Guénon René - Autorité Spirituelle Et Pouvoir Temporel

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RENE GUENON

AUTORITt SPIRITUt:IJ.t: ET

POUVOIR

Tt:~POREL

• L'ANNEAU D'OR »

TRÉDANIEL Éditions VÉGA

GUY

Aatorité Spirituelle et

Pouvoir

Temporel

OUVR GES DU MEME AUTEUR

Introdu ·bon a' nérale à l'Etude des Doctrines hindoues. Le Théosophisme, histoire d'une pseudo-religion. L'Erreur spirite. Orient et Occident. L'Homm t on devenir selon le V· dânta. L Esotérisme de Dante. La Crise du Monde moderne. Autorité spirituelle et Pouvoir temporel. L Roi du Monde. Saint-Bernard. Le Symboli me de la Croix. L s Etats multiples de l'Etre. La M '·ta ph y ique orientale. Le Règne de la quantit · et les Signes des temps. Les Principe du Calcul infinitésimal. Aperçu sur l'Initiation. La Grande Triade. Initiation et Réalisation spirituelle. Aperçus de 1 Esotérisme chrétien. Symboles fondamentaux de la Science sacrée. Études sur la Franc-Maçonnerie et le Campagnonnage Aperçu ur l É otéri me I lamique et le Taoï me. Étude ur l'Hindoui me. Formes traditionnelle et Cycle co mique .

RENt: GUËNON

AUTORITt SPIRITUt:LLt: ET

POUVOIR TEMPOREL

" L'ANNEAtJ D'OR "

GUY TRÉDA IEL Éditions VÉGA 76, ru laude Bernard 75005 P RI

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1984 Tou · dr it: d

2-85-707-142-6 U) Tr ' dani 1, Édition · d la \lai ni tradu tion, d'adapta ti n t d • r producti n r n p ur tou , pa)

AVANT-PROPOS

ous n'avons pas l'habitude, dans nos travaux, de nous référer à l'actualité immédiate, car ce que nous avon constamment en vue, ce sont les principes, qui ont, pourrait-on dire, d'une actualité permanente, parce qu il ont en dehors du temps ; et, même i nous sortons du domaine de la métaphysique pure pour en i ager certaine applications, nous le fai· sons toujour de telle façon que ces applications conservent une portée tout à fait générale. C'est ce que nous ferons encore ici ; et, cependant, nous devons convenir que les con idérations que nous allons exposer dans cette étude offrent en outre un certain intérêt plu particulier au moment présent, en raison des discu ions qui se sont élevées en ce derniers temps sur la question des rapport de la religion et de la politique, question qui n'est qu'une forme péciale prise, dans certaines cond[tions déterminées, par celle de rapportE~ du piritu J et du temporel. Cela e. t vrai, mais ce serait une erreur de croire que ces con idérations nous ont été plus ou moins in pirées par les incidents auxquels nous faisons allusion, ou que nous entendons les y ratt-acher directement, car ce serait ]à accorder une importance fort exagérée à des choses qui n'ont qu'un caractère purement épiso-

N

X

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AUTORITÉ SPIRITUELLE

dique et qui ne sauraient influer sur des conceptions dont la nature et l'origine sont en réalité d'un tout autre ordre. Comme nous nous efforçons toujours de dissiper par avance tous les malentendus qu'il nous est possible de prévoir, nous tenons à écarter avant tout aussi nettement et aussi explicitement qu il se peut, cette fausse interprétation que certains pourraient donner à notre pensée, soit par passion politique ou religieuse, on en l'ertu de quelque idées préconçues, soit même par simple incompréhension du point de vue où nous noue plaçon . Tout ce que nous diron ici, nous l aurions dit tout aussi hien, et exactement de la même façon, si les faits qui appeJlent aujourd'hui 1 attention sur la ques· tion du spirituel et du temporel ne s'étaient paa produits ; les circon tances présente nous ont seulement montré plu clairement que jamais qu'il était nécessaire et oppori:u n de Je dire ; elles ont été, si l'on veut, l'occasion qui nou a amené à exposer maintenant certaines vérités de préférence à beaucoup d'autres que nous nous proposons de formuler également si le temps ne no118 fait pas défaut, mais qui ne semblent pas usceptihles d'une application aussi immédia·. e ; et ]à s'est borné tout leur rôle en ce qui nous concerne. Ce qui non a frappé surtout dans les disco ions .dont ü s'agit, c est que, ni dun côté ni de l'a1.1tre, on n'a paru &e préoccuper tout d'al>ord de situer les questions sur leur véritable terrain, de distinguer d'une façon précise entre 1 e entiel et 1 accidentel, entre les principes nécesPaires et les circonstances contingentes ; et, à vrai dire, eela n'a pas été pour nous surprendre, car nous n'y avons vu qu'un nouvel exemple, après hien d'autres, de la confusion qui règne aujourd'hui dans tous les domaines, et que nous regardons comme éminemment caractéristique du monde moderne, pour les raisons que nous

AV ANT·PROPOS

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aYons expliquées dans de précédents ouvrages {1). Pourtant, nous ne pouvons nous empêcher de déplorer que cette confusion affecte jusqu'aux représentants d'une autorité spirituelle authentique, qui semblent ainsi perdre de vue ce qui devrait faire leur véritable force, nous youlons dire la transcendance de la doctrine au nom de laquelle ils sont qualifiés pour parler. n aurait fallu distinguer avant tout la question de principe et la· ques· tion d'opportunité : sur la première, i1 n'y a pas à dis· enter, car il s'agit de choses appartenant à un domaine qui ne peut ê .. re soumis aux procédés essentiellement « profanes » de la discussion ; et, quant à la seconde, qui n'est d'ailleurs que d'ordre politique et, pourrait-on dire, diplomatique, elle est en tout cas très secondaire, et même, rigoureusement, elle ne doit pas compter au regard de la question de principe ; il eût, par consé· quent, é:é préférable de ne pa même donner à l'advcr· aa.i.re la possibilité de la soulever, ne fût-ce que sur de simples apparences ; nous ajouterons que, quant à nous, elle ne nous intéresse aucunement. Nous entendons donc, pour notre ·part, nous placer exclusivement dans le domaine des principes ; c'est ce qui nous permet ·de rester entièrement en dehors de toute discus ion, de toute polémique, de toute querelle d'école ou de parti, toutes choses auxquelles nous ne voulons être mêlé ni de près ni de loin, à aucun titre ni à aucun degré. Etant absolument indépendant de tout ce qui n'est pas la vérité pure et désintéressée, et hien décidé à le demeurer, nous nous proposons simplement de dire les choses telles qu'elles sont, sans le moindre souci de plaire ou de déplaire à quiconque; nous n'avons rien à attendre ni des uns ni des autres, nous ne comp· (1) O....,., 11 Oootdenf et LG

Cm~

àu MMWlt modet"M.

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AUTOIUTÉ SPIRITUELLE

tons même pas que ceux qui pourraient tirer avantage des idées que nous formulons nous en sachent gré en quelque façon, e~ du reste, edla nous importe fort peu. Nous avertissons une fois de plus que nous ne sommes disposé à nous laisser enfermer dans aucun des cadres ordinaires, et qu il serait parfaitement vain de chercher à nous appliquer une étiquette quelconque, car, parmi celles qui ont cours dans le monde occidental, il n'en est aucune qui nous convienne en réalité ; certaines insinuations venant d'ailleurs simultanément des côtés les plus opposés, nous ont montré encore tout récemment qu'il était hon de renouveler cette déclaration, afin que les gens de ponne foi sachent à quoi s'en tenir et ne soient pas induits à nous attribuer des intentions incompatibles avec notre véritable attitude et avec le point de vue purement doctrinal qui est le nôtre. C'est en raison de la nature même de ce point de vue, dégagé de toutes les contingences, que nous pouvons envisager les faits act.uels d'une façon aussi complètement impartiale que s'il s'agissait d'événements appartenant à un pa sé lointain,, comme ceux dont il sera surtout question ici lorsque nous en viendrons "à citer des exemples historiques pour éclairer notre exposé. li doit être hien entendu que nous donnons à celui-ci, comme nous le disions dès le début, une portée tout à fait générale dépassant toutes les formes particulières que peuvent revêtir selon les temps les lieux, le pouvoir temporel et même l'autorité spirituelle ; et il faut préciser notamment, sans plus tarder, que cette dernière, pour nous, n a pas nécessairement la forme religieuse, contrairement à ce qu'on s'imagine communément en Occident. Nous laissons à chacun le soin de faire de ces considérations telle application qu'il jugera convenable à l'égard de cas particuliers que nous nous abstenons à dessein

et

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,Il

d'envisager directement ; il suffit que cette application. pour être légitime et valable, soit faite dans un esprit vraiment conforme aux principes dont tout dépend, esprit qui est ce que nous appelons 1'esprit traditionnel au véritable sens de ce mot, et dont, malheureusement, toutes les tendances spécifiquement modernes sont l'antithèse ou la né~ation. C'est précisément un des aspects de la déviation moderne que nous allons av.oir encore à envisager, et, à cet égard, la présente étude complètera ce que nous avons eu déjà l'occasion d'expliquer dans les ouvrages auxquels nous f.aisions allusion tout à l'heure. On verra d'aill~!urs que, sur cette question des rapports du spirituel et du temporel, les erreurs qui se sont développées au cours des derniers siècles sont loin d'êtTe nouvelles ; mais du moins leurs manifestations antérieures n'avaient-elles jamais eu que des effets assez limités, alors qu'aujourd'hui ces mêmes erreurs sont devenues en quelque' sorte inhérentes à la mentalité commune, qu'elles font partie intégrante d'un état d'esprit qui se généralise de plus en plus. C'est hien 1à ce qu'il y a de plus particuliè· rement grave et inquiétant, et, à moins qu'un redressement ne s'opère à bref délai, il est à prévoir que le . monde moderne sera entraîné à quelque catastrophe, vers laquelle il semble même marcher avec une vitesse -sans cesse croissante. Ayant exposé ailleurs les considérations qui peuvent justifier cette affirmation (1), nous n'y insisterons pas davantage, et nous ajouterons seulement ceci : s'il y a encore, dans les circonstances présentes, quelque espoir de salut pour le monde occidental, il semble que cet espoir doive résider au moins en partie, dans le maintien de la seule autorité traditionnelle qui

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AUTORITÉ SPIRITUELLE

y subsiste ; mais il est nécessaire pour cela que cette autorité ait une pleine conscience d'elle-même, afin qu'elle soit capable de fournir nne base effective à des efforts qui, autrement, risquent de demeurer dispersés et incoordonnés. C'est là, tout au moins, nn des moyens les plus immédiats qui puissent être pris en considération pour une restauration de l'esprit traditionnel ; il y en a d'autres sans doute, si celui-là vient à faire défaut ; mais, comme cette restauration, qui est l'unique remède an désordre actuel, est le but essentiel que nous avons sans cess~ en vue dès que, sortant de la pure méta· physique, nous en venons a envisager les contingences, if est facile de comprendre que nous ne négligions aucune des possibilités qui s'offrent pour y parvenir, même si ces possibilités paraissent n'avoir pour le moment que peu de chances de réalisation. C'est en cela, et en cela seulement, que consistent nos véritables intentions ; toutes celles qu'on pourrait nous e_rêter, en dehors de celles-là, sont parfaitement inexistantes ; et, si certains venaient à prétendre que les réflexions ·qui vont suivre nous ont été inspirées par des influences extérieures quelles qu'elles soient, nous leur opposons à l'avance le plus formel démenti. Cela étant dit, parce· que nous savons par expérience que de telles précautions ne sont pas inutiles, nous pen· sons pouvoir nous dispenser par la suite de toute allusion directe à l'actualité, afin de rendre encore plus sen· sible et plus incontestable le caractère strictement doctrinal que nous voulons conserver à tous nos travaux. Sans doute, les passions politiques ou religieuses n'y trouveront point leur compte, mais c'est là une chose dont nous n'aurons qu'à nous féliciter, car il ne s'agit nùllement, pour nous, de fournir un nouvel aliment à des discussions qui nous paraissent fort vaines, voire

AVANT•PROPOS

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même assez misérables, mais au contraire de rappeler les principes dont l'oubli est, au fond, la seule vraie cause de toutes ces discussions. C'est, nous le répétoœ, notre indépendance même qui nous permet de faire cette mise au point en toute impartialité, aans conc~ sions ni compromissions d'aucune sorte ; et, en même temps, elle nous interdit tout autre rôle que celui que nous venons de définir, car elle ne peut être maintenue qu'à la condition · de demeurer toujours dans le domaine purement intellectuel, domaine qui, d'ailleurs, est celui des principes essentiels et immuables, par conséquent celui dont tout le reste dérive plus ou moins directement, et par lequel doit forcément commencer le redressement dont nous parlions tout à l'heure : en dehors du rattachement aux principes, on ne peut obtenir que des résultats tout extérieurs, instables et illusoires ; mais ceci, à vrai dire, n'est pas autre chose qu'une des formes de l'affirmation même de la suprématie du spirituel sur le temporel, qui va être précisément 1'objet de cette étude.

CHAPITRE PREMIER AUTORITÉ ET HIÉRARCHIE

des époques fort diverses de l'histoire, et même en remontant bien au delà de ce qu'on est convenu d'appeler les temps historiques, dans la mesure où il nous est possible de le faire à l'aide des témoignages concordants que nous fournissent les tradi· tions orales ou écrites de tous les peuples (1), nous trouvons les indices d'une fréquente opposition entre le! représentants de deux pouvoirs, l'un spirituel et l'autre temporel, quelles que soient d'ailleurs les formes spécia· les qu'aient revêtues l'un et l'autre de ces deux pouvoirs pour s'adapter à la diversité des circonstances, selon les époques et selon les pays. Ce n'est pas à dire, cependant, que cette opposition et les luttes qu'elle engendre soient « vieilles comme le monde >>, suivant une expression dont on abuse trop souvent ; ce serait là une exagération manifeste, car, pour qu'elles viennent à se produire, il a fallu, d'après l'enseignement de toutes les traditions, que l'humanité en soit arrivée déjà à une phase assez éloi-

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(1) Ces traditions furent toujours orales tout d'abord ; quelquefois. eomme ehez les Celtes, elles ne furent jamais écrites ; leur concordance proove ~ la fois la communauté d'origine, donc le rattachement ~ une tradition primordiale, et 111. rigoureuse fidélité de la transmission orale, dont le maintien est, dans ee cas, une des principales f onctions de 1'auto· rité spirituelle.

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AUTOIDTÉ SPIIUTUE.LLE

gnée de· la pore spiritualité primordiale.· D'ailleurs, à l'origine, les deux pouvoirs dont il s'agit n'ont pas dû exister à l'état de fonctions séparées, exercées respectivement par des individualités différentes ; ils devaient, au contraire, être contenus alors l'un et l'autre dans le 1•.riucipe commun dont ils procèdent tous deux, et dont ila représentaient seulement deux aspects indivisibles, indis oluh) ement liés dans l'unité d'une synthèse à la fois supérieure et antérieure à leur distinction. C'est ce qu'exprime notamment la doctrine hindoue lorsqu'elle enseigne qu'il n'y avait ·tout d'abord qu'une seule caste ; le nom de H amsa qui est donné à cette ca'Ste primitive unique, indique un degré spirituel très élevé, aujourd'hui tout à fait exceptionnel, mais qui était alors commun à tous les hommes et qu'ils possédaient en quelque sorte spontanément (1) ; et ce degré est au delà des quatre castes qui se sont constituées ultérieurement, et entre lesquelles se sont réparties les différentes fonctions sociales. Le principe de l'institution des castes, si complètement incompris des Occidentaux, n'est pas autre chose que la différence de nature qui exi te entre 1es individu• (1) La même indication ee retrouve tout aussi nettement formulée dana la tradition extrême·orientale, comme le montre notamment ee pasaage de Lao·tseu : « Les Anciens, martres, possédaient la LOgique, la Clairvoyance et l'Intuition ; cette Foree de l'Ame restait ineonscien~ ; cette Inconscience de leur Forco Intt\rieu~ rendait à leur apparence la majesté ... Qui poUl'l'ait, de nos jours, par sa cla.rtê majestueuse, cl&rifier lea ténèbres inWrieures f Qui pourrait, de nos jours, par sa vie majeetueuse, revivifier la mort intérieure f Enx, portaient la Voie (Tao) dans leur ft.me et furent Individus Autonomes i comme tels, ils voyaient lea perfections de leurs faibleues :. (Tao-te.'k\ng, ch. XV, tra.duetio'Jl Alexandre Ule.r ; cf. Tchoang·teeu, ch. VI, qui est le commentaire de ce pa.ssa.ge). L' c Incon!lcienee :t dont il est parlé ici se rapporte ~ la çonta.néité de cet ét&t, qui n 'êtait alors le résultat d'aucun etfort ; et 1'upreasion « Individus Autonomes :. doit être entendue dans le sens du terme 8&11Serit NlohohMcMrt, c'est-à· dire c celui qui suit sa propre n. lont6 >, ou, 8Uivant . une autre expression équivalente qui se renccmtre dans 1'ésotérisme islamique, « celui qui est à lui·même sa propre loi :..

AUTORITÉ ET B lÉRARCBIE

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humains, et qui étahlit parmi eux une hiérarchie dont b méconnaissance ne peut amener que le désordre et la confusion. C'est précisément cette méconnaissance qui est impliquée dans la théorie « égalitaire » si chère aa monde moderne, théorie qui est contraire à tous les faiu les mieux établis, et qui est même démen~ie par la simple observation courante, puisque l'égalité n'existe nulle part en réalité ; mais ce n'est pas ici le lieu de nous éteDdre sur ce point, que nous avons déjà traité ailleurs (l ).. Le mots qui servent à désigner la caste, dans l'Ind~ ne signifient pas autre chose que << nature individuelle » ; il faut entendre par là 1 ensemble des caractèrefi qui s'ajou~ ent à la nature humaine « spécifique » pour différenci r les individus entre eux ; et il convient d'ajonter tout de suite que 1 hérédité n'entre que pour une part da·n la dé~ermination de ces caractères, sans quoi to1u les individus d'une même famille seraient exactemenl scmblabl~, i hien que la caste n'est pa strictement hér ~ditair e en p_rincipe quoiqu'elle ail pu le dt venir le plu ouvent en fait et dan 1 application. En outre, pnir· qu il ne aurait y avoir deux individu identiques o-a é~a u ou tous les rappor , il y a forcément encore d différ n ec ntre c ux qui appartiennent à une mêmr: ca te ; mai , de même qu'il y a plus de caractères rom· mun en:r e les être d'une même espèce qu'entre d~ ê t.~·., ~ d S?' ces différentes, il y en a au i davantag~ i. 1 intér;cur de l'esp' ce, entre les individus d'une mêm ca te qu' ntre ceux de ca tes différentes ; on pourrail donc dir q e la distinction des castes constitu~ dam l'e p' ce humaine, une véritable ela ification naturelle. à laquelle doit corre pondre la répartition des fonctiont (1) T.a Cris~ du M cmde 1noderne, ch. VI ; d 'autre part, sa\" pri ncipe d l 'institution des c.a8tes, voir Int r;oduction gén 6raie d l'ttW. d dll1J1ri7'.e& hinàoue1, 3• partie, eh. VI. 2

18 ~ociales.

AUTORITÉ SPIRITUELLE

En effet, chaque homme, en raison de sa :pature propre, est ap·!e à remplir telles fonctions définies à l'exclusion de "!ellès autres ; et, clans une société établie régulièrement sur des hasès traditionnelles, ces aptitudes doi. vent être déterminées suivant des règles précises, afin que par la correspondance des divers genres d'e fonctions avec les grandes .di rision de la ela sification des << natures individu Iles » et auf des exceptions due à des erreurs d'application toujours possibles, mais réduite en quelque sorte au minimum, chacun se trouve à la place qu il doit occuper normalement, et qu'ainsi l'ordre social traduise exactement les rapports hiérarchiques qui ré ultent de la nature même de êtres. Telle est, résumée en peu de mots, la raison fondamenta·le de l'existence des castes ; e il fant en connaître au moins ces notions essentielles pour comprendre les allusions que nous serons forcément amené à faire par la suite, soit à leur constitution telle qu'elle existe dans l'Inde, soit aux insti:'utions analogues qui se rencontrent aillP.urs, car il est évident que les mêmes principes, hien qu'avec des modalités d'application diverses, ont présidé à l'organisation de toutes les civili ations possédant un caractère véritablement traditionnel. La distinction des castes, avec la diff?rencintion des fonction sociales à laquelle elle correspond, ré ulte en somme d'une rupture de 1 unité primitive ; et c'est alors qu'apparaissent aussi, comme séparés l'un de l'au·re, le pouvoir spirituel et le pouvoir temporel, qui constituent précisément, dans leur exercice distinct, les fonctions respectives des deux premières castes, celle des Brâhmanes et celle des Ksha-:-riyas. D'ailleurs, entre ces deux pouvoirs, comme plus généralement entre toutes ]es fonctions sociales attribuées désormais à des groupes différents d'individus, il devait y avoir originairement une

AUTORITÉ ET HIÉRARCHIE

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parfaite harmonie, par laquelle l'unité première était maintenue autant que le permettaient les conditions d'existence de l'humanité dans sa nouvelle phase, car l'harmonie n'est en somme qu'un reflet ou une image de la véritable unité. Ce n'est qu'à un autre stade qu~ la distinction devait se transformer en opposition et en rivalité, que l'harmonie devait être détruite et faire place à la lutte des deux pouvoirs, en attendant que les fonctions inférieures prétendent à leur tour à la supré· matie, pour aboutir finalement à la confusion l'a plus complète, à la négation et au renversement de tonte hiérarchie. La conception générale que nous venons d'es· quisser ainsi dans ses grands traits est conforme à la doctrine traditionneHe des quatre âges successifs en les.; quels se divise l'histoire de l'humanité terrestre, doctrine qui ne se rencontre pas seuleme~t dans l'Inde, mais qui était également connue de l'antiquité occidentale, et spécialement des Grecs et des Latins. Cés quatre âges sont lee différentes phases que traverse l'humanité en s'éloi· gnant du principe, donc de l'unité et de la spiritualité primordiale ; ils sont comme les étapes d'une sorte A de matérialisation progressive, nécessairement inhérente au développement de tout cycle de manifestation, ainsi que nous l'avons expliqué ailleurs (1). C'est seulement dans le dernier de ces quatre âges, que la tradition hindoue appelle le Kal~Yuga ou « âge sombre », et.qui correspond à l'époque où nous sommes présentement, qu~ la subversion de l'ordre nor· mal a pu se produire et que, tout d'abord, le pouvoir temporel a pu l'emporter sur le spirituel ; mais les premières manifestations de da révolte des Kshatriyas con· tre l'autorité des Brâhmanes peuvent cependant remon· (1} La, Crise du MO'fld8 modet'M, eh. lter.

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AUTOIUTÉ SPIIUTUELLE

ter beaucoup plus haut que le début de cet âge {1), dO. hot qui est lui-même fort antérieur à tout ce que conno"t l'histoire ordinaire ou « profane ». Cette opposition dM deux pouvoirs, cecte rivalité de leurs représentants respectiis, étdt repré entée chez les Celtes sous la figure d~ la lutte du anglier et de l'ours, suivant un symbolisme d'origin e hyperboréenne, qui se rattache à l'une dœ p1ua a2tcie nes traditions de l'humanité, sinon même 3 la première de toutes, à la véritable tradition primordiale ; ct ce ...ymholi me pourrait donner lieu à d'amples développements, qui ne sauraient trouver place ici, mais que nou aurons peut-être l'occasion d'exposer quelque jour (2). Dan ce qui va uivre, nous n'avons pas l'intention de remon·er ain.i jusqu aux origines et tous nos exemples servnt em:>runtés à de époques beaucoup plus rapproch' e de n u. , ompri même uniquement dans c que n n pouvon appel r la d rnï re partie du Kali-Yuga, c~l! ~ qui f' t aoce sible à 1 hi toire ordinaire et qui comm ne xa t ment au VI• iècle avant l'ère chrétienne. D n'en était pas moins nécessaire de donner ce notions sommaire ur l'ensemble de l'histoire traditionnelle. san 1 qu Iles le reste ne serait compris que très imparfaitement car on ne peut comprendre vraiment une '!lO ~l"' qu le nque qu'en la ituant à la place qu'elle (1) On trouv une indication à cet égard dans 1 hi toir de ParasbuBâma. qui, dit-on, anéantit les lUhatriyas révoltés, à une poque où les e eétres cle Hind ou habitaient encore une région septentrionale.

n

(2) faut dire d 'ailleor que les deux ymboles du sangli r et d l'ours n 'npparais.Pnt pas toujours forcément eomme 6tant en lutte oa en opposition, mni qu'ils peuvent aussi représenter parfois les deta poa· voirs Sl>iritu 1 t mporel, ou les deux eaates des Druides et des Cbeft· liers, dnn. leur mpporta normaux et hannoniques, eom.me on le 't'oit. notn.mrn nt par ln lt
,. , AUTOIUTE ET HIERAilCHIE

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oeeupe dans le tout dont elle est un des éléments ; c'est aiDsi que, comme nous avons eu à le montrer récemment. les caractères particuliers de l'époque moderne ne s'ex· pliquent que si 1'·on considère celle-ci comme constituant la phase finale du Kali-Y uga. Nons savons hien que ce point de vue synthétique est entièrement contraire à l'esprit d'analyse qui préside au développement de la .clence « profane », la seule que ~onnaissent la plupart de nos contemporains ; mais il convient précisément de l'alfirmer d'autant plus nettement qu'il est plus mémnnu, et d'ailleurs il est le seul que puissent adoptPr loos ceux qui, comme nous, entendent se tenir strictement dans la ligne de la véritable orthodoxie tradition· Dell~ sans aucune concession à cet esprit moderne qui, nous ne le redirons jamais trop, ne fait qu'un avec l'esprit antitraditionnel lui-même. Sans doute, la tendance qui prévaut actueP ement est de trai·ler de << légendaires », voire même de << mythiques », les faits de la plus lointaine histoire, tels que œux auxquels nous venons de faire allusion, ou même œrtains autres qui sont pourtant beaucoup moine; anaiena., comme quelques-uns de ceux dont il pourra être l)llestion par la suite, parce qu'ils échappent aux moyens d'investigation dont disposent les historiens << profsDes ». Ceux qui penseraient ainsi, en vertu d'habitudes acquises par une éducation qui n'est trop souvent aujourd'hui qu'une véritable défdrmation mentale, pour· ront du moins, s'ils ont malgré tout conservé certaines possibilités de compréhension, prendre ces faits simple· ment pour leur valeur symbolique ;. nous savons, quant à Dous, que cette valeur ne leur enlève rien de leur réa· lité propre en tant que faita historiques, mais elle est en ...,me ce qui importe le plus, parce qu'elle leur confère une .aignificatio11 11up.érieare, d~un ordre beaucoup plœ

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,

AUTORITE SPIRITUELLE

profond que celle qu'ils peuvent avoir en eux-mêmes - ; et c'est là encore un point qui demande quelques expli· cations. Tout oe qui est, sous quelque mode que ce soit, participe nécessairement des principes universels, et rien n'est que par participation à ces principes, qui sont les essences éternelles et immuables contenues dans la per· manente actualité de l'Intellect divin ; par conséquent, on peut dire que toutes choses, si contingentes qu'elles soient en elles-mêmes, traduisent ou représentent les principes à· leur manière et selon leur ordre d'existence, . car autrement, elles ne seraient qu'un pur néant. Ainsi, d'un ordre à l'autre, toutes choses s'enchainent et se cor· respondent pour concourir à l'harmonie universelle et totale, car l'harmonie, comme nous l'indiquions déjà plus haut, n'est rien d'autre que le reflet de l'unité principielle dans la multiplicité du monde manifesté; et c'est cette correspondanc-e qui est le véritable fond-ement du symbolisme. C'est pourquoi les lois d un domaine inférieur peuvent toujours être prises pour symboliser lee réalités d'un ordre supérieur, où elles ont leur I'laison pro· f~nde, qui est à la fois leur principe et leur fin ; et nous pouvons signaler en passant, à cette occasion, l'erreur des modernes interprétations << naturali tes >> des. antiques doctrines traditionnelles, interprétations qui renversent purement et simplement la hiérarchie des rap· ports entre les différents ordres de réalités. Par exemple, pour ne considérer qu'une des théories les plus répan· dues de nos jours, les symboles OU les mythes n'ont jamais en pour rôle de représenter le mouvement des astres, mais ce qui est vrai, c'est qu'on y trouve souvent des figures inspirées de celui-ci et destinées à exprimer analogiquement tout autre chose, parce que les lois de ce mouvement traduisent physiquement les principes méta-

23 physiques dont elles dépendent · ; et c'est I·d~ssus que reposait la véritable astrologie des an~iens. L'inférièûr peut symboliser le supérieur, mais l'inverse est imposai· ble ; d'ailleurs, si le symbole était plus éloign~ de l'ordre sensible que ce qu'il représente, au lieu d'en Ptre plus rapproché, comment pourrait-il remplir la fonction à laquelle il est destiné, qui est de rendre la vérité plus accessible à l'homme en fournissant un << support >> à sa conception ? D autre paTt, il est hien évident que l'emploi d'un symbolisme astronomique, pour reprendre le même exemple, n'empêche nullement les phénomènes astronomiques d'exister comme tels et d'avoir, dans leur ordre propre, ·ou te la réalité dont ils sont susceptibles; il en est exactement de même pour les faits hi toriques, car ceux-ci~ comme tou le autres, expriment selon leur mode les vérité supérieures ct se conforment à cette loi de correspondance que noûs venons d'indiquer. Ces faits, eux aussi, existent bien réellement comme tels, mais, en même temps, ils sont également des symboles ; et, à notre point de vue, ils ont heaucoJJp plus dignes d'intérêt en tant que ym·boles qu'en tant que faits ; il ne peut en être autrement, dès lors que nous e~tcndons tout rattacher aux principes,' et c'est précisément là, comme nous l'avons expliqué ailleurs {l), ce qui distingue essentiellement la « science sacrée >> de J.a << science profane ». Si nous y avon insisté quelque peu, c'est pour qu'il ne se produise aucune confusion à cet égaTd : il faut avoir mettre chaque chose au rang qui lui revient normalement ; l'histoire, à la condition d'être envisagée comme il convient, a, comme tout le reste, sa place dans la con· naissance intégrale, mais elle n'a de va·leur, sous ce rap· port, qu'en tant qu'elle permet de trouver, dans les (1) lA Crise du Monde moderne, ch. IV.

AUTOIUTÉ SPUUTUELLE

contingences mêmes qui sont son objet immédiat, un point d'appui pour s'élever au-dessus de ces contingen· c.a. Quant au point de vue de l'histoire << profane», qui ~'altache exclusivement aux faits et ne les dépasse pas, il est sans intérêt à nos yeux, de même que tout ce qui ·m du domaine de la simple érudition ; cc n'est donc nallement en historien, si on l'entend en ce sens, que l'lODS considérons les faits, et c'est ce qui nous permet .de ne tenir aucun compte de certains préjugés << critiques » particulièrement cher à notre époque. n semble bien, d'ailleurs, que l'emploi exclusif de certaines méthodes n'ait été imposé aux historiens modernes que pour les tmpêcher de voir clair dans des questions auxquelles il ne fallait pas toucher, pour la simple rai on qu'elles auraient po les amener à des conclusions contraires aux tendances << matérialistes » que l'enseignement « offi. ~ » awit pour mission ·de faire prévaloir ; il va de soi . .e, pour notre •part, nous ne nous sentons aucunement leDu de garder la même réserve. Cela dit nous pensons donc pouvoir aborder directement le sujet de notre étude, sans non attarder davantage à ces observations prélilllinaires, qui n'ont n somme pour buL que de définir le plus nettement po ible l'esprit dans lequel nouta l'écri· lODS, et dans lequel il convient également de la lire si !'on ·veut vraiment en comprendre le sens.

CHAPITRE Il FONCTIONS DU SACEBDOCE BT DE LA ROYAUTÉ

des deux pouvoirs spirituel et tempo· rel, sous une forme ou sous une autre, se rencon· tre à peu près chez tous les peuples, ce qui n'a rien de surprenant, puisqu'elle correspond à une loi générale de l'histoire humaine, se rattachant d'ailleurs à tout l'ensemble de ces « lois cycliques >>auxquelles, dan~ presque tous nos ouvrages, nous avons fait de fréquentes allusions. Pour les périodes les plus anciennes, cette opposition se trouve habituellement, dans les données traditionnelles, exprimée sous une forme symbolique, comme nous l'avons déjà indiqué précédemment en ce qui concerne les Celtes ; mais ce n'est pas cet aspect de la question que nous nous proposons spécialement de développer ici. Nous retiendrons surtout, pour le moment, deux exemples historiques, pris l'uq en Orient et l'autre en Occident : dans l'Inde, l'antagonisme dont il s'agit se rencontre sous la forme de la rivalité des Brâhmanes et des Kshatriyas, dont nous aurons à retra· eer quelques épisodes ; dans l'Europe du moyen âge, elle apparaît surtout comme ce qu'on a appelé la qu&o relie du Sacerdoce et de l'Empire, bien qu'elle ait eu a1111i alors d'autres aspecte plus particaliers, mais DOD

L

'OPPOSITION

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AUTOBITÉ SPIBITUELLE

moins caractéristiques, comme on le -rerra par la suite (1). n ne serait d'ailleurs que trop facile de constater que la même lutte se poursuit encore de nos jours, quoique, du fait du désordre moderne et du « mélange des castes», elle se complique d'éléments hétérogènes qui peuvent la dissimuler parfois aux regards d'un observateur superficiel. Ce n'est pas qu'on ait contesté, généralement du moins et en dehors de certains cas extrêmes, que ces deux pouvoirs, que nous pouvons appeler le pouvoir saœrdotal et le pouvoir royal, car ce sont là leurs vérita· bles dénominations traditionnelles, aient l'un et l'autre leur raison d'être et leur domaine propre. En somme, le débat ne porte habituellemenrque sur la question des rapports hiérarchiques qui doivent exister entre eux ; c'est une lutte pour la suprématie, et cette lutte se produit invariablement de la même façon : nous voyons les guerriers, détenteurs du oouvoir temporel, après avoir été tout d'abord soumis à l'autorité spirituelle, se révol· ter contre elle, se déclarer indépendants de toute puis· sance supérieure, ou même chercher à se subordonner cette autorité dont ils avaient pourtant, à l'origine, re· connu tenir leur poùvoir, et à en faire un instrument au service de leur propre domination. Cela seul peut suffire à montrer qu'il doit y avoir, dans une telle révolte, uu renversement des rapports normaux ; mais on le voit encore beaucoup plus clairement en considérant ces rap· ports ·comme étant, non pas simplement ceux de deux (1) On pourrait sans peine trouver bien d'autres exemples, notam· ment en Orient : en Chine, les luttes qui se produisirent à. certaines époql!ea entre lelJ Taoïstes et les Confucianistes, dont 1~ doctrines respectives ee rapportent aux domaines des deux pouvoirs, comme nous 1'expliquerons plu loin ; au Thibet, 1'hostilité témoignée d'abord par lee rois au Lamaïsme, qui finit d'ailleurs, non aeulement par triompher, m.aiB par abeorber complàtemeot le pouvoir tomporel dana 1 'organisation c tb6o. eratique , qui exiJte encore actuellement.

LE SACERDOCE ET LA ROYAUTÉ

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fonctions sociales plus ou moins nettement définies et dont chacune peut avoir la tendance assez naturell-e à empiéter sur }?autre, mais ceux des deux domaines dans lesquels s'exercenJ rèspectivement ces fonctions ; ce sont, en effet, les relations de ces domaines qui doivent logi· quement déterminer celles des pouvoirs correspondants. Cependant, avant d'aborder directement ces considé· rations, nous devons encore formuler quelques observa· · tions qui en faciliteront la compréhension, en précisant le sens de certains des termes dont nous aurons à nous servir constamment ; et ·cela est d'autant plus nécessaire que ces termes, dans l'usage courant, ont pris une signifi· cation assez vague et parfois hien éloignée de leur accep· tion première. Tout d'abord, si nous parlons . de deux pouvoirs, et si nous. .pouvons le faire dans les cas où il y a lieu, pour des raisons diverses, de garder entre eux une sorte dt symétrie extérieure, nous préférons pourtan~, le plus souvent, et pour mieux marquer la distinction, em· ployer, pour l'orare spirituel, le mot d' « ~&utorité », plutôt que celui de « pouvoir », qui est alors réservé à l'ordre temporel, nuquel il convient plus proprement quand on veut l'entendre au &ens strict. En effet, ce mot de « pouvoir » évoque presque inévitablement l'idée de puissance ou de force, et surtout d'une force matériel· le (1), d'une puissance qui se manifeste visiblement ~u dehors et s'affirme par l'emploi de moyens extérièurs ; et tel est bien, par définition même, le pouvoir temporel (2). Au contraire, l'autorité spirituelle, intérieure par essence, ne s'affirme que par elle-même, indépendam(1) On pourrait d'ailleurs faire rentrer atl88i dans eette notion la foree de la Tolonté, qui n'est pas c matérielle :. au sens strict du mot, mail qui, pour nous, est encore du même ordre, puisqu'elle est essentiel· lement orien~ nrs 1'aetion. (1) Le nom de la easte des Kùatri1as est dériv6 de k.thatr:a, qw ai· plfie c foree ,,

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A.UTOIUTÉ SPUliTUELLE

ment de tout appui sensible, el s'exerce en quelque aorte invisiblement ; si l'on peut encore parler ici de puistance ou de force, ce n'est que par transposition analogi· que, et, du moins dans le cas d'une autorité spirituelle à l'état pur, si 1 on peut dire, il faut bien comprendre qu'il s'agit· alors d'une puissance tout intellectuelle, dont le nom est << sagesse )>, et de la seule force de la vérité (1 ). Ce qui demande aussi à être expliqué, et même un peu plus longuement, ce sont les expressions, que nous avons employées tout à l'heure, de pouvoir sacerdotal et de pouvoir royal ; que faut-il entendre ici exactement par sacer "oce et par royauté ? Pour commencer par cette dernière, nous dirons que la fonction royale comprend tout ce qui, dans l'ordre social, constitue le << gouvernement » proprement dit, et cela quand bien même ce gouvernement n'aurait pas la forme monarchique ; cette fonction, en effet, est celle qui appartient en propre à toute la caste des Kshatriyas, et le roi n'est que le pre· mier parmi ceux-ci. La fonction dont il s'agit est double en quelque sorte : administrative et judiciaire d'une part, militaire de l'autre, car elle doit assurer le maintien de l'ordre à la fois au dedans, comme fonction régulatrice el équilibrante, et au dehors, comme fonction pro· tectrice de 1 organisation socia·le ; ces deux éléments constitutifs du pouvoir royal sont, dans diverses tradi· tions, symbolisés respectivement par la balance et l'épée. On voit par là que pouvoir royal est bien réellement (1) En h6breu, la diatinction que aoua indiquons ici est merquée par 1'emploi de racines qui se correspondent, mail qui diffêrent par Ja prtSsenee del lettres kGpll et qop~ letquellee sont respectivement, par lrur interpr6tation hihoglyphique, lee lignee de la foree spirituelle et de la foree m&térielle, d 'oà, d'une part, 1• leU de •6ri~ aageue, eonnaiannee, et, de 1 'aatre, ceu: de puiaean.ce, poiMIIIion, domination : tellee 110nt lee racines W et Mq, " - et ~ lee pmai~ formee d6sign&Dt les attributions du poaoir eaeerdotal, et les eecondeli een. du pou•oir f01&l (TOlr Le U à Jro.M, da. YI).

LE SACERDOCE ET LA ROYAUTÉ

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synonyme de pouvoir temporel, même en prenant ce der· nier dans toute l'extension dont il est susceptible ; mai' l'idée beaucoup plus restr~inte que l'Occident moderne se fait de la royauté peut empêcher que cette équivalence apparaisse immédiatement, et c'est pourquoi il était nécessaire de formule dès maintenant cette définition, qui ne devra jamais être ·p erdue de vue par la suite. Quant au sacerdoce, sa fonction essentielle est la conservation et la transmission de la doctrine traditionnelle. dans laquelle toute organisation sociale régulière trouve ses principes fondamentaux ; cette fonction, d'ailleurs, est évidemment indépendante de toutes les formes tzpéeiales que peut revêtir la doctrine pour s'adapter, dan11 son expre ion, aux conditions particulières de tel peuple ou de telle époque, et qui n'affectent en rien le fond même de cette doctrine, lequel demeure partout et toujours iden!iqu et immuable 8 lors qu'il s'agit de traditions authentiquement ort!hodoxe . n e t facile de comprendre que la fonction ~ aeerdoce n'e t pa préci ément celle que le conception occidentale aujourd hui surtout, altribuent au <


(1) On v rra d'ailleurs plus loin pourquoi la f orme religieuse propre·

._t dite e t pnrtieulière l 1'Oeeident.

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AUTORITÉ SPIRITUELLE

comme son nom l'indique, se rapporte, sans aucune restriction, à tout ce qui peut véritablement êtrt' dit « sacré ». La vraie fonction du sacerdoce est. donc, avant tout, une fonction de connaissance et d'enseignement (1), et c'est pourquoi, comme nous le disions plus h.1ut, son attribut propre est la sagesse ; assurément, certaineo au· tres fonctions plus extérieures, comme l'accomplissement des rites, lui appartiennent également. parce qu'elles re· quièrent la connais ance de la doctrine, en principe tout au moins, et participent du caractère « sacré >' qui est inhérent à celle-ci ; mais ces fonctiom; ne sont que secon· da ires, contingentes et en quelque sorte accidentelles (2). (1) C'est en raison de cette fonction d'enseignement que, dans le du Big- V 8da, le Br&bmanee aont représentés comme correspondant à la bouche de Pu.rusha, nvi agé comme 1' c Homme Universel ~, tandis quo le K hatriyas corre.pond nt à ses bras, paree que leura fonctions se rapport nt es entieJlement à l'action. (2) Parfoi , 1'exercice des fonctions intellectuelle d'une part et rituelt' de 1 autre a. donné nai nee, dans le sacerdoce même, à deux divùùons ; on en trouve un exemple très net au Thibet : c La première des deux grandes di vi ions comprend ceux qui préconisent 1'obse.rvation des pr6eeptes moraux et de règles monastiques comme moyen de salut ; la seconde en lobe tous ceux qui préfèr nt une métb,Jde purement intellectuelle (appelée c voie dir ete ::.) , affranchissant celui qui la suit de toutes loi.s, quellt•s qu'elle soient. Il s'en faut qu'une cloison parfaitement étanche "pare les adhérent de ces deux systèmes. Bien rares sont les religieux atta.ch au premier qui ne reconnai ent pas que la vie vertueuse et la discipline dea ob ervances mona tique , tout eellentes et, en bien dea cas, in di pen ables qu'elles soient ne eon tituent pourtant qu'une simple préparation à one voie supérieure. Quant aux partisans du second système, tous, sans exception , croient pleinement aux effets bienfaisants d'une stricte fidélité aux lois morales et à celles qui sont spécialement édietéca pour le membre du angha (communauté bouddhique). De plus, toua au i sont unanimes à déclarer que la pr mière dea deux méthodes est la plus recommandable pour la. majorité dea individus :. (Alexandra Davi~ Neel, Le Tlaibet my t~U8, dans la .Bet~ue tù PCJril, 15 février 1928). Nous avons tenu à reproduire textuellement ee paaaage, bien qne certaines dea expressions qui y sont employées appellent quelques réserves : ainsi, il n '1 a pas là deux c systèmes ~, qui, comme tels, s'excluraient forcément ; maie le rôle de moyens contingent qui est celui dea rites et des observan· ca de toutes aortes et leur subordination par rapport à la voie purement

Purus~sflkta

LE SACERDOCE ET LA ROYAUTÉ

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Si, dans le monde occidental, l'accessoire semble ici être devenu la fonction principale, sinon même unique, c'est que la nature réelle du sacerdoce y est à peu près complètement oubliée ; c'est là un des effets de la déviation moderne, négatrice de l'intellectualité (1), et qui, si elle n'a pu faire disparaître tout enseignement doctrinal, l'a du moins « minimisé » et rejeté au dernier plan. Qu'il n'en ait pas toujours été ainsi, le mot même de «clergé» en fournit la preuve, car, originairement, << clerc >> ne signifie pas autre chose qt!e « savant >> (2), et il s'oppose à « laïque >>, qui désigne l'homme du peuple c'est-à·dire du << vulgaire >>, a similé à l'ignorant ou au « profane », à qui on ne peut demander que de croire .ce qu'il n'est pas capable de comprendre, parce que c'est là le seul moyen de le faire participer à la tradition dans la mesure de ses possibilité (3). Jil est même curieux de noter que intellectuelle y sont définis très nettement, et d'une façon qui. d autre part, est exactement conforme aux en ignements de la doctrine hindoue tur le même sujet. (1) Nous penson qu'il est presque superflu de rappeler que nous prenons toujours ce mot dans Je sen où il se rapporte à 1'intelligence pure et l la connaissance supra-rationnelle. · (2) Ce n'est pas qu'il soit légitime d étendre la ignification du mot c clere :. comme 1 a fait M. Julien Benda dans son livre, Lo Trahi... ~ d6s Clercs, car cette exten ion implique la mé onnai sance d'une d1stinetion fondamrntale, celle même de la < connaissance sacrée > et du c savoir profane > ; la spiritualité et 1'intellectualité n'ont certainement pu le même sens pour M. Benda que pour nous, et il fait entrer dans le domaine qu'il qualüle de spirituel bien des choses qui, à nos yeux, sont d'ordre purement temporel et humain, ce qui ne doit pas, d'ailleurs, nous empêcher de reconnaître qu'il y a dans son Ji ne des considérations fort intêressantes et justes à bien des 6ga.rds. . (3) La distinction qui est faite dans le Oatholicisme entre 1' < Eglise eueignante ::. et 1' < Eglise enseignée ::. devrait être précisément une distinetion: entre < ceux qui savent ::. et < ceux qui croient > ; elle est cela en principe, mais dans 1'état présent des choses, 1'est-elle encore en fait f Nous nous bornons à poser la question, car ce n'est pas à nous qu'il appa~ tient de la résoudre, et d'ailleurs nous n len avons pas les moyens ; en eflet, si bien des indicea noua font craindre que la réponse ne doive être n'sative, nous. ne prétendons pourtant pas avoir une connaissance CJ.Mnplète

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AUTOBJTÉ SPIRITUELLE

les gens qui, à notre époque, se font gloire de se dire « laïques », tout aussi bien que ceux qui se plaisent à intituler « agnostiques », et d'ailleurs ce sont souvent le mêmefi, ne font en cela que se vanter de leur propre ignorance ; et, pour oqu~ils ne se rendent pas compte que tel est le sens des étiquettes dont ils se parent, il faut que cette ignorance soit en effet bien grande et vraiment irrémédiable. Si le sacerdoce est, par essence, le dépositaire de la connaissance traditionnelle, ce n'est pas à dire' qu'il en a·it le monopole, puisque sa mission est, non ~eulement de la conserver intégralement, mais aussi de la commu· niquer à tous ceux qui sont aptes à la recevoir, de la distribuer en quelque sorte hiérarchiquement suivant la capacité intellectuelle de chacun. Toute connaissance de ce~ ordre a donc a source dans l'enseignement sacerdo· tai qui est l'organe de sa transmission régulièr-e ; et ce qui apparaît comme plus particulièrement réservé au a er doce, en rai on de on caractère d-e pure intel Jec· tualité e t la parli supérieure de la doctrine, c'e t· à-dire la connai sance des principe m "me tantli que le dé el~ppement de c rtaines applications convi nt mieux aux aptitude. d autr homm , que leur fonc· {ion propr mettent en contact direct et con tant avec 1 monde manifesté, c' t-à-dir-e avec le domaine auquel sc rapportent ces applications. C'est pourquoi nous oyon dan l'Inde, par exemple, que certaines branches s condaire de la doctrine ont été étudiée plus spéciale· ment par les Kshatriyas, tandis que les Brâhmanes n'y attachent qu'une importance très relative, leur attention d l 'organiAA tion a taelle de 1'Eglise eatholiqae, et nous ne poavons qu ' xprim r Ir BOU hait qu'il existe eneore, dana son intérieur, un centre où se coneerv int~ement, non seulement la c lettre », m&b l' c esprit :. dP la doct ri n tra&tionnelle.

LE SACERDOCE ET LA ROYAUTÉ

étant sans cesse fixée sor l'ordre des principes traDseentfants et immuables, dont tout le reste n'est que ce~ quences accidentelles, ou, si l'on prend les choses en &eJK inverse, sur le but suprême par rapport auquel -toul le reste n'est que moyens contingents et subordonnés (1). JI. existe même des livres traditionnels qui sont particulièrement destinés à l'usage des Kshatriyas, parce qu'ils présentent d~ aspects doètrinaux adapté à leur nature propre (2) ; il y a des « scien{:es traditionnelles ~ qai conviennent surtout aux Kshatriyas, tandis que la métaphysique pure est l'apanage des Brâhmanes (3 ). D n'y a là rien que de parfait~ment légitime, car ces applicatioDS ou adaptations font aussi partie de la connaissance a. crée envisagée dans son intégralité, et d'ailleurs, bien que la caste sacerdotale ne s'y intéresse pas directement pour son propre comp~e, elles sont néanmoins sOJt œuvre, puisqu'elle seule est qualifiée pour en contrôler la parfaite conformité avec les principes. Seulement, iJ peut arriver que les K.shatriyas, quand ils entrent en révolte contre l'au.orité spirituelle, méconnaissent le (1) Nous avons d6jà u ailleur 1'occasion de signaler un eas auqaël •'applique ee que nous disons ici : tandis que les Brâhmanes ee sont toajoura attachés à peu près exclusivement, du moins pour leur usage pereoanel, l la réalisation immédiate d~> la c D livrance ::. finale, les Kshatriyu ont dmlopp6 de préféren e 1 étud de états conditionnés t transitoins qui correspondent aux divers tades des deux c voies du monde mauifeat4S », appelées d~11CLy8na t pitri-ydna (L~Homme et MtleMr 1eloa le Yld4nttJ, 3• 6dition, eh. XXI). (2) Tel est, dans 1'Inde, le cas des ItWuistJ8 et des Pvr4Mo~, tancJia que l't1tude du V8dtJ concerne proprement les BrAhmanes, paree que c'elt Il le principe de toute la connaissance sacrée ; on verra d 'ailleun pl• loin que la distinction des objets d'étude eenvenant aux deux eutea ~ ~d, d'une façon générale, l celle dea deux parties de la tradition q.I. daU la doctrine hindoue, sont appel6ea Shrutt et Bmrtt•. , __ (3) Noua parlons toujours dos Brlhma.n<'a et des Kshatriyaa pm a.. IIQI' euemble ; a 'il y a des exeeptiona individuelles, eUes ne portent aeue atteinte au principe même des eaatea, et elles prouvent IMNlement cz!~pplleation de ee principe ne peut être qu 'approximatin, ~artout a.. ..,. CIOilclitiou qui 10nt eeUea dJI Ktll'-Yt~gtJ.

•on

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AUTORITÉ SPIBITUELLE

caractère relatif et subordonné de ces connaissances, qil'en même temps ils les considèrent comme leur bien propre et nient les avoir reçues des Brâhmanes, et qu'enfin ils aillent même jusqu'à lee prétendre supé· rieures à celles qui sont la ·pOflsession exclusive de ces derniers. Ce qui résulte de là, c'est, dans les conceptions des Kshatriy.as révoltés, le renversement des rapports normaux entre les principes et leurs applications, ou même parfois, dans les cas les plus extrêmes, .la négation pure et simple d~ tout principe transcendant ; c'est donc, dans tous les ca , la suh titution de la << physique » à la « métaphysique », en entendant ces mots dans leur sen rigoureusement étymologique, ou, en d'autres termes, ce qu'on peut appeler le « naturalisme », ainsi qu'on le verra mieux encore par la suite (1). De cette distinction, dans la connaissance sacrée ou traditionnelle de deux ordres que l'on peut, d'une ma· nière générale, désigner co~ celui des principes et eelui des applications, ou encore, suivant ce que nous venons de dire comme l'o~dre «métaphysique» et l'ordre « phy ique· » était déri ée dans les mystère6 antiques, en Occident a us 'i hien qu en Orient, la distinction ~e ce qu'on appelait les « grands mystères » ~t les « petits mystères >>, ceux-ci comportant en effet essentiellement la connai sance de ]a nature, et ceux-là la connaissance de ce qui est au delà de la nature (2). Cette même .dis(1) Bien que nous parlions iei de Brlhmanes t de Kshatriye.s, parce qne 1'emploi de ces mots facilite grandement 1 expre88ion des choses dont il 1 'agit, il· doit tro bien entendu que tout ee que nous disons iei ne a 'applique pas uniquement ~ J'Inde ; et la même remarque vaudra toutes lee foie que noua emploierons aiDai ce mêmes termes aa.ns nous référer upre884Sment ~ la forme traditionnelle hindoue ; noua noue expliquerons d'ailleurs plus complètement l~·de88us un peu phu loiD. (2) un point de vue un peu différent, mais nMn.moin.s étroitement lh1 ~ eelui.l~, on peut dire auBSi que lee c petits mystères :. eoneement leUlement lee possibilités de 1'état homain, tandis que les c grands IDJ'S·

LE SACERDOCE ET LA ROYAUTÉ

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tiuction correspondait précisément à oelle de l' « initia· ·on sacerdotale » et de l' « initiation royale », c'est· à-dire que les connaissances qui étaient enseignées dans cee deux sortes de mystères étaient celles qui étaient regardées comme nécessaires à l' exerè~ce des fonctions respectives des Brâhmanes et des Kshatriyas, ou de ce qui était l'équivalent de ces deux castes dans les institu· tioDS des divers peuples (1) ; mais, hien entendu, c'est le sacerdoce qui, en vertu de sa fonction d'enseignemen~ conférait également les deux initiations, et qui assurait ainsi la légitimité effectiv~, non seulement de ses propres membres, mais aussi de ceux de la caste à laquelle appar· tenait le pouvoir temporel ; et c'est de là, comme nous le errons, que procède le << droit divin » des rois (2). S'il tkee :. concernent les êtats supra-humains ; par la réalisation de ces pos-

libiliU. ou de ces états, ils conduisent respectivement au c Pa:radia terfiltre :. et au c Paradis céleste ), ainsi que le dit Dante dans un texte du IN JlonGrchta que noua citerons plus loin ; et il ne faut pas oublier .que, eomme Je même Dante 1'indique assez clairement dana sa DWme ComUt.e, comme nous aurona

~ncore

1'oceasion de le redire par la suite, le

c Paradis terrestre :. ne doit être considéré, en réalité, que comme une

Mape 10r la voie qui mène au c Paradis céleste ,, (1) Dana 1'ancienne Egypte, dont la constitution était nettement th6ocratique :., il semble que Je roi ait été considéré comme 888imilé tl Ja cute sacerdotale par le fait de son initiation aux mystères, et que mime il ait été pria pa.rfois parmi les membres de cette caste ; e 'est du moiu ce qu'affirme Plutarque : c Les rois étaient choisis parmi les prêou parmi les guerriers1 pa.rce que ces deux claaaes, 1'une en raison de 1011. courage, 1'autre en vertu de sa sagesse, jouissaient d'une estime et a'aDe considération particulières. Quand le roi était tire de la classe des perrierB, il entrait dès son élection dans la classe des prêtres ; il était Illon initié tl cette philosophie oà tant de ehoaes, sous des formules et dea ~Qthea qui enveloppaient d'une apparence obscure la vérité et la manifeat par transparence, étaient eac.bées :. (lli8 et Oriris, 9, traduction Ma· rlo Meunier). On remarquera que la fin de ce p888age contient 1'indiea.tlœ tJia explicite du double sena du mot c révélation , (cf. Le Bot du OliM, p. 38) . . (1) D faut ajouter que, dana 1'Inde, la troisième caste, celle des :atahJN, dont les foneti~ propres sont celles de 1'ordre économique, admi8e &U88i à une initiation lui donnant . droit aux quali1leationa, lui aont ainsi communes avec les deux premières, d '4ryo ou c Boble :. c1e dajo ou c deux fois né :. i les connaiaaances qui lui con~DD811t

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AUTORITÉ SPŒITUELLE

est ainsi, c'est que la possession des « grands mystères )) implique, a fortiori et comme « par surcroît », celle des « petits mystères » ; comme toute conséquence et toute application est contenue dans le principe dolll elle procède, la fonction supérieure comporte « éminemment » les possibilités des fonctions inférieures (1) ; il en est nécessairement ainsi dans toute hiérarchie véritable, c'est-à-dire fondée ur la nature même des êtres.. D est encore un point que nous devons signaler ici~ aa moins sommairement et sans y insister outre mesure : à côté des expressions d' · << initiation sacerdotale » et d' «initiation royale>>, et pour ainsi dire parallèlement on rencontre aussi celles d' « art sacerdotal » et d' « art royal », qui désignent la mise en œuvre des connaissances enseignées dans les initiations correspondantes, avec tout l'ensemble des « techniques » relevant de leurs domaines respectifs (2). Ces désignations se sont ·conservées longtemps dans les anciennes corporations, el la seconde, celle d' « art royal », a même eu nn destiD assez singUlier, car elle s'est transmise jusqu'à la Maçonnerie moderne, dans laquelle, cela va sans dire, elle ne e'D

ap6cialement ne représentent d'ailleurs, en principe tout au moins, qu ..._ portion restreinte des c petite myst res :. tel que noue venons de Jœ d61lnir ; mais nous n'avons pas à. insister sur ce point, puieque le IUjet de la présente étude ne comporte proprement que la considération des npporta dea deux premières castes. {1) On peut done dire que le pouvoir spirituel appartient c formelleJDeDt :. à. la eaate saeerdotaJe, tandis que le pouvoir temporel appari:itlat c 6millemment , à. cette mfime caste aaeerdotale et c formellement :. l la eute royale. C'est ainsi que, d'après Aristote, les c formes :. supériealw contiennent c éminemment , les c formes , inf6rieurea. (S) D faut noter à. ee propos que, ehez lee Bomaina, Janus, qui Mait le dieu de 1'initiation aux m)'ltères. 6tait en m8me temps le diea a. Colle,ttl fobrorvm ; ee rapprochement est particulièrement signi1leatif u point de vue de la correspondance que nous indiquons iei. - Sur la ~ politiou par laquelle tout art. auai bien que toute Kienee, peut J"eC8fttir 1111e ftlev proprement c initiatique ~, voir L'B.otlrirrM tù ~ pp. lJ-15.

LE SACEBDOCE ET LA ROYAUTÉ

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_.],si.ste plus, ainsi que beaucoup d'autres termes et symJ.oles, que comme un vestige incompris du passé. Quant i la désignation d' « art sacerdotal >>, elle a entièrement dilparu ; cependant, elle convenait évidemment à l'art constructeurs des cathédrales du moyen âge, au âme titre qu'à celui des constructeurs des temples de fantiquilé ; mais il dut se produire ensuite une confu.ïcm des deux domaines, due à une perte au moins partielle de la tradition, conséquence elle-même des empiètements du temporel sur le spirituel ; et c'est ainsi que ., perdit jusqu'au nom de l' << art sacerdotal >>, sans tloute vers l'époque de la Renais ance, qui marque en effet, sous tous les rapports, la consommation de la rupture du monde occidental avec ses propres doctrines trattitionnelles (1 ) . (1) Certains fixent !-vee précision au milieu du XV• siècle la date de ee&le perte de l'ancienne tradition, qui entraîna la réorganisation, en 1459, ._ eonfréries de constructeurs sur une nouvelle base, désormais ineomJI)Me. n est à remarquer que c'est à partir de cette époque que les églieee 1 s bent d'être orientées régulièrement, et ce fait a, pour ce dont il s'agit. 11118 importance beaucoup plus considérable qu'on ne pourrait le penser l& "6re vue (cf .. Le Bot du. Monde, pp. 96 et 123·124).

CII!APITRE III CONNAISSANCE ET ACTION

ous avons dit plus haut que les rapports des deux pouvoirs spirituel et temporel doivent être dé~erminés par ceux de leurs domaines respectifs ; ramenée ainsi à son principe, la question nous paraît très simple, car elle n'est pas autre chose, au fond, que celle des rapports de la connaissance et de l'action. On pourrait objecter à cela que, d'après ce que nous venons d'exposer, les détenteurs du pouvoir tent· porel doivent aussi posséder normalement une certaine connaissance ; mais, ou~re qu'ils ne la possèdent pas par eux-mêmes et qu'ils la reçoivent de l'autorité spirituelle, cette connaissance ne porte que sur les applications de la doctrine, et non"sur les principes mêmes ; ce n'est donc, à proprement parler, qu'une connaissance par pariicipation. La connaissance paT excellence, la seule qui mérite véritablement ce nom dans la plénitude de son sens, c'est la connaissance des principes, indépen· damment de toute application contingente, et c'est cellelà qui appaTtient exclusivement à ceux qui possèdent l'autorité spirituelle, parce qu'il n'y a en elle rien qui relève de l'ordre temporel, même entendu dans son acception la plus large. Par contre, quand on passe aux applications, on se réfère à cet ordre temporel, parce

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AUTOIUTÉ SPIIUTUELLE

que la connaissance .n'est plus envi agée alors unique· ment en elle-même e~ pour elle-même, mais en tant qa•ene donne à l'action sa loi ; et c'est dans cette mesure q11'elle est nécessaire à ceux dont la fonction propre est aaentiellement du domaine de l'action. · · Il est éwdent que le pouvoir temporel, ·sous e.e diverses formes militaire, judiciaire, administrative, e t rau~ entier en gag · dall8 l action ; il est donc, par ses :;attributions mêm enfermé dans lee mêmes limites que crllc-ci, c'est-à-dire dan le limites d~ monde qu'on peut appeler proprement «humain», en comprenant d'ailleurs dans ce terme des possibilités beaucoup plus étendues que celles qu'on y envisage le plus habituelle· ment. An contraire, l'autorité spirituelle se fonde tout eutière sur la connaissan e, puisque, comme on 1 a vu, s fonction es cntielle t la conservation ei. l'enseigne· nœnt de la doctrine, et son domaine est illimité comme la vérité même (l) ; ce qui lui est réservé par la nature "nême des choses, ce qu'elle ne peut communiquer aux hmnmes dont: le fonction sont d'un autre ordre, et cela parce que leurs possibilité ne le comportent pas, c'est la eonnaissance transcendante et « suprême » (2), celle qui dépas~e le domaine « umain >> et même, plus géné· nlement, le monde manifesté, celle qui est, non plus > au sens étymologique de ce mo .. Il doit être bien compris qu'il ne s agit pas là d'un volonté de la caste sacerdotale de garder pour elie seule la connais-ance de certaines vérités, mais ~rune nécessité qui résulte directement fles différ.ences (1) Selon la do trine hindoue, les trois termes « Vérité, Connaisaance, Wni ~ sont identifiés dans le Prilocipe suprême : c est le sens de la forttAIIc &styam Jndn<Jm ~nantam Brrahma. (2) Dans J'Inde la connaiQsance (t>idy4) est, selon son objet ou son lomaine, distinguée en c '.lprêmc ,... (par4) et c non-suprême :. (aparâ).

CONNAISSANCE ET ACTION

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de nature existant entre les êtres, différences qui, nous l'avons déjà dit, sont la raison d'être et le ·fondement de la distinction des castes. Les hommes qui sont faits pour 1 action ne sont pas faits pour la pure connaissan· ce, et, dans une société constituée sur des bases vraiment traditionnelles, chacun doit remplir la fonction pour laquelle il est réellement « qualifié » ; autrement, tout n'est que confusion et déeordre, nulle fonction n'est remplie comme elle devrait 1 êtr-e, et c'est précisément ce qui se produit à.I époque ac~uelle. Noua savons hien que, en raison de cette confusion même, les considérations que nous expoeons ici ne peuvent que paraître fort étranges dans le monde occidental moderne, où ce qu'on appelle <<spirituel» n'a le plu ouvent qu un rapport hien loin:ain avec le point de vue tricteru~nt doctrina-l et avec la connaissance dégagée de toutes le contingences. On peut même, à ce sujet, faire une observation assez curieuse : on ne se contente plus aujourd hui de distinguer le spirituel et le temporel comme il est légitime et même nécessaire de le faire, mais on a la pré~ention de les séparer radicalement ; et il'se trouve justement que les deux ordres n'ont jamais été mêlés comme ils le sont présentement, et que, surtout, les préoccupations temporelles n'ont jamais autant affecté ce qui devrait en être absolument indépendant ; sans doute est-il inévitable qu'il en oit ain i en raison des condi~ione mêmes qui ont celle de notre époque, et que nous avons décrites ailleurs. Aussi devon -nous, pour éviter toute fau se interprétation, déclaTer nettement que ce que nom disons ici ne concerne que ce que nous appelion~ plm haut l'autorité spirituelle à l'état pur, et qu il faudrait hien se garder den chercher des exemples au~our de nou . On pourra même, si l'on veut, penser qu'il ne s'agit là que -d'un typ~

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AUTORITÉ SPIRITUELLE

théorique et en quelque sorte « idéal », quoique, à vrai dire, cette façon d'envisager les choses ne soit pas entièrement la nôtre ; nous reconnaissons bien qu'en fait, dans les applications historiques, il faut toujours tenir compte des contingences dans une certaine mesure, maie nous ne prenons cependant la· civilisation de l'Occident moderne que pour ce qu'elle est, c'est-à-dire pour une déviation et une anomalie, qui s'explique d'ailleurs par sa correspondance avec la dernière phase du Kali-Yuga. Mais revenons aux rapports de la cvnnaissance et de l'action ; nous avons eu déjà l'occasion de traiter cette question avec un certain développement (1), et, par conséquent, nous ne répéterons pas ici tout ce que nous avons dit alors ; maia il eet cependant indispensable de rappeler tout au moins les points les plue essentiels. Nous avons considéré l'antithèse de l'Orient et de l'Occident, dans l'état présent des chokls, comme pouvant en somme ae ramener à ceci : l'Orient maintient la supériorité de la connaissance sur l'action, tandis que l'Occident moderne affirme au contraire la supériorité de l'action sur ·la connaissance, quand il ne va pas jusqu'à la négation complète de celle-ci ; nous disons l'Occident moderne seulement, car il en fut tout autrement dans l'antiquité et au moyen âge. Toutes les doctrines traditionnelles, qu'ellres soient orientales ou occidentales, sont unanimes à affirmer la supériorité et même la transcendance de la connaissance par rapport à l'action, à l'égard de laquelle elle joue en quelque sorte le rôle du « moteur immobile» d'Aristote, ce qui, hien entendu, ne veut pas dire que l'action n'ait pa aussi sa pl&'œ légitime et son importance dans son ordre, mais cet ordre n'est que celui des contingences humaines. Le changement ·serait impos{1) LG

Cril~

du Mcmde moderne, ch. Ill.

CONNAISSANCE ET ACTION

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sible sans un principe dont il procède et qui, par là même qu'il est son principe, ne peut lui être soumis, donc est forcément « immobile », étant le centre de la « roue des choses » (1) ; de même, l'action, qui appar· tient au monde du changement, ne peut avoir son prin· cipe en elle-même ; toute la réalité dont elle e8t susœp· tihle, elle la tire d'un principe qui est au delà de son domaine, et qui ne peut e trouver que dans la connaissance. Celle-ci seule, en effet, pe~et de sortir du monde du changement ou du << devenir » et des limitations qui lui sont inhérentes, et, lorsqu'elle atteint l'immuable, ce qui est Je cas de la connai sance principielle ou méta· physique qui est la connai sance par e cellence (2), elle possède eUe-même l'immutabilité, car toute connaissance vraie est essentiellement ~dentificaQon av~c son objet. L'autorité spirituelle, par là même qu'elle implique cette connaissance, possède aussi en elle-même l'immutabilité; le pouvoir temporel, au contraire, est soumis à toute les vicissitudes du contingent et du transitoire, à moins qu'un principe supérieur ne lui communique, dans la mesure compatible avec sa nature èt son caractère, la stabilité qu'il ne peut avoir par ses propres moyens. Ce principe ne peut être que celui qui est représenté par l'autorité sp~rituelle ; le pouvoir temporel a donc besoin, pour subsister, d'une consécration qui lui vienne de celle-ci ; c'est cette consécration qui fait sa légitimité, c'est-à-dire ea conformité à l'ordre même des choses. (1) Le centre immobile est 1'ima.ge du principe immuable, le mouve. ment 6tant pris ici pour symboliser le changement en général, dont il n'est qu 'une espèce particulière. (2) Par contre, la connaissance c physique :. n'est que la connais· aance dea loia du changement, lois qui sont seUlement le reflet des prinei· pes transcendants dans la. nature ; celle-ci tout entière n'est pas autre chose que le domaine du changement ; d'ailleurs, le latin 'Mfwo et le gree ~uatç expriment 1'un et 1'autre 1'idée de c devenir :..

AUTORITÉ SPIRITUELLE

Telle était la raison d'être de l'« initiation royale», que 1 nous avons définie au chapitre précédent ; et c'est en O]ela que consiste proprement le ~ droit divin » des rois. ou ce que la tradition extrême-orientale appelle le « mandat du Ciel » : c est l'exercice du pouvoir temporel en vertu d'une délégation de l'autorité spirituelle, à laquelle ce pouvoir appartient « éminemment », ainsi que nous l'expliquions alors (1). Toute action qui ne procède pas de la connais ance manque de principe et n'est plus qu'une vaine agitation ; de même, tout pouvoir tempord qui méconnaît sa subordination vis-à-vis de l'autorité spirituelle est pareillement vain et illu oire ; séparé de son principe, il ne pourra s'exercer que d'une façon désordonnée et ira fatalement à sa perte. Puisque nous veDOns de parler du << mandat du Ciel », il .ne sera pas hors de propos de rapporter ici comment, d'après Confucius lui-même, ·ce mandat devait être accompli : << Les anciens princes, pour faire briller les vertus naturelles dans le cœur de tous les homme , sappliquaient auparavant à bien gouverner èhacun sa principauté. Pour bien gouverner leurs prineipautés, ils mettaien t auparavant le bon ordre dans Jeurs famillœ. Pour mettre le bon ordre dans leurs familles, ils travaillaient auparavant à se perfectionner eux-mêmes. Pour se perfectionner eux-mêmes, il réglaient auparavant les mouvement de 1 u~ cœur:. Pour régler les mouvements de leurs cœur , ils rendaient auparavant leur volonté parfaite. Pour rendre leur volonté parfaite, ils développaient leurs connai ances le plu po ible. On dév~ loppe ses connai sances en scrutant la nature des choses. La nature des choses une foiS scrutée, les connaissances atteignent leur plus haut degr~. Les connais1

(1) C 'e t pourquoi le mot melek, qui signifie < roi :. en hébreu et en ru~me temps, et même tout d 'ab01d le sens d ' < ei1Voyé :..

arabe, a en

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eanœs étant anivées à leur plus haut degré, la volonté cbment parfaite. La volonté étant parfaite, les mouvements du oœur sont ré~és. Les mouvements du oœur étant réglés, tout l'homme est exempt de défauts. Après s'être corrigé soi-même, on établit l'ordre dans la famille. L'ordre régnant dans la famille, •la principauté e t bien puvemée. La principauté étant hien gouvernée, bientôt tout l'empire jouit de la paix » {l). On devra reconnaître qu'il y a là une conception du rôle du souverain qui diffère singulièrement de l'idée qu'on peut s'en faire dans l'Occident moderne, et qui le rend d'ailleurs autrement difficile à remplir, mais lui donne au si une tout autre portée ; et l'on remarquera particulièrement qilf' la connaissance est expressément indiquée comme la condition première de l'établis ement de l'ordre,.même dana; le domaine temporel. est facile de compr-endre maintenant que le renv~r­ sement des rapports de la connaissance et de l'action, daM une civilisation, est une conséquence de l'u urpation de la suprématie par le pouvoir temporel ~ celui-ci, en effet, doit alors prétendre qu'ü n'y a aucun domaine qui soit supérieur au 6Ïen, lequel est précisément ce!ui de l'action. Cependant, si les choses en resrent là, elles ne vont pas encore- jusqu'au point où nous les voyons actuellement, et où toute valeur est déniée à la connaissance ; pour qu'il en soit ainsi, il faut que les Kshatriyas eux-mêmes aient été dépoesédés de leur pouvoir par le"S castes inférieures (2). En effet, comme nous l'indiquions

n

(1) To-Mo, 1" partie, traduction du P. Couvrcll1'. (S) En particulier, le fait d '4Leeorder une importance prépond6rante

aux eonaidérationa d'ordre konomique, qui est un caractère très frappant de notre époque, peut être regard6 comme un signe d& la domination dea Vaiahyaa, dont 1'6quivalent approximatif est représeDU dans le monde occidental par Ji bourgeoisie ; et e 'est bien celle-ci qui domine en effet depW. la B6tolution.

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.AUTORITÉ SPIIUTUELLE

précédemment, les Kshatriyas, même révoltés, ont plutôt tendance à affirmer une doctrine tronquée, fau88ée par l'ignoranœ ou la négation de tout ce qui dépasse l'ordre «physique», mais dans laquelle subsistent encore cer· taines connaissances réelles, quoique inférieures ; ils peuvent même avoir la prétention de faire passer cette doctrine incomplète et irréguHère pour l'expression de la veritable tradition. n y a là une attitude qui, hien que condamnable au regard de la vérité, n'est pas dépourvue encore d'une certaine grandeur (1) ; d'ailleUI'8, des termes comme ceux de « noblesse », d'« héroïsme », d'« honneur >>, ne sont-ils pas dans leur acception. ori· ginelle, la désignation des qualités qui sont essentiellement inhérentes à la nature des Kshatriyas ? Par contre, quand les éléments correspondant aux fonctions sociales d'un ordre inférieur arrivent à dominer à leur tour, toute doctrine traditionnelle, même mutilée ou altérée, disparaît entièrement ; il ne subsiste plus même le moin· dre vestige de la «science sacrée», et c'est le règne du «savoir profane», c'est-à-dire de l'ignorance qui se prend pour science et se complaît dans son néant. Tout ~ela pourrait se résumer en ces quelques mots : la suprématie des Brâhmanes maintient l'orthodoxie doctrinale ; la révolte de Kshatriyas amène l'hétérodoxie ; mais, avec la domination des castes inférieures, c'est la nuit intellectuell et c'est là qu'en est aujourd'hui l'Occident, qui menac d ailleurs de ré~andre see propres ténèbres sur le monde entier. (1) Cette attitude des Kshatriyas r'voltés pourrait être earaeUI'i* assez exactement par la dœignation de c lucifêrianisme l', qui ne doit pu être confondu avee le c: satanisme l' , bien qu'il y ait sana doute et~tre 1'un et 1'autre une certaine connexion : le c luciférianiame li' est le refus de reeonnaissanoo d'une autorit supérieure ; le c: aatanisme ::. est Je nmveraement des rapports normaux et de 1'ordre hiérarchique ; et celui-ci est souvent une conséquence de celui-là, comme Lucifer est devenu Satan après sa ehote.

CONNAISSANCE ET ACTION

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On nous reprochera peut-être de parler comme s'il y avait dea castes partout, et d'étendre indûment à toute organisation ilociale des dénominations qui ne conviennent proprement qu'à celle de ['Inde ; et pourtant, puisque ces dénominations désignent en somme des fonctions qui se retrouvent nécessairement dans toute société, nous ne pensons pas que cette extension soit abusive. TI est vrai que la caste n'est paa seulement une fonction, qu'elle est aussi, et avant tout, ce qui, dans la nature des individus humains, les rend aptes à remplir cette fonc· tion de préférence à toute autre ; mais ces différences de nature et d'aptitudes existent aussi partout où il y a des hommes. La différence entre une société où il y a des castes, au vrai sens du mot, et celle où il n'y en a pae, c'est que, dans la première, il y a une correspondance normale entre la nature des individus et les fon'ctions tjtt'ils exercent, sous la seule réserve des erreurs d'apph· cation qui ne sont en tout cas que des exceptions, tandis que, dans la seconde, cette correspondance n'existe pas, ou, du moins, ne se rencontre qu'accidentellement ; et ce dernie~ cas est celui qui se produit quand l'organisation 'sociale manque de hase traditionnelle (l). Dans les cal! normaux, il y a ..toujours quelque chose de comparable à l'institution des castes, avec les modification., requises par les conditions propres à tel ou tel peuple ; mais l'organisation que nous trouvons dans l'Inde est œlle qui représente le type le plus complet, en tant qu'appli· cation de la doctrine métaphysique à l'ordre humain, et cette seule rai on suffirait en somme à justifier le langage que nou avons adopté, de préférence à tout autre que (1) n est à peine besoin de faire remarquer que les c cl8.88 s :. so· ciales, telles qu'on les entend aujourd'hui en Occident, n'ont rien de commun avee les v6ritables castes et n'en sont tout au plus qu'une sorte de contrefaçon sans valeur ni portoo, n 'êtant nullement fondées sur la différence des possibilités impliqnooa dans la nature des individus.

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AUTO:ârrÉ SPIIUTUELLE

nous aurions pu emprunter à des institutions ayant, par leur forme plus spécialisée, un champ d'application .beaucoup plus limité, et, par conséquent, ne pouvant fournir les mêmes possibilités pour l'expression de cel'· taines vérités d'ordre tout à fait général (1). y a d'ailleurs encore une autre raison, qui, pour être plus con· tin gente, n'est pas négligeable, et qui est œlle-ci : il est très remarquable que l'organisation sociale du moyen âge occidental ait été calquée exactement sur la division des castes, le clergé correspondant aux Brâhmanes, la noblesse aux Kshatriyas, le tiers-état aux Vaishyas, et les serfs aux Shûdras ; ce n'éiaient pas des castes dans toute l'acception du mot, mais cette coïncidence, qui n'a assurément rien de fortuit, n'en permet pas moins d'effectuer très facilement une transpo i.ion de termes pour passer de l'un à l'autre de ces deux cas ; et cette remarque trouvera son application dans . les exemples historiques que nous auron à envisager par la suite.

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(1} La raison pour laquelle il en est ainsi, e 'est que la doetrine hin· douo est, parmi les doctrines tl11.ditionnelles ayant subsiat~ jusqu 'l not jours, celle qui parait dériver le plus directement de la tradition primor· diale ; maie .e 'est Il un point sur lequel none n'avons pas à inaister ici.

CHAPITRE IV ~

NATURE RESPECTIVE DES BRAHMANES ET DES KSHATRIYAS

t\GESSE et force, els sont les attributs respectifs des Brâhmanes et de K hatriyas, ou, si l'on pré· fère, de l'autorité 6pirituelle et du pouvoir temporel ; et il est intéressant de noter que, chez les anciens Egyptiens, le symbole du Sphinx, dan un de ses signi· fi.cations, réunissait préci ément ces deux attributs envisagé s ivant leurs rapports normaux. En effet, .Ja tête humaine peut être considérée comme figurant la sagesse, et le corp de lion la force ; la tête e t 'autorité epirituelle qui dirige, et 1 corp est le pouvoir temporel qui agit. II e~ t d'ailleurs à remarquer que le Sphinx est toujours figuré au repos, le pouvoir tempor 1 étant pris ici à l'état « non-agi ant >> dan on principe spiriluel où il est contenu « éminemment », donc eulem nt en tant que po ihilité d'action, ou, mieux encore, dans le principe divin qui unifie le pirituel et le temporel, étant au delà de leur di tinction, et étant la source oommnne dont ils procèdent tous deux, mais le premier directement, et le second indirectement et par ·l 'intermédiaire do premier. Nous trouvons ailleurs un ymhole verbal qui, par sa constitution hiéroglyphique, est un exact équivalent de oelui-là : c'est le nom des Druides, qui se

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AUTORITÉ SPIRITUELLE

lit dru-vid, où la première racine signifie la force, et la sec.onde la sagesse (1) ; et la réunion des deux attributs dans ce nom, comme celle d~ deux éléments du Sphinx dans un seo} et même être, outre qu'elle marque que la royauté est' implicitement contenue dans le sacerdoce, est sans doute un souvenir de l'époque lointaine où les deux pouvoirs étaient encore unis, à l'état d'indistinction primordiale, dans leur principe commun et suprême (2). A ce principe suprême des deux pouvoirs, nous avons déjà consacré une étude spéciale (3) ; nous avons in di· qué alors comment, de visible qu il était tout d abord, il était devenu invisible et caché, se retirant du «monde extérieur>> à mesure que celui-ci s'éloignait de son état primordial, êe qui de ait néces airement amener la division apparente des deux pouvoirs. Noua avons montré aussi comm.ént ce principe se retrouv dé igné sous dea noms et des symbole diver , dans toutes les traditions, èt collliJlent il apparaît notamment dans la tradition judéo-chrétienne sou les figures de Melchissédec et· des Roi~S-Mages. Nous rappellerons seulement que, dans le Christiani me, la reconnaissance de ce principe unique suhsi te toujour au moins théoriquement, et s'affirme par la considération des deux fonctions sacerdotale et (1) Ce nom & d'ailleurs nn double sens, qui se réfère encore t. nn &utre symbolisme : dru ou deru, comme le latin robur, désigne la fois la force et le chêno (en grec ~puç) ; d'autre part, tlid est, comme en sans. erit, la sagesse on la connai88allce, e.asimilée à la. vision, mais e 'est aussi le gui ; ainsi, dru.-~ est le gui du cMne, qui était en effet Wl des prin· cipa.ux symboles du Druidisme, et il est en même temps 1'homme en qui réside la. sagesse appuyée sur la foree. De plus, la racine dru, eomme on le voit par les 1brmes sanscrites équivalentes dhru et dhri, comporte eneore 1'idée d9 stabilité, qui est d 'a.illcur un de sens du symbole do l'arbre en général et du chêne en partietdi r · et ee sens de stabilité eor· respond ici trè exactement à 1 attitude du pbinx au repos. (2) En Egypte, l'incorporation du roi au sacerdoce, que nous avons signalée plu haut d o.près Plutarque, était d 'ailleurs eomme nn vestige de eet ancien état da choses. (3) L e Bai du Mcmde.

BRAHMANES ET KSHATIUYAS

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royale comme inséparables l'une de l'autre dans la personne même du Christ. A un certain point de vue, d'ailleurs, ~es deux fonctions, rapportées ainsi à leur principe, peu ent être envisagée comme étant en quelque sorte complémentaires, et alor , bien que la seconde, à vrai dire, ait son principe immédiat dans la première, il y a pourtant entre elle , dans leur distinction même, une sorte de corrélation. En d autres termes, dès lors que le sacerdoce ne comporte pas, d'une façon habituelle, l'exercice effectif de la royauté, il faut que les représentan re pectif du acerdoce et de la royauté tirent leur pouvoir dune ourc commune, qui est « au delà des castes » ; la différence hiérarchique qui existe entre eux consi te en ce que le sacerdoce reçoit son pouvoir directement de cette sour~e, avec laquelle il est en contact immédiat par sa nature même, tandis que la royauté, en raison du caractère plus extérieur et proprement terrestre de sa fonction, ne peut en recevoir le sien que par l'intermédiaire du sacerdoce. Celui-ci, en effet, joue véritablement le rôle de « médiateur >> entre le Ciel et la Terre ; et ce n'est pas sans motif que la plénitude du sacerdoce a reçu, dans les traditions occidentales, le nom symbolique de «pontificat», car, ain i que le dit saint Bernard, «le Pontife, comme l'indique l'étymologie de son nom, est une sorte de pont entre Dieu et l'homme :-> (1). Si donc on veut remonter à l'origine (1) TrMt.atu.t de lloribw et Oflicio epifC()porum, lll, 9. - A ce propos, et en relation avec ce que nous avons déj~ indiqué au sujet du Sphinx, il e t à remarquer que celui-ci représente HCJrma'khù ou H ormG'khouU, le c Seigneur des deux horizons :., e 'est-~-dire le principe qui unit les deux mondes sensible et suprasensible, terrestre et céleste ; et e 'est une des rai ons pour lesquelle , aux premiers temps du Christianiame, il fut, en Egypte, regardé C()mme un symbole du Christ. Une autre raison de ce fait, e 'est que le Sphinx est, comme le griffon dont pa.rl& Dante, c: l'animal à deux natures >, représentant à ce titre l'union dea natures divine et humaine dans le Christ ; et on peut encore en trouvel'

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AUTOIU'I'É SPIJliTUELLB

première des deux pouvoirs sacerdotal et royal, c'est dans le « monde céleste >> qu'il faut la chercher ; ceci peut d'ailleurs s'entendre réellement et symboliquP.ment à la fois (1) ; mais cette question est de celles dont Je développement sortirait du cadre de la présente étude, e~ si nous en avons donné ce bref aperçu, c'est que nous ne pourrons nous dispenser, dans la suite, de faire par:fois allusion à cette source commune des deux pouvoirs. Pour revenir à ce qui a été ie point de départ de cette digression, il est évident que les attributs de sagestle et de force se rapportent respecaivement à la connaissance et à J'action ; d'autre ~art, dans l'Inde, il est dit encore, en connexion avec le même point de vue, que le Brihmane est le type des êtres stables, et que le Kshatriya est le type des êtres changeants (2) ; en d autres termes, dans l'ordre social, qui est d'ailleurs en parfaite corres· pondance avec l'ordre cosmique, le premier représente l'élément immuable, et le second l'élément mobile. Ici encore, 1 immutabilité est celle de la connai sance, qui est d'ailleurs figurée en iblement par la posture Îlnmoblle de l'homme en méditation ; la mobN.ité, de son côté, e t celle qui est inhérente à l'action, en rai on du carac· tère transitoire et momentané de ~lie-ci. Enfin, la nature propre du BI1âhmane et celle du Kshatriya se une tro· ième dans 1'aspect sous lequel il .figure, comme nous 1'avons dit l'union des deux pouvoirs pirituel et temporel, sacerdotal et royal, dan~ leur principe suprême. (1) D s'agit ici de la conception traditionnelle des c troï. mondes ~. que nous avons expliquée o.illeurs à diverses reprises : à ee point de ~e. la royauté correspond au c: monde terrestTe :., le sa.cerdoee au c monde intermédiaire ~, et leur principe commun au c: monde c6leste ~ ; mais il convient d'ajouter que, depuis que ee principe est devenu invisible aux hommes, Je sacerdoce représente aussi extérieonment le c monde c6leste ~. (2) L'ensemble de tous les êtres, divi&œ ain8i en stab1 et cha.ngeant , est déeigné en sanserit par le tenne eompos6 ltMt~tJt~t»-jtlngmna ; ainsi, tons, suivant leur nature, sont plincipalement en relation, eoit avec le Brlhmane, soit avec le Kah&triya.

BILUIIUNES ET KSHATBIYAS

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distinguent fondamentalement par la prédominance d'un ~ diHérent; comme nous l'avons expliqué ailleurs (1), fa doctrine hindoue envisage trois gunas, qualités consti· tutives des êtres dans tous· leurs états de manifestation : Mlltwa, la conformité à la pure essence de l'Etre univer· sel, qui est identifiée à la lumière intelligible ou à la connaissance, et représentée comme une tendance at~Cen· dante ; rajas, l'impulsion expansive, selon laquelle l'être se développe dans un certain état et, en quelque sorte, à un niveau déterminé de l'existence ; enfin, tamas, l'obscurité, assimilée à ~'ignorance, et représentée comme une tendance descendante. Les guna.s sont en parfait équilibre dans l'indifférenciation primordiale, et toute manifestation représente une rupture de cet équi· libre ; ces trois éléments sont dans tous les êtres, mais en des proportions diverses, qui déterminent les tendan· cee respectives de ces êtres. Dans la nature du Brâhmane, c'est sattwa qui prédomine, d'orientant ·vers les états supra-humains ; dans cel1e du Kshatriya, c'est rajœ, qui tend à la réalisation des possihiJlités oomprises daDB l'état humain (2). A la prédominance de sattwa correspond celle de l'intellectualité ; à la prédominance de rajm, celle de ce que nous pouvons, faute d'un meilleur terme, appdler la sentimentalité ; et c'est là encore une justifi· cation de ce que nous disions pi)us haut, que le Kehatriya n'est pas fait pour la pure connaissance : la voie qui lui convient est ·l a voie qu'on pourrait appeler <
l IGHIOCJ, le rouge l ~JM, le noir l t~ ; en vertu du rapport que ooua indiquons ici, les dcox premiê"res de ees couleun symbolisent auaai reepectiftment 1'autoriU spirituelle et le pouvoir temporel. - D est iDtMeuant de noter à ee propos, que 1' c orillam.me > dea rois de Franee &ait rouge ; ia substitution ulUrieure du blanc au rouge oomme couleur ro1&1e marque, en quelque aorte, 1'U8Urpation d'un dee attributs de 1'aatorit41 çirituelle. ·

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AUTOBJTÉ SPDUTUELLE

nelle », s'il est permis de se servir d'un tel mot pour rendre, assez imparfaitement d'ailleurs, le tenne sanscrit de bhakti, c'est-à-dire la voie qui prend pour point de départ un élément d'ordre émotü ; et, hien que cette voie se rencontre en dehors des formes proprement religieuses, le rôle de ·l 'élément émotif n'est nulle part aussi développé que dans celles-ci, où il affecte d'une teinte spéciale l'expression de la doctrine tout entière. Cette dernière remarque permet de se rendre compte de la véritable raison d'être de ces formes religieusee : elles conviennent particulièrement aux races dont les aptitudes sont, d'une façon générale, dirigées surtout du côté de 1 action, c'est-à-dire à celJes qui, envisagées ~ollectivement, ont en elles une prépondérance de l'élément « rajasique » qui caractérise la nature des Kshatriyas. Ce cas est celui du monde occidental, et c'est pourquoi, comme nous l'avons déjà signalé ailleurs (1), on dit dans l'Inde que, si l'Occident revenait à un état normal et possédait une organisation sociale régulière, on y trouverait beaucoup de Kshatriyas, mais peu de Bnâhmane ; c est au si pourquoi la religion, entendue dans son sens le plus strict, est une chose proprement occidentale. C'est encore ce qui explique qu'il ne semble pas y avoir, en Occident, d'autori~é spirituelle pure, ou que tout au moins il n'y en a pas qui s'affirme extérieurement comme telle, avec le caractères que nous avons précisés dans ce qui précède. L'adaptation religieuse, comme la constitution de toute autre forme traditionnelle, est cependant le fait d'une vérital;le autorité spirituelle, au sens le plus complet de ce mot ; et cette autorité, qui apparaît alors au dehors comme religieuse, peut aussi, en même temps, demeurer autre chose en (1) LG

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Jloncl~

moderm, p. 45 (2' édition).

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elle-même, tant qu'il y a dans son sein de vrais Bl.'lâhmanes, et nous entendons par là une élite intellectuelle qui garde la conscience de ce qui est au delà de toutes les formes particulières, c'est-à-dire de l'essence profonde de la tradition. Pour une tel·le élite, .la forme ne peut jouer qu'un rôle de « support», e .., d'autre part, elle fournit un moyen de faire participer à la tradition ceux qui n'ont pa'S accès à la pure intellectualité ; mais ces derniers, naturellement, ne voient rien au delà de la forme, leurs propres possibilités individuelles ne leur permettant pas d'aller plus 'loin, et, par conséquent, l'autorité spirituelle na pas à se montrer à eux sous un autre aspect que celui qui correspond à leur nature (1 ), hien que son enseignement, même extérieur, soit toujours inspiré de l'esprit de la doctrine supérieure (2). Seulement, il peut se faire aussi que, l'adaptation une fois réalisée, ceux qui sont les dépositaires de cette forme traditionnelle s'y trouvent enfermés eux-mêmes par la suite, ayant perdu la conscience effective de ce qui est au delà ; cela peut d'ailleurs être dû à des circonstance:& diverses, et surtout au « mélange des castes >>, en raison duquel il peut arriver. à se trouver parmi eux des hommes qui, en réalité, sont pour la plupart des Lhatriyas ; il est facile de comprendre, par ce que nous venons de dire, que ce cas soit possible principalement en Occident, d'autant plus que 'l a forme religieuse peut s'y prêter tout particulièrement. En effet, la combinaison d'éléments intellectuels et sentimentaux qui caractérise oette forme crée une sorte de domaine mixte, où la (l) On dit symboliquement que les dieux, lorsqu 'ila apparaissent aux ummee, revêtent toujours dea formes qui sont en rapport avec la nature

même de ceux à qui ils se manifestent. (2) D s'agit encore ici de la distinction, que nous avons déjà indiqde plua haut, de c ceux qui savent , et de c ceux qui croient ,,

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connaissance est envisagée beaucoup moins en elle-même que dans son application à l'action ; si la distinction entre l'<< initiation s~erdotale »et l'« initiation royale>> n'est pas maintenue d'~e façon très nette et très rigou· reuse, on a alors un terrain intermédiaire où peuvent se produire toutes sortes de confusions, sans parler de certains conftits qui ne seraient même pas concevables si .Je pouvoir temporel avait en face de lui une autori::é spirituelle pure (1). Nous n avons pas à rechercher ici quelle est, des deux possibilités que noll8 venons d indiquer, celle à laquelle correspond actuellement l'état religieux du monde occi· dental, et la raison en est facile à comprendre : une autorité religieuse ne peut pas avoir l'apparence de ce que nous appelons une autorité spirituelle pure, même · si elle en a in&érieurement la réalité ; cette r.éalité, il y a eu oertainement un temps où elle l'a possédée, mais la possède-t-elle encore effectivement (2) ? Ce serait d'autant plus difficile à dire que, quand l'intellectualité véritable est perdue aussi complètement qu'elle l'est à l'époque moderne, il est naturel que la partie supérieure (1) IA connaissance c suprême :. étant oubliée, il ne subai.te pins alors qu une connaissance c non-suprême :., non plus du fait d'une revolte dee Kahatri;ru comme dana le eaa que noWI atona envisagé préœdemment, maïa par une aorte de dégén6reecence intellectuelle de 1'élément qui eo~ pond aux Brlhmanea par aa fonction. sinon par sa nature ; dans ce der· aier cas, la tradition n'est paa altérée comme dana 1'autre, mais aeulement diminuée dana sa partie supérieure ; le dernier dep de cette d6g6D6reseence est celui oà il n'y a plus aucune eonnaiaanee effective, oll la mtuali~ eea1e de eette connaiBBanee subaï.te grAee ~ la eonaervation de la c lettre :., et oà il n 'y a plus qne simple croyance chez toua indjstinc· teillent. D faut ajouter que lee deux ea& que DOU8 84parons iei théoriquement peu1'ellt auAi 18 combiner n fait, ou tout au moins ee produire coneurremment dana un même milieu et, pour ainsi dire, 18 conditionner rieiproquement ; maia peu importe, car, sur ee point, noua n'entendons faire aueUJl8 application ~ dee faits déterminés. (2) Cette question correspond, 80tll une autre forme, l celle que noua poeiou plua haut au Rjet de 1' c Eglile eueignante :. et de 1' c EgliJe eueignée ,_

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et << intérieure » de la tradition devienne de plus en plus cachée et inaccessible, puisque,ceux qui sont capa· bles de la comprendre ne sont plus qu'une infime minorité ; nous voulons, jusqu'à preuve du contraire, adntettre qu il puisse en être ainsi et que la conscience de la tradition intégrale, avec tout ce qu'elle implique, subsiste encore effectivement chez quelques-uns, si peu nombreux soient·ils. D'ailleur , même si cette conscience avait entièrement disparu, id n'en res2erait pas moins que toute forme traditionnelle régulièrement constituée. p9.la seule conservatien de la « lettre >> à l'abri de toute altération, maintient toujours la possibilité de sa re ·tauration, qui se produira s'il se rencontre quelque jonr, parmi les représentants de cette forme traditionnelle, des hommes possédant les aptitudes inteUectueJles rcqui· ses. En tout cas, si même, par des moyens quelconques, nous avion à cet égard des données plus précises, nous n aurions pas à les exposer publiquement, à moins d'y être amené par des circ()nstances exceptionneilles, et voici pourquoi :une autorité qui n'est que religieuse est pour· tant encore, dans le cas le plus défavorable, une autorité spirituelle relative ; nous voulons &re que, sans être une autorité spirituelle pleinement effoective, elle en porte en elle la virtualité, qu'eUe tient de son oripine, et, par là même, elle peut toujours en remplir la fonction à l'extérieur {1) ; elle en joue donc légitimement le rôle {1) Il faut bien remarquer que ceux qui rempliseeut ainsi la fonction extc!rieure des Brâhmanes, sans en avoir r6e1Jement les quali1lcatwna, ne aont point pour cela des usurpateurs, comme le aeraient dee Xabatriyaa révoltés qui auraient pris la place des BrAhmanes pour instaurer une tra· dition déviée ; il ne s'agit là, en effet, que d'une situation d'Q_e aux condi· ti ons défavorables d'un certain milieu, et qui 888\lre d'ailleurs le maintien de la doctrine dans toute la mesure compatible avec ces eondit.Wna. Oll pourrait toujours, même dans 1'hypothè e la plus flcheuee, appliquer ici eette pa.role de l'Evangile : c Les scribes et les pharisiens sont asais dana la c!Jaire de Moise ; observez donc et faites tout ce qu'ils voua dieent ~ esc Ma.ttlatev, xxm. 2·S).

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vis-à-vis du pouvoir temporel, et elle doit être véritablement considérée co~e telle dans ses rapports avec celui-ci. Ceux qui auront compris notre point de vue pourront sans difficulté se rendre compte que, en ca3 de conflit entre une autorité spirituelle quelle qu'elle soit, même relative, et un pouvoir purement temporel, nous devons toujours nous placer en principe du côté de l'au• torité spirituelle ; nous disons en principe, car il doit être hien entendu que nou n avons pas la moindre intention d'intervenir activement dans de tels conflits, ni surtout de prendre une pan quelconque aux querelles du monde occidental, ce qui, d'ailleurs, ne serait nullement dans notre rôle. Nous ne ferons donc pas, dans les exemples que nous aurons à envisager par la suite, de distinction entre ceux où il s'agit d'une autorité spirituelle pure et ceux où il peut ne s'agir que d'une autorité spirituelle relative ; nous considérerons comme autorité spirituelle, dans tous les cas, celle qui en remplit ocialement la fonction ; et d'ailleurs les similitudes frappantes que présentent tous dea cas, si éloignés qu'ils puissent être les uns des autres dans l'histoire, justifieront suffisamment cette assimilation. Nous n'aurions de distinction à faire que si laques· tion de la possession effective de la pure intellectualité venait à se poser, et, en fait, elle ne se pose pas ici ; de même, pour ce qui est d'une autorité attachée exclusive· ment à une certaine forme traditionnelle, nous n'aurions à nous préoccuper de délimiter exactement ses frontières, si l'on peut s'exprimer ainsi, que pour les cas où elle prétendrait les dépasser, et ces cas ne sont point de ceux que nous avons à examiner présentement. Sur ce dernier point, nous rappellerons ce que nous disions plus haut : le supérieur contient << éminemment >> l'inférieur ; celui qui est compétent dans certaines limites, dé-

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finissant son domaine propre, l'est donc aussi a fortiori pour tout ce qui est en deçà de ces mêmes limitee, tandis que, par contre, il ne l'est plus pour ce qui .est au delà ; si cette règle très simple, au moins pour qui a une juste notion de la hiérarchie, était observée et appliquée comme il convient, aucune confusion de domaines et aucune erreur de « juridiction », pour ainsi parler, ne se produirait jamais. Certains ne verront sans doute, dans les distinctions et les réserves que nous venons de formuler, que des précautions d'une utilité assez contestable, et d'autres seront tentés de ne leur attribuer tout au plus qu'une valeur purement théorique ; mais nous pensons qu'il en est d'autres encore qui comprendront que, en réalité, elles sont tout autre chose que cela, et nous inviterons ces derniers à y réfléchir avec une attention toute particulière.

CHAPITRE V DËPENDANCE DE LA ROY.A.UT* A L'ÊG.A.RD DU SACERDOCE

maintenant aux rapports des Bnîbmanea et des Kshatriyas djins l'organisation sociale de l'Inde : aux Kshatriyas appartient normalement toute la puissance extérieure, puisque le domaine de l'ac· tion, qui est celui qui les concerne di.r~tement, c'est le monde extérieur et sensible; mais cette puiBsance n'est rien sans un principe intérieur, purement spirituel, qu'incarne l'autorité des Brâhmanes, et dans lequel etle trouve sa seule garantie réelle. On voit ici que le rapport des detix pouvoirs pourrait encore être · représenté comme celui de l' « intérieur » et de l' « extérieur >>, rapport qui, en effet, symbolise bien celui de la connaissance et de l'action, ou, si l'on veut, du <<moteur» et du << mobile >> pour reprendre l'idée que nous avons expo· sée plus haut, en nous référant du reste à la· théorie aris· totéJicienne au si hien qu'à la doctrine hindoue (1). C'est de l'harmonie entre cet « intérieur » et cet « extérieur >>, harmonie qui d'ailleurs ne doit nullement être conçue comme une sorte de << paralléliame >>, car ce serait là méconnaître les différences eseentielles des deux

R

EVENONS

(1) On pourrait auui appliquer ici, comme noua le faiaiona alon, l'image du centre et de la elrconférence de la c roue des ehoeet :..

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AUTORITÉ SPIRITUELLE

domaines, c'est de cette harmonie, disons-nous, que résulte la vie normale de ce qu on peut appeler l'entité so· ciale, sans vouloir suggérer par l'emploi d'une telle expression une assimilation quelconque de la collectivité à un être vivant, d'autant plus que, de nos jours, cer· tains ont étrangement abusé de cette assimilation, prenant à tort pour une identité véritable ce qui n est qu'analogie et correspondance (1). En échange de la garantie que donne à leur puissance l'autorité spiritueHe, les Kshatriyas doivent, à l'aide de la force dont ils disposent, assurer aux Brâhmanes le moyen d'accomplir en paix, à 1 abri du troùble et de l'agitation, leur propre fonction de connaissance et d'en· seignement ; c'est ce que le symbolisme hindou représente sou la figure de Skanda, le Seigneur de la guerre, protégeant la méditation de Ganêsha, le Seigneur de la connaissance (2). ll y a lieu de noter que la même chose était enseignée, même extérieurement, au moyen âge occidental ; en effet, saint Thomas d'Aquin déclare expressément que toutes les fonctions humaines sont subordonnées à la contemplation comme à une fin supé(1) L'être vivant a en lui-même son principe d unité, supérieur ~ la multiplicité des éléments qui entrent dans sa constitution ; il n'y a rien de tel dana la collectivité, qui n'est proprement paa autre chose que la aom.me des individus qui la composent ; p&r suite, un mot comme celui d' « organisation :., quand il en appliqué ~ 1'un et à 1'autre ne ~t en toute rigueur être pris dans le même sens.. On peut cependant dire que la présence d'une autorité spirituelle introduit dana la société un principe supérieur aux individus, puisque cette autorit~. par sa nature et son origine, est elle-même « supra-individuelle :. ; m&ia ceci suppose que la aociété n'est paa envisagée seulement sous son aspeet temporel, et cette eonaidération, la seule qui puisse en faire quelque chose de plua qu'une aimple collectivité au sens que nou! ven.ons de dire, est préci ément de celles qui échappent le plus complètement aux sociologues contempora.iu qui prétendent identifier la société à un être vivant. (2) Genêsha et Skanda sont d'ailleurs représentés comme frères, étant 1 'un et 1'autre 6.la de Shiva ; e 'est lt. encore une façon d'exprimer que les deux pouvoirs spirituel et temporel procèdent d'un principe unique.

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rieure, « de sorte que, à les considérer comme il faut, toutes semblent au service de ceux qui contemplent la vérité », et que le gouvernement tout entier de la vie civi:le a, au fond, pour véritable raison d'être d'assurer la paix nécessaire à cette contemplation. On voit combien œla est loin du point de vue moderne, et on voit aussi par là que la prédominance de la tendance à l'action, telle qu elle existe incontestablement chez les peu· ples occidentaux, n'entraîne pas nécessairement la dépréciation de 1a contemplation, c'est-à-dire de la connais· sance, du moins tant que ces peuples possèdent une civilisation ayant un caractère traditionnel, quelle que soit d'ailleurs la forme qu'y revêt la tradition, et qui était ici une forme religieuse, d'où la nuance théologique qui, dans la conception de saint Thomas, s'attache toujours à la contemplation, tandis que, en Orient, ceUe-ci est envisagée dans l'ordre de la métaphysique pure. D'autre part, dan~S la doctrine hindoue et dans l'orga· :nisation sociale qui en est l'application, donc chez un peuple où les aptitudes coutemplatives, entendues cette fois dans un sens de pure intell~tualité, sont manifeste· ment prépondérantes et sont même généralement développées à un degré qui ne se retrouve peut-être nulle part ailleurs, la place qui est faite aux Kshatriyas, et par conséquent à l'action, tout en étant subordonnée comme elle doit l'être normalement, est néanmoins fort ioin d'être négligeable, pui8qu'elle comprend tout ce qu'on peut appeler le pouvoir apparent. D'ailleurs, comme nous l'avons déjà signalé en une autre occasion (1), ceux qui, sous l'influence des interprétations erronées qui ont cours en Occident, douteraient de cette importance très réelle, quoique relative, accordée à l'action par la doc· (1) La Cri8e du M(Jnde 1nodorne, p. 47 (2• éditi on).

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trine hindoue, au88Î bien que par toutes les autres doctrines traditionnelles, n'auraient, pour s'en convaincre. qu'à se reporter à la Bhagavad-G~ qui, il ne faut pas l'oublier si l'on veut en bien compren&e le sens, est un de ~es ·Uvres qui sont spécialement destinés à l'usage des Kshatriyas et auxquels nous faisions allusion pin& haut (1). Les Brâhmanes n'ont à exercer qu'une autorité en quelque :wrte invisible, qui, comme td.le, peut être ignorée du vulgaire, mais qui n'en est pas moins le prin· cipe immédiat de tout pouvoir isible ; cette autorité est comme le pivot autour duquel tournent toutes les choses contingente , l axe fixe autour duquel le monde accomplit sa révolution, le pôle ou le centre immuable qui dirige et règle le mouv-ement cosmique sans y participer (2). La dépendance du pouvoir temporel à l'égard de l'autorité spirituelle a son signe visible dans le saore des rois : ceux-ci ne sont réellement « -légitimés » que lors· qu'ils ont reçu du sacerdoce l'investiture et la consécration impliquant la transmission d'une « influence spirituelle » nécessaire à 1 exercice régulier de leurs fonc(1) La. Bbaga1Jad-GU4 n'est ~ proprem nt pa.rler qu'un épi&ode du MaMbMrata, qui est un des deux IWad.sM, l'a.uhe 6tant le lllimdyano. Ce ca.ra.etère de la. Bhaga1Jad-Gft4 explique l'usa.ge qui y est fait d'un symbolisme guerrier, compara.ble, à eert8Îlls éga.rds, à celui de la. c: gu rre !lainte ~ chM lee Mu.sulma.na i il y e. d 'ailleur~ une f~n c: int6ri ure , de lire ce livre en lui donne.nt son sens profond, et il prend e.lors le nom d'A tm4-Grt4. (2) L 'e.xe et le pôle sont e.vant tout des symboles du priJlcipe unique des deux pouvoirs, comme nous l'a.vons expliqué da.ns notre étude sur L~ B~ d-.. Monde i maie cee symboles peuvent e.uasi être e.ppliquês ~ 1'e.utoritê spirituelle relativement e.u pouvoir temporel, comme nous le faiaona ici, p&ree que cette autorité. en raison de son e.ttribn' eeaentiel de connaissuce, a effectivement pe.rt ~ l'immutabilité du principe suprême, qui est ee que eea symboles expriment fond.ament&lement, et &.UBSi paree que, comme noua le disions plue he.ut, elle repr6aente directement ce princiJ;?e par re.pport au monde extêrieur.

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tions (1). Cette influence se manifestait parfois au dehors par des effets nettement sensibles, et nous en citerons comme exemple le pouvoir de guérison des rois de France, qui était en effet attaché directement au sacre ; elle n'é:ait pas transmi e au roi par son prédéc seur, mai il la recevait seulement par le fait du sacre. Cela montre bien que cette influ nee n'appartient p~s en propre au roi, mais qu'elle lui e t conférée par une sorte de délégation de l'au~.orité spirituell , délégation en laquelle, comme nou :J 'indiquion déjà plu haut, consiste proprement le « droit divin » ; le roi n'en est donc qu le dépositaire, et, par suite, il p ut la perdre dans certains cas ; c'est pourquoi, dans la « Chrétienté » du moyen âge, le Pape pouvait délier les uj ts clc leur rm nt d fidélité enver leur ouverain (2). D ai'lleur , dans la tradition catholique, aiot Pierr e t repré enté tenan~ entre ses mains, non seulement la clef d'or du pouvoir sacerdotal mai aus i la 1 f d'argent du pouvoir royal ; ces deux clef étaient, chez les anciens Romains, un d s attributs de Janus, et eHe étaient alors les clefs des « grands mystères >> et de « petit my tères >>, qui, comme nous l'avons expliqué, correspondent aussi respectiv ment à l' « initiation acerdotale » et à l' « initiation roya'le » (3). Il faut remarqu r, à cet 'gard, que (1) Nous traduisons ptu < influence spirituel! :) Jo mot hébreu et &rabe ba.raka.h ; le rito de 11 c: imposition des mains > t un d s mod s les plu habituel de tran mission de la bœrakœh, t au. i d produ ti n do certains effets, de guérison notamm nt, au moyen de cell ·ci. (2) La tradition mu ulma.ne enseigne aussi que la. baral:ah p ut p r· dre ; d'autre part, dans la tradition extrême-orientale également, le c mandat du Ciel > est révocable lorsque Je souverain ne remplit pu régulièrement es fonctions, en. harmonie avec l'ordre cosmique lui·même. (3) C sont encore, suivant un · autre symbolism , l s efs de. portes du < Paradis céleste :) et du c Paradis terrestre :)1 comme on lo v rra p&r le texte de Dante que nous citerons plus loin ; mais il ne serait peut· 8tre paa opportun, pour le moment du moins, de donner certaines préci· aiona en quelque sorte c techniques , sur le c pouvoir des clefs ) 1 ni d'ex·

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Janus représente la source commune des deux pouvoirs, tandis que saint Pierre est proprement l'incarnation du pouvoir sacerdotal, auquel les deux clefs sont ainsi transférées parce que c'est par son intermédiaire qu'est transmis le p uvoir royal, tandis que lui-même est reçu directement de la source (1). Ce. qui vient d être dit définit les rapport normaux de l'aulorité spirituelle et du pouvoir temporel ; et, si ces rapports étaient partout et toujours observé , aucun conflit ne pourrait jamais s élever entre l'une et l'autre, chacun occupant ainsi la place qui doit lui revenir en vertu de la hiérarchie des fonctions et des êtres, hiérarchie quj, nous y in istons encore, est strictement conforme à la nature même des choses. Malheurewement, en fait, il est loin d'en être toujours ainsi, et ces relations normales ont été trop souvent méconnues et même renver ée ; à cet égard, i:l importe de noter tout d'abord que c'est déjà une grave erreur que de considérer simplement le spirituel et Je temporel comme deux termes corrélatifs ou complémentaires, sans se rendre compte que celui-ci a on principe dans celui.;là. Cette erreur peut être commise d'autant plus facilement que, pliquer diverses autres ho es qui s y rapportent plus ou moins directement. Si noua y fa.ison ici cette allusion, e 'est uniquement pour que ceux qui auraient quelque connaissance de ces choses voient bien qu'il a 'agit là, de notre part, d une réserve toute volontaire, à. laquelle noua ne sommes d'ailleurs tenu par aucun engagement vis-à-vis de qui que ce soit. (1) n y a eependant, en ce qui concerne la tranamission du pouvoir royal, quelques eas exceptionnels où, pour des raisons spéciales, il est conféré directement par dea représentants du pouvoir suprême, aource dea deux autres : c'est ainsi que les roia Saül et David furent consacrée, non par le Gra.nd-Prêtre, mais par le prophète Samuel. On pourra rapprocher ceci de ce que noua avons dit ailleura (Le Bot du Monde, eh. IV) sur le triple eara.ctère du Christ comme prophète, prêtre et roi, en rapport avee lee fonctions respectives des trois Boia-Magee, eorresponda.nt ellea·mêmee ' la division des c: trois mondes :. que noua rappelions dana une pr6e6· dente noto : la fonction c prophétique :., paree qu 'elle implique 1'inapirf.. tion direete, correspond proprement ao c: monde eéleete :..

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comme nous l'avons déjà indiqué, cette considération du complémentarisme a aussi sa raison d'être à un certain point de vue, du moins dans l'état de division des deux pouvoirs, où l'un n'a pas dans l'autre son principe su· prême et ultime, mais seulement son principe immédiat et encore relatif. Ainsi que nous l'avons fait remarquer ailleurs en ce qui concerne la oonnaissance et l'ac· tion (1 ), ce complémen~arisme n'est pas faux, mais seulement insuffisant, parce qu'il ne correspond qu'à un point de vue qui ~t encore extérieur, comme l'est d'ailleurs la division même des deux pouvoirs, nécessitée par un état du monde dans lequel le pouvoir unique et su· prême n'est plus à ~a portée de l'humanité ordinaire. On pourrait même dire que, lorsqu'ils se différencient, les deux pouvoirs se présentent d'abord forcément dans leur rapport normal de uhordination, et que leur conception comme corrélatifs ne peut apparaître que dam une phase ultérieure de la marche descendant~ du cycle historique ; à cette nouvelle phase se réfèrent plus particulièrement certaines expressions symboliques qui met· tent surtout en évidence l'aspect du complém'!ntarisme, hien qu'une interprétation correcte puisse y faire reconnaître encore une indication du rapport de subordination. Tel est notamment 1 apologue hien connu, mais peu compris en Occident, de l'aveugle et du paralytique, qui représente en effet, dans une de es principales significations, les rapports de la vie active et de la vie contem· plative : l'action livrée à elle-même est aveugle, et l'im· mutabilité essentielle de la connaissance se traduit au dehors par une immobilité comparable à oelle du paralytique. Le point de vue du complémentarisme est figuré par l'entr'aide des deux hommes, dont chacun supplée (1) La Ctti8e du Mo·nde mod m e, p. 44 (2• Mition).

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par ses propres facultés à ce qui manque à !':autre ; et, si .J'origine de cet apologue, ou tout au moins la considération plus spéciale de l'application qui en est faite ainsi (1), doit être rapportée au Confucianisme, il es~ facile de comprendre que celui-ci doit en effet se homer à ce point de vue, par là même qu'il e tient exclusivement dans l'ordre humain et social. Nous ferons même remarquer, à ce propos, que, en Chine, la distinction du Taoïsme, doctrine purement métaphy ique, et du Confuciani me, doctrine. sociale, procédant d ailleurs l'un et l'autre d'une même tradition intégrale qui représente leur principe commun, correspond très exactement à la distinction du pirituel et du temporel (2) ; et il faut ajou'er que 1 importance du « non-agir >> au point de vue du Taoï me ju tifie tout pécialement, pour qui 1 envisage de 1extérieur (3), le symho~me employé

ny

(1) a une autre application du m me apologue, non plus sociale, mais cosmologique, qui rencontre dans le doctrines de l'Inde, où elle appartient en propre au 4nkhytl : là Je paralytique e t Pur'U$ha, en tant qu immuable ou c nOn-ilgi sant :., et 1 av ugle e t Pra1crit,, dont la poten·

tialit6 indiff6reneiée s'identifie au..x ténèbre du chaos ; ce sont effectiv&ment deux principes complémentaire , en tant que pôle de la manife tation universelle, et ils procèdent d 'ailleur d un principe supérieur unique, qui est l'Etre pur, c'est-à-dire 1 hwara, dont la con idération d passe le point de vue spécial du Sankhya. Pour rattacher ootte interprétation ' celle que nous venons d'indiquer, il faut remarquer qu'on peut établir une correspondance analogique de la. contemplation ou de la connaissance avec Pulruthtl et de l'action avec Prakr"t' ; mai nou ne pouvons naturellement entrer ici dans 1'explication de ces deu.""t principes, et nou1 devons nous contenter d renvoyer à oo que nous avons expo é à oo sujet dans L'Homme et son. d tmir lon. le. Vêàdnta. (2) Cette diVision de la. tradition ~tttrême-orientale u d ux branches distinctes s'est accompli au VI• :iècle avant 1 ère chrétienne, époque dont nous avons eu ailleur l'occasion de signaler le caractère sp6cial (L<J Crise du Monde moderne, pp. 1 -21), et que, du re te, nous allons encore retrouver pa.r la suite. (3) NoU& disons de 1 xtérieur pe.roo que, au point d vu intérieur, le c non-agir :. est en r6alité 1'activité supr8me dans touto sa pMnitude ; mais, précisément en raison de son caractère total et absolu, ootte activité ne se montre pas au dehors comme les activités particulières, d6termin6es et relatives.

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dans l'apologue en question. Cependant, il faut hien prendre garde que, dans .J'association des deux hommes, c'est le paralytique qui joue le rôle directeur, et que sa position même, monté sur les épaules de l'aveugle, sym· holise la supériorité de la contemplation sur l'action, supériorité que ConfuCius lui-même était fort loin de contester en principe, comme en . témoigne le récit de son entrevue avec Lao-tseu, tel qu'il nous a été conservé par l'historien Sse-ma-tsien ; et il avouait qu'il n'était point « né à la connaissance », c'est-à-dire qu'il n'avait pas atteint la connaissance par excellence, qui est œHe de l'ordre métaphysique pur, et qui~ comme nous l'avons dit plus haut, appartient exclusivement, par sa nature même, aux détenteurs de ·la véritable autorité spiri· tuelle (1). Si donc c'.est une erreur d'envisager le spirituel et le temporel comme simplement corrélatifs, il en est une autre, plus grave enQOl'e, qui··consiste à prétendre subordonner le spirituel au temporel, c'est-à-dire en somme la connaissance à l'action ; cette erreur, qui renverse complètement les rapports normaux, correspond à la tendance qui est, d'une façon générale, celle de l'Occident moderne, et elle ne peut évidemment se prodnirc que dans une période de décadence intelledtudle très avancée. De nos jours, d'ailleurs, certains vont encore ptus loin dans ce sens, jusqu'à la négation de la valeur propre de la connaissance comme telle, et aussi, par une conséquence logique, car les deux choses sont êtroiie(1) On voit par 1~ qu'il n'Y a aucune opposition de principe entre le Taoïsme et le Confucianisme, qui ne sont point et ne peuvent pas être deux écoles rivo.les, puisque cho.epn a son domaine propre et nettement dilltinet ; s'il y eut cependant des luttes, parfois violentes, comme noua la,.voD8 signalé plus haut, elles furent dues surtout llo 1'incompréhension et l l'exclusivisme des Confucianistes, oublieux de l'exemple que leur mattre lui-m&ne leur avait donn6.

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ment solidaires, jusqu'à la négation pure et simple de toute autorité spirituelle ; oe dernier degré de dégéné· rescence, qui implique la domination des castes les plus inférieures, est un des signes caractéristiques de la phase finale du Kali-Y uga. Si nous considérons en particulier la religion, puisque c'est là la forme spéciale que prend le spirituel dans le monde occidental, 1e renversement des rapports peut s'exprimer de la façon suivante : au lieu de regarder l'ordre social tout entier comme dérivant de la rdligion, comme y étant suspendu en que~que sorte et ayant en elle son principe, ainsi qu'il en était dans la << Chrétienté » du moyen âge, et ainsi qu'il en est également dans l'Islam qui lui est fort comparable à cet égard, on ne veut aujourd'hui voir tout au plus dans la religion qu'un des éléments de l'ordre social, .un élé· ment parmi ~es autres et au même titre que les autres ; c'est l'asservissement du spirituel au temporel, ou 1uéme · l'absorption de celui-là dans celui-ci, en attendant la complète négation du spirituell qui en est l'abouti. sement inévitab'Ie. En -effet, envisager les choses de cette façon revient forcément à « humaniser » la religion, nous vou· lons dire à 'la traiter comme un fait purement hunaain, d'ordre social ou mieux « 6ociologique >> pour les uns, d'ordre plutôt psychologique pour les autres ; et alors, à vrai dire, ce n'est plus la religion, cal" celle-ci romporte essentiellement quelque chose de << supra-humain >>, faute de quoi nous ne sommes plus dans le domaine spi· rituell, le temporel et l'humain étant en réalité identiques au fond, suivant ce que nous avons expliqué précédem· ment ; c'est donc là une véritable négation implicite de la religion et du spirituel, quelles que puissent être les apparences, de telle sorte que la négation explicite ct avérée sera moins l'instauration d'un nouvel état de choses que 'l a reconnaissance d'un fait accompli. Ainsi, le

DÉPENDANCE DE LA ROYAUTÉ

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renversement des ra·p ports prépare directement la sup· pression du terme supérieur, il l'implique même déjà au moins virtuellement, de même que la révolte des K.shatriyas .contre l'autorité des Brâhmanes, comme nous allons le voir, prépare et appelle pour ainsi dire l'avènement des castes les plus inférieures ; et ceux qui auront suivi notre exposé jusqu'ici comprendront sans peine qu il y a dans ce rapprochement quelque chose de plus qu'une simple comparaison.

CHAPITRE VI LA RÉVOLTE DES KSHATRIY.A.S

presque tous les peu'ples, ·à des époques diver· ses, et de pius en plus fréquemment à mesure qu on s'approche de notre temps, les détenteurs du pouvoir temporel tentèrent, comme nous l'avons dit, de se rendre indépendants de toute autorité supérieure, prétendant ne tenir leur propre pouvoir que d'euxmêmes et séparer complètement le spirituel du temporel, sinon même soumettre celui-là à celui-ci. Dans cette « insuhordina'..ion >>, au sens étymdlogique du mot, il y a des degrés différents, dont les plus accentués sont aussi les plus récents, comme nous l'avons indiqué dans le chapitre précédent ; les choses ne sont jamais allées aussi loin en ce sens que dans l'épocwe moderne, et.surtout il ne semble pas que, antérieurement, les concep· tions qui v correspondent sous divers rapports se soient j~mais incorporées à la mentalité générale comme ellles l'ont fait au cours des derniers siècles. Nous pourrioDJ reprendre notammetrt, à ce propos, ce que nous avons déjà dit ailleurs sur l' « individualisme >> considéré comme carac~éristique du monde moderne (1) : la fonction de l'autorité spirituelle est la seule qui se rapporte

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(1) La Cri.se du Monde moderne, ch. V.

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AUTORITÉ SPlRITUELLE

à un domaine supra-individuel ; dès lors que cette autorité· est méconnue, il est logique que l'individualisme apparaisse aussitôt, au moins comme tendance, sinon comme affirmation hien définie (1), puisque toutes les autres fonctions sociales, à commencer par la fonction « gouvernementale » qui est celle du pouvoir temporel, sont d'ordre purement humain, et que l'individualisme ~t précisément la réduction de la civilisation tout entière aux seuls éléments humains. Il en est de même pour le « naturalisme », comme nous l'indiquions plus haut : l'autorité spirituelle, étant liée à la connaissance métaphysique et transcendante, a seule un caractère véritablement « surnaturel »; tout le reste est d'ordre naturel ou « physique », ainsi que nous le faisions remarquer en ce qui concerne le genre de connaissances qui est principalem~nt, dans une civilisation traditionnelle, l'apanage des Kshatriya . D ailleurs, individuali me et naturalisme sont a ez étroitement solidaires, car ils ne sont guère, au fond, que deux aspect que prend une seule et même chose selon qu'on l'envisage par rapport à l'homme ou par rapport au monde; et 1 on pourrait constater, d'une façon très générale, que l'apparition de doctrines << naturalistes » ou ,antimétaplhysiques se produit lorsqJie l'élément qui représente le pouvoir temporel prend, dans une civilisation, la prédominance sur celui qui représente i'autorité spirituelle (2). (1) Cette affirmation. quelque forme qn 'elle prenne, n'est d '&illenra en réalit6 qu'une n6gation plue ou moine diasi.mul6e, la n6gation de tout principe supérieur à 1'individualité. (2) Un autre fait curieux, quo noua ne pouvons que eignaler eu puant, est le rôle important que joue le plus souvent un 616ment f6minin, oo reprieent6 symboliquement comme tel, dana les doctrinea dea Kahatrlyaa, qu'il a 'agiue d '&illeure dea doctrines eonstitn6ea r6gulièrement pour leur uage ou de1 eoneeptiona h6t6rodoxea qu 'eux-mêmes font pr6valoir ; il est même à remarquer, à eet 6gard. que 1'existence d'un aaeerdoce f6minin. ehez certains peuples, apparaît eomme liée à. la domination de la eaate

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LA RÉVOLTE DES KSHAî'B.IYAS

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C'est ce qui arriva dans l'Inde même, lorsque les Kshatriyas, ne se contentant plus d'odcuper le second rang dans la hiérarchie des fonctions sociales, hien que ce second rang comportât 1'exercice de toute la puissance extérieure et visible, se révoltèrent contre l'autorité dea Brâhrnanes et voulurent s'affranchir de toute dépendance à leur égard. Ici, l'histoire apporte une éclatante confirmation à ce que. nous disions plus haut, que le pouvoir temporel se ruine lui-même en méconnaissant sa eubordination vis-à-vis de l'autorité spirituelle, parce que, comme tout ce qui appartient au monde du chansement, il ne peut se suffire à lui-même, le changement étant inconcevable et contradictoire sans un principe immuable. Toute conception qui nie l'immuable, en mettant l'être tout entier dans lJe « devenir», enferme en eUe-même un élément de contradiction; une telle conception est éminemment antimétaphysique, puisque le domaine métaphysique eet précisément celui de l'immuable, de ce qui est au déJà de la nature ou du « devenir »; et eUe pourrait aussi être appelée << temporelle », pour indiquer par là que son point de vue est exclu ivement celui de la succession; il faut d'ailleurs remarquer que l'emploi même de ce mot << temporel »,quand il s'applique au pouvoir qui est ainsi désigné, 18 pour raison d'être de signifier que oo pouvoir ne s'étend pas au delà de ce qui est engagé dans la succession, de ce qui est soumis au changement. Les modernes théories « évOlutionnistes », sous leurs diverses form , ne sont pas les seuls exemples de cette erreur qui consiste à mettre toute réalité dans le roerriêre. Ce fait peut s'expliquer, d'une part, par la pr6pondérance de 1'616ment c rajuique ~ et 6motif chez les Ksha.triyaa, et surtout, d'antre J&ri, par la correspondance do féminin, dana l'ordre eosmique, avec .Pnllmt' ou la. c Nature primordiale ,, prinei~e du c devenir , et de la \l\Utation temporelle.

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A.UTOBITÉ SPJlUTUELLE

« devenir », bien qu'elles y aient apporté une nuaœe spéciale par 'introduction de la récente idée de « pl"o· grès>> ; des théories de ce genre ont existé dès l'antiquité, notamment chez les Greœ, et ce cas fut aussi celui de certaines formes du Bouddhisme (1), que nous devons d'ailleurs regarder comme des formes dégénérées ou déviées, bien que, en Occident, on ait pris a'hahitude de les considérer comme représentant le « Bouddhisme originel ». En réalité, plus on étudie de près œ qu'il est p ible de avoir de celui-ci, plus il apparaît 'Comme différent de l'idée que s'en font généralement les orien· talistes ; notamment, il semble hien établi qu'il ne com· portait aucunement la négation de J•Atmâ ou du «Soi», c'est-à-dire du principe permanent et immuable de l'être, qui est précisément ce que nous· avons surtout en vue ici. Que cette négation ait été introduite ultérieurement dans certaines écoles du Bouddhisme indien par les Ksbatriyas révdltés ou sous leur inspiration, ou qu'ils aient seulement voulu l'utiliser pour aeurs fins propres, c'est ce que noll8 ne chercherons pas à décider, car cda importe peu au fond, et les conséqu~nces sont les mêmes dans tous les cas (2). On a pu voir en effet, par ce que nous avons exposé, le lien très direct qui existe entre la négation d tout principe immuable et celle de l'autorité (1) C'est pourquoi lee Bouddhiltes de eea 6eoles reçurent l'êpithête de e 'eat-l·dire c eeux qui soutiennent la diaaolubiliU de cette dissolubilité est, en somme, un équivalent de 1' c écoulement universel :. enseigné par certains c philoeophee physi· eiena , de la Grèce. (2) On ne peut invoquer, eontre ce que nous disons iei du Bouddhia· me originel et d'une déviation ulMrieore, le fait que Shlkya-Muni lui· même appartenait par a& nai888Jlce à la ea.ste des Kshatriyae, ea.r ee fait peut très légitimement a 'expliquer par les conditions sp6eialea d'une certaine époque, eonditioDI r6sultant des lois eyeliques. On peut du reste remarquer, à eet égard, que le Christ aussi descendait, non pu de la tribu acerdotale de Lévi, mail de la tribu royale de Juda.

.Ot'W-11~1aikcu, toutes· choses ~ ;

LA JlÉVOLTE DES KSBATRIYAS

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spirituelle, entre la réduction de toute réa'lité au << devenir » et l'ràffirmation de la suprématie des Kshatriyas; et il faut ajouter que, en soumettant l'être tout entier au changement, on le réduit par là même à l'individu, car ce qui permet de dépasser l'individualité, ce qui est transcendant par rapport ~ oolle-ci, œ ne peut être que le principe immuable de l'être ; on voit donc très nettement ici cette solidarité du naturalisme et de J'individualisme que nous signalions tout à l'heure (1 ). Mais- la révolte dépa-ssa son but, et les Kshatriyas ne furent pas maîtres d'arrêter, au point précis où ils auraient pu en tirer avantage, le mouvement qu'ils avaient ainsi déclanché ; ce furent les castes les plus inférieures qui en profitèrent en réalité, et cela se comprend aisément, car, une fois qu'on s'est engagé sur une telle pente, il est impossilile de ne pas la descendre jusqu'au bout. La négation de Œ'At1mâ n'était pas la seule qu'on eût introduite dans le Bouddhisme dévié ; il y avait aussi celle de la distinction des castes, ba-se de tout 1'ordre social traditionnel; et cette négation, dirigée tout d'abord QOntre les Br.âhmane ne devait pas tarder à se retourner contre les Kshatriyas eux-mêmes (2). En effet, dès lors que la hiérarchie est niée dans. son principe même, on ne voit pas comment une caste quelconque pourrait maintenir sa suprématie sur les autres, ni d'ailleurs au nom de quoi elle prétendrait l'imposer ; n'importe qui, (1) On pourrait noter encore que les thoories du c devenir ~ tendent usez naturellement à un certain c pMnom~nisme ;), bien que, d'ailleurs, le c phénoménisme ~ au sens le plus strict ne soit, à vra.i dire, qu'une choae toute moderne. (2) On ne peut dire que le Bouddha lui-même ait ni6 la distinction c1ee castes, mais eeulement qu'il n'avait pas à en tenir eompte, parce que ce qu'il avait r~llement en vue était la. constitution d'un ordre mouasti· que, l 1'int6ri8Ul' duquel cette distinction ne s'appliquait pas ; c'est seu· lement qnand on pr6tendit étendre oette absence de distinction à la eoeiét6 Gt6rieare qu'elle ae transforma en une v6ritable n6gation.

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AUTORITÉ SPIRITUELLE

dans ces conditions, peut estimer qu'il a autant de droits au pouvoir que tout autre, pour peu qu'il dispose mat~ riellement de la force nécessaire pour s'en emparer et ponr l'exercer en fait ; et, si ~e n'est qu'une simple question de force matérielle, n'est-il pas manifeste que celle-G doit se trouver au pins haut degré dans les éléments qui sont à la fois les plus nombreux et, par leura fonctions, les plus éloignés de toute préoccupation touchant, même indirectement, à la spiritualité ? Par la négation des castes, la porte était donc ouverte à tontes les usurpations ; aussi les h~mmes de la dernière caste, lea Shûdras, pouvaient eux-mêmes s'en prévaioir ; en fait, on vit parfois certains d'entre eux s'emparer 4k la royauté et, par une sorte de « choc en retour » qui était dans la logique des événements, déposséder les Kshatriyas du pouvoir qui leur avait appartenu tout d'abord légitimement, mais dont ils avaient pour ainsi dire détruit eux-mêmes ~a légitimité (1). (1) Un gouvernemènt dana lequel des hommes de easte intérieure le titTe et les fonctions de la royauté est ce que les aneiena Grees appelaient c tyrannie :. ; le sens primitif de ce mot est, eomme on le Yoit, aaaez 6loign6 de eeloi qu'il a pris ehez les modernes, qui 1'em· ploient plutôt eomme un 81110nyme de c despotisme :..

1 'attribuent

CHAPITRE VII LES USURPATIONS DE LA ROYAUTÉ ET LEURS CONSltQUENCES

dit parfois que l'histoire se répète, ce qui est faux, car il ne peut y avoir dans l'univers deux êtres ni deux événements qui soient rigoureusement semblables entre eux sous tous les rapports ; s'ils l'étaient, ils ne seraient plus deux, mais, ooincidant en tout, ils se confondraient purement et simplement, de sorte que ce ne serait qu'un seul et même être ou t_Jn seul et même événement (1). La répétition de possibilités identiques implique d'ailleurs une supposition contra· dictoire, celle d'une limitation de la possibilité univer· selle et totale, et, comme nous l'avons expliqué aiHeurs avec tous les développements nécessaires (2), c'est là ce qui permet de réfuter des théories comme œiaes de la « réincarnation » et du « retour éternel ». Mais uJJtè autre opinion qui n'est pas moins fausse est celle qui, à l'extrême opposé de celle-là, consiste à prétendre que les

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(1) C 'eet là. ce que Leibnitz n appel6 le c principe des in discerna.. bles :. ; comme nous avons déjà eu 1'ocea ion de 1'indiquer, Leibnitz, contrairement aux autres philosophes modernes, possédait quelques don· n6ea traditionnelles, fragmentaires d ailleurs et insuffisantes pour lui per· mettre de s 'atfranrhir de certaines limitations. (2) L'Erreur spirite, 2" partie, ch. VI.

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AUTOWTÉSP~

faits historiques sont entièrement diBBemhlahles, qu'il n'y a rien de commun entre eux ; la vérité est qu'il y a toujours à la fois des différences sous certains rapport& et des ressemblances sous d'autres rapports, et que, comme il y a de genres d êtr dans la nature, il y a également, dans ce domaine aussi hien que dans tous les autres, des genres de faits ; en d'autres termes, il y a des faits qui ont, dans des circonstancei diver es, des manifestations ou des expre sions d'une même loi. C est pourquoi l''On rencontre parfois des situations comparables, et qui, si 1 on néglige les différences pour ne retenir que les point de similitude, peuvent donner 1 illu ion d une répétition ; en réa1ité, il n'y .a jamais identité eui:re des périodes différentes de l'histoire, mais il y a correspondance et analogie, là comme entre les cycle cosmique ou entre les états multiples d'un être ; et, comme différen ts être peuvent pa er par de pha es comparables, ou la ré erve des modalités qui ont propre à la nature de chacun d'eux, il en est de même pour les peuple et pour les civilisations. Ainsi, comme nous l'a ons signalé plus haut, il y a, malgré de très grandes différences, une analogie incontesi: ahle, et qu on n a peut-être jamais assez remarquée, entre l'organi ation sociale de 1 Inde et celle du ~oyen âge occidental ; entre les castes de l'une et les ela es de l'autre, il n'y a qu une correspondance, non une identité, mais ~tte correspondance n'en est pas moins fort importante, parce qu elle peul! servir à montrer, avec une particulière netteté, que toute les institutions présentant un caractère véritablement traditionnel reposent sur les mêmes fondements na tu reis et ne diffèrent en somme que par une adaptation nécessaire à des circonstances diverses de temps et de lieu. n faut bien remarquer, d'ailleurs, que nous n'entendons nullement sugg&

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J...ES USURPATIONS DE LA ROYAUTÉ

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rer par là l'idée d'un emprunt que l'Europe, à cette époque, aurait fait directement à l'Inde, ce qui serait asses peu vraisemblable ; nous disons seulement qu'il y a là deux applications d'un même principe, et, au fond, cela seul importe, du moins au point de vue où nous noll8 plaçons présentemenL Nous réservons donc la question d'one origine commune, qu'on ne pourrait assurément trouver, en tous cas, qu'en remontant fort loin dans le passé ; cette question se rattacherait à celle de la filiation des différentes formes traditionnelles à partir de la grande tradition primordiale, et c'est là, on le comprendra sans peine., quelque chose d'extrêmement complexe. Si nous signalons cependant cette possihiHté, c'est parce que nous ne pensons pas que, en fait, des similitudes aussi préci es puissent s'expliquer d'une façon entièrement satisfaisante en dehors d'une transmission régulière et effeCtive, et aussi parce que nous rencontrons au moyen âge beaucoup d'autres indices concordants, qui montrent assez clairement qu'il y avait encore en Occident un lien conscient, au moins pour quelques-uns, avee le véritable << centr~ du monde », source unique de toutes les traditions orthodoxes, alors que, par contre, nous ne voyons plus rien de tel à l'époque moderne. En Europe, nous trouvon au i, d · le moyen âge, l'analogue de la révolte des Kshatriya ; nou le trouvons même plus particulièrement en France, où, à partir de Philippe le Bel, qui doit être con idéré comme un des principaux auteurs de la déviation caractéri tique de l'époque moderne, la royauté travailla presque constamment à se rendre indépendante de l'autorité spirituelle, tout en conservant cependant, par un singulier illogi rn«"', la marque extérieure de ea dépendance origineHe, puioque, comme nous l'avons expliqué, le sacre des rou n'était pas autre chose. Les «légistes »de Philippe le Bel 6

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AUTORITÉ SPIRITUELLE

Bont déjà, bien avant les « humanistes » de la Renaisnaissance, les véritables précurseurs dn « laïcisme » actuel ; et c'est à c~te époque, c'est-à-dire au début du ~ siècle, qu'il faut faire remonter en réalité ·l a rupture du monde occidental avec sa propre tradition. Pour des raisons qu'il serait trop long d exposer ici, et que nous avons d'ailleurs indiquée dans d'autres études (l), nous pensons que le point de départ de cette rupture fut marqué très nettement par la destruction de 1 Ordre du Temple ; nous rappellerons seulement que celui-ci constituait comme un lien entre l'Ori nt et 1 Occident et que, en Occident même, il était, par son double caractère religieux et guerrier, une sor~e de trait d union entre le spirituel et le temporel i même ce double caractère ne doit être interprété comme le signe d'une relation plus directe avec la source commune des deux pouvoirs (2). On sera peu~-être tenté d'objecter que cette destruction, si elle fut voulue par le roi de France, fut du moins réa· lisée d'accord avec la Papauté ; la vérité e t qu'elle fut imposée à la Papauté, ce qui e t tout différent ; et c'est ainsi que, renversant les rapports normaux, le pouvoir temporel oommença dès lors à se servir de l'autorité spirituelle pour ses fins de domination politique. On dira sans doute encore que le fait que cette autorité spirituelle se lai a ainsi subjuguer prouve qu'elle n'était déjà plus oe qu'elle aurait dû être, et que ses repré entanta n'avaient plus ;la pleine consdence de son caractère transcendant ; odla est vrai, et c est d'ailleurs ce qui (1) Voir notamment L'Esot~ àe DMt.te. (2) Voir à ce sujet notre étude sur S~t BerMrà ; nous y avons signalé que les deux caractères du moine et du chevalier se trouvaient réo· Dis en saint Bernard, auteur de la rè le de l'Ordre du Temple, q~alifié par lui de c milice de Dieu :., et pal' là s'explique le rôle, qu'il eut à jouer constamment de conciliateur et d 'arbitre entre le pouvoir religieux et le pouvoir politique.

LES USURPATIONS DE LA ROYAUT,É

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explique et justifie, à cette époque même, es invectives parfois violentes de Dante à leur égard ; mais il n'en reste pas moin que, vis-à-vis du pouvoir temporel, c'était malgré· tout l'autorité spirituelle, et que c'est d'elle qu'il tenait sa légitimité. Les représentants du pouvoir temporel ne sont pas, comme tels, qualifi~s pour reconnaître si l'autorité spirituelle correspondant à la forme traditionnelle· dont ils relèvent possède ou non la plénitude de sa réalité effective · ; ils en sont même inca.. pables par définition, puisque leur compétence est . limitée à un domaine inférieur ; quel~e que soit cette autorité, s'ils méconnaissent leur subordination à son égard, ils compromet.tent par là même leur légiti.mit~. n faut donc avoir hien soin de distinguer la question de r.e que peut être une autorité spirituelle en elle-même, à tel ou tel moment de son existence, et celle de ses rapports avec le pouvoir temporel ; la seconde est indépendante de la première, qui ne regarde que ceux qui exercent des fonctions d ordre sacerdotal ou qui seraient Jl.Orma·!e. ment qualifiés pour les exercer ; et, même si cette autorité, par la faute de ses repré ntants, avait entièrement perdu ·l' << esprit » de sa doctrine, la seule conservation du dépôt de la « lettre » et des formes extérieures dans lesquelles cette doctrine est contenue en quelque façon continuerait encore à lui assurer la puissance nécessaire et suffisante pour exercer valablement sa suprématie sur le temporel (1), car cette suprématie est attachée à l'es{1) Ce cas est comparable h celui d'un homme qui aurait reçu en h'ritage une caseette fermée contenant un tr~sor, et qui, ne pouvant 1'ouvrir, ignorerait la vraie nature de celui-ci ; cet homme n'en serait pas moins 1 'aut~entique possesaeur du trésor ; la perte de la clef ne lui en enlèverait pas la propriét~. et, si ccrtailles prérogatives extérieures étaient &ttaehées A cette propriété, il conserverait toujours le droit de les exercer; mais. d'autre part, •il est mdent que, en ce qui le concerne personnellement, il ne pourrait, dana ces conditions, a.voir effectivement la pleine jouiuanee de aon tr61oP.

n AUTOIUTÉ SPIIli'I'UELLB

sence même de l'autorité spirituelle et lui appartient tant qu'elle subsiste régulièremen~ si diminuée qu'elle puisse être en elle-même, la moindre parcelle de spiritus· lité é~t encore incomparablement supérieure à tout ce qui relève de 1'ordre temporel. D résulte de là que, tan· dis que l'autorité spirituelle peut et doit toujours contrôler le pouvoir temporel, elle-même ne peut être contrôlée par rien d'autre, du moins extérieurement (1) ; si choquante qo'une telle affirmation puisse paraître aux yeux de la plupart de nos contemporaiDs, nous n'hésitons pas à déclarer que ce n'est là que l'expression d'one vérité indéniable (2). Mais revenons à Philippe ~e Bel, qui nous fournit un exemple particulièremeut typique pour ce que nous nous proposons d'expliquer ici : il est à remarquer que Dante atTtribue comme mobile à ses actions la « cupidité » (3), (1) Cette réserve eonce~ le principe suprême du spirituel et du temporel, qui est a.u delà de toutes les formes particulières, et dont les repJ'Wotanta directs ont évidemment le droit de contrôle sur l'un et l'autre domaine ; maia 1'action de ce principe suprême, dans 1'état actuel du monde, ne s'exerce pas visiblement, de telle sorte qu'on peut dire que toute autorité spiritu :lie apparaît au dehors comme suprême, même si elle est seulement ce que nou avons appel6 plus haut une a.utorit6 spiri· tuelle relative, et mArne si, dans ce cas, elle a perdu la clef de la forme traditionnelle dont elle est chargée d'assurer la conservation. (2) n en est de même do 1, < infaillibilité pontificale ~. dont la proclamation a soulev6 tant de prote tations dues implement à. l 'incom· pr6henaion moderne, incompréhension qui, d'ailleurs, rendait son affirma· tion explicite et solennelle d 'e.utant ph18 in di pensable : un représentant authentique d'une doctrine traditionnelle est nécessairement infaillible quand il parle au nom de cette doctrine ; et il faut bien se rendre compte que cette infaillibilité est ainsi atte.chée, non à 1'individualité, mais à. la fonction. C'est ainsi qu dans l'Islam, tout mu.f" est infaillible en tant qu'interprète autorisé de la slwriyah, c 'est·à·dire de la l~ation basée nti llement ur la religion, quoique sa compétence ne 8 'étende pas à un ordr plus intérieur ; les Orientaux pourraient donc 8 'étonner, non pas que le Pape soit infaillible dans eon domaine, ce qui ne saurait faire pour eux la moindre difficulté, mais bien plutôt qu'il soit seul à. 1'être dans tout 1'Occident. (3) C est par là que s' xplique, non seulement la destruction de l'Ordre du Temp!e, mais a us i, plus visiblement encore, ce qu'on a appe16

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LES USURPATIONS DE LA ROYAUTÉ

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qui est un vice, non de Kshatriya, mais de Vaishya ; on pourrait dire que les K.shatriyas, dès qu'ils se mettent en état de révolte, se dégradent en quelque sorte et perdent leur caractère propre pour prendre celui d'une caste inférieure. On pourrait même ajouter que cette dégradation dGit inévitablement accompagner la perte de la légitimité : si les Kshatriyas sont, paT leur faute, déchus de leur droit normal à l'exercice du pouvoir temporel, c'est qu'ils ne sont pas de vrais Kshatriyas, nous voulons dire que leur nature n'.est plus telle qu'elle les rende aptes à remplir ce qui était leur fonction propre. Si le roi ne se contente plus d'être le premier des Kshatriyas, c'est-à-dire le chef de la noblesse, et de jouer le rôle « régulateur » qui lui appartient à ce titre, il perd ce qui fait sa raison d'être essentielle, et, en même temps, il se met en opposition avec cette noblesse dont il n'était que l'émanation et comme l'expression la plus achevée. C'est ainsi que nous voyons 1a royauté, pour << centraliser » et absorber en elle les pouvoirs qui appartiennent collectivanent à ~a noblesse tout entière, entrer en lutte avec celle-ci et travailler avec acharnement à la destruction de la féodalité, dont pourtant elle était issue ; elle ne pou· vait d'ailleurs le faire qu'en s'appuyant sur le tiers-état, qui correspond aux Vaishyas ; et c'est pourquoi nous l 'alWration des monnaies, et ees deux fe.its sont peut-être liés plus étroiteIUilt qu'on ne pourrait le supposer à première vue ; en tout eas, si les eontemporaina de Philippe le Bel lui drent un erime de eette alt6ration, D faut en eonclure que, en changeant de sa propre initiative le titre de la mollll&ie, il dép~t les droits reeonnus au pouvoir royal. D 1 & Il une indication qui est 'à retenir, ear cette question de 1& monnaie &vait, d&DJ 1'anti2uit4 et au moyen lge, dea a.specta tout ' fait ignorês dea modernes, qui 1 &r tiennent au simple point! de vue c économique » ; c'est &iDii qu'on & remarqu6 que, chea les Celtes, les 171Dbolea ftgurant sur les mon· Daiea ne peuvent a 'expliquer que ai on les ra.pporte l des conn&iiii&DOM ùctrinalea qui étaient propres aU% Druides, ee qui implique une inter· WDtion directe de ceU%-ci d&Da ce domaine ; et ce contr6le de l'autorit6 apiritnelle a da ae perp6tuer jnaque vere 1& fln du moyen lge.

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AUTOIDTÉ SPŒITUELLE

voyons aussi, à partir de Philippe le Bel précisémen~ qes rois de France s'entourer presque constamment de bourgeois, surtout ceux qui, comme Louis XI et Louis XIV, ont poussé le plus loin le travail de << centr~isation », dont la bourgeoisie devait du reste recueillir ensuite le bénéfice lorsqu elle s empara du pouvoir par la Révollution. La « centralisation » temporelle est d'ailleurs généralement la marque d une opposition vis-à-vis de l'autorité spirituelle, dont les gouvernements s efforcent de neutraliser ain i l iniUuence pour y substituer la leur ; c'est pourquoi la forme féodale, qui est celle où les Kshatriyae peuvent exercer le plus complètement leurs fonctions normales, est en même temps celle qui paraît convenir le mieux à l'organisation régulière des civilisations traditionnelles, comme l'était celle du moyen âge. L'époque moderne, qui est celle de la rupture avec la tradition, · pourrait sous le rapport politique, être caractérisée par la substitution du système national au système féodal ; et c'est au XIV' siècle que les << nationalités » commencèrent à se constituer, par ce travail de « centralisation » dont nou venons de parler. On a raison de dire que la formation de la « nation française », en particulier, fut l'œuvre de rois ; mais ceux-ci, par là même, préparaient sans le savoir leur propre ruine (1) ; et, si la France fut le premier pays d'Europe où la royauté fut abolie, c'est parce que c'est en France que la << nationalisation » avait eu son point de départ D'ailleurs, il est à peine besoin de rappeler combien la RévolutioL ·fnt Èarouchement « nationaliste » et « centralisatrice >>, et aussi quel usage proprement révolutionnaire fut fait, durant tout le (1) A: la latte de la royaaU eontre la noblesse féodale, on peut appli· quer Btrietement eette parole de 1'Evangile : c Tonte maiaon divia6e eontre elle·même pûira ~.

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cours du XIX' siècle, du soi-disant « principe des. nationalités » (1) ; il y a donc une assez singulière. contradiction dans le « nationalisme » qu'affichent au• jotp"d'hui certains adversaires déclarés de la Révolution et de son œuvre. Mais le point le plus intéressant pou1 nous présentement est celui-ci : la formation des « nationalités » ést essentiellement un des épisodes de la lutte du temporel contre le spirituel ; et, si l'on veut aUer au fond d choses, on peut dire que c est précisément pour cela qu elle fut fatale à la royauté, qui, alors même qu elle semblait réali er toutes ses ambitions, ne faisait que courir à sa perte (2). n est une sorte d'unification politique, donc tout extérieure, qui implique la méconnaissance sinon la négation, des principes spirituels qui seuls peuvent faire l'unité véritable et profonde d une civili ation et le « nationalités » en sont un exemple. Au moyen .âge, il y avait pour tout l'Occident, une unité réeH , fondée sur des bases d'ordre proprement traditionool, qui était celle de la << Chrétienté » ; lorsque furent formées ces unité econdaires, d'ordre purement poli~ique, c'est-à· dire temporel et non plu pirituel, que sont les nations, cette grande unité de l'Oocid nt fut irrémédiablement brisée, et l'exi tence effective d la << Chrétienté » prit fin . .Les nations, qui ne sont que l fragments dispersés de 1 ancienne << Chrétienté » les faus es unités substituées à l'unité véritable par la volonté de domination du (1) TI y a lieu de remarquer que ce « principe de nat ionalités > fut lllrtout exploité contre la Papauté et contre l'Autriche, qui représentait le dernier reste do 1 héritage du Saint-Empire. (2) Lll. où Ja royauté a pu se maintenir en devenant c constitution· Delle >. elle n'est plus que l'ombre d'elle-même et n'a guère qu'une existence nominale et « représentative >, comm l'exprime la formule connue a'après laquelle « le roi règne, mais ne gouverne pas :. ; ce u'est vérita· blement qu'une caricature de 1'ancienne royauté.

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pouvoir temporel, ne pouvaient vivre, par les. conditions mêmes de leur constitution, qu'en s'opposant les unes aux autres, en luttant sans cesse entre elles sur tous les terrains (1) ; l'ésprit est unité, la matière est mtÙtiplici.té et division, et plus on s'êloigne de la spiritualité, plus les antagonismes s'accentuent et s amplifient. Personne ne pourra contester que les guerres féodales, étroilement localisées, et d'ailleurs soumises à une règlementation restrictive émanant de l'autorité spirituelle, n'é,aient rien en comparaison des guerres nationales, qui ont abouti, avec la Révolution et l'Empire, aux « nations armées » (2), et que nous avons vues prendre de nos jours de nouveaux développements fort peu rassurants pour l'avenir. D autre part, la constitution des « nationalités >> ren· dit possibles de véritables tentatives d'asservissement du spirituel au temporel, impliquant un renversement complet des rapports hiérarchiques entre les deux pouvoirs; œt asservis ement trouve son expression la plus définie dans l'idée dune Egli « nationale >>, c'est-à-dire suhor· donnée à 1 Etat et enfermée dans les limit de celui-ci ; et 1e terme même de << religion d Etat », soua son appa· renœ volontairement équivoque, ne signifie rien d'autre au fond : c'est la religion dont le gouvernement tem· porel se sert comme d'un moyen pour assurer sa domi· (1) C ' st pourquoi l'idée d'one c aoeiéW des nations ) ne peut être qa 'une u pic sans port e r Il ; la forme nationale répugne essentiellement lt. .Ja reeonnai sance d une unité quelconque supérieure lt. la sienne propre ; d 'ailleurs, dans le conceptions qui ee font jour actuellement, il -e s'agirait" évidemment que d'une unité d'ordre exclusivement temporel, donc d'autant plus inefficace, et qui ne pourrait jamais être qu 'une paro· elie de la véritable unité. (2) C'omme nous 1'avon! fait remarquer ailleurs (Lo CrNe du MOJWÙ ~. pp. 104·105), en obligœnt toua 1 bommea indistiDetement ~ prendre part aux guerres modrrues, on méeonn&it entièrement la distine· tion eaaentielle d s fonctions aoeiales ; e 'cat 1~, du reste, une oonHquenee logique de 1, c égalitariame ).

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nation ; c'est la religion réduite à n'être plus qu'un sim~ pie facteur de l'ordre social (1 ). Cette idée d'Eglise << nationale » vit le jour tout d'abord dans les pays protestants, ou, pour mieux dire, c'est peut-être surtout pour la réaliser que le Protestantisme fut suscité, car il sem· ble bien que Luther n'ait guère été, politiquement tout au moins, qu'un instrument des ambitions de certains princes allemands, et il est fort probable que, sans ceda, même si sa révolte contre Rome s'était produi~ les eonséquencea en auraient été tout aussi négligeables que celles de beaucoup d'autres dissidénces individuelles qui ne furent que des incidents sans lendemain. La Réforme est le symptôme le plus apparent de la rupture de l'uni· té spirituelle de la << Chrétienté », mais ce n'est pas elle qui commença·, suivant l'expression de Joseph de Maistre, à « déchirer la robe sans couture » ; cette rupture était alors un fait accompli depuis longtemps déjà, puisque, comme nou l'avons di'l, son début remonte en réa!lité deux iècles plus tôt ; et l'on pourrait faire une remar· que anÜogue au sujet de la Renaissance, qui, par une c»ïncidence où il n y a rien de fortuit, se produisit à peu près en même temps que la Réforme, et seulement alors que les connaissances traditionnelles du moyen âge étaient presque entièrement perdues. Le Protestantisme fut donc plutôt, à cet égard, un aboutissement qu'un point de départ; mais, s'il fut surtout, en réalité, l'œuvre des princes et des souverains, qui l'utilisèrent tout d'abord à des 6ns politiques, ses tendances individua.liates ne devaient pas tarder à se retourner contre ceux· (1) Cette eoneeption peut d'ailleurs ee r6aliJer sous d'autres forme. que eelle d'une Eglise c nationale • proprement dite ; on en a un exem· ple dea plus frappants daDa un régime oomme celui du c Coneordat • napoUonien, tranatormant les prêtrea eu fonctionnaire~ de 1'Etat, ee qui lit une v'ritable monstruosité.

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car elles préparaient directement la voie aux conceptions démocratiques et égalitames caractéristiques de l'époque actuelle (1) Pour revenir à ce qui concerne l'asservissement de la religion à l'Etat, sous la forme que nous ven()ns d'indiquer, ce serait d'ai!lleurs une erreur de croire qu'on n'en trouverait pas d exemples en dehors du Protestantisme (2) : si le schisme anglican d'Henri Vill est la réussite la plus complète dans la constitution d'une Eglise « nationale », le gallicanisme lui-même, tell que Louis XIV a pu le concevoir, n'était pas autre chose au fond ; si cette tentative avait abouti, le rattachement à Rome aurait sans doute subsisté en théorie, mais, pratiquement, 1es effets en auraient été complètement annulée par l interposition du pouvoir politique, et la situation n'aurait pa ét' en ihlement différente en France de ce qu'elle pourrait être en .Angieterre si les tendances de la fraction « rituali te » de l'Eglise anglicane arrivaient à prévaloir définitivement (3) Le Protestantisme, sous ses différent formes, a pou sé les choses à l extrême ; mais ce n'est pas seulement dan,s les pays où il s'établit que la royauté détruisit son propre « droit divin », c'est-à-dire 1 unique fondement réel de sa légitimité, et, o

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(1) D y a lieu de noter que le Protestantisme supprime le clergé, et que, s'il prétend maintenir l'autoriteS de la Bible, il la ruine en fait par le c: li re examen >. (2) Nous n'envisageons pas ici 1 CM de la Russie, qui est quelque pe11 spécial et devrait donner lieu à des distinctions qui compliqueraient aaaez inutilement notre expo~ ; il n'en est pas moins vrai que, là aussi, on trouve la c: religion d'Etat > au sens que nous avons défini ; mais les ordre• monastiques ont pu du moins échapper dans une certaine mesure ' la subordination du spirituel au temporel, tandis que, dans les pays protestant , leur suppression a rendu eette subordination aussi complète que possible. (3) On remarquera du reste qu 'il y a, entre les deux dénominations d 7 « an~lieanisme _c: et de c: gallieaniame >, une 6troite ai.m.ilitude, qui eonespo!!u· bien à la réalité.

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en même temps, l'unique gaTantie de sa stabilité; d'après oe qui vient d'être exposé, la royauté française, sans aller jusqu'à une rupture aussi manifeste avec l'autorité spirituelle, avait en somme, par d'autres moyens plus détournés, agi exactement de la même façon, et même il semble hien qu'elle avait été la première à s'engager dans cette voie ; ceux de ses. partisans qui lui en font une sorte de gloire ne paraissent guère se rendre compte des conséquences que cette attitude a entraînées et qu'elle ne pouvait pas ne pas entraînel\ La vérité est que c'est la royauté qui, par là, ouvrit inconsciemment le chemin à la Révolution, et que celle-ci, en la détruisant, ne fit qu'aller plus loin dans le sens du désordre où elle-même avait commencé à 'engager. En fait, partout dans le monde occidental, la bourgeoisie est pal'VIellue à s'emparer du pouvoir, auquel ~a royauté l'avait tout d'abord fai ~ participer indûment ; peu importe d'ailleurs qu'elle ait alors aboli la royauté comme en France, ou qu'elle l'ait laissée suhsi ter nominalement comme en Angleterre ou ailleurs ; le résoltat est le mêm · dana tous les cas, et c'est le triomphe de l' « économique », sa supréma'tie proclamée ouvertemenL Mais, à mesure qu'on s'enfonce dans la matérialité, l'instah ité s'accroît, les changements se produisent de plus en plus rapidement ; aussi le règne de la hourgeoi ÏJe ne pourra-t-il avoir qu'une assez oourte durée, en comparaison de celle du régime auqud il a suceédé ; et, comme l'usurpation appel1e l'usurpation, apr' s les V ai hyas, ce sont maintenant les Shûdras qui, à leur tour, aspirent à la domina· lion : c'est là, très exactement, la eignification du bolch~ visme. Nous ne voulons, à cet égard, formuler aucune prévision, mais il ne serait sans doute pas hien diffici!le de tirer, de ce qui précède, certaines conséquences pour l'avenir : &i les élément sociaux lès plus inférieurs accè-

AUTOJUTÉ SPDUTUELLE

dent au pouvoir d'une façon ou d'une aut~, leur règne sera vraisemblablement le plus bref de tous, et il mar· iJilel"a la dernière phase d'un certain cycle historique, puisqu'il n:oest pas possible de descendre pius bas ; ei même un tel événement n'a pas une portée plus générale, ü est donc à supposer qu'il sera tout au moi.Ds, pour l'Occident, la fin de ~a période moderne. Un historien qui s'appuierait sur les données que nous avons indiquées pourrait saœ doute développer cœ considérations presque indéfiniment, en recherchant des faits plus particuliers qui feraient encore ressortir, d'une façon très préci-se, ce que nous avone voulu montrer principalement ici (1) : cette responsabilité trop peu connue du pouvoir royal à l'origine de tout le désordre moderne, cette première déviation, dans les rapports du spirituel et du temporel, qui devait inévitablement entraîner toutes les autres. Quant à nous, ce ne peut être là notre rôle ; II()OS avons voulu donner -seulement dee exemples destinés à tdairer un exposé synthétique; noua devons donc nous en tenir aux grandes lignes de l'histoire, et nous borner aux indications essentielles qui se dégagent de la suite même des événements. (1) D pounait être intéressant, par exemple, d'étudier spkialement l ee point de vue le r6le de Richelieu. qni a 'aeharn& ., dftruire les demieJ'I .,estfgee de la féodaliU, et qui, tout en combattant les Protestants l 1'in· Urieur, s'alli& l eUJ: l 1 'extérieur eontre ee qui pouvait eneore aubsister du Saint-Empire, e 'est·l·clire eontre lea survin.neea de 1'ancienne c ChrétienU ».

CHAPITRE VIn PARADIS TERRESTRE ET PARADIS CÉLESTE

A constitution politique de la <
L

{1) Le Saint-Empire commence avec Charlemagne, et on sait que c'est le Pape qui conféra à celui-ci Ja dignité impériale ; ses successeurs ne pouvaient être légitiméa autrement qu'il ne l'avait été lui-même.

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c'est de comprendre ce qu'aurait dû être véritablement l'~mpereur, et aussi ce qui a pu donner naissance à l'er· reur qui lui fit prendre sa suprématie relative pour une suprématie absolue. La distinction de la Papauté et de 1 Empire provenait en quelque sorte d'une division des pouvoirs qui, dans l'ancienne Rome, avaient été réunis dans une seule per· sonne, puisque, alors, l'lmperator était en même temps Ponti/ex Maximus (l) ; nous n'avonB d'ailleurs pas à chercher comment peut s'expliquer, dans ce cas spécial, cette réunion du spirituel et du temporel, ce qui risque· rait de nous engager dans des considérations assez complexes (2). Quoi qu'il en soit, le Pape et l'Empereur étaient ainsi, non pas préciBément « 1Jes deux moitiés de Dieu >> comme l'a écrit Victor Hugo, mais beaucoup plus exactement les deux moitiés de ce Christ-]anus que certaines figura:ions nous montrent tenant d une main une clef et de l'autre un sceptre, emblèmes respectifs des deux pouvoirs sacerdotal et royal unis en lui ·comme dans lem principe commun (3). Cette assimilation ymbolique du Christ à Janus, en tant que principe suprême (1) D est tr s remarquable que Je Pape ait toujours conservé ee titre de Pontifez Maa:Mnw, dont 1'origine est si évidemment étrangère au Christianisme et lui est d'ailleurs fort antérieure ; ee fait est de eeux qui devraient donner à penser, à eeux qui sont capables de réfléchir, que le eoi-disa.nt c paganisme :. avait en réalité un caractère bien différent de celui qu'on est convenu de lui attribuer. (2) L'Empereur romain apparaît en qu !que sorte comme un Kshatriya exerçant, outre sa fonction propre, la fonction d'un Brilhmane ; il semble donc qu'il y ait là une anomalie, et il faudrait voir si Ja tradition romaine n'a pas un caractère particuliel' permettant de eon sidérer ee fait autrement que comme une simple usurpation. D'autre part, on peut douter que lès Empereurs aient 6té, pour la plupart, vrai· ment c qualifiés :. au point de vue spirituel ; mais il faut pr.rfois distinguer entre le représentant c officiel :. de 1'autorité et ses détent urs effectifs, et il suffit que ceux-ci inspirent celui-là, même s'il n'est pu 1'on d'entre eux, pour ,:que les choses soient ce qu'elles doivent être. · (3) Voir un e.rtiele de L. Charbonneau-Lassay intitulé Un ~

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des deux pouvoirs, est la marque très nette d'une certaine conc.inuité traditionnelle, trop souvent ignorée ou niée de parti pris, entre la Rome ancienne et la Rome chrétienne ; et il ne faut pas oublier que, au moyen âge, l'Empire était « romain » comme la Papauté. Mais cette même figuration nous donne aussi la raison de l'erreur que nous venons de signaler, et qui devait être fatale à l'Empire: .cette erreur consiste en somme à regarder comme équivalentes les deux moitiés de Janus, qui le sont en effet en apparence, mais qui, lorsqu'elles représentent le spirituel et le temporel, ne peuvent l'être .en réalité ; en d'autres termes, c est encore 1 erreur qui consiste à ·prendre le rapport des deux pouvoinJ pour un rapport de coor 'nation,. a1ors qu'il est un rapport de subordination, paree que, dès lors qu'ils sont séparés, tandis que 1 un procède directement du principe suprême, l'autre n'en procède qu'indirectement; nous nous sommes déjà spffisamment expliqué là-dessus dans ce qui précède pour qu'il n'y ait pas !lieu maintenant d'y insis· ter davantage. Dante, à la fin de son traité De Monarchia, o.efinit d'une façon trè net:te les attribution respectives du Pape et de l'Empereur ; voici ce passage important : « L'ineffable Providence de Dieu propo a à 1 homme deux fins : la béatitude de cette vie, qui consiste dans l'exercice de la vertu propre et qui ·est représentée par Je Paradis terrestre; et la béatitude de la vie éternelle, qui consiste à jouir de la vue de Dieu, à quoi la vertu humai· ne ne peut pas se hauseer si elle n'est aidée par la lumiè· ftlblmne du mot.s à6 jt11Wter, publi~ dana la revue Begnabtt (mare 1925). - La clef et le spectre éqUlvalent ici l 1'ensemble plue habituel dea deux clefs d'or et d'argent ; ees deux symboles sont d'ailleurs rapport6e directement au Chnst par cette formule liturgique : c 0 Cltwi8 DaWJ. Il Bot~pt1'um àomw !Mael••• :. (BriW.e romOOI., offiee du 20 d6eembre).

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re divine, et qui est représentée par le Paradis oéleste. A oes deux béatitudes, comme à des conclusio~ diverses, il faut arriver par des moyens diff~rents ; car à la première nous anivoœ par les enseignements philosophiques, pourvu que nous les suimœ ~n agissant selon les vertus morales et inteNectuelles; à la seconde, par les enseignements spirituels, qui dépassent la raisen humai· ne, pourvu que nous les suivions en agissant selon les vertus théologales, la Foi, l'Espérance et la Charité. Ces conclusions et ces moyens, hien qu'ils nous soient eneei.· gnés, les uns par la raison humaine qui nous est manifestée t-out entière par les pbilosopoo, les autres par l'Eeprit-Saiut qui noUs a révélé la vérité surnaturelle, à nous nécessaire, par les prophètes et les écrivains sacrés, par ~e Fils de Dieu, Jésus-Christ, coéternel à l'EspJit, et par ses disciples, ces conclusions et ces moyens, la cupi· dité humaine les ferait abandonner si les hommes, sem· hlahles à des chevaux qui vagabondent dans leur hestia· lité, n'étaient par le frein retenus dans leur route. C'est pourquoi l'homme a eu besoin d'une double direction suivant sa douh1e fin,. c'est-à-dire du Souverain Pontife, qui, selon la Révëlation, conduirait le genre humain à la vie P.ternelle, et de l'Empereur, qui, selon les enseigne· ments philosophiques, le dirigerait à la félicité temporelle. Et oomme à ce port nul ne pourrait parvenir, ou il n y parviendrait que très peu de personne et au prix des pires difficultés, i le genre humain ne pouvait reposer libre dans la tranquillité de la paix, après qu·aur.aient été apaisés les flots de la cupidité insinuante, c'est à ce but que doit tendre surtout celui qui régit la terre, le prince romain : que dans cetœ petite habitation des mortds on vive librement en paix » (1 ). (1) De .IConMoMo,

m. 16.

P ABADJS TERRESTRE ET CÉLESTE

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Ce texte a b.,oin d'un certain nombre d'explications pour être parfaitement compris, car il ne fant pas s'y la.is1Jer tromper : sous un langage d'apparence purement théologique, il renferme des vérités d'un ordre beaucoup plus profond, ce qui est d'ailleurs conforme aux habitudee de son. auteur et des organisations initiatique:; anxquel~les celui-ci était rattaché (1). D'autre par~ il eet asez étonnant, remarquons-le en passan~ que celui qui a écrit ces iignes ait pu être présenté parfois comme un ennemi de la Papauté ; il a saDB doute, comme nous le disions plus haut, dénoncé les insuffisances et les imperfections qu'il a pu con .ater dans l'état de la Papauté à son époque, et en particulier, comme une de leurs conséquences, le recours trop fréquent à des moyens proprement ·temporels, donc peu convenables à l'action d'une autorité spiritue1lle ; mais il a su ne pas imputer à l'institution elle-même les défauts des hommes qui la représentaient passagèrement, ce que ne sait pas toujours faire l'individualisme moderne (2). Si l'on 9e reporte à ce que nous av-ons déjà expliqué, (1) Voir notamment, à ce sujet, notre étude sur L'Esotérisme ti. Dante, et aussi 1'ouvrage de Luigi Valli, n Ling®ggto aegrcto d• Dante tJ cùi c Jt'edct• à'.A.more :. ; 1'auteur est malheureusement mort sans avoir pu pousser ses recherches jusqu 'au bout, et au moment même où elle.ll semblaient. 1'amener à. envisager les choses dana un esprit plus proche de 1'ésotérisme tTaditionnel. (2) Quand on parle du Catholicisme, on devrait toujours avoir le p1ua grand soin de distinguer ce qui concetne le Catholicisme lui-même en tant que doctrine et ee qui se rapporte seulement à. 1'état actuel de 1'org~ tion de 1'Eglise catholique ;
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AUTOJUTÉ SPDUTUELLE

on verra sans difficulté que la ·di.stiDction que fait Dante entre lœ deux fi.na de l'homme correspond très exactement à celle dœ « petits mystères » et des « grands mystères», et auss~ par conséquent, à celJe de 1' «initia· tion royale » et de l'« initiation sacerdotale >>. L'Empereur préside aux « petiiB mystères >>, qui concernent le << Paradis terrestre >>, c'est-à-dire la réalisation de la perfection de l'état humain (1) ; le Souverain Pontife préside aux << grands mystères >>, qui concernent le « Paradis céleste », c'est-à-dire la réalisation des états supra-humains, reliée ainsi à l'état humain par la fonction << pontificale », entendue eo son sens strictement étym~ogique (2). L'homme, .en tant qu'homme, ne peut évidemment atteindre par lui-même que la première de · ces deux fins, qui peut être dite « naturelle », tandis que la seconde est proprement << surnaturelle », puis· qu'elle réside au delà du monde manifesté ; cette d.istiDction est donc bien celle de l'ordre « physique »et de 1 ordre « métaphysique ». Ici apparaît aussi claire· ment que possible la concordance de toutœ les tradi· tions, qu'elles soient d'Orient ou d'Occident: en définissant COIDDlC> nous l'avons fait les attributions respectives des KshatriyaR et des Brâhmanes, nous étions bien fondé à n'y pas voir seulement qu:!lque chose d'applicable à une certaine forme de civilisation, ceLle de l'Inde, ·puis· que nous les retrouvons, définies d'une façon rigoureo· (1) Cette ri&lisation est, en effet. la restauration de 1' c état primor· dia1 :. dont il est question dana toutes les traiitions, ainsi que nous awu

eu d6jl 1'oceuion de 1'expoeer l diverses repriaes. (2) Dans le B)'lDboliame de la eroix, la preinière de ces deux realisa· tiou. elt reprMel1We par le d6veloppement ind64ni de la ligne horizont&lc, et la aeeonde par celui de la ligne vertie&le ; ce sont, suivant le langage de 1'6eotériame islamique, lea deux sena de 1' c ampleur :. et de 1' c euJ.. tation >, dont le plein 6panouiasement ee réaliee daDJ 1' c Homme Uni· venel :., qui etJt le Chriat myst~1ue, lo c seeond Adam :. de l&int Paul.

PARADIS TERBESTBE ET CÉLESTE

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sement identique, dans ce qui fut, avant la déviation moderne, la civilisation traditionnelle du monde occidental. Dante assigne donc pour fonctioœ à l'Empereur et au Pape de conduire l'humanité respectivement au « Paradis terrestre » et au « Paradis céleste » ; la première de ces deux fonctions s'accomplit « selon la philoso· phie >>, et la seconde « selon la Révélation >> ; mais oes termes sont de ceux qui demandent à être expliqués soigneusement. E va de soi, en effet, que la « philosophie » ne saurait être entendue ici dans son sens ordinaire et « profane », car, s'il en était ainsi, elle serait trop manifestement incapable de jouer le rôle qui lui est assignë ; il faut, pour comprendre ce dont il s'agit réellement, restituer à ce mot de << philosophie » sa signification pri· mitive, celle qu'il avait pour les Pythagoriciens, qui furent es premiers à en faire usag~ Comme nous l'avons indiqué aiHeul"6 (1), ce mot, signifiant étymologiquement «amour de la sagesse », désigne tout d'abord une disposition préalable requise pour parvenir à la sagP.sse, et a peut désigner aussi, par une extension toute naturellé, la recherche qui, naissant de cette disposition même, doit conduire a la véritable connaissance; ce n'est donc qu'un stade préliminaire et préparatoire, un acheminement vers la sagesse, comme le « Paradis terre8tre » est une étape sur la voie qui mène au « Paradis céleste ». Cette « philosophie >>, ainsi entendue, eet ce qu'on pourrait appeler, si 1'on veut, la « sagesse humaine », parce qu'elle comprend l'ensemble de toutes les connaissances qui peuvent être atteintes par les seules faeultés de 'l'individu humain, facuhée que Dante synthétise dans la raison, parce que c'est par celle-ci que se définit propre(1) Lo Crise du

ll~

modeme, pp. 21.22 (2' êdition).

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AUTORITÉ SPIBITUELLE

ment l'homme comme tel ; UJais cette « sagesse humaiile » précisément parce qu'eUe n'est qu'humaine, n'est point la vraie ~;agesse, qui s identifie avec la connai88ance métaphysiqùe. Cette dernière est essentiellement supra· rationnelle, donc aussi supra-humaine ; et, de même que, à partir du « Paradis terrestre >>, la voie du « Paradis céleste >> quitte la terre pour « salire alle. steUe », comme dit Dante (1), c'est-à-dire pour s'éleyer aux états supé· rieurs, que figurent les sphères plan'éta.ires et stellaires dans le langage de 1 a trologie, et les hiérarchies angéli· ques dans celui de la théologie, de même, pour la con· nai sance de tout ce qui dépasse l'état humain, les facoltée individuelles deviennent impuissantes, et il faut d'autres moyen : c'est ici qu'intervient la « Révélation », qui est une communication directe des états supé· rieurs, communication qui, comme nous l'indiquions tout à l'heure, est effectivement établie par le « pontificat >>. La possibilité de cette « Révélation » repose &or l' existence de facultés transcendantes par rapport à l'individu : quel que soit le nom qu'on leur donne, qu'on parle par exemple d' << intuition intellectuelle » ou d' « inspi· ration », c'est toujours la même chose au fond ; le pre· mier de ces deux termes pourra faire penser en un sens aux états « angéliques », qui sont en effet identiques aux états supra-individuels de l'être, et le second évoquera 8Urtout cette action de 1'Esprit-Saint à laquelle Dante fait allusion expressément (2) ; on pourra dire aussi que ce qui est << inspiration » intérieurement, pour celui qui lta reçoit directement, devient « Révélation » extérieure(1) PwgtJtorio, xxxrn, 145 ; voir L 1 B10tlrirrrkl tù DGAt~, p. 60. (2) L'intellect pur, qui est d'ordre o.nivelll81 et non individuel, et qui relie entre eu: toua lee états de l'être, eat le principe que la doctrine hindoue app Jle Bvdàlt4, nom dont la racine exprime eaaentiellement l'id6e



c

aarue

>.

P A.RADIS TEilllESTllE ET CÉLESTE

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ment, pour la collectivité humaine à 1aquelle elle est transmise par eon intermédiaire, dans la mesure où une telle tl'8.D6miuion eet possible, c'est-à-dire dans ia mesure de ce qui est exprimable. Naturellement, nous ne faisons que résumer là très sommairement, et d'une façon peut· être un peu trop simpiifiée par là même, un ensemble de eonsidérations qui, si l'on vouilait les développer plus complètement, seraient assez complexes et s'écarteraient d'ailleurs beaucoup de notre sujet ; ce que nous venons de dire est en tout cas suffisant pour le but que nous nous proposons présentement. Dans cette acception, la « Révél!ation » et la « philosophie >> correspondent respectivement aux deux parties ~ dans la doctrine hindoue, sont désignées par iee noms de Shruti et de Smriti (1) ; il faut bien remarqu.er que, là encore, nous disons qu'il y a correspondance, et non pas identité, la différence des formes traditionnelles impliquant une différence réelle dans les points de vue auxquels les choses y sont envisagées. La Shruti, qui comprend tous les textes vêdiques, est le fruit de rinspiration directe, et la Smriti est l'ensemble des conséquen· ces et des applications diverses qui en sont tirées par . réftexion ; ~eor rapport est, à certains égards, celui de la colliii8Î6sance intuitive et de la connaissance diseur· sive ; et, en effet, de·ces deux modes de connaissance, le premier est supra-humain, tandis que le second eet proprement humain. De même que le domaine de ia << Révélation » est attribué à la Papauté et celui de la << philosophie » à l'Empire, ]~a Shruti concerne plus di· rectement les Brâhmanes, dont l'étude du Véda est la principale occupation, et 1a Smriti, qui comprend le

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AUTORITE SPIRITUELLE

Dluzrma-S'h.iùtra ou << Livre de la Loi » (1 ), donc l'application sociale de la doctrine, concerne plutôt le.s Kshatri}"Ss, auxquels sont plus spécialement destinés la plupart des livres qui en renferment l'expression. La Shruti est le principe dont dérive tout le reste de la doctrine, et sa connaiss8llee, impliquant celle des états supérieurs, constitue lœ « grands mystères » ; la connaissance de la Smriti, c est-à-dire des applications au « monde de l'homme », en entendant par là l'état humain intégral, considéré dans toute 1'extension de ses possibilités, constitue les « ~ts mystéJ.'IeS » {2). La Shruti est la lumière directe, qui, comme l'intelligence pure, laquelle est ~i en même temps la pure spiritualité, correspond au soleil, et La Smriti t la lumière réfléchie, qui, comme la mémoire dont elle porte le nom et qui est la faculté << temporelle » par définition même, correspond à la lune (3) ; c'est pourquoi la clef des « grands mystères >> (1) On pourrait p ut-être, sou ce rapport, tirer certaines cons& quence du fait que, dan la tradition judaique, soUJ"ce et point de départ de tout ce qui peut porter l nom de c religion ::. dans son sens le plus précis, puisque 1'I la.misme s y rattnche aussi bien que le Christianisme, )jt. désignation de ThMah ou c: Loi ::. est appliquée à tout l'ensemble des Livree saerés : nous y voyons surtout une connexion avec la convenance spéciale de la forme religieuse aux peuples en qui prédomine la nature des Kshatriya , ct au i av 1 importance particulière que prend dans cette fonn le p int de vue s ial, ces deux considération ayant d ailleurs entre eU de liens nssez étroit . (2) D doit Atre bien entendu que, dans tout c que nous dison il s'agit toujours d'une eoD.llQÎssa.nce qui n'est pa seulement théorique, mais effective, ct qui, par conséquent, comporte senti Uement la réalisation correspondante. (3)  cet égard, il faut r marqu r que 1 c Pa.rn.di eél tc :. t ntieUement l BroJ~ma-Loka, identifi6 au c oleil . piritud > (L'HotMM et 801' d611enir aeton le Yeddnta ch. XXI et X../II), t que d'autre part, Jo c: Paradis t rrestre ::. est déerit comme touchant la c phère de la Lune :. (L~ Bot du Monde, p. 55) : le sommet do la montagne du Purgatoire, dans Je symbolism de la Divme Com6die, est la limite de l'état humain ou terrestre, individuel, et le point de communi· ea1ion avec loa états céleste , eupre.-individuels.

PARADIS TEBBESTBE ET CÉLESTE

103

est d'or et celle des « petits mystères » d'argent, car l'or ~t l'argent sont, d~ l'ordre alchimique, l'eX!3ct équivalent de ce que sont le soleil et la lune dans l'ordre astrologique. Ces deux clefs, qui étaient celles de ]b.Dus dans l'ancienne Rome, étaient mi des attributs du Souverain Pontificat, auquel la fonction d' « hiérophante » ou « m,aître des mystères » était essentiellement attachée; avec le titre même de Ponti/ex Maximus, elles sont demeurées parmi les principaux emblèmes de la Papauté, et d'ailleurs les paToles évangéliques relatives au << pouvoir des clefs » ne font en somme, ainsi qu'il arrive également sur hien d'autres point , que confirmer pleinement la tradition primordiale. On peut maintenmt comprendre, plus complètement encore que par ce que nous avions expliqué précédemment, pourquoi ces deux olefs sont en même temps celles du pouvoir spirituel et du pouvoir temporel ; pour exprimer les rapports de ces deux pouvoirs, on pourrait dire que le Pape doit gaTder pour lui la clef d'or du << Paradis céleste» et confier à l'Empereur la clef d'argent du «Paradis terrestre » ; et on a vu tout à l'heure que, dans le symbolisme, cette seconde clef était parfois remplacée par le sceptre, insigne plus spécial 'de la royauté (1). y a, dans ce qui précède, un point sur lequel nous devons attirer l'atLentio~ pour éviter jusqu'à l'!apparence d une contradiction : nou avon dit, d'une part, que la connaissance métaphysique, qui est la véritable sages e, est le principe dont toute autre -comraissance dérive à titre d'applicati~n à des ordres contingents, et, d'autre part, que la « philo ophie », an sens originel où

n

(1) Le aeeptre, comme la clef & des rapports symboliques avee l' c axe du monde :. ; mais e 'est là un point que nous ne pouvona q11e aigna.ler ici en passant, nous r6eervant de le développer comme il convient clau d'autres 6tudea.

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AUTOB1TÉ SPIRITUELLE

elle désigne l'ensemble de ce:s connaissances contingentes, doit être considérée comme une préparation à la sagesse ; comment ces deux choses peuvent-elles se concilier ? Nous nous somme.s déjà expliqué aille~ sor cette question, à propos du double rôle des « sciences tmditionneiles >> (1) : il y a là deux points de vue, 1'un descendant et 1 autre ascendant, dont le premier correspond à un développement de la connaissance partant des principes pour aller à des applications de plus en plus éloignées de ceux-ci, et 1e second à une acquisition graduelle de cette même connaissance en procédant de l'inférieur au upérieur, ou encore, si l'on veut, de l'extérieur à l'in.érieur. Ce second point de vue correspond donc à la voie selon 1aquelle les hommes peuvent être conduits à la connaissance, d'une façon graduelle et proportionnée à leurs capacités intellectuelles ; et c'est ainsi qu'ils sont conduits d'abord au « P.aradi.s ter· ~estre », et ensuite au << Paradis céle te » ; mais cet ordre d'enseignement ou de communication de la « science sacrée » est inverse de son ordre de constitution Liérarchique. En effet, toute connaissance qui a vraiment le caractère de « cience sacrée », de quelque ordre qu'elle oit, ne peut être oonstituée valablement que par ceux qui, avant tout, possèdent pleinement la connaissance principieUe, et qui, par là, sont seuls qualifiés pour réaliser, conformément à l'orthodoxie traditionnelle la plus rigoureuse, toutes les adaptatioDB requises par les circonstances de temps et de 'l ieu ; c'est pourquoi ces adaptlations, lorsqu'elles sont effectuées régulièrement, sont néces airement l'œuvre du sacerdoce, auquel appartient par définition 'la connai sance principie11e ; et c'est

(1) La Crise du M011.de moderne, pp. 63-65

(~

édition).

P AR.ADIS TE1UlESTilE ET CÉLESTE

10.5

pourquoi le saœrdoce seul peut oonférer légitimement l' « initiation royale », par la communi"tion des connaiseances qui la constituent. On peut encore se rendre compte par là que les de~ clefs, considérées comme étant c~lles de la connaissance dans l'ordre « métaphysique » et dans l'ordre << physique », appartiennent hien réellement l'une et l'autre à l'autorité sacerdotale, et que c'est seulement par délégation, si l'on peut dire, que la seconde est confiée aux détenteurs du pouvoir royal. En fait, lorsque la connaissance «physique >>est sép&Tée de son principe transcendant, elle perd sa principale raison d'être et ne tarde pas à devenir hétérodoxe ; c'est alors qu'apparaissent, comme nous l'avons expliqué, les doctrines « naturaiistes », résultat de l'aduJtération des « sciences traditionnelles >> par les Kshatriyas révoltés ; c'est déjà un acheminement vers la « science profane », qui sera l'œuvre propre des castes inférieures et ·l e signe de leur domination dans l'ordre intellectuel, si toutefois, en pareil cas, on peut encore paTler d'intellœtualité. Là comme dans l'ordre politique, la révolte des Kshatriyas prépare donc la voie à celle des Vaishyas et des Shûdra~ ; et c'est ainsi que, d'étape en étape, on en arrive au plus ha11 utilitarisme, à la négation de toute connaissance désintéressée, fût--êlle d'un rang inférieur, et de toute. réalité dépassant le domaine sensible ; c'est là, très exactement, ce que nous pouvons constater à notre époque, où le monde occidental est presque arrivé au dernier degré de cette descente qui, comme la chute des corps pesants, va sans cesse en s'accélérant. ll reste encore, dans le texte du De Monarchia, un point que nous n'avons pas ~lucidé, et qui n'est pas moins digne de remarque que tout ce que nous en avons expliqué jusqu'id: c'est rallusion à la navigation que contient la dernière phrase, suivant un symbolisme dont

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AUTORITÉ SPIBJTUELLE

Dante se sert d'ailleurs très fréquemment (1). Parmi les emblèmes qui furent autrefois ceux de Janus, la Papauté n'a pas conservé seulement les clefs, mais aussi la barque, attribuée pareillement .à saint Pierre et devenue la figure de l'Eglise (2) : son caractère « romain » exigeait cette transmission de symboles, sans laqueHe il n'aurait représenté qu'un simple fait géographique sana portée réelle (3). Ceux qui ne verraient .r]à que des «emprunts» dont ils seraient tentés de faire grief au Catholicisme feraient montre en cela d'une mentalité tout à &it << prof&Be » ; nous y voyons au contraire, pour notre part, une preuve de cette régularité traditionnelle eans laquelle aucune doctrine ne saurait être valable, et qui remonte de proche en proche jusqu'à la ,grande tradition primordiale ; et nous sommes certain que nul de ceux qui comprennent le !tni profond de ces symboles ne pourra nous contredire. La figure de la navigation a été 8011Nent employée dans l'antiquité gréoo-latine : on peut en citer notamment comme exemplesl'e pédition des Argonautes à la conquête de la << Toison d'or » (4), les voyages d'IDysse ; on b trouve aussi chez Virgile et chez Ovide. dans

(1) Voir à ce sujet Arturo Beghini, L'..4.Uegona uoterico di n NvtWo Pa.tto, septembre-novembre 1921, pp. 546-548.

~n.te,

(2) La. barque symbolique de Janus était une barque pou'V'&Dt aller dana les deux sens, soit en avant, soit en arrière, ee qui correspond aU%

d ux vi.sagee de Janus lui-même. (3) On devra bien remarquer, d'ailleurs, que, s'il y a dana 1'E'V'&Dgile des paroles et des faits (lui permettent d 'attribuer directement les clefs et Ja barque à S&int Pierre, e'est que la Papaut6, dè& son origine, était

prédestinée à être c romaine >, en raison de la situation de Rome eomme eapitale de 1'Occident. (4) Dante y fait préeiaŒnent alloaion dans un dea puaa.gea de la ~ ComM\e qui sont les plus earaetéristiquea en ee qui eoneerne 1'em· ploi de ce symbolisme (Po.ra.diso, II, 1-18) ; et ce n'est pas sana motif qu'il rappelle eette allusion dans le dernier ehant du poème (Po.ra.dtlo, XXXm, 96) ; la . aignifleation hermétique de la c Toison d'or :. ~t d'&il.leura bien eonnue au moyen &ge.

PARADIS TERRESTRE ET CÉLESTE

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Dans 1'Inde également, cette image se renco,n tre pufois. et nous avon~ eu déjà l'occasion de citer ailleurs une phrase qui contient des expressions étrangement semblables à oolles de Dante : << Le Y ogî, dit Shankarâchârya, ayant traversé la mer des passions, est uni avec la ttan· qui} lité et poseède le « Soi » dans la plénitude » (1). La « mer des passions » est évidemment la même chose que les << flots de la cupidité », et, dans les deux textes, il est pareillement question · de la « tranquillité » : ce que représente la navigation symbolique, c'est en effet la conquête de la «grande paix>> (2). Celle-ci peut d'ail· leurs s'entendre de deux façons, suivant qu'eMe se rapporte au << P.aradis terrestre» ou au «Paradis céleste »; dans ce dernier cas, elle s'identifie à la «lumière de gloire » et à da << vision béatifique » (3) ; dans !l'autre, c'est la « paix >> proprement dite, en un sens plus restreint, mais encore très différent du sens « profane »; et il est d'ailleurs à remarquer que Dante applique le même mot de « h~titude » aux deux fin de l'homme. La barque de saint Pierre doit conduire les hommes au « Paradis céleste >> ; mais, si le rôle ~u « prince ro· main», è'est-à-dire de l'Empereur, est de les conduire au « Par.adis terrestre », c est là aussi une navigation (4), (1) .Atma.Boàha ; voir L'HMnme el son àet1enw sùon le V6àdnta. oh. XXIII, et Le Ben du Monde, p. 121. (2) C'est cette même conquOte qui est aUS8i. représentée parfois sou3 la ngure d'une guerre ; nous avons s\gnal6 plu haut l'emploi do symbolisme dans la. Bh4ga1!aà-Gitd, ainsi que chez les Musulmans, et nou~r pouvons ajouter qu'on trouve aussi un symboli me du même genre dans Jes romans de eheve.lerie du moyen âge. · (3) C'est ce qn 'indiqo~nt très nettement les différents sen.s du mot hébreu Shehnah ; d'ailleurs, les deux aspects que nous mentionnons ici sont ceux que d ignent les mots Gloria et P~ da.ns la. formule : c Gloria m ezcel81s Deo, et terra P~ hom.tmbus bcmœ t1oluntatw ::., ainsi que nous 1'a.vons expliqué dans notre étude sur Le B~ àu Monde. (4) Ceci se rapporte a.u symbolisme des deux océans, celui des c ea.ux 1111périeores ::. et celui des c eaux inférieures ::., qui eet commun l toutee les doctrinea traditionnelles.

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, AUTORITE SPIIUTUELLE

et c'est pourquoi la « Terre sainte » des diverses tradi· tions, qui n'est pas autre chose que ce. « Paradis ter· restre », est souvent représentée par une île : le but assigné par Dante à « CEdui qui régit •l a terre >>, c'est la réalisation de la << paix » (1) ; le port vers lequel il doit diriger le genre hnmain, c est l' << île sacrée » qui demeu· re immuable au milieu de l'agitation incessante des flots, et qui est ia « Montagne du Salut >>, Iç << Sanctuaire de la ~aix » (2). Nous arrêterons là l'explication de ce symbolisme, dont la compréhensio~ après ces éclaircissements, ne devra plm faire la moindre difficulté, dans la mesure du moins où eUe est nécessaire à l'intelligence des rôles respectifs de l'Empire et de la Papauté ; d'ailleurs, nous ne pourriona guère en dire davantage là-dessus sans entrer dans un domaine que nous ne voulons pas abor· der présentement (3). Ce passage du De MonartJ,ia est, (1) On pourra e.ussi, sur ee point, fe.ire un ra.pproehement avec 1'enseignement de aaint Thomaa d' AJ:}uin que nous avoua rapporté plu haut, ainsi qu 'e.vee le texte de Confucius que nous avons cité. (2) Nous avons dit ailleurs que le. c paix > est un des attributs fon· damentaux du c Boi du Monde >, dont 1'Empereur reflète un dea aspects ; un seeond aspect e. sa correspondance dans le Pape, me.is il en est un troisième, principe dea deux autres, qui n'e. pas de repr6eentation nsible dana cette organisation de la c Chr6tienté > (voir, sur cee troia aspeets, L~ B"' d~ Mcnwù, ·p. 44). Par toutes les conaid6re.tiona que noua venona d'exposer, il e~t facile de comprendre que Bome est, pour 1'Occident, une image du v6ritable c centre du monde >, de la myst6rieuae Solttm de Melch.iasédee. (3) Ce domaine est celui de 1'~otérisme catholique du moyen lge, enviaag6 plus spécialement dana sea rapporta e.vec 1'herm6tiame ; a&D.J lee conne.i88&Dees de cet ordre, lee pouvoirs du Pe.pe et de 1'EmpereUJf, tels <JU 'ils viennent d'être d6finiJ, ne sauraient e.voir leur rée.lise.tion plei· nement effective, et ce sont pr6eiaément ees conne.i88&Dcea qui aemblent le plus complètement perdues pour les modernes. Nous e.vona laiaa6 de oGté quelques points secondaires, parce qu'ils n'importaient paa au deaaein de cette étude : ainsi, 1'e.llusion que fe.it Da.nte au trois vertu. théologa.lea, Foi, Espérance et Charité, devrait être rapprochée da rôle qu'il leur attribue dans la ~ Com&Ue (voir L'B1ot6JVm~ de Daftt11 p. 31). D'autre part, on pourrait ausai .établir une comparaison entre }el

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PARADIS TEBBESTBE ET CELESTE

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à notre connaissance, l'exposé le plus net et le plus complet, dans sa vdlontaire concision, de la constitution de la « Chrétienté » et de la façon dont les rapports des deux pouvoirs devaient y être envisagés. On ee deman· dera sa:t;1s doute pourquoi une telle conception est demeurée comme l'expression d'un idéal qui ne devait jamais être réalisé ; ce qui est étrange, c'est que, au moment même où Dante la formulait ainsi, les événements qui se déroulaient en Europe étaient précisément tels qu'ils devaient en empêcher à tout jamais la réalisation. L'œuvre tout entière de Dante efit, à certains égards, comme le testament du moyen âge finissant ; elle montre ce qu'aurait été le monde occidental s'il n'avait pas rompu avec sa tradition ; mais, si la déviation moderne a pu se produire, c'est que, véritablement, . ce monde n'avait pas en lui de telles possibilités, ou que tout au moins elles n'y étaient que l'apanage d'une élite déjà fort restreinte, qui les a sans doute réalisées pour son propre compte, mais sans que rien puisse en passer à l'extérieur et s'en refléter dans l'organisation sociale. On en était dès lors arrivé à ce moment de J'histoire où . devait commencer la période la plus sombre de l' << âge sombre >> (1), caractérisée, dans tous. les ordres, par le développement des possibilités les plus inférieures ; et ce développement, allant toujours p ua avant dans le sens du changement et de la multiplicité, devait inévitablement aboutir à ce que nous constatons aujourd'hui : au point de vue social comme à tout autr-e point de vue, l'instabilité est en quelque sorte à son maximum, le désordre et la confusion l'Giet respeetifl dee trob guidee de Dante, Virgile, Bâtriee et saint Ber· IW'd, et ceux du pou•oir temporel, de 1'autori~ spirituelle et de leur prineipe eommun ; en c.e qui eoueerne saint Bernard, ceci eet l rappro9w dt ee que nou indiquions prieédemment. (1) Voir LG Cril~ dtt JlonM modMM, eh. l•r.

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AUTORITÉ SPDUTUELLE

'lont partout ; jaiÎlaia, assurément, l'humanité n'a été pins éloignée du « Paradis terrestre » et de la spiritua· lité primordiale. Faut-il conclure que cet éloignement ~t définitif, que nul pouvoir temporel stable et légitime ne régira plus jamais la terre, que toute autorité spiri· tuelle disparaîtra de ce monde, et que Jes ténèbres, -s'étendant de l'Occident à l'Orient, cacheront pour tou· jours aux hommes la lumière de la vérité ? Si telle devait être notre conclusion, noua n'aurions certes pas écrit ces pages, pas plus d'ailleurs que nous n'aurions écrit aucun de nos autres ouvrages, car ce serait là, dans cette hypothèse, une peine bien inutile ; il nous reste à dire pour· quoi now ne pensons pas qn'il puisse en être ainsi.

CHAPITRE IX LA LOI IMMUABLE

ES enseignements de toutes les doctrines traditionnelles sont, on l'a vu, unanimes à affirmer la suprématie du spiritUel sur le temporel et à ne considérer comme normale et légitime qu'une organiution sociale dana laquelle cette suprématie est reconnue et se traduit da:œ les rel:atio:œ des deux pouvoirs corres· pondant à ces deux domaines. 'D'autre part, l~toire montre clairement que la méconnaissance de cet ordre h~érarchique entraîne partout et toujours les mêmes conséquences : déséquilibre social, confusion des fonc· · tions, domination d'éléments de plus en plus inférieurs, et aussi dégénérescence intellectuelle, oubli des principes transcendants d'abord, puis, de
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AUTOBJTÉ SPIBITUELLE

était reconnue, ne fût-ce que d'un petit nombre, ce serait un résultat d'une importance considérable, car ce n'est que de cette façon que peut commencer un changement d'orientation conduisant à une restauration de l'ordre normal ; et cette restauration, quels qu'en soient les moyens et les modalités, se produira nécessairement tôt ou tard; c'est sur ce dernier point qu'il nous faut donner encore quelques explications. Le pouvoir temporel, avons-nous dit, concerne le moooe de l'action et do changement ; or le changement, n'ayant pas en loi-même sa raiaon suffisante (1), doit recevoir d on principe supérieur sa loi, par laquelle seule il s'intègre à l'ordre universel ; si 811 contraire il se prétend indépendant de tout prineipe supérieur, il n'est pius, par là même que désordre pur et simple. Le désordre est, au fond, la même chose que le déséquilibre, et, dans le domaine humain, il se manifeste par ce qu'on appelle 1'injustice, car il y a identité entre les notions de justice, d'ordre, d'équilibre, d'h-armonie, ou, plus précisément, ce ne sont Jà que des aspects divers d'une seule et même chose, envisagée de façons différentes et multiples suivant les domaines auxquels elle s'applique (2). Or, suivant la doctrine extrême-orientale, la justice est faite de la somme de toutes les injustices, et, dans l'ordre total, tout désordre se compense par un autre désordre ; c'est pourquoi la révolution qui renverse la royauté est (1) 0 'est a, proprement, la définition même de la eontingenee. (2) 'roua eea eena, et auaai celni de « loi > sont eompris dans ee que la doctrine hindoue désigne par le mot dhar1M ; l 'aecompliuement par ehaque être de la fonction qui eonvient 1 ea nature propre, lW' quoi repose la distinction des cutea, est appelé .w<Jd~ et on poUJTait faire un rapprochement avec ce que Dante, dana le texte que noua avODI eit6 et eommmrt6 au chapitre préc:Ment. déligne comme c 1'm:ereiee de la vertu propre>. - Noua renverrons auaai, à ce propo1, 1 ee que noua &TODI dit aille11111 aur la « justice > couid6r6e eomme un des attrlbute fond•mentau du c Boi du Monde> et IUJ' 181 rapporte ane la~ paix>.

LA LOI IMMUABLE

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à la fois la .t't;lDBéquence logique et le châtimen', c'est-àdire la compensation, de ·la révolte antérieure de cette même royauté contre l'autorité spirituelle. La loi est niée dès lors qu'on nie le prin~ipe même dont elle é~ne ; mais es négateurs n'ont pu la supprimer réellement, et elle ee retourne contre eUJC ; c'est ainsi que le désordre doit rentrer finalement dans ·l 'ordre, auquel rien ne saurait s'opposer, si ce n'e t en apparence seulement et d'une façon tout iflusoire. On objectera sans doute que la révolutio~ substituant au pouvoir des Kshatriyas celui des caslles inférieures, n'est qu'une aggravation du désordre, et, assurément, cela est vrai si l'on n'en considère que les résultats im· médiats ; mais c'est précisément cette aggravation même qui emp~e le déilordre de se perpétuer indéfiniment. Si Je pouvoir temporel ne perdait sa stabilité par là même qu'il méconnaît sa subordination à l'égard de l'au· torité spirituelle, ii n'y aurait aucune rai on pour que le désordre cesse, une fois qu'il se serait ainsi introduit dans l'organisation sociale ; mais parler de stabilité du désordre est une contradiction clans les termes, puisqu'il n'est pas autre chose que le chllngement réduit à luimême, si l'on peut dire : ce serait en somme vouloir trouver l'immobilité dans le mouvement. Chaque fois que ·l e désordre s'accentue, le mouvement s'accélère, car on fait un pas de plus daD;S le sens du -changement pur et de l' « instantanéité » ; c'est pourquoi, comme nous le disions plus haut, plus lee éléments sociaux qui l'em· portent sont d'un ordre inférieur, moins leur domination eat durable. Comme tout ce qui n'a qu'une existence négativ;e, le désordre se détruit lui-même ; c'est dans son excès même que peut se trouver le remède aux ·cas lœ plus désespérés, parce que la rapidité croissante du changement aura nécessairement un terme ; et, aujours

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AUTORITÉ SPIRITUELLE

d'hui, beaucoup ne commenœnt-ils pas à sentir plus ou moi~ confusément que les choses ne pourront continuer à mler a.insi indéfirument ? Même .si' au point où en est le monde, un redre86ement n'est plus possible sans une catastrophe, est-ce une raison suffisante pour ne pas l'en· visager malgré tout, et, si l'on s'y refusait, ne serait-ce pas là encore' tme forme de l'oubli des prin~ipes immuables, qui sont au delà de toutes 1 vicissitudes du << tempo· rel >>, et que, par conséquent, nulle catastrophe ne sau· rait affecter ? Nous disions précédemment que l'huma· nité n'a jamais été aussi éloignée du << Paradi terrestre» qu'elle 1 est actuellement ; mais il Ile faut pas oublier pourtant que la fin d'un cycle coïncide a ec le commen· cement d'un autre cycle ; qu'on se reporte d'aiHeun à l'Apocplypse, et l'on verra que c'est à l'ext!lême limite du désordre, allant jusqu'à 1 apparent anéln[ltissement du « monde extérieur », que doit e produire l'avènement de la « Jéru alem céle te » qui sera, pour une nouvelle période de 1 hi toire del humanité l'analogue de ce que fut le « Paradi terrestre » pour celle qui e terminera à ce moment même (1). L'identité des caractère de l'époque mo me avec ceux que les doctrines traditionnelles indiquent pour la phase fina-le du Kali-Yuga per· met de penser, sans trop d'invraisemblance, que cette éventualité pourrait bien n être plu très lointaine ; et ce serait là, a rément aprè l'obscuration présente, le comp1et triomphe du spirituel (2). (1) Sur les rapports du c Paradis terrestre > et de la c JOru.sa.Jem oir L 'Esot6rism de Dante, pp. 91-93.

c61este >,

(2) Ce rait aussi, d 'apt~ s certaines traditions d 'éeotérisme oeciden. k.l, ae rattaeha.nt au courant auquel appartenait Dante, la véritable ré&liaation du c Saint-Empire > ; et, en efteb, l'humanité aurait alors retrouvé 1 c Paradis terrestre ~. ce qui, d '&illeurs, impliquerait aa réunion dea deux pouvoirs spirituel et temporel dana leur prineipe. celui-ci étant de nouveau manife té visiblement comme il l'~ait à 1'origine.

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Si de telles prévisions semblent trop hasardeuses, comme elles peuvent le sembler en effet à qui n'a pas de données traditionnelles suffisantes pour les appuyer, on peut du moins se rappeler les exemples du passé, qui montrent clairement que tout ee qui ne s'appuie que sur le contingent et le transitoire passe fatalement, que ton· jours le désor
n

doit être bien entendu que lt. restauration de 1'c ~ primor·

clia1 ~ eet toujoura pouible pour certains hommes, maie qui ne constituent ùora que dea eu d '8%eeption ; U 1 'agit ici de cette reetaure.tion en'ria&g6e poar 1'hum&Di~ prile eollectimnent et dt.u eon eilaemble.

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c'est là, nous l'avons dit, le domaine de l'immuable et de l'éternel ; la hâte fébrile qui e1;t si caractéristique de notre époque prouve que, au fond, nos contemporains s'en tiennent toujours au poin~ de vue temporel, même quand ils croient l'avoir dépassé, et que, malgré les prétentions de quelques-uns à cet égard, ils ne savent guère œ qu'est la spiritualité pure. Du reste, parmi ceux mêmes qui s'efforcent de réagir contre le « matérialisme » moderne, combien en est-il qui soient capables de concevoir cette spiritualité en dehors de toute forme spéciale, et plus particulièrement d'une forme religieuse, et de dégager les principes de toute application à des circonstances contingentes ? Parmi ceux qui se posent en défenseurs de l'autorité spirituelle, combien en est-il qui soupçonnent ce que peut être cette autorité à l'état pur, comme nous disions plus haut, qui se rendent vraiment compte de ce que sont ses fonctions essentielles, et qui ne s'arrêtent pas à des apparences extérieures, réduisant tout à de simples questions de rites, dont les rai· sons profondes demeurent d'ailleurs totalement incomprises, et même de « jurisprudence », qui est une ehose toute temporelle ? Parmi ceux qui voudraient tenter une restauration de l'intellectualité, combien en est-il qui ne Ja rabaissent pas au niveau d'une simple « philosophie », entendue cette fois au sens habituel et « profane » de ce mot, et qui comprennent que, dans leur essence et dans leur réalité profonde, intellectualité et spiritualité ne sont absolument qu'une seule et même chose sous deux noms différents ? Parmi ceux qui ont gardé malgré tout quelque chose de l'esprit traditionnel, et nous ne parlons que de ceux-là parce que ce sont les seols dont la pensée puisse avoir pour nous quelque valeur, combien en est-il qui envisagent la vérité pour elle-même, d'une façon entièrement désintéressée, indé-

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pendante de toute préoœupation sentimentale, de toute passion de parti ou d'école, de tout souci de domination · ou de prosélytisme ? Parmi ceux qui, pour échapper au chaos social où se débat le monde occidental, compren· nent qu'li faut, avant tout, dénoncer la vanité des illusions « démocratiques » et << égalitaires », combien en est-il qui aient la notion d'une vraie hiérarehie, basée essentiellement sur les différences inhérentes à la nature propre des êtres humains et sur les degrés de connais· sance auxquels ceux-ci sont parvenUB effectivement ? Parmi ceux qui se déclarent adversaires de l' « individnalisme », combien en est-il qui aient en eux la cons· cience d'une réalité transcendante par rapport aux indi· vidus ? Si nous posons ici toutes ces questions, c'est qu'elles permettront, à ceux qui voudront hien y réfléchir, de trouver l'explication de l'inutilité de certains efforts, en dépit des excellentes intentions dont sont sans doute animés ceux qui les entreprennent, et aussi celle de toutes les confusions et de tous les malentendus qui se font jour dans les discussions auxquelles nous faisions allusion dans les premières pages de ce livre. Cependant, tant qu'il subsistera une autorité spiri· tuelle régulièrement constituée, fût-elle méconnue de presque tout le monde et même de ses propres représentants, fût-elle réduite à n'être plus que l'ombre d'ellemême, cette autorité aura toujours la meilleure part, et cette part ne saurait lui être enlevée (1), parce qu'il y a en elle quelque chose de plus haut que les possibilités (1) Nous pensons ici au récit évangélique bien eonnu. d6ua lequel Marie et Marthe peuvent etfectivement être eonsidér6es eomme symboli· aant respectivement Je spirituel et le temporel, en tant qu'ils correspondent à la vie contemplative et à la vie active. - Selon saint Augtllltinf (Oontre~ FOIUittnn, XX, 52·58), on trouve le même symbolisme dans les deux épouses de Jaeob : Lie. (labora.ns) représente· la vie aetive, et Rachel (cri.Nm ,Priftotptvm) la vie contemplative. De plus, dans la c Ju.a-

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AUTORITÉ SPIRITUELLE

purement humaines, parce que, même affaiblie ou endormie, elle incarne encore « la seule chose nœessaire », la seule qui ne passe point. « Patiens qui4 œtema », dit-on parfois de l'autorité spirituelle, et très justement, non pas, certes, qu'aucune des formes extérieures qu'elle peut revêtir soit éternelle, car toute forme n'est que con· tingente et transitoire, mais parce que, en elle-même, dans sa véritable essence, elle participe de l'éternité et de 1 immutabilité des principes ; et c'est pourquoi, dans tous les conflits qui mettent le pouvoir temporel aux pri· ses 'avec l'autorité spirituelle, on peut être assuré que, quelles que puissent être les apparences, c'est toujoura cel1e-ci qui aura le dernier mot. tice ~ ee résument toutes lea vertu.a de la vie active, tandis quQ' aa.u. la. < Paix, se réalise la perfection de la vie eontemplatlve ; et on retrouve ici J ~ denx attributs fondamentaux de lMlehi88édee, c'est-à-dire du principe commun des deux poutoirs spirituel et tempo·rel, qui r6giaaent reapectivcment le domaine de la vie active et celui de la vie contemplative. D'autre part, pour saint Augustin également (Sermo XLIII tù Verbv 180MB, c. 2), la raison est au sommet de la partie inférieure de l'lme (eeu, mémoire et cogitative), et 1'intellect au sommet de sa partie aupérieure ( qui connaît les idéea éternellea qui sont les raisons immua.blea dea ehoeee) ; à la première appartient la science (dea choses terrestres et transitoires) 1 à la seconde la Sagesse (conn.aiSS&Dce de 1'absolu et de l'immuable) ·; la première se rapporte à la vie aetive, la seconde à la vie contemplative. Cette distinction équivaut à celle des facultés individuelles et supra-individuelles et dea deux ordres de connaissance qni y correspon· d nt respectivement ; et on peut encore en rapprocher ce texte de saint Thomaa d'Aquin : < Dieendum quod sicut rotWmGbiliter procedere attribuitur MttWali phùosoph~ quia in ipsa observatur maxime modua rationis, ita intellcctualit r proeedere ettribuitur àWinœ smen'Uœ, eo quod in ipaa obaervatur maxime modus intellectus > (ln Boet"-'m de TriMtblt~, q. 6, art. 1, ad 3). On a vu précédemment que, Jmiva.nt l>Jmte., le poUV'Oii:z1 temporel 1 'aeree eelon la c phillosophie > ou la c science > rationnelle, et le pouvoir spirituel selon la c Révélation , ou la < 8agesee > suprarationnelleJ ce qni correspond très exactement à cette distinction des deux parties inrérieure et eup6rieure de 1'lme.

TABLE DES MA.TIÈRES

pages AV&.~-PROPOS • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • •

1

CHAPITRE

I. -

..4.tJtorit6 el h$tfrarchi8 • . • • • • • • • • • . • • • • • . • • • •

15

(,'HA.PITRE

II. -

Fonct'ons du sacerà<>cc ct de la royaut6 . . • • . .

25

CHAPITRE

III. -

Gonnaàssance ct ac«on. . . • . • • . . • • . . • . . . • . . . • •

39

CI:IAPITRE

IV. -

Nature respeotwe cùs Brtlhma-nes et des KshatriyGI ............... , , ... • •, ... ,.......

49

CHAPITRE

v. -

Dépenda'M6 de la royatlt6 à l'égard du sacerdoce

61

ClUPITU

VI. -

La r6uolte des Kshatriyaa . . . . . . • . . . . • • . . . • • . •

73

C~PITRE

VII. -

usurpat~ de la royauté et leurs cons6quence& • • • • • • • • • • • • • ••• • • • • • • • • • • • • • • • • •

79

Paradis terrestre et Paradis céleste . • . • • . . . . •

93

CliAPITRE VIII. CH.lPITRE

ne. -

Lss

La lo$

~mooblc

. . •. . •••. •. . •. . ••. . •. . •. . •••

111

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2

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1984

JUILLET

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M~ME

~DITE UR:

EMILE DERMENGHEM L'Eloge du Vin (Al Xhamriya) Poème mystique d'Omar Ibn al Faridh, avec Commentaires, Introduction c>t • Totes sur le Çoufisme et la Mystique mu.tulmane RF.. •r: GUENON Introduction générale à l'Etude dea Doctrines hindoues Orient et Occident Autoritj spirituelle et PouYoir temporel Le Symbolisme de la Crohc Lea Etats multiples de l'Etre MARIO MEUNIER

Dea Dieux et du Monde. de Salluste le Philosophe Pour a'aaaeoir au Foyer de la Maiaon dea Dieux Docteur PASC.\L BROTTEAUX Hallucinations et Miracles Hachich. herbe ae folie et de rêve FRANCIS W ARR AIN

la Théodicée de la Kabbale (Les Sephiroth · Les Noms divins) s uivie de La Nature Eternelle d'après Jacob Bœhme HŒt."t WRONSKI Œuvres Philoaophiquea (Présentées par Froncis Woroin, avec Introduction, Commentaires, Notes)

PETRUS TALEMARIANUS De l'Architecture Naturelle. ou Rapport de Petrua Talemaria:nu. aur I'Etabliaaement. d'après lea princ:ipea du Tantriame, du Taoiame. du Pythagorisme et de la Cabale. d'une • R•gle d'Or • aena:nt il la réalisation dea Loia de l'Harmonie Uninr..Ue et contribuant à l'accompliaaement du Grand Œune

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