuellement dans la journée sur les zones exposées (visage, mains). • La surinfection cutanée est constante au moins sur le plan bactériologique et elle doit être prise en compte dans le traitement de l’eczéma. En phase aiguë initiale, un topique antiseptique (cuivre, zinc) ou antibiotique (préparation à l’érythromycine, acide fusidique, mupirocine) peut être utilisé le matin. Un savon antiseptique (chlorhexidine) utilisé suffisamment dilué et largement rincé peut être utilisé lors de la douche le soir. Il permet de désinfecter l’ensemble du tégument et de préparer les lésions à l’action des corticoïdes. Très efficace sur les lésions suintantes et surinfectées, ce savon antiseptique risque de favoriser le dessèchement cutané dans les formes simplement sèches et doit être habituellement réservé aux poussées évolutives. Une primo-infection herpétique étendue est habituellement traitée par Zovirax en intraveineux. Des récurrences, habituellement très limitées, souvent bien reconnues par les parents, réagissent favorablement à l’application de crème dermique Zovirax. • L’inflammation cutanée est contrôlée par une corticothérapie locale bien adaptée. Les corticoïdes (d’un niveau II ou III) sont appliqués une fois par jour en dehors des lésions cliniquement infectées, si possible après le bain du soir. On limite ainsi le risque théorique de surinfection cutanée. Ils sont aussi plus efficaces puisque restant en place toute la nuit. La zone sous les couches doit être évitée du fait du risque de potentialisation par l’occlusion et de la survenue de granulomes glutéaux. En cas d’eczéma du siège, les dermocorticoïdes peuvent être utilisés mais en application le matin (les fesses étant lavées souvent dans la journée). Ils doivent être évités sur le visage après la puberté (dermite acnéiforme, dermite aux corticoïdes…) et sur la partie très fine des paupières à tout âge (risque de cataracte ou de glaucome). Les dermocorticoïdes ne doivent être appliqués que sur les lésions (risque d’atrophie dermo-épidermique

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DERMATITE ATOPIQUE

1 Lésions typiques, érythématosquameuses, mal limitées de la convexité des joues et des plis rétro-auriculaires.

2 Eczéma aigu, suitant et croûteux des convexités du visage.

3 Eczéma suraigu, très rouge et suitant.

4 Eczéma aigu et croûteux très étendu.

5 Topographie caractéristique : creux poplités et plis sousfessiers.

6 Eczéma chronique des chevilles. 1358

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7 Atteinte du mamelon très évocatrice.

Dermatologie

8 Eczéma lichénifié très étendu des 2 jambes avec excoriations chez une fillette de 7 ans.

9 Dermatite atopique des plis favorisée par l’hypersudation.

10 Surinfection herpétique : placard suintant formé de la coalescence de vésicules initialement ombiliquées.

11 Eczématides achromiantes.

12 Eczéma lichénifié des poignets : peau épaissie et plaies de grattage.

13 Lichénification par grattage chronique avec lésions épaisses et pigmentées.

14 Surinfection bactérienne : folliculite staphylococcique.

15 Surinfection bactérienne : impétigo, lésions bulleuses superficielles d’évolution rapidement croûteuse, compliquant une fissure chronique sous-auriculaire.

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en raison de leur effet antimitotique en cas d’application sur peau saine). Ils doivent être évités sur la racine des membres lors de la puberté (risque de vergetures). Ils s’accompagnent enfin parfois d’une hypertrichose réversible. Pour éviter un retentissement systémique il est souhaitable de ne pas dépasser 30 g/mois d’un dermocorticoïde de classe II ou 45 g/mois d’un dermocorticoïde de classe III. Il est important de quantifier les corticoïdes utilisés à chaque consultation. L’efficacité du traitement doit être rapide : le dermocorticoïde n’étant appliqué que sur les lésions, l’amélioration quotidienne de celles-ci permet une diminution progressive du traitement. L’absence d’amélioration de certaines zones peut conduire à une application biquotidienne pendant 7 à 10 j sur les zones résistantes. Il est important de bien expliquer ce traitement aux parents, certains ayant tendance à trop utiliser les corticoïdes, d’autres plus souvent à ne pas les utiliser en quantité suffisante soit initialement soit dans un second temps, expliquant les échecs thérapeutiques.

Traitement général • Une antibiothérapie par voie orale est administrée pendant 8 à 10 j (macrolides ou bêtalactamines) dans les formes très étendues ou surinfectées. Cette antibiothérapie est souvent très efficace pour arrêter une poussée évolutive, même utilisée isolément. • Un sirop antihistaminique (donné au début du repas pour éviter les caries dentaires) peut être associé éventuellement en utilisant des anti-H1 sédatifs le soir, avec parfois cependant une hyperexcitabilité paradoxale. • Une éviction alimentaire n’est réalisée que dans certains cas particuliers après une enquête appropriée ; • Une crénothérapie et des vacances ensoleillées au bord de la mer s’accompagnent habituellement d’une nette amélioration cutanée. • L’adjonction d’acides gras essentiels a pu donner des bons résultats. • Les vaccinations doivent être réalisées normalement (sauf la vaccine en raison du risque de pustulose varioliforme). Les poussées évolutives après les vaccins sont facilement contrôlées par un traitement local. La vaccination par le BCG (bacille Bilié de Calmette et Guérin) doit être réalisée en dehors des poussées d’eczéma. Enfin, de façon exceptionnelle, certains traitements peuvent être envisagés en cas de formes rebelles telles que la photochimiothérapie chez le grand enfant, la ciclosporine A (2,5 à 5 mg/kg/j), l’interféron γ… Bientôt, l’emploi de crèmes au tacrolimus (FK 506), immunosuppresseur efficace par voie topique mais sans les inconvénients des dermocorticoïdes, sera probablement un apport thérapeutique très intéressant. Dans tous les cas, l’explication thérapeutique aux parents, la surveillance évolutive pour vérifier leur bonne compréhension des soins et quantifier les dermocorticoïdes utilisés sont très importantes pour éviter la survenue de rebonds les conduisant parfois à employer des traitements totalement inefficaces voire aggravants. ■ 1360

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POUR APPROFONDIR La dermatite atopique s’intègre dans le cadre de l’atopie qui est une pathologie héréditaire de transmission polygénique, se manifestant par une dermatite atopique (nourrisson), un asthme (enfant), une rhinite ou une conjonctivite allergique (adulte). Cette atopie est caractérisée par une hypersensibilité générée par les IgE contre des antigènes naturels de l’environnement ou de l’alimentation appelés atopènes. Il peut s’agir d’allergènes alimentaires (trophallergène : lait de vache, œufs ou poissons, arachides) principalement chez le nourrisson ou d’aéro-allergènes inhalés ou pénétrant par voie percutanée : pollens, acariens, poils d’animaux, staphylocoques, agissant essentiellement chez l’enfant ou chez l’adulte. Les manifestations de la dermatite atopique sont un eczéma qui est une hypersensibilité retardée (type IV de Gell et Coombs) faisant intervenir principalement l’immunité cellulaire : captation des atopènes par les cellules dendritiques cutanéo-muqueuses, qui vont ensuite migrer dans les ganglions lymphatiques régionaux pour présenter les peptides antigéniques aux lymphocytes T, permettant une expansion clonale spécifique avec migration cutanée préférentielle et développement des lésions inflammatoires. Or, l’hyper-IgE atopique devrait s’accompagner d’une hypersensibilité immédiate (type I de Gell et Coombs) de type humoral : le lien entre ces 2 types d’hypersensibilité est dû à la fixation des molécules d’IgE à la surface des cellules de Langerhans. La dermatite atopique représente en fait un eczéma de contact aux protéines de l’environnement avec présentation des peptides d’atopènes par l’intermédiaire des molécules du complexe majeur d’histocompatibilité aux lymphocytes T spécifiques de type TH2 produisant l’interleukine 4 (stimulant la formation des IgE) et l’interleukine 5 (stimulant et attirant les éosinophiles). Ces lymphocytes T spécifiques sont responsables de la production de cytokines inflammatoires expliquant les lésions cutanées. La régulation se fait par l’activation de lymphocytes T (de type TH1), la production d’interféron γ et la rétrorégulation négative sur les TH2. Il existe un facteur génétique net puisque 60 % des sujets porteurs de dermatites atopiques ont un parent du 1er degré ayant une manifestation d’atopie (alors que 30 % des sujets non atopiques ont les mêmes antécédents familiaux). Il existe une certaine spécificité d’organe cible : lorsqu’un seul parent à une dermatite atopique, 50 % de leurs enfants sont atteints, lorsque les 2 parents ont une dermatite atopique, 80 % de leurs enfants sont atteints. L’augmentation de la prévalence de l’atopie est nette, étant passée de 5 % en 1960 à 20 % en 1996, peut-être favorisée par une urbanisation plus importante, un habitat moins ventilé, la présence de polluants automobiles ou industriels, le tabac, les lavages excessifs, l’introduction précoce de trophallergènes.

Points Forts à retenir • Le diagnostic de la dermatite atopique est essentiellement clinique. Il repose sur l’existence de lésions d’eczéma aiguës (suintantes et croûteuses) ou chroniques (lichénifiées, épaisses et pigmentées). La topographie de ces lésions est particulièrement évocatrice (convexité du visage, cuir chevelu, convexité du tronc et des membres chez le petit nourrisson, plis des membres, plis sous-auriculaires ensuite). • L’évolution est souvent chronique pendant quelques années avec des poussées évolutives saisonnières (l’hiver) ou lors des épisodes infectieux ORL, de poussées dentaires ou de vaccins. La chaleur aggrave les lésions, le soleil (vacances au bord de l’océan) les guérit. • Les complications sont principalement infectieuses, bactériennes ou herpétiques (Kaposi-Juliusberg). • Le traitement associe un ensemble de mesures d’hygiène (bains courts, peu chauds, vêtements en coton, éviction allergénique) et une corticothérapie locale adaptée.

Dermatologie A 24

Dermatose bulleuse de l’adulte Orientation diagnostique PR Alain CLAUDY Service de dermatologie, CHU, hôpital Édouard-Herriot, 69437 Lyon Cedex 03.

Points Forts à comprendre Cellule B

Plaque desmosomia le

Cellule A

Plaque desmosomia le

Une bulle se forme soit par clivage intra-épidermique, soit par disjonction dermo-épidermique. Le diagnostic de bulle est clinique. L’histologie et les immunomarquages permettent d’en préciser le mode de formation. Les maladies bulleuses relèvent de causes variées, physico-chimiques et métaboliques, auto-immunes, héréditaires. Une maladie bulleuse étendue peut avoir un retentissement métabolique sévère. Les cibles antigéniques, responsables des maladies bulleuses auto-immunes, et les mutations de gènes codant les protéines d’attache de l’épiderme au derme, responsables des maladies bulleuses héréditaires, sont actuellement identifiables.

Diagnostic positif La compréhension du mode de formation d’une bulle cutanée repose sur la connaissance des structures dermo-épidermiques. L’épiderme est constitué de divers types cellulaires dont les mélanocytes, les cellules de Langerhans et les kératinocytes. Ceux-ci, qui représentent 90 % des cellules épidermiques, sont reliés entre eux par des desmosomes constitués de molécules d’adhérence de type cadhérine (fig. 1). La jonction dermo-épidermique est composée de cellules basales exprimant à leur pôle basal des hémidesmosomes surplombant une zone apparaissant claire en microscopie électronique, la lamina lucida, et une zone sombre, la lamina densa constituée de collagène IV. Sous ces structures sont situées les fibrilles d’ancrage formées de collagène VII (fig. 2). Cliniquement, une bulle se définit comme une collection liquidienne arrondie à contenu clair ou hémorragique de taille allant de 3 mm à 3 cm. Au-dessous de

Tonofilaments Desmoglie Membrane cellulaire

1 Structure d’un desmosome.

3 mm, il s’agit d’une vésicule ou d’une pustule, au-delà de 3 cm, on parle de décollement bulleux. Une bulle peut reposer sur une peau saine ou érythémateuse, peut être prurigineuse ou non. Une bulle tendue est plus fréquemment rencontrée dans les cas où le clivage est sousépidermique, alors que dans les cas où le clivage est intra-épidermique, le toit n’est constitué que de quelques

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DERMATOSE BULLEUSE DE L’ADULTE

Kératines 5 - 14

BP Ag1

Hémidesmosome α6β4

BP Ag 2

Lamina lucida LAM 5

Collagène IV

Collagène IV Lamina densa

Sublamina densa

2

Structure de la jonction dermo-épidermique.

assises kératinocytaires très fragiles au frottement et la bulle apparaît flasque ou érodée. Au niveau muqueux, la bulle se présente le plus souvent sous la forme d’une érosion superficielle. Les bulles peuvent être localisées (zones de contact avec un agent chimique ou zones photoexposées), parfois muqueuses exclusives, ou diffuses (maladies auto-immunes ou héréditaires). Le diagnostic de bulle peut être porté sur une lésion postbulleuse, croûteuse, pigmentée ou atrophique. L’interrogatoire doit rechercher des antécédents familiaux de maladie bulleuse, la chronologie d’apparition des bulles, le nombre de nouvelles bulles par jour, leurs circonstances de survenue (décollement par simple friction ou signe de Nikolsky), la présence d’éventuels signes de déshydratation. L’examen histologique d’une bulle non rompue précise le niveau du clivage, intra-épidermique ou sous-épidermique, la présence ou non d’un infiltrat inflammatoire ou d’une nécrose cellulaire. L’examen immunologique de la peau péri-bulleuse par technique d’immunofluorescence directe (IFD) permet de détecter d’éventuels dépôts d’immunoglobulines IgG, IgM, IgA et (ou) de complément. L’identification et la caractérisation d’anticorps circulants se font par la technique d’immunofluorescence indirecte (IFI). D’autres examens peuvent être nécessaires suivant l’orientation étiologique fournie par les examens précédents. Il s’agit soit d’une technique d’immunofluorescence sur peau clivée par NaCl 1 molaire pour différencier les bulles sous-épidermiques formées dans la lamina lucida de celles formées sous la lamina densa, soit de techniques d’immunotransfert pour préciser le poids moléculaire des anticorps reconnus par les auto-antigènes soit plus rarement une étude en microscopie électronique dans le cas des maladies bulleuses héréditaires. 1586

Collagène VII

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Diagnostic étiologique des maladies bulleuses de l’adulte Les bulles peuvent résulter de mécanismes divers, externe, phototoxique, infectieux, toxidermique, auto-immun, héréditaire ou compliquer certaines dermatoses.

Bulles par agents externes Les substances chimiques utilisées dans la vie courante, certains médicaments topiques, notamment antiseptiques, peuvent être responsables, en cas de mauvaise utilisation, d’une action caustique conduisant à une bulle par séparation dermo-épidermique. Il en est de même des brûlures du 2e degré superficielles, des gelures, des phlyctènes de frottement ou des piqûres d’insecte.

Bulles phototoxiques Les bulles phototoxiques relèvent soit de mécanismes externes soit de mécanismes internes médicamenteux ou métabolique (porphyrie cutanée tardive, PCT). • La phototoxicité externe peut être liée à une exposition solaire exagérée, à une application de médicaments topiques (ex. : Méladinine), à une phytophotodermatose ou dermite des prés au contact de végétaux contenant des flurocoumarines et reproduisant la forme du végétal. • La phototoxicité interne d’origine médicamenteuse n’est pas exceptionnelle. Les médicaments en cause sont surtout les cyclines, les sulfamides et les diurétiques thiazidiques. • La phototoxicité métabolique est représentée par la porphyrie cutanée tardive qui se traduit par des bulles à

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liquide citrin ou séro-hémorragique de la face dorsale des mains et doigts, plus rarement des avant-bras et des régions découvertes. Les bulles apparaissent spontanément ou après un traumatisme minime ou une exposition solaire. S’y associent des ulcérations traumatiques traduisant la fragilité cutanée, des microkystes, une pigmentation, des macules atrophiques et une hypertrichose des régions temporo-malaires. La bulle se produit par clivage sous-épidermique. Il existe des manchons périvasculaires PAS + caractéristiques, retrouvés par la technique d’immunofluorescence directe. La porphyrie cutanée tardive est due à un déficit en uroporphyrinogène décarboxylase érythrocytaire. Cette anomalie du métabolisme des porphyrines entraîne l’élimination accrue d’uroporphyrines urinaires se traduisant par des urines foncées, porto ou marc de café. En dehors de la lumière, les facteurs responsables des poussées sont l’alcool, des médicaments comme les œstrogènes, le virus de l’immunodéfficience humaine et le virus de l’hépatite C. Le traitement repose sur les saignées (300 à 400 mL tous les 10 j pendant 1 mois, puis mensuel pendant 6 à 12 mois).

Bulles infectieuses • L’impétigo staphylococcique, moins fréquent que l’impétigo streptococcique, comporte une ou plusieurs bulles à contenu clair reposant sur une base érythémateuse. Il n’y a pas de signes généraux ni d’adénopathies superficielles. Il se voit surtout chez l’enfant mais peut se rencontrer occasionnellement chez l’adulte débilité ou immunodéprimé. Il est dû à un staphylocoque sécréteur d’une toxine épidermolytique. Le traitement repose sur la prescription de pénicilline M ou de synergistines. • La nécrolyse épidermique staphylococcique ou syndrome des enfants ébouillantés (SSSS pour staphylococcal scalded skin syndrome) survient chez le nouveau-né où elle se manifeste par un décollement épidermique diffus avec bulle par clivage au niveau de la couche granuleuse épidermique. Ce syndrome ne se voit pas chez l’adulte.

Toxidermies bulleuses • L’érythème pigmenté fixe bulleux est toujours d’origine médicamenteuse et récidive au même endroit après chaque prise du médicament incriminé (antalgiques, antibiotiques et barbituriques). • L’érythème polymorphe bulleux se présente sous la forme de cocardes dont le centre est bulleux. Les lésions sont symétriques, prédominent aux mains, coudes, genoux et peuvent atteindre les muqueuses buccales, conjonctivales ou génitales. De nombreux médicaments peuvent être en cause. • La nécrolyse toxique épidermique ou syndrome de Lyell est une des rares urgences dermatologiques mettant en jeu le pronostic vital. Elle se traduit par de larges bulles à contenu clair reposant sur une zone érythéma-

teuse avec positivité du signe de Nikolsky. Le décollement épidermique entraîne de profonds désordres hydro-électrolytiques nécessitant une prise en charge en réanimation. Les médicaments responsables sont surtout les sulfamides, les antibiotiques, les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) et les barbituriques. Le taux de mortalité est élevé (30 %). Les séquelles fonctionnelles sont majeures et peuvent se compliquer de synéchies notamment oculaires avec cécité.

Maladies bulleuses auto-immunes Les maladies bulleuses auto-immunes se répartissent en deux groupes : les pemphigus où la bulle se forme par clivage intra-épidermique (voir : Pour approfondir 1), les pemphigoïdes, la dermatose à IgA linéaire, l’épidermolyse bulleuse acquise (EBA) et la dermatite herpétiforme où la bulle est sous-épidermique.

1. Pemphigus • Le pemphigus vulgaire atteint les adultes d’âge moyen. Le début de l’affection est souvent muqueux avec érosions aphtoïdes buccales, mais peut atteindre le cuir chevelu, l’ombilic ou les aisselles. Il s’agit de bulles flasques à contenu citrin reposant sur peau saine. Le signe de Nikolsky est positif. Le prurit est absent. Le diagnostic est confirmé par la présence d’une acantholyse suprabasale. L’immunofluorescence directe objective un dépôt intercellulaire d’IgG et de C3 avec présence d’anticorps circulants. En immunotransfert, les auto-anticorps reconnaissent un antigène de poids moléculaire à 130 kDa correspondant à la desmogléine 3 constituant du desmosome. Les auto-anticorps sont directement cytotoxiques, comme cela a été démontré dans des systèmes de cultures de peau in vitro. Le pemphigus vulgaire peut être associé à un thymome qu’il conviendra de rechercher systématiquement ou à d’autres maladie auto-immunes, notamment le lupus érythémateux. Non traité, le pemphigus vulgaire atteint l’ensemble du tégument et l’issue fatale est inéluctable. La corticothérapie générale (2 mg/kg/j) permet une réépidermisation progressive, mais doit être poursuivie de façon dégressive pendant plusieurs mois. Des traitements immunosuppresseurs peuvent être associés en cas de corticorésistance ou de corticodépendance. • Le pemphigus superficiel est caractérisé par un érythème foliacé ou des lésions érythémato-squameuses des régions séborrhéiques. L’histologie montre une acantholyse de la partie superficielle de l’épiderme avec un dépôt intercellulaire d’IgG et de complément prédominant au niveau des zones acantholytiques. Les autoanticorps reconnaissent un antigène de 160 kDa correspondant à la desmogléine 1. • Le pemphigus induit par les médicaments se présente avec un grand polymorphisme clinique rappelant soit le pemphigus superficiel soit le pemphigus vulgaire. Le prurit est constant, les lésions muqueuses sont inhabituelles et le signe de Nikolsky n’est présent que proche

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des lésions. L’âge moyen de survenue est 60 ans. La durée moyenne du traitement inducteur est de 12 mois. Les principaux médicaments en cause sont la D-pénicillamine, le pyritinol, la tiopronine, le captopril, les β-bloquants, les anti-inflammatoires non stéroïdiens. Dans 50 % des cas, l’arrêt du médicament n’empêche pas l’autonomisation de l’affection. Le traitement doit alors être celui des pemphigus « classiques ». • Le pemphigus paranéoplasique revêt également un polymorphisme clinique avec des lésions de pemphigus vulgaire, de gingivo-stomatite sévère et une éruption à type d’érythème polymorphe. L’histologie objective, outre l’acantholyse, une vacuolisation des cellules basales et des images de dyskératose. L’immunofluorescence directe montre un dépôt d’immunoglobulines et de complément à la fois interkératinocytaire et jonctionnel. L’immunonofluorsecence indirecte sur épithélium de vessie de rat confirme les aspects de l’immunofluorescence indirecte. L’immunotransfert précise l’existence de 5 cibles antigéniques représentées par les desmoplakines I et II (250 et 190 kDa), l’antigène de la pemphigoïde bulleuse de 230 kDa, l’envoplakine (210 kDa) et la périplakine (170 kDa). Les patients présentent soit des tumeurs solides, soit des cancers hématologiques avec une nette prédominance de tumeurs lymphoïdes.

2. Pemphigoïde bulleuse C’est la plus fréquente des maladies bulleuses autoimmunes. Elle survient chez le sujet âgé et se manifeste par des placards pseudo-urticariens associés à des lésions eczématiformes. Le prurit est intense et peut précéder l’éruption de plusieurs semaines. À la phase d’état, sur les placards pseudo-urticariens surviennent des bulles tendues à contenu clair ou hémorragique prédominant sur la face interne des cuisses, respectant habituellement le visage et les muqueuses. Une hyperéosinophilie sanguine est souvent constatée. L’histologie montre une bulle sous-épidermique riche en polynucléaires éosinophiles associée à un infiltrat dermique lymphocytaire et neutrophilique. En immunofluorescence directe, des dépôts linéaires d’immunoglobulines et de complément sont présents le long de la membrane basale et l’on retrouve des auto-anticorps circulants de même spécificité mais sans valeur pronostique ou évolutive. En immunotransfert les antigènes cibles sont représentés par un antigène de 230 kDa contenu dans la plaque hémidesmosomiale (BPAg1) et par un antigène de 180 kDa transmembranaire (BPAg2). Ces anticorps ne sont pas directement cytopathogènes à l’inverse du pemphigus. Le traitement repose sur la corticothérapie générale à la dose de 1 mg/kg/j en dose d’attaque avec décroissance progressive sur plusieurs mois. Les formes localisées débutantes peuvent être prises en charge par des dermocorticoïdes de classe I. Le taux de mortalité de l’affection est élevé (30 %), lié à la pathologie, à l’âge, aux tares associées et aux complications de la corticothérapie. Il ne s’agit pas d’une affection paranéoplasique. 1588

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3. Pemphigoïde de la grossesse C’est une maladie bulleuse auto-immune transitoire et rare (1/40 000 grossesses). Elle peut se voir aussi au cours de tumeurs trophoblastiques. C’est une affection de la femme multipare qui débute lors du 2e trimestre de la grossesse. L’aspect clinique ressemble à celui de la pemphigoïde bulleuse avec quelques nuances comme l’atteinte initiale de l’ombilic et l’aspect polycyclique en cible de certaines lésions. Le diagnostic est confirmé par la présence d’un dépôt linéaire isolé de C3 à la jonction dermo-épidermique et d’une IgG1 sérique appelée facteur HG. L’antigène cible est BPAg2 de 180 kDa, exprimé non seulement au niveau de la peau mais également au niveau du placenta. La pemphigoïde gestationis peut s’exacerber en post-partum, s’aggraver lors de grossesses ultérieures et récidiver lors de la prise d’œstroprogestatifs. Dans 5 % des cas, une éruption vésiculobulleuse transitoire est observée chez le nouveau-né. Une prématurité et une hypotrophie fœtale sont fréquentes. L’affection persiste 4 à 6 semaines après l’accouchement et disparaît sans cicatrices. Le traitement repose sur les dermocorticoïdes en cas de lésions localisées ou sur la corticothérapie générale en cas de lésions diffuses.

4. Pemphigoïde cicatricielle C’est une maladie bulleuse rare touchant préférentiellement les muqueuses conjonctivales avec synéchies conjonctivo-palpébrales pouvant conduire à la cécité. Les muqueuses buccales, nasales et génitales peuvent aussi être concernées. Une atteinte cutanée localisée ressemblant à la pemphigoïde bulleuse se rencontre dans un tiers des cas. Histologiquement, la bulle est sous-épidermique. L’immunofluorescence directe met en évidence des dépôts linéaires d’immunoglobulines et de complément le long de la membrane basale. En immunofluorescence indirecte, des auto-anticorps anti-membrane basale ne sont détectés que dans moins de 10 % des cas. Les cibles antigéniques sont multiples, BPAg 1 et 2, collagène VII ou laminine 5. Le traitement de première intention repose sur Disulone à la dose de 100 mg/j. En cas d’échec, une corticothérapie générale peut être conseillée.

5. Dermatose à IgA linéaire C’est une maladie bulleuse sous-épidermique avec dépôts linéaires d’IgA sur la jonction dermo-épidermique. L’aspect clinique très polymorphe évoque la pemphigoïde bulleuse, la dermatite herpétiforme ou l’épidermolyse bulleuse acquise. Les lésions muqueuses sont fréquentes avec parfois synéchies conjonctivales. Le diagnostic est confirmé par l’immunofluorescence directe. La dermatose à IgA linéaire représente soit un variant isotypique de dermatoses à IgG comme la pemphigoïde bulleuse ou l’épidermolyse acquise avec les mêmes cibles antigéniques, soit une affection autonome dans laquelle deux antigènes de 250 et 285 kDa sont identifiables en immunotransfert. Des associations avec des affections néoplasiques et inflammatoires chro-

Dermatologie

niques digestives ont été décrites. Certains médicaments, notamment la vancomycine, peuvent constituer un facteur déclenchant de la maladie. Le traitement de choix est la dapsone (Disulone) à la dose de 100 mg ou en cas de résistance à la dapsone, les corticoïdes à la dose de 0,5 à 1 mg/kg/j.

6. Épidermolyse bulleuse acquise C’est une dermatose bulleuse sous-épidermique qui se présente cliniquement sous deux formes. • La forme classique est caractérisée par la survenue de bulles tendues claires ou hémorragiques avec érosions en peau saine liées à une grande fragilité cutanée. Les lésions prédominent aux zones acrales (mains, visage, cuir chevelu) et exposées aux traumatismes. Les ongles sont atrophiques ou pachyonychiques. La guérison s’accompagne de cicatrices atrophiques et de grains de milium. • La forme inflammatoire est prurigineuse et prend l’aspect clinique de la pemphigoïde bulleuse. L’immunofluorescence directe en peau périlésionnelle montre des dépôts linéaires d’IgG et de C3 à la jonction dermo-épidermique. Des anticorps circulants sont retrouvés dans 50 % des cas. En immunofluorescence directe sur peau humaine clivée par le chlorure de sodium 1 M, les anticorps se déposent sur le versant dermique du clivage à la différence de la pemphigoïde bulleuse où le dépôt se fait sur le versant épidermique. En immunotransfert, deux antigènes de 145 et 290 kDa sont identifiables, correspondant au collagène VII, fibrille d’ancrage exprimée sous la lamina densa de la jonction dermo-épidermique. Cette affection peut s’associer à la maladie de Crohn, mais a également été décrite avec l’hépatite C, le lupus érythémateux systémique et après greffe de moelle allogénique. Le traitement de l’épidermolyse bulleuse acquise reste très décevant. Les corticoïdes associés ou non à des immunosuppresseurs sont souvent peu efficaces. La colchicine, la ciclosporine et les immunoglobulines intraveineuses ont été proposées, mais sur de faibles séries de patients et en dehors d’études contrôlées. De rares rémissions spontanées ont été décrites.

7. Dermatite herpétiforme C’est une dermatite entéropathique liée à une sensibilité au gluten. Elle diffère des maladies auto-immunes précédemment citées dans le sens où il n’y a pas de cible antigénique cutanée spécifique. Elle se caractérise par un prurit chronique et une éruption papulo-urticarienne sur laquelle surviennent des vésiculo-bulles disposées de façon symétrique sur les faces d’extension des membres. Il n’y a en règle que peu ou pas de signes fonctionnels digestifs. En histologie standard, la bulle est sous-épidermique avec présence au sommet des papilles dermiques de micro-abcès riches en polynucléaires neutrophiles. En immunofluorescence directe, il existe des dépôts micro-granuleux d’IgA et de C3 au sommet des papilles dermiques respectant la jonction

dermo-épidermique proprement dite. Il n’y a pas d’anticorps circulants anti-membrane basale. Les IgA se déposent sur les structures dermiques collagéniques sous formes de complexes immuns. La biopsie duodénale, très utile au diagnostic positif, objective dans 80 % des cas une atrophie villositaire non homogène à la différence de la maladie cœliaque. On dénombre 90 % de patients porteurs des antigènes d’histocompatibilité HLA B8-DR3. Des anticorps anti-gliadine et anti-endomysium sont fréquemment présents. L’incidence accrue de lymphomes intestinaux, rapportée dans la maladie cœliaque, n’est pas retrouvée dans la dermatite herpétiforme. Le traitement repose en premier lieu sur Disulone dont l’efficacité constitue un véritable test diagnostique. La prescription d’un régime sans gluten, cher et astreignant, est justifiée mais souvent mal acceptée.

Maladies bulleuses héréditaires Elles constituent (voir : Pour approfondir 2) une vaste famille de génodermatoses caractérisées par une fragilité de la jonction dermo-épidermique. Elles affectent un nouveau-né sur 50 000. Leur gravité varie selon le type, compatible avec une vie subnormale ou létale dès les premiers jours de vie. On distingue, selon le niveau de clivage, 3 formes d’épidermolyses bulleuses (EB), épidermolytiques dominantes, jonctionnelles récessives et dermolytiques dominantes ou récessives.

1. Épidermolyse bulleuse épidermolytique Elle se traduit par des lésions bulleuses des zones de frottement guérissant sans laisser de cicatrices. Les muqueuses, les ongles, les dents sont épargnés. Certaines formes prédominent aux régions plantaires où elles se manifestent par des phlyctènes à répétition lors de marches prolongées. Cette forme est liée à une mutation des kératines 5 ou 14 exprimées dans les cellules basales épidermiques.

2. Épidermolyse bulleuse jonctionnelle L’épidermolyse bulleuse jonctionnelle récessive (maladie de Herlitz) est une affection souvent létale avant la 2e année de vie, la mort survenant par atrésie pylorique, asphyxie, surinfection ou septicémie. Il existe des formes non létales évoluant à l’âge adulte où les lésions bulleuses peuvent être minimes et conduisant à des cicatrices atrophiques. La maladie d’Herlitz et les formes de l’adulte sont liées à des mutations de la laminine 5, protéine d’attache de la jonction épidermique.

3. Épidermolyse bulleuse dermolytique dominante Elle se traduit par des bulles traumatiques, des cicatrices atrophiques en pelure d’oignon au niveau des coudes et des genoux, des grains de milium, un épaississement unguéal, une kératodermie palmoplantaire, une hyperhidrose et, dans 20 % des cas, une atteinte muqueuse.

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4. Épidermolyse dermolytique récessive C’est une affection grave qui se caractérise par des bulles hémorragiques spontanées, des cicatrices atrophiques, des grains de milium, une atrophie phanérienne intéressant ongles, dents et cheveux, des palmures des extrémités conduisant à des mutilations et des synéchies muqueuses notamment digestives. Cette forme d’épidermolyse peut se compliquer d’anémie ferriprive, de carcinomes spinocellulaires et parfois d’amylose. Les épidermolyses bulleuses dermolytiques dominantes et récessives sont liées à des mutations du gène codant le collagène VII. Le diagnostic anténatal peut être proposé

aux familles chez lesquelles est déjà survenue une forme grave d’épidermolyse bulleuse. Il n’y a aucun traitement des épidermolyses bulleuses hormis symptomatique. L’espoir réside dans la thérapie génique. Enfin, il faut savoir que certaines dermatoses peuvent avoir une évolution bulleuse comme le lupus érythémateux, le lichen plan ou l’urticaire. Cela peut traduire soit l’exacerbation de phénomènes inflammatoires entraînant un décollement au niveau de la jonction dermo-épidermique, dans le cas de l’urticaire ou du lichen plan, soit à une auto-immunisation secondaire contre un des constituants de cette jonction, comme l’immunisation anti-collagène VII dans le lupus érythémateux. ■

POUR APPROFONDIR 1 / Maladies bulleuses auto-immunes Les kératinocytes sont reliés entre eux par des desmosomes constitués d’une plaque desmosomiale et d’une zone inter-plaque. Les divers constituants sont dénommés desmogléine 1 (160 kDa), 3 (130 kDa) et desmocolline pour la zone inter-plaque, desmoplakine et plakoglobine pour la plaque. Chacune de ces molécules constitue une cible antigénique pour les diverses variétés de pemphigus. La jonction dermo-épidermique comporte de nombreuses molécules d’adhérence permettant l’attachement de l’épiderme au derme. Les plus importantes sont exprimées au niveau des hémidesmosomes. Il s’agit des deux antigènes de la pemphigoïde bulleuse (BPAg1, BPAg2), de la laminine 5, de l’intégrine α6β4, du collagène IV et du collagène VII. BPAg1 (230 kDa) fait partie intégrante de l’hémidesmosome, alors que BPAg2 est une molécule transmembranaire, plus exposée à une liaison anticorps. La laminine 5, composée de 3 chaînes α3β3γ2, est exprimée au niveau de la lamina lucida. Le collagène VII est composé de deux parties de poids moléculaire identique (145 kDa), l’une collagénique, l’autre non. Cette molécule forme une anse de panier dont les deux extrémités sont reliées à la lamina densa et prennent en écharpe les molécules de collagène I constitutives du derme. Dans le cas des maladies bulleuses auto-immunes, une méthode simple permet de préciser la zone de clivage dermo-épidermique. Une bulle est créée sur fragment de peau saine in vitro au niveau de la lamina lucida par du NaCl 1 molaire. Cette technique permet de différencier un clivage constitué à partir d’un antigène exprimé au pôle basal des cellules basales de celui formé à partir de la région sous lamina densa. Dans le premier cas, le marquage auto-immun se fait sur le toit de bulle, dans le second cas sur le plancher.

2 / Maladies bulleuses héréditaires Les molécules responsables des épidermolyses bulleuses sont : • les kératines 5 et 14 exprimées par les cellules basales épidermiques (formes épidermolytiques) ; • la lamine 5 et l’intégrine α6β4 (formes jonctionnelles) ; • le collagène VII (formes dermolytiques). De nombreuses mutations de ces molécules ont été décrites. La conséquence fonctionnelle d’une mutation varie suivant le domaine au niveau duquel elle se produit. Par exemple, si une mutation survient sur le domaine non collagénique du collagène VII induisant un codon stop, la liaison de deux molécules devient impossible et le col-

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lagène VII perd toute fonctionnalité. Il s’agit du tableau clinique grave de l’épidermolyse bulleuse récessive dermolytique. En revanche, si une mutation survient sur la glycine, un des 3 amino-acides constitutifs de la partie collagénique du collagène VII, la liaison de deux molécules reste possible mais est fragilisée. La fonctionnalité de la molécule n’est pas abolie. Ce type de mutation correspond au tableau clinique plus bénin de l’épidermolyse bulleuse dominante dermolytique. ■

POUR EN SAVOIR PLUS Nicolas JF, Cozzani E, Ghohestani R, Peyron E, Thivolet J, Claudy A. Les pemphigus, maladies auto-immunes acquises de l’adhérence des kératinocytes. Médecine/Sciences 1995 ; 11 : 995-1003. Salmon-Ehr P. Bernard. Physiopathologie des dermatoses bulleuses auto-immunes de la jonction dermo-épidermique. Ann Dermatol Venereol 1998 ; 125 : 817-23. Lacour JP. Les épidermolyses bulleuses héréditaires. Dermatologie et maladies sexuellement transmissibles. In : Saurat JH, Grosshans E, Laugier P, Lachapelle JM. 1 vol. Paris : Masson (3e édition), 1999 : 256-62.

Points Forts à retenir • Les maladies bulleuses auto-immunes regroupent plusieurs affections d’expression clinique variée. Le concept d’une maladie correspondant à un auto-antigène est révolu. À une présentation clinique donnée peuvent correspondre différents profils immunologiques. • Les maladies bulleuses héréditaires de l’adulte se traduisent par des tableaux cliniques contrastés allant de la simple gêne fonctionnelle au handicap majeur. La biologie moléculaire permet actuellement d’établir un diagnostic précis du type de maladie bulleuse et de mieux en cerner le pronostic. Le diagnostic anténatal des formes graves est devenu possible.

Dermatologie B 179

Ectoparasitoses cutanées : gale sarcoptique et pédiculose Épidémiologie, diagnostic, traitement Pr Béatrice CRICKX Service de dermatologie (Pr S. Belaich), groupe hospitalier Bichat-Claude-Bernard, 75877 Paris cedex 18.

Points Forts à comprendre • La gale et les pédiculoses sont des ectoparasitoses fréquentes, contagieuses, et responsables d’épidémie en collectivité (école, maison de retraite…) et représentent aussi un motif d’hospitalisation des sujets en situation de précarité. L’apparition de formes inhabituelles de gale et le développement de résistance des poux aux insecticides ont fait évoluer les recommandations thérapeutiques.

Gale humaine La gale est due à un arthropode du genre acarien (Sarcoptes scabei, variété hominis). L’acarien est spécifique de son hôte, c’est-à-dire que les acariens infestants des animaux ne peuvent survivre sur la peau humaine. La femelle est un peu plus volumineuse que le mâle (0,4 x 0,3 mm). Le sarcopte est un parasite humain obligatoire ne pouvant survivre au-delà de 2 à 3 jours en dehors de la peau et accomplissant son cycle complet sur son hôte. La femelle, après sa fécondation sur la surface cutanée, creuse un sillon dans la couche cornée pour y déposer une vingtaine d’œufs avant de mourir. Les larves éclosent après 3 ou 4 jours, sortent des sillons pour devenir matures en une quinzaine de jours. À peine 10 % des œufs accomplissent cette évolution. Le nombre de sarcoptes présents sur l’hôte va de 3 à 50 chez le sujet sain à plusieurs milliers dans les formes profuses du sujet immuno-déprimé donc hautement contagieuses.

Épidémiologie La prévalence de la gale est variable tout en étant mondiale. Dans certains pays en voie de développement la prévalence atteindrait 6 à 27 % de la population, surtout chez les enfants. Ailleurs, la prévalence est identique, quel que soit l’âge, mais subit des fluctuations en fonction des mouvements de populations, guerre ou d’autres causes moins bien expliquées. La transmission se fait par contact humain direct (personnes vivant sous le même toit, collectivités) ou par partage de vêtements, linges, lits, etc. À ce titre, la gale peut être inscrite dans la liste des maladies sexuellement transmissibles sans qu’il s’agisse du mode de contamination le plus habituel. En institution, la transmission d’une chambre à l’autre se fait via les objets ou de façon manuportée, et ce d’autant plus qu’il existe une personne atteinte de façon profuse. L’amélioration de l’hygiène ne protège pas de la contamination mais donne une sémiologie plus atypique. Une première infestation ne confère pas d’immunité ultérieure.

Diagnostic Les manifestations cutanées sont liées, soit directement à la présence du sarcopte (sillons), soit à une réaction immunologique de type IV à sa présence ou à celle de ses déchets. L’incubation est d’environ trois semaines, ou réduite à quelques jours en cas de réinfestation.

1. Les arguments du diagnostic sont : • Le prurit, à renforcement nocturne, de topographie évocatrice. Il siège aux emmanchures, sur le tronc antérieur, notamment sur la région mammaire chez la femme, la face interne des cuisses, la face antérieure des avant-bras et notamment les poignets ; il touche également la pointe LA REVUE DU PRATICIEN (Paris) 1998, 48

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ECTOPARASITOSES CUTANÉES : GALE SARCOPTIQUE ET PÉDICULOSE

des coudes, des fesses et les espaces inter-digitaux. En revanche, le visage et le dos sont en règle épargnés. Il est responsable de stries de grattage, papules excoriées, et favorise une eczématisation ou une surinfection (impétiginisation). • Les lésions spécifiques de gale. Il s’agit principalement des sillons visibles sous forme d’un fin trajet sinueux de moins de 1 cm, à peine saillant et grisâtre, qui peut être rehaussé par l’encre de Chine. Il peut s’agir aussi de vésicules perlées et de nodules scabieux des emmanchures ou des organes génitaux externes. Ces lésions spécifiques manquent très souvent. • La recherche de sarcoptes à l’examen direct. Cet examen parasitologique recueille les squames des zones suspectes, notamment au niveau des sillons, squames aussitôt examinées au microscope. C’est un examen particulièrement performant dans les formes profuses et souvent utile dans les formes atypiques. • La notion de contage : prurit familial ou de collectivité, pas toujours avoué, d’où nécessité d’un examen systématique des sujets contacts. • Enfin efficacité d’un traitement d’épreuve à condition qu’il ait été réalisé dans les règles et vérifié.

2. Mais les formes trompeuses sont fréquentes • Localisation palmo-plantaire chez le nourrisson volontiers à type de lésions vésiculo-bulleuses. • Prurit isolé chez les sujets propres ou intempestivement traités par dermocorticoïdes et avant que n’apparaisse une dissémination débordant les sites habituels. • Atteinte diffuse par retard au diagnostic ou immunodépression et ce très volontiers chez le sujet âgé. Ces formes réalisent au pire la gale norvégienne responsable d’une éruption maculo-papuleuse diffuse, puis érythrodermique associée à des lésions croûteuses ou hyperkératosiques notamment au niveau des extrémités (mains, oreilles). La gale ne respecte alors plus ni le visage ni le cuir chevelu et atteint également les ongles avec une hyperkératose sous-unguéale. Ces formes sont bien sûr l’apanage des malades immunodéprimés quelle qu’en soit la cause (thérapeutique notamment corticothérapie locale ou générale, infection par le VIH). Elle touche également très volontiers les sujets âgés. • Eczématisation ou impétiginisation masquant la gale responsable.

Traitement Le traitement comprend trois volets.

1. Traitement du malade La prescription nécessite un temps d’explication suffisamment prolongé, avec conviction et diplomatie, pour faire accepter le traitement, surtout s’il est d’épreuve, pour une ectoparasitose dont l’annonce du diagnostic n’est pas bien vécue. • Le schéma de traitement est le suivant : – à j 0, douche ou bain, puis première application du scabicide selon le mode d’emploi du produit utilisé. Le 1474

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scabicide reste sur la peau tandis que le malade se rhabille avec des vêtements propres ; – à j 1, au terme de 12 ou 24 heures d’application selon le scabicide, lavage pour éliminer le produit, et deuxième et dernier badigeon si le scabicide utilisé avait été du benzoate de benzyle ; – à j 2, nouveau lavage définitif du benzoate de benzyle ; – aucune application de scabicide ne doit être refaite avant la consultation de contrôle au 8-10e jour qui vérifie à cette date l’efficacité du traitement. En effet, le prurit s’améliore très rapidement mais ne disparaît pas, même en cas de traitement efficace, avant une bonne huitaine de jours. Quel que soit le produit utilisé dans les gales non compliquées, l’application doit se faire sur l’ensemble du corps, y compris la plante des pieds, les organes génitaux externes, les mains en évitant tout lavage intercurrent intempestif mais en respectant le visage et les muqueuses. • Les scabicides utilisables sur le marché sont : – benzoate de benzyle (Ascabiol) solution à 10 %, dont le flacon de 125 ml correspond au traitement d’une personne. Cette solution, responsable d’une sensation de cuisson, doit être appliquée à 2 reprises pendant 24 heures chez l’adulte, ou 12 heures chez le nourrisson de moins de 2 ans, (en diluant éventuellement ce produit à 50 % dans de l’eau), et chez la femme enceinte. – pyréthrine (Sprégal aérosol) de manipulation aisée, d’application limitée à 12 heures mais contre-indiquée chez l’asthmatique. Il est nettement plus onéreux que le benzoate de benzyle surtout s’il existe plusieurs membres de la même famille à traiter ; – lindane (crème Scabecid, Élénol) peu utilisé en France par rapport aux pays anglo-saxons ; – hexachlorocyclohexane (poudre Aphtiria) qui n’est utilisé que pour le déparasitage du linge. • En cas de complications (eczématisation, surinfection), celles-ci doivent être traitées par les moyens habituels avant d’envisager un traitement de la gale. • Schéma particulier des formes profuses ou norvégiennes : dans ces formes, le traitement court susdécrit est tout à fait insuffisant et nécessite, en règle, l’hospitalisation en milieu dermatologique avec isolement. En effet, les traitements vont être itératifs à raison d’une application trois à cinq fois par semaine pendant une durée d’au moins trois semaines. Il est évident que cette surveillance a pour but d’éradiquer la gale, tout en évitant les effets secondaires liés aux thérapeutiques. Par ailleurs, l’application des antiscabieux doit être élargie au cuir chevelu, parfois au visage, et aux ongles (raccourcis, brossage sousunguéal avec la solution de scabicide). Des prélèvements itératifs sont nécessaires dans cette forme profuse notamment dans les zones inhabituelles pour vérifier l’efficacité du traitement. Dans ces formes de traitement difficile, des essais thérapeutiques par ivermectine (100 à 200 µg/kg en administration orale unique) ont été prometteurs. Il n’existe toutefois aucune autorisation de mise sur le marché et

Dermatologie une surmortalité a été rapportée par quelques auteurs. Une telle prescription engage donc très directement la responsabilité personnelle du prescripteur. Par ailleurs, d’autres auteurs ont rapporté des échecs, et ce traitement ne dispense ni de l’enquête épidémiologique à effectuer sur place, tant auprès des sujets contacts que du personnel soignant, ni de la désinfection du linge, de la literie, ni souvent d’un traitement classique associé.

2. Traitement du linge, de la literie Il convient de traiter tout le linge porté depuis 8 jours : vêtements personnels, de travail, linge de toilette, draps, etc. Ce déparasitage doit se faire par lavage (60°C) ou à défaut par poudrage préalable dans de grands sacs, sur une durée d’environ 48 heures avant lavage plus ordinaire. Il est inutile de désinfecter les locaux.

3. Traitement de l’entourage Tout sujet contact vivant sous le même toit ou le personnel soignant au contact, sans précaution, d’une gale norvégienne doit être examiné et traité selon le schéma habituel.

• Découverte des poux, essentiellement au cours de la pédiculose de la tête ou inguinale, les poux de corps étant plus difficiles à voir ou trouvés seulement au niveau des doublures de vêtements. En revanche les lentes des pédiculoses capitis et inguinalis sont faciles à découvrir par leur couleur blanchâtre, solidement collées aux cheveux ou aux poils, en règle à 1 cm de l’émergence, non détachables facilement ce qui les distingue des pellicules ou des gaines coulissantes péripilaires qui constituent le diagnostic différentiel de la pédiculose de tête. Les poux pubiens peuvent migrer à d’autres régions pileuses : région thoracique et axillaires, voire barbe et cils. • Dans les formes corporelles, lorsque l’infestation est chronique, il existe souvent une leucomélanodermie. Le diagnostic entre pédiculose corporelle et scabiose n’est pas toujours aisé d’autant que les deux ectoparasitoses peuvent s’associer. Chez ces sujets en situation précaire et infestés de façon régulière par poux et (ou) puces, des infections à Bartonella quintana ont été récemment décrites (septicémie plus ou moins endocardite), l’ectoparasite jouant le rôle de vecteur.

Traitement

Pédiculoses Les poux sont des insectes hématophages, parasites stricts de l’homme. Il existe trois espèces de poux : Pediculus humanus capitis, Pediculus corporis et Phtirius inguinalis. Ces parasites de 1 à 3 mm, munis de trois paires de pattes griffues, vivent une trentaine de jours. La femelle peut pondre jusqu’à 300 œufs appelés lentes ; celles-ci sont pondues une à une, et sont collées sur les cheveux ou les poils.

Épidémiologie La répartition est mondiale, la transmission interhumaine directe ou indirecte. La pédiculose du cuir chevelu est la plus fréquente, en recrudescence en France depuis les années 70. Elle touche surtout les enfants en milieu scolaire, toutes origines sociales confondues, et les adultes d’hygiène médiocre. La pédiculose corporelle touche essentiellement les sujets en état de précarité tandis que la pédiculose pubienne est sexuellement transmissible.

Diagnostic Le diagnostic de pédiculose repose sur : • Le prurit, symptôme essentiel à l’origine de lésions de grattage pouvant se surinfecter. La topographie du prurit est variable selon la pédiculose : – cuir chevelu, nuque et décolleté postérieur pour Pediculis capitis ; prurit pubien pur la phtiriase inguinale et prurit plus diffus sur les régions couvertes, notamment emmanchures postérieures, régions scapulaires et lombaires.

Il doit être pédiculicide et surtout lenticide.

1. Plusieurs classes pharmacologiques sont disponibles Elles sont non remboursées par la Sécurité sociale : – organophosphoré, dont le chef de file est le malathion (Prioderm lotion) ; – pyréthrine plus ou moins butoxyde de pypéronyle sous des présentations diverses (aérosol, lotion, shampooing, spray) dont la durée d’application est variable.

2. Schéma thérapeutique selon la pédiculose • Cuir chevelu : un essai contrôlé en 1992, en région parisienne, a montré la supériorité du malathion sur une spécialité à base de pyréthrine, les données de cette enquête ayant pu conclure à l’acquisition d’une résistance au pyréthrine dans cette région. En fait, il peut exister des variations de la sensibilité des poux en fonction de la nature des produits utilisés selon les régions et (ou) les pays. Il faut donc changer de classe pharmacologique en cas d’échec d’un traitement bien appliqué. Les shampooings sont en règle mal appliqués (temps insuffisant, dilution), tandis que les aérosols sont contre-indiqués en cas d’antécédents d’asthme chez l’enfant ou chez la personne qui l’applique ; les lotions sont donc les formes galéniques les plus adaptées et doivent être appliquées à j0 selon le temps indiqué par le fabricant. Cette lotion est ensuite rincée par un shampooing non traitant, tandis que les cheveux sont peignés avec un peigne très fin pour enlever les lentes. Le traitement doit être refait tous les 8 jours tant qu’il persiste des lentes. Parallèlement, la pédiculose doit LA REVUE DU PRATICIEN (Paris) 1998, 48

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être dépistée chez les autres membres de la famille ou de la collectivité. Les objets, tels que bonnet, écharpe, peluche, literie doivent être désinfectés soit par lavage et (ou) poudrage à l’Aphtiria. Les traitements préventifs n’ont pas fait la preuve de leur efficacité. • Pédiculose inguinale : poudrage ou lotion sur l’ensemble des régions pileuses, tandis que les lentes sont facilement éliminées par le rasage. En cas d’atteinte des cils, application d’une crème à la perméthrine à 1 % pendant 10 minutes. Traitement des sujets contacts. • Pédiculose corporelle : badigeons de benzoate de benzyle selon le même schéma que la gale, et désinfection attentive du linge et des vêtements. n

POUR EN SAVOIR PLUS Gallais V. Poux et gale : nouveautés cliniques et thérapeutiques. Presse Med 1997 ; 26 : 1682-6.

Points Forts à retenir • La gale est un diagnostic souvent difficile qu’il s’agisse d’une forme avec peu ou pas de signes spécifiques chez un sujet dont l’hygiène est correcte ou qu’à l’inverse il s’agisse d’une forme profuse du sujet âgé ou de l’immunodéprimé. • Dans le premier cas le traitement n’est vraiment d’épreuve que s’il est expliqué et vérifié à J 10 ; dans le second cas, la recherche de sarcopte toujours positive évite les retards diagnostiques et incite à l’isolement dermatologique pour un traitement plus prolongé et appliqué sur l’ensemble du tégument. • La pédiculose du cuir chevelu est contrôlable à condition d’un temps d’explication du traitement suffisant et d’une vérification qui peut, en cas d’echec d’un protocole bien conduit, déboucher sur un changement de classe thérapeutique. • Quelle que soit l’ectoparasitose, il faut insister sur l’importance de l’enquête épidémiologique visant à proposer le traitement aux sujets contacts.

Rectificatif Une erreur s’est glissée dans l’article « Hanche douloureuse » rédigé par M. le professeur REVEL et Mme le docteur GHANEM [Rev Prat (Paris) 1998 ; 48 (11) : 1246]. Il fallait lire :

« La limitation de mobilité passive à l’examen porte sur tous les secteurs d’amplitude mais prédomine sur la rotation interne, l’extension et l’abduction. Progressivement, l’articulation peut se mettre en attitude vicieuse marquée par une rotation externe, un flessum et une adduction ».

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Dermatologie B 169

Eczéma de contact Étiologie, physiopathologie, diagnostic, traitement DR Denis JULLIEN, PR Michel FAURE Clinique dermatologique et INSERM U346, hôpital Édouard-Herriot, 69437 Lyon Cedex 03.

Points Forts à comprendre • Les lésions cliniques et histologiques observées dans l’eczéma de contact ne sont pas spécifiques. Elles sont semblables à celles observées dans les autres formes d’eczémas. • Ce qui caractérise l’eczéma de contact est sa physiopathologie. Il s’agit d’une réaction d’hypersensibilité retardée médiée par des lymphocytes T qui survient lors de la réintroduction de l’allergène chez un sujet préalablement sensibilisé. • La première exposition qui conduit à la sensibilisation ne s’accompagne d’aucune lésion clinique. • On connaît plus de 4 000 substances pouvant entraîner un eczéma de contact et ce nombre ne cesse de croître. Ces allergènes sont présents dans tous les secteurs de l’activité humaine. • Une fois acquise, la sensibilisation à un allergène persiste indéfiniment. Le seul traitement rationnel de l’eczéma de contact est donc l’éviction de l’allergène.

L’eczéma de contact partage avec tous les autres eczémas, dont la dermatite atopique, des particularités cliniques et histologiques qui définissent le syndrome d’eczéma.

Étiologie Les causes de l’eczéma de contact sont aussi variées que le nombre d’allergènes de contact et on connaît près de 4 000 molécules qui entrent dans cette catégorie.

Contacts aux métaux Le nickel est la première cause d’eczéma de contact chez les femmes. Plus de 10 % d’entre elles sont allergiques au métal ou à ses sels relargués par les bijoux fantaisie ou les accessoires vestimentaires. L’exposition au nickel peut également être professionnelle (peinture, métallurgie). Les chromates présents dans le ciment, les cuirs tannés au chrome, certaines eaux de Javel sont,

eux, la première cause d’eczéma de contact chez l’homme. La sensibilisation au chrome survient habituellement dans un contexte professionnel. Il faut encore citer le cobalt (ciment, peintures, objets nickelés) et les mercuriels. L’alimentation est une source d’exposition notable au nickel et à d’autres métaux, ce qui peut poser des problèmes thérapeutiques.

Contacts aux cosmétiques et aux produits d’hygiène Ils sont extrêmement fréquents et sont dominés par les allergies aux parfums (fragrances, baume du Pérou) et aux conservateurs (parabens, formaldéhyde, Irgasan, Kathon CG, Euxyl K400…). La lanoline et le propylèneglycol sont deux excipients souvent mis en cause. Parmi les émulsifiants, on assiste à une émergence du rôle de la cocamidopropyl-bétaïne. Les antiseptiques présents dans ces produits peuvent être également responsables (chlorhexidine, chlorure de benzalkonium). Les allergies aux teintures capillaires sont surtout le fait des colorants comme la paraphénylène diamine ou des phénols stabilisant la couleur (résorcinol, hydroquinones). Les vernis à ongle, les faux ongles collés (colle cyanocrylate) ou modelés (méthacrylate) et à un moindre degré les dépilatoires (acide thioglycolique), les déodorants, les dentifrices sont également à l’origine d’eczémas de contact. Les produits cosmétiques hypo-allergéniques sont composés de constituants ne figurant pas sur la liste des allergènes potentiels et dont les tests prophétiques ou d’usage ne font pas apparaître plus de 0,1 % d’intolérance allergique.

Contacts médicamenteux Ils concernent les professionnels de la santé et les patients. Ce n’est parfois pas le produit actif mais un conservateur ou le véhicule qui est responsable de la sensibilisation. De nombreux produits sont incriminés au premier rang desquels on retrouve des cicatrisants comme le baume du Pérou, des antibiotiques (néomycine, sulfamides…), les antiseptiques mercuriels, des anesthésiques locaux et des antihistaminiques (Parfenac…). Parmi les anti-inflammatoires non stéroïdiens, le kétoprofène (Kétum) est à lui seul responsable actuellement d’une véritable épidémie. La sensibilisation aux dermocorticoïdes pose, quant à elle, un problème dans la prise

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en charge thérapeutique des eczémas de contact et doit être évoquée devant un eczéma qui s’aggrave sous traitement. L’existence d’une sensation de picotement ou de brûlure qui persiste plus de quelques minutes après l’application du corticoïde et oblige parfois au lavage du produit doit attirer l’attention dans ce sens. Le recours à un corticoïde d’un autre groupe est en général possible (tableau). Enfin, les pansements et les sparadraps donnent également d’importantes réactions allergiques.

Contacts vestimentaires Pour les tissus, les fibres textiles naturelles ou synthétiques sont exceptionnellement allergisantes et le problème est surtout celui des apprêts infroissables formolés (dans les vêtements neufs) et des colorants azoïques. Les allergènes des vêtements et chaussures en cuir sont le chrome (tannage), les colles et les colorants. En plus du latex, de nombreux accélérateurs et antioxydants entrant dans l’élaboration des caoutchoucs sont la cause des eczémas de contact aux élastiques des sous-vêtements, chaussettes et bottes.

TABLEAU Classification des principaux corticoïdes selon leur structure chimique Groupe A ❑ Hydrocortisone ❑ Méthyl-prednisolone ❑ Prednisolone ❑ Tixocortol Groupe B (acétonides) ❑ Amcinonide ❑ Budésonide ❑ Désonide ❑ Triamcinolone acétonide Groupe C ❑ Bétaméthasone ❑ Désoximétasone ❑ Dexaméthasone ❑ Fluocortolone ❑ Diflucortolone Groupe D (esters) ❑ Hydrocortisone ❑ Clobétasol-17-propionate et clobétasone-17-butyrate ❑ Bétamétasone valérate et bétamétasone dipropionate ❑ Carbonates : prednicarbate ❑ Carboxylates : aclométhasone-17-propionate, flucortinbutyl ❑ Autres : mométhasone furoate…

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Contacts aux plantes et aux aliments En Europe, c’est l’allergie à la primevère (primine) qui est la plus fréquente et peut se manifester comme un eczéma aéroporté localisé au visage. Cette atteinte est aussi observée avec les lactones sesquiterpéniques présentes dans la mousse de chêne et dans certaines plantes de la famille des composées. Le maniement des bulbes de tulipe, des queues d’artichaut, de nombreuses épices et de zestes d’orange est responsable d’une atteinte des mains, mais les légumes sont avant tout responsables de dermites irritatives.

Contacts photo-allergiques L’allergène, pour générer l’eczéma, nécessite l’action conjointe d’une irradiation solaire. Les réactions photoallergiques se limitent donc aux zones découvertes du tégument dans les 24 h suivant l’exposition au soleil. Elles épargnent volontiers le triangle sous-mentonnier, la paupière supérieure et le sillon rétro-auriculaire, moins exposés au soleil. Une des complications de ces allergies est la persistance d’une sensibilité anormale à la lumière alors même que l’allergène a été supprimé. Les photo-allergènes sont nombreux. Ils sont surtout médicamenteux (phénothiazines, sulfamides, salicylanides, halogénés, kétoprofène…), mais aussi cosmétiques, professionnels.

Contacts aéroportés Ils atteignent eux aussi les parties découvertes du tégument mais sans respect pour les zones moins exposées. On observe au contraire un renforcement par accumulation préférentielle des particules allergiques dans ces régions. Ces particules peuvent également s’insinuer sous les vêtements et donner une atteinte des plis de flexion et des organes génitaux externes où elles se concentrent. Les allergènes responsables n’ont aucune spécificité (sciure de bois, mousse de chêne, composées, chrome du ciment, insecticides, colles, résines, chlorpromazine, parfums…). Dans les causes professionnelles, une atteinte des mains est souvent associée.

Contacts d’origine professionnelle Ils sont extrêmement fréquents et atteignent avant tout les mains et les avant-bras. Les corps de métiers les plus exposés sont les travailleurs manuels du bâtiment, des industries métallurgiques, textiles, des plastiques, du caoutchouc. Mais aussi les coiffeurs, les professions agricoles et horticoles, les travailleurs du bois, les professions médicales. Les allergènes en cause peuvent être très spécifiques d’une profession (bois exotiques, bulbes de tulipe, médicaments, additifs des fluides de coupe) ou ubiquitaires (résines époxy et acryliques, nickel, latex et caoutchoucs, colorants…). Certaines professions comme l’agriculture sont exposées à de multiples allergènes (plantes, pesticides, solvants, antiseptiques, colorants, antibiotiques, caoutchoucs…). Certains eczémas de contact professionnels font partie de la liste des maladies professionnelles et peuvent être indemnisables.

Dermatologie

Eczémas « hématogènes » ou « systémiques »

Physiopathologie (fig. 1)

Ils correspondent à une réexposition systémique à l’allergène (parentérale, entérale, respiratoire, prothèse chirurgicale, amalgame dentaire, tatouage…) chez une personne préalablement sensibilisée par une première exposition cutanée. Les principaux allergènes impliqués sont les métaux, certains aliments (balsamiques) et additifs alimentaires ainsi que des médicaments (anesthésiques, sulfamides, phénothiazines, anti-inflammatoires non stéroïdiens). Les lésions qui peuvent être très polymorphes, prennent souvent un aspect nummulaire ou dyshidrosique, voire prédominent dans la région périnéofessière pour donner le syndrome babouin. Nausées, diarrhées et fièvre peuvent être présentes.

L’eczéma de contact est le modèle de la réaction d’hypersensibilité retardée médiée par les lymphocytes T. On distingue 3 phases.

Phase de sensibilisation Cette phase survient lors du premier contact de la peau avec la substance allergénique, dure de 8 à 15 j chez l’homme, aboutit à la formation de lymphocytes T à mémoire spécifiques de l’allergène, mais n’entraîne aucune lésion clinique. Elle se décompose en plusieurs étapes. • Formation de l’antigène : l’allergène de contact est le plus souvent un antigène incomplet appelé haptène.

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Physiopathologie de l’eczéma de contact. Sensibilisation : L’haptène est pris en charge par les cellules de Langerhans 햲 qui migrent dans le derme 햳 puis dans les canaux lymphatiques afférents 햴 jusqu’à la zone para-corticale des ganglions de drainage où a lieu la présentation de l’haptène aux lymphocytes T aboutissant à la génération de lymphocytes T à mémoire CD4 + et CD8 + spécifiques d’haptènes et exprimant l’antigène CLA 햵. Ces lymphocytes T vont alors émigrer du ganglion, rejoindre la circulation générale par le canal thoracique 햶. Cette phase est silencieuse cliniquement. Révélation : les lymphocytes T mémoire CD4 + et CD8 + spécifiques d’haptènes du fait de l’expression de l’antigène CLA recirculent préférentiellement dans la peau 햷. Lors des contacts ultérieurs avec l’haptène, celui-ci est pris en charge par les cellules de Lagerhans et (ou) les kératinocytes et (ou) des cellules dendritiques du derme qui vont présenter des peptides hapténisés en association avec les molécules du CMH de classe I et II aux lymphocytes T CD4 + et CD8 + spécifiques d’haptènes 햸. L’activation lymphocytaire est associée à la production de différentes cytokines ce qui aboutit à l’activation d’autres types cellulaires dont les cellules endothéliales et les kératinocytes 햹 et 햺. Il s’en suit une augmentation de la perméabilité vasculaire, un œdème dermique et épidermique ainsi qu’un recrutement non spécifique de cellules inflammatoires (polynucléaires neutrophiles, basophiles et de monocytes) 햻. Cette phase est responsable de la lésion d’eczéma.

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Cette molécule de faible poids moléculaire est très réactive chimiquement et doit se lier à une protéine porteuse épidermique pour devenir immunogène. À l’exception notable des métaux, l’interaction haptène-protéine correspond le plus souvent à une liaison covalente. Certains haptènes pénètrent l’épiderme sous la forme d’un pro-haptène et doivent subir une transformation chimique selon un mécanisme enzymatique ou physique (rayons ultraviolets pour les photo-allergènes) avant de devenir réactifs. • Prise en charge de l’antigène par les cellules dendritiques : le complexe haptène-protéine est ensuite internalisé par des cellules dendritiques de l’épiderme, les cellules de Langerhans, qui vont l’apprêter et réexprimer à leur surface de petits fragments peptidiques porteurs de l’haptène associés à des molécules du complexe majeur de l’histocompatibilité (CMH). Pour les haptènes ayant interagi avec des protéines extracellulaires ou membranaires, le complexe haptènepeptide sera présenté par les molécules du complexe majeur de l’histocompatibilité de classe II, et pour ceux ayant interagi avec des protéines intracellulaires, le complexe sera présenté par les molécules de classe I. Dans le même temps, les cellules de Langerhans vont quitter l’épiderme et migrer par les lymphatiques afférents jusqu’aux ganglions lymphatiques régionaux. Cette migration s’accompagne d’une diminution des capacités des cellules de Langerhans à internaliser et à apprêter les antigènes mais d’une augmentation de leur aptitude à présenter efficacement les antigènes aux lymphocytes. La migration des cellules de Langerhans hors de l’épiderme serait initiée par la production de différentes cytokines (IL-1β, TNF-α) par les cellules de Langerhans et les kératinocytes sous l’effet de l’haptène. • Formation de lymphocytes T à mémoire et tropisme cutané : dans le paracortex des ganglions lymphatiques régionaux, la cellule de Langerhans que l’on appelle alors cellule interdigitante présente les peptides hapténisés associés à des molécules du complexe majeur de l’histocompatibilité de classes I et II à des lymphocytes T naïfs respectivement CD8+ et CD4+. Ceux de ces lymphocytes qui expriment un récepteur T qui a une certaine affinité pour la molécule du complexe majeur de l’histocompatibilité et le peptide hapténisé sont activés et subissent une expansion clonale qui donne naissance à une population de lymphocytes T à mémoire spécifiques de l’allergène. Ces mêmes cellules vont de plus exprimer l’antigène CLA (Cutaneous lymphocyte associated antigen). Les lymphocytes T à mémoire quittent alors le ganglion et regagnent le courant circulatoire au travers des vaisseaux lymphatiques efférents et du canal thoracique. La molécule CLA est une adressine qui leur permettra en interagissant avec son ligand, l’E-sélectine exprimée par les veinules post-capillaires du derme, de migrer préférentiellement dans la peau et donc d’exercer une surveillance plus spécifique de cet organe. 64

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Phase de révélation Elle survient dans les 24 à 96 h faisant suite à une nouvelle exposition de la peau à l’allergène et conduit à la formation des lésions inflammatoires cutanées. Là encore plusieurs stades se succèdent. • Réaction inflammatoire non spécifique : comme dans la phase d’induction, l’haptène induit la libération de cytokines et de molécules pro-inflammatoires par les cellules de Langerhans et les kératinocytes qu’il active. En réponse à celles-ci, les cellules endothéliales des veinules post-capillaires du derme sont activées et commencent à exprimer ou expriment plus fortement à leur surface des molécules d’adhérence. L’interaction de ces molécules avec leurs ligands respectifs exprimés par de nombreux lymphocytes T à mémoire va conduire au recrutement de ces leucocytes dans le derme puis dans l’épiderme à l’endroit de l’application de l’haptène. Seule une très faible fraction de ces lymphocytes T à mémoire sont spécifiques de l’haptène (1/100 à 1/3 000 dans le cas de l’urushiol du poison Ivy). • Réaction inflammatoire « spécifique » : la présentation de l’haptène aux lymphocytes T CD4+ et CD8+ spécifiques présents dans l’infiltrat entraîne leur activation. À ce stade, les cellules de Langerhans, mais aussi les cellules dendritiques du derme voire les kératinocytes activés pourraient présenter l’haptène aux lymphocytes T. Une fois activés, les lymphocytes T produisent des cytokines de type TH1 comme l’IFN-γ et l’IL-2, mais aussi l’IL-1 et le TNF-α qui vont favoriser la réaction inflammatoire. Les lymphocytes T CD8+ joueraient de plus également un rôle au travers de leur fonction cytotoxique. Dans certains cas, le manque de sélectivité de l’interaction entre le peptide hapténisé présenté par la molécule du complexe majeur de l’histocompatibilité et le récepteur T va conduire à l’activation de lymphocytes T mémoire spécifiques d’un autre allergène de structure voisine. C’est le phénomène d’allergie croisée qui conduit parfois à recommander l’éviction d’un groupe de molécules. Par exemple, une allergie à l’hydrocortisone conduira à recommander l’éviction des autres corticoïdes du groupe A (méthylprednisolone, prednisolone, tixocortol) (tableau). • Amplification de la réaction inflammatoire : en réponse aux cytokines produites par les lymphocytes T spécifiques et à l’activation en cascade d’autres systèmes de médiateurs pro-inflammatoires, on observe une augmentation de la perméabilité vasculaire, un œdème dermique et épidermique ainsi qu’un recrutement non spécifique de polynucléaires neutrophiles, basophiles et de monocytes.

Phase de régulation Une fois établie, la lésion d’eczéma de contact ne se pérennise pas mais tend à disparaître spontanément en 3 à 6 jours. Ce phénomène n’est pas lié à la simple disparition de l’allergène de l’épiderme car certains haptènes y sont retrouvés jusqu’au 10e jour. Si le méca-

Dermatologie

nisme reste mal compris, il semble que différentes populations lymphocytaires T CD4+ et (ou) CD8+ pourraient être impliquées par la sécrétion de certaines cytokines inhibitrices et par leur action cytotoxique sur les cellules effectrices. L’IL-10 produite par les cellules T de type TH2 est une de ces cytokines inhibitrices. Les kératinocytes qui produisent eux aussi de l’IL-10 pourraient également jouer un rôle clé. Selon la nature de l’allergène et les conditions conduisant à son exposition, les mécanismes régulateurs pourraient varier.

Diagnostic Diagnostic positif

2 Eczéma de contact aigu au nickel contenu dans une boucle d’oreille. Aspect érythémateux, vésiculeux et suintant.

1. Reconnaître qu’il s’agit d’un eczéma • Examen clinique : dans la forme classique (fig. 2 et 3) correspondant à l’eczéma aigu plusieurs phases se succèdent : apparition d’un érythème ; formation des vésicules ; suintement, lié à la rupture des vésicules spontanément ou après grattage ; formation de croûtes (le liquide de suintement se dessèche) ; desquamation (l’épiderme altéré s’élimine progressivement sous forme de squames). Un prurit souvent intense est également présent. Les lésions apparaissent au site même du contact avec l’allergène dans les 24 à 96 h suivant la réexposition avec celui-ci. Cependant, dans le même temps et à distance du site de contact peuvent apparaître des lésions similaires souvent symétriques. Ces éruptions secondes seraient la conséquence d’une concentration préférentielle de l’allergène dans certains territoires tégumentaires suite à sa pénétration massive dans l’organisme. Les bords de la lésion peuvent être très bien délimités mais dans la plupart des cas l’eczéma déborde le territoire strict du contact avec l’allergène ce qui entraîne un aspect irrégulier et émietté de la plaque. Si l’eczéma évolue de manière subaiguë puis chronique, la symptomatologie se modifie. Les vésicules et le suintement disparaissent. Sous l’action d’un grattage incessant lié au prurit persistant, la peau s’épaissit et se marque d’un quadrillage réalisé par ses plis qui deviennent plus profonds (lichénification) (fig. 4). Une pigmentation et des fissures peuvent également être présentes. La sémiologie des eczémas de contact est marquée par un grand polymorphisme. En dehors du cadre général évoqué précédemment, une lésion d’eczéma de contact peut se présenter sous de multiples aspects liés à des particularités étiologiques ou topographiques. Les lésions localisées aux lèvres prennent l’aspect d’une chéilite (fig. 5) ; pour les paupières et les organes génitaux externes, l’œdème est au premier plan (fig. 6) ; dans les plis, l’aspect est celui d’un intertrigo. Aux mains, on peut observer des lésions de dyshidrose (fig. 7) mais aussi souvent, des aspects kératosiques et fissuraires (expositions chronique professionnelles).

3 Aspect d’eczéma aigu au gel Kétum appliqué avant une exposition solaire. Aspect érythémateux et bulleux.

4 Eczéma de contact chronique au nickel contenu dans les boutons de pantalons et les fermetures éclair. Aspect lichénifié.

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E C Z É M A D E C O N TA C T

5 Aspect de chéilite suite à l’application d’un bâton pour lèvres contenant du baume du Pérou.

7 Aspect de dyshidrose.

6 Aspect d’œdème périorbitaire après l’utilisation d’un collyre antibiotique.

8 Mise en place de patch-tests dans le dos d’un patient. Chaque cupule métallique contient un allergène.

Les photo-allergènes et les allergènes aéroportés sont responsables d’une symptomatologie concernant avant tout les zones découvertes et notamment la face où les lésions sont volontiers œdémateuses. L’évolution des lésions peut être marquée par leur extension avec, à l’extrême, la réalisation d’un tableau d’érythrodermie. La surinfection est aussi une complication fréquente qui peut égarer le diagnostic. • L’histologie ne peut que confirmer le diagnostic d’eczéma. Elle ne permet pas de reconnaître qu’il s’agit d’un eczéma de contact. Quand elle est réalisée, elle montre en cas d’eczéma aigu 2 signes élémentaires fondamentaux : – la spongiose, qui est un œdème intra-épidermique dissociant les kératinocytes les uns des autres et aboutit à la formation de vésicules intra-épidermiques ; – l’exocytose, caractérisée par la présence de lymphocytes dans l’épiderme. S’y associent dans le derme, un œdème, une dilatation des capillaires et un infiltrat inflammatoire périvasculaire. Dans les eczémas chroniques, ces signes histologiques sont moins marqués et l’on observe un épaississement de l’épiderme. 66

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2. Montrer qu’il s’agit d’un eczéma de contact • L’interrogatoire est un temps clé pour éliminer les diagnostics différentiels et identifier le contact avec un allergène donné. Il porte sur les antécédents, les prises médicamenteuses, l’activité professionnelle et l’analyse détaillée du poste de travail, les conditions de vie, les loisirs, les travaux ménagers, le recours aux produits d’hygiène, aux cosmétiques, les traitements déjà employés. Il précise la chronologie de survenue et cherche par exemple à mettre en évidence une amélioration hors du lieu de travail (vacances). Ces éléments, confrontés de manière probabiliste avec la connaissance des allergènes rencontrés dans une situation donnée permettront d’orienter les tests épicutanés. • Les tests épicutanés ou patch-tests sont réalisés à distance de la poussée, en l’absence de lésions cutanées chez un patient ne s’étant pas récemment exposé aux ultraviolets (bronzage) et ne recevant pas un traitement immunosuppresseur (corticoïdes) systémique ou local dans la zone d’application des tests (en général le dos). Ils cherchent à reproduire la lésion de manière expérimentale sur une zone limitée avec un allergène parfaitement défini. En pratique, on applique sur la peau saine

Dermatologie

du dos une série d’allergènes sous occlusion pendant 48 h (fig. 8). La lecture se fait à la 48e h quand on enlève les patchs et à la 72e h. On apprécie l’érythème, l’œdème, le niveau de vésication. Les 23 allergènes les plus fréquents en Europe ont été regroupés au sein de la série standard européenne. On dispose d’autres séries auxquelles on a recours en fonction de l’interrogatoire (batteries, chaussures, imprimerie, coiffure, textiles, plantes, écrans solaires, caoutchoucs, etc.). On teste également les produits suspects apportés par le patient. En cas de suspicion d’un eczéma par photosensibilisation allergique de contact, on réalise des photopatch-tests (les différents photo-allergènes sont appliqués en triple dans le dos, après 24 h, 2 des 3 séries sont enlevées et irradiée par des UVA ou des UVB. La série non irradiée sert de contrôle). Un test positif peut n’être que le reflet d’une sensibilisation antérieure à un allergène différent de celui responsable du problème que l’on explore. Il faut donc toujours évaluer la pertinence d’un test positif. Enfin, on ne réalise pas de tests épicutanés pour « prédire » par exemple qu’un matériel dentaire sera bien toléré ou « pour voir » à quoi peut être sensible un enfant atopique afin de l’orienter professionnellement. En effet, un test négatif à un instant donné ne permet pas d’exclure une sensibilisation ultérieure et la réalisation même du test peut entraîner une sensibilisation. • Les tests ouverts de provocation itérative se rapprochent plus des conditions d’exposition au produit dans la réalité. Il consiste à appliquer 2 fois par jour pendant 7 jours consécutifs le produit fini sur la face de flexion de l’avant-bras du patient.

Diagnostic différentiel En dehors des formes sémiologiques particulières d’eczéma de contact qui peuvent faire discuter d’autres dermatoses (psoriasis, mycoses, toxidermie, hématodermie, herpès…) et les autres causes des eczémas (eczéma atopique, de stase, dyshidrosique idiopathique…), le principal problème est celui posé par la dermite d’irritation qui représente près des 4 cinquièmes des dermites de contact contre 1 cinquième pour l’eczéma de contact. La dermite irritative ou dermite ortho-ergique correspond à des lésions provoquées directement par les effets physico-chimiques de la substance en cause. Il n’y a pas de réaction immunologique mise en jeu. Les lésions apparaissent dans les premières heures qui suivent le premier contact avec le produit responsable et sont strictement limitées à la zone où il a été appliqué. L’aspect est souvent celui d’un placard érythématosquameux ou kératosiques, il n’y a que très rarement des vésicules et il n’y a jamais d’éruption seconde à distance. La sensation est plus cuisante que prurigineuse. La répétition de l’agression conduit à une dermite d’usure avec un aspect rugueux, crevassé et un effacement des dermatoglyphes. La cessation du contact irritant entraîne une guérison progressive.

Les tests épicutanés sont négatifs et l’histologie, si elle était réalisée, montrerait avant tout des signes d’altération caustique de l’épiderme. En altérant la barrière cutané, elle peut favoriser la pénétration des allergènes et se compliquer secondairement d’un véritable eczéma de contact.

Traitement Traitement symptomatique Il repose avant tout sur les corticoïdes topiques et secondairement sur les émollients gras. Sans éviction de l’allergène, le traitement symptomatique est voué à l’échec. À la phase aiguë, suintante, on utilise pendant quelques jours des corticoïdes puissants – classe II : (Efficort, Diprosone) et même classe I (Dermoval) – sous forme de lotion ou de crème. Lotions et crèmes sont également préférées quel que soit le stade pour les lésions des zones pileuses et des plis. Sur le visage et chez les jeunes enfants, on à recours à des classes thérapeutiques plus faibles ; initialement III (Locapred, Tridésonit) puis IV (Hydracort). En phase aiguë suintante, on n’utilise pas de crèmes émollientes grasses. Malgré leur efficacité, certains récusent l’utilisation des corticoïdes à ce stade et ont recours à la pulvérisation d’eaux thermales (Avène-les-Bains, La Roche-Posay) suivie de l’application d’une pâte à l’eau ou d’une spécialité plus spécifique (Tolérance extrême). Quand les lésions sont plus sèches, on utilise les mêmes corticoïdes mais sous forme de pommades et on y associe d’emblée des émollients gras comme le Cérat frais de Galien, le Cold-cream, la crème de Dalibour ou une des multiples spécialités disponibles (Exoméga, Atoderm, Lipikar, Oilatum…). Les eczémas kératosiques et fissuraires des mains nécessitent souvent de prescrire la corticothérapie sous occlusion. On a recours à des gants en coton portés la nuit (Cybel, Lohmann). On y associe d’emblée la journée des applications répétées de produits gras particulièrement émollients (Émulsion SVR à l’allantoïne, Onguent Bépanthène, Xerand). L’amélioration conduit à décroître progressivement l’utilisation du corticoïde et à la remplacer par celle de l’émollient gras. La décroissance progressive de la corticothérapie est nécessaire pour éviter le phénomène de rebond. Elle est réalisée par l’espacement progressif des applications ou par le recours à des produits de classe moins élevée. L’aggravation d’un eczéma de contact en cours de traitement doit faire suspecter l’apparition d’une sensibilisation à un des produits utilisés. En dehors des émollients, des excipients et des conservateurs, l’allergène peut être le corticoïde lui-même. L’existence d’une surinfection des lésions peut nécessiter un traitement local antiseptique adapté. L’action sédative et antiprurigineuse de certains antihistaminiques (Atarax) s’avère parfois utile en début de traitement.

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E C Z É M A D E C O N TA C T

Traitement étiologique 1. Éviction de l’allergène de contact C’est l’élément clé du traitement de l’eczéma de contact. Une fois l’allergène identifié, le patient doit donc être informé de sa nature et des différentes sources d’exposition afin qu’il puisse les éviter. Un document reprenant ces informations et précisant les possibilités d’allergies croisées avec des molécules voisines est habituellement remis. L’éviction d’un médicament utilisé occasionnellement ou la modification d’habitudes de loisirs sont faciles. L’adaptation d’un poste de travail dans une petite entreprise est souvent beaucoup plus problématique, souvent seules des mesures de protection sont possibles (gants, vêtements de travail) et parfois la reconversion professionnelle s’impose. Pour des allergènes ubiquitaires comme le nickel, le problème est beaucoup plus difficile car il est virtuellement impossible d’en éviter totalement le contact. L’existence de sources alimentaires de nickel qui pourraient pérenniser l’eczéma a conduit à faire proposer, pour les cas réfractaires et en cas de test de provocation oral positif, des régimes pauvres en nickel. Sur le même principe, il existe des régimes pauvres en chrome, en cobalt ou en balsamiques (baume du Pérou). L’efficacité de cette approche reste controversée.

2. Immunothérapie spécifique À ce jour, il n’existe aucune technique de désensibilisation efficace dans l’eczéma de contact. Des essais cherchant à induire une immunotolérance à certains haptènes comme le nickel et l’urushiol en les administrant notamment par voie orale sont en cours. Ces approches restent pour l’heure expérimentales. ■

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POUR EN SAVOIR PLUS Saurat JH, Grosshans E, Laugier P, Lachapelle JM. Dermatologie et vénéréologie, 3e édition. Paris : Masson, 1999 : 37-49. Dutau G. Le Dictionnaire des allergènes. Phase 5, 1997. Charpin J, Veruloet D. Allergologie, 3e édition. Paris : MédecineScience Flammarion, 1992 : 524-82.

Points Forts à retenir • Une dermite de contact est 4 fois sur 5 une dermite d’irritation et 1 fois sur 5 seulement un eczéma de contact. • Les présentations cliniques de l’eczéma de contact sont extrêmement polymorphes et trompeuses. • Ce sont les test épicutanés guidés par un interrogatoire préalable détaillé qui permettent de faire le diagnostic en démontrant qu’un allergène suspecté est en cause. La signification d’un test positif doit toujours être analysée de manière critique et confrontée à l’anamnèse pour s’assurer qu’il ne traduit pas une sensibilisation antérieure sans rapport avec le problème actuel. • On ne réalise pas de tests épicutanés de « dépistage ». • L’éviction de l’allergène, quand elle est possible, est l’attitude thérapeutique idéale. • Le recours aux corticoïdes topiques et aux émollients n’est que symptomatique et palliatif.

Dermatologie

Érythème

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Orientation diagnostique Dr Samira MANSOURI, Dr Selim ARACTINGI Unité de dermatologie, hôpital Tenon, 75020 Paris

Points Forts à comprendre

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• Les lésions érythémateuses peuvent être localisées ou disséminées. Les formes disséminées, également appelées exanthèmes (ou parfois avec le néologisme anglais de rash qu’il vaut mieux abandonner), fréquentes, représentent un réel problème de pratique quotidienne pour des médecins généralistes, des pédiatres et bien sûr des dermatologues. • Les exanthèmes peuvent revêtir différents aspects cliniques. La difficulté de leur prise en charge réside dans le manque de spécificité clinique et histologique des lésions et un grand nombre d’étiologies. • L’attitude pratique reste difficile à codifier. Les questions suivantes doivent être posées : est-ce une allergie à un médicament qu’il faut arrêter et contre-indiquer définitivement ? est-ce une infection virale dangereuse, telle une primo-infection par virus de l’immunodéficience humaine (VIH), ou un syndrome de Kawasaki ? est-ce une infection virale à risque tératogène chez une femme enceinte ? y a-t-il un risque d’infection bactérienne type scarlatine voire méningite à traiter ?

Principales origines des exanthèmes Les causes des exanthèmes maculo-papuleux sont multiples, mais restent dominées par trois principaux cadres étiologiques : les infections virales, les accidents médicamenteux et les éruptions toxiniques.

Infections virales Les éruptions d’origine virale sont extrêmement fréquentes, en particulier chez l’enfant. De très nombreux virus peuvent être en cause.

1. Entérovirus Il s’agit d’une famille de petits virus à ARN regroupant les échovirus et les coxsackies virus. Ils sont transmis par voie fécale et donnent lieu à de petites épidémies surtout estivales. Les entérovirus sont responsables de 65 % des éruptions d’allure virale chez l’enfant et concerneraient principalement les enfants issus de milieu social défavorisé. Les entérovirus sont responsables d’exanthèmes maculo-papuleux habituellement fébriles, associés ou non à d’autres symptômes notamment respiratoires, digestifs ou neuro-méningés. Les exanthèmes induits par ces virus ont malheureusement peu de spécificité clinique et sont habituellement suspectés sur un faisceau d’arguments. La muqueuse buccale peut être érythémateuse. Les adénopathies sont relativement rares. En raison du très grand nombre de sérotypes et de l’absence de réaction de groupe facilement détectable, les sérologies restent d’utilisation limitée (à certains sérotypes fréquentes tels l’écho 9, le coxsackie B5, etc.). L’isolement du virus est possible (en particulier dans les selles) ; mais le plus souvent, le diagnostic de certitude n’est pas nécessaire et sera simplement proposé.

2. Rougeole Due à un membre de la famille des paramyxovirus, il s’agit d’une affection encore fréquente et grave dans les pays en voie de développement. En Europe, elle est habituellement bénigne et beaucoup plus rare depuis l’ère de la vaccination. L’exanthème survient 10 jours après le contage. La phase prodromique est marquée par un catarrhe oculo-naso-pharyngien chez un enfant grognon et fatigué. Le signe de Köplik, semis de petits points blanc bleuté sur une base érythémateuse à la face interne des joues, longtemps considéré comme pathognomonique de la rougeole, est en réalité parfois observé dans d’autres infections virales. L’exanthème est maculo-papuleux, respectant des intervalles de peau saine. Le terme de morbilliforme (utilisé pour décrire certains des exanthèmes) veut dire « comme une rougeole ». Cet exanthème débute classiquement au visage et derrière les oreilles avec une évolution descendante touchant le tronc puis les membres. La guérison survient avec une phase de desquamation postinflammatoire. Le diagnostic de certitude peut être obtenu par l’isolement viral des sécrétions respiratoires et (ou) par la sérologie. LA REVUE DU PRATICIEN (Paris) 1997, 47

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É RY T H È M E

3. Rubéole Il s’agit là encore d’un problème devenu bien moins fréquent dans les nations occidentales depuis les campagnes de vaccination. Après une période d’incubation silencieuse de 2 à 3 semaines, survient un exanthème maculo-papuleux débutant au visage et s’accompagnant d’une fièvre modérée et typiquement d’adénopathies occipitales et cervicales postérieures. À la différence de la rougeole, l’éruption est faite de nappes beaucoup moins inflammatoires, plutôt rosées, moins étendues également. C’est une affection toujours bénigne sauf chez la femme enceinte séronégative étant donné le risque de malformations fœtales. Le diagnostic est sérologique et repose sur la mise en évidence d’une séroconversion ou plus souvent d’IgM spécifiques anti-rubéole signant l’infection récente. Une sérologie de rubéole doit être exigée lors de toute éruption chez une femme enceinte ou chez quelqu’un de son entourage.

4. Herpès virus Ils peuvent être à l’origine de nombreux exanthèmes. • Cytomégalovirus (CMV) et virus d’Epstein-Barr (EBV) se transmettent essentiellement par voie respiratoire. Un exanthème survient dans 3 à 19 % des « mononucléoses EBV » et 10 à 40 % des « mononucléoses CMV ». Cette éruption n’a aucune vraie particularité clinique et est le plus souvent d’allure morbilliforme. Des adénopathies et une atteinte muqueuse sont possibles. Par un mécanisme encore inconnu, la fréquence de l’éruption atteint 90 à 100 % des cas quand les individus infectés par EBV ou CMV ont été traités par de l’ampicilline. De là vient la classique contre-indication de l’ampicilline devant une angine – dans la crainte que celle-ci ne soit un symptôme d’infection EBV – et qu’un exanthème ne se développe donc. Le diagnostic repose sur la sérologie pour EBV et pour le CMV, la virémie ou la présence d’IgM spécifiques. • Le virus herpès 6 (HHV6) identifié en 1988, est responsable de l’exanthème subit (également appelé roséole infantile) mais aussi de fièvres isolées de l’enfant. Le pic d’incidence de l’exanthème subit a lieu chez l’enfant entre 6 mois et 2 ans. Le tableau débute brutalement par une fièvre à 39-40 °C isolée pendant 2 à 3 jours, suivie, lors de la défervescence thermique, d’une éruption maculopapuleuse. Celle-ci est traditionnellement roséoliforme, c’est-à-dire que les lésions sont de petites macules rose pâle. Le diagnostic sérologique et (ou) l’isolement viral sont limités aux laboratoires de recherche.

5. Parvovirus B19 (PVB19) Il s’agit d’un virus de reconnaissance là encore récente (1983). Il est responsable du mégalérythème épidémique (ou 5e maladie), d’autres manifestations cutanées plus rares et de crises d’érythroblastopénie aiguë (chez les individus ayant une hémoglobinopathie car ce virus se multiplie dans les érythroblastes). Les études séro-épidémiologiques ont montré que près de 65 % des adultes avaient été en contact avec le PVB19, habituellement avant 10 ans. La transmission est respiratoire et après une phase virémique silencieuse survient un tableau clinique assez

Classification des principaux virus responsables d’exanthèmes Famille Adenoviridae Herpesviridae

Génome ADN db ADN db

Parvoviridae Hepadnaviridae Picornaviridae

ADN sb ADN sb ARN sb

Retroviridae

ARN sb

db : double brin ; sb : simple brin.

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L A R E V U E D U P R AT I C I E N ( P a r i s ) 1997, 47

Espèce virale Adénovirus (plus de 40 types) CMV EBV Herpès virus 6 Parvovirus B19 Hépatite B Coxsackies A et B (29 types) Écho (32 types) VIH

Dermatologie spécifique du mégalérythème. Il s’agit d’une éruption qui sur les membres a un aspect réticulé à contours circinés « en guirlandes » et un aspect rouge œdémateux « souffleté » du visage. Une anémie est observée surtout en cas d’hémoglobinopathie. Des arthrites sont fréquentes chez l’adulte. Le diagnostic repose sur la mise en évidence d’IgM spécifiques qui est un examen sensible et spécifique.

6. Primo-infection par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH)

1

Exanthème morbilliforme d’origine médicamenteuse.

Médicaments à risque élevé (> 3 %) de toxidermies Allopurinol Amoxicilline Ampicilline Carbamazépine Isoniazide

Phénytoïne Produits de contraste iodés Rifampicine Sulfadiazine Sulfaméthoxazoletriméthoprime D-pénicillamine Sulfasalazine

Pour des raisons de prévention, de prise en charge et de gravité, il s’agit à l’évidence de la cause la plus importante à reconnaître. En effet, dans 28 % des primoinfections par le VIH, se développe une éruption cutanée dont l’aspect clinique est malheureusement sans spécificité, souvent morbilliforme. Il faut néanmoins insister sur l’atteinte palmoplantaire qui est fréquente, sur la présence d’érosions endobuccales quasi constantes, sur la fièvre et les polyadénopathies. De plus, des signes méningés, digestifs ou respiratoires peuvent se voir. Un syndrome mononucléosique est fréquent sur l’hémogramme. Le diagnostic repose sur la présence d’une antigénémie VIH p24 positive, sans anticorps anti-VIH, suivie 4 à 6 semaines plus tard de l’apparition de ces anticorps. Le problème est de savoir face à quel érythème exiger ces recherches. Il n’est pas possible de fournir une réponse précise à cette question, ce d’autant que l’antigénémie n’est pas un examen bon marché et que sa pratique peut générer une anxiété dans l’attente des résultats. De manière pragmatique, l’expérience des auteurs est de le proposer chez tout adulte jeune se présentant avec un exanthème et des érosions buccales ; devant tout exanthème d’un sujet appartenant à un groupe à risque et de manière beaucoup plus nuancée en cas d’éruption accompagnée de fièvre et d’adénopathies.

Accidents médicamenteux Les exanthèmes maculo-papuleux constituent la forme clinique la plus fréquente des toxidermies (ce mot est simplement synonyme d’éruptions cutanées induites par un médicament). Ces exanthèmes peuvent revêtir un aspect morbilliforme, scarlatiniforme ou roséoliforme et peuvent comporter une atteinte muqueuse, de la fièvre et parfois un prurit. Une hyperéosinophilie peut être présente à l’hémogramme. Il faudra systématiquement rechercher des signes de gravité associés : érosions muqueuses, décollement bulleux et (ou) signe de Nikolsky. De telles manifestations font en effet craindre une évolution vers une toxidermie grave à savoir une nécrolyse épidermique toxique (anciennement appelée syndrome de Lyell) ou un syndrome de Stevens-Johnson. Les exanthèmes d’origine médicamenteuse surviennent classiquement entre 7 et 21 jours après l’introduction de la molécule (avec un pic à J9). Néanmoins, chez les patients ayant déjà fait un accident, la survenue est plus précoce : 2 à 3 jours après la prise du médicament. Devant un exanthème maculo-papuleux, la démarche d’imputer cette éruption à un médicament est de type probabiliste. Elle est basée essentiellement sur des critères chronologiques (c’est-à-dire que l’éruption survient dans un laps de temps compatible avec une toxidermie et qu’en outre à l’arrêt du médicament, l’éruption régresse). La difficulté du diagnostic réside dans le fait qu’il n’existe pas de réelle spécificité clinique, histologique, biologique (TTL, RAST, etc.) ni de tests cutanés qui permettent d’affirmer avec certitude qu’une éruption est médicamenteuse. Le test de réintroduction médicamenteuse a ce pouvoir, mais est le plus souvent d’éthique discutable vu les risques qu’il fait encourir. C’est pourquoi devant un exanthème maculo-papuleux, le diagnostic de toxidermie sera effectivement probabiliste.

Toxoplasmose La primo-infection par Toxoplasma gondii, lorsqu’elle est symptomatique, se manifeste habituellement par un exanthème morbilliforme avec ou sans fièvre mais s’accompagnant souvent d’adénopathies cervicales. Le diagnostic qui est fondamental à faire chez une femme enceinte en raison du risque malformatif repose sur la sérologie qui est facile et spécifique avec mise en évidence d’IgM anti- T. gondii ou une ascension des IgG. LA REVUE DU PRATICIEN (Paris) 1997, 47

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ÉRYTHÈME

Éruptions toxiniques Elles sont secondaires à la production de toxines par certaines bactéries. Il s’agit essentiellement d’éruptions scarlatiniformes.

1. Scarlatine classique Liée aux streptocoques β-hémolytique du groupe A producteurs de toxine érythrogène, elle est devenue rare actuellement et touche surtout l’enfant. L’éruption scarlatiniforme est précédée d’une angine érythémateuse et fébrile. L’atteinte muqueuse comportant un V lingual au 4e jour (2/3 antérieurs de la langue érythémateuse dépapillée et 1/3 postérieur indemne en arrière d’un V) est très évocatrice du diagnostic. L’éruption débute aux grands plis et se propage aux membres et au tronc sous forme de grandes nappes chaudes cuisantes, rouges, typiquement sans intervalles de peau saine (définissant le caractère sémiologique de « scarlatiniforme »). L’évolution se fait vers la desquamation qui prend un aspect en doigts de gants aux extrémités et en lambeaux sur le reste du corps. En l’absence de traitement antibiotique, des complications post-streptococciques (rhumatisme articulaire aigu, glomérulonéphrite aiguë) sont possibles. Le diagnostic clinique est relativement aisé à évoquer et sera conforté par la mise en évidence de streptocoque β-hémolytique dans les prélèvements de gorge et (ou) un taux élevé des anticorps antistreptolysine O (ASLO).

2. Scarlatine staphylococcique Rare et liée à une toxine érythrogène produite par un staphylocoque ayant un phage du groupe II, elle réalise une éruption scarlatiniforme proche de celle de la scarlatine classique. Le foyer infectieux initial est souvent amygdalien.

3. Éruptions à Corynebacterium 2

Exanthème morbilliforme d’origine médicamenteuse.

D’individualisation récente, elles sont la conséquence d’une toxine produite par Corynebacterium hemolyticum. Elles se caractérisent par un tableau de scarlatine de l’adulte avec angine. Le prélèvement de gorge permet l’isolation du germe et le traitement repose sur l’antibiothérapie (macrolides).

4. Toxic schok syndrome Cette éruption est la conséquence de la production d’une toxine particulière (appelée TSST1 pour toxic schock syndrome toxin 1) par un staphylocoque doré, dont le foyer initial a souvent été la présence de tampons vaginaux périodiques surinfectés par un staphylocoque producteur de cette toxine. Le tableau caractéristique associe une éruption scarlatiniforme intense, une fièvre élevée, un état de choc, des douleurs abdominales et des vomissements. Des défaillances viscérales sont présentes (3 au moins dans les critères de diagnostic du toxic shock).

5. Staphylococcal scalded skin syndrome (SSSS) À la limite de ce cadre des érythèmes car le tableau est rapidement celui d’un décollement superficiel, il atteint essentiellement les nouveau-nés, les nourrissons et le jeune enfant et débute par un érythème scarlatiniforme, rugueux et douloureux au palper qui évolue rapidement vers la nécrolyse épidermique superficielle.

Autres causes d’éruptions maculo-papuleuses 1. Méningite à méningocoque Il faut y penser systématiquement car une éruption maculo-papuleuse d’allure banale (non purpurique) peut se voir dans un pourcentage non négligeable de cas, notamment dans les formes de l’enfant.

2. Fièvre boutonneuse méditerranéenne C’est une rickettsiose due à Rickettsie conori transmise par une piqûre de tique et siégeant de façon endémique au pourtour méditerranéen. Elle survient de façon saisonnière, principalement en été et au début de l’automne. Le tableau est caractéristique. Après une période d’incubation de 4 à 10 jours, la maladie débute par une fièvre à 39 °C avec céphalées et arthralgies, suivie d’une érup894

LA REVUE DU PRATICIEN (Paris) 1997, 47

Dermatologie tion maculo-papuleuse. Celle-ci comporte des lésions éparses, lenticulaires, rosées. La morsure de tique réalise une « tache noire escarrotique », caractéristique à rechercher attentivement sur les zones découvertes, les plis de flexion, le scrotum, au cuir chevelu ou rétro-auriculaire chez l’enfant. Le diagnostic essentiellement clinique sera confirmé par les sérologies qui mettent en évidence des IgM spécifiques et (ou) une ascension des IgG. Le traitement repose sur les cyclines.

3. Syphilis secondaire

3

Exanthème scarlatiniforme d’origine médicamenteuse.

Grand classique des diagnostics différentiels dermatologiques, il faut donc bien sûr y songer devant un exanthème maculo-papuleux. Six à huit semaines après un chancre (passé inaperçu ou non) sans traitement, apparaît une éruption roséoliforme faite de macules pâles, discrètes, à la limite de la visibilité, essentiellement localisées au tronc et disparaissant rapidement en une semaine. Peu après surviennent les érosions linguales (plaques fauchées), les papules ou syphilides papuleuses, et l’alopécie. Des adénopathies cervicales postérieures sont classiques. Le diagnostic est confirmé par les réactions sérologiques (FTA, TPHA, VDRL) qui sont toutes positives à ce stade.

4. Maladie de Kawasaki C’est une vascularite probablement d’origine virale qui touche essentiellement les enfants. De diagnostic très difficile, elle se caractérise par une éruption scarlatiniforme particulière par l’intensité de l’érythème et de l’œdème palmoplantaire. Une conjonctivite bilatérale, une cheilite, de la fièvre et une altération grave de l’état général sont habituelles. Des critères de diagnostic ont été établis. En raison des risques cardiaques (anévrisme coronaire) et de la réduction de ce risque par un traitement (aspirine plus immunoglobulines intraveineuses) ; il faut évoquer ce diagnostic devant une éruption sévère.

5. Maladie de Still de l’adulte

4

Exanthème morbilliforme d’origine virale.

Les manifestations dermatologiques de cette maladie systémique sont marquées par une éruption érythémateuse, très fugace, d’allure urticarienne. Les lésions sont récidivantes et le diagnostic repose sur un faisceau présomptif d’arguments (arthralgies, syndrome inflammatoire, négativité de la recherche d’auto-anticorps, ferritinémie élevée).

6. Réaction aiguë du greffon contre l’hôte Elle survient après greffe de moelle osseuse allogénique, et est liée à la reconnaissance des tissus de l’hôte par des lymphocytes T du donneur. Elle se manifeste par une éruption maculo-papuleuse morbilliforme ou scarlatiniforme avec une atteinte acrale majeure (oreilles, paumes, plantes). Une diarrhée et une cholestase sont parfois associées (GVHD digestive et hépatique).

Éléments d’orientation diagnostique devant un exanthème maculo-papuleux Le principal problème est de discriminer s’il s’agit d’une toxidermie, d’une éruption virale et dans un 3e temps s’il s’agit d’une autre cause (toxine, etc.). Les principaux items qui doivent être pris en compte sont les suivants :

1. Interrogatoire Il doit préciser en détail les prises médicamenteuses (quels médicaments ? leur chronologie précise par rapport à l’éruption, pourquoi ont-ils été prescrits ?), la notion de contage, le contexte (voyages, greffe, piqûre). Le plus souvent on retrouve la notion de prodromes d’allure virale ayant conduit à une ou plusieurs prises médicamenteuses rendant 2 hypothèses plausibles : éruption virale ou éruption médicamenteuse. LA REVUE DU PRATICIEN (Paris) 1997, 47

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É RY T H È M E

Points Forts à retenir

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• En dehors de la rougeole et du mégalérythème épidémique, les éruptions d’origine virale n’ont aucune spéficité clinique permettant de penser à un virus plutôt qu’un autre. • Par ailleurs, le diagnostic sérologique est presque impossible vu le grand nombre de sérotypes existant. • La primo-infection par le VIH représente une cause à évoquer et à rechercher dans certaines circonstances particulières. • La confrontation des éléments cliniques et biologiques permettra de déterminer la conduite pratique.

2. Aspects cliniques cutanés Les caractères sémiologiques de ces éruptions (couleur, mode de regroupement et taille des lésions) définissent différents aspects. • L’érythème morbilliforme est fait de macules ou de maculo-papules érythémateuses parfois confluentes mais respectant des intervalles de peau saine. • L’érythème scarlatiniforme réalise de vastes placards rouge vif confluents sans intervalles de peau saine. La desquamation postinflammatoire y est caractéristique (doigts de gants et lambeaux). • L’érythème roséoliforme correspond à des lésions maculeuses de petite taille et de couleur rose pâle. Tous les exanthèmes disséminées peuvent devenir purpuriques aux membres inférieurs sans que cela signifie forcément que l’on est face à une vascularite sévère. Enfin toutes ces lésions peuvent s’accompagner d’atteintes muqueuses, le plus souvent buccale ou oculaire et de signes généraux, notamment de la fièvre. L’aspect clinique de ces éruptions oriente malheureusement rarement vers une étiologie précise, excepté dans la rougeole, le mégalérythème épidémique et la fièvre méditerranéenne familiale.

3. Examen clinique extracutané Il doit toujours être pratiqué et doit vérifier la présence d’une angine, d’une pneumopathie, d’une méningite, de signes digestifs, de polyadénopathies, de splénomégalie. La présence de l’un quelconque de ces signes peut apporter des éléments d’orientation pour analyser l’érythème.

4. Histologie Elle est dans la majorité des cas inutile car elle n’a quasiment aucune spécificité. Elle retrouve un infiltrat inflammatoire dermique de cellules mononucléées, (habituellement des lymphocytes T), associé à des signes épidermiques d’intensité variable allant de la simple ballonisation des kératinocytes jusqu’à la nécrose cellulaire. Cette image est quasi similaire dans les éruptions d’origine virale ou médicamenteuse.

5. Autres éléments cliniques de bonne valeur d’orientation • L’âge : chez l’enfant les causes virales sont plus fréquentes, alors que chez l’adulte ce sont les causes médicamenteuses. • Le prurit serait un peu plus fréquent dans les éruptions médicamenteuses. • L’hémogramme : la lymphopénie et un syndrome mononucléosique sont en faveur d’une étiologie virale, alors que l’hyperéosinophilie oriente plutôt vers une cause médicamenteuse.

6. Recherches virales En raison du grand nombre de virus potentiellement responsables d’éruptions maculo-papuleuses, il est impossible de faire une recherche virologique totalement exhaustive. Seuls un ou quelques virus pourront être recherchés (IgM du PVB19).

7. Tests biologiques des toxidermies Ils ont donné lieu à une multiplication d’examens qui avaient pour objectifs de déterminer au moment même ou a posteriori si un sujet était « allergique » à un médicament. Malheureusement dans l’immense majorité des cas, les tests biologiques n’ont aucun intérêt. Le test de transformation lymphoblastique et le test de dégranulation des basophiles sont dépourvus de tout intérêt. Les tests épicutanés et les tests intradermiques n’ont de valeur que dans les réactions d’hypersensibilité immédiates, notamment à la pénicilline. ■

POUR EN SAVOIR PLUS Aractingi S, Roujeau JC. Diagnostic d’une éruption maculo-papuleuse. Ann Dermatol Venerol 1992 ; 119 : 307-11. Wolkenstein P, Roujeau JC. Toxidermies. Encycl Med Chir (Paris-France). Dermatologie 12-930-A-10, 1995, 7 pp.

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LA REVUE DU PRATICIEN (Paris) 1997, 47

Dermatologie A 22

Érythème noueux Orientation diagnostique DR Ivan LOZE, PR Jean-François STALDER Clinique dermatologique, hôtel-Dieu, 44093 Nantes Cedex 1.

Points Forts à comprendre • L’érythème noueux est une dermo-hypodermite nodulaire aiguë aux causes multiples. • La pathogénie reste encore mystérieuse, mais fait probablement intervenir une cascade de réactions immunologiques, déclenchée par un certain nombre de stimulus antigéniques. 1 Érythème noueux des membres inférieurs.

Diagnostic positif Examen clinique L’érythème noueux se caractérise par une lésion élémentaire : la nouure, qui s’associe à un ensemble de signes généraux et fonctionnels.

1. Signes généraux et fonctionnels Une fièvre précède l’éruption de quelques jours, d’intensité variable (38 à 39 ˚C). Elle s’accompagne de sueurs, d’une asthénie plus ou moins marquée, de céphalées. Une pharyngite érythémateuse modérée est présente. Des douleurs articulaires, fréquentes, diffuses, peuvent précéder l’éruption de quelques jours. Elles sont très intenses, alors que l’examen clinique ne retrouve pas de signes inflammatoires articulaires. L’intensité de ces signes est variable d’un patient à un autre, avec fréquemment une recrudescence lors de l’apparition des nouures.

Elles sont très douloureuses à la pression, et peu mobiles sur les plans profonds, enchâssées dans le derme et l’hypoderme, avec une chaleur locale augmentée. Leur évolution est cyclique. Chaque élément disparaît en 6 à 10 jours, prenant toutes les teintes de la biligénie locale (rouge puis violacée, puis verdâtre et jaunâtre) (fig. 3). Elles n’évoluent jamais vers l’ulcération et ne donnent pas de cicatrice. Cette éruption comporte 2 ou 3 poussées successives, donnant un aspect polymorphe, avec des éléments d’âge différent. La durée totale n’excède pas en général 3 semaines, mais elle peut persister plus longtemps.

2 Érythème noueux des membres supérieurs.

2. Nouures (fig. 1 et 2) Elles siègent surtout au niveau des membres, sur leur face d’extension, de façon bilatérale, grossièrement symétrique. Les membres inférieurs sont le plus souvent atteints. Les lésions siègent à la face antérieure de la jambe, le long de la crête tibiale, aux régions sus-malléolaires, au-dessous du genou, à la rotule. L’atteinte du dos du pied, de la cuisse et de la fesse est beaucoup plus rare. Les membres supérieurs sont plus rarement atteints, à la face postérieure du bras et de l’avant-bras. Les muqueuses sont toujours respectées. Les nouures sont des lésions de couleur rose vif, puis rouges, de diamètre allant de 1 à 4 cm. Ces nouures sont lisses, ovalaires surélevées, à limites peu précises.

3 Évolution contusiforme de l’érythème noueux.

LA REVUE DU PRATICIEN 1999, 49

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ÉRYTHÈME NOUEUX

Examens paracliniques 1. Examens biologiques On retrouve constamment un syndrome inflammatoire : vitesse de sédimentation augmentée, protéine C réactive élevée, augmentation de fibrinogène, augmentation des α2-globulines à l’électrophorèse des globulines, et une hyperleucocytose à polynucléaires neutrophiles. Mais ces signes n’ont aucune spécificité.

2. Examens anatomopathologiques L’histologie est inutile. En effet, elle ne permet pas d’orienter le diagnostic étiologique et le diagnostic d’érythème noueux est clinique. Il existe une hypodermite septale avec initialement un infiltrat de polynucléaires neutrophiles, situé autour des capillaires et des veinules. Plus tard l’infiltrat devient lympho-histiocytaire et les septums interlobulaires apparaissent élargis. Il n’y a pas de réelle vasculite.

Diagnostic différentiel Dans sa forme typique, d’intensité majeure, d’allure subaiguë ou aiguë, l’érythème noueux ne pose pas en pratique de problème de diagnostic différentiel. Ce sont plutôt les formes récidivantes ou durables d’érythème noueux, qui doivent faire éliminer les autres hypodermites. La biopsie cutanée est alors indispensable au diagnostic étiologique. Cette biopsie sera large et profonde au bistouri, le plus souvent chirurgicale.

Vasculites nodulaires (ancien érythème induré de Bazin) Elles réalisent des nodules douloureux, mal limités, rouge violacé, siégeant sur les jambes, sensibles à la palpation. Elles touchent surtout la femme d’âge moyen, pléthorique et évoluent fréquemment vers une ulcération, laissant une cicatrice pigmentaire légèrement atrophique. Le nombre de poussées par an est variable et l’évolution se fait sur plusieurs années. Elles étaient autrefois rapportées à la tuberculose, mais aujourd’hui cette hypothèse est controversée.

Panniculites 1. Panniculite de Weber-Christian C’est une affection rare, idiopathique touchant surtout la femme entre 30 et 50 ans. Elle apparaît sous la forme de nodules mal limités, saillants, violacés ou rosés, fermes, sensibles à la palpation, touchant les membres inférieurs, mais aussi les fesses et l’abdomen. L’évolution est caractéristique. Après 2 à 3 semaines, les nodules régressent, soit en laissant une dépression cupuliforme, 1900

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soit en se fistulisant en laissant sourdre un liquide huileux. Ces lésions s’associent à des signes généraux : fièvre à 39 ˚C, arthralgies, signes digestifs, cardiaques (péricardique), pulmonaires (pleurésie). On en rapproche les panniculites enzymatiques.

2. Panniculites enzymatiques • Cytostéatonécrose pancréatique : une pancréatite chronique, un cancer du pancréas, peuvent provoquer des foyers de nécrose dans le tissu adipeux des organes profonds et, exceptionnellement, des lésions de panniculites au niveau des membres inférieurs. Les examens biologiques retrouvent une augmentation de l’amylasémie et de la lipasémie. • Déficit en α1-antitrypsine homozygote : classiquement responsable d’un emphysème pulmonaire et d’une cirrhose hépatique, il peut donner des lésions de panniculite, dont le tableau se rapproche de la maladie de Weber-Christian.

3. Panniculite histiocytaire cytophagique Elle est caractérisée par l’infiltration du tissu souscutané par des histiocytes, renfermant des globules rouges et des globules blancs. Des signes généraux (fièvre, altération de l’état général) et des troubles de la coagulation, de type coagulation intravasculaire disséminée, parfois mortels, s’associent à des nodules ecchymotiques, parfois ulcérés, siégeant sur les membres, le tronc ou la face.

4. Panniculites physiques • Panniculites d’origine thermique : le froid, surtout chez le nourrisson et l’enfant, peut être responsable de l’apparition de nodules inflammatoires, rapidement régressifs, des zones exposées. Plus rare chez l’adulte, elles peuvent se voir notamment lors de la pratique du ski. Elles siègent alors à la face externe des cuisses. • Panniculites d’origine traumatique : elles touchent le plus souvent les sujets obèses, et entrent parfois dans le cadre d’une pathomimie.

5. Autres causes de panniculites • Les panniculites lupiques sont une expression rare de la maladie lupique (environ 5 % des lupus érythémateux). • Les panniculites infectieuses sont dues à la présence d’un germe dans le nodule. Il peut s’agir d’un germe pyogène, c’est le cas des abcès dits « lymphangitiques » qui succèdent à un érysipèle, ou d’un nodule à mycobactéries atypiques, surtout à Mycobacterium marinum chez les propriétaires d’aquarium, plus rarement d’une mycose profonde chez un patient immunodéprimé (infection par le virus de l’immunodéficience humaine – VIH ). • Les panniculites calcifiantes surviennent chez les insuffisants rénaux chroniques dialysés, avec hyperparathyroïdie et hyperphosphorémie, entraînant la formation de dépôts calciques dans l’hypoderme.

Dermatologie

Diagnostic étiologique Streptocoque β-hémolytique Les infections à streptocoques, principalement ORL, semblent être la cause la plus fréquente d’érythème noueux, 8 à 63 % selon les séries. Certaines particularités cliniques orientent parfois vers l’étiologie streptococcique : début aigu, hautement fébrile, arthralgies intenses, nouures volumineuses, étendues, très inflammatoires, en nombre important, électivement péri-articulaires. La notion d’infection streptococcique (angine, otite, sinusite), 1 à 3 semaines auparavant est importante, mais pas spécifique. Par contre la notion de récidive d’érythème noueux, précédée par une infection des voies aériennes supérieures et l’efficacité d’une antibiothérapie antistreptococcique sont des arguments importants. Les arguments paracliniques sont constitués par la mise en évidence du streptocoque lors de l’infection des voies aériennes, et l’ascension des anticorps antistreptococciques (antistreptolysines O, antistreptokinases et antistreptodornases).

typhoïde, tularémie, brucellose, hépatite B (surtout la vaccination contre l’hépatite B), rickettsioses, oreillons, rougeole, leptospirose.

Causes médicamenteuses De nombreux médicaments ont été rendus responsables d’érythème noueux. Mais l’imputabilité est souvent discutable. Les anti-inflammatoires et l’aspirine sont peutêtre incriminés à tort car ils sont probablement donnés pour les signes généraux de l’érythème noueux. Le rôle des contraceptifs œstroprogestatifs est classiquement décrit, mais probablement surestimé.

Cas particuliers • Les éruptions nodulaires observées au cours de la lèpre ou de la maladie de Behçet ne sont plus à classer dans le cadre des érythème noueux, car elles sont liées à un processus de vasculite. • Dans plus de 50 % des cas, l’enquête étiologique reste négative. ■

Sarcoïdose Elle est une cause fréquente d’érythème noueux, 11 à 33 % selon les différentes séries publiées. L’association d’un érythème noueux, d’adénopathies hilaires bilatérales et, dans 80 % des cas, une anergie tuberculinique, constitue le syndrome de Löfgren.

POUR EN SAVOIR PLUS Crickx B. Les panniculites. Objectif Peau 1998 ; 6 : 341-4.

Primo-infection tuberculeuse

Points Forts à retenir

C’est une cause devenue rare, mais il faut y penser en premier lieu chez l’immigré et chez l’enfant. Un virage de l’intradermo-réaction à la tuberculine (ou une réaction très positive ou phlycténulaire) associée à une adénopathie médiastinale unilatérale à la radiographie pulmonaire permet de faire le diagnostic.

Yersinioses Yersinia enterocolitica surtout chez la femme, Yersinia pseudo tuberculosis chez l’enfant et l’adolescent sont en cause. L’érythème noueux succède à des signes digestifs ou il les accompagne : diarrhée ou syndrome pseudoappendiculaire. Les coprocultures et les sérologies spécifiques permettent d’affirmer le diagnostic.



• •

Entéropathies inflammatoires Rectocolite hémorragique, plus souvent que maladie de Crohn : l’érythème noueux accompagne le plus souvent les poussées évolutives.

Autres causes infectieuses L’érythème noueux peut être associé à différentes infections : infection à chlamydia (Chlamydia trachomatis, Mycoplasma pneumoniæ), maladie des griffes du chat,



L’enquête étiologique doit être orientée par un interrogatoire et un examen clinique soigneux. Cependant un certain nombre d’explorations complémentaires peuvent être réalisées. Intradermoréaction à la tuberculine : une réaction très positive ou phlycténulaire doit faire évoquer une primo-infection tuberculeuse, alors qu’une anergie oriente vers une sarcoïdose. La radiographie pulmonaire cherche des adénopathies hilaires devant faire évoquer une sarcoïdose ou une tuberculose. L’ascension de l’enzyme de conversion de l’angiotensine apporte un argument supplémentaire au diagnostic de sarcoïdose, alors que l’ascension des antistreptolysines fait évoquer une infection à streptocoques. Les autres examens paracliniques (explorations fonctionnelles respiratoires, lavage bronchioloalvéolaire, recherche de bacille de Koch par tubage ou aspiration bronchique, biopsie transbronchique…) ne seront réalisés qu’en fonction du contexte.

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Dermatologie B 131

Escarres Étiologie, physiopathologie, prévention DR Patricia SENET, DR Sylvie MEAUME Service de gérontologie V, pavillon de l’Orbe, hôpital Charles-Foix, 94205 Ivry-sur-Seine.

Points Forts à comprendre

De nombreux facteurs favorisant la survenue des escarres ont été identifiés. • L’immobilité, c’est-à-dire la diminution des mouvements spontanés ou la limitation des possibilités de changements de position, peut être la conséquence d’un déficit neurologique, de troubles de la conscience, d’une fracture, etc. • Les troubles de la sensibilité empêchent au patient de ressentir le besoin de changer de position. Cela peut être consécutif à une atteinte médullaire, une neuropathie, un accident vasculaire cérébral, etc. • La malnutrition est reconnue comme la diminution des apports nutritionnels et l’impossibilité de manger seul. L’hypoalbuminémie est un reflet global, n’étant pas retrouvée dans toutes les études comme facteur de risque. • L’incontinence fécale est en cause plus que l’incontinence urinaire. Cependant, sa valeur est relative car l’incontinence est souvent liée à la diminution de la motilité. • Les maladies aiguës et les affections systémiques sont responsables d’une hypoperfusion et (ou) d’une hypoxie des tissus périphériques, de bas débits circulatoires lors d’une insuffisance cardiaque décompensée, d’une infection, etc. L’identification des patients à risque d’escarres se fait en pratique grâce à des scores sur des échelles validées, quantifiant différents facteurs de risque. L’échelle la plus utilisée à l’hôpital ou en institution est celle de Norton, bien qu’elle présente quelques insuffisances comme de ne pas apprécier l’état nutritionnel du patient (tableau I). L’échelle de Norton est uniquement gériatrique, l’échelle de Waterloo est plus générale. En France, ces échelles sont encore peu utilisées. Elles complètent le jugement clinique qui a aussi une certaine valeur.

• L’escarre est une affection fréquente, due à l’hyperpression prolongée de la peau entre l’os et le support. • La peau se nécrose sur une profondeur variable en raison de l’occlusion des capillaires. • La prévention des escarres repose essentiellement sur le positionnement régulier des patients pour changer les points d’appui. Cette mesure permet d’agir sur les 2 facteurs essentiels étiologiques des escarres que sont la pression et la durée de l’hyperpression. • La prévention s’appuie sur des protocoles établis en fonction du risque d’escarres pour une prise en charge à la fois par les médecins et les soignants.

Une escarre se définit comme une nécrose ischémique des tissus compris entre le plan du support sur lequel repose le sujet et le plan osseux.

Étiologie Le facteur étiologique des escarres est avant tout l’hyperpression de la peau entre 2 plans durs (l’os et le support), responsable de l’occlusion des capillaires aboutissant à une ischémie puis à une nécrose tissulaire. La durée de l’hyperpression est un facteur déterminant, indépendant. La prévalence des escarres chez les patients hospitalisés en gériatrie est élevée (voir : Pour approfondir).

TABLEAU I Échelle traduite de Norton A – Condition physique ❑ Bonne ❑ Moyenne ❑ Pauvre ❑ Mauvaise Total A

4 3 2 1

B – Condition mentale ❑ Alerte ❑ Apathique ❑ Confus ❑ Stuporeux Total B

4 3 2 1

C – Activité ❑ Ambulant ❑ Marche avec aide ❑ Mis au fauteuil ❑ Couché Total C

D – Mobilité 4 3 2 1

❑ Complète ❑ Légèrement diminuée ❑ Très limitée ❑ Immobile

E – Continence 4 3 2 1

Total D

❑ Totale 4 ❑ Incontinence occasionnelle 3 ❑ Incontinence urinaire 2 ❑ Incontinence totale 1 Total E

Un total A + B + C + D + E < 14 indique un patient à risque. Plus le score obtenu est faible, plus le risque est grand.

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ESCARRES

I

II

III

IV

1

Différents stades d’escarres. I : érythème sur peau intacte ; II : épidermolyse, phlyctène ; III: destruction du tissu cutané ; IV: nécrose.

Physiopathologie Une classification anatomo-clinique en 4 stades de l’escarre est reconnue sur le plan international (tableau II). L’évaluation reste néanmoins difficile tant que la plaie n’a pas été totalement débarrassée de toute la nécrose et du tissu fibrineux (fig. 1). Les aspects histopathologiques des différents stades de l’escarre montrent que les dommages occasionnés par la pression atteignent en premier lieu les structures profondes (graisse sous-cutanée, vaisseaux dermiques) plus sensibles que le derme et l’épiderme à la pression et que l’aspect initial érythémateux semble être le « sommet de l’iceberg ». Les 3 facteurs locaux impliqués dans la formation des escarres sont les forces de pression, les forces de cisaillement et la friction. La macération est un facteur local accessoire, plus source de dermabrasion que d’escarre.

Pression Il s’agit de forces perpendiculaires s’exerçant sur une surface limitée de tissu vivant. La pression est généralement concentrée sur les proéminences osseuses. Les tissus mous situés entre le relief osseux et le support sous-jacent sont comprimés. Des pressions au-dessus de 32 mmHg 1966

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dépassent les pressions capillaires entraînant une chute du débit sanguin local et des échanges gazeux. Plus la pression est élevée et plus l’escarre se constitue rapidement. La pression intervient par son intensité mais aussi par sa durée et sa répétition dans la constitution des dommages tissulaires. La pression peut se mesurer au lit du patient par des capteurs de pression interposés entre le patient et le support. Ces mesures permettent d’approcher indirectement l’évaluation de la qualité des différents supports utilisés dans la prévention du risque d’escarres.

Forces de cisaillement Ce sont les forces s’exerçant parallèlement ou obliquement par rapport au support. Elles sont dues au glissement du tissu adipeux sur le fascia par relative fixité de la peau sur le support, entraînant un étirement et une angulation des vaisseaux aponévrotiques et une réduction du débit sanguin. Les forces de cisaillement s’exercent surtout en position assise instable, au niveau de la région sacrée et lors des brusques changements de position par le patient lui-même ou par le personnel soignant. La mobilisation douce du patient par plusieurs personnes en même temps et la stabilisation des positions par des coussins (au lit), des ceintures et des reposepieds (au fauteuil) permettent de lutter contre ces forces de cisaillement.

Dermatologie

TABLEAU II Classification des escarres (adaptée de la classification établie par le National Pressure Ulcer Advisory Panel, 1989) Aspect clinique

Extension en profondeur

Stade I Érythème sur peau intacte, ne blanchissant pas Stade II Perte de substance superficielle : phlyctène

les actions préventives. Les zones à risque chez le sujet en décubitus sont les talons, le sacrum, les omoplates et l’occiput. Chez le sujet au fauteuil, ce sont essentiellement les ischions. L’éducation du patient ou de la famille quand cela est possible est un facteur essentiel pour la prévention des escarres chez les patients ambulatoires.

Changements de position 1. Installation du patient au lit Pour éviter les forces de frottement et de cisaillement, les patients sont soulevés du lit lors des changements de position, grâce à des appareils de levage, des potences, etc.

Épiderme et (ou) derme

Stade III Ulcération profonde ne dépassant pas le fascia des muscles

Tissu sous-cutané

Stade IV Ulcération profonde détruisant la totalité du tissu cutané, exposant les structures sous-jacentes

Os, tendons, articulations, muscles

2. Rythme de changement de position Il existe une relation inverse entre le nombre de mouvements spontanés et l’incidence des escarres. Bien qu’il n’y ait pas d’étude établissant le rythme nécessaire de changements de position en fonction du risque, la plupart des auteurs préconisent un changement de position toutes les 2 à 4 h, d’autant plus fréquent que le risque est élevé. Il faut également tenir compte du support utilisé : les supports à air dynamique, assurant des basses pressions sous les proéminences osseuses, permettent des changements moins fréquents de position que, par exemple, les supports en mousse.

3. Différentes positions

Friction Il s’agit de forces s’exerçant entre 2 surfaces se mobilisant l’une sur l’autre, responsables de décollements cutanés. Ces forces sont fréquemment responsables de l’ouverture initiale de la peau. Pour prévenir les conséquences des forces de friction, le patient doit être soulevé du plan du lit ou du fauteuil lorsqu’on le repositionne.

Macération La macération due à la transpiration ou à une incontinence urinaire et (ou) fécale augmente le risque d’escarre en altérant la barrière cutanée et en favorisant la pullulation microbienne. Sa prévention repose sur les changes réguliers des patients et sur une hygiène rigoureuse.

Prévention La prévention du risque d’escarres s’articule autour de grands principes. Toutes les actions préventives sont conjointes et doivent être établies dans un plan de soin, pour une prise en charge médicale et paramédicale. L’existence de protocoles de prévention des escarres au sein d’un service ou d’un établissement a été montrée comme diminuant l’incidence des escarres. Le risque d’escarres doit être régulièrement réévalué pour adapter

Le décubitus latéral strict à 90˚ expose le trochanter au risque d’escarre avec un risque élevé (quand l’escarre est constituée) d’arthrite septique. Le décubitus dorsal en position semi-assise génère des forces de cisaillement et expose le sacrum et les talons. Cependant, cette position est souvent la seule envisageable chez des sujets en insuffisance cardiaque ou recevant une nutrition entérale. Plusieurs études montrent l’efficacité du faux décubitus latéral antérieur ou postérieur droit et gauche où l’axe du bassin passant par les 2 ailes iliaques fait un angle de 30˚ avec le plan du support. Le décubitus ventral est possible chez les jeunes paraplégiques mais n’est pas envisageable chez le sujet âgé. Dans tous les cas, la position est stabilisée par des coussins pour éviter les forces de cisaillement et de frictions. Au fauteuil roulant, la stabilité et la réduction des forces de cisaillement et de friction sont assurées par un bon réglage de la hauteur des calepieds et une éventuelle inclinaison du dossier. Enfin, la kinésithérapie de mobilisation, d’abord passive puis active, évite les rétractions tendineuses, sources de positions « vicieuses » aggravant les points d’hyperpression.

Choix du support Les supports modernes (lits, matelas, surmatelas, coussins) permettent de mieux répartir les pressions et de les diminuer en regard des proéminences osseuses. Les supports sont comparés entre eux par la mesure des pressions d’interface grâce à des capteurs de pression placés entre le patient et le support ou par la mesure de la pression

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ESCARRES

transcutanée en oxygène à l’interface évaluant l’état vasculaire local. Peu d’études randomisées, contrôlées comparant 2 supports entre eux sont disponibles.

1. Supports statiques Il s’agit de matelas ou surmatelas, recouverts d’une housse, très répandus. Ils sont le plus souvent découpés en mousse de type gaufrier (Aplot, Cliniplot, Epsus…) ou à plots de mousse (Préventix, Kubivent, fig. 2), à air (fig. 3), gonflés en fonction du poids du patient (Kinéris, Repose, Roho…), à eau, en fibres siliconées (Spenco) ou en mousse « à mémoire » (Tempur, Alova) gardant la mémoire des formes qui leur sont appliquées pendant quelques secondes. La réduction des pressions est faible et continue grâce aux matériaux cités dits « conformables ». Ces supports sont indiqués pour la prévention des risques faibles à élevés.

2 Matelas en mousse à plots.

2. Supports dynamiques discontinus Il s’agit de supports (matelas ou surmatelas) motorisés, réduisant les pressions par gonflage-dégonflage alternés de différentes zones ou boudins du support. Ils disposent ou non de capteurs de pression pour s’adapter aux pressions enregistrées à l’interface entre le support et le patient. Les surmatelas sont indiqués dans la prévention des risques faibles (surmatelas à air alterné simples), élevés et le traitement des escarres débutantes (pour les surmatelas avec capteurs de pression). Les matelas sont indiqués dans le traitement des escarres constituées.

3. Lits « fluidisés » Ils ont longtemps été considérés comme une référence en matière de prévention et de traitement d’escarres constituées. Cependant, ce type de lit n’est pas adapté à la personne âgée car l’installation et le positionnement du patient y sont difficiles, exposant les sujets âgés au risque de rétractions tendineuses, de déshydratation et d’infections pulmonaires. Ils sont surtout utilisés pour des périodes transitoires en postopératoire des plasties de reconstruction des sujets jeunes.

4. Supports pour les fauteuils On dispose, comme pour les supports de lits, de coussins de gel de qualités variables, de coussins de mousse découpés en gaufrier ou à plots, de coussins à eau ou à air statique en alvéoles prégonflées (Sofcare). Il existe depuis peu des coussins à air alterné et basse pression.

Hygiène cutanée Pour éviter la macération, le patient est maintenu « au propre et au sec », grâce à des changes réguliers et à l’utilisation de matériel absorbant. Chez les patients incontinents, une sonde urinaire à demeure n’est pas indiquée pour autant en raison des risques infectieux. Les soins sont réalisés avec des produits non agressifs pour la peau : eau, savon doux. Les détergents et les antiseptiques, responsables au long cours de dermatoses allergiques ou caustiques sont proscrits. 1968

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3 Surmatelas à alvéoles d’air statique.

La protection de la peau par des films de polyuréthanne (type Upsite, Tégaderm) ou des hydrocolloïdes est souvent réalisée. Les massages n’ont pas fait la preuve de leur efficacité dans la stratégie de prévention et sont contre-indiqués au stade I de l’escarre. Des études histologiques et de microcirculation ont même remis en cause leur innocuité. Le moment de la toilette permet l’inspection des points de pression.

Traitement des affections associées La correction ou la prévention d’une dénutrition est recommandée dans la plupart des conférences de consensus. Cette démarche est logique mais son intérêt dans la prévention des escarres n’est pas clairement établi. La supplémentation systématique en vitamine C ou en zinc n’a pas d’intérêt en dehors d’un état de carence. La correction des affections associées, notamment celles responsables d’hypoxie (anémie, insuffisance respiratoire), de bas débit (sepsis, insuffisance cardiaque) ou de troubles de la conscience est indispensable même si leur impact sur l’incidence des escarres est difficile à estimer. Les escarres au talon surviennent préférentiellement sur un terrain artéritique. ■

Dermatologie

POUR EN SAVOIR PLUS Meaume S, Senet P. Prévention des escarres chez la personne âgée. Presse Med 1999 ; 28 : 1846-53.

POUR APPROFONDIR La prévalence des escarres chez les patients hospitalisés en gériatrie est de 10 à 20 %. Cette prévalence est plus importante dans les services d’orthopédie, de soins intensifs, ou de moyen séjour. Elle diminue dans les services de long séjour. L’incidence chez les personnes âgées est de 0,6 à 13 % (versus 1 à 5 % tous âges) soit 5,7 à 14,3 pour 1 000 patients par jour. Les escarres se constituent principalement à l’hôpital dans la semaine qui suit l’admission. La cicatrisation est généralement obtenue dans un délai de 3 à 5 mois. Les escarres sont un facteur de prolongation de la durée d’hospitalisation. La surmortalité importante qui leur est associée est principalement due aux maladies associées.

Points Forts à retenir • Les facteurs de risque de survenue d’escarres sont l’immobilité, les troubles de la sensibilité et, à un moindre degré, la malnutrition et l’incontinence fécale. • Les pathologies aiguës et les affections systémiques responsables de bas débits circulatoires sont des situations à haut risque d’escarres. • La pression, la durée de celle-ci, les forces de cisaillement et de friction sont les éléments principaux intervenant dans la physiopathologie des escarres. • La prévention repose sur les changements de position des patients toutes les 2 à 3 heures, sur le choix d’un support répartissant et diminuant les pressions en regard des proéminences osseuses, sur l’hygiène cutanée et le traitement des pathologies associées. • Les escarres sont un enjeu majeur de santé publique, tant pour la souffrance que pour l’altération de la qualité de vie et le coût qu’elles engendrent. Les protocoles de prévention sont assez clairement établis par des conférences de consensus européennes et américaines et ont montré leur efficacité.

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Dermatologie B 180

Herpès cutané et muqueux Épidémiologie, physiopathologie, diagnostic, évolution, traitement PR René LAURENT, DR Ch. DROBACHEFF Service de dermatologie II, CHU Saint-Jacques, 25030 Besançon Cedex.

Points Forts à comprendre • L’herpès cutanéo-muqueux est une des viroses humaines parmi les plus répandues. Maladie habituellement bénigne, mais volontiers récidivante, elle peut réaliser des formes viscérales gravissimes, en particulier neurologiques. • L’herpesvirus simplex comporte 2 types antigéniques : HSV1 (responsable des localisations céphaliques, oro-labiales et oculaires), et HSV2 (responsable de l’herpès génital). • La très grande fréquence de l’herpès génital en fait la maladie sexuellement transmissible la plus fréquente au monde. • La gravité de l’herpès néonatal, transmis dans 90 % des cas lors du franchissement de la filière génitale, justifie sa prévention. • L’immunité cellulaire joue un rôle majeur dans le contrôle de l’infection ; la réactivation d’un herpès au cours des déficits immunitaires du sida se manifeste souvent comme une maladie extensive, chronique ou généralisée. • Le diagnostic biologique de l’infection herpétique repose sur la culture. Le sérodiagnostic n’est utile que dans la primo-infection.

Épidémiologie Le seul réservoir du virus est l’homme, la contagion strictement interhumaine se faisant le plus souvent par contacts directs. L’infection par herpesvirus simplex de type 1 (HSV1) touche plus volontiers la partie supérieure du corps, en particulier le visage (herpès oro-labial et conjonctival), mais des infections HSV2 sont possibles dans cette localisation. L’herpesvirus simplex de type 2 (HSV2) est responsable des lésions de la partie inférieure du corps (organes génitaux, fesses) et des infections néonatales. Quatrevingts pour cent des herpès génitaux sont dus à HSV2, mais 20 % d’entre eux sont causés par HSV1. La transmission d’HSV1 se fait donc le plus souvent par contact oral et celle d’HSV2 par contact génital (la transmission de ce virus peut aussi avoir lieu par contact oro-génital).

Quel que soit le mode transmission, la probabilité de transmission après un contact est inconnue ; on considère cependant que cette transmission est beaucoup plus probable si les symptômes cliniques sont présents. • L’herpès oro-labial (HSV1) est très fréquent dans le monde et les études de séroprévalence montrent que la majorité des adultes (environ 70 %) est séropositive pour l’HSV. Cependant, la prévalence de l’infection à HSV1 décroît dans la population générale, en particulier dans les pays développés, avec baisse des infections acquises dans l’enfance. • L’herpès génital : toutes les études à travers le monde convergent pour constater la progression de l’herpès génital, devenu la maladie sexuellement transmissible (MST) la plus fréquente, malgré la pandémie du virus de l’immunodéficience humaine (VIH) et les mesures prophylactiques mises en œuvre (environ 600 000 poussées annuelles d’herpès génital en France). Les facteurs de risque sont essentiellement ceux liés à la sexualité, en particulier le nombre élevé de partenaires sexuels, une sexualité précoce et des antécédents de maladie sexuellement transmissible. L’acquisition d’HSV2 se fait à un âge de plus en plus jeune, en général inférieur à 20 ans. Les études séro-épidémiologiques (détection d’anticorps spécifiques HSV2) vont dans le même sens et l’on insiste actuellement sur la grande fréquence des porteurs asymptomatiques ; parmi les personnes séropositives pour HSV2, 20 à 50 % seulement ont des symptômes cliniques et 5 % de la population générale a un herpès génital symptomatique. Il ressort donc que l’excrétion virale asymptomatique est probablement un facteur majeur de transmission d’HSV2, mais que c’est en présence de lésions actives que l’efficacité de la transmission virale est la plus élevée. Selon des études prospectives sur des couples hétérosexuels, 70 % des contagions surviennent en période d’excrétion virale totalement asymptomatique. C’est dans les suites d’une primoinfection que l’excrétion virale d’HSV2 est la plus importante, en particulier au cours de la 1re année (maximale dans les 3 mois qui suivent l’infection primaire : période à haut risque d’herpès néonatal). Le risque de transmission d’HSV2 entre partenaires est plus élevé dans le sens femme-homme et une infection antérieure par HSV1 (par ex. contractée dans l’enfance) a un effet protecteur relatif vis-à-vis de l’infection HSV2 (antigénicité croisée entre les 2 types d’HSV). Enfin, on observe une augmentation de la proportion des herpès génitaux dus à HSV1, probablement en relation avec la fréquence accrue des rapports oro-génitaux.

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HERPÈS CUTANÉ ET MUQUEUX

Rappelons enfin que l’herpès génital est un facteur de risque de transmission et d’acquisition de l’infection par le VIH. La co-infection fréquente VIH-HSV2 résulte pour une part du même mode de transmission sexuelle des 2 virus, mais aussi en raison de facteurs inflammatoires et tissulaires qui augmentent la contagiosité, comme les autres maladies sexuellement transmissibles, ulcéreuses ou non (sécrétions génitales). De plus, l’infection par le VIH augmente l’excrétion HSV2 asymptomatique, majorant ainsi le risque de transmission sexuelle de l’herpès génital. • L’herpès néonatal est heureusement une maladie rare : son incidence en France est estimée à 1/10 000 nouveau-nés. HSV2 est largement prépondérant (3 fois sur 4) et dans 70 % des cas, la contamination a eu lieu lors du passage dans la filière génitale d’une patiente excrétrice du virus au moment de l’accouchement. Le risque d’herpès néonatal doit être modulé selon les circonstances de l’infection maternelle et en fonction de la quantité de virus excrété (il est de 50 % en cas de primo-infection symptomatique, 25 % si la primo-infection est asymptomatique, 4 % chez une femme à récurrences fréquentes et 0,4 % si l’excrétion virale est asymptomatique). Ainsi, la circonstance la plus dangereuse est une primoinfection en fin de grossesse, situation la plus rarement observée. À l’inverse, 2 tiers des herpès néonatals sont dus aux formes asymptomatiques ou méconnues d’herpès génital de la mère. Les populations à risque dépistables sont donc les femmes séropositives pour HSV2 (risque potentiel d’excrétion virale à l’accouchement) et les femmes séronégatives pour HSV2 dont le partenaire a des récurrences d’herpès génital. La prévention de l’herpès néonatal repose donc sur ces données épidémiologiques. La contamination fœtale par voie transplacentaire est une éventualité rare, mais possible. Une contamination est également possible en période néonatale à partir d’un herpès génital ou extragénital chez la mère ou dans l’entourage de l’enfant.

Physiopathologie Herpesvirus simplex Les herpesvirus simplex sont des virus à ADN faisant partie du groupe des Herpesviridæ (150 à 200 nm) qui ont une architecture caractéristique et sont constitués d’un « core » contenant l’ADN viral, entouré d’une capside protéique icosaédrique (20 faces) faite de 162 capsomères, formés chacun de plusieurs polypeptides conférant l’antigénicité de groupe et d’espèce. La capside est elle-même entourée du tégument formé de protéines virales et d’une enveloppe lipidique bicouche. Des glycoprotéines présentes à la surface de l’enveloppe servent à l’attachement du virus à des récepteurs membranaires et à sa pénétration dans la cellule. Ces glycoprotéines d’enveloppe (11 sont identifiées) sont importantes car elles constituent la 1128

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cible majeure de la réponse immunitaire, humorale et cellulaire. Au cours de la primo-infection, l’enveloppe fusionne avec la membrane cellulaire des kératinocytes muqueux ou épidermiques, la capside est transportée jusqu’aux pores nucléaires où le génome viral est libéré et transféré dans le noyau cellulaire. C’est là que débute la réplication du virus qui exprime 70 protéines au cours d’une infection productive. Ces protéines sont les produits d’expressions successives de 3 groupes de gènes viraux : – les gènes α (gènes très précoces) codent des protéines nécessaires à la transactivation et à la régulation des autres gènes viraux ; – les gènes β (gènes précoces) codent des protéines régulatrices et des enzymes nécessaires à la réplication de l’ADN viral (thymidine-kinase) ; – les gènes γ (gènes tardifs) codent des protéines de structure. La nucléocapside est assemblée dans le noyau au contact de la membrane nucléaire. Après leur sortie du noyau, les virions sont transportés à travers le cytoplasme dans des vésicules de Golgi jusqu’à leur fusion avec la membrane cellulaire et l’extrusion des virions hors de la cellule. La synthèse de l’ADN viral exige des enzymes, en particulier une thymidine-kinase, une ADN-polymérase d’origine virale, qui sont la cible de la chimiothérapie antivirale, en particulier de l’acylguanosine (aciclovir) . Les 2 types antigéniques d’HSV connus, HSV1 responsable de l’herpès céphalique et HSV2 majoritaire dans l’herpès génital, ont une morphologie identique.

Primo-infection, latence, récurrences La primo-infection se manifeste environ 7 jours après le contact. Le virus pénètre la muqueuse à la faveur d’une micro-abrasion (muqueuse génitale, muqueuse buccale), à la suite d’un contact direct avec des sécrétions infectées, ou avec une surface muqueuse. L’infection indirecte par des objets inanimés ou par voie aéroportée est rare. À la suite de l’inoculation se produit alors, au niveau de la porte d’entrée, une réplication virale dans le derme et dans l’épiderme, conduisant à une nécrose locale, une dégénérescence ballonisante avec lyse des kératinocytes et une production de cellules géantes multinucléées syncytiales. En même temps se développe une réaction inflammatoire, d’abord à polymorphonucléaires, puis lymphocytaire. Très tôt pendant l’infection primaire, les particules virales infectent les terminaisons nerveuses sensitives et gagnent par voie rétro-axonale le corps neuronal dans le ganglion sensitif ou le ganglion du système nerveux autonome correspondant, dans lequel va s’établir une infection latente qui commence 10 jours environ après le début de l’infection du site épithélial qui a guéri : le ganglion trigéminé pour l’herpès oro-labial et le ganglion sacré pour l’herpès génital sont les gîtes les plus fréquents de cette infection latente .

Dermatologie

TABLEAU I Facteurs déclenchant les herpès récidivants Fièvre Traumatismes périphériques ❑ chirurgie ❑ agents chimiques ❑ irradiations (ultraviolets) Modifications du statut hormonal ❑ menstruation ❑ traitement par les corticoïdes Chocs émotionnels ❑ angoisse ❑ dépression ❑ contrariété(s) ❑ coït

La réactivation d’une infection ganglionnaire latente est à l’origine de récurrences herpétiques cutanéomuqueuses. La réactivation du virus est suivie de sa migration le long de l’axone et de sa réplication au niveau de la peau ou de la muqueuse, produisant des lésions vésiculo-pustuleuses : c’est l’herpès récurrent siégeant toujours au même endroit ou dans une région proche. Cette récurrence se produit à l’occasion d’une maladie fortuite, d’un stress, d’une émotion, d’une modification physiologique, de coïts répétés, du soleil, et cela en l’absence d’un nouveau contage (tableau I).

Des tests sérologiques récemment développés utilisent comme antigènes des glycoprotéines d’enveloppe d’HSV1 (gG1) et d’HSV2 (gG2) et sont donc capables de différencier les 2 types d’infection virale. En pratique, une séropositivité pour HSV2 est synonyme d’une infection génitale récente ou ancienne et donc indique la possibilité de réactivation du virus. Ces méthodes sérologiques ne sont pas encore disponibles en pratique de routine : leur intérêt et les indications sont à évaluer.

2. Immunité cellulaire La réponse immunitaire cellulaire semble plus importante que la réponse humorale dans le contrôle de la sévérité de l’infection par l’herpesvirus. Chez les patients immunodéprimés, les infections par ce virus sont plus sévères, chroniques ou disséminées. Ce n’est pas le cas des patients ayant un déficit humoral isolé. De plus, les infections ano-génitales sévères, ulcérées et chroniques dues à l’herpesvirus constituent une complication fréquente de l’infection par le virus de l’immunodéficience humaine.

Diagnostic et évolution Le diagnostic positif de l’infection herpétique repose sur les manifestations cliniques et l’anamnèse ; il sera confirmé, si besoin, par un diagnostic biologique reposant avant tout sur la culture virale qui apporte la certitude étiologique.

Manifestations cliniques de l’infection herpétique (tableau II) 1. Primo-infection herpétique

Infection herpétique et défenses immunitaires 1. Immunité humorale La primo-infection herpétique, premier contact d’un organisme infecté par l’herpesvirus simplex, est suivie de l’apparition relativement tardive (1 à 2 mois) d’anticorps spécifiques. Ceux-ci peuvent limiter l’infection, mais n’empêchent pas la diffusion du virus et ne protègent nullement l’individu contre les récurrences et les réinfestations. Les anticorps anti-HSV1 apparaissent dans l’enfance, alors que les anticorps anti-HSV2 apparaissent dès le début de l’activité sexuelle (à partir de 15 ans). Une infection antérieure à HSV1 protège dans une certaine mesure contre une infection génitale à HSV2. Les méthodes anciennes détectent les anticorps antiHSV dirigés contre des antigènes communs aux 2 types et ne permettent pas de les différencier, d’où leur intérêt très limité dans le diagnostic de l’infection herpétique : seule une séroconversion a de la valeur au cours d’une primo-infection par l’herpesvirus.

Dans 90 % des cas, elle est asymptomatique. Elle est patente dans 10 % des cas, le plus souvent bénigne, mais cliniquement plus sévère dans ses manifestations cutanéomuqueuses et générales que l’herpès récurrent. Elle peut s’accompagner d’atteintes viscérales, oculaires, nerveuses. La primo-infection herpétique est responsable de presque toutes les formes graves de la maladie herpétique. • Gingivo-stomatite aiguë : elle est le plus souvent due à HSV1, l’âge de survenue de la primo-infection oro-labiale est de 6 mois à 5 ans. Elle réalise, après une incubation de 6 j en moyenne (2 à 20 j), un tableau bruyant et fébrile accompagné d’une gingivo-stomatite aiguë touchant surtout la partie antérieure de la bouche : la muqueuse rouge, hémorragique, est parsemée de multiples érosions arrondies ressemblant à des aphtes, atteignant les lèvres qui sont érosives et croûteuses. Une pharyngite est parfois notée et l’examen clinique retrouve des adénopathies sous-angulo-maxillaires et sousmentonnières, sensibles et bilatérales. La dysphagie peut être majeure, la fièvre, les vomissements et le refus d’alimentation peuvent conduire à une déshydratation de l’enfant.

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HERPÈS CUTANÉ ET MUQUEUX

TABLEAU II Principales manifestations cliniques des infections à herpesvirus simplex Maladies Gingivostomatite Kératoconjonctivite Herpès génital Herpès naso-labial Encéphalite herpétique

Virus

Physiopathologie

HSV1 HSV1

Primo-infection Primo-infection Récurrence Primo-infection Récurrence Récurrence Primo-infection Récurrence Primo-infection Primo-infection (récurrence) Primo-infection Récurrence

HSV2 (HSV1) HSV1 HSV1

Herpès néonatal Pneumopathie

HSV2 HSV1

Lésions ulcéreuses extensives

HSV1 HSV2

• La durée d’évolution, qui est le plus souvent favorable, se fait vers la guérison en 10 à 15 j. Cette évolution est considérablement raccourcie par l’aciclovir. • Autres localisations céphaliques : la kératoconjonctivite aiguë ponctuée superficielle, le plus souvent unilatérale et douloureuse, se traduit par une conjonctivite, un larmoiement, une photophobie, un œdème des paupières. Il existe des adénopathies prétragiennes. La survenue possible d’une kératite avec ulcération cornéenne superficielle impose une surveillance ophtalmologique. La stomatite aiguë de l’adulte jeune ou de l’adolescent est parfois compliquée de laryngite herpétique, d’œsophagite. La rhinite herpétique associe rhinorrhée, vésico-pustules périnarinaires et douleurs causalgiques très évocatrices. On peut également observer une angine herpétique. • Primo-infection génitale : dans la majorité des cas, c’est une infection par l’HSV2 (80 % des cas) qui suit le 1er contact génital après une période d’incubation de 2 à 10 j. Elle s’observe essentiellement chez l’adolescent et l’adulte jeune, mais peut aussi se voir chez la petite fille. Souvent cliniquement latente, elle peut aussi donner lieu à des manifestations bruyantes. L’éruption plus ou moins typique est souvent précédée de douleurs ou d’un simple prurit, de paresthésies, de sensations de brûlures, d’une dysurie, d’un écoulement vaginal ou urétral. Chez la femme, la forme la plus typique est une vulvovaginite vésiculo-ulcéreuse avec œdème et suintements entraînant une gêne considérable. Les vésicules, vite érodées, laissent des ulcérations de quelques millimètres de diamètre, entourées d’un halo inflammatoire, dont le fond est recouvert d’un enduit blanchâtre : souvent bilatérales, elles sont parfois extensives à toute la vulve sur le versant cutané, à la racine des cuisses, au périnée. Elles s’accompagnent d’un œdème vulvaire, d’écoulement vaginal, d’une dysurie et d’adénopathies inguinales dou1130

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Population atteinte Enfants – Jeunes Enfants – Adultes Adultes (enfants = vulvovaginite) Enfants – Adultes Enfants – Adultes Nouveau-né Immunodéprimés Immunodéprimés, brûlés

loureuses bilatérales. Il y a des signes généraux dans plus de 50 % des cas (fièvre et altération de l’état général) et parfois des signes méningés (méningite lymphocytaire aiguë spontanément curable). Chez presque toutes les patientes, plusieurs sites sont concernés, atteinte vaginale presque constante : cervicite souvent asymptomatique, parfois érosive, endométrite, atteinte urétrale. À côté des formes aiguës, il y a des formes plus discrètes à type de cervicite isolée. Il faut souligner la longue persistance du virus au niveau du col à la suite d’une primo-infection génitale (voir chapitre « Épidémiologie »). Chez l’homme, les symptômes locaux et généraux sont moins bruyants et consistent en une balanite érosive douloureuse avec adénopathies. Les lésions typiques réalisent un bouquet de vésico-pustules sur fond érythémateux, formant rapidement des érosions confluentes et polycycliques, entourées d’un halo érythémateux. Elles siègent sur le gland, le prépuce ou le fourreau de la verge. Dans les 2 sexes, une localisation rectale de la primoinfection peut donner une rectite avec une atteinte anale associée ou isolée. Des symptômes ano-rectaux comme des douleurs, ténesmes, écoulements anaux, peuvent s’accompagner de paresthésies sacrées, de rétention urinaire, d’impuissance. Les lésions génitales de primo-infection guérissent en 8 à 15 j en passant par une phase de déssèchement en zone cutanée. L’évolution est, là aussi, considérablement raccourcie et la sévérité de la symptomatologie atténuée par l’aciclovir. • Primo-infection d’inoculation ou primo-infection cutanée : dans cette forme, la pénétration du virus se fait par voie percutanée, favorisée par l’existence d’une excoriation ou petite plaie. Elle peut se présenter comme un bouquet de vésicules typiques, d’évolution rapidement favorable, tout à fait comparable à un herpès récurrent,

Dermatologie

1 Bouquet d’herpès cutané.

2 Herpès récurrent de la lèvre.

3 Balanite herpétique.

4 Eczéma herpeticum.

ou bien évoluer dans un contexte fébrile et hyperalgique évoquant davantage la primo-infection. L’herpès du doigt (ou panaris herpétique), après piqûre septique (infirmiers, professions de santé, couturiers) doit être connu car il peut prêter à confusion avec un panaris à pyogènes (un piège à éviter car le geste chirurgical est à proscrire) On peut également citer l’herpès « gladiatorum » des pratiquants de sports de combat, l’herpès de la joue (inoculé par le baiser), l’herpès d’auto-inoculation du doigt de l’enfant (succion) ou l’herpès génital (contamination extragénitale). • L’eczéma herpeticum ou syndrome de KaposiJuliusberg, est une infection cutanée diffuse à herpesvirus simplex survenue chez un enfant présentant une dermatite atopique en poussée, infection primaire dans 80 % des cas. Mais d’autres dermatoses peuvent être en cause et l’adulte n’est pas épargné. Dans 20 % des cas, il complique une récurrence. Le tableau clinique, d’emblée inquiétant, débute par une éruption de lésions vésiculeuses, ombiliquées, groupées, puis d’extension progressive à une partie du corps, éventuellement généralisée, dans un contexte fébrile à 39-40 ˚C avec altération de l’état général, adénopathies et œdème de la face. Ces lésions deviennent pustuleuses et croûteuses. L’atteinte oculaire est possible. Des compli-

cations graves neurologiques (méningo-encéphalite) ou viscérales, cutanées ou septicémiques, sont possibles. La gravité potentielle de l’eczéma herpéticum impose un traitement systémique par aciclovir, associé à une antibiothérapie antistaphylococcique.

2. Herpès récurrent Il se manifeste au niveau de la peau ou des muqueuses chez des sujets ayant eu une primo-infection herpétique apparente ou non, porteurs d’anticorps anti-herpétiques. Le siège des récurrences correspond généralement au site de primo-infection. Leur survenue n’est pas obligatoire ; on estime leur prévalence dans la population entre 20 et 40 %, mais leur fréquence est très variable. Les circonstances étiologiques (tableau I) sont les mêmes, qu’il s’agisse de l’herpès oro-labial ou de l’herpès génital, auquel il faut rajouter les rapports sexuels. • Herpès facial récidivant (herpès oro-labial) : le début est marqué par des signes fonctionnels, prurit, une sensation de cuisson et l’apparition d’une tache rouge, plus ou moins œdémateuse sur laquelle apparaissent des vésicules groupées en bouquet (3 à plusieurs dizaines), à contenu initialement clair, puis trouble, pouvant confluer pour former une phlyctène dont le contour polycyclique est caractéristique. L’éruption siège avec prédilection sur le

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HERPÈS CUTANÉ ET MUQUEUX

bord externe d’une lèvre ou dans la bouche, la région narinaire, le menton, une joue. L’érosion et le dessèchement des vésicules aboutissent à la formation de croûtes noirâtres disparaissant en 8 à 10 j en laissant une macule érythémateuse persistante ou une cicatrice rarement indélébile. Il peut y avoir plusieurs poussées successives avant que ne survienne la guérison. Il y a rarement des signes généraux, parfois des névralgies du territoire du trijumeau. On décrit des formes abortives, des formes profuses, un herpès géant, un herpès névralgique, des formes subintrantes, des formes s’accompagnant d’un érythème polymorphe (voir plus loin). • Herpès génital récurrent : le rythme des récurrences est très variable d’un sujet à l’autre, parfois régulier chez un même patient ; leur fréquence est plus élevée en cas d’herpès génital à HSV2 qu’à HSV1. Dans 85 % des cas, la récurrence est annoncée 24 h à l’avance par des prodromes (hypoesthésie ou dysesthésie locale avec sensation de cuisson localisée au site éruptif), accompagnée parfois de signes généraux modérés (céphalées, malaise général, douleurs névralgiques [cuisse, aine, périnée]). Bref, le tableau est beaucoup moins bruyant que celui de la primo-infection. L’éruption reste classique : bouquet de vésico-pustules sur base érythémateuse ou petites érosions ou ulcérations douloureuses à contour polycyclique. On retrouve toujours une adénopathie sensible. Le siège est fixe pour un même malade : région génitale externe ou peau paragénitale (fesses, cuisses). Les formes atypiques rendent le diagnostic difficile, si elles sont minimes ou abortives, ou si elles siègent dans un repli vulvaire, dans le vagin ou sur le col. Chez l’homme, les lésions touchent le gland, le fourreau, le prépuce ou le sillon balano-préputial. Dans les 2 sexes, une localisation urétrale peut se traduire par une dysurie, une rougeur du méat, une urétrite antérieure. La localisation anale peut dominer le tableau clinique et se traduire par une anorectite inflammatoire. Rappelons la très grande fréquence des excrétions virales asymptomatiques (plus courtes qu’après une primo-infection), qui sont la cause majeure des cas d’herpès néonatal. L’herpès récurrent symptomatique peut être très invalidant : formes ulcéreuses, profuses, récidivantes ou subintrantes et causer un problème psychologique majeur, quand il devient notamment une véritable maladie du couple, récidivant régulièrement après les rapports sexuels. • Herpès oculaire récurrent : c’est une localisation sévère de l’herpès récurrent. Les risques sont une atteinte cornéenne, des ulcérations dendritiques très évocatrices, une kératite disciforme, une endothélite herpétique. Les atteintes les plus redoutables concernent le segment antérieur de l’œil. Le traitement relève de l’ophtalmologiste.

3. Complications de l’herpès • Surinfection des lésions cutanées à pyogènes : la surinfection par staphylocoques ou streptocoques est plus fréquente chez l’enfant. • Méningo-encéphalite du grand enfant et de l’adulte : c’est la plus fréquente des encéphalites virales, faisant 1132

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suite plus souvent à une réactivation qu’à une primoinfection. HSV1 en est la cause habituelle. Il s’agit d’une encéphalite focale et nécrotique, dont le tableau débute par de la fièvre, des céphalées, puis des signes neurologiques en foyer traduisant une souffrance temporale ou temporo-frontale : convulsions focalisées, troubles psychiques, hallucinations auditives ou olfactives. L’évolution se fait vers un coma profond fébrile. Le diagnostic repose sur l’imagerie par résonance magnétique (IRM), donnant des images plus précoces que le scanner et sur la polymerase chain reaction (PCR) dans le liquide céphalo-rachidien. Le pronostic a été spectaculairement amélioré par l’aciclovir et justifie un traitement précoce mis en œuvre avant les résultats des examens. • Érythème polymorphe : l’herpès récurrent est la première cause d’érythème polymorphe postinfectieux. Cette éruption – qui touche plus volontiers l’adulte jeune avec une prédominance masculine légère – débute 7 à 21 jours après l’herpès et guérit en 1 à 4 semaines. L’éruption est constituée de maculo-papules rouge foncé de 2 à 3 cm de diamètre, avec un aspect caractéristique en cocarde (mains, poignets, coudes, chevilles et genoux) et d’érosions muqueuses (lèvres, bouche) très douloureuses. L’évolution se fait par poussées successives souvent fébriles (rarement subintrantes), parfois à chaque récurrence herpétique (88 % des cas). L’aciclovir est efficace dans la prévention des récidives. • Herpès néonatal : rappelons que les facteurs de risque de transmission sont liés à l’excrétion virale, le plus souvent asymptomatique. Les autres facteurs favorisants sont la rupture prématurée des membranes (> 4 h) et les électrodes de monitorage fœtal sur le scalp. La primo-infection herpétique néonatale est due le plus souvent à HSV2, beaucoup plus rarement à HSV1 (en cas de contamination néonatale par l’entourage). Le tableau le plus sévère est la forme disséminée polyviscérale et septicémique avec altération rapide de l’état général, hépatosplénomégalie, syndrome hémorragique avec coagulation intravasculaire disséminée, atteinte pulmonaire et méningo-encéphalite. Un traitement antiviral précoce peut en atténuer l’effroyable pronostic. La méningo-encéphalite survient quelques jours après la naissance, parfois précédée de l’atteinte cutanée qui oriente alors le diagnostic. Les séquelles neuropsychiques (65 %) ne sont pas constamment évitées par la mise en œuvre très précoce de l’aciclovir intraveineux. L’herpès néonatal localisé (peau, yeux, bouche) [45 % des cas] est de meilleur pronostic mais des séquelles sont encore possibles (5 %) sous traitement précoce. La prévention de l’herpès néonatal repose sur l’évaluation du risque, la décision de la césarienne et l’administration d’aciclovir. • Herpès de l’immunodéprimé : l’herpès cutanéomuqueux est particulièrement fréquent chez les patients immunodéprimés ; il s’agit habituellement d’une réactivation d’un herpès latent qui revêt un tableau atypique, sévère ou chronique, en raison de l’atteinte de l’immunité cellulaire. C’est le cas des malades atteints de cancer, d’hémopathies malignes, des greffés d’organes et de moelle, des

patients sous immunosuppresseurs et des personnes infectées par le virus de l’immunodéficience humaine. Dans ce dernier cas, une infection herpétique chronique (plus de 1 mois) ou viscérale (bronchique, pulmonaire, œsophagienne) fait entrer le patient au stade C de la classification CDC (centers for disease control) [sida]. La région anogénitale est élective mais toutes les zones du corps sont exposées à l’infection chronique : ulcérations des membres, buccales, linguales, oculaires, anales ou viscérales (œsophagite herpétique, bronchopulmonaire). Il faut avoir la biopsie facile devant toute atteinte cutanée chronique chez de tels patients afin de réaliser culture virale et (ou) PCR. L’évolution est possible vers une dissémination aiguë cutanéo-muqueuse, voire viscérale. L’œsophagite est la plus fréquente des atteintes viscérales observées chez le patient infecté par le virus de l’immunodéficience humaine lorsque le taux de CD4 est inférieur à 50/mL. Révélée par des douleurs, hémorragie digestive ou vomissements, elle est découverte à la fibroscopie œsophagienne qui montre des ulcérations pseudo-membraneuses ou des lésions vésiculo-bulleuses plus rarement. Une pneumopathie bilatérale peut aussi s’observer dans le cadre d’une atteinte multiviscérale (rein, foie, surrénales).

Diagnostic biologique de l’infection herpétique 1. Cytodiagnostic et biopsie cutanée Le cytodiagnostic est réalisé sur frottis obtenu par raclage des lésions cutanéo-muqueuses et coloration de MayGrünwald-Giemsa. On observe au microscope des cellules en dégénérescence ballonisante. C’est un examen simple, rapide, mais peu fiable et non pathognomonique puisqu’il donne le même aspect au cours de la varicelle et du zona. La biopsie cutanée d’une lésion atypique est parfois réalisée, avec les mêmes réserves qu’impose le frottis.

2. Immunofluorescence directe Les prélèvements (produits de raclage des lésions cutanées et cornéennes, cellules centrifugées du liquide céphalorachidien, biopsies cutanées) sont recouverts par des immunoglobulines antiherpétiques marquées à la fluorescéine. On dispose d’anticorps monoclonaux permettant le sérotypage HSV1 et HSV2. On peut utiliser également le marquage par immunoperoxydase et la technique ELISA (enzyme-linked immunosorbent assay) pour détecter l’antigène viral sur prélèvements. Ces techniques sont rapides d’exécution et d’une excellente fiabilité.

3. Isolement en culture et identification des virus C’est la méthode de référence qui apporte la certitude du diagnostic. Le produit du prélèvement (liquide de vésicule, écouvillonnage, salive, sang, liquide céphalorachidien, tissu cutané, viscéral) doit être transporté au laboratoire à + 4 ˚C ou dans un milieu de transport dans un délai n’excédant pas 4 h. Après mise en culture, l’identification est réalisée grâce aux anticorps monoclonaux et le résultat est obtenu en 24 à 48 h.

5 Particule virale HSV dans une kératinocyte.

4. PCR (polymerase chain reaction) C’est l’amplification des séquences d’ADN viral permettant la détection de virus en très faible quantité dans un tissu suspect. La PCR du liquide céphalo-rachidien est la méthode de choix du diagnostic de la méningoencéphalite herpétique. Elle est aussi très utile pour détecter l’excrétion virale asymptomatique.

Diagnostic différentiel Devant un herpès buccal, on élimine une aphtose buccale, une érosion post-bulleuse (pemphigus vulgaire, pemphigoïde bulleuse, érythème polymorphe), une érosion posttraumatique, une stomatite infectieuse, bactérienne, érosive. En présence d’une lésion herpétique cutanée, le bouquet de vésicules groupées sur macules érythémateuses est d’un diagnostic aisé ; le zona a une disposition métamérique. Un impétigo croûteux est facilement reconnu. Devant un herpès génital, on élimine les autres causes d’ulcérations génitales : chancre mou, syphilis primaire, chancre scabieux, candidose, traumatisme, aphte, pyodermite, lichen érosif. Enfin, chez l’immunodéprimé, une ulcération anale doit faire discuter un cancer du canal anal. Une ulcération herpétique des membres peut simuler un ulcère du décubitus. Des ulcérations buccales, génitales à herpesvirus simplex peuvent évoquer une ulcération à cytomégalovirus, une aphtose idiopathique, une ulcération iatrogénique (foscarnet). Des ulcérations diffuses des lèvres et de la muqueuse buccale font discuter une mucite toxique ou radique chez un patient traité par chimiothérapie. Une dissémination éruptive ne se confond pas avec une infection par le virus zona-varicelle.

Traitement Le traitement de la primo-infection herpétique repose sur la prescription d’aciclovir (Zovirax, cp 200 mg : 1 x 5 comprimés par jour pendant 10 j). Dans les formes sévères, on préconise la perfusion intraveineuse (250 mg par flacon), à la dose de 5 mg/kg toutes les 8 h pendant 8 j. Une précaution d’utilisation est rappelée chez l’in-

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HERPÈS CUTANÉ ET MUQUEUX

suffisant rénal. Chez le nouveau-né, la dose préconisée est de 10 mg/kg/8 h. Le valaciclovir (Zelitrex, cp 500 mg, 2 cp/j x 10 j) a l’avantage d’une posologie réduite pour une même efficacité. Les signes cliniques régressent rapidement dès l’instauration du traitement et l’évolution est considérablement raccourcie ; le traitement prévient les complications. L’herpès récurrent, en cas d’épisodes peu fréquents, doit être traité par des topiques antiviraux : idoxuridine (Iduviran collyre, gel V Pos), ibacitabine (Cuterpès), aciclovir gel (Zovirax) à raison de 4 à 6 applications quotidiennes. En cas de récurrence sévère, un traitement par Zelitrex cp 500 2/j x 5 j est conseillé. Un traitement prophylactique des récurrences est indiqué si les épisodes sont prolongés, fréquents (6 à 8 récurrences par an) ou si la maladie a un profond retentissement psychosexuel. Les doses conseillées sont de 1 cp/j de Zelitrex pendant 6 à 12 mois, ou de Zovirax 200 4 cp/j pendant 1 an ou plus. Le traitement de l’herpès cutanéo-muqueux de l’immunodéprimé nécessite la voie veineuse dans les formes sévères (Zovirax, 10 mg/kg/8 h) ou la voie orale (Zovirax, cp 400 mg 5 fois/j). Chez les greffés d’organes, un traitement préventif systématique est souvent prescrit (aciclovir 200 mg/6 h), quelques semaines avant et après la greffe. Des cas de résistance à l’aciclovir sont souvent observés, en particulier chez les patients infectés par le virus de l’immunodéficience humaine, traités au long cours pour des herpès chroniques ; il existe alors une alternative thérapeutique, le foscarnet (Foscarvir) efficace à la dose de 40 mg/kg/8 h. En cas de récidives ultérieures, on peut observer un retour à la sensibilité à l’aciclovir. La prévention de l’herpès néonatal dépend de la situation maternelle exposant le fœtus au risque et la conduite à tenir est actuellement bien codifiée (tableau III) [Recommandations du Groupe d’étude et de recherche sur l’herpès].

TABLEAU III

TABLEAU IV Recommandations IHMF (International Herpes Management Forum), 1999 Primo-infection femme enceinte ❑ 1er et 2e trimestre : aciclovir per os/IV ❑ dernier mois : – séroconversion asymptomatique : voie basse, culture virale enfant mesures complémentaires (voir tableau III) – primo-infection symptomatique césarienne, culture virale mère/enfant aciclovir si à terme/travail (mère/enfant) Herpès récurrent ❑ lésionnel : césarienne ou voie basse ❑ asymptomatique : voie basse + mesures complémentaires + culture virale enfant HSV2 séropositivité asymptomatique ❑ voie basse ❑ mesures complémentaires Identifier les femmes enceintes à risque majeur d’infection par l’herpesvirus simplex (femmes séronégatives pour HSV2, partenaire séropositif pour HSV2)

Points Forts à retenir

Prévention de l’herpès néonatal (conduite à tenir chez la femme enceinte) Situation maternelle

Fréquence

Primo-infection rare (prepartum) Récurrence (prépartum) Antécédents seuls d’herpès génital

Aucune manifestation d’herpès génital

2/3 des cas d’herpès néonatal

Risque (enfant) 75 % 2-5 % 1‰

1/10 000

Conduite à tenir césarienne aciclovir césarienne voie basse recherche HSV cervical Bétadine aciclovir si HSV+ prévention MST

Mesures complémentaires • Rapports protégés (si partenaire seul +)• Accouchement programmé • Désinfection Bétadine • Pas de touchers vaginaux répétés • Éviction scalp électrodes

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• L’herpès génital à HSV2 est un problème majeur de santé publique dont l’épidémie actuelle est due essentiellement à une excrétion virale asymptomatique. • Le dépistage des personnes à risque d’excrétion virale, point clé d’une prévention possible de l’herpès néonatal, reposera surtout sur les nouvelles sérologies spécifiques. • Les complications de la maladie herpétique sont à redouter, principalement chez l’immunodéprimé, en particulier les greffés d’organes et les patients infectés par le virus de l’immunodéficience humaine. • Les antiviraux antiherpétiques, très efficaces sur l’infection active, ne préviennent pas les récurrences. • La prévention de la maladie herpétique sera réellement assurée lorsqu’on disposera d’un vaccin antiherpétique efficace.

Dermatologie B 178

Infections à dermatophytes de la peau glabre et des plis Diagnostic et traitement DR Nicolas LEVEZIEL, DR Pierre BUFFET Service d’infectiologie, hôpital Necker, Paris. Centre médical de l’Institut Pasteur, Paris.

Points Forts à comprendre • Les dermatophyties sont, avec les candidoses cutanéo-muqueuses et les pityrosporoses, des mycoses superficielles. Les signes cliniques résultent de la destruction de la kératine (couche cornée ou phanères) et de la réaction inflammatoire dermique superficielle associée. • Les dermatophytes se propagent dans la couche cornée de façon centrifuge, d’où le caractère en général concentrique ou polycyclique des lésions. Ce caractère superficiel explique l’efficacité habituelle du traitement local, pour peu que les facteurs favorisants puissent être éradiqués. Les atteintes des ongles (onychomycose) ou des cheveux (teignes) ne seront pas abordées en détail dans cet article. • De très nombreuses espèces de dermatophytes sont identifiées en culture, sans incidence majeure sur le raisonnement thérapeutique. D’une façon générale, moins une espèce est adaptée à l’homme, plus intense et plus courte est la réaction inflammatoire cutanée qu’elle provoque.

Diagnostic Le diagnostic est essentiellement clinique, conforté par l’examen mycologique dès que l’aspect n’est pas absolument typique.

Interrogatoire Un prurit au niveau des lésions, exacerbé par la transpiration, est fréquent. Parfois s’y associe une sensation de brûlure. On recherche des poussées antérieures et une localisation phanérienne associée. Un tableau similaire observé dans l’entourage conforte le diagnostic. Enfin, il faut préciser la profession (athlète, militaire), le mode de vie (port de chaussures de sécurité, vêtements serrés, animal domestique comme chien, chaton ou rongeur) et les activités sportives (natation, judo). Certaines professions exposent à des dermatophyties reconnues comme maladies professionnelles indemnisables (tableau 46 des maladies professionnelles). Les formes reconnues dans ce cadre sont les mycoses de la peau glabre, les intertrigos interorteils et les teignes.

Examen clinique Les dermatophytes sont des champignons filamenteux kératinophiles ubiquitaires regroupés en 3 genres (Trichophyton, Microsporon, Epidermophyton), toujours pathogènes. On distingue les espèces anthropophiles inféodées à l’homme, parfois responsables de contaminations interhumaines, des espèces zoophiles d’origine animale et géophiles dont le réservoir est le sol. On sépare les dermatophyties de la peau glabre de celles des plis, ces deux localisations étant parfois associées. Il n’y a pas d’atteinte muqueuse ou viscérale, sauf dans l’exceptionnelle maladie dermatophytique (tableau I). Les facteurs favorisant l’apparition d’une dermatophytie sont surtout locaux (transpiration et chaleur conduisant à la macération), les facteurs généraux tels que la corticothérapie sont plutôt des causes de pérennisation ou d’extension des lésions et leur rôle est moins marqué ici que dans la pathogénie des candidoses.

1. Dermatophytie de la peau glabre La dermatophytie de la peau glabre appelée dermatophytose circinée ou improprement « herpès circiné » (fig. 1) n’a pas de topographie particulière. Elle se transmet directement à partir d’un animal infecté ou porteur sain (dermatophyte zoophile) et potentiellement à partir du sol, de meubles ou de tapis de logement, voire par contact avec un sujet infecté ou auto-inoculation à partir d’un intertrigo interorteils (dermatophyte alors souvent anthropophile). Il s’agit d’un ou plusieurs éléments arrondis érythématosquameux et secs de quelques centimètres de diamètre à extension centrifuge et de limites nettes. La bordure est bien limitée, érythémateuse et microvésiculeuse tandis que le centre de la lésion est plus pâle, parfois squameux. La guérison spontanée ou sous traitement s’amorce à partir du centre des lésions. Les lésions peuvent être

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INFECTIONS À DERMATOPHYTES DE LA PEAU GLABRE ET DES PLIS

TABLEAU I Principales espèces de dermatophytes pathogènes pour l’homme Tropisme, espèce Anthropophiles ❑ Trychophyton rubrum

Forme clinique

❑ T. violaceum

Intertigos inguinaux et plantaires Herpès circiné Onychomycose Intertrigos inguinaux Intertrigos plantaires Kérion, teignes Onychomycoses Teignes

Zoophiles ❑ Microsporum canis ❑ T. concentricum*

Herpès circiné, teignes Tokelau*

Géophiles ❑ Microsporum gypseum

Kérion, teignes inflammatoires

❑ Epidermophyton floccosum ❑ T. mentagrophytes

Inflammation

Faible

Forte

* Il s’agit d’une dermatophytie cutanée épargnant le cuir chevelu. On la rencontre dans les îles du Pacifique, en Asie du Sud-Est et en Amérique du Sud.

1 Dermatophytose circinée. bulleuses ou pustuleuses (surtout en cas de dermatophyte zoophile), ou prendre, quand elles sont purement érythémato-squameuses, l’aspect de plaques de psoriasis. Plusieurs éléments sont souvent associés et produisent des lésions polycycliques.

2. Dermatophytie des plis • Petits plis : l’atteinte des plis interorteils est la plus fréquente des dermatophyties (atteintes unguéales exclues), suivie de l’atteinte des plis inguino-cruraux. Plus fréquente chez l’adulte jeune et en période estivale, elle touche surtout le 4e ou le 3e espace interorteils (facteurs locaux de macération) et constitue alors le classique « pied d’athlète » (fig. 2). La lésion est érythé656

LA REVUE DU PRATICIEN 2000, 50

2 Intertrigo interorteils. mateuse puis évolue vers la desquamation et la fissuration. La face dorsale du pli est souvent épargnée. Il constitue une porte d’entrée d’infection bactérienne locorégionale (ulcération, onyxis, érysipèle, cellulite). Le syndrome « une main, deux pieds » est l’association d’intertrigos interorteils à un intertrigo interdigital. • Grands plis : le pli inguino-crural est plus souvent atteint que les plis axillaires et interfessiers ; il constitue le classique eczéma marginé de Hebra (fig. 3). Il est associé à un intertrigo interorteils dans 50 % des cas. La transmission en général interhumaine s’effectue via les serviettes de bain, les sols de salle de bain, les sols de chambre d’hôtel. Il est plus fréquent chez l’homme que chez la femme ou l’enfant (exceptionnel avant 10 ans).

Dermatologie

– la forme dishydrosique avec présence de vésicules sur les bords de la main et la face palmaire des doigts ; la main droite est le plus souvent atteinte ; au pied, l’aspect avec bordure vésiculeuse est évocateur de dermatophytie. Les lésions peuvent être vésiculeuses ou bulleuses. Une dyshidrose apparue sur les doigts et les mains peut être une réaction allergique aux dermatophytes touchant les pieds.

3. Dermatophyties plus rares • Le kérion est une dermatophytie inflammatoire et pustuleuse touchant le cuir chevelu ou la barbe (fig. 5). Il est dû à un champignon géophile ou zoophile (Trichophyton gypseum , T. verrucosum ou T. mentagrophytes en cas de contact avec des bovins ou des chevaux), mais peut aussi se voir en cas d’application malencontreuse de dermocorticoïdes. Une alopécie définitive peut lui succéder.

3 Eczéma marginé de Hebra.

4 Kératodermie plantaire. La lésion est circulaire à évolution centrifuge avec une bordure érythémateuse et un centre plus clair. Le fond du pli est en général respecté. Même en cas de lésion extensive, le scrotum et la verge sont classiquement épargnés, contrairement aux infections candidosiques de la région. Il peut y avoir une dépilation transitoire. • Autres topographies : aux mains comme aux pieds, en dehors de l’intertrigo interdigital, 2 formes ont été décrites : – la forme hyperkératosique avec épaississement des plis palmaires ou plantaires, aspect squameux, volontiers chronique et persistant malgré les émollients, pouvant évoluer, au pied, jusqu’à la kératodermie plantaire s’étendant aux bords latéraux (« pied mocassin ») [fig. 4];

5 Kérion.

Diagnostic étiologique Les espèces les plus fréquentes sont des dermatophytes anthropophiles (Trichophyton rubrum, T. interdigitale et Epidermophyton floccosum) ou zoophiles (Microsporum canis).

Diagnostic différentiel Dans le cadre de la dermatophytie des plis, le principal diagnostic différentiel est la candidose. Mais l’intertrigo est alors d’aspect humide à limites moins nettes et il existe en général des facteurs prédisposants. Les dermatophyties restent plutôt l’apanage de l’homme alors que

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INFECTIONS À DERMATOPHYTES DE LA PEAU GLABRE ET DES PLIS

les candidoses sont celui de la femme. Une mycose des pieds est plus souvent une dermatophytie (82 versus 11 % pour la candidose), tandis qu’une mycose des mains est plus souvent une candidose (88 versus 8 % ).

2. Dermatophytie des petits plis L’intertrigo à Pseudomonas æruginosa est caractérisé par une lyse à limites nettes de toute l’épaisseur de la couche cornée.

1. Dermatophytie des grands plis • Pour le psoriasis des plis, d’aspect vernissé à limites nettes, il faut rechercher d’autres localisations plus classiques du psoriasis et la notion de poussées antérieures, mais le problème du diagnostic différentiel se pose précisément quand ces autres localisations manquent. • L’érythrasma (infection à Corynebacterium minutissimum) de couleur brun chamois, touchant plus volontiers les grands plis et donnant une fluorescence rouge corail en lumière de Wood.

3. Infections à dermatophytes de la peau glabre Pour ces infections, il faudra éliminer : • un eczéma nummulaire ; • un pityriasis rosé de Gibert, dermatose probablement virale, caractérisée par un médaillon érythématosquameux initial isolé pendant une à deux semaines, puis accompagné de nombreuses macules érythématosquameuses ; • un psoriasis ou un eczéma de contact.

TABLEAU II Principales différences entre dermatophyties et candidoses Dermatophyties

Candidoses

Mycologie

Champignons filamenteux

Levures émettant des filaments

Terrain

Homme

Femme Antibiothérapie Corticothérapie

Topographie

Atteinte cutanée Atteinte des phanères

Atteinte cutanéo-muqueuse Atteinte viscérale possible chez l’immunodéprimé

Lésion typique

Érythémato-squameuse

Érythémateuse avec pustulettes

Traitements utiles

Griséofulvine Azolés Allylamines

Azolés Polyènes antiseptiques

TABLEAU III Espèces et diagnostic différentiel pour les principales formes cliniques Formes cliniques

Espèces responsables

Principaux diagnostics différentiels

Intertrigo inter-orteils

T. rubrum (75 %) T. interdigitale (15-20 %) E. floccosum (5 %) T. mentagrophytes

Eczéma de contact intertrigo candidosique ou à pyocyanique psoriasis des plis autres moisissures

Intertrigo des grands plis

T. rubrum E. floccosum T. interdigitale

Intertrigo candidosique erythrasma (corynébactérie) eczéma de contact psoriasis des plis dermite caustique pemphigus familial

Atteinte de la peau glabre

T. rubrum T. mentagrophytes M. canis M. gypseum

eczéma mummulaire psoriasis eczéma de contact pityriasis rosé de Gibert lupus subaigu mycosis fongoïde

L’identification des espèces se fait sur plusieurs critères : aspect des colonies et pigments sécrétés, caractéristiques microscopiques.

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Dermatologie

4. Prélèvements locaux

2. Autres examens

En définitive, chaque fois que la dermatose évoquée justifie une corticothérapie locale, il faut une grande expérience clinique pour se passer de prélèvements mycologiques. À l’examen en lumière de Wood (ultraviolet), les teignes dermatophytiques à Microsporum sp. et à Trichophyton schonleinii (agent de la teigne favique) ont une fluorescence verte, l’érythrasma une couleur rouge corail ; les autres formes ne sont pas fluorescentes.

La sérologie est sans intérêt dans le cadre des dermatophyties cutanées. Il n’y a pas de syndrome inflammatoire.

Traitement Traitement antifongique Le traitement repose sur des mesures dites d’hygiène associées à un traitement antifongique local ou général. Contrairement aux atteintes des phanères, les atteintes de la peau glabre et des plis sont souvent guéries par un traitement antifongique local. Les éléments suivants incitent à prescrire un traitement par voie générale : lésions extensives, lésions hyperkératosiques épaisses des paumes ou des plantes, échec d’un premier traitement local, diabète, immunodépression. Les mesures d’hygiène incluent le traitement des personnes de l’entourage et (ou) des animaux domestiques atteints de dermatophytie, le lavage des vêtements à l’eau chaude, l’utilisation d’une serviette de toilette par personne, la prévention de la macération. L’aspirateur est le meilleur moyen d’éliminer les spores des tapis, moquettes ou fauteuils. Le prélèvement mycologique doit être effectué avant de débuter le traitement. Il y a plus de 20 spécialités antifongiques d’application locale disponibles en France (tableaux IV et V).

Diagnostic biologique 1. Examen mycologique direct Les prélèvements s’effectuent sur la bordure des lésions par grattage à l’aide d’une curette après une toilette au savon à pH alcalin et à distance de l’arrêt des traitements antifongiques. • L’examen direct au microscope des squames, rendues transparentes par la potasse et (ou) colorées par des fluorochromes, visualise des filaments dermatophytiques. Il permet de poser rapidement le diagnostic mais ne précise pas l’espèce incriminée. • Une mise en culture sur milieu de Sabouraud permet de faire le diagnostic de genre et d’espèce, mais la réponse demande 1 à 4 semaines. • L’antifongigramme est inutile dans l’immense majorité des cas, il n’est pas standardisé et l’interprétation des résultats reste incertaine.

TABLEAU IV Antifongiques utiles dans les dermatophyties

Généraux

Locaux

Famille (DCI)

Galéniques

Indications

Amycor Britane Daktarin appl. locale Econazole Dermazol Fongéryl Furazanol Pévaryl Lomexin crème Fazol Fongamil Fonx Myk Trosyd Kétoderm Trimysten

Crème, poudre, solution Gel, lotion, poudre Gel, solution, poudre Poudre, solution, crème, émulsion Poudre, solution, crème, émulsion Crème Poudre, solution, crème, émulsion Poudre, sol., crème, émulsion, lotion Crème Crème, poudre, émulsion Crème, poudre, solution Crème, poudre, solution Crème, poudre, solution Crème Crème, gel Crème

Dermatophyties de la peau glabre et des plis Traitement d’appoint des dermatophyties étendues Candidoses Pityrosporoses

Lamisil crème

Crème

Amorolfine Ciclopirox

Locéryl Mycoster

Crème, solution

Dermatophyties de la peau glabre et des plis, candidoses Onychomycoses Onychomycoses

❑ Griséofulvine

Fulcine

❑ Griséofulvine ❑ Terbinafine

Griséfuline Lamisil

Imidazolés ❑ Bifonazole ❑ Miconazole ❑ Miconazole ❑ Econazole ❑ Econazole ❑ Econazole ❑ Econazole ❑ Econazole ❑ Fenticonazole ❑ Isoconazole ❑ Omaconazole ❑ Oxiconazole ❑ Sulconazole ❑ Tioconazole ❑ Kétoconazole ❑ Clotrimazole Allylamine Terbinafine

Spécialités

Dermatophyties cutanées, unguéales et capillaires Dermatophyties cutanées, unguéales et candidoses cutanées

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INFECTIONS À DERMATOPHYTES DE LA PEAU GLABRE ET DES PLIS

TABLEAU V Principaux antifongiques par voie orale utilisés dans les dermatophytoses DCI

Spécialités

Spectre utile

Griséofulvine

Fulcine Griséfuline

Dermatophytes (fongistatique)

Céphalées, vertiges, somnolence Insomnie, irritabilité, confusion Nausées, disgueusie, diarrhée Photosensibilisation, hépatites

Leucopénie, anémie

Kétoconazole1

Nizoral

Dermatophytes2

Nausées, vomissements Diarrhées, hépatites Céphalées, vertiges Urticaire, rash

Cytolyse hépatique Cholestase Inhibition enzymatique d’où interactions

Candida Terbinafine

Lamisil cp

Dermatophytes (fongicide) Candida

Effets secondaires cliniques

Hépatites cholestatiques Nausées, agueusie Douleurs abdominales, diarrhées Urticaire, Lyell, Stevens-Johnson

Effets secondaires biologiques

Neutropénie, agranulocytose

1 : itraconazole et fluconazole n’ont pas l’autorisation de mise sur le marché dans les dermatophyties communes. 2 : Trichophyton et Microsporum sont inconstamment sensibles.

On distingue plusieurs familles d’antifongiques locaux : les dérivés azolés en topiques ; les allylamines (terbinafine) ; l’amorolfine ; la ciclopiroxolamine (ciclopirox) ; le tolnaftate. Les traitements par voie orale, parfois mal tolérés, comprennent : un dérivé imidazolé (le kétoconazole) ; des allylamines comme la terbinafine ; la griséofulvine. Pour la conduite du traitement, il faut théoriquement utiliser une pommade sur des squames épaisses, une crème sur peau sèche, et un gel ou une poudre en cas d’intertrigo macéré. Les effets indésirables sont rares et les deux applications quotidiennes doivent déborder largement la lésion. La durée du traitement varie selon la forme clinique et doit se poursuivre tant que persistent les lésions. Une application quotidienne est suffisante pour la terbinafine et le kétoconazole. D’autres dérivés imidazolés tels le fluconazole et l’itraconazole n’ont pas l’autorisation de mise sur le marché en France pour les dermatophyties.

Évolution sous traitement Les dermatophyties de la peau glabre et des plis sont des affections fréquentes, en général bénignes, et d’évolution souvent favorable sous traitement local. La durée du traitement (toujours supérieure à 2 semaines) ne facilite pas l’observance. De surcroît, comme les facteurs favorisants locaux ne peuvent pas toujours être éradiqués, les récidives sont fréquentes. En pratique ambulatoire, lorsque le diagnostic différentiel entre dermatophytie et eczéma (ou psoriasis) est difficile, la tentation est grande d’utiliser conjointement corticoïdes et antifongiques locaux, en se passant du prélèvement mycologique. Toutefois, en cas d’améliora660

LA REVUE DU PRATICIEN 2000, 50

tion transitoire, on risque d’être confronté à une récidive atypique et le diagnostic mycologique, devenu indispensable, ne sera alors plus contributif. ■

POUR EN SAVOIR PLUS Midgley G, Hay RJ, Clayton YM. Atlas de poche de mycologie. Paris : Flammarion Médecine-Science, 1998. Saurat JH, Grosshans E, Laugier P, Lachapelle JM. Dermatologie et maladies sexuellement transmissibles. Paris : Masson, 1999 (3e édi-

Points Forts à retenir • Les 2 principaux cadres diagnostiques dans lesquels les infections à dermatophytes se rencontrent sont les intertrigos et les lésions érythémato-squameuses. • Deux écueils diagnostiques sont à éviter : considérer que tous les intertrigos sont fongiques et que toutes les lésions érythématosquameuses relèvent de l’eczéma ou du psoriasis. • Le prélèvement mycologique réalisé avant tout traitement permet d’éviter ces écueils, soit dès l’examen direct par la visualisation de filaments, soit de façon retardée par la culture. • La simplicité de prescription d’un traitement antifongique local ne doit pas faire oublier que les facteurs favorisants locaux doivent être éradiqués. Si l’échec du traitement local ne relève pas d’un problème d’observance, il justifie la prescription d’un traitement par voie générale.

Dermatologie

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Infections cutanées bactériennes: impétigo, furoncle, érysipèle Étiologie, diagnostic, évolution, traitement Dr Phryné FOULC, Dr Sébastien BARBAROT, Pr Jean-François STALDER Clinique dermatologique, CHRU, Hôtel-Dieu, 44035 Nantes cedex 01

Points Forts à comprendre La flore cutanée est constituée par deux types de germes. Certains sont des germes commensaux de la peau ; ce sont les staphylocoques coagulasenégative (Staphylococcus epidermidis) surtout, mais aussi le Propionibacterium acnes et Malassezia furfur (levure). Les autres sont des germes dits « en transit » sur la peau, pouvant s’y multiplier transitoirement ; ce sont le staphylocoque doré, le streptococcus pyogenes et certains bacilles gram-négatifs. À l’occasion d’une brèche cutanée, ils sont responsables des infections cutanées suivantes : l’impétigo quand le germe colonise l’épiderme et le derme superficiel, le furoncle quand il colonise le follicule pileux, et l’érysipèle quand l’infection est plus profonde atteignant le derme et l’hypoderme.

Il faudra toujours penser à rechercher une dermatose prurigineuse sous-jacente, surtout dans les formes de l’adulte. L’impétigo n’est pas une maladie immunisante, expliquant la fréquence des récidives.

Diagnostic Le diagnostic d’impétigo est clinique. La lésion élémentaire est une vésico-bulle flasque sur une peau inflammatoire (fig. 1), dont le contenu va se troubler secondairement. Rapidement cette bulle fragile va se rompre sous les frottements et les manœuvres de grattage. Elle laisse alors place à une croûte dite mellicérique car la couleur jaunâtre de l’exsudat séché rappelle celle du miel. Plusieurs éléments d’âges différents coexistent, apparaissant de proche en proche par décollement de l’épiderme en périphérie de la lésion.

Impétigo L’impétigo est une dermo-épidermite superficielle infectieuse. C’est une pathologie de l’enfant, elle est le plus souvent bénigne.

Étiologie L’impétigo est la plus fréquente des infections cutanées de l’enfant. Les deux germes en cause sont le Streptococcus pyogenes (streptocoque du groupe A de type β-hémolytique) et le staphylocoque doré. Dans la forme classique d’impétigo, le caractère clinique des lésions ne permet pas de dire quel est le germe responsable ; ils sont d’ailleurs souvent associés au sein d’une même lésion. C’est une pathologie contagieuse par contact direct avec une lésion cutanée, responsable de petites épidémies scolaires et familiales. Elle est également auto-inoculable par grattage. L’impétigo est favorisé par une hygiène défectueuse et la sous-médicalisation ; il est par conséquent plus fréquemment observé dans les pays pauvres et dans les classes sociales défavorisées.

1

Lésion élémentaire d’impétigo : vésiculo-bulle.

Le siège classique de début des lésions est péri-orificiel (nez et bouche), puis le cuir chevelu, les mains et les zones accessibles au grattage sont atteintes. La disposition linéaire, le long de lignes de grattage est évocatrice.

Formes cliniques 1. Impétigo croûteux C’est la forme typique ; elle est la plus fréquente chez l’enfant avant 10 ans. LA REVUE DU PRATICIEN (Paris) 1998, 48

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IMPÉTIGO, FURONCLE, ÉRYPSIPÈLE

L’impétigo est souvent primitif, sans dermatose sousjacente le plus souvent. Le siège est péri-orificiel (fig. 2). L’examen peut retrouver des adénopathies satellites, mais il n’existe pas de signes généraux. Le prurit est peu intense. Les principaux diagnostics différentiels sont la varicelle et l’herpès. L’évolution est rapidement favorable, les lésions guérissent sans cicatrice.

2. Impétigo bulleux

2

Impétigo croûteux péri-orificiel de l’enfant.

C’est la forme du nouveau-né et du nourrisson. Elle réalise de grandes bulles de 1 à 2 cm de diamètre, flasques, sur peau érythémateuse. Rapidement les phlyctènes laissent place à de vastes érosions d’extension rapide (fig. 3). Le siège des lésions est périgénital et périanal, favorisées par la macération dans les couches et le contact avec

l’urine. Il n’y a pas de signes généraux. Il s’agit d’une forme très contagieuse ; l’infection est manuportée, responsable d’épidémies dans les maternités et les crèches.

Le décollement bulleux réalise une forme localisée de Staphylococcal Scalled Skin Syndrom (SSSS). Le clivage épidermique est dû à la sécrétion d’une toxine appelée exfoliatine, par le staphylocoque doré du groupe phagique II. Cette forme était dénommée improprement « pemphigus épidémique ».

3. Impétiginisation C’est la forme la plus fréquente chez l’adulte. Le germe pénètre à travers la barrière cutanée à l’occasion d’une lésion de grattage. On recherchera systématiquement une dermatose sous-jacente prurigineuse telle qu’une gale, une pédiculose, un eczéma, un herpès ou une varicelle.

4. L’echtyma C’est un impétigo creusant, nécrotique, recouvert d’une épaisse croûte noirâtre et entouré d’un halo inflammatoire, siègeant sur les membres inférieurs. Il s’agit d’une forme de l’adulte, favorisée par la mauvaise hygiène, l’immunodépression, le diabète ou l’éthylisme chronique. Le germe responsable est le streptocoque. Les lésions guérissent lentement et laissent des cicatrices.

Évolution C’est une dermatose en générale bénigne. Les lésions régressent en quelques jours sous traitement, sans laisser de cicatrice sauf dans l’echtyma. Les récidives sont possibles car ce n’est pas une maladie immunisante. Les complications sont rares. Les complications peuvent être locales à type d’abcès, de pyodermites, de lymphangite, plus rarement ostéomyélite et arthrite septique. Les complications générales infectieuses sont des bactériémies, des septicémies, et des pneumonies. La glomérulonéphrite aiguë due au streptocoque du groupe A est une complication immunologique : elle survient surtout chez l’enfant entre 3 et 7 ans et confirme la nécessité d’une antibiothérapie générale. On recherchera systématiquement une protéinurie par une bandelette urinaire 3 semaines après l’infection. L’impétigo ne donne jamais de rhumatisme articulaire aigu.

Traitement Le traitement de l’impétigo nécessite des mesures d’hygiène, un traitement local et un traitement général.

1. Mesures d’hygiène

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Impétigo bulleux de l’enfant.

LA REVUE DU PRATICIEN (Paris) 1998, 48

– L’éviction scolaire est nécessaire quelques jours après la mise en route des antibiotiques. – Les ongles doivent être coupés ras et fréquemment brossés. – On conseille des douches pluriquotidiennes avec un savon antiseptique (Cytéal). – Les vêtements, en coton, doivent être amples pour éviter les frottements et la macération.

Dermatologie 2. Traitement local – On prescrira des applications pluriquotidiennes de solution antiseptique à base d’hexamidine (Hexomédine) ou de nitrate d’argent à 0,5 %. – On ramollira les croûtes avec des antibiotiques locaux en pommade (Fucidine pommade).

3. Traitement général Le traitement par voie générale est systématique. L’antibiotique utilisé doit être actif sur le streptocoque du groupe A et sur le staphylocoque doré. Le plus souvent on utilise la pristinamycine (Pyostacine), par voie orale, à la dose de 2 g/j chez l’adulte et 50 à 100 mg/kg/j chez l’enfant. La durée du traitement est de 10 jours. On peut également proposer d’autres antibiotiques comme des pénicillines M (oxacilline, Bristopen ou cloxacilline, Orbénine), des macrolides (érythromycine, Érythrocine). Il faut également penser à rechercher et traiter les sujets contacts, un foyer ORL responsable du point de départ de l’infection, et une dermatose sous-jacente.

Impétigo Le Staphylococcal Scalled Skin Syndrom (SSSS) appelé aussi Lyell staphylococcique ou syndrome de Ritter-Lyell ou syndrome des enfants ébouillantés est une nécrolyse épidermique staphylococcique. Elle réalise en quelques heures de vastes placards de décollement bulleux, dans un contexte septicémique avec présence de signes généraux sévères (fig. 4). Les lésions cutanées ne sont pas de nature infectieuse ; elles sont dues à la sécrétion d’une toxine (exfoliatine ou staphylolysine) par certaines souches de staphylocoques dorés (Staphylococcus aureus du groupe phagique II). Elle entraîne une nécrose des couches superficielles de l’épiderme.

plus souvent isolé, suivi des streptocoques des groupes G, C et B. Les érysipèles non streptococciques sont rares, dus à des germes variés (staphylocoque doré en premier lieu). • La porte d’entrée cutanée du germe doit être systématiquement recherchée : – aux membres inférieurs : intertrigo interdigitoplantaire, plaie traumatique, ulcère veineux ; – au visage : lésion excoriée d’un orifice narinaire ou d’une oreille. • Le facteur favorisant principal est l’œdème des membres inférieurs (d’origine veineuse, cardiaque ou lymphatique), mais aussi l’alcoolisme, le diabète et la désocialisation. La prise d’anti-inflammatoires non stéroïdiens favorise la survenue de complications.

Diagnostic Le diagnostic d’érysipèle est clinique.

1. Diagnostic positif • Cliniquement : le mode de début est brutal avec fièvre élevée et frissons. L’examen cutané retrouve un placard érythémateux et œdémateux, chaud, douloureux, d’évolution centrifuge, bien limité (fig. 5). Il existe souvent une adénopathie locorégionale et une lymphangite satellite. • La localisation aux membres inférieurs est la plus fréquente, favorisée à ce niveau par les troubles circulatoires. Le tableau réalisé est celui d’une « grosse jambe rouge aiguë fébrile ».

Érysipèle L’érysipèle est une dermo-hypodermite aiguë d’origine infectieuse, très souvent streptococcique, généralement bénigne. Depuis une dizaine d’années, il semble que l’incidence de la maladie augmente dans les pays industrialisés de façon sporadique. La moyenne d’âge des sujets atteints est de 60 ans, le sex-ratio de 1.

Étiologie Le streptocoque β4 Nécrolyse épidermique staphy- hémolytique du groupe lococcique ou Staphylococcal Scal- A (Streptococcus pyogenes) est le germe le led Skin Syndrom (SSSS).

5

Érysipèle du membre inférieur : noter la limite nette et l’aspect luisant.

L’érysipèle de la face, plus rare actuellement, a pour particularités : – son caractère bilatéral fréquent ; – l’importance de la réaction œdémateuse ; – la présence d’un bourrelet périphérique classique, traduisant le caractère superficiel de l’infection (fig. 6). • Les examens complémentaires. Certains sont réalisés systématiquement et avant le début du traitement : hémocultures, prélèvements bactériologiques au niveau de la porte d’entrée. LA REVUE DU PRATICIEN (Paris) 1998, 48

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IMPÉTIGO, FURONCLE, ÉRYPSIPÈLE

Leur rendement est faible. D’autres sont réalisés exceptionnellement en cas de doute diagnostique ou de forme grave : ponction-aspiration profonde, biopsie avec immunofluorescence, imagerie en résonance magnétique. Les sérologies streptococciques (ASLO, antistreptodornases) sont utiles rétrospectivement malgré leur manque de spécificité.

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2. Diagnostic différentiel Érysipèle de la face.

• Aux membres inférieurs, il faut éliminer en premier lieu la fasciite nécrosante (cf. encadré) mais également : – un eczéma aigu ; – une thrombose veineuse profonde (problème fréquent en cas de troubles trophiques vasculaires préexistants) ; – une lymphangite ; – un syndrome de loge (ischémie musculaire par œdème au niveau de la loge externe de jambe). • Au visage, on évoquera toutes les causes d’œdème aigu du visage : – la staphylococcie maligne de la face doit être reconnue rapidement du fait de sa gravité ; – un eczéma aigu (importance du prurit) ; – un zona ophtalmique (unilatéral) ; – un œdème de Quincke (sans érythème).

Évolution • L’évolution est habituellement simple sous traitement adapté, l’apyrexie est obtenue rapidement et les signes locaux régressent en quelques jours. En cas de mauvaise réponse au traitement, il faut craindre une complication locale sous la forme d’une dermo-hypodermite profonde (abcès, fasciite nécrosante). Une thrombose veineuse profonde peut venir compliquer un érysipèle, un écho-doppler veineux sera réalisé en cas de doute clinique. Cette complication semble toutefois rare et ne justifie pas une anticoagulation à dose efficace systématique. • Les complications générales sont : la décompensation d’une tare sous-jacente (diabète, éthylisme chronique) et le choc septique streptococcique. • La complication tardive majeure est la récidive. L’érysipèle aggrave ou fait apparaître un lymphœdème qui favo664

LA REVUE DU PRATICIEN (Paris) 1998, 48

rise la récidive des épisodes infectieux (25 % des érysipèles correspondent à des récidives). La glomérulonéphrite post-streptococcique est exceptionnelle mais justifie la recherche d’une protéinurie 3 semaines après l’épisode aigu.

Traitement 1. Traitement curatif • L’antibiothérapie : le traitement classique repose sur une antibiothérapie précoce administrée par voie intraveineuse, en milieu hospitalier : pénicilline G (12 à 20 millions d’unités/24 h) jusqu’à l’obtention de l’apyrexie et la diminution des signes inflammatoires locaux (environ 6 jours). Un relais par une antibiothérapie orale (pénicilline V, 4 millions d’unités/24 h) doit être poursuivi pendant 8 jours. La durée totale du traitement ne doit pas être inférieure à 10 jours. En cas d’allergie aux β-lactamines, un traitement par macrolides par voie intraveineuse est justifié (érythromycine, 3 g/24 h). • Les traitements associés comprennent : – le traitement de la porte d’entrée (intertrigos) ; – la prévention de la maladie thrombo-embolique (héparine de bas poids moléculaire à dose isocoagulante, ex. : Fraxiparine 0,3 mL sous-cutané/j) ; – la prévention de la décompensation de tares (diabète, éthylisme chronique) ; – la vérification de la vaccination antitétanique.

Érysipèle : vers des alternatives thérapeutiques ? Actuellement, certains auteurs proposent des alternatives au traitement classique de l’érysipèle. En effet, la durée, le coût, et les complications liés à l’hospitalisation, ont motivé la réalisation d’études visant à évaluer l’efficacité d’une antibiothérapie orale d’emblée dans l’érysipèle sans signe de gravité. Ainsi, la roxithromycine (Rulid) ou la pristinamycine (Pyostacine) pourraient permettre à l’avenir une prise en charge simplifiée de cette pathologie fréquente. Ces résultats méritent toutefois d’être confirmés à plus grande échelle. En cas d’infection potentiellement grave (terrain immunodéprimé, plaie chirurgicale, morsure, pied diabétique), il paraît justifié de débuter une antibiothérapie générale à plus large spectre (association d’un aminoside ou de clindamycine à la pénicilline G par voie intraveineuse). Enfin, l’association d’un antistaphylococcique n’est pas indiquée de manière systématique dans l’érysipèle mais doit être discutée en cas de complication locale à type d’abcès.

2. Traitement préventif La prise en charge d’une insuffisance veino-lymphatique est essentielle (surélévation des membres inférieurs, contention élastique). L’efficacité d’une antibiothérapie au long cours est démontrée chez les patients multirécidivants (benzylpénicilline : Extencilline, 2,4 millions d’unités/3 semaines ou phénoxyméthylpénicilline : Oracilline, 4 à 6 millions d’unités par jour). Ce traitement n’est que suspensif et sa durée n’est pas définie, il est réservé aux patients très motivés.

Dermatologie

La fasciite nécrosante : une urgence médico-chirurgicale Il s’agit d’une dermo-hypodermite bactérienne profonde d’évolution nécrosante touchant primitivement le fascia pour atteindre de manière extensive les tissus cutanés adjacents. Le streptocoque A est souvent en cause, associé à d’autres germes (staphylocoque doré, anaérobies, entérobactéries). Complication classiquement rare de l’érysipèle, son incidence semble augmenter depuis quelques années. Les signes cliniques devant faire suspecter une fasciite nécrosante sont : l’importance des signes généraux (altération de l’état général rapide, signes de choc, défaillances viscérales), l’aggravation des signes locaux (apparition de placards violacés d’aspect cartonné avec hypoesthésie superficielle, phlyctènes hémorragiques) et la nonréponse au traitement antibiotique bien conduit (fig. 7). Il s’agit d’une urgence médico-chirurgicale. La prise en charge comprend une antibiothérapie en intraveineux à large spectre, l’excision chirurgicale des tissus nécrosés, la réanimation en milieu spécialisé. Ce diagnostic est souvent difficile au stade de début mais doit être systématiquement évoqué du fait de sa gravité.

Diagnostic 1. Diagnostic positif Le furoncle se présente cliniquement comme un nodule érythémateux surmonté d’une pustule. La lésion est centrée par un poil. En quelques jours le nodule devient fluctuant, très douloureux, la pustule se rompt en laissant s’éliminer le bourbillon (produit de la nécrose du follicule pilo-sébacé). Les signes généraux sont absents. Les zones pileuses et de frottement (ceintures) sont le plus souvent atteintes (fig. 8). Les examens complémentaires sont inutiles en routine.

Furoncle C’est une folliculite aiguë profonde, nécrosante.

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Furoncles de la nuque.

Étiologie 1. Bactériologie

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Fasciite nécrosante.

Le staphylocoque doré est le germe le plus souvent en cause, ce n’est pas un hôte habituel de la peau, toutefois on le retrouve au niveau du périnée et des fosses nasales chez des sujets sains. Son implantation sur la peau est favorisée par l’existence de lésions cutanées (plaie, cicatrices) qui représentent des réservoirs potentiels, sources de récidives. Il existe un risque d’auto-inoculation par les mains.

2. Les facteurs favorisants Ils sont : – locaux : la macération (zone des plis, fortes chaleurs), les traumatismes locaux (vêtements serrés, rasage), les défauts d’hygiène, la corticothérapie locale ; – généraux : diabète, obésité. Un déficit immunitaire est exceptionnellement retrouvé.

2. Diagnostic différentiel • Les folliculites sont des infections superficielles du follicule pilo-sébacé d’origine fréquemment staphylococcique. Cliniquement il s’agit de pustules centrées par un poil dont l’évolution est favorable sous traitement antiseptique local, sans cicatrice. La coalescence de folliculites du visage au niveau des zones pileuses réalise le sycosis staphylococcique, d'évolution chronique. Plus rarement, les dermatophytes occasionnent une atteinte inflammatoire des follicules pileux réalisant un tableau de sycosis trichophytique. • L’acné associe des lésions inflammatoires (nodules) et rétentionnelles (microkystes, comédons) siégeant au visage, à la région médio-thoracique et au dos. • L’hydrosadénite est une infection staphylococcique des glandes sudoripares apocrines. Elles siègent aux aisselles et aux plis inguinaux. • Un kyste épidermique surinfecté se différenciera du furoncle par la notion d’une lésion préexistante à l’épisode inflammatoire. Enfin, on éliminera facilement les pustuloses non folliculaires (psoriasis pustuleux, pustulose exanthématique aiguë généralisée) et la pseudo-folliculite de la maladie de Behçet.

Évolution Le furoncle guérit habituellement en 15 jours en laissant une cicatrice déprimée. LA REVUE DU PRATICIEN (Paris) 1998, 48

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IMPÉTIGO, FURONCLE, ÉRYPSIPÈLE

1. Complications aiguës • L’anthrax : placard inflammatoire formé d’un agglomérat de plusieurs furoncles, en relief, douloureux, fébrile, souvent localisé à la nuque. • La staphylococcie maligne de la face est rare. Elle vient compliquer la manipulation d’un furoncle médio-facial. Le tableau clinique est celui d’une dermo-hypodermite profonde du visage (placard rouge sombre extensif, mal limité) avec signes généraux marqués. L’évolution vers une thrombophlébite du sinus caverneux gravissime est possible. Le traitement repose sur une antibiothérapie antistaphylococcique par voie intraveineuse, associée à une anticoagulation.

Les infections cutanées peuvent également être révélatrices de déficits immunitaires congénitaux en particulier les anomalies fonctionnelles des polynucléaires neutrophiles. Devant des infections cutanées récidivantes, les arguments qui feront suspecter un déficit immunitaire sont, la prévalence élevée du straphylocoque doré, l’âge de début précoce, les antécédents familiaux, les atteintes viscérales associées quasi constantes et l’existence de trouble de la cicatrisation. Dans ces cas qui restent cependant rares, l’exploration des fonctions des polynucléaires peut être réalisée, recherchant des anomalies de la bactéricidie et de l’adhésion des polynucléaires.

Points Forts à retenir

2. Complications générales Elles sont rares : septicémie à staphylocoque, décompensation de tare.

3. La complication chronique C’est la furonculose, définie par la récidive de furoncles pendant des mois ou des années. Dans ce cas, on doit réaliser des prélèvements bactériologiques locaux chez le patient et son entourage pour rechercher un portage chronique au niveau de gîtes bactériens (nasal surtout). Le typage du germe sera effectué en fonction de son antibiogramme.

Traitement 1. Traitement du furoncle • Antisepsie locale biquotidienne : chlorhexidine : Diaseptyl sur les lésions, à poursuivre une semaine après la guérison de la lésion. • Des soins d’hygiène doivent être respectés : douche quotidienne, lavage fréquent des mains, linge propre et personnel. • L’excision du bourbillon ne peut être effectué qu’au stade de fluctuation de la lésion, suivi de l’application d’une compresse antiseptique afin de limiter la diffusion du germe. • L’antibiothérapie générale est indiquée dans les formes compliquées, la localisation au visage ou sur terrain débilité : pristinamycine, Pyostacine, 2 g/j.

Furoncle: ce qu’il ne faut pas faire – Manipuler un furoncle, surtout s’il est localisé au visage. – Exciser chirurgicalement un furoncle avant le stade de fluctuation. – Traiter par anti-inflammatoires non stéroïdiens (localement ou par voie générale).

• L’érysipèle, l’impétigo et les furoncles sont des infections cutanées bactériennes. Leur diagnostic est simple et essentiellement clinique. L’évolution est souvent favorable sous traitement. Néanmoins, il existe des formes graves qui mettent en jeu le pronostic vital et il faut savoir les reconnaître tôt : ce sont la fasciite nécrosante, la nécrolyse épidermique staphylococcique et la staphylococcie maligne de la face. • L’impétigo est une infection cutanée contagieuse de l’enfant. Classiquement, il réalise des vésiculobulles péri-orificielles se transformant rapidement en croûtes mellicériques qui guérissent sans cicatrice. Les deux germes responsables sont le streptocoque du groupe A et le staphylocoque doré. Le diagnostic est uniquement clinique. Les buts du traitement sont de guérir l’infection par des antiseptiques et des antibiotiques et d’éviter la contagion par l’éviction scolaire et les mesures d’hygiène. • L’érysipèle est une dermo-hypodermite principalement due au streptocoque du groupe A. La fièvre est associée aux signes locaux. Il est nécessaire de pratiquer des hémocultures et de rechercher la porte d’entrée. Le traitement repose sur l’antibiothérapie associée à une anticoagulation préventive. • Le furoncle est une infection du follicule pileux par le staphylocoque doré dont le traitement est chirurgical au stade collecté. Il faut rechercher des facteurs favorisants.

2. Traitement spécifique de la furonculose En cas de portage chronique de staphylocoque doré, on procède à une désinfection des gîtes bactériens chez le patient et son entourage : antibiothérapie locale 2 fois par jour sur les gîtes (narines, cicatrices de furoncles, anus) une semaine par mois pendant 6 mois à 1 an (ex. : Fucidine pommade). Une antibiothérapie orale est parfois associée : rifampicine (Rifadine) 600 mg 2 fois/j pendant 5 jours ou clindamycine (Dalacine) 1 à 2 g/j pendant 10 jours. ■ 666

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POUR EN SAVOIR PLUS Maleville J, Taieb A, Massicot P. Affections bactériennes communes. In : Saurat JH, Grosshans E, Laugier P, Lachapelle JM. Dermatol Venerol. Masson 1990 ; 106-15. Petit A. Érysipèle. Données récentes et questions d’actualité. Ann Dermatol Venerol 1996 ; 123 : 585-93. El Baze P, Lacour JP, Ortonne JP. Folliculites. Éditions techniques. Encycl Med Chir (Paris-France). Dermatologie, 12485 A10, 1992, 6 pp.

Dermatologie B 177

Infections cutanées et muqueuses à Candida albicans Épidémiologie, diagnostic, traitement PR Béatrice CRICKX Service de dermatologie, groupe hospitalier Bichat-Claude-Bernard, 75877 Paris Cedex 18.

Points Forts à comprendre • Les candidoses sont des infections opportunistes dues à des champignons levuriformes, genre Candida dont l’espèce albicans est responsable de la plupart des manifestations pathologiques chez l’homme. • Candida albicans existe à l’état endosaprophytique sur les muqueuses digestives et génitales. Les candidoses à Candida albicans se situent donc presque toujours sur les muqueuses avant d’être cutanées.

Épidémiologie Les Candida font partie des levures, champignons se multipliant par bourgeonnement des cellules isolées. Cette levure produit du pseudo ou du vrai mycélium. Parmi les 35 espèces de Candida connues, seul le Candida albicans est un saprophyte exclusif des muqueuses (respiratoires, vaginales, digestives). Contrairement aux autres espèces qui peuvent se trouver normalement sur la peau et les muqueuses, il n’est jamais trouvé sur la peau saine. C’est sous l’influence de facteurs favorisants (tableau I) que la levure Candida albicans passe de l’état saprophyte à l’état parasitaire. La colonisation puis l’invasion de la peau et des muqueuses sont le résultat : d’une rupture d’équilibre entre la virulence fongique et les défenses de l’organisme, notamment la réponse immunitaire cellulaire à lymphocytes T ; de facteurs locaux créant un état de réceptivité favorable à leur développement, telle la macération des couches cornées par la transpiration, l’occlusion. Les modalités d’infestation sont : rarement la voie exogène, telle la contamination du nouveau-né ou du nourrisson par la mère atteinte de vaginite candidosique ou les candidoses sexuellement transmissibles des adultes ; surtout

la voie endogène par porte d’entrée digestive ou génitale. Exceptionnellement, Candida albicans provoque des septicémies ou des lésions viscérales profondes.

Diagnostic Diagnostic positif Il repose sur 3 arguments : l’aspect clinique, en règle très évocateur, et suffisant au diagnostic même si les manifestations cliniques réalisées revêtent des aspects très différents selon la topographie ; la confirmation biologique par l’examen mycologique de technique simple et de résultat rapide ; le traitement d’épreuve.

TABLEAU I Facteurs favorisant les conditions cutanéo-muqueuses Facteurs locaux ❑ Humidité, macération (occlusion, transpiration, obésité…), contacts répétés avec l’eau ❑ Irritations chroniques, pH acide (prothèses dentaires) ❑ Xérostomie, mucite post-radique Facteurs généraux Terrain ❑ Immunosuppression : congénitale, acquise (thérapeutique, virus de l’immunodéficience humaine) ❑ Diabète ❑ Grossesse ❑ Âge (âges extrêmes de la vie) Médicaments ❑ Antibiotiques ❑ Œstroprogestatifs ❑ Corticoïdes

LA REVUE DU PRATICIEN 1999, 49

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INFECTIONS CUTANÉES ET MUQUEUSES À CANDIDA ALBICANS

Les manifestations cliniques peuvent revêtir des aspects différents : les formes localisées sont les plus fréquentes, touchant les grands plis, les espaces interdigitaux, les demi-muqueuses et les phanères, notamment les ongles. Les formes diffuses sont beaucoup moins fréquentes et se rencontrent en règle chez le nourrisson et le jeune enfant. Les lésions profondes sont exceptionnelles et s’observent chez le petit enfant et surtout en contexte d’immunodépression. Quelle que soit la localisation, les candidoses réalisent un fond érythémateux recouvert d’un enduit crémeux malodorant avec une évolution centrifuge sous forme d’une bordure pustuleuse ou d’une collerette desquamative.

1. Candidoses buccales et digestives Elles atteignent un ou plusieurs des segments du tube digestif et sont particulièrement fréquentes aux âges extrêmes de la vie et chez les sujets immunodéprimés : • perlèche sous forme d’une fissure de la commissure labiale, avec un fond du pli rouge, macéré puis desquamatif ou croûteux et parfois débord sur la peau adjacente; • stomatite sous forme d’une inflammation aiguë ou chronique de la muqueuse buccale. La stomatite peut être purement érythémateuse avec rougeur congestive de la muqueuse qui devient brillante, vernissée et douloureuse. Elle peut être érythémateuse et pseudo-membraneuse sous forme d’un muguet où la surface rouge se recouvre de taches blanchâtres dont le raclage léger permet de détacher les couches superficielles. À ce stade, les troubles subjectifs sont caractérisés par la sécheresse de la bouche et des sensations discrètes de cuisson, enfin, une légère dysphagie avec une sensation de corps étranger. Le muguet domine à la face interne des joues alors que les gencives sont plutôt atteintes dans les stomatites érythémateuses banales. En l’absence de traitement, le muguet peut s’étendre au pharynx responsable d’une dysphagie nette. L’atteinte œsophagienne est plus rare que les stomatites dont elle n’est souvent qu’une extension, encore qu’elle puisse se développer en l’absence de lésions buccales cliniquement décelables. Elle doit faire rechercher une immunodépression, notamment une infection par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH). Les candidoses gastro-intestinales accompagnent généralement une candidose bucco-œsophagienne et peuvent être indirectement révélées par une diarrhée. La candidose ano-rectale est révélée par un prurit anal, tandis que l’examen découvre un érythème péri-anal sous forme d’une anite érythémateuse suintante ou érosive qui se prolonge par un intertrigo inter-fessier.

2. Candidose des plis • Elle réalise un intertrigo, c’est-à-dire une atteinte inflammatoire des plis cutanés avec comme caractères communs : un début au fond du pli, éventuellement fissuraire ; une lésion symétrique par rapport au fond du pli ; une collerette desquamative ou pustuleuse à quelque distance du foyer principal. 2150

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• L’intertrigo candidosique survient à tout âge, mais prédomine chez le sujet obèse, diabétique et à partir d’un réservoir digestif ou vaginal. • L’intertrigo des grands plis (génito-crural, péri-anal et interfessier, sous-mammaire) réalise l’aspect clinique sus-cité. Ils sont en général symétriques, et volontiers associés. • L’intertrigo des petits plis (interdigital des mains ou des pieds) siège électivement dans le 3e espace et atteint de préférence les individus en contact avec l’eau ou atteints d’hyperhidrose qui ont des facteurs professionnels favorisant l’occlusion (port de chaussures de sécurité, de bottes…). Le prurit est fréquent et la surinfection à d’autres germes est possible avec risque de lymphangite.

3. Candidoses génitales Leur caractère sexuellement transmissible n’est pas constant ou admis par tous. Les tableaux cliniques sont variés et polymorphes. Si, dans certains cas, ils évoquent d’emblée une candidose (autre atteinte évocatrice associée), dans d’autres, ils prennent le masque d’une infection banale. Le diagnostic de mycose génitale est d’ailleurs volontiers porté par excès. • La vulvovaginite candidosique prédomine chez les femmes jeunes et d’âge moyen, notamment pendant la grossesse. Chez la plupart des femmes, on note quelques épisodes aigus répondant à un traitement classique, mais chez d’autres la vulvovaginite est récidivante ou chronique avec une véritable obsession de cette infection dont l’apparition paraît inexplicable. En fait l’infection semble résulter davantage de l’activation d’une colonisation vaginale saprophyte que d’une véritable transmission sexuelle. La vulvovaginite est d’abord érythémateuse et œdémateuse avec prurit, puis apparaît un enduit blanchâtre, des leucorrhées souvent abondantes, blanc jaunâtre, qui stagnent dans les plis de la muqueuse vulvovaginale et sont responsables d’un prurit intense ou d’une dyspareunie. L’extension aux plis inguinaux et aux plis interfessiers est fréquente et facilite le diagnostic. • Les candidoses génitales masculines peuvent se manifester par une urétrite avec écoulement purulent blanc verdâtre, associé à une dysurie et à un prurit méatique, ou par une balanite et balanoposthite responsables d’une inflammation du gland, du sillon balano-préputial et du prépuce. La contamination peut être sexuelle mais l’infection ne peut se développer durablement que sur un terrain prédisposé. L’aspect est peu spécifique, et mérite d’être authentifié par un prélèvement mycologique, car le diagnostic de balanite candidosique est souvent porté par excès.

4. Candidoses des phanères • Des folliculites candidosiques peuvent être observées soit à proximité d’un foyer mucocutané soit plus à distance notamment dans des zones qui sont le siège de macération ou de transpiration (tronc, cuir chevelu). La non-réponse d’une folliculite à un traitement anti-

Dermatologie

staphylococcique doit faire pratiquer un prélèvement mycologique pour éliminer tout autant une candidose qu’une dermatophytie. • Il peut s’agit d’une onycholyse candidosique ou plus souvent d’une paronychie chronique atteignant fréquemment la femme adulte exposée à l’eau : l’infection débute toujours par l’atteinte du repli unguéal, qui se tuméfie, devient inflammatoire et dont la pression fait sourdre une goutte séropurulente ; la lame unguéale est ensuite envahie à partir de la paronychie, s’épaissit, devient verdâtre ou brun noir ; l’évolution est chronique, parsemée de poussées intermittentes. Au rôle du Candida albicans s’ajoute le rôle d’autres germes et souvent un processus immuno-allergique, notamment par contact avec les produits alimentaires.

• L’intertrigo microbien ou dermatophytique présente les germes tels que le staphylocoque, le streptocoque ou le pyocyanique qui peuvent s’associer à des Candida albicans dans les plis. Cette responsabilité doit être évoquée devant un intertrigo douloureux, fissuraire, répondant mal à l’antifongique seul. L’intertrigo dermatophytique touche essentiellement les plis génito-cruraux ou le 4e espace inter-digito-plantaire ; au niveau des aines, il est asymétrique, surtout marqué par une bordure périphérique et respecte relativement le fond du pli ; au niveau du 4e espace interorteils, il s’agit simplement d’une desquamation asymptomatique. • L’intertrigo à Corynebacterium (érythrasma) réalise une tache brune, volontiers symétrique, de teinte homogène, s’étendant à partir de la racine de la cuisse et asymptomatique.

Diagnostic biologique La technique de diagnostic est simple avec un prélèvement par écouvillon de l’intertrigo, d’éventuelles pustules ou par découpage de l’ongle. L’examen direct recherche des levures bourgeonnantes avec ou sans pseudo-filament. La culture sur milieu de Sabouraud est additionnée d’antibiotiques pour limiter la pousse des bactéries ou d’actidione pour limiter la pousse des moisissures contaminantes. La levure pousse rapidement en 2 à 3 jours. L’isolement en culture de Candida albicans, absent de la peau saine, à partir de tous les points d’ensemencement, avec de plus, à l’examen direct, la présence de pseudo-filaments ou de filaments qui signent sa pathogénicité, conduit au diagnostic de candidose. L’examen mycologique n’est pas toujours pratiqué en routine, en raison d’un diagnostic clinique souvent évident et du fait que le traitement d’épreuve antifongique local permet de traiter aisément les lésions candidosiques. Toutefois, dans les cas difficiles (aspect clinique atypique, diagnostic différentiel nécessaire, lésions récidivantes malgré un traitement adéquat…), le prélèvement mycologique est indispensable.

TABLEAU II Principaux diagnostics différentiels des infections cutanéo-muqueuses à Candida albicans Topographie Perlèche

❑ Perlèche à streptocoques (+++), syphilis secondaire, herpès

Muguet/stomatite érythémateuse

❑ Lichen plan buccal ❑ Langue géographique ❑ Langue noire idiopathique ❑ Leucoplasie

Intertigo des grands plis

❑ Psoriasis inversé ❑ Dermite de contact ❑ Intertigo bactérien ❑ Intertigo dermatophytique

Intertigo des petits plis

❑ Psoriasis ❑ Dermophytie ❑ Dyshidrose

Vulvovaginite

❑ Vulvovaginite bactérienne ou à Trichomonas ❑ Vulvites allergiques ❑ Lichénification liée à un prurit vulvaire ❑ Lichen scléro-atrophique

Banalite

❑ Herpès ❑ Balanite aspécifique ❑ Maladie de Bowen

Onyxis

❑ Psoriasis ❑ Onyxis dermatophytique

Diagnostic différentiel Les diagnostics différentiels sont envisagés par ordre de fréquence et selon la topographie (tableau II). D’une façon générale on distingue 4 principaux diagnostics différentiels. • Les dermites de contact sont très prurigineuses, érythémato-vésiculeuses ou suintantes s’il s’agit d’une dermite de contact allergique ; ou érythémateuses, sèches et crevassées lorsqu’il s’agit d’une dermite de contact caustique. • Le psoriasis inversé réalisant un intertrigo vernissé, papuleux, bien limité ; le diagnostic doit être évoqué dès qu’un intertrigo candidosique résiste à un traitement d’épreuve bien conduit ; l’examen clinique attentif permet éventuellement de dépister une plaque psoriasique plus typique en dehors des plis ; la situation se complique lorsque le psoriasis est colonisé par un Candida albicans.

Diagnostics différentiels

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Traitement Principes Il est nécessaire de rechercher les facteurs favorisants et, dans la mesure du possible, de les éradiquer (tableau I). L’examen clinique doit détecter tous les foyers à traiter simultanément pour éviter les récidives. Le traitement des candidoses cutanéo-muqueuses est en règle local, excepté dans certaines formes graves ou étendues qui nécessitent l’utilisation d’un antifongique systémique.

Molécules disponibles Les antifongiques locaux actifs sont de 3 types : antibiotiques tels que la nystatine (Mycostatine), l’amphotéricine B (Fungizone) ou les dérivés imidazolés ou encore le ciclopirox (Mycoster). On donne actuellement la préférence aux topiques imidazolés, plus modernes, et très nombreux à être commercialisés. La forme galénique (crème, poudre, gel, lait…) est adaptée en fonction de la localisation. Il est en de même pour le rythme d’applications (1 ou 2 applications quotidiennes) selon la molécule utilisée. En raison de l’excellente activité antifongique, des traitements courts de 15 jours sont habituellement suffisants. Certaines molécules sont disponibles sous forme de suspension buccale, dragée ou encore ovule pour traiter le foyer muqueux associé.

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Indications • Les candidoses cutanées localisées sont toujours accessibles à un traitement local ; on y associe le traitement du foyer muqueux : foyer digestif, foyer génital avec traitement par ovules gynécologiques ; traitement simultané d’un partenaire si la contamination sexuelle est avérée. • Les candidoses cutanéo-muqueuses, inaccessibles à un traitement local simple ou survenant dans un contexte de déficit immunitaire génétique ou acquis justifient le recours à un traitement antifongique systémique oral : kétoconazole (Nizoral) avec surveillance du bilan hépatique, ou fluconazole (Triflucan). ■

Points Forts à retenir • Le diagnostic de candidose repose sur l’examen clinique et le traitement d’épreuve. La confirmation par l’examen mycologique dont les résultats sont rapides est utile dans les cas atypiques ou certaines topographies. • L’examen clinique doit rechercher tous les foyers candidosiques pour éviter récidive ou pérennisation de la candidose. • La prophylaxie et le traitement des candidoses ne se réduisent pas au seul traitement de celles-ci par voie locale ou générale mais s’associent à une enquête étiologique à la recherche des facteurs favorisants.

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Infections uro-génitales à gonocoques et à Chlamydia (en dehors de la maladie de Nicolas Favre) Épidémiologie, diagnostic, évolution, traitement Dr Michel JANIER Centre clinique et biologique des maladies sexuellement transmissibles, hôpital Saint-Louis, 75475 Paris cedex 10

Points Forts à comprendre Chlamydia trachomatis et Neisseria gonorrhœæ (ou gonocoque) sont les deux agents infectieux le plus souvent responsables d’infections uro-génitales basses chez l’homme et chez la femme. Le risque majeur est représenté par les infections ascendantes et leurs conséquences, en particulier chez la femme (salpingite, stérilité tubaire, grossesse extra-utérine). Si les infections gonococciques ont fortement diminué depuis dix ans dans les pays développés, les infections urogénitales à Chlamydia trachomatis sont toujours un problème majeur de santé publique.

Épidémiologie L’OMS estimait en 1995 à 90 millions le nombre de cas d’infection génitale à Chlamydia trachomatis dans le monde et à 60 millions le nombre de cas de gonococcie. L’incidence des infections à chlamydia est voisine dans tous les pays (entre 2 000 et 4 000 cas pour 100 000 habitants par an). L’incidence des gonococcies est, en revanche, répartie de manière très disparate, environ 500 cas pour 100 000 habitants par an dans les pays développés contre plus de 6 000 en Afrique Noire. L’incidence des gonococcies a très fortement diminué dans les pays développés depuis 1985. L’incidence des infections à Chlamydia trachomatis commence seulement à baisser. Ces baisses sont facilement explicables par les mesures de protection utilisées contre l’infection par le VIH.

Diagnostic Neisseria gonorrhœæ et Chlamydia trachomatis sont des bactéries responsables d’infections génitales basses (urétrite chez l’homme, cervico-vaginite chez la femme). Leur méconnaissance peut conduire à des complications (orchi-épididymite chez l’homme, salpingite et stérilité tubaire chez la femme, conjonctivite et pneumopathie chez le nouveau-né).

Urétrites masculines L’urétrite masculine est une inflammation de l’urètre dont la définition est cytologique (au moins 10 polynucléaires neutrophiles sur l’examen du premier jet d’urine au grossissement 400 ou au moins 5 polynucléaires neutrophiles sur le frottis urétral au grossissement 1 000). La symptomatologie clinique est variable : écoulement urétral purulent ou séreux ou symptômes moins spécifiques (prurit canalaire, brûlures mictionnelles, pollakiurie, dysurie). On distingue classiquement les urétrites gonococciques et les urétrites non gonococciques (UNG).

1. Urétrite gonococcique Le gonocoque est une bactérie gram-négative, intracellulaire dont la transmission est toujours sexuelle. L’incubation est courte (environ 48 h, toujours moins de cinq jours). La symptomatologie est, le plus souvent, bruyante avec un écoulement urétral purulent, jaunâtre, une dysurie marquée (chaude-pisse, blennorragie). Dans les formes non compliquées, il n’existe ni adénopathie, ni fièvre et le reste de l’examen clinique est normal. Plus rarement, l’écoulement est clair, exceptionnellement, il n’existe aucun écoulement (seulement quelques signes fonctionnels, voire, rarement un portage asymptomatique). Anorectite et pharyngite chez les homosexuels. Le diagnostic est facilement fait par l’examen direct du frottis de l’écoulement étalé sur lame et coloré au Gram ou au bleu de méthylène. Les résultats sont immédiats. La sensibilité de cet examen est proche de 100 %. Seule la présence de diplocoques intracellulaires apporte la quasi-certitude du diagnostic d’urétrite gonococcique. La certitude absolue est apportée par la culture sur milieux spéciaux (gélose chocolat ou milieu de Thayer-Martin au sang cuit, en atmosphère riche en CO2, avec et sans addition d’antibiotiques) dont les résultats sont obtenus en 24 à 48 h. La culture permet, également, de faire un antibiogramme et de rechercher la production d’une β-lactamase. Il n’existe pas de sérologie fiable des infections gonococciques. LA REVUE DU PRATICIEN (Paris) 1998, 48

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2. Urétrite à Chlamydia trachomatis Chlamydia trachomatis est une bactérie intracellulaire obligatoire dont les sérotypes D à K sont responsables d’urétrite à transmission sexuelle (les sérotypes L sont responsables de la maladie de Nicolas Favre). Chlamydia trachomatis est la bactérie le plus souvent responsable d’UNG (20 à 50 %). C’est également la première cause d’urétrite. L’incubation est variable (quelques jours à quelques mois, en moyenne 10 à 15 jours). Dans la majorité des cas, l’infection est totalement asymptomatique. Le portage asymptomatique de Chlamydia trachomatis atteint 10 % dans les populations les plus à risque (adolescents et adultes jeunes). Lorsqu’il existe des symptômes, il s’agit, le plus souvent, d’une urétrite avec écoulement transparent, modéré ou de symptômes urétraux sans écoulement. Chez l’homosexuel : anorectite et pharyngite (souvent simple portage). Le diagnostic d’urétrite à Chlamydia trachomatis est difficile. L’examen direct sur lame est impossible. L’examen de référence est la culture sur milieux cellulaires (cellules HeLa 229 ou MacCoy) dont la spécificité est de 100 % mais dont la sensibilité n’est pas parfaite (80-90 %). En outre, cet examen est long (3 à 7 jours), coûteux et réservé à des laboratoires spécialisés. Enfin, il nécessite un grattage de l’épithélium urétral à l’aide d’un écouvillon de plastique (examen mal accepté par les patients). Les examens rapides (immunofluorescence sur lame ou techniques immunoenzymatiques) ont une spécificité et une sensibilité moindres. Enfin, les techniques d’amplification génomique de type Polymerase Chain Reaction (PCR) ou Ligase Chain Reaction (LCR) ont une excellente sensibilité et sont réalisables sur le premier jet d’urine. Malheureusement, elles ne sont pas, actuellement, disponibles en routine. Les sérologies de Chlamydia trachomatis n’ont aucun intérêt dans le diagnostic des infections génitales basses non compliquées à Chlamydia trachomatis (mauvaise spécificité, mauvaise sensibilité et réactions croisées avec Chlamydia pneumoniæ). D’autres pathogènes sont, également, responsables d’UNG (Trichomonas vaginalis parasite facilement mis en évidence par un examen direct à l’état frais, Ureaplasma urealyticum mis en évidence par des cultures sur milieux spéciaux et Mycoplasma genitalium mis en évidence seulement par des techniques de PCR) mais Chlamydia trachomatis est la première cause des UNG. C’est, également, au sein des UNG, le seul micro-organisme responsable de complications graves. En l’absence d’un laboratoire fiable, il est donc indispensable de traiter tous les patients atteints d’urétrite par une antibiothérapie efficace contre Chlamydia trachomatis.

Cervico-vaginites Neisseria gonorrhœæ et Chlamydia trachomatis sont responsables de cervicites muco-purulentes associant : – une exocervicite avec un col érythémateux et friable ; 906

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– une endocervicite ; – un écoulement muco-purulent par le col, responsable de leucorrhées, motif habituel de la consultation. Dans les formes non compliquées, le reste de l’examen est normal : pas de fièvre, pas de douleur abdominale, pas d’adénopathie et toucher vaginal normal. Une anorectite et une pharyngite sont possibles.

1. Cervicite gonococcique Les infections gonococciques basses sont fréquemment asymptomatiques. Le diagnostic repose non pas tant sur l’examen direct d’un frottis endocervical, sur lame avec coloration au bleu de méthylène et surtout au Gram (présence de polynucléaires, disparition des bacilles de Doderlein). Cet examen est difficile à interpréter du fait de la présence à l’état normal de polynucléaires neutrophiles au col et de la richesse de la flore cervico-vaginale normale. La sensibilité du frottis ne dépasse pas 20 à 30 %. Signalons par ailleurs, qu’une recherche de gonocoque doit être systématiquement faite également à l’urètre, au rectum et au pharynx, et surtout sur les cultures sur milieux spéciaux à la recherche de Neisseria gonorrhœæ (voir plus haut).

2. Cervicite à Chlamydia trachomatis Chlamydia trachomatis est la première cause de cervicite muco-purulente. Elle est en tout point identique à la cervicite gonococcique. Le plus souvent, il n’existe aucun symptôme et les examens clinique et gynécologique sont parfaitement normaux (environ 10 % des femmes jeunes hébergent Chlamydia trachomatis dans leurs voies génitales de manière asymptomatique). Le diagnostic repose sur la recherche de Chlamydia trachomatis par culture sur milieux spéciaux (voir plus haut) aux deux sites (col utérin et urètre). Les examens rapides, immunofluorescence et immunoenzymologie sont moins sensibles. Les PCR ne sont pas disponibles en routine mais ont une bonne sensibilité. La PCR du premier jet d’urine permet de remplacer avantageusement la culture à l’urètre.

Évolution, complications Chez l’homme 1. Infections gonococciques Une infection gonococcique non diagnostiquée et non traitée peut se compliquer de : • orchi-épididymite : grosse bourse douloureuse inflammatoire, atteinte unilatérale, fièvre élevée, augmentation de volume de l’épididyme. Le risque de l’orchi-épididymite est l’obstruction épididymaire avec azoospermie uni-, plus rarement, bilatérale ; • prostatite : fièvre, élevée, douleurs périnéales, prostate ramollie et douloureuse au toucher rectal, dysurie majeure ; • plus rarement, cowperite, tysonite, balanite ; • septicémie gonococcique (voir encadré). • Conjonctivite gonococcique : simple expression du manuportage.

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Septicémie gonococcique Elle associe une fièvre, en général, peu élevée, des arthralgies, des ténosynovites, des signes cutanés (pustules lenticulaires entourées d’un halo érythémateux siégeant aux extrémités dans les régions paraarticulaires, en petit nombre, fugaces). Après quelques jours, survient toujours dans un contexte fébrile, une polyarthrite ou plus souvent une oligoarthrite asymétrique touchant surtout les poignets, les genoux, les chevilles, les doigts avec ténosynovite. Les signes inflammatoires locaux sont marqués mais les épanchements peu abondants. Le liquide articulaire est de type inflammatoire-infectieux (> 10 000 polynucléaires neutrophiles/mm3). Une monoarthrite du poignet ou du genou est, également, possible. Plus rarement, splénomégalie, hépatite, méningite, myocardite, endocardite. Le diagnostic repose sur l’existence d’un syndrome inflammatoire avec polynucléose et surtout l’isolement du gonocoque dans les hémocultures (sur milieux spéciaux) et dans les lésions cutanées et articulaires. Le gonocoque n’est isolé que dans environ 50 % des cas. En revanche, il est retrouvé dans la grande majorité des cas à la porte d’entrée (urètre, anus, pharynx).

2. Infections génitales basses à Chlamydia trachomatis La fréquence des formes asymptomatiques rend compte d’une fréquence plus importante de complications qu’au cours des infections gonococciques : • orchi-épididymite (Chlamydia trachomatis est responsable de 50 % des orchi-épididymites aiguës avant 40 ans). Les sérologies sont ici intéressantes (titres élevés) ; • prostatite (discuté) ; • syndrome de Fiessinger-Leroy-Reiter (encadré).

Chez la femme 1. Infections gonococciques • Bartholinite : abcès d’une petite lèvre, fièvre élevée. • Salpingite : les salpingites gonococciques sont rares actuellement. Douleurs pelviennes et fièvre élevée dans la salpingite aiguë. Vagues douleurs abdominales et fièvre discrète dans la salpingite subaiguë. Risque dans les deux cas d’évolution vers l’obstruction tubaire avec comme conséquences, stérilité tubaire et grossesse extra-utérine. • Périhépatite (syndrome de Fitz-Hugh-Curtis) : tableau de cholécystite aiguë avec atteinte péritonéale dont le diagnostic est fait par laparoscopie. • Septicémie gonococcique subaiguë : (voir plus haut). La septicémie gonococcique est plus fréquente chez la femme que chez l’homme du fait de la plus grande fréquence de gonococcies génitales non diagnostiquées.

Syndrome de Fiessiniger-Leroy-Reiter Il s’agit d’arthrites réactionnelles après une urétrite, survenant le plus souvent chez un homme (sex-ratio 50/1), souvent jeune. Et associant une conjonctivite (bilatérale). Des signes articulaires constants (polyarthrite additive asymétrique aiguë ou subaiguë touchant surtout les grosses articulations des membres inférieurs et volontiers associée à des talalgies, à une atteinte axiale et à des tendinites). Le liquide articulaire est inflammatoire (1 000 à 10 000 polynucléaires neutrophiles/mm3) et stérile. Des signes cutanéo-muqueux, fréquents (80 % : balanite, lésions psoriasiformes). Plus rarement, altération de l’état général et atteinte viscérale. Le diagnostic de syndrome de Fiessinger-Leroy-Reiter est un diagnostic d’élimination : syndrome inflammatoire, sérologie rhumatoïde négative, groupe HLA B27 positif dans 70 % des cas, présence de Chlamydia trachomatis dans une porte d’entrée (urètre, par exemple).

2. Infections uro-génitales à Chlamydia trachomatis • La complication majeure est la salpingite, beaucoup plus souvent subaiguë ou chronique qu’aiguë, de diagnostic tardif et difficile sur de vagues douleurs abdominales, en particulier, au moment des règles, avec un risque majeur de stérilité tubaire. Chlamydia trachomatis est responsable de 50 % des salpingites de la femme jeune et de 70 % des stérilités tubaires. À l’examen, il existe une douleur latérale au toucher vaginal et un empâtement d’un cul-de-sac. Les sérologies de Chlamydia trachomatis montrent un titre élevé d’anticorps de classe IgG, la présence d’IgM antiChlamydia trachomatis et une ascension des anticorps à quinze jours d’intervalle : • périhépatite de Fitz-Hugh-Curtis : (voir plus haut) ; • bartholinite : rare ; • syndrome de Fiessinger-Leroy-Reiter : rare chez la femme.

Chez le nouveau-né Le nouveau-né peut se contaminer lors de l’accouchement lorsque la mère est infectée par Neisseria gonorrhœæ ou Chlamydia trachomatis.

1. Gonococcies néonatales • Ophtalmies néonatales avec conjonctivite purulente pouvant conduire à la cécité. • Prévention systématique lors de tout accouchement par l’instillation conjonctivale de nitrate d’argent ou d’antibiotiques.

2. Infections néonatales à Chlamydia trachomatis • Conjonctivite : survenant chez environ un tiers des nouveau-nés de mère ayant une infection génitale à Chlamydia trachomatis. Il s’agit, en général, d’une conjonctivite bénigne. • Pneumopathie néonatale : Chlamydia trachomatis est l’étiologie principale des pneumopathies néonatales. Il s’agit de « pneumopathies atypiques » bilatérales dont le diagnostic repose sur la mise en évidence de Chlamydia trachomatis en culture et sur les sérologies.

Traitement Grands principes 1. Les MST sont souvent associées Ne jamais oublier de rechercher d’autres MST (herpès génital, condylomes, par exemple). Toujours associer un traitement antichlamydien lorsque l’on est en présence d’une infection gonococcique (associations fréquentes). Toujours proposer une sérologie de la syphilis et une sérologie VIH. Toujours s’enquérir du statut vaccinal vis-à-vis de l’hépatite B et proposer une vaccination, éventuellement.

2. Prévention Un épisode de MST est l’occasion d’insister sur la gravité potentielle des MST, sur les risques encourus, sur la nécessité d’une prévention en modifiant les comportements sexuels (en particulier, préservatifs). LA REVUE DU PRATICIEN (Paris) 1998, 48

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3. Recherche des partenaires Bien insister sur la nécessité de convoquer et de traiter l’ensemble des partenaires lorsque cela est possible.

4. Visites de suivi Une visite de contrôle est indispensable au bout d’une semaine pour constater la guérison clinique et communiquer les résultats des examens biologiques aux patients. Des prélèvements bactériologiques pour constater la guérison microbiologique ne sont, en général, pas nécessaires. Refaire une sérologie VIH deux à trois mois après la MST actuelle.

Traitement des gonococcies Le traitement idéal des gonococcies doit être efficace, administrable en une prise unique, si possible par voie orale, être peu coûteux et bien toléré. La sensibilité du gonocoque aux antibiotiques varie en permanence dans le temps et selon les pays. En France, actuellement, 10 à 20 % des gonocoques sont des Neisseria gonorrhœæ producteurs de pénicillinase (NGPP) et ont, également, acquis des résistances aux tétracyclines et à d’autres antibiotiques.

1. Antibiothérapie • Antibiotiques recommandés – Ceftriaxone : une injection unique intramusculaire de ceftriaxone (Rocéphine) 125 mg. Cet antibiotique est actif non seulement sur les gonococcies génitales mais également sur les gonococcies pharyngées. – Cefixime : une prise orale unique de 400 mg de cefixime (Oroken). Ce traitement a été moins bien évalué sur les gonococcies pharyngées. – Ciprofloxacine : une prise unique orale de 500 mg de ciprofloxacine (Ciflox). Effets secondaires : photosensibilité. – Spectinomycine : une injection intramusculaire unique de 2 g de spectinomycine (Trobicine). Ce médicament est un peu moins efficace que les précédents mais a un coût très peu élevé. Il est inefficace dans le traitement des gonococcies pharyngées. • Un traitement antichlamydien doit être systématiquement adjoint au traitement antigonococcique du fait de la fréquence des associations (environ 30 %). Ces traitements sont efficaces sur les urétrites gonococciques, les cervicites gonococciques, les rectites gonococciques.

le gonocoque et un antibiotique efficace contre Chlamydia trachomatis (pour le gonocoque, ceftriaxone ou autre céphalosporine de troisième génération).

Traitement des infections génitales à Chlamydia trachomatis Le traitement de référence est constitué par les tétracyclines pour une durée de sept jours dans les formes non compliquées (urétrite, cervicite), de 10 jours pour les orchi-épididymites, de 15 jours pour les infections génitales hautes féminines. • Schémas thérapeutiques possibles – Tétracyclines 500 mg x 4 ou 100 mg x 2 de doxycycline ou 100 mg/jour de minocycline. Aucune résistance de Chlamydia trachomatis à ces antibiotiques n’a été décrite. Des échecs cliniques peuvent être constatés (mauvaise observance thérapeutique ou recontamination). Effets secondaires : troubles digestifs, photosensibilité (sauf pour la minocycline). Interdiction d’administrer ces antibiotiques pendant la grossesse et chez l’enfant de moins de 8 ans. – Azithromycine : une prise orale unique d’1 g d’azithromycine (Zithromax). Ce nouveau macrolide à demi-vie très longue, à forte diffusion tissulaire est aussi efficace que 7 jours de tétracyclines. La tolérance est excellente (quelques troubles digestifs) mais le coût est élevé. – Les anciens macrolides, érythromycine en particulier, n’ont pas d’intérêt sauf en cas d’impossibilité d’administrer des traitements plus actifs. Ils conservent une indication chez la femme enceinte et chez l’enfant. – Ofloxacine : 300 mg x 2/jour pendant 7 jours. L’activité de l’ofloxacine est moindre que celle des tétracyclines. Les indications sont exceptionnelles. • Traitement des ophtalmies néonatales à Chlamydia trachomatis : érythromycine per os pendant 15 jours. • Pneumopathies néonatales à Chlamydia trachomatis : érythromycine per os pendant 15 jours. • Le traitement du syndrome de Fiessinger-Leroy-Reiter rejoint celui des polyarthrites rhumatoïdes et des spondylarthrites ankylosantes (anti-inflammatoires non stéroï■ diens, chrysothérapie).

2. Traitement des autres atteintes • La pharyngite gonococcique doit être traitée par ceftriaxone. • La conjonctivite gonococcique de l’adulte doit être traitée, également, par ceftriaxone 1 g intramusculaire. • Les septicémies gonococciques sont traitées par ceftriaxone 1 g/24 h IM ou i.v. jusqu’à l’apyrexie avec relais une semaine par cefixime ou ciprofloxacine. • L’ophtalmie gonococcique néonatale est traitée par ceftriaxone 25 à 50 mg/kg i.v. ou IM, dose unique (ne pas dépasser 125 mg). • Les orchi-épididymites gonococciques sont traitées par ceftriaxone 250 mg IM, dose unique avec relais par doxycycline pendant 10 jours. • Les salpingites gonococciques sont traitées par une polyantibiothérapie comportant un antibiotique efficace contre 908

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Points Forts à retenir Neisseria gonorrhoea et chlamydia trachomatis sont des bactéries responsables d’infections génitales basses : urétrite chez l’homme, cervico-vaginite chez la femme. Leur méconnaissance peut conduire à des complications : orchi-épididymite chez l’homme, salpingite et stérilité chez la femme. Le nouveau-né peut se contaminer lors de l’accouchement. Les MST sont souvent associées. Le traitement repose sur l’antibiothérapie.

Dermatologie B 174

Mélanomes malins Épidémiologie, dépistage, diagnostic, évolution, critères cliniques et histopathologiques du pronostic DR Caroline ROUDIER-PUJOL, PRPhilippe SAIAG Service de dermatologie, hôpital Ambroise-Paré, 92120 Boulogne-Billancourt.

Points Forts à comprendre • Le mélanome est une tumeur maligne développée à partir des mélanocytes dont le potentiel métastatique est redoutable. C’est la plus grave des tumeurs cutanées. • L’incidence du mélanome est en rapide augmentation mais son taux de mortalité baisse. • Parmi les facteurs de risque de mélanome, le seul sur lequel nous puissions agir est l’exposition solaire (photoprotection). • Le dépistage précoce du mélanome est fondamental car associé à un excellent pronostic. L’éducation des patients, l’autosurveillance et la surveillance régulière des lésions pigmentées, en particulier dans les familles à risque, par un dermatologue doivent permettre ce dépistage précoce. • Le critère pronostique le plus important est l’indice de Breslow.

Épidémiologie Augmentation de l’incidence du mélanome Depuis plusieurs décennies, une augmentation rapide de l’incidence du mélanome chez les sujets de peau blanche a été constatée (doublement tous les 10 ans), supérieure à celle des autres cancers (sauf le cancer du poumon chez la femme). La cause de cet accroissement n’est pas démontrée. On estime de 4 000 à 6 000 le nombre de nouveaux cas par an (10/100 000) en France. En 1991 aux ÉtatsUnis, le mélanome représentait 3 % de tous les cancers en terme d’incidence (après exclusion des cancers cutanés non mélanocytaires) et la mortalité par mélanome 1 % des morts par cancer. La mortalité par mélanome a aussi augmenté mais moins vite que l’incidence. En effet, parallèlement à l’accroissement de l’incidence, on note une amélioration de la survie globale liée à un dépistage plus précoce. Si le pronostic des formes métastasées est redoutable, le traitement des formes reconnues précocement (stade I) peut permettre la guérison lorsque la tumeur n’est pas trop épaisse.

Facteurs de variation de l’incidence du mélanome 1. Âge L’incidence du mélanome varie selon l’âge. La survenue d’un mélanome est exceptionnelle avant la puberté (en dehors d’un nævus congénital géant préexistant). L’incidence du mélanome augmente à partir de la 2e décennie pour être maximale à la 6e.

2. Sexe L’incidence du mélanome est différente selon le sexe avec une prédominance féminine (2 femmes pour 1 homme).

3. Latitude L’incidence du mélanome est variable selon les données climatiques et le type de population exposée. L’incidence la plus élevée est retrouvée chez les caucasiens vivant en Australie et Nouvelle-Zélande (40/100 000). Dans les pays ayant une population homogène de race essentiellement blanche (Scandinavie, États-Unis, Australie), l’incidence est inversement corrélée avec la latitude (distance à l’équateur). Cependant, en Europe, il existe une relation paradoxale entre incidence et latitude en rapport avec des différences de phototypes: l’incidence est plus élevée au Nord (Scandinavie) qu’au Sud (Italie). Les expositions solaires intenses pendant les vacances expliquent peut-être ce phénomène.

Facteurs de risque constitutionnels 1. Phototype Il traduit le type de réponse aux UVB. C’est un facteur de risque supérieur à l’exposition solaire elle-même. Le mélanome atteint essentiellement les populations de race blanche. Dans ces populations, les sujets ayant un risque accru de mélanome sont les sujets blonds ou roux, les sujets ayant des éphélides, les sujets ayant tendance aux coups de soleil faciles et bronzant peu ou pas (phototypes 1 et 2). Les études portant sur la couleur des yeux donnent des résultats discordants. Les sujets de race noire (phototype 6) présentent exceptionnellement un mélanome, qui est alors volontiers palmoplantaire. LA REVUE DU PRATICIEN (Paris) 1998, 48

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MÉLANOMES MALINS

2. Nombre de nævus Le nombre de nævus bénins (cliniquement atypiques ou non) est un facteur de risque de mélanome. Un nombre supérieur à 50, voire 100 nævus traduit un important risque de développer un mélanome.

3. Antécédents de mélanome Un antécédent personnel ou familial de mélanome est un fort facteur de risque de mélanome. On retrouve 6 à 10 % de mélanomes familiaux. Pour un patient ayant eu un mélanome, le risque de survenue d’un deuxième mélanome est d’autant plus élevé que le diagnostic de premier mélanome a été fait à un âge précoce (o 40 ans), qu’il existe une histoire familiale documentée de mélanome et (ou) que le patient est porteur de nævus cliniquement atypiques et (ou) histologiquement atypiques. Afin d’établir une prévention, il convient aussi d’identifier les familles à haut risque de mélanome qui sont : – les familles comprenant plusieurs malades atteints de mélanome ; – les familles de malades atteints de mélanome à un âge précoce et (ou) développant des mélanomes multiples et (ou) porteurs de nævus cliniquement atypiques et (ou ) histologiquement atypiques ; – dans ces familles, les sujets porteurs de nævus atypiques sont à très haut risque. Plusieurs gènes ont été récemment retrouvés associés à ces mélanomes familiaux.

4. Autres • Les nævus congénitaux de grande taille (O20 cm à l’âge adulte) ont un risque incontesté de dégénérescence en mélanome. • Les troubles de la réparation de l’ADN des patients atteints de xeroderma pigmentosum ont un risque accru de mélanome. • Les patients immunodéprimés [ infection par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH), hémopathies, transplantés)] ont un risque faiblement accru de mélanome.

Facteurs de risque externes : rôle de l’exposition solaire De nombreux arguments plaident pour son rôle dans la survenue de mélanome. L’hypothèse selon laquelle le risque de mélanome (en particulier le mélanome superficiel extensif) est essentiellement lié à des expositions solaires intermittentes et intenses sur une peau habituellement non exposée (coups de soleil) est suggérée par la distribution anatomique du mélanome, par sa distribution géographique, et par l’incidence plus importante du mélanome parmi les classes aisées et l’effet protecteur à long terme de l’exposition solaire continue retrouvé dans certaines études. L’augmentation de l’incidence du mélanome observée chez des sujets ayant immigré jeunes (<15 ans) dans des pays ensoleillés (Australie, Israël) par rapport à des sujets immigrant dans ces pays plus 1730

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tard démontre un rôle important des expositions solaires intenses dans l’enfance. Le mélanome sur mélanose de Dubreuilh (atteint en règle le visage et le sujet âgé) est lui très corrélé avec les expositions solaires surtout cumulatives. Le rôle éventuel de la diminution de la couche d’ozone n’a jamais été démontré. Le mélanome peut ainsi faire l’objet d’une prévention primaire en diminuant l’exposition solaire des populations, en particulier jeunes. Le succès des campagnes intensives menées en Australie vient de démontrer que l’on peut pour la première fois inverser l’inexorable progression de l’incidence du mélanome. Les autres facteurs de l’environnement étudiés (exposition aux radiations ionisantes, œstroprogestatifs, alimentation, tabac, alcool, traumatismes, virus) semblent avoir un rôle quasi nul dans la survenue de mélanome.

Dépistage Intérêt du dépistage précoce Le mélanome peut être diagnostiqué cliniquement à un stade très précoce où le pronostic est excellent. Des campagnes d’information de la population et des praticiens sont régulièrement diffusées. Bien qu’il doive idéalement porter sur toute la population, ce dépistage s’impose particulièrement chez les patients atteints d’un premier mélanome ; les membres apparentés au premier degré de la famille d’un patient atteint de mélanome ; les membres des familles porteuses de nævus atypiques, définis par plusieurs des caractères suivants : nævus asymétrique, à bordure irrégulière, de couleur inhomogène, de diamètre supérieur à 6 mm, de localisation principalement tronculaire, multiples, de survenue après la puberté et continuant d’apparaître à l’âge adulte. L’éducation de ces patients portera sur les signes de diagnostic précoce, sur la nécessité d’une autosurveillance et d’une surveillance régulière (annuelle au minimum) des lésions pigmentées par un dermatologue. L’autosurveillance est un examen effectué tous les mois par le malade à la recherche de modification des taches pigmentées. On insistera également sur l’importance de la protection solaire.

Diagnostic précoce du mélanome Le mélanome est une tumeur pigmentée survenant le plus souvent en peau saine (plus de 50 % des cas), ou sur un nævus préexistant. L’examen doit porter sur la totalité du revêtement cutané (y compris, la région palmo-plantaire et les organes génitaux externes) car le mélanome peut se développer sur une zone peu ou non exposée au soleil. Il est souvent difficile de faire la différence entre un mélanome débutant et un nævus atypique. Une liste de critères cliniques a été proposée pour aider au diagnostic de mélanome face à une lésion pigmentée (tableau I). Le critère le plus important pour un diagnostic précoce est la notion d’évolution de la lésion dans le temps (semaines ou mois). D’autres signes sont

Dermatologie évocateurs de mélanome mais apparaissent plus tardivement : nodule, suintement, croûte ou saignement. Certaines méthodes peuvent aider au diagnostic précoce du mélanome. La réalisation régulière de photographies standardisées aide la surveillance des patients atteints de nombreux nævus atypiques. La dermatoscopie est une technique non invasive d’examen des lésions pigmentées qui repose sur l’épiluminescence et le grossissement des lésions. Elle peut être réalisée avec un appareil manuel (dermatoscope) qui permet un éclairage tangentiel des lésions à travers une optique (grossissement x10) posée sur la peau après application d’une goutte d’huile pour supprimer le reflet de la couche cornée. Elle doit être pratiquée par un médecin expérimenté.

TABLEAU I Autosurveillance des nævus : règle ABCDE – Asymétrie – Bordure encochée, irrégulière – Couleur hétérogène – Diamètre > 6mm – Évolutivité

membre supérieur). Le SSM peut évoluer pendant plusieurs mois ou années avec des phases concomitantes de croissance et de régression avant d’avoir une phase d’extension verticale. L’aspect initial est celui d’une lésion pigmentée présentant en règle au moins 2 des critères ABCDE, discrètement surélevée, parfois hyperkératosique, à bordure nette mais irrégulière. La perte du relief cutané et un aspect inflammatoire de la bordure sont souvent retrouvés à ce stade. Puis, l’extension progressive périphérique se traduit par un aspect festonné de la bordure avec des zones denses bleu-noir et des zones adjacentes inflammatoires. Il apparaît souvent une dépigmentation progressive du centre de la lésion qui devient cicatriciel et atrophique en rapport avec des phénomènes de régression partielle (figures1, 2, 3 et 4 ). Il existe une variante verruqueuse qui est rare et se présente comme une lésion pigmentée hyperkératosique. Histologiquement, la caractéristique essentielle du mélanome de type SSM est la présence de foyers de mélanocytes atypiques envahissant le derme associée à la présence de mélanocytes atypiques migrant dans les assises suprabasales de l’épiderme adjacent.

Diagnostic Le diagnostic de mélanome repose sur l’analyse histologique de la lésion. Toute lésion suspecte de mélanome doit faire l’objet d’une exérèse complète (avec une marge minimale de 1 à 2 mm) pour analyse histologique. Il ne faut pas surveiller les lésions suspectes mais les enlever. La simple biopsie d’une lésion pigmentée est à éviter car elle risque de méconnaître le diagnostic et, en cas de mélanome, elle ne permet pas de déterminer l’épaisseur exacte de la lésion. Elle est exceptionnellement réalisée en cas de lésion très étendue. Portant sur les zones les plus suspectes, elle doit toujours s’accompagner d’un traitement complémentaire si le mélanome est confirmé. Il est également justifié de demander une analyse histologique systématique après exérèse d’une lésion pigmentée non suspecte de mélanome afin de ne pas méconnaître un mélanome de présentation atypique.

1

Forme débutante SSM : lésion pigmentée asymétrique, bordure encochée, perte du relief cutané.

Principales formes anatomocliniques de mélanome On décrit essentiellement 4 types anatomocliniques de mélanome.

1. Mélanome superficiel extensif (type SSM) C’est la forme la plus fréquente de mélanome (environ 70 % des mélanomes sur peau blanche). Elle atteint surtout les patients de 40 à 50 ans (médiane : 44 ans). Le SSM se voit sur le tronc (surtout chez l’homme) et sur les membres inférieurs (surtout chez la femme) mais peut s’observer dans d’autres localisations (tête, cou, pied,

2

SSM : bordure encochée, croûte, aspect érythémateux en périphérie.

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MÉLANOMES MALINS

2. Mélanome nodulaire Cette forme moins fréquente (10-15 %) se rencontre surtout chez des sujets entre 50 et 60 ans (médiane : 53 ans) et plus souvent chez les hommes. Elle siège essentiellement sur la tête, le cou ou le tronc. Ce type clinique est associé à un plus mauvais pronostic lié au fait que la tumeur est d’emblée invasive verticalement et rapidement évolutive. La lésion se présente comme un nodule hémisphérique parfois polyploïde. La couleur est plus homogène que celle du mélanome de type SSM, noire ou brun foncé mais souvent rouge brun posant des problèmes de diagnostic avec une lésion vas3

SSM ulcéré.

l’assise basale par des mélanocytes atypiques entrecoupés de foyers d’épiderme sain) autour d’un foyer invasif dermique.

4. Mélanome sur mélanose de Dubreuilh La mélanose de Dubreuilh touche les sujets à partir de 60-70 ans et atteint exclusivement les zones photo-exposées, essentiellement la face (joues, tempes, front) mais parfois le cou ou les extrémités supérieures. Elle se présente comme une tache plane, brun clair, terne, mal limitée, avec perte du microrelief cutané. Puis la lésion s’étend très progressivement (sur plusieurs années) et devient de couleur moins homogène (brun foncé, noire, voire bleue). L’apparition d’un nodule sur la zone de pigmentation fait évoquer la transformation en un mélanome invasif. En comparaison avec la phase d’extension horizontale du mélanome de type SSM, la période d’extension latérale de la mélanose de Dubreuilh est beaucoup plus prolongée et certaines lésions ne deviennent jamais invasives. Histologiquement, la mélanose de Dubreuilh en phase préinvasive correspond à une prolifération mélanocytaire atypique intra-épidermique sans envahissement du derme sous-jacent (aspect de mélanome in situ). Après un certain temps d’évolution, la mélanose de Dubreuilh peut se transformer en mélanome invasif. À un stade invasif précoce, elle peut ne se manifester que par la présence d’un infiltrat lymphocytaire.

Autres formes anatomocliniques de mélanome 1. Mélanome sous-unguéal 4

Forme tardive de SSM : lésion pigmentée asymétrique, bordure encochée, polychrome, zone centrale de régression.

culaire. La survenue d’une ulcération ou d’un saignement est fréquente. Histologiquement, le mélanome nodulaire se caractérise par un foyer de mélanocytes atypiques envahissant massivement le derme et l’épiderme immédiatement susjacent sans extension intra-épidermique latérale.

3. Mélanome acrolentigineux Ce type de mélanome représente moins de 10 % des mélanomes sur peau blanche mais 50 % des mélanomes observés au Japon. Il siège avant tout dans la région plantaire (50 % des mélanomes des pieds) mais aussi dans la région palmaire. L’âge de diagnostic est souvent tardif (médiane : 65 ans). Il se caractérise par une vaste plaque lentigineuse pigmentée entourant une zone tumorale surélevée. Histologiquement, le mélanome acrolentigineux est caractérisé par une zone étendue de modification lentigineuse de l’épiderme (remplacement des kératinocytes de 1732

LA REVUE DU PRATICIEN (Paris) 1998, 48

Il pose souvent un problème de diagnostic difficile et peut avoir plusieurs présentations cliniques. Quand il est situé sous la tablette unguéale, il se présente comme une tache pigmentée sous-unguéale et peut être confondu avec un hématome ou un simple nævus. Quand il est situé au niveau de la matrice unguéale, il prend l’aspect d’une bande pigmentée (mélanonychie) longitudinale qui est d’autant plus suspecte qu’elle est unique, large, irrégulière, et associée à une dystrophie de la tablette. L’apparition d’une pigmentation du repli susunguéal (signe de Huchinson) est très évocatrice mais n’est plus considérée comme pathognomonique de mélanome. Le mélanome peut aussi se manifester par une fissure longitudinale pigmentée ou non, par une simple dystrophie unguéale, ou par une paronychie suintante résistante au traitement. Là encore le diagnostic repose sur l’exérèse qui, à ce niveau, peut entraîner des séquelles unguéales.

2. Mélanome des muqueuses Il se manifeste comme une zone maculeuse pigmentée, irrégulière puis surélevée. Il peut être achromique. Son pronostic péjoratif est lié au retard diagnostique.

3. Mélanome de primitif inconnu Il peut apparaître sous la forme d’un nodule sous-cutané

Dermatologie isolé, pigmenté ou non, d’adénopathies ou de métastases à distance dont l’aspect histologique est celui de localisation secondaire de mélanome alors qu’aucun mélanome primitif n’est connu. La lésion initiale doit être attentivement recherchée au niveau muqueux et de la choroïde et sur la peau mais il peut s’agir d’un mélanome primitivement cutané qui a totalement régressé laissant ou non une zone dépigmentée.

tiels sont, par ordre de fréquence décroissante : le poumon, le foie , le cerveau, les os. Tous les organes peuvent en fait être atteints. L’imagerie systématique n’a pas d’intérêt dans le suivi des mélanomes de stade I en raison de la faible possibilité de détecter par ce moyen une métastase unique potentiellement curable et cliniquement asymptomatique.

Évolution

Critères cliniques et histopathologiques du pronostic

Le mélanome est une tumeur métastatique à potentiel métastatique redoutable. Bien qu’il existe des exceptions, le mélanome récidive et métastase le plus souvent selon les étapes suivantes : récurrences locales ou métastases locorégionales puis métastases à distance. La succession chronologique de ces étapes n’est pas obligatoire. Une classification traditionnelle en 3 stades évolutifs est souvent utilisée.

Récurrence locale Elle est définie par la réapparition de nodules tumoraux habituellement sous-cutanés dans les 5 cm autour de la cicatrice d’exérèse du mélanome primitif. Elle représente environ 10 % des premières récidives après mélanome primitif.

Métastases en transit Les métastases en transit sont des métastases par voie lymphatique survenant entre le site d’exérèse du primitif (à plus de 5 cm) et la première aire ganglionnaire de drainage lymphatique. Elles se présentent sous la forme de nodules dermiques ou plus profonds, souvent multiples, bleus ou de la couleur de la peau normale. Elles peuvent parfois s’ulcérer.

TABLEAU II Classification en 3 stades cliniques Stade I : mélanome primitif localisé. Stade II :métastases ganglionnaires régionales ou en transit. Stade III : métastases à distance

Métastases ganglionnaires régionales La survenue d’une métastase ganglionnaire régionale représente 60 % des premières récurrences de mélanome. Les aires le plus souvent concernées sont les aires inguino-iliaques (mélanome des membres inférieurs), axillaires (mélanome du thorax et des membres supérieurs), et cervicales (mélanome de la tête et du cou).

Métastases à distance Dix-huit à 27 % des évolutions péjoratives se font d’emblée vers le stade III. Les sites métastatiques préféren-

Le pourcentage de survie du mélanome entre 5 et 10 ans, tous paramètres confondus, se situe entre 74 et 80 %. De très nombreux paramètres ont été étudiés de façon isolée ou plurifactorielle dans de nombreuses séries. Ces études permettent une évaluation statistique du risque et ce sont les résultats de ces études statistiques qui sont appliqués individuellement. Considérés de façon plurifactorielle, les risques spécifiques liés à l’un ou l’autre des paramètres cliniques s’effacent derrière un paramètre histopathologique prédominant, l’indice de Breslow ou épaisseur tumorale maximale. Le risque individuel n’est pas chiffrable.

Critères pronostiques du mélanome stade I 1. Critères cliniques • Le sexe : globalement, les femmes ont un meilleur pronostic de survie que les hommes. Mais le sexe est un facteur lié à l’épaisseur, au siège, et à l’ulcération et ne semble pas avoir de valeur pronostique additionnelle. • L’âge n’est pas un facteur pronostique de survie, mais un âge avancé favoriserait la rapidité d’évolution en cas de récidives ou de métastases. • Le siège : les topographies axiales (tronc, tête et cou), sous-unguéales et palmoplantaires sont corrélées à un taux de survie plus bas et à un plus grand taux de récidives. • La qualité du traitement initial du mélanome est codifiée. La reprise chirurgicale après l’exérèse initiale doit être rapide et comporter des marges latérales de peau saine qui sont dictées par l’indice de Breslow : marge de 1 cm pour les mélanomes d’épaisseur o 1,0 mm ; marge de 2 cm pour les mélanomes dont l’épaisseur se situe entre 1,1 et 2 mm ; marge de 3 cm pour les mélanomes dont l’épaisseur se situe entre 2,1 et 3 mm. Pour les mélanomes d’épaisseur supérieure à 3 mm, il n’est pas établi qu’une excision avec une marge > 3 cm soit nécessaire. • L’influence de la grossesse sur le pronostic du mélanome n’est pas démontrée. Les grossesses ultérieures n’aggravent pas le pronostic du mélanome qui vient d’être opéré. • La contraception hormonale et l’hormonothérapie de substitution de la ménopause n’ont apparemment pas de traduction sur le pronostic d’après les rares études disponibles. LA REVUE DU PRATICIEN (Paris) 1998, 48

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MÉLANOMES MALINS

2. Critères histopathologiques

1734

LA REVUE DU PRATICIEN (Paris) 1998, 48

6,75-9,75

5,76-6,75

4,76-5,75

3,76-4,75

2,76-3,75

1,76-2,75

0,76-1,75

inférieur à 0,76

Le compte rendu histopathologique de la tumeur primitive doit comporter au moins les informations suivantes : diagnostic, épaisseur mesurée selon Breslow, niveau d’invasion selon Clark, existence d’une ulcération, existence et description d’une régression tumorale, limites de l’excision, existence d’un nævus associé. • L’indice de Breslow est défini par l’épaisseur tumorale mesurée de la partie supérieure de la couche granuleuse de l’épiderme jusqu’à la cellule tumorale la plus profonde. L’indice de Breslow est le meilleur indice pronostique indépendant prédictif de survie sans récidive mais également de récidives et de décès. La survie est inversement proportionnelle à l’épaisseur tumorale. La survenue d’une première métastase est d’autant plus précoce que la tumeur est épaisse (o 4mm) et dans ce cas la probabilité du décès est maximale entre la 2e et 3e année postopéra6 toire. Dans les tumeurs peu épaisses, les réciIndice de Breslow et niveaux de Clark. dives sont plus rares et plus tardives (elles Niveau I : intra-épidermique (mélanome in situ) ; niveau II : pénépeuvent se voir plus de 10 ans après l’exérèse tration focale dans le derme papillaire ; niveau III : invasion de initiale), d’où la nécessité d’une surveillance tout le derme papillaire jusqu’au plan des veines sous-papillaires ; prolongée. niveau IV : invasion du derme réticulaire ; niveau V : pénétration L’indice de Breslow guide la thérapeutique de la tumeur dans l’hypoderme et (ou ) présence de nodules satelpuisque les marges d’exérèse lors de la repri- lites. se chirurgicale obligatoire après l’exérèse initiale sont fixées en fonction de l’indice de Breslow. La qualification de mélanome de faible risque et de risque élevé est classiquement liée à la détermination d’une valeur-seuil de l’indice de Breslow. Ce seuil est fixé le plus fréquemment à 1,5 mm. La relation % Breslow/récidive est en fait linéaire et proportionnelle 100 (voir pour approfondir). 90 • Le niveau d’envahissement tumoral de Clark représente le niveau d’invasion selon l’atteinte des différentes 80 structures anatomiques de l’épithélium. C’est un facteur 70 pronostique fortement lié à l’épaisseur qui n’est indépendant du Breslow que pour les mélanomes de faible 60 épaisseur. 50 • L’ulcération est un signe tardif, fortement lié à l’épaisseur tumorale mais qui reste un facteur de mauvais pro40 nostic indépendant. 30 • L’index mitotique correspond au nombre de mitoses par mélanome ou par champ déterminé par la méthode 20 de Schmoeckel. L’index pronostique correspond au pro10 duit de l’épaisseur tumorale selon Breslow par l’index 0 mitotique (nombre de mitoses par mm2). Il est inversemm ment proportionnel à la survie. Ces deux paramètres sont des facteurs pronostiques de survie assez peu étudiés mais qui semblent importants. Ils ne sont pas utilisés en pratique courante. • L’infiltration lymphocytaire intratumorale et la régression histologique sont deux facteurs pronostiques 5 difficiles à étudier car il n’existe pas de définition quanRelation linéaire entre indice de Breslow et survie à 15 ans (d’après la dernière conférence de consensus 1995. titative de ces deux paramètres. Néanmoins, l’existence

Dermatologie d’un infiltrat lymphocytaire intratumoral semble être un facteur de bon pronostic indépendant mais peu étudié. La présence de signes de régression histologique est un facteur de mauvais pronostic sur la survie et la récidive, au moins en partie parce qu’il rend difficile la mesure de l’indice de Breslow. • Les types anatomoclinique et histogénétique n’ont pas de valeur pronostique additionnelle.

Critères pronostiques du mélanome stade II L’apparition d’une métastase ganglionnaire régionale est fortement prédictive de la survenue de métastases viscérales et le taux de survie à 5 ans baisse considérablement. Les deux facteurs pronostiques à ce stade sont le nombre de ganglions envahis et la présence d’une effraction capsulaire. Lorsque le nombre de ganglions envahis est faible, il est encore possible de guérir le patient par un curage (par exemple : 1 ganglion correspond à une survie à 5 ans supérieure à 50 %). D’où l’intérêt d’une surveillance rigoureuse des patients.

Critères pronostiques du mélanome stade III Le pronostic à ce stade est globalement très défavorable avec une médiane de survie proche de 6 mois. Les facteurs pronostiques péjoratifs sont le nombre de sites métastatiques: une métastase unique accessible à la chirurgie est parfois compatible avec une survie prolongée ; le siège viscéral des métastases (poumon, foie, cerveau, os) par rapport aux métastases de siège non viscéral (peau, tissus sous-cutanés, adénopathies à distance) ; le sexe : évolution plus péjorative chez l’homme. n

POUR APPROFONDIR Indice de Breslow Fiable et reproductible, sa mesure et son interprétation doivent être nuancées dans les 4 situations suivantes : – l’ulcération, considérée dans certaines études comme un facteur indépendant, est liée à l’épaisseur, mais intervient aussi dans sa mesure avec le risque de sous-estimation ; – la régression tumorale peut fausser la mesure de l’indice de Breslow avec toutefois une évaluation insuffisante dans les études multifactorielles ; – dans les mélanomes peu épais, le niveau de Clark, dans 2 études, est le premier facteur indépendant prédictif du risque de récidive et de décès ; – la survenue du mélanome sur nævus préexistant, où les limites respectives de la tumeur maligne et du nævus sont difficiles à apprécier.

Points Forts à retenir • Le mélanome peut être diagnostiqué cliniquement à un stade très précoce où le pronostic est excellent. • Une liste de critères cliniques a été proposée pour aider au diagnostic de mélanome face à une lésion pigmentée (ABCDE). • La notion d’évolutivité d’une lésion pigmentée suspecte est le critère majeur en faveur de la malignité. • Il ne faut pas surveiller les lésions suspectes, il faut en réaliser l’exérèse. • La simple biopsie d’une lésion pigmentée est à éviter. Il faut pratiquer une exérèse complète (avec une marge minime de 1 à 2 mm). • La qualité du traitement du mélanome initial est un facteur pronostic: il est bien codifié et la marge d’exérèse de la reprise chirurgicale dépend de l’indice de Breslow.

POUR EN SAVOIR PLUS Delaunay MM. Mélanomes cutanés. Paris : Masson; 1992. Saurat JH, Grosshans E, Laugier P, Lachapelle JM. Dermatologie et Vénéréologie. Masson ed., 2e édition, 1991 : 580-8. Conférence de Consensus : Suivi des patients opérés d’un mélanome stade l. Ann Dermatol Venereol 1995 : 122 ; 241-392.

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Dermatologie A 23

Prurit (à l’exclusion des prurits anal et vulvaire) Orientation diagnostique PR Jean-Marie BONNETBLANC, DR Agnès SPARSA Service de dermatologie, CHRU Dupuytren, 87042 Limoges Cedex.

Points Forts à comprendre • Dans ce chapitre sont traités indifféremment les prurits localisés (hors région anogénitale) et généralisés. La démarche diagnostique est plus complète en cas de prurit généralisé, car celui-ci débouche sur des pathologies viscérales profondes. • Il faut retenir les lésions élémentaires et les dermatoses correspondantes, car elles permettent une orientation diagnostique beaucoup plus facile, surtout lorsqu’il s’agit d’un prurit généralisé. Il ne faut pas négliger la dermatose où les signes dermatologiques non spécifiques sont prédominants, dont le prototype est la gale. • Il faut connaître toutes les maladies viscérales responsables de prurit, qui peuvent être découvertes par leurs autres symptômes et signes cliniques. Une fois éliminées, un cancer profond ou une cause psychique sont à considérer. • Il ne faut s’arrêter de chercher que lorsque le traitement de la maladie a entraîné la disparition du prurit.

Le prurit est défini par la sensation, localisée ou diffuse, conduisant au besoin de se gratter. Il n’est ressenti qu’à la peau et aux demi-muqueuses, jamais aux muqueuses et aux viscères. Le grattage manuel peut être remplacé par le frottement sur le dos, en particulier chez le nourrisson. Il est considéré par certains comme un signe subliminal de la douleur car selon le type ou l’intensité, un même stimulus peut générer un prurit ou une douleur. Cette formulation n’est cependant pas consensuelle car les deux sensations peuvent être différenciées. Lorsque le prurit est physiologique, il est discret, parfois fréquent dans la journée et apporte une sensation non désagréable. Il est pathologique lorsqu’il devient désagréable et retentit sur la qualité de vie et le sommeil. Il peut n’être qu’un simple signe d’accompagnement

d’une dermatose ou d’une autre pathologie viscérale évidente. Son intérêt tient surtout au fait qu’il peut être au premier plan de la symptomatologie. La qualité de l’interrogatoire et de l’examen clinique est alors essentielle à une bonne démarche diagnostique.

Physiopathologie Les stimulus et les médiateurs du prurit sont nombreux. Des stimulus physiques (pression, plume, laine de verre…) sont capables de provoquer un prurit. En dehors de la classique histamine, la liste des médiateurs chimiques est longue (tableau I). Cela explique une partie des échecs des antihistaminiques dans le prurit.

TABLEAU Médiateurs chimiques responsables du prurit Amines ❑ Histamine ❑ Histamino-libérateurs : morphine, codéine ❑ Sérotonine Lipides ❑ Prostaglandines ❑ Facteur d’activation plaquettaire Protéines/peptides ❑ Kallicréine ❑ Cytokines : interleukine-2 ❑ Protéases : trypsine, papaïne ❑ Tachykinines : substance P ❑ Peptides opioïdes endogènes : β endorphine, leu-/met-enképhaline

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PRURIT

Interrogatoire Il doit vérifier : – la réalité du prurit (certains malades rapportent des sensations subjectives superficielles et fugaces) ; – l’ancienneté ; – le mode, les circonstances et les sièges d’apparition ; – les facteurs déclenchants éventuels ; – l’évolution par poussées ou sa permanence ; – l’horaire. La plupart des prurits sont plus fréquemment perçus le soir. Au déshabillage, il s’agit le plus souvent d’un prurit physiologique. La chaleur du lit est aussi un facteur déclenchant. Le plus souvent, le prurit est occulté dans la journée par les préoccupations quotidiennes et s’exprime le soir. La prédominance nocturne ou diurne du prurit oriente vers certaines causes ; – l’intensité et le retentissement sur le vécu du malade. Cette notion est très subjective, fonction de la personnalité et du psychisme du malade. Une meilleure approche est de savoir si le prurit empêche l’endormissement et (ou) réveille le malade la nuit ; – les antécédents du malade ; – les prises médicamenteuses en s’assurant de la chronologie par rapport au début du prurit ; – la notion de prurit dans l’entourage ; – les symptômes cliniques associés ; – les traitements utilisés pour le prurit et leur efficacité ; – le mode de vie ; des modifications de l’environnement (variations de température, d’humidité) entraînent des prurits chez le sujet noir vivant en pays tempéré, chez le sujet atopique ou âgé.

Examen clinique Examen cutané Il recherche : – les signes d’une dermatose prurigineuse ; c’est l’analyse des lésions élémentaires qui permet le diagnostic d’une dermatose prurigineuse ; – les lésions consécutives au grattage, non spécifiques : excoriations, ulcérations, stries linéaires, dépilation, érythème, ecchymoses, lichénification (peau grisâtre, épaisse et quadrillée), ongles polis et brillants ; – les complications d’un grattage, essentiellement infectieuses : pustules, impétiginisation, croûtes, fièvre…

Examen général Il doit être complet et systématique, particulièrement au niveau des aires ganglionnaires et orienté par les données de l’interrogatoire.

Dermatoses prurigineuses Le prurit peut accompagner plusieurs dermatoses, chacune étant définie par sa lésion élémentaire. 184

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1 Urticaire.

2 Lichen plan.

Papule • L’urticaire est caractérisée par sa papule œdémateuse, très prurigineuse et surtout mobile dans la journée. La recherche d’une cause est plus facile lors de l’urticaire aiguë que lors de l’urticaire chronique. Le prurit est moins important ou remplacé par une sensation de brûlure lorsque les plaques urticariennes sont plus fixes (plus de 24 h) [fig. 1]. • Le lichen plan est plus rare. Les papules violacées, ombiliquées, polygonales siègent plus fréquemment aux faces antérieures des poignets. Il est rarement diffus. L’atteinte buccale doit être recherchée systématiquement car elle n’est pas prurigineuse. Le lichen plan peut être médicamenteux (fig. 2). • La mastocytose cutanée est une maladie de la petite enfance principalement. Les lésions sont papuleuses ou en plaques, parfois nodulaires, uniques ou multiples, de couleur marron et deviennent urticariennes au frottement. Ce signe est pathognomonique.

Papulo-vésicule Il est rare d’avoir la vésicule présente en raison du grattage. La lésion observée est une papule excoriée. Le prurigo correspond à un tableau clinique de dermatose

Dermatologie

3 Prurigo.

5 Dermatite atopique de l’adulte. des coudes et aux creux poplités. Le prurit est un signe majeur, révélé par des pleurs, une insomnie en plus du grattage. La dermatite atopique de l’adulte est caractérisée par un prurit chronique et une lichénification plus ou moins diffuse, avec des poussées d’eczéma suintant (fig. 5). • La varicelle est plus fréquente chez l’enfant. C’est une éruption fébrile, faite de vésicules évoluant chacune vers l’ombilication, et globalement par poussées, d’où des éléments d’âge différent. Il existe une atteinte du cuir chevelu.

Bulle 4 Eczéma.

excoriée, papulo-érosif. En cas de chronicité, les papules deviennent plus sèches, plus nodulaires. Il peut compliquer une dermatite atopique et toutes dermatoses prurigineuses. • Le prurigo strophulus traduit chez l’enfant une hypersensibilité aux piqûres d’insecte (fig. 3). Il est caractérisé par des papulo-vésicules excoriées, très prurigineuses, récidivantes qui prédominent soit sur les zones découvertes, soit dans les plis selon le biotope de l’insecte piqueur. • Le prurigo nodulaire est caractérisé par des nodules fermes, à surface lisse ou verruqueuse, ou centrés par une excoriation ou une croûte. Il existe des lésions récentes inflammatoires et des lésions anciennes pigmentées. Les sièges préférentiels sont les faces postérieures des avant-bras, les cuisses et les jambes.

Vésicule • L’eczéma de contact évolue selon plusieurs stades. Là aussi, les vésicules sont excoriées par le prurit. Le tableau est celui d’une dermatose suintante localisée, aux bords émiettés, de taille variable. Le diagnostic repose sur l’interrogatoire à la recherche de l’allergène de contact (fig. 4). • La dermatite atopique débute chez un nourrisson par les zones convexes du visage et s’étend ensuite aux plis

• La pemphigoïde bulleuse peut débuter par un prurit isolé pendant plusieurs semaines ou mois. Il faut faire une biopsie cutanée avec examen en immunofluorescence directe chez tout malade de plus de 60 ans en présence d’un prurit inexpliqué. L’apparition des bulles sur base érythémato-papuleuse permet un diagnostic plus facile. • La dermatite herpétiforme est peu fréquente en France. Les lésions vésiculo-bulleuses prurigineuses prédominent aux faces d’extension des membres. La recherche de dépôts granuleux d’IgA à la biopsie cutanée permet le diagnostic.

Lésions érythémato-squameuses • Le psoriasis ne gratte habituellement pas. La présence d’un prurit peut témoigner de la mauvaise acceptation psychologique de la maladie. • Le mycosis fongoïde (lymphome cutané T) forme des plaques érythémateuses diffuses qui vont s’infiltrer progressivement. Le prurit est précoce et persistant. Il peut débuter par des nappes érythémateuses recouvertes de squames pityriasiformes ; le prurit correspond souvent à une évolution vers l’infiltration cutanée (fig. 6).

Érythrodermie Elle est définie par une dermatose érythémateuse squameuse ou suintante généralisée et évoluant depuis plus de 6 semaines (fig. 7). Elle s’accompagne d’une altération de l’état général et peut mettre en jeu le pronostic vital. Cette définition n’est pas retenue par tous ; elle permet

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PRURIT

7 Érytrodermie. 6

Mycosis fongoïde (lymphome T).

de ne pas retenir les exanthèmes généralisés. Plusieurs maladies peuvent se compliquer d’une érythrodermie : eczéma, psoriasis, lymphome cutané (le syndrome de Sézary est un lymphome T érythrodermique avec des cellules anormales dans le sang périphérique). Les toxidermies médicamenteuses donnent plus souvent des exanthèmes généralisés.

Lésions polymorphes Il est classique d’évoquer une toxidermie d’origine médicamenteuse. Il ne faut pas négliger la modification de la dermatose par des soins topiques inappropriés ou une hygiène insuffisante.

Prurit prédominant avec signes dermatologiques non spécifiques liés au grattage Il faut avant tout rechercher un prurit parasitaire.

Gale humaine Il s’agit d’une parasitose cutanée due à un acarien (Sarcoptes scabiei hominis). La transmission est interhumaine, favorisée par le contact direct (rapports sexuels notamment) mais de transmission indirecte possible (vêtements, literie). Chez les gens propres, la gale peut ne se manifester que par un prurit isolé diffus, d’où l’importance d’envisager systématiquement le diagnostic. Ce dernier sera évoqué sur les arguments suivants (fig. 8) : – prurit diffus à recrudescence nocturne nette ; – topographie préférentielle : sillons interdigitaux, aisselles, seins, ombilic, respect du dos et du visage ; – prurit dans l’entourage familial, contagieux ; – lésions plus spécifiques : sillons interdigitaux, vésicules interdigitales, papules croûteuses au niveau des organes génitaux. Le diagnostic est confirmé par la mise en évidence du parasite par examen direct au microscope (prélèvement au niveau d’un sillon interdigital). Cette mise en évidence n’est pas constante et c’est parfois le traitement d’épreuve qui confirme a posteriori le diagnostic. 186

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8 Gale.

Phtiriase du corps (Pediculus corporis) Le prurit, à l’inverse de la gale, a une topographie postérieure prédominante (dos, épaules, ceinture) et s’associe à des papules d’allure urticarienne ainsi qu’à des stries de grattage. La confirmation du diagnostic est également souvent difficile (recherche de lentes et de poux dans les vêtements). Certains contextes épidémiologiques (pauvreté, exclusion) doivent le faire évoquer devant une dermatose généralisée impétiginisée.

Distomatose Elle est devenue exceptionnelle. Il faut y penser devant une urticaire fébrile avec douleur de l’hypochondre droit. Il existe une éosinophilie majeure. Il faut rechercher l’origine de la contamination.

Parasitoses tropicales On y pense devant une notion de voyage en pays intertropical : il faut demander ce qu’a fait le malade pendant ce voyage, les localités qu’il a visitées, à quelle saison, seul ou en groupe. La date du voyage est à considérer si elle est supérieure à 3 mois et inférieure à 15 ans en général. • Onchocercose : le prurit associé à des lésions papuleuses et nodulaires (thorax, ceinture) ne se voit plus chez

Dermatologie

(cancer du foie, cancer du pancréas). La rétention biliaire peut être d’origine intra-hépatique (cirrhose biliaire primitive, hépatites virales, hépatite médicamenteuse, cholangite sclérosante, cholestase gravidique récurrente).

Causes endocriniennes

9 Larva migrans. l’Européen qui voyage. Il s’agit d’un tableau plus aigu avec œdème segmentaire transitoire ou urticaire localisée, un prurit, récidivants, associés à une éosinophilie élevée. Le diagnostic est confirmé par la mise en évidence de microfilaires par biopsie cutanée exsangue. • Les dermites rampantes, larva migrans (fig. 9) et loases, sont un cordon rouge, plus ou moins œdémateux. Elles se distinguent par la vitesse de déplacement.

Piqûres d’insectes Les piqûres de puces, punaises, aoûtats, moustiques… sont sans grand problème diagnostique.

Prurit révélateur d’une pathologie interne Une maladie viscérale profonde est à rechercher devant un prurit généralisé qui ne fait pas sa preuve dermatologique.

Insuffisance rénale Le prurit est un symptôme très fréquent et souvent invalidant au cours de l’insuffisance rénale chronique, associé à l’anémie, l’hypertension artérielle, l’hypocalcémie, et l’augmentation de l’urée et de la créatinine. Ce prurit peut être amélioré ou aggravé chez le patient hémodialysé. Le déterminisme est encore mal connu, probablement multifactoriel. Le traitement est très difficile. La greffe rénale le fait disparaître.

• Pathologie thyroïdienne : l’hyperthyroïdie peut s’accompagner d’un prurit diffus. Il faut y penser s’il existe un amaigrissement, un tremblement, une tachycardie, une diarrhée, une irritabilité. L’hypothyroïdie, par la xérose cutanée qu’elle entraîne, peut également être responsable d’un prurit diffus. Il faut y penser devant une infiltration cutanéo-muqueuse pâle et cireuse, un ralentissement psychomoteur, une hypothermie, une bradycardie, une constipation, des crampes musculaires. • Hyperparathyroïdie : le prurit est rare. Cette maladie est le plus souvent asymptomatique, ou révélée par des douleurs osseuses ou des fractures. • Diabète : il entraîne fréquemment des prurits localisés, notamment au niveau des muqueuses génitales (prurit vulvaire). Le diabète n’est pas une cause de prurit diffus.

Causes hématologiques • Dans la polyglobulie, le prurit est fréquent et s’aggrave lors de bains chauds. Il peut s’associer à des céphalées ainsi qu’à une érythrose faciale. Il est calmé parfois par l’aspirine. • Dans la maladie de Hodgkin, le prurit important, accompagné de sueurs, d’un amaigrissement chez un sujet jeune doit faire rechercher la présence d’adénopathies périphériques. Son intensité a un caractère pronostique. • Carence martiale : la pâleur du visage et des mains, la fatigue, l’aggravation d’une dyspnée d’effort la font rechercher. La recherche d’un saignement chronique, gynécologique ou digestif, est systématique. • Les leucémies (en particulier leucémie lymphoïde chronique), le myélome, la maladie de Waldenström, le syndrome hyperéosinophilique sont rarement en cause.

Grossesse • Le prurit gravidique est dû dans la plupart des cas à une cholestase anictérique. Il survient surtout au 3e trimestre. • Le prurigo gravidique correspond à plusieurs entités. Il faut rechercher une dermatose prurigineuse ou une dermatose autonome. Une biopsie cutanée avec étude en immunofluorescence directe permet le diagnostic de pemphigoïde gestationnelle (fig. 10).

Cholestase Un prurit diffus peut révéler une cholestase, ictérique ou anictérique. Dans les formes avancées, celui-ci est souvent féroce, résistant à l’ensemble des traitements classiques. On évoque la responsabilité directe de l’accumulation de certains acides biliaires dans le déterminisme du prurit. Ils semblent avoir un effet direct et indirect par la libération de protéases in situ. La cholestase peut être d’origine extra-hépatique : lithiase, cancer des voies biliaires, compression extrinsèque

Causes diverses • Néoplasies : un prurit diffus peut s’observer au cours des syndromes carcinoïdes (libération de sérotonine) ainsi que chez des patients ayant des néoplasies profondes, notamment digestives. Il n’y a pas de spécificité d’un cancer. • Affections neurologiques : sclérose en plaques, abcès cérébral, tumeur cérébrale. Il existe un prurit paroxystique, à début et fin brutales chez des malades ayant eu un stress majeur.

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PRURIT

Bilan paraclinique Lorsque le prurit s’intègre dans le cadre d’une dermatose caractérisée, le diagnostic de cette dernière peut être confirmé par la réalisation d’une biopsie cutanée pour examen anatomopathologique, assorti de techniques complémentaires selon les cas (immunofluorescence directe utile au diagnostic des dermatoses bulleuses auto-immunes). Lorsque le prurit est isolé, le bilan paraclinique doit être orienté par les données de l’interrogatoire et de l’examen clinique.

Examens en première intention 10 Pemphigoïde gestationnelle (herpès gestationis). • Sida : un prurit sévère, associé à des lésions de prurigo, s’observe fréquemment au cours de formes avancées de l’affection. La cause est probablement multifactorielle. • Prurit d’origine médicamenteuse : une cause médicamenteuse est souvent difficile à établir devant un prurit généralisé isolé. Il est important de faire préciser la chronologie, d’autant que les patients reçoivent plusieurs traitements. Il faut revoir l’ensemble des autres causes de manière prioritaire. Les mécanismes sont variés : réaction d’origine immuno-allergique (association fréquente à d’autres lésions élémentaires : érythème, urticaire…, et aggravation lors de la réintroduction) ; histamino-libération pharmacologique (codéine, opiacés, produits iodés, curarisants, thiamine, quinine…), effet indirect par toxicité hépatique, plus rarement par induction d’une xérose cutanée. • Prurit sénile : il est fréquent d’observer un prurit diffus, parfois très invalidant par son retentissement sur l’état général, chez le sujet âgé. Il prédomine au tronc et à la racine des membres et s’associe souvent à une xérose cutanée diffuse. Malgré l’intensité du prurit, les lésions de grattage sont assez rarement observées. Ce diagnostic ne doit être retenu qu’après avoir écarté les causes classiques de prurit diffus. • Prurit d’origine psychologique : il s’agit également d’un diagnostic d’élimination. Un contexte évocateur est la topographie des lésions de grattage aux zones facilement accessibles (avant-bras, jambes, haut du dos), la discordance entre l’intensité du prurit exprimé par le malade et l’absence de retentissement sur le sommeil. Un suivi régulier est indispensable afin de dépister une pathologie somatique de révélation différée, ou une maladie psychiatrique plus grave. Un prurit diffus s’intègre parfois dans une symptomatologie psychiatrique de parasitophobie. Le patient affecté par cette pathologie psychiatrique est convaincu d’être infecté par des parasites et s’excorie en permanence dans le but d’extraire ces derniers de sa peau. • Prurit par action d’agents irritants externes : le diagnostic est généralement orienté par l’interrogatoire : savons détergents, cosmétiques mal rincés, produits industriels (hydrocarbures…). Ne pas oublier dans ce contexte la laine, la fibre de verre comme facteurs déclenchants. 188

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Numération et formule sanguines, vitesse de sédimentation, sidérémie, ferritinémie, bilan hépatique, créatininémie, glycémie, radiographie thoracique, échographie abdominale sont les examens à effectuer en priorité.

Autres examens Ils sont indiqués en fonction du contexte, des données de l’interrogatoire et de l’examen clinique (liste non exhaustive) : cycle glycémique, hémoglobine glycosylée ; sérologie (hépatites virales, virus de l’immunodéficience humaine) ; analyse parasitologique des selles et sérologie parasitaire orientée ; anticorps antimitochondries ; recherche d’anticorps circulants anti-zone de la membrane basale de l’épiderme ; électrophorèse et immuno-électrophorèse des protéines sériques ; bilan thyroïdien ; explorations par imagerie ou par endoscopie ; biopsie ganglionnaire, médullogramme. ■

POUR EN SAVOIR PLUS Lorette G,Vaillant L. Prurit. In : Saurat JH, Grosshans E, Laugier P, Lachapelle JM (eds). Dermatologie et maladies sexuellement transmissibles. Paris : Masson, 1999 : 903-9.

Points Forts à retenir • Le prurit est le principal signe subjectif rencontré en dermatologie. Il est associé à de nombreuses dermatoses. L’analyse de la sémiologie permet d’établir une stratégie diagnostique : le diagnostic des lésions élémentaires présentes est capital. Le prurit est marqué par des lésions cutanées non spécifiques, qui peuvent être source de modifications des lésions élémentaires ou de surinfection. Une bonne analyse clinique est là aussi capitale. • La qualité des renseignements et de l’examen cliniques peuvent permettre le diagnostic d’une maladie viscérale profonde. Elle est à rechercher en l’absence de maladie dermatologique. Selon la durée et l’intensité du prurit, des facteurs psychologiques s’ajoutent. Les antécédents médicamenteux sont aussi importants à détailler.

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Psoriasis Diagnostic, évolution, principes du traitement PR Bernard GUILLOT Service de dermatologie, hôpital Caremeau, CHU de Nîmes, 30029 Nîmes Cedex 4.

Points Forts à comprendre • Le psoriasis est une dermatose chronique fréquente qui touche environ 2 % de la population et dont le caractère familial est souvent retrouvé. • Le diagnostic est généralement clinique : il s’agit d’une dermatose érythémato-squameuse, bénigne, non contagieuse dont l’évolution se fait par poussées successives. • Des formes graves doivent être reconnues car elles peuvent mettre en jeu le pronostic fonctionnel (psoriasis palmo-plantaire, rhumatisme psoriasique) ou le pronostic vital (érythrodermies, psoriasis pustuleux généralisé). • Les choix thérapeutiques sont guidés par l’étendue de la maladie, la sévérité clinique et les retentissements physique et psychique sur la qualité de vie du malade.

Diagnostic Le diagnostic positif de psoriasis repose sur l’examen clinique. L’examen histologique est rarement nécessaire mais peut être utile dans certaines formes atypiques ou compliquées. Le diagnostic différentiel se pose avec d’autres dermatoses érythémato-squameuses.

Diagnostic positif, clinique 1. Forme typique Elle atteint aussi bien l’homme que la femme et peut survenir à tout âge. • La lésion élémentaire est une plaque érythématosquameuse, bien limitée, parfois légèrement en relief par rapport à la peau de voisinage. La couche superficielle est squameuse. Les squames sont plus ou moins épaisses, blanches, ternes. Le grattage à la curette permet de détacher de multiples squames fines puis une squame plus épaisse qui se détache en bloc laissant apparaître de petites gouttelettes hémorragiques (signe de la rosée sanglante). La tache érythémateuse est visible en périphérie de la lésion ou sous la couche squameuse. Elle est d’un rose vif, parfois rouge plus soutenu.

1 Psoriasis vulgaire typique : lésions érythématosquameuses des faces d’extension des coudes. • Le regroupement topographique est lui aussi très évocateur. En effet, le psoriasis touche préférentiellement les faces d’extension des membres (coudes et genoux), la région lombo-sacrée et le cuir chevelu. Sur les membres, les lésions sont habituellement symétriques (fig. 1). • L’anamnèse va apporter des arguments complémentaires pour le diagnostic positif. La notion d’un psoriasis dans la famille est fréquemment retrouvée. L’existence de poussées antérieures chez le malade doit être recherchée. Elles peuvent être plus limitées que la poussée qui amène à consulter ou de localisation plus atypique. Les circonstances de survenue seront précisées et il n’est pas rare que le malade rattache de lui-même le début de l’affection à une situation psychologique douloureuse (décès d’un proche, stress professionnel ou familial…). Enfin, les signes fonctionnels sont rares ou absents. Un prurit n’est observé que dans un tiers des cas environ.

2. Formes cliniques • Selon le nombre et la taille des plaques : le nombre de lésions peut être variable. Il s’agit rarement d’un élément unique, plus classiquement de quelques plaques localisées dans les zones de prédilection. Les lésions peuvent être très nombreuses voire confluentes, réalisant un psoriasis universalis donnant alors l’aspect d’une érythrodermie. La taille des plaques est également variable (fig. 2). Des éléments de grande taille caractérisent le psoriasis vulgaire ; des plaques de très petite taille, parfois éruptives, sont caractéristiques du psoriasis en goutte. Des lésions de taille intermédiaire font parler de psoriasis nummulaire.

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PSORIASIS

3 Psoriasis inverse des plis inguinaux.

2 Psoriasis en plaque des membres inférieurs.

• Selon la topographie : lorsque les localisations sont atypiques, le diagnostic peut être plus difficile et la recherche systématique d’une atteinte des zones « bastion » aidera au diagnostic : – le cuir chevelu est une atteinte fréquente et le diagnostic peut être malaisé si les lésions sont isolées. Elles se manifestent sous forme de médaillons arrondis, bien limités, érythémato-squameux parfois confluents. Les squames peuvent être de petite taille, souvent entretenues par un prurit. Les lésions ressemblent à un simple pityriasis capitis, mais la base érythémateuse redresse le diagnostic. À l’inverse, les squames peuvent être très épaisses, réalisant un véritable casque qui engaine l’orifice des cheveux. Fréquemment, les lésions débordent sur le front, à la lisière du cuir chevelu et au niveau de la nuque. Habituellement, le psoriasis du cuir chevelu n’entraîne pas d’alopécie résiduelle ; – le visage est rarement atteint de façon isolée et doit faire évoquer une dermite séborrhéique. Dans un tableau de psoriasis diffus, elle peut faire parler de sébopsoriasis ; – l’atteinte des plis au cours du psoriasis constitue un intertrigo chronique et fait parler de « psoriasis inversé ». Il peut s’agir d’une atteinte des grands plis (axillaires, inguinaux, sous-mammaires, interfessiers) et la maladie se présente sous forme d’une vaste plaque érythé1474

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mateuse bien limitée, non ou peu squameuse en raison de la macération (fig. 3). La surface est rouge vif, luisante. Les petits plis peuvent être également le siège de lésions psoriasiques : les espaces interdigitoplantaires prennent un aspect d’intertrigo hyperkératosique et fissuré qui peut en imposer pour un intertrigo mycosique. La négativité des prélèvements mycologiques et la résistance aux antifongiques locaux viennent redresser le diagnostic ; – paumes et plantes présentent des aspects cliniques variables dans leur intensité. Il peut s’agir d’une pulpite sèche et fissuraire touchant quelques doigts ou orteils. Des plaques érythémato-squameuses des paumes et des plantes à contours nets, débordant parfois sur les poignets ou la face latérale des pieds sont plus fréquentes. Dans ces formes, le diagnostic différentiel se pose surtout avec un eczéma de contact chronique. Plus rarement, les lésions peuvent prendre l’aspect d’une hyperkératose homogène diffuse. La périphérie rosée évoque le diagnostic. Parfois enfin, il peut s’agir de lésions érythémato-kératosiques en îlots, véritables clous cornés. Cette forme peut orienter vers un syndrome de Fiessinger-Leroy-Reiter ; – l’atteinte des ongles est présente dans plus d’un tiers des cas. Plusieurs aspects sont possibles : dépression cupuliforme de la tablette donnant à l’ongle un aspect en dé à coudre ; aspect épaissi et blanchâtre de la partie distale de l’ongle (leuconychie) parfois bordé dans sa partie proximale par un liseré rose violacé ; hyperkératose sous-unguéale avec décollement (onycholyse) ou non ; destruction complète de l’ongle remplacé par un amas squamo-kératosique irrégulier ; une atteinte périunguéale est souvent associée sous forme d’un périonyxis érythémato-squameux ; – l’atteinte des muqueuses est différente : sur la langue, il peut s’agir d’une langue plicaturée, parfois d’une langue « géographique » (fig.4) ; sur le gland, les lésions prennent l’aspect de plaques érythémateuses, bien limitées, peu ou pas squameuses, d’évolution chronique ; – le psoriasis sur cicatrices anciennes (vaccination, intervention chirurgicale…) est fréquent. Il s’agit du classique phénomène de Kœbner.

Dermatologie

amas dans les couches superficielles de l’épiderme (pseudo-abcès de Munro-Sabouraud). Dans le derme, il existe un infiltrat papillaire et dermique superficiel de lymphocytes de type CD4. Les papilles sont œdémateuses et parfois le siège d’une exocytose à polynucléaires neutrophiles. Les capillaires du derme superficiel sont parfois en nombre excessif (hyperangiogenèse) et souvent tortueux.

Diagnostic différentiel

4 Psoriasis lingual (langue géographique).

• Selon le terrain : – le psoriasis de l’enfant est souvent un psoriasis en goutte, d’apparition aiguë et qui fait alors volontiers suite à un épisode infectieux, notamment une angine. Plus rarement, le psoriasis se manifeste par des plaques discrètes associées à une kératose pilaire des coudes et des genoux, parfois plus diffuse. Une forme particulière à l’enfant en bas âge est le « psoriasis des langes » ou napkin psoriasis. Il s’agit d’une éruption érythémateuse bien limitée touchant les zones convexes du siège, en culotte. Le diagnostic est souvent difficile avec une dermite séborrhéique ou un érythème fessier irritatif. La présence d’autres localisations et le caractère rouge vernissé, bien limité des plaques restent cependant évocateurs ; – le psoriasis au cours de l’infection par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH) présente des formes plus sévères et plus étendues. Dans un tiers des cas, il s’agit de l’exacerbation d’un psoriasis vulgaire connu et dans les deux tiers des cas, il s’agit d’un psoriasis survenant brutalement, sans antécédents familiaux, d’emblée sévère ou compliqué. Dans ce cas, il peut être révélateur de l’infection rétrovirale.

Diagnostic positif, histologique Dans la plupart des formes typiques, la réalisation d’une biopsie cutanée à visée diagnostique n’est pas nécessaire dans cette maladie. Cependant, dans certaines formes atypiques, notamment dans certaines localisations, la biopsie peut aider au diagnostic. L’image caractéristique comporte des lésions épidermiques et dermiques. Au niveau de l’épiderme, il existe : – un épaississement de la couche cornée dont les cellules ont conservé leurs noyaux (hyperkératose parakératosique) ; – une disparition de la couche granuleuse ; – une augmentation de l’épaisseur de l’épiderme (acanthose) avec un allongement des papilles dermiques en battant de cloche (papillomatose) ; – la présence de polynucléaires regroupés en petits

Le diagnostic différentiel des formes atypiques par leur localisation a déjà été envisagé. Le diagnostic différentiel de la forme classique se pose avec les autres dermatoses érythémato-squameuses. • Le pityriasis rosé de Gibert présente des lésions plus claires, des squames plus fines et une topographie différente puisque l’éruption se fait en général au niveau du tronc. La recherche de l’élément initial, souvent plus étendu (médaillon), permet souvent de redresser le diagnostic. L’évolution est spontanément favorable en quelques semaines sans laisser de cicatrice. • La dermite séborrhéique pose un problème diagnostique surtout dans les localisations au cuir chevelu ou au visage. Dans la localisation préthoracique, la couleur, la disposition axiale, les squames grasses permettent de faire le diagnostic. On rapproche de cela les eczématides psoriasiformes et pityriasiformes, de localisation variable mais volontiers situées sur les faces externes des bras et sur le visage (dartres). • Les syphilides secondaires psoriasiformes se reconnaissent au caractère cuivré des lésions, à l’aspect annulaire des squames, à l’infiltration de la papule et au contexte général permettant de faire pratiquer une sérologie qui redresse le diagnostic.

Évolution Forme classique Le psoriasis peut survenir à tout âge et évoluer de manière capricieuse et le plus souvent imprévisible. Des rémissions plus ou moins longues peuvent être obtenues soit spontanément, soit après traitement. Il n’est pas rare que subsistent cependant des plaques dans les zones dites « bastion » que sont les coudes et les genoux. Parfois, certains facteurs déclenchant les poussées sont retrouvés. Il peut s’agir : – de traumatismes psychiques ; – de médicaments : la corticothérapie générale peut être à l’origine d’une poussée sévère ou compliquée, en particulier lors du sevrage ; elle est contre-indiquée dans cette maladie mais peut avoir été prescrite pour une autre affection. Parmi les autres médicaments suspects de pouvoir aggraver un psoriasis, citons le lithium, les bêtabloquants, les antipaludéens de synthèse, l’interféron alpha ;

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PSORIASIS

– de traumatismes cutanés, réalisant un phénomène de Kœbner ; – d’infections bactériennes : des poussées après une infection streptococcique ont été signalées en particulier chez l’enfant.

Formes compliquées Elles peuvent l’être d’emblée ou survenir au cours de l’évolution d’un psoriasis vulgaire déjà connu. Classiquement, elles peuvent être favorisées par une corticothérapie générale intempestive et survenir à l’arrêt de ce traitement. On distingue : les psoriasis pustuleux ; les psoriasis érythrodermiques ; les psoriasis arthropathiques. • Les psoriasis pustuleux se caractérisent cliniquement par la présence de pustules amicrobiennes, non folliculaires sur fond érythémato-squameux. En histologie, l’image caractéristique est la pustule spongiforme multiloculaire de Kogöj : les polynucléaires ont migré dans l’épiderme et se regroupent dans la partie haute du corps muqueux de Malpighi formant entre les kératinocytes œdématiés un réseau de pustules. Le psoriasis pustuleux palmo-plantaire a des lésions constituées de plaques érythémateuses, parsemées de pustules jaunâtres, qui évoluent par poussées successives. Il existe ainsi simultanément des pustules d’âges différents sur une même localisation (fig. 5). Au début, les pustules sont bien individualisables, remplies d’un liquide opaque stérile ; progressivement, elles se dessèchent pour former une squame-croûte qui va se détacher, laissant apparaître l’érythème sous-jacent. Il entraîne essentiellement une gêne fonctionnelle. L’acrodermatite continue de Hallopeau est une forme particulière de psoriasis pustuleux acral qui se manifeste par des pustules de la pulpe digitale d’un doigt ou d’un orteil, le plus souvent le pouce associé à une onychodystrophie partielle ou totale. Cette acrodermatite, souvent douloureuse et toujours gênante sur le plan fonctionnel évolue en s’aggravant de manière progressive sans rémissions

5 Psoriasis pustuleux palmaire. 1476

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6 Psoriasis pustuleux généralisé.

spontanées. Le diagnostic différentiel du psoriasis palmo-plantaire se pose avec une dyshidrose ou un eczéma de contact surinfecté, une dermatophytie ou un syndrome de Fiessinger-Leroy-Reiter dans les formes très kératosiques. Le psoriasis pustuleux généralisé est rare (fig. 6). La forme grave (psoriasis pustuleux de Zumbusch) débute brutalement dans un tableau d’altération de l’état général fébrile par de larges placards érythémateux couverts de multiples pustules superficielles stériles. Les pustules sont d’un blanc laiteux, non folliculaires, de quelques millimètres de diamètre. Isolées, elles évoluent vers la formation d’une squame-croûte qui s’élimine par une desquamation scarlatiniforme. Elles sont parfois confluentes, aboutissant à un décollement superficiel de l’épiderme. La localisation préférentielle est le tronc mais des formes généralisées sont possibles. Une hypocalcémie est fréquente pouvant entraîner des manifestations viscérales notamment digestives ou neurologiques. Le pronostic vital peut être mis en jeu et l’hospitalisation est nécessaire pour le traitement des troubles généraux et la mise en route d’un traitement par rétinoïdes en l’absence de contre-indications formelles. Des récidives sont possibles, sous la même forme, sous la forme d’un psoriasis vulgaire ou parfois d’un psoriasis pustuleux moins sévère. La forme bénigne se traduit par des macules érythémateuses du tronc ou des membres, rosées, dont la périphérie est parsemée de pustules superficielles stériles, conférant à la lésion un aspect annulaire. L’état général est conservé. Le psoriasis pustuleux de la grossesse (impétigo herpétiforme) est rare et se manifeste par une éruption semblable à celle du psoriasis pustuleux de type Zumbusch. Il peut s’y associer des douleurs musculaires, des paresthésies ou des parésies transitoires, voire des crises convulsives. Une hypocalcémie franche est souvent notée. Le pronostic maternel peut être mis en jeu et le pronostic fœtal est très réservé. La récidive lors des grossesses ultérieures est la règle.

Dermatologie

être observés, mais l’association des différents types d’arthropathies est possible : – les arthralgies, fréquentes, sans signes objectifs cliniques ni radiologiques, touchent plutôt les petites articulations. Elles sont non spécifiques et le lien avec le psoriasis est souvent difficile à établir chez un sujet âgé ; – la polyarthrite psoriasique périphérique est l’aspect le plus classique. Le tableau clinique est proche de celui d’une polyarthrite rhumatoïde. Cependant, les articulations les plus souvent touchées sont les interphalangiennes distales, la symétrie est moins bien respectée et les déformations moins systématisées. Le facteur rhumatoïde est négatif. Les images radiologiques montrent des destructions osseuses anarchiques, des pseudo-kystes épiphysaires et des réactions périostées diaphysaires ; – la polyarthrite psoriasique axiale est plus rare. Elle se manifeste par une spondylarthrite à type de sacro-iliite et d’une atteinte vertébrale plus diffuse. L’association avec le groupe HLA B27 n’est pas rare et le tableau est très voisin de la spondylarthrite ankylosante idiopathique.

Traitement 7 Érythrodermie psoriasique.

Moyens 1. Traitements locaux

• Les érythrodermies psoriasiques compliquent souvent un psoriasis vulgaire et sont rarement inaugurales (fig. 7). Il peut s’agir d’une érythrodermie sèche et desquamative qui correspond à l’extension à toute la surface corporelle d’un psoriasis vulgaire. Il persiste souvent des espaces de peau saine. L’état général est conservé et les signes généraux sont minimes ou absents. À l’inverse, il existe une forme œdémateuse souvent favorisée par des facteurs externes, en particulier médicamenteux. La peau est infiltrée, œdémateuse, rouge de manière uniforme, sans espace de peau saine. Les signes généraux sont fréquents : altération de l’état général, fièvre, oligurie, désordres hydro-électrolytiques. Le pronostic vital peut être mis en jeu et l’hospitalisation s’impose pour la rééquilibration des troubles hydro-électrolytiques, la correction de l’anémie et de l’hypoprotidémie, la prévention de la décompensation d’une tare sous-jacente en particulier cardiaque ou rénale, la prévention des surinfections cutanées ou bronchopulmonaires et la mise en route d’un traitement spécifique. • Le rhumatisme psoriasique ou arthropathies psoriasiques a une fréquence estimée à 20 % des cas de psoriasis. Si, le plus souvent, les signes articulaires apparaissent au cours d’un psoriasis connu, dans environ 10 % des cas, ils peuvent précéder de plusieurs mois ou années les signes cutanés. L’évolution des poussées articulaires est habituellement indépendante de celle des poussées cutanées. Plusieurs tableaux cliniques peuvent

• Les kératolytiques agissent en éliminant les squames. C’est l’acide salicylique qui est le plus utilisé, sous forme de préparation dans des excipients gras. La concentration choisie est fonction de l’épaisseur de la couche cornée et varie de 3 à 10 %. L’utilisation chez le jeune enfant doit être prudente en raison des risques d’absorption accrue. • Les réducteurs sont de moins en moins utilisés, que ce soit pour des raisons administratives (retrait des produits contenant des goudrons) ou pour leur difficulté d’utilisation (irritation, pigmentation résiduelle) comme avec l’anthraline. • Les dermocorticoïdes, utilisés pour leurs propriétés anti-inflammatoires et cytostatiques, seront efficaces sur la composante érythémateuse. Leur utilisation obéit aux règles habituelles de prescription des dermocorticoïdes. Dans le psoriasis, il est logique d’utiliser des corticoïdes puissants, sous forme de pommade sur le corps, de lotion dans le cuir chevelu et de crème dans les plis. Leur utilisation se fera sur des périodes brèves éventuellement répétées. • Les dérivés de la vitamine D (calcipotriol, Daivonex) disponibles en pommade, en crème ou en lotion, sont utiles dans le décapage des lésions et utilisés 2 fois par jour pendant 4 à 6 semaines. Les effets secondaires sont à type d’irritation locale et leur utilisation sur le visage est déconseillée. À des doses inférieures à 100g par semaine, il n’est pas noté de risque d’élévation de la calcémie et il n’y a pas d’indication à contrôler le taux de calcium avant ou pendant le traitement.

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PSORIASIS

• Les rétinoïdes locaux (produits dérivés de la vitamine A dont actuellement un seul représentant est disponible en France pour le traitement du psoriasis (tazarotène, Zorac), sous forme de gel, agissent en régulant la différenciation et la prolifération épidermique. Les effets secondaires sont essentiellement à type d’irritation locale.

2. Photothérapie Elle consiste en l’irradiation en cabine de l’ensemble du corps par des lampes émettant une longueur d’onde connue et contrôlée. La dose d’irradiation est calculée en joules par centimètres carrés. La dose initiale est calculée en fonction du phototype du malade. Le calcul des doses cumulées est indispensable pour la surveillance à long terme et en raison du risque carcinogénique potentiel. Le traitement consiste en une série de 30 séances effectuées au rythme de 3 fois par semaine. Il est conseillé de ne pas renouveler les séances au cours de la même année. Un traitement d’entretien n’a pas fait la preuve de son efficacité. Dans les régions ensoleillées et chez les patients de phototype brun, une héliothérapie naturelle prudente est possible. La photothérapie est contre-indiquée chez les patients prenant par ailleurs des médicaments photosensibilisants (cyclines, neuroleptiques, anti-inflammatoires…). La photothérapie agit en diminuant l’hyperplasie épidermique et en modifiant les paramètres immunitaires locaux. • La photothérapie par ultraviolets B (UVB) peut faire appel à des rayonnements ultraviolets B à spectre large ou à spectre étroit (UVB 311 nanomètres). Un blanchiment des lésions est obtenu dans 70 à 80 % des cas. Les effets secondaires sont dominés par les risque d’érythème solaire en cas de surdosage. • La puvathérapie consiste à irradier le malade avec des ultraviolets A, 2 h après qu’il a absorbé un psoralène photosensibilisant : 8-méthoxypsoralène (Méladinine) à la dose de 0,6 mg/kg ou 5-méthoxypsoralène (Psoraderm) à la dose de 1,2 mg/kg. La puvathérapie permet d’obtenir 80 à 90 % de très bons résultats. Les contre-indications essentielles sont l’enfant, la femme enceinte, les patients atteints d’insuffisance hépatique ou rénale, ceux ayant des antécédents de cancers cutanés. Les effets secondaires sont essentiellement oculaires avec un risque de cataracte. À long terme, le risque est surtout représenté par les cancers cutanés, en particulier au niveau des organes génitaux externes masculins. Ils sont exceptionnels si les doses cumulées sont inférieures à 1 500 J/cm2 et dépendent aussi des autres traitements reçus par le malade.

3. Traitements généraux • Les cytostatiques : – le méthotrexate agit par une action antimitotique et immunomodulatrice. Utilisé à la dose hebdomadaire de 15 à 25 mg, par voie orale ou intramusculaire, ils nécessite une surveillance hématologique, pulmonaire et surtout hépatologique régulière. Certains proposent une biopsie hépatique lorsque la dose cumulée de 1,5 g a été atteinte en raison du risque de fibrose voire de cirrhose hépatique. Il est contre-indiqué chez la femme enceinte, 1478

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chez l’insuffisant hépatique et chez l’alcoolique. Chez l’homme, en cas de désir de procréation, une congélation de sperme préalable est à proposer. Les effets secondaires sont surtout hépatiques, pulmonaires (hypersensibilité exceptionnelle, fibrose), infectieux, muqueux (érosions buccales) ou digestifs. Ces 2 dernières complications peuvent être minimisées en utilisant systématiquement de l’acide folique tous les jours sauf le jour de la prise de méthotrexate ; – l’hydroxyurée (Hydréa) n’est plus qu’exceptionnellement utilisée dans le psoriasis. • Les immunomodulateurs (ciclosporine A, Sandimmun, Néoral) agissent, par leur action immunomodulatrice, sur les fonctions lymphocytaires T et sur la production de cytokines. Ils s’utilisent à la dose de 2,5 à 5 mg/kg en prise orale. Un contrôle préalable de la créatinine sanguine (qui doit être normale à 2 reprises) et de la tension artérielle est indispensable. La durée du traitement est fonction de la réponse thérapeutique et de la tolérance au traitement. L’efficacité se manifeste en règle au bout de 4 à 6 semaines. Les effets secondaires principaux sont rénaux : augmentation de la créatinine, diminution de la filtration glomérulaire, hypertension artérielle. Les autres effets secondaires sont surtout cutanés : hypertrichose, hyperplasie gingivale. Le risque carcinogénique de ce produit n’est pas encore clairement connu chez les psoriasiques. La ciclosporine est contre-indiquée en cas d’hypertension artérielle mal équilibrée, d’insuffisance rénale et chez les malades ayant des antécédents de néoplasie. • Les rétinoïdes par voie orale (acitrétine, Soriatane) sont utilisés à la dose de 0,6 mg/kg (en général entre 25 et 35 mg/j). Ils agissent sur la différenciation et la prolifération épidermique. L’efficacité est plus nette dans les formes érythrodermiques et pustuleuses que dans les formes vulgaires. Les effets secondaires doivent être bien connus et sont dominés par les risques tératogènes. Chez la femme en période d’activité génitale, ils ne peuvent être prescrits que sous couvert d’une contraception efficace prise depuis plus d’un mois et après vérification de la négativité du test de grossesse. Cette contraception doit être poursuivie pendant les 2 années qui suivent l’arrêt du Soriatane en raison de l’accumulation du produit dans les tissus graisseux. Les autres effets secondaires sont cutanés (sécheresse de la peau et des muqueuses), métaboliques (élévation réversible des lipides sanguins), hépatiques (élévation des transaminases réversibles à l’arrêt), osseuses (enthésopathies, risque de retard de croissance chez l’enfant lors de traitements prolongés). Les contre-indications sont représentées par la femme en âge de procréer en l’absence de contraception, l’insuffisant hépatique, les patients atteints de pathologie vasculaire avec dyslipidémie. Dans cette maladie chronique, des associations thérapeutiques sont possibles. Elles ont pour but d’augmenter l’efficacité de chacun des produits, de diminuer la toxicité et de faciliter l’observance du traitement. De plus, des traitements alternés sont également souvent proposés selon l’évolution de la maladie, la gravité de la poussée et la qualité de la rémission obtenue.

Dermatologie

Indications • Le psoriasis vulgaire localisé justifie un traitement local. En monothérapie, on peut proposer : – un dermocorticoïde de classe I, 2 fois par jour pendant 2 à 3 semaines ; – le calcipotriol pommade, 2 fois par jour pendant 6 semaines avec relais par la forme crème en fonction de l’évolution ; – le tazarotène 0,1 %, 1 fois par jour pendant 1 mois puis relais avec la forme à 0,05 % selon l’évolution. Des associations de topiques sont possibles également ; parmi les plus couramment utilisées, citons : corticoïdes locaux et acide salicylique, alternance de calcipotriol et de dermocorticoïdes, alternance de tazarotène et de dermocorticoïdes. • Le psoriasis étendu est une excellente indication de la photothérapie. Chez l’adulte, la puvathérapie sera proposée de première intention. Chez l’enfant et chez la femme enceinte, c’est la photothérapie aux ultraviolets B qui sera préconisée. L’association à des traitements locaux est souvent proposée en particulier en début de traitement pour accélérer l’efficacité thérapeutique. L’association rétinoïde-puvathérapie permet de diminuer le nombre de joules nécessaires à obtenir un blanchiment et est plus efficace que chacun des traitements utilisés séparément. • Les psoriasis sévères, étendus ou résistants aux thérapeutiques précédentes représentent les indications des traitements systémiques : l’utilisation des rétinoïdes, du méthotrexate ou de la ciclosporine sera guidée par les associations morbides et les contre-indications respectives des produits. • Cas particuliers : – l’atteinte du cuir chevelu entraîne une indication de shampooings kératolytiques associés au dermocorticoïde ou au calcipotriol en lotion pour une meilleure acceptabilité cosmétique. – en cas de psoriasis inversé, l’utilisation des pommades est déconseillée en raison du risque de macération. Le calcipotriol n’a pas encore d’indication dans les plis ; – le psoriasis en goutte éruptif de l’enfant peut être traité par une antibiothérapie antistreptoccocique associée à une photothérapie par ultraviolets B ;

– le psoriasis pustuleux dans toutes ses formes a vu son évolution et son pronostic transformé par l’utilisation de l’acitrétine ; – les érythrodermies psoriasiques justifient l’hospitalisation pour mise en place des traitements généraux : rééquilibration hydroélectrolytiques, prévention des infections et surveillance des comorbidités. Les rétinoïdes per os à faible dose sont à proposer rapidement en l’absence de contre-indication formelle, éventuellement associés, en début de traitement, à une corticothérapie locale ; – en cas de rhumatisme psoriasique associé, l’utilisation du méthotrexate permet d’avoir une bonne réponse thérapeutique sur les 2 cibles. ■

Points Forts à retenir • Le psoriasis est le plus souvent une dermatose bénigne dont le diagnostic est clinique : lésions érythémato-squameuses symétriques des faces d’extension des membres. • Le diagnostic histologique est rarement nécessaire sauf dans les formes atypiques par leur localisation notamment. • Les formes graves sont représentées par les psoriasis pustuleux, les psoriasis érythrodermiques, les psoriasis arthropathiques et les psoriasis avec retentissement psychologique. • Les choix thérapeutiques doivent tenir compte de la chronicité de la maladie. Les formes limitées justifient des traitements locaux, les formes plus diffuses bénéficient de la photothérapie, alors que les traitements par voie générale (rétinoïdes et immunomodulateurs) doivent être réservés aux formes sévères.

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Dermatologie A 26

Purpura Orientation diagnostique PR Marie-Sylvie DOUTRE Service de dermatologie, hôpital du Haut-Lévêque, 33604 Pessac Cedex.

Points Forts à comprendre • L'association purpura/fièvre ne signifie pas toujours infection et peut révéler une hémopathie ou une vascularite. • Dans les purpuras infectieux, plusieurs mécanismes sont souvent associés : thrombopénie centrale ou périphérique, coagulation intra-vasculaire disséminée, vascularite à immuns complexes, emboles septiques, action directe des endotoxines bactériennes sur la paroi vasculaire. • Un même médicament peut être responsable d'un purpura hématologique et d’un purpura vasculaire.

Reconnaître un purpura est facile, le problème essentiel est de déterminer sa cause. Ce diagnostic repose sur divers arguments, permettant de différencier les purpuras hématologiques et les purpuras vasculaires. Cependant, de nombreux facteurs étiologiques peuvent agir par des mécanismes intriqués.

Diagnostic étiologique Il repose sur : – l’interrogatoire précisant les antécédents familiaux et personnels, un séjour en pays tropical, une infection récente, les prises médicamenteuses ou d’éventuelles vaccinations, les habitudes de vie (alcool, toxicomanie…), les modalités d’apparition du purpura et son évolution, d’un seul tenant ou par poussées, des signes associés (douleurs articulaires, troubles digestifs, perte de poids…) et des hémorragies viscérales ; – l’examen clinique qui apprécie les caractères du purpura: topographie, lésions infiltrées ou non, autres manifestations dermatologiques. Il faut également voir s’il existe de la fièvre, des signes de choc et faire un examen général ; – les examens paracliniques, avant tout un bilan de coagulation, en particulier de l’hémostase primaire (numération des plaquettes ; temps de saignement). Ce bilan sera à compléter selon le contexte. En fait, trois points sont à retenir : – l’âge ; l’étiologie d’un purpura est en effet bien différente chez un nouveau-né et chez un homme de 70 ans; – la présence ou non d’une fièvre ; tout purpura fébrile, en particulier chez l’enfant, est une urgence médicale; – l’existence ou non d’une thrombopénie, celle-ci étant souvent un indice de gravité.

Diagnostic positif Le purpura est une éruption de lésions rouge pourpre, dues à l’extravasation de globules rouges hors des vaisseaux dermiques, ne s’effaçant pas à la pression du doigt ou à la vitropression, se manifestant sous divers aspects : – pétéchies, lésions punctiformes ou lenticulaires de quelques millimètres de diamètre; – vibices ou traînées linéaires au niveau des plis; – ecchymoses, nappes violacées ou bleuâtres, plus ou moins étendues. Des éléments d’âge différent coexistent souvent, évoluant en passant par les différentes teintes de la biligenèse. On note parfois des lésions purpuriques des conjonctives, des muqueuses buccale, nasale, génitale. On peut donc facilement éliminer l’érythème qui s’efface à la pression et d’autres lésions vasculaires non hémorragiques, permanentes, télangiectasies, angiomes rubis ou stellaires. Mais, la plupart des lésions cutanées peuvent prendre un aspect purpurique.

Purpuras hématologiques 1. Purpuras thrombopéniques La thrombopénie est définie par un taux de plaquettes inférieur à 150 000/mm3, vérifié sur sang capillaire non anticoagulé pour éliminer les agrégats en présence d’EDTA (ethylene-diamine-tetra-acatate). Habituellement, le purpura n’apparaît que pour des chiffres plus bas, aux alentours de 50 000 plaquettes par mm3. C’est le plus souvent un purpura pétéchial, non infiltré, associé à des ecchymoses (fig. 1 et 2) et parfois à des hémorragies muqueuses et viscérales, gastro-intestinales, rétiniennes, cérébro-méningées, qui engage le pronostic vital. Le myélogramme permet de définir les thrombopénies centrales et les thrombopénies périphériques. La mesure de la durée de vie des plaquettes marquées à l’indium 111 peut être utile quand les mécanismes exacts de la thrombopénie sont difficiles à préciser.

L A R E V U E D U P R AT I C I E N 2 0 0 0 , 5 0

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PURPURA

1 Purpura pétéchial secondaire à une thrombopénie d’origine virale chez un enfant.

enfant ayant une leucémie aiguë lymphoblastique.

• Thrombopénie centrale : les mégacaryocytes médullaires sont en nombre diminué ou absents. La thrombopénie est isolée ou associée à une atteinte des autres lignées. La moelle est pauvre, sans cellule anormale : – une atteinte toxique (radiothérapie, produits chimiques, médicaments…) [tableau I];

– des infections (tuberculose, parvovirus B19, virus de l’hépatite B, virus de l’immunodéficience humaine, virus d’Epstein-Barr, cytomégalovirus, TORCH [toxoplasma, rubella, cytomegalovirus, herpes simplex] syndrome chez le nouveau-né); – une aplasie idiopathique, fréquente et sévère, précédant parfois une hémopathie maligne. La moelle est envahie : métastases médullaires ; hémopathies malignes, aiguës ou chroniques. Il existe des anomalies de maturation : syndromes myélodysplasiques; déficit en folates et (ou) en vitamine B12. Beaucoup plus rarement, il s’agit d’une affection héréditaire (maladie de Fanconi, syndrome de Wiskott- Aldrich…). • Thrombopénie périphérique : la moelle est riche en mégacaryocytes, la thrombopénie étant due à une consommation excessive, une destruction exagérée le plus souvent d’origine immunologique ou une séquestration splénique. Consommation excessive Coagulation intra-vasculaire disséminée (CIVD) : sous l’influence de diverses substances (endotoxines bactériennes, complexes antigène-anticorps…), il y a, à partir de la prothrombine, une production excessive de thrombine. Celle-ci provoque une agrégation plaquettaire et la transformation du fibrinogène en fibrine entraînant la formation de micro-thromboses suivie d’une phase hémorragique due à la consommation accrue des plaquettes et de divers facteurs de la coagulation. Il existe donc des manifestations hémorragiques (purpura, ecchymoses à contours irréguliers, en carte de géographie; bulles hémorragiques évoluant vers l’ulcération; hématomes sous-cutanés extensifs; saignements intarissables aux points de piqûres), d’autres dues aux thromboses intravasculaires (nécroses focales des extrémités, gangrènes en plaques). S’y associent parfois un état de choc et des lésions ischémiques intéressant essentiellement reins, foie et poumons, pouvant mettre en jeu le pronostic vital. Les circonstances de survenue en sont multiples (tableau II). Un aspect particulier est réalisé par le purpura fulminans associant des signes biologiques de coagulation intra-

TABLEAU I Principaux médicaments responsables de purpuras Thrombopénie centrale ❑ antimitotiques ❑ sels d’or ❑ thiazidiques ❑ chloramphénicol ❑ phénylbutazone Thrombopénie périphérique d’origine immunologique ❑ quinine et quinidine ❑ sulfamides antibactériens et hypoglycémiants ❑ digitaliques ❑ sels d’or ❑ héparines ❑ valproate de sodium ❑ α-méthyldopa Thrombopathie ❑ acide acétylsalicylique ❑ antiagrégeants ❑ anti-inflammatoires non stéroïdiens Vascularite ❑ antibiotiques (β-lactamines) ❑ sulfamides ❑ anti-inflammatoires non stéroïdiens (indométacine, pyrazolés) ❑ phénytoïnes ❑ allopurinol Fragilité vasculaire ❑ corticoïdes par voie systémique ❑ dermocorticoïdes

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2 Volumineuse ecchymose après ponction sternale chez un

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Dermatologie

TABLEAU II Principales causes des coagulations intravasculaires disséminées aiguës Obstétricales ❑ toxémie gravidique ❑ embolie amniotique ❑ hématome rétro-placentaire ❑ placenta prævia Infectieuses ❑ septicémies à gram + et ❑ leptospirose ictéro-hémorragique ❑ paludisme Cancéreuses ❑ leucémie aiguë pro-myélocytaire Autres causes ❑ brûlures étendues ❑ morsures de serpents ❑ polytraumatismes ❑ déficit homozygote en protéines S et C

vasculaire disséminée et un purpura nécrotique infectieux suraigu. Survenant le plus souvent chez l’enfant, dû au méningocoque, il débute par une fièvre à 40 ° tandis qu’apparaissent quelques taches purpuriques disséminées sur le corps. Il faut alors rechercher un contage de méningite, des signes méningés, un choc débutant (extrémités froides, pouls rapide, tension artérielle basse). En l’absence de traitement, l’évolution se fait très rapidement vers un tableau gravissime associant un purpura extensif fait d’éléments pétéchiaux entourés d’un halo cyanique et de larges taches ecchymotiques qui siègent surtout aux membres et aux points d’appui, un collapsus, des convulsions, une fièvre supérieure à 40° ou au contraire une hypothermie. D’autres germes peuvent en être responsables : streptocoque, hæmophilus influenzæ, staphylocoque, pneumocoque, germes gram-négatifs… Au cours de la méningite à méningocoque, les signes neurologiques dominent le tableau et les lésions cutanées sont discrètes, limitées à quelques pétéchies des membres inférieurs. Le purpura fulminans peut également survenir 10 à 30 j après un épisode infectieux en voie de guérison (varicelle, infection streptococcique…). Dans cette forme, il y a peu ou pas d’atteinte viscérale. Micro-angiopathies thrombotiques : on regroupe sous ce terme le purpura thrombotique thrombocytopénique (PTT) également appelé syndrome de Moschcowitz et le syndrome hémolytique et urémique (SHU). Des micro-thromboses disséminées entraînent une consommation de plaquettes et une hémolyse mécanique des globules rouges à leur niveau. La thrombopénie est associée à une insuffisance rénale aiguë et une anémie hémolytique.

Syndrome de Kasabach-Merritt : il existe une séquestrationconsommation de plaquettes dans un volumineux hémangiome cutané qui prend un aspect inflammatoire, purpurique et ecchymotique, avec des pétéchies à distance. Destruction exagérée : le plus souvent des purpuras thrombopéniques immunologiques avec des anticorps anti-plaquettes dans le sérum ou fixés sur des plaquettes autologues entraînent une destruction exagérée mais les résultats sont variables en fonction des tests utilisés. Diverses techniques récentes (immunoblotting, immunoprécipitation, immunocapture) permettent de mettre en évidence les cibles antigéniques des anticorps. Ils peuvent être secondaires à : – diverses infections (rougeole, varicelle, hépatites B et C, infection à cytomégalovirus, à virus de l’immunodéficience humaine, mononucléose infectieuse, arboviroses…); – une prise médicamenteuse (tableau I); – une maladie systémique, en particulier le lupus érythémateux disséminé (la thrombopénie est souvent associée à des anticorps anti-cardiolipines et les phénomènes thrombotiques sont souvent prédominants) mais aussi une hémopathie lymphoplasmocytaire. La thrombopénie peut être isolée ou associée à une anémie hémolytique auto-immune (syndrome d’Evans). En l’absence de cause décelable, on parle de purpura thrombopénique idiopathique (PTI), dû à des anticorps de type IgG dirigés contre des épitopes exprimés par les glycoprotéines IIb/IIIa et IIb-IX de la membrane plaquettaire. Le purpura peut apparaître brutalement chez l’enfant, au décours d’une vaccination ou d’une infection ORL. Son évolution est le plus souvent bénigne, régressive en quelques semaines. Chez l’adulte et en particulier chez la femme, le purpura thrombopénique idiopathique évolue sur un mode chronique, souvent résistant aux différents traitements. Il peut aussi s’agir d’un accident post-transfusionnel par iso-immunisation ou encore d’une incompatibilité fœtomaternelle secondaire à une immunisation de la mère contre des antigènes des plaquettes du fœtus, absents de ses propres plaquettes. Séquestration splénique : on note une splénomégalie, une thrombopénie et une leuconeutropénie. L’hypersplénisme est observé dans l’hypertension portale, certaines maladies de surcharge (maladie de Gaucher), diverses infections (paludisme, leishmaniose…).

2. Purpuras non thrombopéniques Ils sont dus à des thrombopathies. Le nombre de plaquettes est normal mais celles-ci présentent des anomalies fonctionnelles, responsables d’un allongement du temps de saignement. Les thrombopathies héréditaires sont exceptionnelles. Les thrombopathies acquises sont secondaires à différents médicaments (tableau I) ou à des affections diverses (syndromes myéloprolifératifs, dysglobulinémies, insuffisance rénale chronique, alcoolisme…).

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PURPURA

3

Purpura maculo-papuleux des membres inférieurs.

Purpuras vasculaires Dus à une atteinte de la paroi vasculaire, avec ou sans vascularite, ils ne s’accompagnent d’aucun trouble de la coagulation.

1. Purpuras avec vascularite La définition des vascularites est anatomopathologique : l’atteinte des vaisseaux associe une nécrose fibrinoïde pariétale et un infiltrat périvasculaire où prédominent les polynucléaires neutrophiles à noyau picnotique (vascularite leucocytoclasique) ou des cellules mononucléées, en particulier des lymphocytes (vascularite lymphocytaire). Il existe souvent une thrombose qui peut aller jusqu’à l’oblitération totale et la nécrose de la paroi du vaisseau (vascularite nécrosante). Dans certains cas, se constitue un granulome plus ou moins riche en éosinophiles et en cellules géantes (vascularite granulomateuse). L’immunofluorescence montre souvent des dépôts d’immunoglobulines et de complément sur la paroi des vaisseaux. Ces vascularites sont dans la plupart des cas dues aux dépôts tissulaires de complexes antigène-anticorps. C’est plus souvent un purpura maculo-papuleux, infiltré. Mais d’autres lésions peuvent être observées, isolées ou plus souvent associées entre elles, d’où le polymorphisme 324

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4 Purpura vasculaire avec bulles hémorragiques.

de l’éruption : nodules dermo-hypodermiques, maculopapules à disposition annulaire, éléments pustuleux sur base érythémateuse et infiltrée, bulles hémorragiques, plaques urticariennes, érosions ou véritables ulcérations à contours arborescents, nécroses cutanées en plaques ou au niveau des extrémités (fig. 3, 4 et 5). Si les lésions prédominent sur les membres inférieurs, influencées par l’orthostatisme, elles peuvent remonter sur les fesses, les lombes, plus rarement le thorax ou les membres supérieurs. L’évolution se fait par poussées, le purpura laissant entre celles-ci une dermite ocre. • Il existe fréquemment des manifestations extradermatologiques : – arthralgies, très fréquentes au moment des poussées cutanées, principalement au niveau des articulations périphériques et parfois myalgies; – atteinte digestive : douleurs abdominales, troubles du transit, hémorragies, tableau pseudo-chirurgical; – neuropathie périphérique sensitivo-motrice; – localisations rénales à rechercher systématiquement, se manifestant par une protéinurie et (ou) une hématurie microscopique; – manifestations pulmonaires, cardiaques, oculaires… • Parfois, les signes cliniques et biologiques se regroupent, permettant d’individualiser des tableaux cliniques particuliers.

Dermatologie

favorable, les atteintes viscérales étant exceptionnelles. Le purpura cryoglobulinémique : un purpura infiltré des membres inférieurs est souvent associé à d’autres manifestations cutanées : livedo, urticaire, syndrome de Raynaud, ulcérations et nécroses digitales des orteils ou du visage (oreilles, nez). Il existe fréquemment des arthralgies, plus rarement des arthrites, parfois une neuropathie périphérique ; l’atteinte rénale n’est pas exceptionnelle. Les cryoglobulines sont des immunoglobulines précipitant au froid et se redissolvant à la chaleur. Les cryoglobulines de type I sont composées d’immunoglobulines monoclonales le plus souvent de type IgM, plus rarement IgG et sont associées aux hémopathies lymphoïdes. Beaucoup plus souvent, il s’agit de cryoglobulines mixtes, de type II, habituellement IgM-IgG, l’IgM monoclonale possédant une activité anti-IgG et de type III, sans constituant monoclonal. Ces cryoglobulines s’observent au cours d’affections auto-immunes et de diverses infections bactériennes, virales ou parasitaires. Il faut citer la très forte association entre cryoglobuline mixte et infection par le virus de l’hépatite C. La périartérite noueuse : le purpura est très fréquent, souvent associé à des nodules sous-cutanés, un livedo, des lésions ulcéro-nécrotiques des extrémités. Les lésions de vascularite peuvent également intéresser les articulations, les muscles, les nerfs périphériques, le tube digestif, le rein… 5 Purpura à évolution nécrotique.

Le purpura rhumatoïde : c’est une vascularite fréquente chez l’enfant, surtout entre 2 et 7 ans, apparaissant après une infection ORL, la prise d’un médicament, une vaccination… Le diagnostic repose sur l’association de signes cutanés, articulaires et digestifs. En effet, les signes abdominaux dus à une hémorragie pétéchiale ou à un œdème localisé sont fréquents, à type de douleurs, de vomissements, d’hémorragies, réalisant parfois un « abdomen chirurgical ». D’autres localisations peuvent apparaître, rénales, dans 25 % des cas environ, neurologiques… On note une augmentation du taux sérique des IgA, ces immunoglobulines étant présentes au niveau des vaisseaux cutanés et rénaux. L’évolution est habituellement bénigne, en une ou plusieurs poussées durant quelques semaines. Chez l’adulte, on peut observer un tableau tout à fait identique avec une atteinte rénale dans environ 1 cas sur 2 et l’évolution possible, chez environ 10 à 15 % des sujets vers une insuffisance rénale secondaire. Chez le nourrisson, l’œdème aigu hémorragique représente une forme particulière du purpura rhumatoïde. Le tableau se singularise par une fièvre à 40 °C, des œdèmes douloureux des extrémités avec un purpura souvent « impressionnant », associant lésions en cocarde arrondies ou polycycliques, ecchymoses, plaques nécrotiques (fig. 6). Après plusieurs poussées successives, l’évolution est

6 Œdème aigu hémorragique du nourrisson.

La maladie de Wegener : le purpura vasculaire coexistant avec d’autres lésions cutanées peut parfois précéder les autres localisations de la maladie, au niveau des voies aériennes supérieures, des poumons et des reins ou survenir au cours de l’évolution. L’angéite de Churg et Strauss : le tableau cutané est là aussi polymorphe, présent chez environ 70 % des malades, avec un purpura vasculaire et des nodules sous-

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PURPURA

cutanés siégeant avec prédilection sur le cuir chevelu et les extrémités pouvant s’ulcérer et se nécroser. Il existe de façon constante un asthme avec infiltrats parenchymateux pulmonaires et une hyperéosinophilie supérieure à 1 000 éléments par mm3. • Le purpura vasculaire peut être associé à une collagénose, polyarthrite rhumatoïde, lupus érythémateux disséminé, syndrome de Gougerot-Sjögren. • Parfois il n’existe aucune entité bien définie et pas d’affection associée connue. Il faut alors rechercher : – une prise médicamenteuse (tableau I). Dans ce cadre, il ne faut pas oublier les cas survenant après des tests cutanés, une désensibilisation, une vaccination; – une infection bactérienne, virale ou parasitaire. À côté des causes bien connues telle l’infection à streptocoque, de nombreux agents infectieux peuvent en être responsables : virus des hépatites B et C, rickettsies, virus de l’immunodéficience humaine… Le purpura « en gants et en chaussettes » a été récemment individualisé, dû principalement au parvovirus B19 mais également au cytomégamovirus, à l’herpes virus de type 6, à des coxsackies… – une affection maligne, le plus souvent une hémopathie (leucémie à tricholeucocytes, syndromes myélodysplasiques, lymphomes hodgkiniens ou non, syndromes myéloprolifératifs…). Le purpura vasculaire peut en être révélateur ou survenir au cours de l’évolution, sans être toujours un élément de mauvais pronostic. De façon beaucoup plus rare, il s’agit de tumeurs solides. Mais souvent, ces vascularites évoluent sans qu’aucune cause n’ait été trouvée.

• Purpura actinique de Bateman : siégeant sur les zones photo-exposées, dos des mains, avant-bras, il survient de façon spontanée ou après de légers traumatismes, associé à d’autres manifestations de vieillissement cutané, atrophie et pseudo-cicatrices stellaires (fig. 8). • Purpura du syndrome de Cushing ou dû à une corticothérapie locale ou générale. • Purpura traumatique : siégeant préférentiellement sur la face et le cou, il est lié à l’hyperpression vasculaire lors d’efforts de vomissements, de toux, de cris et de pleurs, de l’accouchement. Il peut aussi être dû à des traumatismes avoués ou non, dans le cadre d’une pathomimie ou d’un syndrome de Silverman (syndrome des enfants battus). • Autres causes : – amylose : le purpura est lié aux dépôts de protéine amyloïde de type AL autour de la paroi des vaisseaux dermiques. Des lésions purpuriques ou des ecchymoses apparaissent principalement sur les paupières (purpura en lunettes) et le cou mais aussi au niveau des creux axillaires, de la région génitale, de l’ombilic. La survenue d’un purpura palpébral après des efforts de toux, de vomissements ou dans les suites d’une endoscopie est très évocatrice. Ces dépôts amyloïdes sont secondaires à la synthèse d’une chaîne légère, beaucoup plus rarement lourde, d’immunoglobulines monoclonales par une prolifération plasmocytaire bénigne ou maligne ;

2. Anomalies de la paroi vasculaire Des purpuras dus à des anomalies de la paroi vasculaire, sans vascularite, peuvent survenir. On observe le plus souvent un purpura pétéchial et (ou) ecchymotique, non infiltré. • Capillarites purpuriques et pigmentées : de cause inconnue, elles prédominent aux membres inférieurs, évoluant souvent par poussées, avec une pigmentation résiduelle. La biopsie met en évidence un infiltrat inflammatoire périvasculaire, mononucléé, associé à l’extravasation des globules rouges et à des dépôts d’hémosidérine. Il n’y a pas d’atteinte pariétale. Plusieurs entités, dont l’identité est parfois discutable, sont décrites : – dermite ocre de Favre et Chaix dans l’insuffisance veineuse; – maladie de Schamberg, avec des lésions purpuriques en « grains de poivre de Cayenne moulu »; – lichen aureus caractérisé par des éléments purpuriques papuleux; – purpura annulaire de Majocchi, l’éruption purpurique et télangiectasique se disposant en anneaux (fig. 7); – eczématides-like-purpura, avec des éléments eczématiformes prurigineux. 326

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7 Purpura annulaire de Majocchi.

Dermatologie

8 Purpura de Bateman du dos des mains.

– dysplasies du tissu conjonctif. Dans les syndromes d’Ehlers-Danlos, il existe une fragilité vasculaire, les hématomes pouvant se compliquer de calcifications ou évoluer vers des pseudo-tumeurs ou des cicatrices papyracées, molluscoïdes au niveau des zones de pression. Dans le type IV (syndrome de SackBarrabas), l’atteinte vasculaire est particulièrement importante, responsable d’hémorragies viscérales de pronostic redoutable ; – déficit en vitamine C. Le scorbut est secondaire à un déséquilibre alimentaire prolongé ou une atteinte digestive inflammatoire. On observe des pétéchies, des ecchymoses aux sites de traumatismes mineurs et autour des lésions d’hyperkératose folliculaire. Le diagnostic est confirmé par le dosage intra-leucocytaire de la vitamine C ; – maladies emboliques ; lors d’embolies de cristaux de cholestérol, on observe parfois un purpura pétéchial des membres inférieurs ; Dans l’endocardite d’Osler, des emboles septiques entraînent un purpura pétéchial cutané et muqueux au niveau du voile du palais et de la conjonctive mais on peut aussi observer une vascularite par immuns complexes. Lors d’embolies graisseuses chez un sujet polytraumatisé, apparaît entre le 2e et le 3e jour un purpura pétéchial du thorax, du cou, des creux sus-claviculaires et des régions axillaires antérieures, de la conjonctive et du palais, qui disparaît rapidement en moins de 24 heures. – syndrome de Gardner et Diamond : dans le syndrome des ecchymoses multiples ou purpura psychogène, on observe des ecchymoses douloureuses au niveau des extrémités ou du visage, apparaissant de façon spontanée, presque exclusivement chez la femme dans un contexte psychologique particulier (fig. 9). Le mécanisme exact n’est pas connu, même si un phénomène de sensibilisation auto-érythrocytaire a été évoqué.

9 Syndrome de Gardner et Diamond.

Points Forts à retenir • Le purpura n’est qu’un symptôme posant avant tout le problème de sa cause. • L’association purpura/fièvre doit être considérée comme une urgence, tout particulièrement chez l’enfant. • Les purpuras sont habituellement classés en purpuras hématologiques et purpuras vasculaires mais il existe souvent des mécanismes intriqués. • En période néo-natale, le purpura est dans la grande majorité des cas dû à des anomalies de l’hémostase. • L’aspect polymorphe de l’éruption est un argument important en faveur d’un purpura par vascularite.

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Dermatologie B 183

Syphilis primaire et secondaire Épidémiologie, diagnostic, traitement DR Michel JANIER Centre clinique et biologique des maladies sexuellement transmissibles, hôpital Saint-Louis, 75475 Paris Cedex 10.

Points Forts à comprendre • La syphilis est une maladie sexuellement transmissible. À ce titre, elle est souvent associée à d’autres maladies sexuellement transmissibles qu’il faut impérativement dépister (virus de l’immunodéficience humaine, hépatite B, Chlamydia). • La fréquence de la syphilis a fortement diminué depuis 10 ans en France mais l’affection reste fréquente en Europe de l’Est et dans les pays du tiers monde. • La syphilis évolue en 3 phases cliniques stéréotypées (primaire, secondaire, tertiaire) séparées par des phases totalement asymptomatiques. • Le diagnostic sérologique est difficile : impossibilité de différencier syphilis et tréponématoses non vénériennes, difficulté d’affirmer la guérison, fausses sérologies (faux VDRL). • La gravité de la syphilis tient au risque de neurosyphilis. • Le traitement est simple : pénicilline G retard en intramusculaire.

par an. Depuis 1999, on assiste, cependant, à une légère remontée de l’incidence, traduisant un relâchement de la prévention. La Russie et les pays de l’ancien bloc communiste de l’Europe de l’Est gardent une incidence élevée de syphilis primo-secondaire (environ 100 cas pour 100 000 habitants par an). Celle-ci peut atteindre 1 000 pour 100 000 habitants par an en Afrique noire, en Amérique du Sud et en Asie.

Maladie sexuellement transmissible La syphilis est une maladie sexuellement transmissible (MST). Elle traduit une sexualité à risque de contracter d’autres maladies sexuellement transmissibles : gonococcie, infections à Chlamydia trachomatis, hépatite B, infection par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH)… La transmission de la syphilis se fait à partir de lésions syphilitiques érosives ou ulcérées : chancre primaire, syphilides érosives, plaques muqueuses. Elle peut donc se faire à l’occasion de rapports de pénétration mais, également, lors des rapports bucco-génitaux, voire par le baiser profond.

Généralités La syphilis est une tréponématose vénérienne due à Treponema pallidum. Le réservoir est exclusivement humain et la transmission sexuelle. Le dépistage et le traitement doivent empêcher la survenue des complications graves de la phase tertiaire.

Épidémiologie

Évolution La syphilis évolue en 3 phases dont la définition est clinique : syphilis primaire (chancre syphilitique), syphilis secondaire (manifestations cliniques de la septicémie syphilitique avec atteinte cutanée, ganglionnaire, voire viscérale), syphilis tertiaire (gommes syphilitiques parenchymateuses essentiellement cérébrales, cardiaques et cutanées). Ces 3 phases se succèdent selon une chronologie précise déjà définie par Ricord au début du XXe siècle.

Incidence L’incidence de la syphilis a diminué de manière très importante en Europe occidentale, depuis une dizaine d’années, du fait des modifications du comportement sexuel induites par l’arrivée du sida. L’incidence se situe en France autour de 10 nouveaux cas pour 100 000 habitants

Incubation Elle dure, en moyenne, 21 jours. Elle est en fait extrêmement variable mais généralement longue. Elle sépare le rapport sexuel contaminant de l’apparition du chancre

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SYPHILIS PRIMAIRE ET SECONDAIRE

syphilitique (J0 étant défini par le début du chancre). En l’absence de traitement, le chancre syphilitique guérit spontanément en 3 à 6 semaines. La syphilis secondaire survient inconstamment à partir de la 6e semaine. Elle est caractérisée par une première floraison (roséole) entre la 6e semaine et le 3e mois, puis, par une seconde floraison (syphilides papuleuses) entre le 3e et le 12e mois. Toujours en l’absence de traitement, l’évolution naturelle de la syphilis secondaire se fait vers la disparition spontanée, à laquelle succède une phase de latence, puis un risque de syphilis tertiaire d’environ 10 % dans les années qui suivent (jusqu’à 30 ans après le chancre). Les phases asymptomatiques de la syphilis (la période muette séparant la 1re phase de la 2e, celle qui sépare la 2e phase de la 3e et celle qui concerne les patients syphilitiques ne faisant pas de syphilis secondaire) s’appellent syphilis latente ou sérologique. Lorsque le chancre syphilitique, en cours de guérison, coexiste avec le début de la phase secondaire, on parle alors de syphilis primo-secondaire.

s’accompagnant après 4 à 5 j d’une adénopathie unilatérale, indolore, non inflammatoire. L’ensemble chancre plus adénopathie constitue le complexe primaire ; les adénopathies sont le plus souvent inguinales (organes génitaux externes, anus), plus rarement, intra-abdominales (col utérin, rectum). • Le siège du chancre est, le plus souvent, muqueux et génital (gland, sillon balano-préputial, méat chez l’homme ; vulve, col utérin, vagin chez la femme). Mais le chancre peut également être anorectal (quelquefois douloureux), labial, amygdalien, voire siéger en dehors des muqueuses. Le chancre syphilitique est, le plus souvent, unique. • De nombreuses formes atypiques sont possibles : chancre profond, douloureux, non induré, inflammatoire, surinfecté, chancres multiples, d’où la règle devant toute ulcération génitale de rechercher systématiquement une syphilis au même titre qu’un herpès génital et un chancre mou.

2. Diagnostic Diagnostic de certitude Il repose sur la découverte du tréponème pâle (Treponema pallidum) mis en évidence dans les lésions primaires ou secondaires, érosives ou ulcérées. Le diagnostic peut, également, reposer sur la sérologie syphilitique (TPHA, treponema pallidum hæmagglutination assay ; VDRL, veneral disease research laboratory ; FTA-abs test, fluorescent treponema absorption test) dont l’interprétation est difficile (impossibilité sur les seules sérologies de différencier une syphilis d’une tréponématose non vénérienne, difficulté de déterminer si la syphilis est évolutive ou guérie). Ces sérologies syphilitiques deviennent positives avec retard par rapport au début du chancre et peuvent devenir négatives en l’absence de traitement après de nombreuses années.

Risque majeur Il est représenté par la neurosyphilis (syphilis tertiaire). Ce risque est minime au cours de la 1re année d’évolution (syphilis primaire, syphilis secondaire et syphilis latente de moins d’un an d’évolution). Ces 3 entités sont regroupées sous le terme de syphilis précoce.

Diagnostic Syphilis primaire 1. Chancre syphilitique • Le chancre syphilitique est, dans les cas typiques, une érosion superficielle rose, bien limitée, non inflammatoire, indolore laissant sourdre une sérosité, devenant indurée après quelques jours (palpation protégée) et 1588

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Il repose sur la recherche des tréponèmes au microscope à fond noir (ultramicroscope). • Le prélèvement de la sérosité est déposé dans du sérum physiologique entre lame et lamelle. Il permet de reconnaître les spirochètes brillants et mobiles. Cet examen est, cependant, difficile et nécessite de l’expérience. Il peut, par ailleurs, être négatif en cas d’applications d’antiseptiques ou de prises d’antibiotiques. La présence de spirochètes saprophytes dans la cavité buccale rend impossible la recherche de tréponème pâle dans cette localisation. • La sérologie syphilitique se positive vers le 5e j du chancre. Le 1er test devenant positif est le test d’immunofluorescence (FTA-abs test). Le TPHA se positive vers le 7e jour du chancre. Enfin, le VDRL se positive vers le 10e jour du chancre. Le titre des anticorps augmente progressivement ensuite pour atteindre un maximum lors de la phase secondaire (voir : Pour approfondir). Le test de Nelson n’est plus utilisé.

3. Diagnostic différentiel Il faut éliminer plusieurs diagnostics. • Le chancre mou, typiquement douloureux, souple, profond, volontiers multiple, siège sur le versant cutané des organes génitaux et s’accompagne d’adénopathies inflammatoires (bubon). Le diagnostic repose sur l’examen direct (bacilles gram-négatifs) et la culture (Hæmophilus ducreyi). • L’herpès génital se caractérise par des érosions multiples, douloureuses à contours polycycliques, avec la présence de vésicules. Le diagnostic repose sur la culture in situ ou la PCR (polymerase chain reaction). • Le chancre scabieux se présente sous la forme de papules prurigineuses excoriées et d’un prurit généralisé. • La donovanose et la maladie de Nicolas-Favre sont exceptionnelles en France. • Les ulcérations mécaniques, caustiques, aphtes génitaux (maladie de Behçet, aphtose bipolaire), carcinome

Dermatologie

spinocellulaire, bullose immunologique et toxidermie bulleuse sont des diagnostics à éliminer.

4. Évolution • En l’absence de traitement, le chancre cicatrise en 3 à 6 semaines et guérit, le plus souvent, sans cicatrice. • Sous traitement, le chancre cicatrise en 1 à 2 semaines. Si les sérologies sont négatives, elles ne deviennent pas positives. Si les sérologies sont déjà positives, les titres diminuent progressivement (négativation du VDRL en 1 an alors que le FTA et le TPHA restent, en règle, indéfiniment positifs). La surveillance d’une syphilis primaire traitée se fait à 3 mois, 6 mois et 1 an sur le VDRL quantitatif.

Syphilis secondaire C’est la phase de dissémination septicémique de Treponema pallidum. Elle est inconstante (environ 50 % des patients). Elle succède, après une phase de latence de quelques semaines, à une syphilis primaire non traitée. Elle peut parfaitement être révélatrice (chancres « cachés » : femmes, homosexuels).

1. Manifestations générales Elles sont inconstantes. Ce sont des adénopathies multiples, indolores surtout cervicales postérieures et épitrochléennes, une asthénie, une fébricule, des céphalées, une splénomégalie, une méningite lymphocytaire voire une hépatite syphilitique, une néphropathie glomérulaire, des mono- et polyarthrites.

2. Manifestations cutanéo-muqueuses Elles sont au premier plan. • La première floraison survient entre la 6e semaine et le 3e mois après le chancre. Elle associe : – la roséole syphilitique avec macules rosées de quelques millimètres de diamètre, non prurigineuses, prédominant sur le tronc et les racines des membres, souvent à la limite de la visibilité. Elle disparaît en quelques semaines spontanément sans cicatrice. Rarement, elle laisse place à une leucomélanodermie séquellaire (collier de Vénus) ; – les plaques muqueuses avec érosions indolores souples, opalines, extrêmement contagieuses, fourmillant de tréponèmes, siégeant sur la langue (plaques fauchées), les lèvres (fausse perlèche de la syphilis), les muqueuses génitales et la région anale ; – une alopécie temporo-occipitale en clairière, transitoire, qui est classique. • La deuxième floraison survient du 3e au 12e mois après le chancre. Elle se manifeste par les syphilides papuleuses secondaires, lésions non prurigineuses, d’aspect variable, pouvant toucher tout le tégument. Elles prédominent sur le visage et le tronc. Une atteinte palmo-plantaire est classique et très évocatrice. Il s’agit, le plus souvent, d’une forme papuleuse pure, de couleur rouge cuivré avec desquamation périphérique (collerette

de Biett) ou papulo-squameuse. Plus rarement, les lésions sont psoriasiformes, séborrhéiques (visage), acnéiformes (visage), pustuleuses, varicelliformes, érosives (surtout dans les plis avec lésions suintantes très contagieuses), ulcérées, végétantes (muqueuses) ou folliculaires. Le grand polymorphisme clinique de la syphilis secondaire a fait appeler cette dernière la grande simulatrice : elle peut simuler une acné, une dermatite séborrhéique, un parapsoriasis en gouttes, une varicelle, un lichen plan.

3. Diagnostic Il repose sur : – le contexte (interrogatoire : notion d’ulcérations génitales) ; – les prélèvements des lésions érosives ou ulcérées avec recherche de tréponèmes au microscope à fond noir ; – les sérologies syphilitiques sont toutes positives : TPHA, VDRL et FTA-abs test avec des titres élevés ; – lorsque le diagnostic n’est pas fait, la biopsie peut être évocatrice (présence de nombreux plasmocytes dans l’infiltrat dermique).

4. Évolution • En l’absence de traitement, la syphilis secondaire évolue par poussées successives qui s’atténuent avec le temps mais dépassent rarement 1 an. • Sous traitement, les lésions disparaissent en 48 h (roséole) à 15 j (syphilides papuleuses). Le titre des sérologies diminue après traitement : négativation du VDRL en 2 ans alors que le TPHA et le FTA-abs test restent indéfiniment positifs (simple diminution des titres).

Syphilis latente précoce • Il s’agit d’une syphilis purement sérologique, de moins de 1 an d’évolution. Seule la négativité des sérologies syphilitiques datant de moins de 1 an peut permettre d’affirmer le caractère précoce de l’infection. Si l’on ne dispose pas de tels éléments, la syphilis sérologique est automatiquement considérée comme tardive. • Les sérologies syphilitiques ne permettent pas de trancher entre syphilis et tréponématose non vénérienne (pian, bejel et caraté).

Traitement La pénicilline G reste le traitement le plus efficace contre la syphilis. Aucun cas de résistance de Treponema pallidum à la pénicilline n’a été décrit ; la longueur du temps de division du tréponème (33 h en cas de syphilis précoce) impose d’assurer un taux tréponémicide de pénicilline dans les tissus pendant au moins 10 j.

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SYPHILIS PRIMAIRE ET SECONDAIRE

La benzathine benzylpénicilline (Extencilline) est la forme la plus adaptée (pénicilline long-retard), permettant en une seule injection intramusculaire d’assurer un taux tissulaire tréponémicide de pénicilline pendant 15 j. Ce traitement est facile à administrer, peu coûteux et très rapidement efficace (disparition des tréponèmes des lésions en moins de 48 h). Ce traitement assure rarement un taux tréponémicide dans le liquide céphalo-rachidien (LCR). Cependant, chez le patient non immunodéprimé, la fréquence de l’invasion précoce des méninges par les tréponèmes contraste avec le caractère exceptionnel des neurosyphilis observées après une seule injection de benzathine benzylpénicilline. Chez le patient immunodéprimé, en particulier séropositif pour le virus de l’immunodéficience humaine, le risque de développer une neurosyphilis après une seule injection de benzathine benzylpénicilline est plus important. Un contrôle du liquide céphalorachidien est inutile chez le patient non immunodéprimé ; il se discute chez le patient immunodéprimé. Le traitement des partenaires est indispensable quels que soient les résultats de leur sérologie syphilitique. Le dépistage des autres maladies sexuellement transmissibles doit être systématique : examen clinique, sérologie VIH, sérologie de l’hépatite B.

Traitement de première intention de la syphilis précoce Cela concerne la syphilis primaire, la syphilis secondaire et la syphilis sérologique de moins de 1 an d’évolution.

1. Pénicilline G On réalise une injection intramusculaire profonde de benzathine benzylpénicilline (Extencilline) à 2,4 millions d’unités. L’injection est douloureuse (association de Xylocaïne).

2. Contre-indications Elles sont exceptionnelles. Un traitement anticoagulant et des antécédents de réaction allergique documentée à la pénicilline sont à retenir. Le risque est d’environ 5 accidents anaphylactiques pour 1 000 injections, le plus souvent, dans les 24 premières heures. Les accidents mortels sont exceptionnels, moins de 1 pour 100 000 traitements. Certains auteurs conseillent une 2e injection de benzathine benzylpénicilline à 2,4 millions d’unités après une semaine.

Alternative thérapeutique 1. Doxycycline L’alternative thérapeutique recommandée est la doxycycline : 100 mg, 2 fois/j ou la tétracycline base : 500 mg 4 fois/j pendant 2 semaines. L’érythromycine a une efficacité médiocre. 1590

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2. En cas de grossesse Chez une femme allergique à la pénicilline, une désensibilisation est indispensable (tests intradermiques sous surveillance médicale et en cas de positivité, augmentation progressive des doses sur 24 h per os ou par voie intraveineuse). Cette désensibilisation est immédiatement suivie d’un traitement classique par benzathine benzylpénicilline en intramusculaire.

3. Autres formes L’utilisation d’autres formes de bêtalactamines et de céphalosporines n’a pas d’intérêt. Les traitements sont d’une moindre efficacité, moins bien documentés, plus chers et d’administration aléatoire.

Surveillance après traitement Elle doit être clinique et sérologique. La surveillance sérologique porte sur le VDRL. Les taux doivent diminuer d’un facteur 4 en 6 mois. La négativation du VDRL est fréquemment obtenue après 1 an dans la syphilis primaire et 2 ans dans la syphilis secondaire. Une réascension des titres (au moins 2 dilutions) doit faire craindre une recontamination. La négativité du VDRL est un argument majeur pour la guérison de la syphilis.

Réaction d’Herxheimer Elle associe une fièvre parfois très élevée et une augmentation des lésions syphilitiques. Elle est quasi constante et d’autant plus fréquente que les lésions cliniques sont importantes. Sa pathogénicité est inconnue. Elle est, le plus souvent, absolument bénigne. La prévention par l’augmentation progressive des doses de pénicilline est inefficace et inutile. Une courte corticothérapie générale à 1 ou 2 mg/kg/j pendant 48 h avant l’injection se justifie dans les syphilis secondaires profuses. Le seul risque est celui d’un accouchement prématuré chez la femme enceinte.

Syphilis et infection VIH Le risque de neurosyphilis précoce fait discuter le contrôle du liquide céphalo-rachidien au cours de la syphilis secondaire (absence de consensus). Le TPHA se négative plus rapidement chez les patients séropositifs pour le VIH mais le comportement du VDRL reste normal. L’interprétation de l’analyse du liquide céphalo-rachidien est difficile : hyperprotéinorachie, hypercytose, positivité du VDRL dans le liquide céphalo-rachidien sont en faveur d’une neurosyphilis. En revanche, la négativité du TPHA dans le liquide céphalo-rachidien élimine la neurosyphilis.

Dermatologie

Syphilis et grossesse La transmission transplacentaire de Treponema pallidum est possible en fin de grossesse. L’enfant sera alors atteint de syphilis congénitale. Une sérologie syphilitique (TPHA + VDRL) est obligatoire au 3e mois de la grossesse. La mère doit être traitée de manière conventionnelle, à l’exclusion des tétracyclines et l’enfant doit être surveillé (clinique, sérologie, étude du liquide céphalorachidien) et traité à la naissance. ■

POUR EN SAVOIR PLUS Caumes E, Janier M. Syphilis. Encycl Med Chir (Paris). Maladies Infectieuses 8-039 A10, 1994. Janier M. Thérapeutique : la syphilis (excepté la syphilis congénitale). Ann Dermatol Venereol 1999 ; 126 : 625-8.

Points Forts à retenir • Le diagnostic de certitude d’une syphilis repose sur la découverte des tréponèmes vivants au microscope à fond noir. • Dans les premiers jours du chancre, les sérologies syphilitiques sont négatives. • Le chancre syphilitique est classiquement propre et induré. En pratique, les cas atypiques sont fréquents, d’où la règle de rechercher une syphilis devant toute ulcération génitale. • Le polymorphisme clinique de la syphilis secondaire est important – « la grande simulatrice » – il faut donc toujours demander une sérologie syphilitique devant une éruption cutanée atypique. • Le traitement repose sur la benzathine benzylpénicilline. L’alternative par les cyclines est envisageable chez les patients allergiques aux bêtalactamines, sauf en cas de grossesse où une désensibilisation à la pénicilline est indispensable.

POUR APPROFONDIR Sérologies de la syphilis Le sérodiagnostic de la syphilis repose sur l’association d’un test non tréponémique (non spécifique) et d’un test tréponémique (spécifique). Tests non tréponémiques (ou non spécifiques, ou anticardiolipidiques) Ils utilisent un cardiolipide ubiquitaire. Les tests utilisés sont des réactions d’agglutination. Le plus courant est le VDRL. Le test de déviation du complément de Bordet-Wassermann (BW) n’est plus utilisé. La dilution du sérum du malade permet d’obtenir un titre (défini comme l’inverse de la dernière dilution positive, chiffré de 1 à 1 024 unités, avec raison 2). Le VDRL se positive dès le 10e jour du chancre syphilitique, atteint un titre maximal lors de la phase secondaire puis redescend lentement dans les années qui suivent. Un VDRL négatif correspond, le plus souvent, à une syphilis guérie. Le VDRL est, également, positif dans les tréponématoses non vénériennes. Le test n’est pas spécifique des tréponématoses ; il peut devenir positif au cours de nombreuses maladies infectieuses (pneumococcie, rickettsioses, tuberculose, paludisme, infection par le VIH, mononucléose infectieuse), au cours de la grossesse, en cas de toxicomanie intraveineuse ou dans le cadre du syndrome des anticorps anti-cardiolipine (en particulier, au cours du lupus). Dans toutes ces circonstances, les tests tréponémiques sont négatifs. Tests tréponémiques (ou spécifiques) Ils sont spécifiques des tréponématoses (syphilis et tréponématoses non vénériennes). Les faux positifs sont exceptionnels. Le TPHA est un test d’agglutination d’hématies de mouton recouvertes d’un ultrasonat de tréponèmes pâles. Peu coûteux, très sensible (se positive au 7e jour du chancre et reste, le plus souvent, indéfiniment positif, même après guérison), très spécifique. Il est utilisé en dépistage mais pas pour le suivi après traitement car il n’existe aucune corrélation entre le titre des anticorps et l’évolutivité. Le FTA est une réaction d’immunofluorescence indirecte sur une suspension de tréponèmes pâles tués, souche Nichols, après absorption sur des tréponèmes saprophytes de Reiter (FTA-abs). Le test est coûteux, très sensible (se positive au 5e j du chancre), très spécifique. Le FTA-IgM n’est guère utilisé que chez le nouveau-né (signe une syphilis congénitale) et dans le liquide céphalo-rachidien (signe une neurosyphilis). Les résultats sont donnés quantitativement après dilution du sérum (de 1/50 à 1/12 800). Le test de Nelson (immobilisation de tréponèmes pâles vivants) n’est plus utilisé car il s’agit d’un test compliqué, peu sensible et sa spécificité n’est pas supérieure à celle du TPHA et du FTA.

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Dermatologie B 168

Toxidermies médicamenteuses Diagnostic DR Denis JULLIEN, DR Sophie GRANDE, PR Michel FAURE Clinique dermatologique et INSERM U346, hôpital Édouard-Herriot, 69437 Lyon Cedex 03.

Points Forts à comprendre • Les toxidermies ont une présentation clinique polymorphe et, dans la majorité des cas, non spécifique. • Les toxidermies les plus fréquentes (éruptions érythémateuses, urticariennes) ont le plus souvent une évolution favorable. • Les formes cliniques les plus graves (syndrome d’hypersensibilité, syndrome de Stevens-Johnson, syndrome de Lyell, choc anaphylactique) représentent moins de 5 % des toxidermies. • En l’absence d’explorations paracliniques et de tests biologiques spécifiques, la mise en cause d’un médicament dans une toxidermie (imputabilité) repose sur une démarche probabiliste. • L’arrêt précoce du médicament imputable est une priorité.

Par définition, les toxidermies représentent les effets dermatologiques cutanés indésirables secondaires à l’administration systémique d’un médicament. Dans la pratique, on étend cette définition à certains accidents provoqués par des produits utilisés par voie topique. Les toxidermies sont un des effets secondaires les plus fréquents des médicaments. Leur fréquence augmente avec la consommation médicamenteuse et est ainsi plus élevée chez la femme et le sujet âgé. Leur présentation clinique est extrêmement polymorphe et elles peuvent, en dehors de tableaux plus spécifiques, simuler de nombreuses dermatoses (voir : Pour approfondir).

Prurit C’est la plus élémentaire des toxidermies et il ne faut pas la méconnaître. Le plus souvent il s’agit d’un prurit généralisé. Il peut être isolé ou précéder une éruption. De très nombreux médicaments peuvent être responsables : opiacés, barbituriques, sels d’or, antipaludéens de synthèse, inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine…

Éruptions érythémateuses Elles représentent près de la moitié des toxidermies. Elles débutent 7 à 14 j après l’introduction du médicament, plus tôt s’il s’agit d’une réintroduction. Souvent prurigineuses, elles sont volontiers polymorphes et peuvent associer des lésions maculo-papuleuses, scarlatiniformes, morbilliformes, purpuriques ou urticariennes plus ou moins étendues (fig. 1). La fièvre, quand elle existe, est rarement marquée et il n’y a habituellement pas d’énanthème, ce qui aide à différencier ces lésions des maladies infectieuses éruptives. Elles guérissent le plus souvent sans séquelles en 2 à 10 j avec une fine desquamation. Rarement, mais de manière imprévisible, elles peuvent évoluer vers une toxidermie beaucoup plus grave. L’apparition de signes cliniques habituellement présents dans le syndrome de Stevens-Johnson, le syndrome de Lyell ou le syndrome d’hypersensibilité (v. infra) doit donc être méticuleusement dépistée.

Aspects cliniques La reconnaissance d’entités cliniques distinctes permet, compte tenu des particularités sémiologiques et du pronostic rattaché à chacune d’entre elles, d’orienter la prise en charge thérapeutique.

1 Éruption érythémateuse.

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TOXIDERMIES MÉDICAMENTEUSES

• L’examen histologique cutané montre des anomalies peu spécifiques. L’origine iatrogénique des manifestations observées peut cependant être suspectée devant une vacuolisation de la membrane basale associée à une exocytose lymphocytaire, une prénécrose du corps muqueux associée à une nécrose monocellulaire des kératinocytes, la présence d’éosinophiles. • Les médicaments responsables sont le plus souvent les antibiotiques (aminopénicillines, sulfamides antibactériens), les anticomitiaux (carbamazépine, diphénylhydantoïne, lamotrigine), l’allopurinol, le captopril, la salazopyrine, la D-pénicillamine, les sels d’or, les antiinflammatoires non stéroïdiens.

Urticaire Au 2e rang des toxidermies, l’urticaire aiguë d’origine médicamenteuse (fig. 2) ne présente aucune particularité clinique qui aide à la différencier des autres causes d’urticaire. Quelques minutes ou quelques heures séparent habituellement la prise médicamenteuse et la réaction cutanée. L’urticaire peut être isolée ou s’associer à un angio-œdème. Ce dernier peut aussi survenir de manière isolée. Non prurigineux, il correspond à un œdème de l’hypoderme et du derme et donne une sensation de tension cutanée. Sa localisation aux voies aériennes supérieures peut engager le pronostic vital. L’autre complication potentiellement létale est la survenue d’un choc anaphylactique. On estime ainsi qu’une anaphylaxie survient dans 0,2 p. 1 000 des traitements par pénicilline. • L’examen histologique n’a pas d’intérêt. • Les principaux médicaments en cause sont les β-lactamines, l’aspirine et les anti-inflammatoires non stéroïdiens, les anesthésiques généraux, les produits de contraste iodés hyperosmolaires, les sérums, les vaccins, les dérivés sanguins. Les inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine et à un moindre degré les pénicillines sont responsables d’angio-œdèmes. Le céfaclor peut être responsable d’une réaction urticarienne tardive, survenant 7 à 10 j après la première prise, qui s’intègre dans le cadre d’une maladie sérique.

2 Urticaire. 2046

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Syndrome de Stevens-Johnson et nécrolyse épidermique toxique (syndrome de Lyell) La symptomatologie débute après 1 à 3 semaines, dès la première introduction du médicament, par des manifestations pseudo-grippales rapidement suivies d’une atteinte muqueuse (conjonctivite, kératite, ulcérations des muqueuses buccales, nasales et génitales). L’atteinte cutanée initiale est douloureuse, prédomine au tronc, à la racine des membres. Il s’agit le plus souvent de macules pourpres prenant parfois un aspect de cocardes « atypiques » (lésion bulleuse centrale entourée d’un seul cercle) (fig. 3) qui s’étendent en 1 à 5 jours tandis que les décollements apparaissent pour réaliser l’aspect typique en « linge mouillé plaqué sur la peau » (fig. 4). Le frottement d’une de ces zones met à nu le derme réalisant le signe de Nikolsky. Il existe fréquemment des bulles aux paumes et aux plantes alors que le cuir chevelu est habituellement respecté. Le syndrome de StevensJohnson n’est qu’une forme limitée de syndrome de Lyell dans lequel, par définition, la surface de peau décollée reste inférieure à 10 % de la surface corporelle.

3 Syndrome de Stevens-Johnson : cocardes « atypiques ».

4 Nécrolyse épidermique toxique (syndrome de Lyell).

Dermatologie

Les signes généraux et les désordres hydroélectrolytiques sont rapidement importants. Le pronostic est volontiers aggravé par l’existence d’une atteinte hépatique, digestive, hématologique et (ou) rénale. L’atteinte pulmonaire est également fréquente puisqu’on estime que 27 % des syndromes de Lyell présentent une atteinte pulmonaire précoce. La dyspnée associée à une hypersécrétion bronchique et la gazométrie (hypoxémie et alcalose respiratoire) orientent le diagnostic. La radiographie pulmonaire est normale. Le décès survient dans environ 30 % des syndromes de Lyell et 5 % des syndromes de StevensJohnson, le plus souvent du fait d’une détresse respiratoire aiguë, d’une défaillance polyviscérale ou d’un sepsis. L’arrêt précoce du médicament responsable est associé à un meilleur pronostic. Dans les cas favorables, la cicatrisation cutanée est obtenue en 1 à 3 semaines (plus pour les lésions muqueuses). Des séquelles à type de cicatrices pigmentaires, de dystrophies unguéales, de synéchies muqueuses (notamment vaginales), ainsi que des séquelles oculaires parfois sévères peuvent être observées. • L’histologie montre une nécrose de l’épiderme sur toute sa hauteur et permet d’éliminer notamment une épidermolyse staphylococcique aiguë, de bon pronostic, qui se caractérise par un clivage sous-corné. • Les médicaments les plus souvent en cause sont les sulfamides antibactériens, les anticomitiaux (phénobarbital, phénytoïne, carbamazépine, acide valproïque, lamotrigine), l’allopurinol, la chlormézanone, et parmi les anti-inflammatoires non stéroïdiens les pyrazolés et les oxicams. De nombreux autres antibiotiques et antiinflammatoires non stéroïdiens (AINS) sont également responsables. La névirapine, un inhibiteur non nucléosidique de la transcriptase inverse du virus de l’immunodéficience humaine de type 1 (VIH1) est responsable d’un nombre particulièrement important de syndromes de Lyell. Compte tenu du fait qu’il induit par ailleurs une toxidermie érythémateuse chez 30 % des patients qui le reçoivent, sa mise en place nécessite une surveillance clinique particulièrement vigilante.

Érythème polymorphe On considère actuellement que cette maladie est avant tout d’origine infectieuse (herpès simplex virus 1 et 2, Mycoplasma pneumoniæ…) et exceptionnellement secondaire à une prise médicamenteuse. Les lésions muqueuses sont similaires à celles du syndrome de Stevens-Johnson, mais les lésions cutanées correspondent à des cocardes « typiques » formées d’une lésion centrale papuleuse infiltrée ou bulleuse entourée de 2 cercles concentriques (fig. 5). Ces cocardes prédominent habituellement aux extrémités, elles s’accompagnent volontiers d’une sensation de brûlure et ne sont pas prurigineuses. Des cocardes « atypiques », des lésions urticariennes peuvent accompagner les lésions typiques. Le pronostic est bon et l’évolution se fait spontanément vers la guérison en 2 à 6 semaines. Dans moins de 5 % des cas, on observe des récidives, parfois pluriannuelles accompagnant le plus fréquemment des poussées herpétiques.

5 Érythème polymorphe : cocardes « typiques ».

Pustulose exanthématique aiguë généralisée Elle est caractérisée par l’installation aiguë, d’une éruption de plusieurs centaines de pustules non folliculaires, stériles, sur fond érythrodermique et œdémateux, associée à une fièvre élevée. L’éruption débute souvent au visage qui est congestif puis s’étend pour prédominer au tronc et aux grands plis (fig. 6). Elle peut plus rarement débuter dans les plis. Un purpura, des cocardes atypiques et des lésions muqueuses peuvent être associés aidant à différencier la pustulose exanthématique aiguë généralisée du psoriasis pustuleux. L’évolution est favorable en 10 j et suivie d’une fine desquamation. • La biopsie cutanée objective des pustules sous-cornées associées à un important œdème dermique, un infiltrat polymorphe périvasculaire souvent riche en éosinophiles, des foyers de nécrose kératinocytaire. L’hyperleucocytose secondaire à une polynucléose est constante. • Pour des médicaments d’usage fréquent, le délai d’apparition est très bref (< 48 h) et correspond en fait vraisemblablement à une réintroduction. Dans d’autres cas, le délai est de 7 à 21 j. Le médicament responsable

6 Pustulose exanthématique aiguë généralisée (PEAG).

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TOXIDERMIES MÉDICAMENTEUSES

est le plus souvent un antibiotique (aminopénicillines, macrolides, pristinamycine…), mais de très nombreux autres produits peuvent être en cause (inhibiteurs calciques, anticonvulsivants, allopurinol, cimétidine, paracétamol…). L’exposition au mercure (bris de thermomètre, application de topique mercuriel, etc.) est une cause fréquente de pustulose exanthématique aiguë généralisée. • La réalisation de tests épicutanés (patch-tests) peut aider de manière rétrospective à imputer un médicament suspect en reproduisant de manière localisée les lésions. Une confirmation histologique doit être réalisée.

Syndrome d’hypersensibilité médicamenteuse ou DRESS (Drug Reaction with Eosinophilia and Systemic Symptoms) Il associe aux signes cutanés des anomalies hématologiques et viscérales qui sont responsables d’une mortalité estimée à 10 %. L’éruption cutanée, diffuse, apparaît brutalement dans un contexte fébrile et myalgique. Les lésions peuvent être maculo-papuleuses et infiltrées, prendre l’aspect d’une dermite exfoliative généralisée, d’une érythrodermie (fig. 7). Il existe souvent une atteinte œdémateuse du visage avec un renforcement périorbitaire, des adénopathies de grande taille. Les anomalies hématologiques associent une hyperéosinophilie qui peut être majeure et une hyperlymphocytose faite de lymphocytes atypiques. L’hyperéosinophilie est vraisemblablement responsable d’une partie du retentissement systémique. Il faut redouter une hépatite cytolytique, une néphropathie interstitielle, une pneumopathie interstitielle, une myocardite à éosinophile.

• L’histologie est le plus souvent non spécifique. Elle peut parfois montrer un aspect faisant évoquer un lymphome cutané T. • L’éruption apparaît habituellement 2 à 6 semaines après la prise médicamenteuse mais peut être retardée jusqu’à 3 mois. L’évolution après l’arrêt du médicament peut être marquée par une succession de rémissions et de rechutes s’étalant sur une période de un à plusieurs mois. Les principaux produits en cause sont les anticonvulsivants aromatiques (phénobarbital, carbamazépine, hydantoïnes), la dapsone, la sulfasalazine, les calciumbloquants, l’allopurinol, la minocycline. La réactivation du virus HHV6 pourrait favoriser la survenue de cette toxidermie.

Pseudolymphomes médicamenteux Rares, ces toxidermies qui peuvent survenir entre quelques jours et plusieurs années après le début de la prise médicamenteuse, s’installent souvent de manière insidieuse et ne conduisent le patient à consulter que tardivement. • On distingue deux formes cliniques principales : – les formes érythrodermiques simulent un lymphome T cutané (syndrome de Sézary, mycosis fongoïde) tant du point de vue clinique qu’histologique. L’éruption est cependant particulière par sa symétrie et sa prédominance aux fesses ; – les formes nodulaires sont constituées de lésions uniques ou multiples, regroupées ou diffuses, qui peuvent être papuleuses, en plaques ou le plus souvent nodulaires (fig. 8). Histologiquement, il s’agit surtout de pseudolymphomes de type B.

8 Pseudolymphome médicamenteux de type B, aspect nodulaire.

7 DRESS syndrome (Drug Reaction with Eosinophilia and Systemic Symptoms). 2048

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Dans les 2 cas, des adénopathies peuvent être présentes mais il n’y a habituellement pas d’atteinte viscérale. L’évolution se fait en quelques semaines après l’arrêt du médicament vers la disparition des lésions cutanées et ganglionnaires.

Dermatologie

• Les hydantoïnes sont une cause classique de pseudolymphomes. Mais ces réactions ont également été décrites avec l’allopurinol, l’association amiloridehydrochlorothiazide, la carbamazépine, la ciclosporine, la fluoxétine, les inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine.

Réactions de photosensibilité On distingue 2 types de photosensibilisation médicamenteuse : – les réactions phototoxiques, qui peuvent survenir chez tous les sujets prenant un médicament photosensibilisant et qui dépendent uniquement de la dose du médicament et de l’importance de l’exposition solaire. Il s’agit de réactions photochimiques rapides ; – les réactions photoallergiques qui ne surviennent que chez des sujets prédisposés et préalablement sensibilisés. Elles peuvent être déclenchées par des doses minimes du médicament et un faible ensoleillement. Il s’agit de réactions immunologiques, différées. Dans le premier cas, l’aspect est celui d’un « coup de soleil » typique (fig. 9) alors que dans le second cas, les lésions sont plus polymorphes, pouvant prendre un aspect maculo-papuleux, eczématiforme, urticarien et débordent les zones exposées. La réaction photoallergique peut, dans de rares cas, persister à l’arrêt du traitement en cause, on parle alors de dermatite chronique actinique. • Les médicaments responsables appartiennent à de très nombreuses classes et certaines molécules peuvent être à la fois phototoxiques et photosensibilisantes.

Purpuras vasculaires, vasculites médicamenteuses Apparaissant de 7 à 21 j après la prise médicamenteuse (moins de 3 j en cas de réintroduction), ils sont constitués de lésions infiltrées, palpables, sensibles, avec parfois des éléments urticariens, des ulcérations, des bulles hémorragiques, des nécroses (fig. 10). Rarement, il existe une atteinte viscérale (digestive, rénale, cardiaque, pulmonaire). Du fait de sa rareté (< 10 % des causes), l’origine médicamenteuse d’un purpura vasculaire reste un diagnostic d’élimination. • De très nombreuses classes médicamenteuses peuvent être en cause. • L’histologie est non spécifique et correspond le plus souvent à une vascularite des petits vaisseaux de type leucocytoclasique. Plus rarement, il s’agit d’une vascularite nécrosante du type périartérite noueuse. Des purpuras thrombocytopéniques peuvent également être induits par des médicaments.

10 Vascularite médicamenteuse.

Érythème pigmenté fixe

9 Réaction phototoxique.

• Les explorations photobiologiques – photo-patch/ prick-tests médicamenteux, mesure de la dose érythémale minimale UVA et (ou) UVB avant et après la prise orale du médicament suspect – peuvent aider au diagnostic.

Il est toujours d’origine médicamenteuse. Quelques minutes à quelques heures (< 24 h) après l’ingestion du médicament apparaît une sensation de prurit ou de brûlure localisée qui précède la survenue de 4 à 5 lésions ovalaires de 1 à 10 cm de diamètre, érythémateuse, œdémateuses, parfois bulleuse (30 %). Exceptionnellement, l’atteinte bulleuse peut être généralisée. Le siège des lésions est ubiquitaire et il peut exister des lésions muqueuses, surtout génitales. L’état général est conservé. La guérison obtenue en une semaine laisse une cicatrice pigmentée bien limitée (fig. 11). La réintroduction du médicament entraîne typiquement des récidives localisées aux zones cicatricielles pigmentées qui peuvent s’accompagner de l’apparition de nouvelles lésions. • La réalisation de tests épicutanés sur les zones pigmentaires séquellaires peut aider à imputer un médicament donné.

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TOXIDERMIES MÉDICAMENTEUSES

Évoquer le diagnostic de toxidermie doit conduire à réaliser une enquête minutieuse cherchant à identifier l’existence, la nature et la chronologie précise de toutes les prises médicamenteuses du patient. Plusieurs éléments peuvent gêner le diagnostic : la prise d’un médicament pour ce qui est en réalité le premier symptôme de la réaction cutanée (biais protopathique), l’oubli par le patient qu’il a pris un médicament ou le fait qu’il ait pris quelque chose qu’il ne considère pas comme un médicament (biais de mémoire), la prévalence importante de la prise médicamenteuse dans la population française adulte.

Tests réalisés 1. In vitro

11 Érythème pigmenté fixe. • Les principaux médicaments responsables sont les cyclines, les pyrazolés , les sulfamides, la disulone, l’aspirine, le paracétamol.

Il n’existe aucun test fiable utile au diagnostic de toxidermie, la seule exception étant le dosage des IgE spécifiques disponible pour certains médicaments (pénicilline, ampicilline, amoxicilline, insuline…). L’intérêt de ce dosage reste limité aux toxidermies mettant en jeu une réaction d’hypersensibilité de type I (urticaire, angio-œdème).

Démarche diagnostique

2. In vivo

Arguments pour l’origine médicamenteuse La 1re étape consiste à établir un diagnostic précis de la dermatose en se basant sur ses caractéristiques cliniques, biologiques, histologiques. Exceptionnellement, on est face à un tableau spécifique de toxidermie : argyrie, érythème pigmenté fixe et, à un moindre degré, syndrome de Lyell. Le plus souvent, il s’agit d’un tableau non spécifique (éruption maculo-papuleuse, urticaire, etc.). Il faut alors savoir évoquer systématiquement l’hypothèse d’une toxidermie et s’aider de la présence de certaines atypies sémiologiques. L’histologie cutanée, évocatrice d’une dermatose donnée, n’apporte en revanche pas d’arguments spécifiques pour son étiologie médicamenteuse. Tout au plus la présence de certains signes atypiques oriente vers une toxidermie (tableau I).

Rarement réalisables et potentiellement dangereux, on considère actuellement qu’ils n’ont d’intérêt que dans des situations bien définies. • La place des explorations photobiologiques et des tests épicutanés dans l’exploration des pustuloses exanthématiques aiguës généralisées, des érythèmes pigmentés fixes et les réactions de photosensibilité a déjà été abordée. • Chez les patients suspects d’allergie aux β-lactamines ou aux anesthésiques, la recherche d’une hypersensibilité immédiate par prick-tests puis intradermoréaction (IDR) faite en milieu hospitalier permet de dépister ceux réellement à risque. Ces tests sont fiables et peuvent être pratiqués, en cas d’urgence, dans la semaine suivant un accident anesthésique. Pour les β-lactamines, on considère qu’un test Allergopen négatif permet de reprendre la pénicilline V ou G sans risque d’anaphylaxie grave. Cependant, ce test ne permet pas de dépister les allergies à l’amoxicilline.

TABLEAU I Principaux signes histologiques cutanés orientant vers un processus toxique* Épiderme Vacuolisation de la basale Prénécrose épidermique Nécrose monocellulaires (corps hyalins) Exocytose lymphocytaire ❑ logettes intra-épidermiques ❑ microfoyers d’aspect lichénoïde Migration pigmentaire Nécrose du canal excréteur sudoral * D’après Thomine.

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Derme Infiltrats périvasculaires mononucléés Œdème en flaque Hyperplasie fibroblastique

Nécrose du peloton sudoral

Dermatologie TABLEAU II Délais d’apparition de réactions cutanées aiguës après le début du traitement

Érythème pigmenté fixe Syndrome d’hypersensibilité Syndrome de Stevens-Johnson, Lyell Pustulose exanthématique généralisée Éruption érythémateuse Photoallergie Phototoxicité Urticaire/angio-œdème Purpura vasculaire Maladie sérique

Délai évocateur [réintroduction] versus 1re prise

Proportion des causes médicamenteuses

[quelques heures] à < 24 h 3 à 6 semaines 7 à 21 j +++ [< 48 h] [quelques heures à < 48 h] +++ 14 à 21 j [< 3 j] - 7 à 14 j [quelques heures] - 7 à 21 j quelques heures quelques minutes à quelques heures [< 3 j] - 7 à 21 j 7-14 j

100 % 100 % > 95 % > 90 % 60 à 80 % (adulte) ? ? 10 % < 10 % ?

[réintroduction] : délais de survenue lors de la réintroduction du médicament ; 1re prise : délai de survenue lors de la 1re prise du médicament.

• L’utilisation plus large des patch-tests, prick-tests et intradermoréactions dans l’exploration de toxidermies urticariennes à d’autres médicaments ou de toxidermies érythémateuses est encore en cours d’évaluation et reste débattue, les principaux problèmes étant, plus que le risque, la sensibilité et la spécificité de ces tests. • Dans les eczémas médicamenteux, les patch-tests peuvent être une aide précieuse au diagnostic. • Le test de provocation qui consiste à réintroduire le médicament pour reproduire les lésions est éthiquement illicite compte tenu du risque qu’il fait courir au patient. • Quel que soit le test envisagé, son résultat n’a de valeur que s’il est positif ; en effet, une toxidermie peut ne se déclencher qu’en présence d’un facteur favorisant présent de manière transitoire. Ainsi, il existe une incidence élevée des rashs à l’ampicilline lors des mononucléoses infectieuses, mais la réintroduction du médicament à distance de l’épisode viral n’entraîne le plus souvent pas de réaction cutanée.

Médicament en cause En l’absence d’arguments formels, imputer la responsabilité d’un médicament dans la survenue d’un événement indésirable relève donc d’une démarche probabiliste. En France, il existe une méthode officielle qui sépare l’imputabilité extrinsèque (fondée sur l’existence de cas identiques préalablement rapportés pour le même produit) et l’imputabilité intrinsèque (qui ne concerne que le cas clinique observé). Le score d’imputabilité intrinsèque s’échelonne de I0 (paraissant exclue) à I4 (très vraisemblable). Il se fonde sur 3 critères chronologiques (compatibilité du délai d’apparition de la réaction après le début du traitement (tableau II), évolution après l’arrêt

du traitement, existence d’une récidive en cas de réintroduction accidentelle) et 4 critères sémiologiques (sémiologie évocatrice ou non évocatrice, existence d’un facteur favorisant validé, présence ou absence d’une explication non médicamenteuse, résultat d’un examen complémentaire spécifique fiable quand un tel examen existe). En cas d’imputabilité intrinsèque identique pour plusieurs médicaments, c’est l’imputabilité extrinsèque qui tranche. ■

Points Forts à retenir • Une toxidermie initialement « bénigne » peut toujours évoluer vers une forme grave potentiellement létale. • La réintroduction d’un médicament ayant entraîné une toxidermie d’évolution favorable peut être à l’origine d’une toxidermie d’évolution létale et est donc illicite. • Toute toxidermie doit être déclarée au centre régional de pharmacovigilance. • Certains facteurs favorisant la survenue de toxidermies sont identifiés : infections virales (mononucléose infectieuse, infection par le virus de l’immunodéficience humaine [VIH], infection par le cytomégalovirus [CMV], anomalies du métabolisme des médicaments par les systèmes de détoxification (acétyleurs lents), maladies auto-immunes (lupus systémique), hémopathies (leucémie lymphoïde chronique).

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TOXIDERMIES MÉDICAMENTEUSES

POUR APPROFONDIR Diversité des toxidermies De très nombreux tableaux cliniques peuvent correspondre à une toxidermie et le propos de cet article n’est pas d’en dresser une liste exhaustive. Les formes regroupées dans ce paragraphe cherchent uniquement à illustrer cette diversité. Déclenchement, exacerbation ou simulation d’une autre dermatose Un psoriasis peut être aggravé ou déclenché par la prise de β-bloquants, de lithium, d’antipaludéens de synthèse, de sels d’or, d’anti-inflammatoires non stéroïdiens, d’interféron… Certains médicaments peuvent générer ou pérenniser une acné sur un terrain prédisposé alors que d’autres induisent des éruptions acnéiformes qui se caractérisent par leur aspect monomorphe, surtout papuleux et pustuleux. Les principaux produits responsables sont les corticoïdes, le lithium, la vitamine B12, l’iode, le brome, l’isoniazide, les hydantoïnes, les barbituriques, l’amineptine, la ciclosporine…

Cinq à huit pour cent des syndromes lupiques sont induits par des médicaments. Il s’agit en fait de tableaux cliniques et biologiques s’apparentant avant tout au lupus érythémateux aigu disséminé. Les signes cutanés ne sont présents que dans 20 % des cas. Les anticorps antinucléaires sont présents à taux élevés et les anticorps anti-histones sont fréquemment positifs. En revanche, on ne retrouve que rarement des anticorps anti-DNA natif et anti-Sm. L’absence de signes cliniques et biologiques précessifs à l’introduction du traitement, la réversion des signes à l’arrêt du traitement et l’éventuelle récidive en cas de réintroduction conduisent à retenir le diagnostic. Les principaux médicaments responsables sont : hydralazine, procaïnamide, isoniazide, méthyldopa, chlorpromazine, quinidine, anticonvulsivants, antithyroïdiens… Les pemphigus induits par les médicaments sont volontiers de type superficiel et peuvent s’installer plus d’un an après le début du traitement. Quatre-vingts pour cent des médicaments inducteurs possèdent un groupement thiol, un pont disulfure ou un cycle contenant du soufre (D-pénicillamine, captopril, pyrithinol, thiopronine, sels d’or, pénicilline, ampicilline). Sont également inducteurs la rifampicine, la phénylbutazone, les β-bloquants, le piroxicam et l’héroïne.

Des éruptions lichénoïdes ou eczématiformes peuvent également survenir.

Certaines pemphigoïdes bulleuses peuvent êtres induites par la spironolactone et, à un moindre degré, par les neuroleptiques.

La porphyrie cutanée tardive est le plus souvent la conséquence d’un déficit en uroporphyrinogène-décarboxylase hépatocytaire. Il en résulte un trouble du métabolisme des porphyrines, substances qui interviennent dans la synthèse de l’hème. L’accumulation de ces précurseurs photosensibilisants est responsable de la symptomatologie. La porphyrie cutanée tardive peut être révélée ou exacerbée par les barbituriques, la rifampicine, la griséofulvine, les sulfamides, les œstrogènes Elles se caractérisent par une fragilité cutanée avec présence de lésions bulleuses et érosives localisées dans les zones photoexposées et notamment au dos des mains auquel s’associe classiquement une hyperpilosité de la région malaire.

Plusieurs cas d’induction de dermatoses à IgA linéaire par la vancomycine et les anti-inflammatoires non stéroïdiens ont été rapportés. Des dermatomyosites et des réactions sclérodermiformes sont rapportées à des prises médicamenteuses. Halogénides végétantes Il s’agit de lésions chroniques se présentant sous forme de placards suintants recouverts de croûtes, associant des pustules et une hyperplasie épidermique. Il faut rechercher la prise de dérivés iodés ou bromés.

L’acide nalidixique, le furosémide, les tétracyclines, le naproxen , l’amiodarone, la ciclosporine peuvent induire une pseudoporphyrie. Le tableau clinique est identique à celui de la porphyrie cutanée tardive mais il n’y a pas d’anomalies du métabolisme des porphyrines.

Nécroses hémorragiques

Troubles pigmentaires

Alopécies, hypertrichoses

Les hyperpigmentations résultent de l’accumulation dans le derme de métaux lourds (thésaurismose) et (ou) de pigments (mélanine, lipofuscine, hémosidérine). L’arsenic donne une hyperpigmentation maculeuse du tronc, l’argent (argyrie) une hyperpigmentation gris ardoisée prédominant aux zones découvertes et les sels d’or (chrysocyanose) une pigmentation bleu grisâtre diffuse. Les antipaludéens de synthèse induisent des taches pigmentées bleu noir prétibiales et du visage. Un aspect de chloasma peut être observé avec les hydantoïnes et les œstrogènes. L’amiodarone est responsable après la 2e année de traitement d’une pigmentation d’aspect grisâtre pseudocyanique, dans les zones découvertes. La minocycline entraîne une pigmentation grisâtre des zones inflammatoires préexistantes. La bléomycine est responsable d’une pigmentation brunâtre linéaire d’aspect flagellé. Les hypopigmentations peuvent être secondaires à l’application d’hydroquinone.

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Induction de dermatoses auto-immunes

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Elles sont dues aux coumariniques et à l’héparine.

Hypertrophie gingivale

POUR EN SAVOIR PLUS Bégaud B, Evreux JC, Jouglard J, Lagier G. Imputabilité des effets inattendus ou toxiques des médicaments, actualisation de la méthode utilisée en France. Therapie 1985 ; 40 : 111-8. Roujeau JC, Wolkenstein P. Réactions cutanées aux médicaments. In : Saurat JH, Grosshans E, Laugier P, Lachapelle JM (eds). Dermatologie et maladies sexuellement transmissibles, 3e édition. Paris : Masson.

Dermatologie A 25

Ulcération ou érosion des muqueuses orale et génitale Orientation diagnostique PR Ernest HEID Service de dermatologie, hôpital civil, 67091 Strasbourg Cedex.

Points Forts à comprendre • Au niveau d’une muqueuse, le revêtement épithélial est un épithélium, le tissu conjonctif sous-jacent s’appelle le chorion, avec un chorion papillaire qui est l’équivalent du derme papillaire et un chorion sous-papillaire qui équivaut au derme réticulaire. • Une érosion est une lésion superficielle guérissant sans laisser de cicatrice. • Une ulcération muqueuse atteint le chorion sous-papillaire et guérit en laissant une cicatrice. • Le chancre est une érosion ou une ulcération constituant la porte d’entrée d’un germe spécifique (ex. : chancre mou, chancre syphilitique). • L’orientation diagnostique est dominée par : – la fréquence des maladies sexuellement transmissibles dans la sphère génitale ; – les particularités sémiologiques liées au siège muqueux où une lésion bulleuse est toujours fugace, laissant place à une érosion. Toute érosion muqueuse doit donc faire suspecter ou rechercher une maladie bulleuse. • Si les lésions muqueuses sont associées à des lésions cutanées, l’analyse séméiologique de ces dernières est plus facile et la biopsie plus aisée à faire et à interpréter.

Diagnostic positif Les lésions sont découvertes en raison d’une symptomatologie fonctionnelle : douleurs, brûlures. L’ulcération ou l’érosion sont visibles à l’examen clinique. Les particularités sémiologiques sont à étudier car elles donnent parfois des éléments d’orientation pour une cause particulière. On peut citer : – le caractère superficiel et induré d’une lésion génitale qui oriente vers un chancre syphilitique ; – le caractère superficiel et douloureux et le groupement en bouquet, vers une érosion post-herpétique ;

– le caractère creusant et douloureux vers un chancre mou ou vers les aphtes si les lésions sont répétitives. L’examen clinique concerne tous les territoires muqueux ainsi que les aires ganglionnaires satellites. L’interrogatoire précise le mode d’apparition, l’évolution aiguë ou chronique, la notion de poussées récidivantes… Les examens complémentaires à ce stade sont assez peu nombreux et, bien entendu, orientés par les données de l’interrogatoire et l’allure des lésions. On envisagera : – un prélèvement bactériologique ou un examen direct au microscope à fond noir pour le chancre mou et la syphilis ; – un prélèvement virologique avec cytodiagnostic et (ou) culture en cas de suspicion d’herpès par exemple ; – des prélèvements sérologiques orientés par la suspicion clinique (sérodiagnostic de Chlamydia trachomatis, de la syphilis, de l’herpès…) ; – une biopsie muqueuse pour un examen anatomopathologique et éventuellement pour une immunofluorescence directe indispensable en cas de maladie bulleuse auto-immune.

Diagnostic étiologique Maladies sexuellement transmissibles • Le chancre syphilitique (se reporter à la question) est induré, érosif, peu douloureux avec une atteinte ganglionnaire satellite. La période d’incubation est de 3 semaines. Le diagnostic est confirmé par la présence de tréponèmes à l’examen direct, au microscope à fond noir et par la sérologie spécifique (treponema pallidum hæmagglutination assay [TPHA], venereal diseases research laboratory [VDRL] ou Kline). Les syphilides secondaires génitales sont rarement isolées ; elles sont végétantes et érosives. • Le chancre mou survient de préférence chez l’homme avec contamination dans les régions exotiques où il est endémique. La période d’incubation est courte (3 à 5 j). Le chancre est creusant, douloureux avec une adénopathie satellite, inflammatoire, se fistulisant 1 fois sur 2 si on la laisse évoluer. La culture du bacille de Ducrey est difficile ; il n’y a pas de sérologie disponible.

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ULCÉRATION OU ÉROSION DES MUQUEUSES ORALE ET GÉNITALE

• Le chancre du lymphogranulome vénérien a pratiquement disparu ; le diagnostic repose sur la sérologie et éventuellement la culture de Chlamydia trachomatis sérotype L. Il en est de même pour la donovanose d’origine spécifiquement tropicale. Le diagnostic repose sur l’examen direct (corps de Donovan). • L’herpès récurrent donne une éruption vésiculeuse, rapidement érosive avec des vésicules groupées en bouquets. C’est la lésion la plus fréquente dans nos régions ; le diagnostic est le plus souvent clinique, associé à la recherche d’un effet cytopathogène sur frottis de l’érosion. La culture est réservée à la première poussée, le sérodiagnostic n’a d’intérêt que dans la primo-infection. Cette dernière est sévère avec une éruption vésiculeuse disséminée dans toute la région génitale. Elle survient le plus souvent lors des premiers rapports sexuels. • L’aphte génital se caractérise par une lésion creusante, douloureuse, touchant soit le territoire muqueux, soit la peau avoisinante (scrotum chez l’homme, grande lèvre chez la femme). L’aphte génital s’accompagne le plus souvent d’une aphtose buccale, les examens complémentaires sont tous négatifs. La biopsie est non spécifique. Il faut par l’interrogatoire savoir si l’on est en présence d’une aphtose bipolaire ou d’une maladie de Behçet. L’origine ethnique des sujets a une valeur d’orientation (sujets maghrébins ou turcs). Dans toutes les autres situations, on doit envisager des diagnostics spécifiques après biopsie permettant d’affirmer ou d’éliminer : – une localisation génitale de maladie bulleuse autoimmune (pemphigus, pemphigoïde) ; – une toxidermie à type d’érythème pigmenté fixe ; – une lésion non spécifique post-traumatique ; – un carcinome génital (les lésions purement ulcéreuses sont rares) ; – une lésion infectieuse atypique en cas d’immunodépression. Les lésions caustiques après usage d’antiseptiques mal rincés se reconnaissent après interrogatoire (tableau I).

TABLEAU I Érosions et ulcérations des muqueuses génitales ❑ Syphilis primaire et syphilides papulo-érosives ❑ Chancre mou, donovanose, lymphogranulome vénérien ❑ Herpès +++ (primo-infection et récurrence) ❑ Causes traumatiques et caustiques

Lésions érosives ou ulcéreuses buccales La partie vermillon des lèvres constitue la zone de transition entre le revêtement cutané et la muqueuse. L’herpès labial récurrent siège plus souvent sur la zone vermillon et la partie cutanée adjacente que sur la zone muqueuse. En revanche, l’herpès de primo-invasion buccal a un tropisme muqueux important. Pour les lésions érosives buccales, les causes infectieuses sont à envisager en priorité chez l’enfant et l’adolescent ; ce sont les aphtes, les maladies bulleuses, les causes traumatiques et les cancers chez l’adulte.

1. Lésions ulcéreuses et érosives infectieuses Elles sont à évoquer en priorité chez l’enfant. La consultation a lieu dans un contexte d’urgence. On envisagera : – la primo-infection herpétique avec un tableau de gingivostomatite douloureuse, fébrile sévère. Le diagnostic repose sur le prélèvement viral et le sérodiagnostic ; – le syndrome pieds-mains-bouche, discret avec des lésions muqueuses érosives pouvant passer inaperçues. C’est l’éruption vésiculeuse, palmo-plantaire ou digitale qui est le motif de consultation. Le diagnostic repose sur la notion de petite épidémie et sur la sérologie virale (coxsackie A16). L’herpangine est également très rare avec une atteinte vésiculeuse postérieure, de nature virale. Elle se voit surtout chez le nourrisson et l’enfant avant 3 ans. Les localisations muqueuses de la varicelle et du zona sont facilement reconnues en raison de l’association à des lésions cutanées et de l’atteinte unilatérale pour le zona (atteinte du IX). La primo-infection du virus de l’immunodéficience humaine (VIH) peut s’accompagner d’un énanthème érosif, c’est le contexte qui oriente vers le diagnostic (fièvre, adénopathie, lymphopénie, exanthème). Des lésions ulcéro-nécrotiques des gencives avec une atteinte amygdalienne doivent faire évoquer l’angine de Vincent (association fuso-spirillaire). Une stomatite ulcéro-nécrotique peut aussi survenir au cours des agranulocytoses. L’atteinte des muqueuses buccales et génitales est une des localisations constantes et sévères de l’érythème polymorphe, du syndrome de Lyell (épidermolyse toxique aiguë) ou du syndrome de Stevens-Johnson. Dans toutes ces circonstances, l’atteinte cutanée est présente et domine le tableau clinique. Il s’agit toujours de stomatites, de vulvites, de balanoposthites érosives de survenue brutale, douloureuses. Il est préférable dans toute la mesure du possible de biopsier une lésion cutanée.

2. Maladies bulleuses auto-immunes En association avec des lésions buccales : ❑ toxidermies, maladies bulleuses, lichen érosif,…

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La muqueuse buccale est parfois le siège initial du pemphigus avec une fragilité muqueuse et des érosions favorisées par le traumatisme. La pemphoïde cicatricielle peut être purement muqueuse à sa phase initiale.

ULCÉRATION OU ÉROSION DES MUQUEUSES ORALE ET GÉNITALE

7 Pemphigus : lésions érosives de la muqueuse jugale et du voile du palais.

8 Glossite érosive et pseudo-membraneuse au décours d’un lichen érosif des muqueuses.

Le diagnostic repose sur la biopsie en donnant peut-être la priorité à l’examen en immunofluorescence directe et sur la recherche d’anticorps circulants (anti-membrane basale de l’épiderme et anti-substance interkératinocytaire). Les lésions ulcéreuses du lupus érythémateux systémique surviennent le plus souvent au décours d’une maladie connue. Le lichen buccal peut être érosif et s’associe à des lésions leucokératosiques. La biopsie est l’examen clé. Dans la bouche, les lésions traumatiques liées aux morsures accidentelles, aux appareils dentaires et aux dents ébréchées sont fréquentes. La correction de l’anomalie dentaire doit s’accompagner d’une cicatrisation rapide. Le risque est en effet de méconnaître un carcinome ulcéreux. Les carcinomes épidermoïdes de la muqueuse buccale ou de la langue surviennent sur un terrain d’éthylisme et de tabagisme. Les lésions sont rarement purement ulcéreuses ; elles sont infiltrées et ulcéro-végétantes. La biopsie est l’examen clé. L’aphte buccal isolé est probablement la cause la plus fréquente de lésions ulcéreuses buccales. Il s’agit d’ulcérations à fond beurre frais, douloureuses, sans adénopathie satellite. Les aphtes sont le plus souvent localisés sur la muqueuse mobile. Il convient de rechercher leur caractère bipolaire et la possibilité d’une maladie de Behçet. Au niveau de la bouche, les ulcérations aphtoïdes peuvent parfois être provoquées ou favorisées par des médicaments (méthotrexate, médicaments aplasiants, nicorandil). La candidose buccale n’est jamais purement érosive ; elle s’accompagne d’un énanthème et de lésions blanches adhérentes dont le décollement montre une érosion sous-jacente. Le diagnostic est en général facile et repose sur l’examen mycologique (tableau II). ■ 1022

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TABLEAU II Érosion ou ulcération de la muqueuse buccale ❑ Aphte – maladie de Behçet ❑ Maladies bulleuses auto-immunes (pemphigus, pemphigoïde) ❑ Causes infectieuses virales, primo-infection herpétique, zona, syndrome pieds-mains-bouche, herpangine, primo-infection par le virus de l’immunodéficience humaine ❑ Causes infectieuses bactériennes : – gingivostomatites des agranulocytoses, noma (en Afrique) – angine de Vincent ❑ Toxidermies bulleuses (érythème polymorphe, syndrome de Lyell) ❑ Causes diverses et rares : lichen érosif, lupus érythémateux ❑ carcinome ulcéreux +++ ❑ causes traumatiques : chicots dentaires, prothèses… ❑ causes rares ou exceptionnelles : localisations buccales d’une maladie de Crohn, du lymphome malin centro-facial… ❑ causes rares idiopathiques : ulcère éosinophilique de la langue

Dermatologie

POUR APPROFONDIR Érosions ou ulcérations buccales Le diagnostic étiologique d’une érosion ou d’une ulcération buccale est une tâche parfois difficile à l’inverse de celui d’aphte ou de lésion traumatique. Les érosions multiples survenant dans un contexte fébrile orientent vers des causes infectieuses chez l’enfant (herpès, herpangine…) ou des causes toximédicamenteuses chez l’adulte (érythème polymorphe…). Devant des lésions érosives chroniques, les examens doivent s’orienter vers les maladies bulleuses auto-immunes avec mise en route des examens complémentaires appropriés.

POUR EN SAVOIR PLUS Saurat JH, Grosshans E, Laugier P, Lachapelle JM. Maladies sexuellement transmissibles. In : Dermatologie et maladies sexuellement transmissibles ; 3e édition. Paris : Masson, 1999 : 173-98. Saurat JH, Grosshans E, Laugier P, Lachapelle JM. Pathologie des muqueuses : muqueuse buccale ; 3e édition. Paris : Masson, 1999 : 745-58. Saurat JH, Grosshans E, Laugier P, Lachapelle JM. Pathologie des muqueuses : muqueuses génitales féminines ; 3e édition. Paris : Masson, 1999 : 759-67. Saurat H, Grosshans E, Laugier P, Lachapelle JM. Pathologie des muqueuses : affection de la muqueuse génitale masculine et de la verge ; 3e édition. Paris : Masson, 1999 : 768-73.

Érosions ou ulcérations génitales Elles sont dominées par le problème des maladies transmissibles. Les causes classiques de chancres génitaux, à savoir syphilis, chancre mou, sont en très forte diminution. La panoplie d’examens complémentaires doit être large et systématique car les chancres mixtes sont fréquents. L’herpès génital récurrent est associé de façon significative aux maladies sexuellement transmissibles. Poser ce diagnostic impose donc un bilan complet (sérodiagnostic de la syphilis, de Chlamydia trachomatis, du virus de l’immunodéficience humaine).

Aphte Le diagnostic d’aphte buccal est sans doute très fréquent et le plus souvent sans maladie systémique associée. Le mécanisme physiopathologique reste toujours mystérieux. L’aphte peut être isolé, symptomatique d’une maladie de Behçet, associé à d’autres maladies systémiques (maladie de Crohn, polychondrite chronique atrophiante) ou relever de causes médicamenteuses (méthotrexate, nicorandil). Les examens complémentaires ne sont pas d’un grand secours et le diagnostic reste clinique.

Points Forts à retenir • Le diagnostic d’une érosion ou d’une ulcération de la muqueuse buccale est un exercice difficile. La survenue aiguë doit orienter vers une cause infectieuse (herpès, herpangine…) ou toximédicamenteuse (érythème polymorphe…). • Les lésions chroniques ou récidivantes nécessitent un bilan de maladie bulleuse auto-immune, après avoir éliminé les affections bénignes telles que les aphtes ou les érosions traumatiques. • Dans la sphère génitale, il faut envisager en tout premier lieu les maladies sexuellement transmissibles avec leur chancre d’inoculation (syphilis, chancre mou) ou leurs lésions récurrentes (herpès). C’est seulement en cas de négativité de ce bilan que sont envisagées les autres causes.

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Dermatologie B 172

Ulcère de jambe Étiologie, physiopathologie, diagnostic, évolution, principes du traitement DR Catherine LOK, PR Jean-Paul DENOEUX Service de dermatologie et de vénéréologie, hôpital Sud, CHU, 80054 Amiens Cedex 1.

Points Forts à comprendre • Les ulcères veineux atteignent plus souvent la femme de plus de 50 ans et compliquent l’évolution d'une insuffisance veineuse essentielle négligée ou des séquelles de thromboses veineuses profondes. Le reflux entraîne une hypertension veineuse puis des troubles de la microcirculation et finalement l'ulcère. • Les ulcères artériels atteignent plus souvent l'homme de plus de 50 ans. Ils sont une complication de l'artériopathie chronique oblitérante des membres inférieurs survenant sur un terrain d’athérosclérose isolée ou compliquant un diabète.

L’ulcère de jambe est une perte de substance cutanée d’évolution chronique, sans tendance spontanée à la guérison, atteignant la jambe ou le dos du pied. L’ulcère touche le plus souvent des patients de plus de 50 ans, il représente un coût social et économique important ; il peut être responsable d’impotence fonctionnelle chez la personne âgée. La femme est plus souvent atteinte (4 femmes pour 1 homme). L’ulcère est d’origine veineuse (ou mixte à prédominance veineuse) dans 70 % des cas, d’origine artérielle (ou mixte à prédominance artérielle) dans 20% des cas. Les ulcères d’autres origines sont plus rares (< 10% des cas) [voir : Pour approfondir 1].

Ulcères d’origine veineuse Étiologie, physiopathologie L’ulcère est la phase tardive de l’évolution d’une insuffisance veineuse chronique qui peut être d’origine essentielle ou post-thrombotique. Dans l’insuffisance veineuse superficielle essentielle, des facteurs congénitaux et (ou) d’environnement sont responsables de l’atteinte de la paroi veineuse et des valvules avec apparition de varices primitives, d’insuffisance valvulaire et de reflux. Le reflux aura d’autant plus de conséquences qu’il atteint l’une des crosses

d’abouchement de la voie veineuse superficielle dans la voie veineuse profonde : crosse de la veine grande saphène (saphène interne) à son abouchement dans la veine fémorale au niveau du creux inguinal ou crosse de la veine petite saphène (saphène externe) à son abouchement dans la veine poplitée au niveau du creux poplité. Dans l’insuffisance veineuse post-thrombotique, la thrombose est à l’origine d’obstruction ou de dévalvulation des veines profondes, responsables d’un reflux et de l’apparition de varices secondaires dans le territoire superficiel. Dans les deux cas, apparaît une hypertension veineuse, dite ambulatoire : la pression veineuse, élevée au niveau des veines du pied en position debout, ne diminue pas à la marche grâce à la fonction pompe du mollet comme chez le sujet normal. Cette hypertension veineuse serait responsable d’abord de troubles de la microcirculation prédominants en zone périmalléollaire puis de l’ulcère (voir : Pour approfondir 2).

Diagnostic positif 1. Signes cliniques • L’interrogatoire précise l’ancienneté de la maladie variqueuse et les traitements pratiqués, les antécédents éventuels de phlébites, les signes fonctionnels (lourdeurs de jambe, douleurs), l’ancienneté et le mode de déclenchement de l’ulcère (spontané ou après un petit traumatisme) et l’existence d’éléments en faveur d’une artériopathie associée (claudication intermittente…). • L’examen précise la localisation, la taille (mesures, calques et photographies régulières), l’aspect du fond et des bords de l’ulcère. L’ulcère dit « variqueux » (sur insuffisance veineuse essentielle) est localisé préférentiellement au niveau de la face interne de jambe, en zone périmalléolaire interne, parfois en zone périmalléolaire externe. Il peut être de grande taille et est habituellement peu douloureux. Ses bords sont souples. L’ulcère post-thrombotique est souvent plus douloureux, à bords indurés et rebelle. L’examen précise l’aspect du fond de l’ulcère, permettant de décider du traitement local. L’ulcère peut être propre ou sale, infecté (exsudat jaune grisâtre, parfois bleu-vert en cas de colonisation par un bacille pyocyanique). Le fond peut être fibrineux, recouvert d’un dépôt grisâtre, ou atone.

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Le fond peut être bourgeonnant, en voie de cicatrisation (comblement du fond de la perte de substance par des bourgeons ou un granité rougeâtre) [fig. 1]. Au dernier stade de cicatrisation, l’ulcère s’épidermise à partir des bords. • L’examen des téguments péri-ulcéreux permet de préciser les altérations tégumentaires chroniques : dermite pigmentaire ocre, atrophie blanche (plaques blanc nacré d’allure cicatricielle mais spontanées, associées à quelques télangiectasies), télangiectasies bleuâtres en chevelu ou nodules bleutés veineux, hypodermite scléreuse (aspect de botte ou guêtre sclérodermiforme) pouvant engainer aussi le pied. Cette hypodermite scléreuse est souvent plus marquée dans l’ulcère post-thrombotique. On notera aussi l’existence d’un œdème veineux à prédominance vespérale et d’une insuffisance lymphatique associée responsable de lésions cutanées papillomateuses et hyperkératosiques et des complications locales : eczéma, infection [fig. 2]. • L’examen vasculaire des membres inférieurs comprend l’examen phlébologique, en position debout, pouvant montrer des varices du réseau veineux superficiel : varices de la grande saphène (saphène interne), le long de la face interne de la cuisse ou de la jambe, de la petite saphène (saphène externe) à la face postérieure de la jambe, au niveau saphène antérieur à la face antérieure de la cuisse. Parfois les varices ne sont pas systématisées. Des épreuves de percussion et d’impulsion à la toux permettent de dépister une incontinence valvulaire des crosses. Les autres épreuves cliniques (garrot…) ont perdu de leur intérêt depuis l’utilisation de l’échographie doppler. Le reste de l’examen clinique angéiologique évalue une éventuelle participation artérielle : présence de claudication intermittente à l’interrogatoire, pouls périphériques non perçus… • L’examen clinique vérifie aussi l’état de nutrition du patient ainsi que l’absence d’anomalie musculo-squeletique au niveau de la cheville (ankylose de l’articulation tibio-tarsienne) ou de la voûte plantaire qui sont à corriger car ce sont des facteurs d’entretien de l’ulcère.

1 Grand ulcère (veineux) avec perte de substance comblée par un tissu de bourgeonnement et en voie d’épidermisation par les bords.

2. Examens complémentaires • L’écho-doppler pulsé veineux permet de confirmer, de localiser et d’apprécier l’intensité des incontinences valvulaires et des reflux dans les troncs veineux profonds et (ou) superficiels (incluant les veines perforantes) ou de montrer, plus rarement, un syndrome obstructif des troncs profonds. L’existence d’un reflux de la voie veineuse profonde est évocatrice d’un syndrome postthrombotique mais il peut aussi s’agir d’une insuffisance valvulaire profonde primitive. • L’examen doppler artériel avec prises des indices de pressions systoliques permet d’éliminer une atteinte artérielle associée. • Les prélèvements bactériologiques de l’ulcère infecté sont rarement nécessaires sauf s’il existe des signes de diffusion de l’infection (lymphangite, érysipèle…). • Selon l’état du patient seront pratiqués un examen nutritionnel, un bilan d’insuffisance cardiaque… 438

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2 Ulcère veineux typique localisé à la partie inférieure et interne de la jambe et entouré de troubles tégumentaires chroniques : pigmentation et sclérose.

Dermatologie

Diagnostic différentiel 1. Mal perforant plantaire Ses causes principales sont le diabète, l’acropathie ulcéromutilante familiale de Thévenard ou la forme sporadique acquise dite de Bureau et Barrière, la lèpre, les malformations de la charnière et la syphilis.

2. Exulcérations ou érosions Elles sont plus superficielles.

3. Ulcères d’origine artérielle Ils sont la conséquence d’une ischémie cutanée (v. infra).

4. Ulcères de causes rares Leurs causes sont multiples (voir : Pour approfondir 3).

Évolution 1. Complications locales • L’eczématisation peut survenir sous forme de plaques érythémateuses, prurigineuses, parfois squameuses. Il peut s’agir d’un véritable eczéma de contact allergique souvent suintant, vésiculeux, très prurigineux ou d’une dermite d’irritation plus souvent vernissée, parfois squameuse, bien limitée, s’accompagnant d’une sensation de brûlure. Cette irritation est due à des topiques locaux mal utilisés (savon liquide non rincé, mauvaise dilution…). • Les infections des téguments péri-ulcéreux à type soit d’une simple dermo-épidermite (érythème chaud, souvent intriqué avec des lésions eczématiformes), d’une lymphangite ou d’un érysipèle (placard rouge chaud douloureux avec souvent adénopathie satellite, fièvre, peuvent évoluer vers une cellulite nécrosante. • Phlébites superficielles ou profondes. • Hémorragies au niveau de l’ulcère. • Raideur ou blocage de l’articulation tibio-tarsienne. • Dégénérescence carcinomateuse : de type épidermoïde, elle est exceptionnelle, sur un ulcère très ancien.

2. Complications générales Elles regroupent des affections diverses : tétanos, autres infections générales, impotence fonctionnelle.

3. Récidive La récidive est fréquente.

Traitement Le traitement de l’ulcère veineux vise à cicatriser la plaie et à prévenir les récidives. Il tient compte du bilan vasculaire mais aussi de l’état général du patient et du contexte socio-économique (voir : Pour approfondir 4). Le traitement étiologique comprenant la contention et visant à diminuer l’hypertension veineuse ambulatoire est plus important que le traitement local. Selon les indications, la chirurgie et (ou) la sclérothérapie associées à une contention ou une contention seule seront réalisées. La vaccination antitétanique doit être faite ou remise à jour. Les antalgiques seront adaptés aux besoins en particulier avant les soins locaux.

1. Traitement local symptomatique Le schéma classique associe désinfection, détersion des zones fibrineuses, bourgeonnement qui comble la perte de substance et épidermisation (à partir des bords de l’ulcères) [voir : Pour approfondir 5]. • Le nettoyage ou la désinfection, si l’ulcère est propre, peuvent être effectués avec de l’eau stérile ou du sérum physiologique. Si l’ulcère est infecté, il peut être nettoyé lors d’un bain de jambe ou d’une toilette avec un savon liquide dilué à rincer soigneusement ou un antiseptique. L’utilisation des antibiotiques locaux (et des antiseptiques) est très discutée car ils freineraient la cicatrisation et peuvent être responsables de sensibilisation ou de sélection de germes résistants. Ils peuvent éventuellement être utilisés pendant 3 ou 4 jours si l’ulcère est très sale (Flammazine) ou surinfecté par un bacille pyocyanique (exsudat bleu vert à odeur caractéristique). • La détersion peut être mécanique à la pince, curette, ciseaux (sous prémédication) réalisée lors des pansements. Elle peut être chirurgicale pour les ulcères rebelles à socle scléreux. Des pansements gras (par ex. : vaseline pendant 24 h) ou des enzymes protéolytiques (par ex. : Elase pommade avec protection des téguments péri-ulcéreux à la pâte à l’eau) sont aussi utilisés. Les pansements plus récents absorbent les sécrétions et débris tissulaires et agissent à la fois au stade de détersion et de bourgeonnement (hydrogels, alginates) ou aux 3 stades détersion, bourgeonnement, épidermisation (hydrocolloïdes). • Le bourgeonnement est classiquement favorisé par des corps gras d’où l’utilisation de tulles imprégnés de topiques : tulle vaseliné (par ex. : Jelonet) ; tulle gras contenant du baume du Pérou (tulle gras Lumière, parfois allergisant) ; hydrocolloïdes, pansements occlusifs et absorbants, composés de carboxyméthylcellulose (par ex. : Comfeel plus, Duoderm E sous forme de plaque ou de pâte) ; des hydrogels composés de crilanomère, gel dérivé de l’amidon (par ex.: Intrasite gel) ; des alginates de calcium, extraits d’algues (par ex. : Algostéril) ; des hydrocellulaires (par ex. : Allevyn plaque). Ces pansements récents permettent de créer au niveau de l’ulcère un microclimat humide qui serait favorable au bourgeonnement et à l’épidermisation. La détersion est moins douloureuse. Les pansements sont plus espacés (tous les 2 jours puis 2 fois par semaine et 1 fois par semaine). La durée et le coût global des soins infirmiers seraient réduits. • L’épidermisation est favorisée par les corps gras, les hydrocolloïdes et hydrocellulaires peuvent encore être utilisés à ce stade. Les greffes dermo-épidermiques en pastilles ou en résille permettent d’accélérer l’épithélialisation et sont très utiles lors des ulcères de grande taille (fig. 3). • Les téguments péri-ulcéreux sont traités en fonction de la lésion : – eczéma et dermite ulcéreuse : antiseptiques locaux et dermocorticoïdes ou pâte à l’eau, crème Dalibour;

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La chirurgie du réseau veineux profond est plus complexe et sera réalisée, dans certaines indications et en cas d’échec du traitement médical, en centre spécialisé.

4. Sclérothérapie Il s’agit de l’injection d’une substance irritante responsable d’une réaction inflammatoire, d’une fibrose et de l’oblitération de la veine incontinente. Les séances sont espacées de 15 jours à 1 mois. Ce traitement est le plus souvent réalisé en complément d’un geste chirurgical.

5. Autres traitements 3 Grand ulcère recouvert d’une greffe en pastille afin d’accélérer la cicatrisation.

– sécheresse cutanée : huile d’amandes douces ou cérat de Galien; – peau inflammatoire sans infection nette : pommade de Dalibour.

2. Contention veineuse La contention est considérée par de nombreux auteurs comme le principal traitement local de l’ulcère veineux. Plus de la moitié des échecs de cicatrisation seraient dus à une contention mal appliquée ou non portée. Il faut prendre le temps d’en expliquer l’intérêt au patient et contrôler ultérieurement sa bonne mise en place. Prescrire soit une bande rigide à extension courte ou une bande élastique à extension longue (par ex. : bande élastique Biflex forte 3,5 m de long et 10 cm de large, à mettre le matin avant le lever, en commençant par la racine des orteils et à ôter le soir). Après la cicatrisation, le relais peut être assuré par des bas de contention de classe 2 (par ex. : Venoflex 2, Sigvaris 502, au besoin sur mesure). Le repos en position de drainage veineux doit être conseillé surtout s’il existe un œdème : décubitus dorsal, pieds du lit surélevés de 10 cm, en particulier en cas d’ulcère rebelle ou position assise, jambes allongées sur un tabouret.

3. Traitement chirurgical La place de la chirurgie est souvent sous-estimée dans le traitement de l’ulcère de jambe. Le geste chirurgical, qui peut être réalisé sous anesthésie péridurale ou locorégionale, est effectué le plus souvent après la cicatrisation de l’ulcère ou parallèlement au traitement local en cas d’ulcère rebelle. En cas d’insuffisance veineuse superficielle isolée, un stripping de la saphène interne incontinente peut être réalisé, associé à une ligature des perforantes incontinentes. Parfois une simple crossectomie (crosse de la saphène interne ou externe) est proposée. D’autres techniques d’éveinage peuvent être utilisées. Le traitement chirurgical sera complété par des sclérothérapies et une contention puis une surveillance régulière et prolongée. 440

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De nombreux produits ont été essayés à titre adjuvant (phlébotropes). La mobilisation des articulations du pied et de la jambe pour aider la fonction pompe du mollet, la gymnastique anti-stase ainsi que la crénothérapie peuvent constituer un complément utile.

6. Prévention de l’ulcère veineux Elle est essentielle : traitement des varices avant le stade de l’ulcère, traitement préventif des phlébites.

7. Prévention de la récidive Elle sera assurée par le port permanent d’une contention.

Ulcère d’origine artérielle Étiologie, physiopathologie L’athérosclérose (plaques d’athéromes) se complique habituellement de thromboses et d’occlusions avec réduction du flux en distalité. S’il n’existe pas de compensation (en cas de multisténoses, d’absence de collatérales ou en cas d’atteinte d’artères terminales), la diminution du flux est responsable de lésions de la microcirculation (cellule endothéliale) et d’une ischémie musculaire (claudication intermittente) puis cutanée (nécrose).

Diagnostic positif 1. Signes cliniques Les ulcères artériels surviennent typiquement chez l’homme de plus de 50 ans à facteurs de risque vasculaire : tabac, hypertension artérielle, diabète, dyslipidémie, autres localisations de l’artériopathie aux vaisseaux cervicaux ou coronaires). On retrouve une claudication intermittente, des douleurs souvent importantes de l’ulcère et des douleurs de jambe calmées par la position jambe pendante (sauf s’il existe un diabète compliqué de neuropathie rendant l’ulcère indolore). L’ulcère siège à la face antéro-externe de la jambe (suspendu), ou en zone sous-malléolaire externe ou souvent au dos du pied. Il est creusant et nécrotique. Ses bords sont nets dits « à l’emporte-pièce » (fig. 4). Les orteils, le pied ou la jambe peuvent être froids avec des téguments pâles. La peau est souvent sèche (surtout

Dermatologie

En raison du caractère creusant de l’ulcère, il existe un risque de mise à nu des tendons et surtout de l’os et des articulations sous-jacentes (cheville, orteils) avec ostéoarthrite possible. L’existence d’une infection profonde et (ou) d’une nécrose expose à la gangrène et au risque d’amputation.

Particularités du traitement 1. Traitement local

4 Ulcère artériel localisé au niveau de la face postéroexterne du dos du pied (la pigmentation péri-ulcéreuse est ici trompeuse).

Dans l’ulcère artériel pur, il n’y a pas d’indication de port d’une contention (qui pourrait être un facteur aggravant). En décubitus, la jambe peut être en position légèrement déclive (tête du lit surélevée de 10 cm) mais pas en position pendante en raison du risque d’apparition d’œdème.

2. Traitement étiologique aux orteils) avec une diminution de la pilosité et parfois une amyotrophie. Les troubles tégumentaires sont moins marqués que dans l’insuffisance veineuse. Les pouls distaux (voire proximaux) ne sont pas perçus. L’auscultation recherche des souffles sur le trajet des artères

2. Examens complémentaires • Le diagnostic d’artériopathie chronique oblitérante des membres inférieurs est confirmé par l’examen écho-doppler artériel montrant des signes fonctionnels (anomalies de vélocités au doppler continu ou pulsé) ou morphologiques (échotomographie) de sténose, d’occlusion et des plaques d’athéromes. L’examen permet de préciser la topographie des obstacles, d’apprécier d’éventuels réseaux de suppléance, le retentissement en aval et de mesurer la chute des index de pression systolique distale (rapport entre les pressions de l’artère tibiale postérieure [ou pédieuse] et de l’artère humérale). Au vu des résultats de l’examen (écho)doppler artériel, une artériographie permet éventuellement de préciser les indications opératoires. D’autres examens peuvent être utiles comme la mesure de la pression partielle transcutanée en oxygène (TcPO2) pour évaluer les chances de cicatrisation cutanée. • Le bilan général recherche un diabète et ses complications, d’autres facteurs de risque et d’autres localisations de l’artériopathie (cœur, vaisseaux du cou).

Diagnostic différentiel Parmi eux, on distingue l’angiodermite nécrotique (voir : Pour approfondir 6).

Caractéristiques évolutives L’ankylose de l’articulation tibiotarsienne est moins fréquente que pour les ulcères veineux (peu d’hypodermite scléreuse engainant la cheville).

• Le traitement médical repose sur l’arrêt du tabac et la correction des facteurs de risque associés. Plusieurs classes thérapeutiques peuvent être prescrites : antiagrégeants plaquettaires, un vaso-actif (Fonzylane, Torental en perfusion, Praxilène), une anticoagulation efficace en particulier en cas de thrombose récente, des prostanoïdes (iloprost : Ilomédine). • Le traitement chirurgical a pour but de revasculariser le segment de membre, siège de l’ulcère, lorsque l’ischémie est sévère empêchant la cicatrisation et qu’il existe des lésions accessibles au traitement, visualisées par l’artériographie. Différentes techniques sont à adapter à chaque cas : angioplasties, pontages. ■

POUR EN SAVOIR PLUS Bonnetblanc JM. Ulcère de jambe. Paris : Doin, 1996. Ramelet AA, Monti M. Phlébologie. Paris : Masson, 1999.

Points Forts à retenir • L’interrogatoire et l’examen clinique donnent une bonne idée de la cause de l’ulcère qui est le plus souvent d’origine veineuse. • Les examens complémentaires confirment le diagnostic et permettent surtout de poser les indications thérapeutiques. • Le traitement local doit toujours être complété d’un traitement à visée étiologique [contention éventuellement associée à une sclérothérapie et (ou) à une chirurgie dans les ulcères veineux, revascularisation dans les ulcères artériels].

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POUR APPROFONDIR 1 / Épidémiologie des ulcères chez le sujet âgé Chez le sujet âgé, il existe souvent une cause mixte (artérielle et veineuse) pour laquelle il faut apprécier la part respective de chaque cause afin d’adapter les indications thérapeutiques. Ainsi, le sujet artériopathe peut avoir un ulcère artériel pur témoin de la gravité de l’artérite mais aussi un ulcère mixte artériel et veineux de meilleur pronostic.

2 / Physiopathologie de l’ulcère veineux au niveau microcirculatoire Le mécanisme exact par lequel l’hypertension veineuse serait responsable de troubles de la microcirculation est mal connu. Plusieurs hypothèses ont été proposées : – ralentissement du flux microcirculatoire avec activation des leucocytes au contact de l’endothélium vasculaire et relargage de cytokines (dont le TNF α), de leucotriènes, d’enzymes protéolytiques et de radicaux superoxydes, responsables de souffrance tissulaire ; – distension du lit capillaire avec fuite du fibrinogène qui se polymérise en formant un manchon de fibrine péricapillaire et une barrière à la diffusion des nutriments et de l’O2 d’où anoxie et ulcère ; – inactivation de facteurs de croissance responsables du maintien de l’intégrité tissulaire. Certains soulignent le rôle de la raréfaction capillaire, quel que soit le mécanisme invoqué, responsable d’une ischémie microcirculatoire localisée et de l’ulcère veineux.

3 / Ulcères de causes rares • Purpura vasculaire nécrotique, de causes multiples : cryoglobulinémie, dysglobulinémie et hémopathie, infection, toxidermie, collagénose (polyarthrite rhumatoïde, lupus érythémateux systémique, périartérite noueuse, sclérodermie systémique). • Embolies de cristaux de cholestérol : plaques ulcéro-nécrotiques et livedo des membres inférieurs. Rechercher un anévrisme de l’aorte et des plaques d’athéromes emboligènes, un antécédent de cathétérisme rétrograde des artères des membres inférieurs dans les mois précédents. • Autres causes vasculaires ou hématologiques : polyglobulie, thrombocytémie, anémie hémolytique, anticoagulant circulant, malformations vasculaires (angiodysplasie). • Pyoderma gangrenosum : ulcération nécrotique avec clapiers purulents et bourrelet périphérique qui doit faire rechercher une dysglobulinémie, une maladie de Crohn ou une rectocolite hémorragique. • Ecthyma ulcéreux (forme clinique d’impétigo). • Autres causes infectieuses plus fréquentes sous les tropiques : syphilis, lèpre, tuberculose, mycobactéries atypiques, mycoses profondes, parasitoses. • Causes traumatiques : ulcère sur hématome du sujet âgé à peau fine ; ulcère prétibial traumatique du sujet jeune ; escarres de pression (malléole externe) ; pathomimie.

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• Autres : syndrome de Werner, syndrome de Klinefelter, hyperparathyroïdie, déficit en prolidase, tumeurs ulcérées (carcinome basocellulaire, carcinome épidermoïde, lymphomes cutanés…).

4 / Facteurs influençant la cicatrisation Au 3e mois de traitement, 70 % des ulcères veineux sont cicatrisés. De nombreux facteurs entrent en jeu dans la cicatrisation de l’ulcère veineux. L’ulcère est plus long à cicatriser s’il est ancien, de grande taille et s’il existe une atteinte veineuse profonde. Il en est de même s’il existe une artériopathie ou d’autres pathologies concomitantes associées (diabète, insuffisance cardiaque, anémie). Une situation sociale défavorisée peut entraîner une mauvaise observance du traitement.

5 / Autres pansements D’autres pansements sont à l’étude ou d’intérêt à confirmer : autohémothérapie bénéfique dans les ulcères atones par apport probable de facteurs de croissance, substituts cutanés, application de facteurs de croissance (coûteux). Des procédés physiques sont aussi utilisés comme la création d’une dépression (pression négative) au niveau de la plaie et favorisant son comblement (système VAC).

6 / L’angiodermite nécrotique Elle se distingue des ulcères artériels par les points suivants : femme de plus de 60 ans, hypertendue (90 % des cas) et parfois diabétique (30 % des cas). • Aspect évocateur de l’ulcère : localisé à la face antéro-externe de jambe, parfois bilatéral, plaque érythémateuse purpurique évoluant vers une nécrose noirâtre, superficielle, arrondie ou polycyclique, entourée d’une bordure cyanotique et purpurique. Cet ulcère est très douloureux. • Bilan artériel : pouls périphériques perçus, absence d’artériopathie des gros troncs avec pression systolique distale supérieure à 0,9. • Physiopathologie : artériolosclérose (atteintes des artérioles et artères musculaires de petit calibre). • Évolution : souvent bonne après une durée imprévisible, récidives fréquentes. • Diagnostic différentiel : autres ulcères nécrotiques avec halo érythémateux (embolies de cristaux de cholestérol, purpura vasculaires nécrotiques, pyoderma gangrenosum). • Traitement symptomatique de l’ulcère : aucun traitement étiologique n’a fait la preuve de son efficacité. Les héparines de bas poids moléculaire diminueraient la douleur et amélioreraient la cicatrisation, les greffes précoces seraient bénéfiques. On lui associe le traitement de l’hypertension artérielle et du diabète. • Cas particuliers : – ulcère hypertensif de Martorell : l’hypertension artérielle est constante et élevée, le terrain est le sujet jeune ; – formes associées à une artériopathie classique des gros troncs.

Dermatologie B 171

Urticaire et œdème de Quincke Étiologie, diagnostic, traitement DR Jean-Luc BOURRAIN, PR Jean-Claude BÉANI Service de dermatologie, CHU de Grenoble, 38043 Grenoble Cedex.

Points Forts à comprendre • L’urticaire est un syndrome clinique se traduisant par une éruption érythémato-papuleuse prurigineuse labile. Elle se caractérise par un œdème dermique ou hypodermique dû à une vasodilatation périphérique et à une augmentation de la perméabilité capillaire, dont l’histamine est le principal médiateur. • Les mécanismes responsables peuvent être immunologiques ou non, et relèvent de causes multiples.

N’importe quelle partie du corps peut être concernée, même si pour l’œdème de Quincke les zones facilement distensibles sont plus fréquemment atteintes (visage, organes génitaux) et d’autres telles les paumes et les plantes sont rapidement douloureuses. L’œdème de Quincke ne se limite pas par ailleurs à la peau, et les atteintes muqueuses (langue, pharynx, intestin) ne sont pas rares. Ces 2 manifestations cliniques peuvent également s’accompagner de manifestations générales : fièvre, arthralgies ou troubles digestifs. Enfin, lorsqu’elles entrent dans les manifestations cliniques de l’anaphylaxie, peuvent s’associer également une rhino-conjonctivite, un bronchospasme voire un véritable choc.

TABLEAU I

Diagnostic (tableau I)

Définitions Description L’urticaire (du latin urtica, ortie) est un syndrome et correspond donc à un groupement de symptômes résultant de causes et de mécanismes variés (voir : Pour approfondir 1). Il s’agit d’une éruption faite de papules ou de plaques érythémateuses souvent plus claires en leur centre, prurigineuses, saillantes, à contours bien limités, arrondis ou irréguliers. Leur évolution est labile, traduisant leur apparition brutale suivie, dans les minutes ou les heures suivantes, de leur disparition sans laisser de trace. Ces lésions résultent de la survenue d’une vasodilatation et d’un œdème dermique, à la différence de l’œdème de Quincke (synonyme : angiœdème, œdème angioneurotique, urticaire profonde, urticaire géante) qui correspond à une atteinte de l’hypoderme. Sa présentation clinique est différente, il s’agit d’une tuméfaction de taille variable mal limitée qui est responsable d’une sensation de tension cutanée ; le prurit est absent. Sa consistance est ferme et la peau en regard a une couleur normale, blanchâtre ou à peine rosée. Urticaire et œdème de Quincke peuvent être isolés ou associés en particulier lorsque l’urticaire touche le visage.

Triade de Lewis : érythème, puis œdème et enfin extension à distance. Urticaire aiguë : urticaire évoluant depuis moins de 6 semaines. Urticaire chronique : urticaire évoluant depuis plus de 6 semaines avec des poussées quotidiennes ou quasi quotidiennes. Urticaire récidivante : urticaires aiguës se répétant avec des intervalles libres de plusieurs semaines à plusieurs mois. Urticarien : se dit d’une lésion qui comporte une partie des éléments du syndrome « urticaire ». Il s’agit habituellement d’exanthèmes maculopapuleux qui n’ont pas le caractère labile de l’urticaire.

LA REVUE DU PRATICIEN 1999, 49

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URTICAIRE ET ŒDÈME DE QUINCKE

2042

1 Urticaire circinée.

2 Dermographisme.

3 Urticaire commune.

4 Urticaire de contact au latex.

5 Test au glaçon positif.

6 Prick test positif.

LA REVUE DU PRATICIEN 1999, 49

Dermatologie

Formes cliniques Il existe d’autres formes cliniques : – circinée : dans cette forme assez fréquente les groupements de lésions dessinent des cercles sur la peau du fait de l’évolution centrifuge et de la guérison centrale ; – marginée (ou érythème marginé aberrant de Marfan) : ici, les anneaux sont de plus grande taille, irréguliers et festonnés ; cette forme serait plus fréquente chez l’enfant ; – géographique ou figurée : les formes dessinées sont plus irrégulières, sans que l’on retrouve les cercles plus ou moins réguliers des formes précédentes ; – hémorragique : les lésions évoluent en prenant progressivement les teintes de la biligénie locale sans que cela ait une valeur étiologique ou pronostique particulière ; – micropapuleuse : elle correspond le plus souvent à une urticaire cholinergique; – vascularite urticarienne (ou urticaire avec vascularite) : il s’agit là encore d’un syndrome anatomo-clinique, à la limite de la forme clinique et du diagnostic différentiel, associant une éruption cutanée purement ou à prédominance urticarienne avec une histologie de vascularite leucocytoclasique et une absence de cause précise. Des manifestations extracutanées et biologiques sont fréquemment présentes : fièvre, arthralgies, douleurs abdominales, vitesse de sédimentation élevée, hypocomplémentémie, présence de complexes immuns circulants. Ce syndrome fait partie des urticaires dites systémiques dont il possède l’inconstance du prurit et la relative fixité des lésions. Il est progressivement démembré en leurs différentes étiologies (connectivites et syndromes apparentés, infections, médicaments, hémopathies…).

Diagnostic différentiel 1. Urticaire Plusieurs diagnostics différentiels doivent être évoqués. • Érythème annulaire centrifuge : cette dermatose circinée évolue de façon lentement centrifuge par son bourrelet périphérique avec une guérison centrale. Elle n’est pas ou peu prurigineuse et chaque élément persiste 2 à 3 semaines. • Érythème polymorphe : là encore, s’il peut avoir un caractère urticarien, l’absence de prurit, la fixité des lésions, la prédominance sur les zones d’extension et surtout l’aspect en cocarde éventuellement associé à des éléments vésiculo-bulleux font le diagnostic. • Pemphigoïde bulleuse, dermatite herpétiforme : en l’absence d’éléments bulleux, la fixité des lésions, la présence d’une éosinophilie, et surtout l’histologie et l’immunofluorescence directe sur biopsie de peau ainsi que l’immunofluorescence indirecte permettent de faire le diagnostic.

• Mastocytose cutanée : elle est due à une prolifération intratissulaire de mastocytes habituellement normaux, et peut se présenter sous différentes formes, dont l’urticaire pigmentaire, qui est caractérisée par une ou plusieurs macules qui deviennent turgescentes et urticariennes après friction (signe de Darier). Les formes plus diffuses peuvent être responsables de véritables poussées d’urticaire en raison de la dégranulation des mastocytes. • Lucites : le terme d’urticaire solaire est souvent galvaudé et employé à la place de celui de lucite pour laquelle les lésions, qui peuvent être urticariennes, apparaissent de façon retardée après une exposition solaire et persistent plusieurs jours. • Protoporphyrie érythropoïétique : l’exposition solaire même minime est responsable de lésions érythématoœdémato-purpuriques responsables de sensation de brûlures. Après les lésions aiguës se constitue un épaississement cutané jaunâtre et des cicatrices varioliformes. • Exanthèmes maculo-papuleux : souvent abusivement qualifiés d’urticaires, ils s’en distinguent là encore par leur relative fixité et l’inconstance de leur prurit. Il est important de les distinguer, car les mécanismes physiopathologiques impliqués et leurs traitements sont différents. Les principales causes en sont les réactions médicamenteuses et les infections virales.

2. Œdème de Quincke isolé Le diagnostic différentiel concerne des affections très variées. • Lithiase salivaire : la survenue de la tuméfaction est latéralisée et toujours sur le même site. Elle apparaît dans les situations d’hypersalivation. • Syndrome cave supérieur : en début d’évolution, il peut être fluctuant, favorisé par le décubitus (surtout net au réveil). • Lymphangiome du visage : il peut entraîner des poussées inflammatoires. • Eczéma de contact : sur le visage, il est volontiers très œdémateux. Mais le prurit, l’érythème et la présence éventuelle de vésicules redressent le diagnostic. • Ethmoïdite et érysipèle du visage : l’œdème associé peut prêter à confusion. • Syndrome de Melkerson-Rosenthal : il associe des poussées de macrochéilites non complètement régressives à une langue plicaturée et à une paralysie faciale périphérique. • Cellulite à éosinophiles de Wells : l’apparition brutale de cette tuméfaction cutanée œdémateuse et infiltrée peut être trompeuse, mais sa persistance et l’atteinte épidermique associée, complétées de l’histologie, permettent le diagnostic. • Trichinose : à côté des signes digestifs, pulmonaires, infectieux et musculaires peuvent survenir des manifestations œdémateuses et parfois urticariennes.

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URTICAIRE ET ŒDÈME DE QUINCKE

Étiologie (tableau II) Urticaires de contact C’est la forme la plus fréquente d’urticaire dans sa forme non allergique, lorsqu’elle est due à des substances urticantes telles que l’acide formique des fourmis ou des orties, mais aussi des méduses, anémones, plantes, insectes… Dans ces cas, elle reste localisée au contact, à la différence des urticaires de contact allergiques, dans la majorité des cas dépendantes des immunoglobulines E (IgE), qui peuvent être plus diffuses et s’accompagner d’autres symptômes de la lignée anaphylactique (rhino-conjonctivite, asthme, choc). Les allergènes les plus souvent en cause sont des protéines (latex, viandes et liquides biologiques, légumes et fruits…). Les allergènes non protéiques moins fréquents sont surtout professionnels (persulfate d’ammonium des décolorations capillaires) ou médicamenteux. Elle peut parfois être due à des agents physiques (cf. infra).

TABLEAU II Classification étiopathogénique des urticaires et angio-œdèmes Causes « exogènes » Par contact ❑ pharmacodynamiques (orties, piqûres d’insectes) ❑ allergiques (latex, hyménoptères) ❑ physiques Systémiques ❑ pharmacodynamiques (fausses allergies alimentaires, anti-inflammatoires non stéroïdiens, inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine, produits de contraste iodés) ❑ allergiques (aliments, médicaments) ❑ infections (virus, bactéries, parasites, levures) ❑ physiques Causes « endogènes » Maladies systémiques et syndromes apparentés ❑ lupus, maladie de Still et autres connectivites ❑ vascularite urticarienne ❑ mastocytose ❑ syndrome de Gleich Hémopathies ❑ cryopathies ❑ gammapathies monoclonales ❑ lymphomes Génétiques ❑ œdème angioneurotique héréditaire ❑ certaines urticaires physiques ❑ syndrome de Mückle et Wells Psychogènes

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Urticaires communes 1. Alimentaires Dans la majorité des cas, les aliments agissent par apport d’histamine ou par histamino-libération (poissons, crustacés, chocolat, charcuterie, fromages fermentés, alcool). Cependant, les allergies vraies transmises par les IgE prennent une part de plus en plus importante dans les urticaires et les œdèmes de Quincke aigus, surtout chez le grand enfant et l’adulte (œuf, arachide, poisson, soja, crustacés, sésame, céleri, kiwi, lait, blé…).

2. Médicamenteuses Les médicaments sont fréquemment mis en cause avec là encore des mécanismes variés. Si les pénicillines et dérivés sont le plus souvent incriminés, presque tous les médicaments peuvent être en cause. Cependant, les urticaires vraies par anaphylaxie sont maintenant moins fréquentes que les rashs médicamenteux urticariens. Des mécanismes pharmacodynamiques sont également possibles : histamino-libération avec les dérivés de la codéine, inhibition de la cyclo-oxygénase et synthèse accrue des leucotriènes par la voie des lipoxygénases avec les anti-inflammatoires non stéroïdiens (éventuellement associée à un asthme et une polypose nasale dans la triade de Fernand Widal), activation du complément avec les produits de contraste iodés, œdème de Quincke avec les inhibiteurs de l’enzyme de conversion. À la différence des allergies, où hormis les réactions croisées seul l’allergène est en cause, pour les mécanismes pharmacodynamiques, les contre-indications concernent tous les médicaments ayant les mêmes actions pharmacologiques (contre-indication de classe).

3. Infectieuses Classiquement citées, elles ne doivent être retenues qu’avec des arguments diagnostiques sérieux en particulier évolutifs : – bactériennes : foyers dentaires, sinusiens, ORL, Helicobacter pylori ; – virales : hépatites virales, mononucléose infectieuse, coxsackie ; – parasitaires : filarioses, hydatidose, onchocercose, distomatose, ascaridiose, lambliase, trichinose, toxocarose ; – fongiques : candidoses, dermatophyties.

4. Connectivites et syndromes apparentés Elles sont surtout soupçonnées par les signes cutanés et extracutanés associés à l’urticaire ou par la discrétion ou l’absence de prurit et la fixité des plaques : vascularite urticarienne, cryopathies, maladie de Still (urticaire vespérale, pics fébriles, arthralgies, syndrome inflammatoire…), lupus et autres connectivites. Des œdèmes angioneurotiques acquis par auto-anticorps anti-inhibiteur de la C1 estérase sont également possibles au cours du lupus.

Dermatologie

5. Hémopathies Cette éventualité est rare et dans ces cas, elle est le plus souvent liée à la présence d’une cryoglobulinémie (cryopathies, gammapathies monoclonales, lymphomes). Il peut également exister des œdèmes angioneurotiques acquis par défaut de synthèse ou autoanticorps au cours des lymphomes.

• Urticaire secondaire au froid : elle est rencontrée au cours d’infections (mononucléose infectieuse, rubéole, syphilis, hépatites virales, infection par le virus de l’immunodéficience humaine) ou de connectivites. Une cryoglobulinémie ou une cryofibrigénémie est régulièrement mise en évidence. Sur le plan clinique, elle peut parfois s’accompagner de purpura ou de nécrose.

4. Urticaires au chaud

Elles peuvent être pures ou associées à une urticaire chronique commune.

• Urticaire de contact au chaud : c’est le pendant de l’urticaire au froid pour la chaleur, mais elle est plus rare. • Urticaire réflexe au chaud ou urticaire cholinergique : l’élément déclenchant peut être soit une exposition à une ambiance chaude, soit un effort, soit un stress émotionnel. L’aspect typique est celui d’une urticaire micropapuleuse touchant principalement les membres supérieurs et le thorax. Elle est confirmée par un test d’effort.

1. Dermographismes

5. Anaphylaxie d’effort

• Dermographisme vrai ou urticaire factice : il apparaît rapidement après une friction cutanée, reproduisant le dessin du traumatisme cutané, la lésion d’urticaire représentée par la triade de Lewis. Il peut être isolé ou associé à une urticaire ou à un prurit. • Dermographisme retardé : 1 à 2 heures après la résolution d’un dermographisme vrai survient, sur le même site, un semis de papules persistant 1 à 2 jours, et plus responsable de douleurs que de prurit. • Dermographisme rouge : presque physiologique (40 % de la population), un érythème à peine œdémateux apparaît après un simple frottement cutané.

Il s’agit d’une urticaire, plus ou moins associée aux autres manifestations cliniques de l’anaphylaxie pouvant aller jusqu’au choc, déclenchée par des efforts physiques habituellement importants.

Urticaires psychogènes Plus qu’une véritable cause, il faut surtout voir là un facteur d’aggravation dans les urticaires chroniques.

Urticaires physiques

2. Urticaire retardée à la pression De 3 à 12 heures après une pression appuyée surviennent des plaques urticariennes plus responsables de brûlures que véritablement prurigineuses et volontiers accompagnées de manifestations générales (sensation de malaise général, céphalées, douleurs diffuses…).

3. Urticaires au froid • Urticaire de contact au froid : dans les minutes suivant un contact direct de froid sur la peau (eau, air, objet, aliment) apparaît localement une urticaire labile plus ou moins associée à des manifestations œdémateuses. En cas d’exposition étendue, peuvent survenir des manifestations générales pouvant aller jusqu’au choc. Le diagnostic est confirmé par un test au glaçon. • Urticaire réflexe ou systémique au froid : moins fréquente, elle se rapproche cliniquement de l’urticaire cholinergique. Elle est déclenchée par un abaissement de la température interne. Le diagnostic est confirmé par un test d’exposition en chambre froide. • Urticaire familiale au froid : cette urticaire, autosomique dominante, est une forme retardée et éventuellement prolongée qui peut s’accompagner de manifestations générales à type de fièvre, d’arthralgies et d’hyperleucocytose.

6. Urticaire adrénergique Cette forme rare est micropapuleuse, avec des lésions entourées d’un halo blanchâtre et déclenchée par des stress émotionnels.

7. Urticaire et angiœdème vibratoires De transmission autosomique dominante ou plus rarement acquis, ils se manifestent principalement par des manifestations œdémateuses déclenchées par des vibrations.

8. Urticaire solaire Cette maladie rare se traduit par l’apparition de lésions typiques d’urticaire dans les minutes suivant l’exposition solaire. Le caractère labile est respecté puisque la mise à l’ombre s’accompagne de leur rapide disparition. Les plaques et papules surviennent sur les zones de peau insolée en débordant éventuellement un peu. Il existe ensuite une période réfractaire qui explique que les zones rarement insolées soient plus réactives à la différence des autres parties du corps, en particulier le visage. Une exposition diffuse importante peut déclencher des symptômes systémiques : céphalées, vomissements, bronchospasme et même choc.

9. Urticaire aquagénique Elle est à différencier des urticaires au froid et au chaud, en effet dans ce cas, l’eau est l’élément déclenchant quelle que soit sa température. Elle est souvent discrète et confirmée par un test de contact avec une compresse humide.

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URTICAIRE ET ŒDÈME DE QUINCKE

Urticaires et œdèmes angioneurotiques génétiques L’œdème angioneurotique héréditaire se caractérise par un déficit quantitatif (type I) ou qualitatif (type II) en inhibiteur de la C1 estérase. Il est responsable de la survenue d’œdèmes de Quincke sans urticaire (voir : Pour approfondir 2) Le syndrome de Mückle et Wells est une affection autosomique dominante responsable de la survenue d’accès de fièvre associés à des douleurs articulaires et à une urticaire. Il s’y associe une surdité de perception et une néphropathie progressive. On peut mentionner certaines urticaires physiques (cf. supra) et le déficit en C1q du complément.

Syndrome de Gleich Ce syndrome qui débute dans l’enfance associe la survenue de poussées œdémateuses itératives accompagnées de fièvre, éventuellement de placards urticariens, et d’une éosinophilie importante.

Urticaires et angiœdèmes idiopathiques C’est un cadre d’attente non négligeable, puisque la majorité des urticaires aiguës et chroniques restent inexpliquées.

Explorations Urticaires aiguës En cas d’urticaire aiguë, il n’est habituellement pas pratiqué d’exploration complémentaire. On recherche par l’interrogatoire et l’examen clinique la notion d’un contact avec un urticant connu, une prise médicamenteuse, une consommation d’aliments histamino-libérateurs ou histamino-contenants, une infection. Une exploration au moyen d’examens complémentaires n’est réalisée que si une piste est fournie par les données de l’anamnèse ou après des manifestations cliniques sévères. En cas de manifestations anaphylactiques, on recherche une allergie, en particulier alimentaire, par l’interrogatoire, les tests cutanés (prick tests) et biologiques (RAST pour radio-allergo-sorbent test) éventuellement complétés de tests de provocation.

Urticaires chroniques Il n’y a pas actuellement de consensus fixant les examens qui doivent être pratiqués. Il paraît logique de réaliser des examens complémentaires lorsqu’on a des éléments pour une urticaire de cause systémique, lorsque le traitement n’est pas suffisamment efficace, ou pour confirmer une cause suspectée par l’interrogatoire ou l’examen clinique. Le bilan est décidé en fonction des hypothèses étiologiques évoquées. 2046

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Traitement Les traitements étiologiques concernant les pathologies autonomes responsables d’urticaires traitées dans leurs chapitres respectifs ne sont pas détaillés ici.

Médicaments utilisés 1. Inhibiteur de la synthèse d’histamine Un seul produit est disponible, la tritoqualine qui inhibe la L histidine décarboxylase (Hypostamine). Son action est dépendante de la dose (6 à 9 cp à 100 mg/j). Elle est autorisée durant le 1er trimestre de la grossesse.

2. Inhibiteurs de la dégranulation des mastocytes Deux produits sont à disposition, le kétotifène (Zaditen) et le cromoglycate disodique (Nalcron, Intercron). Le premier est parfois utilisé en complément des antihistaminiques, le second qui ne traverse pas la barrière digestive, en appoint pour les allergies alimentaires, lorsque l’éviction allergénique peut être prise en défaut du fait de la présence d’allergène masqué (arachide, œuf…) dans l’alimentation quotidienne.

3. Antihistaminiques de type H1 (tableau III) Ils constituent le traitement symptomatique de référence des urticaires aiguës et chroniques. On oppose les antihistaminiques classiques qui ont une demi-vie relativement brève, une action anticholinergique associée et des effets sédatifs plus ou moins marqués, aux antihistaminiques de nouvelle génération qui autorisent pour la plupart une prise quotidienne et qui n’ont pas d’effet anticholinergique. De plus, ces derniers traversent peu la barrière hémato-encéphalique, ce qui les rend pas ou peu sédatifs. Du fait de la survenue d’épisodes de torsades de pointes avec la terfénadine et l’astémizole, il est conseillé lors de la prescription d’antihistaminiques de ne pas dépasser les posologies recommandées, d’éviter l’association avec les imidazolés et les macrolides, et d’être prudent en cas d’insuffisance hépatique ou de troubles du rythme préexistants.

4. Corticostéroïdes Ils peuvent être utiles par leur action anti-inflammatoire et antileucotriène dans certaines urticaires physiques, les vascularites urticariennes, et surtout en cas d’œdème de Quincke.

Indications Le traitement est fonction des symptômes présentés, des mécanismes supposés, et de l’éventuelle cause mise en évidence.

1. Urticaire aiguë Il faut éviter les aliments et les médicaments favorisant l’urticaire de façon non spécifique, et prescrire un traitement antihistaminique H1 pour quelques jours. En cas

Dermatologie

TABLEAU III Les différents antihistaminiques Posologie adulte

Posologie enfant

Antihistaminiques H1 classiques ❑ dexchlorphéniramine (Polaramine) ❑ hydroxyzine (Atarax 25) ❑ méquitazine (Primalan)

3 à 4 cp/j 2 à 4 cp/j 2 cp/j

sirop : 0,5 à 6 mg/j en fonction de l’âge sirop : 1 mg/kg/j sirop : 0,25 mg/kg/j

Antihistaminiques H1 récents ❑ astémizole (Hismanal) ❑ cétirizine (Virlix, Zyrtec) ❑ fexofénadine (Telfast 180) ❑ loratadine (Clarityne) ❑ mizolastine (Mizollen) ❑ oxatomide (Tinset)

1 cp/j 1 cp/j 1 cp/j 1 cp/j 1 cp/j 2 cp/j

de manifestation œdémateuse, on prescrit un corticostéroïde par voie générale, voire, en fonction de la gravité, de l’adrénaline et une hospitalisation en urgence.

2. Urticaire chronique Chaque fois que cela est possible, il faut préférer le traitement étiologique ou si l’agent causal peut être évité (allergies, agents physiques…) l’éviction. Sinon ou en complément, le traitement symptomatique au long cours par antihistaminique H1 est la règle, associé aux mesures limitant les aliments et les médicaments aggravants.

3. Formes particulières Ce sont les formes suivantes : – dermographisme et urticaires cholinergiques : dans ces cas, il faut privilégier les antihistaminiques classiques en raison de leur action anticholinergique ; – urticaire retardée à la pression : elle est souvent résistante aux antihistaminiques, et l’on peut avoir alors recours à une corticothérapie générale à la plus petite dose efficace ; – urticaire solaire : les antihistaminiques associés à la photoprotection sont dans ce cas efficaces de manière inconstante, le bêta-carotène (Phénoro) peut être utile, sinon une PUVAthérapie à doses lentement progressives peut être indiquée ; – urticaire adrénergique : cette forme d’urticaire est à traiter par β-bloquants ; – vascularite urticarienne : dans ce cas peuvent être proposés les antipaludéens de synthèse (chloroquine : Nivaquine ; hydroxychloroquine : Plaquenil) ou la dapsone (Disulone), voire une corticothérapie générale ; – urticaire chronique résistant au traitement de première intention : on peut alors associer deux antihistaminiques différents en adjoignant un classique pour son action sédative le soir ; sont également parfois proposés

> 40 kg suspension : (> 6 ans) 10 mg/j ; (> 2 ans) 5 mg/j > 12 ans > 2 ans : sirop : (< 30 kg) 5 mg ; (> 30 kg) 10 mg > 12 ans suspension : 2 à 3 mg/kg/j

la doxépine (Quitaxon, Sinéquan) ou hors autorisation de mise sur le marché (AMM) un antihistaminique H2 ; – prévention des injections de produits de contraste iodés : chez les sujets à risque, si elle ne peut pas être évitée, on préconise 12 h et 2 h avant l’examen 40 mg de méthylprednisolone (Solu-Médrol) et 50 mg d’hydroxyzine (Atarax).

POUR EN SAVOIR PLUS Bousquet J, Godard P, Michel FB. Allergologie. Paris : Ellipses, 1993. Dubertret L. Thérapeutique dermatologique. Paris : MédecineScience Flammarion, 1991.

Points Forts à retenir • L’urticaire est une affection fréquente, puisque environ 20 % de la population présente au moins un épisode au cours de la vie. Néanmoins, si les causes possibles sont multiples, elles restent souvent idiopathiques. • L’interrogatoire et l’examen clinique constituent la base de l’exploration, éventuellement complétée d’examens complémentaires en fonction des causes évoquées. Le traitement, outre celui de la cause lorsqu’elle est connue, privilégie les règles hygiéno-diététiques et surtout la prise d’antihistaminique H1.

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URTICAIRE ET ŒDÈME DE QUINCKE

POUR APPROFONDIR 1 / Physiopathologie La lésion élémentaire de l’urticaire (triade de Lewis) est la résultante d’une vasodilatation et d’une vasoperméation qui se traduisent en histologie par un œdème dermique et (ou) hypodermique associé à une dilatation vasculaire et à un infiltrat périvasculaire. Ces lésions sont la conséquence de l’action de différents médiateurs solubles (préformés ou néoformés), dont le principal est l’histamine des mastocytes (et à moindre degré des basophiles). D’autres médiateurs agissent également dans des proportions variables suivant l’origine de l’urticaire : la sérotonine, les protéoglycanes (héparine, chondroïtine sulfate), des protéases (tryptase, carboxypeptidase, chymase), des prostaglandines issues de l’acide arachidonique des phospholipides membranaires par la voie de la cyclo-oxygénase (PGD2), des leucotriènes issus eux de la voie de la lipoxygénase (LTB4, LTC4), des facteurs du complément, des kinines (bradykinine, kallidine), des neuromédiateurs (acétylcholine, substance P…) et des cytokines. Tous ces médiateurs n’ont pas forcément une origine mastocytaire et d’autres cellules peuvent participer à cette inflammation : les polynucléaires éosinophiles sources d’enzymes cytotoxiques, de prostaglandines et de leucotriènes, les lymphocytes qui ont plus un rôle régulateur, les plaquettes par leurs substances cytotoxiques, les polynucléaires neutrophiles, les macrophages et les cellules endothéliales. L’activation de ces cellules et la libération de leurs médiateurs peuvent résulter de mécanismes immunologiques ou non immunologiques. Mécanismes immunologiques • Anaphylaxie : un allergène plurivalent, spécifique des IgE portées par les mastocytes et les basophiles, se fixe en pont sur ces anticorps ce qui entraîne l’activation et la dégranulation de ces cellules. • Hypersensibilité de type III de Gell et Coombs : par l’activation immune du complément par des complexes immuns. • Auto-immune : par des auto-anticorps IgG1 et (ou) IgG3 anti-récepteurs aux IgE (FceRI) qui en pontant 2 récepteurs cibles induiraient la dégranulation mastocytaire. Ce mécanisme pourrait expliquer 25 à 30 % des urticaires chroniques. Mécanismes non immunologiques • Mécanisme pharmacodynamique : un certain nombre de substances induisent une histamino-libération directe des mastocytes (codéine, crustacés, fromages fermentés, charcuterie, venins, toxines bactériennes…), ou favorisent la survenue par d’autres voies (antiinflammatoires non stéroïdiens par inhibition de la cyclo-oxygénase) d’urticaire ou d’œdème de Quincke (inhibiteurs de l’enzyme de conversion).

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• Activation non immunologique du complément par des endotoxines (voie alterne), des protéases ou des médicaments (produits de contraste iodés). • Apport exogène d’histamine (poisson) ou d’autres amines vasoactives (chocolat) par l’alimentation ou par production intestinale par fermentation.

2 / Œdème angioneurotique héréditaire par déficit en inhibiteur de la C1 estérase Cette affection autosomique dominante se révèle habituellement entre 5 et 15 ans. Elle se caractérise par un déficit quantitatif (type I) ou qualitatif (type II) en inhibiteur de la C1 estérase, glycoprotéine de 104 kD dont le gène est sur le chromosome 11 (q11-q13). Ce déficit entraîne la survenue d’œdèmes de Quincke typiques cutanéomuqueux et sous-muqueux (tractus digestif, laryngé, urinaire), spontanément ou après des traumatismes même minimes (soins dentaires, chirurgie, contention par plâtre). Ils peuvent survenir sur n’importe quelle partie du corps, avec cependant pour chaque individu des sites privilégiés. C’est une affection grave du fait du pronostic vital engagé lors des atteintes sous-muqueuses. Les localisations digestives peuvent se présenter sous la forme d’un tableau pseudo-chirurgical. Le diagnostic est confirmé par la biologie, même en dehors des crises, avec un abaissement de la fraction C4 (C3 normal) et un dosage quantitatif ou qualitatif en inhibiteur de la C1 estérase perturbé. Le traitement a 2 facettes, celle des crises œdémateuses et le traitement préventif. En cas de crise légère sur un site cutané qui n’est pas à risque, on peut se contenter d’une surveillance ou prescrire de façon très précoce un antifibrinolytique (acide aminocaproïque, Capramol). Sinon, en cas de crise sévère, l’hospitalisation est la règle et le traitement repose sur l’administration en intraveineuse lente d’inhibiteur de la C1 estérase (Estérasine, 3 ampoules), ou en son absence de plasma frais congelé. Les glucocorticoïdes à fortes doses ont également une action bénéfique. Le traitement préventif est fonction de la sévérité de la maladie, du sexe, et de l’âge du patient ; il n’est donc pas toujours indiqué. En effet, le traitement de référence repose sur un stéroïde anabolisant, le danazol (Danatrol). Il est prescrit à la plus petite dose efficace en surveillant les fonctions hépatiques, l’éventuelle survenue d’une protéinurie et, pour la femme, de signes de virilisation. Ce traitement est également utilisé en cures brèves de façon préventive, avant et après une intervention chirurgicale, des soins dentaires, ou le port d’un plâtre.

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