Les Phobies - Pedinielli, Jean-louis

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Table des Matières Page de Titre Table des Matières Page de Copyright Dans la même collection Introduction

1 - Le noyau des phobies 1. Histoire du florilège phobique 2. Clinique(s) de la phobie 3. Visages de la phobie

2 - Classifications 1. Les classifications psychiatriques 2. Classifications psychanalytiques

3 - Théories générales de la phobie 1. Les conceptions freudiennes 2. Les conceptions postfreudiennes 3. Les conceptions comportementales 4. Les conceptions cognitivo-comportementales

4 - Analyse de certaines classes de phobies 1. La phobie chez l'enfant 2. Les phobies spécifiques 3. L'agoraphobie 4. Les phobies sociales, l'anxiété sociale

Conclusion : Angoisse, peur, phobie Bibliographie

© Armand Colin, 2009 978-2-200-24522-1

Dans la même collection ANAUT M., La résilience, 2e éd. BARTHÉLÉMY S. et BILHERAN A., Le délire BÉNONY C. et GOLSE B., Psychopathologie du bébé BÉNONY H., L'examen psychologique et clinique de l'adolescent BÉNONY H., Le développement de l'enfant et ses psychopathologies BILHERAN A., Le harcèlement moral BLANCHET A. et TROGNON A., La psychologie des groupes, 2e éd. BRÉJARD V., BONNET A., L'hyperactivité chez l'enfant BOURGUIGNON O., La déontologie des psychologues CHARRIER P. et HIRSCHELMANN-AMBROSI A., Les états limites CORDIER F. et GAONAC'H D., Apprentissage et mémoire DELAROCHE P., L'adolescence. Enjeux cliniques et thérapeutiques FERNANDEZ L. et LETOURMY F ., Le tabagisme. De l'initiation au sevrage GIFFARD M. et MORAL M., Coaching d'équipe GRAZIANI P. et SWENDSEN J., Le stress GRAZIANI P., Anxiété et troubles anxieux GUENICHE K., Psychopathologie de l'enfant, 2e éd. HAOUZIR S. et BERNOUSSI A., Les schizophrénies HARDY-BAYLÉ M.-C., Le diagnostic en psychiatrie HARRATI S., VAVASSORI D., VILLERBU L. M., Délinquance et violence MICHEL A., Les troubles de l'identité sexuée MORAL M. et ANGEL P., Coaching, 2e éd. MORAL M. et HENRICHFREISE S., Coaching d'organisation PEDINIELLI J.-L. et BERNOUSSI A., Les états dépressifs PEDINIELLI J.-L. et BERTAGNE P., Les névroses PEDINIELLI J.-L. et FERNANDEZ L., L'observation clinique et l'étude de cas PEDINIELLI J.-L. et GIMENEZ G., Les psychoses de l'adulte, 2e éd. PEDINIELLI J.-L., Introduction à la psychologie clinique, 2e éd.

PIRLOT G. et PEDINIELLI J.-L., Les perversions sexuelles et narcissiques, 2e éd. TARDIF C. et GEPNER B., L'autisme, 2e éd. VANIER A., Éléments d'introduction à la psychanalyse

Conception de maquette intérieure : Atelier Didier Thimonier Internet : http ://www.armand-colin.com

Introduction Les phobies sont à l'honneur : chacun a peur de quelque chose et l'angoisse est le lot commun de la société postmoderne. Les phobies, ces « peurs d'un objet ou d'une situation », représentent une forme particulière de « l'économie de l'angoisse », réponses quasi automatiques mais pourtant symptômes extrêmement subtils, tant par les composantes qu'elles mettent en œuvre que par leurs formes et leurs conséquences. En grec ancien, phobos c'est la peur, la crainte, mais, surtout, une figure mythologique. Dans Homère, on retrouve aux côtés d'Ariès, dieu grec de la Guerre, deux écuyers « Deimos » (la terreur) et « Phobos » (la crainte). L'astronomie a suivi cette voie en nommant les deux satellites de la planète Mars (dieu romain de la Guerre), Phobos et Déimos. Cette curieuse opposition préfigure celle que feront des psychiatres comme Donald Klein entre phobie et panique. La phobie est une réalité clinique, une forme de trouble anxieux souvent désignée comme « une peur persistante, injustifiée, irrationnelle d'un objet (ex. un animal), d'une situation (ex. la foule) ou d'une activité (par ex. parler en public) qui déclenchent, lorsque le sujet y est confronté, une poussée d'angoisse paroxystique. Il cherche à éviter ces objets, situations, activités et conséquemment la terreur (panique) qu'ils engendrent ». La phobie a de multiples formes, parfois très spécifiques (peur de tel type d'oiseau par exemple), que les auteurs ont tenté de regrouper dans de grandes catégories : agoraphobie, phobies simples ou spécifiques, phobies sociales… Elle n'épargne d'ailleurs pas les grands hommes : Darwin et sa phobie des serpents, Freud et sa « sidéro-dromophobie » (voyages en train). La phobie, pourtant ensemble de pensées et de mécanismes complexes, est souvent considérée comme un symptôme (au sens médical comme au sens psychanalytique), c'est-à-dire qu'elle peut apparaître de manière isolée ou bien comme un élément d'une maladie ou d'une organisation pathologique. Elle n'impliquerait évidemment pas la même chose selon qu'elle est, par exemple, un symptôme coexistant avec une organisation hystérique, ou un des éléments d'une névrose phobique ou bien un trouble isolé. Étudier la phobie nécessite alors que soit explicitée, non seulement son architecture,

mais aussi la place qu'elle occupe dans un trouble plus général (perspective structurale) ou les liens qu'elle entretient avec d'autres troubles (comorbidité). Or il n'en va pas de même de considérer qu'une phobie exprime le retour du refoulé et de dire qu'il existe une comorbidité avec l'alcoolisme, par exemple, ce dernier servant à lutter contre l'angoisse en cas de rencontre avec le stimulus. Les différentes conceptions de la psychopathologie et de la psychiatrie ont proposé des théories de la phobie en utilisant leurs logiques qui n'aboutissent pas aux mêmes conclusions. Pour certaines, l'important est la phobie en ellemême, pour d'autres elle exprime quelque chose qui est, en quelque sorte, son déterminant : pour la psychanalyse, la phobie est une formation de l'Inconscient, pour les théories comportementales elle est produite par conditionnement. Il s'ensuit que les thérapeutiques divergent totalement : écouter un sujet dont la phobie disparaîtra à l'issue de son interrogation sur son désir, la guérison venant de surcroît comme le dit Freud, n'a rien de commun avec une thérapie cognitive et/ou comportementale de traitement du symptôme et des traits de personnalité qui l'accompagnent. Entre les théories, la notion est la même, mais représente-t-elle le même phénomène ? Nous présenterons ici les différentes conceptions de la phobie, mais nous pensons qu'au-delà de différences radicales entre les écoles, il faut se représenter la phobie comme une conséquence de l'angoisse non élaborable, non verbalisable, une angoisse sans nom, psychiquement destructrice à laquelle elle apporte une tentative de solution – certes pathologique en la canalisant sur un objet, une situation, représentables, verbalisables, implicitement maîtrisables. Mais elle est secondairement productrice de pensées, de comportements, d'investissements qui provoquent à leur tour des inhibitions, enfermements, relations de captation… Elle est bien, à ce titre, une tentative manquée de guérison et une économie qui limite les investissements, le travail psychique, plus qu'elle ne s'ouvre à l'extérieur. Nous défendons en outre l'idée que, au-delà de sa genèse psychologique voire de ses substrats biologiques, la phobie est, comme la dépression, une « pathologie actuelle » et « une maladie de société ». Non seulement elle retranche l'individu des rapports aux autres – qui finissent par se limiter à l'objet contra-phobique, aux proches et aux soignants – mais surtout, elle reflète bien le drame de l'homme de la société postmoderne, toujours menacé,

en rupture entre ses identifications, doté d'une individualité qui lui rend les choix et les décisions difficiles. L'angoisse surmoïque semble être dépassée par l'angoisse narcissique, celle de ne pas savoir qui l'on est, où l'on est et avec qui l'on est. Alors que notre société postmoderne prône l'individualité et le libéral, elle rend les individus de plus en plus dépendants, toujours sous le regard – réel ou virtuel – d'une autorité anonyme : les individus, expropriés de leur corps et de leur subjectivité, sont le support, considérés comme responsables – y compris au sens juridique – d'actes quotidiens qui échappent à leur contrôle (multiples « assujettissements » aux règlements, requêtes, injonctions dans lesquels le sujet n'a aucun choix mais subit les conséquences). Mais la « question sociale » de la phobie invite à réfléchir sur les multiples phobies collectives que la société a engendrées (phobie de ce qui est différent : l'étranger, l'autre sexe, l'autre genre, l'autre orientation sexuelle…) qui apparaissent comme des réponses à la défaillance des symboles, sorte de point d'ancrage pour éviter le trou, le vertige, le mal-être engendré par la corruption des symboles sociaux et culturels. De plus en plus de relations aux objets matériels, de communications virtuelles, de moins en moins « d'humain » (au sens de ce qui est du registre de l'homme et non du matériel) engagent la souffrance vers l'agoraphobie, la phobie simple et la phobie sociale : la peur des autres, de la foule, de l'espace et des objets.

1 Le noyau des phobies 1. Histoire du florilège phobique Si le terme « phobie » remonte à l'Antiquité, son usage pour désigner une entité pathologique et « l'invention » de celle-ci remontent au XIXe siècle. Comme souvent en psychiatrie, le phénomène était décrit ici ou là, mais le concept n'apparaissait pas et le trouble n'était pas isolé des autres. On retrouve ainsi des cas s'apparentant aux phobies chez Hippocrate, Burton (1621), Camus (1769), mais c'est à la fin du XIXe siècle que l'on isole certaines formes particulières : l'agoraphobie de Westphal (1871), la claustrophobie de Ball (1879), l'éreutophobie de Pitres et Régis (1896). On retrouve aussi chez Benedict, chez Griesinger, chez Legrand du Saulle (1878), des cas de la peur des espaces. L'évolution du concept de « phobie » passe d'abord par sa différenciation d'avec les manifestations délirantes décrites à l'époque (« manie sans délire », « folie lucide », « monomanie »…), puis par la distinction des obsessions, par l'usage isolé (et non plus comme radical dans des termes comme agoraphobie ou claustrophobie) du mot « phobie » (vers 1880), et, enfin, plus proche de nous, le dégagement dans certaines conceptions psychiatriques de la « névrose phobique » ou de « la phobie » (au singulier cette fois) comme paradigme psychopathologique, notamment en psychanalyse [cf. la distinction de Birraux (1994) entre phobie-structure et phobie-symptôme]. Le discours psychopathologique est ainsi passé de la description de formes cliniques à la production d'une théorie élaborée d'un processus – « la phobie » – radicalement différent, tant du point de vue descriptif que psychopathologique, de l'obsession (idée qui s'impose au sujet et dont il reconnaît le caractère pathologique) et du délire (croyance en une idée erronée, en opposition avec la réalité ou l'évidence). Le débat entre théories psychanalytiques et théories cognitives et/ou comportementales des phobies

ne remet pas en cause cette unité, même si ces dernières s'attachent à décrire de nombreuses formes cliniques de phobies. Au XIXe siècle les premières théories des phobies restent dépendantes des conceptions traditionnelles de la dégénérescence mentale, de la « constitution » soutenant son apparition, de la nervosité, de l'hyperémotivité. Beard, le créateur de la « neurasthénie », évoque l'anxiété diffuse, généralisée et fait une distinction entre les pantophobies (peur de tout) et les monophobies. Avec Freud (1895), avec Janet (1903), les phobies prennent leurs spécificités, à la fois dans leur description et dans leur interprétation. Freud développe une théorie de la phobie fondée sur le modèle de la névrose [conflit – refoulement – déplacement de l'angoisse sur une représentation (phobogène) – évitement]. Si, en 1895, les phobies apparaissaient comme des manifestations de la névrose d'angoisse (névrose actuelle), la thèse de la phobie comme « hystérie d'angoisse » devient rapidement dominante. Par « hystérie d'angoisse » (terme dû à Stekel), il faut entendre une névrose de transfert dont le noyau est la phobie et qui fonctionne comme l'hystérie de conversion : le refoulement sépare la représentation refoulée et l'affect qui est libéré sous forme d'angoisse, elle-même secondairement liée à une autre représentation (phobie). Ce modèle qui met en avant l'angoisse de castration est nettement perceptible dans le cas du petit Hans (1909), puis dans l'homme aux loups (1918) et remanié dans la seconde topique avec l'analyse proposée dans Inhibition, symptôme et angoisse (1926). Les successeurs de Freud s'orienteront dans la même direction : – la phobie répond au mécanisme de la névrose de transfert (A. Freud, M. Sperling) ; – discussion sur la nature de l'angoisse (angoisse de castration ou retour d'angoisses archaïques, angoisse liée aux pulsions prégénitales avec une défense primitive par la projection (M. Klein), résurgence de l'angoisse du 8e mois ou des terreurs nocturnes pour les auteurs américains) ; – mise en évidence de la fonction défensive de la phobie qui localise l'angoisse ; – discussion autour de l'unité diagnostique de la phobie (Greenson, Brenner), ce qui revient à se demander s'il existe une structure phobique et non pas des phobies coexistant avec n'importe quelle organisation pathologique. Le séminaire de Lacan sur les relations d'objet (1956-1957), viendra, d'une manière très originale, fournir une autre représentation, celle de la phobie comme « plaque tournante ».

Janet, dans Les obsessions et la psychasthénie (1903), décrit des phobies. Il propose de les classer en quatre groupes dont trois se retrouvent dans le

DSM : phobies des fonctions corporelles, en fait phobie de perdre une fonction corporelle (marcher, parler, voir, écrire), phobies des objets (contact), phobies des situations physiques (espace, vide) et phobies des situations sociales (éreutophobie, situations sociales), phobie des idées (être enterré vivant, émettre un blasphème). Pour Janet, dans sa conception hiérarchisée du psychisme, la cause (étiologie) de la phobie est à chercher dans la baisse de la tension psychologique (phénomène supérieur) qui laisse apparaître des phénomènes psychiques inférieurs et qui se traduit par une « inquiétude excitante » et des « agitations émotionnelles forcées à forme systématique ». La phobie permet une dérivation de l'action que le relâchement psychique ne permettait pas : elle est une agitation caractérisée par une inadaptation à la réalité. Certaines de ses conceptions sont reprises par les travaux actuels, notamment sur l'anxiété sociale. Watson, l'inventeur du béhaviorisme, et Rayner réussissent en 1920 la création expérimentale d'une phobie chez le petit Albert (11 mois) : en associant un bruit angoissant à la présentation de son animal favori, ils déclenchent des réactions de peur à la vue du jouet. L'idée d'un apprentissage de la phobie est née et constitue le point de départ des conceptions comportementales puis cognitives de la phobie qui demeurent le modèle de référence à partir duquel se constitueront les théories des autres troubles. D'emblée la position de Watson est totalement différente de celle de Freud. L'évolution des théories de la phobie dépend en grande partie des conceptions de l'angoisse ou de l'anxiété (phénomène physiologique ou psychologique), de l'opposition entre le paradigme de l'apprentissage et celui de l'Inconscient, mais aussi de la description de multiples formes de phobies et de leur statut particulier. Ainsi les travaux sur l'agoraphobie (peur des espaces) renouvellent, à partir des années 1970 (Marks), les points de vue théoriques, notamment à cause de la découverte des « attaques de panique » (Donald Klein) qui sont une autre forme de troubles anxieux. Les travaux vont, pendant cinquante ans, se centrer sur de multiples classes de phobies : agoraphobie, phobies simples, phobies sociales, phobies scolaires, dysmorphophobies… en leur appliquant des conceptions béhavioristes ou analytiques. Mais à partir des années soixante, apparaissent des débats qui tentent de scinder l'agoraphobie des autres phobies. Pour Donald Klein, pharmacologue, il existe un lien entre « panique » (crise d'angoisse) et

agoraphobie, la panique étant à l'origine de l'agoraphobie, de l'évitement et des dépressions secondaires. Il oppose l'anxiété anticipatoire (anxiété généralisée) et l'anxiété aiguë (avec accès d'angoisse comme le trouble panique) qui serait plus liée à des phénomènes biologiques et sensibles aux antidépresseurs. Marks, théoricien des phobies, notamment des phobies sociales, n'est pas d'accord sur le lien entre panique et agoraphobie formulé par Klein. Pour lui, il existerait une agoraphobie primaire sans panique. Pour spécialisé que soit ce débat, il exprime très directement le conflit entre le réductionnisme biologique représenté par Donald Klein et le point de vue psychologique comportementaliste de Marks. En effet si l'agoraphobie est un trouble lié aux attaques de panique, elles-mêmes sensibles aux antidépresseurs, des conclusions rapides pourraient en être tirées sur l'étiologie biologique de l'angoisse, des phobies et la détermination du psychique par le biologique. Où en sommes-nous maintenant ? La psychanalyse, avec ses différents paradigmes (lacaniens, kleiniens, Ego-Psychology…), fait de la phobie un symptôme de l'angoisse qu'elle permet de lier, de limiter. Ainsi son sort est-il associé aux conceptions de l'angoisse en psychanalyse, à sa fonction structurante. Mais le statut de la phobie dépend aussi de celui du symptôme : elle dit quelque chose du passé, du conflit, du désir, de la rencontre avec la castration. À ce titre, elle occupe une place particulière et la psychanalyse ne se fixe pas pour objectif de guérir la phobie, mais d'aider le sujet à comprendre son sens et, peut-être, à dire autrement. Pour Freud, « la guérison vient de surcroît à l'analyse » : elle ne se décrète pas. À cette perspective psychanalytique plus ancienne, s'opposent les conceptions biologiques de l'angoisse et les conceptions cognitivocomportementales qui voient dans la phobie un comportement appris, maintenu par des renforcements. L'anxiété génère des attitudes, des schémas de pensées qui produisent et maintiennent la phobie qui limite l'existence de la personne. Ce courant est actuellement très développé et en conflit majeur avec le paradigme psychanalytique. 2. Clinique(s) de la phobie Même si le terme désigne des situations très diverses, même si le choix de

la « peur » comme vecteur dominant de ces troubles peut être discuté sur le plan psychopathologique à cause de son aspect excessif, « sur-inclusif » et de sa dimension systématique, toutes les phobies présentent des caractéristiques communes : Peur excessive d'un objet ou d'une situation avant la confrontation (l'objet et la situation sont donc « imaginés » ; ex. : si je pense à une araignée, je ressens des manifestations de peur même si je n'en vois pas devant moi). Il s'agit de phénomènes d'anticipation. Clinique : Fred, 24 ans, nous dit : « je panique devant le sang, le mien, celui des autres, les piqûres, les prises de sang… tout ça. Rien que de le dire et d'y penser je me sens mal. Quand on doit m'en faire une, j'ai peur de tomber dans les pommes, je m'évanouis à chaque fois. Alors je fais l'impossible pour éviter tout ça… j'y pense des jours avant… j'ai peur, je n'en dors pas et, à chaque fois, syncope… ». Réaction d'angoisse massive en cas de confrontation. Utilisation de l'évitement ou de la fuite (ex. : j'évite les lieux où il y a des araignées ou bien, si j'en vois une, crise d'angoisse et fuite. Pour éviter à temps, je me focalise sur tous les signaux de danger et j'interprète négativement les situations). Clinique : Fred : « je ne regarde pas les émissions médicales, les informations sur les guerres, les films de guerre ou d'horreur… sinon je tourne de l'œil. Je fais un détour pour ne pas passer devant les hôpitaux et les cliniques et je fais attention aux magazines… le blanc, je crois voir une blouse blanche ». Après la rencontre ou l'évitement, présence de souvenirs des éléments angoissants, de sentiments de dévalorisation, de honte, d'idée de vulnérabilité pour les prochaines rencontres. Clinique : Fred : « j'ai failli m'évanouir au repas de famille quand ils ont commencé à raconter leurs opérations et les accouchements… j'ai l'air d'une andouille avec mes 100 kg... mais c'est comme ça, j'ai horreur de ça mais je repense aux fois où je suis parti avant une prise de sang… à l'impossibilité de rendre visite aux gens hospitalisés et je me dis que je suis un gros nul… mais ça ne change rien ».

La phobie est une peur persistante, injustifiée, irrationnelle, d'un objet, d'une situation ou d'une activité qui déclenchent, en cas de confrontation, une poussée d'angoisse : telle est la définition que nous avons donnée en introduction. Les mots changent d'un auteur à l'autre, mais la description reste identique. Dans les phobies, l'angoisse n'apparaît que lorsque le sujet est mis en présence – concrète ou imaginaire – de l'objet dit « phobogène » ou « phobique ». La plupart des auteurs s'accordent sur le fait que la phobie est associée à des conduites d'évitement, de fuite devant l'objet et à des conduites de réassurance (utilisation de quelqu'un comme « objet contraphobique » par exemple). Dans certains cas, le phobique utilise la confrontation (fuite en

avant) avec une hyperactivité, voire l'affrontement délibéré avec une attitude de défi. Cette conduite peut alterner avec l'évitement dans une suite de rapprochements et de distanciations par rapport à l'objet ou à la situation phobogène. Valérie se plaint de ressentir une « terreur folle » lorsqu'elle est confrontée à un serpent, qu'il s'agisse de l'animal réel ou de sa représentation visuelle (films, dessins…). Le mot même déclenche chez elle une situation d'angoisse. Lors d'une promenade, elle pense avoir aperçu une couleuvre qui a traversé le chemin. Elle est restée tétanisée, immobile. Mais comme d'autres phobiques elle ne peut s'empêcher de regarder certaines images où apparaissent des serpents ; elle se décrit comme dégoûtée, angoissée, tétanisée et… fascinée. Anh a peur en avion et affronte le voyage grâce à une dose légère de tranquillisant, pourtant elle se sent poussée à regarder par le hublot, attirée par le vide… à la fois effrayant et fascinant. Les analystes évoqueront l'ambivalence à propos de cette fascination-répulsion.

2.1. La panique La plupart des phobies ont été précédées par la survenue – isolée ou en présence de l'objet – d'une crise d'angoisse, d'une « attaque de panique ». Précisément, c'est le resurgissement de cette attaque que redoute le sujet confronté à l'objet phobogène ; c'est d'elle, de cette panique, que la phobie le protège. Les manifestations « objectives » de cette angoisse – inaugurale ou expérimentée lors de la rencontre avec l'objet – ont été maintes fois décrites : sensations de crainte ou de malaise intenses, dans lesquels sont survenus de façon brutale des palpitations, des battements de cœur ou une accélération du rythme cardiaque, une forte transpiration, des tremblements ou secousses musculaires, une sensation de « souffle coupé » ou une impression d'étouffement, une sensation d'étranglement, une douleur ou une gêne thoracique, des nausées ou une gêne abdominale, des sensations de vertige, d'instabilité, de tête vide ou une impression d'évanouissement, une déréalisation (sentiment d'irréalité) ou une dépersonnalisation (être détaché de soi), la peur de perdre le contrôle de soi ou de devenir fou, la peur de mourir, des paresthésies, des frissons ou des bouffées de chaleur. Cette description recoupe les critères du DSM-IV. L'analyse de la subjectivité, du vécu, de l'expérience, de la victime est

moins fréquemment fournie. Les mots de nos patients sont évocateurs du vécu corporel, de la perte de l'unité de soi, de la solitude : « c'est comme un malaise, mon cœur bat bizarrement, je le sens qui s'emporte, il tape dans la poitrine… je tremble, j'ai à la fois si chaud et si froid, mes bras, mes jambes sont lourdes… la vie et le sang semblent quitter mon corps… j'ai la tête qui tourne, l'impression que le sol se dérobe sous moi, je vais tomber dans un trou, dans le vide, ou m'évanouir… je tiens à peine debout… je n'ai jamais rien connu d'aussi fort et brutal, je sens mon corps se raidir, j'ai très peur, je ne comprends pas ce qui m'arrive ». La perte de l'unité de soi est évoquée : « il me vient des idées bizarres, des images désagréables », « et si je devenais fou… si je me mettais à crier, paniquer, hurler devant les autres, si je me mettais à supplier qu'on me laisse sortir… j'ai la conviction que je vais mourir ou devenir fou… tout m'échappe, je suis en train de perdre le contrôle de moi-même ; et si c'était grave, et si ça n'allait pas s'arrêter ? » Souvent la déréalisation, la dépersonnalisation ressenties expriment « l'impression que ce qui arrive est irréel, que je suis le témoin extérieur de ce qui m'arrive, comme sorti de moi-même, comme regardant, dédoublé en quelque sorte ». Le sentiment de solitude est souvent mentionné, avec, parfois, ses paradoxes (« je me sens désespérément seul, moi qui ai peur de la foule »). Comme le dit Assoun : « Tout dans la panique est en place de la scène primitive phobique : il y a bien affect de peur envahissante, sentiment d'un danger accompagné d'une épreuve d'intense solitude et de sauve-qui-peut. Qu'il soit seul pendant l'attaque ou au contraire cerné par une foule, le sujet, en ce moment, est au creux de la plus intense solitude. Comme s'il était passé, tout à coup, sur une autre scène » (2005, p. 27). Envahie par la frayeur, au bord de la destruction de soi-même, en proie à une solitude ressentie tant comme abandon que comme confrontation à soi-même, telle est l'expérience douloureuse que la phobie tente de maintenir à l'écart au prix de l'élection d'un objet ou d'une situation au rang de menace angoissante. Demi-victoire certes, mais la frayeur est évitée. 2.2. La phobie _ L'angoisse devenue peur. La phobie exprime très directement cette

frayeur, cette panique incompréhensible, mais en lui donnant une forme, un contenu. Si la panique, terme construit à partir du dieu Pan (dieu des bergers dont la vue déclenchait une mortelle frayeur, dieu libidineux dont la vue était synonyme de mort), est bien ce dont la phobie protège, alors la rencontre avec l'objet ou la situation deviennent la cause d'une peur insoutenable mais assignable à quelque chose. Si l'angoisse est une « peur sans objet », la phobie est une angoisse localisée dans un objet, une situation : « avant avec mes paniques je ne savais pas de quoi j'avais peur. Maintenant je le sais… De la foule, des lieux, des gens. Tant que je n'y suis pas, tant que je n'y pense pas, ça va… Le tout est de ne pas y penser… Du coup plus de télé, de films à la maison… Les livres c'est moins angoissant, c'est moi qui invente le monde, pas lui qui se précipite sur moi par l'image » disait un jeune patient dont l'angoisse n'avait pas altéré la clairvoyance. Mais cet apparent équilibre ne va pas de soi : dans l'idéal le sujet aurait réussi à déplacer sa frayeur, son angoisse sur un objet qu'il suffit de ne pas rencontrer pour vivre dans la quiétude. Mais l'angoisse semble têtue, à moins que ce ne soit le sujet : pour s'en protéger, il la « cherche » : surveillance de l'environnement, interprétation systématique, édification de scènes angoissantes, fascination. _ Un regard, un mot… et la peur. En effet, en dehors de toute présence de l'objet ou de la situation, le sujet focalise son attention sur tout ce qui peut être en relation avec la phobie : il passe en revue l'entourage à la recherche de ce qui peut être angoissant, repère très vite ce qui peut être dangereux, s'alarme immédiatement devant des éléments ambigus en se laissant déborder par la peur. Les dimensions émotionnelle et imaginaire se rejoignent dans la production de scénarios catastrophes, de scènes dangereuses mettant en présence le sujet et tout ce qui peut découler de la situation, la peur submergeant le drame. Parfois, fait hautement significatif, ce n'est ni la rencontre visuelle avec l'objet phobogène, ni même son image (représentations, figurations internes ou externes) mais le mot (le signifiant) qui déclenche l'angoisse : comme un adolescent à la recherche des mots sexuels dans un livre, le phobique est à l'affût des « mots de la phobie », les redoutant et les cherchant tout à la fois : le symbolique est alors le déterminant de la conduite phobique. Enfin, le vertige de la frayeur se soutient de cette double fonction du regard : vigilance et fascination. Bien

que la vue de l'objet suscite la frayeur, le phobique ne peut s'empêcher de guetter son apparition, d'un regard toujours plus vigilant et ne peut s'empêcher de le regarder : captivation, délectation angoissée, fascination… L'objet, la situation redoutés attirent. _ Éviter et anticiper. Évidemment, ce qui caractérise le phobique ce sont les stratégies d'évitement qui permettent de prévenir, d'éviter la confrontation avec l'objet ou la situation redoutés. Il peut s'agir de comportements concrets (conduites de détour, éviter tous lieux où l'objet pourrait se manifester) mais aussi d'évitements plus subtils (d'images, de mots, de pensées, de regarder, de lire, de réfléchir). Parfois, la confrontation est possible avec la présence d'un « objet contra-phobique » qui, comme un fétiche, limite l'irruption de l'angoisse… mais risque fort de rendre le sujet dépendant de lui. Ces évitements s'accompagnent de pensées, de rationalisations et, paradoxalement, renforcent la peur en maintenant une sorte de dépendance anxieuse à ces conduits, à ces objets contra-phobiques. _ La peur de la peur. La phobie s'accompagne aussi de phénomènes psychologiques plus constants qui ne se manifestent pas seulement lorsque la situation ou l'objet redoutés risquent d'être rencontrés. Le sujet phobique connaît une forme d'angoisse caractérisée par la « crainte d'avoir peur » qu'il faut comprendre comme une crainte de la survenue d'un état de panique, d'une frayeur, d'un effroi. Dans le même mouvement, le fait d'être angoissé suscite de la honte comme si quelque chose de dégradant s'y exprimait sous le regard des autres. Le monde extérieur, la nature, la société, les autres sont dangereux, menaçants, générateurs de multiples scénarios dramatiques, le sujet se sent impuissant, inefficace, dépourvu de toute confiance, ne pouvant se fier à rien. 2.3. Conclusion Les phobies se caractérisent par ce lien particulier établi entre un objet, une situation ou une activité et la peur qu'ils engendrent. On a ainsi de multiples possibilités de phobies que, au gré de l'histoire, on classera en catégories distinctes à partir d'un opérateur : par exemple phobies simples, agoraphobie, phobie sociale, ou bien phobies de situations, d'objets, d'animaux, phobies sociales. Mais certaines réalités cliniques dont l'appellation comporte le mot

« phobie » (comme dysmorphophobie, phobie d'impulsion, impulsion phobique) sont généralement classées dans d'autres groupes cliniques. _ Une solution qui tourne à l'échec. En apparence tout paraît simple : l'angoisse se focalise sur un objet ou une situation, ce qui laisse au sujet la possibilité de vivre à condition de ne pas rencontrer l'objet ou la situation angoissants et d'éviter la frayeur redoutée. En outre, des événements de vie, souvent anciens, permettent de comprendre le lien entre l'angoisse et l'objet. Pourtant, l'économie de l'angoisse est imparfaite : avant la confrontation le sujet anticipe par des représentations ou des scénarios (augmentation de la peur anticipée et du sentiment de vulnérabilité), pendant la confrontation, il se focalise sur tous les indices de danger, réalise une lecture partiale du monde extérieur et de ses sensations (il augmente donc la peur), après la confrontation, il se remémore les éléments angoissants ou dévalorisants (ce qui provoque honte, maintien du sentiment de dévalorisation et de vulnérabilité) et appréhende la confrontation à l'objet phobogène. En outre, sur le plan conceptuel, la nature des objets et des situations diffère tellement qu'il est possible de s'interroger sur « l'unité » des phobies, tant d'un point de vue expérientiel que psychopathologique. Les phobies sociales, par exemple, sont-elles une peur des situations sociales ou du regard de l'autre auquel est prêtée, de manière projective, une multiplicité de sens, parfois contradictoires ? L'agoraphobie est-elle si proche des phobies simples alors qu'elle entraîne une crainte de la perte d'identité ? Les phobies historiquement déterminées (cf. le petit Hans) sont-elles comparables aux phobies dépourvues de sens pour le sujet et, apparemment, déconnectées de son histoire (phobies apprises) ? 3. Visages de la phobie Le radical « phobie » est associé à de nombreuses situations cliniques, qu'il s'agisse de l'usage médical (hydrophobie, photophobie…) ou de l'usage psychopathologique (claustrophobie, agoraphobie…). On parle aussi de « phobie de… » (hauteurs, sang…). Stanley Hall, au début du XXe siècle, en avait dénombré 132 ! Mais on retrouve encore le phénomène sans que le terme « phobie » apparaisse clairement (ex. : « peur pathologique »). À l'inverse, il arrive que l'on retrouve le terme dans les locutions (« personnalité

phobique », « phobo-obsessionnelle ») qui désignent des réalités cliniques plus vastes que la phobie. En revanche, certaines locutions comportant « phobie » désignent des états qui n'appartiennent pas réellement au groupe des phobies, soit parce qu'il s'agit d'états délirants (sitiophobie), soit parce qu'il s'agit d'un usage métaphorique soulignant la peur et le rejet inspiré par une situation : homophobie, xénophobie, lesbophobie… 3.1. Description des différentes phobies Pratiquement tous les objets et les situations peuvent devenir supports d'angoisse, ce qui a entraîné l'édification de classifications plus ou moins heureuses fondées sur l'apparence et non sur les processus. On évoque ainsi l'agoraphobie (peur des espaces mais aussi de la foule), la claustrophobie (peur d'être enfermé), la phobie des maladies (nosophobie), l'éreutophobie (peur de rougir), la pantophobie (peurs multiples), les phobies simples ou spécifiques (objets ou situations clairement circonscrits comme les animaux, le sang…), la cheimophobie (peur des orages), la cynophobie (peur des chiens), l'arachnophobie (peur des araignées), l'hématophobie (peur du sang), l'allourophobie (peur des chats), l'astrapéphobie (peur des éclairs), la bronthémophobie (peur du tonnerre)… ! En détaillant, on peut rencontrer des phobies d'animaux (serpents insectes, oiseaux, chiens, chats, requins…), des phénomènes naturels, des orages, du tonnerre, des hauteurs (acrophobie), de la profondeur, du noir, de l'eau, des transports (auto, avion, bateau, train…), des tunnels, des ponts, des ascenseurs, du sang, des injections, des procédures médicales, des accidents. Il y a encore les phobies liées à des situations collectives ou interpersonnelles : peur de rougir (éreuthophobie), phobie de parler et de se produire en public, phobie d'être regardé par les autres, de manger ou de boire en public, d'écrire devant les autres, d'utiliser les toilettes lorsque la présence du sujet y est connue. Le DSM-III avait même inventé la catégorie « phobies sexuelles » (peur de ne pas pouvoir parvenir à une réalisation sexuelle en présence d'un partenaire et de se disqualifier aux yeux de ce dernier). On imagine sans peine que la liste n'est pas limitative et qu'en outre, plusieurs termes désignent la même réalité clinique selon qu'on met l'accent sur tel ou tel aspect (par ex. la peur de parler en public est aussi la peur d'être

regardé, de rougir ou d'échouer…). Actuellement on distingue trois registres : l'agoraphobie, les phobies simples ou spécifiques et les phobies sociales. 3.2. Usages complémentaires Personnalité phobique ? Au-delà des phobies, considérées comme des troubles limités, on retrouve chez certains auteurs français l'idée d'une personnalité « phobique » caractérisée par un retrait dans les relations interpersonnelles, des difficultés à s'impliquer dans les liens affectifs, des craintes d'être exposé à la honte, au jugement des autres. Le trait dominant de ce type de personnalité serait donc l'inhibition à laquelle s'associeraient l'émotivité, la timidité, l'effacement réservé, la crainte de la sexualité, l'évitement du contact avec autrui alors que le désir d'un tel contact existe, la difficulté à aller vers les autres étant vécue douloureusement. Cependant l'individualisation d'une personnalité phobique faisant partie des personnalités pathologiques a été contestée (une telle classe a été englobée dans le diagnostic de personnalité évitante des CIM-10, DSMIII et IV qui met l'accent sur le retrait social et le sentiment de ne pas être à la hauteur). La personnalité évitante se caractérise par une inhibition sociale, des sentiments de ne pas être à la hauteur et d'hypersensibilité au jugement négatif d'autrui : – le sujet évite les activités sociales professionnelles qui impliquent des contacts importants avec autrui, par crainte d'être critiqué, désapprouvé ou rejeté ; – réticence à s'impliquer avec autrui à moins d'être certain d'être aimé ; – il est réservé dans les relations intimes par crainte d'être exposé à la honte ou au ridicule ; – il craint d'être critiqué ou rejeté dans les situations sociales ; – il est inhibé dans les situations interpersonnelles nouvelles à cause d'un sentiment de ne pas être à la hauteur ; – il se perçoit comme socialement incompétent, sans attrait ou inférieur aux autres ; – il est particulièrement réticent à prendre des risques personnels ou

s'engager dans de nouvelles activités par crainte d'éprouver de l'embarras. Elle concernerait 0,5 % à 1 % de la population générale et 10 % de la population qui consulte. M.D. est un étudiant de troisième cycle, âgé de 32 ans et célibataire, qui se présente à la consultation parce qu'il se sent dans une impasse, tant dans sa vie professionnelle que dans sa vie amoureuse. Cela fait plusieurs années qu'il n'arrive pas à terminer sa thèse. Il a accumulé des milliers de fiches. M.D. souffre d'une timidité maladive. Il a beaucoup de mal à entamer des conversations avec des inconnus par crainte de dire une bêtise. Quand il est invité à une soirée, il trouve généralement une excuse pour ne pas y aller. S'il se hasarde malgré tout à sortir, il se sent mal à l'aise et gêné et il est sûr de rougir en permanence (éreutophobie). Il se sent habituellement tellement anxieux et submergé par ces sentiments qu'il part avant d'avoir eu la possibilité de parler à quelqu'un. Il a l'impression après cela d'être un idiot et est encore moins enclin à accepter une prochaine invitation. Il est arrivé occasionnellement que M.D. ait une brève liaison avec une femme, généralement quelqu'un qui lui avait été présenté par une connaissance commune. Ces relations amoureuses finissent habituellement mal. Ses amies sont étonnées par sa timidité sexuelle et se rendent compte qu'elles doivent prendre l'initiative. M.D. devient généralement très embarrassé, il craint que sa performance ne soit pas à la hauteur et souffre souvent d'éjaculation précoce. M.D. est l'aîné de trois enfants dans une famille de la classe moyenne modeste. Sa mère l'aimait comme la prunelle de ses yeux et le patient sentait qu'elle avait pour lui des ambitions très élevées, voire hors de portée. Son père, par contre, est un homme très pieux, humble et modeste dont les expressions favorites sont « personne n'a de raison d'être fier de soi » et « c'est dégoûtant de faire ses propres éloges ». Malgré un ressentiment envers son père, M.D. est très attaché à ses deux parents et à la chambre où il a toujours vécu. Il vit toujours chez ses parents et passe une bonne partie de son temps libre avec eux. Il semble que M.D. était un enfant assez agressif, espiègle et vigoureux jusqu'à ce que son père le surprenne en train de déshabiller la petite fille des voisins et de jouer avec son voisin quand il avait 5 ans. M.D. reçut une raclée mémorable et eut droit à un sermon mortifiant infligé par le prêtre local. Plusieurs mois de rigoureux exercices de religion et d'autodiscipline lui firent perdre son audace et son effronterie, il devint de plus en plus timide et fut déclaré guéri de ses péchés. Il a toujours été évitant et est resté en deçà de ses possibilités depuis. M.D. est intelligent et fin psychologiquement. Il dit spontanément que sa timidité et sa crainte de la critique proviennent de la vigilance avec laquelle ses deux parents surveillaient son comportement. Lorsque le psychiatre lui demande quelles conséquences cela a sur ses performances sexuelles, il rit et dit : « J'ai toujours l'impression que mon père est en train de regarder. » Il relate alors un rêve où il fait l'amour avec une femme sur la banquette arrière d'un taxi jusqu'à ce que le chauffeur de taxi l'interrompe et prenne sa place dans les rapports sexuels. Le patient est contraint de passer sur le siège avant et de regarder la scène d'amour dans le rétroviseur. Il mentionne en passant que la femme est beaucoup plus âgée et pas vraiment belle. (Tiré du DSM-IV, Cas cliniques, p. 279).

Névrose phobique ? Le terme a été d'un usage courant (H. Ey, A. Hesnard, F. Perrier…) en France, dans la période pré DSM-III. Il est sans doute moins fréquent maintenant, mais il recouvre des réalités intéressantes, mêlant des considérations sémiologiques et psychopathologiques. Poser le diagnostic de névrose phobique nécessitait, d'une part, que les symptômes soient liés à un processus névrotique et, d'autre part, que les phobies constituent le mode d'expression privilégié de la souffrance névrotique. La première condition renvoyait à la théorie psychanalytique et supposait l'existence de conflits inconscients, entre désirs contradictoires ou entre désirs et interdits, conflits dont les symptômes phobiques constitueraient une expression symbolique. La deuxième condition supposait que les symptômes caractéristiques des autres névroses structurées, hystérique ou obsessionnelle, soient au second plan. Le tableau se compose donc de la présence prévalente (au premier plan) de phobie(s), intégrée(s) à l'histoire et à l'organisation de la personnalité du sujet et de traits de la personnalité phobique. Certaines formes de phobies, telle que l'agoraphobie, se prêtaient moins que d'autres à un tel éclairage psychanalytique et méritaient d'être classées dans la catégorie plus large des états anxieux névrotiques ; dans ces cas, les symptômes ne peuvent être considérés comme ayant une valeur symbolique mais représentent plutôt une complication. On retrouvait ainsi l'opposition freudienne entre névrose de transfert (l'hystérie d'angoisse pour les phobies) et névrose actuelle (pour les phobies sans dimension symbolique). Usages ambigus Le terme « phobie » apparaît aussi dans d'autres formules, mais les phénomènes qu'il désigne ne sont pas considérés comme appartenant à la classe des phobies ; il s'agit d'un usage reposant plus sur des analogies de formes que sur des identités de processus. La « phobie d'impulsion », la « phobie scolaire », la « dysmorphophobie », la « sitiophobie »… sont des exemples de cet usage : il y a bien peur d'un objet ou d'une situation mais les mécanismes semblent différents. La phobie d'impulsion ou impulsion phobique est littéralement la peur de

faire un acte « impulsif » c'est-à-dire non réfléchi, et dont la prise de conscience ne viendrait qu'après le geste, contrairement à la compulsion où il y a lutte. Pierre, par exemple, ne peut aller sur un balcon parce qu'il a peur d'être poussé (impulsion) à se jeter dans le vide, représentation qui lui fait peur (phobie) et qui le poursuit (obsession) ; il évite donc soigneusement toutes les résidences (la sienne, celles des amies, les hôtels) dans lesquelles il y a un balcon ou, plus généralement, les lieux élevés où il n'est pas protégé par une vitre. Son trouble est intégré à une organisation obsessionnelle et est apparu à l'adolescence alors qu'il a été témoin d'une tentative de suicide par défenestration d'une femme dans l'immeuble d'en face. On retrouve ces véritables obsessions dans les troubles obsessionnels mais aussi les étatslimites, les psychoses débutantes. Sur le plan psychopathologique, on ne peut manquer de s'interroger sur le rapport entre le thème de cette obsession et le désir du sujet : ce qui est craint serait-il ce qui est désiré (le sujet a-t-il peur d'avoir envie de…) ? Notre séparation pédagogique doit toutefois être tempérée par le fait que plusieurs exemples célèbres pris par des analystes sont des phobies d'impulsion (le cas de F. Perrier, celui d'Aulagnier, Emmy von N. de Freud…). Une jeune femme qui travaille dans l'immobilier pénètre dans un appartement pour faire l'état des lieux. L'appartement se trouve au 5e étage et une fenêtre est ouverte. Cette jeune femme a peur du vide. Elle s'approche de la fenêtre et est alors saisie par l'angoisse de se jeter par cette fenêtre. Il y a chez elle à la fois une « phobie du vide » préexistante et une phobie de l'impulsion (phobie d'impulsion, impulsion phobique) à se jeter par la fenêtre, ce qui la terrorise. Mais à d'autres moments, cette jeune femme est fascinée par la hauteur, même saisie d'un vertige, elle jouit de cette position dans le vide, « moment d'angoisse et d'éternité », dit-elle. Elle n'a pas d'idées suicidaires et paraît plus sujette aux mécanismes hystériques qu'à toutes autres formes de pathologie.

La « phobie scolaire » semble désigner des situations de refus scolaire à l'origine desquelles on postule une peur de l'école. Le terme suscite des critiques. Il semble que cette situation clinique réelle puisse correspondre aussi bien à une angoisse de séparation qu'à une anxiété liée au contexte scolaire. Le DSM-IV la cite dans les manifestations de l'angoisse de séparation, mais elle peut revêtir plusieurs formes (principalement sociales) et avoir de multiples déterminants anxieux (agoraphobie ou phobies

spécifiques). Pour les comportementalistes, certains stimuli anxiogènes comme la panique devant un devoir, la peur de la maîtresse, d'avoir des reproches, de ne pas finir à temps… peuvent aussi être présents. L'anxiété sociale est déterminante dans le refus scolaire : l'enfant qui éprouve de l'anxiété face à des situations sociales de l'école (parler à des adultes ou devant les autres, rougir, tomber devant tout le monde, se salir, être l'objet de moqueries) peut utiliser une attitude d'évitement qui se généralise à toutes les situations d'apprentissage. Des enfants souffrant de phobie scolaire peuvent ainsi présenter de vraies difficultés d'apprentissage : dyslexie, dyscalculie, dysorthographie. Enfin, les manifestations dépressives peuvent provoquer une phobie scolaire ou la compliquer. Pour la psychanalyse, elle doit être interprétée à partir de ce que symbolisent l'école, l'apprentissage, la relation aux autres, à l'autorité, à l'effort : la névrose infantile est réactualisée par l'école qui donne aux désirs, interdits et conflits de nouvelles représentations. Plus que la réalité du phénomène clinique, c'est la disparité des mécanismes qui limite la portée du terme « phobie scolaire ». La dysmorphophobie ou « peur d'une dysmorphie corporelle », désigne la préoccupation concernant un déficit imaginaire ou démesuré de l'apparence physique. Si un léger défaut physique est apparent, la préoccupation est manifestement démesurée. Le terme utilisé en 1891 par Morselli a d'abord désigné un trouble du registre névrotique, puis il a fait l'objet de nombreux développements (Kraepelin, Janet…) pour désigner une forme d'hypocondrie et des troubles psychotiques. L'opposition « peur »-« certitude » est, sur le plan psychopathologique, féconde. Il existerait une parenté de certaines formes avec l'anxiété sociale mais le trouble est plus complexe. Il n'est toutefois pas considéré comme psychotique. Sally est une jeune femme de 23 ans qui accepte avec réticence d'aller voir un psychiatre puisqu'elle pense ne pas en avoir besoin : « Mon véritable problème, dit-elle, ce sont ces affreuses rides qui me barrent le front. » Elle montre alors du doigt les lignes que laissent les froncements de sourcils, au-dessus de son nez ; le psychiatre, quant à lui, ne les trouve pas plus prononcées que chez d'autres personnes de l'âge de Sally. « C'est affreux, n'est-ce pas ? Bien sûr, je n'ai pas à être la plus belle fille du monde, mais je ne veux pas non plus être défigurée ! » « C'est terrible. Tout le monde le remarque. Cela me fait paraître si vieille. Je ne suis pas sûre que Joe trouve cela repoussant. Je ne sais pas ce que je ferais s'il me quittait. J'ai bien essayé de bien me maquiller pour les dissimuler, mais ce n'est pas possible de cacher quelque chose comme ça ! » Sa préoccupation pour son apparence n'a pas de répercussion sur sa vie

professionnelle, mais elle s'est mise à éviter les situations où elle peut rencontrer du monde, parce qu'elle ne veut pas qu'on remarque ce défaut. Sally reconnaît que cela la rend malheureuse, sans pour autant se sentir réellement déprimée. Pour le psychiatre, elle semble normale sauf la préoccupation pour ce défaut physique, la croyance n'est pas pour autant délirante puisqu'elle admet elle-même qu'elle donne à ce défaut une importance exagérée, elle évite des situations sociales (mais ce n'est pas phobique) et il n'existe aucune anomalie physique ou une anomalie bénigne. Il s'agit bien d'une dysmorphophobie (DSM III-R., Cas cliniques, p. 140).

Enfin, on connaît des usages métaphoriques : « sitiophobie » (peur d'être empoisonné retrouvée chez les psychotiques), « autodysosmophobie » (crainte obsédante d'être malodorant, d'exhaler des odeurs nauséabondes qui importunent l'entourage), « dermatophobie » (peur d'atteintes cutanées comme dans le syndrome d'Ekbom). Ces peurs sont souvent des manifestations délirantes (Barthélemy Bilheran, 2007) ou prédélirantes. 3.3. Ne pas confondre La phobie possède, du fait de la prévalence de l'angoisse, des parentés avec d'autres troubles anxieux et, en tant que mode de relation aux objets, des proximités avec certains phénomènes. Formes d'angoisse Il est classique de distinguer l'angoisse, la peur et l'effroi (ou panique). L'angoisse (nous ne la différencions pas ici de l'anxiété) est définie comme un sentiment pénible d'attente, une peur sans objet, la crainte d'un danger imprécis, indéterminé. L'effroi – terme qui a préludé celui de « panique » – est un état émotionnel provoqué par des dangers concrets et immédiats auxquels le sujet est confronté brutalement et qui l'envahissent, « danger auquel on n'était pas préparé par un état d'angoisse préalable » disait Freud. Lorsque l'angoisse trouve un objet elle devient « peur », état lié à la perception d'un danger présent. La phobie est donc une peur et l'on ne saurait en parler s'il n'y a pas à la fois angoisse et objet support de celle-ci. Distinctions avec les « troubles anxieux »

Bien que l'angoisse soit la caractéristique principale des phobies, celle-ci est radicalement différente des autres manifestations de ce type que le DSMIV a répertoriées sous le terme « Troubles anxieux ». La phobie doit être ainsi distinguée d'une attaque de panique (crise d'angoisse avec manifestations physiques et psychiques), d'un état de stress (reviviscence anxieuse d'un traumatisme), d'un trouble obsessionnel compulsif, d'une anxiété (ou angoisse) de séparation, d'une idée délirante (croyance erronée en décalage avec ce que montre la réalité). Il reste que, dans la clinique psychiatrique, certaines peurs persistantes qui semblent s'apparenter aux phobies sont en fait très différentes. On retrouve aussi des conduites rappelant l'agoraphobie ou les phobies sociales dans les délires chroniques ou les schizophrénies : isolement, opposition, négativisme, repli sur soi… rationalisés en peur des espaces, peur du regard, peur de parler… Il ne s'agit plus alors de phobies. En effet, dans les troubles psychotiques, le type d'angoisse, la nature des objets ne revêtent pas la même signification que dans les névroses. Parler de phobies, dans la schizophrénie notamment, correspond souvent à un usage descriptif, le trouble possédant d'autres significations (phobie des contacts sous-tendue par des idées délirantes d'intrusion ou de persécution par exemple). De même est-il difficile de faire la distinction entre nosophobie (peur des maladies), idées délirantes de contamination et hypocondrie (certitude – anxieuse – d'être malade). Toute peur d'un objet ou d'une situation ne peut donc être assimilée à une phobie. Associations Les phobies peuvent apparaître isolément, mais chez de nombreux patients elles s'associent à d'autres troubles, qu'ils jouent un rôle dans leur genèse ou bien qu'ils en soient la conséquence. Il existe une forte comorbidité entre les phobies et les autres troubles anxieux, la personnalité évitante, mais aussi les troubles de l'humeur. De même, on rencontre une association entre phobies et utilisation de substances (alcool, tranquillisants, toxiques…) avec des conséquences comme l'abus, la dépendance. Les phobies sont aussi susceptibles d'entraîner de multiples handicaps (difficultés dans la vie familiale, professionnelle, les loisirs), générer des problèmes sociaux et financiers et un sentiment de déplaisir persistant ; le recours à des produits

anxiolytiques (licites ou interdits) ou euphorisants est une éventualité.

2 Classifications Les discours psychiatriques (descriptifs) et psychopathologiques (interprétatifs) proposent des classifications différentes qui ont évolué du fait des modifications des principes directeurs de ces taxinomies. 1. Les classifications psychiatriques 1.1. Le DSM Le DSM-IV-TR, classification syndromique fondée sur la sémiologie et les associations de troubles, distingue les phobies à partir de leur objet en les regroupant en 3 catégories : l'agoraphobie, les phobies spécifiques et la phobie sociale (« Trouble anxiété sociale »). Il isole ainsi l'agoraphobie comme un trouble spécifique susceptible de se combiner avec le trouble panique (série de crises d'angoisse, d'effroi) ; l'agoraphobie « pure » n'est donc pas un diagnostic répertorié puisqu'une agoraphobie peut soit accompagner un « Trouble panique » (diagnostic : « Trouble panique avec agoraphobie »), soit apparaître isolément (diagnostic : « Agoraphobie sans antécédent de trouble panique »). Ce choix est curieux puisque l'agoraphobie « pure » n'existe pas et qu'elle est référée à l'absence du trouble panique, démarche logique pour le moins curieuse qui fait du « Trouble panique » un pivot essentiel. Ce mode de classification n'a pas varié depuis la création du DSM-III (1980). L'agoraphobie (peur des endroits ou des situations d'où il serait difficile de s'échapper ou de trouver du secours en cas d'attaque de panique), seule ou accompagnant un trouble panique, aurait une prévalence sur la vie entière de 2 à 4 %. La phobie spécifique (auparavant phobie simple) est spécifiée en plusieurs

types : animal (ex. : animaux, insectes), environnement naturel (ex. : orages, eau, hauteur…), sang (injection, accident), situationnel (ex. : transports, tunnels…), autre type (ex. : vomir, contracter une maladie…). La prévalence sur la vie entière serait de 7 à 11 % et la prévalence ponctuelle serait de 4 à 8 %. La phobie sociale (trouble anxiété sociale) ne comporte qu'une seule spécification : « type généralisé » (lorsque les peurs concernent la plupart des situations sociales). La prévalence sur la vie entière serait de 3 à 13 %.

Résumé des éventualités pour le DSM : – phobie spécifique (auparavant phobie simple), – phobie sociale (trouble anxiété sociale), – trouble panique avec agoraphobie, – agoraphobie sans antécédent de trouble panique.

1.2. CIM-10 Dans sa rubrique « Troubles névrotiques, troubles liés à des facteurs de stress et troubles somatoformes », la CIM-10 prévoit une classe « Troubles anxieux phobiques » qui se répartit entre : agoraphobie subdivisée en agoraphobie sans antécédent de trouble panique, et trouble panique avec agoraphobie ; – phobies sociales (il est précisé anthropophobie et névrose sociale) ; – phobies spécifiques (isolées) parmi lesquelles on retrouve l'acrophobie (peur des hauteurs), la claustrophobie, la phobie des animaux, les phobies simples ; – autres troubles anxieux phobiques. N.B. La dysmorphophobie et la nosophobie (peur des maladies) ne sont pas classées parmi les phobies mais dans l'hypocondrie.

2. Classifications psychanalytiques La pensée psychanalytique produit des classifications qui ne se fondent pas sur l'apparence (comme le font les nosographies syndromiques de type CIM ou DSM) mais sur les processus. À une époque « préanalytique », Freud, dans deux textes de 1895 (Obsessions et phobies, Neurasthénie et névrose d'angoisse), parle des phobies liées à la névrose obsessionnelle, voire à l'hystérie, puis semble leur opposer deux types de phobies : les « phobies communes » (peur de ce que tout le monde craint) et les « phobies d'occasion » (agoraphobie et autres phobies de la locomotion, peurs qui n'inspirent rien à l'homme sain). Elles sont distinguées entre elles par le fait que leurs mécanismes sont différents, ce que la suite de la pensée analytique ratifiera. Plusieurs cas d'hystérie rapportés par Freud présentent des phobies, ainsi que des patients obsessionnels. Les phobies suivent alors le mécanisme classique des névroses de transfert : origine sexuelle, effet du refoulement, dimension symbolique, l'« hystérie d'angoisse » en étant la forme la plus évidente. Mais à côté de ces phobies, il en cite d'autres, répondant aux mécanismes des névroses actuelles dans lesquelles l'affect d'angoisse « ne provient pas d'une représentation refoulée ». Cette seconde catégorie de phobies ne fera pas l'objet de développements psychanalytiques importants. En prenant comme critères le mécanisme (refoulement), le sens, le rapport au passé, notamment à la névrose infantile et l'efficacité de la psychanalyse dans l'analyse (et la disparition du symptôme phobique), on peut donc opposer ces deux classes de phobies – même si Freud ne l'a pas fait explicitement : – phobies « actuelles » (pas de sens, pas de relation avec l'enfance, pas de refoulement) ; – phobies « névrotiques » (au sens de « névrose de transfert ») de l'hystérie ou de la névrose obsessionnelle, qui sont liées au refoulement œdipien, prennent leurs racines dans l'enfance, ont un sens et seraient accessibles à l'analyse. Toutefois, dans la plupart des travaux analytiques, il sera seulement fait mention de la dimension « névrotique » et les auteurs utiliseront les grandes catégories descriptives pour qualifier les phobies lorsque la clinique ou la théorie amène à en parler : on rencontrera ainsi des références à

l'agoraphobie, à la phobie scolaire, aux phobies de situation… à côté de réflexions inspirées de la conception fondatrice de l'hystérie d'angoisse.

3 Théories générales de la phobie La phobie, catégorie générale se déclinant en différents types, a fait l'objet de théories qui se répartissent actuellement en deux versants principaux : les théories cognitivo-comportementales et les théories analytiques, le pluriel rendant compte des différences de conceptions internes à chacun de ces paradigmes. Mais évidemment, la phobie étant un événement symptomatique déplaisant et handicapant, elle peut être prise dans les communications familiales (théories éco-systémiques), l'expérience vécue (théories phénoménologiques ou existentielles ou humanistes), même si ces paradigmes ne donnent pas de théories de la phobie. 1. Les conceptions freudiennes Les conceptions de Freud sur la phobie sont étroitement dépendantes de l'évolution de ses deux théories de l'angoisse (1895 puis 1926) jalonnées par de nombreuses mentions dans plusieurs textes : Le Refoulement (1915), Leçons d'introduction à la psychanalyse (1916-1917), Inhibition, symptôme et angoisse (1926), Nouvelles Conférences sur la psychanalyse (1932)… (pour une étude de ces théories de l'angoisse, lire Laplanche, 2006 et Assoun, 2006). Angoisse (Angst) et peur (Furcht) ne sont pas équivalentes : l'angoisse, sensation déplaisante devient « peur » quand elle trouve un objet auquel elle se fixe. Ces deux théories freudiennes de l'angoisse semblent s'opposer. Dans la première (à partir de 1895), c'est le refoulement d'une représentation qui provoque l'angoisse, alors que la seconde (1926) soutient que la menace pour le moi engendre l'angoisse qui provoque le refoulement, contradiction apparente qui implique une modification de la théorie freudienne de la phobie. En effet, la conception originaire de la phobie, contemporaine de la mise en place de la première théorie de l'angoisse, en fait un symptôme proche de

ceux que Freud décrit dans l'hystérie. Bien que toutes les phobies ne soient pas hystériques, et que le « paradigme de l'hystérie » soit impuissant à rendre compte de chacune, dans la phobie le désir sexuel, souvent œdipien, est refoulé et l'angoisse déplacée sur un objet extérieur (objet phobique). Le sujet est protégé de l'angoisse à condition de ne pas rencontrer l'objet. La « problématique objet-fétiche vs objet-tabou » est proche. Dans la seconde conception de la phobie, qui a servi de base à la plupart des conceptions kleiniennes, postkleiniennes ou de la psychologie du moi, la phobie est en lien avec des angoisses préœdipiennes. Freud place alors l'angoisse (qui est un affect suscité par le moi en réaction au danger) à l'origine de la phobie. Celle-ci apparaît ainsi comme le masque et le signe de la présence d'un danger (pulsionnel ou réel). 1.1. Avant Hans Même si la thèse de la phobie « symptôme de l'hystérie d'angoisse » est celle de la première théorie de l'angoisse, même si Freud est fidèle à une conception de l'étiologie sexuelle des phobies avec un refoulement de la représentation et un déplacement de l'affect sur un objet, la lecture de ses premiers textes montre ses hésitations. À côté de ce modèle principal, on voit poindre d'autres idées pour d'autres phobies : phobies « actuelles » sans étiologie sexuelle fantasmatique, phobies comme crainte de la répétition d'un traumatisme antérieur. Phobie de la maternité La première mention de la phobie par Freud se trouve en 1892 dans Un cas de guérison hypnotique avec des remarques sur l'apparition de symptômes hystériques par la « contre-volonté ». La phobie présentée est une sorte de « phobie de la maternité », formulation plus métaphorique que sémiologique, mais il s'agit d'une mère qui ne peut pas – à cause de son angoisse – nourrir son nouveau-né. D'emblée, la phobie est conçue par Freud – le Freud préfreudien pourrait-on dire puisque sa théorie n'existe pas encore – comme un symptôme hystérique et un conflit de représentations. Il estime que la patiente n'est peut-être pas consciente de sa crainte de mener à bien ce dont

elle a envie (nourrir l'enfant) et qu'elle en est empêchée par elle-même sans qu'elle puisse savoir d'où provient cette « contre-volonté ». « L'hystérique se comporte ici autrement, elle n'est peut-être pas consciente de sa crainte, elle a le ferme projet de mener à bien l'allaitement et s'y met sans hésiter. Mais alors elle se comporte comme si elle avait la volonté de ne nourrir en aucun cas l'enfant, et cette volonté provoque chez elle tous les symptômes subjectifs qu'une simulatrice invoquerait pour se soustraire à l'allaitement : l'absence d'appétit, l'aversion devant la nourriture, les douleurs lors de la mise au sein » (p. 38). Mais à côté de cette théorie de la phobie hystérique, Freud mentionne l'existence des « phobies variées des neurasthéniques ». Or, il oppose trait pour trait les mécanismes de la neurasthénie et ceux de l'hystérie, ce qui laisse entendre qu'il pourrait y avoir une différence majeure entre les phobies hystériques et les autres… et qu'il y en a bien d'autres. La phobie de l'envie d'uriner Dans Les Psychonévroses de défense (1894), il cite deux cas de phobie, dont l'un est plutôt une « phobie d'impulsion » puisque la patiente craint, à la vue d'un couteau aiguisé, d'en frapper son enfant. Le sous-titre de l'article est d'ailleurs fort révélateur : « Essai d'une théorie psychologique de l'hystérie acquise de nombreuses phobies et obsessions et de certaines psychoses hallucinatoires ». Freud développe un modèle psychopathologique qui, pour certains processus, rapproche phobies, obsessions et troubles psychotiques. Dans tous ces troubles, des représentations insupportables sont exclues et forment un « groupe psychique séparé », prémisse de ce qu'il appellera les « représentations inconscientes », leur affect étant attaché à d'autres représentations, après refoulement. Un cas de phobie vient étayer son argumentation. Une jeune fille était hantée par la crainte de succomber à l'envie d'uriner « depuis le jour où un besoin de cette sorte l'avait véritablement obligée à abandonner une salle de concert pendant la représentation » (p. 10). L'envie d'uriner, condition de la sortie de la salle, semblait avoir été provoquée par une situation particulière : « dans la salle de concert, un monsieur qui ne lui était pas indifférent avait pris place non loin d'elle. Elle commença à penser à lui et à s'imaginer qu'elle était sa femme, assise à ses côtés » (ibid.) et cette rêverie sentimentale

déclencha chez elle un plaisir génital, une sensation sexuelle voluptueuse qui « se termina par une légère envie d'uriner ». En termes plus conformes à la pensée ultérieure de Freud, un fantasme sexuel produisit l'équivalent d'un orgasme masturbatoire se terminant par une envie d'uriner. Le fantasme et cette envie d'uriner constituent la représentation à l'origine de la phobie qui est apparue parce que le fantasme sexuel entrait en contradiction avec le moi. En effet, Freud nous précise que cette jeune fille était à la fois très prude, avait horreur de tout ce qui était sexuel et « si hyperesthésique que les rêveries érotiques, qu'elle se permettait volontiers, provoquaient à chaque fois cette sensation voluptueuse ». Le conflit entre les interdits et le désir érotique, notamment la sensation physique, déclenche de l'angoisse qui se déplace sur la crainte d'uriner, substitut de la sensation physique plaisante et interdite. Une fois le lien entre peur et « envie d'uriner » établi, la phobie se développe avec des conduites d'évitement et d'anticipation : « Cette phobie l'avait peu à peu rendue complètement incapable de tout plaisir et de toute relation sociale. Elle ne se sentait bien que lorsqu'elle savait être à la proximité des cabinets où elle pouvait se rendre discrètement » (ibid.). Le schéma freudien – « désir vs interdit » → angoisse → déplacement sur un objet ou une situation (en lien de substitution avec le désir originaire) → « évitement et anticipation » – paraît parfaitement opérant.

Pourtant, à la lumière des travaux ultérieurs, plusieurs points attirent l'attention. D'abord, le moment de l'apparition de la phobie est particulier dans la mesure où il confronte la patiente à l'homme « réel ». Jusqu'alors, la jeune fille fantasmait et avait cette sensation voluptueuse (associée à – ou interprétée comme – l'envie d'uriner) sans conséquences phobiques. La phobie éclate au moment où apparaît l'homme réel à la fois désiré et menaçant : la présence, le regard, le « c'est possible » déclenchent l'angoisse qui, d'habitude, semble ne pas apparaître. C'est la présence, la seule présence de cet homme qui déclenche l'angoisse de la peur d'uriner alors que lorsqu'elle fantasme seule, la situation est maîtrisée. Et la fuite aux toilettes est aussi une fuite devant cet homme qu'elle voit et ne fait pas qu'imaginer. Ensuite, l'omniprésence du regard, du scopique dans cette phobie est

frappante. La crainte d'être vue allant aux toilettes, le regard porté sur l'homme sont à mettre au crédit de la phobie sociale avec son cortège de mise en danger par le regard d'autrui (cf. supra). Enfin, cette sensation d'envie d'uriner – qui accompagne l'orgasme – est surdéterminée : plaisir génital confondu avec un plaisir mictionnel conforme aux théories sexuelles infantiles, reste de la jouissance phallique, symbole de l'irrépressible de la sexualité menaçante, incontrôlable. Dans cet article, Freud développe ainsi la thèse désormais classique du caractère inconciliable de certaines représentations, notamment sexuelles, avec le reste du moi. Le modèle demeure celui de l'hystérie, mais apparaît l'idée que, dans certaines phobies, on ne retrouve pas de représentation refoulée : « Le groupe des phobies typiques, dont l'agoraphobie est le prototype, ne se laisse pas ramener au mécanisme psychique décrit ci-dessus ; au contraire, le mécanisme de l'agoraphobie diffère par un point décisif de celui des obsessions véritables et des phobies qui sont réductibles à celles-ci. On ne trouve pas ici de représentation refoulée dont l'affect d'angoisse aurait été séparé. L'angoisse de ces phobies a une autre origine » (p. 11). La position de Freud peut alors être résumée en trois axes : – l'axe principal (qui sera maintenu pendant la durée de la première théorie de l'angoisse) ; – une représentation (idée, souvenir, image, pensée…) intolérable est accompagnée d'un affect (sentiment) pénible (l'angoisse) ; – la représentation est refoulée et l'affect d'angoisse est « transposé » (déplacé) sur un objet qui devient l'objet phobique. Freud remarque déjà que la phobie, comparée à l'hystérie de conversion, n'apporte pas un bien grand soulagement : « En s'engageant, pour la défense, dans la voie de la transposition de l'affect le moi se procure un avantage beaucoup plus mince que dans la conversion hystérique de l'excitation psychique en innervation somatique. L'affect dont le moi a souffert demeure sans changement et sans atténuation après comme avant, la seule différence étant que la représentation inconciliable est maintenue dans les dessous et exclue du souvenir. Ici encore, les représentations refoulées forment le noyau d'un second groupe psychique qui, me semble-t-il, est accessible même sans l'aide de l'hypnose » (p. 9). L'agoraphobie provient d'une autre source d'angoisse et on ne retrouve pas

de représentation refoulée. Cette position ne sera pas maintenue longtemps par Freud qui verra dans l'agoraphobie le rôle de la pulsion sexuelle : fantasmes de prostitution, active ou passive. Toutes les phobies ne correspondent pas à ces deux axes puisque, dans le texte, il fait référence à la psychasthénie de Janet et à la neurasthénie, comme s'il pouvait exister pour lui des phobies non hystériques. Les phobies (année 1895) Malgré ces contributions, le texte de 1895 (Obsessions et phobies) inaugure la pensée freudienne, complété par celui portant sur la névrose d'angoisse et la neurasthénie (Qu'il est justifié de séparer de la neurasthénie un certain complexe symptomatique sous le nom de « névrose d'angoisse », 1895), mais apparaîtront d'autres mentions dans la correspondance et différents textes (Études sur l'hystérie, Interprétation des rêves…). Dans Obsessions et phobies (1895), Freud étudie encore les phobies et les obsessions selon un processus commun tout en maintenant leurs différences cliniques. Les phobies sont thématisées et étudiées pour elles-mêmes. Curieusement, dans ce texte, Freud met surtout l'accent sur l'absence de représentation à retrouver, contrairement à ce qui se produit dans les obsessions (qui sont des idées ou des images qui s'imposent au sujet, qui l'assiègent – obsidiere en latin signifie « mettre le siège » – et dont il reconnaît le caractère pathologique). Le mécanisme des phobies est différent de celui des obsessions : « ce n'est plus le règne de la substitution » (p. 41), ce que nous pouvons traduire par le fait que, dans la phobie, une idée n'est pas mise à la place d'une autre, insupportable. Bien plus, l'analyse ne permet pas de retrouver une idée inconciliable avec le moi. Freud est en retrait sur ses conceptions antérieures puisqu'il met l'accent sur l'état émotionnel et pas du tout sur la représentation : dans la phobie « on ne dévoile plus par l'analyse psychique une idée inconciliable, substituée. On ne trouve jamais autre chose que l'état émotif, anxieux qui, par une sorte d'élection, a fait ressortir toutes les idées propres à devenir l'objet d'une phobie » (p. 43). Pour expliciter son propos, il prend l'exemple de l'agoraphobie que dans le texte de 1894, il considérait comme différente. Et sa conception de l'agoraphobie préfigure la seconde théorie de l'angoisse. L'agoraphobie apparaît comme la crainte de la

répétition d'une attaque d'angoisse (dirait-on aujourd'hui « attaque de panique » ?), thèse finalement très moderne : « Dans le cas de l'agoraphobie, etc., on rencontre souvent le souvenir d'une attaque d'angoisse, et en vérité ce que redoute le malade c'est l'événement d'une telle attaque dans les conditions spéciales où il croit ne pouvoir y échapper » (p. 45). La proposition de Freud invite à penser la phobie comme une crainte de la reproduction d'une détresse (« attaque d'angoisse ») jointe à l'impuissance (« croit ne pouvoir y échapper »). Cette idée de l'existence d'un « état émotif, anxieux » de la reproduction, de l'absence de souvenirs autres que l'attaque d'angoisse, ou de représentations, mène Freud sur un chemin qui lui permet de distinguer « névrose anxieuse » et « neurasthénie » (qui correspond à une conception dominante à son époque). Il maintient que « les phobies font partie de la névrose anxieuse » (p. 45) qu'il considère comme d'origine sexuelle mais d'une manière particulière puisqu'il s'agit plus du somatique que de la dimension psychique, fantasmatique, représentée de la sexualité. « La névrose anxieuse est d'origine sexuelle, elle aussi, autant que je puis voir, mais elle ne se rattache pas à des idées tirées de la vie sexuelle : elle n'a pas de mécanisme psychique, à vrai dire. Son étiologie spécifique est l'accumulation de la tension génésique, provoquée par l'abstinence ou l'irritation génésique frustrée (pour donner une formule générale pour l'effet du coït interrompu, de l'impuissance relative du mari, des excitations sans satisfaction des fiancés, de l'abstinence forcée, etc.) » (p. 45). Il décrit ainsi une « névrose actuelle » par opposition aux « névroses de transfert ». Dans les premières, le symptôme n'est pas rattaché aux représentations de l'enfance, dans les secondes, le symptôme est en relation avec les représentations refoulées et possède un sens accessible par la psychanalyse. La distinction entre « névrose d'angoisse » (névrose actuelle) et « hystérie d'angoisse » (névrose de transfert) pose bien la question des différentes formes d'étiologie des phobies. Dans le texte Qu'il est justifié de séparer de la neurasthénie un certain complexe symptomatique sous le nom de « névrose d'angoisse » paru en 1895, Freud maintient la thèse des deux types de phobies : celles de la « névrose d'angoisse » (névrose actuelle) et celles des autres névroses dans lesquelles la phobie provient d'une représentation refoulée à laquelle se substitue la représentation phobique, par ailleurs analysable et dotée de sens.

La différence entre hystérie et névrose d'angoisse tient à ce que « l'excitation, dont le déplacement est la manifestation de la névrose, est purement somatique (excitation sexuelle somatique) dans la névrose d'angoisse, tandis que, dans l'hystérie, elle est psychique (provoquée par un conflit) » (p. 38). Ces deux textes de 1895, tout en affirmant le mécanisme de la phobie, laissent encore la possibilité de plusieurs étiologies des phobies. Mais cette position est ambiguë car elle coexiste avec une autre faisant de la phobie un symptôme de l'hystérie, c'est-à-dire l'effet d'une représentation sexuelle conflictuelle refoulée par le moi. Cette dualité n'est pas sans intérêt puisqu'elle préfigure le débat entre les phobies « simples symptômes sans détermination inconsciente » et les phobies « symptômes névrotiques renvoyant à l'enfance et dotées d'un sens inconscient ». Bien sûr, les travaux psychanalytiques ultérieurs ne retiendront que cette seconde voie conforme à l'expérience analytique, mais le clivage entre les conceptions comportementales et psychanalytiques de la phobie existe déjà chez Freud, mais entre névroses actuelles et névroses de transfert et non pas entre sens inconscient et théorie de l'apprentissage. Persistera la conception « hystérique » qui mettra la phobie en rapport avec la représentation, la substitution et le déplacement de l'angoisse. « L'hystérisation des phobies » Bien que certains textes datent d'avant 1895, ils montrent déjà la « logique hystérique des phobies » à l'œuvre. Il est vrai qu'il s'agit de patientes clairement hystériques et non pas de patients présentant uniquement des phobies. Mme Emmy von N… et ses phobies traumatiques Le cas « Mme Emmy von N… » se trouve dans les Études sur l'hystérie publiées en 1895 mais l'histoire racontée par Freud commence en 1889, à une époque où il pratiquait encore l'hypnose. Cette patiente de 40 ans présentait de multiples troubles hystériques sévères : délires, hallucinations avec une activité mentale intacte, modifications de la personnalité, troubles de la

mémoire (amnésie lacunaire), bégaiement, claquement de langue, somnambulisme, insensibilité des extrémités, crampes à la nuque, contractures, douleurs, troubles somatiques, hyper-expressivité, quelques conversions, modifications de l'humeur, troubles de la conscience (que le DSM appelle désormais « dissociation »), troubles de la volonté (aboulie) et… phobies. L'histoire est particulièrement riche tant dans l'expression des symptômes que dans les événements de l'existence, voire le contexte de l'époque. Un de ses troubles révèle bien l'intensité et la profondeur de sa souffrance : « Ses phrases sont parfaitement cohérentes et dénotent de toute évidence une intelligence et une culture peu ordinaires. Il semble d'autant plus étrange de la voir s'interrompre toutes les deux minutes, l'expression de son visage exprimant à cet instant la terreur et le dégoût. Les doigts crispés, recroquevillés, elle fait un geste du bras comme pour me repousser en s'écriant d'une voix angoissée : « Ne bougez pas ! Ne dites rien ! Ne me touchez pas ! » Sans doute est-elle sous l'impression de quelque effrayante vision itérative et se sert-elle de cette formule pour parer l'intrusion de cet élément étranger » (Études sur l'hystérie, p. 35). Freud s'oppose, à propos des phobies, aux conceptions de l'École française de psychiatrie qui en faisait des stigmates de la dégénérescence nerveuse (thèse organiciste) et insiste sur leur dimension traumatique, c'est-à-dire qu'il estime qu'elles proviennent d'événements difficiles ayant suscité de l'angoisse. L'origine de la phobie ne doit pas être cherchée dans une catégorie générale de « phobies primaires des hommes » (de l'humanité) mais bien dans l'histoire des individus et dans leur incapacité à se débarrasser des émotions produites. Parmi les terreurs de Mme Emmy von N…, Freud identifie des phobies des animaux qu'il peut rattacher à des souvenirs, qui ne sont souvent accessibles que par l'hypnose – et donc inconscients –, souvenirs traumatiques et dont certains possèdent une connotation sexuelle. En outre, l'origine de certaines phobies est associée à une conversion hystérique qui semble ne pas avoir été suffisante pour orienter l'affect vers les « voies somatiques ». Freud considérait en effet que, dans l'hystérie, la conversion est un mécanisme qui permet de se débarrasser de la représentation douloureuse (refoulement) et de l'affect désagréable qui est transformé en manifestations somatiques (cf. le cas Dora). Or ici, les représentations traumatiques sont bien refoulées, mais

l'affect d'angoisse demeure. La peur des crapauds, présente chez la plupart des individus, a été chez elle renforcée par l'attitude de son frère qui lui lança à la tête un crapaud crevé, ce qui déclencha un premier accès de contracture hystérique. Lorsque Freud lui demande l'origine de sa tendance à s'effrayer : « D'abord de l'époque où j'avais 5 ans et où mes frères et sœurs me lançaient très souvent à la tête des bêtes mortes ; c'est alors que je me trouvai mal pour la première fois, avec accompagnement de convulsions. Mais ma tante déclara que c'était horrible et qu'on ne devait pas avoir de tels accès. Alors ils ont cessé. Ensuite à 7 ans, quand je me suis trouvée, sans m'y attendre, devant le cercueil de ma sœur, puis à 8 ans, quand mon frère revêtu de linges blancs jouait au fantôme pour me faire peur ; à 9 ans, quand je vis ma tante dans son cercueil et que, tout à coup, son menton se décrocha » (p. 39). La non-préparation, la surprise, l'absence d'anticipations déterminantes dans la survenue de ces peurs préfigurent l'opposition entre « effroi » et « peur » (d'un objet) que Freud développera dans Au-delà du principe de plaisir (1920). La phobie des chauves-souris se rattachait à un souvenir d'un de ces animaux qui s'était laissé enfermer dans l'armoire du cabinet de toilette. Elle s'était alors précipitée nue hors de la pièce. La phobie des orages est associée à un souvenir désagréable : « Un jour, les chevaux attelés à la voiture dans laquelle se trouvaient les enfants s'emballèrent ; une autre fois, je traversais la forêt en voiture avec les enfants pendant un orage. La foudre tomba sur un arbre, juste devant les chevaux ; les animaux eurent peur et je pensai : “Surtout reste bien tranquille sans quoi tu effrayeras davantage encore les chevaux par tes cris et le cocher ne pourra plus les retenir.” C'est à partir de ce jour que ça a commencé. » Lorsqu'elle parle de ce qui a commencé c'est le bégaiement qu'elle évoque. Ce « trouble spasmodique » (l'idée de spasme est évocatrice) du langage se manifestait dans toutes les situations où elle était anxieuse ; cette véritable conversion hystérique avait pour effet de rendre incompréhensibles ses propos et, en conséquence, de ne pas être entendue lorsqu'elle pouvait évoquer ses émotions. De multiples scènes traumatiques sont associées à ce bégaiement : agression par son frère, rencontre avec la folie, surprise d'un regard fixé sur elle… La peur (phobie ?) « de voir se produire soudain un fait épouvantable et

inattendu » provient du souvenir (« terrible impression ») de la mort subite de son mari qu'elle croyait en bonne santé. La phobie des inconnus « puis de toute l'humanité » était en relation avec les très graves conflits avec sa belle-famille qui l'amenaient à penser que toute personne étrangère était un « agent » de cette famille. La peur des asiles d'aliénés et des fous provenait des descriptions que lui en avait faites, assez stupidement, une domestique alors qu'elle était une enfant crédule, mais aussi de nombreuses situations de confrontations avec des malades mentaux, dans sa famille comme à l'extérieur. Freud précise d'ailleurs ce qu'il reprendra dans L'Inquiétante étrangeté (1919) : cette crainte de la folie est présente chez tout névrosé dans le souci de « ne pas succomber lui-même à cette maladie » (Freud, 1895, p. 68). La phobie est donc aussi générée par l'angoisse de rencontrer chez d'autres ce que l'on pressent en soi, ce que l'on craint pour soi, peut-être aussi ce qu'on a connu un jour. La peur « de trouver quelqu'un derrière elle » est en lien avec des expériences traumatisantes de sa jeunesse ou plus tardives : personne inconnue se glissant dans sa chambre (avec un élément érotique). La phobie « d'être enterrée vivante » est reliée à la mort de son mari ; elle croyait en effet qu'il n'était pas mort au moment où l'on emportait son cadavre. Mais s'agit-il vraiment d'une phobie ? Freud explique l'état de la patiente à partir de deux éléments : la nonliquidation des affects et le retour de souvenirs qui ravivent l'état affectif douloureux. En premier lieu, les affects pénibles qui ont été suscités par les événements traumatiques n'ont pas été liquidés (exprimés) : mauvaise humeur, chagrin à la mort de son mari, rancune (liée aux réelles persécutions par la famille), la peur (multiples événements angoissants), le dégoût (repas avalés par contrainte)… En second lieu, l'activité mnémonique (le souvenir) « est chez elle très poussée et fait resurgir, dans la conscience, bribes par bribes, tantôt spontanément, tantôt par l'effet d'une excitation nouvelle et ravivante (…) les traumatismes avec l'état affectif qui les accompagnait » (p. 71), idée proche de sa formule « l'hystérique souffre de réminiscences ». La question de ce qui deviendra « le retour du refoulé » est ainsi posée. Les phobies apparaissent liées à ce double mécanisme de non-liquidation de l'affect et de réactivation par les éléments de la vie quotidienne. La phobie semble opérer une généralisation de l'angoisse à tout ce qui peut rappeler le

ou les traumatismes. Un autre élément frappe Freud. Il souligne, en reprenant la vie de cette patiente, qui fait face à de nombreuses obligations, la « rétention de grandes quantités d'excitation » (p. 80). Or cette répression de l'excitation, cette surdité aux désirs, n'est pas sans conséquences. Son apparente réserve témoigne d'une lutte contre des désirs inacceptables : « La patiente montrait dans tout son comportement, mais sans affectation ni pruderie, la plus grande décence. Cependant, quand je me rappelle avec quelle réserve elle m'avait raconté, pendant l'hypnose, la petite aventure de sa femme de chambre à l'hôtel, j'en viens à soupçonner que cette femme d'un tempérament violent, si capable d'éprouver des sentiments passionnés, avait dû mener une lutte serrée pour vaincre ses besoins sexuels et s'épuiser psychiquement beaucoup à l'époque en essayant d'étouffer cet instinct, le plus puissant de tous » (p. 8081). Chez Mme Emmy von N…, Freud perçoit la dimension sexuelle comme un élément dont la défaite, sous l'effet des contraintes morales, entraîne la « rétention de grandes quantités d'excitation », contexte favorable aux troubles hystériques. Les phobies – hystériques – apparaissent produites par des traumatismes dont l'affect n'a pas été abréagi et que les situations de la vie quotidienne viennent rappeler. La phobie est ainsi une protection contre la répétition des traumatismes – réels – et de leur charge affective. La sexualité est bien présente dans la pensée de Freud, mais il n'envisage pas, dans ce texte, la question du désir sexuel et du fantasme. Emma et le traumatisme sexuel infantile Le cas Emma évoqué par Freud dans l'« Esquisse de la psychologie scientifique » (1895, inNaissance de la psychanalyse) instaure une entrée du sexuel infantile dans la conception de la phobie. La théorie reste fidèle à la thèse du trauma et le cas est présenté comme une « obsession hystérique », la distinction entre phobie et obsession étant assez lâche. Cliniquement, la phobie est assez particulière : Emma ne peut rentrer seule dans les magasins. Elle a peur que les vendeurs se moquent de sa toilette, mais la compagnie d'un jeune enfant lui permet d'y pénétrer. Freud interprète la phobie comme un effet du télescopage après coup du fantasme et de l'événement antérieur,

effet qui témoigne du débordement actuel du moi et de la fragilité des défenses. Ce cas fournit quelques éléments originaux qui témoignent de la modification de la pensée de Freud. Il est en effet associé à la conception « bi-phasique » de la névrose (Pedinielli Bertagne, 2004) : un premier trauma sexuel infantile, qui n'a que peu d'effet apparent mais reste fixé, puis un second temps traumatique postérieur (adolescence) qui fait prendre sens au premier et déclenche l'apparition des symptômes. Cette observation introduit aussi la question du désir sexuel de l'hystérique et de son rôle dans l'apparition du symptôme. Premier souvenir. Emma ne peut pas entrer seule dans une boutique : mais elle peut y pénétrer si elle est accompagnée, même d'un jeune enfant. Ses premières associations mettent en cause un souvenir : elle était alors âgée de 12 ans et, en rentrant dans une boutique, elle aperçut les deux vendeurs qui riaient (elle se souvient de l'un d'eux). Elle avait été prise de panique et était sortie précipitamment. Elle avait l'idée « que les deux hommes s'étaient moqués de sa toilette et que l'un avait exercé sur elle une attraction sexuelle » (Freud, Naissance de la psychanalyse, p. 364). L'attraction sexuelle est un point essentiel de l'évolution de Freud. Il considère toutefois que les éléments donnés ne permettent pas d'expliquer cet état. Un second souvenir, plus ancien, apparaît, mais Emma précise que ce souvenir n'était nullement présent lors de la scène que nous venons d'évoquer (quand elle avait 12 ans). Deuxième souvenir. Lorsqu'elle avait 8 ans, elle était entrée deux fois dans une boutique de friandises et le marchand avait porté la main, à travers sa robe, sur ses organes génitaux. « Malgré ce premier incident, elle était retournée dans la boutique, puis cessa d'y aller. Par la suite, elle se reprocha d'être revenue chez ce marchand, comme si elle avait voulu provoquer un nouvel attentat. Et de fait, la “mauvaise conscience » qui la tourmentait pouvait bien dériver de cet incident” (p. 365). Si l'on compare les éléments que retient Freud avec ceux mentionnés dans le cas Emmy von N…, il est frappant de voir apparaître, à côté du traumatisme, la question des désirs sexuels chez le futur phobique, ainsi que la question du reproche. – Le rire – lien entre les deux scènes. Comme toujours à l'époque, Freud cherche le « lien associatif » entre les deux scènes et il découvre, avec l'aide de la patiente, que c'est le « rire ». Il est, en d'autres termes, le trait commun qui déclenche l'angoisse (le rire des deux commis de la scène de ses 12 ans

lui rappelait le sourire grimaçant qui avait accompagné le geste sexuel du boutiquier quand elle avait 8 ans). Pour Freud : « Les deux vendeurs rient dans la boutique et ce rire rappelle (inconsciemment) le souvenir du marchand. » Freud isole encore un autre point commun, un autre lien, entre les deux scènes : dans les deux cas la patiente n'était pas accompagnée. – La sexualité « après coup ». Une des particularités du cas Emma réside en ce que le sens sexuel de la première scène n'est reconnu que plus tard, lors de la seconde. « Elle se souvenait de l'attouchement pratiqué par le marchand. Mais depuis elle avait atteint la puberté. Le souvenir déclenche une poussée sexuelle (qui n'eut pas été possible au moment de l'incident) et qui se mue en angoisse. Une crainte la saisit, elle a peur que les commis ne répètent l'attentat et s'enfuit » (p. 365). Ainsi c'est la découverte que la première scène était sexuelle – et n'y avait-elle, d'une certaine façon, participé ? – qui produit cet effet d'angoisse et organise la phobie. Quant aux vêtements (« sa toilette »), ils sont l'élément conscient qui surnage et qui, pour Freud, n'a pas d'intérêt alors que les autres chaînons inconscients qui touchent à la sexualité sont de première importance. C'est bien le souvenir inconscient (scène d'attouchement) qui, réveillé par le rire des commis, suscite un affect que l'incident originaire n'avait pas déclenché. La puberté a permis de comprendre autrement les faits de l'enfance et de déclencher cet état de sidération, plus proche de l'effroi que de l'angoisse organisée. – Un cas typique ? Ce cas nous présente un tableau typique de refoulement hystérique. Nous ne manquons jamais de découvrir qu'un souvenir refoulé ne s'est transformé qu'après coup en traumatisme (p. 366). Le schéma freudien des phobies trouve ici toute sa force : un souvenir est refoulé mais l'événement est à la fois source d'ambivalence (déplaisir mais Emma retourne chez le boutiquier) et ne possède pas encore de signification sexuelle. La reproduction d'une scène ayant des points communs avec ce premier événement confère à son souvenir une dimension sexuelle incompatible avec le moi et déclenche l'angoisse qui se fixe sur un des aspects de la situation par déplacement (du sexuel, Emma passe à l'angoisse d'aller seule dans la boutique). La phobie s'installe : la boutique, situation à éviter, représente l'angoisse devant la sexualité à la fois intrusive et désirée, devant le souvenir à la fois craint et désiré. – La théorie freudienne… inédite de la phobie. La particularité de ce texte

réside dans son aspect inédit. Manuscrit adressé à Fliess dans le cadre de leur correspondance scientifique, il ne fera pas l'objet de publication et de diffusion, ni à cette époque ni du vivant de Freud. Pourtant, on y retrouve la plupart des éléments qui vont permettre à Freud « d'inventer » la psychanalyse, à savoir le passage d'une conception de l'agression sexuelle réelle à la dimension du désir et du fantasme, les troubles dépendant de deux conditions : « 1) d'une décharge sexuelle liée non point à un incident réel mais à un souvenir ; 2) d'une décharge sexuelle trop précoce » (p. 367). La sexualité du futur hystérique se révèle déterminante dans l'apparition du symptôme, puisque le refoulement porte non seulement sur le souvenir de scènes douloureuses mais aussi sur les représentations qui accompagnent ce que le sujet a ressenti (les affects). Si les représentations sont bien refoulées, les affects, ne pouvant se décharger, sont transformés en angoisse et déplacés sur d'autres représentations. – La voie vers la phobie. L'aventure d'Emma conduisant à la phobie peut donc être interprétée selon un schéma tenant compte de la succession des événements : – Scène I : Emma, 8 ans, est victime d'attouchements de la part d'un boutiquier au « sourire grimaçant ». L'attouchement est réalisé à travers ses « vêtements », terme qui reviendra dans le discours sur sa phobie. Elle ne comprend pas le sens sexuel de ce geste. Elle retourne chez ce boutiquier une fois. Dans la construction freudienne, il pourrait s'agir d'une « décharge sexuelle trop précoce » mais qui ne sera comprise qu'après. Le souvenir de l'événement est oublié (refoulé) et reste présent dans l'inconscient. – Scène II : Emma, 12 ans, se rend dans une boutique. Deux commis, dont l'un lui plaît, la regardent et rient. Elle a un accès d'angoisse et s'enfuit en pensant qu'ils se moquent de « sa toilette » (de ses vêtements). Le rire des commis, associé à l'attirance sexuelle, réactive le souvenir de la scène I qui prend alors sa connotation sexuelle (au sens de génital) après coup et déclenche l'angoisse ; le refoulement du souvenir est maintenu. L'angoisse est la résultante du conflit entre le désir – alors révélé – et le moi, de la culpabilité, de la décharge sexuelle. Tous les éléments liant les deux souvenirs déplaisants sont refoulés ; seule reste visible la question des vêtements : elle ne peut aller seule dans une boutique parce qu'elle a peur que l'on se moque de sa toilette. Les représentations sexuelles sont refoulées, les

affects transformés en angoisse et déplacés sur les boutiques ; un objet contra-phobique apparaît (être avec quelqu'un, même un petit enfant). Question épineuse d'ailleurs que ce petit enfant qui, cité pour montrer l'irrationnel de la situation, la nécessité de ne pas être seule, n'en questionne pas moins la partie d'elle-même qu'il en vient à représenter : cet enfant, ne serait-ce pas elle, accompagnée dans les boutiques et non laissée seule face aux agressions ? Le rôle du fantasme – Le « manuscrit M », le cas Dora Dans un texte, une fois encore document inédit, intitulé Manuscrit M. Structure de l'hystérie datant du 25 mai 1897, Freud s'avance encore plus loin sur cette voie. Il énonce en effet que « tous les symptômes d'angoisse (phobies) dérivent ainsi de fantasmes » (Naissance de la psychanalyse, p. 181). Les phobies sont provoquées par le refoulement de fantasmes. Il introduit encore la notion de « roman », plus complexe que le fantasme et évoque son rôle dans l'agoraphobie. « L'agoraphobie semble liée à un roman de prostitution se rattachant aussi à ce roman familial. Une femme qui refuse de sortir seule témoigne ainsi de l'infidélité de sa mère » (p. 182). Ce saisissant raccourci relie certaines phobies aux fantasmes et souvenirs refoulés mais aussi à des constructions plus complexes, « romans » associés entre eux. Il fait ainsi dépendre l'agoraphobie du roman « œdipien » (roman familial) qui sert à rendre sa propre famille illégitime, puisque l'enfant se croit issu d'autres parents, et du roman de prostitution dans lequel s'expriment à la fois l'agressivité pour le parent et le désir sexuel, thème qu'il reprendra à propos du fantasme de prostitution du sujet lui-même dans l'agoraphobie. Le « cas Dora » (1905), cas exemplaire d'une jeune fille hystérique, mentionne la question des phobies dans un sens éloigné de la définition habituelle de ce trouble puisqu'il s'agit de « l'horreur des hommes » chez une adolescente victime d'une tentative de séduction par un homme mûr qui s'avère être, de surcroît, le mari de la maîtresse du père de Dora ! Sans revenir sur le détail de ces troubles relations familiales et extra-familiales, rappelons que Dora est au courant – voire complice – de la relation entre son père et sa maîtresse (Mme K.) et que M. K., s'il accepte son « infortune » et la tromperie de sa femme, semble bien désireux de se rapprocher de la fille

(Dora) de son rival (le père de Dora) : la femme en échange de la fille semble être un compromis tacite entre les deux hommes sur un mode traditionnel de « l'échange des femmes » dans certaines « sociétés primaires ». Une déclaration de M. K, suivie d'un démenti devant les autres qu'elle ressent comme un affront faisant suite à une tentative de l'embrasser sur la bouche quelques mois auparavant et déclenchant un « dégoût intense », semblent avoir contribué à ses troubles actuels ; dégoût, sensation de pression sur la poitrine, horreur des hommes, mais aussi dyspnée, aphonie, toux nerveuse, évanouissement, dépression, menace de suicide. Bien que « l'horreur des hommes » soit liée aux relations avec M. K. et ne corresponde pas strictement à une phobie, Freud prend ce modèle pour l'expliquer en affirmant : « l'horreur des hommes susceptibles de se trouver en état d'excitation sexuelle reproduit le mécanisme d'une phobie, et cela pour se prémunir contre une nouvelle répétition de la perception refoulée » (Dora, 1905, p. 20). La phobie apparaît ainsi comme une protection contre une représentation refoulée parce que traumatique. Toute l'ambiguïté se trouve dans les raisons de ce « trauma ». La première idée est la dimension agressive de la sexualité masculine représentée par l'attitude de M. K. La seconde tient au rapport entre une fantasmatique présexuelle présente chez Dora et l'irruption de la génitalité que réveille l'attitude de M. K. Enfin, la question centrale est celle de l'attirance indéniable de Dora pour la sexualité qui la trouble et l'angoisse. L'interprétation de Freud reste ainsi dans la droite ligne de sa première théorie de l'angoisse et des phobies. L'interprétation des rêves Dans ce texte fondamental (1900), Freud fait plusieurs références à la phobie qu'il continue à envisager à partir de l'hystérie et de ses mécanismes : la phobie représente une solution au conflit, au refoulement et correspond au mécanisme du symptôme (condensation, compromis, protection contre l'angoisse). Dans le chapitre VII de ce texte, il maintient en effet quelques principes de base que nous avons rencontrés dans les textes précédents. Un phénomène psychique qui provoque de l'angoisse peut « être cependant l'accomplissement du désir » (ibid., p. 493). La phobie, localisation de l'angoisse, fixation à un objet, pourrait-elle représenter un accomplissement

de désir ? Peut-on dire que s'il y a phobie, il y a désir ? Dans la névrose, le système inconscient auquel appartiennent le désir, les souvenirs refoulés… est en contradiction avec le système préconscient et le symptôme représente un compromis qui met fin à ce conflit. La phobie est donc un compromis entre les deux systèmes. La phobie, en tant que symptôme, ménage une porte de sortie à l'inconscient (en lui permettant de déverser son excitation) et assure au préconscient, au moi, une domination partielle sur l'inconscient. Le symptôme phobique permet d'empêcher le développement de l'angoisse. Et Freud donne alors l'exemple de l'agoraphobie. « À ce point de vue, une phobie hystérique ou une agoraphobie sont particulièrement instructives. Lorsqu'un névropathe ne peut traverser seul une rue, nous disons avec raison que ce n'est qu'un symptôme. Essayons de réduire ce symptôme en l'obligeant à l'acte qu'il croit impossible. Il aura une crise d'angoisse dans la rue qui a été le point de départ de l'agoraphobie. Nous apprenons ainsi que ce symptôme s'est constitué pour empêcher le développement de l'angoisse. La phobie est comme une forteresse-frontière pour l'angoisse » (p. 494). Deux observations de patientes sont présentées dans le texte. L'une concerne une phobie assez éloignée de la définition qu'on en fait actuellement. Cette jeune fille avait au début de sa maladie une profonde aversion pour sa mère, ne supportant pas qu'elle s'approche d'elle. Puis, au cours de l'amélioration de son état, elle développe des « phobies hystériques ». Parmi celles-ci, l'une a trait à sa mère : « idée qu'il aurait pu arriver quelque chose à sa mère » (p. 226). Cette crainte, qui ressemble plus à une obsession idéative qu'à une phobie, entraînait un comportement particulier : elle se précipitait vers la maison pour s'assurer que sa mère vivait encore. Freud estime que le vœu inconscient agressif contre la mère (désir de mort) est alors transformé par le phénomène de défense en « souci démesuré au sujet de sa mère » (p. 207). La phobie correspond donc à un compromis entre les désirs inconscients et le moi. Toutefois, dans le rêve d'une autre agoraphobe et dans celui d'un patient claustrophobe, il n'y a pas de rapport mentionné par Freud entre le rêve et le symptôme, comme si le matériel œdipien fourni par le rêve n'était pas utilisé pour une analyse de la phobie.

Conclusion du premier modèle des phobies Freud, dans cette période, a posé la distinction entre la peur et l'angoisse. L'angoisse (Angst) est dans une relation particulière à l'attente : elle est peur de quelque chose d'incertain, de non déterminé. Quand il y a un objet : l'angoisse devient peur (Furcht). Mais ce dont il est question, c'est plus de la phobie et ses mécanismes que des phobies en général ou du sujet de la phobie (qu'il développera dans Hans). Malgré quelques incertitudes, la phobie est pensée à partir du modèle de l'hystérie et du conflit intrapsychique. Une motion pulsionnelle insupportable (liée à des représentations généralement de nature sexuelle) provoque de l'angoisse à cause de sa contradiction avec le moi ; la représentation est refoulée (rejetée dans l'inconscient) par la censure ; l'angoisse est déplacée sur un objet de substitution dont on se protège : l'angoisse est toujours là mais elle est mieux contrôlée et localisée à un objet ou à une situation. Freud donne ainsi des exemples montrant que l'objet ou la situation de la phobie se substituent à une/des représentation(s) angoissante(s). Graduellement, il apparaît que l'angoisse de castration est le moteur principal de l'apparition de la phobie : la « bêtise » (nom donné par le patient à sa phobie) du petit Hans est un effet de l'angoisse de castration. Toutefois, dans certains textes, la proximité phobie-hystérie est moins présente. Freud laisse entrevoir la possibilité que des phobies ne soient pas hystériques et correspondent au mécanisme des névroses actuelles, ou encore que la « lecture œdipienne » de la phobie ne soit pas suffisante et que d'autres processus plus archaïques puissent être en jeu dans certaines phobies. C'est la voie que choisira l'école kleinienne. 1.2. La phobie du petit Hans « La bêtise » L'histoire d'Herbert Graf, surnommé par Freud « le petit Hans », est

originale dans la mesure où le père, disciple de Freud, conduit le travail et ce, d'une manière parfaitement spontanée et hors cadre, Freud n'intervenant que comme figure extérieure. Le petit Hans le rencontre une seule fois, mais le père rédige au jour le jour l'observation qu'il adresse scrupuleusement et ponctuellement à Freud et Hans connaît l'existence du « Professeur ». Freud est en quelque sorte un « superviseur » dont l'ombre plane sur la relation père-fils et sur l'évolution de cette « cure à ciel ouvert ». – Être mordu par un cheval. Hans est un enfant gai, agréable, fin, un esprit aigu et pénétrant, mais, un jour, à la suite d'une crise d'angoisse dans la rue, il développe une crainte (phobie) des chevaux (« J'avais peur qu'un cheval ne me morde »). Tout se passe, se noue, se dénoue, entre le 7 janvier et le 2 mai 1908 et nous suivons, à travers les notes quotidiennes et précises du père, les mouvements imaginaires, les discours, le poids des mots de la phobie (« la bêtise », die Dummheit). Hans met en scène les déterminants de sa phobie singulière à travers lesquels Freud reconnaît le rôle des conflits liés à la découverte de la différence des sexes, à l'angoisse de castration, à l'attachement exclusif à la mère, à la rivalité avec le père, à l'opposition entre affection et agressivité pour le père. – Pénis et naissance. La phobie a été précédée par plusieurs événements marquants. D'abord, Hans est, à partir de 3 ans, très préoccupé par le pénis (qu'il nomme « fait-pipi ») des êtres (le sien, celui de ses parents, celui des animaux, notamment des chevaux ; il s'attend à ce que sa mère ait un pénis comme un cheval !). La naissance de sa sœur Anna, alors qu'il a 3 ans et demi, réactive cette interrogation ainsi que la préoccupation sur la naissance des enfants. Il est d'ailleurs admiratif et intéressé par les autres enfants qu'il appelle « mes » enfants. La sexualité, la différence des sexes, la naissance sont alors des préoccupations essentielles. – Jouer au cheval. Alors qu'il est en vacances à Gmunden (il a 4 ans et demi), plusieurs faits surviennent qui, après coup, joueront un rôle essentiel dans la phobie. Il s'attache à une petite fille, mais surtout il joue au cheval avec les autres enfants : il est souvent le cheval (animal au grand pénis, il aperçoit un cheval qui mord…). Plus tard, au moment où débute la phobie, il attribue l'origine de celle-ci à cette époque en répondant à une question de son père, à propos de ce jeu où il était le cheval : « Parce qu'ils disaient tout le temps : à cause du cheval (il accentue à cause). Et alors c'est peut-être parce

qu'ils ont parlé ainsi : à cause du cheval, que j'ai attrapé la bêtise » (le 9 avril 1908, Freud, p. 132). Tout l'intérêt de l'analyse freudienne porte sur la proximité du mot prononcé wegen (à cause) avec Wägen (voiture, signifiant essentiel du discours ultérieur de Hans fasciné par les « voitures chargées »). À cette époque, il lui arrive aussi de faire des rêves angoissants (départ de la mère) : à chaque fois sa mère le prend dans le lit. – Angoisse flottante. Au début de janvier 1908 (il a 4 ans et 9 mois) commence une période marquée par l'angoisse « flottante », période préphobique, d'« incubation », caractérisée par un rêve d'angoisse et une crise d'angoisse. Le rêve est semblable à ceux de l'été précédent. Il se lève, en larmes, et dit à sa mère : « J'ai cru que tu étais partie et que je n'aurais plus de maman pour faire câlin avec moi » (p. 106). Puis le 7 janvier, lors d'une promenade avec la bonne, il pleure dans la rue, demande à rentrer à la maison et pleure de nouveau, veut « faire câlin » avec sa mère. Pour l'instant, aucun objet phobique n'apparaît ; Hans est confronté au surgissement de l'angoisse, de la panique, sans représentation précise ; seul l'affect d'angoisse est présent. – Peur, fuite, assignation du cheval. Le lendemain, sa mère l'amène en promenade à un endroit où il aime aller (Schönbrunn) : il a peur d'y aller, pleure, semble avoir peur dans la rue, manifeste de la crainte à la vue d'un cheval et, au retour, il finit, après une lutte intérieure, par dire à sa mère : « J'avais peur qu'un cheval ne me morde. » La phobie fait son apparition organisée autour des mots : « cheval » (objet phobique), « peur » et « mordre ». Dès lors, le père, sous la direction de Freud, parle avec son fils, fait raconter les souvenirs, favorise les associations, et permet que se dise ce qui n'est pas clairement formulable par Hans. Rapidement, les préoccupations sexuelles de Hans, mais aussi les multiples liens du symptôme, se font jour : le cheval et son grand « fait-pipi » ne sont pas les seuls éléments d'un imaginaire interrogeant la castration, la naissance, le rôle du père et la séparation d'avec la mère… entre autres. Les conversations entre Hans et son père tournent principalement autour de l'existence d'un pénis chez tous les êtres (animaux comme le cheval, la girafe, et humains comme sa sœur et sa mère) et la question de savoir si le « fait-pipi » tient bien, s'il est bien enraciné. Dans le même temps, il tente chaque matin de venir dans le lit de ses parents, rejouant la question œdipienne : le père le chasse, mais la mère se laisse souvent fléchir.

– La girafe chiffonnée. Le 28 mars, il se lève la nuit et vient dans leur lit. Le lendemain, pressé de questions par son père, il dit : « Il y avait dans la chambre une grande girafe et une girafe chiffonnée, et la grande a crié que je lui avais enlevé la chiffonnée. Alors elle a cessé de crier, et alors je me suis assis sur la girafe chiffonnée » (p. 116). Pour Hans, ce n'est pas un rêve, mais quelque chose qu'il a pensé (rêve ou fantasme ?). Il représente le couple parental : la grande girafe est le père et la chiffonnée, la mère. Rêve œdipien, s'il en est, d'autant que Hans avait, bien avant sa phobie, été préoccupé par la girafe et son fait-pipi qu'il avait dessiné (p. 99-100). – Le « professeur », oracle. Freud rencontre enfin Hans et son père. Plusieurs éléments ressortent de la rencontre. En premier lieu, Freud désigne le cheval comme un substitut du père, ce qui signifie que Hans a peur de son père : il note que Hans est gêné parce que les chevaux ont sur les yeux et le noir autour de la bouche, élément qu'il associe à la moustache du père. En second lieu, il intervient en situant Hans, la phobie, le père – et lui – dans une dimension mythique par la fameuse phrase : « et je lui révélai alors qu'il avait peur de son père justement parce qu'il aimait tellement sa mère. Il devait, en effet, penser que son père lui en voulait de cela, mais ce n'était pas vrai, son père l'aimait tout de même, il pouvait sans aucune crainte tout lui avouer. Bien avant qu'il ne vînt au monde, j'avais déjà su qu'un petit Hans naîtrait un jour qui aimerait tellement sa mère qu'il serait par suite forcé d'avoir peur de son père, et je l'avais annoncé à son père » (p. 120) : Œdipe révélé à l'enfant, pourrait-on dire. Enfin, les rapports entre Hans et son père apparaissent à Freud sous un jour nouveau, Hans reproche – à tort – à son père de l'avoir battu, ce dernier évoque en revanche « un coup de tête » que lui aurait donné Hans ; intéressant décalage entre le père réel, plutôt gentil, et un père imaginaire, effrayant, terrible, menaçant, que s'invente Hans conformément au mythe œdipien. Hans chercherait-il à se construire un père redoutable comme le laisse penser Laplanche ? – De phobie en philie. Déjà avant la rencontre avec Freud était apparue une transformation à propos des chevaux : la peur s'était muée en jeu et en compulsion à les regarder : « Il faut que je regarde les chevaux et alors j'ai peur. » Mais la phobie s'améliore. D'autres thèmes apparaissent concernant l'amour pour le père (qui rentre en conflit avec l'amour pour la mère, révélant l'ambivalence, la dimension négative de l'Œdipe) : « Pourquoi m'as-tu dit que

j'aime maman et que c'est pour ça que j'ai peur, quand c'est toi que j'aime ? » Pour Freud : « Il donne à entendre qu'en lui l'amour pour son père est en conflit avec l'hostilité contre ce dernier à cause de son rôle de rival auprès de la mère, et il reproche à son père de ne pas avoir jusque-là attiré son attention sur ce jeu de forces qui devait se résoudre en angoisse » (p. 121). Assez logiquement, Hans associe, dans son discours, son père au cheval : « Papa, ne t'en va pas au galop » : la phobie a comme envers la philie (goût pour). – Peurdupère, peurpourle père. Si la peur du père – représenté dans la phobie par le cheval – provient de l'hostilité œdipienne contre le père, elle s'accompagne d'un amour (courant tendre) pour le père que Hans craint fantasmatiquement de détruire. Freud nous le signale : « Cette partie de l'angoisse liée au père a deux composantes : la peur du père et la peur pour le père. La première dérive de son hostilité contre son père, la seconde du conflit de la tendresse – ici exagérée par réaction – avec l'hostilité » (p. 122). – Peur des chevaux qui tombent, le charivari avec les pieds. Hans va mieux, et son discours change. Il a maintenant (5 avril) peur que les chevaux tombent quand la voiture tourne. Il commence à être fasciné par les « voitures chargées », il joue au cheval dans la chambre… et brave le père. Ses associations le portent vers le souvenir d'un cheval d'omnibus qui était tombé et faisait du bruit (« charivari ») et vers le jeu du cheval à Gmunden, lieu où il a « attrapé la bêtise ». – L'analité : faire « loumf ». Le terme, néologisme, désigne pour Hans, l'excrément. Les associations sur le charivari touchent à la question de la défécation. Lorsqu'il est en colère ou doit faire « loumf », il fait du charivari. La question de la défécation est aussi importante parce qu'il y a un lien entre les représentations : les mots employés rapprochent les chevaux gros et lourds, les voitures chargées, le charivari, la grossesse et l'excrément. Les relations entre naissance et défécation sont fortement inscrites dans la fantasmatique infantile. Pour Freud, « la peur de la défécation, la peur des voitures lourdement chargées est donc équivalente à la peur d'un ventre lourdement chargé » (p. 138). Les théories sexuelles infantiles ne sont pas loin, Freud les perçoit. En revanche, il ne développe pas le rapport entre le charivari et l'acte sexuel : le bruit, les mouvements… – Le plombier, le grand perçoir… et la castration ? Hans dit : « J'ai pensé : “Je suis dans la baignoire, alors le plombier arrive et la dévisse. Il

prend alors un grand perçoir et me l'enfonce dans le ventre” » (p. 138). Que ce fantasme évoque la castration est probable, mais il tient aussi son importance d'un autre fantasme (celui du 2 mai, soit 21 jours après le premier) qui coïncide avec l'amélioration de son état et la disparition de la phobie. Hans dit : « J'ai pensé : “Le plombier est venu et m'a d'abord enlevé le derrière, avec des tenailles, et alors il m'en a donné un autre. Et puis, il a fait la même chose avec mon fait-pipi” » (p. 163). Le père interprète en termes de fait-pipi et de derrière plus grand « comme ceux de papa ». Hans confirme en disant : « Et j'aimerais aussi avoir une moustache comme toi et aussi des poils comme toi. » Ce second fantasme est généralement interprété en termes de dépassement de l'angoisse de castration : ce qui a été perdu est restitué par le père, modèle même de ce qu'est la dimension structurante de la castration. – La naissance. La question de la naissance, ébauchée à propos des voitures lourdement chargées, s'associe maintenant au thème de la « caisse de la cigogne » qui apporte les enfants (comme la petite sœur à propos de laquelle il exprime des désirs agressifs). Il demeure fasciné par les voitures de déménagement qu'il veut aller voir dans la maison d'en face (l'association voiture/caisse de la cigogne/femme enceinte est-elle pertinente ?). – « Mes enfants » et le « fait-pipi » des filles. Hans est préoccupé par le désir d'avoir des enfants. Le 22 avril, il joue toute la matinée avec une poupée, « Grete ». Il a introduit un canif, puis il a déchiré l'entrejambe afin de faire passer la lame à travers et il a dit à la bonne en lui montrant l'entrejambe de la poupée : « Regarde, voilà son fait-pipi ! » (p. 152). À la suite des associations du père et des réponses de Hans, Freud estime qu'il parle de la naissance et de l'incapacité de ses parents à lui donner des éclaircissements sur celle-ci. Son jeu avec la poupée peut être traduit par une analogie, c'est comme s'il leur disait : « Voyez, voilà comme je me figure qu'a lieu une naissance » (p. 154). Il veut une petite fille mais ne comprend pas pourquoi il ne peut pas en avoir. Il finit par saisir que les enfants se développent dans le ventre de leur mère et qu'ensuite ils sont douloureusement poussés dehors… comme un « loumf ». À la suite de cette compréhension de la naissance, son état s'améliore. – Le coup de tête au père et les enfants. Le 26 avril, il donne un coup de tête dans le ventre du père ; il fait alors référence à l'agneau qui ne donnait

pas de coups de tête et au bélier de Gmunden qui était plus violent. Mais cette opposition, cette rivalité avec le père, n'est pas le seul élément important. Hans est angoissé par le rôle du père dans la conception : « Papa, quand je serai marié je n'en aurai un que si je veux, quand je serai marié avec maman, et si je ne veux pas de bébé, le bon Dieu ne voudra pas non plus, quand je serai marié » (p. 159). Il exprime de nombreux fantasmes concernant « ses » enfants (poupées). Il en arrive à dire « maintenant je suis le papa » : dans ses fantasmes il se marie avec sa mère et le père devient grand-père. Mais, en même temps apparaissent des éléments identificatoires : « J'aimerais aussi avoir une moustache comme toi et aussi des poils comme toi ». La résolution du conflit entre agressivité et amour pour le père entraîne-t-elle l'identification ? Maintenant, il n'a plus peur et se risque dehors. À la suite des explications sur la naissance, de l'aménagement du conflit entre amour et haine, du dépassement de l'angoisse de castration (perdre quelque chose mais aussi être réduit à être l'objet du père, le symptôme disparaît… de surcroît à l'analyse). – Retour du plombier. Le 1er mai, Hans veut que le père écrive au Professeur évoquant ses enfants imaginaires, l'analité et son rôle de père. « Ce matin, j'étais avec tous mes enfants aux W.-C. D'abord j'ai fait loumf et pipi et ils regardaient. Alors je les ai assis sur le siège et ils ont fait pipi et loumf, et je leur ai essuyé le derrière avec du papier. Sais-tu pourquoi ? Parce que j'aimerais tant avoir des enfants ; alors je ferai tant pour eux, je les conduirai aux W.-C., et je leur nettoierai le derrière, enfin tout ce qu'on fait aux enfants » (p. 162). L'après-midi, pour la première fois, il se risque au Stadtpark, auparavant interdit par la phobie qui a désormais disparu. Le lendemain apparaît ce fameux fantasme du « fait-pipi » retiré, remis, fantasme de castration et de résolution œdipienne selon la lecture freudienne. Mots et situations essentielles L'histoire de Hans paraît banale depuis que, grâce à lui, à Freud et à quelques autres patients, on a admis après Sophocle la question de l'Œdipe. Mais, ce qui n'est pas banal, ce sont les mots employés par Hans, mots qui dessinent un théâtre intérieur original, un drame aux multiples ramifications. Précisément, la clinique consiste à rester au plus près du discours du patient.

Ce n'est pas de « phobie » dont parle Hans mais de « bêtise ». La bêtise c'est d'abord la peur que le cheval « ne » le morde. Ce « ne » explétif qu'ont restitué les traducteurs français n'est pas une erreur : Hans est apeuré et fasciné, partagé même (quel est le pire : que le cheval – représentant du père – le morde ou qu'il ne le morde pas ?). Bien sûr, en langage savant, Hans présente une phobie des animaux et une agoraphobie, mais pour lui, la « bêtise » comporte deux formulations successives : le cheval qui pourrait mordre, puis le cheval qui pourrait tomber. Or les situations sont liées à d'autres, les mots ont, à chaque fois, plusieurs sens : beissen c'est mordre et démanger, « tomber dans un tournant » rappelle un souvenir de chute d'un cheval d'omnibus, donnée par Hans comme à l'origine de son état, mais aussi le jeu du cheval à Gmunden qu'il place aussi comme lieu du début de la phobie. Le cheval évoque le père (redouté, aimé…), le jeu avec les enfants de Gmunden (wegen), la question de la paternité, mais il est aussi lié à la mère par cette relation avec les voitures (Wägen), l'enfantement, l'accouchement… Chacune des images, chacun des mots (signifiants au sens d'image acoustique de Ferdinand de Saussure) impliquent d'autres sens et dessinent une organisation particulière. Interprétation freudienne de la phobie Lorsque Freud reprend l'histoire de Hans, il retrouve un chemin qu'il connaît – trop ? – bien. Avant l'apparition de la phobie du cheval, il y a eu des crises d'angoisse (attaques de panique) sans objet phobique. Elles se repèrent dans le rêve d'angoisse (du mois de janvier « pendant que je dormais, j'ai cru que tu étais partie et que je n'avais plus de maman pour faire câlin avec moi ») et dans la promenade du 7 janvier au cours de laquelle il a peur, veut rentrer et « faire câlin » avec sa mère. Puis la phobie apparaît avec ses remaniements et son double système de protection (« château », « donjon » phobique : ne pas sortir ou être en compagnie de sa mère). Le trouble est, pour Freud, d'origine sexuelle et œdipienne et il correspond bien à ce que, précédemment, il a défini sous le terme d'« hystérie d'angoisse », névrose dont le symptôme principal est, rappelons-le, la phobie, et dans laquelle l'angoisse, contrairement à ce qui se passe dans l'hystérie de conversion, n'est pas convertie en innervation somatique (conversion) mais

déplacée sur un objet. Le conflit œdipien est refoulé, les affects transformés en angoisse, la phobie canalise l'angoisse. Freud estime donc : – que l'angoisse est de la libido inassouvie, transformée et refoulée (le désir interdit s'est transformé en angoisse) ; – que l'angoisse est impossible à reconvertir en un autre affect ; – que l'angoisse se fixe secondairement à un objet qui possède des liens avec celui qui est impliqué dans le conflit originaire (cheval et père). Cette thèse qui fait dépendre l'angoisse du refoulement, sera remise en cause, principalement dans le texte de 1926 (Inhibition, symptôme et angoisse). Elle sera laissée de côté par la plupart des constructions kleiniennes, postkleiniennes, ou de l'Ego Psychology (Anna Freud et ses élèves). 1.3. L'homme aux loups (1918) L'analyse de l'homme aux loups (névrose infantile comportant une phobie… des loups étendue à d'autres animaux), l'évolution de la théorie de l'angoisse ont amené Freud à remanier sa conception originaire de la phobie. Dans cette histoire de malade, Freud repère une scène de séduction passive ayant fait l'objet d'un refoulement, et prenant son sens après coup. Ces effets témoignent de la dimension traumatique de l'origine de la phobie et rappellent sur ce point les premières thèses de Freud. Toutefois, le rêve des loups est à l'origine d'une phobie des loups dont Freud donne une interprétation extrêmement intéressante et originale mettant en rapport l'angoisse phobique avec le refoulement d'un désir œdipien passif envers le père. – Un rêve d'angoisse. Vers 3 ou 4 ans, la date est imprécise et fluctuante, le petit Sergueï fait un cauchemar : « J'ai rêvé qu'il faisait nuit et que j'étais couché dans mon lit. (Mon lit avait les pieds tournés vers la fenêtre ; devant la fenêtre il y avait une rangée de vieux noyers. Je sais avoir rêvé cela l'hiver et la nuit.) Tout à coup la fenêtre s'ouvre d'elle-même et, à ma grande terreur, je vois que, sur le grand noyer en face de la fenêtre, plusieurs loups blancs sont assis. Il y en avait six ou sept. Les loups étaient tout blancs et ressemblaient plutôt à des renards ou à des chiens de berger, car ils avaient de grandes queues comme les renards et leurs oreilles étaient dressées comme

chez les chiens quand ceux-ci sont attentifs à quelque chose. En proie à une grande terreur, évidemment d'être mangé par les loups, je criai et je m'éveillai. Ma bonne accourut auprès de mon lit afin de voir ce qui m'était arrivé » (p. 342). – Désir passif pour le père. Comme toujours, ce rêve a été précédé d'événements marquants que Freud retrouve dans le discours du patient : la séduction sexuelle passive par la sœur plus âgée, les références à la castration dans le discours de la bonne (Nania), la lecture des contes mettant en scène les loups et la dévoration. Mais surtout, comme le (re)construira l'analyse, le rêve évoque le souvenir d'une « scène primitive » (observation par l'enfant de la sexualité des parents) plus ancienne. Pour Freud, la question est celle du désir passif œdipien : « Parmi les désirs formateurs du rêve, le plus puissant devrait être le désir de la satisfaction sexuelle qu'il aspirait alors à obtenir de son père. La force de ce désir rendit possible la reviviscence des traces mnémoniques, depuis longtemps oubliées, d'une scène susceptible de lui montrer à quoi ressemblait la satisfaction sexuelle par le père – et le résultat en fut terreur, épouvante devant la réalisation de ce désir, refoulement de l'aspiration qui s'était manifestée par ce désir, fuite devant le père et refuge cherché auprès de la bonne plus inoffensive » (p. 348). L'angoisse suscitée par ce désir, son refoulement, sont à l'origine de la phobie. Pour Freud, l'angoisse « était une répudiation du désir d'être satisfait sexuellement par le père, désir qui lui avait inspiré le rêve » (p. 357). La peur d'être mangé par le loup, expression de cette angoisse, n'était qu'une transposition « du désir de servir au coït du père, c'est-à-dire d'être satisfait à la façon de sa mère. Son dernier objectif sexuel, l'attitude passive envers le père, avait succombé au refoulement, et la peur du père avait pris sa place sous la forme de la phobie des loups » (ibid.). – Rêve et angoisse (p. 357). « Le rêve se termine par de l'angoisse, angoisse qui ne se calma pas avant qu'il n'eût eu sa Nania auprès de lui. Il fuyait ainsi son père pour aller à elle. L'angoisse était une répudiation du désir d'être satisfait sexuellement par le père, désir qui lui avait inspiré le rêve. L'expression de cette angoisse, la peur d'être mangé par le loup, n'était qu'une transposition – régressive, comme nous allons l'apprendre – du désir de servir au coït du père, c'est-à-dire d'être satisfait à la façon de sa mère. Son dernier objectif sexuel, l'attitude passive envers le père, avait succombé au

refoulement, et la peur du père avait pris sa place sous la forme de la phobie des loups. » Bien que chez l'homme aux loups, il n'y ait pas eu de crise d'angoisse mais d'emblée la phobie qui se manifestera de manière différente dans sa vie et se liera à d'autres troubles, l'interprétation fait de la phobie la conséquence de l'angoisse issue du refoulement d'un désir œdipien. Toutefois, chez ce patient, dont l'ambivalence pour les substituts paternels domina la vie, si l'angoisse est bien comme chez Hans une angoisse de castration, la question est ici celle de l'attrait horrifié d'une « passivation » devant le père. Après le refoulement, la motion tendre envers le père a disparu de la conscience : le père n'est plus ni objet de la libido ni de l'angoisse : le loup, désormais, joue ce rôle ; l'angoisse du loup vient à la place de la revendication d'amour adressée au père. 1.4. Inhibition, symptôme et angoisse (1926) À la suite des transformations de la théorie de l'angoisse, Freud reprend la question de la phobie. L'angoisse n'est plus (seulement) de la libido transformée mais un signal de danger pour le moi. Si, aupara- vant, le refoulement produisait l'angoisse, maintenant c'est l'angoisse qui produit le refoulement. Ce changement théorique ne modifie pas radicalement le mécanisme de la phobie, mais simplement sa cause. Freud place à l'origine de la phobie l'angoisse, « affect produit par le moi en réaction au danger » (p. 50), le danger étant représenté par la castration. « J'ai prêté jadis à la phobie le caractère d'une projection, en ce qu'elle remplace un danger pulsionnel intérieur par un danger perceptif extérieur. L'avantage de cette substitution est que l'on peut se défendre contre le danger extérieur en le fuyant et en évitant de le percevoir, tandis que la fuite ne sert à rien contre le danger qui vient de l'intérieur. Cette remarque n'est pas fausse, mais elle ne va pas au fond des choses, car la revendication pulsionnelle n'est pas en elle-même un danger, bien au contraire, elle n'en est un que parce qu'elle entraîne un véritable danger extérieur, celui de la castration. Donc dans le cas de phobie, on n'a, au fond, que la substitution extérieure à un autre danger extérieur (castration)… La seule différence avec l'angoisse devant un danger réel, telle que le moi la manifeste normalement dans des situations de

danger, est que le contenu de l'angoisse demeure inconscient et ne devient conscient que sous un aspect déformé » (Inhibition, symptôme et angoisse, p. 49). Qu'il s'agisse de la phobie des animaux ou de l'agoraphobie (dans laquelle le danger est pulsionnel : céder à ses convoitises érotiques, ce qui impliquerait le danger de la castration), ou encore de la phobie de la solitude, c'est bien l'angoisse de castration (angoisse devant le danger de castration lié à la subversion de l'interdit) qui est au point de départ de l'angoisse alors déplacée sur un objet ou une situation extérieurs que l'on peut fuir. C'est donc le danger provoqué par le désir que permet de fuir la phobie. Mais dans l'appendice de ce même texte, Freud ouvre une voie plus systématique. Il considère en effet qu'une situation de détresse vécue – qu'il nomme « traumatique » – est à l'origine de l'angoisse qui représente désormais un signal d'alarme pour le moi. « L'angoisse, réaction originaire à la détresse dans le traumatisme, est reproduite ensuite dans la situation de danger comme signal d'alarme. Le moi, qui a vécu passivement le traumatisme, en répète maintenant de façon active une reproduction atténuée, dans l'espoir de pouvoir en diriger le cours à sa guise » (p. 96). Si l'angoisse est la reproduction du traumatisme, si elle est un signal d'alarme pour le moi, si elle déclenche la mise en place de défenses, la phobie est à la fois le masque et le signe de l'irruption d'un danger (pulsionnel ou réel) pour la personne. 1.5. Contradiction, unification du modèle La modification de la théorie de l'angoisse, modification qui semble radicale mais qui apparaît graduellement entre 1915 et 1924, retentit sur la conception de la phobie qui est un mode particulier du traitement de l'angoisse par le sujet. Son mécanisme ne change pas entre les deux théories de l'angoisse : la phobie est toujours une localisation, une représentation, de l'angoisse devenue une (simple) « peur » dont on tente d'éviter l'objet. En revanche, la nature et l'origine de l'angoisse changent et, de ce fait, ce que représente la phobie. De l'angoisse produite par le désir sous ses différentes formes on passe, dans la dernière théorie de l'angoisse, à une angoisse plus générale, reproduction d'un traumatisme. Il s'agit toujours de l'angoisse de

castration mais la nouvelle voie freudienne ouvre la question de l'archaïque et de la nature préœdipienne de certaines phobies. 2. Les conceptions postfreudiennes Les successeurs de Freud ont suivi des voies différentes qui tiennent à leurs théories spécifiques de l'angoisse et à leurs conceptions de l'organisation psychique (psychologie du moi ou théorie de la constitution précoce du monde interne ou théorie du sujet de l'Inconscient). Curieusement, on retrouve aussi dans les différences entre les modèles de la phobie le clivage freudien entre première et seconde théories de l'angoisse : le refoulement produit l'angoisse (première théorie, 1895) ou l'angoisse est un signal pour le moi qui met en place le refoulement (deuxième théorie, 1926). 2.1. Melanie Klein Melanie Klein envisage la phobie à partir des processus qui se développent au début de la vie psychique (angoisses primitives, projection, défense…) et qui rendent les manifestations phobiques structurantes dans le développement, à l'instar de ce qui se produit pour d'autres phénomènes rappelant la pathologie qui sont des moments nécessaires et organisationnels du développement (cf. par exemple le sadisme, le masochisme de l'enfant, la position dépressive). Ainsi l'angoisse de l'étranger décrite par Spitz (angoisse du 8e mois) est, pour Klein, une phobie, usage métaphorique du terme mais rapprochement assez saisissant. Ces phobies des premiers mois sont produites par l'angoisse de persécution qui perturbe les relations avec la mère intériorisée et la mère extérieure. Mais ces phobies transitoires, ce fonctionnement phobique, éléments essentiels de l'organisation du psychisme, ne doivent pas être confondus avec les phobies structurées, douloureuses, inhibantes et persistantes qui représentent une pathologie invalidante. Pour Melanie Klein – qui s'appuie sur sa conception du développement précoce du monde interne – les pulsions prégénitales suscitent de l'angoisse dont l'enfant se protège par une défense primitive, la projection, qui sert de base à la constitution de la phobie, notamment lorsque réapparaît une

composante agressive. À l'origine des phobies, elle place un danger interne lié à la crainte des instincts destructeurs et des parents introjectés contre lesquels se rebelle l'enfant. L'angoisse originaire apparaît ainsi sous l'effet de l'accroissement du sadisme contre l'objet et se manifeste à propos des objets internes ou des objets externes. L'intensité des éprouvés d'angoisse trouve un relatif apaisement dans le travail de représentation. Elle accorde une grande importance aux fantasmes de dévoration (reliés au sadisme oral) dans la constitution des phobies, ce qui reprend l'idée de Freud, mais elle ne donne pas d'importance à la dimension sexuelle. Bien que le terme « projection » convienne au mécanisme de la phobie proposé par M. Klein, il est renouvelé par l'apparition du concept d'« identification projective » (1952) qui désigne le mécanisme de défense par lequel le psychisme essaie de se débarrasser d'une tension ou d'une représentation intolérable en la localisant à l'intérieur d'un objet pour le contrôler, le détruire… Chaque phobie peut être considérée comme un cas particulier d'identification projective constituant une mise en forme d'angoisses originaires schizo-paranoïdes de morcellement. Le moi projette des parties clivées de lui-même (mauvaises) dans les objets extérieurs. Mais le fantasme de pénétration totale dans l'autre pour le contrôler entraîne une angoisse inverse de persécution comme la claustrophobie et les autres phobies communes. La phobie représente donc une solution « économique » à l'angoisse suscitée par les conflits pulsionnels, plus particulièrement par un sadisme violent (agressivité contre les parents) sur fond de destructivité génératrice d'une angoisse persécutive. Elle donne une représentation à cette angoisse et en localise l'origine à l'extérieur de l'enfant. L'importance de l'angoisse, l'intensité des conflits, l'absence de défenses efficaces peuvent générer, à partir de ces réactions « normales » du développement de l'enfant, des phobies structurées dans l'enfance ou, en cas de conflits majeurs, le recours à ce mode de traitement de l'angoisse et la création de phobies à l'adolescence ou à l'âge adulte. 2.2. Anna Freud Contrairement à Melanie Klein, Anna Freud fonde sa théorie sur le

développement du moi, mais la même ambiguïté est perceptible : elle parle à la fois des phobies inhérentes au développement et des phobies structurées. Elle évoque ainsi la « vraie phobie » (full-blown phobia) qui associe symbolisation, condensation et projection (ou externalisation) dont le mécanisme correspond à celui de la névrose et permet au Moi de se défendre contre l'angoisse provoquée par la frustration. Le processus de la phobie repose sur plusieurs conditions. Il faut que le psychisme ait atteint un certain degré de maturation pour que la phobie puisse se développer. Avant cette maturation, l'enfant éprouve des « peurs archaïques » qui renvoient à des états de terreur, de panique, de détresse et de désorganisation, états différents de l'angoisse de castration. Pour lutter contre l'angoisse, l'enfant développe une activité de rêverie, mais la situation est fragile, remise en cause par un événement du monde extérieur. Avec la différenciation progressive de la structure de la personnalité, le déplacement sur les objets permet à l'activité psychique d'être moins envahie par l'angoisse. L'enfant recourt à l'externalisation de la source du danger pour contrôler cette panique. Pour rendre l'externalisation possible, il utilise la condensation (qui précède l'externalisation) : les angoisses sont comprimées en un symbole qui englobe et représente les différents dangers (préœdipiens et œdipiens). S'il n'y pas de condensation, alors l'angoisse reste flottante. Par « condensation », elle entend le regroupement d'une charge d'intensité jusque-là diffuse sur un seul élément qui va focaliser cette angoisse. Il est à noter qu'Anna Freud ne parle pas de projection, se distinguant ainsi des concepts kleiniens et notamment de celui « d'identification projective ». 2.3. Les travaux américains Fenichel reprend en 1944 la position freudienne sur les névroses qui sont le résultat de conflits entre les désirs sexuels infantiles et la peur du danger liée à ces désirs dans l'Inconscient. Le symptôme apparaît comme une forme de résolution du conflit, un compromis entre désirs et peurs. La phobie se

constitue ainsi comme la substitution de l'angoisse à l'excitation, opération qui déclenche l'évitement. Pour lui, la situation phobogène peut représenter une motion agressive, évoquer une frustration précoce, ou encore rappeler une punition inconsciemment redoutée. En revanche, Greenson (1959) considère que les événements rencontrés provoquent l'éveil de désirs spécifiques dans le Ça. Il en résulte une intensification des conflits et un affaiblissement des capacités défensives. Cette situation est génératrice d'une irruption d'angoisse à laquelle le sujet réagit par la phobie dont l'origine est tant sexuelle qu'agressive. De ces deux conceptions fondées sur le modèle de la seconde topique et dans le prolongement du texte freudien Inhibition, symptôme et angoisse, se distingue la théorie de Lewin (1952) qui se réfère à la première topique. Par référence avec le rêve, il avance que la phobie est le « contenu manifeste », qu'elle représente une sorte de mémoire. Les phobies ne servent pas uniquement d'alerte, mais elles reproduisent aussi des événements des premières années. 2.4. Annie Birraux La pensée originale d'Annie Birraux sur les phobies a marqué un renouvellement des conceptions classiques. Sa position présente les mêmes caractéristiques que celles de Melanie Klein et d'Anna Freud dans la mesure où elle considère que la phobie répète, dans la pathologie, une forme de fonctionnement originaire structurant du psychisme (ce qu'elle nomme « structure phobique »). Le fonctionnement phobique est constitutif de la différenciation moi-objet et de la notion d'altérité. Pour autant, elle ne considère pas la phobie invalidante (qu'elle nomme « phobie-symptôme ») comme négligeable. Elle lui accorde un rôle essentiel lorsque la pensée ne peut plus utiliser ses défenses propres : situations de risque d'effondrement narcissique, de menaces imaginaires pour le moi. Elle défend le moi contre l'angoisse narcissique de perte d'identité par la création de l'objet phobogène et de l'angoisse contra-phobique. La « structure phobique », c'est-à-dire l'organisation originaire du Moi, existe chez tous les sujets. Annie Birraux (1994) reprend les textes de Freud

(Pulsions et destins des pulsions, 1915, La Négation, 1925…) qui reposent la question d'un Moi originaire (Ur-Ich) constitué à partir de la projection. La phobie, phénomène projectif qui dérive vers l'extérieur l'angoisse perturbant la pensée et contre laquelle l'enfant est démuni, est donc la répétition d'une problématique située aux origines du sujet psychique où le moi s'édifie sur la dialectique externe/interne et pulsion/défense. Elle avance ainsi que la phobie est une structure originaire de la pensée, « structure déjà là » dont le processus d'adolescence réactualise la nécessité fonctionnelle : son expression témoignera de la capacité du sujet à éprouver ultérieurement le travail pubertaire et ses éventuels achoppements. La phobie de l'adolescent répète dans le langage de la génitalité une problématique aux origines du sujet psychique, où le moi s'édifie sur la dialectique interne/externe induite par le conflit « pulsions/défense » (p. 19). La phobie a donc une double utilité : elle restaure le moi défaillant en créant sur la scène externe l'objet narcissique qui se dérobe et, simultanément, elle désigne l'objet sur lequel se condenseront les représentations persécutrices dans un déplacement qui permettra de maintenir une homéostasie interne tolérable. La fonction de la phobie est donc de réduire la tension interne du psychisme confronté aux objets persécuteurs. Cet élément constitue la partie économique de la thèse d'Annie Birraux. Qu'il s'agisse de la « structure phobique » originaire ou de la phobiesymptôme, elle est une tentative pour trouver des représentants psychiques à la vie pulsionnelle dangereuse, elle transforme l'angoisse en peur qui peut alors être traitée comme une menace externe. La phobie est donc une tentative d'élaboration d'un conflit interne. La position d'Annie Birraux peut être résumée ainsi : – Une défaillance narcissique (effondrement) existe du fait des pulsions, de la séduction ou du trauma. Elle entraîne des angoisses primitives que le psychisme ne peut traiter puisqu'elles ne se lient pas aux représentations. – La projection amène la constitution d'un objet phobique extérieur qui fournit une représentation et rend possible la mise en place de mécanismes de défense. – « La phobie apparaît ainsi dans toute son utilité comme une procédure qui permet au sujet de traiter l'angoisse en la rationalisant : raison de la déraison, elle donne à l'angoisse un objet et la circonscrit dans l'espace et

dans le temps : il s'agit d'une mesure qui recrée les conditions de la peur – c'est-à-dire d'une désubjectivation – et, en même temps, se donne les moyens (le temps) de l'élaborer » (p. 15). – L'apparition de la phobie-symptôme trouve sa cause dans les différentes menaces d'effondrement, mais son cours dépend de la force du moi, de la capacité à négocier avec les objets persécuteurs internes et du rapport entre investissement du moi (narcissisme) et investissement des objets. Mais elle est toujours une tentative d'élaboration d'un conflit, de mise en sens et de représentation, un essai pour maintenir un sentiment de continuité et d'existence. On retrouve dans cette thèse la confusion entre le moi et le sujet que la perspective lacanienne n'a cessé de contester. 2.5. Lacan Lacan pose la question de la phobie à partir d'une relecture très précise du texte de Freud, reprenant même le plan de la Vienne de l'époque pour suivre les pas d'Hans et de son père. Cette (re)lecture prend place dans son Séminaire sur la relation d'objet (1956-1957) au cours duquel il avance la thèse de l'identification de Hans au phallus maternel. À l'aide de la triade initiale – la mère, l'enfant et le phallus, triade au sein de laquelle le père doit intervenir – il pose que la phobie supplée à la carence du père réel, qui devrait intervenir pour permettre à l'enfant de ne pas rester asservi, assujetti, au désir de sa mère : la phobie est « mode de solution de ce problème difficile introduit par les relations de l'enfant et de la mère ». À plusieurs reprises, il reviendra sur le thème de la phobie au cours de ses séminaires (en 1964, 1969 et 1974) en s'interrogeant même sur l'existence d'une « structure phobique » (comme l'hystérie et la névrose obsessionnelle) pour répondre par la négative, qualifiant la phobie de « plaque tournante » : « On ne peut pas y voir une entité clinique, écrit-il, mais plutôt une plaque tournante, quelque chose qui doit être élucidé dans ses rapports avec ce à quoi elle vire le plus communément, à savoir les deux grands ordres de la névrose, l'hystérie et l'obsession, mais aussi bien la jonction qu'elle réalise avec la perversion » (Le Séminaire XVI, D'un autre à l'Autre, 1968-1969). _ Détresse, angoisse et peur. La conception lacanienne de l'angoisse (distincte de la peur) est, à l'époque du commentaire de Hans, originale

puisque l'angoisse « surgit dans cette relation évanescente chaque fois que le sujet est, si insensiblement que ce soit, décollé de son existence (…) bref, l'angoisse est corrélative du moment où le sujet est suspendu entre un temps où il ne sait plus où il est, vers un temps où il va être quelque chose où il ne pourra plus jamais se retrouver – c'est cela l'angoisse » (p. 261). Plus conceptuellement, elle apparaît juste avant que le sujet reconnaisse qu'il n'a de place nulle part, quand il ne sait pas de quel désir il est l'objet de la part de l'Autre, avant que l'état de détresse (Hiflosigkeit) ne risque de surgir. La peur, en revanche, concerne toujours quelque chose de nommable, de réel même si les objets gardent en eux la trace de l'angoisse. Cette opposition (détresse-angoisse-peur) marque une continuité et les niveaux de représentation du phénomène : la phobie trouve un objet imaginaire à l'angoisse qui, d'une certaine manière, protège du surgissement de la détresse. La phobie est une peur, c'est la peur qui protège de l'angoisse elle-même. Chez Hans on connaît cette période d'angoisse « flottante » à laquelle succède la peur du cheval. Mais il y a d'autres déterminants à cette situation. _ La question du phallus. La lecture que Lacan fait du cas de Hans est étroitement liée à sa conception du phallus (objet leurrant du désir) et de l'Œdipe. C'est bien la question d'être le phallus supposé combler la mère qui constitue l'origine de la « solution phobique ». Dans un premier temps, à la sortie du stade du miroir, l'enfant demeure dans une relation étroite, presque fusionnelle, à la mère. Il cherche à la combler, à être tout pour elle, à être ce qu'elle désire. Il s'identifie ainsi à ce qu'il suppose être l'objet du désir maternel : le désir de l'enfant se fait alors le désir du désir de la mère qui est supposé se porter sur un objet manquant à la mère, à savoir le phallus. Il devient l'objet qui est supposé manquer à la mère. La question de l'enfant est alors : être ou ne pas être le phallus. Dans un second temps, le père intervient comme tiers interdicteur. Il représente, aux yeux de l'enfant, un objet possible du désir de la mère et il rentre en rivalité avec lui. L'enfant est mis en demeure de remettre en question son identification au phallus, et de renoncer à être l'objet du désir de la mère. À la place de la question d'être le phallus qui satisfait la mère, question qui gouverne le vécu par l'enfant de son propre désir, s'introduit la dialectique de l'avoir (le phallus) – ou pas – qui gouverne le désir de la mère. En même temps le père apparaît comme le détenteur de la loi. Cette loi

marque le déclin de l'Œdipe et confronte l'enfant à la castration. Atteint dans sa certitude d'être lui-même l'objet phallique désiré par la mère, l'enfant est maintenant contraint, par la fonction paternelle, d'accepter, non seulement de ne pas être le phallus, mais encore de ne pas l'avoir – comme la mère dont il se rend compte qu'elle le désire ailleurs, du côté du père, là où il devient donc possible de l'avoir… en s'identifiant au père. Le troisième temps correspond au déclin de l'Œdipe. Le sujet se rend compte que c'est le père qui détient réellement le pouvoir de satisfaire le désir de la mère ; il lui faut renoncer à ce pouvoir qu'il voudrait détenir et que le père possède déjà. Il lui reste la possibilité de s'identifier au père, de vouloir être ce père dont il n'a pu prendre la place. Le père est investi de l'attribut phallique et il faut qu'il en fasse la preuve. Le phallus est réinstauré comme objet du désir de la mère et n'est plus confondu avec l'enfant. Le phallus peut être désiré. C'est le temps de la symbolisation de la loi. Le garçon cherche à avoir le phallus, la fille se situe dans la position de ne l'avoir pas. _ Hans et l'angoisse : la néantisation. La question qui va perturber Hans et engendrer de l'angoisse est produite par la relation avec la mère que Lacan qualifie d'« inassouvie » et l'incapacité du père à occuper sa place de père. L'angoisse apparaît lorsque Hans s'aperçoit qu'il ne peut pas remplir la fonction que la mère semble lui assigner. Si, jusqu'alors, il avait vécu dans la certitude d'être ce qui comblait la mère, il se perçoit désormais comme insuffisant, comme « néant ». L'angoisse provient ainsi de ce qu'il conçoit qu'il n'est rien au regard de ce que la mère attend. Elle est liée à la constatation d'un décalage entre ce pour quoi il est aimé par sa mère et ce qu'il peut donner (puisque la mère le voit – en tant qu'enfant – comme un substitut de l'objet de son désir). La naissance de la petite sœur, l'insuffisance de son pénis réel au regard de ce que semble, pour lui, désirer la mère ratifient ce sentiment de n'être plus rien. _ Peur contre angoisse. La phobie apparaît dans ce contexte où Hans est en proie à la néantisation, au sentiment d'être rejeté du monde maternel, à la crainte d'une mère dévorante. La phobie (« cheval d'angoisse ») n'est pas de l'angoisse mais de la peur : « la phobie n'est pas l'angoisse qui est quelque chose qui est sans objet (…) Les chevaux sortent de l'angoisse, mais ce qu'ils portent c'est la peur » (op. cit. p. 245). La formule de Lacan revient à dire que la peur est un « avant-poste » contre l'angoisse : l'objet de la phobie est « une

arme à l'avant-poste contre la menace de disparition » (ibid.), arme à double tranchant susceptible de se retourner contre le sujet lui-même. _ Pourquoi le cheval ? L'apparition du cheval comme « objet phobique » est, pour Lacan, liée à plusieurs choses. La condition permettant la phobie est représentée par une angoisse liée à la faillite de la relation avec la mère et au fait que le père ne joue pas son rôle symbolique. L'angoisse est précipitée par deux éléments. D'une part, lorsque Hans essaie de séduire sa mère, elle lui apprend que c'est interdit et Hans constate que son organe (pénis) est limité. D'autre part, la petite Anna prend une place importante dans l'intérêt de la mère. Quant au père, il demeure un fils (de sa propre mère) et il ne tient pas la place assignée par le mythe d'Œdipe, place dans laquelle Hans tente de le remettre. Le thème de la phobie (peur que le cheval morde) est étroitement associé à ce que vit Hans. En lui-même le cheval n'a pas une importance majeure, il est pour Lacan un signifiant propre à représenter de multiples choses. L'angoisse, à l'origine, n'a pas de rapport avec les chevaux mais elle a été secondairement déplacée sur eux. Le cheval est un signifiant qui servira de support à toute une série de transferts, de permutations, comme nous l'avons noté dans l'analyse des mots de Hans sur sa phobie. Lacan estime qu'il ne faut pas chercher du côté du signifié et des ressemblances entre le cheval et certains thèmes mythologiques (contrairement à Jones qui finit par trouver que tout est dans tout). Lacan n'est pas non plus convaincu que le cheval ne représente que le père : il peut représenter tout ce qui menace Hans, y compris la mère, le phallus imaginaire de la mère « qui ouvre la porte à l'attaque, à la morsure » (op. cit., p. 341). Mais le cheval n'est pas anodin. D'une part, il est lié à un événement de l'histoire de Hans que celui-ci reconnaît lorsqu'il dit qu'il a attrapé la « bêtise » à Gmunden. Pour Lacan : « Le cheval, avant d'être un cheval, est un élément qui lie et coordonne, et c'est précisément dans cette fonction de médiation que nous le retrouvons » (p. 316). Or ce qu'il lie est étroitement lié à une opération de glissement du sens que Lacan nomme une opération métonymique. Lorsque les enfants jouaient au cheval, Hans étant le cheval, ils criaient tout le temps « c'est à cause du cheval » (wegen dem Pferd). Pour Lacan : « à la naissance de la phobie, au point même où elle surgit, nous nous trouvons devant le processus typique de la métonymie, c'est-à-dire devant le

passage du poids du sens, ou plus exactement de l'interrogation que comporte le présent propos, d'un point de la ligne textuelle au point qui suit » (ibid., p. 317). Wegen est transféré au terme qui vient juste ensuite, dem Pferd. Le cheval, véritable « figure héraldique » (« blason de la phobie »), est propre à représenter plusieurs choses, d'autant que la phobie est diffuse : le cheval, la voiture, les chevaux qui tombent, les chevaux qui mordent, les voitures chargées ou pas… Ce que Hans semble craindre dans sa relation à sa mère – inassouvie, dangereuse, dévorante – est répété dans la phobie qui « dit » toutes ces situations. Le cheval qui mord semble dire : puisque je ne peux plus satisfaire en rien ma mère, elle va se satisfaire comme moi je le fais, elle va me mordre « comme moi je me mords, puisque c'est mon dernier recours, quand je ne suis pas sûr de son amour » (p. 359). Le cheval qui tombe semble dire « je tombe très exactement comme moi, petit Hans, je suis laissé tombé pour autant qu'on en a plus que pour Anna » (ibid.). Comme tout symptôme, la phobie reflète aussi l'ambivalence du désir du sujet : la morsure est autant désirée que crainte, la chute peut être aussi désirée par lui que celle d'Anna par exemple. _ Effets de la phobie. La phobie a pour particularité de créer une division dans le monde, un intérieur et un extérieur, une série de seuils dans l'espace qui donnent à certains lieux, à certaines rencontres une place particulière. Parmi eux, le cheval dont la fonction est de créer un de ces seuils qui structurent le monde. À la suite de la rencontre avec certains signifiants le cheval se met à ponctuer le monde extérieur de signaux. « Freud, plus tard, parlant de la phobie du petit Hans, parlera de la fonction de signal du cheval » (307). Le monde est restructuré par ces signaux, le marquant de limites. _ Lacan et Freud. Lacan met donc l'accent sur le rapport de Hans au désir maternel et à la défaillance du père. Il se distingue de la lettre du texte de Freud mais interprète aussi les interventions de Freud lorsqu'il donne des orientations au père de Hans. Lacan résume la position de Freud à deux axes. D'abord Freud conseille au père de dire à Hans que la phobie est liée à son désir d'approcher sa mère, et que c'est parce qu'il s'occupe de son fait-pipi que le cheval veut le mordre. Ensuite, Freud, par rapport à l'objet caché qu'est le pénis de la mère de Hans, agit comme s'il retirait ce désir en ôtant l'objet de la satisfaction et comme s'il conseillait au père de dire que ce pénis n'existe pas

(ibid., p. 280). Cette double intervention, remarque Lacan, a un effet paradoxal, celui d'une sollicitation. « Au moment même où le père lui dit que le cheval n'est là qu'un substitut effrayant de quelque chose dont il n'a pas à se faire un monde, l'enfant, qui jusque-là avait peur des chevaux, est obligé, dit-il, de les regarder » (ibid., p. 281). L'intervention pacifiante de Freud entraîne une transformation du symptôme et le glissement du cheval aux voitures – lourdement chargées. 2.6. Conclusion Lacan a une pensée originale mais qui ne remet pas en cause la logique de la phobie telle que Freud l'a dégagée, voie que ses élèves ont suivie. Pourtant, il existe, au-delà d'un accord sur le mécanisme de la phobie, de notables différences sur le statut de l'angoisse en cause dans la phobie : angoisse œdipienne pour Freud, angoisses archaïques, préœdipiennes pour les successeurs kleiniens ou de l'Ego Psychology, angoisses liées au désir de l'Autre pour Lacan. P.-L. Assoun ira plus loin en insistant sur le double aspect de l'angoisse, reprenant Freud et Lacan. « Au cœur obscur de la phobie, on trouve cette peur des peurs, celle d'être “bouffé”, en fait d'être coïté par cette archaïque divinité paternelle et/ou par le “crocodile” maternel. Le combat phobique met “en avant-poste” cet objet révulsif avec lequel il livre un combat… d'arrière-garde » (Assoun, 2005, p. 52). Il reste que cette transformation par le « vecteur de la phobie » de l'angoisse en peur n'est pas une simple opération économique, représentative ou défensive. La peur n'a pas simplement comme effet de donner un objet à l'angoisse. Si la terreur, l'angoisse – pourtant plus organisée – effacent l'individu et le sujet, lui retirant la réaction consciente et l'attitude libre, la peur garde en elle le germe de l'action dans la mesure où elle n'annule pas le sujet qui la ressent. Le corps qui ressent la peur exprime son individualité. 3. Les conceptions comportementales La phobie a sans doute été, à la suite de l'expérience de Watson (1920), le premier trouble qui a fait l'objet d'une conception comportementale. Ce

symptôme est une réponse apprise par un conditionnement répondant (de type pavlovien) ou opérant (type Skinner), l'anxiété est déclenchée par un événement, ou bien elle était déjà présente comme une disposition, un trait, et s'associe secondairement à un stimulus qui deviendra par conditionnement l'objet phobogène : il déclenchera désormais de l'angoisse comme s'il s'agissait d'un danger réel. Le schéma le plus simple consiste à considérer qu'un stimulus inconditionnel suscitant de l'anxiété est associé à un stimulus neutre (comme un animal, un bruit) qui sera stocké en mémoire et possédera désormais la capacité d'opérer comme un signal de danger en l'absence du stimulus inconditionnel (c'est-à-dire de tout danger « réel »). Malgré son aspect simple et pertinent, ce modèle ne permet pas de rendre compte de la richesse des mécanismes de la phobie, comportement plus complexe que la salivation du chien de Pavlov ! La variante utilisant le comportement « opérant » (fondé sur les conséquences de l'action) n'a pas non plus permis de résoudre certaines difficultés, de même que la tentative pour associer les deux : phobie déclenchée par un traumatisme (conditionnement répondant) puis maintenue par l'évitement qui fait diminuer l'angoisse, renforcement positif qui entraîne le maintien du comportement phobique (conditionnement opérant). Pourtant ces modèles sont heuristiques et pédagogiques, rendant plus facile la représentation théorique globale du mécanisme de la phobie. Plusieurs questions « simples » se posent à toute analyse de la phobie : – d'où vient l'angoisse ; – comment se fait le passage de cette angoisse à la situation/objet phobique ; – comment le comportement phobique s'établit-il ; – quels facteurs de personnalité, de contexte, quelles composantes psychologiques interviennent et à quel niveau ; – comment la phobie se maintient-elle ? En outre, une théorie générale de l'anxiété est évidemment nécessaire à toute théorie de la phobie (cf. Graziani).

Les modèles comportementaux de la phobie reposent sur les invariants suivants – – traumatisme → anxiété massive. – – lien entre cette anxiété et un stimulus neutre (ex : animal, lieu…) qui devient l'objet phobogène (générateur d'angoisse en cas de présence réelle, voire imaginaire). Le conditionnement peut être répondant, opérant ou vicariant ( modeling ) ou une combinaison des trois ; – – renforcement possible du lien par la répétition ; – – conduites d'évitement entraînant une réduction de l'anxiété ; – – renforcement des conduites d'évitement (soit parce qu'elles permettent de fuir le stimulus aversif, soit parce qu'elles rendent possible l'obtention d'une sensation de sécurité) et, corrélativement, de la phobie ; – – augmentation « paradoxale » de l'intolérance aux situations anxieuses qui, de ce fait, s'accroissent ; – – maintien de la phobie.

3.1. Le conditionnement Pour Eysenck, l'anxiété provient d'un traumatisme : un seul événement traumatique ou une série d'événements marquants provoquent des réactions fortes du système nerveux autonome, notamment de l'angoisse. Un stimulus, auparavant neutre, s'associe au stimulus qui avait donné lieu aux réactions émotionnelles traumatiques. Désormais, le stimulus auparavant neutre produit la réaction d'angoisse. Le schéma est assez simple et correspond presque à l'expérience de Pavlov : un événement déclenche l'anxiété et la proximité spatiale ou temporelle avec un objet transforme celui-ci en signal de danger que le sujet tentera d'éviter. Mais cette interprétation est insuffisante car toute situation de traumatisme ne déclenche pas une phobie et celle-ci n'est pas toujours précédée par un traumatisme. Il est aussi possible d'expliquer comment la phobie se construit, à partir non seulement du traumatisme, mais de ce que l'évitement entraîne. En s'appuyant sur la théorie de Mowrer (« théorie des deux facteurs »), Eysenck explique la persistance de l'anxiété et des comportements d'évitement concomitants en mettant l'accent sur le soulagement obtenu par la fuite ou l'évitement. Les sujets apprennent à éviter les situations menaçantes, ce qui

favorise à court terme une réduction de l'anxiété, mais augmente l'importance de celle-ci : plus le sujet évite l'anxiété, plus il est vulnérable et plus elle augmente, impliquant un recours plus fréquent à l'évitement. En revanche, la confrontation au danger (c'est-à-dire l'inverse de la stratégie du phobique) amènerait une extinction de l'anxiété. Le phobique essaierait sans s'en rendre compte de se débarrasser rapidement de l'angoisse ce qui entraînerait un effet inverse. C'est la thèse du « renforcement négatif par l'évitement » dans la phobie. 3.2. Le modèle de Gray Il représente une tentative pour localiser le substrat anatomique, physiologique et biochimique des obsessions, phobies, états d'anxiété dans un système hippocampo-septal de l'inhibition comportementale dont la fonction serait de filtrer les stimuli pour voir s'ils concordent avec ce que le sujet attend. En cas de concordance entre stimuli attendus et stimuli perçus ou de dysrégulation du système à cause de perturbations physiologiques ou biochimiques, le sujet va soit inhiber l'action (phobie) soit se lancer dans des vérifications sans fin (obsessions-compulsions), soit déclencher une crise d'angoisse (attaque de panique). La possibilité de prédire et de contrôler les stimuli possède un effet réducteur sur l'angoisse : se débarrasser d'un signal de danger revient à acquérir un signal de sécurité. Le maintien du comportement phobique est lié à la recherche d'un signal de sécurité qui a acquis, par conditionnement classique, cette propriété. Finalement, la recherche et l'obtention d'une situation de sécurité (secure) auprès d'un objet contra-phobique, d'un élément de protection, renforcent le comportement phobique : ce n'est plus d'échapper à la situation angoissante qui produit l'apprentissage de la phobie mais bien de trouver des éléments de sécurité, des soulagements qui entretiennent le lien phobique entre une angoisse et un objet banal (stimulus neutre, conditionnel). Ce modèle repose sur une théorie particulière de l'angoisse (biopsychologique) fondée sur les recherches sur l'animal et sur les benzodiazépines. Pour Gray, le névrosisme, la disposition anxieuse (anxiététrait), reposerait sur une sensibilité élevée à renforcer les événements comportant un danger, et l'introversion représenterait une sensibilité accrue

aux signaux de punition plutôt qu'aux signaux de récompense. Les signaux de punition et d'absence de récompense déclenchent le système d'inhibition comportementale (système signalant un danger) qui augmente l'éveil, l'attention et l'inhibition du comportement habituel : l'anxiété est l'émotion qui accompagne cette activation. Ce système d'inhibition peut aussi être déclenché par des stimuli nouveaux qui provoquent des réactions de peur. Gray considère l'anxiété comme un état qui « influence » les réponses comportementales face aux stimuli qui signalent soit une punition soit l'absence de récompense. Pour intéressante que soit cette thèse, elle pose deux problèmes. L'homme est-il un animal ou bien le langage introduit-il une différence non négligeable pour les activités complexes ? D'autre part, ce modèle général de tous les troubles anxieux est purement spéculatif et non prédictif. Son utilité en clinique est assez faible. 3.3. L'apprentissage social Des auteurs comme Bandura ont tenté de montrer que la phobie pouvait reposer sur l'observation du comportement des autres (apprentissage à partir de modèles, modeling). Les phobies seraient apprises à partir des attitudes des parents (transmission familiale de certaines phobies spécifiques ou sociales) mais aussi à partir des modèles proposés par la culture et le discours social. Toutefois, une distinction entre « peurs » – qui peuvent bien correspondre aux mécanismes proposés par Bandura – et réelles phobies s'impose, ces dernières paraissant difficilement explicables par l'apprentissage social. Une fois encore la distinction entre peur banale et phobie est difficile à faire. La phobie n'est peut-être pas un comportement aussi mécanique et isolé que ne le laissent penser ces conceptions : la question de la présence excessive de l'anxiété chez les patients phobiques (type de personnalité, anxiété-trait), des mécanismes d'adaptation (coping, défenses), des éléments d'évaluation des situations (processus cognitifs)… sont essentiels. 4. Les conceptions cognitivo-comportementales

Ce modèle, plus psychologique que le précédent, fait référence aux schémas cognitifs (pensées ou images acquises au cours d'expériences traumatiques préalables). Dans les phobies, comme dans les attaques de panique et l'anxiété généralisée, le stress active des « schèmes cognitifs ». Il existerait ainsi des monologues intérieurs à thèmes de mise en danger de la personne ; la phobie serait un cas particulier d'issue de certains de ces « schèmes ».

Invariants des conceptions cognitives de la phobie – Prédisposition : type de personnalité, intolérance aux sensations physiques. – Événements traumatisants (graves ou microtraumatismes répétés : humiliations…) et/ou imitation de comportements familiaux ( modeling ) et/ou excès de messages éducatifs insécurisants. – Situation stressante → Réponse anxieuse (lien peur excessive – objet ou situation). – Facteurs renforçateurs de la phobie : anticipation, rétrécissement focal de l'attention dirigée sur la source perçue de danger, hypervigilance, focalisation sur les causes de peur (scanner l'environnement, attention sélective), constructions de scénarios catastrophe (confusion entre probable et certain), schèmes cognitifs (inférence arbitraire, erreurs d'interprétation…), sentiments de dévalorisation et de vulnérabilité, évitements (entraînant une augmentation de l'anxiété). Schéma de la phobie : – Avant la confrontation : anticipation (scénario catastrophe) → augmentation de la peur anticipée et du sentiment de vulnérabilité. – Pendant la confrontation : focalisation sur les signaux de danger et interprétations erronées → augmentation de la peur, diminution des capacités adaptatives à la situation. Les théories cognitives applicables à la phobie sont issues des conceptions des schèmes cognitifs (Beck) et de certaines théories de l'angoisse (Lazarus, Kelly).

4.1. Lazarus et le modèle interactionnel Lazarus n'a pas, à proprement parler, édifié de conceptions de la phobie mais sa théorie de l'angoisse est déterminante dans les théories cognitivocomportementales (Graziani, 2003). Le doute, l'indécision et l'incertitude, la

menace existentielle (dans l'anxiété-trait notamment) sont des caractéristiques de l'anxiété. Les décisions du sujet anxieux s'accompagnent d'incertitude qui concerne ce qui est en train de se passer et les moyens pour le modifier. Dans l'anxiété pathologique, la personne est menacée par son propre sentiment d'infériorité ou d'insuffisance. L'anxiété est une émotion provoquée par la perception d'une non-congruence avec le but que la personne s'était fixé. Elle est ainsi considérée comme le signal d'une perte de sens et d'un décalage entre les attentes de la personne et la réalité. 4.2. Kelly et les constructions personnelles Pour Kelly, l'être humain est un constructeur de sens qui produit une organisation de la connaissance qui s'enrichit à mesure que le sujet interagit avec son environnement. L'adaptation implique de modifier les constructions non pertinentes c'est-à-dire de transformer le sens antérieur en intégrant de nouvelles informations. L'anxiété serait provoquée par le constat que les événements auxquels l'individu est confronté sont en dehors du domaine de pertinence de son système de constructions. L'anxiété, fondée sur les expériences de souffrance, de perplexité et d'absence de clarté, serait provoquée par le constat d'inadéquation des constructions personnelles pour faire face à la situation présente problématique. La peur émane de la perception d'un changement imminent des structures centrales inadaptées pour l'intégration d'informations nouvelles. 4.3. Beck et les schémas cognitifs Beck reprend le modèle de Lazarus et les constructions personnelles de Kelly. Les phénomènes anxieux sont le résultat d'un processus actif, continu, comportant « des analyses, des interprétations et des évaluations successives de la situation externe, de ses risques, des coûts et des avantages d'une réponse particulière » (Graziani, 2003). La nocivité d'un stimulus vient de l'analyse et de l'interprétation qu'en fait le sujet et des schémas cognitifs particuliers qui permettent leur existence et leur donnent une forme pathologique dans les troubles anxieux. Ces schémas sont des structures inconscientes, des ensembles de représentations et de mécanismes qui gèrent

les différentes étapes du traitement de l'information (filtrage des informations nouvelles, organisation et mode de rappel des informations stockées en mémoire, classer, interpréter, évaluer et donner une signification à l'événement, planification et gestion des actions). L'anxiété repose sur une articulation de quatre facteurs complexes : – physiologique : éveil du système autonome pour préparer la fuite ou la défense contre le danger perçu ; – comportemental : mobilisation pour fuir et se défendre contre le danger perçu ; – affectif/cognitif : sentiment de peur et d'appréhension ; – cognitif comprenant : _ symptômes sensori-perceptuels, sentiments d'irréalité, d'hypervigilance et conscience envers soi, _ difficultés à penser, de concentration, perte du contrôle de la pensée, difficultés à raisonner, _ symptômes conceptuels (schèmes cognitifs proprement dits) : distorsions cognitives, croyances associées à la peur, images effroyables et pensées automatiques fréquentes. Ces éléments sont le résultat d'un traitement de l'information particulier qui constitue le cœur du modèle cognitif de l'anxiété. L'anxiété entraîne une perte du contrôle intentionnel sur le processus de pensée. La rencontre du « stresseur » amène la dégradation de l'organisation cognitive (mise en cause des capacités de concentration, de remémoration, de raisonnement et du contrôle des impulsions). Les anxieux perdent leurs capacités d'observation objective de leurs « pensées automatiques » qui permettraient de les ajuster à la réalité. Les cognitions sont si intenses qu'ils ont des difficultés pour les « neutraliser » et pour déplacer leur attention sur d'autres pensées. Parmi les moyens de lutter contre ces pensées, certains individus mettent en place des comportements comme la fuite et l'évitement. Il est aussi possible que l'échec des fonctions du processus secondaire soit imputable à la contamination de l'organisation cognitive par les schémas idiosyncratiques et hyperactifs et la fatigue mentale (épuisement des ressources qui rechargent en énergie les schémas du processus secondaire). Le schéma global reposerait sur une situation perçue de manière négative qui déclencherait des émotions entraînant des pensées, des sensations qui renforcent l'émotion et se renforcent. Il s'ensuivrait une crise croissante

provoquant une faible estime de soi, une appréhension et une anticipation négative. 4.4. Conclusion générale sur la phobie. Thérapeutique(s) ? Il est indéniable que sous le terme de « phobie » on place, selon les paradigmes, des phénomènes cliniques parfois différents, même si le centre reste identique. Il est aussi évident que les théories des mécanismes de la phobie sont distinctes et parfois opposées, ce qui n'est pas sans retentissement sur les méthodes de prise en charge des patients. La psychanalyse considère que la phobie, en tant que symptôme (c'est-à-dire en tant que formations de l'Inconscient comme le rêve, le lapsus), a un sens et une fonction. Elle représente en effet une solution, quelquefois très pathologique, ou inversement, structurante, à un conflit et possède une légitimité. La guérison de la phobie ne saurait être un but en soi d'une cure analytique. L'hypothèse – parfois (mais pas toujours) validée par la clinique – est que la disparition de la phobie risque d'entraîner une modification préjudiciable de l'équilibre précaire ou bien priver le sujet d'une voie d'expression efficace. Le risque est alors que la phobie disparaisse puis, à l'instar du symptôme hystérique, réapparaisse ultérieurement ou encore que, privé de ce recours, de cette voie d'expression, le sujet ait recours à d'autres symptômes ou troubles plus contraignants encore, voire que la disparition de la phobie, château fort alors démantelé, laisse la place à l'irruption de troubles beaucoup plus sévères. Le cas de phobie cité par Piera Aulagnier (1975) souligne ce risque. La patiente présentait une phobie d'impulsion : « chaque fois qu'elle est dans la rue elle craint d'être obligée de se déshabiller et de se montrer nue » (p. 254). Cette phobie est très invalidante puisque la patiente refuse de sortir seule : sa phobie ne disparaît que lorsqu'elle est accompagnée. Or rapidement, Aulagnier se rend compte que cette phobie est associée à une « théorie délirante primaire » qui assigne à la femme le rôle procréateur sans intervention du sperme. Cette « théorie délirante primaire » ne s'accompagne d'aucuns signes ni d'aucuns autres processus psychotiques. On imagine ce que pourrait produire la disparition de la phobie. Enfin, la question psychanalytique, telle du moins qu'elle est systématisée par Lacan, pose bien la question de la nécessité du symptôme. Il représente

en effet une invention singulière, une solution qui possède une fonction de prothèse et évite au sujet une forme de « dérapage ». Il conviendrait donc de ne pas se fixer comme but l'éradication du symptôme. Cependant, la conception du symptôme (ou sinthome dans la dernière partie de l'œuvre de Lacan) n'est pas celle de la médecine. Ce n'est pas du « trouble » dont parle Lacan, mais de ce qui fait symptôme pour le sujet et correspond à une formation de l'inconscient. Ainsi, toute phobie n'est pas un symptôme, d'autant que, nous l'avons vu, Freud hésite parfois entre la conception « hystérique » et la conception « actuelle » (névrose actuelle) de la phobie. Pour les théories cognitivo-comportementales, les phobies sont des troubles qui perturbent l'existence des sujets et dont la disparition peut constituer un objectif thérapeutique défini, explicité et planifié. En ce sens, ces théories se situent dans une perspective médicale : diagnostic, pronostic, traitement. Dans ce cadre, en complément d'un traitement tranquillisant et/ou antidépresseur, les approches cognitivo-comportementales développent leurs techniques originales, d'ailleurs fortement recommandées par l'OMS pour le traitement de phobies. Ces techniques se développent selon certains principes. Elles accordent une priorité au travail sur les symptômes et sur l'adaptation à l'environnement et non pas aux éléments du passé centrés sur le seul individu. Le thérapeute n'hésite pas à adopter un style directif, à donner des informations, des conseils et à faire pratiquer des exercices pendant ou en dehors des séances. Le but de la thérapie est que le patient puisse retrouver une autonomie et affronter ce qui lui fait peur. Les phobies sont maintenues par des contre-attitudes (évitement, amplification des peurs…) alors que le patient dispose de moyens d'autoguérison que les Thérapies Cognitivo-Comportementales (TCC) vont développer. La démarche thérapeutique repose d'abord sur l'évaluation des troubles à l'aide d'échelles d'auto et/ou d'hétérévaluation. Il en existe de très nombreuses, certaines générales, d'autres spécifiques à une phobie particulière : Questionnaire des peurs (Marks Mathews), Échelle d'évaluation des phobies, attaques de panique et anxiété généralisée de Cottraux, Test

comportemental d'évitement (Marks), Questionnaire de cognitions agoraphobiques (Chambless)… Le schéma thérapeutique repose sur deux techniques principales : l'exposition (se confronter à ce qui fait peur) et la restructuration cognitive (critique et modification des schémas de pensée). À ces deux techniques s'ajoutent des éléments secondaires mais utiles comme la relaxation, le contrôle respiratoire, l'affirmation de soi (par des jeux de rôle pour apprendre à exprimer ce que l'on ressent). L'exposition permet de « désensibiliser » la personne en la confrontant à des situations phobogènes d'une manière croissante. Cette confrontation doit être longue, le patient se concentrant sur la situation anxiogène en utilisant le moins possible de stratégies de distraction de l'attention. Plusieurs types d'exposition sont proposés : en imagination, par imagerie virtuelle, intéroceptives (déclencher les sensations physiques génératrices de la peur pour apprendre à les maîtriser), expositions situationnelles (in vivo : confronter directement le patient à ce qui lui fait peur). – La modification des pensées automatiques (cognitions) passe par une phase d'auto-observation (repérer ces pensées), puis par une réflexion sur la pertinence et la logique des cognitions, voire de certains raisonnements et, enfin, par la vérification de la fiabilité et de la pertinence de ces pensées. Les conceptions analytiques et cognitives apparaissent ainsi très différentes dans leurs représentations théoriques de la maladie et de l'approche thérapeutique. Même si des points de rencontre, des analogies, peuvent être retrouvés, ces deux perspectives vont en sens opposé. Si l'on adjoint à cette différence la place qu'occupe le « transfert » (moteur de la cure) dans les conceptions de la psychanalyse, les positions sont inconciliables.

4 Analyse de certaines classes de phobies Si la phobie correspond à un schéma global, les grandes classes de phobies utilisent aussi des mécanismes spécifiques. Les phobies infantiles, par leur banalité, posent la question de la séparation entre phobie pathologique et phobie banale accompagnant le développement. L'agoraphobie évoque la question du rapport à l'espace mais aussi de la relation aux autres, à la solitude et à la confrontation à soi-même. La phobie sociale ne peut être comprise sans référence à ce qui fonde le lien social et à la question du regard de l'autre. 1. La phobie chez l'enfant Les phobies de l'enfant (Guéniche, 2007) posent un problème intéressant puisqu'elles sont extrêmement fréquentes, accompagnent le développement, mais peuvent aussi représenter des symptômes sérieux entraînant une limitation de la vie de l'enfant et témoignant de la présence d'une organisation pathologique structurée. La plupart des cas exemplaires de phobies donnés par la psychanalyse sont des enfants : Hans, Arpad, Sergeï… 1.1. Cliniques des phobies La psychanalyse distingue les peurs « archaïques » (comme l'angoisse du 8e mois, la peur devant l'étranger, les craintes de destruction, d'abandon…) et les phobies « vraies » apparaissant à la période œdipienne (vers 3 ou 4 ans) et correspondant à un déplacement de l'angoisse, à sa liaison avec un objet : l'angoisse devient une peur, parfois structurante, parfois réduisant l'univers de l'enfant (pathologie). Les peurs de certains objets ou situations sont très fréquentes chez les enfants mais le degré de gêne et de souffrance est souvent insuffisant pour

porter un diagnostic de phobie, au sens d'un trouble invalidant, douloureux et fixe. Toutefois, la reconnaissance est d'autant plus difficile que l'anxiété de l'enfant ne s'exprime pas forcément par la verbalisation de l'angoisse mais surtout, selon l'âge, par des pleurs, des crises de colère, des réactions de sidération ou d'agrippement de la personne proche. Ils verbalisent assez peu une souffrance liée à la crainte d'objets ou de situations. D'ailleurs, les phobies d'animaux, du noir, des bruits forts, des autres éléments de l'environnement sont fréquentes mais transitoires. Il semble bien qu'il faille différencier les peurs de l'enfance des phobies au sens pathologique du terme. Les premières sont transitoires et gênent peu la vie de l'enfant, les secondes sont durables, intenses, inhibent le comportement de l'enfant et servent de pivot à l'édification d'autres comportements pathologiques : anticipation, généralisation de la phobie, objet contraphobique rendu prisonnier de la situation, bénéfices secondaires aliénants… Toutefois, ces peurs de l'enfant ne sont pas dénuées de sens et, sur le plan clinique, il est parfois aisé de repérer une surdétermination qui laisse place à une éventuelle névrotisation : la peur de l'enfance peut servir de « complaisance » et être utilisée par la névrose infantile au même titre qu'un trouble somatique réel peut servir de « complaisance somatique » à la conversion hystérique (Pedinielli, Bertagne, 2002). Nous sommes alors dans le registre du processus de l'hystérie d'angoisse, une peur banale devenant le symptôme de l'enfant, chargé de sens, les motions inconscientes trouvant là, dans la phobie, une voie d'accès. Eva avait, dans l'enfance, plusieurs phobies banales : peur du noir, peur du vide et surtout peur de l'eau. Cette dernière a persisté à l'âge adulte sans, toutefois, revêtir un caractère suffisamment important pour permettre de porter un diagnostic de « phobie » au sens du DSM. Or cette peur est surdéterminée, et s'est constituée par étapes et elle agence des signifiants particuliers. 1) À l'âge de 3 ans, Eva avait failli, alors qu'elle était à la mer, se noyer emportée par un rouleau. Sa mère l'avait rattrapée in extremis en la prenant par sa queue-de-cheval. 2) Son enfance a été marquée par la répétition des « plaisanteries » de sa sœur aînée qui, régulièrement, prenait plaisir à lui plonger la tête sous l'eau, taquineries qui revêtaient une dimension d'angoisse avec évitement : Eva regardait autour d'elle avant de rentrer dans l'eau, de façon à surveiller sa sœur et à éviter ces brimades qui l'angoissaient. Comme les parents promettent un canoë aux deux enfants, à condition qu'elles obtiennent leur « brevet de 50 mètres », Eva est obligée d'apprendre à nager à la piscine et, dans le même mouvement, les brimades cessent. 3) Eva, à ce moment, a 8 ans ; elle apprend à nager avec un « maître-nageur » ami du père. À l'occasion d'un cours, alors qu'elle est dans l'eau, encore malhabile, les deux amis (le père et le maître-nageur)

discutent, ne la regardent pas et relâchent leur surveillance. Elle sait désormais nager et pourrait se débrouiller seule, mais voyant qu'ils ne la surveillent pas – qu'ils ne la regardent pas – elle « panique » et se met rapidement à « boire la tasse ». On s'en aperçoit, on la remonte sur la berge et, pour la rassurer, on lui dit que la ceinture flottante qu'elle porte sur elle pour nager est insuffisante pour la porter, qu'elle arrive à flotter par elle-même, à avancer, et qu'elle sait donc nager : nouvelle panique. Le cours suivant, elle s'enferme dans les W.-C. et, profondément angoissée, refuse d'aller dans la piscine, qui devient phobogène. Elle n'y retournera plus. Mais ses parents l'emmènent toujours en vacances au bord de la mer et, là, elle est attirée par les enfants qui nagent. Petit à petit, elle se laisse aller à rentrer dans l'eau… et elle se rend compte qu'elle sait nager. Quelques longs mois après, elle décide de passer le fameux « brevet », l'obtient… mais elle n'aura pas le canoë parce que la mère a peur des risques du bateau et… de l'eau (elle ne sait pas vraiment nager et ne se risque pas là où elle n'a pas pied). Adulte, Eva a toujours peur de l'eau, mais elle réussit à dépasser sa peur, sauf si le fond est sombre et/ou la mer est agitée. Deux épisodes réactivent la phobie : un courant l'entraîne loin de la plage avec une adolescente qui commence à avoir très peur et à se débattre ; une autre fois, nageant avec masque et tuba, alors qu'elle est fascinée par les fonds marins, elle a une attaque de panique en remarquant la profondeur et la couleur sombre du fond. Dans sa vie, elle a toujours été tentée de faire de la plongée ou de l'observation sous-marine, très attirée par les fonds, notamment tropicaux, mais elle a toujours été mal à l'aise. La profondeur, qui confine à la question de la peur du vide, se conjugue à la peur du noir : quand la mer est sombre, que pourrait-il sortir des abysses ? Curieusement, dit-elle, elle n'a jamais fait de rêves ou de cauchemars qui concernent l'eau.

1.2. Psychopathologie des phobies de l'enfant Deux niveaux doivent être distingués : les phobies qui accompagnent le développement et les phobies symptômes d'une pathologie installée. Chez l'enfant, l'apparition de certaines phobies « banales » fait partie du développement maturant normal (cf. A. Birraux). Elles sont précédées par les premières tentatives du psychisme pour distinguer ses objets d'investissement (premières tentatives de distinction entre bon et mauvais objet). Le mauvais objet est projeté au-dehors et entraîne des conduites d'évitement et de préservation d'un bon objet interne. À cet égard, la peur de l'étranger représente la première constitution d'une phobie « normale » puisque l'étranger est le lieu de la peur : elle serait un phénomène qui évoque le rapport avec les objets primaires. Au cours du développement, sous l'effet de la confrontation à la séparation, puis à la castration, la phobie prend différents sens, mais constitue toujours une représentation et une localisation de l'angoisse. Jeammet parle ainsi de « travail phobique » pour en montrer les

aspects positifs de mise en représentation et de protection. Par la phobie, l'angoisse devient figurable : « le travail phobique » facilite le développement de mécanismes de déplacement qui permettent d'avoir peur d'une situation qui expose l'enfant à ses désirs en les déplaçant sur des représentations éloignées de l'originaire. En revanche, les phobies liées à la pathologie se constituent comme un obstacle au développement, comme une organisation fixe, autonome, qui limite l'accès à la résolution du conflit. Cette phobie, que nous retrouvons chez Hans par exemple, est en effet une « solution » à l'apparition d'une angoisse difficile à supporter, angoisse générée par un conflit insoluble en lien avec les images parentales : père fantasmatiquement castrateur, mère inassouvie et dévorante… Selon le schéma que nous avons développé précédemment, au point de départ se situe l'attaque inaugurale de panique qui signe une mortification, un vécu d'être coincé, passivé, soumis, que « l'enfant-poule » de H. Deutsch révèle clairement. Sa phobie des poules provient d'un souvenir traumatisant, d'un jeu dans lequel il était accroupi alors que son frère se jetait sur son dos en criant : « Je suis le coq et toi tu es la poule ». Dans les larmes, la rage, le futur phobique, sans doute conscient de cette irréductible passivation, féminisation, cria : « Mais je ne veux pas être une poule ». Faut-il entendre « être ta poule », « je veux être autre chose », « je ne veux pas être réduit à ça »… ? L'expérience traumatisante le confrontant à l'homosexualité, au retour de la castration dans le réel, déclenche cette panique qui se transforme en phobie lorsque le sujet commence à avoir peur des poules de la ferme où il vit et à les éviter. La panique liée à la passivation s'est transformée en angoisse – qui est une forme d'activité – puis la phobie constituée représente une réaction contre cette horreur de la passivation originaire. 2. Les phobies spécifiques 2.1. Définition Ce terme, ou celui de « phobies simples », désigne le « noyau » des phobies, l'agoraphobie et les phobies sociales étant des formes particulières

nécessitant des interprétations spécifiques, notamment du fait qu'elles concernent non pas un objet matériel précis mais des situations (difficiles à objectiver) et qu'elles intègrent toutes deux une dimension sociale apparente. Une part de la théorie générale des phobies présentée ci-dessus concerne donc surtout ce type de phobies. Pour le DSM-IV, le trouble « phobie spécifique » (auparavant phobie simple) implique une peur marquée et persistante d'objets ou de situations objectivement visibles et circonscrits. En cas de confrontation (réelle ou imaginaire), il y a « presque invariablement une réponse anxieuse immédiate ». Cette peur est reconnue comme excessive ou irraisonnable par la personne avec évitement, ce qui entraîne des conséquences négatives sur la vie quotidienne et professionnelle. Ces phobies sont de plusieurs types : animal, environnement naturel (orage, hauteur, eau…), sang – injection – accident, situationnel (transports publics, tunnels, ponts, ascenseurs, voyage aérien, conduire une voiture ou les endroits clos), situations pouvant conduire à un étouffement, faire vomir, contracter une maladie, « phobie de l'espace », peur des bruits forts et des personnages déguisés (chez les enfants). Les plus fréquentes seraient les phobies des hauteurs, des araignées, des souris, des insectes. Elles peuvent être accompagnées d'autres troubles anxieux, de troubles de l'humeur, d'utilisation de substances (alcool, tranquillisants…). Seulement 12 à 30 % des patients atteints chercheraient de l'aide auprès des services médicaux. Ces phobies varient avec la culture, notamment pour les thèmes comme les esprits, la magie. Deux fois plus d'hommes que de femmes seraient atteints, mais il y a des variations selon le type de phobie. Ces phobies débutent souvent dans l'enfance, plus précocement chez les femmes que chez les hommes. Les facteurs prédisposants sont les événements traumatiques, les attaques de panique, l'observation d'autres personnes subissant un traumatisme, certaines transmissions d'informations. Le risque est plus grand quand il existe déjà des phobies dans la famille (phobies à caractère familial). Le diagnostic différentiel doit être réalisé avec les autres phobies et les autres troubles anxieux (dont le PTSD – stress post-traumatique – et les TOC), avec l'anxiété de séparation, l'hypocondrie (où il y a présence ou absence de conviction de maladie), avec l'anorexie mentale (on ne parle pas de phobie si le trouble est uniquement lié à la nourriture), et avec la

schizophrénie (idées délirantes). Ces phobies simples sont innombrables, tout objet pouvant devenir phobogène. Les multiples formes décrites pas Stanley Hall sont là pour en témoigner.

2.2. Psychopathologie Lecture psychanalytique La psychanalyse s'est surtout intéressée à ces phobies spécifiques, ce qui explique que leur interprétation constitue en fait le modèle général de la phobie. Les phobies des animaux, notamment, ont constitué le thème central des premières théories psychanalytiques : le petit Hans, l'homme aux loups, Arpad le petit homme-coq de Ferenczi, l'enfant-poule de H. Deutsch… Mais qu'il s'agisse de phobies des animaux ou des autres phobies d'objet, voire de situations, le schéma est semblable, même si les auteurs divergent sur l'origine et le sens : l'objet de la phobie cristallise l'angoisse en l'associant à une représentation et permet de la réduire en évitant l'objet. L'angoisse flottante apparue à la suite d'un conflit (dont la nature varie selon les auteurs) est secondairement déplacée sur un objet qui est évité et/ou affronté à l'aide d'un objet contraphobique. Une des questions posées par la psychanalyse est celle de ce que représente l'objet phobique. Elle comporte deux niveaux : la clinique du cas où il s'agit de comprendre ce qu'évoque cet objet pour le sujet concerné, et la construction théorique qui tente de fournir un statut général de l'objet dans la phobie. La clinique est soumise au discours du sujet, à ce qu'il laisse entrevoir de son désir et de son histoire : ce faisant, l'objet phobique apparaît non seulement comme un objet réel mais aussi comme une représentation (Vorstellung) et un signifiant. L'analyse du petit Hans a montré que l'objet de la phobie – le cheval – pouvait évoluer (tomber, mordre, être attelé… puis les voitures lourdement chargées). À ce titre, la phobie originelle (peur du cheval

et de sa morsure) se transforme et en vient à représenter d'autres éléments. Si le choix du cheval est lié à l'histoire de Hans (wegen dem Pferd) et au père, il est aussi un symbole d'autre chose. L'objet n'a donc pas de sens en lui-même et peut être pris dans de nombreuses associations qui le placent comme un nœud dans un écheveau. Cet objet est aussi nettement inséré dans l'histoire de l'individu et, à ce titre, il est associé à des expériences marquantes qui condensent des significations différentes : trauma, déplaisir, angoisse, dévalorisation, perte du sens… Ainsi Arpad, le petit homme-coq de Ferenczi, est-il fasciné par les poulets mais il a très peur des poulets vivants. Le souvenir fait apparaître une scène où il avait eu le sexe mordu par un coq. Mais chez lui comme chez certains phobiques, la zoophobie débouche sur une idéalisation ultérieure de l'objet : il vénère le coq… Le fétiche et le totem ne sont pas si éloignés de l'objet phobique. Ce petit phobique révèle, dans sa phobie des coqs (craints et idéalisés), les deux aspects du totémisme que Freud avait évoqué dans Totem et tabou : l'identification avec l'animal totémique et l'ambivalence. Celui que Freud a surnommé « l'homme aux loups » ne présente pas une phobie unique : à certains moments, ce sont les lions qui l'inquiètent et il développe aussi une « phobie du papillon ». Ce papillon présente des caractéristiques précises : des « ailes rayées de jaune, terminées en pointe ». L'enfant, alors qu'il poursuit ce papillon, est saisi d'une terrible angoisse lorsqu'il se pose sur une fleur : la crainte apparaît alors que le papillon est immobile et l'angoisse naît du mouvement de ses ailes sur la fleur. Les sollicitations de Freud amènent l'homme aux loups à produire des associations et à retrouver des souvenirs qui ont trait à l'acte sexuel, à son éveil sexuel d'enfant (avec Grouscha). Le papillon est ainsi pris dans une analogie avec la situation sexuelle désirée et inquiétante. La question plus théorique du statut de l'objet dans la phobie est à ramener à ce qui provoque l'angoisse à l'origine et à ce dont protège la phobie. En suivant les théories de l'angoisse et leurs évolutions, il est logique de considérer que la première angoisse est celle de la séparation, de retrouver un autre visage que celui, attendu, de la mère. Certains auteurs comme Denis, ont ainsi considéré que l'angoisse du 8e mois (angoisse devant le visage de l'étranger, angoisse de séparation) était la première phobie. Dans nombre de travaux analytiques post-freudiens, l'objet phobique représente cette angoisse

de séparation ou de néantisation liée à la perte de soi par l'absence de la mère ou l'apparition de ce qui n'est pas elle. Mais il y a un deuxième niveau de l'angoisse qui concerne cette fois la castration. C'est cette voie que Freud a développée. Et la question du père y est centrale comme le montrent les histoires de Hans et de l'homme aux rats. Plus précisé- ment, deux aspects de la phobie apparaissent : ce qui génère l'angoisse de castration et la nature de l'objet phobique. Les cas de Freud semblent montrer que si le père fait peur, ce n'est pas tant la crainte de sa vengeance que l'on trouve dans la phobie, que le risque d'être soumis par le père. La « passivation » envers le père (être l'objet asservi du père) comporte un attrait horrifiant, une sollicitation. Freud l'avait mentionné dans Hans : la représentation de la dévoration par le père est « l'expression dégradée par régression d'une motion tendre passive, qui représente le désir d'être aimé par le père comme objet au sens de l'érotisme génital ». L'élément déterminant qui provoque l'angoisse de castration à l'origine de la phobie est donc ce sursaut contre cette identification passive. Pour Freud, être dévoré par le loup, être mordu par le cheval expriment la crainte de la castration qu'il faut comprendre comme une angoisse d'être dévoré, détruit, asservi. Chronos – qui dévore ses enfants – est le personnage mythique de cette crainte. La dévoration que Freud met au compte du père désigne, pour Lacan, la mère vorace, comme celle du petit Hans : « à mère inassouvie, fils phobique » dit Lacan pour désigner ce mouvement de Hans d'abord candidat à la fonction d'être le phallus de la mère, puis rejeté et réduit à une néantisation. L'animal phobique est alors « une incarnation monstrueuse mais potentiellement symbolisable de l'angoisse de castration » (Assoun, 2005, p. 79). Analyse cognitivo-comportementale Ici encore les phobies simples ou spécifiques ont servi le premier des éléments à la construction théorique de la phobie, tels que nous les avons présentés plus haut. De multiples éléments ont été évoqués. Seligman (1971), notamment, sépare les phobies en deux classes : les phobies préparées et les phobies non préparées. Une prédisposition génétique facilite l'apprentissage des premières qui correspondent à des craintes qui ont ou ont eu une fonction protectrice pour l'espèce. La deuxième classe correspond à des craintes de

situations ne représentant aucun danger pour l'homme. Très curieusement cette position n'est pas éloignée de ce que Freud évoquait dans ses premiers textes. L'interprétation des phobies spécifiques fait appel 1) à l'existence d'une anxiété (souvent anxiété-trait) qui entraîne des modifications des perceptions et s'associe à des schémas cognitifs ; 2) à l'insuffisance des mécanismes de coping pour lutter contre l'angoisse ; 3) au rôle des événements antérieurs et de l'entourage ; 4) au renforcement du lien entre objet et anxiété (c'est-à-dire la phobie en tant que telle). Le « choix » de l'objet ou de la situation phobogène est déterminé par la rencontre entre une angoisse intense et le futur objet de la phobie (animal, sang, situation…), la phobie se constituant par le renforcement comme dans un cercle vicieux : l'angoisse se focalise sur l'objet puis se renforce par l'évitement de cet objet. L'anxiété et ses effets Les effets de l'anxiété ne sont pas des causes directes de la phobie mais ils contribuent à la rendre possible ; ils constituent un terrain favorable. On a ainsi remarqué (Cottraux Mollard) que l'anticipation anxieuse et le souci d'organisation des situations (tous deux véritables traits de personnalité) contribuaient à rendre certains événements plus anxiogènes et à initier ou maintenir la phobie. Il en va de même de l'attention sélective et de l'hypervigilance évoquées par Rachman (1998). L'anticipation des peurs se manifeste par l'utilisation d'une « attention sélective » (recherche de stimuli qui indiquent la présence d'une menace) qui entraîne un rétrécissement focal de l'attention dirigée sur le danger et accompagné par une négligence des autres stimuli. L'hypervigilance s'active quand les anxieux se confrontent à une situation nouvelle. Ils l'explorent jusqu'à ce qu'un signal de danger soit détecté, puis ils focalisent leur attention intensément sur la menace potentielle : les objets menaçants apparaissent plus nets, plus saillants et aussi plus imposants. Les souvenirs d'expériences, issues de l'enfance, de l'impossibilité de contrôler les situations angoissantes restent en mémoire (mémoire à long terme). Ces expériences précoces d'absence de contrôle augmentent la probabilité que le sujet, confronté à des situations similaires, les évalue de la même façon. Les situations stressantes précoces peuvent donc avoir une

importance disproportionnée et fragilisent à long terme la capacité de faire face aux situations inquiétantes. L'anxiété-état, réactionnelle à la confrontation stressante, devient peu à peu anxiété-trait (personnalité anxieuse) qui sera toujours présente même hors des situations dangereuses. La multiplication des confrontations à des situations dangereuses (par exemple séparations, conflits… dans l'enfance) facilite ce passage de l'anxiété-état à l'anxiété-trait. Celle-ci, flottante, vague, persistante, indéfinie, est une condition prédisposante à la phobie dans la mesure où elle est un amplificateur (Endler, 1997). Les événements antérieurs et l'entourage Chorpita et Barlow (1998) soulignent l'importance de certaines expériences précoces incontrôlables et imprévisibles. Les traces de ces confrontations difficiles, d'absence de contrôle sont stockées en mémoire à long terme. Elles influencent la perception de la situation actuelle et accroissent le risque que le sujet se perçoive comme incapable de faire face aux confrontations, aux situations difficiles. Ces expériences répétées peuvent provoquer une hypervigilance, une attention sélective et augmenter les risques d'anxiété chronique ou d'états émotionnels négatifs similaires à ceux ressentis pendant ces expériences. En outre, un nombre élevé d'expériences précoces d'événements incontrôlables peut conduire les sujets à évaluer et à traiter les situations comme hors de leur propre contrôle. Outre ces situations de confrontations incontrôlables générant de l'angoisse, voire les traumatismes de l'enfance, les circonstances éducatives jouent aussi un rôle non négligeable dans l'apparition de l'anxiété et la genèse des phobies. L'anxiété, les phobies simples se transmettent aisément dans la famille et dans l'éducation. Le rôle de l'apprentissage social, du modeling, a été, nous l'avons vu, affirmé par Bandura : la présence d'une phobie simple chez les parents est un facteur favorisant l'apparition du même trouble chez les enfants. Une analyse semblable peut être faite pour l'anxiété et sa gestion par les parents. Il existe non seulement des parents anxieux qui rendent particulièrement insecure l'enfant en lui transmettant leurs attentes du pire, leurs craintes, mais les principes d'éducation peuvent aussi constituer un terrain favorable. Prévenir l'enfant est une chose, lui répéter des principes qui

entraînent un sentiment de menace constant et ubiquitaire en est une autre, beaucoup plus anxiogène. Susciter le raisonnement de l'enfant et l'appréciation des risques est sans doute préférable à la production – par des conséquences dramatiques, des menaces mentionnées sans explications – d'un sentiment diffus et généralisé d'univers menaçant. De manière plus générale, certains messages éducatifs (« attention aux sorcières ») suscitent des représentations angoissantes du monde extérieur. De même certains contes pour enfants ou les messages éducatifs liés à certaines cultures (« l'étranger veut nous détruire ») entraînent-ils une perception du monde extérieur, de la nouveauté, comme des dangers potentiels. Ces facteurs ne suffisent évidemment pas à provoquer les phobies, mais ils constituent un terrain favorisant et, joints à d'autres facteurs, ils sont des conditions prédisposantes : une anxiété-trait associée à une hypervigilance et à une attention sélective chez un sujet « surchargé » de principes éducatifs non sécurisants par des parents eux-mêmes anxieux ou phobiques et rencontrant des situations difficiles dans l'enfance représentent une suite de facteurs favorables à l'apparition d'une phobie. Les mécanismes de coping inefficients Depuis les travaux de Lazarus, qui reprennent la notion psychanalytique de mécanismes de défense, mais avec une conception cognitive, on considère que, pour lutter contre le stress, les individus utilisent des moyens psychologiques et comportementaux appelés coping (mécanismes adaptatifs proche des mécanismes de défense) (Graziani Swendsen, 2005). Les patients anxieux utiliseraient un coping centré sur l'émotion puisqu'ils amplifieraient la menace perçue, interprétant mal l'activation provoquée par les situations et produisant des inférences arbitraires concernant les conséquences de la situation stressante. Les styles de coping sont importants parce qu'ils influencent à leur tour les niveaux d'anxiété avant et pendant la confrontation à un stresseur (Lazarus et Folkman, 1984). Les anxieux observent et gèrent leurs réactions psychologiques plutôt que de se focaliser sur le problème, ce qui correspond à une stratégie dysfonctionnelle. Avant même que la phobie se développe, le sujet anxieux utilise déjà un coping fondé sur l'évitement ou la fuite qui ne fait que renforcer l'anxiété.

L'utilisation des stratégies d'évitement entraîne une surévaluation du danger ; la possibilité qu'une personne s'oriente vers un comportement d'évitement dépend de l'anticipation de la peur provoquée par la rencontre avec l'objet ou la situation ou de l'exagération de la prédiction (Rachman, 1998). Autrement dit, l'anxieux évite les situations, ce qui entraîne la majoration et la cristallisation de l'angoisse sur un objet ou une situation (phobie) qui vont être, à nouveau, affectés d'un évitement qui, à son tour, augmentera l'angoisse. Secondairement, l'attitude d'anticipation anxieuse, d'hypervigilance aboutit à ce que le phobique cherche le stimulus phobique qu'il redoute, même là où il n'est pas. Conclusion Les modèles cognitifs de l'anxiété montrent que plus qu'un état émotionnel, l'anxiété doit être vue comme un mode de traitement de l'information et que, par conséquent, elle influence l'attribution de la qualité anxiogène aux transactions. Dans l'anxiété pathologique, il n'existe pas un seul mode général de traitement, mais également des modes spécifiques, parmi lesquels se trouvent les phobies simples. 3. L'agoraphobie 3.1. Histoire Originairement (chez Griesinger puis Benedict au XIXe siècle), le terme désigne le « vertige des places ». Westphal, en 1872, en fait la description clinique en mentionnant des attaques d'angoisse lorsque la personne se retrouve dans un espace étendu. Le terme est forgé à partir du mot grec qui désigne la place publique (agora). En 1878, Legrand du Saulle évoque l'agoraphobie comme la « peur des espaces » : « État névropathique très particulier, caractérisé par une angoisse, une impression vive et même une véritable terreur, se produisant subitement en présence d'un espace donné. C'est une émotion comme en présence d'un danger, d'un vide, d'un précipice, etc. Un malade commence par avoir des coliques dans la rue… La pensée

d'être abandonné dans ce vide le glace d'effroi et la conviction d'une assistance, quelle qu'elle soit, l'apaise sans effort. Point de peur sans le vide, point de calme sans l'apparence d'un semblant de protection. Cette phobie est fréquente et se présente sous bien des formes, tantôt le malade redoute les espaces vides à la campagne, tantôt il craint les places et les rues de la ville, tantôt il a peur de la rue elle-même, tantôt il redoute la foule qui remplit ou qui peut remplir la rue, ou les sergents de ville qui peuvent l'arrêter par erreur, ou les voitures ou les chiens ou n'importe quoi. » Janet (1909) reprend cette description en considérant qu'il s'agit de phobies d'actes : « C'est toujours le trouble de l'action qui reste invariable et fondamental, et les angoisses s'y ajoutent comme un phénomène secondaire résultant d'une dérivation » (p. 140). Freud cite, dès le début de son œuvre, des cas d'agoraphobie. Il en fait même l'un des deux groupes de phobies (1895) lorsqu'il oppose celles en rapport avec les menaces physiologiques communes et celles en rapport avec la locomotion (agoraphobie). D'emblée, sa conception fait appel à l'origine sexuelle. Ses successeurs (pour une revue de la littérature, voir Compton, 1997) limiteront l'hypothèse d'une étiologie sexuelle et élargiront la question vers le rôle d'une désorganisation du moi. Les théories comportementales puis cognitives, les théories biologiques de Donald Klein sur les attaques de panique (qui aboutissent, dans un second temps, à l'agoraphobie) seront à l'origine à la fois de sa définition élargie retrouvée dans le DSM-IV et du renouvellement des conceptions. Le DSM-IV lie le trouble aux attaques de panique et étend la définition de l'agoraphobie pour en faire « l'anxiété liée au fait de se trouver dans des endroits ou des situations dont il pourrait être difficile (ou gênant) de s'échapper ou dans lesquelles on ne pourrait trouver aucun secours en cas de survenue d'une attaque de panique ou des symptômes de type panique (crainte du vertige ou de la diarrhée soudaine). Exemple de situations : se trouver seul en dehors de chez soi, être dans une foule ou dans une file d'attente, sur un pont, dans un autobus, un train, une voiture ». Cette anxiété conduit à un évitement des situations. Deux éventualités cliniques sont retenues : trouble panique avec agoraphobie (95 %) et agoraphobie sans antécédent de trouble panique (5 %). L'agoraphobie doit être distinguée des « craintes réalistes » (fondées) comme celles liées à un état somatique.

3.2. Clinique L'agoraphobe redoute certainement les espaces, mais la crise d'angoisse et l'absence de possibilité d'être rassuré sont plus prépondérantes. C'est généralement de la survenue d'une crise d'angoisse que l'agoraphobe a peur : sorte de peur de la peur. Il a surtout peur d'être « sans secours », de ne « pouvoir fuir », mais il est aussi dominé par des sensations physiques inquiétantes qui vont se transformer en – ou être interprétées comme – de l'angoisse. En fait, l'agoraphobie porte à la fois sur ces situations et sur les sensations physiques qui risquent de devenir menaçantes. Elles font l'objet d'évitements. Les manifestations physiques de la crise d'angoisse, de la panique, que craignent la plupart des agoraphobes, ont été présentées plus haut (« La panique », p. 17). Pour prévenir le retour de cette panique, les agoraphobes évitent les situations qui la rendraient possible. Ils décrivent ainsi les multiples facettes de cette phobie : peur de la conduite automobile, peur d'aller dans les grands magasins, peur de la solitude, peur de la foule, peur de s'éloigner de son domicile, d'aller au restaurant, peur des ascenseurs, de l'enfermement, peur des ponts et des tunnels, des transports en commun, peur des espaces découverts. Lorsque l'agoraphobie s'associe à des attaques de panique, on retrouve une surinterprétation anxieuse des phénomènes somatiques.

Trouble panique et agoraphobie M.-A., un comptable au chômage âgé de 28 ans, est de plus en plus invalidé par des attaques de panique, une agoraphobie et des préoccupations pour sa santé physique, au point qu'il ne peut plus supporter d'être seul et qu'il ne peut pas sortir sans être accompagné. Il avait déjà ressenti par intermittence des symptômes similaires pendant plusieurs années mais le tableau s'est aggravé, il y a trois mois quand son amie l'a soudain quitté à cause de sa « passivité ». Il a peur de devenir fou et de commencer une schizophrénie. Il passe maintenant presque tout son temps chez ses parents, où il se comporte et est traité en invalide. Le patient est fils unique ; ses parents approchaient de la quarantaine quand il est né et pensaient auparavant qu'ils n'auraient jamais d'enfants. M.-A. présentait une anxiété de séparation considérable dans la première enfance et ne pouvait pas être laissé avec des babysitters. Il a été, plus tard, un enfant timide sujet à de nombreuses maladies mineures et se sentait

beaucoup plus à l'aise avec des adultes qu'avec des camarades du même âge, chahuteurs et turbulents. Il se montra un peu réticent à aller à l'école en cours préparatoire et en première année de cours moyen et n'a jamais voulu essayer d'aller en colonie de vacances. Il a étudié dans une université et une école de commerce près de chez lui, ce qui lui permettait de continuer à vivre chez ses parents. Il commença ensuite à travailler dans l'entreprise de son père. Il souhaitait sortir avec des filles, mais était habituellement trop timide pour faire le premier pas et avait besoin que sa mère lui serve d'intermédiaire. (…) M.-A. se sent anormal et inférieur. Il s'attend à être critiqué par les autres et est sensible au rejet. Il est également très critique d'autrui et se sent constamment déçu. Il a eu des amis proches dans le passé mais se sent maintenant trop gêné pour les contacter. Il est incapable de rester seul ou de sortir sans être accompagné. Il craint d'avoir une attaque de panique seul dehors sans possibilité d'être aidé. (Extrait du DSM-IV, Cas cliniques , p. 148-149.)

Certains cas (5 %) d'agoraphobie n'ont pas antécédents d'attaques de panique. Le trouble peut survenir après une perte ou un événement mettant en péril le sentiment de sécurité. Kevin, cadre de banque âgé de 35 ans, se plaint d'être déprimé depuis huit mois, parce qu'il a peur d'uriner sur lui – « de me faire pipi dessus » – en public. Cela ne lui est jamais arrivé, et lorsqu'il est en sécurité chez lui, l'idée lui paraît totalement « folle et déraisonnable », voire irréaliste. Toutefois, dès qu'il quitte sa maison, cette peur devient « obsessionnelle » : il prend alors des précautions afin d'éviter « l'accident ». Il porte constamment des couches, ne voyage jamais à pied, fait ses courses par Internet, ne sort que pour travailler (à 200 m de chez lui), limite sa consommation de boissons et d'aliments diurétiques. Lorsqu'il est dehors, il ressent une angoisse intolérable, faite de multiples sensations physiques (qu'il interprète comme des débuts de miction ou de malaise cardiaque), il pense que les autres le regardent et voient « le paquet que forment les couches » ; il porte des tenues qui dissimulent cette partie de sa personne, ce qui, à certaines périodes ou dans certains lieux, le rend « grotesque ». Il revient à plusieurs reprises sur sa peur de se retrouver dans une situation à laquelle il lui serait impossible d'échapper en cas de survenue de ce symptôme gênant. Trois semaines avant la consultation, son angoisse anticipatrice a été telle qu'il a dû rester chez lui. Il n'a pas été énurétique pendant l'enfance mais avait de grandes difficultés à aller à l'école – à cause de la séparation d'avec ses parents… et des moqueries des autres. Il a toujours été très anxieux, ayant beaucoup de mal à assumer les séparations. Il a présenté des épisodes de crainte de la maladie (cancer). Il a eu une liaison assez longue mais ses inhibitions sexuelles (éjaculation précoce) ont abouti à une rupture. L'agoraphobie est apparue quelques semaines plus tard. Il dit avoir toujours été quelqu'un d'angoissé et d'inquiet, que sa famille considérait comme trop réservé, aboulique et perfectionniste.

3.3. Psychopathologie

Le concept d'agoraphobie a évolué de la peur des espaces à la peur de certaines situations, pour englober maintenant la crainte de devoir faire face à l'angoisse sans aide. « L'agora » devient ainsi secondaire à ce qui constitue le cœur de cette phobie : « être sans secours » face au surgissement de la panique. Curieusement, l'agoraphobie se rapproche pour une part des phobies sociales, puisqu'elle donne aux autres un rôle particulier (sentiment de solitude au milieu des autres) et pour une autre part des surinterprétations des phénomènes somatiques. Les premières conceptions freudiennes mettaient l'agoraphobie en rapport avec le refoulement de composantes sexuelles, notamment de fantasmes ou de « romans ». Freud évoque ainsi le refoulement de la compulsion à la prostitution (Manuscrit M. du 25 mai 1897). La genèse de l'agoraphobie se situe dans la logique de sa première conception de l'angoisse : le désir sexuel est refoulé, provoque l'angoisse. Le lieu et la situation deviennent les marques du conflit puisque le danger pulsionnel émanant du dedans revient comme affect de peur du dehors, l'objet contraphobique est une protection contre la tentation. Avec la seconde théorie de l'angoisse, le statut de l'agoraphobie est reprécisé dans une logique de l'angoisse comme signal de danger et répétition d'un traumatisme : pour s'épargner la répétition de la première attaque d'angoisse, l'agoraphobe « crée donc le symptôme d'angoisse de la rue que l'on peut appeler aussi une inhibition, une limitation de fonction du moi » (Nouvelles Conférences sur la psychanalyse, p. 42). L'agoraphobie défend le sujet contre la panique. La métaphore d'architecture militaire est parlante : « forteresse frontière », « avant-poste », « château ». Cette dimension d'angoisse des espaces, de l'extérieur, évoque ce que Lacan dit à propos de Hans. Par la phobie, le monde devient ponctué de signaux d'alarme. La phobie « met précisément au premier plan la fonction d'un intérieur et d'un extérieur. Jusque-là l'enfant était en somme dans l'intérieur de sa mère, il vient d'en être rejeté, ou de s'en imaginer rejeté, il est dans l'angoisse, et le voilà qui, à l'aide de la phobie, instaure un nouvel ordre de l'intérieur et de l'extérieur, une série de seuils qui se mettent à structurer le monde » (Lacan, p. 246). Mais un autre aspect est présent dans l'agoraphobie : ce curieux rapport à la solitude ; l'agoraphobe se présente comme un enfant désarmé, isolé, en rupture avec sa maturité sociale. Le sujet est à la fois noyé dans la foule et

solitaire (au sens d'être sans relation). Mais comme le fait remarquer Assoun, il n'est pas uniquement sans relation à d'autres gens, seul au monde, il est entouré de multiples visages inconnus : « peut-être une composante de l'agoraphobie est-elle ce sentiment d'être cerné de toutes parts par un visage de la personne étrangère, celle qui vient à la place de l'objet attendu. Cela la replace dans l'atmosphère du cauchemar ou du rêve traumatique » (p. 60). En outre, l'agoraphobe est aussi seul avec lui-même et au cœur de ce sentiment phobique il y a carence relationnelle, la rencontre du sujet avec lui-même, comme s'il était encombré de lui-même, laissé face à sa propre altérité. Les conceptions cognitivistes mettent en avant des modes de pensée particuliers reposant sur « la peur de la peur » et l'anticipation catastrophique dans les situations sociales, physiques et psychologiques. Les pensées catastrophiques entraînent une boucle cyclique dysfonctionnelle d'anxiété et de panique. La peur de la peur (en fait peur de la réapparition de la panique) conduit à l'évitement des situations. Les pensées subjectives agoraphobiques catastrophiques apparaissent dans des contextes qui associent d'autres caractéristiques qui interagissent avec les cognitions du sujet : une sensibilité à la séparation (anxiété de séparation), une vulnérabilité familiale à l'anxiété (avec modeling ou apprentissage par imitation), une faiblesse de l'affirmation de soi (assertivité), une difficulté à nommer les causes des sensations inconfortables, des niveaux élevés d'anxiété sociale, des relations de dépendance et de domination par les autres, une insatisfaction dans les relations avec l'entourage, une tendance à l'évitement des conflits. Pour ces praticiens des TCC, l'approche thérapeutique peut être fondée sur deux niveaux : la thérapie des attaques de panique et celle de l'agoraphobie proprement dite. En préalable, l'analyse fonctionnelle de l'agoraphobie permet de préciser les conditions de déclenchement et de maintien de l'évitement (moment, fréquence, intensité, résultats obtenus sur les proches et l'environnement social), le type de relations (dépendance/indépendance), les comportements moteurs et verbaux résultants de l'anxiété, les pensées, images mentales et schémas qui s'y rattachent, notamment les croyances irrationnelles et les autoverbalisations négatives. La thérapie proposée peut être l'exposition in vivo, toujours difficile et dont les résultats sont incertains. Les interventions sur les schémas s'avèrent efficaces. Les attaques de panique sont, depuis les travaux de D. Klein, considérées

comme accessibles aux antidépresseurs. Mais les approches cognitives (André) ont aussi proposé une méthode reposant, pour le patient, sur plusieurs principes : accepter la dimension psychologique du trouble panique, repérer les premiers signes de l'angoisse, comprendre comment la peur fonctionne (ce qui permet de ne pas faire augmenter la panique par son propre affolement), apprendre des techniques de contrôle respiratoire (pour limiter l'hyperventilation), rester dans la situation pour ne pas cautionner le danger, casser la spirale panique, se débarrasser du traumatisme : exposition en imagination (repenser à ce qui s'est produit, dans le détail, pour attribuer la peur à ce qui lui revient), provoquer soi-même les symptômes physiques, reconquérir le territoire, se confronter. 4. Les phobies sociales, l'anxiété sociale La phobie sociale est aussi nommée par les Anglo-Saxons (DSM-IV) « trouble anxiété sociale ». Il s'agit d'une peur marquée et persistante des situations sociales ou de performance dans lesquelles un sentiment de gêne peut survenir et elle entraîne des comportements d'évitement : peur de rougir (éreutophobie), peur de parler en public, peur de boire, de manger, d'écrire en public. Le phénomène est nettement plus intense et handicapant que le trac, la timidité ou l'anxiété de performance. 4.1. Présentation Le premier cas a été décrit en Allemagne par Casper en 1846 : le patient avait une peur maladive du rougissement, accompagnée de manifestations dépressives. La phobie était apparue lorsque, à 13 ans, il s'était senti rougir devant des camarades qui se moquaient de lui à propos d'une jeune fille. Il dit que, par la suite, il avait compris que c'était en lui seul qu'il puisait la cause de son symptôme. Le souvenir et la rencontre d'un regard particulier des hommes suffisait à lui faire monter le sang aux joues et à provoquer de l'angoisse. Cette première description met déjà en scène la sexualité et le regard (être regardé). En 1902, Pitres et Régis traduisent le cas de Casper et s'appuient sur lui pour développer le concept d'éreutophobie. Mais d'autres termes sont employés : rougeur essentielle (rubor essentialis), érythème

hyperhémique idiopathique (Eulenburg), obsession de la rougeur émotive, érythémophobie, phobie de la rougeur, érythrophobie. Claparède, en 1902, en fournit une belle description clinique : « L'éreutophobe est un individu, souvent névropathe ou plus ou moins timide et possédant presque toujours quelque tare héréditaire, qui a présenté, dès son enfance, une disposition à rougir fréquemment ; il rougit quand vient une visite ; il rougit à l'école, même s'il est innocent, lorsque le maître recherche un coupable… Mais, à cette époque, la rougeur est supportable ; au fur et à mesure qu'il grandit, elle l'est moins. Et cette trop grande émotivité – si elle ne disparaît pas à la puberté – l'inquiète, puis l'agace et finit par l'obséder complètement. Il n'ose plus se montrer en public, ni même sortir dans la rue. S'il s'agit d'une femme, elle n'ose plus rester en présence d'un homme, de peur que sa rougeur intempestive ne soit l'occasion de propos malveillants sur son compte ; s'il s'agit d'un homme, il fuira les femmes. Comme cependant les nécessités de la vie obligent l'éreutophobe à ne pas vivre absolument isolé, il va inventer certains stratagèmes pour masquer son infirmité. Au restaurant, il se plongera dans la lecture d'un journal pour qu'on n'aperçoive pas son visage ; dans la rue il se dissimulera sous son parapluie… » (cité par Janet dans Les Névroses). Janet mentionne en 1903 dans Les Obsessions et la psychasthénie et en 1912 dans Les Névroses, la peur de rougir. Il la classe parmi les phobies déterminées par la perception d'une situation sociale et par les sentiments auxquels cette situation donne naissance. Marks en 1970 parle de social phobia et le DSM-III, en 1980, consacrera le terme. Les travaux cliniques réalisés depuis montreront sa fréquence et certaines de ses caractéristiques. Le DSM-IV-TR révèle ainsi un lien avec la culture et l'éducation puisque, dans certaines cultures (Japon, Corée), ces phobies peuvent développer une peur persistante et excessive d'offenser les autres dans les situations sociales : crainte extrême que le fait de rougir, de regarder quelqu'un dans les yeux ou que sa propre odeur corporelle soit une offense pour les autres. Chez les enfants, le trouble peut s'accompagner de pleurs, d'accès de colère, de réactions de figement ou d'agrippement, d'inhibition des interactions pouvant aller jusqu'au mutisme. Il est plus fréquent chez les femmes que les hommes et concernerait 3 à 13 % (selon les études de prévalence sur la vie entière) de la population. Le symptôme le plus fréquent serait la peur de parler en public.

Le trouble débuterait entre 10 et 20 ans, quelquefois à la suite d'une expérience stressante ou humiliante. Le DSM-IV évoque une forme clinique « Type généralisé » lorsque les peurs concernent la plupart des situations sociales. Les phobies sociales sont souvent associées à d'autres troubles, ce qui complique la prise en charge. On cite une comorbidité avec les troubles dépressifs graves (37 % des cas), les états de stress posttraumatiques (16 %), la dysthymie (15 %), la dépendance à l'alcool (24 %), le trouble panique (11 %), l'anxiété généralisée (13 %), l'agoraphobie (23 %), les phobies simples (38 %). 4.2. Clinique Les sujets sont préoccupés par leur gêne, craignent que les autres les jugent, les trouvent anxieux, « dérangés » ou stupides. Ils craignent qu'on remarque le tremblement de leurs mains ou de la voix, de passer pour quelqu'un d'incapable de s'exprimer. Ils éprouvent presque toujours des symptômes anxieux dans la situation sociale redoutée ; dans les cas sévères, ces symptômes correspondent à ceux d'une attaque de panique. Il peut exister un cercle de rétroaction : anticipation-cognition anxieuse-mauvaise performance-gêne et augmentation.

DSM-IV Cas clinique : une femme sans existence véritable Mlle R. a 34 ans et est célibataire. Elle vient consulter parce qu'elle a du mal à faire face à l'existence depuis le décès de sa mère il y a trois mois. Elle a toujours habité chez ses parents et elle avait été particulièrement proche de sa mère depuis que celle-ci était devenue veuve, il y a vingt ans. Mlle R. a toujours été très timide et a perpétuellement redouté d'être jugée avec sévérité, ridiculisée ou embarrassée dans les relations sociales. Elle dépendait pour cette raison de sa mère qui prenait en main ses affaires et organisait pour elle sa vie sociale. Sa mère s'est toujours occupée de la gestion de la maison et des relations avec les artisans, elle aidait Mlle R. à choisir ses vêtements et organisait ses vacances. Mlle R. ne sort pas avec des amis et est habituellement trop timide pour aller à des fêtes ou pour sortir avec des personnes que les relations de sa mère voudraient lui présenter. Elle n'a jamais connu aucune relation amoureuse. Mlle R. a une amie proche qu'elle fréquente depuis l'école primaire et qu'elle décrit comme une personne qui lui ressemble beaucoup. Elles passent

le week-end à acheter des livres d'occasion et à aller au cinéma ensemble. Hormis cette amie, sa vie sociale était centrée, jusqu'à ce qu'elle se retrouve orpheline il y a trois mois, sur les amies de sa mère qui venaient régulièrement jouer aux cartes. Elle a fait ses études à l'université locale et s'est spécialisée comme bibliothécaire documentaliste. Après la remise de son diplôme, elle a obtenu un emploi de bibliothécaire municipale par l'entremise de relations de sa mère. Elle dit qu'elle n'est pas du tout contente de son travail actuel mais qu'elle est incapable d'affronter des entretiens d'embauche pour chercher autre chose. Le diagnostic porté est « phobie sociale, type généralisé » avec une « personnalité évitante » (p. 154).

Les phobies sociales articulent quatre éléments : – des manifestations somatiques d'anxiété en situation pouvant aller jusqu'à la panique ; – une charge émotionnelle élevée entretenue par les anticipations anxieuses, l'angoisse violente au moment de la confrontation et un sentiment de honte, d'échec après la confrontation ; – des cognitions particulières : souci de donner une image favorable de soi aux autres et crainte d'évaluation négative, manière dévalorisante ou menaçante de percevoir le contact ; – des conduites d'évitement ou de recherche de contrôle. Plusieurs peurs se conjuguent au gré des phobies sociales : – la peur d'échouer (qui se manifeste dans les situations de performance comme les examens, la communication, la prise de parole en public) ; – la peur de se dévoiler (dans les situations d'interaction comme les discussions, les rencontres informelles, les occasions de parler de soi, ne pas connaître les codes sociaux d'un milieu différent du sien…) ; – la peur de s'affirmer (donner son avis, demander, refuser, exprimer et recevoir des critiques, avoir un avis différent, devoir demander quelque chose, parler à une personne inconnue ou au statut social plus élevé que le sien…) ; – la peur d'être observé (regard des autres, être le point de mire de l'attention des autres, arriver en retard dans une réunion, un groupe, commettre un impair, agir sous le regard des autres). Les peurs du phobique sont sous-tendues par des schèmes de pensée, des principes qui placent d'emblée le sujet en position de faiblesse : les autres l'observent et le jugent dans toutes les situations, ce jugement est critique, sévère et perspicace (il repérerait immédiatement le problème), il aura des

conséquences négatives pour la personne (moquerie, agression, mise à l'écart…). On a pu ainsi dégager des schémas, des croyances comme « on ne peut pas m'aimer », « si les autres font ma connaissance, alors ils ne m'aimeront pas », « on va me juger et me rejeter », « je suis bête et ennuyeux, », « je dois me montrer sous un bon jour », « on ne doit pas voir que je suis anxieux ». Wells et Clark ont ainsi distingué trois groupes de croyances dysfonctionnelles : envers soi-même, les pensées des autres sur soi et des croyances projectives. Le phobique social est pris dans un système d'entretien de son état : la situation entraîne des émotions qui activent des pensées, luttes, sensations qui renforcent l'émotion et déclenchent la crise d'angoisse, amènent une faible estime de soi conditionnant une appréhension et une anticipation négatives. Louise, 24 ans : « J'arrive dans une pièce, je sens qu'on me regarde, pas très positivement, j'ai l'air gauche, godiche… en tout cas si je ne le suis pas, je le deviens rapidement… je n'arrive pas à penser qu'ils sont indifférents… je suis sûre qu'ils guettent mon moindre impair pour se foutre de ma poire… Je sens que la peur qui était là ne fait que croître… dès que quelqu'un m'adresse la parole je me raidis, je sens que j'ai chaud, je dois être écarlate… je vois sur son visage qu'il pense “mais quelle gourde”. Je cherche un visage rassurant mais je n'en trouve pas… j'ai l'impression que tout le monde m'est hostile… je panique de plus en plus et je pars… Après je m'en veux ; je me dis que je suis nulle. J'ai honte et je me dis que ce n'est plus la peine d'aller me coller dans des situations pareilles ».

4.3. Psychopathologie Interprétations psychanalytiques La psychanalyse ne s'est pas beaucoup intéressée aux « phobies sociales ». Freud, au cours de la séance du 3 février 1909 de la Société psychanalytique de Vienne consacrée à un « cas de rougissement compulsionnel », évoque cependant plusieurs faits cliniques tout en rapprochant l'éreutophobie de l'hystérie d'angoisse : le patient a honte pour des raisons inconscientes (sexuelles : honte de la masturbation, du savoir sexuel…), un conflit naît entre la honte et la rage, et l'identification (« ils ont des attaques en se mettant

à la place d'autrui », p. 142). Assoun dira ainsi de l'éreutophobe qu'« il se conçoit comme le témoin compromettant de la jouissance éhontée de l'autre » (p. 95). On mesure combien deux éléments se conjuguent dans ces phobies : le « social » et le regard, les deux se conjuguant dans l'idée du « regard mortifiant de l'autre ». Ce rapport au regard, même s'il est clairement mis en évidence dans les phobies sociales, se retrouve dans toutes les phobies. Le phobique se sent regardé par l'objet, plus encore quand il est animé (animaux, autres…) ; le regard le menace. – Le regard des autres c'est le sien. Il nous faut d'abord repartir de ces croyances déraisonnables – encore que lucides quant à l'agressivité entre les individus – qui animent le phobique social : les autres voient tout, savent tout et en usent au détriment de lui, sorte de « toute-puissance de l'autre », comme un « délire de référence » mais sans idées délirantes. Pourtant, ce jugement que le phobique attribue à l'autre pourrait n'être qu'une manifestation de ce qu'il pense, de ce qu'il voit de lui : le regard des autres serait alors le sien, par une forme de projection originale. Le phobique n'est d'ailleurs pas entièrement dupe puisqu'il ne lit dans le regard des autres que ce qu'il pense – pour une part – de lui. Mais qui parle dans ces discours intimes en « écho » (ils vont découvrir que… d'ailleurs ils ont raison… je suis comme ça…) ? Le rôle des idéaux du moi est déterminant dans ce rabaissement de soi. Encore faut-il préciser que le surmoi, comme l'idéal du moi et le moi idéal, y ont leur place, spécifique, chez chaque individu et dans la représentation théorique de la phobie sociale. – Grosse voix du surmoi ou regard sidérant ? Sans doute, la logique freudienne de l'interdit demeure un point déterminant en invoquant la question du désir et de l'interdit. Le « tu n'es pas capable… » pourrait bien être aussi un « tu n'as pas le droit de… », dans la droite ligne de la première conception freudienne de la phobie : ce dont se protège le sujet, c'est de son désir. Les autres sont les supports et les témoins de son désir. Dans leur regard, il lit bien ce que ce serait d'aller vers les autres : réalisation de désir et transgression – parler c'est séduire –, rougir de honte c'est être percé à jour dans ses vœux les plus secrets. Le jeu du désir et du surmoi n'est pas absent de certaines phobies sociales, les sujets révélant combien ils aimeraient aller vers les autres et la place qu'occupent ces autres dans le fantasme. Nous serions assez en phase avec la conception freudienne originaire de

l'agoraphobie : angoisse du fantasme de prostitution. Une fois encore l'agoraphobie est aussi une phobie sociale, du moins pour certains de ses mécanismes. L'hypothèse freudienne de « l'hystérie d'angoisse » (l'objet phobique représente l'objet désiré) va d'ailleurs dans ce sens de la logique désir – interdit – angoisse – symptôme comme condensation. – Illusion des idéaux et modèles. Mais il n'est pas sûr que le rôle du surmoi suffise à rendre compte de tous les aspects de la phobie sociale. Interdit mais aussi défaillance, le « tu ne dois pas » du surmoi s'associe au « tu es incapable » suscité par le décalage entre ce qu'est le sujet et ses idéaux auxquels il demeure aliéné. Chez le sujet phobique social, nous ne sommes pas loin du discours du mélancolique, à ceci près que l'on se situe plus du côté de soi que de l'objet, plus du côté de la honte que de la culpabilité, plus dans l'externalisation que dans l'incorporation. Ce jugement définitivement humiliant porté sur soi est bien du ressort d'une instance critique, d'un « tu n'es pas capable… » soufflé par les idéaux du moi et identifié aux discours parentaux. Puis les autres deviennent les porteurs de ce jugement, sorte de confirmation des intériorisations du discours parental. Cette curieuse « hypocondrie de l'incapacité sociale », entendue comme souci constant et certitude de l'inefficience, est bien le signe d'un mouvement critique d'une partie du moi contre une autre. – La honte. Le rapport avec la honte est évocateur, le terme étant souvent employé par les patients mais aussi par Freud dans son inter- prétation du cas d'éreutophobie et dans le cas de Hans qui, avant l'apparition de la phobie, lorsqu'il s'enhardit rougit alors qu'au restaurant, il se sent observé pendant qu'il courtise une petite fille. La honte est souvent distinguée de la culpabilité qui est référée au surmoi et suppose une forme d'intériorisation alors que la honte est considérée comme un effet de l'idéal du moi. La honte est engendrée par le défaut ou l'échec – « devant témoins » (Goldberg, 1977) – par l'insuffisance du moi dans ses rapports avec l'idéal du moi (le but, le modèle, imposé par l'idéal du moi n'est pas atteint). La honte ressentie dans les situations sociales tiendrait précisément à ce double phénomène d'être « parfaitement lisible » par le regard des autres et d'être en échec. Si l'on distingue l'idéal du moi (symbolique) et le moi idéal (imaginaire, double narcissique) on peut concevoir que la honte apparaisse dès lors qu'il y a perte du soutien de l'idéal du moi (instance structurante) et perte de la cohésion

imaginaire avec le moi idéal leurrant projection de la toute-puissance infantile, mais aussi de ce que véhiculent les stéréotypes culturels. – L'homme sans qualité. On retrouve ainsi, à propos de ces phobies et de l'univers social qu'elles circonscrivent, cette double détermination sexuelle et narcissique où se mêlent faute, certitude d'être vu, insuffisance. En reprenant les théories d'Ehrenberg (2000) sur l'évolution historique des pathologies mentales – de la névrose (qui tend à disparaître) vers la dépression (qui devient ubiquitaire) – la phobie sociale est, par certains de ses aspects, plus proche de la dépression car il s'agit d'une insuffisance par rapport aux autres et de la difficulté à « être soi »… avec les autres. Si la névrose s'inscrit dans la suite interdit-culpabilité et la dépression dans le « tout est possible et immaîtrisable », le vertige qui saisit le phobique social est bien celui de l'individu « insuffisant » par rapport à ce que sollicite la société dont la norme n'est plus fondée sur l'interdit, la discipline, mais la responsabilité, la performance et la communication. – Le regard. Les discours des phobiques insistent, comme les théories, sur le fait « d'être vu », « regardé ». Il est classique, à propos du regard, de se référer à Sartre et à l'exemple de la personne qui regarde une scène à travers le trou d'une serrure. Pendant qu'il observe, il n'est plus qu'un regard. La surprise surgit lorsqu'il entend un bruit – signe de présence – qui le fait apparaître à lui-même et le laisse en proie à la honte de se sentir jugé et vu comme un « voyeur ». C'est le moment de surgissement du regard qui me laisse objet avant de me ressaisir de ma propre conscience comme conscience irréfléchie et désaliénée d'autrui (pour Sartre) – ou avant de ressaisir ma position de sujet désirant désaliéné du désir de l'Autre (chez Lacan, 1964). Ce moment de surgissement – qui me fait objet – est provoqué par le regard « supposé » par un bruit de pas, le mouvement d'une porte… Je m'apparais dans cette scène seulement parce que je me suppose surpris par le désir de l'Autre : la honte naît seulement par rapport au désir supposé de l'Autre. L'éreutophobe, paradigme du phobique social, ne serait-il pas ce sujet désirant, surpris par le regard de l'Autre ? Cette situation de l'angoisse du « être vu » (dont témoigne le rougissement) apparaît comme une sorte « d'envers de l'exhibitionnisme ». Phobie et philie sont ici encore dans un rapport étroit et contradictoire. Si, comme le dit Lacan (1958), l'exhibitionniste montre ce qu'il a à l'autre qui ne l'a pas « pour le

plonger en même temps dans la honte de ce qui lui manque » (1956-1957, p. 272), pouvons-nous penser que le phobique saisit dans le regard de l'autre son propre manque ? Conclusion : expression de l'angoisse sociale ? Comme le rappelle P.-L. Assoun (2006), on retrouve chez Freud la notion d'« angoisse sociale » développée à partir de l'angoisse de castration (Freud, 1926). Cette angoisse est une des conséquences du meurtre du père comme fondement de la culture tel qu'il est évoqué dans Totem et Tabou. L'angoisse sociale apparaît comme un « reproche » et une limite apportée à la tentation de répéter le meurtre. Cette angoisse se manifeste notamment dans les situations sociales, d'interaction qu'il s'agisse de l'école ou de l'activité professionnelle. La phobie sociale est, en même temps, l'objectivation de cette angoisse et le reflet d'une nouvelle forme du lien social, véritable « société phobique » (Assoun, 2006). La phobie sociale est à la fois symptôme du malaise dans la civilisation et le signe de ce que représente la figure du social (héritière de la dimension paternelle) : instance protectrice dont il attend protection et trouve une menace affolante. Approches comportementale et cognitive Le modèle du conditionnement établit une relation entre un événement aversif et une situation sociale : la phobie sociale s'acquiert par autorenforcement. Le modèle de l'apprentissage social repose sur l'idée de l'observation par l'enfant des comportements des autres (parents, personnes familières qu'il érige en modèles et qu'il imite). Les réponses assertives des proches (celles où la personne sait, dans les relations sociales, exprimer ses comportements, définir ce qu'il veut, attend, dans le respect de ses droits et de ceux des autres, s'affirmer…) ne sont pas présentes dans l'entourage du futur phobique social. L'apprentissage social peut, au contraire, amener l'enfantobservateur à acquérir un mode de fonctionnement mal adapté lorsqu'il apprend des réactions de peur, d'inhibition comportementale, des réactions inefficaces ou d'évitement et même des conduites comme la soumission. Il en ressort un manque d'affirmation de soi, de compétences sociales et des

réactions à la fois inadaptées et génératrices d'anxiété. De même, pour certains « modèles psychosociaux », la phobie sociale pourrait être « préparée » par un mode de pensée reposant, par exemple, sur la perception des groupes sociaux en fonction des hiérarchies « dominants/dominés ». Deux systèmes régissent l'individu (mécanismes de lutte contre la peur et mécanismes de sécurité). La phobie sociale résulterait d'un défaut d'activation des deux systèmes : le système de défense serait trop activé alors que le système de sécurité, lui, serait désactivé. Les anxieux auraient tendance à percevoir les autres comme hostiles et tenteraient de lutter contre cette évaluation négative en adoptant un comportement de soumission ou par l'évitement de toute relation. Le phobique social s'est créé une gamme de pensées négatives en décalage avec la situation sociale « objective ». Ces modèles « psychosociaux » sont susceptibles de lier la phobie sociale à l'éducation (culturelle et/ou familiale), l'efficacité personnelle perçue, la vulnérabilité, les attentes et les attributions sociales. Les modèles cognitifs reposent sur l'existence de nombreuses distorsions cognitives repérées chez les phobiques sociaux. Ils détermineraient les interprétations – erronées – des situations d'interaction et les réponses inappropriées, elles-mêmes initiant des distorsions ; celles-ci s'accompagnent des multiples autoverbalisations négatives citées précédemment. Le noyau de la phobie sociale serait le fort désir de donner une impression favorable de soi-même aux autres et le sentiment angoissant de ne pouvoir y parvenir : les phobies sociales sont ainsi liées à des croyances dysfonctionnelles qui amènent à prévoir un rejet des autres. Ces croyances concernant autrui s'ajoutent à des erreurs d'autoévaluation (les autres sont très attentifs et concernés par le sujet phobique, les gens peuvent lire ses émotions, ils rejettent rapidement ceux qu'ils considèrent comme inaptes…). Les confrontations sociales sont perçues comme des défis et constituent un danger. Selon A.-T. Beck, quand les sujets phobiques entrent dans une situation sociale nouvelle, exigeante ou importante, le traitement cognitif anxieux s'active et le sujet commence à ressentir les signaux anxieux comme les palpitations, les tremblements, les rougissements, les troubles respiratoires… Ces sensations corporelles intrusives interfèrent avec la capacité à traiter les informations ordinaires des rencontres sociales, ce qui amène le déclenchement de pensées et d'autoévaluations négatives. Les

sensations sont interprétées par les phobiques comme des preuves qu'ils sont des sujets inadéquats, bizarres et inacceptables. Quand ils commencent à être anxieux, ils ont tendance à se comporter d'une manière inamicale ce qui, de ce fait, provoque un comportement similaire de la part des gens avec lesquels ils sont et confirme leurs peurs. Les croyances portant sur leur incompétence ou leur inadéquation, accompagnées de traits de personnalité prédisposant à l'anxiété, constituent une forme de vulnérabilité cognitive qui fait augmenter l'hypervigilance quand le sujet entre dans une situation sociale et entraîne un processus global d'analyse suivi d'une intensification, focalisation, de l'attention sur les éléments qui sont en accord avec les croyances. Une part importante de l'attention des phobiques sociaux se focalise sur leurs sensations internes (et leur signification, incluant si leur état émotionnel est visible aux yeux des autres). En outre, il est probable qu'ils font l'expérience des distorsions perceptives, particulièrement pour ce qui concerne les émotions qu'ils observent chez les autres. Ce modèle postule donc que les phobiques sociaux interprètent mal leurs sensations internes et les utilisent pour construire et/ou alimenter une représentation négative d'eux-mêmes qu'ils considèrent aussi comme le reflet de ce que les autres observent. Cette orientation de leur mode attentionnel augmente la conscience des sensations anxieuses ; le phobique social confond un sentiment d'humiliation avec le fait d'être réellement humilié, un sentiment de perte de contrôle avec le fait d'être observé sans contrôle et un sentiment d'anxiété avec le fait d'être observé comme clairement anxieux par les autres. La thérapie consiste à apprendre au patient une « meilleure gestion » des comportements, des émotions et des systèmes de pensée dans les relations humaines. Elle porte à la fois sur les situations angoissantes et sur l'affirmation de soi (qui permet d'agir dans son intérêt, de défendre son point de vue, d'exprimer ses sentiments et d'exercer ses droits). Le thérapeute aidera la personne à isoler les situations sociales provocatrices, les émotions pénibles et les monologues intérieurs (pensées automatiques). Ensuite il contribuera à les discuter en utilisant une technique qui consiste à poser la question en termes d'alternatives ou encore d'avantages ou de conséquences négatives. Enfin il aidera le phobique à se poser la question du sens de sa peur des autres.

Conclusion : Angoisse, peur, phobie Les phobies sont des « peurs excessives et injustifiées », organisation psychique qui semble produite par un lien entre une trop grande angoisse et sa localisation externe à l'individu, sa représentation, sa figuration par un objet extérieur, réel, nommable. Le mécanisme de la phobie est toujours le même, répondant à une sorte d'automatisme qui dérive l'angoisse hors de soi, la nomme en la faisant devenir une « peur », la localise et permet la mise en place de stratégies de contrôle. Mais si la phobie est bien une « économie de l'angoisse », elle ne peut manquer de susciter un déplacement du problème conceptuel et clinique : d'où vient l'angoisse et pourquoi fait-elle l'objet d'un tel traitement ? Certes, dès la fin du XIXe, les psychopathologues avaient repéré le paradoxe d'une société dans laquelle les raisons objectives de la peur diminuaient et qui assistait à l'explosion des phobies. Tout devenait objet de peur et les dizaines de noms utilisés pour désigner des phobies diverses et particulièrement originales ne sont pas le reflet du seul zèle clinicoïde (préfigurant le Knock de Jules Romain) des psychiatres de l'époque : les peurs étaient bien au rendezvous. La particularité de cette époque est révélée par Freud dans Malaise dans la civilisation (1930) : sans doute l'avancée de la société et de la technique permet-elle de conjurer certains malheurs chroniques des époques précédentes (faim, misère, maladie…) Mais il semble que cette nouvelle ère substitue aux peurs « réalistes », « actualisées » une dimension de malaise – reflet d'une angoisse – sans représentation fixe ni figuration précise. Au moment où la « peur devant un danger réel » devrait reculer, l'angoisse monte et dans le même mouvement les peurs irrationnelles se développent… à mesure que le sacré perd du terrain. Les auteurs (Stanley Hall, James) qui s'étonnent de cette éclosion des phobies avaient sans doute perçu ce paradoxe que la peur protège de l'angoisse, que le sacré (Totem et tabou) rassure plus que la science, que le réel menaçant est préférable à la vacuité de représentations de l'angoisse et que la société qui protège et exige développe la menace imprécise et les représentations (phobies) transitoires permettant de faire face à une angoisse

que cette société produit : de la première angoisse (celle du 8e mois) jusqu'aux formes ultérieures en rapport avec le désir de l'Autre et la castration les phobies apportent une forme de réification de la question du manque-àêtre.

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