Pdf Jouer 1_1

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Jouer des parties de jeu de rôle



Raphaël Bombayl - Olivier Caïra Peggy Chassenet - Coralie David Romain d’ Huissier - Cédric Ferrand Géraud G. - Emmanuel Gharbi Le Grümph - Sandy Julien Jérôme Larré - Guylène Le Mignot Arnaud Pierre - Julien Pouard Anne Richard-Davoust - Selene Tonon

• Sortir de l’auberge une collection Lapin Marteau

© 2017, 2020 Lapin Marteau, tous droits réservés Direction éditoriale : Coralie David et Jérôme Larré Couverture, photo et mise en page : Coralie David et Jérôme Larré Relectures : Alexandre Ecuvillon et Vincent Mottier Lapin Marteau, 22 rue de Ribaute, 31650 Saint-Orens-de-Gameville www.lapinmarteau.com ISBN 978-2-490390-10-6

Les auteurs

Rôliste depuis 30 ans et passionné par la création, Raphaël Bombayl passe de l’autre côté du miroir au début des années 2000, et devient alors editor et rédacteur pour l’édition professionnelle de Pavillon noir. Il a ensuite participé à l’aventure du magazine Black Box, à la scénarisation de la boîte Chroniques oubliées, à la création d’un nouveau système de jeu pour la troisième édition de Polaris, et continue de temps en temps à écrire des articles dans la quatrième version du magazine Casus Belli, tout en travaillant sur ses projets personnels. Olivier Caïra est sociologue et narratologue. Il travaille sur les industries de divertissement et la théorie de la fiction. Il a notamment écrit Jeux de rôle : les forges de la fiction et dirigé avec Jérôme Larré Jouer avec l’histoire. Il a également collaboré avec les XII Singes sur la gamme Adventure Party et sur les recueils de scénarios 6 cauchemars contemporains et 6 trésors légendaires. Peggy Chassenet est ludothécaire et joueuse depuis toujours. Avec Manuel Rozoy, elle a écrit le scénario d’Asylium pour T.I.M.E Stories, un jeu qui fait le lien entre le jeu de rôle et le jeu de plateau. En 2015 et 2016, elle a été membre du jury francophone du Game Chef. Coralie David a collaboré à la publication d’une centaine d’ouvrages, principalement pour les comptes de Black Book Éditions (jeux de rôle) et de Mnémos (romans). En parallèle, elle a écrit une thèse intitulée Jeux de rôle sur table : l’intercréativité de la fiction littéraire qui lui a permis d’obtenir un doctorat en Littérature comparée. Coralie est désormais une des deux têtes de Lapin Marteau. Rôliste depuis le début des années 80, Géraud G. est rédacteur régulier de la dernière incarnation de Casus Belli, en particulier sur les rubriques « Rétro » et « Bâtisses et Artifices ». Il a collaboré à Héros & Dragons, Laelith, Chroniques oubliées ou aux Bâtisses clé-en-main (Black Book Éditions), et a écrit et dirigé la nouvelle édition des

Pièges de Grimtooth. Il est aussi un collectionneur passionné de vieilleries, en particulier de jeux obscurs, et de Donjons & Dragons et consorts. Romain d’Huissier travaille dans le milieu du jeu de rôle depuis une quinzaine d’années. Ayant fait ses premières armes dans le cadre de jeux et suppléments amateurs, il a depuis œuvré sur de nombreuses gammes et écrit pour le compte de divers magazines spécialisés. Étant écrivain, il a également publié plusieurs romans et nouvelles. Cédric Ferrand, né le 23 septembre 1976 à Bourgoin-Jallieu (Isère), est un auteur de jeu de rôle et un romancier. Pigiste au sein du magazine Casus Belli depuis une dizaine d’années, il a également participé au développement de plusieurs gammes de jeu chez différents éditeurs : Vermine, Sovok, Post-Mortem, Nightprowler… Il a aussi auto-publié des jeux comme Soap et Brumaire. Après la sortie de son premier roman, Wastburg, il a décliné cet univers en jeu de rôle. Il ne pratique plus le théâtre d’impro et vit désormais à Montréal. Co-fondateur et gérant des Éditions John Doe, Emmanuel Gharbi est également auteur de jeux de rôle. On lui doit notamment des jeux comme Exil, Final Frontier et Hellywood, ainsi que la traduction d’Icons en français. Auteur, illustrateur, graphiste, traducteur et éditeur, Le Grümph a été formé sur les bancs de la CDJRA, en compagnie de toute une génération d’autres auteurs et game designers. Associé aux Éditions John Doe depuis 2006 et fournisseur direct de rôlistes via le label Chibi depuis 2014, il travaille occasionnellement pour d’autres maisons d’éditions (Sans Détour, Black Book, Les XII singes). On lui doit notamment le dK System (avec Éric Nieudan), Bloodlust Metal (avec Rafael Colombeau et François Lalande), Les Mille-Marches, Oltrée !, Dragon de Poche, nanoChrome, La Lune et les Douze Lotus, Terra X, Mordiou ! ainsi que nombreux projets gratuits disponibles sur le Terrier (http://legrumph.org). Sandy Julien a participé à la traduction de plus de cent cinquante ouvrages de jeux de rôle, et on lui doit celle de nombreux romans parus entres autres éditeurs chez Pocket, J’ai lu et Éclipse. Il est également l’auteur d’aides de jeu, de scénarios et d’articles divers, notamment pour C.O.P.S. et Nécropolice. Vous pouvez le retrouver sur son blog sandyjulien.wordpress.com. Jérôme « Brand » Larré a participé à l’écriture ou à la conception de plus d’une cinquantaine de jeux et suppléments, en France ou à l’étranger (C.O.P.S., Fiasco, Qin, Ryuutama, Tenga, etc.). Très engagé dans la théorie rôliste, il contribue à de nombreux événements favorisant la création : tables rondes, ateliers d’écriture, concours de création, etc. Jérôme est une des deux têtes de Lapin Marteau. Guylène Le Mignot est auteure de jeu de rôle et podcasteuse. On peut la lire chez les XII Singes, sur leur gamme 6… ou Necropolice, et parfois dans JDR Mag. On peut l’entendre chez Proxi-Jeu ou Radio Rôliste, entourée de joyeux lurons pour discuter de jeu de rôle. Elle aime voyager, se promener en forêt, et se plaît à croire qu’on pourrait changer le monde avec des livres.

Arnaud Pierre est improvisateur depuis plus de 10 ans et enseigne aujourd’hui l’improvisation théâtrale dans diverses écoles d’art à Singapour. Il a été rôliste bien avant de monter sur les planches et prend un grand plaisir à construire des passerelles entre les deux activités. Féru des techniques de storytelling, il est aussi consultant pour des scénaristes de courts et de longs métrages. Ses maîtres à penser en la matière sont entre autres Keith Johnstone, Del Close, Robert McKee et John Truby. Quand il n’est pas sur scène ou sur son clavier, Arnaud est aussi producteur et metteur en scène de pièces classiques et modernes. Julien Pouard anime Les Voix d’Altaride, un podcast où l’on discute de jeu de rôle, et contribue régulièrement à d’autres podcasts de la sphère francophone. Il a participé à la revue rôliste gratuite Les Chroniques d’Altaride entre les numéros 1 et 42, en y publiant scénarios et interviews. À ses heures perdues, il écrit des jeux pour le Gamechef en espérant un jour les transmettre au peuple rôliste. Joueuse de longue date, Anne Richard-Davoust fait partie des play-testeurs des jeux de John Grümph, et a également collaboré à la création du JdR Les Mille-Marches. Par ailleurs enseignante de Lettres, elle a soutenu un DEA consacré à la fantasy avant d’en écrire elle-même aux éditions Bayard et Nestiveq’nen. Joueuse passionnée depuis sa plus tendre enfance, qu’il s’agisse de jeux vidéo, de rôle ou de plateau, Selene Tonon a participé pendant plusieurs années à l’animation du club de jeux de rôle de l’INSA de Rennes et de sa convention. Autrice féministe, engagée en faveur des droits des minorités de genre et d’orientation sexuelle, elle partage avec pédagogie sur ses blogs, Wakening Princess et Eclosion, ses témoignages et essais sur ces thématiques. Elle est également chroniqueuse pour le podcast Ludologies qui décortique les jeux sous toutes leurs formes.

Notice Abréviations utilisées D&D : Donjons & Dragons. GN : jeu de rôle grandeur nature. GNiste : personne pratiquant le jeu de rôle grandeur nature. JdR : jeu de rôle. MJ : meneur de jeu. PJ, PNJ : personnage(s) joueur(s), personnage(s) non joueur(s). Méd-fan : médiéval-fantastique. Background Pour des raisons de clarté, ce terme sera uniquement utilisé dans son sens d’historique d’un personnage, et pas dans le sens d’univers de jeu. Informations bibliographiques Sauf cas spécifiques, la première édition en version originale est toujours privilégiée. Les références bibliographiques sont données une fois par jeu. Lorsqu’elles comprennent plus de dix auteurs, le nombre de noms cités est limité à cinq et la mention « et autres » est ajoutée. LE MENEUR, LA JOUEUSE ET LE PERSONNAGE Vous l’aurez sans doute remarqué, mais, sans l’imposer aux autres auteurs, nous avons pris le parti de féminiser systématiquement le terme de « joueur » en « joueuse ». Nous sommes conscients que cela n’est pas ce à quoi nous enjoint la grammaire et que cela ne semble pas naturel pour la plupart d’entre nous. Certains nous ont même confié se sentir exclus par ce choix. Toutefois, nous l’avons fait à dessein. La première raison, certes moins importante, est que cela permet de distinguer sans effort les joueuses, quel que soit leur genre, d’un éventuel meneur ou des personnages. La seconde est que nous pensons qu’en tant qu’éditeur, surtout d’ouvrages théoriques, nous avons notre (tout petit) rôle à jouer sur l’image que se renvoie notre propre communauté et sur la façon dont elle traite certains de ses membres. En d’autres termes, c’est justement parce que cela « râpe » que nous pensons que c’est important de le faire. Quoi qu’il en soit, rassurez-vous, on s’y habitue rapidement. Après tout, nous n’avons féminisé qu’un seul mot, et cela ne concerne que quelques articles…

INTRODUCTION

Décider de sa pratique



Coralie David & Jérôme Larré

Les joueurs doivent comprendre que parmi eux, il en existe pour qui [leur façon de] s’amuser n’est pas toujours amusante. E. Gary Gygax, The Domesday Book1, n° 3, 1970. Un spectateur qui lirait ces discussions enflammées, remarquant les haines qui s’y développent, pourrait être désorienté et se demander : « Jouons-nous tous au même jeu ? Est-ce que ces mots signifient la même chose pour tout le monde ? » La réponse est « non ». Ceux qui s’opposent peuvent utiliser un même système de règles, cela ne veut pas dire qu’ils l’utilisent de la même façon ou avec le même objectif. Glenn Blacow, Different Worlds, n° 10, 1980. Le respect des limitations des personnages impose une contrainte à l’imagination de chaque joueur, mais c’est précisément cela qui fait du jeu un véritable jeu de rôle. Les joueurs doivent agir en collant à leurs personnages et se comporter, dans le jeu, comme si seuls ceux-ci existaient. Bien y réussir est la chose la plus difficile mais aussi la plus satisfaisante que propose le jeu. Sandy Petersen, L’Appel de Cthulhu, 1981.

1. The Domesday Book était une lettre d’information publiée par The Castle & Crusade Society, une filiale de The International Federation of Wargaming ou IFW.

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Sortir de l’auberge Comme vous le savez peut-être déjà, le recueil que vous tenez entre vos mains fait partie d’une collection d’ouvrages consacrés à la théorie rôliste et à celles et ceux qui pratiquent notre loisir : Sortir de l’auberge. Jouer des parties de jeu de rôle est le second tome paru dans ce cadre et il est le pendant pour les joueuses de ce que le premier, Mener des parties de jeu de rôle, était pour les meneurs. Aussi, si vous connaissez déjà ce dernier, il est probable qu’une grande partie de cette introduction vous soit familière, les deux recueils ayant été construits à partir d’une logique commune, et avec l’objectif explicite d’être le complément l’un de l’autre. En 2016, nous commencions Mener des parties de jeu de rôle en confiant à la fois notre fierté d’être rôlistes et notre sentiment que ce loisir méritait bien plus d’égards que nous, ses propres pratiquants, ne lui en accordions d’habitude. Et il est vrai que le chemin parcouru en un peu plus de quarante ans force le respect : nous sommes des millions à avoir joué à ce qui n’était au départ qu’une variante anecdotique du wargame, nous avons multiplié les types de jeux disponibles, les façons de les créer, appris de nos erreurs, tout à la fois diversifié et perfectionné nos pratiques, etc. Bref, collectivement, nous avons progressé. Et ce faisant, nous avons généré une grande quantité de connaissances liées à notre loisir. Cet entrain pour la théorie rôliste, s’il est surtout visible en langue anglaise, existe aussi à l’échelle francophone. Preuve en est la parution prochaine des actes des journées d’étude Les 40 ans du jeu de rôle qui ont eu lieu à Paris XIII en juin 2015. Ceux-ci dressent un état des lieux de la recherche francophone, mais citons aussi les divers projets similaires parus ou à paraître portés par des confrères éditeurs, ou le nombre incroyable de titres sortant chaque année. En parallèle, on assiste à une véritable profusion de médias rôlistes, que ce soit avec les trois magazines papier généralistes (Casus Belli, Di6dent et JDR Mag) sortant de façon régulière depuis plusieurs années, ou tout ce que le Net francophone peut apporter de dynamisme et d’expérimentations passionnantes. Si l’avenir comporte son lot de défis habituels, qu’ils concernent l’économie, la diffusion et le renouvellement des rôlistes, nous avons la chance de vivre une époque où le JdR est sorti du marasme dans lequel il s’était embourbé au début des années 2000. Sans non plus idéaliser le présent, nous sommes convaincus qu’il est désormais grand temps de laisser la nostalgie de « l’âge d’or » au placard. En effet, nous vivons une belle époque pour le JdR et nous gagnerons à prendre du recul sur notre propre pratique, sans hésiter à piocher dans chacune des périodes, écoles et chapelles rôlistes ce qu’elle amène d’intéressant. Désormais, le JdR est si riche et regroupe des expériences si diverses qu’il suffit de regarder ce que l’on peut apprendre des uns et des autres pour avoir le sentiment de nous renouveler sans cesse. C’est la raison d’être de cette collection. Chez Lapin Marteau, nous pensons que la réflexion sur notre passion mérite d’être visible, disponible et conservée de façon pérenne et complémentaire à ce qui existe sur le Web.

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Des conseils pour joueuses ? Sérieusement ? Pour autant, il est un domaine dans lequel cette production théorique semble ne pas avoir été aussi prolifique qu’ailleurs, ou du moins pas sous une forme aussi structurée. C’est celui des conseils aux joueuses. Soyons clairs, cela ne veut pas dire qu’il n’existe rien. On peut notamment citer l’excellent Manuel pratique du jeu de rôle1, même si celui-ci a presque vingt ans et s’adresse autant aux meneurs qu’aux joueuses. On peut également trouver quelques articles dans la presse ou sur le Net, mais cela reste comparativement peu répandu. Nous avons également pu constater au lancement de la collection quelques réactions très tranchées. Celles-ci affirmaient que les conseils pour les joueuses seraient inutiles, puisque la majorité des pratiquants actuels ont su faire sans un tel recueil. Au premier abord, ces réserves semblaient suivre une logique de type « puisque j’ai appris à la dure, tout le monde doit apprendre à la dure », un peu comme si être une « vraie joueuse » se méritait et nécessitait l’accomplissement d’un genre de quête initiatique. Bien entendu, il n’en est rien et, comme souvent lorsque l’on cherche à distinguer « vraies » et « fausses » joueuses, l’idée prête même à sourire. Pour autant, il serait idiot d’écarter ces réactions d’un revers de la main, tant celles-ci nous semblent révélatrices de certains paradoxes qui font que, contrairement à ce que l’on pourrait penser, l’idée de conseils pour les joueuses est encore loin d’être une évidence pour tout le monde. Ces oppositions apparentes nous semblent justement très riches d’enseignements sur l’utilité que peuvent avoir des conseils pour les joueuses. Entretenir la flamme et surmonter les difficultés

Voici le premier de ces paradoxes : lorsque l’on s’intéresse à la façon dont les joueuses actuelles ont appris à faire du JdR, on n’interroge finalement que celles qui ont « réussi ». Autrement dit, on ne sollicite l’avis que de celles, autodidactes, qui ont eu le moins besoin de ces conseils, et de celles, sans doute plus nombreuses, qui les ont reçus par l’entremise de leurs camarades de jeu ou dans les associations dans lesquelles elles pratiquent notre loisir. Mais pourquoi s’embêter avec de tels détails, du moment que tout le monde s’amuse ? Justement, parce qu’il manque l’avis de celles qui constituent probablement le plus grand groupe : toutes celles qui ne s’amusent plus, qui se sont arrêtées en chemin. Peut-être ont-elles pensé que certaines contraintes du JdR ne pouvaient être surmontées (temps de préparation, nombre de participants, durée des parties, thématiques, etc.), peut-être n’ont-elles pas réussi à en renouveler l’intérêt au fil des ans. Bien entendu, personne ne croit qu’un recueil aurait permis à lui seul d’empêcher le déclin des années 1990. Toutefois, de nombreux témoignages laissent entendre que davantage de conseils sur les formes alternatives de JdR et les moyens à la fois de se renouveler et de contourner les contraintes évoquées auraient 1. Rosenthal Pierre (dir.), « Manuel pratique du jeu de rôle », Casus Belli, HS n° 25, Paris, 1999.

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non seulement pu limiter cet effet de lassitude, mais pourraient également convaincre nombre d’anciens rôlistes de revenir à leurs premières amours. Gagner du temps sur sa pratique

Dans le même ordre d’idées, la plupart des vétérans n’auront aucun mal à penser à quelques conseils qu’ils auraient aimé recevoir plus jeunes ; par exemple parce que ceux-ci leur auraient épargné quelques mauvaises parties, ou au contraire fait découvrir de nouvelles pratiques bien plus tôt. L’idée est que, dans tous les cas, ces conseils leur auraient permis de gagner des années, non pas sur une sorte de parcours rôliste idéalisé et unique, mais entre les diverses étapes de leur propre cheminement. Ce constat, en apparence amer, dissimule deux points très positifs. D’une part, il signifie qu’il existe bien une évolution de la façon de jouer de la plupart d’entre nous. Là où on lit souvent que tout se vaut, c’est montrer au contraire que l’expérience compte et que, même si ce n’est pas le seul critère à prendre en compte, on ne joue pas de la même façon lors de sa première partie qu’après vingt ans de pratique. Lors de ce parcours, on constitue des savoirs qui peuvent être identifiés, partagés, enseignés, etc. Comme expliqué, c’est l’objet de ce recueil et de la collection dans son ensemble. Le second enseignement, c’est qu’il n’y a pas une évolution unique, une même direction que tous les rôlistes devraient suivre automatiquement. Cette diversité est indubitablement signe de richesse et de bonne santé créative de notre loisir. Apprécier sa propre performance

Si l’expérience compte, ce n’est qu’une des raisons pour lesquelles on ne joue pas exactement de la même façon d’une partie sur l’autre. Il peut se passer une infinité de choses qui vont faire que l’on va plus ou moins bien se débrouiller : motivation, fatigue, maladie, inspiration, mécanismes de peur1, etc. Par conséquent, lors de chaque partie, les joueuses réalisent une performance. Même si cette notion est très peu étudiée dans la théorie rôliste francophone, sans doute du fait d’un amalgame fréquent avec celle, extrêmement impopulaire, de compétition, ou d’une opposition factice à celle de plaisir (alors qu’elle y participe souvent), elle n’en est pas moins essentielle à notre activité. Elle n’est pas mesurable aussi facilement que celle d’un coureur de cent mètres, mais est en grande partie comparable à celle d’une joueuse de sport collectif ou, plus encore, de certains artistes. Exactement comme pour des musiciens, par exemple, cela ne fait pas forcément grand sens de comparer globalement les performances de deux joueuses, cependant, il est intéressant pour chacune d’entre elles d’être capable d’évaluer si elle a été « bonne » ou pas lors d’un soir donné, éventuellement de se comparer sur un point précis, d’estimer les domaines dans lesquels elle a pu réussir ou au contraire pécher et de trouver des moyens d’y remédier.

1. À ce sujet, consultez également l’article « S’entraîner », p. 303.

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Lier performance individuelle et collective 

Être capable de prendre du recul sur sa propre performance et de l’évaluer est quelque chose de très important, mais ce n’est qu’une étape. Comme expliqué, l’objectif est de passer de bons moments ensemble et non de réaliser des classements techniques individuels. Il reste donc encore à participer à la performance du groupe et s’assurer non seulement de prendre du plaisir, mais de permettre, sinon d’accroître, celui de ses camarades de jeu et de faire en sorte que tout le monde s’y retrouve, meneur comme joueuses. Concrètement, il peut s’agir de tout un ensemble de compétences différentes, que vous trouverez traitées dans autant d’articles de ce recueil : déterminer des attentes communes1, s’assurer de toujours relancer suffisamment pour que les autres puissent s’emparer de vos propositions2, mettre en place des dynamiques intéressantes au sein du groupe3, créer des occasions de jeu pour les autres4 et, globalement, essayer de ne pas se comporter de façon trop désagréable5. Surpasser les tabous et autres difficultés identifiées

On l’oublierait presque tellement c’est évident, mais un des premiers rôles des conseils est de nous aider à jouer des choses que l’on aurait du mal à interpréter sans. Là encore, si de nombreuses joueuses expérimentées ont l’impression de pouvoir s’adapter à tous types de personnages ou peu s’en faut, on s’aperçoit néanmoins qu’il existe certaines problématiques qui semblent poser problème autour de nombreuses tables. Au point d’ailleurs que l’on préfère régulièrement se priver de jouer certains types de personnages que prendre le risque de mal le faire. Ainsi, dans de très nombreux groupes, quelle que soit son expérience, c’est le cas des personnages ayant un genre ou une orientation sexuelle différents du nôtre6, mais cela peut être bien d’autres choses. Gagner en autonomie 

Aussi surprenant que cela puisse paraître, les conseils aux joueuses sont aussi un moyen de reprendre le contrôle sur tout un ensemble de décisions. Nous prenons tellement l’habitude de nous décharger sur le meneur que nous en oublions qu’il s’agit de responsabilités qui peuvent être partagées. Typiquement, le succès d’une partie est une responsabilité collective et non uniquement celle du meneur. Il en va de même pour le plaisir de ses camarades, l’orientation d’une campagne, le fait de faire circuler la parole ou de choisir de développer certains aspects du scénario et pas d’autres, etc. Les joueuses peuvent participer à tout cela, à leur échelle. Or, dans la plupart de ces domaines, nos jeux préférés ne sont pas avares de conseils aux meneurs, mais ils oublient bien 1. À ce sujet, consultez également l’article « Jouer ensemble », p. 129. 2. À ce sujet, consultez également l’article « Garder la balle en l’air », p. 113. 3. À ce sujet, consultez également l’article « Coopérer et Rivaliser », p. 149. 4. À ce sujet, consultez également l’article « Créer du jeu pour les autres », p. 29. 5. À ce sujet, consultez également l’article « Ne pas être cette joueuse-là », p. 329. 6. À ce sujet, consultez également l’article « Dépasser ces clichés », p. 227 et « Interpréter un personnage », p. 69.

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souvent de signifier aux joueuses qu’elles peuvent avoir un rôle à jouer, même si la nature exacte de celui-ci pourra dépendre de plusieurs facteurs (présence d’un twist, bac à sable, connaissance de l’univers, etc.). En ce sens, certains des chapitres du présent ouvrage pourront vous surprendre, mais c’est parce que nous pensons qu’il s’agit de compétences aussi bien dévolues aux joueuses qu’aux meneurs, et que leur répartition est plus intéressante dès lors qu’elle cesse d’être un automatisme pour devenir un choix. Par exemple, même dans un JdR où l’autorité est partagée de manière classique, vous pouvez très bien proposer à une autre joueuse de vous aider à accomplir une quête liée au background de votre PJ, en parallèle de la campagne. Il faudra très probablement en parler au meneur au préalable, mais il est tout à fait possible de prendre l’initiative de développer avec une autre joueuse cette intrigue en germe qui est pour l’instant restée lettre morte dans votre background, ou décider d’enquêter plus avant sur cet étrange PNJ rencontré lors de la précédente séance. C’est une manière de vous investir dans la partie au-delà du fameux syndrome des « pieds sous la table », et de prendre un plaisir accru en apportant des éléments de jeu au-delà de ce que l’on est habitué à faire. S’affranchir de cette répartition des fonctions un peu artificielle (le MJ travaille pour rendre les parties intéressantes, les joueuses se contentent de les apprécier, pour caricaturer), et par conséquent, gagner en autonomie, est un moyen d’accroître notre plaisir de jeu, notamment pour les joueuses qui se lassent de leur pratique par manque de renouvellement : plus nous créons et apportons des éléments de jeu au sens large, plus nous nous approprions les jeux auxquels nous jouons, plus nous gagnons en plaisir. Toutefois, comme nous le disions, ce type de prise d’initiative ne fait pas forcément partie de nos habitudes. Il n’est d’ailleurs pas évident de savoir par où commencer. Un bon point de départ peut être de s’inspirer d’autres joueuses  et de s’inspirer de leurs styles respectifs. Les identifier et en « apprendre » de nouveaux, en partageant nos expériences avec d’autres, ne peut que nous amener à « augmenter » le nombre de nos outils pour jouer, un peu comme un peintre qui découvrirait d’autres types de pinceaux que ceux avec lesquels il est habitué à travailler depuis des années  : il gardera peut-être son pinceau fétiche la plupart du temps, mais ces nouveaux outils lui permettront d’élargir son style et de tenter de nouvelles choses. Après tout, nous nous inspirons bien régulièrement des protagonistes de séries et de romans pour créer et interpréter nos personnages, s’inspirer de ceux d’autres joueuses peut se révéler tout aussi stimulant. C’est cette expérience que nous vous proposons de partager dans les divers articles de ce recueil.

Jouer des parties de jeu de rôle Vous l’aurez compris, Jouer des parties de jeu de rôle a pour objectif d’aider les joueuses à prendre du recul sur leurs pratiques et à les améliorer, exactement comme Mener des parties de jeu de rôle le faisait pour les meneurs. Mais, contrairement à ce à quoi on pourrait s’attendre, sa philosophie n’est absolument pas de chercher à imposer une

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vision unique de la façon dont il faudrait jouer, ni même une méthode qu’il faudrait absolument suivre pour être performant. Malgré les quelques centaines de pages de ce recueil, nous n’allons à aucun moment essayer de vous donner une liste absolue et définitive de ce qui est « bien » ou de ce qui ne l’est pas. Au contraire, l’ambition est ici de proposer des pistes, des alternatives, d’amener à s’interroger sur ce que l’on apprécie afin de pouvoir faire ses propres choix en toute connaissance de cause. Autrement dit, il s’agit de construire sa propre méthode, en fonction de ce sur quoi on souhaite mettre l’accent, de ses envies, des retours de ses camarades de jeu, etc. Il est avant tout question de diversité, de découverte et d’enrichissement ludique personnel. Le but est de donner des idées pour varier certains aspects de sa pratique, voire pour sortir de sa zone de confort, mais sans rien imposer. Aussi, ce recueil s’adresse en priorité à des lecteurs et des lectrices qui sont déjà rôlistes. Peu importe qu’ils soient surtout meneurs ou joueuses, novices ou expérimentés. L’essentiel est qu’ils s’interrogent sur leur façon de jouer et qu’ils veuillent en découvrir d’autres. Les articles sont organisés en compétence, de façon à ce que chacun permette de faire le tour d’un grand savoir-faire rôliste. Ils sont conçus pour que des débutants puissent les comprendre, que ce soit grâce à un vocabulaire clair ou par la présence de nombreux outils et fiches de synthèses, et pour que les vétérans y trouvent quand même des idées à mettre en œuvre lors de leur prochaine séance. Concrètement, si vous débutez, il ne faut pas vous attendre à trouver un article spécifiquement écrit pour vous aider à aborder votre première partie ou vous conseiller quel jeu choisir. Par contre, cela ne signifie pas que ce recueil n’a rien à vous offrir. Au contraire, non seulement vous apprendrez des choses dans chaque chapitre, mais vous découvrirez que certains d’entre eux traitent de compétences de base qu’il vous faudra sans doute acquérir en priorité comme, par exemple, « Interpréter son personnage1 » ou « Aider son personnage à gagner2 ». De leur côté, les joueuses les plus expérimentées repéreront rapidement leurs domaines de spécialité et ceux qui les pousseront, si elles le souhaitent, à sortir de leur zone de confort. C’est à elles qu’il appartient, en toute autonomie, de naviguer dans ce recueil et d’y piocher ce qui leur semblera le plus intéressant pour elles à ce moment-là. Libre à elles d’y revenir plus tard pour tenter de nouvelles techniques, changer de style, ou essayer de se spécialiser encore davantage dans ce qu’elles aiment déjà. Dans tous les cas, le triptyque inaugurant Sortir de l’auberge, à savoir Mener des parties de jeu de rôle, Jouer des parties de jeu de rôle et La Boîte à outils du meneur de jeu a pour vocation de les accompagner tout au long de leur vie de rôliste. Cela ne sert à rien de chercher à tout retenir ou à tout utiliser. Les articles sont prévus pour que vous puissiez les relire à différents moments de votre vie de rôliste et, au fur et à mesure de votre propre évolution, y puiser des idées, des inspirations ou des réflexions différentes. 1. Voir p. 69. 2. Voir p. 93.

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Pour les jeux sans MJ ? Et sans personnage ? Cet ouvrage est en priorité dédié aux parties de JdR les plus courantes, où l’autorité est répartie de manière classique, et où chaque joueuse est responsable de son personnage. Toutefois, vous pouvez tout de même utiliser la majorité des conseils et méthodes mis en avant pour d’autres types de jeux. En effet, en ce qui concerne les JdR sans MJ, la plupart du temps les fonctions de ce dernier sont réparties parmi les joueuses. Ainsi, entre ce livre et Mener des parties de jeu de rôle, vous aurez largement de quoi évaluer et améliorer votre pratique pour ces types de jeux. Cela vaut également pour ceux où les joueuses ne se contentent pas d’interpréter un personnage au sens classique, mais sont aussi amenées à agir en ayant autorité sur un aspect de l’univers, comme Microscope1 ou Nobilis2 par exemple. Là encore, si l’intégralité de cet ouvrage sera peut-être alors peu adaptée, nombre d’articles seront utiles, comme ceux qui relèvent des relations et des dynamiques créatives entre joueuses. Enfin, même dans le cadre d’une partie classique, il peut être intéressant de parfois jouer au-delà de la sphère de son personnage et de proposer des éléments à ajouter à l’univers ou autre. Vous trouverez des pistes pour le faire dans certains articles, comme « Créer un personnage3 », par exemple.

Ce que vous trouverez dans ce recueil Jouer des parties de jeu de rôle, comme Mener des parties de jeu de rôle, son équivalent à destination des meneurs, est organisé selon une logique de « compétences ». La vingtaine d’articles que compte ce recueil est organisée en trois grandes parties : • les bases : elles représentent les défis auxquels sont confrontées toutes les joueuses ; • les techniques avancées : elles abordent des problématiques complémentaires, mais peuvent grandement améliorer l’expérience de jeu ; • varier les plaisirs : cette partie propose d’aller encore plus loin en testant d’autres types de personnages ou d’autres façons d’envisager les parties. Concrètement, cette organisation en compétences signifie que chaque chapitre se penche sur un savoir-faire utile pour pratiquer notre loisir, le traitant dans son ensemble en associant théorie et astuces pratiques. Ils ont été écrits par des auteurs, meneurs ou joueuses dont nous admirons assez le travail ou le talent pour leur demander de venir les partager avec vous. Nous avons également pris garde à solliciter des intervenants aux profils variés, à la fois en termes de générations, mais aussi d’horizons 1. Robbins Ben, Microscope, Lame Mage Productions, 2011. 2. Borgstorm Rebecca Sean, Nobilis, Pharos Press, Tulsa, 1999. 3. Voir p. 29.

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ludiques et de jeux pratiqués. Vous trouverez la liste des auteurs ainsi qu’une rapide notice biographique les concernant p. 5. Voici une présentation des différents articles et de leur contenu, afin que vous puissiez vous faire une idée plus précise de la composition du recueil. Les huit premiers articles qui suivent cet avant-propos constituent les bases. Ils regroupent les compétences que l’on est en droit d’attendre de toute joueuse de JdR. En effet, ils se penchent sur ce qu’implique cette activité, allant de la création et de l’interprétation d’un personnage aux aspects plus sociaux de notre loisir. • La bonne joueuse, tu vois, elle lance les dés… : dans cet entretien à deux voix, Anne Richard-Davoust et Le Grümph nous expliquent les comportements qu’ils aiment voir à leur table. Quelles sont les qualités qu’une joueuse devrait cultiver ? Qu’est-ce que le roleplay ? • Créer un personnage : dans cet article, Coralie David aborde les points les plus critiques de la création du personnage, de la technique à la rédaction du background. Quoi proposer ? Faut-il l’aborder avec ou sans les autres joueuses ? Faut-il créer des conflits dès le départ ? Comment l’adapter aux besoins de la partie, à nos envies ? • Développer un personnage au fil du jeu : Coralie David explique ensuite comment faire en sorte de prolonger cette création de personnage tout au long de la vie de ce dernier. Plus que d’apprendre comment dépenser au mieux ses points d’expérience, il est surtout question ici de réfléchir à ce qui peut être fait durant les parties, mais aussi à l’évolution du personnage et à la façon dont les épreuves le transforment. • Interpréter un personnage : Romain d’Huissier nous fait part de sa méthode pour créer des PJ aux personnalités intéressantes, mais surtout nous propose des pistes pour les interpréter : traits de caractère, émotions, contradictions… Comment faire passer toutes ces informations lors des parties ? • Aider son personnage à gagner  : dans cet article, Géraud G. nous explique comment faire en sorte que nos personnages réussissent ce qu’ils entreprennent. Mais, plutôt que de traiter de leur efficacité dans son ensemble, il prend le cas particulier de l’exploration de donjon et de toutes les routines associées à cette forme à la fois très prisée et très tactique de notre loisir. • Garder la balle en l’air : Cédric Ferrand reprend et adapte les grands principes des matchs d’improvisation pour nous aider à identifier les principales erreurs qui peuvent arrêter le flot d’une partie. Comment faire pour ne jamais empêcher le reste de la table de rebondir sur nos propositions ? Quel est l’état d’esprit à privilégier ? Quelles sont les attitudes qui nuisent au fun des autres joueuses ? • Jouer ensemble : Emmanuel Gharbi nous donne sa vision de ce que l’on appelle généralement le contrat social. Comment se mettre d’accord avant la partie sur la plupart des éléments qui risquent de poser problème durant celle-ci ? Des jeux auxquels les joueuses vont choisir de jouer aux thèmes qu’elles acceptent d’aborder, en

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passant par les comportements acceptables ou pas, que faut-il se dire avant la partie pour ne plus avoir besoin d’y revenir et jouer tranquillement ? La deuxième partie du recueil rassemble cinq articles qui explorent les techniques avancées, et notamment les dynamiques qui régissent les relations entre joueuses. Outre l’approfondissement du lien avec son personnage ou avec le jeu auquel on s’adonne, il est surtout question d’aller au-delà du bien jouer pour s’interroger sur le bien jouer ensemble. • Coopérer et rivaliser  : comment articuler harmonieusement les notions de compétition et de collaboration, entre joueuses, mais aussi entre MJ et joueuses ? Dans cet article, Julien Pouard se penche entre autres sur les dialogues et sur la profondeur des échanges selon les motivations et les secrets des personnages. • Se renouveler : Coralie David et Jérôme Larré passent en revue une demidouzaine de types de scènes courantes en JdR, mais où il est généralement difficile pour les joueuses de sortir des sentiers battus. Pour chacune de ces situations, ils proposent des options s’offrant aux personnages, permettant de varier significativement les approches, et donc d’en relancer l’intérêt pour toute la table. • Créer du jeu pour les autres : dans cet article, Coralie David et Jérôme Larré abordent l’essentiel des questions à se poser lorsque l’on cherche à aider les autres joueuses de la table à s’emparer de la partie ou, plus généralement, à leur rendre cette dernière plus intéressante. Comment les mettre en valeur ? Les amener à participer ? Réutiliser ce qu’elles ont apporté au jeu ? • Exploiter la distinction entre joueuse et personnage : comment jouer sur cette distinction pour rendre les parties encore plus intéressantes ? Bleed, immersion, intensité, Guylène Le Mignot explore la relation entre personnage et joueuse. • S’approprier un jeu : comment peut-on s’approprier un nouveau jeu et s’adapter aux aspects qu’il souhaite mettre en valeur ? Raphaël Bombayl nous montre comment tirer parti du système, notamment d’un point de vue stratégique, et intégrer les codes d’un univers particulièrement riche et complexe. La dernière partie de Jouer des parties de jeu de rôle vous propose de varier les plaisirs et d’aller plus loin encore en testant certaines alternatives  : incarner des archétypes de personnages qui nous changent de nos habitudes, faire évoluer nos réflexes et nos automatismes quant à certaines situations, commencer les séances par des exercices, etc. • Dépasser ces clichés : comment jouer un personnage aux antipodes de sa personnalité, de ses origines, de son genre et de son orientation sexuelle sans tomber dans la caricature ? Sélène Tonon nous présente quelques pistes pour y parvenir. • Faire d’un incapable un héros : comment s’y prendre quand son personnage ne semble rien savoir faire d’utile ou mieux que les autres ? Il n’est pas facile d’interpréter un PJ peu ou moins compétent, et les conseils de Sandy Julien ont pour but de le rendre malgré cela aussi intéressant, si ce n’est davantage, que les autres. 18

• Jouer des génies  : dans cet article, Olivier Caïra nous transmet ses astuces pour interpréter ces personnages qui sont bien plus brillants que la plupart d’entre nous. Comment mettre en scène une intelligence que, par définition, nous n’avons pas ? Dans quelles œuvres tirer son inspiration ? Comment transformer une véritable gageure en plaisir pour toute la table ? • Se laisser surprendre : Peggy Chassenet, Coralie David et Jérôme Larré nous expliquent qu’il peut parfois être intéressant de perdre le contrôle de son personnage, voire de lui organiser des échappatoires. Celles-ci peuvent notamment prendre la forme d’un background réduit, d’une sollicitation accrue du reste de la table ou de l’exploration de thèmes spécifiques durant la partie. Loin d’être des manquements, ces apparentes faiblesses peuvent se révéler être de véritables forces pour l’intensité de la partie et le plaisir des joueuses. • S’entraîner : Arnaud Pierre présente divers exercices pour améliorer ses compétences d’improvisation, trouver des idées, sortir de sa zone de confort, savoir rebondir plus efficacement sur les propositions des autres joueuses, exprimer des émotions par sa manière de jouer, savoir gérer les différences hiérarchiques entre les PJ, etc. Enfin, la conclusion de ce recueil est composée de deux chapitres. • Ne pas être cette joueuse-là : là où tous les autres articles développent un savoirfaire rôliste, Sélène Tonon s’attarde ici sur la notion de savoir-être. Pour ce faire, elle liste un certain nombre de comportements problématiques et explique comment les gérer, que l’on y soit confronté ou qu’on les adopte malgré soi : manque de savoirvivre, attitudes irrespectueuses, comportements humiliants, etc. • Continuer à s’améliorer ensemble  : ce chapitre propose enfin quelques pistes pour décoder et savoir interpréter les retours des autres joueuses, afin de poursuivre son évolution en construisant à partir des échanges que nous pouvons avoir autour des différentes tables que nous rejoignons. Bonne lecture !

La bonne joueuse, tu vois, elle lance les dés…



Le Grümph & Anne Richard-Davoust

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et article prend la forme d’une conversation entre Anne Richard-Davoust et Le Grümph, où ils évoquent les qualités qui font selon eux une « bonne » joueuse. Elle permet ainsi d’évoquer un certain nombre de problématiques inhérentes à cette question en apparence insoluble et d’amener des éléments qui seront discutés plus avant dans les chapitres suivants. Le Grümph : Ah ben, nous voilà bien. C’est quoi, déjà, la question ? Anne : C’est quoi une bonne joueuse ? LG : C’est quoi une bonne joueuse ? Mouais. On peut déjà dire qu’une bonne joueuse, c’est une nana… Anne : … ou un mec… LG : … qui n’est pas un boulet à la table. Anne : On ne va pas aller loin avec une telle définition. Je ne crois pas que ce soit ce qu’on nous demande. LG : Bon, alors… Une bonne joueuse, c’est quelqu’un qui fait du bon roleplay. Anne : Mouais. C’est un peu réducteur, me semble-t-il. Tout dépend de ce que tu entends par roleplay.

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I Les bases

LG : Comme le principe le plus basique des JdR, c’est de créer du récit, le roleplay c’est bêtement faire ce qu’il faut pour qu’il y ait du récit : les joueuses doivent prendre des décisions, faire avancer l’histoire, jouer leurs personnages… Anne : Oui, alors plusieurs choses se télescopent, là. D’une part, l’équivalence partie de JdR égal récit, et d’autre part une acception très large du terme roleplay. Dans l’usage qui me paraît dominant actuellement, ce mot désigne surtout la manière dont une joueuse interprète son personnage, et essentiellement par les paroles qu’elle lui fait prononcer, en discours direct. On n’en est même pas encore à considérer que le roleplay pourrait aussi être les choix d’actions en fonction du tempérament du personnage, par exemple, et qui, selon moi, serait déjà un élargissement du sens du mot. LG : Pour le récit, c’est vrai que l’usage du terme est encore largement en discussion – notamment avec les Lapins Marteaux qui ne voient pas du tout, du tout, les choses sous cet angle1. On en recausera tout à l’heure, histoire de préciser notre pensée, mais pour l’instant il suffit de dire qu’il nous semble qu’une partie de JdR laisse quelque chose derrière elle qui me paraît être à la fois un produit secondaire du jeu et en même temps son principal objectif : le récit. Anne : Et pour le roleplay ? LG : C’est vrai que j’élargis un peu. Mais c’est parce que je trouve très réducteur qu’on limite le roleplay à des scènes d’interprétation et d’interaction sociale. Par exemple, un combat est tout aussi révélateur du caractère d’un personnage, de son rôle. Et on n’a pas besoin de faire de grandes descriptions imagées pour expliquer comment on porte son coup ou comment on éventre ses adversaires. Le simple fait de foncer dans le tas, d’aider tel camarade plutôt que tel autre, de se montrer magnanime ou non, d’y aller sournoisement ou en face à face – le tout en se contentant de lancer les dés – c’est déjà de l’interprétation de son personnage et donc, pour moi, c’est déjà du roleplay. À mon sens, un combat tactique n’est pas une parenthèse dans le JdR : il participe autant qu’une négociation un peu complexe à la création de l’histoire et de ses rebondissements. On pourrait parfaitement imaginer un JdR uniquement constitué de suites de combats et qui produirait un récit au final. Anne : Si on part de cette définition extrêmement large et qui – je tiens à le préciser – n’est pas celle de tout le monde, il reste à souhaiter qu’on ne fasse fuir personne… Assume, LG !

1. Note des éditeurs : le désaccord porte ici sur le fait de savoir si ce qui est construit par l’ensemble de la table lors d’une partie de JdR est un récit ou pas. La définition de référence est celle de Gérard Genette, mais ses théories nécessitent des adaptations pour s’appliquer aux spécificités du JdR, ce qui donne lieu à plusieurs interprétations. De notre côté, nous avons eu effectivement maintes fois l’occasion de défendre l’idée qu’il n’y a pas ou peu de récit lors d’une partie de JdR. Cependant, si la table part effectivement du principe qu’elle va jouer aussi pour découvrir ce qui va se passer, nous pensons que cette distinction n’a que trop peu d’implications concrètes pour être débattue dans le cadre de ce recueil.

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Anne : Donc prenons ceci en hypothèse, je ne dis pas que je suis d’accord avec l’idée, mais j’accepte de la tester. Na. Partant de là, ce serait quoi de faire du bon roleplay ? LG : Déjà, on peut essayer de lister un peu ce qui n’est pas du bon roleplay, assez objectivement. Parce que le bon, c’est déjà plus compliqué. On essaye une définition en creux ? Anne : Pour commencer, certes. Mais il faudra du « plein » à un moment donné, on a été sollicités pour ça, hein ! Bon, j’entame les hostilités : bien jouer ou « roleplayer », pour moi, c’est ne pas se comporter de manière irrespectueuse à la table de jeu. Et par respect, je pense surtout à celui de la parole des autres. À titre personnel, j’ai horreur des joueuses qui monopolisent la parole, l’attention du MJ et qui, par voie de conséquence, phagocytent le jeu des autres joueuses. LG : Ou de celles qui, en continuant à suivre leur pensée pendant que les autres interviennent, interrompent soudain le jeu pour poser une question qui n’a rien à voir ou expliquer la prochaine action de leur personnage… Anne : Oui, voilà. En gros, des joueuses qui sont uniquement focalisées sur leur personnage, leurs actions individuelles, au point de négliger le fait d’avoir une vision d’ensemble de la partie – voire de « décrocher » complètement de ce qui se passe une fois que leur tour de jeu est passé. LG : C’est essentiellement un problème de discipline, sans doute, mais aussi d’attention. En passant en mode « conseils » à ce sujet, il y a deux ou trois choses à dire, non ? Anne : Ouh là, c’est à moi de donner des conseils, là ? Pfff… LG : C’est toi la joueuse. Moi, je ne suis que MJ… Anne : Et vu le nombre de fois où je « maîtrise », genre une fois par année bissextile… Bref. Pour ma part, ce qui m’aide à me concentrer, c’est de m’occuper les mains. Sans sous-entendu graveleux, hein ! LG : C’est pas parce que t’es la copine du MJ… Anne  : Pire, sa femme… Donc, je sais que j’ai fait un peu halluciner Rafael et François1 la première fois qu’ils m’ont vue sortir mon bazar de broderie. En ce moment, je tricote. Mais faire de petites activités très manuelles et silencieuses de ce type – ou même comme un copain qui fabriquait sa cotte de mailles pendant les parties – ça m’aide vraiment à rester disponible auditivement. Les mains et les yeux sont occupés par quelque chose qui ne monopolise pas trop l’attention intellectuelle profonde, tout en permettant de me recentrer sur ce que j’entends. 1. Les auteurs de Bloodlust Metal. Colombeau Rafael, Lalande François, Grümph John, May Pierrick, Bloodlust Metal, John Doe, Jouy-le-Moutier, 2012.

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LG : Bah, ce sont les Lapins Marteaux qui vont devoir assumer… Mais du coup, une bonne joueuse, c’est quelqu’un qui fait du roleplay – et même du bon roleplay. Donc, qui fait du JdR. Ça te va ?

LG : Ça marche avec le dessin aussi, ou en faisant des tours avec des dés ou des sculptures de cire de bougie. Et puis, l’un des trucs qui est le plus puissant, c’est sans doute de prendre des notes un peu exhaustives. Bon, c’est aussi très fatigant, mais ça aide vraiment à rester dans le jeu. L’idéal est que tout le monde prenne des notes, notamment pour laisser la possibilité aux autres joueuses de poser le crayon le temps de jouer une scène qui demande un peu plus d’intervention directe, comme une discussion à bâtons rompus. Et puis, après, on peut fournir les notes au MJ pour que lui non plus ne perde pas le fil de sa campagne. Anne : Oui, c’est clair. Je ne prends pas nécessairement des notes « exhaustives », mais au moins de quoi pouvoir me remettre rapidement dans la partie à la séance suivante. Comme je ne joue pas toutes les semaines cette année, c’est parfois compliqué de s’y retrouver avec une interruption de six semaines… Et d’ailleurs, je préfère écrire à la main, plutôt que sur PC. LG : C’est vrai que les écrans – ordinateur ou tablette ou smartphone – ce sont des fenêtres vers ailleurs. Les écrans exercent une fascination que n’a pas le papier, même pour prendre des notes… Ça éloigne de la partie et donc du roleplay. Anne : Tu m’enlèves les mots de la bouche ! Pour rester « connecté » dans la partie, il faut déconnecter du reste… J’ai trop de souvenirs de camarades qui finissaient par ne plus participer à force de plonger dans leur écran en attendant leur « tour de jouer » à table… LG : Ces histoires de discipline et de respect, c’est donc en partie une histoire de concentration sans doute. Et puis, des fois, c’est un bête souci d’immaturité. Le côté satisfaction immédiate des désirs, sentiment de toute-puissance – la joueuse le cul dans sa chaise, mais son personnage capable d’accomplir des trucs de oufs. Bref, le concours de bites dans toute sa diversité. Anne : Oui, je vois. Et ça vaut pour les hommes et les femmes ! La montée de testostérone mal placée n’est pas réservée aux garçons, ni l’incapacité à gérer la frustration. LG : Pour prendre une analogie, j’aime bien imaginer que le MJ est une sorte de vague. Les joueuses lui ont indiqué la direction qu’elles voulaient prendre et il leur revient de mettre leur planche de surf dans le bon sens pour accompagner et renforcer cette vague. D’une manière plus générale, on peut même admettre que la vague, c’est la façon dont toute la table, collectivement, a envie de jouer. Et le MJ, joueuse comme les autres, doit lui aussi mettre sa planche dans le bon sens. Si une joueuse commence à pagayer n’importe comment, à faire tomber ses camarades (ou le MJ), à leur mettre la tête dans le corail ou à essayer de les noyer, forcément rien ne va plus… C’est pas du Mad Max, que diable ! Anne : C’est clair. Donc un conseil : ramène ta planche et mets-la dans le bon sens ? LG : Je ne suis pas certain que ce soit très utile autour d’une table. Surtout en Mayenne. Mais oui, les joueuses doivent, je pense, mettre du leur pour que ça farte.

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Anne : Bref, évitons la compétition entre joueuses1 pour éventuellement favoriser celle entre les personnages, si le jeu s’y prête… LG : Et que tout le monde est d’accord – pas simplement l’une des joueuses qui met son personnage en compétition contre tous les autres, unilatéralement. Plus largement, ça s’applique aussi à la compétition avec le MJ. On trouve souvent des conseils pour ce dernier, lui rappelant que ce n’est pas parce qu’il interprète les méchants et l’adversité en général qu’il est pour autant l’adversaire des joueuses. Il me semble que le même conseil s’applique aux joueuses. Ce n’est pas parce que leurs personnages sont là pour emmerder les gentils figurants du MJ et remettre en cause leurs plans millénaires que les joueuses doivent emmerder le MJ de la même manière. Anne : En revanche, cela n’empêche pas d’avoir l’un des personnages qui serve de « fer de lance » pour le groupe. Genre le PJ qui est le « héros » et les autres qui sont les « compagnons du héros ». LG : À la Buffy, quoi… Anne : Exactement. Un PJ peut avoir plus de « pouvoir » que les autres, cela n’autorise pas la joueuse à faire sa diva. LG : Oui, j’ai eu le souci dans les premières conventions où je menais. J’avais un prétiré qui avait un badge et un flingue, quand tous les autres PJ étaient de simples civils… ça ne s’est jamais bien passé. J’ai toujours constaté des abus de pouvoir et depuis, c’est fini. Je garde ça pour les parties où je connais bien les joueuses. Anne : Donc les tables où le groupe a déjà atteint un certain équilibre, et où chacun sait ce qui plaît ou ne plaît pas à l’autre. Car certains adorent interpréter, partir dans de grandes envolées d’improvisation, décrire un geste en plein combat, quand d’autres préfèrent rester en « fond de cour » pour assurer juste au moment utile les jets déterminants en baston, en enquête, sortir l’accessoire ou l’information-clé… sans souhaiter en passer par des paroles interprétatives ou descriptives développées, ni même par une multiplicité d’actions au cours d’une même séance. LG : Ceux que Croc2 appelle les « sentorettes ». 1. À ce sujet, consultez également l’article « Coopérer et Rivaliser », p. 149. 2.Célèbre auteur de JdR français (INS/MV, Bitume, etc.)

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C’est aussi, un peu, le boulot du MJ. Je me suis retrouvé il y a peu dans la situation d’accueillir une nouvelle joueuse dans un groupe déjà très bien constitué. Forcément, il a essayé de faire sa place d’entrée de jeu et ça aurait pu tourner au concours de bites. Mais on a réussi, en désamorçant la situation par un peu d’humour et surtout une mise en perspective immédiate, à conserver cette petite compétition au niveau des personnages tandis que les joueuses, beaucoup plus détendues, prenaient le tout avec pas mal de second degré. Il faut toujours essayer de remettre les choses dans une perspective vraiment ludique, me semble-t-il, pour éviter que ça monte à la tête des joueuses elles-mêmes.

Anne : Oui, voilà. Si on reprend ta définition de roleplay, on voit bien ici l’élargis­ sement possible. Une joueuse – dans laquelle je me reconnais fortement – qui est peu encline à l’impro théâtrale, à l’investissement émotionnel ou au partage d’autorité, ferait donc aussi un bon roleplay, dans la mesure où ses interventions, quoi que très ponctuelles et avares d’interprétation « pure » du personnage, font avancer le schmilblick. Et ça lui convient, elle est contente tout pareil. LG  : Tout à fait. Du moment que les actions du personnage sont pertinentes et cohérentes pour l’avancée du récit, quel que soit le chemin que celui-ci emprunte, il me semble qu’on a du bon roleplay. Pas besoin d’en rajouter sur le drama… Anne : … si le drama ne convient pas à la joueuse en question. C’est affaire de sensibilité, finalement. LG : Mais ce n’est pas moins roleplay. Anne : Dans un cas comme dans l’autre, que ce soit celui de la joueuse très extravertie et avide d’émotions fortes, ou celui de la joueuse « sentorette », l’important est de respecter le plaisir des autres, et donc d’être attentif à tout ce qui peut être stimulant pour le récit. LG : Attentif à tous les apports provenant de multiples sources : de l’univers, du MJ, des autres joueuses, des personnages, des figurants, des situations, des évènements, du jeu constant des causes et conséquences. Comme toutes les joueuses, MJ compris, collaborent à l’élaboration d’un récit, avec sa part de conflits internes et de coopération, de bagarres et de négociations, de découvertes et de transformations, de curiosité et d’entêtement, toutes doivent s’aider et s’épauler, d’une certaine manière. Ce n’est pas forcément se placer en dehors du jeu pour contempler nos propres attitudes comme si on se tenait derrière notre propre épaule, mais c’est tout bêtement mettre du sien, oublier son ego dans le fond de sa poche et partager un bon moment avec des amis. Encore une fois, finalement, l’objet du JdR, c’est le récit. Anne : Pour resituer rapidement, c’est « récit » dans un sens un peu particulier, quand même. Je pense très fort à Gérard Genette quand j’emploie ce mot en JdR. En gardant bien à l’esprit que c’est une notion de théorie de la littérature, et donc qu’elle nécessite un peu d’aménagement pour s’appliquer à l’objet JdR, le récit désigne alors tout ce qui se passe autour de la table au cours d’une partie, et qui concerne directement cette partie. J’envisage donc à peu près tout sauf les enfants qui viennent réclamer un goûter, la pause-clope ou la digression sur le dernier film vu… J’y mets aussi bien les interprétations dialoguées, les jets de dés, les discussions entre joueuses pour monter une stratégie afin de coincer le « boss de fin de niveau », les descriptions de lieux, de personnages… Absolument tout ce qui concourt à l’avancée de la partie et qui a été acté et validé par l’ensemble des joueuses, MJ inclus, et sur lequel personne ne reviendra. En d’autres termes, tout ce qui a été joué et effectivement retenu par consensus.

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Anne : Ah oui, oups… LG : Une bonne joueuse, elle va être attentive à ce qui est dit et validé à la table – ou en cours de validation. Parce qu’elle est partie prenante de cette validation. Elle doit donc être plutôt concentrée mais capable aussi de se décentrer. Elle doit participer à la cohérence du récit ; elle doit, en quelque sorte, sentir la vague et l’accompagner. Elle doit être à l’affût des idées et des propositions des autres joueuses, pour pouvoir placer les siennes de manière opportune, sans couper la parole mais sans non plus se laisser bouffer par plus grande gueule qu’elle. Anne : Oui, mais ce n’est pas évident pour certaines joueuses de s’imposer face à d’autres plus à l’aise oralement. Il me semble que le MJ a un rôle potentiellement déterminant à ce sujet. Pour ma part, j’attends du MJ qu’il soit capable d’avoir une vision d’ensemble de sa table de jeu, et qu’il veille à ce que chaque joueuse ait « son moment de gloire », sa place à la table. Même si j’ai appris à gueuler pour maintenir la concentration de la table, ou pour que je puisse finir mon tour correctement… Mais ce n’est pas un plaisir du tout de devoir rembarrer quelqu’un qui empiète sur mon intervention de jeu ou qui fait trop de bruit pour pouvoir me permettre d’écouter une autre joueuse, j’attends un peu de soutien de la part du MJ dans ces cas-là. LG : Il doit distribuer la parole si les joueuses n’ont pas l’autodiscipline suffisante ou s’oublient, en quelque sorte ? Anne : Oui, voilà. J’aime bien comparer avec le boulot de prof – enfin, dans certaines limites quand même… Quand tu fais cours à une classe, tu as un collectif à gérer. C’est ton boulot de prof de garder un œil sur tout le monde, de faire en sorte que l’élève qui veut intervenir dans le cours puisse le faire, et que les autres l’écoutent. Donc tu dois être prêt à ramener le silence, encourager celui qui souhaite proposer quelque chose et l’écouter tout en regardant le visage des autres. Le non-verbal est important aussi. LG : Donc, il ne faut pas que le MJ tricote ou fasse des piles de dés ! Anne : Ah ben non, et pas de jeu online en même temps non plus… Non, tu ne joueras pas à 2048 pendant que tu maîtrises ! LG : Quelque part, j’aurais aussi tendance à dire que les joueuses elles-mêmes peuvent s’efforcer de faire ce travail de distribution de la parole. Je me rappelle d’une partie 1. Depuis 2013, la convention suisse Orc’idée organise des conférences sur la théorie rôliste et diffuse ensuite les vidéos en ligne. De nombreux contributeurs de la collection Sortir de l’auberge ont déjà eu l’occasion d’y intervenir. En 2014, John Grümph y a notamment fait une présentation intitulée « Structure et improvisation en bac à sable ». Les vidéos sont disponibles à cette adresse : https://www.youtube.com/watch?v=gy0rtNYpT_A

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LG : C’est un poil plus approfondi que ce que j’avais expliqué dans la conférence à Orc’Idée1, mais à l’époque, on commençait juste à développer ces idées-là… Du coup, on peut avancer encore un peu, non ? Si roleplay égale participation, création et développement du récit, est-ce qu’on peut trouver des conseils un peu pertinents pour ça ? Parce qu’on est payé pour ça, quand même, au final…

de convention, il y a quelques années, avec Ange-Gardien1. Il incarnait un chaman gobelin tout nu et très extraverti (c’était du GV&M2). J’ai eu un peu peur au début, mais il a été incroyable, distribuant sans cesse la parole, relançant les uns et les autres, permettant à toutes les joueuses de briller chacune leur tour. D’accord, il était grande gueule et dynamique, mais toujours avec un énorme respect de tout le monde, MJ compris. Non seulement ce fut du pur plaisir, mais j’ai beaucoup appris de cette partie. Anne : Toutefois, le MJ et les autres joueuses doivent aussi respecter le silence, le retrait, la timidité et les réserves. C’est contre-productif « d’obliger » une intervention, il faut réussir à saisir le moment où une joueuse semble avoir une idée sur le bout de la langue3. LG : Du coup, une bonne joueuse est force de proposition. Une bonne joueuse, c’est bien entendu celle qui définit les grandes orientations stratégiques du groupe – en gros, celle qui est super dynamique, proactive, hyper au taquet dans l’ambiance et la cohérence et super copine avec toutes les autres joueuses parce qu’elle est trop gentille ! Mais la joueuse plus silencieuse, plus en retrait, qui trouve des solutions pratiques « ah oui, j’ai de la corde et un grappin dans mon sac », qui rappelle des détails cruciaux, mine de rien, alors qu’elle se tait le reste du temps, qui analyse les réseaux relationnels, même si elle ne s’y implique pas, et qui fait de son personnage une éminence grise est aussi une bonne joueuse, bien trop souvent méconnue. Anne : En fait, cette seconde joueuse est complémentaire de la première qui serait « la joueuse extravertie », et qui elle se charge des interactions directes avec les PNJ, par exemple. Petit conseil à ceux qui se reconnaissent dans le modèle « discret » : spécialisez votre personnage, regardez ce que les autres plus « grande bouche » ont déjà visé, et faites-vous une place avec LE truc qu’ils sont incapables d’accomplir. Œuvrez pour que votre personnage soit le meilleur du monde dans ce domaine : insertion garantie à la table de jeu, même le plus Gros Bill de service sera obligé de se taire pour vous laisser agir. Bon, ici je n’ai rien inventé, c’est une copine très occasionnellement joueuse qui m’a confié que ce conseil lui aurait bien servi si on le lui avait donné dès le début. Cela lui aurait évité d’avoir des personnages à côté de la plaque, inutiles à la table (du moins c’était son sentiment), parce que les autres savaient faire en mieux ce que son personnage polyvalent mais très moyen avait sur sa feuille4. LG : D’autres choses à dire ? Anne : Euh… À quelle heure la prochaine partie ? LG : Bon, reste à espérer que les Lapins Marteaux (et leurs lecteurs) vont se satisfaire de ces élucubrations. Quelle question « peau de banane », quand même : c’est quoi une bonne joueuse ? 1. Co-auteur du jeu ci-dessous. 2. Grümph John, Ebatbuok, Guerriers, Voleurs et Magiciens, John Doe, Jouy-le-Moutier, 2007, goo.gl/cZKxCH 3. À ce sujet, consultez également l’article « Créer du jeu pour les autres », p. 179. 4. À ce sujet, consultez également l’article « Faire d’un incapable un héros », p. 245.

CRÉER

Créer un personnage



Coralie David

M

ême si certains jeux, comme Microscope, fonctionnent autrement, ou qu’il soit souvent possible de faire appel à des prétirés, la création de personnage est presque toujours un passage obligé avant une partie de JdR. Que vous redoutiez ou appréciez cette étape, elle est à plus d’un titre fondamentale et compte pour beaucoup dans le plaisir que vous éprouverez durant le reste de la partie. Comme vous pouvez facilement l’imaginer, il s’agit d’un sujet bien trop vaste pour être traité intégralement en un seul article. Aussi, celui-ci abordera en priorité les principales questions à se poser durant cette étape, des aspects les plus techniques à l’éventuelle rédaction du background. Que peut-on proposer ? Faut-il aborder cette étape avec ou sans les autres joueuses ? Faut-il préparer les germes de conflits à venir dès ce stade ? Vaut-il mieux partir d’un concept clair, très tranché, ou l’affiner au fil des séances ? Quels sont les pièges à éviter ? Quelle est la démarche à privilégier selon les fonctions attendues du personnage ? Cet article correspond donc à une sorte de tronc commun dans lequel nous vous encourageons à piocher en fonction de vos besoins en matière de création de personnage. Ainsi, si vous êtes dans une optique old school, vous choisirez probablement de ne pas vous encombrer avec la rédaction d’un background. En revanche, si vous voulez plus spécialement développer la personnalité de votre alter ego, ou le créer de façon à ce qu’il vous échappe durant la partie, nous vous conseillons respectivement la lecture

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des chapitres « Interpréter un personnage » p. 69 et « Se laisser surprendre » p. 277. De même, l’article « S’approprier un jeu » p. 209 devrait vous aider à approfondir le sujet, et ceux de la troisième partie de ce recueil à définir des types de personnages bien précis.

La création technique Un mot d’ordre : repérez et intégrez les codes du jeu ! Si nous avons parfois tendance à résumer la création technique aux meilleurs choix tactiques ou à celui d’une spécialisation (combat, de pilotage, discrétion, etc.), cette étape est aussi une façon de s’approprier les codes du jeu. Montrez ce que vous voulez jouer 

Généralement, le MJ nous a rapidement expliqué ce que l’on allait jouer, mais la fiche de personnage révèle de précieuses informations complémentaires à ce sujet. Les éléments qu’elle met en valeur ou qui font l’objet d’un « sous-système » ont de grandes chances d’être très importants. Nous entendons par sous-système des mécaniques dédiées spécifiquement à une capacité ou un type précis de situations : les coursespoursuites dans C.O.P.S.1, la magie dans Ars Magica2. Repérer ces sous-systèmes particuliers vous permet de vous concentrer sur l’essentiel. Dans de nombreux jeux, tous les éléments qui mesurent ce que votre personnage sait faire (compétences, talents, attributs, caractéristiques, etc.) sont un autre moyen d’en repérer les aspects centraux. Avant même de vous demander si vous allez spécialiser votre personnage, attardez-vous sur ce que l’on vous propose. Par exemple, la première édition de L’Appel de Cthulhu3 emprunte le système de RuneQuest4, le Basic Role-Playing, et le modifie : on passe d’un jeu épique de fantasy à un jeu fantastique horrifique, cela se traduit de façon très visible sur la feuille de personnage. On peut citer l’ajout de la santé mentale bien sûr, mais aussi la disparition de l’armure (décomposée pour pouvoir gérer la localisation des dégâts) et surtout l’ajout massif de compétences liées au savoir (archéologie, botanique, linguistique, etc.) là où RuneQuest les rassemble toutes en une seule, knowledge (connaissances), même si cela change dans les éditions ultérieures. On retrouve bien le postulat de base du jeu : dans L’Appel de Cthulhu, les personnages sont a priori des intellectuels plus habitués à utiliser leur savoir que leurs armes, ce que l’on comprend à la simple lecture de la fiche de personnage, même si le système de jeu n’est pas censé changer dans les grandes lignes. 1. Amirà Alexandre, Attinost Benoît, Beney Jean-François, Benoist Nicolas, Bousquet Charlotte et autres, C.O.P.S., Asmodée Éditions Siroz, Buc, 2003. 2. Rein.Hagen Mark, Tweet Jonathan, Ars Magica, Lion Rampant, Northfield, 1987. 3. Chodak Yurek, Henderson Harry, Krank Charlie, Perrin Steve, Petersen Sandy, Stafford Greg, Tadashi Ehara, Swenson Anders, Willis Lynn, Call of Cthulhu, Chaosium, Oakland, 1981. La version française la plus récente est la septième, éditée en 2015 par Sans-Détour Éditions. 4. Perrin Steve, Stafford Greg, RuneQuest, Chaosium, Oakland, 1978.

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Dans le même ordre d’idées, si les personnages sont caractérisés par des pouvoirs ou des capacités spéciales, cela vaut le coup de s’y attarder. Qu’ils soient présentés par de longues listes (Icons2) ou au contraire une mécanique plus lâche permettant de les créer (Humanydyne3), ils sont généralement ce qui distingue un PJ de la plupart des PNJ, voire des autres PJ. D’une façon ou d’une autre, ils sont par conséquent au cœur de ce que l’on nous propose de jouer. En résumé, demandez-vous ce qui ressort sur la fiche de personnage. Ce sont probablement les principaux points techniques sur lesquels vous aurez à positionner votre personnage. Réfléchissez également au type de situations auxquelles vous souhaitez le voir être confronté, les sous-systèmes qui vous plaisent, les aspects saillants qui vous inspirent. À partir de là, faites vos choix en toute connaissance de cause. Vous voulez des combats ? Faites un guerrier ! Montrez au MJ ce que vous avez envie de jouer. Ce qui vous intéresse dans Shadowrun4, c’est ce qui est lié à la matrice ? Créez le personnage pensé pour. Le MJ le verra et pourra vous proposer des situations intéressantes où la matrice aura une place centrale. Singularisez vraiment votre personnage

Les systèmes de création de personnage où l’on répartit des points sont désormais bien plus courants que ceux où l’on détermine aléatoirement ce que sera notre futur personnage. Aussi, nous avons tendance à naturellement privilégier la complémentarité au sein du groupe, que ce soit pour des raisons d’efficacité ou de répartition équitable des possibilités d’actions « utiles » ou gratifiantes.

1. Davis Graeme, Dowd Tom, Greenberg Andrew, Rein.Hagen Mark, Stevens Lisa, Wieck Stephan, Wieck Stewart, Vampire: the Masquerade, White Wolf, Stone Mountain, 1991. 2. C iechanowski Walt, D avie Morgan, K enson Stephen, Skarka Gareth-Michael, Icons, Adamant Entertainment, 2010. 3. Favre Willy, Heylbroeck Julien, Humanydyne, 7éme Cercle, Anglet, 2006. 4. Babcock III L. Ross, Charrette Bob, Dowd Tom, Hume Paul, Lewis Sam, Weisman Jordan, Wylie Dave, Shadowrun, Fasa Corporation, Chicago, 1989.

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Si cet exemple, pour le rendre plus parlant, compare deux versions d’un même système de règles, il est évident que dans la plupart des cas, vous n’avez pas besoin de vous livrer à un tel exercice comparatif et qu’il suffit de regarder la fiche de personnage en elle-même. Dans Vampire : la Mascarade1, les caractéristiques sont présentées en trois blocs de trois (physique, social et mental), laissant penser qu’il s’agit de modes d’action d’importance et d’efficacité égales. Toutefois, si vous vous penchez sur les compétences, vous découvrirez deux fois plus de compétences liées aux interactions sociales (commandement, empathie, étiquette, expression, intimidation, représentation, subterfuge, politique) qu’au combat (armes à feu, bagarre, esquive, mêlée). Cela n’empêche pas de faire des combats intéressants, surtout lorsque certaines disciplines entrent en scène, mais ce déséquilibre reflète la volonté d’avoir un jeu tourné vers la politique.

Discuter avec le reste du groupe Si vous passez par une phase de création de groupe comme il en existe dans Tenga1 par exemple, vous allez forcément définir vos personnages ensemble. De même, si vous choisissez d’avoir des personnages complémentaires, vous allez devoir vous mettre d’accord afin d’éviter de vous retrouver avec trois spécialistes de l’École du feu et un soigneur, mais sans guerrier. D’une façon générale, cette conversation préalable est un moyen de se positionner dans le groupe et de réfléchir à la façon dont chacun va singulariser son personnage. C’est aussi l’occasion de décider de la manière dont les PJ se sont rencontrés et des rapports qu’ils entretiennent. Cela leur permet de commencer la partie avec des relations plus vivantes et génératrices de jeu. Toutefois, cette mise à plat n’est qu’une possibilité parmi d’autres. Il est parfois tout aussi intéressant d’en dire le moins possible avant la partie pour se laisser le plaisir de la découverte. N’hésitez pas à solliciter le meneur, notamment pour éviter les incohérences ou pour s’assurer que ce que vous décidez n’aura pas d’impact négatif sur les autres joueuses. Par exemple, vous pouvez ainsi imaginer que votre PJ a été marqué par une promesse que lui a faite un autre personnage, mais que ce dernier n’en a aucun souvenir car il a abusé de l’herbe à pipe. Vieilles querelles, souvenirs oubliés et autres anecdotes apparemment insignifiantes peuvent enrichir la partie et régaler les autres joueuses.

La spécialisation des personnages est devenue une norme. Pourtant, nous aurions parfois intérêt à la remettre en question. Elle a pour point positif que chaque joueuse peut profiter des avantages d’un groupe équilibré et qui travaille de concert : efficacité dans les confrontations, élaboration de tactiques simples à appréhender, etc. C’est aussi un bon moyen de rapidement définir un personnage, surtout lorsque celui-ci n’a pas d’autre vocation que d’être un simple pion, un outil pour agir. Par contre, elle a pour défaut de produire essentiellement des personnages unidimensionnels, qui peuvent avoir tendance à se ressembler et à ne laisser que peu de place à l’investissement émotionnel, générateur à la fois de plaisir d’interprétation et d’intérêt dramatique. C’est pour cela qu’à moins de jouer dans un mode de jeu qui favorise le personnagepion, ne limitez pas les singularités de votre PJ à sa spécialisation. Gardez à l’esprit qu’il est certes un outil, mais pas seulement. C’est ce qui lui donnera de la substance. D’un point de vue technique, dépensez des points dans cette caractéristique qui vous intrigue, prenez cette compétence bizarre, imaginez un trait original et utilisez-le pour vous inspirer : votre hackeuse est peut-être passionnée de vieux rhums, votre rôdeur de légendes naines. Bref, osez opter pour ce paramètre qui, apparemment, ne cadre pas du tout avec l’archétype de votre personnage, a priori « inutile » ou contre-productif

1. Larré Jérôme, Tenga, John Doe, Jouy-le-Moutier, 2011.

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Ne négligez aucun paramètre

Couramment, les fiches de personnage comprennent des données que nous avons tendance à délaisser. C’est souvent le cas des paramètres n’ayant aucun impact mécanique, et que l’on renseigne sans plus jamais en tenir compte par la suite (quand nous ne sautons pas purement et simplement cette étape), ou de ceux qui, malgré leur potentiel, sont réduits à une simple information technique. Ils varient d’une table à l’autre et aucun n’est universel, mais il en existe certains qui ont été notoirement déconsidérés : la nature et l’attitude à Vampire : la Mascarade, les lifepaths à Cyberpunk1, voire même l’alignement à D&D2 lorsqu’il est réduit à la capacité d’utiliser tel ou tel objet magique. Pourtant, tous sont intéressants pour peu que l’on prenne le temps de les définir et de se les approprier. La plupart de ces paramètres paraissent relativement insignifiants, voire anecdotiques. Si vous jouez un solo vétéran de plusieurs guerres corporatistes, peu vous importe que votre PJ ait grandi dans la rue ou chez ses parents, ou de l’âge de son premier flirt ? Et pourtant, vous pouvez vous servir de ces détails pour différencier des PJ dont les principales caractéristiques techniques sont identiques. Prenez quelques minutes pour y réfléchir et tentez d’anticiper, concrètement, ce que cela peut changer pour votre alter ego, le genre de réactions que cela pourrait provoquer chez lui, etc. Concentrez-vous sur les paramètres que vous jugez les plus inspirants, notamment parce qu’ils vous font sortir de votre zone de confort. Prenons l’exemple du paramètre lié au nombre d’enfants. Imaginez que votre solo ait une vie de famille et souhaite absolument préserver cette dernière, ou au contraire, qu’il ait abandonné la sienne et accepte ses missions pour financer les études de son fils qu’il ne connaît pas, ou parce qu’un de ses enfants a contracté une dette vis-à-vis d’un parrain local, etc. Bref, ce sont d’excellentes pistes pour singulariser votre personnage et autant d’amorces pour votre historique (voir p. 36). Si vous avez l’impression que vous jouez toujours vos PJ de la même manière, ces paramètres peuvent également vous être très utiles. En cours de partie, au lieu de répondre du tac au tac, réfléchissez rapidement aux réactions qu’ils pourraient induire. Par exemple, imaginons que vous avez l’habitude d’incarner des personnages aux 1. Fisk Colin, Friedland Dave, Moss William, Pondsmith Mike Alyn, Ruggels Scott, Cyberpunk, R. Talsorian Games, Berkeley, 1988. 2. Arneson Dave, Gygax Gary, Dungeons & Dragons, TSR, Lake Geneva, 1974.

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d’un point de vue tactique, mais qui vous donne immédiatement envie d’en savoir plus : comment un paladin peut avoir appris à faire les poches des passants, ou un barbare s’y connaître en histoire et parler cette langue venue d’un continent sur lequel il n’a jamais mis les pieds ? Sans tomber dans la caricature de l’inversion (être trop décalé, c’est aussi un cliché. On a déjà vu d’autres tueurs sanguinaires fans d’opéra), choisissez un (ou plusieurs) élément technique qui fera sortir votre personnage du lot.

réactions violentes et que vous avez choisi de créer un vampire à l’attitude fanatique mais à la nature d’ange gardien. Si votre premier réflexe est de vous en prendre à tout PNJ qui critique ce en quoi vous croyez, vous pouvez au contraire décider de montrer votre vraie nature, votre côté protecteur, et même d’aider votre détracteur. Plutôt que de décapiter ce jeune Ventrue arriviste, votre Brujah peut décider de le convaincre des bienfaits de la liberté, voire de l’anarchie, ou essayer de le libérer du joug des anciens qui prétendent l’aider mais ne font que l’asservir. Là encore, cela vous aidera à singulariser votre personnage et à rendre la partie plus intéressante pour les autres joueuses, à la fois parce que vous risquez de les surprendre en diversifiant votre jeu, et parce que vous renforcez la cohérence de l’univers en y ancrant encore davantage votre groupe. Toutefois, il vaut mieux garder à l’esprit que ces paramètres sont des outils et pas des carcans  : il est utile de les «  suivre  » dans un premier temps pour définir un personnage intéressant, puis probablement de les dépasser et d’aller contre eux pour faire évoluer votre personnage (et là aussi vous pourrez surprendre les autres joueuses), ou pour mettre en valeur un acte marquant1 : votre paladin peut-il toujours se prétendre loyal bon après que le groupe a décidé de laisser partir ce nécromancien ? Un personnage se crée tant qu’on le joue, et cette étape ne s’arrête pas après avoir complété votre fiche. Demandez-vous, pour tous ces paramètres, la façon dont ils pourront changer et en quoi cela sera important pour le personnage. De la même manière, interrogez-vous sur ce qui peut le pousser à vouloir aller contre. Par exemple, on peut imaginer de nombreuses raisons d’aller contre sa nature ou son alignement : tentations, points faibles, changement majeur dans sa vie, etc. (faites une petite liste informelle sur votre fiche). Ces données seront de bonnes sources d’inspiration pour le MJ et pour vous, car vous pourrez les utiliser comme les valeurs dans Tenga ou les passions de Pendragon2 : votre personnage sera transcendé s’il va dans leur sens, ou en partie paralysé s’il va contre. On peut même imaginer des conséquences mécaniques le cas échéant (en accord avec les autres joueuses). Connectez les spécificités de votre personnage

Une fois que vous avez déterminé les principaux points techniques singularisant votre personnage, imaginez les liens qu’ils entretiennent les uns avec les autres. Il s’agit de comprendre comment il a pu développer de façon cohérente tous ces éléments a priori inhabituels, que ce soit parce que les uns ont provoqué les autres ou pour toute autre raison. Par exemple, si votre hackeuse est amatrice de vieux rhums, vous pouvez expliquer que son professeur d’informatique qui l’a sauvée de la rue l’était lui-même, ou qu’elle est originaire des Caraïbes. La création technique n’est pas seulement un exercice tactique ou mathématique, c’est une source d’inspiration et un starting-block pour votre 1. À ce sujet, consultez également l’article « Développer un personnage au fil du jeu », p. 49. 2. Stafford Greg, Pendragon, Chaosium, Oakland, 1985.

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Si vous n’avez pas d’inspiration, essayez une contrainte avec une méthode aléatoire  : choisissez un élément singularisant votre personnage (score très élevé ou bas, spécialité, défaut ou qualité, capacité ou pouvoir spécial, ressource en grande ou trop faible quantité, etc.), puis lancez un D4. Comptez autant de paramètres saillants suivants que le résultat indiqué par le dé, et tentez de les lier avec celui que vous avez choisi initialement. N’hésitez pas à recommencer une ou deux fois, jusqu’à ce que vous soyez satisfait. Définir les liens de deux groupes de singularités devrait suffire pour obtenir l’effet d’enrichissement et de cohérence souhaité. C’est important de vous laisser des zones d’ombre dans le cas où vous souhaiteriez écrire un background, ou vous ménager des surprises1. Un troisième groupe devrait vous permettre de commencer la partie presque immédiatement, sans passer par la rédaction du background de votre personnage. Envisagez l’avenir

Lorsque vous créez votre PJ, pensez donc à son évolution, tant technique que dramatique : quels sont les paramètres que vous souhaitez développer, ou au contraire ceux qui ont vocation à rester figés ? Comment vous y prendrez-vous ? Selon les jeux, il n’est pas rare que certaines évolutions techniques ne soient permises que si elles ont une justification dans l’univers, comme RuneQuest qui exige que votre personnage trouve des instructeurs compétents, ou C.O.P.S. qui propose des stages pour obtenir des capacités spéciales. Parfois, il faudra aussi obtenir des réussites critiques ou échouer à des tests qui autorisent à cocher la compétence concernée pour essayer de l’augmenter à la fin de la partie. D’autres jeux, enfin, considèrent que le simple fait de vivre des aventures suffit à expliquer la progression. Quoi qu’il en soit, essayez d’anticiper ces évolutions et d’en parler avec le meneur. Proposez-lui des choses que vous aimeriez faire avec votre personnage pour le voir évoluer. Ces dernières peuvent donner lieu à des développements intéressants, voire à des scénarios à part entière. Voir un personnage changer d’alignement (le jeune noble obligé de commettre le pire pour récupérer son trône) ou de classe (le guerrier cynique obtenant à nouveau le droit de prendre des niveaux de paladin, etc.) peut être la récompense de tout un arc de la campagne, au cours duquel presque tout peut être remis en question (alliés et ennemis, possessions, etc.). D’un point de vue technique, il peut être assez frustrant de constater qu’un domaine dans lequel on souhaitait se spécialiser permet peu de possibilités d’évolution, que 1. À ce sujet, consultez également l’article « Se laisser surprendre », p. 277.

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imaginaire. Laissez vagabonder votre esprit pour lier tous ces paramètres, et n’oubliez pas les faiblesses : votre personnage a peut-être une perception bien supérieure à la moyenne car il a dû survivre par ses propres moyens dans une forêt hostile pendant des mois, c’est d’ailleurs à cette occasion qu’il a reçu cette blessure qui le fait boiter et lui donne un score d’agilité en dessous de la moyenne, ou qu’il hait le clan des Aigres-Lunes.

ce soit parce que vous avez atteint sa limite, ou tout simplement car le reste ne vous intéresse plus. Anticipez ces évolutions pour bien vous assurer que le personnage continuera à vous plaire sur la durée. Cependant, il est tout aussi judicieux de vous ouvrir des portes de sortie dès la création. Parfois, même en connaissant le jeu et ses règles, ce n’est qu’autour de la table que l’on s’aperçoit que certaines options ne nous plaisent pas autant que prévu. Ce n’est pas très grave dans le sens où tout le monde peut se tromper et que si vous le demandez gentiment, il est probable que le meneur et vos camarades accepteront que vous fassiez quelques changements (surtout si vous avez gardé quelques points de création de côté afin de les dépenser lors des premières séances). Par contre, cela sera très difficile à justifier en jeu si votre personnage ne sait faire qu’une seule chose et n’a jamais montré d’intérêt pour d’autres activités. Dans cette situation, on vous demandera certainement d’en créer un nouveau. En d’autres termes, évitez de vous enfermer dans un personnage trop spécialisé et laissez-lui des espaces pour que sa personnalité s’affine au fur et à mesure des parties. Gardez aussi à l’esprit qu’avant même la première séance toutes ces lignes peuvent bouger, notamment si vous choisissez de rédiger un background, comme nous allons le voir à présent.

La rédaction du background Un mot d’ordre : à vous aussi de faire jouer le MJ et les autres joueuses ! Rédiger un background n’est pas une étape indispensable à la création de personnage. Outre le fait que certains préfèrent jouer des archétypes que quelques mots suffisent à définir et d’autres façonner le personnage en jouant, cela reste un outil particulièrement utile. Un background bien écrit favorise l’immersion en nous aidant à entrer plus facilement dans la peau de notre personnage et en lui conférant de l’épaisseur. Il a aussi l’avantage de donner des indications de roleplay (réactions, registre de langage, accents, caractère, etc.). Cependant, rédiger un tel historique comprend des pièges à éviter et il arrive régulièrement d’oublier qu’il n’a pas pour unique vocation d’être plaisant à écrire, mais bien de répondre à des objectifs ludiques précis. Dans le cas contraire, il finit presque invariablement par tomber dans l’oubli et, avec de la chance, par n’être consulté que sporadiquement par le MJ pour peupler une quasi-ellipse entre deux aventures. Or, il peut être un outil efficace, utile à toute la table, tout au long de la partie. Voici quelques pistes. Définissez vos objectifs

Les backgrounds servent entre autres à définir les motivations des personnages, que ce soit pour les intégrer à la partie de façon crédible ou pour inspirer le MJ dans les défis qu’il leur proposera. C’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles il faut faire attention à ne pas résoudre tous ces objectifs dans l’historique, avant même que la partie ne commence. Dans le cas contraire, vous aurez sans doute 36

Or, il s’agit là bien souvent d’un objectif central, mais celui-ci concerne en réalité la joueuse. En effet, avant de commencer à rédiger, il est tout aussi important de définir vos propres objectifs. Nous y reviendrons p. 40, mais si ce texte doit être plaisant à écrire et à lire, il ne faut pas perdre de vue sa principale raison d’être : rendre la partie plus intéressante. Pour ce faire, il est utile de répondre à certaines questions avant de le rédiger, qui pourront même devenir des lignes directrices lors de l’écriture, à la manière d’un plan. Posez-vous la question suivante : dans cette partie1, qu’est-ce que j’ai envie de jouer ? Qu’aimerais-je faire  ? Où voudrais-je aller  ? Quels liens pourrais-je imaginer entre mon personnage et les autres ? Comment l’intégrer à l’univers ? Quels sont les types de conflits (au sens large) auxquels je souhaiterais être confrontée ? Quelles informations veux-je faire passer dans mon background, et comment ? En quoi sont-elles un moyen de rendre la partie plus intéressante pour tout le monde ? Si ce changement de perspective peut sembler inhabituel et difficile à adopter, il vous obligera à prendre un certain recul, utile pour obtenir un background qui renseignera bien mieux le MJ sur le type de parties que vous souhaitez jouer. Mais ne vous contentez pas de le lui montrer après coup. Dans le cadre où vous ne faites pas déjà une session zéro avec les autres joueuses, assurez-vous d’en parler avec lui avant. Cela permettra d’aligner vos objectifs avec ceux du reste de la table. L’idéal est de poser quelques questions du type : où est-ce que tu as besoin que nos personnages soient au tout début de la partie ? À quelle période commençons-nous ? Est-ce qu’il existe des choses (lieux, pouvoirs, factions, origines, etc.) que tu souhaiterais voir utilisées ou que tu veux absolument éviter ? Est-ce que l’on peut être lié à des personnages officiels ? Est-ce que tu veux que l’on fasse tous partie d’une même organisation ou au contraire qu’on en soit tous ennemis ? Est-ce que tu veux qu’on fasse des personnages nomades ou très attachés localement ? Est-ce qu’il y a des domaines autres que leurs spécialités évidentes où tu voudrais qu’ils s’y connaissent ? Ses réponses vous aideront à viser juste et joueront certainement le rôle de contraintes créatives stimulantes. Décrivez moins, problématisez plus

En caricaturant, de nombreux historiques de personnages pourraient se résumer à : ma guerrière elfe s’appelle ainsi, elle est née là-bas dans une famille noble ou d’une autre classe sociale, elle a deux frères dont un a disparu, elle est redoutable avec tel type d’armes, est férue de connaissances de tel domaine magique et d’histoire, elle cherche à retrouver son frère et à se venger des torts causés à sa famille avant de devenir une 1. À ce sujet, consultez également l’article « Rendre les choses personnelles » dans Mener des parties de jeu de rôle, p. 264.

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une superbe origin story, mais plus aucun conflit ou enjeu pour propulser votre personnage dans la campagne à venir.

puissante combattante et de conquérir le trône qui devrait lui revenir de droit quand elle reviendra dans son pays. Ajoutez éventuellement une prophétie en option, ainsi qu’un vieux maître sénile ou un ennemi juré très méchant. En d’autres termes, on y retrouve principalement les éléments suivants : origines, objectifs, moyens d’action et opposition. Si ces quatre notions devraient apparaître dans la plupart des backgrounds de façon claire et concise, nous avons parfois tendance à « nous écouter écrire », c’est-à-dire à trop décrire au lieu de problématiser. Il peut nous arriver de noyer les informations utiles dans un enrobage peu pertinent comparé aux objectifs du texte. Il n’est pas impossible que savoir que notre personnage s’occupait des brebis à la ferme de ses parents de 7 à 13 ans ait un impact sur la partie et la rende plus intéressante, mais cela reste à la fois si peu probable et pour un effet sans doute si limité, qu’il vaut mieux faire l’impasse sur ces précisions. Rappelez-vous qu’une bonne histoire et un bon jeu ont pour point commun de mettre en scène des conflits intéressants. Et ces conflits en germe, vous pouvez vous aussi en proposer : • en intégrant très clairement leurs différentes composantes. Autrement dit, en expliquant quels sont les problèmes du personnage, actuels ou à venir. La façon la plus simple de résumer un conflit, c’est en expliquant que quelqu’un pour qui on a de l’intérêt (un PJ, un PNJ charismatique, etc.) veut absolument quelque chose, et que quelqu’un ou quelque chose veut l’en empêcher. Cette opposition peut être interne au personnage (ses peurs, sa santé mentale qui se fragilise), externe, un personnage, la nature, un groupe, un élément surnaturel, etc. L’enjeu est plus ou moins ce qui se passe s’il n’obtient pas ce qu’il veut ; • en intégrant des zones de flou pour laisser le MJ s’en emparer et vous surprendre : à 11 ans, alors que je gardais les brebis de la ferme de mes parents, j’ai vu un faon entièrement blanc. Je l’ai suivi, et je me suis réveillé dans une grotte, une vieille épée à la main. Je l’ai toujours gardée et, parfois, j’ai l’impression qu’elle me parle ; • en intégrant, avec l’aide du meneur, des mystères et des surprises pour les autres joueuses, eux-mêmes porteurs des germes de leurs propres conflits : à 11 ans, alors que je gardais les brebis de la ferme de mes parents, j’ai sauvé un petit garçon de la noyade. Ses parents sont arrivés et me l’ont arraché des bras, car je n’étais « qu’une sale elfe ». Par conséquent, je ne leur ai pas révélé que j’avais vu son grand frère pousser son cadet dans le torrent. En résumé, faites la chasse aux données trop neutres pour les transformer en graines de conflits à résoudre. Vous risquez d’être vous-même agréablement surpris lorsqu’ils resurgiront pendant la partie.

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Vous n’avez pas le temps ou pas l’envie de rédiger un background ? Contentez-vous de répondre à certaines de ces questions. Elles devraient amorcer la pompe et vous permettre d’aboutir à un passé qui portera quelques conflits intéressants. Évidemment, il faut faire votre sélection en fonction du jeu auquel vous jouez (âge, univers, connaissance ou pas des autres PJ, etc.). Rédigez des phrases courtes et, si vous êtes plus à l’aise ainsi, n’hésitez pas à transposer ces questions à la troisième personne du singulier. On parle ici du personnage. • Quelles sont vos origines ? Citez un cas dans lequel elles ont été un frein, et un autre dans lequel elles ont été une aide, et pourquoi. • Qu’est-ce que vous voulez ? Qu’est-ce qui vous en empêche ? • Quel est le rêve auquel vous avez renoncé ? Quel est celui que vous avez déjà réalisé ? • Qu’est-ce qui vous a amené à faire ce que vous faites aujourd’hui ? (Métier, vocation, etc.) Quel est votre plus grand regret par rapport à cela ? Votre plus grande satisfaction ? • Comment avez-vous développé vos compétences actuelles ? Qu’avez-vous (vous, ou vos proches ou un autre PJ) dû sacrifier pour les obtenir ? • Sur quel sujet ne supportez-vous pas que l’on fasse de l’humour ? • Que faites-vous particulièrement bien et en quoi êtes-vous le moins doué ? • Qui est la personne à qui vous avez fait le plus de mal ? Pourquoi ? • De qui se compose votre entourage et qui sont pour vous les personnes les plus importantes ? Pourquoi ? Parmi elles, qui vous déteste ? Qui vous adore ? Qui avez-vous déçu, qui vous a déçu ? Qui vous a récemment agréablement surpris ? • Qui cherchez-vous à impressionner, à qui désirez-vous plaire, quelles sont vos mœurs ? • Quels sont les principes ou les personnes que vous admirez et détestez le plus ? Pourquoi ? • Quels sont vos principaux traits de caractère, vos habitudes, vos craintes, vos espoirs ? Lequel vous a causé un tort irrémédiable ? Pourquoi ? Lequel vous a permis de réaliser quelque chose d’exceptionnel ? Pourquoi ? • Quel est votre problème ? • En quoi et en qui avez-vous le plus foi ? Quel est votre rapport à la religion, à la politique, ou au pouvoir ? • Quel est ce dont vous avez le plus honte ? Quel est ce dont vous êtes le plus fier ? • À quoi pensez-vous avant de dormir ? Pourquoi préférez-vous garder cela pour vous ?

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Un background en quelques questions

N’en dites pas trop, mais dites-le bien 

Rédiger le background de votre personnage consiste donc en grande partie à proposer des conflits et des ellipses à remplir au reste de la table pour que les autres joueuses s’en emparent et rebondissent dessus, si possible en vous ménageant de belles et intrigantes surprises1. À ce titre, n’ayez pas peur de mettre les pieds dans le plat, par exemple en insérant ce genre de commentaires dans votre historique : « j’ai passé ma famille sous silence ou presque et ai commencé par ma vie étudiante pour que tu puisses t’en emparer.  » Personne ne vous en voudra de privilégier la clarté pour le meneur à la qualité littéraire d’un texte que probablement personne d’autre ne lira. Ainsi, lors de la partie, vous serez aussi surpris que le reste de la table en apprenant que votre mère va épouser votre pire ennemi, en tombant sur le cirque familial qui fait justement escale en ville, ou si Luke, ce petit blondinet que vous avez embrassé, est en réalité votre frère. Si vous appréciez le partage de narration, vous pouvez même confier un de ces aspects à une autre joueuse. Parlons maintenant de la forme. En lisant le background de votre personnage, le MJ doit être intrigué par ce que vous lui proposez et avoir à la fois envie de se l’approprier pour l’enrichir, mais aussi de le faire jouer pour en découvrir le fin mot pendant la partie. C’est pour cela que, comme nous vous l’avons déjà dit, il est extrêmement important de ne pas céder à la tentation de tout résoudre à la fin de votre texte : il existe un gouffre entre écrire un background qui prend la forme d’une nouvelle et écrire une nouvelle. Vous êtes là pour ouvrir des portes et pour donner envie de s’y engouffrer, pas pour les fermer ni pour montrer à quel point votre personnage « a la classe ». Il n’y a évidemment aucun mal à vouloir prendre du plaisir à écrire son historique. Comme il n’y en a aucun non plus à faire en sorte qu’il soit agréable à lire. Cependant, il est nécessaire de bien garder en tête que ce n’est qu’un plaisant à-côté et non l’objectif premier de l’exercice. Un long background n’est pas automatiquement un bon background. De même, un background rédigé avec style n’est pas forcément un background clair, dont le meneur pourra se resservir un jeu. Aussi, voici quelques formats potentiels pour un background, avec leurs spécificités : • la chronique : il s’agit sans doute de la façon la plus classique de présenter l’historique de son personnage, à savoir la liste chronologique, presque mécanique, de ce qu’il s’est passé jusqu’à présent dans sa vie. Évidemment, si vous avez une vraie plume, vous allez sans doute réussir à rendre cela plaisant. Mais dans le cas contraire, fuyez. Cette forme est relativement simple à appréhender et risque peu d’aboutir à une réelle catastrophe, mais elle est facilement longue, ennuyeuse, et cache mal le fait que vous évoquiez tel ou tel épisode de la vie du personnage seulement pour justifier son score élevé en escrime. Paradoxalement, c’est aussi une de celles qui transmet le plus mal les informations qu’elle contient, car peu problématisée et sans réelle tension narrative, mais où il est le plus facile de les retrouver. 1. À ce sujet, consultez également l’article « Se laisser surprendre », p. 277.

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• la lettre, le mail ou les échanges sur les réseaux sociaux : c’est un instantané de la vie du PJ à un instant donné. De longueur et de contenu variables, il vous permettra d’insister davantage sur les objectifs présents du personnage (plus que son avenir ou son passé), et vos souhaits et objectifs en tant que joueuse. On retrouve par exemple ce format souvent employé sous la forme d’une invitation (réception, vente aux enchères, etc.). Il est notamment utile pour donner un point de vue très subjectif du personnage, qu’il soit auteur de la lettre ou pas, et d’introduire efficacement les PNJ de son entourage, ainsi que leurs relations. De plus, parce que les auteurs de ces échanges ne sont pas forcément fiables ni sincères, et parce que le contexte n’est que rarement détaillé, ce procédé laisse une marge de surprise et de retournements de situation tout à fait confortable. • la coupure de journal (sérieux ou tabloïd), la page Wikipedia, la chanson d’un barde, ou n’importe quelle autre source d’information publique à son sujet : ce format permet de présenter le contexte du personnage, la partie du monde à laquelle il est attaché ou associé, et l’impact qu’il a eu sur ses contemporains ou la façon dont ils le perçoivent. Choisissez ce format si vous n’avez pas envie d’écrire un texte très long et si vous voulez vous concentrer sur l’intégration du PJ à l’univers. Et si ce genre d’exercice vous amuse, n’hésitez pas à le mettre en page pour un effet garanti. 1. Blin J.P., « Nouvelle et narration au xxe siècle », in Alluin Bernard, Suard François, La Nouvelle : définitions, transformations, Presses universitaires de Lille, Lille, 1990, p. 116.

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• la nouvelle : vous pouvez rédiger une vraie nouvelle, mais en rajoutant aux contraintes de cette dernière celles liées au fait d’écrire un background, à savoir : intégrer des conflits, ouvrir des portes sans les refermer, atteindre les objectifs ludiques que vous avez fixés au préalable, introduire les origines, les buts, les moyens d’action et l’opposition de votre personnage, etc. Ce sont autant de « jalons » que vous allez devoir faire figurer dans votre nouvelle. Mais attention, celle-ci n’est pas qu’un texte court, c’est aussi  «  un récit, certainement, mais récit rapide, nerveux, incisif, sans temps mort, se hâtant vers une fin incluse dans les prémices1. » C’est pour cela que nous vous conseillons d’opter pour une seule scène (conversation, monologue, rêve, etc.). Partez d’une situation simple avec un objectif identifié dès le départ qui va vous servir à dérouler votre histoire et poussera le MJ à la lire avec plaisir. Vous le résoudrez à la fin, mais il n’aura pas de réelle importance. Il ne sert que de structure dans laquelle placer les jalons définis précédemment. L’interrogatoire constitue un exemple typique de ce procédé, que votre personnage soit interrogé ou interrogateur. Il est facile d’y intégrer des révélations surprenantes ou autres retournements de situation. Nous vous conseillons d’opter pour ce format si vous aimez écrire et si vous voulez vous concentrer sur la personnalité du PJ et son passé. Selon ce que vous voulez mettre en avant, vous aurez plutôt intérêt à choisir un point de vue « objectif » à la troisième personne, omniscient (le narrateur a accès à tout ce qui concerne le personnage, pensées et passé compris, et en sait plus que lui), ou externe (le narrateur décrit le comportement du personnage mais n’a pas accès à ses pensées).

• le dossier du personnel, le rapport d’un psychiatre, de police, d’un médecin, d’un espion ou d’un professeur, ou n’importe quelle autre source experte mais confidentielle où des PNJ évoquent le PJ avec un point de vue très particulier. Ce format est très efficace pour faire passer beaucoup d’informations en peu de mots (résumés, tableaux, listes à puces, faux formulaires, etc.). Il est également utile pour exposer votre personnage par petites touches, sous différents angles et points de vue1 (psychologique, criminel, professionnel, médical, etc.) sans vraiment le définir de manière objective et ainsi donner des idées au MJ.

Les pièges à éviter lors de la rédaction de background : • ne vous écoutez pas écrire ; • décrivez moins, problématisez plus ; • n’oubliez pas d’intégrer vos objectifs en tant que joueuse ; • gardez à l’esprit qu’un long background n’est pas automatiquement un bon background ; • pensez à intégrer des conflits, ouvrir des portes sans les refermer, à définir des objectifs, en résumé semez des jalons dont le MJ pourra s’emparer ; • ne remplissez pas toutes les cases, laissez des zones d’ombre pour être surpris ; • ne soyez pas trop autocentré, intégrez les autres PJ et le monde, vous ne vivrez pas l’aventure seul : soyez généreux, donnez du jeu aux autres, MJ et joueuses comprises.

Quelques autres pistes pour ajouter de l’épaisseur Après avoir vu comment gérer la création technique de votre personnage, puis comment rédiger son historique, voici quelques astuces supplémentaires pour lui donner du corps. Nous vous déconseillons de toutes les utiliser à la fois. Sélectionnez plutôt celle qui vous semble la plus opportune, selon ce qui vous semble manquer à votre table, le jeu auquel vous jouez et, bien entendu, vos envies. Ces techniques peuvent s’utiliser durant n’importe quelle phase de la création de personnage. intégrez votre personnage à l’univers et montrez-le

Si certains univers peuvent impressionner par leur richesse, rien ne vous empêche de vous les approprier progressivement grâce à votre background. Demandez au meneur 1. Quitte d’ailleurs à ce que ces points de vue s’opposent afin de pouvoir faire apparaître les conflits intérieurs, les contradictions ou les paradoxes de votre personnage.

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Prenons un exemple concret. Imaginons que vous jouiez à C.O.P.S. Vous pouvez vous renseigner sur les différentes communautés qui composent Los Angeles (issues du jeu ou pas). Vous pouvez ensuite lier votre PJ plus ou moins malgré lui à un « gang » au sens large : triades, milices religieuses, néonazis, etc.1 Renseignez-vous également sur le quartier dont il est originaire2. Sans pour autant écrire des pages de texte, n’hésitez pas à problématiser : en tant que femme latino-américaine, quelle est la plus grande injustice à laquelle votre personnage ait dû faire face ? Quels sont les préjugés qu’elle subit régulièrement ? Quel secret inavouable la lie à ce gang du quartier où elle a grandi ? Comment se fait-il qu’une flic bien sous tout rapport ait un frère chez les Hells Angels ? Quel est ce reste de tatouage qu’elle a essayé de faire disparaître ? Quel est l’endroit qu’elle préfère à West Hollywood, et pourquoi ? Quel endroit de son quartier a-t-elle toujours rêvé de voir partir en fumée, et pourquoi ? Quelle est la « figure locale » qu’elle apprécie particulièrement ? Mais intégrer ces informations à votre background n’est qu’une partie de l’exercice. Il vous reste ensuite à réfléchir à la manière de les transmettre durant la partie. Et là, il n’existe qu’un seul mot d’ordre : show, don’t tell ! À moins que vous ne soyez pressé par le temps ou que l’on vous pose une question demandant une réponse technique ou en mode transparence3, évitez le plus possible de dire directement les choses. Montrez les conséquences en jeu et donnez suffisamment d’indices aux autres joueuses pour qu’elles comprennent où vous voulez en venir. Glissez-les par exemple lors de la description de votre personnage  : tatouage, coiffure, façon de se mouvoir, véhicule, vêtements, etc. Dans Firefly, le grand manteau marron de Malcolm Reynolds donne énormément d’informations sur lui. Il montre notamment que c’est un ancien indépendantiste, mais aussi un « looser », un sentimental et quelqu’un en marge du système. Dans Le Trône de fer, G. R. R. Martin insère des informations sur les différentes forces en présence au cœur même de ses descriptions. Ainsi, ser Loras est notamment identifié par deux couleurs qui reflètent son ambiguïté vis-à-vis de la couronne : le blanc de la Garde royale, signifiant qu’il est désormais dévoué exclusivement à la protection du roi, et le « vert et or » (ainsi que sa broche en forme de rose), montrant néanmoins qu’il reste très attaché à sa famille. 1. Vous trouverez ces informations dans le supplément suivant : Attinost Benoît, Beney Jean-François, B enoist Nicolas, B ousquet Charlotte, C heilan Thomas et autres, Gangsta Paradise, Asmodée Éditions Siroz, Buc, 2003. 2. Vous trouverez ces informations dans le supplément suivant : Amirà Alexandre, Attinost Benoît, Beney Jean-François, Benoist Nicolas, Bousquet Charlotte et autres, Amitiés de Los Angeles, Asmodée Éditions Siroz, Buc, 2003. 3. À ce sujet, consultez également l’article « Se laisser surprendre », p. 277.

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quels textes lire pour en apprendre davantage sur les éléments de l’univers que connaît votre personnage (région d’origine, faction, etc.). Cela vous demandera un peu de travail, mais le jeu peut en valoir la chandelle. Non seulement cela vous aidera à camper une interprétation convaincante, mais vous assimilerez d’autant plus vite les codes du genre et les nouvelles informations apparaissant en jeu. Plus on connaît un univers, plus on prend plaisir à la parcourir et à le changer au fur et à mesure des parties.

Ce genre de détail pourra vous aider à intégrer votre personnage à l’univers de façon cohérente, mais aussi à le positionner subtilement dans certaines des problématiques qui agitent l’univers. Si vous jouez dans un monde ou tout est à construire ou presque (Oltrée1, Apocalypse World2), profitez-en pour créer librement vos propres pans d’univers. Enrichir les mondes déjà existants par ce genre d’apports peut être tout aussi intéressant et, si vous avez l’accord du MJ, ne vous en privez pas. Profitez-en également pour lier votre PJ au reste du groupe.

Créez tous ensemble un pan de l’univers Une autre solution pour donner énormément d’épaisseur aux personnages tout en s’appropriant le monde de façon progressive est d’en créer collectivement une partie. Depuis quelques années, de plus en plus de jeux proposent un réel univers mais intègrent cet aspect de création dans leurs règles. Cela permet aux joueuses de s’emparer de l’environnement des personnages, mais aussi de garder une forme cohérence et d’avoir de nombreuses choses à découvrir au fur et mesure du jeu. En guise d’exemple, voici ce à quoi pourrait ressembler une telle méthode pour la création d’un quartier qui servirait de décor quotidien aux PJ, que ce soit dans un univers médiéval ou plus moderne. Pour voir une méthode alternative, n’hésitez pas à comparer à celle de Watsburg3. Pour créer votre quartier, faites un tour de table en posant une des questions suivantes à chaque joueuse ainsi qu’à vous-même. Quand vous parlez d’un lieu ou d’un PNJ, indiquez-le sur la carte, si vous en avez une, ou dessinez-la au fur et à mesure. Selon le degré de détail que vous souhaitez, vous pouvez éventuellement faire plusieurs tours de table. Dans tous les cas, notez toutes vos réponses afin de les réutiliser plus tard. • Pourquoi ce quartier est-il spécial pour ton personnage ? • Décris-nous un lieu particulièrement dangereux de ce quartier. • Décris-nous une personne connue et/ou puissante de ce quartier. • Qu’est-ce que l’on trouve dans ce quartier et pas ailleurs, et qui pousse les gens à s’y rendre ? • Décris-nous un lieu super cool de ce quartier.

1. Grümph John, Oltrée !, John Doe, Jouy-le-Moutier, 2013. 2. Baker Vincent, Apocalypse World, Lumpley Games, 2010. 3. Croitoriu Michaël, Cuende François-Xavier, Ferrand Cédric, Larré Jérôme, Gardoches partout, Justice nulle part, Les XII Singes, Saint-Didier-au-Mont-d’Or, 2013.

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• Parle-nous d’un des derniers événements dont tout le monde parle dans le quartier. • Décris-nous un groupe criminel qui sévit dans ce quartier. • Quel est le lieu qui témoigne du riche passé de ce quartier ? • Quel est le plus gros problème de ce quartier ?

Créez des liens avec les autres PJ

Si vos personnages sont censés se connaître avant la première séance, la partie peut être plus intense si vous prenez la peine de vraiment penser leurs relations.

Ces jeux qui proposent des sous-systèmes pour les relations de groupe Voici plusieurs JdR qui comprennent des méthodes intéressantes pour créer des relations de groupe. Ils peuvent constituer de bonnes sources d’inspiration. • Mutant Year 01 : lors de la création de personnage, la joueuse définit les relations de son personnage avec les autres, en écrivant une phrase sur chacun d’entre eux. Elle coche ensuite la case buddy (pote) pour celui dont son personnage se sent le plus proche. Enfin, elle doit choisir un PNJ que son PJ hait, et un autre que son PJ souhaite réellement protéger. • Smallville2  : ce jeu propose un sous-système pour que les joueuses puissent cogénérer les lieux importants de la ville dans laquelle leurs personnages évolueront, en les définissant par leurs relations sociales. En même temps qu’elles créent leurs personnages, elles déterminent donc les relations que leurs PJ entretiennent entre eux et avec les PNJ, qu’elles créent également. Ce système permet d’aboutir à une carte des lieux et des relations, qui sont mises en tension par les joueuses. • Fiasco3  : les relations entre les personnages y sont déterminées aléatoirement, en se reportant à une liste selon le cadre et le résultat de jets de dés. Elles sont généralement regroupées en six catégories, par exemple : famille, travail, passé, romance, crime et communauté. Presque tout le reste est à définir par les joueuses, y compris les causes de ces rapports.

1. Bengtsson Peter, Birch Chris, Blixt Anders, Härestam Tomas, Johansson Thomas, Karlén Nils, Kostulas Kosta, Lites Chris, Mutant Year 0, Modiphius, 2014. 2. Banks Cam, Smallville, Margaret Weis Productions, Williams Bay, 2010. 3. Morningstar Jason, Fiasco, Bully Pulpit Games, Chapel Hill, 2009.

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• Quelle est la rumeur la plus folle, bizarre, effrayante ou improbable qui circule dans le quartier ? (Une rumeur par joueuse).

Dire que votre personnage apprécie l’un ou est en froid avec l’autre est intéressant, mais finalement assez limité. Voici une série de questions qui s’adressent à votre personnage ou au groupe pour donner un peu d’épaisseur à leurs relations : • Qu’est-ce qui vous rassemble ? Qu’est-ce qui a tendance à vous diviser ? • De qui êtes-vous secrètement amoureux ? • À qui ne pardonnerez-vous jamais un acte passé ? Lequel et pourquoi ? • À qui devez-vous une fière chandelle ? • Qui estimez-vous le plus dans le groupe ? De qui cherchez-vous à susciter l’admiration ? • Qu’est-ce qui pourrait vous pousser à quitter le groupe ? • À qui ou à quoi êtes-vous plus loyal qu’au groupe ? • Comment vous êtes-vous rencontrés ? • En trois mots, dites ce que vous pensez de chaque membre du groupe. L’objectif, ici, est de fournir aux autres joueuses des fondations sur lesquelles vous allez pouvoir développer des relations intéressantes. Celles-ci évolueront au fur et à mesure des parties, aussi ouvrez toujours une porte de sortie : ne rendez aucune haine définitive. Laissez par exemple une chance de rédemption, afin de ne pas commencer la partie avec un groupe déjà prêt à se séparer1.

CONCLUSION Ce chapitre vous a présenté quelques-uns des aspects centraux de la création de PJ, que ce soit en vous montrant comment aborder la partie technique, la rédaction de background ou en vous proposant des méthodes pour travailler encore un peu davantage l’épaisseur des personnages. Toutefois, comme la plupart des articles sur le sujet, il omet cependant un point fondamental : la création ne s’arrête pas avec le début de la partie. Cela peut sembler contre-intuitif, mais c’est au contraire très simple. Un personnage ne se définit pas uniquement par ses statistiques ou par son passé. Il est avant tout ce qu’il fait, la somme des actions qu’il entreprend en jeu, durant la partie. Plus encore, il devient les changements et les évolutions que ses actions provoquent chez lui. Il est donc important de considérer la manière dont ceux-ci modifient à la fois ses caractéristiques techniques (ce qui en général correspond aux règles d’expérience ou de blessures), mais aussi sa personnalité, la façon dont il perçoit le monde, etc. De même, il est nécessaire de prendre en compte le fait que certains personnages sont conçus non pas comme des icônes inamovibles, mais comme des trajectoires : leur évolution est plus importante que ce qu’ils sont à un moment donné. D’une certaine façon, la création dure toute la vie de votre alter ego. C’est pour cela que tous ces points seront abordés dans le prochain chapitre. 1 .À ce sujet, consultez également l’article « Rassembler et Diviser » dans Mener des parties de jeu de rôle, p. 235.

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La création technique Repérez et intégrez les codes du jeu. • Montrez ce que vous voulez jouer. • Singularisez vraiment votre personnage. • Discutez avec le reste du groupe. • Ne négligez aucun paramètre. • Connectez les spécificités de votre personnage. • Envisagez l’avenir. La rédaction du background À vous aussi DE faire jouer le MJ et les autres joueuses. • Définissez vos objectifs. • Décrivez moins, problématisez plus. • Faites un background en quelques questions. • N’en dites pas trop, mais dites-le bien. • Pour éviter les pièges : mettez des conflits, ne résolvez pas tout, ne vous écoutez pas écrire. Quelques pistes pour ajouter de l’épaisseur • Intégrez votre personnage à l’univers et montrez-le. • Créez un pan de l’univers avec les autres joueuses. • Créez des liens avec les autres PJ.

CRÉER

FICHE DE SYNTHÈSE

au fil du jeu



Coralie David

C

ontrairement à l’idée généralement répandue, la création du personnage ne s’arrête pas une fois la fiche remplie. Elle continue tout au long de la partie et nos choix ne cessent de façonner et de redéfinir notre alter ego. Cela est encore plus vrai pour les personnages dont nous avons tiré les caractéristiques aléatoirement, ceux qui ne sont pas censés avoir de passé (comme les anges et les démons brusquement incarnés dans un humain d’INS/MV1) ou ne s’en souviennent pas, ou ceux créés à partir d’archétypes certes personnalisés (Apocalypse World, D&D), mais dont l’appropriation ne se fera qu’au fil du jeu. Nous allons donc nous pencher dans ce chapitre sur le développement du personnage, c’est-à-dire sur le prolongement, en jeu, de sa création. Nous présenterons des moyens permettant de rajouter des éléments qui n’avaient pas été précisés initialement, mais aussi des techniques pour faire évoluer ce qui l’avait été. Naturellement, un certain nombre des conseils donnés ici pourront s’appliquer dans les deux cas, voire durant la phase de création. Il vous appartient de prendre ce qui vous semble être l’outil le plus efficace au moment où vous en avez besoin.

1. Croc, Deleval Fabien, Salah « Zlika » Emmanuel, Sarfati Laurent, Twardowski Mathias, In Nomine Satanis, Magna Veritas, Idéojeux, Paris, 1989.

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développer

développer un personnage

Créez ce qui ne l’a pas été précédemment Pourquoi ne pas avoir tout fait à la création ?

Après tout, s’il existe une phase de jeu appelée « création de personnage », pourquoi ne pas le faire à ce moment-là ? Il existe principalement deux types de réponses à cette question : parce que l’on n’a pas pu le faire ou parce que l’on a préféré ne pas le faire. Même si certains rôlistes expérimentés peuvent avoir tendance à l’oublier, il existe des facteurs qui peuvent expliquer que l’on ait reporté toute ou une partie de la création à plus tard : ne pas pouvoir se libérer lors de la séance prévue à cet effet, avoir eu trop de travail pour créer le personnage chez soi, avoir besoin d’une explication sur les règles ou sur l’univers, ne pas avoir assez de livres à disposition, se tromper sur le jeu ou sur la bonne version des règles, avoir sauté une partie de la création pour pouvoir commencer plus tôt ou parce qu’elle ne concernait pas les autres joueuses, devoir recommencer une partie suite à une erreur ou simplement manquer d’inspiration, devoir créer un nouveau personnage en cours de jeu parce que l’ancien est mort ou que vous rejoignez un groupe sur le pouce, etc. Pris individuellement, tous ces problèmes sont relativement faciles à éviter. Toutefois, ils sont suffisamment courants pour que vous y soyez confronté tôt ou tard. Les raisons qui peuvent vous amener à préférer1 ne pas entièrement définir votre alter ego lors de la phase de création sont elles aussi assez nombreuses. Votre meneur peut notamment vous proposer une partie introductive où vos personnages ne sont pas encore « complets ». Cela peut par exemple être le cas si vous jouez des enfants, ou des humains à Vampire : la Mascarade, ou des prétirés que vous souhaitez enrichir, que ce soit parce qu’il semble manquer des informations importantes ou parce qu’ils vous ont plu et que vous souhaitez les incarner tout au long d’une campagne. Vous pouvez également vous laisser le temps de comprendre le fonctionnement du système ou de l’univers avant de trop orienter votre personnage, ou même de considérer que celui-ci sera plus original et mieux intégré si vous rebondissez sur les premières séances pour le définir. C’est, par exemple, très pratique pour les incarnations passées dans un jeu comme Nephilim2. Enfin, certaines techniques proposent des avantages et inconvénients différents selon les moments où elles sont utilisées. Prenons l’exemple de la rédaction d’un background, étape largement détaillée dans l’article précédent. Aussi répandue et utile que soit cette pratique, elle possède quelques désavantages. Outre d’être facilement chronophage, elle peut avoir un côté impressionnant, voire devenir contraignante. Imaginons que vous ayez défini un ensemble d’éléments passionnants et doté votre personnage d’une personnalité complexe que vous avez créée avec grand soin. Comment faire passer toutes ces informations pendant 1. À ce sujet, consultez également l’article « Se laisser surprendre », notamment l’encadré « Cela ne concerne pas que l’historique » p. 285. 2. Lamidey Fabrice, Weil Frédéric, Nephilim, Multisim, Paris, 1992.

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Toutes ces raisons font qu’il est important de considérer la création au fil de la partie comme une opportunité, et non pas comme un manque. Dans certains jeux, cela fait même partie intégrante de l’expérience. C’est par exemple le cas d’Hystoire de fous2, où la joueuse dépense des points pour acheter des niveaux de compétence au fur et à mesure des situations qui se présentent à son personnage lors de la première séance. Bien sûr, il existe également de très mauvaises raisons de vouloir créer son alter ego a posteriori, comme la paresse ou la recherche d’un avantage indu, mais connaître quelques principes basiques, qu’il soit question de technique ou de background, demeure très utile. Dans tous les cas, pour éviter toute tension, vous devez avoir au préalable l’accord de la table, et les conseils ci-dessous partent du principe que vous l’avez obtenu. Ce n’est généralement pas difficile, surtout si c’est une contrainte technique qui vous a empêché de terminer votre personnage ou si le fait de vous attendre reviendrait à ralentir la partie ou à retarder son début. Toutefois, nous ne saurions insister assez sur son importance. Nombre de joueuses ne sont pas habituées à cette façon de faire, voire ne s’aperçoivent pas qu’elles la pratiquent aussi, et ont tendance à la considérer comme une forme de tricherie si elles ne sont pas averties. Créez des éléments techniques

Cette partie de la création est sans doute celle qui pose le moins de problèmes. En effet, il s’agit généralement de se contenter d’appliquer les règles de création a posteriori : répartir des points dans la catégorie correspondante (caractéristiques, compétences, etc.), choisir des éléments dans des listes (sorts à D&D, implants cybernétiques à Cyberpunk, matériel, etc.) ou définir certains éléments que l’on pensait accessoires, mais qui sont désormais utiles (tirer les caractéristiques d’un suivant ou d’un domaine, etc.). Un des exemples les plus courants est sans doute celui du choix de l’équipement. Historiquement, certains jeux, même classiques, ont rendu cette étape très fastidieuse – par exemple car il faut prendre en compte de nombreuses données comme le prix, le poids ou la solidité, alors que leur utilité n’est pas évidente en cours de partie. Aussi, 1. À ce sujet, consultez également l’article « Interpréter un personnage », p. 69. 2. Gerfaud Denis, Hystoire de fou, Nestiveqnen, Aix-en-Provence, 1998.

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la partie1 ? Et si, le moment venu, vous sentez que votre background n’est pas en adéquation avec l’esprit du jeu ou du reste de la table, comment retombez-vous sur vos pattes ? Devez-vous vous en tenir à ce que vous avez prévu ou jouer votre personnage autrement ? Si vous entendez parler d’une faction ou d’un PNJ dans vos premières parties et que vous avez envie de les lier au passé de votre personnage, pouvez-vous encore le faire ? Ce sont autant de situations où un background écrit à l’avance peut devenir un carcan. Si vous préférez découvrir, même partiellement, votre personnage au cours de la partie (voire si vous préférez qu’il vous échappe), développer votre background pendant celle-ci pourrait être la solution à privilégier.

il est assez fréquent qu’elle soit laissée de côté lors de la création, jusqu’à ce que savoir ce que le personnage possède devienne important (expédition, survie, vol, pénuries, etc.). De plus, pour cet exemple et même dans ces cas-là, il n’est pas rare que la règle concernée soit contournée plutôt qu’appliquée telle quelle. Ainsi, on entendra régulièrement une joueuse demander : « est-ce que mon personnage a de la corde sur lui ? » au MJ au lieu de faire l’inventaire de son matériel. De même, le meneur donnera des consignes simplifiées du type « vos personnages ont l’équipement de base de l’aventurier » ou « ils ont le matériel nécessaire à toutes les compétences dans lesquelles vous avez dépensé des points ». Toutefois, même si vous vous apprêtez à appliquer les règles de création pour continuer à définir techniquement votre personnage au fil du jeu, nous vous conseillons d’en ajouter une autre : la cohérence. Autrement dit, les éléments que vous introduisez doivent si possible correspondre à ce qu’il s’est passé pendant la partie, ou au moins éviter de les contredire. Si vous ne respectez pas cette contrainte et que vos camarades sont d’accord, ce n’est sans doute pas bien grave, mais vous perdez néanmoins un des principaux intérêts à procéder de la sorte. Concrètement, cela implique que si votre personnage s’est montré particulièrement inculte dans un domaine au début de la séance, il serait sans doute bizarre que vous dépensiez de nombreux points dans la compétence correspondante et qu’il ait subitement le niveau d’un expert mondial dans ledit domaine. En revanche, cela ne pose aucun problème si vous dépensez ces points dans une compétence dans laquelle il n’a pas eu l’occasion de s’illustrer jusqu’à présent, ou pour laquelle les dés ont été plus favorables. Restez néanmoins vigilant sur les situations délicates pouvant compliquer les choses après coup. Ainsi, si vous décidez en cours de séance que votre personnage parle chinois et dépensez les points correspondants, il va être assez délicat d’expliquer pourquoi il n’a rien dit lorsque ses camarades ont fait une erreur de traduction dans une scène précédente, ou pourquoi il n’a pas reconnu tel ou tel PNJ alors qu’ils ont probablement appris cette langue au même endroit. Il existe cependant une astuce pour vous permettre de rester libre de créer l’alter ego que vous souhaitez : vous ne devez pas forcément justifier qu’il soit mauvais ou excellent dans un domaine, mais uniquement qu’il agisse comme tel ou le paraisse. Vous pourrez également changer plus facilement d’avis sur la façon dont vous répartissez les points sans que cela ait trop de conséquences. Ainsi, si vous voulez faire de votre personnage une des meilleures lames du royaume, il va falloir trouver la raison pour laquelle ses camarades l’ont vu se prendre une déculottée magistrale lors de la première séance. De même s’il a été magistral et que vous choisissez finalement de dépenser vos points ailleurs. Vous n’avez que l’embarras du choix pour en expliquer la raison. Voici quelques exemples relatifs au combat qui seront faciles à adapter à d’autres situations.

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Évolution

Explication Il a voulu donner l’impression à son adversaire qu’il était inférieur. Il a découvert l’identité de son adversaire et a perdu ses moyens.

Amélioration

Il est lié à son adversaire et ne pouvait se résoudre à le battre. Il ne voulait pas lui faire perdre la face. Ils s’étaient mis d’accord pour « truquer » le combat. Il était sous l’emprise d’un sort ou d’une maladie. Son adversaire était protégé magiquement. Il a eu de la chance. La défaite a brisé sa confiance en lui. Il était sous la protection d’un sort ou utilisait un objet magique.

Diminution

Il connaissait le point faible de son adversaire. Il avait une motivation particulière qui l’a transcendé. Il a reçu une aide discrète. Son adversaire s’est laissé battre. Les autres personnages ne sont pas assez doués pour s’en rendre compte.

Enfin, pour éviter tout malentendu, assurez-vous de ne pas faire progresser votre personnage, notamment via la dépense de points d’expérience, sans vous être assuré d’être à jour de la création. C’est le meilleur moyen de ne pas vous tromper, ou de ne pas bénéficier malgré vous d’avantages inaccessibles via une phase de création classique. Ces considérations peuvent aussi bien ne pas poser de problème à votre groupe que devenir de véritables pommes de discorde. Créez un background au fil du jeu

Parallèlement aux aspects techniques, il vous est également possible de vous créer un background au fur et à mesure des séances. Si la pratique est sans doute moins rare qu’il n’y paraît, elle n’en reste pas moins intimidante pour nombre de joueuses qui n’ont pas forcément appris à pratiquer notre loisir de cette façon. D’une façon générale, il s’agit d’appliquer le même principe de cohérence aux événements qui arrivent en jeu et de vous laisser guider par les éléments auxquels vous voulez lier votre personnage. Autrement dit, le plus souvent, il s’agit soit de justifier a posteriori et de façon intéressante

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Il n’a pas souhaité qu’on le reconnaisse.

vos envies du moment, soit de trouver une raison bien plus satisfaisante que le hasard pour expliquer les résultats de vos jets de dés. Si, durant le jeu, votre personnage a succombé à la tentative de corruption d’un ennemi et qu’il a induit son supérieur en erreur, peu importe que ce soit parce que votre instinct vous disait que ce serait plus intéressant, parce que vous n’avez pas eu de chance ou parce que vous n’avez pas dépensé de points en volonté. Si cela vous plaît, vous pouvez essayer de vous en servir et, par exemple, décider que votre personnage était un agent ennemi qui a changé de camp et qu’il a cédé parce qu’il a paniqué et voulait garder son secret. Si vous rajoutez que le PNJ en question était son ancien mentor et que les deux personnages ont une relation quasi filiale, vous êtes déjà en train de créer un background. Vous n’avez pas forcément besoin de détailler pour l’instant. Quelques phrases suffisent, voire une seule1. Cette technique fonctionne également pour les événements apparemment plus anodins, comme les actions induites par le système de jeu et, notamment, sa mécanique de résolution. Si vous aimez être surpris, acceptez que les idées viennent aussi des autres joueuses et des règles. Vous avez fait un échec critique et votre personnage a raté sa cible alors qu’il est le meilleur as de la gâchette à l’ouest du Mississippi ? Peut-être que la cible lui a rappelé un douloureux souvenir : un amour du passé, un membre de sa famille ou celui qui lui a tout pris… Il a raté ses trois premiers jets de tir ? Peut-être que votre pistolero traverse une mauvaise passe et déprime ? Lorsqu’un fait de jeu vous plaît, soit parce qu’il a contribué à rendre la partie plus intéressante pour tout le monde, soit car il caractérise votre personnage, notez-le en quelques mots sur votre fiche. Lorsqu’il accomplit quelque chose de spécial (échec, réussite, crime, exploit, trahison, prise de parti, etc.), faites de même. Vous n’avez pas besoin de tout raconter aux autres joueuses pour l’instant, surtout si cela ralentit le rythme. En revanche, à la fin de la partie, reprenez vos notes et demandez-vous comment vous pouvez intégrer chaque élément à l’histoire ou au caractère de votre personnage. Cela donnera de la matière au meneur et vous pourrez vous en resservir chaque fois que cela vous semblera opportun. Au bout de quelques séances, voire même avant, vous aurez déjà un nombre respectable de « bribes de passé » que vous aurez déjà commencé à lier entre elles. Le plus dur sera sans doute de ne pas trop vous prendre à ce « jeu dans le jeu » et à laisser de l’espace à la fois aux autres joueuses et au MJ, mais aussi à votre propre découverte.

A-t-on toujours besoin d’un background ? Non. Parfois, le passé de notre personnage importe finalement assez peu. C’est notamment le cas si vous jouez en one shot, à l’ancienne, à un jeu d’horreur où les PJ meurent vite, ou que votre personnage n’est qu’un pion ou un véhicule. Nous entendons par là que vous le considérez seulement comme un moyen de parcourir le monde ou d’interagir avec le jeu, et que, pour l’instant, vous n’avez donc pas grand intérêt à trop le définir. À noter que même si l’objectif de cet article est de donner des pistes pour développer son personnage, jouer de cette façon reste une option tout à fait valable. Ceci est d’autant plus vrai que ce choix est conscient et réfléchi, et que vous avez pris la peine d’essayer autre chose par ailleurs. 1. À ce sujet, consultez également l’article « Se laisser surprendre », notamment « Cela ne concerne pas que l’historique » p. 285.

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La technique du flash-back peut aussi bien être employée pour définir des éléments du passé de votre personnage que pour les développer. Elle est certes très utile pour enrichir un personnage déjà doté d’un historique conséquent, mais nous nous concentrons ici sur son aspect le plus basique : mettre en avant une partie du passé de votre alter ego. C’est donc un outil extrêmement efficace pour justifier une évolution technique ou pour introduire – et donc créer – une partie de son background au fil de la partie, l’idéal restant de faire les deux à la fois. Certains jeux, comme Hellywood1, font du flash-back une mécanique à part entière. À chaque partie, il est possible de dépenser un point de flash-back pour prendre la main sur la narration. Le but est que la joueuse évoque un élément du passé de son personnage lié à la situation présente, de manière à influer sur cette situation : il déjà croisé ce suspect, il a participé au chantier de ce bâtiment et le connaît plutôt bien, etc. En s’inspirant d’Hellywood et des aspects de FATE2 ou des Mille-Marches3, il peut être intéressant d’en faire une ressource, si toute la table est d’accord : vous disposez à la création d’un point de flash-back, que vous pouvez dépenser lorsque cela vous permet de donner une issue positive à une action que votre personnage entreprend, vous octroie des bonus ou vous autorise à dépenser des points dans une compétence utile à ce moment du jeu. Vous pouvez limiter le nombre de points par séance de façon stricte, ou décider que pour le récupérer, il faudra qu’un prochain flash-back (activé par le MJ, une autre joueuse ou vousmême) soit utilisé pour vous desservir. De même, si vos camarades ne semblent pas très intéressées par une telle mécanique, vous pouvez toujours introduire un garde-fou afin de les rassurer, par exemple en stipulant que votre proposition est soumise à l’approbation du MJ et du reste de la table. Enfin, faute de mieux, vous pouvez tout simplement demander à votre meneur, lorsque c’est approprié, l’autorisation de jouer un flash-back se déroulant à tel moment et avec tels enjeux. Même s’il vous propose un scénario très écrit ne laissant que peu de place à l’improvisation, il devrait vite y trouver son intérêt – notamment en termes de cohérence – et ne pas tarder à proposer ses propres flash-back. Servez-vous de vos références et détournez-les

Vous partagez un ensemble de références avec le reste de votre table, que celles-ci soient geeks, purement rôlistes ou plus académiques. Il n’y a qu’à voir le nombre de tables contaminées par les citations de Kaamelott, des Monthy Python ou de Star Wars pour s’en rendre compte. Toutefois, ces références peuvent également vous servir à créer votre personnage sur le pouce en jouant à la fois sur la proximité et le décalage, comme une variation sur un thème imposé. 1. Andere Raphaël, Gharbi Emmanuel, Grümph John, Guillout Pascal, May Pierrick, Hellywood, John Doe, Jouy-le-Moutier, 2008. 2. Donoghue Rob, Hicks Fred, FATE, Evil Hat Productions, Silver Spring, 2002. 3. Grümph John, Davoust Anne, Davoust Olivier, Guillout Pascal, Bachmann Christophe, Les Mille-Marches, John Doe, Jouy-le-Moutier, 2011.

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Intégrez des flash-backs

Si vous vous demandez à quoi peut ressembler votre personnage, quelle est son histoire et ce qu’il sait faire, mais manquez d’idées, partez d’un archétype. Sans aller jusqu’à inverser le cliché, assurez-vous toutefois de le tordre assez pour que cela puisse donner de la matière à votre créativité et à celle des autres joueuses. Idéalement, rajoutez un adjectif surprenant ou quelques détails saugrenus qui pousseront presque automatiquement ces dernières à vouloir en savoir davantage. Demandez-vous ce que l’on remarque chez votre personnage qui le rend intrigant ? En quoi tel ou tel détail contredit-il l’archétype auquel il semble appartenir ? Comment pouvez-vous détourner ce stéréotype et jouer dessus ? Par exemple, expliquez que votre personnage dit avoir été formé au combat dans les fosses à gladiateurs d’une grande cité lointaine, mais qu’il n’a aucune cicatrice. Vous pouvez soit transmettre cette information directement dans sa description, soit en convenir avant la partie avec le MJ qui demandera des jets de perception aux autres joueuses avant de le révéler. De plus, ces questions se posent autant d’un point de vue technique1 que narratif. Si vous incarnez un personnage qui a beaucoup en commun avec Hermione, cela va susciter des attentes de la part des joueuses qui connaissent cet archétype. Et si vous le détourniez en le rapprochant davantage de la façon dont Joss Whedon a fait évoluer le personnage de Willow dans Buffy ? Elle souhaiterait alors récupérer la magie interdite de Voldemort pour devenir encore plus puissante, mais n’en aurait pas conscience, rompant ainsi avec l’image d’absolue loyauté qu’elle renvoie. Et si, de surcroît, vous aviez investi ne serait-ce qu’un point dans la compétence supposée interdite, comme « magie noire » ? Vous pouvez être sûr que cela capterait rapidement l’intérêt du reste de la table et que l’on se servirait de son background (sinon de ses pouvoirs), peu importe que vous l’ayez créé au fil du jeu ou pas. Adaptez-vous à ce qu’ont déjà créé les autres joueuses 

Si vous continuez à créer votre personnage en cours de partie, cela ne veut pas dire que c’est le cas de toutes les joueuses. Aussi, pendant le jeu, n’hésitez pas à vous approprier les éléments qu’elles vous transmettent et qu’elles ont déjà introduits. Soyez à l’écoute : si la sœur d’un autre PJ s’avère être une tueuse en série recherchée, adaptez-vous. Réutilisez ces éléments dans le background de votre personnage, mais aussi pour le choix de ses capacités techniques. Par exemple, elle peut avoir tué des proches de votre alter ego, et ce dernier peut avoir acquis des connaissances basiques en investigation et en procédures policières suite à ces événements. En général, chacun est ravi de voir ces éléments gagner en importance alors que le reste de la table s’en empare. Cela les renforce et accroît la cohérence de l’univers. Toutefois, il peut arriver de ne pas vouloir que les autres s’accaparent ce que l’on avait pensé comme une spécificité de son personnage, ou de ne pas souscrire à la dynamique que cela va créer autour de la table. Ainsi, une joueuse peut ne pas avoir envie d’intégrer un personnage qui sera à couteaux tirés avec le sien (amant éconduit, ancien ennemi, etc.), ou dans une logique de rivalité permanente (autre étudiant d’un même maître, etc.). Ainsi, lorsque 1. À ce sujet, consultez également l’article « Créer un personnage », notamment « Singularisez vraiment votre personnage » p. 31.

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En créant un personnage non pas en amont mais au fur et à mesure de la partie, vous courez le risque accru de le voir vous ressembler. Rassurez-vous, nous ne sommes pas en train de dire que vous allez confondre fiction et réalité. Toutefois, faute d’y avoir réfléchi, vous avez plus de chances de vous baser intuitivement sur vos propres réactions pour définir les siennes. Ceci n’est pas un problème… du moment que vous en êtes conscient. En effet, il y a un peu de nous dans chacun de nos personnages, quelles que soient notre expérience et notre capacité à les interpréter. Même lorsque nous avons l’impression que c’est le cas, nous plaquons notre vision et nos références, peu importe la source de ces dernières (histoire, actualité, romans, BD, séries, films, autres jeux, etc.). De plus, passé un certain nombre d’années, nous avons probablement tous eu des personnages auxquels nous nous sommes identifiés un peu plus que les autres, sans que cela ait de réel impact dommageable à terme. Cette proximité, lorsque les émotions des joueuses et des personnages se chevauchent, est appelée bleed1. Il s’agit d’un phénomène inhérent au JdR. Pour certains, c’est un bon moyen de s’approprier son personnage ou le signe d’une immersion intense, chez d’autres c’est un problème à éviter. C’est à vous de savoir ce que vous préférez, mais l’article « Exploiter la distinction entre joueur et personnage » devrait vous fournir de nombreuses pistes pour vous aider. Dans tous les cas, si vous vous apercevez que votre personnage vous ressemble un peu trop et si cela ne vous contraint pas à jouer vos PJ de façon répétitive, utilisez cela à votre avantage. Posez-vous les mêmes questions que si vous étiez un archétype que vous souhaitiez détourner : qu’est-ce que vous ne feriez jamais ? Quel acte vous semble impardonnable ? Quelle réaction serait la plus surprenante de votre part ? Qu’est-ce qui a bien pu vous amener dans votre passé à vous comporter ainsi ?

vous vous appropriez un élément défini par quelqu’un d’autre, l’idéal est de lui demander son accord. Si vous pensez que cela risque de ruiner la surprise et que vous autorisez les cachotteries entre PJ, posez la question au meneur. Celui-ci pourra vous donner son avis sur le degré de drame que risque d’amener votre suggestion, et vous dira si celle-ci est bienvenue ou pas selon la partie que vous vous apprêtez à jouer. De la même façon, sous réserve que votre table apprécie de jouer de cette manière, n’oubliez pas que les autres personnages peuvent être aimés, détestés, trahis ou admirés, et souvent tout cela à la fois. On se contente souvent de maintenir des relations assez neutres, voire franchement fades, ou de minorer les conséquences d’un désaccord entre PJ pour ne pas « nuire » au jeu. Pourtant, quelques tensions ou rapprochements l’enrichiront très probablement. Mieux encore, ils pourront devenir les sources de 1. À ce sujet, consultez également l’article « Créer des émotions particulières » dans Mener des parties de jeu de rôle, p. 277 et « Exploiter la distinction entre joueur et personnage » p. 200.

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Au secours, mon personnage me ressemble !

nouvelles intrigues1. Tout est possible du moment que cela ne devient pas une entrave au bon déroulement de la partie. Exactement comme pour la création d’un background à la volée (car c’est bien ce dont il s’agit ici), notez les détails concernant les autres PJ qui vous inspirent plus particulièrement lorsqu’ils émergent en partie. Reprenez ensuite vos notes pour lier tout cela avec votre propre personnage. Par exemple, vous avez écrit le nom du bar préféré d’un autre PJ, le fait qu’il ait toujours une odeur spéciale, que son mari soit agent immobilier. Pour le premier, il peut s’agir de l’endroit où le frère de votre alter ego a disparu et donc d’une occasion inespérée d’apprendre enfin quelque chose à ce sujet. Son odeur peut rappeler quelque chose à votre personnage, que ce soit son premier amour, un danger, un monstre chtonien ou une affaire précédente. Enfin, il peut être en relations d’affaires avec le mari en question, ou plus simplement avoir besoin à court terme de changer d’appartement. En résumé, acceptez de lâcher du lest et de vous adapter. Créez avec ce que les autres joueuses vous donnent, quitte à abandonner vos premières idées pour mieux rebondir sur ce qu’elles vous proposent. Vous rendrez ainsi la partie plus intéressante, plus cohérente, mais aussi probablement plus surprenante, à la fois pour vous-même et pour les autres2. Notez également toutes les remarques que vous font vos camarades sur ce que vous avez introduit. Ces retours peuvent être explicites ou plus discrets, mais observez les éléments que les autres joueuses réutilisent ou pas durant dans la partie. Vous verrez que certains s’attirent rapidement la sympathie de toute la table, alors que d’autres ne génèrent qu’une indifférence pas toujours polie. Là aussi, s’il ne s’agit pas de quelque chose qui vous tient particulièrement à cœur ou dont vous pensez qu’il faut du temps pour le développer, adaptez-vous !

Faites évoluer votre personnage Après avoir défini votre personnage, que cela soit lors d’une phase initiale ou au fil du jeu, il vous reste encore à le faire évoluer. La plupart des jeux intègrent des règles d’expérience qui ne sont pas sans rappeler, toutes proportions gardées, celles de la création de personnage. Les questions qui s’y posent sont relativement proches. Toutefois, ces règles spécifiques ne sont pas les seules façons de faire évoluer vos personnages. Vous trouverez ci-après quelques autres techniques pour atteindre cet objectif. L’évolution technique

À de rares exceptions près telles que Pendragon, l’évolution d’un personnage de JdR suit une courbe ascendante. S’il ne meurt pas durant ses aventures, il deviendra généralement toujours un peu plus puissant, accumulant les récompenses et les nouvelles capacités aussi 1. À ce sujet, consultez également l’article « Rassembler et Diviser » dans Mener des parties de jeu de rôle, p. 235. 2. À ce sujet, consultez également l’article « Se laisser surprendre », p. 277.

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En effet, il n’est pas rare que ces évolutions soient gérées par un sous-système de règles spécifiques et il faut admettre qu’en quarante ans, ceux-ci ont eu le temps d’évoluer et de prendre des formes très diverses. Parmi celles-ci, on peut citer une procédure n’impliquant aucune décision de la joueuse et permettant uniquement d’augmenter les compétences utilisées durant la séance pour L’Appel de Cthulhu, ou une autre récompensant l’utilisation de certaines phrases particulièrement difficiles à placer dans Dying Earth3. On peut également comparer les jeux à niveau, qui font évoluer les personnages en même temps dans plusieurs domaines (D&D), et ceux, plus progressifs où il est possible d’acheter chaque augmentation séparément. Souvent, ces phases ont lieu après la partie, ou avant (Tenga), voire même pendant (Apocalypse World). Pour le reste de cet article, nous partons du principe qu’il s’agit d’une mécanique relativement standard où le personnage reçoit des points d’expérience à la fin de chaque séance, la joueuse ayant jusqu’au début de la prochaine pour acheter les augmentations souhaitées. Cependant, quelle que soit la procédure à suivre, faire techniquement évoluer votre personnage n’est généralement guère difficile. Cela peut être long ou fastidieux, mais la plupart du temps, ce n’en est pas moins simple. Si de nombreux jeux vous laissent choisir vos augmentations, là aussi il est important de se poser la question de la cohérence entre l’évolution technique de votre personnage et celle de la place qu’il prend au sein de l’histoire. Il existe diverses pratiques, et il n’est pas rare que certaines soient considérées comme plus ou moins fairplay, même si la plupart des joueuses oscillent entre ces différentes approches. En voici quelques-unes : • ne pas se poser de questions : cette approche consiste à autoriser toutes les augmentations du moment qu’elles entrent dans le cadre des règles. Peu importe si cette évolution semble peu cohérente, ou si un des membres du groupe devient bien plus fort dans un domaine donné du jour au lendemain. Si c’est autorisé par le jeu, on le fait et on ne cherche pas à l’expliquer ou à le justifier ; • raccrocher la technique à la fiction : vous dépensez vos points d’expérience de façon à ce que l’évolution technique du personnage soit conforme à ce qu’il se passe dans l’histoire. Ainsi, il ne deviendra meilleur à l’épée que si, durant la séance 1. Charrette Robert N. « Bob », Hume Paul R., Bushido, Phoenix Games, USA, 1980. Il existe une première publication en 1978 mais comme l’éditeur (Tyr Gamemakers) a rapidement fait faillite, c’est la boîte de Phoenix Games, sortie en 1980, qui s’est plus largement diffusée. 2. Perrin Steve, St. Andre Kenneth, Stormbringer, Chaosium, Oakland, 1981. 3. Allston Aaron, Bilton Alexander Sasha, Dempsey Steve, Freeman Peter, Laws Robin D. et autres, Dying Earth, Pelgrane Press, Londres, 2001.

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longtemps qu’il sera joué. Cela ne veut pas dire qu’il ne connaîtra pas de revers, mais la plupart du temps, ceux-ci ne sont ni systémiques ni traités par les règles du jeu. La mécanique la plus emblématique de cette tendance est celle des points d’expérience, même s’il existe d’autres formes de récompenses : semaines d’entraînement dans Bushido1, stages dans C.O.P.S., coches dans L’Appel de Cthulhu, élan dans Stormbringer2.

précédente, on l’a décrit en train de s’entraîner ou de se battre suffisamment longtemps pour avoir appris quelque chose de nouveau. Éventuellement, si on suit cette logique, il est tout à fait possible que les PJ reçoivent des augmentations « gratuites » pour faire correspondre leurs caractéristiques techniques à ce qui a été décrit en jeu ; • raccrocher la fiction à la technique : à l’inverse, vous pouvez décider d’autoriser toutes les augmentations, sauf s’il est impossible que le personnage ait progressé entre les parties (par exemple parce qu’il était inconscient). Vous devez toutefois intégrer les justifications à l’histoire. Ainsi, une augmentation en escrime sera expliquée par le fait que le personnage ait rencontré un maître d’armes entre deux aventures et ait passé plusieurs semaines à s’entraîner. Cela signifie aussi que, désormais, ce maître d’armes est un PNJ qui peut prendre une part active à la campagne si nécessaire. Naturellement, les choix techniques peuvent avoir diverses motivations, par exemple chercher à compenser ce qui a posé problème durant la séance précédente ou anticiper ce qui pourrait le faire dans la prochaine, mais l’essentiel est que l’histoire doive s’adapter à la technique ; • choisir par habitude ou par défaut : lorsqu’elle n’est pas consciente, cette approche peut par exemple consister à continuer de spécialiser son personnage pour avoir le plaisir d’obtenir le plus haut score dans une compétence donnée, ou pour ne pas avoir à réfléchir trop longtemps. Et ce, même si cela fait bien longtemps que ces progressions n’apportent plus réellement d’avantage tactique et ne correspondent plus à ce qu’il se passe en jeu. Peu importe. Une version plus consciente de cette approche peut être celle de la planification à outrance des augmentations, comme cela peut arriver lorsque l’on joue à la troisième édition de D&D1, amenant les joueuses à réaliser un « programme d’évolution » et à s’y tenir coûte que coûte, peu importe ce qu’il arrive dans la partie. Idéalement, privilégiez les augmentations dont vous aurez du mal à deviner si elles sont d’abord techniques ou narratives. Le JdR est généralement meilleur lorsque ces deux dimensions sont indissociables. Par exemple, si votre personnage a particulièrement apprécié son séjour au sein d’une communauté de survivants évoluant dans une cité insulaire constituée d’épaves, a-t-il envie d’apprendre à naviguer, pêcher, nager ou réparer des bateaux ? Vous pourrez mettre cela en relation avec le fait qu’il décide de se procurer son propre voilier et qu’il a envie de revoir ce PNJ avec qui il a établi des liens. En résumé, les points d’expérience ne sont pas qu’une ressource que l’on dépense pour améliorer son personnage. Ils peuvent aussi être perçus comme des pistes, des idées, des sources d’inspiration pour le développer selon son vécu et ce qu’il aimerait devenir. Il faudra peut-être en discuter avec le MJ, afin que l’ensemble de la table se mette d’accord sur l’approche que vous utiliserez.

1. Adkison Peter, Cook Monte, Slavicsek Bill, Tweet Jonathan, Williams Skip, Dungeons & Dragons third edition, Player’s Handbook, Wizards of the Coast, Renton, 2000.

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Peut-être aviez-vous une idée très précise de votre PJ avant de commencer à jouer. Mais, sauf cas particulier, il n’évoluera pas seul. Il aura une place au sein d’un groupe et d’un univers où il sera confronté à des ennemis, des conflits et des obstacles. Tout ceci va l’amener à changer, et à revoir régulièrement ses positions. Plus encore, sur des jeux favorisant le côté dramatique, c’est justement les changements que vont connaître les PJ qui vont donner du sens à toutes leurs aventures. C’est pour cela que certains jeux, comme Tenga, demandent directement aux joueuses de définir le concept de leurs personnages et ce qu’elles souhaitent qu’ils deviennent à la fin de la campagne. Peu importe que celle-ci soit mystique, épique ou militaire, elle est avant tout l’histoire de cette évolution et de tous les changements intermédiaires qui l’ont rendue possible. Il est assez facile d’utiliser la même technique dans votre propre campagne, il vous suffit de noter dans un coin de votre feuille de personnage : • son concept : ce qui le résume actuellement ; • son ambition : ce qu’il souhaite devenir d’ici la fin de la campagne ; • son karma : ce que vous souhaitez qu’il devienne d’ici la fin de la campagne. Identifier ces trois éléments – qui doivent être différents – devrait non seulement vous permettre de mieux voir ce que vous voulez faire de ce personnage et quelle sera sa principale évolution, mais également de mieux accepter tous les changements et autres déconvenues qui ne manqueront pas d’arriver d’ici la fin de la campagne. À noter que cet outil est également utile pour accompagner ces évolutions du point de vue technique. Imaginons une joueuse de D&D incarnant un jeune guerrier ayant tout du héros archétypal : il aspire à devenir maître d’armes puis châtelain. Elle peut très bien décider que le changement principal qu’elle souhaite pour son personnage est de le voir abandonner le métier des armes pour devenir barde ou druide. En ayant ainsi défini son ambition et son karma, elle peut choisir certaines augmentations pour refléter ce que voulait son personnage, mais aussi ce qu’elle a envie qu’il devienne à terme. Mais ce serait oublier un facteur essentiel… En effet, nous avons parfois tendance à voir le personnage comme un bloc monolithique. D’autant plus que, traditionnellement, il s’agit de notre chasse gardée. En tant que joueuse, vous vous occupez de lui et le MJ de tout le reste. Vous avez le dernier mot sur toutes ses décisions et personne n’est censé chercher à modifier cet état de fait. Pourtant, abandonner un peu de cette autorité peut s’avérer enrichissant. Et si, comme dans Monsterhearts1, vous ne choisissiez plus vous-même par quel PJ ou PNJ votre personnage est attiré, mais que vous laissiez les dés ou une autre joueuse décider à votre place ? Cela pourrait donner des résultats surprenants. Quelque chose d’important arrive, servez-vous-en pour dynamiter le background de votre personnage et le faire évoluer. Il ne doit en aucun cas devenir un carcan parce que vous êtes obsédé par la cohérence des actions du PJ avec la personnalité que vous avez décrite initialement, avant qu’il ne sorte le nez de chez lui. Dans la plupart des 1. Alder Avery, Monsterhearts, Buried Without Ceremony, 2012.

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Acceptez que votre personnage change

campagnes, c’est au contraire de ne pas le faire changer qui lui enlèverait toute crédibilité ! Aussi, contrairement à une habitude répandue, l’enjeu n’est pas tant que le personnage reste le même, mais que son évolution, elle, soit cohérente. N’ayez pas peur de montrer que votre alter ego est plein de contradictions et peut changer d’avis sans qu’il devienne pour autant moins intéressant, défini ou réaliste. Dans le même ordre d’idées, essayez de prêter davantage attention aux motivations profondes des personnages des autres joueuses. Si le vôtre est un peu faible à ce niveau-là ou ne vous inspire pas (prétiré, création superficielle, etc.), laissez-le être convaincu de rejoindre leur combat. Vous n’étiez peut-être qu’une bibliothécaire zélée de l’université Miskatonic, mais cette étudiante communiste qui vit avec vous cette horrible aventure a réussi à vous motiver. Vous avez embrassé sa cause. Peut-être même avez-vous dépensé quelques-uns de vos précieux points de compétences pour vous intéresser à ce qu’elle aime et ne plus avoir l’air aussi ridicule. De la même manière, si le jeu s’y prête, impliquez vos personnages dans les grands conflits qui agitent l’univers, qu’ils soient magiques, politiques, militaires ou même métaphysiques. Dans de telles luttes, s’abstenir revient forcément à choisir de favoriser un des camps. Aussi, même s’ils ne font que passer par ce village, cette région ou cette planète, vos personnages ont des responsabilités et ne peuvent prétendre à la neutralité. Plus encore, leurs aventures risquent de les amener de gré ou de force à devenir partie prenante de luttes de pouvoir complexes, de causes perdues ou de complots retors. Ils seront confrontés aux conséquences à la fois de tous ces conflits, mais également de leurs propres décisions : injustices, ségrégation, meurtres, révoltes, etc. Demandezvous en quoi cela affecte votre personnage, et de quelle manière. Qu’est-ce qui change en lui ? Ses objectifs ? Son alignement ? Sa foi ? Ses relations avec ses alliés ou une faction donnée ? Va-t-il se rapprocher de ses ennemis et prendre un premier niveau de barbare ou ne pas dévier de sa ligne et en prendre un supplémentaire de paladin ? Quoi qu’il en soit, souvenez-vous que votre personnage n’est pas en marbre : il a un impact sur le monde et les gens, certes, mais l’univers et les autres le changent lui aussi. Ceci devrait se ressentir à la fois sur sa fiche et dans votre façon de le jouer. Faites évoluer les défauts de votre personnage

Les défauts sont des traits – au sens large – que l’on a tendance à laisser de côté après quelques séances, par exemple parce que l’on s’en est lassé ou que le système de jeu ne nous incite plus à les utiliser. C’est typiquement le cas des mécaniques de type « atouts et handicaps » ou « avantages et désavantages », selon les jeux. C’est aussi la raison pour laquelle certains d’entre eux proposent d’activer les défauts du personnage pour gagner une contrepartie (Les Secrets de la septième mer1, Les Mille-Marches, etc.). Mais il peut également s’agir d’éléments moins techniques qui ont émergé au fil du jeu, principalement grâce à votre interprétation. 1. Figueroa Marcelo Andres, Kapera Patrick, Pinto Jim, Soesbee Ree, Wick John, et autres, 7th Sea, Alderac Entertainment Group, Ontario, 1999.

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De la même façon, ces défauts sont souvent considérés comme des caractéristiques immuables des PJ. Prenons le personnage cité ci-dessus. Il boitera à peu près tout le temps de la même façon, mais on imagine difficilement qu’il puisse un jour aller mieux, ou au contraire que sa situation empire et qu’il ne puisse bientôt plus se déplacer autrement que dans un fauteuil roulant. Or, dans la réalité et les fictions les plus captivantes, ces défauts sont tout sauf statiques. Il ne suffit que de quelques secondes d’introspection pour savoir qu’ils peuvent notamment s’aggraver, s’estomper, changer ou disparaître pour être remplacés par d’autres. Ainsi, au fil de ses aventures, un personnage inquiet devrait pouvoir développer une forme de paranoïa, ou son compagnon susceptible, mais généralement calme, évoluer pour se révéler colérique. Paradoxalement, ces éléments comptent parmi les plus efficaces et les plus cohérents pour montrer qu’un personnage change, et donc pour le développer sur le long terme, mais ils ne sont que très rarement gérés de façon réellement satisfaisante. Pour cela, il vaudra sans doute mieux se tourner vers des jeux d’horreur qui l’aborde généralement par l’angle psychologique (Sombre1 avec ses cartes de personnalité, Within2 avec ses alphas et ses omégas). Outre que nombre de jeux ne s’intéressent finalement qu’assez peu à des protagonistes abîmés par la vie, sans doute que la première raison de ce décalage est justement la façon dont est conçue la mécanique d’avantages et de désavantages. Dans sa plus simple expression, elle ne laisse guère la place aux finesses évoquées ci-dessus. Certaines variantes proposent plusieurs niveaux de gravité et la possibilité de racheter ses désavantages, mais cela reste relativement peu courant. Cela permet toutefois de mettre en jeu un début de dynamique autour de ces défauts. Cependant, si cette façon de faire évoluer votre personnage vous intéresse, nous vous conseillons d’en parler à votre MJ et de ne pas vous laisser arrêter par ces quelques difficultés techniques. Par exemple, dans un jeu pour lequel vous n’avez pas attribué de faiblesse ou de défaut à votre personnage, regardez quelles sont les qualités qui ressortent régulièrement durant les séances. Définissez des défauts correspondants à ces dernières. Un érudit pourra avoir facilement tendance à être condescendant, et même à devenir irascible si quelqu’un l’interrompt pendant un travail intellectuel. Un spécialiste pourra 1. Scipion Johan, Sombre, Terres étranges, 2011. 2. Attinost Benoît, L arré Jérôme, Within, Le Diable du New Hamsphire, Les Écuries d’Augias, SaintÉtienne, 2011.

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On a souvent tendance à jouer les défauts de façon relativement binaire. Par exemple, une joueuse dont le personnage est boiteux décrira généralement le handicap de son personnage ou les conséquences sur ce dernier si elle trouve que c’est opportun, ou ne l’évoquera pas du tout. C’est exactement la même chose pour un travers psychologique (radin), social (susceptible), ou de toute autre nature. En réalité, il est très rare de rencontrer des joueuses qui prennent la peine de moduler ce handicap dans leur description, en faisant par exemple expliquer un jour à leur personnage qu’il ne peut presque plus marcher du tout, et un autre jour qu’il boite à peine.

regarder d’un mauvais œil tous ceux qui ont des connaissances liées à son champ d’expertise et qui pourraient devenir des rivaux potentiels, etc. Afin d’intégrer tout cela plus facilement, vous pouvez vous servir des résultats des tests pour faire ressortir les travers ou les bons côtés de votre PJ. Notre expert peut par exemple rentrer dans une rage terrible si un béotien réussit une tâche liée à sa spécialité qui lui pose problème, se trouver les excuses les plus improbables ou accuser en toute mauvaise foi ses camarades d’être à l’origine de son échec. Au contraire, il peut se montrer particulièrement humble et espérer transmettre son savoir au personnage en question. Quelle que soit l’évolution que vous décidez pour votre PJ, résumez-la en quelques mots au dos de votre fiche ou dans vos notes, idéalement à un endroit où vous la verrez à chaque début de séance. Indiquez alors ce qui a changé, par exemple, en précisant que votre personnage est passé de « généreux1 » à « dépensier ». Si vous voulez aller un peu plus loin, essayez de noter ce changement sous la forme de phrases conditionnelles de type « Si… alors… », un peu comme si vous programmiez votre personnage. Reprenons l’exemple du PJ généreux. Si cela joue en sa faveur durant la partie, alors il deviendra dépensier pour les autres, au point de dilapider les ressources du groupe dès qu’il croisera quelqu’un dans le besoin. Si cela a des répercussions bénéfiques, même faibles, alors il n’hésitera pas à voler pour aider autrui, et ainsi de suite. Par contre, lors de la première étape, si sa générosité lui vaut d’être trompé ou escroqué, alors il deviendra méfiant, puis paranoïaque et ainsi de suite. Sachez juste que cela ne sert pas à grand-chose de prévoir trop de phases à l’avance : les événements de la partie vous donneront certainement de nouvelles idées. Donnez de l’importance aux échecs

Si vous voulez rendre votre personnage intéressant, y compris pour les autres joueuses, une des méthodes les plus efficaces et de le montrer en train d’échouer, puis de le faire se relever pour lutter autant que nécessaire pour reprendre pied. Ce n’est pas l’unique façon d’y arriver et cela ne dépend pas uniquement de vous, mais cette méthode reste un des fondamentaux. Aussi, il est capital d’apprendre à donner de l’importance aux échecs, d’autant plus lorsque l’enjeu est important pour le personnage. Leurs conséquences constituent alors un excellent outil pour le faire évoluer. Ce changement peut évidemment être négatif et aggraver ses défauts (voir p. 60-61). Par exemple, un officier du C.O.P.S. querelleur ayant échoué à protéger une jeune victime de meurtre peut devenir violent s’il pense que cela l’aide à retrouver les coupables. De plus, pour montrer l’impact d’un échec, vous pouvez également mettre en jeu les addictions auxquelles les PJ ont accès : tabac, alcool et drogues pour les plus connues, mais aussi les 1. Naturellement, toutes ces techniques marchent aussi avec les qualités des personnages. Il est juste généralement plus efficace de se concentrer en priorité sur les défauts, ou de partir d’une qualité pour la transformer en travers. Les évolutions positives sont également possibles, mais nous vous conseillons de ne les tenter que dans un second temps. Même si elles fonctionnent fondamentalement de la même façon, elles sont généralement plus difficiles à mettre en jeu.

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Une autre façon de mettre en avant les conséquences d’un échec est de rendre certains sujets connexes tabous pour le personnage. Il aura au mieux un accès de susceptibilité lorsqu’ils seront évoqués, au pire une réaction disproportionnée à la limite du syndrome post-traumatique : pleurs, colère, rage, prostration, panique, etc. À vous de déterminer quels sont les stimuli qui déclenchent ce type de réactions, et avec quelle intensité. Veillez juste à ce que ceux-ci ne soient ni trop nombreux ni trop fréquents, afin d’éviter qu’ils ne prennent trop de place dans la partie ou rendent votre personnage difficile à jouer. De même, l’échec peut avoir physiquement blessé votre personnage, peut-être pas au point d’avoir des malus permanents, mais au moins quelques séquelles ou cicatrices, des handicaps mineurs et temporaires, un sens très diminué, etc. Notez-les sur un coin de la fiche et faites-en désormais un marqueur important de l’identité de votre PJ, expliquant certaines attitudes ou actions surprenantes. Pensez au docteur House : que serait-il sans sa canne et sa jambe douloureuse qui le fait boiter ? Rendez la « rouste » de la semaine précédente plus intéressante en montrant la façon dont elle a affecté votre personnage, de façon visible et moins visible. Mais pensez aussi aux évolutions plus positives que peuvent susciter les échecs importants, comme une remise en question aboutissant à une réelle progression. Ainsi, votre PJ peut décider de travailler pour se débarrasser de son côté « casse-cou » qui a mis en danger tout le groupe, ou apprendre à se taire et à arrêter d’aller systématiquement trop loin dans les conversations tendues. Cela peut aussi prendre la forme d’une résolution de devenir meilleur dans un domaine spécifique. Par exemple, s’il avait été un peu plus endurant, il aurait pu sauver ce PNJ que le groupe était censé protéger. Le PJ a fait une erreur qui leur a coûté cher, et il ne veut plus que cela arrive. Jamais. Il n’est donc pas incohérent qu’il dépense quelques points d’expérience pour augmenter son endurance, sa capacité à se battre au corps à corps ou toute autre qui pourra éviter qu’un tel drame se reproduise. En résumé, si les échecs peuvent parfois être frustrants, humiliants ou décevants, ils peuvent également être une étape décisive sur le chemin de l’évolution du personnage. Faites évoluer ses objectifs et ses valeurs

Les échecs ne seront pas les seuls événements qui changeront votre personnage. Une victoire majeure peut par exemple signifier la réussite de tous ses objectifs ou presque, et ainsi l’amener à exercer plus de pouvoir : comment va-t-il s’en servir ? Profitez-en pour vous demander quel rôle votre PJ veut désormais avoir dans le monde. À partir de là, redéfinissez ses objectifs. Ses ambitions évoluent probablement avec son statut, et il existe sans doute un projet d’envergure à moyen ou à long terme qui correspondrait à ses envies : mettre fin à la pauvreté dans la cité, à la corruption de ses supérieurs, à la tyrannie du roi, prendre la tête de la guilde des voleurs, etc. N’hésitez pas à en parler à votre meneur. Non seulement cela lui donnera du grain à moudre pour les prochains scénarios, mais il pourra en faire une sous-intrigue de sa 65

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plus inhabituelles ou acceptées en société, comme le sexe, les jeux de hasard, le travail, voire le sport lorsque le besoin de s’y adonner devient impérieux et exagérément fréquent.

campagne. Si vous vous sentez en verve, vous pouvez même lui expliquer en détail la façon dont vous comptez vous y prendre, afin qu’il puisse rebondir et vous proposer des défis appropriés et intéressants. Exactement comme ses objectifs, les valeurs du PJ peuvent elles aussi évoluer. Votre paladin peut-il encore porter ce titre alors qu’il a laissé s’échapper un abominable nécromancien pour aller sauver l’homme qu’il aime  ? Reste-t-il encore fidèle à son dieu après avoir été rejeté par son Église  ou que celui-ci refuse de lui accorder ses pouvoirs de paladin  ? Peut-il continuer à marquer «  généreux  » parmi ses valeurs alors qu’il a abandonné un homme blessé à mort sur le bord de la route, uniquement car il ne voulait pas prendre le risque de s’arrêter dans ce quartier malfamé ? Faites un point régulier sur ce genre de questions, lorsque vous relisez vos notes au début d’une partie ou lorsque vous vous occupez de l’évolution technique du PJ, comme la répartition des points d’expérience. Ces changements pourraient par exemple vous faire choisir de prendre un niveau dans une classe de personnage plutôt qu’une autre. Votre PJ évolue tant que vous continuez à le jouer, même s’il n’est initialement qu’un simple archétype ou prétiré. Ses besoins, envies, ambitions et moyens de les satisfaire changent avec lui. Tous ces paramètres sont de bons points de départ pour donner plus de substance aux intrigues qui ne manqueront pas de suivre, notamment dans le cas où votre personnage a acquis un réel pouvoir sur le monde et souhaite s’en servir.

Conclusion Cet article recense un grand nombre de conseils et de méthodes pour vous aider à développer votre personnage au fil du jeu. Évidemment, il ne s’agit pas d’utiliser l’intégralité, ou même la moitié, de ce qui est proposé ici. Cela serait contre-productif. Nul doute qu’avec le temps, vous aurez vos méthodes fétiches et en développerez d’autres, mais en attendant, concentrez-vous plutôt sur les trois principes suivants : • à moins de participer à un jeu pour lequel c’est dans le ton, ne traitez pas votre personnage comme un bloc monolithique qui ne changerait jamais. Non seulement il est en constante évolution, mais vous prendrez beaucoup plus de plaisir à le jouer ; • à moins de participer à un jeu pour lequel cela fait partie intégrante du gameplay, ne traitez pas votre personnage comme un pion ou un véhicule. Il est votre outil principal pour créer des situations intéressantes lors des parties et, si vous ne lui donnez pas de personnalité propre, vous vous privez d’autant de cordes à votre arc ; • à moins de participer à un jeu pour lequel c’est essentiel, ne traitez pas votre personnage comme un archétype de héros, mais comme une véritable personne avec ses faiblesses et ses contradictions. Bien dosées, elles lui donneront de la substance.

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Passé un certain stade, votre personnage peut vous donner l’impression d’être injouable. C’est notamment le cas s’il est désormais trop puissant, trop blessé, ou en total désaccord avec le reste du groupe1. Vous sentez qu’il a atteint le pinacle de son évolution et que continuer à le jouer gâcherait rapidement le plaisir de tout le monde ? Si c’est le cas, sachez couper le cordon et ne faites pas comme ces séries qui s’étirent en longueur jusqu’à perdre toute personnalité et saveur. Prenez les devants et organisez la fin de votre personnage. Généralement, plusieurs choix s’offrent à vous : • mettez-vous d’accord avec le MJ pour qu’il le tue dans un feu d’artifice qui donnera encore plus de sens au chemin parcouru ; • faites-le disparaître mystérieusement, que ce soit en laissant une lettre d’explications ou après avoir discuté avec un autre personnage si cela est plus cohérent avec son caractère ; • mettez-vous d’accord avec le MJ pour qu’il devienne définitivement un PNJ ; • faites-lui passer le flambeau à un nouveau personnage. Pourquoi pas le vôtre ? • discutez-en avec le MJ et s’il vous garantit avoir des idées, continuez à le jouer et voyez où cela vous mène. Vous pourriez être surpris.

1. À ce sujet, consultez également l’article « Rassembler et Diviser » dans Mener des parties de jeu de rôle, p. 235.

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Que faire quand mon perso devient « injouable » ?

fiche de synthèse Créez ce qui ne l’a pas été précédemment Intégrez des flash-back • Utilisez-les pour définir des éléments du passé de votre PJ ou pour les développer. • Justifiez une évolution technique. • Faites-en une ressource à dépenser. Servez-vous de vos références et détournez-les • Choisissez un archétype et tordez-le. • Rajoutez un adjectif surprenant ou quelques détails saugrenus. • Mélangez-le à un autre archétype. Adaptez-vous à ce qu’ont déjà créé les autres joueuses • Soyez à l’écoute et appropriez-vous les éléments qu’elles ont déjà introduits. • Demandez à la joueuse concernée son accord pour vous emparer d’un élément qu’elle a créé. • N’hésitez pas à imaginer des relations moins « neutres » avec les autres PJ. Faites évoluer votre personnage Acceptez que votre personnage change • Abandonnez une partie de votre autorité sur lui au profit du système de résolution ou des autres joueuses. • Raccrochez-vous aux motivations profondes des personnages des autres joueuses. • Impliquez votre PJ dans les grands conflits qui agitent l’univers. Faites évoluer les défauts de votre personnage • Modulez votre interprétation des défauts de votre PJ et sortez de la binarité. • N’oubliez pas de les faire évoluer, en bien ou en mal. • Pensez à faire dégénérer une qualité en défaut. Donnez de l’importance aux échecs • Faites-en le point de départ d’une volonté consciente de changer. • Rendez certains sujets tabous pour le personnage. • Montrez les séquelles et les conséquences. Faites évoluer ses objectifs et ses valeurs • En cas de victoire, demandez-vous comment le PJ va utiliser ce pouvoir. • Le PJ étant de plus en plus puissant, demandez-vous quel rôle il aura dans le monde. • Demandez-vous comment ses derniers actes ont pu affecter ses valeurs ou croyances.



Romain d’Huissier

C

ela fait partie de la définition même du JdR : il s’agit d’un loisir dans lequel les joueurs sont invités à interpréter un rôle, à se glisser dans la peau d’un personnage et à lui prêter vie –  un peu comme un acteur le ferait avec le protagoniste d’un film ou d’une série. Pourtant, bien trop souvent durant les parties (du fait de chicaneries entre joueurs sur la façon dont un personnage donné devrait réagir face à telle ou telle situation), la question de « bien interpréter son personnage » revient. En effet, il n’est pas forcément évident d’incarner, de devenir un autre – d’autant qu’en matière d’altérité, les univers multiples couverts par d’innombrables JdR offrent des possibilités particulièrement étendues. Races de fantasy (nains, elfes…) ou extraterrestres (Vulcains, Wookies…), machines (droïdes, forgeliers…) et bien plus encore : ce sont des rôles pour lesquels il n’existe pas toujours d’exemples évidents, ce qui oblige le joueur à se rabattre sur certains stéréotypes véhiculés par des œuvres connues ou mis en avant par le jeu luimême, au risque de tomber dans la caricature. Bien interpréter son personnage est toutefois moins difficile que ce que laisse imaginer ce présupposé. Après tout, une table de JdR n’est pas une scène de théâtre ou un plateau de cinéma : la pression est bien moindre ! Pour le joueur, il ne s’agit pas de briguer un Oscar mais de respecter la personnalité de l’alter ego qu’il s’est créé sans nuire à la bonne ambiance de la partie. Et pour cela, quelques conseils et outils peuvent l’aider.

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Interpréter

Interpréter UN personnage

Interpréter son personnage : ce que cela signifie En préambule, il convient de poser une définition claire de ce que l’on entend par «  interpréter son personnage  », et surtout «  bien interpréter son personnage  », afin d’évacuer un lieu commun tenace. La bonne interprétation

Avant même d’être un assemblage de caractéristiques techniques, un personnage est un être ayant une personnalité à peu près définie (nous verrons dans la deuxième partie de cet article comment la construire, p. 75). C’est-à-dire que son joueur, en le créant1, a déjà une vague idée du type de comportement que ce personnage est susceptible d’adopter en fonction des circonstances : il l’a doté (peut-être de façon implicite) de diverses qualités, de quelques défauts, de deux ou trois traits saillants, etc. Tout cela constitue un noyau qui donne déjà un bon aperçu du tempérament du personnage. Dès lors que le joueur s’est construit cette image mentale, la question de bien interpréter ce personnage trouve une réponse simple : il s’agit de l’incarner en respectant cette personnalité définie –  en agissant comme il le ferait, en somme  – sans pour autant s’interdire de la faire évoluer. Le joueur doit donc avoir suffisamment réfléchi à son alter ego pour pouvoir rapidement imaginer la façon dont celui-ci réagira dans certaines circonstances. Provoqué par un rival, garde-t-il son calme ou fonce-t-il tête baissée ? Confronté à sa plus grande peur, fuit-il à toutes jambes ou parvient-il à la surmonter ? Face à la mort d’un proche, s’effondre-t-il ou gère-t-il son deuil ? Le joueur n’a pas à se projeter dès la création dans toutes les situations où son personnage pourrait se retrouver au cours d’une campagne, cela serait tout bonnement impossible. Mais s’il a su concevoir une personnalité cohérente, étayée par quelques principes directeurs, il lui sera dès lors aisé de savoir comment son alter ego devrait réagir – voire de ne même plus y réfléchir tant il le connaît, et donc de lâcher prise en laissant le personnage vivre sa propre existence. Et en cas de doute, il lui est toujours possible d’en appeler à ses camarades ou au MJ : ceux-ci auront sans doute une idée de la façon dont le personnage peut se comporter dans tel ou tel cas. Pour résumer, bien interpréter son personnage consiste à le faire réagir de la façon appropriée à une situation donnée (mise en scène dans le scénario), en fonction de sa personnalité. Cela ne signifie évidemment pas qu’il ne peut pas transiger avec son tempérament et donc agir d’une façon inattendue, mais cela doit rester l’exception (justifiée par des circonstances singulières ou le confort de la table de jeu) et non la norme.

1. À ce sujet, consultez également l’article « Créer un personnage », p. 29.

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Le regard des autres

Ainsi, si l’action d’un personnage choque ou étonne les autres joueurs, il convient de s’interroger sur la cause de cette réaction. Vont-ils essayer de comprendre la raison du comportement inhabituel du personnage ou penseront-ils plutôt que son joueur n’en respecte pas le caractère et s’est « trompé » dans son interprétation ? Cela peut mener à des réflexions intéressantes : si le personnage a bien évolué de façon à justifier l’action qui a marqué la table, ce changement a-t-il été amené suffisamment en amont1  ? Se montre-t-il trop brusque  ? Les réponses permettront dès lors de corriger un défaut d’interprétation ou de justifier une mutation de personnalité désormais actée.

« Je » versus « Il »

Beaucoup de joueurs considèrent que bien interpréter un personnage consiste à l’incarner à la première personne : « je grimpe dans la tour de contrôle », « je me découvre devant la marquise  », «  je me jette dans la mêlée depuis le haut de la rambarde  », etc., voire à déclamer ses dialogues comme si on les prononçait soi-même. Dans cette logique, les joueurs qui utilisent la troisième personne pour parler de leur alter ego sont considérés avec un certain dédain, comme s’ils ne « devenaient » pas suffisamment leur personnage et y restaient extérieurs. Or, si l’on s’en tient à la définition déjà donnée de bien interpréter son personnage, on voit que cette dichotomie est stérile  : il est tout à fait possible de respecter le caractère de son personnage en parlant de lui à la troisième personne ou en le faisant s’exprimer via le style indirect. Ici, il s’agit d’un choix purement cosmétique de la part du joueur : certains arriveront aisément à incarner leur personnage à la première personne et à parler à sa place, tandis que d’autres se sentiront plus à l’aise en le jouant à la troisième personne ou en le faisant s’exprimer via le style indirect.

1. À ce sujet, consultez également l’article « Développer un personnage au fil du jeu », p. 49.

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Interpréter

Si le joueur du personnage est le premier concerné par la bonne interprétation de celui-ci, sa façon de jouer reste toutefois soumise au regard des autres membres de la table, MJ et autres joueurs. Chacun participe à la création d’une fiction commune et, afin de garantir une certaine cohérence au sein de celle-ci, il convient de ménager la suspension volontaire d’incrédulité de chacun. Cela implique notamment que l’interprétation d’un personnage ne doit pas connaître d’écarts trop brusques ou invraisemblables, au risque de provoquer une distorsion dans la façon dont les autres joueurs le perçoivent et de les faire sortir de la partie. C’est d’ailleurs souvent ce genre d’évènements qui déclenche les interminables débats sur la question de « la bonne interprétation » à l’origine de cet article !

D’ailleurs, dans la plupart des cas, de nombreux joueurs passent d’un mode à l’autre au sein de la même partie – parfois sans même s’en rendre compte. Cela peut dépendre du degré d’intensité d’une scène de l’aventure : un trop-plein émotionnel ou l’horreur psychologique peuvent pousser le joueur à vouloir reprendre une certaine distance ou au contraire à désirer se plonger plus avant dans le personnage. Il n’est donc pas nécessaire de s’attarder sur ce faux problème. « Je » ou « il », cela n’a aucune réelle incidence sur la qualité de l’interprétation et ce choix reste celui du joueur. S’obliger à user d’un mode avec lequel on ne se sent pas en phase risquerait même d’être dommageable à la bonne interprétation du personnage !

Quelques différences toutefois Si l’emploi du style direct ou indirect ne modifie pas radicalement la qualité de l’interprétation, opter pour l’un ou l’autre implique cependant quelques différences. Le style direct offre une plus grande proximité entre le personnage et le joueur, permettant d’incarner cet alter ego de façon presque intime, ce qui favorise une forte identification mais n’autorise pas à se distancier pour amener des informations objectives. Le style indirect est plutôt celui de la mise en scène : le joueur porte un regard moins subjectif et plus détaché sur son personnage, ce qui lui permet de délivrer des informations extérieures au seul point de vue de ce dernier. Avoir conscience de ces spécificités donne au joueur l’opportunité de choisir le style le plus adapté en fonction des exigences de la scène ou de son ressenti.

Savoir transiger

« Ben quoi, je joue mon perso ! » : cette phrase est une excuse que l’on a tous entendue pour justifier d’avoir fait réagir son personnage d’une façon extrême. Or, s’il arrive que cette réaction soit certes dans la logique du caractère de ce dernier, elle masque très souvent un manque d’égards pour les autres joueurs et les dégâts qu’elle cause à la partie. Le JdR est un loisir qui se pratique en groupe. Le personnage du joueur n’est pas isolé : il appartient lui aussi à un tel groupe. Si sa bonne interprétation implique de l’incarner dans le respect de sa personnalité (sans pour autant s’interdire une évolution ou des écarts justifiables), son joueur doit être capable de poser des limites dans un souci de bienveillance vis-à-vis du MJ et de ses camarades de table. Après tout, c’est ainsi que cela se passe dans la vie réelle : nous faisons chaque jour des compromis afin de maintenir un vivre-ensemble supportable. Nous savons tempérer les traits les plus saillants de notre personnalité pour ne pas froisser notre entourage ou surmonter diverses réticences. Si les enjeux sont moins importants dans le cadre du 72

JdR (il s’agit avant tout de passer un bon moment entre amis), il n’est pas pour autant inutile de mettre de l’eau dans le vin d’un personnage.

• en acceptant des concessions : un personnage peut être amené à composer avec ses principes, à ne pas respecter à la lettre un code d’honneur ou à agir à l’encontre de ses convictions – à condition de pouvoir le justifier de façon crédible et acceptable pour le reste de la table. Un paladin généralement intransigeant avec les forces du mal se retrouve à devoir s’allier à un démon. Le temps d’abattre leur ennemi commun, il parviendra à faire taire son fanatisme car il sait que cette coopération permettra de vaincre un fléau plus grand encore (et il sera toujours temps de se débarrasser de ce sulfureux associé par la suite…) ; • en minorant ses défauts les plus criants : un joueur n’a pas à interpréter constamment et avec une intensité extrême les défauts dont il a doté son personnage, le transformant en une caricature contrariante. L’intérêt de ces faiblesses de caractère consiste justement en la capacité à les outrepasser de façon ponctuelle – d’autant plus si l’intérêt de la partie est en jeu. Un voleur plutôt couard doit pénétrer dans un donjon réputé pour son extrême dangerosité. Être entouré de ses amis peut lui accorder la confiance suffisante pour s’y risquer ; • en improvisant certaines motivations : se comporter de façon contraire (ou biaisée) à sa personnalité peut également se justifier par l’émergence d’une nouvelle motivation pour le personnage – que le joueur invente alors en fonction de la situation, de façon à rendre cohérent son écart d’interprétation. Un noble motivé par la recherche de la fortune et connu pour son égoïsme se retrouve à devoir aider un village pauvre sans grand espoir de rémunération. Il peut décider d’accepter cette mission pour accroître sa réputation, capitalisant sur les gains que cette reconnaissance de sa valeur lui apportera à l’avenir ; • en saisissant des perches tendues : parfois, si le joueur ne sait pas comment transiger avec la personnalité de son alter ego alors que la partie le nécessite, les idées peuvent venir du reste de la table. Le MJ et les autres joueurs ont le droit de proposer des solutions acceptables, dont le principal concerné peut se saisir afin que la partie se poursuive. Un mercenaire sans foi ni loi ne voit aucun intérêt à se joindre à un bataillon en déroute, vaincu d’avance et n’ayant aucun or pour le payer. Sauf que la farouche rôdeuse du groupe (pour qui il a un faible) décide d’épouser la cause des soldats dépenaillés. Le joueur incarnant ce personnage propose donc à celui du mercenaire – en raison de son penchant amoureux – d’accepter de la suivre (pour la protéger, lui prouver son courage, etc.).

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Interpréter

Pour cela, il faut s’efforcer de comprendre comment respecter sa personnalité sans pour autant porter atteinte au groupe ou à la partie :

S’il est donc important pour le joueur de respecter la personnalité de son alter ego, celle-ci ne doit cependant pas devenir un carcan qui l’enferme dans des comportements menant à une forme d’antijeu. La bonne interprétation d’un personnage implique également une intégration harmonieuse dans le groupe, ce qui suppose donc de savoir transiger, au bénéfice de l’ambiance de la partie. Faire évoluer la personnalité1

Une personnalité n’est pas une structure figée : il s’agit d’un chantier toujours en travaux, qui se construit au cours des nombreux évènements de la vie. Pour un personnage de JdR, c’est la même chose : la personnalité que définit le joueur (grâce notamment aux outils décrits ci-après) est celle de son alter ego au moment de sa « création », quand il entre dans le scénario ou la campagne. Mais les épreuves et triomphes qu’il va dès lors connaître feront évoluer son caractère, de même que la fréquentation de certains individus (PJ ou PNJ). • Généralement, cette évolution se fait en douceur, par petites touches, et le plus souvent sur un seul aspect à la fois. Ainsi, un elfe ayant des préjugés sur les nains amendera peu à peu son jugement à force de vivre des aventures avec un nain jovial et amical. S’attachant à ce compagnon, il verra son regard sur ce peuple changer. Au bout de quelques aventures, le joueur de l’elfe pourra ainsi barrer le trait « préjugés envers les nains » de son personnage, pour peut-être même le remplacer par la suite par un nouveau trait « apprécie les nains ». • Mais il se peut parfois que l’évolution d’une personnalité se fasse brutalement et en profondeur, suite à un évènement marquant. Un prêtre particulièrement dévot perdra la foi après avoir assisté au massacre d’un village d’innocents par des paladins du dieu qu’il sert, sous un prétexte fallacieux. Un tel changement de personnalité est générateur de moments de jeu très intéressants, mais il influence de nombreux éléments du caractère du personnage, ce dont le joueur devra tenir compte par la suite. Dans tous les cas, il sera sans doute bien rare qu’un personnage ne change pas de caractère – même de façon marginale – après avoir vécu un certain nombre de scénarios. C’est le plus souvent au joueur de décider de la façon dont évolue son personnage au vu de ce qu’il vit (en veillant à rester cohérent), mais les règles ont également une certaine influence (gain ou perte de traits, avantages, défauts, etc.). Les autres joueurs et le MJ peuvent bien sûr donner au principal concerné des idées ou lui indiquer que, pour eux, tel évènement devrait avoir des répercussions qui dépendront du caractère de son personnage. Le joueur doit alors mettre à jour sa fiche de personnalité (voir p. 77) afin de garder une trace de cette évolution et de l’interpréter correctement.

1. À ce sujet, consultez également l’article « Développer un personnage au fil du jeu », p. 49.

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Construire la personnalité Il est possible de s’appuyer sur quelques outils simples pour définir à grands traits une personnalité pour un personnage de JdR. Certains jeux vous en fournissent, et nous vous proposons une méthode pour le faire ici. C’est à partir de cette personnalité que le joueur pourra construire son interprétation et en évaluer la conformité. Les outils intrinsèques au jeu

Factions Il existe toute une tradition de JdR dans lesquels les personnages sont au préalable définis par leur appartenance à un peuple, une classe ou une faction particulière (clan, tribu, famille…). Ces éléments induisent en général des traits de caractère certes stéréotypés, mais qui n’en permettent pas moins de jeter les bases d’une personnalité (car on se définit aussi par notre milieu d’origine ou celui dans lequel on évolue). • Dans Le Seigneur des anneaux de J.R.R. Tolkien, les elfes sont ainsi décrits comme détachés du monde (et sont parfois de ce fait perçus comme hautains), tandis que les nains sont industrieux et matérialistes. • Dans Vampire : la Mascarade, les Gangrels sont des solitaires préférant prendre leurs distances avec la société des Caïnites alors que les Ventrues sont des ambitieux qui briguent des postes de pouvoir. • Dans Le Livre des Cinq Anneaux1, les samouraïs du clan du Lion sont des fanatiques de l’honneur, à l’inverse de ceux du clan du Scorpion qui passent pour des traîtres peu dignes de confiance. Ces éléments presque caricaturaux fournissent au joueur une base pour construire la personnalité de son alter ego. Soit il respecte les stéréotypes liés à sa faction, soit il les prend au contraire à rebrousse-poil (notons que l’inverse d’un cliché reste un cliché !). Libre à lui d’affiner ensuite ces fondations psychologiques grâce à d’autres éléments du jeu et en fonction de ses propres envies. À partir du bloc brut, il sculpte ainsi une personnalité plus fine.

1. Bolme Edward S., Heckt Andrew, Stolze Greg, Trindle D.J., Wick John, Williams David, Zinser John, Legend of the five Rings, Alderac Entertainment Group, Ontario, 1997. La version française la plus récente est Le Livre des Cinq Anneaux, quatrième édition publiée par Edge Entertainment.

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Interpréter

Éléments de contexte ou règles, nombreux sont les jeux à proposer des outils de création qui ont un impact concret sur le caractère du personnage.

Traits Outre cette classification en clans ou factions, de nombreux JdR proposent d’autres façons d’assigner des traits psychologiques à un personnage. Il va généralement s’agir de lui choisir des avantages et des désavantages (aspects, atouts et handicaps, etc.). Ceux-ci concernent bien souvent toutes sortes de traits (physiques, mentaux, matériels), mais il en existe presque toujours qui concernent la personnalité. Liés à des effets techniques, ces traits ont aussi une incidence sur l’interprétation du personnage et le joueur doit en avoir conscience : il arrive souvent que certains collectionnent les désavantages dans le but de gagner des points de création et « oublient » ensuite de les jouer concrètement. Car s’ils ont une contrepartie mécanique, ces traits doivent aussi guider l’incarnation du personnage. • Ainsi, un désavantage de type « lâche » ne doit pas juste impliquer que le personnage écope d’un malus pour un jet de peur : il indique aussi la façon dont ce dernier se comporte en général. On imagine sans peine qu’un personnage décrit comme lâche fera preuve de prudence à l’excès, évitera les situations de conflit de son mieux ou se montrera veule avec les puissants : sa lâcheté n’intervient pas uniquement dans les scènes où la contrepartie technique entre en jeu, elle doit aussi être un guide d’interprétation, une grille permettant de comprendre comment le personnage voit le monde et s’y comporte. • Si l’on pousse encore cette logique, les mots mêmes qui définissent le trait comptent pour l’interpréter. Dans Le Livre des Cinq Anneaux, un avantage permettant de définir le personnage comme courageux se nomme « trompe-la-mort » : on voit bien que le choix d’un tel terme n’est pas anodin dans un univers où mourir au combat est un honneur. Un personnage doté de ce trait sera plus que courageux : son audace confinera à l’arrogance et le poussera à ignorer la prudence la plus élémentaire pour commettre des actions quasi suicidaires. Ce qui est normalement un avantage mécanique peut ainsi se transformer dans certains cas en une faiblesse – mais sa bonne interprétation crée du jeu et rehausse donc l’intérêt de la partie. • Ce choix de vocabulaire devient dès lors un guide d’interprétation, surtout s’il entre en résonnance avec l’univers et ses codes. Dans Qin1, un trait nommé « pondération de la tortue » donne un bonus en méditation. Toutefois, le nom même fait référence à une qualité que les Chinois anciens prêtent à la tortue : animal symbole de sagesse, dont la lenteur reflète en réalité sa capacité à réfléchir avant d’agir. Un personnage disposant de cet avantage ne doit ainsi pas se contenter de l’avantage technique qu’il octroie, et son joueur peut s’en servir pour définir une partie de sa personnalité : un être calme, prompt à la réflexion et doté d’un réel discernement.

1. Buty Pierre, d’Huissier Romain, Florrent, Neko, Valla Kristoff, Qin, 7ème Cercle, Anglet, 2005.

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Les outils de la fiche de personnalité

Afin d’interpréter cette personnalité au mieux, nous vous proposons quelques outils qui sont autant de façons de faire ressortir le caractère de votre personnage durant la partie : types de personnalités, buts et limites, gestion des émotions. Ces outils sont regroupés sous la forme d’une fiche permettant de résumer le tempérament de votre personnage simplement, tout en ayant ces informations sous les yeux en cas de besoin (voir p. 90).

Le premier outil se fonde principalement sur le modèle des types de personnalité de Myers-Briggs1, dont les prémices remontent à Jung. Ce n’est pas la seule typologie qui existe sur le sujet ni même la plus complète, mais sa façon de classifier les traits psychologiques est suffisamment parlante pour être utilisée dans le cadre du JdR. En effet, il s’agit avant tout d’un accessoire qui n’a surtout ni la prétention d’utiliser cette théorie en profondeur, ni celle de remplacer les éléments que fournit déjà le jeu. Au contraire, elle n’est là que pour dresser le portrait d’un personnage  en centralisant quelques informations sur sa personnalité et en en accueillant de nouvelles pour permettre au joueur de garder trace de son évolution. Extraversion et Introversion La façon dont un individu se ressource et recharge son énergie mentale est classée en deux catégories : • les extravertis sont les gens qui puisent leur énergie dans leur environnement. Ils sont sociaux et à l’aise au milieu de la foule, apprécient le concret, agissent souvent avant de réfléchir, aiment s’exprimer oralement, se situent plutôt dans l’action, peuvent sembler superficiels dans leurs relations, etc. ; • les introvertis sont les gens qui puisent leur énergie en eux-mêmes. Ils sont donc assez solitaires, aiment réfléchir, apprécient la tranquillité, approfondissent les relations peu nombreuses qu’ils nouent, s’expriment plus volontiers par le biais de l’écriture, sont à l’aise avec les idées abstraites, etc. Ces deux concepts ne s’opposent pas de façon manichéenne : il s’agit plutôt de deux pôles entre lesquels se positionne une personnalité. Ainsi, le joueur peut simplement choisir sur la fiche la case qui correspond le plus à la façon dont il voit son personnage. Dans le Seigneur des anneaux, les elfes seraient ainsi plutôt introvertis car leur immortalité les amène à réfléchir plus profondément et à privilégier les relations sincères et solides. Les Hobbits, quant à eux, représentent bien l’extraversion, du fait de leur amour des grands évènements festifs. 1. Pour découvrir ces différentes personnalités, rendez-vous à cette adresse : https://www.16personalites. com/fr/types-de-personnalite

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1. Types de personnalité

Intuition et Sensation La façon dont un individu recueille les informations sur son environnement se classe en deux catégories : • l’intuition est en quelque sorte un « sixième sens ». L’intuitif perçoit le sens, a un côté rêveur, est tourné vers l’avenir, devine les implications, comprend les sousentendus, regarde l’ensemble, utilise son imagination, trouve des solutions en se basant sur cette compréhension innée des choses… ; • la sensation recouvre l’utilisation des cinq sens. Le factuel (aussi parfois appelé « observateur ») s’intéresse aux faits, prête attention aux détails, garde les pieds sur terre, analyse le présent, apprécie la clarté, use de son bon sens, s’appuie sur son expérience pour résoudre les problèmes, se sent à l’aise avec les routines… Encore ici, les deux concepts ne sont pas opposés mais bornent une échelle sur laquelle se situe la personnalité. Ainsi, le joueur peut simplement choisir sur la fiche la case qui correspond le plus à la façon dont il perçoit son personnage. Dans L’Appel de Cthulhu, un universitaire d’Arkham aura plutôt tendance à être factuel du fait de sa formation académique, privilégiant l’observation des faits et l’utilisation de données déjà compilées. En revanche, un médium qui cherche à percer le voile de l’inconnu et à percevoir une réalité hermétique se classera plutôt du côté des intuitifs. Pensée et Sentiment Une fois l’environnement observé, la façon dont un individu l’analyse puis prend alors ses décisions se classe en deux catégories : • la pensée est une fonction analytique et intellectuelle, qui s’efforce d’aboutir à une certaine objectivité. Elle en appelle à la raison. L’intellectuel1 s’efforce d’être impartial, fait des choix logiques, considère l’effet recherché, ne supporte pas les incohérences, est en quête de vérité, peut se montrer froid et réservé… ; • le sentiment assume sa subjectivité, il est instinctif et s’appuie sur l’empathie. Il se réfère au cœur. L’affectif s’efforce de faire la distinction entre le bien et le mal, prend des décisions « avec ses tripes », cherche le consensus, se place sur le terrain de la passion, fait preuve de tact, se réfère à ses valeurs personnelles… Encore une fois, ces deux concepts encadrent une échelle plus qu’ils ne s’opposent. Ainsi, le joueur peut simplement choisir sur la fiche la case qui correspond le plus à la façon dont il perçoit son personnage. Dans Star Trek, les Vulcains (à l’instar de M.  Spock) sont tournés vers la pensée et ont bâti tout leur système de valeurs sur la logique au détriment des émotions. 1. À ce sujet, consultez également l’article « Jouer des génies », p. 261.

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L’humanité, si l’on prend le fougueux capitaine James T. Kirk comme référent, tend plutôt vers le sentiment : la tendance à faire passer l’amitié avant tout, à se sacrifier pour les autres même si cela semble irrationnel, à questionner la hiérarchie, etc.

Si cette typologie (présentée ici dans une version simplifiée et tronquée, rappelonsle) s’applique bien entendu aux êtres humains, elle peut parfaitement se transposer à d’autres peuples, comme en témoignent les exemples donnés. Certaines espèces typiques sont même des représentations extrêmes des concepts décrits, et il s’avère intéressant pour un joueur d’en interpréter un membre atypique en faisant varier le curseur – sans pour autant prendre le stéréotype totalement à contre-pied. Par exemple, selon l’univers de référence, on peut imaginer un elfe intellectuel, voire rationaliste, ou un nain qui se fie davantage à son intuition qu’aux savoirs accumulés par les générations d’artisans qui l’ont précédé au sein de sa guilde. Cela favorise une personnalité plus contrastée, construite en nuances, et génère donc du jeu intéressant.

2. But et limites Un individu se définit souvent par un (ou plusieurs) but à atteindre. Le but est ce qui le motive, le pousse à avancer, la raison pour laquelle il mobilise ses ressources. Cela peut être : • la recherche de la gloire ; • le besoin de s’enrichir ; • la poursuite d’une vengeance ; • la quête d’un savoir perdu ; • la maîtrise d’un art ; • l’envie qu’on lui fiche la paix. Le joueur choisit un ou plusieurs buts (mais guère plus de trois) pour son personnage afin de déterminer ses motivations et les ressorts qui le poussent à s’impliquer. La limite est l’élément auquel l’individu est attaché plus que tout. Une limite – comme son nom l’indique – est la borne que le personnage ne dépassera pas, même pour atteindre un but. À l’inverse, une limite peut aussi être à la source d’une de ses motivations.

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Humanité et autres peuples

Quelques exemples : • sa famille ; • la personne qu’il aime ; • son honneur ; • son devoir ; • sa patrie ; • un objet auquel il tient. Le joueur choisit une ou plusieurs limites (pas plus de trois) pour son personnage, qui indiqueront à quelles attaches ce dernier n’est pas prêt à renoncer. Autour de la table, cela implique que le joueur devrait chercher à interpréter son personnage en utilisant les moyens à sa disposition pour tendre presque toujours vers la réalisation de ses objectifs, et pour éviter toute situation qui pourrait le confronter à sa propre limite. Cela signifie non seulement qu’il convient d’en tenir compte dans son interprétation, mais qu’il faut aussi mettre en avant les potentielles explications lorsqu’il agit contre la réalisation de ses buts ou ne saisit pas une occasion d’arriver à ses fins. Pour ce faire, le joueur peut par exemple exprimer les raisons du personnage ou, mieux encore, montrer dans une scène préalable la manière dont ces raisons affectent le personnage. Naturellement, les situations les plus intéressantes sont celles qui opposent buts et limites. Ainsi, un général d’armée a pour but d’accroître sa gloire et sa limite est la vie de ses hommes. S’il bataille inlassablement, c’est donc dans le but d’être reconnu comme l’un des meilleurs stratèges de son temps. Toutefois il n’est pas capable de sacrifier aveuglément les hommes qu’il dirige pour cela, alors même que c’est pour eux qu’il souhaite atteindre les sommets, afin que sa réputation leur profite. Mis dans une situation où il pourrait renverser le cours d’une bataille au prix de l’extermination de sa compagnie, ce général préfèrerait renoncer plutôt que de voir périr jusqu’au dernier les soldats qui lui font confiance. Et cela sera encore plus efficace si le joueur est parvenu à montrer au préalable à quel point le général tient à la vie de ses hommes. Dans tous les cas, il doit être conscient qu’en créant un tel personnage, il est en train de demander au MJ de mettre en jeu ce type de dilemmes. 3. Gestion des émotions Afin d’affirmer la personnalité de son alter ego, le joueur peut également réfléchir à la façon dont celui-ci gère ses émotions. Selon les théories auxquelles on se réfère, il en existe un panel plus ou moins étendu. Toutefois, il est courant de parler des cinq

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émotions1 de base que sont : la joie, la tristesse, la peur, la colère et le dégoût. Mais d’autres s’y ajoutent : la surprise, l’amour, la haine, le désir, etc.

Un personnage demi-elfe et poète maudit itinérant pourrait définir ainsi sa gestion des émotions : • joie  : il s’y abandonne avec une certaine euphorie, car les occasions de se réjouir sont si rares (et il a tendance à trop boire en de telles circonstances…) ; • tristesse : il verse dans la mélancolie. Cela alimente son art mais risque de le faire basculer dans la dépression s’il n’y prend garde. Avoir du sang elfe n’a pas que des avantages ; • peur : il y cède plus qu’il ne le souhaiterait. Il se voit comme un héros romantique, mais est un peu trop lâche pour cela ; • colère : il la domine en la transformant en une ironie cinglante qu’il retourne contre ses interlocuteurs ; • dégoût : il en a trop vu pour que cette émotion l’atteigne, mais son sang elfe ne peut supporter ce qui touche à la culture orque ; • etc.

1. À ce sujet, consultez également l’article « Créer des émotions particulières » dans Mener des parties de jeu de rôle, p. 277.

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Interpréter

Dans le tableau de la fiche de personnalité (voir p. 90), le joueur peut noter en face de chaque émotion la façon dont son personnage y réagit en général – en une phrase. Cela n’a pas vocation à devenir une contrainte trop rigide, voyez-le plutôt comme un guide d’interprétation permettant de s’assurer que le personnage garde un tempérament relativement stable. Le joueur doit bien sûr veiller à ce que ces réactions restent cohérentes avec les buts et limites de son personnage, ainsi qu’avec les diverses échelles précédentes.

Émotion

Exemples de réactions Chantonne ou sifflote un air de sa région d’origine. Croit toujours que tout le monde la partage et se laisse déborder.

Joie

Exprime son plaisir sans la moindre retenue. S’excuse auprès de ceux qui ne la partagent pas. Tente tant bien que mal de le cacher, comme s’il avait honte de l’éprouver, mais un rictus apparaît toujours sur son visage. Devient irritable et s’en prend aux autres. Échafaude un plan pour trouver une solution.

Tristesse

Mange un pot de glace. Raconte ses problèmes à qui veut bien les entendre. Sèche ses larmes en permanence, comme si on ne le voyait pas. Nie le danger, comme s’il allait disparaître de lui-même. Se cache derrière ses compagnons.

Peur

Se met immédiatement à l’abri et peu importe ce qui arrivera aux autres. Se fige sur place. Fonce sur le danger pour ne montrer aucune faiblesse. Casse quelque chose de beau. Crie sur ses camardes.

Colère

Jure comme un charretier. Ne dit aucun mot, mais son regard devient extrêmement dur. Reste calme, mais dit ses quatre vérités à qui de droit, et d’une façon extrêmement violente. A constamment l’estomac au bord des lèvres. Pose la main sur la garde ou la crosse de son arme.

Dégoût

Recule instinctivement. Se passe la main devant la bouche pour cacher son rictus. Sourit par réflexe, peut-être un peu nerveusement.

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4. Autres traits Dans cette catégorie, le joueur note tous les traits de personnalité de son personnage, que ceux-ci découlent du système de jeu (avantages, handicaps, etc.) ou qu’il les ait lui-même définis.

Cette fiche de personnalité est donc une annexe à la traditionnelle fiche de personnage. Elle est bien sûr totalement optionnelle et ne vise pas à complexifier outre mesure la création de personnage par défaut du jeu : c’est un guide qui peut très bien n’être utilisé que partiellement puis se voir complété peu à peu. Enfin, elle est amenée à évoluer afin de refléter les changements de caractère du personnage au fil de ses aventures.

Donner du corps À présent que le joueur a doté son alter ego d’une personnalité pour en guider la bonne interprétation, il est temps de s’intéresser à quelques astuces se plaçant sur un plan plus « théâtral » et destinées à prêter vie au personnage de façon plus concrète. Ritualiser pour ancrer une interprétation

À moins de jouer avec des acteurs émérites dont le charisme suffit à donner une dimension insoupçonnée au moindre de leurs gestes, il est peu probable que les tentatives d’interprétation des participants soient toutes remarquées par leurs camarades. Aussi, il est important d’inclure certains rituels, c’est-à-dire des automatismes répétés jusqu’à ce qu’ils deviennent une seconde nature. Il peut s’agir d’une phrase routinière « c’est pas moi ! » ou d’un geste (voir p. 87), mais il est important qu’ils soient suffisamment associés à un personnage et à une situation pour que, lorsque cette dernière se produit, tout le monde attende du PJ qu’il agisse d’une certaine façon. Cela prouve non seulement que les autres joueurs ont parfaitement assimilé la présence de ce personnage, mais aussi qu’ils peuvent commencer à intégrer son interprétation à la leur. En effet, ils peuvent désormais réagir si le personnage sort de sa routine, rebondir sur cet événement, etc. Naturellement, la différence entre ritualiser et exagérer n’est pas toujours évidente. Toutefois, si on prend garde à ne pas excéder ses camarades et à ne pas tomber dans la caricature pesante, cela vaut souvent le coup : faites l’effort lors des premières parties, puis assouplissez ces rituels une fois qu’ils ont été saisis par le reste de la table. 83

Interpréter

Une fois les outils qui semblent pertinents renseignés sur la fiche, le joueur devrait avoir une bonne idée du tempérament de son alter ego, de la manière dont il analyse son environnement jusqu’à sa façon de gérer ses émotions, en passant par ce qui le motive dans l’existence. Ces outils constituent une sorte de cartographie du caractère du personnage, un guide sur la façon de l’interpréter en fonction des circonstances, avec des orientations suffisamment larges pour s’adapter à toutes les situations.

Idéalement, mettez en jeu le processus qui amènera votre PJ à s’en débarrasser. Cela permet aux autres joueurs d’intégrer le rituel à leurs discussions, un personnage conseillant à un autre de l’arrêter, ou de passer par une phase de transition, par exemple en montrant pendant un temps que ce dernier vérifie qu’il ne cède pas à son habitude, avant tout simplement de ne plus l’évoquer du tout. Caractériser le personnage

À présent que le joueur a une bonne idée de la personnalité initiale de son alter ego (que cela soit grâce aux outils fournis par le jeu ou dans ce chapitre), il convient de réfléchir à la façon dont celle-ci s’exprime. • Par une habitude : le personnage possède une habitude dont il semble ne jamais se départir. Quelle est-elle et qu’est-ce que cela révèle sur lui ? Cela peut être de toujours vérifier le cran de sûreté de son arme avant une arrestation, de réciter une courte prière dans un moment d’angoisse, de solliciter l’avis d’un autre personnage avant de prendre une lourde décision, etc. Le joueur peut mettre en scène cette habitude régulièrement afin de mettre en jeu les traits de son personnage, mais aussi d’indiquer un début d’évolution de ces derniers dès lors qu’il ne la respecte plus. Il fournit ainsi des indices aux autres membres de la table quant aux changements de son caractère et leur permet de s’en servir dans leur propre interprétation. • Par une façon d’être ou d’agir  : le personnage a une méthode bien à lui d’aborder certaines situations. Plus qu’une simple habitude, il s’agit bien souvent d’un comportement qui non seulement en dit long sur lui, mais marque son entourage et provoque l’étonnement (voire le rejet ou l’admiration). Un inspecteur qui procède à la fouille d’un lieu du crime de manière non conventionnelle (mais assez efficace pour que ses supérieurs l’acceptent, quitte à susciter la jalousie de ses collègues), un informaticien qui code selon des algorithmes inhabituels formant une sorte de signature pour le meilleur (ses exploits sur le réseau sont rapidement connus) comme pour le pire (sa piste est facile à remonter), un pilote d’astronef qui se risque systématiquement à des manœuvres d’entrée en hyperespace dangereuses (mais permettant de semer aisément ses poursuivants), etc. Là encore, le changement de style peut indiquer une évolution plus profonde du caractère du personnage, à laquelle les autres joueurs se montreront plus ou moins attentifs. • Dans son rapport aux autres : les diverses personnalités n’interagissent pas entre elles de la même façon. Selon son caractère, le personnage va ainsi devoir se positionner par rapport aux autres membres du groupe. Est-il déférent envers celui qui se pose comme le leader, ou défie-t-il son autorité ? Se montre-t-il protecteur envers celui qui semble le moins apte à se défendre physiquement, ou va-t-il le mépriser pour sa faiblesse supposée ? Dans un second temps, il décide également de son comportement envers les divers PNJ amenés à croiser sa route de façon plus ou moins récurrente. Le but est d’adapter les réactions qu’il aura face à eux, en cohérence avec sa personnalité et la leur. 84

Grâce à ces quelques éléments (dont la liste n’est bien sûr pas exhaustive), le personnage montre les traits de sa personnalité au travers de situations concrètes et peut donc les interpréter de façon plus variée afin de les rendre accessibles aux autres joueurs.

C’est avant tout par les descriptions et les dialogues que le joueur parvient à donner aux autres membres de la table un aperçu de la nature de son personnage. Il en est ainsi le metteur en scène, décidant de sa gestuelle et de sa façon de s’exprimer. L’avoir doté de traits divers, habitudes ou tics n’est intéressant que si tous ces éléments sont portés à la connaissance des autres participants. Ainsi, si le joueur décide que son nain se caresse nerveusement la barbe dès qu’il ment, c’est à lui de décrire ce geste quand le personnage transige avec la vérité. Il n’est d’ailleurs pas nécessaire d’expliquer le pourquoi de ce tic : mieux vaut laisser les autres joueurs en deviner la signification au fur et à mesure. Il s’agit là du fameux principe du show, don’t tell : mieux vaut mettre en scène un trait caractéristique par l’action que par l’explication. Ici, l’interprétation passe donc par une sorte de focus sur le personnage : « la caméra » est braquée sur lui quand il agit ou parle, et c’est à son joueur de se faire à la fois narrateur et interprète afin de lui donner corps – en utilisant pour cela la multiplicité des angles de vue à sa disposition. En alternant les styles direct et indirect par exemple, il peut créer des contrastes entre la subjectivité de son personnage et l’objectivité de la scène (ce que perçoivent les autres personnages, et donc leurs joueurs) pour fournir des indications très concrètes sur le caractère de son alter ego. « “Moi, Don Fernando de la Plega, je vous défie, vil faquin ! Dégainez votre épée.” Don Fernando s’avance vers son adversaire désigné d’un pas maladroit, tandis que sa main tremble en se posant sur la poignée de sa rapière… » Si la tirade au style direct semble indiquer que le personnage s’apprête à défendre courageusement son honneur, la description au style indirect qui suit montre qu’il n’est pas si sûr de lui une lame à la main. Cela révèle un caractère ombrageux mais qui n’a pas forcément les moyens de l’être. La voix

Le JdR sur table est un loisir oral : presque tout passe par la discussion entre joueurs et MJ. La voix d’un joueur est donc le premier instrument –  et sans doute le plus important – dont il dispose pour interpréter son personnage. Moduler sa voix Si la plupart des gens parlent d’une voix égale, il peut être intéressant de jouer sur son volume afin de créer certains effets. On imagine sans peine une personne effacée s’exprimer à voix basse – à la limite de l’audible – tandis qu’un individu autoritaire va au contraire s’affirmer à un volume plus élevé. Il est néanmoins possible de jouer sur le contraste : un tueur impitoyable qui exprime ses menaces en un murmure poli

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Interpréter

Mettre en scène le personnage

marquera les esprits autant qu’un grand timide qui force sa voix pour compenser son manque de confiance en lui. Le sens de la mesure doit ici prédominer : le joueur qui opte pour un certain ton ne doit pas l’utiliser chaque fois que son personnage s’exprime (personne à la table n’a envie de devoir tendre l’oreille pour capter chaque murmure ou d’être assourdi par des diatribes trop bruyantes), mais plutôt à des occasions précises : pour souligner un moment important, une parole qui compte. Accent Il n’est évidemment pas question de se lancer dans un sketch digne de Michel Leeb mais de souligner l’origine du personnage par un accent particulier. La meilleure façon de l’utiliser ne consiste donc pas à l’imiter (ce qui s’avèrerait vite lourd ou comique), mais plutôt à piocher des expressions typiques ou un certain vocabulaire de sa langue natale. Ces éléments de langage pourront alors émailler les paroles du personnage afin de rappeler ses origines ou sa nationalité : • un investigateur belge ou suisse utilisera les termes « septante » et « nonante » ; • un magicien anglais jurera à coups de « bloody hell ! » ; • un samouraï japonais s’exclamera « masaka ! » pour signifier sa surprise ; • un Vulcain se contentera d’un laconique « illogique » pour marquer sa désapprobation face à la décision du groupe ; • un luchador mexicain galvanisera ses camarades d’un tonitruant « vamos ! » avant un combat contre des momies aztèques. Évidemment, dans le cas de cultures inventées de toutes pièces, il n’est pas forcément évident de déterminer un accent. Cela reste toutefois possible dans certains cas : on sait notamment que Tolkien s’inspira de la culture juive pour concevoir ses nains, dont la langue emprunte ainsi à l’hébreu1. Il suffit dès lors de piocher dans cet idiome (en le déformant un peu au besoin) pour caractériser son personnage nain par quelques formules dans l’ambiance. Le joueur est également libre de créer lui-même des expressions ou locutions issues d’un peuple fictif : « par la grande galaxie ! ». Les concepteurs de Battlestar Galactica inventèrent ainsi le juron déclinable « frak » afin certes de contourner la censure, mais aussi pour donner du corps à la culture des Douze Colonies. Tics de langage Dans le même esprit, le joueur peut caractériser son personnage via des expressions personnelles et des tics de langage bien à lui. Ils le rendent reconnaissable dès qu’il 1. Tolkien J.R.R., Lettres, Lettre n° 176 à Naomi Mitchison, 1951, trad. par Delphine Martin et Vincent Ferré, Christian Bourgois éditeur, Paris, 2005, p. 241.

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prend la parole tout en trahissant peut-être son métier, son milieu d’origine, des éléments de sa personnalité, etc. À nouveau, il ne faut pas en abuser en truffant ses interventions de ces formulations mais plutôt les placer ici et là quand cela s’avère pertinent (comme quand le personnage s’énerve, est surpris, etc.). Cela recouvre par exemple : • l’utilisation de l’argot pour un individu issu de l’East End londonien ; • la langue soutenue d’un aristocrate français ; • le jargon technique d’un ingénieur ; • les interjections lapidaires d’un militaire : « affirmatif », « bien reçu » ; • les qualificatifs utilisés par un gendarme (désignant comme « civile » toute personne n’appartenant pas à la « maison »). Pensez également au langage fleuri du capitaine Haddock ou au « nom de Zeus » d’Emmett Brown. Dans la même logique que pour l’accent, le joueur peut aussi forger des expressions qui n’appartiennent qu’à son personnage1, même si elles s’inspirent de sa culture ou race d’origine. La gestuelle

Le corps du joueur est le second instrument qu’il peut utiliser pour renforcer l’interprétation de son personnage. Bien sûr, autour d’une table, il va surtout se servir de ses mains et de son visage, mais cela peut suffire à typer son alter ego et à retranscrire les quelques gestes typiques qui sont les siens. Tout individu se définit par un langage corporel spécifique, et s’il peut être intéressant de créer une certaine gestuelle pour caractériser un personnage, pourquoi ne pas aller jusqu’au bout en l’interprétant physiquement ? Les possibilités sont nombreuses, même en se limitant au haut du corps : • pointer du doigt un interlocuteur que l’on invective ; • taper du poing sur la table pour mettre fin à un débat ; • baisser le regard en signe de contrition ; • parler avec les mains sous l’effet de la passion ; • bégayer face à un interlocuteur particulièrement séduisant ; • bâiller ou jouer avec ses cheveux pour montrer l’ennui ou le désintérêt ; • serrer la mâchoire pour signifier son mépris ; 1. À ce sujet, consultez également l’article « Jouer des génies », p. 261.

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Interpréter

• les expressions poétiques d’un artiste rêveur ;

• faire craquer ses phalanges avant d’entamer un combat ; • hocher la tête pour acquiescer alors que personne ne demande son avis ; • regarder sur le côté ou cligner des yeux lors d’un mensonge ; • nettoyer ses lunettes avant de parler de quelque chose de complexe ; • se passer la main dans les cheveux avant de tenter de séduire ; • mettre les mains en porte-voix pour crier sans avoir à nuire aux tympans de ses camarades ; • lever la main vers les sourcils ou l’oreille lorsque l’on cherche à percevoir quelque chose ; • fixer une personne droit dans les yeux avant de lui révéler une vérité difficile à entendre ; • claquer des doigts quand on trouve la solution à une énigme ; • se ronger les ongles ou se gratter en cas de stress. La tempérance est comme toujours de rigueur  : utiliser des éléments de langage corporel permet de souligner des moments importants de la partie et d’appuyer l’interprétation. Cela ne doit pas devenir un palliatif récurrent qui fera sombrer l’attitude du joueur dans le comique involontaire. Un accessoire

Enfin, sans aller jusqu’à revêtir intégralement les atours de son personnage, le joueur peut se doter d’un accessoire qui lui est spécifique afin de mieux l’incarner visuellement. Arborer cet accessoire peut à la fois lui permettre de mieux s’immerger dans son alter ego, mais contribue également à l’ambiance de la partie, grâce au regard des autres joueurs. Bien sûr, l’accessoire en question doit rester relativement discret et ne pas monopoliser l’attention – mieux vaut éviter la claymore portée dans le dos pour un guerrier celte ou le fusil à éléphant (même factice) pour un explorateur du xixe siècle ! Voici une liste d’exemples illustrant le panel d’accessoires qui peuvent agrémenter une interprétation : • un érudit de la Renaissance chausse une paire de bésicles avant de consulter un manuscrit ; • un decker configure sa tablette numérique avant de se lancer dans un hack risqué ; • un mafieux ne peut s’empêcher d’ouvrir et de fermer son Zippo quand il est nerveux ; • une courtisane chinoise feint de dissimuler son sourire enjôleur derrière un éventail ouvragé ;

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• un aristocrate en position dominante manipule sa chevalière avec ostentation ; • un gentilhomme victorien consulte avec préoccupation sa montre à gousset toutes les deux minutes.

Conclusion Interpréter son personnage est à la fois simple et compliqué.

Compliqué, car cela implique de se glisser dans la peau d’un autre, de réfléchir en dehors de soi, d’imaginer des réactions parfois à l’opposé de celles qu’aurait le joueur. Cet article fournit au joueur une grille lui permettant de construire le caractère de son alter ego pour donner corps à son interprétation. Toutefois, la ligne directrice qu’il définit n’a pas vocation à se transformer en carcan rigide. Au contraire, elle reste adaptable et doit évoluer en fonction des évènements vécus par le personnage. C’est au joueur de l’investir selon ses besoins afin de renforcer le plaisir du jeu au bénéfice de tous les participants réunis autour de la table.

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Interpréter

Simple, car au final, cela revient pour le joueur à s’inspirer du comportement que son personnage aurait en fonction de son tempérament et des situations rencontrées.

Fiche de personnalité Personnage : Traits de personnalité : • • • • •

Comment est-ce que je me ressource, où est-ce que je puise mon énergie ? Dans mon environnement (relations sociales, action…) Extraversion

Très extraverti

Assez extraverti

Équilibré

Assez introverti

En moi-même (solitude, réflexion…) Très introverti

Introversion

Comment est-ce que je perçois mon environnement ? Par le biais de mon intuition Intuition

Très intuitif

Assez intuitif

Équilibré

À travers mes cinq sens

Assez observateur

Très observateur

Sensation

Sur quoi est-ce que je base mes décisions ? Sur la raison, Sur l’affectif, de façon objective en fonction de mes valeurs Pensée

Très intellectuel

Assez intellectuel

Équilibré

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Assez affectif

Très affectif

Sentiment

Limites

















Émotions Joie Tristesse Peur Colère Dégoût ………

Comment est-ce que je les interprète ?

Interpréter

Buts

Aider son personnage à gagner : le B.A.-BA de l’exploration de donjons



GAGNER

Géraud G.

N

ous avons coutume de dire que dans une partie de JdR, il n’y a ni gagnants ni perdants. Cette phrase figurait déjà dans une des premières versions de D&D1 et est devenue depuis une sorte de maxime rôliste. Pourtant, elle reste très discutable. Si, en effet, il est rare que l’on joue les uns contre les autres, il existe un certain nombre de critères qui donnent aux joueurs le sentiment d’avoir gagné ou perdu. Ainsi, dans un scénario d’enquête, vous ne ressortirez probablement pas dans le même état d’esprit si le coupable n’a pas été arrêté. Et cela ne diminue en rien le fait que la partie peut avoir été plus ou moins agréable, ou qu’il existe des scénarios d’enquête où il est parfois préférable de laisser le coupable s’échapper. Toujours est-il que, ce soir-là, il vous a filé entre les doigts, vous avez perdu et vous le savez très bien. Pour un joueur, faire en sorte que son personnage gagne, c’est-à-dire qu’il surmonte ce à quoi il est confronté, résolve son problème ou réussisse sa mission, est à n’en point douter une compétence importante. Cela demande un certain sens tactique, peu importe qu’il s’agisse d’imaginer des aventuriers pillant un labyrinthe ou des histoires d’amour entre adolescents. Or, il est pour ainsi dire impossible d’écrire un chapitre qui puisse rendre compte de l’infinité de ces situations imaginaires. C’est pour cela que cet article se concentre sur l’un des objectifs les plus emblématiques de notre loisir, arriver

1. « “Winning” and “losing”, things important to most games, do not apply to D&D games! » Arneson Dave, Gygax Gary, Holmes J. Eric, Moldvay Tom, Dungeons & Dragons, Basic Set, TSR, Lake Geneva, 1981, p. B4.

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au bout d’un donjon tout en gardant son personnage en vie1, en tirant ses exemples de grands classiques comme Pathfinder2 ou D&D3. En effet, outre son importance dans l’histoire et la culture rôliste, le donjon permet de concentrer en un contexte unique et résolument orienté vers la performance plusieurs activités qui se retrouvent dans nombre d’autres jeux : exploration, combat, coopération, infiltration, planification, gestion des ressources, etc. Ce sont autant d’occasions de revoir ensemble tout un pan de la « sagesse populaire rôliste », sans doute nécessaire aux débutants, mais qui n’avait pas été évoqué ailleurs dans cet ouvrage.

Qu’est-ce qu’un donjon ? Ce terme englobe les aventures en intérieur comprenant des espaces de jeu bien délimités (tels que salles et couloirs…) et généralement présentées de façon spatiale (par un plan des lieux). Elles se déroulent essentiellement dans des complexes souterrains, souvent abandonnés par leurs bâtisseurs, mais envahis de dangereuses créatures et de défis à relever (pièges et obstacles, énigmes…). Contrairement aux aventures en extérieur, qui permettent de quitter les lieux facilement ou qui offrent un accès aisé aux ressources, les donjons imposent généralement plus de rigueur et de préparation. En effet, il ne vous est pas toujours possible d’en sortir pour rejoindre le premier village pour vous équiper, panser vos plaies ou simplement vous reposer.

Bien se préparer Tous les donjons ne se ressemblent pas, et ils ne doivent pas être tous abordés de la même façon. Que ce soit des cavernes naturelles, des souterrains maçonnés ou encore des ruines abandonnées, ils ont une histoire et ont été intégrés dans le scénario pour y jouer un rôle spécifique4. Certains donjons sont d’anciennes tombes de rois puissants 1. Cet objectif peut varier marginalement selon les jeux, mais l’idée générale est que le personnage soit capable de continuer la partie. Ainsi, dans L’Appel de Cthulhu, on s’intéressera également à sa santé mentale, dans Paranoïa au nombre de fois où il est mort, dans C.O.P.S. à ce qu’il fasse toujours partie de la police, etc. Costikyan Greg, Gelber Daniel Seth, Goldberg Eric, Rolston Ken, Paranoia, West End Games, Honesdale, 1984. 2. Bulmahn Jason, Connors Tim, Cook Monte, Courts Elizabeth, Daigle Adam et autres, Pathfinder Core Rulebook, Paizo, Redmond, 2009. 3. Baker III Richard L., Cordell Bruce R., Crawford Jeremy, Dupuis Chris, Hess Nina et autres, Dungeons & Dragons, fifth edition, Player’s Handbook, Wizards of the Coast, Renton, 2014. 4. À ce sujet, consultez également l’article « Construire un donjon, une méthode aléatoire » dans Mener des parties de jeu de rôle, p. 73, ou Baur Wolfgang, Cline C. M., Cordell Bruce R., Crawford Jeremy, Decker Jesse, Dungeons & Dragons, fifth edition, Dungeon Master’s Guide, Wizards of the Coast, Renton, 2014, p. 99 à 102, ou G. Géraud, « Animer son donjon, des murs qui vivent », Casus Belli n° 16, Black Book Éditions, Lyon, 2015, p. 198 à 205.

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envahies de morts-vivants, d’autres sont des forteresses, point de départ de raids menés sur la région, ou encore des cavernes peuplées de monstres errants ou abritant un culte démoniaque. Certains complexes sont construits pour que personne n’y rentre, d’autres pour que personne ne puisse s’en échapper. Selon les cas, l’adversité sera très différente. La première chose est donc de connaître son ennemi. Connaître ses ennemis

Amassez le maximum d’informations sur les lieux avant de vous y rendre, car connaître le donjon et son histoire aide à anticiper l’adversité à venir, ennemis comme dangers naturels. Cela vous permet notamment de savoir comment vous équiper et à qui demander de l’aide si votre groupe ne dispose pas de toutes les compétences nécessaires. Ainsi, ne rentrez pas dans l’antre d’un vampire sans la panoplie complète du chasseur de vampire ni l’assistance d’un clerc. Pour obtenir de tels renseignements, rien ne vaut un éventuel repérage (y a-t-il des lumières ? De l’animation ? Des défenses ? À quelle heure ?) et une bonne discussion avec les villageois pour apprendre les rumeurs qui courent dans la région.

Que vous ayez eu vent de l’existence d’un objet magique impie ou qu’un baron local vous engage pour nettoyer des ruines infestées de gobelins, une raison vous a conduits ici. Vous ne tombez généralement pas sur un donjon «  par hasard  », vous vous y rendez par choix. Il est donc nécessaire de dresser une liste d’objectifs primaires et secondaires pour ne pas les perdre de vue une fois à l’intérieur. Tout ce que vous entreprenez doit ensuite tendre vers ce but ou l’obtention d’éléments (renseignements, objets…) qui vous permettront de le faire. Pour cela, il est important de lister à côté de chacun de ces objectifs les informations qui leur sont liées, découvertes avant ou au cours de votre exploration. Par exemple, si vous devez délivrer un captif dans un repaire d’orcs et que vos informations précisent qu’il existe une geôle où un grand nombre de villageois sont enfermés, cela ne sert à rien de fouiller scrupuleusement chaque pièce. Concentrez-vous sur la recherche de cette salle ou des indices vous y menant. Inversement, si vous voulez juste piller les lieux, vous aurez sans doute intérêt à passer toutes les salles relativement peu dangereuses au peigne fin. Mode d’exploration

Votre mode d’exploration dépend de vos objectifs et de l’adversité. Il existe notamment l’infiltration, la conquête et le raid. Si vous avez un objectif très précis (libérer un prisonnier, récupérer une information ou un objet, etc.), votre exploration devra être furtive, comme lors d’un cambriolage. Dans ce genre d’opération, il faut éviter la confrontation armée qui risquerait de vous empêcher d’atteindre votre but (détenu exécuté, objet déplacé, etc.). Vous devez autant que possible neutraliser l’ennemi discrètement, voire l’éviter. Envoyez vos compagnons les plus furtifs en éclaireurs afin de récolter des informations utiles à la progression ou pour 95

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Définir ses objectifs

repérer les lieux. Équipez-vous d’armures légères, non métalliques (bien trop bruyantes et qui vous gêneraient dans vos déplacements). Ceci est particulièrement critique pour l’exploration de cavernes naturelles, où vous risquez de devoir escalader ou nager. Au contraire, si votre objectif est de conquérir le donjon, vous devez sécuriser chaque salle, l’une après l’autre, avant d’avancer. Plus encore, vous devez vous assurer de l’intégrité de tout ce qui se trouve entre votre ligne de front et l’endroit où vous pouvez vous ravitailler et vous reposer, voire fortifier certains passages pour pouvoir vous y replier en cas de coup dur. Dans cette approche, il est vital de pouvoir absorber les assauts ennemis sans sourciller ou de les pousser à fuir dans les profondeurs du donjon. Privilégiez donc les classes de combattants bien protégées, si possible soutenues par de soigneurs, et n’hésitez pas vous allier avec certains autochtones si cela peut multiplier vos lignes de ravitaillement. Le raid est le mode d’exploration par défaut de nombreux donjons, notamment quand votre objectif est simplement de ressortir des lieux en ayant volé le plus de richesses possible ou en ayant causé un maximum de destruction. Bien qu’orienté sur la vitesse et la force de frappe, il s’agit du mode d’exploration qui demande la plus grande polyvalence. Il consiste à s’engouffrer très rapidement dans le donjon, à frapper fort lorsque l’adversité peut être surpassée en peu de temps, et à se replier lorsqu’elle devient trop importante ou que votre groupe commence à tomber à court de ressources. Cela implique de s’adapter en un clin d’œil à ce que vous trouvez sur place et de n’apporter comme matériel précieux que celui que vous pourrez porter sur vous lors de votre fuite. Tout le reste devra pouvoir être abandonné, que ce soit pour sauver sa vie ou pour être échangé contre des marchandises de plus grande valeur. Bien s’équiper

Soyez prévoyant. Votre équipement doit à la fois être cohérent avec vos objectifs et l’environnement dans lequel vous évoluerez. Du matériel d’escalade ne sera pas de trop dans des cavernes naturelles, de même que des couvertures chaudes si vous bivouaquez à l’intérieur. Si vous voulez être discret pour exfiltrer un prisonnier, des semelles en peau éviteront de faire résonner vos pas, des instruments adaptés et de qualité assureront la réussite de votre crochetage. Ne prévoyez pas de nourriture qui vous alourdit, ni d’équipement encombrant dans ce cas. À l’inverse, il est certain que la tombe d’un roi où vous espérez découvrir un trésor conséquent abrite des pièges dissimulés. Ici, des outils permettant de désamorcer et surtout de bloquer les pièges sont primordiaux : taquets, cordes, pitons, ficelles, etc. D’autres objets s’avèrent également indispensables pour se constituer un bon équipement, car ils sont multitâches : le tissu permet de marquer son passage, faire des bandages ou un garrot, boucher des trous, se couvrir le visage pour respirer, etc. ; les torches servent à brûler, s’éclairer, éloigner les animaux sauvages. Des couverts et une gamelle sont aussi utiles pour manger que pour bloquer des pièges, dévisser, récolter des liquides, etc. Si c’est une mission de nettoyage des lieux, vous passerez plusieurs jours à l’intérieur, et des provisions conséquentes ne seront pas

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un luxe. Trouvez des planques où laisser ces provisions pour ne pas vous encombrer. Dans tous les cas, n’hésitez pas à dépenser votre argent si cela sert vos objectifs. Les premiers donjons ne visent pas à vous enrichir, mais à vous faire progresser. Avoir une équipe complète

Selon votre mode d’exploration, avoir un groupe rassemblant toutes les grandes spécialités peut être impératif. L’absence d’un voleur pour détecter les pièges ou crocheter les serrures, d’un prêtre pouvant vous protéger et vous soigner, ou d’un guerrier et de sa force de frappe compromet fortement l’exploration d’un donjon. Une solution reste d’engager des personnes pour compléter vos compétences, ou bien d’acheter les objets qui vous permettent de compenser vos manques (potions de soins, parchemins de protection, etc.). Vous pouvez de plus embaucher des aides de camp et de la main d’œuvre bon marché qui seront utiles pour faire diversion.

Une fois dans le ventre de la bête, il faut s’orienter et ne pas se perdre. La solution la plus simple consiste à dessiner le plan des lieux. Sur quoi dessiner son plan

Il peut être réalisé de manière traditionnelle (papier et crayon) ou numérique (logiciel de dessin ou spécifique comme DungeonMaker1). Optez pour le matériel avec lequel vous êtes le plus à l’aise, et ne vous forcez pas à utiliser une technologie non maîtrisée. Types de représentation

Intuitivement, il semble normal de dresser un plan réaliste et de représenter les moindres recoins, aidé en cela par une description très mathématique que l’on retrouve dans les scénarios, en particulier les anciens (la salle fait trois mètres sur trois, avec un plafond à quatre mètres et demi…). Suivre minutieusement le plan est possible si le donjon ne comprend que quelques salles, mais est voué à l’échec s’il est plus vaste ou comporte plusieurs étages. Il est dès lors conseillé de simplifier. Pour cela, vous pouvez réaliser un plan de zone qui ne représente que les lieux d’importance, mais avec tous leurs petits détails. Le plan réseau est encore plus simple et rajoute une couche d’informations. La représentation est un organigramme des points importants (salles, PNJ, couloirs) connectés par des traits colorés correspondant aux liens entre eux (fonctionnels, organisationnels, hiérarchiques…). Dans chaque entrée de l’organigramme sont reportées des notes détaillées. Par exemple, une crypte cache le cadavre d’un nécromancien avec un pentacle dans la main, le crâne défoncé. Des traces de sang sont découvertes dans une pièce voisine et, plus loin, une autre crypte semble être la sienne. 1. https://sourceforge.net/projects/dungeonmaker/

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S’orienter

Mentionnez « Crypte : cadavre nécro + pentacle + crâne défoncé » et d’autres détails de la salle, puis reliez la crypte à la pièce voisine en lien fonctionnel (lien : lieux du meurtre) et avec l’autre pièce en lien organisationnel (lien : lieux de vie). Cela vous permet de mieux comprendre le fonctionnement global de l’endroit et de ne pas oublier des indices. Pour ce genre de plan, le format numérique est plus pratique, permettant d’agrandir les cases ou d’utiliser des calques1.

Exemple de plan réaliste

Exemple de plan réseau

1. À ce sujet, consultez également l’article : G. Géraud, « Le Bon Plan (pour novices) », Casus Belli n° 14, Black Book Éditions, Lyon, 2015, p. 230 à 233.

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Prendre des notes

Les notes sont importantes pour garder une trace des indices découverts. Les reporter sur le plan permettent de les contextualiser, en particulier dans les donjons étendus où les relations entre les PNJ, l’histoire du lieu ou les objets découverts peuvent être complexes et vite oubliés. Le plan en réseau permet une prise de notes optimale.

Le plan est évidemment une aide précieuse pour ne pas se perdre. Toutefois, pour entretenir une ambiance oppressante (ou à l’intérieur d’un labyrinthe), certains meneurs considèrent les difficultés d’orientation comme un élément de jeu et n’autorisent pas les plans lors de leurs descriptions. Il vous faut donc des astuces pour vous repérer. Oubliez les miettes de pain (ou toute trace composée de nourriture), les insectes et monstres errants les feront vite disparaître. Privilégiez des méthodes moins volatiles : graver des flèches sur les murs, laisser une marque avec votre torche, abandonner des clous ou du tissu dans les coins… Dans un labyrinthe, il est impératif de toujours suivre le même mur et de tourner du même côté (cela vous permet de retrouver automatiquement votre chemin si vous devez revenir sur vos pas). Enfin, gardez en tête l’itinéraire le plus court et le plus sécurisé pour ressortir du donjon. En cas de fuite, cela sauvera peut-être la vie de votre personnage. Faites des points réguliers pour décider de la marche à suivre en cas de retraite.

Comprendre les lieux Les préparatifs étant faits, votre personnage est maintenant à l’intérieur du donjon et doit l’explorer à proprement parler. En caricaturant, cela consiste à ouvrir des portes, vaincre les monstres qui se trouvent derrière et ressortir avec leur trésor. C’est le PMT : porte-monstre-trésor. Le terme de porte évoque ici l’organisation en pièces tandis que celui de monstre désigne l’épreuve présente dans la salle (monstre à combattre, gouffre à franchir, piège à désamorcer, énigme à résoudre…). S’il semble simple de prime abord, ce mode de jeu peut cacher une vraie profondeur et nécessite en réalité de prendre en compte de nombreux paramètres pour survivre. Comprendre le donjon

Son histoire et sa fonction impliquent une architecture précise, ainsi qu’un peuplement structuré. Durant votre exploration, réfléchissez à son plan et à son fonctionnement, l’un étant souvent lié à l’autre. Par exemple, si le donjon est de taille importante et possède plusieurs étages, il est probable que des créatures différentes occupent chaque strate. Cela peut vouloir dire qu’elles sont ennemies, ce qui signifie sans doute qu’il existe plusieurs entrées et sorties et que les limites entre les frontières de chaque faction sont protégées. Ces communautés peuvent aussi collaborer et avoir modifié les lieux pour favoriser leurs échanges ou leur complémentarité.

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Ne pas se perdre

De la même façon, une geôle ne sera pas proche de l’entrée ou trop isolée car il faut nourrir les prisonniers (ce qui implique des allers-retours réguliers), la salle au trésor, à l’inverse, sera éloignée des principaux points de passage, proche du chef local, et protégée par des gardes ou des pièges. Selon les zones et les types de salles, la vie du donjon sera donc différente et comprendre l’architecture aide à deviner les liens qui existent entre les habitants, et inversement. Ainsi, si vous fouillez un temple, les parties publiques ou réservées au clergé obéissent à leur propre logique, et vous aurez beaucoup plus de chances de trouver un trésor dans ces dernières. Aussi, n’hésitez pas à espionner les habitants du donjon pour repérer leurs horaires de passage et les endroits où ils laissent les objets importants (comme les clés) ! Globalement, l’organisation du lieu donne des indices sur le moyen de réaliser ses objectifs. Vous pourrez comprendre des éléments similaires en vous intéressant à l’histoire des lieux. Rares sont les donjons à n’avoir jamais été conquis ou dont l’usage n’a pas été détourné au fil du temps. Saisir les différentes étapes de leur évolution permet d’avoir une meilleure idée des divers aménagements qui y ont été faits, et donc de l’utilité probable de telle ou telle pièce, de la présence d’une salle secrète, etc. Parfois, vous y parviendrez même mieux que les occupants actuels des lieux qui n’ont peut-être pas le bagage suffisant ni la curiosité pour comprendre ce que faisaient exactement leurs prédécesseurs, et sont donc passés à côté d’une partie de leur trésor. Être attentif aux détails

Les sens de vos personnages sont les garants de leur succès. Lorsque vous entrez quelque part, prêtez attention à chaque détail de la description du MJ. Le bruit d’un clapotis implique une forte humidité ambiante ou un lac, et peut-être des créatures amphibies. Une chaleur inattendue et des tremblements du sol préviennent qu’une rivière de lave doit passer à proximité et que le sol est instable. Notez tous ces détails sur votre plan au fur et à mesure. Mais ne vous contentez pas des détails fournis par le MJ, demandez des informations complémentaires. Le plafond est plongé dans l’obscurité, mais percevez-vous des bruits qui en viendraient ? Le lac est sombre, mais l’eau est-elle chaude ou froide  ? Les marques de griffures au sol sont-elles profondes ou superficielles ? Les restes de repas sur la table sont-ils avariés ou récents ? Plus vous accumulez de détails, plus vous anticipez les dangers à venir. Mais tous ces éléments sont aussi utiles d’un point de vue pratique. Un pied de chaise pourra servir à bloquer une porte en cas de fuite, une couverture devenir une protection contre les flammes… Bref, c’est par votre attitude que vous transformez tout ce qui vous entoure en indice potentiel, en garde-fou ou en outil. Vos ressources sont limitées, mais pas votre capacité à observer et à poser des questions.

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Questions de logistique

Arpenter des donjons implique une certaine logistique, et la première décision à prendre est de choisir le personnage qui passera devant. La position des PJ dans un couloir, à l’entrée d’une salle, lors du désamorçage d’un piège, a des conséquences importantes si les choses tournent mal. Cette position détermine les attaques que votre personnage pourra faire sur les ennemis, ou les actions d’aide et de défense possibles. Si vous vous placez à l’avant, vous serez logiquement en première ligne, donnerez et recevrez des coups, mais ne pourrez très certainement pas aider vos compagnons autrement, ni les soigner. Réfléchissez sérieusement à la place de chacun. Grâce à ses compétences (détection de pièges, esquive d’explosion ou d’attaques d’opportunité, fuite aisée), le voleur fait généralement un bon éclaireur, avec un guerrier positionné en soutien derrière lui. Le magicien, moins résistant, ou les classes ayant surtout des capacités à aire d’effet (paladin, barde, etc.) nécessitent d’être protégées et placées au centre du groupe. La marche peut être fermée par le prêtre ou le soigneur, ou un autre guerrier. La présence d’un archer (ou autre tireur) à distance de la tête du groupe est souvent décisive. Évidemment, ces positions doivent être adaptées au lieu et à l’action. Lors du désamorçage d’un piège, seul le voleur doit se trouver dans l’aire d’effet potentielle (comptez une dizaine de mètres, voire toute la salle pour être sûr ; si une porte est sur le point d’être ouverte, les guerriers peuvent se placer de part et d’autre. Un archer se tiendra à distance, avec un angle de tir dans le sens d’ouverture de la porte. Cette capacité à systématiquement se replacer en fonction des autres permet de résoudre nombre de problèmes avant qu’ils ne se produisent, mais implique certaines responsabilités. En effet, si vous êtes un guerrier lourdement armuré doté d’un bouclier et que derrière vous se trouve le magicien ou le clerc du groupe, il va vous falloir apprendre à privilégier les options tactiques permettant de bloquer les trajectoires des projectiles plutôt que de simplement les éviter, surtout si les ennemis vous tirent dessus alors que vous êtes dans un couloir. Sinon, ceux qui vous suivent risquent de payer votre talent d’esquive au prix fort. Enfin, cette capacité à se replacer doit aussi être pensée de façon dynamique. Au fur et à mesure de vos aventures, même les guerriers perdront des points de vie et devront être protégés. Les magiciens n’auront presque plus de sorts, les archers de flèches, et ils devront combattre au corps à corps. Dans ces cas-là, il faut être capable d’adapter toute votre organisation, et donc accepter de prendre d’autant plus de risques. Se séparer du groupe

Dans la majorité des cas, c’est une mauvaise idée. Un personnage isolé a peu de chances de survivre dans un environnement aussi hostile qu’un donjon. À plusieurs, vos PJ peuvent faire face à des menaces beaucoup plus variées et de façon bien plus efficace. Ils ont donc une espérance de vie plus élevée et sont plus à même de vaincre 101

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Placement et ordre de marche

l’adversité. Aussi, n’hésitez pas à agir comme une unité. Essayez de repérer ce qui a fonctionné dans les combats précédents et parlez-en. Si jamais votre personnage doit s’éloigner (par exemple pour partir en éclaireur), gardez en tête qu’un round dure six secondes et que quarante mètres d’avance représentent déjà deux rounds de course. Votre voleur est-il capable de résister ces deux rounds complets sans aide ? Privilégiez des distances courtes au maximum, ne vous éloignez pas plus d’une dizaine de mètres1. Gestion de l’éclairage

La plupart des donjons sont plongés dans l’obscurité et il s’agit souvent de la première difficulté à laquelle sont confrontés les aventuriers. Soit ces derniers n’y voient rien et se heurtent à des adversaires qui, eux, sont nyctalopes, soit ils portent des torches, mais indiquent alors leur position à des dizaines de mètres à la ronde. Fort heureusement, certains peuples jouables (elfes, nains, gnomes) ont la capacité de voir correctement sans lumière et n’en ont donc pas besoin pour se déplacer. Mais le problème reste entier pour les personnages humains ou lorsque le porteur de la torche n’est pas bien protégé et que celle-ci tombe à terre. Sans la présence d’un jeteur de sorts pour recréer rapidement de la lumière, c’est tout le groupe qui peut ainsi – et très rapidement – connaître une issue fatale. Être « indétectable »

Les monstres vivant dans l’obscurité ont développé d’autres sens, comme l’odorat ou l’ouïe. Il n’est donc pas suffisant de rester dans l’ombre, il faut être « indétectable » à proximité des zones sensibles. Dans les donjons, les bruits résonnent et, si nous avons déjà évoqué le cas des armures, des personnages qui s’opposent un peu trop vivement quant à la direction à prendre ou un autre qui fouille dans son matériel sont tout aussi facilement détectables. Essayez de vous souvenir de la façon dont les monstres les plus courants repèrent leurs proies. Certains se basent sur le mouvement et sont troublés dès que l’on reste immobile, d’autres sont capables de percevoir uniquement l’activité psychique, voire la vie. C’est le cas de certains morts-vivants : face à eux, cela ne sert donc pas à grand-chose de se camoufler, d’être silencieux ou d’éteindre la lumière ! Servez-vous de cette connaissance pour la retourner à votre avantage. Si tel prédateur peut effectivement reconnaître l’odeur du sang sur de très longues distances, camouflez la vôtre avec des excréments ou les viscères d’un ennemi. Dans ce cas-là, privilégiez un des prédateurs de la créature en question. Cela devrait la pousser à se tenir à distance. Comment aborder les pièges

Élément incontournable des donjons, les pièges sont parmi les épreuves les plus mortelles et handicapantes que votre personnage rencontrera. Précédemment, nous 1. À ce sujet, consultez également l’article : Tête Brûlée, « Ne-vous-sé-pa-rez-ja-mais ! », Casus Belli n° 11, Black Book Éditions, Lyon, 2014, p. 226 à 229.

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avons parlé du placement autour d’un piège, mais la manière de désamorcer importe tout autant. Bien que le jet dépende des capacités de votre PJ, vous pouvez essayer de prévoir des mesures permettant de minimiser les risques en cas d’échec (encordage, aide magique, utilisation d’une perche de trois mètres, etc.), voire de vous passer du jet1. Un piège a souvent pour fonction de protéger une zone ou d’alerter des troupes à proximité qu’il se passe quelque chose. Cependant, si le donjon est habité, cela veut également dire que les créatures doivent le franchir ou le désactiver fréquemment. Il existe donc un moyen de le désamorcer ou de l’éviter sans utiliser vos talents de voleur. Demandez alors des détails sur les lieux (rainures dans le sol, pierres disjointes…) et placez-vous dans la peau des habitants : où est-il logique, pour eux, de désactiver le mécanisme ? Si vos recherches restent vaines, essayez de le désamorcer à distance en utilisant des objets ou des corps (le cadavre d’un monstre peut être utilisé pour déclencher une trappe) ou des sorts (main de mage, de niveau 0 dans D&D 5, permet d’ouvrir une porte ou un coffre à distance).

Étape indispensable à la survie de vos personnages, il permet la récupération des points de vie et des sorts. Il ne doit pas être interrompu, mais a l’avantage de ne pas consommer de ressource spécifique (points de vie, sorts, potions…). La zone de repos doit être choisie avec précaution, en vous aidant de la structure et de la fonction des lieux pour minimiser les risques de rencontres malheureuses. Par exemple, dans un complexe abandonné, l’entrée du donjon est souvent sans risque. À l’inverse, dans un repaire de brigands, les allées et venues sont nombreuses, comme à l’orée d’une caverne naturelle qui sert certainement de tanière à des animaux sauvages. Comprendre l’architecture globale vous aidera à trouver un endroit à l’écart (une salle excentrée, un entrepôt désaffecté…). Si vous venez de tuer une créature dominante, sa tanière constitue un excellent abri car elle est évitée par les autres monstres. Pensez enfin à dresser des défenses autour de votre campement. Il peut s’agir de prévoir un dispositif de réveil si des ennemis se rapprochent trop (sort ou pièges rudimentaires), mais aussi et surtout d’aménager une sortie de secours si elle n’existe pas. Ne vous faites jamais enfermer dans un cul-de-sac. Les tours de garde

N’avez-vous jamais remarqué que les ennuis arrivent chaque fois que les personnages les oublient ? Sauf si vous pouvez totalement condamner l’entrée de votre abri, il est impératif de faire des tours de garde. Organisez-vous de manière à ce que les personnages blessés et les lanceurs de sorts puissent récupérer les points de vie et sorts perdus. Placez vos sentinelles dans des zones où ils peuvent voir arriver les ennemis bien en amont du camp et où, à l’inverse, vous serez invisibles pour eux. Si un danger se présente, vous 1. À ce sujet, consulter la partie « Orienter la résolution » p. 104.

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Le repos

pouvez réveiller vos compagnons le plus silencieusement possible (une ficelle fixée à leurs poignets le permet) ou beaucoup plus brutalement (hurler, cor de chasse, etc.). Pour éviter à vos PJ de s’endormir, faites les tours de garde à deux si vous êtes assez nombreux. Se nourrir

Si le donjon est de taille réduite ou que vous vous contentez d’un raid rapide, le problème des ressources ne se pose pas. Dans le cas de complexes conséquents, ressortir est impossible et prévoir assez de provisions devient critique. Vous pouvez ensuite les déposer dans des caches, mais il y a des chances qu’elles attirent les monstres errants. Une autre solution consiste à profiter de ce que le donjon peut fournir. S’il est vaste, les créatures doivent se nourrir et il existe probablement des réserves (en espérant que la nourriture soit digeste). Des ressources plus naturelles peuvent être exploitées. En plus de l’eau qui suinte, les champignons et surtout les insectes sont une source non négligeable de nourriture.

Exploiter personnage et joueur Orienter la résolution

Dans nombre de jeux récents, la réussite d’une action repose en grande partie sur les compétences de votre personnage et peut donc être résolue par un jet de dés. Lorsque vous estimez que les chances sont assez élevées, ou que vous ne souhaitez pas passer plus de temps que nécessaire sur cette action, il s’agit sans doute du mode de résolution à privilégier. Toutefois, si les compétences de votre personnage sont faibles dans un domaine (désamorçage, fouille, etc.), vous pouvez naturellement amener la résolution vers un mode sans jet. Pour cela, il vous faut détailler l’action entreprise jusqu’à ce que la réussite semble naturelle et ne dépende plus du hasard. Par exemple, la fouille de la litière d’un orc peut se résoudre par un jet, mais vous pouvez dire « je fouille la paillasse en enlevant la couverture et en séparant la paille pour voir s’il n’y a rien à l’intérieur ». Si un objet s’y trouve, la plupart des meneurs vous le diront sans réclamer de jet. Il en va de même si vous cherchez un passage secret : servez-vous de votre torche pour déceler un courant d’air ou faites couler de l’eau contre le mur pour voir si elle s’infiltre. Dans cette démarche, l’important est d’être acteur au lieu de subir le résultat du jet de dés. Tirer le meilleur de ses sorts

Même des sorts de bas niveau peuvent être efficaces s’ils sont utilisés avec astuce. Lisez et relisez leur description en réfléchissant aux situations où ils pourraient vous servir. Nous avons vu que main de mage permet de déclencher des pièges à distance. Protection contre le mal est très utile contre les vampires, car il protège de leur domination. Choisissez vos sorts en gardant à l’esprit une optique « de donjon », où les sorts utilitaires sont 104

plus précieux que les sorts de combat. Un disque flottant sera toujours le bienvenu pour transporter des objets ou des blessés. Un sort de réduction (même s’il est de plus haut niveau) permet aussi de déplacer de gros objets ou d’ouvrir une porte blindée.

La gestion du combat Connaître ses adversaires

Ne vous laissez pas abuser par une description effrayante et analysez ce que vous voyez : • si elle est décharnée et qu’elle vous a vus malgré votre cachette, il s’agit sûrement d’un mort-vivant et un clerc la repoussera plus efficacement qu’une flèche ; • un humanoïde au faciès porcin est certainement un goblinoïde qui ne respecte que la manière forte ; • une créature en flammes sera sans doute immunisée aux attaques de feu et il vaut mieux la combattre à distance pour éviter de subir des dégâts de feu au corps à corps ; • un monstre arachnide implique sans doute de se préparer à esquiver tout ce qui pourrait ressembler à une projection de toile ou à du poison, et donc de ne surtout pas rester groupés1. Les compétences de connaissance de votre personnage permettent aussi d’identifier vos ennemis et leurs pouvoirs. Par exemple, dans la cinquième édition de D&D, des tests d’intelligence peuvent permettre de connaître des éléments caractéristiques de certains types de créatures (d’autant plus dans le cas d’un rôdeur confronté à son ennemi favori). Au fur et à mesure de vos parties, dressez un tableau récapitulatif des types de monstres avec leurs forces, leurs faiblesses et éventuellement leurs caractéristiques spéciales. Gardez en tête que selon le jeu auquel vous jouez, l’univers et votre meneur, même les monstres les plus classiques peuvent voir leurs caractéristiques changer du tout au tout (flèches sans effet sur les squelettes, sorts de soin blessant les morts-vivants, immunités aux armes non magiques, etc.).

1. Ce qui est aussi vrai face à toute créature ayant une attaque de souffle.

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GAGNER

Il y a très peu de chances que vous ressortiez du donjon sans avoir livré le moindre combat, alors autant s’y préparer. Les renseignements pris avant de pénétrer dans les lieux, ainsi que les indices récoltés au cours de votre exploration servent à anticiper les capacités des adversaires, les moyens de s’en prémunir et à réfléchir à leurs faiblesses. Des créatures avides peuplent le souterrain ? Emportez des pièces de cuivre que vous utiliserez pour les pousser dans une embuscade. Un ogre ? Prenez de la viande fraîche pour l’attirer. Si vous n’avez pas eu le temps de vous renseigner sur la créature que vous allez affronter, il est important de rapidement l’identifier.

Aborder une rencontre

Le comportement des créatures face à des intrus dépend de nombreux facteurs : degré de satiété, fonction dans l’écologie du lieu, agressivité, intelligence, etc. Plus le monstre semble agressif, plus il est important de réagir rapidement et vigoureusement. Si les animaux sauvages sont souvent agressifs parce qu’ils ont faim ou que vous êtes sur leur territoire, le quitter ou les nourrir suffit en général à éviter le combat. Pour les créatures intelligentes, les motivations peuvent être bien plus diverses. Certaines sont d’implacables prédateurs motivés par la chasse (bêtes éclipsantes). D’autres accepteront de parler en échange de ressources (armes, nourriture, produits manufacturés) et sont des mines de renseignements. C’est pour cela qu’hormis dans le cas de créatures spécialement agressives ou connues pour leur alignement foncièrement mauvais, tentez toujours de discuter au moins un round. Partez du principe que chaque monstre est un PNJ qui s’ignore et traitez-le comme tel. Si nécessaire, brisez la glace en offrant un cadeau. Assurez-vous toutefois que votre groupe est sur la même longueur d’onde que vous et ne voit pas dans ces pourparlers une façon de ne pas « jouer le jeu ». Dans ce cas, n’hésitez plus et frappez avant de réfléchir. Préparer un plan de bataille

La plupart des rencontres sont anodines et ne nécessitent pas spécialement de coordination entre vos personnages. Chacun sait ce qu’il a à faire. Toutefois, ce n’est pas le cas des monstres principaux qui, comme les « boss » des jeux vidéo, réclament une cohésion parfaite du groupe pour les abattre. Avant de les affronter, prenez le temps de dresser un plan de bataille, avec des stratégies de secours et des solutions de repli au cas où la situation ne tournerait pas à votre avantage. Laissez les tensions entre personnages de côté, et mettez toutes vos capacités, toutes vos informations et tout votre équipement, même le plus insignifiant, sur la table. C’est l’occasion de voir si vous n’avez pas oublié l’existence d’un objet important. Soyez honnête dans cette étape, n’omettez rien, le pire est d’échouer alors que l’objet de la victoire est au fond d’un sac. Enfin, gardez à portée de main1 les objets dont vous aurez besoin durant le combat, comme les potions de soin. Il est rare d’avoir le temps de fouiller dans son sac dans les quelques rounds que durent les combats. L’initiative

Elle se détermine en général à partir d’un jet de dé et des caractéristiques de votre personnage. Les roublards agissent souvent en premier, les prêtres ou les magiciens en dernier. Toutefois, l’ordre d’initiative ayant une importance dans le déroulement 1. Ceci est valable autant pour le personnage qui a tout intérêt à les mettre à sa ceinture ou à des endroits facilement accessibles, que pour le joueur qui prendra de meilleures décisions s’il connaît les effets de tous ses objets et capacités, et peut les choisir en un coup d’œil. Se faire des cartes spécifiques ou customiser sa feuille de personnage sont des moyens très efficaces de parvenir à cet objectif.

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du combat, il peut être intéressant de la décaler pour réagir au moment opportun du round. Un voleur peut attendre qu’un de ses camarades occupe un adversaire pour pouvoir lui infliger une attaque sournoise, ou un guerrier que le magicien entrave l’ennemi avec un sort d’immobilisation. Le secret de l’efficacité réside bien souvent dans la coordination, au moins autant que dans la performance individuelle.

Préparer son plan à l’écart du MJ ?

Se placer

Dans la continuité du point précédent, le placement revêt une importance tactique. Avant le combat, le voleur peut explorer l’antre du monstre pour trouver le lieu propice où le défaire. Si possible, attirez-le hors de son antre1 et organisez une embuscade. Le but est d’obtenir le maximum de bonus et d’avantages tout en imposant des malus et des désavantages à la créature. Ceci est d’autant plus critique avec celles qui peuvent appeler une horde de serviteurs pour les aider  : vous aurez tout intérêt à porter le combat sur un terrain où ils ne pourront pas bénéficier de l’effet du nombre. Si vous n’avez pas pu faire de repérage, cherchez à vous placer au mieux durant le combat (en position surélevée, en prenant l’ennemi en tenaille, en couverture partielle pour les archers ou le magicien, dos au mur pour éviter les attaques sournoises…). De qui se débarrasser en premier ?

Dans un groupe d’adversaires, tous ne se valent pas et certains nécessitent d’être neutralisés en premier. C’est le cas des lanceurs de sorts qui doivent être votre priorité. Il en va de même pour les soigneurs ou les officiers, les adversaires fuiront certainement si leur chef meurt. Concentrez vos efforts sur ce type d’ennemis. Il est par ailleurs plus rentable de tuer les adversaires les uns après les autres que d’en blesser plusieurs, car chaque ennemi blessé continue à infliger des dégâts comme s’il n’avait reçu aucun dommage. Toutes vos attaques « simples » doivent porter sur le même adversaire, quitte à laisser les autres vous assaillir sans leur prêter attention (prenez 1. Dans la cinquième édition de D&D, les monstres sont dotés d’attaques spéciales au sein de leur antre.

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GAGNER

Si vous jouez dans une optique résolument compétitive avec le meneur, et que chacun cherche à utiliser son personnage au mieux de ses capacités, n’hésitez pas, si vous le pouvez, à préparer votre plan à l’écart du MJ. Voire, vous pouvez lui présenter un faux plan, afin de le prendre par surprise et de l’obliger à réagir comme le feraient les créatures. Cela peut être un moyen très efficace de garder la surprise et la spontanéité pour tous. Toutefois, assurez-vous en discutant avec lui que vous jouez dans une telle optique. En effet, non seulement celle-ci est relativement rare, mais vous risquez en plus de vous aliéner l’ensemble de la table si elle n’a pas l’habitude de ce genre de pratiques.

néanmoins garde à ne pas offrir votre dos, ni à déclencher d’attaque d’opportunité). Les attaques bénéficiant d’effets spéciaux (sommeil, peur, etc.) pouvant directement mettre un adversaire hors d’état de nuire gagnent par contre à être réparties entre les différentes cibles disponibles. Éviter le combat et préserver ses ressources

Certains donjons interdisent le repos. Dans d’autres cas, le temps est limité et il faut avancer le plus vite possible. Il est par conséquent important de gérer ses ressources correctement (sorts, munitions, provisions, santé). Vous devez éviter autant que possible les confrontations qui vous ralentiraient et conserver les ressources primordiales pour des conflits plus importants. Si vous ne pouvez les éviter, vous devez les écourter et limiter les pertes. Plusieurs solutions s’offrent à vous. • Soyez furtif. Nous en avons déjà parlé. Il n’est pas nécessaire d’affronter tous les monstres, et passer sans se faire remarquer peut être une solution pertinente pour atteindre son objectif à moindre coût. • Créer des conflits ou une panique. Servez-vous des relations entre les habitants pour dresser des factions les unes contre les autres ou créer des alliances utiles. Un monstre a des motivations personnelles (manger, le plus souvent), utilisez-les pour le manipuler. Par exemple, attirez un prédateur avec de la nourriture dans les quartiers gobelins pour déclencher la panique (ou un carnage). Allumer un incendie ou enfumer une salle peut aussi entraîner un vent de panique et vous permettre de passer discrètement, ou de prendre par surprise les habitants. Dans la même optique, vous pouvez soudoyer certaines créatures telles que des orcs, les forcer à se rendre ou vous faire passer pour des alliés potentiels avant de les attaquer par surprise. • Utilisez la dynamique des lieux. Le donjon est vivant et ses habitants ont des occupations à remplir (dormir, manger, faire leurs besoins, s’habiller et s’équiper…). Espionnez-les et profitez du meilleur moment pour attaquer. Même un ogre-mage sera gêné s’il doit se battre avec son pantalon à mi-cuisse alors qu’il est au petit coin. Néanmoins, le meilleur moment reste le sommeil. Les monstres dans leur antre n’ont pas de raison de faire des tours de garde si vous avez été discrets jusque-là. Dans ce cas, envoyez le voleur dérober subrepticement leurs armes avant de déclencher l’assaut. Vous vous donnerez un sérieux avantage. • Sabotez les lieux. La plupart des créatures s’alimentent, alors, si vous n’êtes pas pressés, équipez-vous d’un poison puissant, trouvez les réserves et empoisonnezles. Si les créatures ne meurent pas, elles seront au moins diminuées.

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conclusion Vous venez de défaire une créature et son trésor est devant vous, il est temps de répartir cette fortune. Mais comment gérer le butin et le transporter jusqu’à la sortie, voire la ville la plus proche ? Hormis dans le cas où votre groupe est friand des tensions et place l’interprétation sur un piédestal, mettez l’ego, la personnalité et la fourberie de votre personnage de côté.

Ressortir vivant… ou pas. Si vous suivez la plupart des conseils présentés, vous avez de bonnes chances de retrouver la sortie sans encombre grâce à votre plan et les indications laissées le long de votre parcours. Qui sait ? Votre personnage pourrait même sortir vivant de son premier donjon ! Pour autant, cela n’a rien de systématique : le donjon reste un type de scénario où la mortalité est très élevée. Il faut donc se préparer à perdre son personnage et à retirer quelque chose de cette expérience. Comme nous le disions au début de ce chapitre, vous pouvez avoir échoué sans avoir été mauvais, ou en trouvant la partie malgré tout plaisante. Mais, dans tous les cas, cela peut vous servir à quelque chose : relisez vos notes pour prendre conscience de toutes les erreurs que vous avez faites durant votre exploration, afin de ne plus les reproduire ou de les éviter autant que possible. Même la mort est utile dans les donjons !

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Les objets sont faits pour être utilisés, que ce soit dans ce donjon ou le suivant. Lorsque vous en découvrez un, posez-vous la question de la raison de sa présence. Si le scénario est cohérent, il n’est pas là par hasard. Pour être sûr de ne pas oublier des objets utiles, séparez sur votre fiche les classiques (y compris les armes, même magiques), des spéciaux et importants (clé, objet non identifié…). Pensez aussi que vous formez un groupe et que les objets doivent être répartis en fonction de vos compétences. Pour les objets de valeur (pièces, gemmes, bijoux), le plus simple est d’avoir un compte commun et d’échanger l’ensemble une fois de retour en ville, ou bien de diviser équitablement entre les personnages, d’autant que les pièces pèsent lourd et que ramener plusieurs centaines de kilos seul est une gageure.

Fiche de synthèse Bien se préparer • Connaître ses ennemis pour anticiper l’adversité à venir et connaître ses faiblesses. • Définir ses objectifs et en dresser une liste afin de les garder en tête au cours de l’exploration. • Choisir son mode d’exploration, infiltration si l’objectif est très précis, conquête si le donjon doit être épuré, raid si le but est de piller le maximum de richesses avant de sortir. • S’équiper pour répondre à vos objectifs et à l’environnement, notamment avec des objets utilisables dans la majorité des situations. • Monter une équipe cohérente et complète pour ne pas manquer de compétences. S’orienter • Choisir son support pour dessiner le plan des lieux (traditionnel ou numérique). • Opter pour un type de représentation adapté : plan réaliste pour les petits donjons, plan en réseau pour les lieux plus complexes et impliquant de nombreuses interactions. • Reporter des notes précises sur le plan afin de garder en tête les éléments importants du scénario. • Prévoir des astuces pour ne pas se perdre (marques, suivre un mur). Comprendre les lieux • Comprendre le donjon, son histoire et sa fonction dans l’environnement où il est implanté pour s’en servir contre l’adversité. • Être attentif aux détails des salles visitées pour anticiper les évènements et les créatures à venir. Transformer en indice potentiel ce qui vous entoure. Questions de logistique • Définir l’ordre de marche afin de ne pas être pris en défaut dans le cas d’une embuscade et de pouvoir réagir de manière optimale en cas de conflit. Se positionner à l’entrée des salles en cas de combat ou de désamorçage de pièges. Garder un ordre de marche évolutif au cours de l’aventure. • Se séparer du groupe est rarement une bonne idée. L’union fait la force. • G érer son éclairage pour ne pas être détecté et être dans les meilleures conditions d’exploration. • Être indétectable en camouflant son odeur et en évitant de faire du bruit à proximité de zones à risque. Se servir des sens des ennemis pour les tromper. • Aborder les pièges en utilisant vos capacités de joueur pour limiter les jets de dés malchanceux et vous accorder des bonus. Penser à se placer hors de la zone d’effet.

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• Choisir une zone de repos isolée et facile à défendre, et prévoir une sortie de secours. Créer des défenses autour de la zone. • Les tours de garde sont impératifs. • Exploiter les ressources présentes sur place pour éviter de vous encombrer. Exploiter personnage et joueur • Orienter le jeu vers une résolution des actions sans jet de dés en décrivant vos actes précisément. • Tirer le meilleur de vos sorts bas niveau en lisant la description dans une « optique de donjon ».

• Connaître ses adversaires en amont de la rencontre. Utiliser les connaissances de votre personnage. Dresser un tableau récapitulatif des créatures rencontrées mentionnant leurs forces et faiblesses. • Aborder une rencontre en utilisant les motivations personnelles des créatures. Traiter les monstres comme des PNJ potentiels. • Préparer un plan d’action prévoyant les échecs. Le développer à l’écart du MJ. Garder à portée de main les objets utiles en combat, comme les potions. • L’initiative doit être décalée si nécessaire pour agir au moment le plus opportun. Ne pas se précipiter et prendre en compte les actions des compagnons. • Le placement est essentiel. Chercher une position qui offre des bonus au groupe (prise en tenaille, position surélevée) et donne des malus aux adversaires. • Se débarrasser des adversaires les plus dangereux en premier (lanceurs de sorts et leaders) et se concentrer sur une créature à la fois, sans se disperser. • Éviter si possible le combat pour préserver ses ressources (être furtif, créer des conflits ou une panique chez les ennemis, espionner les habitants pour les attaquer au meilleur moment, saboter leurs ressources ou empoisonner leur nourriture). L’après • Répartir les trésors en fonction des compétences de chacun. • Prendre des notes sur ses erreurs pour ne plus les reproduire.

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Gestion du combat

Garder la balle en l’air



Vous faites déjà de l’improvisation sans le savoir

I

mprovisation. Le mot fait peur, mais pour pas grand-chose. Pour peu que vous ayez déjà joué à un JdR, vous avez déjà improvisé. Réfléchissez bien : vous êtes arrivé à la table de jeu avec votre feuille de personnage, le MJ a débuté la partie par une scène d’introduction, puis il vous a regardé dans le blanc des yeux et vous a posé la sempiternelle question : « Qu’est-ce que vous faites ? » Lui s’est préparé mentalement toute la semaine, il a fignolé son scénario pendant des heures, il s’est demandé comment anticiper vos réactions et vos choix. Si les joueuses ne s’intéressent pas à tel PNJ, ce n’est pas grave, je peux recycler l’indice qu’il devait leur donner via un autre personnage. Et puis, tel PJ possède tel pouvoir ou capacité, ce qui implique qu’il va sans doute réagir comme ça, donc moi, à ce moment-là, je peux répondre ainsi… Mais vous, vous êtes arrivé les mains dans les poches et vous avez dû faire avec. Un meurtre a eu lieu ? Bien, vous allez devoir enquêter. Un voleur s’est enfui avec une de vos possessions chéries ? Vous êtes partis pour une course-poursuite.

On se gargarise beaucoup de la capacité d’improvisation du MJ1, mais celles qui passent leur temps à improviser, ce sont les joueuses. Elles ne savent jamais ce que va 1. À ce sujet, consultez également l’article « Improviser » dans Mener des parties de jeu de rôle, p. 125.

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Cédric Ferrand

leur proposer le MJ. Donc, oui, vous avez déjà improvisé. C’est la nature même du JdR qui implique le fait de devoir s’adapter en permanence.

Improviser, une vieille habitude Car improviser, c’est surtout s’assurer de ne jamais se laisser désarçonner par ce qui se passe. C’est avoir du répondant et être capable de rebondir sans jamais arrêter le flot de la partie. Pour prendre une image, le but est de garder la balle en l’air. Les musiciens de jazz le font très bien depuis des décennies, et vous ne les voyez jamais arrêter tout à coup la mélodie pour réfléchir à la meilleure suite que pourrait avoir ce solo de trompette. Ça coule, c’est fluide, ils enchaînent. Ils peuvent avoir des routines – vous en trouverez beaucoup dans ce recueil – mais, surtout, ils se donnent les moyens de réussir. Ils ne débutent pas leur bœuf en « envoyant du lourd » dès les premières secondes. Ils s’échauffent en commençant tranquillement, ils trouvent un terrain d’entente et quand ils sont sur la même longueur d’onde, ils peuvent se lâcher en toute confiance. Parce qu’ils ont pris la mesure de l’autre musicien, de son humeur du soir, de son jeu, ils peuvent alors improviser en bonne intelligence et sans avoir besoin de la moindre pause pour se concerter. La commedia dell’arte a aussi fonctionné pendant des siècles sur des improvisations. Tous les acteurs maîtrisaient le même répertoire, il était donc aisé pour eux de broder de nouveaux motifs sur scène car ils avaient une connaissance intime des différents rôles récurrents : on savait à l’avance comment réagiraient Scapin et Colombine, tout comme on sait comment réagissent un rôdeur elfe ou un rockerboy 1 mutant. Quand on est au courant du penchant cabotin de telle joueuse, il est facile de le mettre en valeur en créant sur le pouce une situation où elle va pouvoir donner la pleine mesure de son talent. Et, avouons-le, quand on improvise souvent avec les mêmes personnes, on finit par développer des habitudes. On revisite parfois des scènes ayant déjà bien marché dans le passé, et on les améliore au passage. Ce n’est presque pas de la triche, on dit alors que « c’est l’expérience qui parle ». De fait, puisque l’improvisation n’est nullement l’apanage du JdR, il paraît intéressant d’aller puiser dans ces pratiques éprouvées pour consolider les nôtres. Cet article va donc vous faire découvrir comment les acteurs des matchs d’improvisations théâtrales s’assurent de pouvoir s’adapter sans cesse, mais aussi et surtout les fautes qu’ils ont identifiées et qu’ils s’interdisent afin de ne jamais interrompre le flot du jeu.

1. Une des classes de personnage emblématiques de Cyberpunk, caractérisée par des liens forts avec le milieu du show-business et du spectacle.

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Le match d’improvisation Trois ans après la naissance de D&D (1974 pour ceux qui souhaiteraient briller à Questions pour un champion), deux comédiens québécois se désolent de voir les théâtres se vider au profit des arènes de hockey sur glace. Ces deux compères, Yvon Leduc et Robert Gravel, mettent donc au point un nouveau type de spectacle populaire, mêlant théâtre improvisé avec les règles et le décorum du hockey : le match d’improvisation. Ce n’est pas un hasard si de nombreux rôlistes s’y adonnent depuis, ravis de trouver une autre façon divertissante de raconter à plusieurs des histoires dont ils ne connaissent pas encore le déroulement.

Le JdR et le match d’improvisation théâtrale partagent plus que la simple volonté de conter des aventures extraordinaires. Tout d’abord, il faut évoquer le plaisir de la rencontre entre les participants. Les improvisateurs s’entraînent en moyenne une fois par semaine, et cet entraînement ressemble fortement à une réunion de rôlistes. Bien souvent, il s’agit surtout d’un prétexte pour se voir, un peu comme le donjon du samedi soir est parfois une simple excuse pour déconner en mangeant de la pizza avec des amis. Mais au-delà du plaisir social, la rencontre régulière a un objectif stratégique pour les improvisateurs : plus ils passent de temps ensemble, plus ils tissent des liens et partagent leurs univers personnels. Pendant trois heures de voiture ou de train pour se rendre à un match, deux improvisateurs ont le temps de se raconter leur vie et donc de mieux comprendre leur comparse. Ils échangent et se mettent ainsi naturellement au diapason. Si l’un dit être allé voir le dernier James Bond au cinéma et avoir adoré, l’autre saura qu’il peut lancer une histoire d’espionnage plus tard dans la soirée et qu’il aura son soutien. Or, bien souvent pour la partie de JdR, on sort du travail ou de la vie de famille pour aller rejoindre sa table et l’on veut donc maximiser le temps de jeu. Cela veut souvent dire que l’on sacrifie les discussions précédant la partie. C’est un peu comme faire l’impasse sur l’échauffement1. L’idée n’est pas de s’obliger à une corvée sociale, mais de passer du temps ensemble sans qu’il soit nécessairement question du jeu. Il est plus facile de s’amuser à créer quelque chose avec quelqu’un dont on connaît les goûts qu’avec un parfait inconnu. En effet, même si c’est une façon assez géniale de forger un imaginaire commun, tout le monde n’a pas nécessairement le temps de passer un samedi après-midi avec le reste de sa table pour aller voir une exposition dans un musée. Cependant, nous disposons d’un

1. À ce sujet, consultez également l’article « S’entraîner », p. 303.

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Créer de la complicité

moment récurrent qui peut remplacer tant bien que mal ces activités intégratrices : le repas1. Il peut être considéré comme un genre de sas de décompression avant la partie. On y évacue les éventuelles tensions du boulot, on parle du dernier jeu vidéo qui nous a accaparés, on échange sur l’actualité. Ce n’est pas encore le temps du jeu, mais c’est un moment privilégié qui s’en rapproche progressivement. C’est à ce moment-là que l’on peut se rendre compte qu’une joueuse est à cran et qu’elle acceptera peut-être moins bien qu’on la titille pendant la partie. Ou à l’inverse, que le MJ a vu un documentaire génial qui va sans doute influencer l’ambiance de la séance. Ces instants sont tout sauf du temps perdu, parce que le JdR est une activité éminemment sociale. Oui, on peut parfaitement jouer avec des inconnus via une webcam, mais pour obtenir un résultat optimum, il faut se dévoiler aux autres et être curieux de ses complices de jeu.

L’absence de compétition et l’importance des fautes Il existe une autre valeur importante commune aux deux activités : l’absence de compétition. Malgré ses dehors sportifs, le match d’improvisation théâtrale n’est pas un affrontement de savoir-faire ou d’egos, tout comme la partie de JdR n’a pas pour fonction de désigner un gagnant ou un perdant (sauf peut-être certains jeux spécifiques comme Agôn2 ou Paranoïa). Généralement, la volonté de bien faire les choses et le plaisir de construire collectivement priment sur les instincts les plus individualistes. Mais, de la même façon que la joueuse qui ramène tout à elle finit par être recadrée par le MJ, l’improvisateur qui cabotine en transformant un match en one man show sera impitoyablement remis à sa place par l’arbitre qui veille à l’équilibre de l’ensemble. Celui-ci a à sa disposition tout un panel de fautes identifiées, ce qui lui permet non seulement de sanctionner une attitude indésirable, mais surtout de communiquer avec l’improvisateur concerné de façon à lui expliquer ce qui pose problème. Tout ceci contribue au fait qu’à moins qu’il ne soit particulièrement dissipé ou obtus, il est extrêmement rare qu’un arbitre finisse par expulser un participant. Avant cela, il lui aura donné des avertissements dans le cadre de ce que permettent les règles. À l’inverse, un MJ n’est généralement pas équipé pour condamner l’anti-jeu d’un rôliste. Il n’a guère d’autre choix que d’interrompre la partie, sans doute durablement, pour avoir une explication avec la joueuse concernée, ou d’imaginer un moyen de pénaliser son personnage pour l’atteindre : blessure ou mort, perte d’un objet magique…

1. À ce sujet, consultez également l’article « Organiser des parties, le b.a.-ba » dans Mener des parties de jeu de rôle, p. 17. 2. Fitzpatrick Wilhelm, Harper John, Agôn, auto-édité, 2006.

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On se retrouve donc régulièrement avec une punition arbitraire1 qui ne fait honneur à personne, sans aucun signe avant-coureur, et forcément contre-productive. Car, outre les répercussions que cela peut avoir sur l’ambiance de la table et, dans le pire des cas, sur les relations entre les joueuses, la personne concernée n’a aucun moyen de savoir qu’il y a un problème et ne peut donc pas rectifier le tir. Sans même parler de dérapage, là où un improvisateur qui ne respecte pas une consigne sait ce qu’il risque car les règles sont connues de tous et en théorie appliquées en toute équité, le contrat social2 d’une table de JdR sera bien plus souvent implicite, ce qui signifie qu’un rôliste aura bien plus de mal à comprendre instinctivement quel comportement y est accepté ou pas.

En parler tous ensemble avant que la partie ne débute n’est pas une façon déguisée de faire la morale, mais de pointer du doigt les comportements à éviter, pour le bien de tous. Ce sont ni plus ni moins des règles de bienséance ludique. D’expérience, même la meilleure tablée de jeu se laisse parfois aller et, à défaut d’être une solution miracle, identifier et évoquer ces fautes permet aussi d’avoir un vocabulaire commun pour résoudre les problèmes lorsqu’ils se produisent. Cela reste le meilleur moyen d’éviter leur pourrissement. Voici une tentative d’adapter douze fautes aux spécificités du JdR sur table. Retard de jeu

Un retard de jeu sanctionne l’attitude de joueuses qui ralentissent le rythme de la partie sans raison valable, par exemple en ne répondant pas aux questions qui leur sont posées ou en s’attardant volontairement sur des points de détail pour le simple plaisir de tergiverser ou de pinailler3. Ce qui peut facilement passer dans les premières minutes d’une partie devient beaucoup plus gênant une fois l’introduction terminée. 1. Il n’y a guère si longtemps, l’archétype de ces punitions était de décréter qu’une enclume tombait sur la tête du personnage, le blessant ou le tuant sur le coup. Cet incident, loufoque mais humiliant, était compris par tous comme une façon pour le MJ de réaffirmer son autorité. Naturellement, nous ne saurions trop vous conseiller de laisser vos personnages en dehors de ce genre de conflits et de régler directement entre joueuses ce qui doit l’être. 2. À ce sujet, consultez également l’article « Jouer ensemble », p. 129. 3. À ce sujet, consultez également l’article « Créer du jeu pour les autres », p. 179, qui propose un autre éclairage sur cette question.

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Plus important encore, bien avant toute idée de sanction, ces fautes ont été identifiées pour une raison simple : elles nuisent au plaisir des participants et à la qualité du match, pouvant amener à son interruption. En tant que règles, elles deviennent des outils pour s’assurer à la fois que la partie continue, et qu’elle le fasse de façon intéressante. Pour poursuivre l’analogie, elles garantissent que la balle reste en l’air ou que, si elle touche le sol, cela ne soit guère bloquant. C’est la raison pour laquelle il est très utile d’adapter ces fautes au JdR. En ayant conscience de leur existence, il est possible d’identifier autant de travers qui peuvent nuire non seulement à l’ambiance à la table de jeu et la cohérence du scénario, mais aussi à la partie elle-même.

« Or donc, vous êtes dans l’auberge en train de prendre un bon repas quand un homme… — Et c’est quoi, le menu ? — Oui, tiens, moi je prendrais bien une bière. Il propose quoi, comme type de bière, le tavernier ? —… quand un homme mystérieux, donc, se présente à votre table et… — Moi, je demande à l’aubergiste quelle est la bière spéciale du jour. — Ouais, et moi j’en profite pour commander une poularde. — Ah non, la poularde, moi j’aime pas. On prendrait pas plutôt du lièvre… » De façon générale, les joueuses doivent donc éviter de s’éparpiller plus que de raison et prendre l’initiative lorsqu’elles sont sollicitées. Elles n’ont pas forcément à se laisser imposer des alternatives qu’elles ne souhaitent pas, ou à changer totalement de personnalité si elles sont plutôt réservées, mais elles ont néanmoins la responsabilité de participer suffisamment pour ne pas ralentir le jeu. Et pas question ici de se cacher derrière le tempérament de son personnage1 ! Triche

On parle de triche quand une joueuse fait exprès d’ignorer un point de règle qui la concerne et la désavantage. Vous savez, le défaut qu’elle a choisi à la création de personnage et dont elle ne tient jamais compte car finalement, c’est difficile à jouer ? Cela concerne aussi la petite maline qui triche avec les dés, comme celle qui ment pour obtenir des avantages indus ou contourner une difficulté. « Et là, je torture le mafieux pour qu’il me donne le renseignement que je cherche. — O. K., fais-moi un jet de Torture. — 47 pour 50, ça passe. Je le tabasse au sang, je lui fais cracher ses chicots. Alors, il me donne l’adresse de son chef ? — Attends, c’est pas toi qui as pris “Phobie du sang” ? — Moi ? Non… Ah si… Pourquoi, ça joue, là ? » Naturellement, tricher dans un jeu qui ne cherche pas à désigner une gagnante est particulièrement vain. On touche ici à la notion même de fair-play. Il est bien sûr possible d’oublier, mais cela reste néanmoins de la responsabilité de la joueuse que de connaître son personnage et d’y penser. Elle doit accepter l’intégralité des règles, et ne pas se limiter à celles qui l’arrangent. Cabotinage

Cette faute concerne les joueuses qui en font des tonnes pour le simple plaisir de dire un bon mot, de se mettre en avant ou de faire rire leurs camarades, au détriment du personnage ou de l’histoire racontée collectivement.

1. À ce sujet, consultez également l’article « Interpréter un personnage », p. 69.

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« Les petits yeux mobiles du beholder1 dardent un regard assassin sur votre groupe, tandis que son œil central se focalise sur le paladin. — Eh, ton monstre, il vieillit à vue d’œil ou pas ? — Quoi ?! — Non, parce que tu n’arrêtes pas de dire be older2 et de parler de ses yeux… » Il ne s’agit pas de censurer toute forme d’humour, mais de doser la fréquence de ses blagues, et surtout de ne pas saper l’atmosphère angoissante d’une scène d’horreur avec une contrepèterie. L’humour est souvent un mécanisme de défense qui peut révéler que la joueuse est mal à l’aise vis-à-vis de la situation qui lui est présentée. Non respect de l’ambiance

Lorsqu’une joueuse fait une allusion à un élément qui détonne trop avec l’univers défini par l’ensemble de la table, il en résulte presque automatiquement une rupture du flot de la partie. Cette intervention nuit à l’ambiance recherchée (le ton n’est pas le même entre l’espionnage à la John le Carré et celui de Drôles de dames), mais peut également perturber les contributions des autres joueuses, par exemple en les faisant douter de ce qui doit être réintégré dans la partie ou pas, en rompant leur immersion ou en les coupant dans leur élan.

La cohésion de l’univers est une responsabilité partagée entre le MJ et les joueuses. En ne la respectant pas, la fautive montre clairement qu’elle veut continuer à peser sur les décisions de la table, mais qu’elle refuse de participer à la construction collective sur un pied d’égalité avec les autres. Volontairement ou pas, elle sape leur suspension volontaire d’incrédulité. Cliché

On peut parler de cliché lorsqu’une joueuse utilise une phrase ou un principe cent fois vu et revu en JdR. Nous nous servons toujours de références, même inconsciemment, et cela peut permettre parfois une plus grande accessibilité. Toutefois, cela devient réellement une faute quand c’est une forme de paresse narrative ou que le cliché est tellement connu qu’il discrédite toute tentative de se l’approprier. « Et là, mon hobbit cuisinier, qui se nomme Bilbo, se tourne vers lui et dit : “Frodon, je suis ton père.” » Être confronté à un cliché appliqué par paresse donne l’impression que la joueuse n’a tout simplement pas réellement envie de faire des efforts pour rendre la partie 1. Un des monstres les plus emblématiques de D&D, traduit en français par « tyrannœil ». 2. Jeu de mots en anglais, be older pouvant être traduit par  : «  sois plus vieux  », ou éventuel­ lement « être plus vieux ».

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« Et le roi des elfes vous fait mander par une missive cachetée acheminée par un oiseau de la forêt. — Putain, ça craint, il pourrait évoluer et envoyer un fax, Orion. »

intéressante. On peut comprendre un manque d’inspiration ponctuel, mais c’est aussi frustrant que de regarder une scène dans un film et être capable de dire la réplique avant l’acteur. Le plaisir de raconter une histoire ensemble dépend aussi des autres et du sentiment d’avoir créé des choses neuves sans se contenter de recycler à l’infini des stéréotypes propagés par la culture populaire et qui n’auraient pas été assez digérés. Si vous ne voulez pas spécialement utiliser un cliché pour gagner du temps, partez du même principe que pour les photomontages : vous pouvez vous servir de ces images d’Épinal, mais à condition de les tordre ou de les combiner suffisamment pour qu’elles ne soient plus reconnaissables individuellement1. Décrochage

Le décrochage est la faute commise par une joueuse qui n’arrive pas à se contrôler et arrête d’incarner son personnage pour redevenir elle-même de façon trop flagrante. Le plus souvent, elle est victime d’un fou rire : celui-ci brise son interprétation alors qu’elle participe à une scène qui serait autrement dramatique ou poignante. Reprendre immédiatement la scène peut mener à une contagion qui finit dans une surenchère de rires. Enchaîner avec autre chose pour revenir à la scène problématique quand tout le monde s’est calmé peut parfois désamorcer le problème. Sinon, il ne faut pas hésiter à faire une pause. Évidemment, l’alcool et les herbes qui font rire ne sont pas une bonne idée. Un autre type de décrochage peut arriver quand une joueuse se débarrasse progressivement des éléments qui définissaient autrefois son personnage sans que cela ne soit justifié par le jeu. Attention, il ne s’agit pas de choses qui ne sont plus répétées parce que tout le monde en est conscient, ou qui ont été modifiées par un fait de jeu2, mais bien de glissements progressifs et involontaires. Confusion

Donner des informations floues ou incohérentes a de grandes chances de créer un malentendu préjudiciable à la partie. Même si toute la table se doit d’être le plus attentive possible, il est de la responsabilité de chacun de se faire comprendre et de s’assurer que ses propositions soient limpides pour les autres et compatibles avec ce qui s’est passé précédemment dans la partie. Ainsi, une joueuse qui s’emmêle les pinceaux et rend une scène incompréhensible, ou fait croire involontairement à ses camarades que des choses actées dans les séances antérieures sont en fait erronées commet une faute. « Je tire sur la reine Fabiola. — Son garde du corps se précipite pour la protéger. 1. À ce sujet, consultez également l’article « Créer du jeu pour les autres », p. 179. 2. À ce sujet, consultez également l’article « Interpréter un personnage », p. 69.

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— Euh, non, en fait je ne tire pas avec mon arme, je la prends par la manche et je tire dessus pour qu’elle me suive… — Hein ? » Jouer demande de la concentration. Les sources de distraction sont nombreuses. Parfois, il s’agit des derniers moyens de communication (téléphone, tablette et autres) et les mettre de côté est un bon moyen de s’en protéger. D’autres fois, beaucoup de joueuses échangent à la table de façon un peu décousue ou passionnée, et il peut être difficile de se souvenir de ce qui a été validé ou pas. Il devient alors intéressant de revalider ce qui a été décidé et de demander directement aux autres si cela leur convient. Enfin, il peut s’agir d’un problème lié à la fatigue : jouer tard provoque un lent épuisement mental amenant souvent à des parties qui finissent de façon décevante. Le scénario bouclé lors d’une nuit blanche furieuse, cela fonctionne à vingt ans, un peu moins quand on doit être au bureau à huit heures le lendemain matin. Rudesse excessive

« Donc tu t’adresses au président de la multinationale. Que lui dis-tu exactement ? — Je… euh… Monsieur… Johnson, c’est ça ? Alors, euh… je souh… — T’es nul, tu t’y prends comme un manche. Laisse tomber, je m’occupe de le baratiner. » Lors d’une partie de JdR, tout le monde a le droit de participer, voire de briller, même dans un domaine où il n’a pas de prédisposition a priori. Interdire cela est une forme de violence et le type le plus courant de rudesse excessive. Parce que nous avons une activité basée le plus souvent sur la communication verbale, nous avons tendance à gérer toutes les interactions avec les PNJ en utilisant le bagout de la joueuse plutôt que les compétences de son personnage. Or, il faut accepter qu’un timide puisse dire « je le baratine » plutôt que de se lancer dans une longue tirade. Cela signifie également que toute joueuse doit pouvoir avoir accès au même temps de parole : libre à elle de s’en servir ou pas1. Refus de personnage

Un refus de personnage consiste à jouer en flagrant désaccord avec la nature même de celui-ci, au point de provoquer l’incrédulité d’au moins une partie de la table2. « Donc, tu tues l’enfant avec le poignard que tu as volé sur le cadavre du prêtre de ton dieu que tu as assassiné ? — Euh, ouais, en quoi c’est pas raccord avec mes principes de paladin ? » 1. À ce sujet, consultez également l’article « Créer du jeu pour les autres », p. 179. 2. À ce sujet, consultez également l’article « Interpréter un personnage », p. 69.

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On peut parler de rudesse lorsqu’une joueuse s’impose physiquement ou oralement et ne laisse pas aux autres la place nécessaire pour interpréter leur rôle, lorsqu’elle est agressive sans raison avec une autre participante ou avec son personnage, ou qu’elle cherche à empêcher cette dernière de jouer comme elle le souhaite.

Certaines limites internes des personnages, comme leur moralité, sont souvent perçues comme des entraves désagréables par certaines joueuses qui ont du mal à comprendre l’intérêt de se fixer de telles contraintes en JdR. Elles abusent de la liberté offerte par le média pour se défouler et transgresser toute forme de contrôle. Toutefois, si la table de jeu s’est mise d’accord sur une ambiance donnée, il est important de respecter les codes du genre ou de ne les briser que pour des raisons particulièrement significatives (évolution majeure d’un personnage ou du monde, etc.). Obstruction

On parle d’obstruction quand une joueuse empêche le jeu d’avancer par ses interruptions. Ce blocage du MJ ou des autres joueuses peut être fait en toute bonne foi (correction d’erreurs, curiosité mal maîtrisée, etc.) ou être mal intentionné (volonté de nuire à l’ambiance, plaisir de la contradiction, etc.). Cependant, il prend de telles proportions qu’il devient une gêne réelle. « Donc la liche se dresse devant vous, vous nargue de son trône puis se jette sur vous en hurlant pour vous attaquer (elle place une attaque sur chacun d’entre vous). — C’est pas possible, une liche a maximum trois attaques par round, et on est quatre. Et puis, comment se fait-il qu’elle nous attaque dans le même round où elle s’est déplacée ? Normalement, c’est soit un déplacement, soit une attaque mais pas les deux dans le même round. » Selon une vision très répandue de ce que doit être une bonne partie de JdR, le MJ est celui qui peut tordre les règles pour le bien commun. Il a des impératifs scénaristiques et doit produire une certaine expérience de jeu. Aussi, s’il estime qu’il doit contourner temporairement certains détails du système de jeu pour faciliter sa mise en scène, il est important de respecter ces entorses au sacro-saint livre de règles. Il ne change pas ces dernières pour tricher, mais pour de bonnes raisons scénographiques. Sans le transformer en gourou, nous confions au MJ une autorité supérieure qui en fait un tyran éclairé. Il a travaillé en amont de la partie pour que nous vivions une bonne aventure, la moindre des choses est de respecter son aimable dictature ludique. Vous n’êtes pas obligé de partager cette vision. Vous pouvez aussi penser, par exemple, que le meneur doit se plier aux règles comme tout le monde. Peu importe, si le jeu comprend un MJ et qu’il est responsable de l’animation de la partie, vous avez presque toujours intérêt à attendre un temps mort ou la fin de la séance pour lui indiquer qu’il s’est trompé. Non seulement personne ne vous suspectera de vouloir faire de l’obstruction, mais il est probable que la discussion pourra dès lors avoir lieu dans un contexte plus serein et dépassionné. Manque d’écoute

Une faute de manque d’écoute correspond à une situation où une joueuse fait preuve d’une inattention flagrante et montre qu’elle n’a pas suivi la scène à laquelle elle participe, ou qu’elle refuse de prendre en compte les propositions de ses camarades.

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« Donc je ligote le dompteur de fauves avec une corde, et je lui demande où il a caché le butin. — Impossible, il est mort il y a deux rounds, le dompteur, c’est moi qui l’ai achevé. — Hein ? Mais pourquoi tu ne me l’as pas dit ? — Ben si, on l’a dit, mais tu regardais Netflix du coin de l’œil, alors t’as rien capté. » Tout le monde doit fournir le même effort soutenu et intégrer ce qui a été validé par l’ensemble du groupe. Se contenter du minimum syndical en suivant l’histoire d’une oreille distraite est insultant pour le travail collectif qui est en cours. Il est évidemment possible d’être plus spectatrice qu’active, mais l’attention de la joueuse doit néanmoins être tout entière tournée vers la partie. Toutefois, ceci n’est pas qu’une question de politesse. Le fait qu’une joueuse se dissipe régulièrement est peut-être le symptôme de sa faible implication, et ce pour plusieurs raisons : manque de défis, désintérêt pour les enjeux ou les personnages de la partie, etc. Mauvaise conduite

Cela peut être l’optimisateur qui sort un fichier Excel en cours de partie pour maximiser la progression de son personnage, alors que le reste de la table a précisé ne pas vouloir de cette approche, la joueuse qui fait des appels du pied incessants sur le thème « Si vous m’aviez désignée comme MJ, ce ne se serait pas passé comme ça », celle qui somnole systématiquement durant la phase d’enquête pour devenir hyperactive au moment du combat, etc.

Pas toujours une faute Certains jeux cherchent à générer et même récompenser un comportement jugé problématique dans d’autres. C’est par exemple le cas des JdR humoristiques qui incitent les participants à cabotiner et jouer les snipers de la déconne. De même, certaines tables font d’une faute une qualité. Si toutes les joueuses apprécient de pouvoir se perdre dans des scènes ultra détaillées qui leur donnent l’impression que l’univers est plus concret, alors le retard de jeu devient totalement acceptable. Certaines jouent la mythique campagne Les Masques de Nyarlathotep1 pour L’Appel de Cthulhu en cinq séances menées tambours battants, d’autres adorent faire durer le plaisir en étalant chaque chapitre sur des mois de jeu. Tout est possible tant que l’on s’assure d’être sur la même longueur d’onde et d’éviter les déconvenues. En effet, si certains éléments

1. DiTillio Larry, Willis Lynn, Masks of Nyarlathotep, Chaosium, Oakland, 1984.

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Une mauvaise conduite est un comportement qui nuit à l’ambiance de la table sans pour autant entrer dans une autre catégorie de fautes. Il s’agit généralement d’attitudes qui remettent en cause la dynamique du jeu ou le contrat social du groupe.

peuvent être tus pour plus d’efficacité, partir du principe que quelque chose est si évident qu’il n’est pas utile de l’évoquer avec ses partenaires de jeu est souvent la meilleure façon d’aller droit dans le mur. Avant de se lancer, les joueuses doivent exprimer leurs envies, et le MJ expliquer son approche du jeu1. Si vous êtes tous d’accord pour que le MJ se soumette totalement aux règles telles qu’elles sont écrites dans le manuel, alors il n’y a pas forcément lieu de considérer l’obstruction comme un problème. Au contraire, cela peut alors devenir un garde-fou salvateur. Si vous jouez une partie un peu foutraque, les clichés pourront ne poser aucun problème et même être les bienvenus car ils seront attendus par tous les participants, qui rivaliseront pour enchaîner les allusions à des scènes ou des répliques cultes.

conclusion C’est bien beau d’identifier des fautes possibles, mais quel effet cela a-t-il en jeu, à part montrer de temps à autre à une joueuse que son roleplay n’est pas adapté ? Gardez cette image en tête : la balle doit rester en l’air. Improviser, c’est jongler en permanence, rebondir, et éviter tous ces moments qui font retomber l’intérêt de la partie. On se démène pour que les idées lancées à la cantonade alimentent les propositions des autres joueuses. C’est le fameux « oui, mais… » qui permet de dire à celle qui vient de faire une suggestion : « Géniale, ton idée, mais si tu es d’accord, je vais y apporter un twist, une complication, bref, y ajouter ma petite touche pour l’amener encore plus loin. D’ailleurs, maintenant que tu nous l’as proposée, c’est notre idée commune et on joue tous avec. » C’est parce que les joueuses ont eu cette discussion avant la partie sur les écueils à éviter qu’elles peuvent s’amuser à ce ping-pong verbal sans craindre de se prendre les pieds dans le tapis ou d’aller trop loin. Elles savent désormais toutes à quoi elles doivent prêter attention pour pouvoir jouer ensemble : ne pas trop cabotiner, rester à l’écoute, être des forces de proposition… C’est sans doute le meilleur moyen pour faire en sorte que la balle reste en l’air. Il y aura bien sûr des moments où elle va donner l’impression de tomber à terre, mais, il y aura presque toujours une joueuse pour la rattraper au dernier moment. Et quand ce ne sera pas le cas (même les plus grands improvisateurs connaissent la solitude sur la patinoire2), quand la mayonnaise ne prendra pas, ce ne sera pas bien grave car les joueuses sauront non seulement qu’elles peuvent passer rapidement à autre chose et enchaîner avec une scène plus efficace, mais aussi identifier la raison de l’échec

1. À ce sujet, consultez également l’article « Jouer ensemble », p. 129. 2. Dans le cadre du théâtre et des matchs d’improvisation, la patinoire est le nom donné à la scène.

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de celle-ci. Cela facilitera les discussions et permettra d’éviter de reproduire les mêmes erreurs. Car, bien avant toute astuce technique, l’essentiel est d’acquérir un certain esprit, d’apprendre à ne pas se laisser désarçonner et à rapidement se fondre dans l’imaginaire de l’autre. Cette capacité se développe par la pratique. C’est en se faisant confiance et en faisant confiance aux autres joueuses que l’on acquiert les bons réflexes. À force, on assimile si bien ces fautes que l’on ne les conçoit plus comme des contraintes mais comme des injonctions. Écoute. Propose. Explore. Respecte… Lorsque les joueuses ont pris le temps de s’apprivoiser et de cultiver une connivence ludique, les idées s’enchaînent d’elles-mêmes, naturellement. Mais pour en arriver là, il faut apprendre à se méfier de ces fautes, à les intégrer au point de ne plus avoir à y penser.

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Enfin, discuter de l’existence de ces fautes et dire les choses ouvertement permet souvent de prendre conscience de nos petits travers, car toutes les joueuses peuvent se laisser aller dans le feu de l’action. Au final, on n’a pas besoin de se remémorer tous les jours cette liste de fautes, mais, de temps en temps, une piqûre de rappel ne fait pas de mal, surtout si elle provoque une discussion entre les joueuses et le MJ. Car une faute est toujours le symptôme d’autre chose, par exemple d’une attente non satisfaite ou d’un inconfort. Et dans ce cas, il n’existe pas trente-six solutions : il faut en parler.

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FICHE DE SYNTHESE Apprenez à connaître les autres joueuses  • Essayez au maximum de discuter et de communiquer en dehors des parties pour créer de la complicité : repas, sorties, trajets, échanges par mails, téléphone ou réseaux sociaux. • Tenez compte de leur caractère, de leurs goûts, de leurs spécialités et servezvous-en en jeu. • Prévoyez un temps avant la partie pour décompresser, communiquer, échanger et accomplir une transition du quotidien vers le jeu. • O ubliez la compétition, vous ne construisez pas contre elles mais avec elles, vos plus belles victoires sont collectives. • Gardez à l’esprit que tout le monde fait des « fautes » de jeu, y compris vousmême, que ce qui est considéré comme une erreur dans une partie peut ne pas l’être dans une autre, et que le but est de s’améliorer ensemble et non de punir. • Discutez au préalable de ce qui constitue une faute ou pas. Les douze fautes à éviter • Retard de jeu : c’est le fait de ralentir le rythme de la partie sans raison valable (en ne répondant pas aux questions, en s’attardant volontairement sur des points de détail dispensables, etc.) • Triche : une joueuse triche lorsqu’elle ignore ou déforme sciemment un élément de jeu pour en tirer avantage (contournement d’un point de règle ou d’une difficulté, mensonge sur le résultat d’un dé, refus de jouer un défaut, etc.) • Cabotinage : cette faute désigne les comportements d’une joueuse qui détourne l’attention des autres de la partie, jusqu’à nuire à celle-ci (elle cherche à attirer l’attention sur elle, enchaîne les traits d’humour hors sujet, etc.) • Non respect de l’ambiance : l’intervention d’une joueuse rompt l’atmosphère de la partie et nuit à l’immersion des autres (évocation d’éléments triviaux ou très éloignés de l’univers de jeu, réaction trop décalée, etc.) • Cliché : la joueuse fait une référence à des schémas ou à une œuvre trop facilement identifiables, ce qui sort les autres participantes de la partie (citations de films ou de séries, lieux communs démodés, stéréotypes, etc.) • Décrochage : c’est le fait de ne plus prendre en compte que l’on joue un personnage (réactions opposées à celles du PJ, comme un fou rire lors d’une scène dramatique, oublier son caractère, sa nature ou les contraintes qui lui sont associées, etc.) • Confusion : une joueuse n’exprime pas clairement les actions de son personnage, et cela entraîne un malentendu autour de la table (termes ambigus, double sens, descriptions incomplètes ou floues, etc.)

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• Rudesse excessive : cette faute comprend les attitudes agressives envers les autres joueuses (une joueuse parle trop sèchement à une autre, que cela passe par les personnages ou pas, essaie de lui imposer une certaine manière de jouer, la dépossède de son action de jeu, etc.) • Refus de personnage : la joueuse agit de façon très incohérente par rapport à ce qui caractérise son personnage, sans que ce comportement ait une quelconque justification et au point de rompre l’immersion des autres (le PJ entreprend brusquement des actions extrêmes, oublie toute moralité ou peur des conséquences, etc.) • Obstruction : c’est le fait de sans cesse interrompre le cours du jeu par des interventions hors sujet ou inappropriées (corrections d’erreurs, curiosité mal maîtrisée, reprise sur un point de règle, etc.) • Manque d’écoute : lorsqu’une joueuse ne prête pas assez attention à ce qui se dit autour de la table, elle fait des propositions incohérentes (assimilation erronée de certaines informations, actions de facto impossibles, etc.) • Mauvaise conduite : c’est un comportement qui nuit à l’ambiance de la table sans pour autant entrer dans une autre catégorie de fautes. Il s’agit généralement d’at­ titudes qui remettent en cause la dynamique du jeu où le contrat social du groupe (optimiser un personnage au beau milieu de la partie, discuter un point de règle précis pendant de longues minutes, se désintéresser complètement de certaines phases de jeu, etc.)

Jouer ensemble



Emmanuel Gharbi

Or, cette frustration prend souvent sa source dans la dynamique qui s’est installée au sein du groupe et avec laquelle la joueuse s’est retrouvée en porte-à-faux. Cette situation peut toutefois facilement être évitée. La solution la plus simple et la plus efficace reste de prendre le temps de définir à l’avance et toutes ensemble ce que l’on attend des heures passées à jouer. Partant de l’idée qu’une saine discussion vaut mieux qu’un conflit, reste à savoir quand et comment se parler et, bien sûr, de quoi se parler. En premier lieu, il faut discuter du contenu interne au jeu : son univers, ses thèmes, son organisation, son cadre technique. L’autre sujet essentiel, c’est le fonctionnement du groupe lui-même, fait de conventions et de principes souvent tacites mais importants en cela qu’ils règlent la communauté formée par les joueuses.

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ENSEMBLE

L

es joueuses de JdR se souviennent aussi bien des parties les plus exceptionnelles que des plus embarrassantes, avec autant d’acuité voire de plaisir. On échange avec délectation les souvenirs des pires soirées, de mauvais MJ, de joueuse insupportable, de situation gênante, d’ambiance plombée, de scénario ennuyeux, de système trop ou pas assez complexe… Une partie de JdR est un moment intense : on discute le bout de gras pendant des heures, alors que l’on ne se connaissait pas forcément avant le début de la séance ou, au contraire, que l’on ne se connaissait que trop. Ainsi, au-delà de la simple perte d’une soirée, les mauvaises expériences peuvent a minima engendrer de la frustration, au pire de réelles inimitiés ou des fâcheries plus ou moins définitives.

N’ayez pas peur de discuter Prenez du recul sur votre façon de jouer et SUR la dynamique de votre groupe

Dire que, sauf très rares exceptions, le JdR est avant tout un loisir social est une évidence : il se joue à plusieurs et la parole est son principal vecteur. Il existe dans une myriade de formats et de techniques. Il se redéfinit en permanence et invente sans cesse de nouvelles formes en dénonçant généralement l’inefficacité de la précédente. Il peut se dérouler autour d’une table ou via une webcam, nécessiter ou pas des accessoires, réserver à un participant le rôle d’animateur chargé de la narration ou répartir cette fonction parmi les joueuses… Mais quoi qu’il en soit, une partie de JdR c’est un groupe de gens pris dans une dynamique sociale. Chacune des règles constituant le système de jeu n’existe en réalité que pour encadrer la parole et, généralement, pour la limiter et faire en sorte que ce qui soit dit (théoriquement du moins) soit plus intéressant1 dans le cadre du jeu, poussant ainsi chacun à adopter des références communes. Que l’on soit MJ ou joueuse (ou que le jeu ne fasse aucune différence entre ces deux statuts), ce sont bien souvent des choix non explicites qui sont à l’origine de frustrations et de ce que l’on peut appeler une « mauvaise » partie. Quelles que soient les techniques utilisées par les uns et les autres et, osons l’affirmer, quel que soit le jeu ou l’école à laquelle il se rattache, il existe toujours un risque de fracture plus ou moins forte dans le groupe. Celle-ci prend sa source dans le comportement des participants. La dynamique d’un groupe peut en effet cacher des phénomènes particulièrement sérieux ou complexes : rapports de force, de domination, mimétisme, désir d’appartenance… C’est le terrain du psychologue ou du sociologue. Mais chacun peut se demander pourquoi et comment il joue, et se rendre compte que certains sujets peuvent – doivent – être débattus. Mettez-vous d’accord sur les points cruciaux

L’idée d’établir un contrat social avant de commencer à jouer est parfois décriée. Pourtant, en théorie, son but est assez simple : expliquer ce que chacune attend de la partie à venir et déterminer ensemble les règles du groupe qui vont s’ajouter ou se superposer à celles du jeu. Cette démarche va au-delà du choix de ce dernier, même si cela en fait évidemment partie. Cette mise au point peut aussi bien concerner la question de ne pas utiliser l’une ou l’autre de ses mécaniques qu’inclure des décisions relatives au comportement de chacun, les rapports entre joueuses, la façon de s’adresser l’une à l’autre et, plus globalement, tout ce qui a trait à la logistique ou au partage des frais. On peut aller jusqu’à essayer de tout « codifier » par le contrat social, avec l’objectif avoué de juguler au maximum le risque de frustration. 1. Par exemple, la mécanique de santé mentale dans L’Appel de Cthulhu permet de parler autour de la table et dans l’histoire de folie progressive, de perte de repères, etc.

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Parler ouvertement de tout ce qui pourrait nuire à l’expérience partagée est une chose, s’assurer que cette démarche porte ses fruits est encore mieux. Synthétiser dans un mail ce que l’on vient de se dire est possible, sans pour autant tomber dans un contrat de colocation à la Sheldon Cooper. Ce petit « guide de comportement » peut tout à fait rester oral, l’important étant que tout le monde l’accepte comme partie intégrante des règles du jeu. Surtout, ces mises au point doivent rester conviviales et ne pas entraîner du ressentiment ou la mise au ban d’un individu qui se verrait accusé par les autres réunis. Le curseur n’est pas toujours évident à placer, mais pour y parvenir, nous vous conseillons de ne pas rendre les choses trop personnelles quand vous parlez de quelqu’un d’autre. Privilégiez par exemple : « on n’insulte pas la famille, même si c’est pour rire », plutôt que « Norman ne supporte pas que l’on plaisante sur sa relation avec sa sœur en la comparant à celle de Cersei et Jaime Lannister ». Le but n’est pas de créer des tensions avant le début de la partie ou de transformer une discussion conviviale d’avant-jeu en tribunal du bon goût ou du « bon jouer ». Si vous en arrivez à ce stade, c’est que le problème est plus profond et nécessite une vraie remise en cause du groupe. Savoir arrêter une campagne, et même dissoudre un groupe avant que les gens ne se détestent à vie est aussi une possibilité.

Trouvez le bon moment pour discuter Parlez avant la partie, pour établir ce que chacune aime ou pas

La création du groupe semble être le moment le plus naturel pour discuter, surtout s’il s’agit de réunir des personnes ne se connaissant pas. À l’heure d’Internet, de nombreux groupes se créent avant toute rencontre préalable. À cette occasion, chacun se présente et décrit aux autres ses attentes, ses habitudes, parfois ses expériences passées. C’est une sorte de « CV » rôliste, et le but est de déterminer si l’on est sur la même longueur d’onde. Chacun aura naturellement à cœur de préciser comment et à quoi il aime jouer, n’hésitant d’ailleurs pas à décliner la partie s’il ne se sent pas en accord avec les décisions

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ENSEMBLE

Le but, ici, n’est pas de déterminer si cette pratique est un moyen de se libérer des attitudes nuisibles, ou au contraire un carcan tuant dans l’œuf toute spontanéité et variété. Sans tomber dans l’excès, l’idéal est sans doute de répondre à cette question : pourquoi jouer ensemble ? C’est d’abord se connaître, savoir ce dont on a envie pour ne pas se forcer. C’est être capable de dire non à certains types d’expériences, parce que l’on sait définir ce qui nous a déplu, mais aussi reproduire ce qui nous a plu. C’est savoir qui est l’autre pour ne pas aller sur un terrain qui le met mal à l’aise, et pour s’assurer que chacun retire le maximum de l’expérience. En bref, c’est être ouvert mais clair en ce qui concerne ses tabous et ses envies. C’est se parler en toute franchise et parfois, c’est aussi savoir se policer, accepter des règles communes et découvrir éventuellement ce que l’on est prêt à concéder pour jouer avec les joueuses avec qui on a vraiment envie de jouer. Sinon, autant jouer tout seul à un type de jeu qui s’y prête davantage.

prises ou le profil des autres joueuses. A contrario, chacun peut choisir de privilégier la diversité des groupes et la découverte, se réservant ainsi la possibilité d’avoir de bonnes surprises, quitte à prendre le risque de jouer quelques parties moins satisfaisantes. En convention, il est difficile de refuser de côtoyer tel ou tel participant, mais chacun fait alors – généralement – l’effort de dépasser ses a priori. En réalité, la discussion préalable à une partie de démonstration est souvent un bon exemple de ce qu’il convient d’aborder avant de jouer. Celui qui présente le jeu a à cœur d’en définir à la fois les thèmes et le fonctionnement, quitte à prendre les devants en cas de tabou potentiel, chaque joueuse pose des questions sur la partie à venir. Chacune sait plus ou moins à quoi s’attendre et a normalement envie de découvrir ce jeu. De plus, un groupe nouvellement créé jouit d’une indéniable fraîcheur qui manque parfois cruellement aux plus anciens. Appartenir à un groupe déjà constitué n’exclut toutefois pas de se parler avant de jouer. C’est évident dès lors qu’une nouvelle joueuse rejoint la partie, mais tout aussi vrai lorsque le groupe tourne en vase clos. Avec l’habitude vient la tendance à considérer certaines choses comme acquises, et l’on a parfois du mal à revenir dessus même lorsque, prises individuellement, on entend les joueuses dire que « c’est moins satisfaisant », qu’on est « moins dedans », etc. Se remettre en question peut être sain au moment de changer de jeu, de terminer une campagne, d’en entamer une autre, de finir un gros scénario. Tout comme, dans le cadre d’une campagne au long cours, de se poser régulièrement la question essentielle : « est-ce que tout le monde s’amuse ? ». Parlez après les parties, pour vous rendre compte des décalages

Débriefer en fin de partie est utile pour recueillir le ressenti de chaque joueuse. Ce n’est jamais une perte de temps. Le MJ, s’il existe, doit naturellement être intégré à cette discussion, c’est une joueuse comme une autre qui, même si elle anime la partie, a elle aussi des attentes. Qu’avons-nous aimé ? Détesté ? Est-ce que l’on change des choses ? Est-ce que le système, le rythme, les thèmes satisfont tout le monde ? Comme pour l’ensemble de ces discussions, cela peut concerner également des aspects moins directement liés aux spécificités du jeu ou du scénario, mais néanmoins importants pour la partie : est-ce que l’horaire est toujours adapté ? Est-ce que l’on peut faire les montées de niveau chacun chez soi ? Marie, tu as eu l’air bizarre lorsqu’on a joué la scène avec le Chevalier Noir, est-ce que tout va bien ? Outre tous les petits réglages nécessaires aux activités collectives, ceci permet notamment d’éviter les différences de perception entre MJ et joueuses. Ainsi, il n’est pas si rare qu’un meneur ait par exemple l’impression de rater une introduction de campagne, pensant n’avoir offert qu’un long discours monotone (ou au contraire, qu’un rapide aperçu ne montrant qu’une trop petite partie des richesses de l’univers) à des joueuses ravies d’avoir pu ainsi s’approprier leur personnage à leur rythme. Ce genre de décalage, parfois heureux, parfois malheureux, est monnaie courante et c’est la raison pour laquelle le débriefing est si important.

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Si une tension émerge entre les joueuses, parlez-en pendant la partie

Enfin, il est parfois utile et même nécessaire de stopper la partie en cours de route. Une règle simple est de ne jamais laisser un conflit mûrir au point d’éclater sans réagir. Recadrer les choses quand la tension quitte l’univers fictionnel pour créer du ressentiment ou de l’animosité autour de la table est l’affaire de tous. Qu’il s’agisse d’un thème inadéquat qui met une joueuse mal à l’aise, d’un comportement qui devient problématique ou d’une compétition qui déborde dans le monde réel, mieux vaut calmer les choses. Une soirée JdR n’est pas – nécessairement – une soirée au donjon SM du coin, c’est la plupart du temps un moment de partage convivial, mais déterminer une petite phrase d’alerte en cas de malaise avant de jouer est une convention qui peut être utile quand on se connaît peu. De même, quand le ton monte, le simple fait de demander à deux de ses camarades si ce sont leurs personnages ou eux qui sont en train de parler permet un désamorçage sans douleur. Insistons sur un point : si on demande traditionnellement au MJ de jouer le rôle du gendarme, ce n’est pas sa responsabilité. Au contraire, celle-ci est partagée entre tous les participants.

Décidez de ce à quoi vous voulez jouer, et pourquoi

À chaque fois que l’on se pose pour une partie de JdR, quel qu’en soit le style, on crée. On crée du lien social, de l’histoire, du sentiment, de la compétition, de l’excitation, du débat, de l’énigme ou de la détente… Mais selon les moments ou les parties, vous aurez envie de privilégier tel ou tel aspect. C’est non seulement une réaction normale, mais être capable d’apprécier différentes façons de jouer, de définir celle que vous souhaitez adopter et modifier votre façon de jouer pour l’obtenir est aussi la preuve que vous avez une certaine maturité dans votre pratique. Alors, ne vous laissez pas entraîner dans les querelles de chapelles rôlistes et méfiez-vous de ce qui ressemble de près ou de loin à une définition arrêtée et péremptoire du « bien jouer ». Au contraire, comme indiqué ci-dessous, cherchez plutôt à déterminer très concrètement ce que vous voulez dans le cadre d’une partie (séance unique ou campagne) et une table bien précises, et uniquement dans ce cas-là. Discutez des genres et des styles

Le choix d’un jeu est un moment important pour un groupe. Souvent, une des joueuses propose que l’on essaie tel ou tel jeu qu’elle vient de découvrir ou qui lui tient

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Savoir à quoi l’on a envie de jouer, c’est répondre à la question : pourquoi est-ce que je joue ? Pour me détendre, pour rêver, pour retrouver mes camarades, pour me lancer de nouveaux défis : les raisons sont variées. De plus cette réponse n’est jamais définitive, elle change naturellement en fonction du moment, du groupe, de l’humeur…

à cœur, et le reste du groupe « vote » pour ou contre. Viennent ensuite la désignation d’un éventuel MJ, la création de personnages ou l’attribution de prétirés1, etc. Sur quels critères baser la nécessaire discussion du choix d’un jeu ? Même en partant du principe que tout le monde en a déjà entendu parler, évoquer son titre ne suffit pas, car il s’accompagne forcément d’a priori. Lorsque l’on n’y a jamais joué, on en a généralement une image toute faite, composée de ce que nous en avons lu, des conversations entendues « L’Appel de Cthulhu, le jeu où il vaut mieux créer d’emblée trois PJ vu que tu vas les perdre en quelques heures », ou de la proximité réelle ou supposée d’autres jeux « ah, c’est comme dans… ». Si l’on y a déjà joué, ce sont les souvenirs de parties précédentes, avec d’autres joueuses, d’autres envies, à une autre époque. Ajoutons le genre à la discussion. En soi, la notion semble idéale : comme pour le cinéma, on connaît les genres qui nous plaisent ou nous rebutent : « j’adore le médiéval-fantastique, je déteste le post-apocalyptique, j’aime le polar mais pas la comédie musicale2. » Le genre est le premier grand filtre. Le problème, c’est son imprécision, la versatilité de certains termes, galvaudés au point de ne plus signifier grand-chose. Que veut dire jouer « pulp » ? Pour certains, le terme sera synonyme d’action débridée et spectaculaire, dans laquelle les héros enchaînent les cascades improbables sans se décoiffer. Pour d’autres, ce sont des personnages larger than life, si importants que l’univers semble tourner autour d’eux. Certains renâclent en imaginant qu’ils auront besoin de prendre sur eux pour passer outre des intrigues stéréotypées ou des protagonistes superficiels, sans nuances et peu crédibles. D’autres, enfin, pensent surtout à un style narratif épisodique entrecoupé de cliffhangers. En résumé, dire « jouons pulp », de la même façon que de dire « jouons réaliste », c’est un peu court. Pourquoi ne pas se référer à une partie précédente : « cette aventure demandera d’être plus proactif, les actions à entreprendre seront moins évidentes », ou à un film bien connu : « est-ce que mon personnage pourra accomplir ce genre d’actions ? ». Bien souvent, parler du genre d’un jeu, c’est surtout parler de son univers. On aborde peu la technique au-delà de « j’aime les systèmes de jeu abstraits » ou « je veux que les règles soient solides et seules juges de paix ». C’est peut-être une erreur. Quand on parle de jeu vidéo, il semble évident de dire que l’on aime avant tout le scoring3 et la pure performance, ou au contraire le jeu d’ambiance, que l’on déteste les QTE4 ou la 3D isométrique5, que l’on aime les mondes ouverts ou le jeu de plateforme… Ce jargon, comme celui que l’on emploie pour distinguer les différents genres, n’est 1. À ce sujet, consultez également l’article « Créer un personnage », p. 29. 2. Qui reste une niche en JdR, reconnaissons-le. 3. Le fait de jouer dans le but d’atteindre le score le plus élevé possible, ce qui devient l’objectif premier. 4. Un QTE (Quick Time Event) est un très court laps de temps où la joueuse doit réagir d’une seule manière, en appuyant sur une touche précise. 5. La perspective isométrique est une représentation de l’espace qui accorde la même importance à ses trois dimensions : largeur, hauteur et profondeur. Cette vue peut concerner des titres aussi variés que le RPG Baldur’s Gate ou le jeu de réflexion Monument Valley.

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pas forcément clair ou évident pour tout le monde. Jouer tactique, jouer sandbox, jouer linéaire, jouer narratif, faire du story game… Le plus simple est d’expliquer clairement ce que cela veut dire pour vous. Typiquement, cette joueuse n’aime pas le post-apo. Mais qu’est-ce qui la gêne dans le genre ? En en discutant, elle exècre la gestion tatillonne des ressources. Elle comprend qu’elle soit essentielle pour l’atmosphère car elle permet d’intégrer des thèmes importants (menace de pénurie, lutte sauvage pour la survie), mais elle déteste l’aspect « comptes d’apothicaire » pour se souvenir qu’il lui reste deux cartouches et une gorgée d’eau. Or, plus que le genre fictionnel, c’est une certaine façon de jouer qui l’ennuie. Ainsi, le système de jeu peut tout à fait compenser cela et offrir d’autres moyens de suggérer la pénurie, la nécessité de se rationner et de récupérer le moindre objet. Et le même problème peut se retrouver ailleurs : rien n’empêche un MJ de gérer un JdR fantasy comme un post-apo et de comptabiliser chaque carreau d’arbalète ou chaque sou dépensé… Notre joueuse se heurtera alors au même problème dans un genre qui, pourtant, lui plaît davantage. Au final, comme souvent, il suffit d’être clair et de définir ce que l’on attend des parties à venir avec quelques phrases : « j’aimerais jouer dans un univers sensiblement réaliste, où l’on peut faire des choses pointues mais qui restent humainement possibles. Les combats seraient souvent mortels, par exemple, et il faudrait en être conscient avant d’en déclencher un. J’aimerais que l’on traite de thèmes adultes et que nos personnages réagissent de manière crédible et non pas outrée. J’ai envie que l’on crée de l’ambiance en mettant de la musique1, qu’on limite les jets de dés à l’essentiel… »

Avoir déterminé le genre de partie qui plaît à tous est une bonne chose, mais cela ne suffit pas à décrire la manière dont vous allez l’utiliser. Après tout, l’énorme force d’un genre, c’est la possibilité qu’il a d’être transcendé, c’est-à-dire d’aborder certaines thématiques au travers de ses codes (et de les faire émerger en cours de jeu) alors qu’elles sont peu ou pas traitées habituellement. En effet, si certains genres semblent impliquer des thématiques comme si elles étaient des composants de leur ADN, il est souvent particulièrement fertile de voir ce que vous pouvez y intégrer d’autre. La combinaison apportera presque à coup sûr une forme de fraîcheur, de renouvellement, et une indubitable richesse. Prenez le western. La vengeance, la quête de liberté, les grands espaces, l’homme contre la nature, la violence intrinsèque de l’être humain sous le vernis de la civilisation, la responsabilité, l’amour, la cruauté, les relations filiales… Autant de thèmes à traiter dans un genre qui a souvent l’image d’un carcan immuable. Le genre est une convention que l’on peut prendre à rebrousse-poil pour la détourner. Voyez 1. À ce sujet, consultez également l’article « Jouer en musique » dans Mener des parties de jeu de rôle, p. 297.

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Discutez des thèmes et des motifs

par exemple deux films aussi différents que La Prisonnière du désert et L’Homme qui tua Liberty Valence. Tous deux sont réalisés par John Ford, tous deux sont interprétés par John Wayne, tous deux sont des chefs-d’œuvre et vous les trouverez sur le même rayon virtuel de votre site de VOD. Mais ils ne vous procureront certainement pas la même expérience. Lorsqu’un auteur écrit un jeu ou un scénario, il détermine les thèmes qu’il souhaite explorer et donc ceux que les joueuses vont très probablement expérimenter. Parfois, ce processus est inconscient. Parfois, ces thèmes sont établis dès l’introduction et donnent une tonalité claire à l’ouvrage : c’est la note d’intention. Pour quiconque s’intéresse à la façon dont on conçoit des JdR, c’est toujours une lecture très intéressante. On y apprend les raisons pour lesquelles l’auteur a choisi telle approche, tel sous-système, tel niveau de détail, la façon dont un mécanisme particulier prend corps avec l’univers décrit. Une bonne note d’intention permet de s’assurer de la cohérence du jeu dans son ensemble, mais aussi de son adéquation avec nos attentes. De la même manière, une campagne de JdR mérite aussi sa note d’intention. Sans qu’elle soit nommée ainsi, on la trouve très souvent dans l’avant-propos de nombreux scénarios du commerce. Ainsi, nous vous conseillons de la lire avec le reste de la table, afin de vérifier qu’elle ne comporte pas de points d’achoppements, d’éléments qui pourraient générer des tensions ou déplaire. Elle permet également d’évoquer tous ensemble les éléments que vous allez modifier si vous prévoyez une adaptation susceptible de remettre en cause ces intentions premières. Si votre MJ, dans le cas où il y en a un, ne le propose pas de lui-même, n’hésitez pas à lui demander d’en préparer une, même sous forme de liste de points qui seront abordés, par exemple : • les thèmes ; • les personnages ; • l’univers ; • le système de jeu ; • le type d’épreuves auxquelles vont être confrontés les PJ (enquête, combat, réflexion, trahison, manipulation, domination au sens large, etc.) et leur niveau de difficulté général.

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Faites de certains thèmes une limite Mais pourquoi en parler avant de jouer ? Ne prend-on pas le risque d’irrémédiablement déflorer l’intrigue ? Tout dépend à vrai dire des thèmes abordés et de la connaissance qu’ont les joueuses les unes des autres. Intégrer dans la discussion précédant le jeu une présentation rapide des thèmes poursuit un but simple : s’assurer que personne ne sera mal à l’aise. Une joueuse peut notamment avoir deux raisons de rejeter un thème : • elle peut le trouver choquant et vivre son intégration comme une agression qui la fera sortir de la partie pour la confronter directement à un passé possiblement douloureux, à ses peurs ou ses tabous ; • la difficulté d’aborder ce thème avec sérieux, ou à l’aborder en public, généralement par pudeur ou peur du ridicule. La joueuse risque dès lors de se mettre en retrait, en évitant ledit sujet par tous les moyens ou en se montrant sarcastique lorsqu’il émergera.

Parlez des thèmes difficiles

On oublie parfois le caractère suggestif de la parole et l’emballement de l’imagination. Tout ce qui touche à l’intégrité de la personne est évidemment difficile à aborder : viol, sexisme, racisme, homophobie et harcèlement sont des sujets extrêmement sensibles2. Dès que l’on touche aux peurs, il convient d’être prudent : nous ne réagissons pas de la même façon à la mise en scène du gore, du sadisme, de certaines phobies comme l’isolement ou la terreur panique face à certains animaux. Il en va de même avec la violence. Elle semble pourtant être une donnée acquise de l’écrasante majorité des jeux publiés. Combien n’intègrent pas un chapitre exclusivement dédié à la violence, aux combats, aux blessures qu’elle provoque ? Héritage évident des wargames, le JdR est encore marqué par la prépondérance du combat comme moyen de règlement des conflits, voire comme mode d’expression principal ou même unique des personnages ! Et pourtant, la violence est choquante, surtout dans ses formes extrêmes comme la torture. 1. Catégorie de films d’horreur qui mettent en scène des victimes impuissantes à la merci de bourreaux sadiques. 2. À ce sujet, consultez également l’article « Ne pas être cette joueuse-là », p. 329.

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A priori, quelqu’un qui choisit d’entrer dans une salle de cinéma diffusant un torture porn1 a conscience du spectacle auquel il va assister. Mais il n’a pas forcément signé pour cela si le sujet de la partie du soir – scalpels et énucléations – n’a pas été évoqué en amont. Tout le monde ne vient pas faire une partie de JdR pour questionner son moi intérieur, réfléchir sur la vie, la mort, l’identité ou des sujets sensibles comme le racisme, l’exclusion ou le deuil. Pour beaucoup de joueuses, le JdR reste avant tout un moment de détente qui doit être léger et fun. Croire qu’il ne se limite qu’à cela est terriblement réducteur, au vu de la richesse qu’offre le média, mais choisir de le pratiquer ainsi n’en est pas moins légitime.

Il n’est pas question ici de suggérer d’aplanir ou de censurer vos parties. Explorer ensemble des thèmes complexes et variés est une force du JdR, et une preuve parmi d’autres de sa qualité de média à part entière. Par contre, s’assurer que chacun est d’accord pour prendre part à cette exploration est une condition indispensable. Elle peut ne pas être suffisante  : par pudeur, par peur peut-être de donner l’impression que leur sensibilité impose des contraintes aux autres, certaines joueuses n’oseront pas mettre des limites et seront alors confrontées à une situation choquante en cours de partie1. Parler de la mort d’un proche ou de la maladie incurable de son personnage peut sembler anodin, mais ce n’est pas le cas si une joueuse vit une telle expérience. Savoir être à l’écoute des autres durant la partie, se rendre compte qu’un participant est mal à l’aise, savoir proposer une pause, c’est aussi faire preuve de maturité. Une distinction utile lorsque l’on souhaite poser des limites préalables est celle des lignes et des voiles2. Elle permet de différencier respectivement ce dont on ne veut même pas entendre parler dans la partie, quelles qu’en soient les raisons, et les sujets qui peuvent devenir des éléments d’intrigue, mais que l’on ne souhaite pas voir décrits ou joués de façon explicite. Ainsi, une joueuse peut être à l’aise avec l’idée de mener une enquête pour traquer un tueur d’enfants, mais n’avoir aucune envie qu’on lui détaille l’état des victimes. Distinguer les deux permet de discuter plus efficacement et plus subtilement des thèmes qui posent problème. Identifiez les thèmes inhibiteurs Les sujets difficiles ont tendance à engendrer des comportements de distanciation chez certaines joueuses. Dérision, sarcasmes, attitudes caricaturales ou outrancières du personnage voire de la joueuse sont autant de façons de ne pas se confronter à un thème. C’est souvent le cas lorsque l’on aborde certaines émotions3 : désir, chagrin, perte, sentiment amoureux… Tout le monde n’est pas à l’aise avec l’idée de montrer son émotivité en public. Est-ce un effet d’un culte de la virilité – encore et malheureusement – dominant dans la pratique du JdR ? D’une manière générale, c’est parfois la peur de se montrer en situation de faiblesse qui prédomine. N’oubliez pas qu’en tant que joueuses, nous projetons notre ego dans notre personnage et que certaines 1. Note des éditeurs : pour éviter cela, vous pouvez utiliser la technique de la carte X : si une joueuse lève une feuille de papier où elle a tracé un X, cela signifie qu’elle est mal à l’aise et que l’on doit recommencer la scène  : mieux vaut faire une entorse à la fiction que de blesser une joueuse. Si vous le souhaitez, une variante existe avec plus de possibilités, notamment celle de faire une ellipse (carte E) et de passer immédiatement à la scène suivante. La carte X est un concept que l’on doit à John Stavropoulos : http:// tinyurl.com/x-card-rpg. Cette variante, imaginée par Coralie David et Jérôme Larré, est disponible ici : www.tartofrez.com/anothercard/ 2. Nous devons ces concepts à Emily Care Boss, qui les a définis dans le jeu suivant : Care-Boss Emily, Breaking the Ice, Black and Green Games, Plainfield, 2005. 3. À ce sujet, consultez également l’article « Créer des émotions particulières » dans Mener des parties de jeu de rôle, p. 277.

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détestent se sentir dépossédées ou amenées sur un territoire inconfortable. Ceci peut paradoxalement les amener à privilégier un cynisme de façade qui, s’il peut permettre d’éviter une gêne ponctuelle, n’est au final bon pour personne. Qui n’a pas connu de table semblant tout droit sortie d’un mauvais film d’action des années 1980, composée uniquement de durs-à-cuire impassibles, incapables d’éprouver la moindre émotion ou compassion, prêts à commettre les pires exactions et désamorçant toute situation dramatique d’une punch line virile ? Si tout le monde s’amuse ainsi, il n’y a rien à redire. Mais si c’est une source de frustration pour certains ou que le jeu déborde (sabordage, moqueries, blagues sexistes, etc.), le dialogue est nécessaire. Il permet au groupe de déterminer les défis qu’il est prêt à se lancer, mais aussi les comportements offensants qu’il ne souhaite pas tolérer.

Discutez de ce qui entoure le jeu Parlez des aspects logistiques

La plupart des groupes se réunissent dans un même lieu pour jouer. Ceci implique tout un ensemble de contraintes spécifiques qu’il faut parfois gérer par le biais de règles explicites. En effet, il existe une foule de petits détails qui caractérisent le « jouer ensemble ». Si la plupart d’entre eux sont dictés par le bon sens et les usages de la vie en communauté, il ne faut pas pour autant les négliger, même les plus basiques. Rien de tel qu’une table remplie de joueuses à l’hygiène corporelle douteuse pour en dégoûter d’autres à tout jamais. Définissez précisément les horaires de jeu et la règle en cas d’absence L’organisation et l’environnement du jeu sont de vrais sujets, pas aussi triviaux que l’on pourrait le penser. À quel rythme et à quelle heure joue-t-on ? La ponctualité des joueuses est un vieux débat qui peut facilement être réglé par une décision commune : 139

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Si ce n’est pas vous qui êtes mal à l’aise, observez les autres joueuses. Est-ce que certaines se mettent en retrait lorsque des thèmes spécifiques sont abordés, ou se font couper l’herbe sous le pied par des sarcasmes ou des moqueries ? Si vous remarquez ce genre de phénomènes, et surtout s’ils sont récurrents, il est temps d’en parler. Commencez par demander aux autres joueuses pourquoi ces scènes sont systématiquement ratées ou raccourcies, pour quelle raison elles ne peuvent pas être jouées au-delà d’un registre comique. Si jamais le sujet provoque un malaise autour de la table, cela vaut peut-être le coup de bannir ces thèmes de vos parties, quitte à avoir recours à l’ellipse s’ils émergent à nouveau. Si une joueuse, vous-même ou une autre, se sent privée de scènes qu’elle affectionne, il est sûrement possible de négocier avec les autres d’être plus respectueuses lorsque le thème qui l’intéresse est abordé, afin qu’elle ne soit pas frustrée. En retour, il faudra que le MJ, s’il y en a un, accepte d’en doser la fréquence afin d’arriver à un équilibre qui satisfasse tout le monde.

« à telle heure, on commence, même sans tout le monde », d’autant plus si l’heure de fin est, elle, imposée par un horaire de transport en commun. La durée de la partie est un sujet tout aussi important. Certaines joueuses décrochent complètement au bout de cinq heures, leur esprit papillonne et il leur est impossible de suivre l’action. Or, d’autres finissent seulement de s’échauffer au bout de cinq heures et ne conçoivent pas la possibilité de faire une partie de moins de dix heures. Gérer l’absence est tout aussi important1. Ce n’est aucunement une question de jugement de valeur, la plupart des joueuses conviendront sans souci que la « vraie vie » prévaut sur le jeu. Toutefois, il vaut mieux décider d’une convention commune de praticité qui peut être par exemple : « si une joueuse est absente, on part du principe que l’on joue sans elle ce soir-là ». Réglez une bonne fois pour toutes les questions de nourriture et de lieu Mangez-vous en cours de partie, au risque de parler la bouche pleine et de cochonner votre fiche de personnage, ou est-ce proscrit  ? Qui paye la nourriture  ? Qui la prépare ? Est-ce qu’il est préférable que chacun apporte sa nourriture ou mange avant de venir  ? Crée-t-on une cagnotte commune dans laquelle tout le monde met la même somme pour faire des courses ? Est-ce que toutes les joueuses les feront à tour de rôle ? Dans tous les cas, il est mieux que cette tâche ne revienne pas toujours aux mêmes personnes, et nous vous conseillons fortement de choisir un mode de fonctionnement qui soit équilibré. De la même manière, définissez l’endroit où vous allez jouer : chez le MJ est un automatisme qui peut être remis en cause. Un roulement peut constituer une meilleure solution, pour que ce ne soit pas toujours les mêmes qui se déplacent. Discutez des différentes manières de communiquer Réfléchissez un instant à la façon dont votre groupe fonctionne : est-ce que vous restez vissés sur votre chaise, ou est-ce que vous vous déplacez dans la pièce ? Peut-être ne jouez-vous d’ailleurs pas autour d’une table mais sur le canapé ? Est-ce que vous avez recours au langage corporel, est-ce que vous pouvez toucher l’épaule d’une autre joueuse dans le cadre d’une conversation roleplay, ou est-ce qu’au contraire c’est une limite à ne pas franchir ? Quelle convention d’expression satisfait le plus de monde : « je » ou « mon personnage dit que » ? Comment gérez-vous les digressions  ? Sont-elles monnaie courante et font-elles partie intégrante du plaisir de vous retrouver, ou sont-elles strictement bannies  ? Utilisez-vous le décor ou pas du tout ? Aimez-vous les éléments concrets que l’on peut manipuler2, allez-vous jusqu’à vous vêtir en fonction du contexte de jeu ? 1. À ce sujet, consultez également l’article « Organiser des parties, le b.a.-ba » dans Mener des parties de jeu de rôle, p. 17. 2. À ce sujet, consultez également l’article « Jouer avec les aides de jeu » dans Mener des parties de jeu de rôle, p. 331.

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Lorsqu’une joueuse obtient des informations que seul son personnage doit connaître, faites-vous des apartés systématiques ou l’information est-elle donnée à tous, en comptant sur la capacité de chacune à ne pas en abuser ? Cela peut concerner le système de jeu : existe-t-il un ou plusieurs référents techniques ? Doit-on interrompre la narration pour régler un point technique ou se contenter d’y revenir plus tard, à froid ? Au final, bon nombre de petites conventions se mettent en place de manière informelle au fur et à mesure que le groupe mûrit, et ont vocation à rester implicites. Il peut néanmoins arriver que l’on ressente le besoin de préciser les choses, de les modifier… Si vous ressentez une gêne, il faut que la discussion aboutisse à des décisions claires. On est en droit de ne pas apprécier une table où la vulgarité est constante, ou de refuser de se voir imposer des opinions contraires aux siennes, violentes ou tranchées. On peut ne pas souhaiter avoir de contacts physiques entre joueuses. Ce sont des éléments que les pratiquants de GN maîtrisent mieux et plus naturellement, en raison des contraintes physiques qui imposent des règles de sécurité et de bienséance claires. On l’oublie plus facilement dans le JdR sur table, et nous vous conseillons au contraire d’aborder ces sujets. Enfin, n’attendez pas trop de ce qui reste une partie de JdR : elle ne vaut jamais la peine de se forcer et on ne peut pas être ami avec tout le monde. Se définir geek ou rôliste n’est pas un passeport pour l’amitié éternelle et sans heurt. Certains peuvent tout à fait apprécier de jouer ensemble, mais ne pas se trouver d’atomes crochus en dehors des parties.

Un sujet de discussion récurrent concerne le niveau d’investissement des joueuses. Que signifie « être investi » ? La réponse diffère selon les individus : elle peut se limiter à la simple présence à table ou s’étendre à de nombreuses activités annexes. Estimezvous utile de prendre des notes de manière systématique, comme on le constate souvent lors de parties de type « enquête » ? Et si personne ne se propose, faut-il désigner un scribe officiel parmi les membres de l’équipe ? Il peut arriver que la situation l’exige, par exemple si le MJ a des problèmes de mémoire et craint de ne pas pouvoir prendre des notes lui-même, mais l’idéal est sans doute de ne rien imposer, ou du moins de ne pas les imposer à une personne en particulier. Assez naturellement, certaines joueuses prennent l’initiative de ce genre de choses. Encore faut-il qu’elles puissent dire au groupe lorsqu’elles en ont assez ! Ainsi, clarifier cet aspect dès le début ne peut qu’être bénéfique. Décider de prendre les notes tour à tour ou négocier une quelconque récompense pour les joueuses qui s’en chargent peuvent être des solutions. Le plaisir de certaines joueuses s’étend aux activités qu’elles peuvent avoir entre les parties elles-mêmes : tenue de journal, dessins, envoi de messages (mails, forum) sur l’activité des personnages hors des séances de jeu, correspondance épistolaire entre PJ ou avec un PNJ, rédaction de comptes rendus plus ou moins élaborés, etc. C’est là un choix personnel qui ne devrait être ni bridé, ni exigé. Certaines joueuses ont besoin, 141

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Déterminez le degré d’investissement

par exemple, d’écrire un background touffu à leur personnage et d’autres préfèrent le construire à la volée1. Rien n’empêche ces deux philosophies de cohabiter, tant que personne ne projette ses envies sur les autres. Il est donc important que chaque joueuse les définisse précisément, pour que tout le monde puisse se positionner. Identifiez vos défauts2 et parlez-en

Dans le monde fictionnel comme dans la réalité, certains comportements facilement identifiables peuvent être source de frustration. Il arrive parfois que nous ayons certains de ces défauts sans même nous en rendre compte, ou que nous ne les remarquions que chez les autres. Voici une liste d’exemples archétypaux courants, accompagnés de pistes pour résoudre les problèmes qu’ils posent : • le monopolisateur de parole : il est très difficile d’en donner une définition. À partir de quel moment peut-on estimer qu’une joueuse accapare la parole au détriment des autres ? Le plus simple est peut-être que chacune soit sensibilisée à ce sujet. Si l’on se rend compte que l’on a répondu aux cinq dernières questions posées par le MJ, peut-être est-il temps de passer la main à ses camarades pour les prochaines ? Si l’on remarque qu’une joueuse se met systématiquement en avant, on peut lui suggérer de prêter attention à laisser jouer les autres. Si une autre se sent marginalisée, incapable de s’exprimer, discutez du fait qu’il faut respecter le temps de parole de chacune, essayer de ne pas couper l’autre quand elle s’exprime, de ne pas chercher à influencer ses décisions pour son propre intérêt. À l’inverse, on n’a pas à forcer la main de celle qui se contente de participer à l’aventure sans vouloir prendre la parole ou déclamer des tirades flamboyantes. • le gardien du temple : il est bien connu et ne concerne pas que les jeux à licence. De nombreuses joueuses s’attachent à l’univers de leur jeu fétiche au point de tout connaître, très précisément. C’est bien souvent le nouveau venu, pourtant avide de découvrir un univers apparemment passionnant, qui en fait les frais : avalanches de termes spécialisés, raclements de gorge réprobateurs pour lui signifier qu’il est hors sujet… Rien de tel pour dégoûter une potentielle recrue. À noter qu’il existe exactement le même type de comportement pour les règles et qu’il est tout autant dommageable. Il vaut mieux rappeler, entre les parties, que chaque table de JdR crée forcément un fragment d’univers dans lequel elle joue et le modifie par la même occasion. Ainsi, certains codes doivent être adaptés et il faut accepter que chacun n’en ait pas la même maîtrise. • le grand frère : dans le même ordre d’idées, en rejoignant une campagne en cours où les autres personnages ont du vécu, on peut vite se retrouver écarté : « laisse, c’est compliqué avec ce PNJ », « je vais m’en charger pour toi » ou « tu ne peux pas comprendre ». Si en parler ne suffit pas, voici une idée simple à proposer au reste de 1. À ce sujet, consultez également l’article « Créer un personnage », p. 29. 2. À ce sujet, consultez également l’article « Garder la balle en l’air », p. 113.

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la table : il suffit de donner à la nouvelle joueuse plusieurs jetons, chacun d’entre eux représentant une sorte de passe-droit pour rééquilibrer la richesse du vécu : « en réalité, je connais très bien ce type, j’ai déjà fait ça dans le passé, j’ai un super contact qui pourrait nous aider… »

Conclusion : adaptez-vous

En effet, ne perdez pas de vue que les règles que nous venons d’évoquer sont certes spécifiques au groupe, mais également susceptibles de changer selon le jeu. Cela peut même s’avérer absolument nécessaire : celles que vous avez définies pour cette campagne de fantasy solaire ne conviendront pas pour une autre à l’ambiance plus proche du film noir. Peut-être que vous vous couperez davantage la parole, par exemple. Il faut par conséquent adapter ces conventions en vous posant les questions suivantes : est-ce nécessaire pour rendre la partie plus intéressante, et quel impact est-ce que cela aura sur votre table ?

1. Pondsmith Michael Alyn, Castle Falkenstein, R. Talsorian Games, Berkeley, 1994.

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Certaines de ces conventions n’ont pas forcément vocation à être débattues longuement, car elles sont plus ou moins imposées par les circonstances. Dans ce cas, les rappeler suffit généralement. Par exemple, la nature du monde fictionnel impose aussi des contraintes. Pour que l’aventure commune ait lieu, il faut installer une certaine forme de collaboration active, parfois une espèce de concession. Refuser la mission peut sembler cohérent avec les convictions d’un personnage, mais cela doit-il se heurter à la dynamique globale de la partie ? Pourquoi vouloir jouer un fieffé traître lorsque la « norme » du jeu – comme dans Château Falkenstein1 – est de mettre en scène des héros aux intentions pures ? Est-ce que cela nuit à l’expérience de tous, ou est-ce que cela peut l’enrichir  ? C’est parfois la nature même du jeu qui distord les relations sociales entre joueuses : en imposant par exemple la compétition, comme dans Agôn. Tout repose sur l’idée que le groupe se fait de son expérience commune.

Fiche de synthèse Voici la liste de questions que vous pouvez évoquer afin de vous mettre d’accord sur la majorité des points qui peuvent poser problème. En y répondant, chacune pourra expliquer ce qu’elle attend de la partie à venir. Vous déterminerez ensemble les règles de votre groupe, qui vont s’ajouter ou se superposer à celles du jeu. Le jeu • Pourquoi joue-t-on ? Pour se détendre, rêver, retrouver ses camarades, se lancer de nouveaux défis, ou toute autre raison ? • Pourquoi jouer ensemble ? Qu’est-ce que l’on attend de la ou des partie(s) à venir ? • Quelles sont les attentes de chaque joueuse ? Ses habitudes ? Ses expériences passées ? • À quoi voulez-vous jouer ? Pourquoi ? • À quel jeu va-t-on jouer ? • Souhaitez-vous modifier certains éléments du jeu, comme une mécanique par exemple ? Si oui, pourquoi et comment ? • Comme le titre, le genre fictionnel et ce que l’on a entendu dire sur un jeu ne suffisent pas pour en saisir l’essence, quels sont les points communs et les différences avec les parties précédentes faites par le groupe ? Quels types d’action le personnage peut-il entreprendre ? • Une fois l’univers du jeu expliqué, qu’en est-il des aspects techniques ? • Lorsque vous évoquez vos préférences en matière de genres fictionnels, quels sont précisément les thèmes, les motifs et les codes qui vous plaisent et vous déplaisent ? • Est-ce que le jeu comprend une note d’intention ? Si oui, pouvez-vous la lire ensemble ? Comporte-t-elle des points d’achoppement dont il va falloir parler ? • S’il n’existe pas de note d’intention, le MJ peut-il en préparer une version informelle en abordant les éléments suivants ? a. Les thèmes. b. Les personnages. c. L’univers. d. Le système de jeu. e. Le type d’épreuves auxquelles vont être confrontés les PJ (enquête, combat, réflexion, trahison, manipulation, domination au sens large, etc.) et leur niveau de difficulté général. • Jusqu’où peut-on s’écarter du cadre proposé par la partie ? Par exemple, est-ce que l’on heurte sa dynamique globale si on refuse la mission pour être en accord avec les principes de son personnage ? Peut-on jouer un traître quand le fait de jouer des héros aux intentions pures est au cœur du jeu ? Est-ce que cela nuit à l’expérience de tous, ou est-ce que cela peut l’enrichir ?

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• Au bout de quelques parties, il peut être utile de refaire un point : qu’avons-nous aimé ? Détesté ? Est-ce que l’on change des choses ? Est-ce que le système, le rythme, les thèmes satisfont tout le monde ?

• À quel rythme joue-t-on ? Une fois par semaine, par mois ? Détermine-t-on un jour par défaut ? • À quelle heure commence-t-on, et à quelle heure arrête-t-on ? Quelle est la durée idéale d’une partie ? • À partir de quelle heure commence-t-on à jouer, même s’il y a des retardataires ? Ou est-ce que l’on attend tout le monde quoi qu’il arrive ? • Que fait-on si une joueuse est absente ? Est-ce que la partie est de facto annulée, est-ce qu’elle est maintenue ? Dans ce cas, que devient le personnage de la joueuse absente ? Est-il également absent, ou est-ce qu’une autre (MJ ou pas) en prend le contrôle ? Le PJ peut-il mourir ou subir tout autre événement lourd de conséquences en l’absence de sa joueuse attitrée ? • Au bout de quelques parties, il est bon de se reposer ces questions, notamment : est-ce que l’horaire est toujours adapté ? • Mange-t-on en cours de partie, ou est-ce proscrit ? Mange-t-on avant ou après la partie ? Ensemble ou chacune de son côté ? • Qui paye la nourriture ? Qui la prépare ? Est-ce qu’il est préférable que chacune apporte sa propre nourriture ou amène un plat pour le partager avec les autres, façon auberge espagnole ? Fait-on une cagnotte commune dans laquelle tout le monde met la même somme pour faire des courses ? Est-ce que toutes les joueuses les feront à tour de rôle ? Dans tous les cas, nous vous conseillons fortement de choisir un mode de fonctionnement qui soit équilibré. • Où va-t-on jouer ? Toujours chez la même personne, ou installe-t-on un roulement ? Tabous et Sujets difficiles • Lors des discussions préalables à la partie, est-ce que certains thèmes apparaissent comme des limites potentielles car ils mettent certaines joueuses mal à l’aise ? • Les thèmes tabous le sont-ils à cause de leur caractère choquant, ou parce qu’il est impossible de les aborder sérieusement en jeu ? • Quels sont les sujets difficiles que les joueuses refusent de voir aborder à la table (phobies, gore, sadisme, torture, agressions sexuelles, discriminations, harcèlement, etc.) ? Met-on des paliers en place, comme les lignes (ce dont on ne veut absolument pas entendre parler dans la partie) et les voiles (les sujets qui peuvent faire partie de l’intrigue sans être explicitement mis en scène), par exemple ? • Convient-on tout de même d’un signal au cas où, malgré les précautions prises, un thème générateur de malaise émergeait durant la partie (phrase d’alerte, cartes X et E) ?

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ENSEMBLE

Logistique

• Est-ce que, malgré ces précautions, il existe encore des thèmes qui gênent certaines joueuses ? Faut-il faire une pause pour en parler si cela arrive pendant la partie ? • Est-ce que certaines joueuses adoptent, parfois sans même s’en rendre compte, des comportements de distanciation ou de défense (dérision, sarcasmes, cynisme, attitude caricaturale ou offensante) vis-à-vis de certains sujets ? • Est-ce que certaines joueuses se mettent en retrait lorsque des thèmes spécifiques sont abordés, ou se font couper l’herbe sous le pied par des sarcasmes ou des moqueries ? Si c’est le cas, pourquoi est-ce que ces scènes sont systématiquement ratées ou raccourcies ? Pour quelle raison ne peuvent-elles pas être jouées au-delà d’un registre comique ? Faut-il alors les bannir, ou est-ce que certaines joueuses veulent au contraire les garder et trouver une façon plus intéressante de les jouer ? • Est-ce que certaines joueuses se sentent privées de thèmes qu’elles affectionnent ? Dans ce cas, comment les aborder (fréquence, angle d’attaque) de manière à satisfaire tout le monde ? Limites de la communication • Lors des parties, est-ce que l’on reste assis, ou est-ce que l’on se déplace dans la pièce ? Joue-t-on autour d’une table ou ailleurs (canapé, etc.) ? A-t-on recours au langage corporel ? • Est-ce que l’on peut toucher l’épaule d’une autre joueuse dans le cadre d’une conversation roleplay, ou est-ce au contraire une limite à ne pas franchir, car tout contact physique est banni ? • Q uelle convention d’expression satisfait le plus de monde : « je » ou « mon personnage dit que » ? • Comment gère-t-on les digressions ? Sont-elles monnaie courante et font-elles partie intégrante du plaisir de se retrouver, ou sont-elles strictement bannies ? • Utilise-t-on le décor ou pas du tout ? Aime-t-on les éléments concrets que l’on peut manipuler, est-ce que l’on tente de se vêtir en fonction du contexte de jeu ? • Lorsqu’une joueuse obtient des informations que seul son personnage doit connaître, fait-on des apartés systématiques ou l’information est-elle donnée à tous, en comptant sur la capacité de chacune à ne pas en abuser ? • Concernant les règles, existe-t-il un ou plusieurs référents techniques ? Doit-on interrompre la narration pour régler un point technique ou se contenter d’y revenir plus tard, à froid ? • Est-ce que la vulgarité est acceptée ? Si oui, jusqu’à quel point ? Essaie-t-on de mettre de côté les opinions violentes ou tranchées ?

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Degré d’investissement • Que signifie « être investi » ? Est-ce que cela se limite à la simple présence à table, ou comprend de nombreuses activités annexes ? • Estimez-vous utile de prendre des notes de manière systématique ? Et si personne ne se propose, faut-il désigner un scribe officiel ? Si c’est toujours la même joueuse qui s’en occupe, que se passe-t-il lorsqu’elle est absente ou en a simplement assez ? Ou alors, prend-on les notes chacune son tour ? Est-ce que le fait de prendre ces notes est récompensé ? • Met-on en place des activités annexes à la partie ? Si oui, lesquelles, et quelles sont les joueuses qui souhaitent y participer, et celles qui ne peuvent ou ne veulent pas le faire ? Tenue de journal, dessins, envoi de messages (mails, forum) sur l’activité des personnages hors des séances de jeu, correspondance épistolaire entre PJ ou avec un PNJ, rédaction de comptes rendus plus ou moins élaborés, etc. • Comment gère-t-on le passé des personnages ? Écrit-on un long background touffu, ou est-ce que l’on en décidera au fur et à mesure de la partie ? Est-ce que l’on passe par une création de groupe ? • Peut-on gérer chez soi tout ce qui est technique, comme les montées de niveau, car tout le monde est autonome au niveau des règles, ou faut-il s’en occuper ensemble avant ou après les parties ?

• À partir de quel moment peut-on estimer qu’une joueuse accapare la parole au détriment des autres et monopolise la parole ? Si l’on se rend compte que l’on a répondu aux cinq dernières questions posées par le MJ, peut-être est-il temps de passer la main à ses camarades pour les prochaines ? Si l’on remarque qu’une joueuse se met systématiquement en avant, peut-on lui suggérer de faire attention à laisser jouer les autres ? • À partir de quel moment une joueuse devient-elle une gardienne du temple, et interrompt trop le rythme de la partie pour rappeler les codes de l’œuvre source ou du livre de base ? • Met-on en place des moyens (comme des jetons pour rééquilibrer la richesse du vécu) pour éviter les attitudes de grand frère ?

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ENSEMBLE

Défauts récurrents

Tirer le meilleur de ces conversations Pour toutes les discussions que vont générer les questions qui précèdent, il peut être utile de garder à l’esprit les points que nous allons évoquer ici. Ne rendez pas les choses trop personnelles quand vous parlez d’une autre joueuse, et utilisez les pronoms personnels « on » ou « nous », plus fédérateurs. Soyez ouvert mais clair en ce qui concerne vos tabous et vos envies. Parler en toute franchise est crucial, ce qui n’empêche pas de se policer et d’accepter des règles communes. Demandez-vous ce que vous êtes prêt à concéder pour jouer avec les joueuses avec qui vous avez vraiment envie de jouer, et faites en sorte que ces concessions soient équitablement réparties autour de la table. Pensez constamment que ces mises au point doivent rester conviviales et ne pas entraîner du ressentiment ou la mise au ban d’un individu qui se verrait accusé par les autres réunis. Trouvez le bon moment pour discuter : avant la partie, pour établir ce que chacune aime ou pas ; après les parties, pour vous rendre compte des décalages. Débriefez en fin de partie pour recueillir le ressenti de chaque joueuse. Si une tension émerge entre les joueuses, parlez-en pendant la partie. Ne laissez jamais mûrir un conflit au point d’éclater sans réagir. Récapitulez (par oral ou par mail) les points sur lesquels le groupe s’est mis d’accord.

II TECHNIQUES AVANCÉES

Coopérer et rivaliser



Julien Pouard

Q

Tout ceci exige de prendre quelques précautions, comme établir un contrat social1 pour se mettre d’accord sur la façon dont nous envisageons de jouer pendant nos parties, et de le renégocier autant que nécessaire. Pouvons-nous concevoir d’autres modes de jeu que la coopération un peu fade souvent proposée comme unique possibilité pour un groupe de personnages ? Jouer nos personnages consiste-t-il seulement à les voir trimballés de défi en défi par un MJ, un scénario ou le jeu lui-même ? Il nous reste à trouver des moyens pour que cette opposition ne se résume pas à vouloir être plus fort, plus beau ou à prendre plus de place autour de la table, 1. À ce sujet, consultez également l’article « Jouer ensemble », p. 129.

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Coopérer rivaliser

ue l’on soit joueuse ou MJ, les interactions avec les autres participants constituent un élément essentiel d’une partie de JdR. Ces échanges sont souvent complexes et se déroulent à deux niveaux : entre les personnages et entre les joueuses. Or, si notre loisir est souvent présenté comme un jeu coopératif où ces dernières font face à une adversité dirigée par un meneur, il existe bien d’autres modes de jeu, la plupart aussi vieux que le JdR lui-même. Rivaliser avec les personnages des autres joueuses (et parfois directement avec elles) peut apporter autant de plaisir que de se ranger à leurs côtés.

ou que cette entente ne produise pas que des scènes mièvres et lisses. Tout l’enjeu est de proposer des idées pour rendre ces façons de jouer au moins aussi intéressantes que notre pratique habituelle. Si vous voulez tenter l’expérience, voici quelques pistes qui pourront vous y aider.

Au commencement était le verbe Les conseils présentés dans cet article demandent une bonne entente entre les participants, et exigent de se mettre à collaborer activement. Nous ne jouons pas seuls1 et il est indispensable d’avoir l’autorisation explicite de ses partenaires avant de sortir du cadre établi par le contrat social, ou d’élargir ses implications. Envisageons pour commencer des personnages très simples, dont on ne sait pas grand-chose, et une table de jeu où les échanges entre les personnages sont rares. Construisons petit à petit une toile d’interactions au travers du dialogue entre les PJ (et les joueuses). Par la suite, nous pourrons la complexifier et la nourrir progressivement d’autres éléments du jeu comme les motivations des personnages, leur passé2 ou l’accès des joueuses aux secrets des PJ.

Travailler les dialogues Vincent Baker, auteur d’Apocalypse World, décrit le JdR comme une conversation3 entre les joueuses. Si le dialogue entre elles (ou au moins entre les joueuses et le MJ) est toujours présent, le dialogue entre les personnages peut être plus ou moins développé selon les habitudes du groupe, la partie ou le jeu lui-même. Développer ces dialogues, c’est créer un espace permettant de donner plus de profondeur aux futures relations de ces personnages. C’est le premier outil dont nous disposons pour établir des dynamiques compétitives ou collaboratives entre les PJ. L’art de la punchline

Il n’est pas nécessaire de raconter longuement l’enfance des personnages pour amorcer un dialogue entre eux. À vrai dire, il n’y a qu’un seul prérequis : les faire parler. Leurs interventions n’ont pas besoin d’être pertinentes, profondes ou même d’avoir un objectif précis. On peut très bien commencer en pensant aux phrases-choc des héros de films d’action.

1. En dehors des quelques JdR solo comme The Beast ou Happy. Sontowska Aleksandra et Węgrzynowicz Kamil, The Beast, auto-édité, 2016. Sacré Gaël, Happy, auto-édité, 2015. 2. À ce sujet, consultez également l’article « Créer un personnage », notamment sur l’écriture de background, p. 29. 3. Baker Vincent, Conversations and Games, 2013, http://lumpley.com/index.php/anyway/thread/737

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Lorsqu’un personnage place un « Hasta la vista baby » en déchargeant son fusil à pompe dans le bide d’un zombie un peu trop entreprenant, cela a déjà un impact sur les autres joueuses. Mais si notre PJ adressait cette réplique au personnage d’une autre joueuse, quel serait le résultat ? Il s’agit en fait de générer par ces commentaires la complicité nécessaire à la collaboration (via l’humour, les confidences, les remarques sur des personnages tiers), et à la compétition destinée à nourrir la rivalité (fanfaronnades, défis, attaques verbales, jalousies). Est-ce que cela te dérange si mon personnage te crie dessus ?

Toutefois, dans la pratique, certaines difficultés peuvent émerger. Parmi celles-ci se pose la question de trouver les limites de ce qui peut être dit ou pas, comme lorsque les personnages ne mâchent pas leurs mots, s’insultent, se crient dessus ou plongent dans l’intimité. Même si les joueuses ont l’habitude de jouer ensemble, se connaissent et que la confiance règne, il n’est pas toujours facile de faire progresser l’intensité des dialogues (violence verbale, intimité, émotions). Pour savoir si vous pouvez entamer un dialogue conflictuel ou intime avec une autre joueuse, le plus simple consiste à le lui demander directement. Pour y parvenir sans interrompre le dialogue entre les personnages, vous pouvez observer attentivement ses réactions, faire un « O. K. » de la main, ou n’importe quel autre geste marquant l’approbation comme hocher la tête, lever les mains pour suggérer d’y aller plus fort ou au contraire de lever le pied, etc. Souvenez-vous simplement qu’au-delà de la parole, il existe de nombreuses autres façons de communiquer ces informations. Mais si vous avez le moindre doute, ou craignez d’avoir commis un impair, n’hésitez pas : revenez au plus simple et posez la question.

Imaginons une scène entre deux artistes, l’une est peintre, l’autre artiste de cabaret et cracheuse de feu. Les deux joueuses se connaissent et ont une folle envie de s’affronter dans une forme de duel ou une autre. Elles s’en donnent alors à cœur joie, tout au long de la partie leurs personnages s’envoient des remarques assassines (les punchlines évoquées plus haut), jusqu’au moment où l’un d’entre eux craque et s’en prend directement à l’autre. Les PJ passent d’un désaccord plus ou moins cordial à une dispute, pour aller jusqu’à une confrontation finale (voir encadré à la page suivante). Mais ils en restent au dialogue, cette rivalité s’exprime par des mots plutôt que par des actes. À aucun moment il n’est question ici de faire dérailler la partie. Il s’agit de choisir de verbaliser les réactions des personnages plutôt que de ne pas les partager ou les garder pour soi.

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Coopérer rivaliser

Si l’autre joueuse est partante, alors nous pouvons commencer à faire monter l’intensité de nos échanges par paliers.

À quoi ça ressemble, des gens qui se crient dessus ? Pour faire monter le ton entre les personnages, voici quelques conseils via trois degrés de violence verbale : • S’il s’agit d’un désaccord, les échanges restent cordiaux et sans éclats de voix. Respectez que l’autre ne soit pas du même avis que vous, ou au moins faites semblant. Laissez-le finir ses phrases et argumentez en restant de bonne foi. • Dans le cas d’une dispute, montrez que vous vous contenez, mais que l’énervement est bien là : soufflez, soupirez, levez les yeux au ciel. Votre ton doit désormais monter et être franchement sec. N’hésitez plus à couper la parole de votre interlocuteur ou à remettre franchement son opinion en cause. D’ailleurs, s’il a la malhonnêteté de faire de même, retranchez-vous immédiatement sur vos positions. • Enfin, si vous êtes entrés en confrontation, la retenue ne sert plus à rien : criez, invectivez, faites de grands gestes d’agacement. Ne vous embêtez plus à attaquer les arguments de votre interlocuteur, mais prenez-vous-en directement à lui1 et à ce qui le définit : son vécu, ses valeurs, son identité, voire ses origines ou sa sexualité si votre personnage peut déraper sur ce genre de terrain. Attention toutefois, pour réussir une telle scène, il est indispensable que vous mainteniez le dialogue avec l’autre joueuse, et ce même si les personnages ne se parlent plus. Alors, ménagez des pauses pour vous écouter, laissez-la répliquer, tendez-lui des perches si elle manque d’inspiration, faites tenir à votre personnage des propos maladroits ou préjudiciables qu’il n’aurait jamais tenus sans la colère, etc.

Imaginons maintenant une seconde scène, complètement à l’opposé. Deux joueuses décident que leurs personnages ne peuvent pas se sentir dès le premier regard, mais ils doivent participer à un casse particulièrement difficile et donc coopérer. Les PJ commencent par entretenir une relation froide mais polie, probablement tendue au départ. À force d’attention, ce comportement peut devenir naturel et ils se mettent à échanger des remarques complices comme « Décidemment, ils ne recrutent pas des flèches chez Ataraxis Securité ». Et peut-être que, lors de l’exécution du plan, le chauffeur attendra le perceur de coffre un peu plus longtemps qu’il n’aurait dû le faire pour lui permettre de s’échapper malgré les difficultés rencontrées sur le terrain. Au début de la partie, il ne l’aurait pas fait, mais depuis il a appris à lui accorder sa confiance. Qu’elles illustrent les dissensions au sein du groupe ou sa cohésion, ces situations ont le potentiel pour devenir le point d’orgue de vos parties, un moment dont vous vous souviendrez longtemps parce que vous l’aurez réellement joué ensemble. Certes, elles exigent une bonne dose de confiance, mais qu’il est agréable d’y assister ou d’y 1. Et surtout pas à la joueuse ! Si vous pensez qu’il peut y avoir un doute, trouvez autre chose.

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participer, lorsqu’un personnage s’adresse vivement à un autre alors que les joueuses ont un petit éclat de complicité dans le regard ! Et si le ton monte un peu trop, si la colère déborde du personnage vers la joueuse1, il sera temps de réaffirmer les mesures de sécurité évoquées plus haut (contrat social, p. 149). Comment faire pour avoir du répondant ?

Pour donner un peu d’épaisseur à nos dialogues, le plus simple est de toujours savoir ce que nos personnages pensent des autres. Si certains jeux se concentrent sur ces relations et les gèrent via des mécaniques dédiées (Smallville, Cold City2, etc.), d’autres font complètement l’impasse. Mais il existe une méthode minimaliste qui devrait fonctionner dans tous les cas : dans un coin de votre fiche, à côté des noms des autres personnages, inscrivez ce que chacun inspire au vôtre en un ou deux mots, et les aspects sur lesquels ils pourraient se rapprocher ou se retrouver en concurrence. Il ne s’agit pas de définir la nature profonde de leur relation, mais juste de déterminer le point où ils en sont à ce stade de la partie, afin d’avoir un jalon pour vos prochaines interactions. Naturellement, ces mots-clefs doivent évoluer au même rythme que la relation entre les personnages. Prenons l’exemple d’Igor, le serviteur de Vladimir, mon personnage. Aussi efficace en tant que serviteur que laborantin, il s’est enfin décidé à écouter les récriminations de ce dernier et à surveiller son hygiène corporelle. Je décide donc que mon personnage le regarde surtout avec une « bienveillance toute paternaliste » et l’inscrit à côté de son nom. Si je dois improviser une discussion entre les deux, Vladimir s’adressera sans doute à lui avec une condescendance un peu bonhomme, une bienveillance sincère mais infantilisante.

Là encore, si cela vous semble ardu, vous pouvez toujours vous entraîner en cours de séance. Choisissez un complice et déterminez l’état des relations de vos personnages. Ensuite, inversez-le en jeu : s’ils sont amis, trouvez des raisons de les fâcher, s’ils se détestent, réconciliez-les. Utilisez toutes les opportunités pour créer les circonstances qui les feront s’écarter de leur comportement habituel : piques, encouragements, confidences, soutiens inespérés, etc. Tout est possible. Soutenez-vous pour atteindre votre but, mais tentez de le réaliser le mieux possible. Enfin, n’oubliez pas qu’il y a d’autres joueuses à la table, n’hésitez pas à les impliquer plutôt que de leur imposer des moments désagréables ou pénibles dont elles ne pourraient être que spectatrices.

1. À ce sujet, consultez également l’article « Exploiter la distinction entre joueur et personnage », p. 195. 2. Craig Malcom, Cold City, Contested Ground Studios, Oxford, 2006.

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Coopérer rivaliser

Mais je peux tout à fait choisir d’orienter la relation différemment. Si la joueuse interprétant Igor m’a confié avoir envie qu’il se libère de cette relation de domination, je peux très bien accentuer le côté tyrannique et cruel de Vladimir, puis marquer à côté du nom d’Igor « laquais ingrat » ou « ne comprend que la force ».

Briser la glace Cela peut paraître intimidant, surtout si on cherche à jouer de façon démonstrative, mais il faut se rappeler qu’il n’y a ici aucune exigence de performance. De plus, percevoir ces dialogues comme des tirades lancées à un public passif serait une erreur. Au contraire, ils se nourrissent des ajouts des autres joueuses et ces dernières peuvent à la fois aider et réorienter la discussion de façon à ce qu’elle soit intéressante pour tout le monde. Toutefois, il existe des méthodes pour réussir à se lancer et faciliter la mise en place de dialogues explosifs. En voici deux empruntées à nos cousins GNistes qui prennent la forme d’ateliers précédant la partie. Dans le GN Un serpent de cendre1, un atelier qui dure environ cinq minutes demande que les joueuses déambulent librement dans la pièce et se regardent dans les yeux quelques secondes lorsqu’elles se croisent. Lors de la première partie de l’atelier, elles doivent y ajouter des signes amicaux : large sourire, poignée de main, accolade, mots d’encouragement, etc. Dans la seconde partie, l’ambiance change du tout au tout et elles doivent alors se lancer des regards colériques, haineux, voire se bousculer, s’insulter ou faire semblant d’en venir aux mains. Dans L’Héritage, sept années à Poudlard2, les joueuses choisissent un sujet de discorde lié à l’univers de jeu, puis interprètent une opposition entre leurs personnages. Celle-ci commence comme un simple désaccord, avant de devenir une dispute puis une franche confrontation (et un probable florilège de noms d’oiseaux) chaque fois que le meneur signale qu’il faut monter en intensité. Les joueuses doivent ainsi être capables non seulement de doser leur jeu, de passer d’un niveau de violence verbale à un autre en un clin d’œil, mais aussi de ne plus la craindre. Ces exercices sont volontiers plus démonstratifs que ceux auxquels on est habitué autour d’une table de JdR. Ils sont bien entendu calibrés pour les jeux pour lesquels ils ont été conçus. Toutefois, avec de telles méthodes, vous devriez pouvoir rentrer très vite dans l’ambiance, et être prêts à vous rapprocher de vos camarades, que ce soit pour en découdre ou pour vous en faire des amis…

1. Harviainen J. Tuomas, Un Serpent de cendre (A Serpent of Ash), traduit par Thomas B., Espoo, 2006. 2. Juando Jul, L’Héritage, sept années à Poudlard, Toulouse, 2016. Ce GN est situé dans l’univers d’Harry Potter, quelques années après la bataille de Poudlard.

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Donner de la profondeur aux échanges Choisir des motivations appropriées

Une fois que nos échanges sont bien en place dans nos parties, on peut s’intéresser à ce qui va leur donner un peu plus de sens, un peu plus d’épaisseur et leur permettre d’évoluer au cours du jeu pour en renouveler l’intérêt d’une session à l’autre. Examinons d’abord les motivations qui animent les personnages et les joueuses qui les interprètent, c’est-à-dire : • que veut mon personnage ? • qu’est-ce que je veux pour lui1 ? Lorsque l’on souhaite jouer au plus près de ce que l’on sait d’un personnage, en respectant la vision que l’on a de lui et une certaine sincérité à son propos, on pourra sans doute se contenter d’une seule réponse pour ces deux questions. Par exemple, notre personnage cherche à obtenir une épée magique légendaire, mais ne peut pas l’obtenir seul. Pendant le jeu, une telle motivation poussera les autres joueuses à déterminer le comportement de leurs personnages autour de ce thème : est-ce qu’ils coopéreront pour atteindre cet objectif ou est-ce qu’ils deviendront des rivaux, par exemple s’ils veulent garder l’arme pour eux-mêmes mais préfèrent rester soudés lors des premières étapes de la quête ?

En procédant ainsi, en multipliant les motivations et en amenant les personnages à définir des priorités, aussi bien durant leur création qu’au cours des parties, nous leur donnons plus d’épaisseur. Qu’est-ce qui compte vraiment pour le barbare ? Récupérer une arme de prix ou défendre sa culture ? Et pour le chevalier ? Convertir le barbare à sa vision de la civilisation en lui prouvant sa force ou gagner le respect d’un compagnon d’armes ? Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise réponse, et aucune n’a besoin d’être immuable. 1. À ce sujet, consultez également l’article « Exploiter la distinction entre joueur et personnage », p. 195. 2. À ce sujet, consultez également l’article « Rassembler et Diviser » dans Mener des parties de jeu de rôle, p. 252 et suivantes, « Mettez-les en concurrence ».

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Coopérer rivaliser

Toutefois, les motivations des personnages n’ont pas besoin de porter sur la même chose. Imaginons par exemple qu’un barbare cherche à obtenir l’épée en question, qui appartenait autrefois à sa tribu. À ses côtés, un chevalier impérial l’accompagne dans sa quête car il souhaite profiter de cette proximité pour lui prouver la supériorité de la civilisation sur ses coutumes barbares. Les objectifs des deux personnages ne sont pas les mêmes, la quête de l’arme est importante pour l’un (le barbare) alors qu’elle n’est qu’un prétexte pour l’autre (le chevalier), et c’est la confrontation de ces objectifs qui permettra de créer des situations soit de coopération, soit de rivalité entre eux2.

En choisissant des objectifs potentiellement antagonistes1, nous ne limitons pas les choix des personnages à des conflits intérieurs (par ailleurs tout à fait passionnants), mais nous nous offrons la possibilité d’impliquer les autres PJ dans ces instants de vérité. Cela donne lieu à des scènes d’autant plus intenses qu’elles sont partagées, par exemple grâce aux éléments de dialogue que nous avons déjà mis en place. De plus, si on prend également en compte ce que nous voulons et ce que veulent les autres joueuses, nous obtenons d’autres pistes intéressantes pour modeler les motivations que nous donnons à nos personnages, et la façon dont nous les faisons évoluer. Si je veux me mesurer à une de mes camarades, par exemple pour lui lancer un défi amical, ou simplement parce que depuis le temps que nous jouons ensemble, nous n’avons pas eu l’occasion d’expérimenter ce genre de choses, je peux très bien choisir des motivations pour mon personnage qui s’opposeront à celles du sien. Il faut cependant prendre deux précautions : ma complice pour cette occasion doit être à l’aise avec cette notion, et je devrais éviter de faire des choix qui trahissent mon personnage, en particulier son histoire, dont nous parlerons dans la partie suivante. Voici un petit exercice pour vous entraîner en cours de séance. Choisissez un objectif pour votre personnage et demandez-vous ce que ce dernier est prêt à sacrifier pour l’atteindre. Votre PJ va changer d’avis sous l’influence des autres. Il s’agit, pour vous, de trouver le moment de la partie où il va accepter de faire évoluer cet objectif en fonction de leurs arguments et des échanges qui auront eu lieu. Pour être clair, en vous prêtant à cet exercice vous décidez de faire évoluer une des motivations de votre personnage. Vous ne déterminez pas à l’avance la manière dont il changera, seulement que l’influence des autres joueuses va l’amener à changer. Utiliser le passé des personnages

Tout comme nous pouvons créer des coopérations et des rivalités grâce aux motivations de nos personnages, il est possible de faire de même en réutilisant des éléments liés à leur passé. Il n’est pas question ici d’aborder l’écriture concrète d’un historique2, mais plutôt d’examiner différentes manières d’exploiter ce passé (joué ou pas) pour donner de la profondeur à ces relations. Ainsi, celui-ci peut prendre la forme d’un élément de jeu plus ou moins récent, qu’il soit issu de la création du personnage, d’une réminiscence improvisée à la table, d’un flashback, voire des réflexions des joueuses entre deux séances, etc. Pour reprendre l’exemple du barbare et du chevalier, ce dernier peut vouloir si ardemment se montrer supérieur au premier parce que l’on trouve dans son passé une confrontation avec un clan barbare qui a tourné en sa défaveur, un conditionnement dû à son éducation par une branche fanatisée de son ordre ou simplement une série d’humiliations imposées par les siens. 1. À ce sujet, le système des Beliefs et des Instincts de Burning Wheel est très efficace. Crane Luke, The Burning Wheel, Luke Crane, 2002. 2. À ce sujet, consultez également l’article « Créer un personnage », p. 29.

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Ce passé peut ensuite venir nourrir nos échanges, et les renforcer parce qu’il ancre l’état de nos relations dans ce qui définit notre personnage. Néanmoins, il peut être intéressant d’inverser cette dynamique, de jouer à l’opposé de ce que nous dicte le passé des personnages. Le cas le plus classique est celui du groupe rassemblant des fortes têtes qui auraient du mal à s’entendre si elles ne travaillaient pas de concert pour atteindre un « lendemain qui chante » ou pour affronter une très forte opposition. On retrouve ce schéma, plus ou moins poussé, dans nombre d’œuvres de fiction, de La Guerre des étoiles à L’Agence tout risque en passant par Le Seigneur des anneaux. Mais on peut aussi se servir d’un événement passé pour jouer des désaccords dans un groupe naturellement solidaire. En particulier, faire ressurgir une opposition oubliée pour fissurer la belle unité qui animait un groupe peut créer des instants de jeu intenses. Ce passé fournit des arguments forts à utiliser dans les disputes de nos personnages. C’est évidemment presque aussi fréquent que le schéma précédent dans les œuvres de fiction, en particulier dans de nombreuses comédies romantiques : les protagonistes s’éloignent et se disputent à cause d’un incident pour mieux se rapprocher une fois les malentendus dissipés… Souvenez-vous des disputes de Ross et Rachel dans Friends, où la phrase « mais on était séparé ! » revient sans cesse peu importe le sujet, en référence à leur ancienne rupture. Pour vous entraîner, voici deux exercices à réaliser comme d’habitude avec la complicité d’autres joueuses.

Pour le second, choisissez un personnage avec lequel vous n’avez pas spécialement créé de lien hostile. Une relation de camaraderie pudique ou un sens de l’honneur partagé malgré des différences culturelles serait sans doute l’idéal. Imaginez avec l’autre joueuse la raison pour laquelle vos personnages sont condamnés à s’affronter tôt ou tard, même si cela peut paraître injuste, et pourquoi ils ne l’avaient jamais dit jusqu’à présent. N’hésitez pas à rajouter des détails, à la fois sur le côté inéluctable et stupide de la situation. Faites ensuite en sorte que vos personnages le révèlent enfin à un tiers, demandant par exemple son arbitrage, si possible face à une situation critique.

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Coopérer rivaliser

Pour le premier exercice, choisissez un personnage entretenant de bonnes relations avec le vôtre, mais ayant commis une erreur de jugement dans une séance précédente (si possible qui ne soit pas trop récente). Lorsqu’il prend une décision similaire, jouez l’opposition de votre personnage, en rappelant à tous les ennuis survenus autrefois. Ceci prend d’autant plus de saveur si votre personnage explique qu’il se sent trahi, qu’il y a une dimension morale ou liée à une origine commune, ou que l’enjeu touche aux motivations de vos PJ.

Flash-backs et définition de nouvelles relations Traditionnellement, lorsque notre alter ego est confronté à un nouveau PNJ, nous demandons au MJ si les personnages se sont déjà rencontrés. Mais pourquoi ne pas lui proposer de jouer un flash-back, c’est-à-dire une courte scène située dans le passé permettant d’illustrer les liens avec le nouveau venu ? Ainsi, lorsque le cours du jeu reprendra, les échanges réalisés avec ce PNJ auront gagné en profondeur. Et si plusieurs personnages participent à ce flash-back, en adoptant des comportements opposés, alors les dynamiques de coopération et de rivalité seront aussi renforcées. Imaginons une partie de Vampire : la Mascarade où deux joueuses incarnent des personnages récemment étreints. Les deux vampires partent en chasse et tombent sur une sympathique octogénaire quittant un restaurant par une ruelle mal éclairée. L’une des joueuses décide alors de jouer un flash-back situé quelques années en arrière, alors que son personnage était encore humain. La scène se passe derrière un autre restaurant, et la joueuse explique comment la vieille dame offrait à manger à son PJ qui était alors à la rue. En quelques instants, nous avons chargé la scène d’une gravité qui poussera les joueuses à déterminer le comportement de leurs personnages vis-à-vis de celle qui n’aurait dû être qu’une proie vite oubliée. Celle-ci est devenue un véritable enjeu dans la partie.

Utiliser les secrets des personnages

Parmi les motivations et le passé des personnages, il existe des éléments qu’ils préfèreraient garder secrets. Nous allons examiner deux manières radicalement différentes de les utiliser pour approfondir encore nos expériences de collaboration et de rivalité autour des tables de jeu. Peut-être faut-il avant tout réitérer ici un avertissement que nous avons déjà évoqué. Chaque table a des méthodes différentes pour jouer avec les secrets et, même si certaines tendances se dégagent, c’est une des sources de problèmes entre les joueuses les plus courantes. Aussi est-il nécessaire de parler de ce sujet avec les autres participants avant de changer ses habitudes, pour éviter toute sensation de trahison. Le jeu a évidemment une grande influence1, mais dans la grande majorité des cas, il s’agit d’une manière ou d’une autre de collaborer avec les autres joueuses pour permettre l’émergence de situations où vos personnages ne le font pas forcément. La première manière de jouer, probablement la plus fréquente autour de nos tables de jeu, consiste à séparer strictement ce que sait le personnage de ce que sait la joueuse. Il faudra pour cela directement cacher des informations à cette joueuse qui devra avoir donné son accord pour jouer de cette manière. Il existe de nombreuses méthodes et conseils pour mettre en place cette barrière entre les informations accessibles aux différentes joueuses, comme l’utilisation de messages privés (papiers traîtrises, SMS, mails entre les parties) adressés au MJ ou à d’autres personnages, ou l’organisation 1. Comme Paranoïa ou Agon, par exemple.

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d’apartés (pendant ou entre les parties). Nous en avons l’habitude pour les secrets qui font intervenir le MJ. Mais nous avons tendance à moins utiliser ces outils pour nous adresser aux autres joueuses et à leurs personnages, à moins d’être de fervents praticiens de jeux dits « JcJ1 ». Cette méthode permet pourtant une immersion directe dans la situation de jeu proposée, et de ressentir une surprise proche de celle qu’aurait éprouvé le personnage. Ce choc, parfois intense, peut même nous conduire à prendre des décisions qui ne sont pas optimales sous l’effet des émotions provoquées, et refléter ainsi qu’après tout, notre personnage est faillible. Pour certains d’entre nous, cela renforce le sentiment d’immersion. C’est aussi un bon moyen de se confronter au défi de devoir gérer une situation de jeu en ne disposant que d’informations partielles. La seconde manière de jouer prend complètement le contrepied de la première, en partant du principe que les joueuses sont capables de gérer des informations inaccessibles à leurs personnages pour rendre les situations de jeu plus intéressantes. Notons qu’il ne s’agit pas, comme il est souvent proposé, d’ignorer les informations que le personnage ignore, mais au contraire de les mettre au service d’une ironie dramatique qui peut être particulièrement plaisante à jouer. Cette manière de jouer décale la sensation de surprise et l’émotion qui l’accompagne dans le temps : au lieu d’apprendre la trahison de son grand vizir pendant la tentative de coup d’État, la joueuse du calife l’apprend quand son ministre commence à faire ses préparatifs en l’absence de son personnage. Les émotions générées ne sont pas nécessairement moins intenses, mais lorsque l’on jouera la scène en question, la sensation de surprise aura déjà été consommée. Cela va permettre à la joueuse du calife de choisir au mieux la réaction de son PJ pour illustrer et démontrer cette surprise, par exemple en ayant réfléchi à ce qu’il pourrait dire au moment de la trahison et donc rendre ce moment mémorable par la façon dont on va le jouer plutôt que par son impact instantané en tant que révélation inattendue. L’émotion créée est différente, mais souvent tout aussi satisfaisante.

Dans une campagne où l’on joue des pilotes de mecha2, le personnage d’une des joueuses est secrètement amoureux de celui d’une autre. La table a décidé de jouer cartes sur table, tout le monde connaît les ressorts des autres personnages et il n’y a pas d’apartés. À plusieurs reprises, le personnage amoureux a des réactions très démonstratives, qui conduisent à des scènes de collaboration ou de rivalité très intenses, comme lorsqu’il cède le devant de la scène à l’objet de ses émois (toute l’action est filmée et retransmise sur des chaînes de télévision) ou lorsque le personnage amoureux en 1. Joueur contre joueur, selon la terminologie empruntée au jeu vidéo. 2. Robots géants ou exosquelettes biomécaniques ou motorisés particulièrement populaires dans les mangas (Neon Genesis Evangelion, Gundam).

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Coopérer rivaliser

Nous avons tous nos préférences pour l’une ou l’autre méthode, aucune n’est intrinsèquement meilleure que l’autre et nous gagnons à expérimenter les deux au cours de nos parties. Pour illustrer cette gestion des secrets, voici un exemple vécu qui pourra vous donner des pistes.

affronte un troisième qui cherche à faire sanctionner le pilote qu’il aime. Jusque-là, nous n’avons pas vraiment utilisé la nature secrète de cet amour, mais c’est le cas lorsque la joueuse du personnage aimé fait des allusions involontaires au personnage amoureux, utilise des doubles sens ou lui manifeste de l’affection. La joueuse du personnage aimé n’aurait probablement pas eu l’idée de tendre ces perches en toute innocence, mais comme elle connaît le secret du personnage amoureux, elle peut délibérément faire des déclarations qui seront comprises par son PJ comme anodines, alors que l’amoureux y verra autant d’encouragements que de rebuffades. Les dynamiques de jeu et leur manifestation par les dialogues qui sont nés de cette situation ont été de grands moments pour l’ensemble de la table. Mais si l’amour était resté secret, la joueuse du personnage amoureux aurait pu faire sa cour à un personnage qui aurait au départ été quelque peu aveugle à ses charmes. Celle du personnage aimé aurait été confrontée au défi de comprendre la situation et les raisons pour lesquelles les deux personnages travaillaient parfois très bien ensemble, alors qu’à d’autres moments l’ambiance était glaciale. Les deux approches développent des dynamiques certes différentes, mais très riches.

Conclusion Comme nous venons de le voir, il est possible de rendre les scènes jouées toujours plus mémorables en améliorant leur profondeur et leur intensité. Pour cela, l’idéal est sans doute d’ajouter de la consistance à nos dialogues, de la complexité à nos relations et de l’épaisseur à nos personnages. De cette manière, nous pouvons créer une dynamique riche, en collaborant pour permettre à nos personnages de s’affronter ou de s’épauler tour à tour. Insister sur la collaboration et la rivalité est une manière de jouer différente, que nous avons tout intérêt à expérimenter, mais sans oublier qu’elle ne fonctionnera qu’avec le consentement de notre groupe de jeu.

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Fiche de synthèse Discutez avec les autres joueuses avant de sortir du cadre établi par le contrat social ou d’élargir ses implications. Travailler les dialogues Utilisez des punchlines • Faites parler votre personnage, même si son intervention ne semble pas pertinente ou profonde sur le moment. • Inspirez-vous des phrases-choc des héros de films d’action, y compris pour vous adresser aux autres PJ. • Faites de l’humour, des confidences, des remarques sur des personnages tiers. Demandez et respectez les limites des autres joueuses • Demandez aux autres joueuses si elles sont d’accord pour que votre personnage crie sur les leurs ou aborde des sujets liés à l’intimité, surtout si vous avez un doute. • Pour ne pas interrompre le dialogue en cours de partie, faites des signes (de la main, de la tête) pour demander à diminuer ou augmenter des échanges, ou recueillir l’approbation d’une autre joueuse. • Observez une gradation dans les conflits : désaccord (échanges cordiaux sans éclats de voix), dispute (échanges secs mais énervement contenu), confrontation (échanges vifs et agressifs).

• Exercice : dans un coin de votre fiche, à côté des noms des autres personnages, inscrivez ce que chacun inspire au vôtre en un ou deux mots, et les aspects sur lesquels ils pourraient se rapprocher ou se retrouver en concurrence. Servez-vous de cette base pour nourrir vos échanges. • Exercice : choisissez un complice et déterminez l’état des relations de vos personnages. Ensuite, inversez-le en jeu en utilisant toutes les opportunités pour créer les circonstances qui les feront s’écarter de leur comportement habituel. • Impliquez les autres joueuses de la table et nourrissez-vous de leurs ajouts.

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Coopérer rivaliser

Inspirez-vous de ce qui se passe en jeu

Donner de la profondeur aux échanges Choisissez des motivations appropriées • Demandez-vous ce que veut votre personnage et ce que vous voulez pour lui afin de déterminer son comportement. • Pensez que les motivations de votre PJ n’ont pas à être les mêmes que celles des autres. • Impliquez les autres PJ en imaginant des objectifs antagonistes pour votre personnage. • Exercice : prévoyez et mettez en scène la modification d’un objectif de votre personnage sous l’influence des autres PJ. Utilisez le passé des personnages • Ne vous inspirez pas que du background des PJ, mais aussi d’un élément improvisé lors d’une partie, d’un flash-back ou de réflexions entre deux séances. • N’oubliez pas qu’il est possible d’inverser une dynamique, de jouer à l’opposé de ce que dicte le passé des personnages. • Faites ressurgir une opposition oubliée pour créer des arguments à utiliser lors des conflits. • Exercice : choisissez un personnage ayant de bonnes relations avec le vôtre, mais qui a commis une erreur de jugement dans une séance précédente. Lorsqu’il prend une décision similaire, jouez l’opposition de votre personnage, en rappelant les ennuis survenus autrefois. • Exercice : choisissez un personnage avec lequel vous n’avez pas créé de lien hostile. Imaginez avec l’autre joueuse la raison pour laquelle vos PJ sont condamnés à s’affronter tôt ou tard. Faites ensuite qu’ils le révèlent à un tiers, en demandant par exemple son arbitrage dans une situation critique. Utilisez les secrets des personnages Choisissez un mode de jeu parmi les suivants, avec l’accord de toute la table. • O n sépare strictement ce que sait le personnage de ce que sait la joueuse. Utilisez alors des messages privés pour communiquer avec le MJ, mais aussi et surtout avec les autres joueuses. Cela permet de prendre des décisions qui ne sont pas optimales sous l’effet des émotions provoquées, et refléter le fait que le personnage est faillible. • On part du principe que les joueuses sont capables de gérer des informations inaccessibles à leurs personnages. Cela permet de les utiliser pour créer une ironie dramatique plaisante à jouer, notamment en anticipant les réactions de son PJ.

se renouveler



Coralie David et Jérôme Larré

T

ôt ou tard, il arrive toujours qu’une scène nous inspire moins que les autres. Dans ces cas-là, lorsque le meneur vous demande ce que vous faites, vous vous contentez d’un laconique « j’attaque » ou « je cours le plus vite possible ». Vous le gardez pour vous, mais vous auriez peut-être préféré qu’il se contente de vous dire de jeter les dés sans autre forme de procès. D’ailleurs, peut-être que lui-même n’est guère plus loquace…

En effet, nous avons joué certaines scènes des dizaines de fois (combats, coursespoursuites, voyages1, etc.) et, même en modifiant nos descriptions, nous pouvons avoir l’impression de refaire sans cesse la même chose. Pire encore, cela peut nous amener à croire que chercher à diversifier nos propositions n’est qu’une perte de temps, voire 1. Cet article fait notamment écho à « Animer les scènes spéciales » et « Animer les combats » dans Mener des parties de jeu de rôle, respectivement p. 191 et p. 173.

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renouveler

Il existe de nombreuses raisons qui peuvent amener à ce genre de situations. La première, sans doute la plus évidente, est la fatigue. Passé une certaine heure, l’élan qui nous poussait à décrire avec force détails le moindre moulinet de notre personnage s’est quelque peu tari. Dans ce cas, ce n’est pas grave. Que l’on choisisse de terminer la partie à ce moment-là ou de continuer encore un peu, cet élan devrait revenir lors de la prochaine séance. Malheureusement, il peut aussi arriver que ce manque d’inspiration cache un problème bien plus ennuyeux : la lassitude.

que ces scènes elles-mêmes ne servent à rien et devraient être systématiquement remplacées par des ellipses. Naturellement, il n’en est rien. Si décrire un coup de taille ou d’estoc bouleverse rarement ces scènes, il nous est néanmoins possible d’en relancer l’intérêt et de les enrichir en y intégrant d’autres aspects (relations entre personnages, point sur la situation en cours, etc.). Toutefois, être à la fois capable de se renouveler et de réagir du tac au tac est loin d’être facile. C’est la raison pour laquelle cet article vous propose des exemples d’actions alternatives que peuvent faire vos personnages dans chacune de ces grandes catégories de scènes. Bien entendu, certaines vous sembleront classiques ou peut-être peu adaptées à la situation à laquelle vous êtes confrontés dans une partie donnée. Peu importe. Les habitudes et réflexes peuvent énormément varier d’une table à l’autre, et les routines des uns peuvent devenir les découvertes rafraîchissantes des autres. L’essentiel est de réaliser que toutes ces réactions que nous pensons être obligatoires ou « par défaut » sont en fait des choix de notre part et que, si nous le souhaitons, nous pouvons aussi bien nous en contenter que tenter de diversifier nos approches. Ainsi, pour chaque type de scènes ci-dessous, vous trouverez des listes avec des situations typiques et plusieurs actions alternatives que vos personnages pourront réaliser, selon vos objectifs et envies. Nous aborderons les combats, les courses-poursuites, les déplacements, l’exploration, les interactions sociales et les phases de préparation.

Combats Duels

Approche frontale • Trouvez un point faible en posant des questions concrètes « est-ce que mon adversaire a une faille dans son armure ? Je passe un tour à l’observer pour découvrir le côté où il est le moins à l’aise pour parer » ou créez-en un (jetez du sable pour aveugler, visez les jambes). • Surprenez votre ennemi en utilisant autrement les objets que vous avez sous la main : lancez-lui votre pistolet au visage et sautez-lui à la gorge, transformez une poêle à frire en une arme redoutable. • Faites-lui croire que vous êtes plus blessé que vous en avez l’air pour tromper sa vigilance. Approche latérale • Impliquez d’autres personnes dans le combat : émotionnellement « aidezmoi, c’est le coupable de tous ces meurtres ! » ou physiquement (en poussant votre adversaire sur d’éventuels spectateurs pour les forcer à réagir). 164

• Déroulez une stratégie à moyen terme, au-delà de la vision au tour par tour : tour 1, vous ouvrez le coffre de la voiture et repoussez le loup-garou ; tour 2, vous attrapez le jerrican d’essence et le débouchez tant bien que mal ; tour 3, vous esquivez la charge du loup-garou ; tour 4, vous l’aspergez d’essence en essayant de ne pas trop vous exposer ; tour 5, vous lancez votre briquet et courez le plus loin possible. • Vous portez un coup qui n’a pas pour objectif d’infliger le plus de dégâts, mais de vous laisser le temps de fuir, de protéger un PNJ, de déséquilibrer ou d’éloigner l’adversaire, de l’assommer, de gagner du temps. Approche alternative • Balancez des punchlines bien senties pour rendre le combat plus vivant, énerver votre adversaire ou discuter avec lui s’il est plus qu’un quidam. • Faites durer le combat, ne prenez ni ce dernier ni votre adversaire au sérieux : le but est de le provoquer pour qu’il cesse de réfléchir à ce qu’il dit. • Rendez le combat plus spectaculaire : réalisez des actions ostensiblement difficiles1 (mauvaise main, équipement inadapté, position défavorable, coups faibles, etc.) pour impressionner l’éventuel public présent ou un personnage en particulier (rival, mentor, amant, notable, etc.). • Passez d’un niveau de violence à un autre : sortez un couteau ou cassez un bras dans une simple rixe, empêchez votre adversaire de sortir son arme tout en continuant à lui parler, etc. • Proposez des alternatives au coup fatal  : échange d’informations contre la fuite ou une arrestation, changement de cause, etc. Ceci permettra peut-être au MJ d’élaborer une suite intéressante. Escarmouches

Approche frontale • Utilisez l’environnement pour être plus efficace, quitte à prendre un tour ou deux d’observation  : y a-t-il un grand lustre à faire tomber pour blesser plusieurs ennemis d’un coup ? Un baril explosif sur lequel tirer ? Un monte-charge dans lequel s’abriter ? Des animaux à libérer ?

• Replacez-vous toujours de façon à limiter le nombre d’adversaires que vous aurez à gérer de façon simultanée (dans l’encadrement d’une porte, dans un escalier, dans l’alignement de deux adversaires, etc.). 1. Et donc pour lesquelles vous devriez subir des malus techniques.

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renouveler

• Combattez en duo : commencez dos à dos, échangez vos adversaires, tentez de ré­fléchir à des combinaisons de vos compétences, le tout accompagné de punchlines adaptées.

• Agissez en fonction des actions de ceux qui vous ont précédé : envisagez la vôtre comme une réaction à la leur et adaptez-vous à leurs conséquences (changez de cible, concentrez-vous sur celle qui se révèle être bien plus coriace que prévu, aidez un compagnon en difficulté, etc.). Approche latérale • Lorsque vous avez mis un adversaire hors d’état de nuire, utilisez-le, pour obtenir un avantage utile pour les autres PJ qui combattent toujours : prenez-le en otage, interrogez-le pour connaître le point faible des autres, etc. • Empêchez les adversaires de fuir, d’appeler des renforts ou de sonner l’alarme, ou activez leurs propres pièges contre eux. • Faites le point sur la situation : montez sur le balcon pour voir les renforts arriver, le placement qui serait le plus judicieux, les lieux qu’il faut aller renforcer en cas de défense d’une position lors d’un assaut, etc. Approche alternative • Si vous êtes proche de la mort, révélez un secret important sur vous aux autres PJ pour donner plus d’intensité à la scène (aveu de sentiments amoureux, d’une trahison, etc.). • Jetez la dissension dans le groupe adverse en révélant ce que vous savez sur certains d’entre eux… surtout si vous ne savez rien. • Préparez la fuite du groupe, si vous voyez que le combat tourne à votre désavantage : allez chercher la voiture, volez deux ou trois chevaux, allez ouvrir le pontlevis, tirez une charrette de foin sous les remparts, etc. • Foncez vers l’objectif : partez en courant pour trouver ce que vous êtes venus chercher, sauver l’otage, voler la clé, etc.

Courses-poursuites À pied dans un environnement urbain (marché, ruelles, avenue, embou-

teillage, place centrale, toits, etc.) Poursuivant

• Attrapez et lancez sur la cible tout ce qui vous passe sous la main (bouteille, légumes, déchets, etc.). • Prenez un raccourci. • Montez sur les hauteurs pendant que les autres continuent la poursuite pour voir où la cible est allée (sur une voiture, le toit d’un bâtiment).

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Poursuivi • Laissez-vous dépasser puis, après avoir obtenu un avantage (surnombre, armement, etc.), poursuivez votre poursuivant. • Renversez tout ce que vous pouvez sur votre passage, notamment ce qui glisse (aliments, sort de glace), obstrue (paniers, poubelles) ou fait mal (verre brisé, huile bouillante). • Cachez-vous, peut-être pour prendre l’assaillant par surprise. • Rentrez dans un bâtiment pour demander de l’aide, prendre un otage ou avoir des témoins. Les deux • Interpellez les gens pour qu’ils vous aident. • Accélérez et donnez tout ce que vous avez maintenant, en étant conscient que si cela ne suffit pas, vous vous traînerez ensuite. • Volez un moyen de transport, ou accrochez-vous à un véhicule en marche. Avec un moyen de transport (voiture, cheval, hors-bord, moto, charrette,

avion, petit avion ou vaisseau spatial) Poursuivant

• Tirez en visant un point précis (conducteur, réservoir, roues). • Sautez sur le véhicule de la cible. • Donnez plus de puissance à votre véhicule (rendre un cheval plus vigoureux par un sort, gagner en altitude, mettre de la nitro dans votre moteur, etc.) Poursuivi • Abandonnez une partie du véhicule (citerne, remorque, wagons, etc.) pour aller plus vite, voire vous en servir comme projectile improvisé. • Coupez la route au dernier moment d’un train, métro, avion, ou tout autre élément mobile obligeant votre poursuivant à s’arrêter et à perdre un temps précieux.

• Sortez du véhicule ou montez dessus pour viser correctement ou jetez ce que vous trouvez sur la route du poursuivant. • Sautez en cours de route avec l’objet du désir du poursuivant (otage, une partie du groupe si le groupe entier est visé). • Faites brusquement demi-tour. 167

renouveler

• Empruntez un chemin qui n’est vraiment pas fait pour être parcouru avec un véhicule (autoroute à contresens, immeuble de bureau, toit d’un train, trottoir bondé de monde, etc.).

Les deux • Lâchez la direction quelques secondes pour viser correctement. • Changez de véhicule. • Analysez le lieu où vous vous trouvez (parce que vous connaissez bien l’endroit, sur votre smartphone, par satellite) pour anticiper la suite du trajet, voire acculer ou semer durablement votre cible. En intérieur (grand manoir, vaisseau spatial, train, couloirs du métro, égouts,

catacombes, réseau de grottes, discothèque, building, sous-marin, prison). Poursuivant

• Séparez-vous pour acculer la cible dans le lieu de votre choix (dangereux ou isolé selon vos besoins). • Ralentissez pour surprendre votre cible et repérez-vous aux sons ou aux traces laissées. • Criez de fausses informations pour déstabiliser ou désorienter votre cible, sur vos intentions, votre état, le lieu où vous vous trouvez, votre nombre, ce qui l’attend au bout du couloir. Poursuivi • Condamnez les issues derrière vous (fermeture de sas, éboulis). • Cachez-vous dans les murs, sous les grilles du sol, sur les tuyaux du toit. • Créez une panique ou détruisez une partie des lieux pour que les conséquences (gravats, mouvements de foule, secousses) gênent votre poursuivant. • Tendez un piège en surprenant votre assaillant  : collez-vous à la paroi au détour d’une sortie pour le laisser tomber dans le vide, emmenez-le vers un troisième ennemi encore plus fort comme un dragon ou la patronne mafieuse de la discothèque). Les deux • Changez le décor pour en tirer parti : activez l’alarme incendie et ses trombes d’eau, jetez une boule de feu au bon endroit, éteignez toute source de lumière. • Trouvez la logique du bâtiment pour prendre l’avantage (plan incendie ou dessins sur les parois pour réaliser qu’il s’agit de catacombes maudites ou d’un temple dédié à telle divinité, etc.). • Mettez-vous en danger pour prendre l’avantage  : utilisez des sorts ou des armes de zone (grenade, boule de feu) qui risquent de vous blesser aussi mais seront plus nocifs pour vos adversaires.

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Déplacements Couchage et repas (bivouac, auberge, hôtel, chambres, campements, etc.)

Transports fermés (train, voiture, diligence, avion, bateau) • Abordez des sujets qui ne peuvent l’être lorsque les PJ sont pris dans l’action, notamment ceux liés aux relations entre eux (questions délicates, rapprochements et éloignements, etc.). • Discutez avec les autres PJ et mettez en avant des éléments-clé de l’univers en vous servant de leurs différences. • Montrez une nouvelle évolution intéressante de votre PJ : « la nuit, tu entends que mon personnage sanglote » ou « tu as remarqué que mon personnage ne mange plus du tout de viande. » Transports libres (à pied, à cheval, en moto) • Profitez du bivouac ou des tours de garde pour raconter une anecdote de votre passé, un conte de votre enfance ou un secret, un rêve qui vous marqué. • Revenez sur un problème qui a eu lieu dans la journée et profitez-en pour faire ressortir le caractère de votre personnage. • Faites un point sur vos ressources (nourriture, protection contre le climat actuel ou à venir), et agissez en conséquence : organisez une chasse pour obtenir viande et fourrure, demandez au réceptionniste où trouver votre marque de tabac préféré, etc. Étapes prévues (cité, refuge, relai, monastère, clan, caserne, etc.)

Transports fermés (train, voiture, diligence, avion, bateau) • Renseignez-vous au préalable sur les spécificités des lieux pour anticiper vos actions une fois sur place : obtenir un plan, visiter tel monument, voir tel spectacle, éviter tel quartier, respecter les us et coutumes locaux, etc.

• Entretenez votre équipement ou profitez du temps perdu pour vous améliorer sur les compétences qui seront utiles sur place (vocabulaire de voyage, cultes locaux, etc.) Transports libres (à pied, à cheval, en moto) • Sympathisez avec les autres voyageurs (séduction, chansons, toujours aider son prochain et se montrer aimable, etc.). 169

renouveler

• Faites le point sur ce que vous attendez de votre prochaine étape, de ce qu’il vous faudrait pour valider telle ou telle hypothèse, etc.

• Cherchez à marquer les esprits et à faire parler de vous (rester en groupe, afficher ses couleurs, porter ses armes ostensiblement, répéter régulièrement le nom de sa faction, faire courir une rumeur, etc.). • Prétendez ne pas connaître le groupe et mélangez-vous avec les autres voyageurs pour voir ce qu’ils en pensent vraiment. • Écoutez les rumeurs qui courent sur les prochaines étapes de votre voyage, afin d’anticiper d’éventuels obstacles. Détours (pour se soigner, trouver de la nourriture, chemin impraticable, perte d’orientation, enlèvement, se cacher, etc.)

Transports fermés (train, voiture, diligence, avion, bateau) • Explorez à nouveau les lieux (voir partie sur l’exploration ci-dessous) pour récupérer ressources et informations. Les langues se seront peut-être déliées. • Fortifiez le campement de ceux qui ne pourront pas faire le détour. • Calmez les esprits qui s’échauffent à l’idée de ce détour et qui pourraient avoir recours à la violence. • Trouvez un nouveau moyen de transport, peut-être plus adapté à vos nouveaux besoins : capable de porter un blessé immobilisé, discret, conçu pour tel ou tel terrain, plus solide, etc.). Transports libres (à pied, à cheval, en moto) • Recrutez d’autres voyageurs pour affronter les épreuves à venir, notamment s’ils comblent vos manques : soigneur, chasseur, personne familière d’un certain milieu, guide, etc. • Réorganisez votre itinéraire et faites le point sur vos ressources avec les nouvelles contraintes qui sont désormais les vôtres.

Exploration Petite zone (maison, scène de crime, cimetière, hôpital, grand hôtel, bibliothèque, etc.)

Collecte d’indices pour prouver ou comprendre • Complétez la fouille par une enquête de voisinage, des sorts, des recherches sur Internet, etc. • Répartissez-vous les zones à fouiller pour aller plus vite. • Récapitulez les éléments d’enquête que vous avez jusqu’à présent, afin de ne rien manquer. 170

• Même si vous ne cherchez pas un objet précis, orientez les recherches en fonction des hypothèses que vous voulez confirmer ou invalider : « on cherche un lien avec Boston et une veste mauve ! ». Quête d’un élément précis (PNJ, objet, etc.) • Protégez la fouille et couvrez notamment toutes les issues au cas où votre objectif est volé ou tente de fuir. • Demandez aux voisins, à la famille, etc. • Repérez les lieux pour tenter de deviner l’endroit précis où votre objectif a le plus de chances de se trouver, et les protections dont il pourrait bénéficier. Exploration générale • Supervisez ou discutez avec les autres pour leur faire dire à haute voix ce qu’ils font et ainsi les aider, soit à voir ce qu’ils n’avaient pas vu, soit à élaborer des théories ensemble. • Concentrez-vous sur les éléments en rapport avec les centres d’intérêt de votre personnage, son passé, ses connaissances, etc. : « c’est moi ou la moitié de sa playlist est composée de groupes de punk irlandais de Boston ? » Grande zone peuplée (cité, quartier, pays, prison, vallée, etc.)

Collecte d’indices pour prouver ou comprendre • Établissez des croisements et déléguez les recherches à des PNJ ou des ordinateurs, afin de limiter les fouilles effectives : « je passe en revue les entreprises qui fabriquent ou vendent ce type de produit chimique trouvé sur les lieux du crime. » • Préparez-vous une identité solide pour aller vous présenter à vos futurs interlocuteurs (représentant en bureautique, agent du cadastre, etc.), surtout si l’objet de votre mission doit rester discret ou est illégal. Quête d’un élément précis (PNJ, objet, etc.) • Sollicitez vos réseaux ou spécialités : le guerrier se rendra chez les armuriers, le voleur dans les lieux dangereux, le barde dans les tavernes et les théâtres, etc.

Exploration générale • Procurez-vous une carte de la ville ou de la région afin de mieux anticiper ce à quoi vous allez faire face.

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renouveler

• Recrutez des PNJ : engagez une petite frappe pour faire diversion quand vous cambriolerez, repérez les groupes qui pourraient devenir des alliés pour vous aider à occire le tyran.

• Contactez des PNJ à même de vous aider à remplir vos objectifs : un spécialiste des bas-fonds pour se cacher ou être mis en contact avec la guilde des voleurs, un érudit pour découvrir l’histoire et les monuments, un gamin des rues pour connaître les raccourcis, etc. • Menez votre exploration à divers niveaux : les informations émises par les classes dirigeantes officielles sont différentes de celles émises par les laissés-pour-compte, les érudits, les artistes, les religieux, les hors-la-loi, les dissidents politiques, les ouvriers, etc. Grande zone déserte et sauvage (planète, donjon, forêt, montagne, ruines, etc.)

Collecte d’indices pour prouver ou comprendre • Rassemblez, par tous les moyens possibles (magiques, technologiques, historiques, scientifiques) le maximum d’informations pouvant vous permettre d’aboutir à une carte des lieux ou assimilé pour organiser un itinéraire cohérent avec vos objectifs. • Rendez-vous dans les plus grands lieux de connaissances à proximité de la zone que vous voulez explorer pour vous aider à vous faire une idée de ce que vous allez vraiment y chercher. Si la zone a été conquise, il peut s’agir des capitales des anciennes puissances colonisatrices, ou au contraire d’une ancienne colonie depuis intégrée à un autre ensemble géographique. Quête d’un élément précis (PNJ, objet, etc.) • Anticipez les différents obstacles qui pourront se dresser entre vos objectifs et vous, et allez les repérer sur place, sans foncer tête baissée. • Si vous suivez une piste ou un itinéraire imprécis qui vous a été transmis, cherchez des passages alternatifs (chemins de traverse, souterrains, fuite, etc.). Cela sera d’autant plus utile si vous venez arrêter ou tuer un ennemi, ou que vous avez de bonnes raisons de penser que votre objectif n’est plus là. Exploration générale • Servez-vous de sortilèges, de logiciels ou des senseurs de votre vaisseau pour obtenir le plus d’informations circonstanciées qui pourront aider à l’exploration (sources de vie, de magie, zones irradiées, cœur économique, géologie, etc.). • Si vos camarades se séparent et que vous pouvez communiquer avec tous, assurez la coordination et restez à votre QG pour améliorer les chances de réussite de tous. • Adoptez un mode d’exploration1 individuel correspondant à votre objectif : traverser le plus vite possible, sécuriser, avancer discrètement, en collectant le plus de ressources possible, visiter complètement ce territoire pour avoir une idée précise de ses caractéristiques, etc. 1. À ce sujet, consultez également l’article « Aider son personnage à gagner : le b.a.-ba de l’exploration de donjon », p. 93.

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Interactions sociales Développer une relation (arranger ou aggraver un conflit1, rompre ou com-

mencer une relation amicale ou amoureuse, faire évoluer une relation familiale, se rapprocher, se lier ou s’éloigner, etc.) • Partagez un souvenir, un secret, un conseil ou une expérience issu de votre background ou inventé sur le vif pour créer de la complicité ou au contraire de l’animosité : « à ta place, je n’aurais jamais… ». • Évoquez une erreur de la journée (maladresse, coup ou déroute qui aurait pu être évité, etc.) pour voir comment, et tant que groupe, vous auriez pu mieux vous en sortir. • Échangez des trucs d’aventuriers : « comment vous entretenez vos armes, vous ? », « c’est quoi la créature qui vous a donné le plus de fil à retordre ? », etc., ou demandez de l’aide à vos compagnons : « tu les fais comment tes pointes de flèches, toi ? ». • Manifestez les sentiments de votre personnage envers d’autres membres du groupe, par exemple en les complimentant sur leurs points forts. Votre guerrier peut féliciter la rôdeuse du groupe pour ses compétences de chasse et son humour. • Rapprochez-vous d’un personnage dont vous êtes habituellement éloigné ou éloignez-vous d’un dont vous être rapproché. • Évoquez une anecdote amusante liée à votre culture ou arrangez l’ordinaire en rajoutant une épice ou une plante dans le ragoût. • Montrez comment la relation entre votre personnage et un autre évolue (avec l’accord de la joueuse concernée) : mettez en scène une dispute, des mots tendres, une scène de ménage, l’apparition de la jalousie entre deux amis, etc.

Obtenir des informations (interrogatoire, conversation de taverne, rencontre

sous un autre prétexte, etc.) • Renseignez-vous au préalable (rumeurs, hacking) sur le personnage pour savoir ce qu’il désire ou découvrir des moyens de pression. • Fabriquez-vous une fausse identité solide ainsi qu’une raison valable et crédible justifiant votre venue.

• Trouvez une monnaie d’échange ou procurez-vous quelque chose (argent, objet, information, PNJ, menace, service rendu, etc.) que voudra votre interlocuteur et qui vous permettra d’obtenir ce que vous voulez. 1. À ce sujet, consultez également l’article « Coopérer et Rivaliser », p. 149.

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• Organisez une fausse agression sur votre cible pour que d’autres membres du groupe puissent sympathiser avec.

• Proposez au PNJ ce qu’il veut plutôt que chercher à le convaincre de vous donner ce qu’il souhaite garder pour lui. Et dans tous les cas, continuez à négocier au lieu d’aller vers une tentative d’extorsion ou, pire, vers la torture. • Interprétez un personnage bien plus intimidant que vous ne devriez, juste pour donner le change. • Protégez les lieux de la discussion et couvrez les issues. Convaincre (joutes verbales, rapport à un supérieur, procès, prise de décision avant

un acte important, etc.) • Allez chercher l’information ou le témoin qui vous permettra de faire changer votre interlocuteur d’avis, ou dont la présence à vos côtés infléchira sa véhémence, etc. • Trouvez ou fabriquez des pièces incriminantes. Si vous ne pouvez pas convaincre, décrédibilisez vos contradicteurs. • Menacez des membres de l’équipe adverse, soit pour qu’ils vous tiennent au courant des tractations, soit pour qu’ils y défendent vos idées. • Dressez un profil psychologique complet de votre interlocuteur, ainsi qu’une évaluation de ses principales motivations et faiblesses. • Assumez le rôle du «  méchant flic  » pour que votre interlocuteur soit plus enclin à écouter vos camarades et à se replier vers eux en cas de conflit avec vous.

Préparation Recherche d’informations

Plan d’action • Proposez au moins trois hypothèses initiales crédibles qui n’ont été encore proposées par personne. • Proposez une complication potentielle différente, et des pistes de solutions, pour au moins une proposition solide de chacun de vos compagnons. • Faites le lien avec une de vos opérations précédentes et voyez si le plan en question peut s’appliquer, et si les complications d’alors risquent de se reproduire ou pas. • Faites des répétitions de ce qui peut l’être (mensonges, fausses identités, tester la capacité technique d’un personnage à réaliser ce qu’il propose, etc.). • Procurez-vous et testez le matériel nécessaire (talkie walkie, fusée de détresse colorée avec diverses significations, etc.).

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• Essayez de rentrer par la grande porte pour une fois, et préparez mieux vos mensonges aux PNJ en les répétant d’abord entre vous, au lieu de seulement évoquer le « comment entrer ». • Tentez une diversion culottée : en mettant le feu, en vous faisant passer pour une autorité, en tentant d’entrer très peu discrètement pour ouvrir la voie aux autres PJ, en vous laissant capturer. Briefing de mission • Repérez ce qui fait les spécificités de cette mission et concentrez vos questions sur celles-ci. • Changez de plan et évitez les routines, que ce soit pour continuer de surprendre vos adversaires ou le MJ. • Vérifiez le briefing et complétez-le : il est certainement partiel, vérifiez les informations, cherchez-en de nouvelles, demandez d’où viennent celles que l’on vous a données. • Cherchez un prétexte crédible pour enquêter auprès des PNJ, qui sera une bonne couverture pour mettre votre nez dans leurs affaires. Renseignements sur une cible (une personne, un lieu, etc.) • Enquêtez sur un aspect spécifique de votre cible, sans vous interdire d’être curieux, mais en vous assurant de le maîtriser sur le bout des doigts et de pouvoir répondre aux questions du reste du groupe sur le sujet : histoire personnelle, familiale, professionnelle, publique, privée, passé, ambition, possessions, relations (pour une personne), architecturale, entrées et sorties quotidiennes, anciens propriétaires, accès souterrains, aériens (pour un bâtiment), etc. • Coordonnez les domaines d’investigation du groupe. • Assurez-vous d’offrir un plan de repli pour ceux qui se feraient repérer et pourraient compromettre la mission (se faire embaucher à la sécurité, scanner leurs fréquences, etc.). • Donnez des raisons à la cible de faire appel à vous.

• N’approchez pas la cible, mais trouvez un chemin indirect pour entrer en contact : vie privée, professionnelle, passions, hobby, etc.

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• Faites croire à la cible que vous êtes de son côté, que vous avez des ennemis et une histoire en commun, quitte à vous mettre en danger pour que cela soit crédible.

Phase d’évolution

Amélioration ou acquisition d’une compétence • Trouvez ce que veulent vraiment les meilleurs professeurs et donnez-le-leur pour avoir le meilleur enseignement et être opérationnel le plus rapidement possible : intervention illégale, solution médicamenteuse dangereuse, payer les dépenses médicales d’un proche, etc. • Embauchez des sparring partners ou intégrez des factions (comme une guilde, une école, etc.) afin de rendre l’acquisition de cette nouvelle capacité plus intéressante : c’est souvent l’occasion d’entrer dans un nouveau milieu et de faire de rencontres. • Prévoyez votre évolution, et dites au MJ que vous vous y consacrez lors des ellipses, entre les parties ou pas. • Trouvez des façons originales ou inédites d’utiliser la compétence que vous souhaitez acquérir. Acquisition d’équipement • Contactez des relations que vous avez et qui sont compétentes pour leur demander où elles se sont fournies, et si elles peuvent vous dépanner : l’ancien pilote de course sera à même de trouver des mécaniciens capables de « booster » une voiture, le roublard du poison mortel au lieu d’aller naïvement en demander chez l’alchimiste du coin, etc. • Regardez aussi chez des marchands de moins bonne réputation afin d’augmenter vos chances d’obtenir un équipement acceptable : doit-il avant tout être bon marché, intraçable, performant, discret, en règles, disponible immédiatement, etc. ? • Customisez ce que vous avez déjà, ou tentez d’étendre le champ d’application de l’équipement que vous possédez déjà. • Volez-le à un ennemi en faisant accuser un autre, vous ferez d’une pierre deux coups. Recherche d’alliés • Renseignez-vous au préalable sur eux : centres d’intérêt, points forts et faibles, influence et relations. • Demandez-vous quelles sont les personnes sur lesquelles vous avez déjà des moyens de pression, ou pouvez facilement en obtenir, avant de chercher à faire pression sur de nouveaux alliés potentiels. • Récupérez ce dont vos alliés ont immédiatement besoin, ou réglez son compte à celui qui les empêche de l’obtenir, afin d’avoir quelque chose à leur offrir en retour pour acheter leurs compétences, mais aussi et surtout leur loyauté. • Identifiez et contactez les ennemis de vos ennemis, qui pourraient faire de bons alliés. 176

• Cherchez au-delà de ce qui est en jeu dans la partie : dans votre passé, parmi vos mentors, votre famille, amis, certains PNJ rencontrés, et réfléchissez aux dif­férentes manières dont ils pourraient vous aider. • Retournez le problème : faites une liste des vos alliés et connaissances actuels, même lointains, et déterminez les différents moyens dont ils pourraient vous aider. Attente forcée d’un changement de situation

Lieux clos (prisons, orphelinats) • Choisissez une faction et faites-vous-en une alliée, quitte à vous les répartir entre PJ. Déterminez vos ennemis avec le même soin. Pour cela, observez les forces en présence, les routines et les hiérarchies internes de chaque groupe. • Servez-vous de vos contacts dehors et des personnes ayant accès à la fois à l’intérieur et à l’extérieur de la prison pour organiser un trafic vous permettant d’atteindre vos objectifs  : échange d’informations, entrée de certaines marchandises contre des traitements de faveur, faire chanter les gardiens, points faibles de certains détenus, etc. • Cassez la figure ou piégez « le plus fort » pour vous faire respecter et remarquer d’emblée. • Bâtissez-vous une fausse identité afin de vous assurer une réputation ou de vous faire des alliés spécifiques (rebelle politique, meurtre d’un membre haï de la pègre, etc.). Se cacher • Ne restez pas inactif : récapitulez les informations que vous avez jusqu’à présent, redéfinissez vos objectifs et priorités, trouvez des compétences ou du matériel nécessaire pour la suite des événements, etc. • Piratez les moyens de communication de vos adversaires, utilisez des alliés pour les espionner ou mettez une chaîne d’information en continu pour vous tenir au courant de ce qu’ils sont en train de faire. • Passez par une zone pouvant neutraliser les avantages technologiques de vos poursuivants (égouts ou véhicules identiques pour un drone, brouillage pour un mouchard, zone de magie sauvage, etc.).

• Cachez-vous dans un lieu très peuplé, avec un minimum de déguisement vous passerez facilement inaperçu dans la foule. • Profitez-en pour tendre un piège à ceux qui vous cherchent en leur faisant croire que vous serez à tel lieu à tel moment. 177

renouveler

• Cachez-vous dans un lieu duquel il vous est possible de tout observer (caméras, tunnels, point élevé, magie, etc.) afin de vous mettre à traquer ceux qui pensaient vous trouver.

• Donnez vos affaires ou ce qui peut vous faire reconnaître facilement (téléphone, blason, etc.) à quelqu’un d’autre qui pourra leurrer les poursuivants. Soins • Prenez du recul sur ce qui compte vraiment pour vous, vos erreurs, vos réussites, vos sacrifices, voire votre propre vie. Discutez avec quelqu’un d’extérieur à tout cela pour vous forcer à l’expliquer de façon simple. Décidez ensuite de votre future attitude : remise en question, réaffirmation de vos buts, etc. • Rencontrez les autres patients ou malades, ou à défaut les petites mains à qui personne ne prête attention, et découvrez non seulement leur histoire, mais également leur vison sans doute radicalement différente des événements qui vous préoccupent. • Profitez-en pour contacter des PNJ perdus de vue depuis longtemps pour renouer le contact, ou créez des relations avec ceux qui vous entourent (personnel soignant, autres convalescents, etc.). • Faites de cette faiblesse une force et tentez de rendre votre PJ plus fort sur un autre aspect : il pourrait apprendre une langue étrangère, se cultiver sur tel sujet, lire tel livre, etc.

Conclusion Comme vous pouvez le voir, si la lassitude vous gagne, prendre un court laps de temps pour entreprendre une action moins attendue permet de donner un nouvel angle à la scène et de relancer l’intérêt de la partie pour toute la table. Cet article est un inventaire de ce genre d’options. En tant que tel, il a vocation à vous proposer des idées dans lesquelles vous pourrez puiser, mais est forcément incomplet. Ce sera donc à vous de le compléter et de l’enrichir au fur et à mesure de votre parcours, c’est-à-dire en fonction de l’évolution de vos goûts, de vos idées, mais aussi des JdR que vous pratiquez et des amis avec lesquels vous y jouez. Alors, n’hésitez pas à vous en affranchir, à innover et à vous inspirer des autres, notamment lorsque vous changez de table. Rapidement, vous redécouvrirez même avec plaisir des types de scènes ou des modes de jeux que vous pensiez démodés ou sans intérêt. Ne laissez pas les habitudes brimer votre créativité : le JdR est riche et il existe toujours bien plus de façons de pratiquer notre loisir que nous le pensons.

Créer du jeu pour les autres



Coralie David et Jérôme Larré

P

arfois, lorsque l’on s’assoit autour de la table, on a tendance à se contenter de réagir aux situations que le MJ met en jeu. Lutter contre cette passivité et lui proposer assez de matière pour qu’il puisse s’en emparer est déjà une étape importante. Mais pour être réellement moteur dans une partie, il est nécessaire d’aller encore plus loin et d’être capable de la rendre intéressante pour l’ensemble de la table. Mais comment créer du jeu pour les autres ? Qu’est-ce que cela signifie concrètement ? Globalement, créer du jeu pour les autres peut impliquer trois notions différentes et complémentaires : • mettre les autres joueuses en valeur, via leur PJ ou pas ; • susciter les interventions des autres joueuses, via leur PJ ou pas ; • réutiliser ce qu’elles introduisent dans la partie.

Il ne s’agit ni de jouer leur personnage à leur place, ni de s’effacer totalement pour les laisser seules sous les feux de la rampe, mais de prendre du recul pour leur permettre d’apprécier davantage la partie. Et finalement, vous aurez de grandes chances, vous 179

pour les autres

L’objectif est d’aider les autres joueuses à s’amuser davantage, notamment en aidant à participer celles qui ont le plus tendance à se mettre en retrait. Cela peut prendre plusieurs formes : réutiliser ce qu’elles ajoutent à la partie, incorporer des éléments qui les intéressent plus particulièrement et dont elles pourront se saisir par la suite, les intégrer dans des scènes ou des arcs narratifs liés à leurs personnages, etc.

aussi, d’apprécier davantage la partie. D’une certaine façon, au lieu de foncer droit vers le but, vous allez choisir de passer le ballon à un de vos coéquipiers moins sollicité pour que lui aussi puisse tenter de marquer. Vous vous imaginez sans doute le faire par le biais des personnages, mais il n’y a aucune raison de s’y limiter. Cet article propose par conséquent des pistes pour essayer d’impliquer davantage les autres joueuses, de les pousser à participer plus activement, de se mettre à leur service pour améliorer l’expérience de jeu de tout le monde.

Mettez les autres personnages en valeur Sollicitez leurs points forts

Tous les PJ ne sont pas optimisés. Tous les groupes ne sont pas complémentaires. Mais même dans ces cas-là, il est rare qu’un personnage n’ait pas un point fort. Cela peut être un domaine dans lequel il est plus performant que ses camarades ou juste moins mauvais qu’ailleurs. Peu importe. Et même si une joueuse interprète un PJ qui ne semble doué en rien1, il aura forcément des qualités propres qui n’apparaîtront pas sur la fiche de personnage et qui pourront le singulariser : esprit d’analyse, bon sens, courage, écoute, tendance à prendre des notes utiles, etc. Ce sont autant de spécificités qu’il vous faudra repérer pendant la partie. Observez la manière de jouer de vos camarades, les moments où ils prennent une part plus active (ne jouent-ils que quand on les y invite ou prennent-ils la parole ?). Êtes-vous capable d’identifier les situations où ils interviennent systématiquement ou presque ? N’hésitez pas à discrètement noter vos remarques sur un coin de feuille. Servez-vous de ce que vous avez noté comme source d’inspiration pour faire intervenir les autres joueuses à un moment où, a priori, c’est à vous d’agir (le MJ vous demande un jet particulier, toute l’attention est portée sur votre personnage, etc.). Imaginez que vous interprétiez un médecin qui doit soigner un autre PJ en urgence et sans anesthésie. Vous avez remarqué qu’une autre joueuse plutôt effacée incarne une véritable force de la nature, capable de faire des dégâts massifs en combat, mais qui n’agit presque pas le reste du temps. Votre personnage peut solliciter le sien pour tenir fermement leur camarade pendant qu’il extrait la balle de son épaule. N’hésitez pas à pousser l’interprétation en lui donnant des instructions comme « empêche-le de tourner la tête. Il ne vaut mieux pas qu’il voie ce que je suis en train de faire » ou « parle-lui, il ne faut surtout pas qu’il tombe dans les pommes2 ! ». À la fin de la scène, quelle qu’en soit l’issue, votre personnage devrait féliciter le sien et lui dire merci, peut-être même partager une bière et ne pas hésiter à faire rejaillir une partie de la gloire sur lui.

1. À ce sujet, consultez également l’article « Faire d’un incapable un héros », p. 245. 2. Cette seconde consigne a l’avantage de pouvoir même être donnée à des personnages qui ne sont ni costauds ni n’ont de compétence particulière.

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L’autre avantage en procédant ainsi est que d’autres participants peuvent se joindre à votre effort et donner corps à une véritable scène, là où au départ il ne s’agissait que d’un simple test de soin. Dès lors, le MJ peut décider d’accompagner votre jeu par un bonus technique, activer une règle de collaboration, voire improviser des enjeux ou complications pour le PJ qui assiste le vôtre (chance de découvrir un pli secret ou de récupérer un objet, etc.). De même, la joueuse incarnant le blessé peut décider que celui-ci est plus ou moins récalcitrant, délirant, etc. Ceci fera probablement naître une relation unique entre vos trois personnages (voir p. 191, Caractérisez vos relations). En résumé, servez-vous des situations où vous avez la main pour faire intervenir les personnages des autres joueuses et mettre en valeur leurs points forts.

Laissez vos sabots dehors ! Lorsque vous voudrez créer du jeu pour les autres, il est assez difficile de trouver un équilibre entre les aider à jouer et à se prendre en main, et jouer à leur place. Le pire, pour aider des débutants à intégrer les parties, est de se comporter comme un paternaliste condescendant. Soyez donc subtil, que cela concerne la fréquence de vos interventions ou leur forme. Si votre camarade s’en aperçoit, il y a de fortes chances que cela le vexe et qu’il se sente infantilisé, voire qu’il ne prenne plus votre personnage au sérieux, d’une manière similaire à ce que l’on ressent lorsque l’on devine les grosses ficelles d’une intrigue. La distinction peut sembler mince, mais elle est cruciale : vous n’êtes pas là pour dire aux autres joueuses quoi faire, mais pour les aider à avoir envie de faire quelque chose.

Sollicitez leurs spécificités

Une fois que vous avez appris à mettre en valeur les points forts des autres personnages, vous pouvez désormais faire de même avec tout ce qui les singularise. Et cela fonctionne également lorsqu’il s’agit d’un trait qui peut être perçu comme négatif : origine, métier, appartenance à un groupe quelconque1, etc.

1. Faites toutefois attention si la joueuse subit elle aussi ce genre de discriminations dans la réalité. À ce sujet, consultez également l’article « Ne pas être cette joueuse-là », Distinguez joueuse et personnage, p. 334.

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pour les autres

Le cas le plus évident est celui où un élément de l’action en cours peut être lié à une spécificité du PJ. Imaginons que vos personnages soient à la recherche d’un voleur dans une cité. Peut-être que l’un d’eux est pisteur et peut suivre ses traces, même si ce n’est pas aussi simple que dans la nature. Toutefois, si un second est voleur et un troisième originaire de la ville en question, la joueuse qui incarne le pisteur peut essayer de faire participer ses camarades en essayant de leur faire déduire où se trouve le fugitif. L’exploitation de leurs connaissances (des guildes et autres organisations criminelles pour le premier, de la ville et des personnalités locales pour le second) met ainsi les PJ en valeur et rend l’univers un peu plus vivant.

Le coéquipier dont on rêve tous… De même, si la joueuse pour laquelle vous souhaitez créer du jeu essaye d’établir une relation sociale, quelle qu’elle soit, demandez-vous comment vous pouvez l’appuyer en ce sens. Étendez cette logique de soutien aux autres types d’action (combat, investigation, etc.) sans vous y cantonner, mais plutôt en choisissant celles qui pourront la surprendre et réellement la mettre en valeur.

Intéressez-vous à eux

Même si cela est moins spectaculaire que de les faire participer à l’action, il existe une autre façon très simple de mettre en valeur les personnages des autres joueuses : s’intéresser à eux. Ainsi, votre PJ peut faire preuve d’une saine curiosité envers eux et s’interroger sur leurs spécificités, leur quotidien, voire leur demander des conseils1. C’est encore plus vrai lorsque les personnages en question semblent porteurs de contradictions : « Tu roules en Aston Martin avec ton salaire de bibliothécaire ?! », « T’es sûr que tu ne t’es jamais servi d’une arme avant ? ». Sauf abus, cela permet aux joueuses de se rendre compte des apparentes contradictions, et donc des richesses, de leur PJ. Lorsque le groupe se retrouve au bar ou au commissariat entre deux enquêtes, ou devant la machine à café, cela peut être l’occasion de poser à un autre PJ des questions sur le dernier match de son sport préféré, ou la grippe du petit dernier. Cela sera d’autant plus efficace si, en tant que joueuse, vous attendez vous aussi quelque chose (le MJ vous fait jouer une scène d’attente ou est occupé ailleurs par un aparté qui s’éternise, etc.). Si votre personnage assure son tour de garde avec un autre pour lequel vous souhaitez créer du jeu, interrogez-le sur son enfance, les spécialités culinaires ou les contes populaires de sa région d’origine. Votre PJ peut lui parler de sa phobie et essayer de connaître la sienne, lui demander comment se passent les admissions au sein de son ordre de paladins, s’il a de bonnes relations avec sa hiérarchie, comparer les petits à-côtés de vos ordres respectifs, etc. Pour que cela fonctionne et éviter de donner l’impression de faire passer un interrogatoire au personnage des autres joueuses, il faudra sans doute que vous vous livriez aussi. N’hésitez pas. Cela vous permettra de donner le ton de la conversation et d’aider celles qui seront moins inspirées. Le but est aussi de leur inspirer différentes idées pour enrichir leurs personnages.

1. Les PNJ des RPG vidéo Dragon Age: Origins ou Mass Effect constituent une excellente source d’inspiration pour ce faire, lorsqu’ils discutent sur le chemin pour le premier, ou dans l’ascenseur de La Citadelle pour le second.

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Amenez-les à s’intéresser à votre personnage ! Il est également possible d’inverser la dynamique : créez, de votre côté, des mystères autour de votre propre personnage pour qu’un autre PJ s’en saisisse. Cela peut impliquer le passé de votre avatar, mais vous pouvez également intégrer ce genre de choses de façon spontanée : vos personnages fouillent une pièce ensemble ? Faites-en sorte que le vôtre dissimule des documents dans son sac, ou que son expression change brusquement à la lecture d’un journal de bord. Dites qu’après un travail harassant, votre PJ, après avoir retroussé ses manches, rabaisse brusquement l’une d’entre elles pour cacher un tatouage sur son bras gauche que son compagnon aperçoit furtivement. Le but est évidemment que l’autre s’en rende compte, et que sa curiosité le pousse à intervenir. Improvisez sans forcément tout prévoir, faites preuve de spontanéité, et surtout, attendez que l’autre personnage réagisse : vos échanges et ses actions, idées ou questions vous aideront probablement à expliquer ce geste, et vous créerez du jeu ensemble pour toute la table. Prenez juste garde à ce que le jeu généré ainsi ne se fasse pas au détriment du reste de la partie.

Demandez-leur leur avis

Quelle que soit la situation, il existe de nombreuses raisons qui peuvent pousser votre personnage à demander l’avis d’un compagnon. En combat, il peut solliciter un avis tactique : « Tu prends lequel ? », stratégique « On les poursuit ou pas ? », un coup de main « Tu me couvres ? », ne pas savoir contre qui il se bat « On a dit qu’il s’appelait comment le mec qu’on devait sauver, déjà ? », ni comment s’y prendre « Je fais quoi, moi, si mes flèches ne lui font rien ? », et bien d’autres choses encore. Dans un contexte plus calme, cela peut être l’occasion de faire évoluer la relation entre deux personnages ou de développer certains aspects du monde. Dans une campagne mouvementée, il ne faut pas négliger ces moments qui sont autant de façons de prendre du recul sur l’urgence et les péripéties. Ces petites conversations en apparence anodines vont vous permettre de mieux comprendre ce qui se passe, et donc de décider plutôt que de subir et, à terme, de reprendre collectivement le contrôle de la campagne. Cela peut commencer par des questions aussi simples que : « D’après toi, est-ce que je devrais accepter de reparler à mon frère ? » ou « Tu penses quoi de notre sergent ? Tu ne le trouves pas un peu bizarre ? ». Dans tous les cas, lorsque votre PJ demande conseil à un autre : • vous l’impliquez dans les intrigues personnelles de votre personnage (ou dans celles de la partie si jamais il s’en désintéresse) ; • votre personnage l’aide dans les siennes ou lui montre qu’il est disponible pour le faire ; • vous l’incitez à réfléchir aux enjeux en cours. 183

pour les autres

• vous prouvez, à toute la table, que son avis compte ;

Enfin, si votre groupe accepte ce genre de choses1, vous pouvez même dire que votre personnage réfléchit à une situation en se demandant ce que tel autre, qui n’est pas présent, aurait fait à sa place. Cela peut être l’occasion de lui permettre (et donc à sa joueuse) de participer. C’est notamment intéressant lors des scènes assez denses en interactions susceptibles de s’éterniser (interrogatoires, plans, etc.).

Solliciter l’avis de la joueuse Exactement de la même façon que vous pouvez solliciter l’avis d’un personnage, vous pouvez directement demander à une joueuse ce qu’elle pense. C’est aussi une façon de créer du jeu pour elle. En effet, la partie ne se limite pas à ce qui se passe dans l’univers imaginé en commun, elle comprend également tout ce qui se déroule autour de la table. Votre question peut porter sur des questions de règles, par exemple si vous ne comprenez pas le fonctionnement d’un sort ou d’une mécanique spécifique, sur l’univers ou ce qui est arrivé lors d’une séance précédente, etc. Si cela ne prend pas trop de temps et que c’est utile pour cadrer une scène, vous pouvez aussi lui demander son avis sur ce que vos personnages devraient faire, s’ils ont des objectifs communs ou proches, etc. Si la joueuse n’a pas trop d’inspiration, soyez force de proposition : « Hey, ça te dirait que nos PJ se lancent dans la création de leur propre guilde ? », « Ton personnage n’a jamais pensé à exposer ses œuvres ? Le mien a tous les contacts nécessaires pour y parvenir, ça te dit qu’on essaie ? », « On rachète ce bar pour en faire notre QG ? », « On essaie de faire virer le commissaire pour mettre l’un d’entre nous à sa place ? »

Donnez du poids à leurs paroles et à leurs actes

Pour mettre un personnage en valeur, un autre procédé particulièrement simple est de prêter attention à ce qu’il dit ou fait. Avant toute chose, cela implique a minima de laisser la joueuse en question parler et de prendre le temps de l’écouter2. En JdR, la façon la plus efficace de valoriser les apports d’un personnage est sans doute de les réutiliser jusqu’à ce qu’ils prennent une place particulière dans l’histoire. Parfois, la simple répétition est suffisante, surtout si d’autres joueuses s’en emparent également. Si le personnage de celle pour qui vous souhaitez créer du jeu vient d’une contrée lointaine, et que cette dernière se retrouve régulièrement au centre des discussions, il y a fort à parier qu’elle y prendra alors une place particulière et se retrouvera rapidement mêlée à d’autres fragments d’intrigue. D’autres fois, il vous faudra faire des efforts particuliers pour donner de l’importance à ces détails. Ainsi, 1. Nous ne saurions trop insister sur le fait que, à certaines tables, cette technique puisse passer pour de la triche. Nous vous recommandons de demander l’autorisation et d’éviter de donner l’impression de chercher à obtenir un avantage indu. Ainsi, vous dissiperez tout doute sur vos motivations : éviter à une joueuse d’être mise à l’écart d’une scène potentiellement longue et importante. 2. À ce sujet, consultez également l’article « Ne pas être cette joueuse-là », p. 329.

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votre personnage peut parler de ce qu’un colporteur lui a raconté sur cette fameuse contrée éloignée (ce qui créera sans doute d’autant plus de jeu que ce sera faux). Il peut également avoir la lubie de s’approprier un élément typique de celle-ci (outil, plat, coiffe, arme, art, vêtement, vocabulaire, etc.), de se passionner pour ce sujet, de chercher à se documenter de son côté, etc. Mais cela peut s’appliquer à des choses beaucoup plus triviales, comme saluer ses réussites, éventuellement en lui demandant comment il s’y est pris, ou en s’intéressant à son équipement, voire en s’inspirant de ses méthodes et en essayant de reproduire son style. Ensuite, pour mettre un personnage en valeur, il importe de lui faire savoir que l’on a entendu ses idées et que l’on accepte de se mettre au service de ces dernières. Ainsi, si une joueuse plutôt effacée joue un hacker et qu’elle pense qu’une intrusion informatique est la meilleure façon de procéder, autant essayer son approche et proposer à son personnage que le vôtre monte la garde. Il est peu probable que vous n’appreniez rien du tout et, si vous la félicitez pour ce que vous obtenez, elle aura le sentiment non seulement d’être écoutée, mais aussi d’apporter quelque chose au groupe. Il y a donc de fortes chances qu’elle recommence. Le pendant de cette façon de faire, outre la responsabilisation (voir p. 188, Si la logique de délégation est privilégiée), est de laisser le personnage échouer lorsque cela se produit. S’il a raté un jet de perception, cela ne sert à rien de se précipiter pour tenter de fouiller la pièce à sa place. Au contraire, acceptez parfois de passer à côté de quelques informations pour faire évoluer la relation entre deux PJ. Ainsi, sauf s’il s’agit d’une contre-performance évidente (échec critique, etc.), évitez de présenter les choses comme le résultat d’un échec, mais venez-en directement aux conclusions qu’en tirerait votre personnage. Préférez les « il n’y a rien » ou « le criminel n’a pas laissé de trace » aux « il n’a rien trouvé » en parlant du PJ malchanceux. Montrez au contraire la confiance que lui porte votre personnage en expliquant que si quelqu’un d’aussi compétent que son camarade n’a rien trouvé, c’est qu’il n’y avait rien à trouver.

1. Scènes jouées dans une partie et destinées à montrer que le personnage évolue, et à justifier une éventuelle dépense de points d’expérience.

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pour les autres

Il existe bien entendu de nombreuses autres façons de mettre en valeur ce que dit ou fait un personnage. En plus de toutes celles qui ne manqueront pas de vous traverser la tête, on peut sans doute citer celles qui ont lieu en dehors du temps de jeu classique. Par exemple, on peut aider le personnage d’une joueuse à progresser vers un objectif qu’elle a mentionné à un moment, ou pour combler d’éventuelles lacunes qui se sont manifestées pendant la partie. Vous pouvez dès lors participer avec lui à une scène d’augmentation1 (quitte à demander au MJ l’autorisation de lui transférer quelques-uns de vos points d’expérience) ou en l’aidant à trouver quelqu’un qui puisse lui servir de mentor. Cela peut également se faire durant n’importe quelle période

de downtime1, et vous pouvez, par exemple, l’aider à reconstruire le château familial ou à recruter des suivants. Enfin, si vous prenez des notes pour la table, rien ne vous empêche de réintégrer des éléments sur lesquels vous n’avez pas rebondi durant la séance en en parlant dans vos comptes rendus, voire en expliquant les conséquences qu’ils ont eues sur votre personnage.

Créez des situations de jeu pour les autres PJ Au-delà de simplement mettre en valeur un PJ en particulier, il est possible de proposer ou de provoquer des situations qui le pousseront à agir. Plus que de braquer les projecteurs sur ses talents, ce qui implique une phase plus ou moins longue de réflexion et parfois une mise en place sur plusieurs séances, il s’agit ici d’être assez spontané. Généralement, cela n’implique que de se concentrer sur un instant précis, même si les éléments que vous mettrez en jeu pourront avoir des répercussions pendant plusieurs séances.

Assister et non diriger Pour éviter tout malentendu, reprécisons ici une précaution déjà évoquée : aucune de ces techniques n’a pour objectif de vous aider à manipuler les autres joueuses, de leur donner des leçons sur une éventuelle « bonne façon de jouer », de tendre des pièges à leurs personnages ou de décider quoi que ce soit à leur place. Il est simplement question de leur rendre la partie plus agréable et de leur donner les moyens de s’impliquer davantage si elles le souhaitent, pas de les forcer à faire ce que vous voulez.

Commencez une action qu’ils doivent finir

Pour amener les autres personnages à agir, il suffit souvent de commencer une action et, soit de ne pas la finir, soit de faire en sorte qu’ils la terminent à votre place. Sans forcément chercher à piéger qui que ce soit, il est facile de se mettre en retrait ou de demander de l’aide après avoir lancé une action. Votre PJ peut commencer une enquête de voisinage et, pour ne pas perdre plus de temps, proposer à son coéquipier de ne pas mener les interrogatoires à deux mais de se répartir les potentiels témoins. Il peut également lui confier un objet (une information, la garde d’un PNJ, etc.) dont vous pressentez l’importance imminente, afin que l’intrigue correspondante l’implique directement. Si votre table apprécie le drama, vous pouvez aussi profiter de situations en apparence plus triviales ou anodines. Par exemple, votre personnage peut revenir voir un PNJ en lui expliquant que l’autre PJ aimerait mieux le connaître, mais n’ose pas faire le premier pas. Votre PJ peut demander à son collègue de le couvrir lorsque son mari jaloux appellera pour savoir s’ils étaient bien de garde la veille. Ces petites scènes peuvent paraître 1. Toutes les scènes évoquées mais pas jouées, par exemple celles qui se déroulent entre les séances.

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sans grand intérêt, mais elles amènent les joueuses plus timides à montrer des aspects originaux de leurs personnages, à s’exprimer et à prendre confiance sans avoir une trop grande pression. Bien entendu, cela implique qu’elles peuvent aussi dégénérer. C’est une possibilité, mais ce n’est pas grave. Si vous êtes attentif et savez rebondir, cela aura tout de même permis d’impliquer d’autres participants et de générer des conséquences qui viendront certainement enrichir le jeu. Montrez juste à la joueuse que ses décisions comptent : ne cachez pas, par exemple, qu’il va sans doute falloir rattraper la situation, mais évitez de trop la culpabiliser. Votre objectif est de l’aider à se débarrasser de ses inhibitions, pas de les renforcer. De plus, rien ne vous empêche d’échouer avec votre personnage pour dédramatiser tout cela ou montrer que cela arrive aussi aux autres. Il existe également un certain nombre de scènes qui ne sont pas forcément très dynamiques du point de vue des personnages, voire qui se résolvent presque uniquement au niveau des joueuses, mais qui sont souvent utiles et intenses : plans, comptes rendus, prise de recul, etc. Vous pouvez par exemple dessiner un plan du quartier général du groupe de PJ pendant la partie, et demander à une joueuse de placer trois éléments de son choix sur ledit plan, ou d’écrire le compte rendu de la partie du point de vue de son personnage, puisque vous ne pouvez pas vous en occuper cette semaine. Commencez à dessiner le donjon que vous êtes en train de parcourir, puis faites passer le crayon pour que quelqu’un d’autre continue. De votre propre initiative, listez l’équipement qui vous semble nécessaire pour cette mission ou les suspects potentiels dans cette affaire et les indices les incriminant ou les disculpant, et proposez de compléter. Ce sont autant de petites tâches qui permettent de commencer à s’investir dans la partie, sans ressentir trop de pression sur les enjeux.

Valence, Instrumentalité, Expectation (Victor H. Vroom, 1964) Sous ces termes un peu barbares se cache une théorie très facile à utiliser en JdR. Elle permet d’expliquer la motivation de quelqu’un à réaliser une action en fonction de trois attentes : la « valence » ou l’intérêt de la chose en soi ; l’instrumentalité ou ce que l’on en retire, ce qu’elle nous rapporte si on la réalise ; l’expectation ou notre capacité à la mener à bien. Cette dernière attente est un peu particulière dans le sens où elle doit idéalement être élevée pour représenter un défi, mais pas trop pour ne pas être décourageante. Appliqué à une partie, cela veut dire que si vous voulez motiver un autre personnage à agir, vous avez intérêt à le convaincre de trois choses :

1. ce qu’il va faire est plaisant ou conforme à ses valeurs ;



2. c’est un moyen d’obtenir autre chose ;



3. il est capable de le faire.

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pour les autres

Pour cela, vous pouvez en parler avec lui, le lui montrer, essayer de lui suggérer subtilement, peu importe. Dans tous les cas, selon la situation et la psychologie du personnage que vous cherchez à convaincre, il vaudra mieux insister sur l’un ou l’autre de ces points.

Laissez-leur les rênes

Cette technique est assez proche de la précédente, à ce ceci près qu’il s’agit moins de compter sur l’urgence de la situation que sur la responsabilisation du personnage de la joueuse concernée pour le motiver à agir. Très souvent, cela implique d’assister, de déléguer – éventuellement parce que votre propre personnage est affaibli ou en difficulté, ou de mettre devant le fait accompli. Naturellement, ces distinctions sont loin d’être étanches et vous trouverez des exemples jouant, entre autres, sur ces deux ressorts. Si la logique d’assistance est privilégiée, un des cas les plus typiques est celui où vous avez bien conscience de l’action à réaliser pour « vaincre » le donjon (détruire le phylactère, arrêter le rituel à temps, etc.), mais où vous décidez que votre PJ ne cherche pas à la faire avant ses camarades. Plus encore, il essaie de les y aider en s’occupant d’une tâche secondaire mais néanmoins utile : dégager le chemin, retenir la liche, empêcher le piège de se refermer, arrêter la horde ennemie, etc. En agissant ainsi, non seulement vous créez du jeu pour les autres joueuses, mais vous les responsabilisez vis-à-vis de la réussite ou de l’échec de la quête, ainsi que de la survie de votre personnage. Une autre solution très proche pour les personnages, mais quelque peu différente pour les joueuses, consiste à déclarer directement à votre camarade que vous ne pouvez pas réaliser une action efficacement, mais que vous allez l’assister. Pour reprendre l’exemple donné en début d’article, vous avez peu de chances de réussir à soigner un PNJ, mais vous pouvez aider en passant les outils, en tenant le patient, etc. Bien entendu, cela fonctionne d’autant mieux dans des jeux qui proposent des mécaniques pour valoriser techniquement cette entraide. Si la logique de délégation est privilégiée, il suffit que votre personnage demande à un autre d’agir. C’est aussi simple que cela. Par contre, l’intensité de la scène va très probablement dépendre de leur relation1, des enjeux et de la façon dont vous formulez cette requête. Comme on peut s’y attendre, s’il s’agit d’une tâche mineure et que votre personnage ne la délègue que parce qu’il préfère faire autre chose, cela aura beaucoup moins d’impact que s’il s’agit de protéger la survie d’une communauté et qu’il est à l’article de la mort. De même, l’utilisation de phrases lourdes de sens comme : « Je te confie la garde de… », « Je te fais confiance » ou « Ne me déçois pas cette fois » peuvent radicalement changer la tournure de la scène. Parmi les raisons les plus efficaces pour qu’un personnage demande à un autre d’agir, on peut citer la rivalité2 ou l’apprentissage : non seulement vous créez du jeu, mais la performance du PJ-cible va lui permettre de montrer sa valeur. Pour la rivalité, on imagine facilement deux personnages comparer leur tableau de chasse, comme Legolas et Gimli au gouffre de Helm. Mais cela fonctionne tout aussi bien avec un chevalier

1. À ce sujet, consultez également l’article « S’entraîner », Trois Statuts p. 314 et Changement de statut p. 316. 2. À ce sujet, consultez également l’article « Coopérer et Rivaliser », p. 149.

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fraîchement adoubé qui veut prouver à son ancien maître1 qu’il a eu raison de lui faire confiance, ou face à un adversaire si redoutable que le PJ a suivi une formation particulièrement exigeante pour l’affronter. Vous pouvez également décider de déléguer une action parce que vous estimez que votre personnage n’est plus le plus apte à la mener à bien. C’est bien évidemment le cas s’il n’est plus conscient, présent ou qu’il doit s’occuper d’une autre tâche en urgence. Cela l’est aussi s’il est blessé et que vous pensez que cela le pénalise trop. Dans ce cas, demander à celui qui était jusqu’alors le second dans ce domaine peut prendre une véritable saveur dramatique. Et comme toujours, celle-ci est amplifiée s’il existe une véritable conséquence mécanique à son état de santé et que cette dernière justifie aussi cette décision (en plus d’éviter que les ficelles tirées ne soient trop évidentes). L’autre façon de mettre en jeu cette logique de délégation est de ne pas transmettre uniquement la responsabilité d’une tâche, mais aussi les moyens de la réaliser, et par conséquent d’en priver votre personnage. Un exemple presque toujours efficace consiste à lancer votre arme à un autre PJ alors qu’elle est la seule à être efficace (épée tueuse d’orques, pistolet contre des zombies, etc.). Votre personnage est alors condamné à éviter les coups en attendant que son compagnon résolve ses propres problèmes et vienne ensuite à son secours. Dans ce genre de situations, outre un côté spectaculaire évident, la joueuse concernée ne peut tout simplement pas refuser d’agir. Enfin, si vous n’avez pas peur de mettre les autres joueuses devant le fait accompli, il vous est même possible d’engager un combat, pour ensuite mettre votre personnage en retrait, qu’il préfère fuir ou qu’une blessure le force à se montrer plus prudent. Si un autre PJ choisit de s’interposer, il pourra récolter toute la gloire pour avoir « réglé » le problème. Vous pouvez faire exactement la même chose lors d’une discussion. Face à un PNJ clairement identifié comme dangereux (parce qu’il sait certains de vos secrets, parce qu’il a un statut plus élevé ou connaît le maire, etc.), laissez-vous glisser dangereusement sur le terrain du conflit stérile ou de l’agressivité mal contrôlée, afin que l’autre personnage puisse rattraper la situation. Si, sur le moment, la réaction de votre PJ peut paraître peu judicieuse, elle créera du jeu pour une autre joueuse en plus de vous permettre d’enrichir le caractère de votre personnage : lui aussi peut craquer sous la pression, surtout quand on évoque certains sujets.

1. Nous vous conseillons de combiner cette technique avec les astuces liées aux scènes d’augmentation ou de downtime citées précédemment.

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pour les autres

En d’autres termes, lorsque votre personnage subit un échec ou un coup dur qui n’est pas anodin, servez-vous des conséquences pour pousser l’autre PJ à agir. Après avoir appris une mauvaise nouvelle, faites-en sorte que votre personnage appelle le sien pour venir le chercher dans ce bar où il est complètement saoul, ou au commissariat après s’être défoulé un peu trop fort. Donnez-lui du pouvoir sur votre PJ, laissez-lui

les rênes et décider de son destin un court moment, mettez-le en danger en vous en remettant à lui, faites-lui confier les sombres secrets de son passé à l’autre afin de créer des enjeux intéressants pour la joueuse, qui vont au-delà des échanges quotidiens : si votre PJ lui a avoué, après une soirée trop arrosée, avoir couché avec le mari d’un autre PJ, doit-il trahir sa confiance et révéler cette confidence ? Mais s’il ne le fait pas, est-ce qu’il ne trahit pas l’autre membre du groupe ? Plus rarement et pour augmenter les enjeux, vous pouvez aller encore plus loin dans ce sens. Si jamais votre personnage venait à décéder, à être emprisonné ou se retirait du groupe pour une raison quelconque, confiez son objectif personnel à l’autre PJ : retrouver le meurtrier de sa famille, mener cette amulette à bon port, veiller sur son enfant ou son familier sont autant de pistes potentielles. Cela enrichira encore le jeu de la joueuse, d’autant plus si son personnage a des buts antagonistes avec la quête que le vôtre lui aura confiée. Mais qui peut refuser une promesse à un compagnon à l’agonie ?

Réutilisez les idées des autres Pour créer du jeu pour les autres, il ne suffit pas que vous fassiez des propositions, mais encore faut-il que le reste de la table s’en empare. En d’autres termes, il faut que ce que vous amorciez leur plaise. Pour y parvenir, il faut vous aussi vous saisir de ce que proposent les autres joueuses et le réincorporer dans la partie. Vous ne créerez pas du jeu seul. À vous, donc, d’être attentif à ce que les autres apportent, et surtout à ne pas le perdre de vue. Mettez en jeu des éléments liés à leur passé

Que ce soit entre les séances ou durant celles-ci, vous apprendrez des informations sur le passé des autres personnages1. Vous pouvez dès lors créer des liens entre vos propositions et certains des éléments du background du PJ de la joueuse pour laquelle vous souhaitez créer du jeu. Par exemple, si celui-ci était autrefois dépendant d’une substance quelconque, vous pouvez faire en sorte que le petit frère de votre personnage souffre de la même addiction. Cela permettra de jouer une scène où vous lui demandez de l’aide, ou, au contraire, une autre où il découvre que le petit dealer sur lequel il enquêtait est un de vos proches. Voire, si vous êtes prêt à mettre votre PJ en difficulté, vous pouvez également montrer que ce dernier est également en train de succomber. N’hésitez pas à impliquer votre MJ si nécessaire. Dans le même ordre d’idées, votre personnage peut demander à son camarade de le présenter à l’un de ses contacts, surtout si le PJ a coupé les ponts avec eux : un hacker 1. À ce sujet, consultez également les articles « Créer un personnage » p. 29, et « Développer un personnage au fil du jeu », p. 49.

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pour une affaire de divorce, un trafiquant d’armes pour se procurer une arme non enregistrée ou particulièrement dangereuse, un parrain local pour bénéficier de son réseau, etc. Il s’agit d’une technique très efficace pour faire ressurgir les éléments d’intrigue non résolus qui concernent spécifiquement ce personnage. Naturellement, rien ne vous oblige à vous limiter à des contacts et vous pouvez procéder de la sorte avec tout autre PNJ, objet, lieu ou autre. Rebondissez sur ce qui est utilisé autour de la table, quitte à légèrement adapter votre background le cas échéant. Incrustez-vous dans leur présent

Vous avez également la possibilité de bousculer un peu la vie privée du personnage, mais n’oubliez pas que même si celle-ci vous semble peu intéressante ou développée, elle reste la chasse gardée de sa joueuse. Par conséquent, ne le faites pas au détriment de cette dernière. Votre PJ peut brusquement tomber amoureux du mari, de l’exfemme, du père, du fils ou de la sœur de l’autre. Allez chez lui un jour où il n’est pas présent, et gaffez magistralement auprès de sa famille, de son propriétaire ou de son patron ; interrompez un repas de famille tendu, ou tout autre événement important comme son oral pour être ordonné prêtre du dieu de la justice, à un mariage ou un enterrement, pour requérir son aide sans attendre. Vous pouvez également inviter les problèmes de votre PJ dans sa vie : les hommes de main de ce parrain de la mafia envers qui vous avez des dettes de jeu débarquent chez lui pour vous chercher car il a gentiment accepté de vous héberger, vous avez mis un objet compromettant dans ses affaires pour ne pas être embêté par les gardes qui vous fouillent avant d’être reçus par le roi, etc. Gardez en tête que l’objectif n’est pas de faire échouer l’autre PJ, ni de lui imposer vos problèmes outre mesure, mais de lui donner du fil à retordre pour qu’il brille par la façon dont il résoudra le problème et l’obliger à faire preuve de créativité pour y parvenir. Et pour que cela fonctionne correctement, il faut qu’il y ait un enjeu et une possibilité d’échec. Caractérisez vos relations

Enfin, pour créer du jeu pour une autre joueuse, ne vous contentez pas d’une relation statique entre vos personnages : celle-ci est d’autant plus intéressante qu’elle est tranchée, complexe et qu’elle évolue au fil du temps.

1. À ce sujet, consultez également l’article « Coopérer et Rivaliser », p. 149.

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pour les autres

Vous pouvez par exemple générer une rivalité 1 subtile entre vos personnages (en prêtant bien attention à ne pas aller jusqu’à la franche animosité), et celle-ci peut s’exercer dans des domaines très divers : popularité, séduction amoureuse ou amicale, travail, compétences particulières, reconnaissance d’un mentor ou d’un groupe social, etc. Selon les personnalités de vos PJ, cette compétition peut soit déboucher sur une amitié dans laquelle elles contribueront à la complicité des personnages, soit mener à un conflit plus ou moins ouvert. Dans les deux cas, vous donnerez du jeu à l’autre.

Cette rivalité subtile peut aussi s’étendre à votre relation de joueuses, si vous sentez que l’autre est réceptive à votre cabotinage : « Heureusement que mon perso était là pour retrouver la piste du méchant, tu n’as eu qu’à l’amener aux gardes », et ne le perçoit pas comme une agression ou un dénigrement. Si vous sentez que c’est le cas, mettez de l’eau dans votre vin et tâchez au contraire de mettre en valeur ses réussites : « c’était énorme le moment où il m’a assommé alors que je l’avais démasqué, et que tu es arrivé pile au bon moment pour l’empêcher de s’enfuir et le remettre aux gardes ! Il a fait une de ces têtes ! Il risque de nous en vouloir longtemps, celui-là ! » Il est également possible de décider que votre PJ va (plus ou moins progressivement), tomber amoureux ou devenir très proche de celui d’une autre joueuse. Si ce genre de relations est un moyen intéressant de créer du jeu1, il peut parfois rapidement amener à des situations tendues (entre les PJ comme entre les joueuses). Au-delà des objectifs communs au groupe, cherchez des buts qui pourraient vous unir. Rendez-lui service, soyez attentif à ce qu’il veut, prenez sa défense, confiez-vous à lui, couvrez-le, partagez des loisirs, proposez-lui votre aide, prêtez-lui des choses, faites-lui des cadeaux… Bref, posez des jalons pour entretenir une complicité progressive en plus des intrigues globales de la partie. Partagez les réussites et les échecs de vos personnages, intégrez-le à vos conflits et vous aux siens. Le but n’est pas de déposséder l’autre joueuse de ses intrigues personnelles (mettez-vous en retrait lorsqu’elle s’empare de l’une d’elles pour y impliquer son personnage, à moins qu’elle cherche activement à impliquer le vôtre), mais de partager les vôtres avec elle et d’en créer qui vous appartiendront et auxquelles vous pourrez facilement avoir recours en cas de creux. De surcroît, il y a fort à parier que les autres joueuses entreront parfois dans la danse pour développer ces arcs communs.

Conclusion Tout le monde peut créer du jeu autour de la table : l’intrigue principale comprend la plupart du temps de nombreux interstices entre lesquels il est possible de se glisser pour imaginer des idées de jeu pour les autres participants, ou saisir la balle au vol de façon plus spontanée pour leur permettre d’occuper le devant de la scène. Le simple fait de créer et développer un personnage2 génère déjà du jeu pour les autres, pour peu que nous tentions de nous en saisir au lieu d’attendre que le MJ le fasse pour nous.

1. À ce sujet, consultez également l’article « Se laisser surprendre », p. 277. 2. À ce sujet, consultez également les articles « Créer un personnage » p. 29, et « Développer un personnage au fil du jeu », p. 49.

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Fiche de synthèse Mettez les autres personnages en valeur Sollicitez leurs points forts • Trouvez le domaine dans lequel le PJ excelle. • Servez-vous-en comme source d’inspiration pour faire intervenir l’autre joueuse à un moment où c’est à vous d’agir. • Faites rejaillir la gloire sur l’autre PJ. • Ne dites pas aux autres joueuses quoi faire, mais donnez-leur envie de faire quelque chose. Sollicitez leurs spécificités • Repérez ce qui singularise l’autre PJ, y compris ses traits négatifs. • Tentez de combiner les particularités de chaque PJ pour résoudre un problème de façon collective. • Soutenez discrètement l’autre PJ quand il entreprend une action spécifique. Intéressez-vous à eux • Faites preuve de curiosité, posez au PJ des questions diverses et variées. • Demandez-lui des conseils. • Utilisez ses contradictions. • Privilégiez les moments où vous êtes seuls pour échanger des secrets. • Créez des mystères autour de votre personnage pour qu’il s’en saisisse. Demandez-leur leur avis • Au cœur de l’action, ou dans des périodes de prise de recul pour reprendre la main au lieu de subir. • Envisagez un moyen d’intégrer l’autre PJ dans une scène où il n’est pas présent. • Sollicitez la joueuse : posez-lui vos questions sur les règles, proposez un projet commun à vos deux PJ, etc. Donnez du poids à leurs paroles et à leurs actes

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pour les autres

• Laissez la joueuse parler et prenez le temps de l’écouter. • Utilisez ses apports pour qu’ils prennent une place particulière dans l’histoire. • Saluez ses réussites en vous intéressant à la manière dont elle s’y est prise. • Mettez-vous au service de ses idées. • Laissez l’autre PJ échouer sans chercher à « rattraper » son échec. • Aidez l’autre PJ à atteindre un de ses objectifs.

Créez des situations de jeu pour les autres PJ Commencez une action qu’ils doivent finir • Ne cherchez pas à « piéger » l’autre PJ. • Mettez-vous en retrait. • Demandez à l’autre PJ d’aider ou de couvrir le vôtre. • Commencez un document (plan, liste, etc.) et demandez à la joueuse de le compléter. • Repérez ce qui motive son personnage. Laissez-leur les rênes • Responsabilisez l’autre PJ en lui laissant accomplir l’action la plus importante pour atteindre les objectifs du groupe. • Aidez-le en l’assistant de façon utile mais discrète. • Déléguez parce que votre personnage n’est plus capable d’agir ou échoue. • Jouez sur votre relation (rivalité, apprentissage, etc.) • Transmettez-lui les moyens de réalisation d’une tâche (lancez-lui votre arme, par exemple). • Donnez-lui un élément qui lui donne du pouvoir sur votre personnage (secret honteux, par exemple). Réutilisez les idées des autres Mettez en jeu des éléments liés à leur passé • Faites en sorte que le problème du PJ devienne celui du vôtre. • Cherchez des moyens d’intégrer ses réseaux. Incrustez-vous dans leur présent • Respectez la vie privée du PJ comme la chasse gardée de sa joueuse. • Faites des gaffes pour lui permettre de s’en tirer avec brio. Caractérisez vos relations • Évitez les relations neutres. • Utilisez la rivalité, mais subtilement : mettez de l’eau dans votre vin si cela met l’autre joueuse mal à l’aise. • Revenez sur ses victoires, racontez-les, évoquez leurs conséquences. • Cherchez ce qui pourrait rapprocher vos PJ et servez-vous-en.

DISTINCTION

Exploiter la distinction entre joueur et personnage



Guylène Le Mignot

A

utour de la table, il y a Pierre, Paul, Jacques, Sophie, Marie et Jeanne. Ils sont chacun assis sur une chaise, un crayon à la main, les yeux rivés sur un dé et une poignée de chips dans le gosier. Mais d’autres personnes se serrent discrètement entre les chaises  : Mazaz la chasseuse de primes, Jason le diplomate espion, Jackson le médecin militaire, ou encore Sarah-Jane la pilote de haute voltige. Chacune de ces personnes va devoir trouver sa place, et c’est un exercice compliqué que de toutes les gérer autour d’une seule table. Pour obtenir exactement les émotions que vous cherchez à générer ou à expérimenter, il convient de se poser quelques questions sur la relation que vous souhaitez entretenir avec votre personnage. Cette réflexion peut se mener lors de sa création comme après celle-ci, seul ou avec les autres joueurs. Gardez cependant à l’esprit que le jeu auquel vous jouez oriente déjà les réponses à ces questions : vos personnages ne vous offriront pas tout à fait les mêmes possibilités à D&D qui met l’accent sur leurs capacités, ou à Apocalypse World qui privilégie les relations entre les protagonistes. N’hésitez pas à discuter entre vous de ce que chacun cherche à obtenir, afin d’harmoniser vos approches et de connaître les attentes de toute la tablée. Les paragraphes suivants vont détailler quelques techniques que vous pourrez utiliser en partie. Celles-ci peuvent être combinées et ne s’excluent pas forcément : vous pouvez vivre une aventure épique et pleine de rebondissements tout en développant une relation intime avec votre personnage. Sentez-vous donc libre d’adapter les exemples ci-dessous à vos goûts.

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Je recherche une aventure épique et haletante ! Se projeter dans une histoire aux multiples rebondissements, dont les personnages sont les acteurs principaux, est au cœur de la pratique de beaucoup de rôlistes. Mais votre relation avec votre personnage vous permet-elle de tirer tout le potentiel de la partie ?

Trouver la posture adaptée Une partie de JdR implique de nombreuses prises de décision. Qui fait ces choix : le joueur, ou le personnage ? On peut imaginer que ce dernier voudra préserver sa santé et son bonheur. Le joueur préférera, par exemple, vivre des expériences intenses et des aventures exaltantes. Il vous faut trouver un équilibre entre ces priorités antagonistes. Après tout, pourquoi votre prêtresse naine irait-elle se jeter sur les chemins de l’aventure avec trois inconnus qu’elle a rencontrés la veille ? Bien sûr, un background bien pensé peut expliquer une situation initiale atypique1, mais cela devient bien plus difficile par la suite. Il vous faut donc déterminer le degré d’implication de votre personnage dans les choix que vous ferez. Cette théorie, présentée notamment par Ron Edwards2, définit plusieurs postures que peuvent adopter les joueurs. Nous vous présentons ici les deux principales : • La posture du joueur auteur : le joueur se base d’abord sur ses envies personnelles pour décider des actions de son personnage. Celles-ci peuvent être par exemple de servir l’histoire et l’orientation qu’il souhaite donner à cette dernière. Charge à lui de justifier ensuite les actions de son alter ego dans la logique de l’univers. Ainsi, même si son personnage a toutes les raisons de rester tranquillement au chaud, sans prendre de risques, le joueur peut décider qu’il est beaucoup plus amusant de le faire atterrir sur une planète toxique pour retrouver l’artefact qu’un parfait inconnu lui a demandé. Lorsque le joueur ne prend pas la peine de donner une justification aux actions de son personnage, on parle de posture de marionnettiste. • La posture du joueur acteur : le joueur va ici chercher à incarner la volonté, les connaissances et la psyché de son personnage de son mieux. Les choix seront motivés par le savoir et les perceptions de ce dernier, peu importe les conséquences sur les autres joueurs ou le scénario. Plus que l’histoire commune de la partie, c’est le point de vue du personnage qui sera au cœur des préoccupations du joueur acteur.

1. À ce sujet, consultez également l’article « Créer un personnage », p. 29. 2. Edwards Ron, GNS and Other Matters of Role-Playing Theory, Chapter 3, http://www.indie-rpgs.com/ articles/4, 2001.

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Dans tous les cas, soyez attentifs à vos camarades. Si, sur cinq joueurs, quatre adoptent une posture d’acteur et que vous vous positionnez en auteur, vous rencontrerez de nombreuses difficultés et risquez de perdre en plaisir durant la partie, et eux aussi. Sachez ensuite que nous vous conseillons de ne pas tomber dans les extrêmes. Un joueur refusant bec et ongles d’accepter quoi que ce soit qui n’aille pas dans la logique de pensée de son personnage peut nuire au plaisir de l’ensemble de la table. De plus, chaque posture peut évoluer. Ainsi, au fil des heures, il est possible de l’adapter, de l’incliner davantage d’un côté ou de l’autre selon les besoins de chacun, les envies du moment et les changements d’ambiance de la partie. Il s’agit donc de garder à l’esprit que l’on peut l’ajuster subtilement, tout au long de la séance. Enfin, rappelez-vous que les mécaniques de jeu sont également à votre service. Pensons par exemple aux systèmes de points incitant à effectuer des actions courageuses, comme les points héroïques1 de Pathfinder ou les points de Vide du Livre des cinq anneaux. Ces règles amènent les joueurs à manipuler les personnages pour leur faire prendre des risques, et donc à rendre les scènes plus dynamiques et épiques, avec à la clé une récompense ludique : des points pouvant être utilisés de diverses façons. Afin de jouer des aventures toujours plus exaltantes, n’hésitez donc pas à abuser de ces mécaniques si elles sont proposées. Utilisez-les à votre avantage pour repousser les limites de votre personnage. Mettez-le en danger : cela créera des situations proches de vos intérêts qui se résoudront in extremis, tout en vous récompensant pour ces risques.

1. Bulmahn Jason, Jacobs James, Kenson Steve, Maclean Hal, McCreary Rob et autres, Advanced Player’s Guide, Paizo, Redmond, 2010. Manuel des joueurs règles avancées, Black Book, Lyon, 2010, pour la V. F., p. 322.

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Pour vous situer sur cette échelle, il faut bien entendu définir au préalable ce que vous recherchez. Ici, pour obtenir une aventure exaltante, nous vous conseillons d’adopter une posture de joueur auteur. Vous pourrez ainsi faire courir à votre personnage tous les risques qui se dressent sur sa route ! Acceptez l’aventure telle qu’elle se présente à vous sans chercher à identifier si cela correspond aux motivations de votre personnage. Ne reculez pas devant le risque ou le danger, quand bien même toutes les caractéristiques écrites sur votre feuille indiquent qu’il n’est pas fait pour cela. Votre MJ propose d’aller récupérer l’argent dû par un mercenaire grincheux à une honnête marchande ? Qu’importe que votre personnage mesure un mètre dix, ne sache pas se battre et soit très timide. Acceptez, vous vous débrouillerez bien après, et serez dans l’obligation de vous triturer les méninges pour trouver un stratagème afin de parvenir à vos fins. Mais ne bloquez pas la partie par souci de réalisme, ou vous perdrez des occasions de créer des situations épiques et amusantes.

Je veux fusionner avec mon personnage, ressentir ses émotions et me plonger dans son esprit ! Certains joueurs recherchent une relation émotionnelle forte avec leur PJ. Si vous faites partie de cette catégorie, n’oubliez pas que dès la création de personnage, certaines décisions favorisent cette proximité. L’une des questions principales à se poser est la suivante : « Mon personnage me ressemblera-t-il ou non ? ». Par ressemblance, nous entendons ici que vous aurez des points communs clairement identifiés : vous êtes tous les deux des enfants adoptés, vous venez tous les deux d’une petite ville de campagne, etc. Jouer un personnage qui vous est semblable paraît, au premier abord, facile et rassurant : vous êtes en terrain connu. Les réactions seront plus naturelles, plus spontanées, et vous n’aurez pas à faire d’effort d’interprétation particulier. Pour peu que le background de votre personnage se rapproche de votre propre histoire, la prise en main sera facilitée. En retour, l’implication émotionnelle sera plus forte. Vivre une scène de torture en incarnant une personne qui vous ressemble sera sans doute plus difficile à gérer que si votre personnage est une raclure finie, éloignée de ce que vous êtes (nous n’en doutons pas). De même, jouer un PJ proche de vous vous incitera peut-être à y incorporer plus facilement vos névroses et vos limites personnelles, ce qui pourra rendre certaines scènes plus délicates à jouer. Voyons un exemple concret : Sophie incarne Jackson, le médecin du groupe. Sophie est médecin urgentiste « dans la vraie vie », et a donc pensé qu’il lui serait plus facile de jouer un personnage proche de sa réalité professionnelle dans ce space opera. Lors d’une scène, Jackson doit procurer des soins d’urgence à un autre protagoniste se situant entre la vie et la mort. L’implication émotionnelle de Sophie sera ici très forte, car cette scène lui rappellera peut-être des moments difficiles de son quotidien professionnel. Attention, nous ne disons pas qu’il est impossible d’avoir un sentiment de fusion avec son personnage s’il ne vous ressemble pas. Cela sera seulement moins direct. Ainsi, si vous voulez ressentir des émotions intenses, créez un personnage qui fait écho à votre quotidien ou à votre jeunesse. Ceci constitue un moyen simple de créer de la proximité. Utilisez vos souvenirs, votre famille ou votre vie de tous les jours comme des éléments-clés de son identité, pour ainsi puiser directement dans votre vécu personnel et l’incorporer lors de la création du PJ. Consciemment ou non, cela aura une influence sur votre interprétation. Un autre conseil classique pour jouer avec les émotions de votre personnage est bien sûr de favoriser le roleplay1. L’interprétation vous permettra de vous rapprocher de lui en devenant sa voix et ses gestes : répondez directement par ses mots plutôt que par les vôtres et interpellez les autres personnages, PJ ou PNJ. Si cette fusion vous

1. À ce sujet, consultez également l’article « Interpréter un personnage », p. 69.

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Nous avons décrit plus haut les deux postures de joueur auteur et de joueur acteur, que l’on peut adopter pour faire les choix qui s’imposent au fur et à mesure du scénario. Si vous recherchez une proximité avec votre personnage, nous vous conseillons d’adopter, autant que possible, une posture de joueur-acteur. Glissez-vous dans sa peau et, avant de prendre vos décisions, demandez-vous systématiquement « que ferait-il/elle ? ». Inspirez-vous de son tempérament, son vécu, ses connaissances et ses habitudes. Votre jeu s’en trouvera enrichi, et le personnage viendra nourrir les choix autant que les choix le nourriront. Nous vous recommandons ensuite de jouer le plus possible en temps réel. Réfléchir calmement à comment aborder une scène cruciale est certes le moyen de prendre la décision la plus raisonnée et la plus efficace qui soit, mais la spontanéité peut être une alliée précieuse et livrer de belles surprises. En effet, passer dix minutes à discuter d’une scène qui ne dure que quelques secondes crée une réelle rupture dans la dynamique de jeu. Si vous cherchez une fusion intense avec les émotions de votre PJ, cela risque au contraire de vous en distancer et de vous faire adopter une posture de marionnettiste, et non de joueur acteur. Cette approche plus stratégique donnera peut-être de meilleurs résultats sur la résolution, mais elle empêche toute surprise générée par les comportements des personnages. Jouer l’instant, c’est jouer l’irrationnel, c’est jouer le réflexe et l’intuition. Or, tout cela favorise l’apparition d’instants de bleed3 (voir encadré page suivante). 1. À ce sujet, consultez également l’article « Jouer ensemble », p. 129. 2. Safeword : dérivé de la pratique du GN (et du sadomasochisme), le safeword est un terme ou un geste fixé avant l’entrée dans la partie qui servira de signal pour annoncer que la situation va trop loin pour l’un des joueurs. Par exemple, si un joueur lève le poing pendant une scène, c’est qu’elle dépasse ses limites personnelles et qu’il souhaite se mettre en retrait ou en changer. 3. Notons également que cela permet de jouer une histoire plus épique et haletante, et que ce conseil pourrait donc tout aussi bien s’appliquer à la première partie de cet article.

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effraie, vous pouvez fixer une limite1 avec les autres joueurs (MJ compris), à l’aide d’un safeword2, par exemple. Cela permet de développer des scènes de roleplay approfondies, tout en garantissant aux joueurs que s’ils sont mal à l’aise pour une raison ou pour une autre, ils peuvent le faire savoir et revenir sur un terrain plus confortable pour eux. Avant de commencer à jouer, discutez donc d’un signal commun qui deviendra une alarme que chacun pourra déclencher si le besoin s’en fait sentir. Demandez également aux autres personnes s’il existe des sujets qu’elles ne souhaitent pas voir surgir dans la partie : un participant ayant vécu un long épisode de maladie pourrait ne pas vouloir jouer autour de ce thème, et vous-même pourrez faire part de vos restrictions. Ces gages de sécurité sont simples, et peuvent pourtant rassurer les participants qui, voyant la fiction balisée selon les limites de chacun, pourront plus facilement se lancer dans un roleplay endiablé. Mais utiliser un safeword, c’est aussi s’engager à être attentif aux autres joueurs. Soyez donc à l’écoute pour être sûr que l’intensité émotionnelle convient à tout le monde.

Dans ce cas, n’hésitez pas à vous munir d’un chronomètre et à fixer des contraintes de temps. N’attendez pas forcément que le MJ impose cette limite, proposez-la vousmême aux autres joueurs. Demandez au meneur de combien de temps disposent vos personnages dans une situation de stress, et minutez cette durée. Lancez-vous ensuite dans une scène de roleplay pour résoudre le problème, élaborer votre stratégie ou votre plan d’attaque. À la sonnerie, le MJ reprendra la parole pour narrer la suite des évènements. L’écoulement du temps rendra la scène beaucoup plus prenante, fera monter le stress et vous poussera à jouer de manière beaucoup plus sincère et spontanée. Cela entraînera évidemment des décisions parfois mauvaises, qui pourront avoir des conséquences malheureuses pour les personnages, mais elles ne feront que nourrir la partie !

Le bleed Que l’on ait choisi un personnage qui nous ressemble ou pas, il est toujours possible de chercher à explorer ses émotions. Ce frisson qui vous parcourt l’échine quand votre PJ est en danger est le nectar d’une scène réussie et procure une grande satisfaction chez les amateurs de sensations fortes, tout comme quand vous êtes bouleversé en apprenant qu’un de ses proches a succombé. Il est même des moments où vous ne savez plus très bien auquel d’entre vous appartiennent ces émotions. Ce phénomène est appelé le bleed, littéralement « saigner » ou « déborder » en anglais. Le bleed est cet instant où les émotions se confondent, où ce que le joueur et le personnage ressentent coïncide et s’influence1. Rarement contrôlable, certaines décisions peuvent cependant le favoriser ou au contraire le rendre plus difficilement accessible, comme les choix de création explicités plus haut. Il existe deux types de bleed : • Le bleed-in est le phénomène durant lequel les émotions du joueur se déversent dans le personnage. Par exemple, si les membres d’un couple jouent ensemble à une table, que le personnage de l’un des deux est en danger, il est possible que son partenaire décide de lui venir en aide alors même que le personnage n’aurait pas forcément pris cette décision. La réalité des joueurs vient influencer le ressenti dans la fiction. • Le bleed-out produit l’effet inverse : les émotions du personnage débordent sur le joueur. Ce sera par exemple le cas si un joueur a été très touché par la perte d’un proche de son personnage et que la tristesse intense qu’il a ressentie a du mal à le quitter, même après que la séance de jeu a pris fin. La fiction vient alors déborder sur sa réalité hors-jeu.

1. Pour plus d’informations, consultez l’article suivant : Bowman Sarah Lynne, Bleed, the Spillover between Player and Character, http://nordiclarp.org/2015/03/02/bleed-the-spillover-between-player-and-character, 2015. Attention, cet article traite du JdR grandeur nature, mais il est en grande partie transposable au JdR sur table.

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Je ne veux pas trop m’impliquer émotionnellement et garder une certaine distance avec la fiction ! Il est possible d’être parfois mal à l’aise avec l’idée de chercher une proximité toujours plus grande avec son personnage. Au contraire, pour certains joueurs, le plaisir vient du fait qu’ils savent que ce qui se déroule dans la fiction n’a rien à voir avec eux. Pour s’amuser, il leur est nécessaire de garder cette distance. À l’antipode de la partie précédente, voici les conseils que nous adressons à ces joueurs. Incarner un personnage tout à fait différent de vous peut sembler de prime abord difficile : cela demande des efforts d’interprétation supplémentaires, et entrer dans sa peau est plus compliqué et laborieux. En revanche, ce choix vous permet d’opérer une bonne distanciation avec ce personnage qui n’a rien à voir avec vous. L’implication émotionnelle est amoindrie, le sentiment de fusion moins fort. De plus, cela peut devenir un atout pour faire prendre des risques à votre personnage, ou jouer des scènes psychologiquement intenses : vous aurez moins de difficultés à le voir souffrir, et ne ressentirez pas autant ses émotions que s’il était proche de vous. Ainsi, pour garder une certaine distance avec la fiction, nous vous conseillons de créer un personnage éloigné de vos réalités quotidiennes : il exercera un métier dont vous ignorez tout, aura un âge très éloigné du vôtre, ou encore un caractère radicalement différent. Vous êtes une trentenaire au franc-parler, qui n’a pas sa langue dans sa poche ? Pourquoi ne pas jouer un vieillard timide ? L’originalité vous aidera à garder une distance avec lui, tout en ayant le plaisir de la découverte. 1. Voir p. 199, l’instauration d’un safeword et la discussion des thématiques sensibles avant la partie. 2. À ce sujet, consultez également l’article « Coopérer et Rivaliser », p. 149.

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Le bleed correspond au moins partiellement à cette fusion recherchée entre vos émotions et celles de votre personnage. Pour le provoquer, recherchez en jeu des situations qui pousseront votre PJ dans ses retranchements. Elles vous amèneront à sortir vous aussi de votre zone de confort. N’ayez pas peur des thématiques quelque peu sensibles comme l’amour, le sexe, la douleur ou la mort. Attention, toutefois : assurez-vous avant la partie que l’ensemble de la tablée (MJ inclus !) est prêt à aborder ces sujets de façon intense, et définissez les éventuelles limites1. Durant les scènes de roleplay, et avec l’accord de votre MJ et des joueurs concernés, n’hésitez pas à insérer des éléments dramatiques de votre cru dans les relations entre personnages2, qu’ils soient PJ ou PNJ. Prenez l’initiative de rajouter votre grain de sel pour les pousser (le vôtre compris) dans leurs retranchements émotionnels. Inventez un passé commun, une ancienne relation amoureuse, le décès d’un proche ou une vive rancœur, et faites ressortir ce sujet au moment crucial de la partie… Celle-ci n’en sera que plus croustillante, et les enjeux émotionnels plus puissants.

Si vous n’avez pas froid aux yeux, cela vous donne aussi l’occasion de jouer des personnages exécrables et détestables. Hauts en couleur, ils ajouteront assurément un peu de sel à votre partie tout en rendant l’identification très difficile (nous n’en doutons pas). Cependant, si vous osez tenter l’expérience, avisez-en vos camarades (joueurs et MJ compris) pour être sûr qu’ils sont prêts à faire face à un individu détestable durant la partie ! Nous vous conseillons alors de distinguer clairement les prises de parole du joueur et du personnage. Marquez clairement la frontière entre les deux entités qui s’expriment par votre voix et vos gestes. Comme l’écrit Eugénie dans son article sur la connexion joueur-personnage, « Entretenir cette confusion entre voix du joueur et voix du PJ, […] c’est du poison1  ». Votre personnage peut être une pourriture agressive qui insultera ses camarades, mais le joueur, lui, ne doit pas l’utiliser comme excuse pour contrevenir aux conventions sociales. Ne pas savoir si les insultes et les réflexions désagréables sont dites par Paul qui sirote son verre de limonade, ou par Jason le diplomate-espion, ne fait que nuire au plaisir de Jeanne, la joueuse qui se trouve en face de lui et qui ignore si les réflexions sur l’échec de la mission lui sont adressées à elle, en qualité de joueuse, ou à Sarah-Jane la pilote. Le personnage qui s’exprime ne doit pas devenir un bouclier derrière lequel se cache la bile du joueur. De plus, cela vous permet de mieux marquer la distance entre votre personnage et vous. En revanche, si Paul indique clairement qu’il est en train de parler au nom de Jason, qui déteste Sarah-Jane pour des raisons propres à la fiction, alors Jeanne – la joueuse – pourra sereinement se lancer dans une scène de roleplay où les deux protagonistes se crient dessus cordialement2. Si la frontière est bien délimitée, les relations entre les personnages n’en seront que plus riches, et celles entre joueurs plus saines. Pour ce faire, vous pouvez convenir à votre table d’un geste, d’un changement d’intonation ou de voix pour identifier la prise de parole du personnage. Un poing levé, un objet tenu, une voix plus grave que la vôtre… mille et un signes peuvent vous permettre d’établir une distinction concrète afin d’éviter tout malentendu. Cela garde la fiction à distance tout en vous rassurant sur la tournure que peuvent prendre les scènes. Dans le cas où vous souhaitez limiter votre implication dans la fiction, n’hésitez pas à privilégier cette place de spectateur. Mettez-vous en retrait, laissez les autres prendre une décision en éloignant consciemment votre personnage d’une scène, profitez du spectacle et épargnez-vous la pression d’une participation trop intense. Par exemple, lorsque s’amorce une scène, vous pouvez très bien décider que votre personnage s’absente pour certaines raisons propres au scénario si vous ne souhaitez pas prendre part à l’action et vous contenter d’apprécier le jeu de vos camarades. Ne vous sentez pas obligé d’être constamment présent, ou d’avoir toujours quelque chose à dire. Une partie de JdR peut être longue et exigeante, aussi lorsque vous êtes fatigué, n’hésitez pas à signaler que, pendant quelques instants, votre personnage va être en 1. Eugénie, La Connexion joueur-personnage 1, https://jenesuispasmjmais.wordpress.com/2015/05/19/ la-connexion-joueur-personnage, 2015. 2. À ce sujet, consultez également l’article « Coopérer et Rivaliser », p. 149.

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La place du spectateur En JdR, l’incarnation du personnage et les aventures que vous lui faites vivre sont des sources de plaisir. Il en est de même pour l’écoute. Le joueur a en réalité deux rôles autour de la table : celui d’auteur et de spectateur. Découvrir l’histoire ensemble et la voir se dérouler sous ses yeux reste l’un des éléments primordiaux de notre loisir. Aussi devez-vous partager votre chaise entre le joueur actif et le spectateur qui est en vous. Laissez-le écouter quand il en a envie, faites-lui de la place pour qu’il apprécie les scènes des autres. Durant le jeu, il faut parfois savoir réduire le personnage au silence, et tendre l’oreille. C’est important pour vous, mais aussi pour les autres joueurs : laissez-leur leurs moments de gloire et sachez vous effacer pour ne pas empiéter sur les scènes intimes qui développent leurs personnages, ou qui ne vous concernent pas directement. Si la parole est l’outil qui vous permet de construire vos parties, l’écoute est ce qui vient les nourrir.

Cela se traduit par une attention portée aux personnages et évènements, et à l’interprétation des joueurs. Sortez de votre rôle d’acteur pour vous positionner en spectateur comme au théâtre ou au cinéma. Appréciez les effets de narration, soyez attentifs à vos émotions et à l’attachement que vous avez envers les autres protagonistes de l’histoire. Posez-vous des questions sur la fiction en tant que spectateur et non en tant que joueur ou personnage : comment les relations vont-elles évoluer ? Quelles sont les faiblesses de ce PNJ ? Quelle est cette péripétie qui se présente et quels éléments introduits auparavant dans l’histoire pourraient aider les protagonistes ? Utilisez vos références de spectateur, qu’elles soient issues du cinéma, de séries ou du théâtre, pour analyser la fiction. N’hésitez pas à vous demander quel impact les scènes auront sur votre personnage, ou au contraire : quel impact son absence aura-t-elle sur la scène ? Prendre le temps de se poser ces quelques questions peut vous amener à trouver des directions vers lesquelles l’emmener pour rendre la partie plus intéressante.

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retrait de la scène, affairé à d’autres tâches. Peut-être va-t-il simplement se reposer lui aussi ? Ne prenez pas cela comme une défaite ou comme un aveu de faiblesse ! Trop souvent, nous avons tendance à penser qu’un bon joueur est constamment présent, et qu’un joueur effacé est invariablement mauvais. Or, c’est tout simplement faux. Chacun peut avoir besoin de ces moments de repos et de retrait, sans pour autant être complètement absent. L’écoute active de vos camarades est un exercice à part entière.

Je veux avant tout construire une histoire avec mes camarades de table dans un effort collaboratif ! Pour une partie des joueurs, la source principale de plaisir vient de l’histoire qui se déroule autour de la table, et c’est donc sur la construction de la fiction qu’ils souhaitent mettre l’accent. Pour eux, il existe une troisième posture présentée par Ron Edwards dans l’article cité plus haut1 : celle du joueur metteur en scène. Si vous souhaitez avoir une influence plus étendue sur l’histoire, vous pouvez décider d’adopter principalement cette posture pour votre partie. Mais nous vous conseillons d’en parler avec votre MJ et les autres joueurs dans un premier temps. Cette posture consiste non seulement à décider des choix et mouvements de son personnage, mais aussi à détailler ponctuellement des éléments physiques géographiques ou contextuels de la fiction qui sont liés à ce dernier, de manière tout à fait indépendante de ses connaissances. Il vous sera par exemple possible de décrire l’intérieur de la maison dans laquelle il vient de pénétrer, surtout si c’est la sienne, ou d’imaginer un contexte spatial et temporel pour une scène. Cette posture accorde plus d’autorité à la parole du joueur en lui déléguant une partie des responsabilités du MJ, et va donc permettre d’orienter toute la fiction de manière plus significative. Aussi, si après discussion avec la tablée vous décidez collégialement d’ouvrir la possibilité pour une telle posture, vous pourrez apporter à la fiction des éléments qui dépassent le simple contrôle de votre personnage. N’hésitez alors pas à l’accompagner de descriptions, que ce soit des décors, des objets et autres éléments extérieurs pour orienter la fiction vers une idée qui vous vient à l’esprit et serait susceptible de plaire à la tablée. Faites des propositions, sans avoir peur de la réaction de vos camarades : si elles leur plaisent, ils s’en empareront et rebondiront dessus pour construire collectivement un contexte autour de cet élément. Si elles ne leur plaisent pas, ils les laisseront passer sans les mentionner ou sans rebondir dessus, ce qui ne gênera pas outre mesure le déroulement de la partie. Dans ces situations, n’hésitez donc pas à décider de choses que votre personnage ne peut pas a priori contrôler. Dans un article de 1998 publié dans le cinquième numéro de la revue du site Places to Go, People To Be2, Stephen Brown explique pourquoi trop de créativité peut nuire au groupe. Pour lui, une table de JdR est un équilibre précaire entre l’interaction créative et l’interaction sociale. Trop d’interaction sociale fait disparaître la fiction et la partie derrière nos récits personnels, notre quotidien « dans la vraie vie ». À l’inverse, trop d’interaction créative va brimer les joueurs qui ont envie de faire des commentaires, 1. Edwards Ron, GNS and Other Matters of Role-Playing Theory, Chapter 3, http://www.indie-rpgs.com/ articles/4, 2001. 2. Brown, Stephen « Why Too Much Creativity Can be a Bad Thing », Places to Go, People to Be, n° 5, http://ptgptb.org/0005/don.html, novembre 1998.

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L’une des conditions sine qua non de l’incarnation de votre personnage est bien évidemment sa survie. Mais, dans une situation dont l’enjeu est la vie ou la mort, certains joueurs auront tendance à mettre la scène sur « pause » et à engager un raisonnement stratégique sur la meilleure façon de garantir la survie de leur PJ. Dans ces cas-là, une logique d’optimisation des actions basée sur la sagesse et la réflexion pour garantir la sécurité du personnage se met en place. Ce dernier, en revanche, aurait tendance à laisser l’instinct de survie prendre le dessus et à réagir de manière tout à fait intuitive. Une dichotomie apparaît donc dans les réactions face au danger, la raison contre l’instinct. Dans ces situations, vous pouvez utiliser votre posture de joueur auteur pour lâcher prise2. Perdez le contrôle sur votre personnage pour obtenir des effets inattendus et faire prendre des directions surprenantes à l’histoire. Celles-ci auront une saveur toute particulière grâce à leur authenticité3. Comme le dit Steve Darlington dans un article publié en 2006 : « Osez être stupide4 » ; n’hésitez pas à balayer la stratégie et l’optimisation d’un revers de main pour agir spontanément et sans réflexion. Car au fond, la prudence exagérée n’est-elle pas l’ennemie du jeu et de l’amusement que l’on trouve autour d’une table de JdR ? 1. Voir encadré p. 203, « La place du spectateur ». 2. À ce sujet, consultez également l’article « Se laisser surprendre », p. 277. 3. Pour certains, lâcher du lest peut impliquer de déplacer son curseur vers la posture de « joueur auteur », en jouant selon l’instinct du personnage. 4. Darlington Steve, « Dare to be Stupid », Places to Go, People to Be, n° 28, http://ptgptb.org/0028/dare. html, novembre 2006.

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des blagues ou des références hors-jeu (aussi dites « méta ») sur ce qui se déroule dans la fiction, que ne pourraient pas comprendre les personnages. Encore une fois, tout est question d’équilibre. En effet, si la fiction est le plat principal du JdR, le méta en est l’épice qui vient si délicieusement parfumer nos parties. N’hésitez donc pas à vous exprimer en tant que joueur. Le rire, l’indignation, la surprise sont autant d’émotions méta qui, partagées, permettent d’accroître le plaisir. N’oubliez pas : vous êtes deux sur votre chaise, et ces deux entités doivent s’exprimer pour éviter toute frustration et tirer le maximum de la partie1. De plus, cette dimension méta permet de transmettre aux autres joueurs votre propre engouement pour l’histoire, et donc de communiquer sur la direction dans laquelle chacun souhaite amener la fiction. Cela peut passer par des choses simples : un rire, un ou deux mots pour signifier que ce que vous voyez vous plaît, un soupir amusé mais désespéré face à une péripétie, un cri incrédule… Elles nous semblent naturelles autour de la table mais sont autant de moyens de communiquer, et il est important de le garder à l’esprit. L’expression du joueur durant la partie a autant d’importance que celle du personnage, car c’est un moyen dont vous disposez pour transmettre aux autres votre état d’esprit, votre degré d’amusement. Aussi, utilisez le méta pour communiquer de manière utile et efficace : vous pouvez faire des suggestions aux autres joueurs (sans pour autant envahir les scènes de vos camarades), signaler un problème ou encourager les autres participants. Cette fenêtre de communication ne doit pas être bannie, mais utilisée sagement, et modérément.

N’oubliez pas que votre personnage, aussi important qu’il soit à vos yeux, reste un concept de paroles et de papier. Vous pouvez vous permettre de lui faire prendre des risques, de jouer avec sa vie. C’est même à cela qu’il sert. Que ce soit en adoptant la posture d’auteur ou d’acteur, vous en avez la possibilité. Certains jeux proposent des mécaniques qui visent précisément à le mettre dans une posture délicate : nous pouvons citer l’exemple d’Unknown Armies1, jeu contemporain fantastique où chaque protagoniste tire ses pouvoirs magiques d’une obsession. Pour récupérer des charges (c’est-à-dire des points de magie), ils doivent céder à leurs addictions. Un kleptomancien, par exemple, devra donc commettre un vol. Cette mécanique incite les joueurs à laisser les pulsions de leurs personnages prendre le dessus et amène un peu de ce chaos fertile qui va aider la fiction à se nourrir elle-même. Elle est assez semblable aux crises de folie plutôt fréquentes de L’Appel de Cthulhu, qui forcent les joueurs à perdre le contrôle du personnage face au surnaturel. Ces mécaniques orientent clairement la façon dont ces jeux doivent être joués et pourront plaire à ceux d’entre vous qui recherchent ces effets. Aussi, posez-vous la question de savoir si de telles mécaniques existent dans le jeu auquel vous jouez, qui récompenseront le fait d’agir de manière inconsidérée à certains moments. Si elles n’existent pas, vous pouvez ajouter des contraintes simples qui auront un impact direct dans la fiction : donner des faiblesses à votre personnage. Créez-le en pensant à la façon dont ces points faibles peuvent générer du jeu2. Rendez-le alcoolique, ou sujet aux crises de panique, ou insomniaque. En d’autres termes, rendez-le instable d’une façon ou d’une autre. De la sorte, tout le monde (joueurs et MJ) saura qu’à n’importe quel moment de la partie, cette faiblesse peut surgir et faire échouer les négociations, l’infiltration discrète ou la scène de menace. Ces petites règles de votre propre cru viendront ajouter du piment aux interprétations autour de la table. Encore une fois, ne choisissez cette option que si vos camarades et vous êtes prêts à lâcher prise et à assumer les impacts négatifs que cela pourrait avoir sur votre personnage, au profit de l’histoire. Si c’est le cas, alors le plaisir est garanti ! Par exemple, si l’un des protagonistes est un zombie avec un score d’intelligence particulièrement faible, comment refléter ce manque d’intelligence sans que vous vous ennuyiez lorsque vous l’interprétez ? Vous pouvez imaginer une contrainte concrète : vous n’utiliserez aucun mot de plus de deux syllabes, en tant que personnage comme en tant que joueur. Nous avons testé cette contrainte en partie, et le joueur a pris un plaisir tout particulier à interpréter ce zombie attardé. Bien sûr, cela a freiné le rythme et a eu un lourd impact sur le déroulement de la séance. Mais au fond, cette interprétation a fidèlement reflété son score d’intelligence, et le plaisir de toute la tablée en fut enrichi, ainsi que l’histoire. Nous vous conseillons donc de ne pas hésiter à prendre ce genre de décisions, d’un commun accord avec les autres joueurs. Osez créer des faiblesses, et osez tendre des perches. Ce sont des expériences qui feront surgir des résultats inattendus. 1. Stolze Greg, Tynes John, Unknown Armies, Atlas Games, Saint Paul, 1998. 2. À ce sujet, consultez également l’article « Faire d’un incapable un héros », p. 245.

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Nous espérons qu’après cette lecture, vous aurez une meilleure conscience de la façon dont vous pouvez exploiter votre rapport à votre personnage pour le mettre au service de ce qui vous procure le plus de plaisir dans le JdR. Cet article tente en effet de présenter des conseils pouvant correspondre à plusieurs styles de jeu, et c’est précisément en raison de la multiplicité des pratiques que les propositions sont aussi variées. Il faut le considérer comme une boîte à outils dans laquelle vous pourrez piocher des idées selon vos envies. Évidemment, on ne peut pas suivre tous ces conseils au même moment. Ce n’est même pas souhaitable. Il est en revanche possible d’en tester un large panel sur l’ensemble d’un scénario ou d’une campagne, peut-être même en une seule séance. L’important est de trouver l’équilibre qui vous sied dans votre relation avec votre personnage, et dans celle de cette double entité avec la tablée. Alors n’hésitez pas à expérimenter, et faites comme vos personnages : prenez des risques !

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DISTINCTION

Conclusion

Fiche de synthèse Que recherchez-vous dans votre partie de JdR ? Je veux voir une fiction épique et haletante se dérouler sous mes yeux ! • Optez pour une posture de joueur auteur. • Osez faire prendre des risques à votre personnage. • Soyez particulièrement à l’écoute des autres joueurs et de leur personnage. • Exploitez les mécaniques gratifiant le joueur pour sa prise de risque. Je veux fusionner avec mon personnage, ressentir ses émotions et me plonger dans son esprit ! • Créez un personnage qui vous ressemble. • Optez pour une posture de joueur acteur. • Utilisez le roleplay quand c’est possible (éventuellement, rajoutez une contrainte de jeu à votre personnage pour cela si c’est pertinent). • Recherchez le bleed. • Osez les jeux qui vous forcent à perdre le contrôle. Je ne veux pas trop m’impliquer émotionnellement et garder une certaine distance avec la fiction ! • Créez plutôt un personnage qui ne vous ressemble pas. • Limitez le roleplay. • Cherchez à éviter le bleed. • Privilégiez la posture de joueur auteur (mais la posture de joueur acteur est possible, si cela ne vous fait pas sortir de votre zone de confort). • Désacralisez le personnage : ce n’est qu’un concept de paroles et de papier. • Positionnez-vous régulièrement en spectateur. • Pensez à bien distinguer la prise de parole du joueur et du personnage. Je veux avant tout construire un récit avec mes camarades de table dans un effort collaboratif ! • Placez votre curseur de positionnement en joueur metteur en scène. • Laissez une place aux interventions méta à votre table. • Osez prendre des risques et créer des faiblesses à votre personnage. • Méfiez-vous du bleed : il ne doit pas vous isoler de la tablée. • Osez les jeux qui vous forcent à perdre le contrôle.

s’approprier

S’approprier un jeu



Raphaël Bombayl

L

es joueurs qui découvrent le JdR sont souvent intimidés par la masse d’informations proposée par certains d’entre eux : règles, univers, le tout présenté dans d’énormes pavés… Il existe certes des formats plus légers, qui proposent des systèmes simples et des univers plus faciles à appréhender, mais les jeux les plus populaires restent souvent de véritable « étouffe-rôliste ». Pourtant, cette diversité est aussi une source de richesse. Il serait dommage de se laisser impressionner par cette accumulation de données qui semble partir dans tous les sens, surtout si des joueurs plus aguerris ont à cœur de démontrer leurs connaissances, peu importe si les novices suivent ou pas. Eux aussi ont débuté un jour, et leur expérience ne les met pas pour autant à l’abri d’être intimidés à leur tour. Alors, que faire pour simplifier la découverte d’un nouveau jeu ? Comment se l’approprier ? Cet article vous présentera quelques pistes de réflexion pour identifier les éléments importants qui vous permettront d’en profiter sans angoisse superflue. Il se concentre surtout sur les jeux où ce travail d’appropriation est sans doute le plus difficile : les grands formats qui ont dominé le marché dans les années 1980 et 1990. Toutefois, vous devriez y trouver quelques astuces utiles, même pour des jeux plus modernes.

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À la découverte du jeu Quelle est la proposition ?

Il s’agit de la première chose à identifier lorsque l’on s’assoit à la table pour participer à un JdR que l’on ne connaît pas : que va-t-on jouer, dans quel type d’univers, dans quelle ambiance, etc.  ? C’est probablement la réponse à l’une de ces questions qui vous a attiré à cette table. Tout cela forme ce que l’on appelle la proposition ludique, c’est-à-dire ce que le jeu vous « promet » et ce que vous espérez sans doute y trouver en y jouant. C’est ce qui fixe l’orientation générale de la partie, mais vous indique aussi ce que l’on attend de vous : action (combats, décisions tactiques, courses-poursuites), enquête (discussions et déductions), intrigue (diplomatie et négociation), etc. Cela peut également s’étendre au genre recherché ou au ton de la séance. Rien n’empêche par exemple une proposition ludique de se baser sur l’humour et les situations loufoques. L’important, ici, est que tout le monde soit sur la même longueur d’onde. Ou au moins que vous le soyez assez pour que le jeu puisse rester cohérent. Traditionnellement, cela veut surtout dire être sur la même longueur d’onde que le MJ et, pour y parvenir, les sources d’inspiration constituent une mine d’or : elles permettent de s’imprégner de l’univers de jeu, de son genre et de sa thématique (films, romans, bandes dessinées, jeux vidéo, autres JdR…) N’hésitez pas à consulter votre MJ pour savoir si vous pouvez aller lire une page Wikipédia donnée ou une œuvre spécifique, et demandez-lui qu’il vous présente une série d’images (une simple recherche sur Google peut suffire), si possible commentées, afin de vous faire une idée de l’aspect de ce que vous allez jouer. Tout cela aura une incidence forte sur les personnages et les séances à venir. En plus de nourrir votre imaginaire, vous découvrirez les codes du genre et les références nécessaires pour une expérience optimale. Vous serez ainsi sûr de ne pas être hors sujet : par exemple, si on vous propose de jouer à un jeu d’aventures épique, créer un bibliothécaire pantouflard qui a peur de sortir de chez lui risque de poser quelques problèmes. Identifiez aussi le degré d’ouverture du jeu : s’agit-il d’une proposition ludique très spécifique, bâtie pour un type de scénario bien particulier (un groupe de Rebelles dans l’univers de Star Wars), ou au contraire bien plus large, peut-être basée sur une situation plus que sur une trame préétablie (une nouvelle contrée à explorer, une seigneurie à mettre en valeur, etc.) ? Cela vous sera notamment utile pour déterminer le rôle et le degré de spécialisation des PJ, ou encore leur concept de groupe (voir plus bas p. 221). les bases de l’univers de jeu

Les livres de JdR consacrent souvent de nombreuses pages à la présentation plus ou moins détaillée de leurs univers : histoire, géographie, société, etc. Il n’est évidemment pas nécessaire de tout retenir, d’autant plus que vous pourrez poser des questions pendant la partie, voire découvrir tout cela en même temps que votre personnage.

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• quel est le niveau de développement culturel global de l’univers ? À quelle période de notre histoire peut-on se référer ? La Préhistoire ? L’Antiquité ? Le Moyen Âge ? Les Temps modernes (de la Renaissance à la fin du xviiie siècle) ? Le xixe siècle (pour les univers de type steampunk) ? L’Époque contemporaine (la nôtre) ? Un futur plus ou moins proche ? Un savant mélange ? • quels sont les traits culturels importants de la civilisation à laquelle votre personnage appartient ? • quelle est l’organisation sociopolitique de l’univers de jeu, ou du moins du lieu géographique dans lequel le scénario se déroule ? Une démocratie de type grécoromaine ? Un système féodal ? Une république moderne ? Une dictature ? Une théocratie ? Une anarchie sans règles ni lois ? • qui détient le pouvoir, justement, au sommet de la pyramide ? Un roi ? Un empereur ? Un clergé religieux tout-puissant ? Et au niveau local ? Des seigneurs féodaux ? Des gouverneurs de provinces ? Des chefs de guerre autoproclamés ? • y a-t-il un découpage social précis, sous la forme d’une société de castes, de classes sociales ou d’ordres juridiques (ceux qui combattent, ceux qui prient, ceux qui travaillent) ? Est-il possible d’évoluer au sein de cette hiérarchie ? Jusqu’où s’étend l’emprise des privilégiés ? Certaines castes ont-elles des symboles ou des droits spécifiques (les épées sont réservées aux nobles) ? • existe-t-il un découpage ethnique (les elfes, les nains, les orcs…), et quelles sont ses conséquences ? Des États indépendants les uns des autres ? Une cohabitation harmonieuse dans une société multiculturelle ? Des conflits armés ? Du racisme et des inimitiés particulières ? • le pays est-il en guerre ? Contre qui ? Y a-t-il, en interne, des factions aux motivations politiques, religieuses ou philosophiques opposées ? • dans un univers fantastique, quelle est la place de la magie, de la religion et du surnaturel ? Peut-on jouer un personnage athée ? Peut-on se moquer de la religion en public ? Les gens ont-ils peur de la magie et du surnaturel ? Quel est le rôle d’un prêtre, d’un druide ou d’un magicien ? Font-ils partie d’une classe sociale à part, avec des droits et des devoirs particuliers ? Quelles sont les capacités que les PJ peuvent utiliser sans craindre de conséquences sociales, voire pire ? • dans un univers futuriste, quel est le niveau technologique atteint par le peuple le plus développé ? • quel est le moyen de locomotion le plus courant ? La marche, le cheval, des véhicules motorisés, à antigravité ? Dans les univers où le voyage spatial existe, peut-on aller plus vite que la lumière ? Si oui, est-ce à la portée du premier petit transporteur spatial venu ? Une éventuelle panne entraînerait-elle une situation vraiment critique ?

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Cependant, la compréhension de certains sujets est souvent relativement indispensable, par exemple :

Tous ces éléments ont un impact direct sur votre personnage pendant le jeu. Mieux vaut donc savoir où celui-ci s’apprête à mettre les pieds et le créer en fonction. À noter que si de plus en plus de jeux vous donnent les moyens de créer votre propre univers en début de campagne, ou laissent le MJ le faire, ceux-ci n’en sont pas moins dénués d’invariants qu’il est bon de vous approprier. Ainsi, une partie d’Oltrée ! comprendra toujours un fortin, une patrouille et les ruines d’un empire déchu à redécouvrir. Une partie d’Apocalypse World tournera presque toujours autour de communautés en pénurie et d’antihéros archétypaux.

Prendre des notes de manière efficace Dès lors que vous enchaînez les séances ou que vous vous frottez à de l’enquête, la prise de notes devient vite indispensable en JdR. Cela permet de garder une trace des éléments importants. Toutefois, un minimum d’organisation est nécessaire. La prise de notes linéaire, qui consiste à tout retranscrire en suivant le fil de l’histoire, est globalement inutile. Sans méthode, vos notes vont vite ressembler à une liste illisible, mêlant des sujets d’importance (le nom du commanditaire de la mission) et des éléments insignifiants (le nom de l’auberge du coin de la rue). L’idéal est de travailler sur plusieurs feuilles à la fois, chacune étant consacrée à un ou plusieurs types de sujets bien précis, par exemple : • l’historique du PJ, les aventures qu’il a vécues (dans le cadre d’une campagne composée de plusieurs scénarios) ; • son équipement et ses richesses ; • des informations sur les autres PJ du groupe (leur nom, leur joueur ou joueuse, leurs spécialités, etc.) ; • ses contacts, ses amis, ses alliés ; • les informations générales concernant l’univers de jeu, qui peut être aussi restreint qu’une cité, ou aussi vaste qu’une galaxie (les dieux, les dirigeants, la monnaie, etc.) ; • les informations particulières concernant un lieu particulier (une planète, une ville, un quartier, etc.), ou une faction précise (un ordre de chevalerie, l’organisation criminelle du grand méchant, un culte ou une religion, etc.) ; • les informations concernant les PNJ ennemis (leurs forces, leurs faiblesses, leurs ressources, leurs objectifs…) ; • des informations concernant le système de jeu, et notamment les règles spécifiques à votre personnage (voir aussi « Apprivoiser le système de résolution », p. 214).

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Dans tous les cas, consacrez plusieurs feuilles pour le scénario lui-même, où vous noterez – cette fois-ci dans l’ordre chronologique – les événements de l’histoire vécue par votre personnage (la situation de départ, une éventuelle mission qui lui est confiée, les lieux visités, les personnages rencontrés, les actions entreprises et leurs conséquences, etc.). Pensez également au futur, et notamment à la prochaine partie si vous jouez en campagne : notez les questions et les problèmes laissés en suspens, les hypothèses, les actions à prévoir, et tout ce qui vous permettra de repartir sur des bases claires lors de la prochaine session de jeu. Pensez enfin à marquer vos initiales sur vos feuilles, et à les numéroter, de manière à pouvoir y faire référence plus tard, dans la suite de vos notes : « pour des informations sur le chef du gang, voir “PNJ, p. 2” ».

Le prisme du MJ

N’oubliez pas qu’un univers de JdR, tout comme ses règles, est toujours interprété. Dans la plupart des parties avec MJ, les seules informations à peu près certaines sont celles que ce dernier confirme ou qui sont validées durant la partie. Si vous avez un souci avec une de ses interprétations, parlez-en avec lui après la séance. De même, un certain nombre de meneurs n’apprécient pas trop que les joueurs connaissent plus de choses qu’eux sur « leur » jeu. Même si vous êtes déjà familier avec tel ou tel jeu, vous n’êtes pas à l’abri de modifications parfois profondes sur l’univers ou sur les règles. C’est par exemple le cas des univers connus (comme Star Wars1, Warhammer2, etc.) que les MJ adaptent souvent à leurs propres envies. Si vous avez besoin d’en savoir plus, votre MJ saura vous conseiller les œuvres que vous pouvez consulter, et ce qu’il vaut mieux ignorer pour l’instant. Vous aurez parfois à faire un tri dans ce que vous savez en tant que joueur, et ce que votre personnage ignore (les gobelins des montagnes ont cinq points de vie, en moyenne, donc inutile d’en avoir peur…). Enfin, même si cela peut sembler évident, ne vous renseignez pas sur le scénario ou la campagne en cours autrement que par l’intermédiaire de votre MJ. Non seulement vous risqueriez de vous priver d’une partie du plaisir de la découverte, mais cela créerait sans doute des problèmes de confiance avec vos camarades qu’aucun avantage en jeu ne saurait compenser. 1 Costikyan Greg, Gorden Gregory, Slavicsek Bill, Star Wars, West End Games, Honesdale, 1987. La version française la plus récente est Star Wars Edge of the Empire, éditée en France par Edge Entertainment. 2 Ansell Bryan, Bambra Jim, Davis Graeme, Gallagher Phil, Halliwell Richard, Johnson Jervis, Priestley Richard, Vernon Paul, Warhammer Fantasy Role Play, Games Workshop, Nottingham, 1986.

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Selon les jeux auxquels vous jouez, vous pourrez éventuellement trouver des guides du joueur ou des livrets de personnages étoffés et reprenant déjà une partie de ces informations. N’hésitez pas à vous renseigner auprès des communautés spécialisées pour découvrir ce qui existe.

Apprivoiser le système de résolution Par système de résolution, il faut entendre l’ensemble des règles et des procédures nécessaires pour déterminer la réussite ou l’échec des actions du PJ (se battre, pirater un ordinateur, réparer un vaisseau spatial, etc.). Il peut s’agir de règles officielles, issues du manuel de jeu, ou de règles « maison », instaurées par le MJ ou la table. Ces règles peuvent faire appel au hasard (jets de dés, par exemple), ou recourir à des techniques sans test aléatoire, voire de simples arbitrages. Quelle est l’ambiance mise en avant par le système ?

Sauf mauvaise surprise, celle-ci correspond à la proposition ludique. Chaque système privilégie certains comportements par rapport à d’autres. Par exemple, les personnages ne réagissent pas de la même façon dans un jeu où le résultat d’une action est très aléatoire et dépend finalement assez peu de la compétence d’un PJ (Dying Earth, Wastburg 1), que dans un autre où ce même résultat est déterminé en grande partie par sa capacité à se préparer et à accumuler les bonus (Dark Heresy2), voire détermine surtout le joueur qui aura le droit de raconter l’issue du conflit (InSpectres3). De la même façon, les ambiances diffèrent grandement entre un jeu où les personnages ne peuvent que progresser ou peu s’en faut (D&D), où ils ressentent les effets de l’âge (Pendragon), ou sont de toute façon condamnés à terme (L’Appel de Cthulhu). On n’exagère sans doute pas en disant que le système peut, selon les jeux, avoir un impact sur tous les éléments constitutifs de l’ambiance. Toutefois, voici deux aspects sur lesquels vous devriez porter une attention particulière. Tout d’abord, chaque jeu possède une certaine tonalité, en rapport avec l’univers qu’il est censé représenter. Par exemple, on peut ainsi avoir affaire à des jeux réalistes, héroïques, fantastiques, humoristiques, ou encore à un mélange de plusieurs de ces genres. Identifier ce ton rapidement vous permet de vous y adapter, mais également de savoir comment réagir aux événements, ou même comment parler aux autres joueurs autour de la table. Il faut ensuite identifier le « niveau d’héroïsme » du système : les PJ sont-ils capables d’accomplir de réelles prouesses ? Sont-ils plus forts, plus agiles, plus endurants, plus courageux que la plupart des PNJ de l’univers de jeu ? Meurent-ils facilement, en raison de règles de blessures particulièrement rudes ? Y a-t-il des mécaniques qui leur permettent de défier le destin, survivre à une blessure normalement fatale, ou réussir automatiquement une action d’exception (points d’héroïsme, jets de chance, etc.) ? 1. Fenot Philippe, Ferrand Cédric, Lhomme Tristan, Wastburg, Les XII Singes, Saint-Didier-au-Mont-d’Or, 2013. 2. A bnett Dan, A stleford Gary, B arnes Owen, F lack Kate, K enrick Andrew et autres, Dark Heresy, Black Industries, 2008. 3. Sorensen Jared A., InSpectres, Memento Mori, 2002.

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L’essentiel, c’est que le système ne se contente pas de vous indiquer ce à quoi vous devez vous attendre quand vous jouez, mais également le type de comportement qui est attendu, tant de la part de votre personnage que de la vôtre. Soyez à l’aise avec les règles !

Connaître les bases du système ne pourra qu’améliorer votre expérience de jeu. Vous devriez au minimum : • savoir qui a le droit de prendre quelle décision à quel moment, mais aussi quand est-ce qu’il vaut mieux proposer des choses et poser des questions ou quand il vaut mieux laisser la parole ; • savoir effectuer un test, pour résoudre les actions courantes dont le résultat n’est pas évident (c’est-à-dire ni impossible à rater, ni impossible à réussir), par exemple chercher des indices, convaincre un PNJ, etc. ; • savoir lire et interpréter les dés, cartes ou jetons (peu importe le moyen utilisé pour résoudre les tests). Certains jeux utilisent par exemple le principe des « dés explosifs » : on relance le dé lorsque l’on obtient sa valeur maximum, et on ajoute le nouveau résultat. D’autres systèmes reposent sur une combinaison de dés, et certains n’utilisent pas les dés classiques mais leurs propres versions à symboles, par exemple ; • avoir une idée de la gestion de la difficulté des actions. Selon les cas, il peut s’agir d’un seuil chiffré à atteindre ou à dépasser, de malus sur le résultat des dés, etc. Bien que largement passée de mode aujourd’hui, on peut encore rencontrer des jeux ayant recours à une « table de résolution », qui croise la capacité du personnage et la difficulté de l’action pour obtenir les chances de réussite. Attention, la notion de difficulté varie selon les jeux  : dans un univers où les personnages sont de simples humains, il sera plus difficile pour eux de soulever une voiture que dans un monde où ils sont des super-héros surpuissants ; • connaître les effets des réussites ou des échecs critiques (si cette règle est employée), ainsi que la méthode utilisée pour déterminer ces résultats particuliers ; • connaître l’effet des capacités de votre personnage : caractéristiques, compétences, talents spéciaux, pouvoirs magiques ou psychiques, etc. Ce sont ces capacités qui contribuent à rendre votre PJ unique, et qui constituent les outils lui permettant d’agir dans l’univers de jeu. De plus, dans les JdR où elles sont nombreuses, il est presque impossible que le MJ se souvienne de celles de tout le groupe ; • connaître à tout moment l’état de santé de votre personnage, et plus généralement, lorsque sa survie n’est pas l’enjeu principal, s’il est proche ou pas d’être mis hors-jeu : points de 215

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Connaître cela vous permet de jouer dans le ton juste, mais aussi d’adapter vos tactiques et les méthodes d’action de votre personnage  : se montrer prudent dans les univers réalistes (où les blessures font mal et peuvent même tuer), prendre des initiatives ou tenter des prouesses dans les jeux plus épiques.

vie, niveaux de blessures, santé mentale, points de sang, etc. Il faut également savoir à quel moment votre personnage est considéré comme « sérieusement blessé », ou même « mort »… Vérifiez également à partir de quelle quantité de dommages il est assez mal en point pour que ses blessures entraînent une diminution de ses capacités ; • savoir quels sont les types d’actions qui sont encouragés par le système et qui peuvent améliorer l’ambiance de la séance (courses-poursuites, etc.), ou qui seront au contraire des usines à gaz à éviter (ego trip dans la matrice ou les Hautes Terres du Rêve, encombrement dû à l’équipement, micro-gestion des richesses au centime près, etc.). Au besoin, n’hésitez pas à prendre des notes. Mieux encore, demandez au MJ de vous fournir un résumé sur papier, au moins pour les règles courantes, mais aussi pour celles qui peuvent poser problème. Il est désormais très courant de trouver une synthèse des règles principales en une page ou deux sur le Net, voire des applications pour terminaux mobiles. Faute de mieux, vous pouvez sans doute recopier une partie de l’écran. Enfin, si votre personnage possède un grand nombre de capacités différentes, demandez une copie ou une retranscription de leurs effets. C’est notamment utile pour les sorts des magiciens (portée, effets, nombre de cibles affectées, dommages des sorts de combat, coût éventuel en énergie magique, etc.). De la signification des chiffres

Les capacités des PJ et PNJ sont très souvent quantifiées par des valeurs chiffrées, sur des échelles variables (5, 10, 20, pourcentage…). Plus rarement, les auteurs choisissent d’exprimer la puissance des capacités par des mots : fort, faible, moyen, etc. Vous devez comprendre la signification de ces valeurs, et estimer celles qui correspondent aux cas suivants : • la valeur des capacités d’un être humain moyen ; • celle de quelqu’un qui a une chance sur deux de réussir une action de difficulté moyenne ; • celle d’un niveau professionnel correct ; • celle d’un expert ou maître dans son domaine. Dans les univers fantastiques, cela s’applique aussi aux valeurs des capacités des créatures surnaturelles et des monstres que votre personnage pourrait être amené à rencontrer, voire à combattre… Cela permet aussi de comprendre rapidement l’impact d’un malus sur une capacité de votre personnage et les conséquences de ce modificateur sur ses chances de réussite. Si le MJ vous annonce un malus de -2, il vaut mieux que vous sachiez si c’est anecdotique ou si cela divise par deux vos chances de réussite. De plus, cela vous permettra d’interpréter l’événement au plus juste. Attention, ce n’est pas parce que deux jeux utilisent la même échelle que les valeurs des capacités représentent la même chose. Par exemple, certains systèmes basés sur des valeurs 216

Un cas particulier : le combat Les combats sont des événements quasi incontournables de la plupart des scénarios de JdR sur lesquels se concentre cet article. Pourtant, ils comportent un écueil de taille : votre personnage peut y laisser la vie. C’est très probablement ce qui en fait, quand tout fonctionne, des péripéties si excitantes et intenses. Alors, autant se montrer prudent et mettre toutes les chances du côté de votre personnage. Voici quelques éléments essentiels. • Quels sont les dommages d’une arme courante ? Par exemple, une épée dans un univers médiéval, ou un pistolet de calibre 9 mm dans un univers d’espionnage contemporain… Familiarisez-vous avec les dommages des armes habituelles de votre personnage (ils sont souvent exprimés sous la forme d’une combinaison de dés ou de modificateurs, par exemple « 1d6+2 », « 2d10 », etc.). Aussi ridicule que cela puisse paraître, lancer 2d6 ou 1d12 points de dommages ne revient pas du tout au même, y compris dans la façon dont votre personnage fait appel à la violence. Assurez-vous de pouvoir déterminer immédiatement et sans ralentir la table les dommages que votre personnage inflige à son adversaire. Peut-être pouvez-vous réaliser les tests d’attaque, de dommages et éventuellement de localisation en même temps ? • Comparez ces dommages aux points de vie (ou toute autre méthode utilisée) de votre alter ego : ayez une idée de ce qu’il peut encaisser avant de tomber. Cela peut énormément varier d’un PJ à un autre (beaucoup de jeux considèrent qu’un personnage doté d’un profil de combattant résistera mieux aux dommages qu’un personnage de type magicien, par exemple). Tant que vous y êtes, faites-vous également une idée de son potentiel offensif vis-à-vis d’un quidam ou d’un ennemi plus imposant. On réagit différemment quand on sait que ce dernier ne se relèvera pas… • Assurez-vous de comprendre les règles d’initiative, qui permettent de savoir dans quel ordre les combattants agissent. • Enfin, soyez sûr de connaître l’ensemble des options de combat dont votre personnage dispose : manœuvres (déplacements, positionnements, etc.), types d’attaque (contact, distance, pouvoir magique ou psychique, etc.), attaques spéciales (attaque en force, attaque rapide, attaque sournoise, etc.), défense et esquive, etc. S’il y a bien un domaine où vous ne devez pas hésiter à demander un résumé écrit au MJ, c’est bien celui-ci !

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notées sur 100 considèrent que 40 ou 50 sont des niveaux suffisants pour un professionnel moyen, alors que d’autres demandent une valeur de 70 ou 80 pour un degré d’expertise équivalent. De même, tous les jeux ne requièrent pas des tests dans les mêmes situations. Si certains exigent des jets de dés à chaque fois qu’un personnage bouge un orteil, la plupart les limitent aux actions dotées d’un enjeu, voire significatives et difficiles. Enfin, même si cela reste le cas le plus courant, tous les systèmes ne cherchent pas forcément à déterminer si une action réussit ou échoue, mais la façon dont cela se produit ou quel joueur peut raconter le résultat de celle-ci. Là encore, la diversité est une richesse !

S’approprier son personnage Quelle est sa spécialité ?

Pour les jeux en question, il s’agit en général de la première chose que l’on définit lors de la phase de création de personnage. Sa spécialisation est souvent liée à son concept de base et à son orientation. Ainsi, si vous allez dans les standards de la fantasy, vous pourrez sans doute choisir d’incarner : • un intellectuel (chercheur, archéologue, savant…) ; • un combattant, spécialiste de l’affrontement et des armes ; • un roublard, spécialiste de la ruse, de la tromperie et de la dissimulation ; • un mystique, magicien ou prêtre ; • un coureur des bois, spécialiste de la chasse, de la survie et du pistage ; • un négociateur, versé dans l’art de la diplomatie et de l’étiquette, qui entretient avec soin ses réseaux de contacts… • … et il existe encore bien d’autres possibilités. Bien entendu, la liste des activités qu’un PJ peut exercer dépend de l’univers de jeu. Une activité peut même englober plusieurs concepts de personnage, reposant sur des domaines de compétences encore plus spécialisés. Ainsi, à partir d’un profil général de combattant, on peut peut-être créer un maître d’armes, vif et habile ; un tireur d’élite, qui combat à distance ; un protecteur, fort et résistant (surnommé « tank », dans le monde des jeux vidéo) ; ou un leader, qui encourage ses compagnons et leur donne des conseils tactiques pour leur offrir des bonus. Ces nuances peuvent être directement obtenues dans une liste de classes ou de professions définies, ou grâce à des hybridations et un peu de créativité. Après tout, les fameux Templiers du Moyen Âge étaient des « moines-guerriers » ! Et si les règles le permettent, pourquoi ne pas créer un « guerrier-mage » ? Renseignez-vous sur les options disponibles et voyez en quoi elles vous permettront de découvrir de nouvelles choses au fur et à mesure des séances, tout en modifiant votre façon de jouer par rapport à telle ou telle autre. En tout cas, il va falloir faire un choix entre toutes ces options, et si possible un choix éclairé, car cela aura de grandes répercussions sur le jeu. Demandez conseil au MJ, ainsi qu’aux autres joueurs ! En effet, si vous jouez en groupe, autant commencer dès la création des personnages (voir « Mettre en place une dynamique de groupe », p. 221).

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Le terme « statut » a ici plusieurs acceptions. Il s’agit globalement de connaître la place de votre PJ au sein de l’univers de jeu (et aussi de la place de tous les PJ si ceux-ci ont un rôle particulier dans cet univers). Par exemple, quel est son statut social1 ? Comment est-il considéré ? Comme un membre de plein droit de la communauté, parfaitement intégré dans la société ? Comme un étranger regardé avec suspicion ? Comme un aventurier sans attaches ? Comme un mercenaire sans foi ni loi ? Comme un individu louche et peu fiable, voire un criminel ? Dans ce cas, voyage-t-il incognito, ou l’ombre de la justice plane-t-elle sur lui ? Quelle est sa position dans la hiérarchie sociale ? Noble ? Roturier ? « Intouchable », comme la caste des parias en Inde ? Signalons au passage que même les membres de la noblesse sont soumis à des règles hiérarchiques ; il y a un monde entre un petit chevalier de province et un duc aussi puissant que le roi lui-même. De même, de quelle hiérarchie parle-t-on ? Un vampire discret pourra ne pas avoir de statut dans la société humaine, mais être traité comme un prince dans la société vampirique. Outre ses contacts (éventuellement traduits en termes de règles), sur qui votre personnage peut-il s’appuyer  ? Dans un univers très cosmopolite, peut-il compter sur les membres de sa propre communauté ? C’est particulièrement utile pour les « nonhumains » (elfes, nains, etc.), les résistants, les rebelles, les hors-la-loi ou les étrangers. Et qu’en est-il des membres de sa guilde, ceux de sa classe sociale ou ses supérieurs ? Quel est le « statut héroïque » de votre personnage ? Est-il considéré comme un héros reconnu et respecté de tous (au moins dans une certaine communauté), ou comme un individu insignifiant parmi tant d’autres ? Les règles du jeu font-elles de lui un être supérieur au commun des mortels ? Dans ce cas, y a-t-il des règles permettant d’agir spécifiquement comme un vrai héros ? Quelles sont-elles ? Points de Force, de Chance, de Destin, ou autres, cela lui sauvera peut-être la vie ! Peut-être peut-il tout simplement compter sur des capacités supérieures à celles du commun des mortels, ou encore des pouvoirs particuliers ? Est-ce que ses qualités morales peuvent facilement se voir ou se deviner ? Suffit-il d’une Détection du mal pour savoir que l’on ne peut pas lui faire confiance ou les choses sont-elles plus floues ? Est-ce que ces éléments sont des données techniques qui entrent couramment en jeu ou qui ont de nombreuses conséquences dans l’univers (l’alignement de D&D, la corruption de L’Anneau unique2, les points de côté obscur de Star Wars, etc.) ? Plus important encore, qu’est-ce que la population attend de votre personnage ? Qu’il se conduise toujours en héros pur et sans peur, ou lui pardonne-t-on quelques écarts de conduite ? 1. À ce sujet, consultez également l’article « S’entraîner », p. 303. 2. A ngula Amadio, M aggi Marco, M c D owall -T homas Dominic, N epitello Francesco, The One Ring, Adventures over the Edge of the Wild, Cubicle 7, Oxford, 2011.

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s’approprier

Quel est son statut ?

Créer1 et gérer son personnage

Choix de capacités, de compétences, de traits, la phase de création des PJ peut être longue (voire parfois fastidieuse), ou au contraire très simple et très courte, en fonction du système de jeu. L’idéal est de la considérer comme une sorte de « jeu dans le jeu », qui amène ses propres challenges. L’objectif est de faire les bons choix pour coller au concept du personnage, et faire en sorte que celui-ci soit le plus efficace possible. Il ne s’agit pas de créer le personnage « le plus puissant », ou celui qui fait le plus de dommages en combat, mais de trouver l’adéquation entre la fonction que vous lui donnez et ses capacités. S’il s’agit surtout pour vous d’un défi d’interprétation et que le plus important est d’avoir un moyen d’expression, l’optimisation n’est pas cruciale, elle est seulement utile pour vous permettre d’avoir exactement ce que vous avez envie de jouer. Inversement, si votre personnage est avant tout votre outil pour interagir avec l’univers, il doit être compétent et utile dans son domaine de prédilection. Pour cela, une bonne connaissance des mécaniques de base du système est indispensable, sans oublier les règles spécifiques correspondant à votre PJ (la magie, le combat, etc.). Mieux encore, prendre en charge une partie de ces règles pour soulager le MJ ne pourra que renforcer votre implication, tout en aidant à la fluidité de la partie. Dans tous les cas, profitez de la première séance pour confirmer ou infirmer vos choix. D’ailleurs, n’hésitez pas à participer à un one shot avec un personnage de paille si vous en avez l’occasion. Si ce n’est pas le cas, il est sans doute encore possible de faire marche arrière concernant ce qui vous a échappé sans que cela soit grave. En revanche, essayez de provoquer les situations pour lesquelles vous avez choisi votre personnage, et assurezvous que vous avez bien compris le fonctionnement du jeu. C’est le rôle de cette séance ! L’appropriation ne s’arrête cependant pas avec la première partie. Au fil des scénarios, votre personnage va très probablement gagner de l’expérience, ce qui lui permettra d’améliorer ses capacités ou d’en gagner d’autres. Selon le jeu auquel vous jouez, vous voudrez peut-être penser à son évolution2 comme s’il s’agissait d’un véritable plan de carrière (auquel cas, vous avez intérêt à tout avoir étudié dès le début) ou, au contraire, vous satisfaire de pouvoir vous approprier la richesse du jeu petit à petit ! Les limites de l’univers de jeu

L’idée ici est de s’interroger sur les interactions entre les PJ et l’univers de jeu, ainsi que sur les limites à ne pas franchir si elles existent : relations avec les PNJ, méthodes utilisables, etc. L’objectif est de savoir ce qu’il est possible de faire ou non, pour éviter d’agir n’importe comment. Par exemple : • renseignez-vous sur l’étiquette (politesse, savoir-vivre et règles de bienséance) pour interagir au mieux avec les PNJ. C’est capital dans certains JdR, notamment 1. À ce sujet, consultez également l’article « Créer un personnage », p. 29. 2. À ce sujet, consultez également l’article « Développer un personnage au fil du jeu », p. 49.

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• vérifiez les règles concernant la justice et – notamment – le port d’arme (y compris dans un univers médiéval-fantastique !) ; • informez-vous sur le niveau de violence global de l’univers de jeu, pour savoir ce qui est tolérable ou non. Pensez aux moyens de contrôle (la police, la garde, les soldats du roi, etc.) ; • comprenez le niveau de morale du jeu : peut-on jouer des individus sans foi ni loi ? Jusqu’à quel point ? Peut-on attaquer d’autres PJ, au risque de les tuer ? Attention, certains débordements risquent de mettre en péril l’ambiance des parties et la campagne1 (cela dépend souvent du degré de permissivité du MJ). Tout cela peut avoir une incidence importante sur les stratégies à mettre en place au cours de la partie. Peut-on tout casser et tuer tout le monde, recourir à l’enlèvement et à la torture, ou faut-il s’orienter vers des méthodes plus subtiles et plus discrètes ? Encore une fois : discutez avec le MJ et les autres joueurs, posez des questions !

De l’importance de la politesse Dans les univers de jeu où la hiérarchie sociale est très stricte, la politesse et les règles de l’étiquette peuvent être d’une importance critique. Par exemple, dans les mondes japonisants qui choisissent d’insister là-dessus, on s’adresse à un personnage de rang supérieur en ajoutant le suffixe « -sama » à la fin de son nom, « Kaneda-sama », alors que l’on peut se contenter du suffixe « -san » pour un personnage de rang égal à celui de notre PJ : « Kaneda-san ». Cela peut sembler un peu contraignant, mais ce genre de règles se retient facilement, et ajoute beaucoup d’ambiance aux scènes d’interprétation.

Mettre en place une dynamique de groupe

Dans la plupart des cas, le JdR peut être considéré comme un jeu collaboratif, dans lequel le groupe de joueurs coopère pour atteindre un objectif commun. Avant de commencer une partie, les participants gagnent donc généralement à se mettre d’accord sur certains points, et notamment : • un concept de groupe : bande d’aventuriers, équipe d’exploration spatiale, compagnie de mercenaires, gang de criminels… Tout est possible ! Certains jeux l’imposent, car cela fait partie de leur proposition ludique. Peut-être trouverez-vous des idées qui viendront enrichir celles du MJ : discutez-en avec lui ! 1. À ce sujet, consultez également l’article « Jouer ensemble », p. 129.

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les univers de samouraïs ou d’ambiance victorienne, à tel point que cela fait même partie intégrante du genre. De plus, certains MJ peuvent se montrer intransigeants sur ce genre de choses ;

• une répartition des tâches complémentaire. Lorsque c’est adapté, le groupe doit pouvoir compter sur tous ses membres et chacun doit trouver sa place, en mettant ses compétences au service de tous : le combat, la magie, la connaissance, etc. Est-ce que vous voulez obtenir un groupe autosuffisant, en termes de représentation de compétences ? • la répartition des tâches vaut aussi pour les joueurs, et pas seulement pour les personnages : qui va s’occuper de la prise de notes ou du résumé du scénario à la fin de la session de jeu ? Qui va gérer l’inventaire commun (cagnotte, rations et matériel de survie) ? Qui va prendre en charge la gestion de tel ou tel aspect de l’intrigue, etc. ? Tout cela permet de mieux jouer et fait donc partie de la stratégie de jeu globale. Demandez au MJ quels pourraient être les liens familiaux, amicaux, professionnels ou historiques qui seraient de bons moyens de connecter votre personnage à ceux des autres joueurs. Ils peuvent être aussi bien positifs (liens familiaux) que négatifs (animosités ethniques). Cela enrichira le jeu, en intégrera quelques spécificités et vous permettra de lancer quelques scènes de roleplay sans trop de difficultés. S’approprier son rôle au-delà du personnage

Si, dans la plupart des jeux sur lesquels se concentre cet article, il est relativement facile de savoir qui a le droit de dire quoi autour de la table, la répartition de la parole n’est pas toujours aussi figée. Des jeux comme Ars Magica, par exemple, que ce soit par la création de l’Alliance (domaine où vivent les mages et leurs serviteurs) ou ses Whimsy Cards (carte permettant à un joueur de changer une situation ou d’intégrer un élément particulier), le personnage, Ambre1 et bien d’autres n’hésitent pas à tout remettre en question. S’approprier un jeu, c’est aussi essayer de comprendre quels sont les moments où vous pouvez proposer des choses, que ce soit pour aider le MJ ou vos camarades, et apprendre à rajouter des éléments à l’univers afin de vous en servir et de développer ce dernier. Cela peut également consister à voir jusqu’où vous pouvez aller quand vous dépensez un point de destin dans Warhammer. De la création d’une faction dans votre background et de votre interprétation en jeu au simple fait d’annoncer que vous vous suspendez à un lustre que personne n’avait décrit jusqu’à présent, votre capacité à agir sur la partie ne se réduit pas à annoncer ce que fait votre personnage. Certains jeux sont particulièrement inventifs dans ce domaine. N’oubliez pas de vous y intéresser pour pleinement vous les approprier.

1. Wujcik Erick, Amber, Phage Press, Detroit, 1991.

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Découvrez le jeu Lorsque le MJ vous propose d’essayer un nouveau JdR, vous pouvez lui poser les questions suivantes pour vérifier que vous êtes tous sur la même longueur d’onde. Quelle est la proposition ? • Que va-t-on jouer, dans quel type d’univers, dans quelle ambiance ? • Qu’est-ce que le jeu vous « promet », et qu’est-ce que vous espérez y trouver ? • Quel comportement le jeu attend-il de vous et de votre personnage ? • À quel genre fictionnel le jeu appartient-il ? (Fantasy, horreur, science-fiction, etc.) • Quel sera le ton global des séances ? (Comique, épique, effrayant, effréné, etc.) • Quelles sont les sources d’inspiration qu’il est possible de consulter ? • Peux-tu nous préparer une série d’images commentées ? • Quel est le degré d’ouverture du jeu ? Comprenez les bases de l’univers de jeu • Quel est le niveau de développement culturel global de l’univers ? À quelle période de notre histoire peut-on se référer ? • Quels sont les traits culturels importants de la civilisation de votre personnage ? • Quelle est l’organisation sociopolitique du lieu dans lequel le jeu se déroule ? • Qui détient le pouvoir ? • Y a-t-il une hiérarchie sociale précise ? Fixe ? Des privilèges ? • Existe-t-il un découpage ethnique (elfes, nains, orques…) ? • Le pays est-il en guerre (civile ou autre) ? Contre qui ? • Quelle est la place de la magie, de la religion et du surnaturel ? • Quel est le niveau technologique du peuple le plus avancé ? • Quel est le moyen de locomotion le plus courant ? Saisissez le prisme du MJ • Si vous avez un souci avec une des interprétations que donne le MJ de l’un des paramètres du jeu, parlez-en avec lui après la première séance ou même avant. • Si vous avez besoin d’en savoir plus sur jeu, demandez à votre MJ quelles sont les œuvres que vous pouvez consulter, et celles qu’il vaut mieux ignorer pour l’instant. • Ne vous renseignez pas sur le scénario ou la campagne en cours. Apprivoisez le système de résolution Le système vous indique le comportement attendu, tant de la part de votre personnage que de la vôtre. Pour mieux en saisir les tenants et aboutissants, posez les questions suivantes.

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s’approprier

Fiche de synthèse

Quelle est l’ambiance mise en avant par le système ? • Quel est l’impact du facteur aléatoire ? Est-il minoré par la préparation ? • Qu’en est-il de l’évolution du personnage ? • Quel est le « niveau d’héroïsme » du système ? Soyez à l’aise avec les règles Vous devriez au minimum : • savoir qui décide de quoi et à quel moment, mais aussi quand est-ce qu’il vaut mieux proposer des choses et poser des questions ou quand il vaut mieux laisser la parole ; • savoir effectuer un test, surtout lorsque le résultat n’est pas évident ; • savoir lire et interpréter les dés, cartes ou jetons (peu importe le moyen utilisé) ; • avoir une idée de la gestion de la difficulté des actions ; • connaître les effets des réussites ou des échecs critiques (si cette règle est employée), ainsi que la méthode utilisée pour déterminer ces résultats particuliers ; • connaître l’effet des capacités de votre personnage : caractéristiques, compétences, talents spéciaux, pouvoirs magiques ou psychiques, etc. ; • connaître à tout moment l’état de santé de votre personnage, et s’il est proche ou pas d’être mis hors-jeu ; • savoir quels sont les types d’actions qui sont encouragés par le système ou qui seront au contraire des usines à gaz à éviter. • Pour vous aider : • demandez au MJ de vous fournir un résumé sur papier, au moins pour les règles courantes mais aussi pour celles qui peuvent poser problème ; • cherchez une synthèse des règles principales sur le Net ou derrière l’écran du MJ ; • recopiez les effets des capacités de votre personnage. Connaissez la signification des chiffres Vous devriez connaître : • la valeur des capacités d’un être humain moyen ; • celle de quelqu’un qui a une chance sur deux de réussir une action de difficulté moyenne ; • celle d’un niveau professionnel correct ; • celle d’un expert ou maître dans son domaine. Concernant le combat, considérez-vous les points suivants : • quels sont les dommages d’une arme courante ? • comparez ces dommages aux points de vie (ou toute autre méthode utilisée) de votre alter ego : ayez une idée de ce qu’il peut encaisser avant de tomber ; • faites-vous une idée de son potentiel offensif ; • assurez-vous de comprendre les règles d’initiative ; • soyez sûr de connaître l’ensemble des options de combat de votre personnage.

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Quelle est sa spécialité ? Déterminez, à la création, quel sera le domaine général de prédilection de votre PJ. Quel est son statut social ? • Où se situe-t-il dans la hiérarchie sociale, s’il en existe une ? • Qui compose son entourage au sens large ? • Quel est le « statut héroïque » de votre personnage ? Créez et gérez votre personnage • Ne créez pas le personnage « le plus puissant », mais tentez de trouver l’adéquation entre la fonction que vous voulez lui donner et ses capacités. • Profitez de la première séance pour confirmer ou infirmer vos choix. Demandez à participer à un one shot avec un personnage de paille. Essayez de provoquer les situations pour lesquelles vous avez choisi votre personnage, et assurez-vous que vous avez bien compris le fonctionnement du jeu. Connaissez les limites de l’univers de jeu Pour cela : • renseignez-vous sur l’étiquette pour interagir au mieux avec les PNJ ; • vérifiez les règles concernant la justice et – notamment – le port d’arme ; • informez-vous sur le niveau de violence global de l’univers de jeu, pour savoir ce qui est tolérable ou non. Pensez aux moyens de contrôle (la police, la garde, etc.) ; • jusqu’à quel point peut-on jouer des individus amoraux ? Mettez en place une dynamique de groupe Avant de commencer une partie, mettez-vous d’accord sur certains points, comme : • un concept de groupe ; • une répartition des tâches complémentaire entre les PJ ; • une répartition des tâches entre les joueurs : qui va s’occuper de la prise de notes ou du résumé du scénario ? De l’inventaire commun ? • les liens familiaux, amicaux, professionnels ou historiques qui unissent vos personnages. Ils peuvent être aussi bien positifs que négatifs. Appropriez-vous votre rôle au-delà de votre personnage Votre capacité à agir sur la partie ne se réduit pas à annoncer ce que fait votre personnage, il existe d’autres moyens : • essayez de comprendre quels sont les moments où vous pouvez proposer des choses, que ce soit pour aider le MJ ou vos camarades ; • ajoutez des éléments à l’univers afin de vous en servir et de le développer ;

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s’approprier

Appropriez-vous votre personnage

• utilisez les mécaniques pour enrichir l’univers (jusqu’où pouvez-vous aller quand vous dépensez un point de destin dans Warhammer ?) • créez des éléments dans votre background ; • servez-vous du décor des scènes. Prenez des notes efficaces Travaillez sur plusieurs feuilles à la fois, chacune étant consacrée à un ou plusieurs types de sujets précis, par exemple : • l’historique du PJ, les aventures qu’il a vécues (dans le cadre d’une campagne) ; • son équipement et ses richesses ; • des informations sur les autres PJ du groupe ; • ses contacts, ses amis, ses alliés ; • les informations générales concernant l’univers de jeu ; • les informations concernant un lieu particulier ou une faction ; • les données concernant les PNJ ennemis (forces, faiblesses, ressources, objectifs, etc.) ; • des informations concernant le système de jeu, et notamment les règles spécifiques à votre personnage ; • plusieurs feuilles pour le scénario, où vous noterez dans l’ordre chronologique les événements de l’histoire vécue par votre personnage (situation de départ, éventuelle mission, lieux visités, personnages rencontrés, actions entreprises et conséquences, etc.) ; • pour les prochaines séances : notez les questions et les problèmes laissés en suspens, les hypothèses, les actions à prévoir, et tout ce qui vous permettra de repartir sur des bases claires lors de la prochaine session ; • pensez à marquer vos initiales sur vos feuilles et à les numéroter, de manière à pouvoir y faire référence plus tard, dans la suite de vos notes : « pour des informations sur le chef du gang, voir “PNJ, p. 2” ».

Dépasser ces clichés



Selene Tonon

E

n JdR, la diversité des personnages potentiels est pour ainsi dire infinie. Reconnaître les spécificités de chacun, ainsi que ce qui nous différencie de notre alter ego, est fondamental. D’ailleurs, il est extrêmement fréquent de concevoir un PJ qui est très éloigné de nous, par exemple parce qu’il n’a pas les mêmes qualités et défauts, ou qu’il n’agit pas de façon similaire. Il faut avouer qu’avec parfois un peu de recherche, il est assez aisé de s’imaginer jouer un personnage aux idées politiques radicalement opposées aux siennes, ou vivant à une époque et dans un monde autres que les nôtres. Souvent, les personnages joués ne sont même pas humains. On peut sans difficulté interpréter un vaste panel d’elfes, d’orques, de demi-dieux ou d’animaux domestiques. Il arrive également que l’on incarne d’autres types de monstres, caractérisés par leur absence de la moindre morale et uniquement motivés par leurs pires instincts.

Pourtant, il existe des différences bien moins dépaysantes que celles qui nous séparent d’une créature féerique immortelle et qui, même par des rôlistes vétérans, sont régulièrement considérées comme trop compliquées à intégrer dans une partie. On peut citer l’ethnie, le genre et l’orientation sexuelle. En effet, il n’est pas rare que ces sujets provoquent un malaise, que ce soit parce que certaines joueuses ne souhaitent pas y être confrontées1, ou parce que d’autres trouvent ardu de les incarner avec justesse, sans se montrer ni grossières ni maladroites. Face à ces difficultés, beaucoup préfèrent abandonner. 1. À ce sujet, consultez également l’article « Jouer ensemble », p. 129.

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III VARIER LES PLAISIRS

Quelques astuces peuvent toutefois aider à appréhender cette expérience de manière plus détendue. Vous trouverez dans cet article plusieurs pistes et conseils pour varier encore la gamme de personnages qu’il est possible d’interpréter, et donc renouveler le plaisir de jeu.

Quelle importance donner à la variété ? Il est souvent tentant d’avoir recours au stéréotype, autant lors de la création du personnage qu’au moment de son interprétation1 : cela permet d’avoir une idée plutôt claire de la façon dont on peut s’approprier le rôle, en se laissant la liberté d’entrer dans le détail ultérieurement. Néanmoins, tous les clichés ne sont pas forcément heureux. Un seul qualificatif décrivant par exemple le genre, l’orientation sexuelle ou l’ethnie du personnage ne suffit généralement pas. On peut concevoir ces éléments comme n’étant pas forcément binaires, et plutôt comme des axes sur lesquels placer les personnages. Prenons par exemple l’orientation sexuelle. On a souvent tendance à considérer qu’un personnage est soit homosexuel et attiré par les membres du même sexe, soit hétérosexuel et attiré par les membres du sexe opposé. Pourtant, même en oubliant un instant toutes les notions – pourtant essentielles – de genre ou de bisexualité, il est possible d’imaginer tout un ensemble de situations où un personnage qui se considère comme hétérosexuel couche volontairement avec quelqu’un du même sexe. Ainsi, il peut par exemple : • avoir été séduit par une personne en particulier, mais de façon tout à fait exceptionnelle, et avoir vécu une longue histoire avec ; • s’être senti très seul dans un endroit et à une époque où il n’était qu’avec des gens du même sexe, que ce soit à titre exceptionnel ou en enchaînant les partenaires ; • avoir voulu tenter une expérience ; • avoir voulu réaliser une mission ou obtenir une contrepartie ; • avoir été surpris par un désir qu’il ignorait et qu’il a depuis réprimé ; • etc. Les possibilités sont extrêmement nombreuses. Elles ont en commun de porter les germes d’une histoire personnelle forte (qu’est-ce qui s’est passé ? Comment le vit-il aujourd’hui ? Est-ce un secret ? Qu’est devenu tel ou tel partenaire ?). Sans chercher à faire du sensationnalisme ou du transgressif à peu de frais, elles permettent de bien plus développer le personnage que la simple dichotomie opposant hétérosexualité et homosexualité. En effet, même si les sujets du genre, de l’orientation sexuelle et de l’ethnie peuvent nécessiter des précautions, il s’agit avant tout de s’en servir pour contribuer à l’individualité 1. À ce sujet, consultez également l’article « Interpréter un personnage », p. 69 et « Créer un personnage », p. 29.

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d’un personnage et d’une histoire dans un univers donné. De manière globale, cela peut aussi rendre la table plus cohérente et l’histoire plus crédible : cinq ou six figures aux personnalités marquées ne forment que très rarement une assemblée homogène.

Chaque société possède des normes, définissant ce qui semble normal pour sa population. Elles ne sont pas forcément immuables, et varient selon les régions et les époques. Dans l’univers du jeu, l’homosexualité est-elle acceptée, tolérée, ou punie de mort ? Considère-t-on hommes et femmes comme essentiellement différents ? A-t-on été jusqu’à tenter de « scientifiquement » démontrer qu’il existe des peuples inférieurs pour justifier leur asservissement ? Il est intéressant de questionner le MJ sur la nature et l’intensité de ces normes culturelles qui vont en grande partie définir à quel point ce personnage sera considéré comme différent des autres et, probablement, la manière dont cela influencera son interprétation. Plus la norme est importante, plus il sera pertinent de définir la manière dont le personnage se positionne vis-à-vis d’elle. Entre soumission et rébellion

Il existe une infinité de façons de réagir à des attentes sociales. On peut : • y résister ; • s’y conformer ; • culpabiliser de ne pas réussir à le faire ; • chercher à se soigner ou être interné pour cela ; • les fuir dans des paradis artificiels ; • vouloir les dépasser pour montrer son intégration ; • jouer avec les codes ; • les dévoyer ; • en accepter certains pour se ménager d’autres espaces de liberté ; • marchander en faisant des compromis ; • etc. Très concrètement, tous les hommes et toutes les femmes ne correspondent pas à 100 % aux codes de leur genre, d’autant que la diversité physique est très importante. Le timbre de la voix, la pilosité, la taille et la corpulence ne sont que quelques exemples des critères que l’on définit comme « masculins » ou « féminins », mais qui peuvent en réalité varier de façon importante selon les individus et influer sur la façon dont ces derniers sont perçus (et se perçoivent eux-mêmes).

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Dépasser

Explorer une nouvelle facette de l’univers du jeu

Parallèlement, des personnages homosexuels ou bisexuels peuvent se conformer, voire adhérer, aux stéréotypes qui leur sont assignés au regard de leur genre, de la même façon que s’ils étaient hétérosexuels (avec la nécessité de « donner le change » afin de ne pas éveiller les soupçons et risquer une éventuelle persécution). Ils peuvent également éprouver la nécessité d’y résister et de revendiquer leur décalage à la norme. Cela peut être par militantisme, ou simplement pour ne pas avoir à se plier aux normes imposées. En outre, il peut parfois exister des moyens de se reconnaître dans un monde où l’on ne peut pas clairement exprimer sa différence. Ces codes varient forcément selon la culture. Un piercing placé à un endroit précis, un tatouage ou un bijou particulier, un certain type de vêtement rare ou porté de telle manière, une marque, la présence d’un personnage, d’un motif ou de couleurs spécifiques peuvent être autant de façons de rejoindre une culture alternative qui rassemble d’autres personnes partageant la même différence. On peut se poser les mêmes questions autour du racisme. Est-ce que, comme mon personnage essaie à tout prix de se conformer aux codes de l’ethnie dominante, quitte à être accusé d’oublier ses origines ou de les avoir trahies ? Va-t-il devoir supporter des surnoms infamants pour cela ? Est-ce qu’au contraire, il cherche à mettre en avant cette partie de son identité, quitte à risquer d’être mis à l’écart ? Est-ce que c’est plus compliqué que cela ? La superposition des particularités (notamment en termes de genre, d’orientation, d’ethnie) induit un placement unique sur ces divers moyens de réagir face à la norme, et une infinité de façons de se vivre au quotidien. Dans l’univers de Shadowrun, la façon de voir le monde d’une troll sera différente du simple croisement de celles d’un troll et d’une femme, notamment parce qu’elle devra faire face à des problèmes que n’ont ni les femmes humaines, ni les trolls mâles1. Par exemple, elle pourra avoir été confrontée à l’hypocrisie de certains services sociaux qui ne semblent avoir aucune solution adaptée à proposer aux métahumaines, ou de certains activistes trolls qui luttent pour l’égalité des droits mais refusent d’en laisser aux femmes au sein de leur propre communauté. Plus encore, elle peut se voir limitée dans l’utilisation de certaines compétences à cause de préjugés ou parce qu’il n’existe pas de matériel à la fois féminin et facilement disponible pour sa morphologie (séduction, déguisement, athlétisme, etc.). Ainsi, il convient de réfléchir à la conjonction de tels facteurs pour déterminer la façon dont le personnage les perçoit.

1. Cette notion, appelée intersectionnalité, a été formulée et développée par l’universitaire afroféministe Kimberlé Crenshaw, notamment dans son article « Mapping the Margin: Intersectionality, Identity Politics, and Violence against Women of Color », Stanford Law Review, 1991, vol. 43, n° 6.

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Les pages qui suivent forment une sorte de guide vous permettant de trouver des pistes d’interprétation concernant le genre, l’orientation sexuelle ou l’ethnie de vos personnages. L’idée n’est pas de caricaturer toutes les personnes de telle ou telle catégorie, mais de mettre en valeur et de rendre importants et intéressants les choix des joueuses qui le souhaitent. En effet, il existe un monde entre déterminer, par exemple, l’orientation sexuelle d’un personnage et décider qu’il se définit en très grande partie par celle-ci et qu’elle doit donc être une thématique importante de son jeu. Or, jouer sur la différence, c’est exactement cela. Ce n’est pas interdire de jouer quoi que ce soit au nom d’une éventuelle bien-pensance, ce n’est pas forcer qui que ce soit à jouer quoi que ce soit. C’est proposer aux personnes qui le souhaitent et uniquement à celles-ci des outils pour pouvoir jouer plus de choses plus facilement. Ce n’est pas forcément décider qu’un personnage ne pourra pas être mâle, hétérosexuel ou blanc. C’est s’assurer que quel que soit votre choix, il ne soit pas pris par défaut ou par habitude, et que, si vous souhaitez insister dessus, vous puissiez le faire et ayez les pistes nécessaires pour rendre tout cela intéressant. Ce n’est pas éradiquer les princes charmants battant la campagne en recherche de princesses à sauver, ou forcer qui que ce soit à jouer autre chose que ce qu’il souhaite. C’est avoir la possibilité de jouer des princes, de jouer autre chose que des princes, mais aussi de pouvoir les jouer écrasés par leurs responsabilités d’unique héritier qui doit se livrer à contrecœur à un mariage arrangé pour des raisons politiques. Exactement de la même façon, demander au meneur de jouer un personnage asexuel ne veut pas dire que vous ne voulez pas d’intrigues sentimentales dans vos parties. Au contraire, cela revient à lui dire que non seulement vous souhaitez voir de telles intrigues intervenir en jeu, mais également qu’elles soient complexifiées par le peu d’appétence sexuelle de votre personnage. Si souhaitez éviter toute romance, le mieux est de le lui dire directement. Les pistes ci-après prennent la forme de profils rattachés aux principales différences de genre, d’orientation sexuelle ou d’ethnie. Ils peuvent parfois être utilisés conjointement, pour ajouter de la profondeur à un personnage, mais aussi se contredire : à vous de faire vos choix et de leur permettre d’évoluer au gré de la campagne. Ces idées ne rassemblent pas tous les cas possibles, mais des éléments qui peuvent facilement être mis en avant au cours d’un scénario ou d’une campagne.

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Comment jouer sur la différence…

La voix Les paragraphes qui suivent déconseillent de tenter d’adapter sa propre voix à son rôle, par exemple en adoptant un accent ou des manières trop marquées. Cette piste est généralement bien peu fertile et rend votre interprétation très caricaturale, au lieu de créer une forme d’empathie avec votre personnage. Or, l’adaptation de son attitude, en accord avec les pressions sociales qu’il peut ressentir, est une solution bien plus efficace et gratifiante. On peut toutefois noter que la situation n’est pas la même pour le MJ, qui interprète bien plus de personnages et pour des durées bien plus courtes, avec l’enjeu de les différencier en marquant l’esprit des joueuses : des accents ou intonations peuvent alors être pour lui des outils tout à fait viables. Ils n’en restent pas moins à utiliser à bon escient et avec parcimonie.

… de genre ?

Un personnage féminin est confronté à un choix complexe. D’un côté, on attend de lui qu’il exprime les codes de la féminité, que ce soit dans son apparence, ses goûts, sa façon d’être, ses choix de vie. Il doit accepter la soumission sous-jacente : une femme très « féminine » est considérée comme intellectuellement et physiquement faible, sexuellement disponible, techniquement incompétente. De l’autre côté, l’assimilation de codes masculins, si elle est possible et admise (selon l’univers du jeu), véhicule des valeurs positives et émancipatrices, mais est traitée avec condescendance : une femme masculine est jugée comme n’assumant pas sa féminité, voulant se prétendre l’égale d’un homme. Ces deux pôles entrent en conflit, sans qu’il y ait forcément de solution parfaite et toute trouvée. Voici quelques exemples de profils relatifs à ce choix complexe. Ceux-ci sont illustrés par des personnages issus du Trône de fer afin de mettre en avant la facilité avec laquelle ces questions de genre peuvent permettre de caractériser des personnages profonds1 : • tiraillée entre son désir d’aventure et les attentes domestiques ou matrimoniales de son temps, la protagoniste fait des choix et trace son propre destin. On explore ainsi les dynamiques d’organisation sociale, où le rôle des individus est déterminé par leur naissance bien plus que par leur volonté. Exemple : Daenerys Targaryen ; • évoluant dans un univers où les dynamiques de genre sont neutralisées, elle ne subit pas de sexisme. On l’interprète globalement comme un personnage masculin. Cela permet de jouer simplement un personnage féminin sans pour autant le confronter au sexisme, ce qui peut être apaisant dans le cas où on le subit déjà au quotidien. Exemple : Ygrid ; 1. La difficulté à se livrer au même exercice avec les autres différences dont traite cet article est un signe supplémentaire, s’il y avait besoin, qu’il s’agit d’un domaine dans lequel beaucoup reste à faire. Ce sont donc autant de terres vierges que vous pouvez explorer avec vos personnages et qui devraient vous assurer un plaisir renouvelé.

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• plutôt grande ou imposante, la mâchoire carrée ou la voix un peu grave, elle est perçue comme impressionnante, peu séduisante et socialement perturbante. Ces caractéristiques « masculines » peuvent être utilisées pour en tirer une assise sociale, mais peuvent également être sujet de brimades et de harcèlement. Exemple : Brienne de Torth ; • cultivée, intelligente, sans doute trop pour son temps, la hiérarchie sociale ne lui permettait pas de s’épanouir ; elle a donc triché et menti pour compenser l’injustice. Il s’agit alors de jouer une femme se voulant l’égale des hommes dans un monde le lui refusant, prête à tout pour parvenir à ses fins. Quand la fin justifie les moyens… Exemple : Arya Stark ; • ayant beaucoup souffert à cause des hommes, la protagoniste est méfiante, et parfois même agressive à leur égard. L’évolution d’un tel personnage peut être fort intéressante, à condition que le respect demeure entre les joueuses. Exemple : Ellaria Sand.

Personnages féminins : les pièges à éviter Prendre une voix de fausset (c’est inutile, le naturel marchera mieux), surjouer la pas­ sivité, la douceur ou la coquetterie sans raison particulière. Un caractère trop superficiel n’aura pour effet que de discréditer le personnage.

Les personnages masculins ont droit à leur propre dilemme. La virilité demeure la valeur ultime, que chaque homme se doit de s’approprier et de défendre, sous peine d’être couvert de honte et de perdre la face devant ses pairs. Néanmoins, sa construction n’est pas compatible avec toutes les exigences de la vie en société : l’ambition, la compétition et la violence ont leurs limites dans un contexte coopératif. Ceci est d’autant plus vrai dans une société féodale qui exige de lui qu’il se soumette à autrui. En conséquence, la construction masculine est tiraillée entre deux idéaux, décrivant de manière contradictoire l’individu isolé et au sein du groupe. Le mythe du héros1 s’inscrit dans ce paradoxe, décrivant l’image d’un homme providentiel qui devrait, à lui seul, changer la vie de sa communauté tout entière.

1. À ce sujet, voir : Campbell Joseph, Le Héros aux mille et un visages, J’ai lu, Paris, 2008 (1949).

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• elle est en accord avec les valeurs « féminines » telles qu’elles sont véhiculées par la société dominante, comme la coopération, l’empathie, l’attention aux autres. Toutefois, bien loin de se considérer faible, elle en tire sa force. Cela permet de revisiter des valeurs classiquement considérées comme liées à une certaine soumission sociale en les présentant sous un jour nouveau. Exemple : Catelyn Stark ;

Voici quelques exemples de profils relatifs à ce dilemme, eux aussi illustrés par des personnages issus du Trône de fer proches de ces problématiques : • sa sensibilité entre en contradiction avec les valeurs viriles, et l’un des combats du personnage pourra être de s’endurcir ou de les rejeter. On peut alors s’intéresser à la difficulté de se conformer à la position « dominante » qui est imposée au personnage. Exemple : Robb Stark ; • la famille du personnage attend beaucoup de sa réussite sociale, et une pression énorme repose sur ses épaules. Cela permet de questionner les attendus sociaux qui accompagnent la virilité. Exemple : Tommen Baratheon ; • le personnage trouve insupportable le fait d’être pris en défaut sur sa virilité, qu’il surjoue en la considérant comme un marqueur social fort. La virilité est un impératif parfois tellement fort que certains se l’approprient, ce qui n’est pas sans implications sur le personnage et sur son entourage. Exemple : Khal Drogo ; • assumant un positionnement de leader dans un groupe intégrant des personnages féminins, il a à cœur de tenter de leur garantir une place égalitaire. Loin d’un rôle très traditionnel de protecteur, il s’agit là d’une tâche complexe, appelant à la conscience de son propre impact sur le destin des autres. Exemple : Oberyn Martell ; • plutôt petit ou chétif, possédant des traits fins ou une voix un peu aiguë, il n’est pas pris au sérieux et doit batailler pour se faire respecter. La réalité physique du personnage se heurte aux attendus de la société, l’obligeant à se positionner vis-à-vis de ces injonctions. Exemple : Tyrion Lannister ; • le personnage affirme sa virilité en rabaissant les femmes, et se montre souvent condescendant et méprisant à leur égard. Un personnage misogyne peut être intéressant à faire évoluer, quelle qu’en soit la direction ; l’important est que sa joueuse demeure dans le respect des autres. Exemple : Jaime Lannister.

Personnages masculins : les pièges à éviter Prendre une voix caverneuse (c’est inutile, le naturel marchera mieux), surjouer la violence, l’hypersexualité ou la bêtise sans raison particulière. Un caractère trop rustique n’aura pour effet que de discréditer le personnage.

On peut également se questionner sur la possibilité de jouer un personnage « neutre » qui ne serait ni un homme ni une femme, ou qui sortirait des codes habituels de féminité et de masculinité. Il existe un contexte où cela semble simple, celui d’une espèce qui ne se reproduirait pas de façon sexuée, ou qui considère que cela ne doit pas avoir d’influence sur la

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Une autre approche pourrait être de jouer un tel personnage dans une société humaine (ou assimilée) n’admettant pas que cela soit possible. L’androgynie d’un tel personnage, ou son jeu avec les codes, définirait son apparence ainsi que la manière dont ses contemporains pourraient le percevoir. Que son apparence soit spontanée (comme dans le cas d’une personne intersexuée2), le fruit d’un calcul délibéré (par exemple issu de la volonté d’exprimer sa personnalité), ou un peu des deux, demeure à l’appréciation de la joueuse concernée. Voici quelques exemples de profils sortant ainsi des codes habituels de féminité ou de masculinité : • le peuple d’origine du personnage n’a pas de genre ou personne ne s’attend à ce qu’il en exprime un, il est donc un cas particulier paraissant tout à fait naturel et légitime. Un tel personnage est plus facile à jouer parce qu’il ne choque personne et ne remet rien en cause. Il permet également de s’abstraire totalement de la question du genre ; • le personnage exprime une androgynie « parfaite », sans qu’il soit possible de le renvoyer avec certitude à un genre, ce qui peut perturber ses interlocuteurs. Que cette ambiguïté soit fortuite ou délibérée, cela ne sera pas sans implications dans l’accueil qui peut lui être réservé. Qu’il acquière une assise en jouant des codes ou qu’il déclenche l’hostilité de ses contemporains reste à déterminer ; • androgyne, certains éléments physiques ou vestimentaires raccrochent toutefois le personnage à l’un des deux genres communément admis, à tort ou à raison. Il est alors perçu comme incomplet et manquant de virilité ou de féminité, ce qui est un handicap social. Entre remise en question et affirmation, les choix sont nombreux ; • le personnage apparaît en discordance manifeste avec son genre. Homme en robe, femme en costume guerrier masculin, il choque par son habillement et son attitude. Ces éléments entrent en contradiction totale avec ce qui est attendu : la situation est plus difficile encore à gérer que la précédente, ce qui peut constituer un défi. Ce dernier cas fait référence à des personnages qui, par quête de bien-être, loisir, provocation ou nécessité choisissent de se travestir. Ceci est donc totalement différent d’un personnage transgenre, bien qu’il soit également possible d’en jouer (voir encadré).

1. Noonan David, Decker Jesse, Lyons Michelle, Races of Stone, Wizards of the Coast, Renton, 2004. 2. Personne développant spontanément, parfois dès la naissance, des caractéristiques étant classiquement reliées aux deux sexes.

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société (comme les Goliaths de D&D1 pour ce second cas). Un personnage issu d’un tel peuple n’aurait même pas besoin d’être déterminé en genre, ce qui ne serait de toute façon guère pertinent, et pourrait composer avec ce qui lui plaît dans l’instant, sans entraves sociales et sans connaître d’embarras à ce sujet. Les règles définissant le genre dans d’autres sociétés pourraient même lui paraître aussi étranges que superflues.

Comprendre la transidentité pour pouvoir la jouer Les personnes transgenres passent la première partie de leur vie dans un genre qui ne leur correspond pas, et ce malgré la pression constante de la société pour le leur faire accepter. Pour elles, il ne s’agit que d’un rôle dont elles ont, dans un premier temps, l’impression de ne pas pouvoir se débarrasser. Il est courant que des personnes transgenres passent de très nombreuses années de leur vie à douter de leur identité et de la possibilité de la vivre au quotidien. Ceci est principalement dû à la violence du reste de la société et du préjugé populaire reliant le genre à la question génitale. La transition, c’est-à-dire le processus qui permet à une personne transgenre de faire correspondre son corps à son genre réel, n’est déclenchée que lorsque la pression psychologique de l’identité en vient à surpasser la pression sociale (pourtant colossale). Aussi, le résultat est parfois spectaculaire, même si ce n’est pas une obligation. Le meilleur moyen de comprendre une transition n’est pas de s’imaginer « devenir une femme » ou « devenir un homme ». Ce n’est pas ainsi que la question se formule quand on vit une telle expérience. Pour avoir l’intuition de ce que signifie la transidentité, on peut s’imaginer être né avec des organes génitaux correspondant à un autre genre que le sien : un homme avec un vagin, une femme avec un pénis. Il suffit alors de dérouler le film de sa vie en imaginant les conséquences sur cette dernière, et notamment sur le regard des autres. Ainsi, le parcours de transition est une mise en conformité entre le ressenti intime et l’apparence sociale.

Selon les pressions auxquelles il est soumis, un personnage transgenre pourrait décider que la souffrance d’une mauvaise assignation est un moindre mal. Il peut aussi se contenter, dans un premier temps ou plus longuement, d’un changement de prénom, de vêtements ou de coupe de cheveux. Si besoin, son choix peut être de profiter d’un traitement hormonal. Enfin, la possibilité est également d’avoir recours à diverses chirurgies (larynx, torse, utérus…). Bien entendu, les procédés « médicaux » peuvent être adaptés aux univers de jeux : remèdes à base de plantes, sortilèges, potions, prières régulières… Charge ensuite au MJ de mettre en scène, si cela est pertinent (et en accord avec les volontés de la joueuse), les vécus reliés à cette particularité. Les parents et anciennes connaissances du personnage sont-ils encore dans son entourage ? Comment le considèrent-ils ? Utilisent-ils les prénoms et pronoms choisis du personnage, ou le mettent-ils en danger en révélant sa transidentité de façon publique et régulière ? Voici quelques exemples de profils transgenres, agrémentés d’exemples tirés de séries télévisuelles : • n’ayant pas entrepris de transition, le personnage se présente dans son genre d’assignation. Cherchant à surjouer ce dernier ou à le combattre de toutes ses forces,

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• le personnage a entrepris une transition récemment, et apparaît encore dans un entre-deux. Pendant un an ou plus, il sera généralement traité comme les travestis, sans moyen d’échapper réellement à cette hostilité. Il s’agit d’un moyen d’explorer cette épreuve qu’est la transition. En revanche, l’histoire doit toujours s’articuler autour du scénario, et le sujet de la transidentité du personnage gagne à demeurer secondaire, aussi riche et intéressant qu’il soit. Exemple : Buck Vu dans The OA ; • ayant déjà effectué une transition, il se présente toujours sous son genre d’élection. Il s’agit alors d’un homme ou d’une femme comme les autres, à quelques éventuels détails anatomiques près. La transidentité du personnage peut alors, selon les cas, être considérée comme un secret qu’il souhaiterait conserver précieusement. Exemple : Sophia Burset dans Orange is the New Black ; • ayant déjà effectué une transition, il est obligé, dans certains contextes (hospitalisation, famille, etc.), de revenir au genre qui lui était assigné à la naissance. Il s’agit pour lui d’une violence considérable, de plus cela paraît incongru pour tout son entourage habituel. Exemple : Nomi Marks dans Sense8.

Personnages transgenres : les pièges à éviter Considérer et jouer les expressions de genre inhabituelles comme étant des tares, les associer avec des troubles psychiatriques, des lubies ou une forme de perversion sexuelle, confondre transidentité et homosexualité.

… d’orientation sexuelle ?

Les personnes hétérosexuelles représentent la norme sociale, aussi n’ont-elles pas besoin de remettre en question leur orientation sexuelle par rapport à ce que l’on attend d’elles. Si vous choisissez une des pistes ci-dessous, c’est donc non seulement que vous voulez faire un personnage hétérosexuel, mais que son hétérosexualité doit être au centre de ce qui le définit. Voici quelques exemples de profils hétérosexuels : • à l’aise et n’ayant rien à prouver, il ne ressent pas de complexes. Les tentatives de séduction de la part du même sexe ne le choquent pas. Elles l’indiffèrent simplement. Une façon de jouer un personnage hétérosexuel tout en pouvant s’abstraire du contexte, limitant l’impact de cette facette de sa personnalité ;

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il devient pour lui-même une Nemesis toute particulière. Donner le change, marchander, résister, finir par prendre son avenir en mains ? Les possibilités sont nombreuses, mais la pression est forte, et personne dans son entourage ne peut aisément deviner ce qui se trame, car les indices sont maigres et le secret constitue un véritable tabou. Exemple : Sophia Burset dans Orange is the New Black, avant sa transition ;

• n’étant pas assez conforme à ce que les autres attendent de lui, le personnage passe régulièrement pour homosexuel – ce qu’il n’est pourtant pas. L’homophobie vise les personnes homosexuelles ou présumées. Il s’agit ici d’explorer cette thématique tout en accentuant le sentiment d’injustice et en forçant à se positionner ; • son hétérosexualité est pour lui quelque chose d’important, qu’il a besoin d’affirmer, ce qui le pousse à surjouer et même à se montrer violent envers les homosexuels. Un tel comportement peut être intéressant à développer au sein du jeu, mais doit alors y demeurer cantonné : le respect entre joueuses est primordial ; • complexé, ou très timide, il voit le sexe opposé comme étrange et différent, jusqu’à en concevoir une sorte de peur. La timidité est quelque chose de compliqué à jouer, car il ne doit pas s’agir non plus de passivité et de non-jeu. Assurez-vous de pouvoir trouver un équilibre. Les personnes homosexuelles ou bisexuelles sont souvent passées par une période de leur vie où elles prétendaient être hétérosexuelles, afin de se conformer au modèle imposé (jusqu’à ce que cela ne semble plus possible). Voici quelques exemples de profils homosexuels ou bisexuels : • les orientations sexuelles n’ont pas d’importance dans le peuple où évolue le personnage. Homo ou bisexuel, on le joue comme s’il était hétérosexuel : les cibles de son affection ne sont simplement pas les mêmes. Cela permet d’intégrer une telle particularité à son personnage sans qu’il ne subisse d’homophobie dans le cadre du jeu, ce qui est particulièrement intéressant pour les joueuses qui en subissent déjà dans la réalité ; • affirmant son homo ou bisexualité dans un monde qui la rejette, le personnage hurle sa différence en permanence, jouant des codes et des stéréotypes. Cette façon de jouer demande une aisance particulière avec la thématique. Le personnage choque et peut aisément susciter l’hostilité de ses contemporains ; • dissimulant son homosexualité, il est en couple (marié ?) avec une personne de genre opposé, ce qui lui vaut des conflits intérieurs et moraux. Un bon moyen d’illustrer la difficulté pouvant être rencontrée lorsque l’on essaie de correspondre aux attentes de la société ; • n’assumant pas son homo ou bisexualité, il se fait passer à tout prix pour hétérosexuel, surjouant sa virilité ou sa féminité selon les cas, donnant le change en permanence, allant jusqu’à se montrer violent envers les personnes qui s’assument. Ces hostilités doivent bien entendu rester dans le cadre du jeu et ne pas en sortir ; • en couple, sa bisexualité devient alors invisible. Cela peut être vécu de diverses manières, selon son caractère et selon le genre du partenaire. Selon leur histoire, certains pourraient se sentir mal à l’aise d’être perçus comme hétérosexuels ou comme homosexuels alors qu’ils ne le sont pas ;

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• se ressentant jusqu’ici comme homo ou hétéro, le personnage ne comprend pas (ou même refoule) son attirance pour une personne n’entrant pas dans ses attendus. Il s’agit d’une façon de jouer la découverte et la possible acceptation d’une bisexualité.

Surjouer les maniérismes, multiplier les conquêtes avec pour seul but de justifier l’orientation sexuelle du personnage, donner l’impression qu’un personnage bisexuel accepterait des plans à trois avec n’importe qui, ou qu’un personnage homosexuel serait intéressé par les enfants. La bisexualité n’implique pas de désirer toute la planète, et l’homosexualité n’implique pas non plus d’aimer toutes les personnes de son propre genre.

Enfin, tous les personnages n’ont pas forcément envie de s’engager dans des relations sexuelles ou romantiques. D’ailleurs, certains n’en ressentent pas l’intérêt. Pour d’autres, il s’agit d’une intensité différente, ou sous conditions. C’est ce que l’on appelle l’asexualité ou l’aromantisme. Voici quelques exemples de profils asexuels ou aromantiques : • le personnage ne lie simplement pas de relation romantique ou sexuelle, et personne ne s’attend à ce qu’il le fasse. Cela permet de jouer un personnage asexuel sans subir les injonctions qui y sont liées, ce qui peut être apaisant si cela correspond à ce que l’on vit ; • marié, fiancé ou simplement en couple, il multiplie les concessions, ou au contraire affirme des besoins différents ; • sa famille mène une politique matrimoniale et montre de fortes attentes envers lui, qui ne correspondent pas à ses aspirations ; • ne comprenant pas son asexualité ou son aromantisme, il essaie de donner le change afin d’entrer dans la norme sociale, avec plus ou moins de succès. Toutes ces pistes sont des moyens de mettre en scène ses besoins différents et sa façon de gérer ce décalage.

Personnages asexuels : les pièges à éviter Penser qu’il s’agit d’une protection ultime contre les tentatives de séduction, ou un moyen de ne pas payer les contreparties d’une caractéristique sacrifiée (charisme, sociabilité, etc.). Penser que c’est un moyen de limiter les relations sociales avec des PNJ ou de se montrer odieux. Le charme peut s’exprimer de bien des manières (admiration, lien intellectuel ou amical, etc.), sexualité et romance n’en sont que des échantillons.

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Personnages homosexuels ou bisexuels : les pièges à éviter

… ethnique ?

Si le concept biologique de race n’existe pas, il en existe une notion sociale, identifiée pour étudier les mécaniques du racisme. La couleur de peau, les traits de visage, la texture des cheveux, l’accent et la sonorité du prénom et du nom de famille sont autant d’éléments qui peuvent permettre d’associer quelqu’un à une ethnie ou une autre. Cette classification est subjective et culturelle : certaines personnes considérées comme blanches en France sont au contraire perçues comme « latines » aux États-Unis. Les personnes blanches sont généralement considérées comme incarnant un standard, en dépit de toutes les statistiques et même dans les pays où elles ne représentent qu’une minorité. À noter que dans de nombreux JdR, les questions liées au racisme trouvent leur écho dans la présence de différentes « races » imaginaires (humains, elfes, orques, extraterrestres, etc.), éventuellement superposées à d’autres découpages géopolitiques (Gondor, Rohan, etc. dans Le Seigneur des anneaux) ou sociaux (immigrants dans Hellywood). Selon les approches, cette couche fantastique peut être un code du genre utilisé sans arrière-pensée à votre table, une façon plus légère d’aborder des problématiques bien réelles ou, au contraire, de les mettre en avant. Parfois, l’univers et les règles leur donnent une portée encore plus dérangeante. C’est par exemple le cas lorsqu’ils légitiment l’existence de groupes objectivement « bons » ou « mauvais », notamment en autorisant un sort (détection du mal, etc.) pour s’en assurer de façon certaine. De votre côté, n’hésitez pas à en tirer parti et à vous adapter, en choisissant le type de racisme (réaliste ou fantastique) qui vous permet de donner de l’importance à ce que vous souhaitez jouer sans pour autant créer un décalage trop important avec l’univers ou vos camarades. Voici quelques exemples de profils liés aux différences ethniques : • le personnage est blanc. Il ne subit pas les désavantages de cette catégorisation et a donc l’impression qu’elle ne le concerne pas et qu’il n’en fait pas partie. Il confond être blanc et ne pas être assimilé à une ethnie particulière. Il est aisé de considérer que l’on représente une norme ; • le personnage est blanc et prend conscience de son appartenance à un groupe. Il tâche de mesurer son impact et de traiter autrui avec égalité et respect, quitte à être mis face à ses propres contradictions. Une façon de jouer un personnage blanc tout en réfléchissant à ces thématiques ; • il n’est au contraire pas blanc et vit le racisme au quotidien, de même que toute sa famille avant lui. Il a conscience d’appartenir à un groupe social et l’impression d’être l’ambassadeur de ses pairs ;

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• blanc, le personnage est convaincu que certaines hiérarchies sont naturelles, ce qui peut l’amener à avoir des comportements détestables et violents. Un personnage raciste peut être confronté à ses propres contradictions ou, au contraire, mis en avant et conforté dans ses croyances par des PNJ sur la base de valeurs dérangeantes : l’essentiel est que sa joueuse demeure respectueuse en dehors du jeu ; • le personnage n’est pas blanc, et se montre systématiquement révolté par les injustices auxquelles il peut assister et par celles dont il est régulièrement la cible. La rébellion du personnage est une façon de souligner son intérêt et d’illustrer son vécu. C’est une excellente amorce pour des aventures, que le MJ saura exploiter ; • le personnage est perçu comme étant blanc mais cela n’a pas toujours été le cas : il a depuis changé de nom ou de prénom, ou adapté son apparence ou son accent. Il ne subit pas de racisme, mais sait ce dont il s’agit. Son statut est particulier, car son vécu n’est pas neutre dans sa conscience du monde et ce qu’il est aujourd’hui ; • le personnage est parfois perçu comme non-blanc sans que cela ne se justifie par l’ascendance ou l’origine, ce qui le heurte à un racisme difficilement palpable. Son teint est naturellement hâlé, il a un prénom à consonances exotiques, des traits de visage atypiques… Les prétextes à l’exclusion sont malheureusement nombreux.

Enjeux liés à l’ethnie : les pièges à éviter Prendre un accent, surjouer ou multiplier des préjugés culturels, aller au-delà des quelques informations nécessaires à typer son rôle et transformer la partie en test de culture générale, faire s’éterniser trop longtemps la phase de découverte des différences où tout est nouveau et prend du temps, entretenir le mythe du « bon sauvage », croire qu’une ethnie différente dit quoi que ce soit des qualités morales ou de la capacité d’un personnage à évoluer.

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• qu’il soit blanc ou non, il évolue dans une société apaisée et portant le respect en valeur culturelle forte, ce qui le préserve des hostilités ou tensions. Cela permet surtout de jouer un personnage non-blanc sans pour autant subir de racisme en permanence, ce qui peut être apaisant lorsqu’on le vit déjà dans la réalité ;

conclusion : Le jeu et l’expérimentation Pour la plupart des joueuses, le but d’une partie de JdR demeure le divertissement. Il est important de ne pas l’oublier. Toutefois, jouer sur les différences tel que cela a été décrit dans ce chapitre a pour but d’accroître le plaisir autour de la table. L’idée n’est pas ici d’interdire quoi que ce soit ou d’imposer une « bonne façon de jouer », mais de trouver le moyen de créer plus de jeu à partir de choses qui sont généralement peu mises en avant ou considérées comme trop difficiles pour être jouées. Aussi, cela participe à une plus grande variété des personnages, des situations, et donc à une forme de renouvellement. Nous sommes nombreux à avoir beaucoup appris par le JdR, par exemple sur une civilisation aujourd’hui disparue, une période donnée ou la géographie de certaines régions reculées. Personne n’ira se plaindre, si cela permet aussi la découverte (certes limitée) d’autres ressentis, d’autres expériences et, au final, une meilleure compréhension des problématiques auxquelles sont confrontés certains de nos contemporains. Enfin, si vous êtes encore intimidé par l’expérience, l’idéal peut être de se documenter. Internet regorge de témoignages de personnes directement concernées et dont les expériences sauront vous inspirer pour un personnage futur. Mais pas question de tomber dans le voyeurisme ou la leçon de choses, l’approche doit avant tout être ludique et ne doit pas être imposée à vos camarades de jeu. Rien, par contre, ne l’oblige à n’être que cela.

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Fiche de synthèse

• Considérez le genre, l’orientation sexuelle ou l’ethnie du personnage comme des axes sur lesquels placer les personnages. • Servez-vous en pour individualiser votre PJ, et pour rendre la table plus cohérente et l’histoire plus crédible : cinq personnalités marquées ne forment que très rarement une assemblée homogène. Explorer une nouvelle facette de l’univers du jeu • Questionnez le MJ sur la nature et l’intensité des normes culturelles. • Définissez la manière dont votre PJ se positionne vis-à-vis de celles-ci. Entre soumission et rébellion Il existe une infinité de façons de réagir à des attendus sociaux. On peut : • y résister ; • s’y conformer ; • culpabiliser de ne pas réussir à le faire ; • chercher à se soigner ou être interné pour cela ; • les fuir dans des paradis artificiels ; • vouloir les dépasser pour montrer son intégration ; • jouer avec les codes ; • les dévoyer ; • en accepter certains pour se ménager d’autres espaces de liberté ; • marchander en faisant des compromis ; • etc. Comment jouer sur la différence… … de genre ? Personnages féminins, les pièges à éviter : • prendre une voix de fausset ; • surjouer la passivité, la douceur ou la coquetterie ; • lui donner un caractère superficiel. Personnages masculins, les pièges à éviter : • prendre une voix caverneuse ; • surjouer la violence, l’hypersexualité ou la bêtise ; • lui donner un caractère trop rustique.

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Quelle importance donner à la variété ?

Personnages transgenres, les pièges à éviter : • considérer et jouer les expressions de genre inhabituelles comme étant des tares ; • les associer avec des troubles psychiatriques, des lubies ou une forme de perversion sexuelle ; • confondre transidentité et homosexualité. … d’orientation sexuelle ? Personnages homosexuels ou bisexuels, les pièges à éviter : • surjouer les maniérismes ; • m ultiplier les conquêtes avec pour seul but de justifier l’orientation sexuelle du personnage ; • d onner l’impression qu’un personnage bisexuel accepterait des plans à trois avec n’importe qui, ou qu’un personnage homosexuel serait intéressé par les enfants ; • la bisexualité n’implique pas de désirer toute la planète, et l’homosexualité n’implique pas non plus d’aimer toutes les personnes de son propre genre. Personnages asexuels, les pièges à éviter : • penser qu’il s’agit d’une protection ultime contre les tentatives de séduction, ou un moyen de ne pas payer les contreparties d’une caractéristique sacrifiée (charisme, sociabilité, etc.) ; • p enser que c’est un moyen de limiter les relations sociales avec des PNJ ou de se montrer odieux. … ethnique ? Enjeux liés à l’ethnie, les pièges à éviter : • prendre un accent ; • surjouer ou multiplier des préjugés culturels ; • aller au-delà des quelques informations nécessaires à typer son rôle et transformer la partie en test de culture générale ; • faire s’éterniser trop longtemps la phase de découverte des différences ; • entretenir le mythe du « bon sauvage » ; • croire qu’une ethnie différente dit quoi que ce soit des qualités morales ou de la capacité d’un personnage à évoluer.



Sandy Julien

I

« Don’t play the case. Play the man. » Harvey Specter, Suits, saison 1, épisode 7

l arrive que l’on soit amené à interpréter un personnage moins « compétent » que les autres. Certains jeux (souvent basés sur des franchises télévisées ou d’autres œuvres culturelles) disposent de mécanismes permettant de gérer cette situation, ou sont construits autour de celle-ci (je pense aux JdR inspirés de Buffy contre les vampires ou Dr Who), et d’autres sont élégamment conçus pour aplanir les différences de niveau (comme le très réussi Marvel Heroic Roleplaying1, où on peut jouer une équipe aussi disparate que les Avengers sans que la joueuse qui interprète la Veuve Noire se sente désavantagée en termes de « puissance » par rapport à celle qui hérite du rôle de Hulk, par exemple). Dans certains cas, toutefois, cette différence de « puissance » n’est pas encadrée par les règles : vous avez été malchanceux lors de la création de personnage, vous arrivez au sein d’un groupe de vétérans et on vous confie un PJ débutant, vous avez vous-même choisi un personnage « faible »… Normalement, c’est là que vous m’arrêtez pour abus de guillemets. « Compétent », « puissant », « faible »… En réalité, ces termes ne s’appliquent qu’au niveau de compétence du personnage dans son univers. Dans le cadre de l’histoire qui naît entre les

1. Banks Cam, Donoghue Robert, Norris Jack, Scoble Jesse, Sullivan Aaron, Underkoffler Chad, Marvel Heroic Roleplaying, Margaret Weis Productions, Williams Bay, 2012.

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Faire d’un incapable un héros

joueuses, un incapable peut se révéler tout aussi intéressant, voire plus, qu’un foudre de guerre qui écrase tout sur son passage.

OEuvres de fiction et JdR  Nombre de personnages de fiction ne nous intéressent en réalité que pour leurs défauts, leurs failles, leurs erreurs. Dans la série Buffy, le personnage d’Alex est sans doute le moins compétent, mais il se distingue par sa personnalité hors du commun, son sens de l’humour et sa capacité à affronter des situations terribles sans jamais renoncer. Attention, cependant : en général, dans une fiction, nous n’apprécions pas les losers. Les personnages pathétiques, geignards, faibles, et surtout impuissants. Et nous n’aimons pas non plus les interpréter, parce qu’ils nous renvoient à des situations qui ne sont pas très gratifiantes. Mais il existe une catégorie d’individus que nous affectionnons tous : ceux qui ne partent pas gagnants, ceux qui entament la course avec un sérieux handicap, et qui s’en sortent quand même… On pourrait même affirmer sans être trop réducteur qu’ils représentent l’archétype, la définition du « héros » tel que nous le connaissons. Le héros n’est ni un vainqueur-né ni un loser, c’est quelqu’un qui affronte une situation difficile et qui en ressort transformé, généralement pour le mieux, en ayant surmonté les obstacles qui se dressaient sur sa route. Et ces derniers sont bien souvent des conflits intérieurs, plutôt que des épreuves physiques. Le problème, c’est que nous ne parlons pas d’une série télévisée, mais d’un JdR : en tant que joueuse, interpréter un personnage « inférieur » risque de nous mettre dans une situation d’impuissance. L’auteur d’une œuvre de fiction dispose en effet de ses personnages comme il le souhaite, alors qu’en tant que joueuse, nous ne contrôlons qu’un seul personnage. Il convient donc de développer des méthodes qui nous permettent de reprendre l’ascendant, d’orienter l’histoire dans le sens qui nous plaît. Ce n’est pas sur la fiche que naît le héros, lorsque vous vous penchez sur son berceau pour lui attribuer toutes sortes de cadeaux afin d’affronter les périls qui l’attendent. Le héros, comme l’histoire, naît à la table. Toute la préparation qui précède le jeu, qu’il s’agisse de la mise en place des aspects techniques (calculer les valeurs que possèdent les personnages1 par exemple) ou des détails non chiffrés (leur inventer un passé), n’est finalement que… de la préparation. Le personnage ne commence à exister « réellement », dans la mesure où il interagit avec le monde dans lequel il vit, qu’une fois que la partie débute.

1. À ce sujet, consultez également l’article « Créer un personnage », p. 29.

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Lorsque vous disposez d’un personnage incompétent ou beaucoup moins compétent que les autres, votre tâche en tant que joueuse ne change pas : vous êtes là pour vous amuser en jouant un rôle d’une part, et pour vous assurer que les autres joueuses (MJ compris) s’amusent elles aussi. Si votre avatar est un barbare souffreteux, un érudit moins futé qu’un pot à crayons ou un pilote interplanétaire doté de deux mains gauches, et si vous persistez à vouloir en faire un « héros », il va vous falloir convaincre trois auditoires : vous-même, le MJ et les autres joueuses interprétant les PJ.

« Dig deeper ! » Shaun T., entraîneur de fitness Avec un peu de persévérance et un brin de mauvaise foi de temps en temps, on obtient beaucoup à partir de pas grand-chose. Votre personnage n’est sans doute pas totalement incompétent : il se peut qu’il ne dispose que d’une seule compétence de bon niveau. Et encore, peut-être s’agit-il d’une de ces compétences « inutiles » (entendez : différente de Combat, Arme blanche, Esquive, Molester, Tabasser, Écrabouiller et toutes ces capacités indispensables au serein métier d’aventurier). Pourtant, s’il a ne serait-ce qu’une compétence efficace, vous disposez d’un formidable levier à utiliser sur l’intrigue de la partie. Réfléchissez à la compétence en question, et vous découvrirez qu’elle confère d’innombrables atouts à votre personnage. Chaque compétence a nécessité un apprentissage approfondi, ainsi qu’une dose de passion. Par conséquent, son utilité peut être particulièrement vaste. Un personnage qui dispose d’une haute compétence « Jeu » connaît forcément les probabilités (et devient donc un bon tacticien), la psychologie (le bluff, les schémas mentaux : il peut détecter certains mensonges, certains signes trahissant un état d’esprit), et un peu de sociologie (comment telle culture considère-t-elle le jeu  ? Est-il tabou ou au contraire ritualisé ?). La compétence Médecine implique une bonne connaissance du corps humain… et de ses faiblesses. Un médecin peut donc remarquer d’anciens traumatismes chez un adversaire, déceler un talon d’Achille, identifier certaines pratiques en fonction de signes extérieurs subtils ou de déformations physiques (cals sur les doigts, coloration particulière des dents, réflexes conditionnés par une activité spécifique, etc.). Exploitez cette compétence à fond, creusez profond et elle vous servira plus largement que vous ne l’auriez imaginé de prime abord. De surcroît, il y a fort à parier que votre MJ récompensera votre créativité, au moins en vous laissant mettre à profit cette unique compétence dans des situations inédites.

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Incompétence ou mono-compétence ?

Un personnage n’est pas une valise « Ne jouez pas la valise. Jouez l’homme. » Harvey Spectre, Costumes, saison 1, épisode 7 (traduction Google Traduction) Vous avez sans doute remarqué la citation qui tient lieu d’entrée en matière à cet article, tirée d’une série télévisée américaine mettant en scène des avocats. Elle présente une approche particulière des situations conflictuelles. Où plutôt, selon le traducteur qui l’interprète, elle résume en réalité plusieurs approches différentes… Si on la confie à Google Traduction, on obtient : « Ne jouez pas la valise. Jouez l’homme. » C’est une traduction mot à mot, totalement fausse, et qui va paradoxalement vous servir de mise en condition. Votre personnage n’est pas une valise, un fourre-tout où vous entassez le matériel qui va vous être utile pendant votre voyage au pays de l’aventure. Ne vous contentez pas de jouer le contenu d’une valise. Jouez un être humain. Vous ne pouvez pas avoir les mêmes attentes que les autres joueuses

Jouer un personnage peu ou pas compétent est possible… mais cela ne coule pas de source. En premier lieu, il faut l’envisager sous un angle nouveau. Si l’on considère un scénario de JdR comme une sorte d’énigme, de problème à résoudre, le personnage est l’outil que vous utilisez pour y parvenir. Dans le cas où vous incarnez un incompétent, vous commencez avec un instrument mal adapté au mieux (vous voilà parti pour enfoncer des clous avec un tournevis), ou au pire brisé. Si vous restez dans cette optique (le personnage est mon instrument, il me sert à surmonter l’obstacle que représente le scénario, mon amusement dépend donc de son efficacité en tant qu’outil), vous allez au-devant de certaines frustrations. Une solution consiste à renverser la situation dans votre esprit : considérez le personnage comme l’énigme et le scénario comme l’instrument de sa « résolution ». La question que vous devez vous poser n’est pas « comment puis-je exploiter les ressources de mon personnage pour surmonter ce défi ? », mais « comment puis-je exploiter les éléments de défi que comporte le scénario pour mettre en avant un personnage apparemment inadapté ? ». Dès que vous optez pour cette méthode, vous ouvrez de nouvelles possibilités : si les faiblesses de votre personnage sont des handicaps lorsqu’il s’agit de surmonter des défis, elles se transforment en atouts quand vous souhaitez tout simplement « voir ce qui lui arrive » ou « comment il va s’en sortir ». La solution ? Cela dit, concrètement, comment faire ? En premier lieu, il va vous falloir renoncer aux solutions de facilité : pas question de limiter vos actions en combat à « J’attaque » ou « J’esquive ». Vous allez devoir développer votre vigilance, être particulièrement présent dans la partie et prêter une attention particulière à tous les détails : désormais, disposer d’un abri lors d’une scène d’affrontement devient crucial, par exemple.

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Il peut également s’agir d’utiliser le décor pour faire tomber un lustre sur un ennemi, rechercher des moyens de le distraire (tous les éléments mobiles, explosifs et dangereux du paysage sont à votre disposition ; un conseil : n’oubliez pas les animaux, comme les chevaux que l’on peut facilement effrayer, etc.), ou le railler pour le déconcentrer. Vous n’avez pas grand-chose à exploiter sur la fiche de votre personnage : c’est donc dans l’environnement, les PNJ et l’intrigue qu’il va vous falloir chercher des bonus, des avantages, des astuces. D’autant que malheureusement, les mathématiques jouent contre vous. En effet…

Enfin, si les règles du jeu utilisent des jets de dés… mais vous avez compris le principe : étant donné que votre personnage est nettement desservi par ses valeurs numériques, chaque fois qu’il entreprendra une action soumise aux règles du jeu, il y a de gros risques qu’il échoue. Conditionnez-vous dès maintenant : chaque fois que vous vous soumettrez au diktat des règles du jeu, vous serez désavantagé. Dès que le hasard entrera en jeu, vous aurez « perdu ». Les solutions ? • Chaque fois que vous lancez les dés, conditionnez-vous à penser « voyons ce qui va se passer » plutôt que « pourvu que je réussisse ». C’est un peu de la psychologie de comptoir, mais la méthode devrait vous permettre d’avoir des attentes réalistes vis-à-vis de votre personnage : vous allez désormais le jouer pour découvrir ce qu’il advient de lui, et pas forcément pour savoir s’il surmonte les obstacles. La nuance est subtile : il ne s’agit pas là de se dire « ne vous attachez pas trop à ce pauvre type, de toute façon il va encore tout foirer », mais plutôt « voyons comment ce personnage s’en sort et si sa persévérance finira par payer ». Votre but ne consiste pas à voir sombrer votre personnage (sauf si vous jouez à Fiasco…), mais bel et bien à assister à son triomphe sur l’adversité, voire sur lui-même. • Par ailleurs, tenez compte d’un facteur très simple : dès que vous lancez les dés, vous êtes « fichu », votre personnage rate ses attaques, tombe de la falaise, trahit son propre mensonge, etc. Par conséquent, ce qui compte, c’est ce que vous faites avant le jet de dés et la façon dont vous réagissez après. Oui, comme pour toutes les joueuses. Mais pour vous, c’est plus difficile. Et plus gratifiant. Certains jeux comme Dying Earth ou Wastburg sont presque faits sur mesure pour ce genre d’attitudes (même s’il est possible d’influer sur ses chances de succès via des relances), et leur registre comique leur permet de très bien s’en accommoder. • Vous avez beau avoir une valeur « minable » en Agression de monstre, si vous vous donnez beaucoup de mal (un peu ne suffira pas), vous finirez par faire pencher la balance en votre faveur. Mettez toutes les chances de votre côté en étant prévoyant.

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vous allez rater tous vos jets de dés

En d’autres termes, placez-vous dans une position1 qui réduise vos chances d’échouer. Équipez-vous en conséquence : armure, armes, matériel… Et n’oubliez pas que le meilleur élément de votre équipement, c’est l’information. Connaître à l’avance la faiblesse d’un adversaire ou d’une créature permet de se procurer le matériel idéal pour triompher : le guerrier peut foncer tête baissée avec son épée bardée de bonus « généralistes », mais vous, il va falloir que vous optimisiez à fond, et précisément pour la situation en cours. • Agir, ce n’est pas forcément lancer les dés. Dans la plupart des jeux, effectuer une action dont l’issue est incertaine nécessite un jet de dés. Mais on peut agir et influencer l’issue d’une situation sans lancer les dés. Déplacer un objet, mettre le feu à une botte de paille, déclencher une alarme… De nombreuses actions qui seront automatiquement réussies et qui faciliteront la tâche des autres PJ (ou handicaperont les adversaires) sont possibles. Là encore, il s’agit de manifester votre créativité : trouvez des moyens d’agir sans lancer les dés. Ne jouez pas au héros, jouez un héros

Pas question d’interpréter les paladins flamboyants, les justiciers providentiels, les sauveurs de l’humanité… Oubliez les gros sabots, sinon vous allez vous ridiculiser, ou plutôt ridiculiser votre personnage. Il va falloir la jouer subtile, tenter des choses inédites, en d’autres termes sortir de votre zone de confort si vous êtes plutôt habitué à compter sur les dés et les chiffres. Attendez-vous donc à une expérience très dif­férente, sans doute déstabilisante, mais qui vous permettra d’envisager la partie sous un autre angle, et peut-être de renouveler le plaisir de jeu. Cette fois, si votre personnage devient un héros, ce ne sera pas parce qu’il a été conçu pour cela, mais bien parce que vous aurez tout fait pour que cela se produise. Pensez aux prêtres ou aux paladins qui ont été refoulés à l’entrée du temple, mais qui s’efforcent malgré tout de devenir des héros. Pensez à Kikuchiyo, le paysan interprété par Toshiro Mifune dans Les Sept Samouraïs : a priori, ce n’est pas un samouraï, car il n’est pas noble et présente un comportement trop « primitif », voire bestial. Et pourtant, malgré son attitude de rustre, il marche bel et bien sur la voie du samouraï. Pensez au héros contrarié dans sa vocation, mais persévérant : dans le film Willow, le personnage éponyme ne dispose que d’un modeste don de prestidigitateur… et s’en sert pour escamoter la victime de la reine-sorcière maléfique que personne n’a été en mesure de vaincre. Et tant qu’à faire, si vous n’avez pas vu Willow, jetez-y un coup d’œil, parce que le « groupe de PJ » de ce film est composé exclusivement de losers, tous affligés de défauts très handicapants, mais qui s’en sortent malgré tout.

1. On doit ce concept du positionnement à Emily Care Boss : « L’effet cumulatif d’éléments fictionnels qui ont été établis (ou acceptés par le groupe) au cours de la partie (ou dans la fiction), et leurs conséquences sur la mise en place des éléments fictionnels à venir. » www.blackgreengames.com/terms/

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Comme expliqué un peu plus haut, donnez-vous à fond et expérimentez de nouvelles choses. Plutôt que d’attaquer l’adversaire frontalement lors d’un combat, trouvez un moyen de faire en sorte que votre personnage le désavantage et facilite la tâche de ses compagnons plus compétents. Le grand classique consiste à détourner l’attention de l’ennemi au moment propice : avec un peu d’ingéniosité, votre personnage parviendra à accaparer l’attention de ce PNJ si perspicace pour que vos alliés se glissent discrètement dans son dos et perpètrent le crime pour lequel le groupe a été payé… Jouez de son incompétence  : faites-le engager par le camp adverse et sabotez leurs plans (avec une sincérité totale puisqu’il sera bien incapable de réussir quoi que ce soit…). Et surtout, le plus important : persévérez. N’oubliez pas que plus il en aura bavé auparavant, plus ses triomphes, même modestes, paraîtront spectaculaires. Votre patience est votre alliée.

Ne cherchez pas les histoires, cherchez l’histoire « N’exploite pas l’affaire. Exploite ton adversaire. » Harvey Specter, Suits, Avocats sur mesure, saison 1, épisode 7 (traduction correcte) Une bonne partie de JdR repose notamment sur un dialogue dynamique entre les joueuses et le MJ. Tant que les échanges continuent, la partie se poursuit, l’intrigue progresse… en résumé, il se passe des choses. Lorsque vous jouez un personnage incompétent, le pire scénario envisageable est le suivant : le MJ propose une situation « un adversaire se présente », vous réagissez « je l’attaque », mais vous échouez forcément « encore un échec… » et le dialogue s’interrompt « désolé, ton perso est vraiment trop nul en combat… » pour passer à autre chose, ou plutôt à quelqu’un d’autre « bon, les autres, que faites-vous maintenant que son perso s’est fait écrabouiller ? ». Dans ce cas de figure, que vous ayez agi ou non n’a aucune incidence sur la situation. Si la partie était un film, on pourrait aussi bien vous couper au montage : vous êtes passé d’incompétent à insignifiant. Il faut donc éviter à tout prix que le dialogue dynamique en question s’interrompe abruptement. Apprenez à réagir autrement plutôt que de foncer dans le tas. Il s’agit d’établir un dialogue différent : au lieu d’être en position de réaction face aux obstacles que le MJ met sur votre route, soyez proactif et allez chercher des éléments, des situations et des événements qui vous mettront en valeur. Comme l’écrirait un traducteur relativement compétent pour retranscrire la phrase de ce bon vieux Harvey Specter : n’exploitez pas que la situation, mais exploitez l’adversaire, c’est-à-dire le MJ.

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La solution

En connaissance de cause Postulat évident mais crucial : vous devez avoir conscience de l’incompétence relative ou absolue de votre personnage, le MJ et les autres joueuses aussi. En outre, dans la mesure où vous vous préparez à relever un véritable défi, le MJ a tout intérêt à se montrer bienveillant à votre égard, et il en va de même pour vos petits camarades. Pas question pour vous de « jouer en mode facile », mais s’il s’agit bel et bien d’un choix de votre part, par exemple parce que vous avez envie d’interpréter un personnage peu conventionnel, le MJ peut au moins éviter de s’acharner sur vous. Si on vous a refilé un personnage mal fichu par pure malveillance, par mesquinerie ou pour vous « bizuter », fuyez cette table. Sérieusement. Ce qui est important, c’est d’annoncer d’emblée quelque chose comme : « D’accord, je me rends compte que mon personnage est vraiment décalé par rapport aux autres, mais j’ai envie de voir ce que ça peut donner, alors je vous demande de m’aider pour en faire un personnage mémorable. » Si vous diffusez un air de violon triste en fond sonore, c’est encore mieux. D’une part vous mettez tout le monde dans le coup, et d’autre part vous vous affranchissez de la pression : vous ferez de votre mieux, mais les autres joueuses savent que vous partez avec un sérieux handicap… et l’envie de composer avec. Le dernier détail à régler consiste à expliquer la cause de votre présence dans le groupe de PJ, et pourquoi celui-ci vous emmène dans ses dangereuses aventures. Ne vous contentez pas d’être simplement « happé par les événements », « entraîné malgré vous dans une aventure qui vous dépasse » : ce ne sera pas suffisant sur le long terme. Définissez clairement la raison pour laquelle un ou plusieurs autres personnages ont intérêt à ce que vous les accompagniez : des liens affectifs, un PJ doit vous protéger ou inversement, un échange de service qui dépasse le cadre des compétences, une information que vous détenez, etc. Ce petit détail fera toute la différence dans les moments critiques, où certains personnages pourront se demander s’il ne serait pas mieux de se débarrasser de ce fardeau qui les encombre…

Mince alors… mon personnage est nul ! Dans certains jeux, on identifie immédiatement un personnage «  incapable  ». Si vous avez obtenu des triples 1 à vos tirages de caractéristiques dans D&D, vous savez que vous jouez un mort en sursis, tout simplement. Mais dans d’autres jeux, et en particulier lors de votre première partie, vous n’identifierez peut-être pas un personnage moins performant ou inadapté  : vous aurez peut-être mal réparti les points sur votre fiche, privilégié des compétences qui s’avèrent inutiles, ou tout simplement mal interprété le système de jeu et, d’un point de vue technique, « raté » votre personnage.

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Dans ce cas, vous n’avez que trois solutions : • parlez-en au MJ et créez un nouveau personnage. On efface tout et on recommence. C’est radical, mais désormais, nanti d’une nouvelle expérience du jeu, vous savez comment « bien faire » ;

• faites contre mauvaise fortune bon cœur. C’est un coup de malchance, mais vous pouvez en profiter pour relever le gant et « découvrir ce qui se passe ». Voyez si vous préférez «  jouer en mode difficile  » (le MJ sera sans pitié, et vous considérerez cela comme un défi) ou demandez-lui de se montrer un peu plus coulant avec vous.

En tant qu’atout, en intervenant avant et après les jets de dés

Sachant que votre personnage a plus de mal à intervenir de façon frontale ou dans les temps forts de l’action, exploitez les « blancs » du scénario en vous montrant proactif. Enquêtez Suivez les pistes les plus improbables, y compris celles que les autres joueuses négligent. Vous raterez peut-être les jets d’Enquête, de Fouille ou de Perception, mais vous élargirez le champ d’investigation en « débloquant » des lieux et des personnages, en suscitant des réactions. Peut-être même votre personnage agacera-t-il suffisamment les adversaires pour qu’ils décident de passer à l’action et commettent un faux pas. Soyez le pied qui donne un coup dans la fourmilière (même si vous vous mettez parfois en danger…). Préparez le terrain pour vos camarades plus « puissants » Il peut s’agir de récupérer du matériel, de les pousser à adopter telle stratégie plutôt que telle autre, de leur rappeler quels sont leurs atouts s’ils les oublient, par exemple en prenant des notes et du recul par rapport aux différents événements. Vous pouvez jouer le rôle de l’électron libre qui se soucie des détails dont les autres, trop occupés à combattre par exemple, ne tiendront pas compte : il suffit parfois d’éteindre ou d’allumer les lumières, de déclencher une catastrophe, de manipuler un appareil ou un véhicule, bref… de modifier la configuration du champ de bataille ou de la scène. Détourner l’attention, ouvrir ou fermer une issue, détacher un prisonnier, récupérer un objet important et s’enfuir… Autant d’actions qui ne nécessitent généralement aucune compétence particulière mais qui s’avèrent parfois cruciales, tant les « Gros Bill » du groupe sont occupés ailleurs.

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• parlez-en au MJ et modifiez votre personnage. Il s’agit d’un principe qui mérite sans doute d’être adapté à presque toutes les campagnes, que les joueuses soient débutantes ou expérimentées : pendant les premières parties, celles-ci peuvent, à la fin de chaque session, adapter et modifier leur fiche (en respectant toutefois les règles de création de personnage). En règle générale, elles n’en abusent pas : passé le cap de l’harmonisation entre joueuses, MJ et système, elles ne touchent plus à leur fiche (si tant est qu’elles l’aient fait) ;

Parlez Votre personnage peut encore interroger, bavarder, communiquer autant que possible. Dans ce domaine, son apparente faiblesse est un avantage : on se méfiera sans doute moins de lui que de vos camarades, et il pourra peut-être accéder à certains PNJ qui n’oseraient pas s’entretenir avec eux… Un personnage « incapable » dispose d’un atout que l’on sous-estime : contrairement aux fiers-à-bras qui l’entourent, il est invisible, on ne fait pas attention à lui. C’est d’autant plus vrai dans un jeu se déroulant dans un univers avec une hiérarchie de castes assez rigide (société anglaise du début du xxe siècle à la Downton Abbey, Japon médiéval, etc.), où les personnages dont le statut est le plus faible peuvent avoir accès à des lieux ou des interlocuteurs dont les autres n’entendent parfois même pas parler. Évidemment, obtenir certaines informations nécessite des jets de dés, mais un MJ compatissant n’hésitera pas à s’affranchir un peu des règles de jeu strictes et vous fournira certaines réponses si vous posez les bonnes questions, sans pour autant exiger chaque fois des jets de dés. Soyez le « joker » Quand toutes les tentatives des autres personnages ont échoué, n’hésitez pas à faire agir le vôtre, à jouer le tout pour le tout, et à le montrer sous un jour héroïque. Une fois encore, vous n’avez guère de chances de parvenir à vos fins… à moins que votre objectif ne consiste précisément à gagner du temps et à permettre à ses compagnons de reprendre leur souffle… Quand la situation est bloquée, vous pouvez également relancer la partie en vous mettant délibérément en danger (attention à vous assurer auparavant que les autres personnages soient vraiment attachés au vôtre…). En tant que ressort de l’action, en jouant de vos faiblesses

Les faiblesses de votre personnage constituent un outil efficace, capable de donner du relief à la partie. Pour reprendre de l’importance, déclenchez vous-même des intrigues annexes en vous basant sur vos faiblesses. Améliorez-vous…  Rien n’est plus satisfaisant que de surmonter ses propres faiblesses. S’il est conscient des siennes, votre personnage devrait chercher activement à s’en affranchir. Toutes vos tentatives en ce sens constituent autant de pistes intéressantes pour le MJ. Votre personnage souffre d’une phobie ? Et s’il tentait de s’en débarrasser en entamant une thérapie (dans un monde contemporain) ou en demandant à l’alchimiste du coin une potion de courage ou d’antiphobie ? S’il a récemment subi plusieurs échecs dans un domaine particulier, il peut chercher un maître ou un mentor (et pourquoi pas, établir une relation de ce genre avec plusieurs PJ ou PNJ) capable de l’aider à s’améliorer… mais qui sait quel genre de personnage étrange le MJ pourra bien imaginer ? Si vous souhaitez continuer sur la voie de l’inédit, et donner au MJ l’occasion de mettre en scène un mentor original, vous pouvez d’ailleurs investir 254

vos points d’expérience là où les autres ne les dépensent jamais (ces compétences, dons et talents « inutiles »…). … quitte à recourir à des solutions radicales  Dans de nombreuses fictions, les personnages qui s’efforcent de surmonter leurs faiblesses grâce à des méthodes artificielles (magie, drogues1, pactes avec des entités maléfiques, etc.) deviennent de vrais réservoirs à intrigues et à péripéties. Si vous ne craignez pas la difficulté (et ce ne devrait pas être le cas, évidemment), n’hésitez pas à puiser dans les moyens les plus extrêmes et à vous tourner vers les solutions les plus obscures.

Une autre méthode pour conférer du relief au personnage consiste à exploiter ses désavantages sans tenter de les surmonter, mais en explorant le champ de possibilités qu’ils ouvrent. Votre personnage est doté d’une valeur de Force ridicule ? Il peut s’avérer judicieux de vous demander pourquoi. Si vous décidez par exemple qu’il souffre d’une maladie qui l’affaiblit, vous voici déjà en possession d’éléments qui enrichiront votre interprétation (comment allez-vous manifester les symptômes de l’affection en question pour que les autres joueuses n’oublient pas votre état ?), mais auront également des répercussions sur la partie. Quelle est cette maladie ? Comment l’a-t-il contractée ? Peutêtre doit-il se rendre régulièrement chez un médecin, ou un apothicaire, et se procurer des médicaments… Est-elle contagieuse ? Peut-être cherche-t-il un remède définitif ? En résumé, élargissez le sens de ses désavantages en imaginant la façon dont ils influencent sa vie. Une valeur extrêmement basse dans une caractéristique, c’est une histoire qui ne demande qu’à être racontée : « mon érudit a très peu en Intelligence parce qu’il est sujet à des troubles de la mémoire, qui provoquent d’ailleurs de fréquentes sautes d’humeur lorsqu’il échoue à se rappeler quelque chose (c’est-à-dire quand il rate un jet de dés…). » Souvenez-vous cependant que tous les détails que vous inventez concernant vos faiblesses n’ont vraiment de sens que s’ils influencent la partie. Par conséquent, ne vous dispersez pas trop : dans le cas de notre personnage malade, pas la peine d’écrire une page de description de symptômes, une ligne suffit pour expliquer par exemple qu’il s’agit d’une défaillance pulmonaire qui laisse le personnage essoufflé au moindre effort, et qu’une infusion de feuilles d’Athélas permet d’en atténuer les effets. Et naturellement, votre premier réflexe en arrivant dans une ville sera de demander : « Savezvous où je peux trouver un herboriste ? » Voilà : votre handicap est ancré dans la partie, il déclenche un comportement et il aide le MJ à développer une scène, voire un PNJ.

1. À ce sujet, consultez également l’article « Jouer des génies », p. 261. 2. À ce sujet, consultez également l’article « Créer un personnage », p. 29.

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Donnez du sens à vos faiblesses2

Dynamique entre personnages « Ne vous basez pas que sur les faits purs et durs dans une affaire. Tirez également profit de l’élément humain, c’est-à-dire des failles et des envies de votre interlocuteur. » Harvey Specter, Suits, saison 1, épisode 7 (traduction version fansubber1 très exhaustive…) À moins d’avoir un MJ particulièrement conciliant, voire laxiste, vous ne vous en sortirez pas tout seul. A priori, les autres joueuses sont conscientes des limites de votre personnage et devraient vous faciliter un peu la tâche. Profitez de la relation asymétrique que fait naître votre statut au sein du groupe. L’entraide est un puissant moteur scénaristique, et il y a de grandes chances pour qu’en de nombreuses occasions, votre personnage focalise l’attention des autres, ne serait-ce que pendant les combats… Usez de son charme

À condition de ne pas le jeter bêtement dans la gueule du loup chaque fois qu’une occasion se présente, vous devriez parvenir à susciter l’affection des autres joueuses (et vous devriez déjà avoir établi des relations d’interdépendance avec certains PJ, voir l’encadré « En connaissance de cause » p. 252). Votre personnage occupe une place à part dans le groupe, qu’il soit considéré comme un protégé, un otage, un objet de convoitise, un héros en devenir ou un prisonnier qu’il faut défendre pour le livrer aux autorités, entre autres possibilités… Il risque d’être accompagné en permanence par au moins un autre membre du groupe. L’idéal est alors qu’il se rende utile en le secondant efficacement, en intervenant judicieusement lors des conversations, ou pourquoi pas en jouant parfois de la technique du bon flic et du méchant flic. Votre personnage peut ainsi développer des relations fortes avec certains autres. Trouvez-lui un mentor

Une méthode pratique consiste à choisir un mentor parmi les autres PJ. Votre personnage deviendra ainsi son protégé, mais en lui faisant bénéficier de certains effets : son mentor adopte un rôle différent dans l’intrigue et ses actes prennent une tout autre dimension, puisqu’il doit désormais devenir un exemple à imiter. Il peut en résulter de mémorables scènes et des dialogues intéressants. Jouez l’étincelle qui met le feu aux poudres 

Vous pouvez pousser un peu plus loin l’émulation de la technique mentor et protégé en incarnant le héraut un peu excessif des PJ. Votre personnage vantera alors leurs prouesses, mais risquera aussi de leur attirer des ennuis, par exemple en clamant haut et fort qu’ils sont capables d’accomplir une tâche difficile ou de vaincre un champion local… En général, quand les PJ hésitent, vous pouvez éviter les temps morts : lancez 1. Fan qui réalise les sous-titres d’un film ou d’une série de façon non officielle.

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Sacrifiez-le pour la bonne cause

Oui, c’est une méthode un peu extrême… Quand tout est perdu, quand il ne reste plus aucun espoir pour le groupe, vous pouvez jouer le tout pour le tout et sacrifier votre personnage pour ses camarades, ou pour le salut du monde. Vous n’êtes pas obligé de le pousser à la mort, mais il peut s’agir de le faire se rendre à l’ennemi pour que celui-ci gracie un autre personnage, d’accepter un sort funeste pour l’épargner à autrui, etc. Si votre MJ sait jouer sur les sentiments, un sacrifice courageux et désintéressé devrait l’émouvoir un tant soit peu et valoir à votre personnage ses faveurs, et son geste aura d’autant plus de valeur qu’il n’est pas vraiment taillé pour les défis…

conclusion Si vous ne devez appliquer qu’un conseil, que ce soit celui-ci : agissez. Agissez sans cesse, soyez proactif. Et pour agir de façon pertinente, soyez vigilant, car vous travaillez sans ce filet que constitue une fiche de personnage « blindée ». L’avantage, c’est que le reste de votre groupe, MJ comme PJ, ne devrait pas vous considérer comme une cible prioritaire : c’est l’occasion d’expérimenter, de vous lâcher un peu et de laisser parler votre créativité. Rappelez-vous que votre personnage naît à la table de jeu, pas sur sa fiche : c’est ce que vous allez en faire, la façon dont vous parviendrez à exploiter ses faiblesses, qui le définira, pour qu’il devienne peut-être un héros.

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votre personnage dans l’action et les autres le suivront (ne serait-ce que pour lui éviter de se faire tuer), faites-le accepter un défi au nom du groupe, signer un traité, etc. En d’autres termes, prenez des décisions. Il n’est pas utile de jeter des dés pour cela, et son incompétence vous met à l’abri de certaines retombées : « Non, bien sûr, ce n’est pas moi qui vais affronter Rothgar le Boucher dans l’arène, ça ne serait pas un spectacle très intéressant. Je parlais de mes compagnons. » Attention toutefois à ne pas systématiquement jouer les trublions ou les compagnons en détresse : il s’agit de faire avancer l’intrigue, pas de nuire à ce que font les autres joueuses ! Dans un registre semblable, vous pouvez jouer la conscience morale d’un groupe : c’est votre personnage qui accepte d’aider la population d’un village opprimé, et ses compagnons suivent le mouvement parce qu’ils l’aiment bien, par exemple. Il s’agit là d’une méthode qui devrait faciliter la tâche au MJ lorsqu’il souhaite impliquer les joueuses dans une intrigue et que celles-ci hésitent un peu…

Fiche de synthèse Principes généraux • Gardez à l’esprit que vous n’interprétez pas un loser, mais un héros en devenir. • R appelez-vous que votre personnage naît à la table de jeu, pas sur sa fiche : c’est ce que vous allez en faire, la façon dont vous parviendrez à exploiter ses faiblesses, qui le définira. • N’hésitez pas à prendre le contrepied des archétypes pour singulariser votre PJ. • Si votre personnage est compétent dans un seul domaine, prenez le temps de lister tous les usages étendus de cette spécialité que vous pouvez imaginer afin de vous en servir durant la partie (trouver un point faible physique quand on a des notions de médecine, par exemple). • Agissez sans cesse, soyez proactif, n’attendez pas simplement que l’on vous donne une situation à laquelle réagir. • Lâchez-vous et laissez parler votre créativité. Jouez une personne, pas un couteau suisse Voyez au-delà des compétences • Votre personnage n’est pas un simple agrégat de compétences, un fourre-tout où vous entassez le matériel qui va vous être utile. Ne vous contentez pas de jouer le contenu d’une boîte à outils, jouez un être humain. • Réfléchissez davantage à ce que vous faites avant et après un jet de dés. • Pensez aux actions qui ne nécessitent pas de tests. Envisagez le scénario comme un voyage initiatique • Inversez la logique qui veut que le PJ soit l’outil pour « résoudre » le scénario : considérez le personnage comme l’énigme et le scénario comme l’instrument de sa « résolution ». • Ne vous demandez pas « Comment puis-je exploiter les ressources de mon personnage pour surmonter ce défi ? », mais « comment puis-je exploiter les éléments de défi que comporte le scénario pour mettre en avant un personnage apparemment inadapté ? ». • Rendez votre personnage intéressant pour vous-même et les autres en imaginant pour lui des façons originales d’envisager les différents obstacles qu’il rencontre. • Partez du principe que votre personnage n’est pas un héros mais que ce sont ces actions qui vont l’amener à en devenir un. • P ensez à tous les obstacles qui l’ont empêché de devenir un « héros » au sens épique du terme.

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Laissez les faiblesses stimuler votre créativité

Ne cherchez pas les histoires, cherchez l’histoire Soyez proactif • Ne vous contentez pas de réagir aux obstacles que le MJ dresse sur votre route, allez chercher et créez des éléments, des situations et des événements qui vous mettront en valeur, même s’il ne les a pas placés sur le devant de la scène. • Définissez vos propres objectifs : pendant que les autres interrogent un PNJ dans son salon, allez regarder les photos de famille pour voir si son discours correspond à son cadre de vie, allez délivrer les prisonniers ou fouiller pendant que les autres combattent. • Mettez-vous en danger pour débloquer une situation, même si c’est risqué : cela ne donnera que plus d’importance à votre action. Devenez le « joker » du groupe • Exploitez les « blancs » du scénario : enquêtez, suivez des pistes improbables, allez là où les autres ne vont pas. • Soyez un atout pour les autres : récupérez du matériel auquel ils n’avaient pas pensé, proposez des stratégies alternatives, rappelez-leur des ressources dont ils avaient oublié l’existence. • Prenez du recul, prêtez attention aux détails. • Parlez, interrogez, bavardez, notamment avec les PNJ apparemment insignifiants ou qui se méfient des autres PJ, sûrement plus impressionnants de prime abord. Jouez sur votre aspect « invisible ». Donnez du sens aux faiblesses • Déclenchez vous-même des intrigues annexes en vous basant sur vos faiblesses : amélioration, recherche de mentor, de médicaments, de solution à vos problèmes, pactes avec des individus peu recommandables, échange de service, etc. • Exploitez les « manques » des autres PJ, par exemple en tentant de les aider à résoudre leurs problèmes relationnels, ou en investissant vos points d’expérience là où les autres ne les dépensent jamais.

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• Considérez les faiblesses de votre PJ non pas comme des handicaps, mais comme des atouts pour imaginer ce qui pourrait lui arriver et sortir des schémas habituels. • Renoncez aux solutions de facilité, notamment en combat, et réfléchissez à diverses façons d’utiliser l’environnement au sens large ou d’attirer l’attention de l’adversaire. • Quand vous lancez les dés, essayez d’imaginer différentes manières de rebondir sur les conséquences d’un probable échec plutôt que d’espérer réussir. • Mettez toutes les chances de votre côté en étant prévoyant : équipez-vous, renseignez-vous sur les obstacles qui se dressent sur votre route (points faibles, alternatives au conflit frontal environnement pouvant être utilisé à votre avantage, etc.).

• Intégrez ses faiblesses à son histoire : votre PJ souffre-t-il d’une maladie, d’une addiction, d’un traumatisme qui en est l’origine ? Quelles sont ses autres manifestations en jeu, à part un score faible dans telle compétence ? Comment est-ce que cela peut enrichir votre interprétation ? Quel est l’objectif de votre personnage par rapport à cette faiblesse ? La dépasser, l’accepter, la brandir comme faisant partie intégrante de son identité ? Impliquez les autres joueuses N’ayez pas peur de demander de l’aide et d’en apporter • Proposez aux autres joueuses, MJ compris, de vous aider à rendre votre personnage atypique intéressant. • Secondez efficacement les autres personnages, en intervenant judicieusement lors des conversations. • Sacrifiez-vous pour sauver un autre PJ ou le groupe, ou pour une plus grande cause : sans aller jusqu’à la mort, il peut s’agir de se rendre à l’ennemi pour que celui-ci gracie un autre personnage, d’accepter un sort funeste pour l’épargner à autrui, etc. • Lancez-vous dans l’action quand les autres hésitent. Déterminez ensemble votre place dans le groupe • Définissez clairement la raison pour laquelle un ou plusieurs autres personnages ont intérêt à ce que vous les accompagniez : des liens affectifs, un PJ doit vous protéger ou inversement, un échange de service qui dépasse le cadre des compétences, une information que vous détenez, etc. • Réfléchissez à la place à part qu’occupe votre personnage dans le groupe, qu’il soit considéré comme un protégé, un otage, un objet de convoitise, un héros en devenir ou un prisonnier qu’il faut défendre pour le livrer aux autorités, etc. • Développez des relations fortes avec les autres PJ : usez de son charme et tentez de susciter l’affection, désignez un mentor parmi eux, mais n’ayez pas peur non plus de les mettre face à leurs contradictions ou d’aller sur le terrain du conflit. Gardez à l’esprit que les relations entre personnages sont intéressantes quand elles évoluent, lorsqu’elles ne sont pas neutres. Devenez un symbole de l’identité du groupe • Remettez les actes des autres PJ en cause, donnez-leur d’autres points de vue, notamment ceux de leurs antagonistes ou victimes. • Soyez le héraut du groupe : vantez les prouesses des autres PJ, prenez des engagements à leur place par excès d’enthousiasme, impliquez-les dans des situations qui les confrontent à des dilemmes moraux, acceptez un défi au nom du groupe, signez un traité. • Devenez la conscience morale d’un groupe : c’est votre personnage qui accepte d’aider la population d’un village opprimé, de protéger ce PNJ blessé qui appartient pourtant au camp adverse, etc. Remontez-leur le moral quand ils sont découragés, rappelez-leur leurs victoires.

Jouer des génies



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Olivier Caïra

À quoi correspondent les caractéristiques de mon investigateur ? Intelligence 17-18 : Génie, capacités supérieures, difficile à suivre, surdoué QI 140 et plus1.

O

n affirme souvent que la simulation dans les JdR n’est que partielle : les actions physiques des personnages sont systématiquement résolues par des tests indépendants des caractéristiques du joueur (un gringalet peut donc jouer une armoire à glace), alors que les actions intellectuelles nécessitent une part d’interprétation, de roleplay, soit pour être directement résolues, soit pour ouvrir la voie à un test. Si l’on ajoute à cela l’idée que la plupart des JdR permettent d’interpréter des personnages hors norme, on comprend toute la difficulté qu’il y a à créer ou à prendre parmi des prétirés un personnage présentant un score extrême dans la caractéristique Intelligence ou son équivalent2. De fait, les PJ dotés d’un tel score ne sont pas joués comme des

1. Arbaret Guilhem, Grussi Christian, Petersen Sandy, Tarapacki Samuel, Willis Lynn et autres, L’Appel de Cthulhu, sixième édition française, Sans-Détour, Oyonnax, 2008, p. 37. 2. Notons qu’il existe de nombreux JdR qui ne quantifient pas l’intelligence, soit pour ne pas « remplacer » celle des joueurs (par exemple Maléfices, où l’on ne quantifie que la Culture générale), soit parce que celle-ci n’est pas une notion centrale dans l’univers proposé (typiquement Pendragon, où les personnages se définissent davantage par leurs orientations religieuses et morales). Gaudo Michel, Rohmer Guillaume, Maléfices, Jeux Descartes, Paris, 1985.

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génies. C’est typiquement le cas des jeteurs de sorts dans D&D et les jeux similaires : on a besoin d’un score élevé d’Intelligence pour apprendre certains sorts et les lancer avec un bonus conséquent, comme on choisirait la Sagesse ou le Charisme. Mais l’impact d’une intelligence supérieure en termes de roleplay est rarement traité dans les manuels de jeu méd-fan ou pris en compte par les joueurs comme par le MJ au fil des parties. En fait, l’intelligence n’est quasiment jamais montrée comme processus dans les œuvres de fiction traditionnelle, d’abord parce qu’elle revêt peu d’intérêt narratif, ensuite parce qu’elle supposerait une lourde pédagogie. Au cinéma, dans les séries ou en jeu vidéo, on emploie souvent des procédés proches de la réalité augmentée pour dépeindre les processus intellectuels du génie, chiffres et symboles flottent devant l’image jusqu’à ce que le génie parvienne à une solution. Sa compétence intellectuelle se présente donc comme une sorte de sorcellerie rationnelle : l’informaticien virtuose tape à toute vitesse au clavier et, au plan suivant, la porte blindée s’ouvre ou l’argent est transféré aux Bahamas, comme s’il venait de lancer un sort. En JdR aussi, les génies de l’informatique sont souvent assimilables à des jeteurs de sorts1 : hormis dans certains jeux d’inspiration cyberpunk, on ne se préoccupe pas du processus, seulement du résultat. Leur compétence est donc simulée par les règles, sans mettre à l’épreuve celle du joueur2. Dans ce chapitre, nous allons nous inspirer de nombreux génies célèbres, qu’il s’agisse de personnages imaginaires (Sherlock Holmes, le comte de Champignac, Tony Stark, Spencer Reid, Lisbeth Salander…), ou de figures historiques dont la vie a été traitée en fiction (Marie Curie, Alan Turing, John Nash…). Nous verrons ce que les fictions traditionnelles, comme le roman, le cinéma ou la bande dessinée peuvent nous apprendre sur la représentation de l’intelligence extrême, et par quelles méthodes et astuces on peut créer et jouer un génie sans en être un.

Créer un génie Pour se lancer dans la création du PJ génial, le premier pas est de rassembler une galerie de personnages dans les fictions « traditionnelles » (non interactives) en repérant 1. Toutefois, certains jeux traitent la magie de façon plus complexe, comme Ars Magica et ses phrases latines, Mage: the Ascension ou Rêve de dragon. Chupp Sam, Earley Christopher, Hatch Robert, Hind Chris, Rein.Hagen Mark, Ryan Kathleen, Wieck Stephan, Wieck Stewart, Mage: the Ascension, White Wolf, Stone Mountain, 1993. Gerfaud Denis, Rêve de dragon, Nouvelles Éditions fantastiques, Paris, 1985. 2. Voici un bémol en forme de confirmation apporté par Olivier Fanton dans la quatrième édition des règles d’In Nomine Satanis/Magna Veritas : « Vous savez, j’ai fait plusieurs années d’études en Informatique, et s’il y a bien un truc qui m’énerve dans les jeux de rôles (et dans les films), c’est l’aspect magique de l’Informatique. Reality check  : même avec l’avènement d’Internet, un ordinateur ne peut pas servir d’oracle divin pour obtenir n’importe quelle information. […] Ceci étant dit, si le maître de jeu a besoin d’un moyen deus ex machin-esque pour donner des indices aux personnages, qu’il n’hésite pas. » Attinost Benoît, Blondel Julien, Croc, Fanton Olivier, Twardowski Matthias, In Nomine Satanis Magna Veritas, quatrième édition, livre rouge, Asmodée Éditions Siroz, Paris, 2003, p. 37.

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ce qui caractérise l’intelligence supérieure et surtout ce que nous en retenons à la fin de l’œuvre. Cela va nous donner des pistes précieuses pour élaborer la psychologie et le comportement relationnel de notre personnage. S’inspirer des fictions traditionnelles

C’est ce qui distingue le génie – tel qu’il apparaît dans la fiction à partir du xixe siècle – du personnage « simplement » rusé des légendes et fictions traditionnelles : d’Ulysse, nous allons retenir une série d’astuces tactiques parce qu’elles nous semblent brillantes et, bien qu’exceptionnelles, accessibles à notre raisonnement. Le cheval de Troie, l’évasion de la grotte du cyclope, le retour à Ithaque sous les traits d’un mendiant sont des manières de résoudre les problèmes qui construisent le personnage d’Ulysse bien plus que ses répliques ou ses attitudes. Les ruses de Merteuil et Valmont dans Les Liaisons dangereuses sont du même ordre : elles nous étonnent, nous marquent par leur caractère roué et amoral, mais ne nous semblent pas intellectuellement hors d’atteinte. L’auteur qui campe un personnage génial crée au contraire une barrière entre celui-ci et son public : nous ne comprendrons pas comment Alan Turing décrypte Enigma dans The Imitation Game. Ses processus mentaux ne sont pas plus expliqués que le fonctionnement de la machine qu’il invente. Ce qui va nous marquer, dans l’écriture du film et dans le jeu de Benedict Cumberbatch, c’est d’une part la psychologie de Turing, d’autre part son impact sur ses proches, qu’il s’agisse de collègues, de donneurs d’ordres, d’amis, de relations conjugales, voire de l’enquêteur chargé de son dossier. Dans la série animée Code Lyoko, nous ne savons pas comment Jérémie Belpois interagit avec les machines pour projeter ses amis dans le monde virtuel. Ce qui compte, c’est que lesdits amis l’appellent Einstein, qu’il soit systématiquement incompréhensible quand il se veut pédagogue, qu’il ait un rapport assez malheureux au sport, qu’il puisse coder toute la nuit sans s’épuiser, et surtout qu’il tombe amoureux d’une fille virtuelle au point de lui permettre de se matérialiser à ses côtés. 1. Ce ne sont pas tant des « physiques de génie » que des jeux d’acteur qui expliquent que l’on reprenne les mêmes pour jouer des figures très éloignées les unes des autres (Robert Downey Jr jouant en parallèle Sherlock Holmes et Tony Stark, Benedict Cumberbatch choisi pour la série Sherlock et pour incarner Alan Turing dans The Imitation Game). Ces deux acteurs excellent dans la répartie mordante et détachée, donc dans la représentation relationnelle du génie. Simuler leur intelligence hors norme est surtout l’affaire des scénaristes.

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Seriez-vous capable de retracer une seule des enquêtes de Sherlock Holmes  ? Probablement pas. Ce que nous retenons d’un personnage de fiction génial, c’est moins la série de ses prouesses intellectuelles que son caractère bizarre, ainsi que les propos et comportements atypiques qui en découlent1. Il n’est donc pas étonnant qu’un des éléments les plus souvent associés à ce détective soit la réplique « Élémentaire, mon cher Watson » (jamais écrite par Conan Doyle, mais apparue au xxe siècle), car elle illustre surtout son aisance intellectuelle et sa condescendance, sans nous obliger à mémoriser les exploits déductifs du personnage.

Psychologie du génie

Nous partons donc du principe que l’intelligence de votre génie ne pose pas trop de problèmes d’un point de vue pratique, car le système de jeu sera le moyen de simuler des prouesses intellectuelles sous la forme d’accomplissements : piratages, inventions, sortilèges, intuitions soufflées par le MJ, etc. Ceci prend très souvent la forme d’un avantage technique (caractéristique, compétences, atout, pouvoir spécifique, etc.). Le plus gros du travail qui vous incombe alors demeure donc sa caractérisation psychologique. Voici quelques questions qui s’ajoutent à toutes celles que l’on se pose lors de la création d’un personnage1 « ordinaire ». Comment imaginez-vous votre personnage enfant, confronté aux premières manifestations de son génie ? Que vous alliez ou non vers un archétype de « savant fou », dites-vous que votre personnage est passé – passe encore, certainement – pour une bête curieuse du fait de son intelligence. Dès ses premières années, son génie a pu susciter fascination, peur et vexations, à moins qu’il n’ait été formé à la dissimulation ou qu’il n’ait cherché très tôt à passer pour un enfant ordinaire (c’est un des thèmes de la série Malcolm in the Middle). Pour une version particulièrement cauchemardesque de l’enfance d’un génie, lisez ou visionnez La Stratégie Ender. Pensez à Spencer Reid, le jeune surdoué de la série Criminal Minds, ligoté nu à une cage de football par ses « camarades » de collège, à l’internement psychiatrique précoce de Lisbeth Salander dans le cycle Millenium, ou encore aux persécutions qu’ont subies Sheldon Cooper ou Amy Farrah Fawler dans Big Bang Theory. Tous les enfants géniaux n’ont pas un vécu traumatique2, mais ils sont fortement singularisés, comme le jeune Jérémie Belpois dans Code Lyoko. On ne traverse pas une telle enfance sans développer des mécanismes de défense ou d’attaque, voire des symptômes psychiatriques. Les figures de génies atteints de maladies mentales, qu’elles soient attestées ou fantasmées, couvrent à peu près toute la palette clinique du psychiatre. Pensez-y si vous pratiquez un JdR où la santé mentale joue un rôle important  : la manière dont votre personnage réagira à des épisodes traumatisants pourra largement découler de cette enfance. N’hésitez pas à inventer ou à reprendre (en modifiant quelques détails) des anecdotes liées à cette enfance. Le jeune héros de Little Man Tate (film de Jodie Foster, 1991) n’a manifestement que deux ans quand il dit en désignant son assiette « Koffer : Koffer, maman. » Sa mère corrige : « Non, c’est une assiette, pas un Koffer. » Elle prend l’assiette pour lui montrer son erreur, et découvre au dos le logo du fabricant : « J. Koffer ». 1. À ce sujet, consultez également l’article « Créer un personnage », p. 29. 2. Si l’intelligence prodigieuse de votre PJ est un acquis tardif (voir des films comme The Lawnmower Man de Brett Leonard, ou Lucy de Luc Besson), le choc psychologique est différent mais tout aussi considérable. Votre personnage a également pu grandir dans une société où son intelligence est la norme et non l’exception, comme Spock parmi les Vulcains.

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Plusieurs scènes montrent l’hostilité des autres enfants et l’isolement du génie : alors qu’il dessine une pietà sur le béton de la cour de récréation, il confie au spectateur son admiration pour les enfants sportifs, mais l’un d’eux lui lance un ballon qui le renverse. Comment votre personnage explique-t-il son intelligence hors du commun et l’intelligence moindre des autres ? Comment la fait-il intervenir dans sa manière de se présenter ?

« Comment tu m’as appelée ? — Lepton. — Mais qu’est-ce que c’est que ça ? — Tu ne comprendrais pas. — Oh là, attends un peu. Tu n’as qu’à parler lentement. — O. K. Un lepton est une particule Z. Tu sais ce que sont les protons et les électrons ? — Ouais. — O. K. C’est quoi ? — C’est, euh… ces toutes petites choses minuscules qui composent les atomes. — Bien, les leptons sont plus petits1. » Le mépris affiché de sa propre mère jusque dans le choix d’une injure absconse campe parfaitement le personnage dans une tension forte entre maturité intellectuelle et immaturité affective. Mais vous pouvez souligner l’écart entre le génie et les autres de manière plus neutre, plus clinique, et peut-être plus humiliante encore. Pensez à cette réplique mythique de Sherlock Holmes : « Je suis un cerveau, Watson. Le reste de mon individu n’est que l’appendice de mon cerveau. Donc, c’est le cerveau que je dois servir, d’abord. » (Arthur Conan Doyle, Sherlock Holmes, tome 2). Comment votre personnage supporte-t-il la tension et le mode de vie induits par son intelligence ? Dans les œuvres de fiction, les génies ont une hygiène de vie – voire une hygiène tout court  – tout à fait déplorable, du moins aux yeux de leurs contemporains. Se nourrir régulièrement et sainement, faire du sport de temps en temps, dormir la nuit et travailler le jour, faire le ménage, enfiler des vêtements propres – voire des vêtements tout court – ou posséder un réveille-matin, rien de tout cela ne doit vous paraître évident : choisissez dans quels domaines votre personnage s’écarte d’un mode de vie « normal », et surtout comment 1. Notre traduction.

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D’où vient le génie ? À vous de choisir ce qu’en pense l’intéressé : génétique, travail acharné, trouble mental, hasard, prédestination ? Suivant ce qu’il pense de sa propre intelligence, votre génie se fera une idée plus ou moins respectueuse des gens ordinaires. Après un séjour dans une école de surdoués, l’enfant prodige de Little Man Tate appelle sa mère « Lepton » :

les pics de son activité intellectuelle (ceux que va provoquer l’aventure, notamment) se répercutent sur son quotidien. A-t-il une « béquille », comme la logeuse de Sherlock Holmes, Mrs Hudson, qui le maintient au-dessus d’un seuil acceptable pour les autres ? Les questions des stimulants chimiques et de la toxicomanie reviennent presque systématiquement dans les « fictions à génie ». Alcool, café, cigarettes, cocaïne et barbituriques sont souvent associés aux grands esprits créatifs ou déductifs, jusqu’à la caricature. La dépendance de Gregory House à la Vicodin est un thème majeur de la série télévisée. Si vous souhaitez créer un personnage concerné par ce problème, demandez-vous : • quelle est sa substance de prédilection et comment se la procure-t-il ? • comment est née sa consommation ? • comment une éventuelle dépendance est-elle vécue ? • comment réagit-il en cas de privation ponctuelle ou durable ? • comment la substance s’inscrit-elle dans l’activité physique et intellectuelle du génie ? Cette dernière question est particulièrement importante en termes de roleplay. Pour Holmes, morphine et cocaïne sont des béquilles pour tuer le temps entre les enquêtes : « Fournissez-moi des problèmes, donnez-moi du travail, soumettez-moi le plus obscur des cryptogrammes ou la plus complexe des analyses, et là je suis dans mon élément. Je peux alors me passer de stimulants artificiels. Mais j’abhorre la morne routine de l’existence. J’ai un besoin impérieux d’excitation mentale.  » (Arthur Conan Doyle, Le Signe des quatre.) Chez House, au contraire, la Vicodin est un besoin quotidien, la condition pour qu’il puisse travailler et résoudre les énigmes : « Les pilules ne me rendent pas stoned, elles me rendent neutre. » ; « J’ai dit que j’étais accro, pas que j’avais un problème… Les pilules me permettent de faire mon boulot. Et elles soulagent ma douleur. » Il n’est pas certain que votre personnage soit lucide sur ce que lui apporte la substance, ni sur la gravité de sa dépendance ou des effets secondaires du produit : cela peut devenir un thème intéressant pour une intrigue secondaire dans une campagne. Comment votre personnage manifeste-t-il ses phases de réflexion les plus intenses ? Peu importe à quoi et comment pense votre personnage, puisque son génie dépasse largement les capacités de compréhension des autres. L’essentiel est de montrer que son cerveau fonctionne plus intensément, plus efficacement ou simplement différemment du nôtre. Assis à une table de bistrot, il noircira la nappe de schémas incompréhensibles, réalisant trop tard qu’elle n’était pas en papier. Dans le film de Ron Howard A Beautiful Mind, le futur prix Nobel d’économie John F. Nash (Russell Crowe) est raillé par les autres étudiants de Princeton parce qu’il écrit des équations sur les vitres ou parce qu’il peut tomber en arrêt devant des phénomènes optiques du quotidien, comme la diffraction des rayons du soleil dans un verre taillé.

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Interpréter le génie par ses relations

En plus de susciter le rejet ou l’incompréhension par des comportements cryptiques, les génies de fiction ont une fâcheuse tendance à développer des relations malsaines ou atypiques autour d’eux. Les piques cinglantes de Holmes à Watson ou à l’inspecteur Lestrade illustrent autant son génie que son caractère asocial. Dans un groupe de PJ, vous pouvez rendre l’expérience de jeu mémorable, sans nécessairement tirer la couverture à vous, en réfléchissant aux points suivants. Handicap relationnel

Il peut s’agir de comportements excentriques, ou simplement de comportements normaux que vous placez dans des cadres où ils deviennent absurdes et embarrassants. Ce qui fait rire votre génie n’amuse personne d’autre, ou au contraire il peut éclater de rire dans les moments les plus tendus. Son approche des relations humaines peut être totalement gauchie par ses réflexions sur l’alchimie, la logique, les mathématiques ou l’informatique. On voit ainsi Spock être souvent désarçonné par les réactions « illogiques » des autres passagers de l’Enterprise. Règles de conversation Les principes de base de la conversation peuvent lui échapper, ce qui est très facile à récréer autour d’une table. Prenez les cas où House sort du fil des échanges avec ses collègues pour suivre son propre raisonnement, parfois s’absorber dans un jeu sur sa console, puis reprendre la parole de manière incongrue. Ignorez ou retournez le sens des propos des autres, comme le fait souvent Spencer Reid dans Criminal Minds. Lancé dans un monologue sur ses projets du week-end, il entre en salle de réunion. À la fin d’une phrase, son collègue David Rossi tente de l’interrompre : « Je ne veux pas en savoir plus ! », ce qui relance Reid : « Oh si, tu veux savoir ! » et son soliloque reprend. Vous pouvez vous inspirer des « maximes conversationnelles » du linguiste Paul Grice1 pour déterminer le point précis sur lequel votre génie est handicapé dans les interactions courantes. Grice explique qu’une conversation normale est soumise à des maximes de quantité (donner l’information nécessaire mais pas plus), de véridicité (croire à ce que l’on dit et apporter si nécessaire des preuves), de pertinence (inscrire son propos dans le thème de la conversation) et de manière (être clair et compréhensible, ne pas employer d’expressions floues ou obscures). Un génie peu soucieux de la 1. Grice Herbert Paul, « Logique et conversation », in Communication, volume 30, numéro 1, pp. 57-72, 1979.

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Tout bon génie de fiction est caractérisé par une ou plusieurs incapacités à interagir normalement avec les autres. Le plus souvent, ce handicap relationnel se manifeste là où le reste des personnages démontre une forme de normalité ou d’aisance : collaboration, séduction, recherche d’informations simples, voire simples interactions du quotidien, comme une incapacité à entrer dans une boutique pour se procurer du pain ou une paire de chaussures.

maxime de quantité sera soit trop allusif comme Lisbeth Salander, soit trop prolixe comme Spencer Reid. Le docteur House a de vrais problèmes de véridicité et de pertinence. Le professeur Tournesol manque autant de pertinence que de manière. Chaque infraction aux maximes de Grice induit donc un roleplay spécifique pour votre génie. Binômes conflictuels Le jeu de ces handicaps relationnels et conversationnels vous attirera vite les remarques agacées ou amusées d’un ou plusieurs PJ ou PNJ. C’est notamment ce qui arrive à Spencer Reid : alors qu’il achève une démonstration particulièrement technique sur une énigme cryptographique, sa collègue Emily Prentiss lui touche la joue et s’exclame : « Il a vraiment l’air vivant ». On retrouve le même type de binôme conflictuel de manière récurrente dans les premiers Star Trek, où le docteur McCoy s’agace régulièrement de la froide logique de Spock. Vous pouvez aussi, en marge de la partie, vous mettre d’accord avec un joueur pour créer ce type de binôme dès le début de l’aventure. C’est d’autant plus efficace si vous jouez l’un et l’autre des personnages dont les profils ou les statuts sont assez proches pour qu’ils soient amenés à collaborer régulièrement. Symbiose Partiellement ou totalement inadapté à la vie sociale, votre génie peut avoir besoin d’un « docteur Watson » pour assurer l’interface avec le reste du monde. La fonction de Watson chez Conan Doyle dépasse largement celle d’un narrateur ordinaire : il est le chroniqueur des exploits de Sherlock Holmes dans le Strand, mais également son colocataire et son assistant au fil de ses enquêtes. C’est donc une véritable symbiose qui s’établit entre les deux hommes, non sans tensions. Watson est régulièrement amené à arrondir les angles entre Holmes et les autres personnages, mais aussi à transmettre, par ses explications et ses interrogations, les déductions du génie aux simples lecteurs que nous sommes. Holmes définit ainsi Watson : « À supposer que vous ne soyez pas une lumière par vous-même, vous êtes un excellent conducteur de la lumière. Il est ainsi des gens qui, sans posséder eux-mêmes aucun génie, ont le don de le stimuler chez les autres. Je reconnais, mon cher ami, que je vous dois beaucoup. » (Arthur Conan Doyle, Le Chien des Baskerville). Cette définition humiliante est cependant parfaitement illustrative du besoin mutuel qui s’établit entre les deux personnages. Comment doter votre génie d’un Watson autour d’une table de jeu ? Vous pouvez faire valoir l’idée dès la création des PJ, en invoquant pour votre personnage un besoin d’accompagnement : vous êtes convalescent(e), richissime, sous protection policière, sous la surveillance d’un chaperon, sous la houlette d’un mentor ou, au contraire, en tutorat d’un apprenti, etc.1 La question peut aussi émerger au fil d’une campagne, comme par 1. Le binôme flic normal et flic génial peut suffire : pensez à Eames et Goren dans la série Law & Order: Criminal Intent ou à Hart et Cohle dans la première saison de True Detective.

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exemple l’idée de faire raconter vos exploits déductifs par un écrivain. L’essentiel est que le rôle de Watson soit aussi intéressant à jouer que celui d’un autre PJ, il faut donc lui trouver des qualités complémentaires au génie dont il partage les aventures. Séduction et vie conjugale Enfin, savoir si votre personnage pourra séduire et former un couple avec un autre PJ ou un PNJ est un formidable enjeu de roleplay, puisque cet aspect des relations humaines est systématiquement présenté comme compliqué, voire impossible pour les génies dans les fictions traditionnelles.

Ressources lexicales pour les génies

Nous allons aborder les différentes ressources que vous pouvez préparer pour votre personnage en suivant l’exemple de Jedediah W. Blick, un jeune inventeur, métallurgiste et chimiste, toujours enthousiaste et parfois inquiétant. Créé pour Deadlands1, Jedediah compte bien découvrir les propriétés électrochimiques de la Ghost Rock en partant à l’aventure dans le Weird West. Termes génériques

Un génie ne parle jamais de «  trucs  » ni de «  machins  »  : quand vous ne savez pas précisément à quel problème il s’attaque, mobilisez un lexique vague mais élaboré. Pour un génie contemporain, parlez de «  dispositifs  », de «  configurations  », de « macro-composés »… Au lieu d’« examiner un bidule », votre génie « procède à l’échantillonnage d’un composé complexe ». Jedediah qualifie tout « machin » de « solide » ou de « composé » et tout « pékin » de « forme de vie ». Poursuivi par des malfrats, il s’exclame : « Du haut de cette éminence, je peux faire basculer ce composé rocheux sur vous et les formes de vie qui vous accompagnent. » « Koffers »

De même que le petit Tate surprend quand il appelle une assiette « Koffer », prévoyez quelques noms propres à donner à des objets. Choisissez des éléments familiers dans l’environnement des PJ, et trouvez-leur un nom dont votre génie pourra éventuellement prouver l’origine en les examinant. 1. Forbeck Matt, Gorden Gregory, Hensley Shane Lacy, Hensley Michelle, Hopler John, Deadlands, Pinnacle Entertainment Group, Blacksburg, 1996.

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En JdR, la crédibilité d’un génie tient à son langage. Faites-lui tenir des propos dans un français particulier, voire incompréhensible. Si on lui demande d’être plus clair, plus pédagogue, montrez qu’il en coûte au génie de s’expliquer, soit parce qu’il ne sait pas traduire sa pensée en termes simples, soit parce qu’il répugne à s’abaisser au niveau des néophytes.

Le chemin de fer n’est jamais loin dans Deadlands. Jedediah ne parle jamais de « rails » : il cite les fabricants, les modèles et les années comme le ferait aujourd’hui un connaisseur de voitures de sport. En plein désert, alors que l’on distingue à peine la voie ferrée, il pourra dire : « Suivons ces Pennsylvania Special 1831 » ou « Ces T-Section 1852 doivent bien mener quelque part », quitte à montrer à ses compagnons, éventuellement sceptiques, le poinçon du fabricant sur chaque rail. Jargon et techno-babillage

Votre génie doit être capable d’« enfumer » son public avec des termes complexes liés à ses domaines de prédilection, qu’ils soient scientifiques ou ésotériques. Cherchez sur le Web des lexiques spécialisés et vous aurez une foule d’idées que vous pourrez ensuite combiner, du vocabulaire de l’alchimie à celui de l’informatique. À vous de voir, une fois ce jargon assimilé, si vous voulez construire des propos vraisemblables (auquel cas il faudra maîtriser quelques définitions) ou si vous vous contentez d’un « technobabillage » qui sonne comme les phrases d’un expert tout en étant dénué de sens. Les œuvres de science-fiction vous offrent également toutes sortes d’unobtainium, terme employé par les ingénieurs puis par les fans pour désigner un matériau ou un carburant imaginaire, idéal pour embellir les propos d’un savant fou : cavorite, vibranium, turbinium, bombastium… Un génie mégalomane nommera son propre unobtainium d’après son patronyme  : ajoutez -ite, -ium, -ius ou tout autre suffixe à consonance scientifique et le tour est joué1. Dans les domaines surnaturels, reprenez ces idées de techno-babillage et de patronyme pour personnaliser vos sortilèges, objets magiques et potions. Le « disque flottant de Tenser » vient ainsi de l’archimage Tenser (anagramme d’Ernest, fils de Gary Gygax), un des premiers PJ de l’univers de Greyhawk. Pour Jedediah Blick, les lexiques de la métallurgie et de la chimie fournissent l’essentiel du jargon. Le personnage étant conçu comme plutôt ridicule, je cherche les termes les plus abscons que je classe par noms (lyophilisat, docimasie, langelotte, grumillon, peinchebec…), verbes (dulcifier, puddler, oxyder, sursouffler…) et adjectifs (adiabatique, intensiostatique, galvanostatique, stœchiométrique), afin de pouvoir les combiner plus facilement au fil du jeu : « J’étudie un procédé révolutionnaire qui permettra de puddler les grumillons sans sursouffler le peinchebec. » Face aux PJ assez fous pour chercher à le comprendre, il s’expliquera par une nouvelle saillie techno-babillarde : « En d’autres termes, cela revient à dulcifier le peinchebec en condition adiabatique par niveaux constants de tension galvanostatique. » Soucieux de laisser son patronyme dans l’histoire des sciences, Jedediah a par ailleurs créé sa propre unité de mesure pour quantifier les effets de la Ghost Rock : le Blick. Il commente donc ses travaux en termes de « décablicks » ou de « kiloblicks ».

1. Dans une veine comique, nommer votre personnage d’après sa passion est aussi un jeu sur les patronymes : c’est le cas du comte Pacôme de Champignac, qui invente tout à base de champignons dans les albums de Spirou.

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Réactions face au succès et à l’échec

Jedediah est imbu de lui-même et paranoïaque. Il a eu des démêlés avec ses collègues de la côte Est, et les prend régulièrement à témoin, même en plein désert. Il clame ses succès d’un ton revanchard, comme s’il était en pleine réunion de l’Académie des sciences de New York. Il peut crier dans le vide : « Voilà, messieurs les sceptiques : ignorez le docteur Blick et la science se fera sans vous ! » L’échec ne lui est jamais imputable : il découle toujours d’un sabotage ou de mauvaises circonstances. Sa mauvaise foi, quand une expérience échoue ou quand une invention dysfonctionne, est sans limites : « Qui a fouillé dans mon matériel ? Cette cathode a été remplacée par une seconde main, j’en suis certain ! » ; « Bon, ça ne démarre pas… Décidément, la cinétique électrochimique nous joue des tours, sous ce soleil. Dans mon laboratoire, à Albany, vous les auriez déjà, vos balles en argent. »

Conclusion en forme de tricherie : créer des « coups de génie » Vous voilà en possession d’une méthode pour créer et jouer des génies. Mais si votre personnage ne signe pas une ou deux prouesses de déduction dans l’aventure, l’ensemble paraîtra factice. Dans toute bonne fiction « à génie », l’intelligence du personnage est un moteur narratif puissant, qu’il s’agisse de créer une menace globale (Mabuse bâtissant la machine de guerre nazie dans La Brigade chimérique) ou de la contrer (Turing déchiffrant Enigma dans The Imitation Game). Les auteurs de fictions traditionnelles adaptent leur scénario aux hypothèses alambiquées de leur génie, afin que celui-ci soit infaillible. Conan Doyle donne l’impression que Holmes connaît toutes les cendres de tabac grâce à une seule déduction juste : « J’ai trouvé la cendre d’un cigare, que ma connaissance précise des cendres de tabac m’a permis d’identifier comme un cigare indien. J’ai, comme vous le savez, accordé une certaine attention à cette question et écrit une petite monographie sur les cendres de cent quarante variétés de tabac pour la pipe, le cigare et la cigarette. » (Arthur Conan Doyle, Le Mystère de la vallée Boscombe.) En JdR, cela pose problème, puisque le MJ et les joueurs improvisent au moins partiellement. Néanmoins, si votre meneur accepte de se prêter au jeu, voici une

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Aussi génial soit-il, votre personnage reste tributaire de ses résultats aux tests pour arriver à ses fins. Préparez quelques commentaires pour vos succès comme vos échecs. Demandez-vous de manière générale comment votre génie réagit dans les deux cas, puis dotez-le de phrases-types sur lesquelles vous pourrez faire des variations. La réaction à l’échec mérite d’être soignée, car elle a plus de chances de marquer les autres joueurs. Il est rare de voir des génies de fiction assumer leurs revers et se remettre sans un mot au travail. Suivant la psychologie choisie pour votre personnage, faites-le sombrer dans la dépression ou trouvez-lui un dérivatif, un bouc émissaire : ses concurrents ont saboté le matériel, son assistant a été distrait, la météo n’était pas clémente, etc.

technique qui fait son effet. Avant la partie, demandez au MJ une occasion d’avoir un coup de génie sans modifier en profondeur son scénario. Par exemple, l’examen d’un cadavre doit permettre à un groupe de policiers new-yorkais de remonter jusqu’à un soigneur psychopathe travaillant au zoo du Bronx. Les PJ doivent trouver trois indices qui prendront sens une fois envoyés à la police scientifique : des aiguilles de pin autrichien dans le système de ventilation de la voiture du mort, des griffures légères sur son avant-bras droit et un carnet noirci de chiffres, de dates et d’heures sur les deux dernières semaines. Le meneur accepte de passer cette phase de l’enquête et vous donne la clé de la prochaine étape. Tandis que les autres PJ se grattent la tête devant les indices, vous vous exclamez : « Il était stagiaire au zoo du Bronx, bien sûr ! Filons, on peut y être avant la fermeture. » Votre véhicule pénètre dans le parking du personnel du zoo, où le meneur signale la présence de grands pins autrichiens, puis vous montrez le visage du cadavre aux salariés : oui, il débutait comme stagiaire et s’occupait des singes. C’est le moment de jouer les Holmes : « C’était élémentaire (n’en faites pas trop quand même), j’ai étudié les traces de griffes de trois cent quatorze espèces animales quand j’étais au lycée, et seuls les singes-écureuils, ou saïmiris, laissent ces stries caractéristiques sur l’épiderme humain. Cela correspond aux données du carnet : les heures de repas de différents animaux, sur deux semaines, donc l’aide-mémoire d’un stagiaire. Ensuite, il suffisait de savoir dans quel zoo de la région on trouve des pins autrichiens au-dessus des voitures du personnel, et voilà. » La technique ne trompera personne, mais elle va fortement caractériser votre personnage, en reprenant les procédés de Conan Doyle. L’identification d’un type de singe donne l’impression que vous connaissez trois cent quatorze espèces d’animaux qui griffent, et que, en bon génie asocial, vous vous y êtes consacré au lycée. Les aiguilles de pin renforcent l’idée d’une connaissance parfaite de la ville doublée d’une mémoire absolue. C’est surtout le coup d’accélérateur que vous mettez à l’enquête qui fait effet sur le groupe, en reprenant les deux phases si fréquentes dans les enquêtes de Holmes : le moment où le détective suit, dans l’urgence, une idée qui semble farfelue, puis celui où, une fois l’indice acquis, il prend le temps de retracer son raisonnement. On trouve une foule d’exemples similaires dans Dr House, Law & Order: Criminal Intent et Criminal Minds, séries très inspirées du modèle de Sherlock Holmes. Laissons le docteur Watson conclure : « J’admirais la rapidité de sa logique : tellement prompte qu’elle rivalisait avec l’intuition ; elle déroulait toujours ses propositions en partant d’une base solide, grâce à quoi il débrouillait les problèmes les plus compliqués qui étaient soumis à sa sagacité d’analyste. » (Arthur Conan Doyle, Le Ruban moucheté.)

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FICHE DE SYNTHÈSE Créer un génie S’inspirer des fictions traditionnelles Littérature • Double assassinat dans la rue Morgue, Edgar Allan Poe (Dupin, premier détective de génie). • Toutes Les Aventures de Sherlock Holmes, Arthur Conan Doyle (Holmes et Moriarty). • La Stratégie Ender, Orson Scott Card (Ender Wiggin). • Millenium, Stieg Larsson (Lisbeth Salander).

Séries télévisées • Star Trek, Gene Roddenberry (Spock). • Dr House, David Shore (Greg House). • Code Lyoko, Tania Palumbo, Thomas Romain (Jérémie Belpois). • Malcolm in the Middle, Lindwood Boomer (Malcolm, Dewey). • Criminal Minds, Jeff Davis (Spencer Reid). • Law & Order: Criminal Intent, René Balcer, Dick Wolf (Robert Goren). • Sherlock, Mark Gatiss, Steven Moffat (Holmes et Moriarty). Films • Little Man Tate, Jodie Foster (Fred Tate). • Will Hunting, Gus Van Sant (Will Hunting). • A Beautiful Mind, Ron Howard (John Nash). • The Imitation Game, Morten Tyldum (Alan Turing). Psychologie du génie Comment imaginez-vous votre personnage enfant, confronté aux premières manifestations de son génie ? • Dans quelle mesure son génie a-t-il suscité fascination, peur et vexations ? • Cherchait-il à passer pour un enfant ordinaire ? Si oui, y parvenait-il ? Si non, pourquoi ? (Il en était incapable, n’en avait pas envie, etc.) • Garde-t-il un souvenir heureux ou cauchemardesque de son enfance ? Pourquoi ? • A-t-il subi des brimades ou des maltraitances de la part de son entourage ? Lesquelles et pourquoi ?

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Bandes dessinées • La Brigade chimérique, Fabrice Colin, Serge Lehman (Marie Curie, Irène JoliotCurie, Mabuse). • Watchmen, Dave Gibbons, Alan Moore (Ozymandias). • Superman, Jerry Siegel, Joe Schuster (Lex Luthor). • Iron Man, Stan Lee (Tony Stark).

• Comment se manifestent les séquelles ? (Troubles mentaux, traits de caractère marqués, mécanismes de défense, etc.) • Qui admirait-il en secret ? Comment votre personnage explique-t-il son intelligence hors du commun et l’intelligence moindre des autres ? • Comment la fait-il intervenir dans sa manière de se présenter ? • D ’où vient son génie ? (Génétique, travail acharné, trouble mental, hasard, prédestination, etc.) • Dans quelle mesure respecte-t-il ou pas les gens ordinaires ? Comment l’exprime-t-il ? Comment votre personnage supporte-t-il la tension et le mode de vie induits par son intelligence ? • Quel est son mode de vie ? (Nourriture saine, pratique d’un sport, heures de sommeil régulières, hygiène, etc.) • Quelle est sa substance de prédilection et comment se la procure-t-il ? • Comment est née sa consommation ? • Comment une éventuelle dépendance est-elle vécue ? • Comment réagit-il en cas de privation ponctuelle ou durable ? • Comment la substance s’inscrit-elle dans l’activité physique et intellectuelle du génie ? • Est-ce qu’il en consomme pour éviter de s’ennuyer entre deux missions, ou estelle au contraire indispensable à l’exercice de son génie ? • Comment votre personnage manifeste-t-il ses phases de réflexion les plus intenses ? Interpréter le génie par ses relations Quel est son (ou ses) handicap relationnel ? • Ce handicap concerne-t-il une situation quotidienne (lieu ou événement particulier apparemment anodin) ou un type d’interaction spécifique (collaboration, séduction, conflit, hiérarchie, domination, etc.) ? • Dans quels cadres adopte-t-il une attitude inappropriée ? Pourquoi ? • Qu’est-ce qui le fait rire ? • Quels sont les filtres qui le poussent à avoir un comportement décalé dans certaines situations ? À quelles règles de conversation votre personnage ne peut-il pas se plier ? • Est-ce que votre PJ sort des échanges pour suivre son propre raisonnement ? Ignoret-il ou retourne-t-il le sens des propos des autres ? A-t-il tendance à monologuer ? • Quelle(s) maxime(s) de Grice votre personnage est-il incapable de respecter ? a. Maxime de quantité (donner l’information nécessaire mais pas plus). b. Maxime de véridicité (croire à ce que l’on dit et apporter si besoin des preuves). c. Maxime de pertinence (inscrire son propos dans le thème de la conversation). d. Maxime de manière (être clair et compréhensible, ne pas employer d’expressions floues ou obscures).

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Quel PJ pourrait être son binôme conflictuel ? • Existe-t-il un joueur avec lequel vous pouvez vous mettre d’accord pour mettre en place cette dynamique d’échanges conflictuels ? • Sur quels points votre binôme est-il susceptible de réagir, et comment ? • Quelle est la réaction de votre personnage lorsqu’il est attaqué ?

Séduction et vie conjugale • Votre PJ est-il capable ou éprouve-t-il le besoin de séduire ou d’être en couple ? • Est-il attiré, romantiquement et/ou sexuellement, par les autres ? • Dans quelle mesure a-t-il une vision différente des relations de couple ? (Polyamour, couple libre, besoin rapide d’engagement, dépendance affective, etc.) • Comment son génie fait-il irruption dans ses relations amoureuses ? Ressources lexicales pour les génies Termes génériques • Quels sont les termes emblématiques de la manière de parler de votre PJ ? • Quels sont les mots de la vie courante que vous pouvez remplacer par des synonymes propres à votre PJ ? Nommer les objets • Quels sont les éléments familiers que vous pouvez appeler par un nom propre qui montrera le savoir encyclopédique de votre génie ? Jargon et techno-babillage • Quels sont les termes complexes liés à sa spécialité ? • Comment pouvez-vous combiner les mots du lexique spécialisé de deux domaines scientifiques différents pour aboutir au jargon propre à votre PJ ? • Allez-vous essayer de tenir des propos cohérents, ou allez-vous vous contenter d’un « techno-babillage » ? • Utilisez-vous des mots typiques de la science-fiction ou créez-vous les vôtres avec les suffixes -ite, -ium ou –ius ? • Est-ce que votre personnage a donné son nom à une de ses découvertes en lui ajoutant un de ces suffixes ?

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Avec quel PJ pourrait-il être en symbiose ? • Quel est le rôle de ce personnage symbiotique ? (Protéger votre PJ, faire la liaison avec le reste du monde, lui permettre de garder les pieds sur terre ou d’affronter le monde extérieur, muse, sparring partner, stimulateur, etc.) • Pourquoi votre personnage en a-t-il besoin ? (C’est son médecin, son mécène, son agent de probation, sa grande sœur, son mentor, son tuteur, son apprenti, etc.) • Comment rendre le rôle de cet autre PJ aussi intéressant que le vôtre ?

Réactions face au succès et à l’échec • Comment est-ce que votre génie réagit dans les deux cas ? • Assume-t-il ses échecs ou trouve-t-il une excuse pour les justifier ? • Est-il paralysé après un échec, ou au contraire a-t-il soif de « revanche » ? • Est-il arrogant après une réussite ? • Quelles sont les phrases-types qu’il prononce dans un cas ou l’autre ? Créer des « coups de génie » • Demandez au MJ une occasion d’avoir un coup de génie sans modifier en profondeur son scénario.

Se laisser surprendre



J

ouer pour découvrir ce qui va se passer1 (autrement dit chercher à être étonné par une histoire dont nous sommes pourtant un des acteurs) est un des principes du JdR. Plus encore, cette combinaison entre suspense et interaction est très probablement une des sources du plaisir que nous y trouvons. Or, si nous avons l’habitude d’être surpris par le MJ et ses effets de mise en scène, ou par nos compagnons de jeu, qu’en est-il de notre propre personnage ? Peut-il nous surprendre ? Et, par son entremise, peut-on se surprendre soi-même ? À première vue, cela semble difficile, voire impossible. Comment pourrait-on se laisser abuser par cette création imaginaire alors que nous la connaissons, que nous avons choisi ce qui la définit et que nous sommes à l’origine de toutes ses décisions ? Et pourtant notre personnage peut nous échapper, même si c’est dans des proportions très variables. En général, cela arrive quand nous sommes tellement absorbés par la partie que nous jouons instinctivement, sans aucune médiation consciente ou prise de recul. Bien que cela ne soit pas systématique, il n’est pas rare que nous soyons alors à fleur de peau et bien incapables de distinguer si c’est la volonté du personnage ou celle de la joueuse qui s’exprime. Ces situations, que certains théoriciens assimilent

1. Un des mantras d’Apocalypse World.

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surprendre

Peggy Chassenet, Coralie David et Jérôme Larré

aux notions de flow1, de bleed2 ou d’immersion (selon leur approche du phénomène), sont très intenses et activement recherchées par une partie des rôlistes. Il n’existe malheureusement pas de technique permettant de générer à coup sûr ces situations de jeu si particulières. Toutefois, il existe de nombreuses pistes et astuces qui favorisent leur émergence. Cet article a pour objectif de vous en proposer quelques-unes. Commençons par évoquer une soi-disant évidence, avant de réfléchir aux manières de préparer notre personnage pour qu’il nous surprenne. Nous verrons ensuite comment jouer pour être surpris et, enfin, comment détailler une thématique particulièrement efficace pour provoquer les situations évoquées plus haut.

La fausse évidence de l’aléatoire Les dés et le paradoxe de la surprise

Pour créer de la surprise, il existe une solution qui semblera sans doute évidente à la plupart des rôlistes : déterminer les réactions de son personnage au hasard. On peut imaginer des tables complexes ou des méthodes bien plus simples, comme tirer un dé à six faces et adopter une attitude plutôt défensive ou évasive sur un 1 ou un 2, passive sur un 3 ou un 4 et agressive ou conquérante sur un 5 ou un 6. Procéder ainsi a quelques avantages indéniables. Les dés amènent mécaniquement une bonne dose d’imprévu, ce qui favorise de façon presque automatique la surprise. De plus, se forcer à incorporer ces éléments aléatoires dans son jeu permet d’éviter de reproduire sans cesse les mêmes schémas. Cette méthode pousse à se diversifier plus facilement tout en proposant un défi des plus intéressants. Au-delà de simplement générer de la surprise, cette astuce devient aussi une contrainte créative. Toutefois, elle n’est pas idéale. En effet, malgré ses attraits, elle comprend un risque réel : trop utilisée, elle peut lasser les joueuses. En tant que spectateurs, nous avons de grandes chances de voir notre suspension volontaire d’incrédulité voler en éclats. Autrement dit, l’aspect aléatoire risque de mettre à mal la cohérence de la partie et de l’amener vers un grand n’importe quoi mal contrôlé. Car, s’il n’est guère difficile d’intégrer quelques éléments inattendus à son jeu (enfin, pour une méthode aussi simple que celle donnée plus haut, ceci est naturellement moins vrai avec des tables plus complexes), encore faut-il que l’histoire globale, mais également l’intégrité de tout ce qui la compose, soit respectée. En effet, pour que 1. « […] l’état dans lequel les gens sont si impliqués dans une activité que rien d’autre ne semble avoir d’importance ; l’expérience elle-même est si plaisante que les gens la poursuivront, même si cela leur coûte, juste pour le simple fait de la vivre. » C sikszentmihalyi Mihaly, Flow: The Psychology of Optimal Experience, Harper and Row, New York, 1990. 2. À ce sujet, consultez l’article « Exploiter la distinction entre joueur et personnage », p. 195.

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nous nous intéressions suffisamment à ce qui est en train de se passer, nous ne devons pas avoir l’impression que l’action contredit ce que nous imaginons de l’univers, la psychologie des personnages ou, plus largement, la logique. D’une certaine façon, si nous butons sur quelque chose, nous risquons d’avoir l’impression que la partie ne mérite pas notre engagement et de décrocher. De plus, en tant qu’auteurs de la partie, nous sommes confrontés à l’autre versant de ce même problème : réussir à conserver la cohérence de l’ensemble et à éviter que l’histoire ne devienne absurde et insensée. Sans cela, en abusant de l’aléatoire, nous courons le risque de perdre à la fois tout contrôle sur ce que fait notre personnage, mais aussi sur la façon dont celui-ci arrive à ses fins. D’une certaine façon, cela revient à ne plus jouer. Ceci amène au paradoxe suivant  : pour apprécier de nous laisser surprendre par des événements, nous devons être capables de les prévoir partiellement ou de leur trouver une certaine forme de logique, et donc de ne pas être totalement pris au dépourvu. Autrement dit, nous ne pouvons être agréablement surpris que par ce que nous arrivons partiellement à anticiper. Il est donc critique de trouver un équilibre entre cohérence et imprévisibilité.

Heureusement, il existe bien des astuces qui permettent d’allier les deux. Celles-ci sont à combiner avec les nombreuses techniques données dans les pages suivantes, afin de les adapter exactement à ce que vous souhaitez. En effet, il faut les doser plus ou moins finement en fonction de la façon dont on souhaite jouer à la table, du rythme de la partie, etc. Ainsi, si la méthode la plus courante pour créer de l’imprévu est d’utiliser un simple dé sur une table prédéterminée, nous vous conseillons d’en parler avec votre meneur et d’envisager également : • de faire plusieurs tirages et de choisir le plus pertinent, ce qui ralentit un peu la résolution de l’action et nécessite d’avoir des tables assez variées pour éviter toute lassitude, mais qui garantit d’avoir bien plus de chances d’avoir des propositions cohérentes ; • d’utiliser des mécaniques de réserves (ce qui revient à gérer une « main » si vous utilisez des cartes) pour vous permettre d’avoir un impact sur le hasard tout en évitant les résultats vraiment hors de propos ; • d’éviter les tables génériques et de privilégier celles créées par le meneur1 ou les auteurs du jeu, spécifiquement pour ce à quoi vous êtes en train de jouer ; 1. À ce sujet, consultez également l’article « Adapter une œuvre pour en faire un scénario » dans Mener des parties de jeu de rôle, p. 55.

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Arbitrez entre cohérence et imprévisibilité

• de choisir un résultat sur la table, mais en prenant l’habitude de toujours refuser votre première idée et en essayant de varier le plus possible vos réponses. Cette méthode, peu courante, offre une dose d’imprévu plus élevée que l’on s’y attend habituellement ; • de solliciter les autres joueuses. Même si on peut craindre que certaines essayent de donner des résultats qui les avantagent, leur créativité est généralement la garantie d’avoir des péripéties à la fois imprévues, pertinentes et stimulantes ; • etc. Ces variations sembleront aller de soi à nombre de rôlistes, mais elles ne deviendront utiles – et bien moins évidentes – qu’en les combinant avec ce qui suit. Ainsi, il sera sans doute bien plus déconcertant pour une joueuse de demander à une autre de définir une partie de l’historique de son personnage que de le tirer dans une liste.

Préparez votre personnage à vous surprendre Concentrons-nous un moment sur la création de personnage1, justement. Dans la plupart des JdR, il s’agit d’une étape préliminaire indispensable à la partie. Elle consiste généralement à imaginer et décrire un personnage à l’aide de caractéristiques chiffrées, de compétences ou de traits, et d’un historique, aussi appelé background. Lors de cette phase, les possibilités qui s’offrent à nous sont pour ainsi dire infinies. Pourtant, nous avons souvent tendance à manquer d’audace et à nous enfermer dans nos habitudes en jouant toujours le même genre d’alter ego. Or, accepter de sortir de sa zone de confort permet justement de se renouveler et de se laisser surprendre plus facilement. Ainsi, le premier pas pour se préparer à être surpris est sans doute d’éviter de reproduire un personnage que l’on connaît déjà. Il existe plusieurs techniques simples, comme utiliser un personnage prétiré2, s’inspirer d’un personnage de fiction ou d’une personne réelle, laisser des zones de flou dans l’historique ou le parsemer de dilemmes potentiels, etc. Utilisez des prétirés

Lorsque l’on recycle sans cesse les mêmes concepts de personnages, que cela soit volontaire ou non, une solution intéressante peut être de jouer un prétiré. Cela consiste à demander à quelqu’un, généralement le meneur, de le créer à votre place ou de le récupérer quelque part (livres de la gamme, Internet, etc.). Non seulement utiliser un prétiré vous permet de jouer autre chose, avec des choix que vous n’auriez pas faits de vous-même, mais c’est aussi l’occasion de prendre des risques et de se laisser surprendre. Ceci est d’autant plus efficace que la plupart du 1. À ce sujet, consultez également l’article « Créer un personnage », p. 29. 2. Personnages qui ont été créés au préalable pour la partie, par le MJ ou par l’auteur du jeu ou du scénario.

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temps, cela ne concerne pas un unique personnage, mais bien l’ensemble du groupe. Celui-ci est alors généralement cohérent et ses membres déjà impliqués dans un réseau de relations complexes. Aussi, c’est bien souvent une opportunité pour ne plus jouer un aréopage disparate d’individualités fortes et partiellement compatibles, mais bien une véritable troupe de personnages conçus pour créer du jeu en permanence les uns pour les autres. Cela vous semble intimidant ? Essayez-vous à ce genre d’exercice sur des parties courtes et non sur des campagnes. Si vous n’êtes pas à l’aise avec les personnages, ou avec cette façon de jouer souvent plus centrée sur ces derniers, vous pourrez plus rapidement en changer. De même, selon les groupes, il n’est pas toujours bienvenu de demander au meneur de fournir des prétirés. Cela revient à accroître le temps qu’il passe à préparer la partie tout en faisant peser sur lui une responsabilité généralement dévolue aux joueuses. Là encore, il existe des solutions, comme prendre un personnage servant d’exemple dans le livre de base ou sur le site de l’éditeur, mais l’essentiel reste d’en parler, ou au minimum de vous assurer que le personnage en question soit viable dans cette campagne. Car derrière la volonté de ne pas créer son personnage se cachent souvent d’autres aspirations, comme celle d’expérimenter et de découvrir de nouveaux horizons.

Selon les cas, cette astuce pourra se rapprocher de celles consistant à utiliser un prétiré ou de laisser des zones de flou dans votre historique, voire être une combinaison de deux. L’idée est la suivante : au lieu de demander au meneur de créer un personnage supplémentaire, vous vous accordez sur une personnalité que vous connaissez tous les deux. Vous allez le créer en fonction des points sur lesquels vous êtes d’accord. Ainsi, comme presque ceux de tous les autres, votre D’Artagnan sera un cadet de Gascogne, gouailleur, maladroit, peut-être même parfois naïf, mais très doué à l’escrime. Tout le reste, par contre, sera à votre discrétion, de la distribution de ses points de compétences à celle de ses points d’expérience. De même, à part quelques moments clé de sa vie, tout le reste sera au bon vouloir du meneur, tant qu’il pourra justifier que l’histoire jouée donnera naissance, d’une façon ou d’une autre, à la version officielle retenue par les historiens. En procédant de la sorte, vous devriez combiner la plupart des avantages d’un prétiré et réussir à obtenir un historique contenant des zones de flou exploitables.

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S’inspirer d’un personnage connu (fictif ou réel)

Semez des dilemmes dans votre historique

L’historique (ou background), c’est tout ce que votre personnage a vécu avant que la partie ne commence. Ce sont à la fois des événements, mais aussi la manifestation de son caractère lorsqu’il est sous pression, l’illustration de sa façon d’agir, etc. Il n’est pas rare que le meneur demande aux joueuses de le résumer par un texte de longueur variable lors de création du personnage. Pour lui, l’objectif est double : favoriser la création de PJ cohérents narrativement et y trouver de la matière. C’est un des endroits où il ira en puiser en priorité lorsqu’il aura besoin d’inspiration pour de nouvelles intrigues, situations, etc. À sa lecture, le meneur doit donc aisément comprendre ce que vous souhaitez voir apparaître en jeu. D’une certaine façon, c’est une sorte de « lettre au Père Noël ». C’est pour cela qu’il est important de tout faire pour que ce dernier puisse se l’approprier (clair, d’une taille raisonnable, etc.)1 et d’y mettre les germes de ce qui vous intéresse le plus. L’idée pour être surpris est de bien y faire figurer des éléments entre lesquels votre personnage pourra être tiraillé plus tard, sans forcément choisir pour l’instant ce qui compte le plus à ses yeux. Ainsi, il y a fort à parier que le meneur s’en emparera pour justement mettre en avant ces dilemmes. Certains jeux proposent des mécaniques spécialement conçues à cet effet (valeurs de Pendragon ou de Tenga ; beliefs, instincts et traits de Burning Wheel, etc.), mais vous pouvez très facilement faire sans. Il vous suffit de créer des contradictions, directes ou à venir, entre certaines des valeurs de votre personnage, entre ses valeurs et son devoir, ses motivations ou ce qui le définit, entre tout cela et ce que la société attend de lui, etc. Ainsi, on peut imaginer quelqu’un de fondamentalement pacifique, mais qui souhaite venger les siens d’un massacre qui a eu lieu pendant son enfance, un paladin malgré lui, une pirate dont les manières feraient rougir le dernier des soudards, mais qui doit donner le change en présence du PJ dont elle s’est entichée, etc. Si le meneur joue le jeu, il y a de grandes chances que vous soyez surpris. Tout d’abord, parce que vous ne savez pas forcément à l’avance quels éléments il souhaitera opposer parmi ceux que vous avez décrits, ni quand ou comment il s’y prendra pour mettre en jeu leur opposition. Quand bien même vous en anticiperiez une partie, cela créerait une forme de suspense qui vous permettrait d’apprécier la chose et de préparer les scènes à venir. Ensuite, s’il ne s’agit pas d’un faux dilemme, par exemple parce que le choix serait trop évident, il y a de grandes chances pour que vous ne puissiez vous fonder sur rien d’autre que votre inspiration du moment. En d’autres termes, c’est une fois au pied du mur que vous découvrez de quelle étoffe votre personnage est fait. De plus, comme il s’agit d’éléments importants de sa personnalité, vous êtes presque sûr que ces dilemmes vont changer la façon dont vous le jouez. En effet, au seul instant qui comptait vraiment, votre personnage a choisi de mettre de côté telle ou telle valeur qu’il pensait fondamentale pour lui, ou n’a pas su agir et est resté tétanisé… peu importe. Cela vous donne de toute façon de nombreuses pistes pour le jouer avec un intérêt renouvelé ! 1. À ce sujet, consultez également l’article « Créer un personnage », p. 29.

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Prenons un des exemples les plus usés de la culture populaire, L’Empire contre-attaque. Luke Skywalker est un orphelin admirant son père disparu, portant haut des valeurs chevaleresques et s’étant engagé sur de nombreux niveaux : auprès de ses amis (affectif), de Leia (romantique), de la Rébellion (politique) et d’Obi-Wan Kenobi (mystique et éthique). Lorsqu’il apprend que le principal ennemi de ses amis, de la Rébellion, des jedi et l’assassin de son mentor est en réalité son père, il est paralysé, hurle et se jette dans le vide plutôt que d’avoir à choisir entre la reddition, la mort ou un second souffle peu crédible. Si cette scène avait été jouée, il est probable que la joueuse incarnant Luke aurait été surprise par sa propre décision, et donc par la nouvelle direction de l’histoire. Laissez des zones floues

Comme expliqué précédemment, pour la joueuse, l’historique est censé donner de la consistance et du caractère au personnage. Pourtant, cette étape n’est pas indispensable et il est tout à fait possible de jouer un personnage intéressant qui en soit dépourvu1. S’affranchir de cette étape ne signifie pas pour autant que notre PJ sera forcément un orphelin amnésique, sans famille et sans passé. Il possède son histoire, mais nous ne la connaissons pas encore. Elle va se construire au fur et à mesure de la partie en fonction des besoins et des opportunités du jeu. Au-delà de son passé, c’est également son caractère, ses traits de personnalité ET ses habitudes que l’on va poser pièce après pièce.

Prenons un exemple : Jared est un gamin de la grande ville, il est arrivé à Hawkins il y a peu. Au lycée, il porte toujours des manches longues, pour cacher ses bras. En dehors des cours, il traîne en ville avec sa bande, à la recherche de la prochaine connerie à faire. Il faut bien qu’il s’occupe dans ce trou à rats… Ainsi, en plus de ce qu’il nous apprend sur Jared, ce paragraphe soulève de nombreuses questions laissées en suspens : • de quelle ville vient Jared ? • pourquoi en est-il parti ? • pourquoi cache-t-il ses bras ? • qui sont les membres de sa bande ? • quel genre de conneries font-ils ? Vous pouvez déjà avoir une idée des réponses à ces questions ou pas, l’essentiel est que vous choisissiez de les laisser volontairement ouvertes, en partant du principe que les réponses arriveront au cours de la partie en cas de besoin. On peut faire le parallèle 1. À ce sujet, consultez également l’article « Développer un personnage au fil du jeu », p. 49.

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Cependant, le plus efficace est sans doute de ne décrire que partiellement cet historique et de laisser le reste dans le flou.

avec une série télé, où il est très rare de tout connaître du personnage principal dès le premier épisode, et où une partie du plaisir viendra de la découverte qui, elle-même, arrivera en fonction des besoins de l’intrigue. D’un point de vue purement pratique, l’intérêt de procéder de la sorte est tout d’abord de gagner du temps. Cela permet non seulement d’en passer moins à imaginer son personnage, mais également de le prendre en main plus rapidement pour entrer plus vite dans le jeu. De plus, cela réduit les chances de céder à deux travers classiques, à savoir celui de la panne d’inspiration ou au contraire du remplissage forcé. En effet, lors de la création du personnage, une joueuse a souvent une idée, un concept, mais ne connaît pas encore tout de son alter ego, ni ne sait quel a été son passé. À l’inverse, si elle préfère écrire de longs backgrounds, cela lui permet de le faire progressivement, et notamment d’éviter la frustration de voir celui de son personnage entièrement laissé de côté. Là, la discussion avec le meneur et les autres joueuses reste ouverte. Mais surtout, c’est un moyen de découvrir son personnage au fur et à mesure de la partie, sans que celui-ci ne soit prisonnier de son histoire. Et c’est bien l’objet de cet article : le plaisir de ne pas tout savoir et de jouer pour le découvrir, sachant que n’importe qui peut s’emparer des zones de flou en question pour faire travailler sa créativité. Selon les cas, le meneur peut se servir d’un de ces points en suspens pour amener une nouvelle dimension, tout comme vous pouvez choisir de développer tel ou tel aspect. Autrement dit, on peut se servir de ces béances pour apporter des réponses, comme de nouvelles questions qui relanceront votre intérêt pour la partie. Cela permet notamment d’éviter d’avoir le sentiment d’avoir « épuisé » l’historique de ce personnage et que celui-ci ne vous servira plus à rien à l’issue de tel ou tel arc narratif. Jouez pour tirer parti des zones floues

Naturellement, laisser des zones de flou dans son personnage ne suffira pas à vous surprendre. Vous devrez jouer de façon à les combler. L’idée est d’éviter d’interpréter votre alter ego comme quelqu’un de figé, mais au contraire de faire en sorte qu’il se développe au fil du jeu, en fonction de ce qu’il va vivre, des questions qu’il va se poser, des difficultés qu’il va rencontrer, et bien entendu des autres personnages qui l’entourent. D’une certaine façon, c’est autant l’histoire qui va le construire que l’inverse. Alors, ne cachez pas ces zones de flou. Jouez de façon à leur permettre de se retrouver au centre de l’action, sans forcément présumer de la façon dont tout cela va finir, et attendez-vous à ce que le meneur fasse de même. Par exemple, si vous n’avez pas abordé les études de votre personnage dans son background, n’hésitez pas en cours de jeu à lui faire contacter un ancien professeur ou son amourette de l’époque, même si vous ne savez pas où vous allez. Vous pouvez les définir davantage si vous le souhaitez, mais vous n’avez pas besoin d’en dire beaucoup plus pour que le MJ s’en empare et remplisse les blancs. Paradoxalement, laisser une zone de flou sur un élément revient à envoyer un signal au meneur indiquant que vous voulez jouer avec au cours de la partie, et que cela doit être un des axes de développement de votre personnage. 284

Cela ne concerne pas que l’historique Si vous pouvez laisser des zones de flou dans l’historique de votre personnage, vous pouvez également le faire d’un point de vue technique. Certains jeux, comme Inflorenza1 ou Tranchons & Traquons2 préconisent par exemple d’accepter que l’on ne définisse pas tout dès le départ, quitte à garder des points de création pour plus tard. Et après tout, si ce n’est pas son concept et que cela ne transparaît donc pas dans tous ses gestes, quelle est l’importance de savoir si votre personnage sait se battre avant que le premier combat n’ait lieu ? Ou même un peu plus tard, si on est capable de justifier son comportement lors de ce dernier ? On sera à même de dépenser ce qui doit l’être en cours de jeu, quand on constatera ce qui est utile. Ou amusant. Ou dramatiquement approprié. Peu importe, en fait.

Revenons à Jared. La scène a lieu après plusieurs parties avec le même groupe de joueuses. Le meneur prononce alors la phrase suivante  : «  Lors d’une bagarre dans les couloirs du lycée, Jared se fait malmener, la manche de son T-shirt se déchire, et laisse apparaître… » C’est désormais le moment de trouver la réponse à la question : « Que cache-t-il ? » À noter d’ailleurs que si, dans cet exemple, c’est le meneur qui pose la question et vous qui répondez, rien n’empêche d’inverser les rôles, voire de faire intervenir d’autres joueuses. Quoi qu’il en soit, après avoir joué ce personnage sur plusieurs parties, il vous est devenu plus familier. Vous connaissez également mieux son environnement, ainsi que les autres membres de son groupe. Il y a fort à parier que votre réponse sera donc très différente de ce que vous auriez pu proposer à la création. Selon ce qui vous semble important à ce moment-là, elle pourra être plus drôle, plus surprenante, plus propice à relancer l’action, plus viscérale, plus adaptée au genre, etc. Peu importe, elle sera très probablement à la fois plus adaptée et plus intéressante. D’ailleurs, en répondant à la question, voire en la lisant la première fois, vous avez sans doute déjà commencé à échafauder une théorie quant aux événements qui ont mené à cette situation. C’est une très bonne chose, car cela signifie que l’on peut répondre à la question sans pour autant avoir tout dit sur le

1. Munier Thomas, Inflorenza, Outsider, 2014. 2.Jeannette Alexandre, Tranchons & Traquons, Les Livres de l’Ours, 2011.

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En procédant de la sorte, vous serez probablement tenté de faire un personnage bien plus original  : il sera nourri des événements des premières séances et vous hésiterez peutêtre moins à prendre le contre-pied de ce qu’il semblait être. De plus, les ajustements qui suivent ont généralement tendance à être complétés par des justifications dans l’historique du personnage ou de l’univers, ce qui rend l’ensemble bien plus riche et fouillé.

personnage. Donnez une vraie réponse – sinon ce ne serait qu’un vulgaire jeu de dupes, mais n’allez ni trop loin ni trop vite. Vous aurez, ainsi que vos camarades, à la fois le sentiment d’avancer et de mieux connaître votre PJ, mais aussi des mystères à découvrir le concernant, de quoi rebondir et continuer à vous poser des questions sur ce dernier. Ces interrogations ouvrent plus de possibilités qu’une simple réponse. Le secret devient plus intéressant et fait partie intégrante de l’histoire. Ainsi, Jared peut cacher sous ses manches un tatouage écrit dans une langue étrange, des marques de brûlures, un bras cybernétique et bien d’autres choses encore. Ce sont autant de propositions qui amèneront en leur temps de nouvelles réponses et de nouveaux développements. Cette gymnastique implique d’apprendre à distinguer les opportunités que vous offre la partie de peaufiner votre personnage. Toutefois, avec l’expérience, vous vous apercevrez rapidement que presque toutes les scènes peuvent s’y prêter, mais que tous les développements ne se valent pas. Par exemple, évitez de vous servir de cette technique uniquement comme d’un moyen d’avantager votre personnage en justifiant exactement ce qui pourrait le sortir d’affaire sans que cela ne rende l’histoire plus intéressante pour tout le monde. Vous pourrez certes toujours en tirer profit, mais évitez que cela ne serve qu’à cela, surtout si les autres joueuses risquent de le percevoir comme une tricherie. Demandez-vous plutôt si ce que vous proposez va faire rebondir l’histoire et intriguer aussi vos camarades. Par exemple, si vous savez que le meneur accepte ce genre de choses, ou que vous jouez à un jeu qui intègre ce type de mécaniques (comme Hellywood, par exemple), n’hésitez pas à proposer un flash-back permettant d’ancrer un élément du passé et d’intégrer davantage de choses dans la partie, plutôt que de vous contenter de justifier une capacité technique dans le présent. Gardez en tête que votre personnage n’existe que parce qu’il est imaginé en commun par toutes les joueuses, meneur compris. Contrairement à celui du romancier qui couche ses protagonistes sur le papier sans rien demander à personne, votre créature ne prend vie que parce que d’autres personnes valident son existence en en tenant compte dans ce qu’ils disent ou font au sein d’une partie. Aussi, sauf cas très particuliers, dès que vous énoncez quelque chose le concernant, vous changez la perception que vos camarades en ont et cette chose devient immédiatement vraie. C’est en le jouant que vous aidez votre personnage à prendre corps, et que vous apprenez à le connaître. En fait, vous continuez à le créer1. À chaque nouvelle partie, vous pouvez creuser plus profondément dans sa vie, dans sa personnalité, dans son histoire.

1. À ce sujet, consultez également l’article « Développer un personnage au fil du jeu », p. 49.

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Jouez pour être surpris Nous venons de voir comment créer un personnage pour être surpris, et notamment comment le développer à partir des zones floues laissées dans son background. Si tout cela reste d’actualité, voici quelques autres principes à utiliser plutôt pendant la partie, indépendamment de la phase de création. Tout comme l’idée de ne pas distribuer tous ses points dès le départ, certaines de ces techniques peuvent être perçues comme de la triche ou de l’antijeu par certaines joueuses si elles sont mises devant le fait accompli. Aussi, n’hésitez pas à en discuter avec le reste de la table pour éviter que votre volonté de vous aventurer hors de votre zone de confort ne se transforme en une véritable gêne que vous imposeriez alors à des personnes qui n’ont rien demandé de tel. Ces principes à utiliser en cours de partie sont au nombre de cinq : favoriser la prise de risque par la bienveillance, s’adapter aux envies des autres, lâcher prise, accepter les propositions directes et choisir la focalisation du groupe.

Aussi évident que cela puisse paraître, se laisser surprendre par son personnage nécessite de s’autoriser à être surpris. Concrètement, cela implique d’accepter de ne pas avoir un contrôle total sur ce qui se passe autour de la table, mais également que cela ait une influence sur ses émotions. Dans une telle configuration, sortir de sa zone de confort devient presque une finalité, sinon un indicateur permettant de savoir jusqu’où on est allé. Si on ne s’est pas senti en difficulté, est-ce parce que c’était moins ardu que l’on ne le pensait ou parce que l’on n’a pas pris le risque d’être surpris ? Cette seconde possibilité n’a rien de honteux, mais il est important de jouer suffisamment en confiance pour pouvoir se permettre d’expérimenter, d’échouer, de se tromper, de réaliser une contre-performance, etc. Une des principales façons d’y parvenir est sans doute d’instaurer un principe de bienveillance et d’en faire le cœur des relations entre tous les participants, quitte à l’expliciter le plus clairement possible en début de partie1. Vos personnages peuvent se faire les pires crasses possible, avoir un comportement horrible ou subir mille revers, cela sera fait pour le plaisir2 des joueuses, meneur compris, et sans entacher les relations de ces dernières. De même, si une d’entre elles se trompe ou se sent en difficulté, ses camarades doivent être assez bienveillantes pour ne pas le lui reprocher plus que de raison. Au contraire, elles doivent lui venir en aide. Cela peut prendre diverses formes : partager leurs « trucs », essayer de lui rendre les choses plus faciles, lui proposer des idées, créer du jeu pour son personnage3, etc.

1. À ce sujet, consultez également l’article « Jouer ensemble », p. 129. 2. Quitte à ce que celui-ci ne soit pas immédiat. 3. À ce sujet, consultez également l’article « Créer du jeu pour les autres », p. 179.

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Favorisez la prise de risque par la bienveillance

adaptez-vous aux envies des autres

Une autre façon de bâtir une relation de confiance entre les joueuses est de les aider à être conscientes de ce dont les autres ont envie et de leur permettre d’en tenir compte durant la partie. Ces échanges suggèrent généralement une direction ou une action, voire parfois une façon de jouer. Si quelqu’un à la table nous dit : « j’ai envie de voir comment ton perso gère le fait d’avoir provoqué la condamnation d’un innocent… », c’est l’occasion de suivre cette voie et de voir où elle nous mène. Si on ne l’avait pas prévue, elle entraînerait de la surprise, certes, mais aussi une forme de fraîcheur et un renouvellement souvent salvateur. Comme nous l’avons vu, partager ses envies peut passer par l’expression d’un contrat social clair, mais certains jeux vont jusqu’à le formaliser dans leurs règles. Dans Apocalypse World, le meneur et une autre joueuse choisissent chacun une des caractéristiques de votre personnage : cool, dur, sexy, rusé ou zarb. C’est une façon de vous dire comment ils souhaiteraient que vous le jouiez. Durant la partie, à chaque fois que vous faites un jet de dés impliquant une de ces caractéristiques, votre PJ gagne de l’expérience. Monsterhearts propose une mécanique qui reflète l’emprise émotionnelle que les personnages ont les uns sur les autres. En dépensant un « ascendant », vous pouvez proposer à une autre joueuse de recevoir un point d’expérience pour que son personnage se laisse convaincre de faire quelque chose de spécifique. Libre à elle d’accepter ou de refuser la proposition. Dans Arbre1, chaque joueuse incarne le Goupil du personnage d’un de ses camarades, c’est-à-dire sa petite voix intérieure. Ainsi, elle peut lui faire des suggestions, que ce soit pour le faire douter ou pour le pousser à se dépasser. Là encore, personne n’est obligé de les suivre, mais il existe des récompenses spécifiques pour ceux qui le font. Lorsque ce n’est pas prévu dans les règles, il n’est pas très compliqué d’adapter cette mécanique. N’hésitez pas à en parler avec votre meneur. Dans un monde fantasy, la voix intérieure du goupil peut aisément être remplacée par celle d’un objet magique, d’un guide spirituel, voire d’un familier. Là encore, certains jeux semblent même être faits pour ça : Bloodlust, Dieux ennemis2, P’tites sorcières3. Dans un univers futuriste, ce ne sont pas les I.A. ou les opérateurs à la Matrix qui sont difficiles à justifier, mais le plus simple, pour un effet souvent suffisant, est encore de se contenter de donner un communicateur aux personnages. Si vous préférez des jeux horrifiques, outre de classiques confidents Internet, on peut imaginer une voix qui résonne dans leur esprit, comme celle d’un psychiatre, d’un mentor ou d’un professeur avec lequel ils ont l’habitude de discuter (comme le père du personnage principal de la série Dexter). 1. Munier Thomas, Arbre, Outsider, en cours de développement. 2. Wick John, Enemy Gods, Wicked Dead Brewing Company, 2004. 3. Bauza Antoine, P’tites Sorcières, auto-édité, 2001.

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Cerise sur le gâteau, il peut très bien s’agir d’un ami imaginaire ou d’une manifestation de la santé mentale défaillante du personnage. Pour que cela reste crédible sur ce type de jeu, veillez juste à varier les approches. Enfin, toujours dans le cas où ce n’est pas prévu dans les règles, il reste possible de discuter de la manière dont on aimerait voir les autres interpréter leur personnage. Cela n’a pas besoin d’être plus compliqué que cela : faites des propositions ou expliquez à une joueuse la raison pour laquelle vous avez aimé telle ou telle scène. Lâchez prise1

Selon le type de jeu auquel vous jouez et ce que vos camarades attendent de vous2, il n’y a généralement aucune honte à échouer. Même dans les jeux ou dans les genres qui partent du principe que les personnages donnent tout ce qu’ils ont et qui basent une partie de leur intérêt sur cette opposition à couteaux tirés, on peut justifier de battre en retraite si cela procure un avantage stratégique à terme. Tant qu’il n’est pas définitif, l’échec signifie seulement que l’histoire que vous êtes en train de créer bifurque sur un chemin de traverse. Rien ne dit que celui-ci ne sera pas plus intéressant et plus agréable que celui, moins original, que vous auriez pris sinon. Jouez pour le découvrir ! Acceptez les propositions directes3

Naturellement, le principe précédent englobe quelque chose de bien plus large, qui dépasse le simple fait de laisser votre personnage échouer ou fuir face à ses adversaires. De la même manière, cela ne consiste pas uniquement à suivre les envies des autres joueuses : cela implique d’accepter de le faire même quand elles s’opposent à nos 1. Pour en savoir plus, nous vous conseillons la lecture de ce billet : Eugénie, Concéder 1, https://jenesuispasmjmais.wordpress.com/2015/06/16/conceder-1, 2015. 2. Prenez bien soin de le vérifier. Dans certains environnements, le fait de lâcher prise peut être vu comme un manque de combativité ou de fairplay. Dans d’autres, ne pas savoir se replier au moment opportun est la quasi-certitude de voir votre personnage finir dans d’horribles souffrances. Encore ailleurs, on considère que « jouer pour perdre » est, sinon l’apanage du bon goût rôliste, au moins la meilleure façon d’obtenir une partie dramatiquement satisfaisante. 3. À ce sujet, consultez également l’article « Garder la balle en l’air », p. 113 et « S’entraîner », p. 303.

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Un autre principe intéressant pour vous permettre de voir où la partie vous mène est d’accepter que votre personnage n’a aucune raison de faire face à tous les conflits comme si sa vie en dépendait. Toutes les discussions avec des PNJ ne doivent pas être prolongées jusqu’au point où le meneur n’a d’autre choix que de céder ou d’utiliser la contrainte. Et celles avec les PJ n’ont pas à vous coûter une amitié ou l’envie de continuer une campagne. De même, apprenez à vous rendre, à fuir, à faire contre mauvaise fortune bon cœur, etc. Quel que soit votre personnage, les situations où il se bat jusqu’à la mort (et son adversaire aussi) devraient être aussi rares que paroxystiques.

propres aspirations. Malgré un côté contre-intuitif évident, c’est un réflexe salvateur, à la fois pour des raisons d’équité (pour éviter que ce soit toujours les mêmes qui cèdent) et pour permettre à la partie de prendre d’autres directions. La prochaine étape est donc sans doute d’accepter les propositions directes des autres joueuses et de les laisser vous embarquer dès que vous en avez la possibilité. Même si c’est votre personnage. Même si vous n’auriez jamais pensé à faire ce qu’elles vous proposent. Surtout dans ce cas, en réalité… L’idée n’est pas juste de se laisser flotter, mais de se saisir des propositions des autres pour rebondir et faire avancer l’histoire tous ensemble. Ces suggestions peuvent être de toutes sortes : un compagnon d’aventures vous convainc de l’efficacité d’un plan vraiment tiré par les cheveux, un PJ révèle au vôtre sa théorie sur l’employeur du groupe et lui suggère de voir s’il connaît quelqu’un qui pourrait les renseigner plus avant, etc. Cela peut aussi prendre la forme d’avis donnés entre joueuses, par exemple si on vous propose un lien entre un PNJ et votre personnage (que ce soit dans son passé ou pour impliquer la naissance d’une romance pas encore assumée), de combler une zone de flou dans son background, voire même de répondre à votre place à une question sur ce qu’il est en train de faire. Ne restez pas bloqué sur une idée première, ne figez pas votre personnage, acceptez le jeu tel qu’il se déroule, rebondissez. Dites « oui », sachant que ce oui peut avoir plusieurs nuances, cela peut être un « oui, mais… », un « oui » franc, un « oui et… », etc. Ces variations ouvrent les perspectives et l’histoire, là où un simple « non » dénué de nuance ne ferait que mettre fin à la proposition. ChoisiSSEZ la focalisation du groupe

Jouer avec ses tripes et jouer en transparence sont deux techniques qui correspondent davantage à des modes de jeu que l’on choisit collectivement (là encore, il vaut mieux s’assurer que le reste de la table soit d’accord). Elles sont assez proches des différentes postures décrites par Ron Edwards ou des orientations décrites dans « Exploiter la distinction entre joueur et personnage 1 » que vous trouverez dans ce recueil. Ces dynamiques permettent toutes deux de retrouver le plaisir de perdre le contrôle et de découvrir ce qui va se passer, mais de façon fort différente. Jouer avec ses tripes Le premier mode, jouer avec ses tripes, consiste à essayer de prendre les décisions de votre personnage de la façon la plus instinctive qui soit. Pas le temps de réfléchir, on joue sans filtre, et on cherche à être surpris par ses propres réactions, par ses erreurs, par tous ces choix non rationnels que l’on n’aurait sans doute pas faits si on avait eu le temps de réfléchir. Ou, pire, de se rappeler que ce n’est qu’un jeu. 1. Voir p. 195.

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La principale astuce pour jouer ainsi est d’essayer de s’efforcer de ne jamais se poser la question de ce que ferait son personnage dans une telle situation, mais de répondre directement. Cela ne veut pas dire que l’on cesse de jouer un rôle, surtout si on a l’habitude de son alter ego, mais que l’on part du principe que ce que l’on perd en éventuelle justesse d’interprétation est grandement compensé par les moments où on est pris dans l’action1 et où on la vit plus intensément.

Toutefois, aussi plaisante et intense que puisse être cette façon de faire, elle n’est pas exempte de défauts. Pour faire une analogie, elle vous propose un tour de montagnes russes. Vous vous y engagez avec l’idée de ressentir des sensations fortes, et il y aura bien des moments où cela devrait être le cas. Toutefois, ces émotions ne sont pas forcément les plus subtiles ni les plus recherchées, et il faut être capable de les gérer. Tout le monde n’a pas forcément envie de ce genre d’expérience. De plus, il est évident que quelqu’un qui est déjà un peu angoissé ou timide peut ne pas apprécier d’avoir à prendre une décision sous pression, ni de se faire crier dessus2, surtout s’il y a urgence et que les enjeux sont élevés. Enfin, il convient de citer également les problématiques liées au bleed, mais nous préférons vous renvoyer au chapitre cité précédemment pour plus de détails. Jouer en transparence La seconde approche, jouer en transparence, autorise les joueuses à assister à toutes les scènes, même si leur personnage n’est pas présent, et à partager leurs secrets. Là aussi, on est facilement étonné, mais davantage par les tours inattendus que peut prendre l’histoire, selon la réalisation (ou pas) de ce que nous avons anticipé. En effet, en comprenant mieux les tenants et les aboutissants, les joueuses ont tendance à pouvoir décider des actions de leurs personnages en fonction de ce qui provoquera les situations les plus originales ou les plus intenses, mais aussi selon la vitesse et l’impact qu’auront les diverses révélations. Cette approche nécessite donc de partager davantage d’informations que celles qui sont connues par les personnages, mais également d’accepter que les décisions de ces derniers soient prises en fonction de ces informations. 1. Selon les sources, ceci peut correspondre à certaines définitions courantes de l’immersion et du flow. 2. À ce sujet, consultez également l’article « Coopérer et Rivaliser », p. 149.

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Il existe plusieurs techniques pour jouer ainsi, d’une façon plus viscérale, mais presque toutes dépendent du meneur ou de l’ensemble de la table : jouer avec de la musique, en temps réel, en ménageant des secrets et des retournements de situations, en partant du principe que tout ce que la joueuse dit est également dit par le personnage (lorsque c’est possible), qu’elle doit ignorer ce que ne connaît pas ce dernier (pensez à Fight Club pour un équivalent cinématographique), ou en essayant de ne pas interrompre les joueuses par des mécaniques demandant un temps de traitement trop important, etc.

Ceci permet de générer des situations qui sont difficiles à jouer autrement. C’est par exemple le cas de l’ironie dramatique. Ce procédé consiste à faire en sorte que la joueuse doive incarner son personnage comme si elle ignorait un élément pourtant capital (tout en étant consciente qu’elle ne l’ignorera sans doute jamais totalement) et utiliser ce décalage pour créer une forme particulière de tension. Imaginez que vous jouiez au Trône de fer1 : vos personnages accompagnent les Stark au mariage de Lord Edmure Tully et de Roslin Frey, et ils doivent se rendre dans la salle du banquet. Si vous connaissez vos classiques, vous aurez sans doute reconnu les fameuses « Noces Pourpres », et vous aurez bien conscience que malgré la jovialité apparente, vos personnages sont en danger de mort. Il est très probable que cela influence fortement votre jeu2 et que vous soyez surpris par tout ce que vous êtes prêt à accepter pour qu’ils quittent les lieux. De la même façon, jouer en transparence contribue à la mise en place de quiproquos dramatiques ou comiques qui ne fonctionneraient pas aussi bien si les joueuses n’avaient qu’une partie de l’information. Cela permet également de mettre en œuvre plus facilement – et sans dépendre du meneur – les tiraillements des personnages entre plusieurs valeurs ou motivations, etc. Même si ce n’est pas tout à fait vrai, vous pouvez partir du principe que les limites de cette approche sont plus ou moins l’inverse de celles de jouer avec les tripes. Elle provoque aussi des sensations, parfois réellement intenses, mais celles-ci sont généralement plus subtiles et moins brutales. Par contre, il n’est pas rare qu’elle demande un certain ajustement auprès des rôlistes vétérans qui n’ont pas l’habitude de prendre la place du meneur. En effet, que les joueuses aient accès aux informations qu’ignorent leurs personnages est parfois vécu comme contre-intuitif, voire de la triche. Naturellement, il ne faut pas chercher de morale là-dedans : ce n’est qu’une question d’habitude à prendre. Prenons un exemple Imaginons que nous souhaitions que Jared se découvre une attirance pour une des filles de son groupe d’amis. Celles-ci sont au nombre de deux : Amber, sa copine d’enfance qui en pince pour lui depuis toujours, et Kelly, la nouvelle arrivée qui s’est secrètement entichée d’Amber.

1. Kenson Stephen, Lindroos Frein Nicole, Pramas Chris, Schwalb Robert J., Scoble Jesse, A Song of Fire & Ice, Green Ronin Publishing, Renton, 2009. Le Trône de fer, Edge Entertainment, Séville, 2012, pour la V. F. 2. Il peut être tentant de croire que comme votre personnage n’a pas connaissance de l’événement en question, il n’a aucune raison de changer son comportement. Toutefois, si vous avez choisi de jouer dans cet univers-là, c’est sans doute parce que vous l’appréciez. D’une certaine façon, on vous fait du fan service. Dans ce type d’univers très référencé, par exemple par l’utilisation d’une licence célèbre ou d’une période historique, on attend de vous que vous le reconnaissiez. Et ce même si cela peut être mal vu sur d’autres parties plus classiques.

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En sachant tout cela, Jared aurait intérêt à se rapprocher d’Amber. Toutefois, si la joueuse qui incarne Jared joue avec ses tripes, ce dernier pourra s’intéresser à l’une ou l’autre de ses amies et elle pourra, par exemple, être surprise par la révélation des sentiments de Kelly pour Amber, ou d’Amber pour Jared. Inversement, si elle joue en transparence, elle pourra être tentée de faire en sorte que Jared soit attiré par Kelly et ainsi créer un triangle amoureux des plus classiques. L’imprévu viendra alors de la façon dont tout cela s’agencera et non plus de savoir si le secret est révélé, mais quand et comment il le sera, ainsi que sur les conséquences que cela aura sur les trois amis. Si on s’en réfère aux travaux de Raphaël Baroni sur la tension narrative1, la première approche favorise par défaut le sentiment de surprise, là où la seconde privilégie davantage celui de suspense. Naturellement, ceux-ci n’ont rien d’exclusif et les deux approches présentées ici sont deux tendances exacerbées. La plupart des tables composent avec des aspects moins extrêmes de chacune d’entre elles.

Après avoir vu comment préparer et jouer son personnage de façon à être surpris, nous allons désormais aborder une autre stratégie : explorer des thématiques inhabituelles et, si possible, touchant à l’intime. Comme la quasi-totalité des approches de cet article, vous ne pouvez décider tout seul de sa mise en jeu. Toutefois, elle ne peut pas non plus avoir lieu sans votre aide et vous pouvez tout à fait orienter la partie de façon à y intégrer progressivement la problématique qui vous intéresse. Naturellement, toutes les thématiques ne se valent pas. Celles qui ont le plus de chances d’amener votre personnage à vous échapper partagent idéalement quelques caractéristiques communes. Parmi celles-ci, on peut citer le fait que vous ne l’abordiez pas régulièrement dans le cadre de vos parties, ou qu’elle provoque des réactions instinctives chez les joueuses, et non uniquement chez leurs personnages. Pour prendre des cas courants, on trouve par exemple la romance, l’épouvante, la comédie, le mélodrame larmoyant ou les dilemmes moraux. Paradoxalement, le fait de choisir cette orientation, même de façon explicite, ne réduit en rien son efficacité. Devant la multitude des thématiques possibles, nous allons nous contenter de développer un seul exemple : la romance. Les histoires d’amour finissent mal en général

Si un personnage se construit par son histoire, ses compétences, ses traits de caractère, il se structure également par ses relations avec les autres. Et parmi celles-ci, on a de grandes chances de retrouver ses histoires d’amour, réelles ou fantasmées, heureuses ou 1. À ce sujet, consultez également l’article « Créer des émotions particulières » dans Mener des parties de jeu de rôle, p. 284 et 285.

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AccepteZ des thématiques inhabituelles

malheureuses. Comme toutes les intrigues, elles peuvent être plus ou moins intenses, conflictuelles, faciles, mais elles sont autant d’occasions de laisser notre personnage nous échapper : triangle amoureux, poussière sous le tapis, jeu de la séduction, choix des partenaires, etc. Les triangles amoureux Difficile de faire plus cliché, et pourtant il s’agit sans doute là de la technique la plus efficace pour créer des opportunités de faire basculer la partie dans un sens ou dans un autre, et donc de vous surprendre. Ce sont de réels multiplicateurs d’histoires possibles. Guettez les occasions de créer de telles interactions, quitte à les provoquer. Si on reprend l’exemple d’Amber, Kelly et Jared, cette simple situation suffit à porter de nombreuses interrogations comme « Jared va t’il réussir à séduire Kelly ? », « Kelly va-t-elle avouer son amour à Amber ? » ou « Comment Amber va-t-elle réagir en apprenant que Jared en aime une autre ? », « Est-ce qu’Amber ne serait pas plus heureuse avec Kelly qu’avec Jared ? » Sans même parler de qui sortira avec qui, répondre à ces questions permet d’imaginer de nombreuses variations et autres retournements de situations. Même si vous jouez en transparence, il n’y en aura probablement aucun auquel vous n’aurez pas pensé, mais vous serez sans doute bien incapable de prévoir celui qui aura vraiment lieu. La poussière sous le tapis Autre grand classique des comédies romantiques, il y a presque toujours un moment où la romance est mise en péril par quelque chose qu’un des membres du couple a fait avant qu’ils soient ensemble et qui ressort au pire moment. Dans le cas de Jared, l’équivalent serait qu’après son rapprochement avec Amber, Kelly fait écouter à cette dernière un message qu’il lui a laissé sur son répondeur alors qu’elle venait de l’éconduire. Complètement saoul, il y explique qu’Amber est ennuyeuse, pas sexy, et qu’il ne se passera jamais rien entre eux. Même si c’était des semaines avant que Jared et Amber ne sortent ensemble, il y a de grandes chances que les relations entre les trois personnages évoluent suite à cette révélation. Naturellement, l’exemple de la jalousie est évident, mais on peut imaginer bien d’autres sources de discorde, y compris motivées par des intentions positives. Pour provoquer ce genre d’effet, mettez en jeu des personnages imparfaits, vulnérables, qui font ce qu’ils peuvent, et avec des motivations parfois antagonistes. Vous fournirez ainsi des situations sur lesquelles le reste de la table pourra construire de nouvelles propositions et vous surprendre. Le jeu de la séduction Enfin, mettre en jeu la séduction elle-même est en soi porteur de nombreuses surprises. C’est d’autant plus vrai si vous acceptez de jouer l’impact d’un jet de séduction 294

réussi sur votre personnage, ou la présence d’un tiers doté d’un charisme élevé, ce que relativement peu de joueuses font réellement. Tout d’abord, la séduction est une activité qui peut prendre le pas sur les motivations ou le code moral classique du personnage, voire le pousser à trahir des intérêts qu’il aurait sinon protégés face à la pire des adversités (pensez Montaigu et Capulet). Pour d’autres que lui, le personnage semble agir comme un idiot, ou du moins de façon totalement inhabituelle. La barbare du groupe, autrefois cynique et détachée, se met à prendre tous les risques pour protéger un autre personnage, elle accepte de s’effacer devant le nobliau ou cherche à l’aider à s’épanouir et à enfin ne plus être l’ombre de son père. De son côté, le jeune homme coincé est plus confiant, l’amour lui donne des ailes, etc.

Enfin, parce que pour être dramatique, elle est souvent une négociation avec l’autre, un rapport de force, même quand ce dernier est implicite. Le personnage peut être amené à tempérer ses propres envies face à ce qu’il imagine être celles de l’autre. Ceci peut impliquer par exemple de mettre certains comportements en sourdine. Même dans un cliché aussi vu et revu que l’amour impossible entre un guerrier humain et une princesse elfe, que se passerait-il si cette dernière lui demandait de promettre de ne plus faire couler le sang ? Ou d’accepter qu’il ne soit pas le seul ? Comment réagiriezvous si vous jouiez le guerrier ? La princesse ? Le choix des partenaires Si vous souhaitez être surpris par la vie sentimentale de votre personnage, décidez rapidement s’il est attiré par tel PJ ou PNJ et définissez le type de partenaires qui a sa préférence. Celle-ci peut correspondre aussi bien à une attirance romantique, voire platonique, qu’à un désir des plus charnels. Peu importe, du moment que vous êtes à l’aise. L’essentiel va être ensuite de jouer avec cette « règle » que vous venez d’établir pour provoquer des situations intéressantes. Cela vous donnera l’occasion de permettre à votre personnage de voir plus facilement certains PNJ sous un autre angle, par exemple en ressentant un mélange d’attirance et de répulsion pour ceux qui sinon n’auraient été que de simples antagonistes. Cela vous permettra également de générer du jeu en fonction, selon si l’élu de son cœur (ou son « plan cul ») correspond ou non à ses goûts habituels. Naturellement, la plupart du temps, moins ce sera le cas et plus il y aura d’occasions pour votre personnage d’évoluer, et pour vous de choses à découvrir.

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Ensuite, parce que la séduction implique de mélanger plusieurs grilles de lecture qui ne s’accordent pas toutes entre elles, et que le meneur comme vous-même pouvez mettre n’importe laquelle en avant, voire les faire varier avec le temps : romantisme, pression sociale, désir, morale ou religion, etc. D’une certaine façon, elle oblige une négociation de soi avec soi. Si le personnage a fait vœu de célibat, est-il prêt à risquer son statut pour ce qui ne pourrait être qu’une passade ?

À moins, bien sûr, d’une volonté discriminatoire de votre part, il est important de bien comprendre que les partenaires de votre personnage (ou leur absence) ne définissent ni vos propres préférences, ni qui vous êtes. Si vous jouez pour être surpris, vous choisirez peut-être d’incarner un personnage dont la vie sentimentale, voire la sexualité, est aux antipodes de la vôtre. C’est certes un exercice intéressant, mais rien ne vous y force. Surtout si vous êtes gêné par l’idée d’évoquer cela auprès de vos camarades1. L’univers de votre jeu est sans doute assez riche pour que votre personnage puisse découvrir des personnes différentes qui lui permettent d’évoluer et de vous surprendre sans que cela nécessite de vous mettre mal à l’aise. Et le sexe, alors ?

Prolongement possible de la thématique de la romance, celle du sexe2 pourrait être caricaturée comme une version « plus » de la romance : plus rare, plus intime, plus déstabilisante, plus risquée, plus surprenante, etc. Cependant, elle reste encore majoritairement taboue autour de nos tables. À l’image de la production audiovisuelle ou vidéoludique moderne, la plupart des JdR sont aussi friands de masculinité militarisée3, de violence et de corps dénudés qui deviennent timides lorsqu’il est question de sexe. Pourtant, il serait dommage d’ignorer totalement la sexualité des personnages tant les relations intimes créent de l’inattendu, bouleversent leurs vies, changent leurs objectifs et sont donc un excellent moyen de se surprendre. L’idée n’est donc pas ici d’apprendre à décrire les scènes érotiques, mais bien de voir comment se servir de cette thématique. La première méthode est de découvrir en jouant la manière dont se passent les premières scènes intimes du personnage. Il est en effet très peu probable que vous ayez pris du temps pour y réfléchir au préalable. Or, son attitude dans un moment aussi privé risque à la fois d’en dire beaucoup sur la personne qu’il est vraiment, et de dépendre des circonstances, surtout si vous n’êtes pas totalement à l’aise avec le sujet. Sans évoquer forcément ses performances ou l’acte sexuel en lui-même, se montre-t-il direct ou timide ? Tâtonnant ou assuré ? Tendre ou violent ? Soumis ou dominateur ? Reste-t-il dormir avec son partenaire ou s’échappe-t-il dès qu’il le peut ? Est-il satisfait, dans tous les sens du terme, de ce genre de relations ? Se confiet-il sur l’oreiller ? Se trompe-t-il au moment d’évoquer le nom de son partenaire ? Si le comportement de votre personnage ne vous a pas déjà un peu échappé, n’hésitez pas à mettre en jeu une attitude qui semble en désaccord avec tout ce qu’on sait de lui. Vous devrez alors trouver des moyens de le développer par la suite en expliquant ou en justifiant son comportement. Il y a de fortes chances pour que vous soyez 1. À ce sujet, consultez également l’article « Ne pas être cette joueuse-là », p. 329. 2. À ce sujet, consultez également l’article « Dépasser ces clichés », p. 227. 3. « Un réseau sémiotique partagé tournant autour de sujets de guerre, de conquête et combat », Kline Stephen, Dyer-Witheford Nick, De Peuter Greig, Digital Play, McGill-Queen’s University Press, Montréal & Kingston, 2003, traduction de Sébastien Genvo.

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surpris une seconde fois : d’abord par sa réaction inattendue, et ensuite par les raisons qui l’ont amené à agir ainsi, d’autant plus si vous vous servez des hypothèses ou des suggestions des autres joueuses.

Apocalypse World et ses multiples adaptations proposent même une mécanique pour faciliter l’incorporation des conséquences d’un acte sexuel  : les sex moves. Non seulement la présence d’une telle règle est un signal envoyé aux joueuses pour qu’elles s’autorisent à évoquer la sexualité de leurs personnages, mais elle fait en sorte que ces scènes ne soient plus gratuites. En effet, leurs sex moves entraînent des conséquences. Par exemple, lorsque l’arrangeur – un type de personnage  – couche, il commence à se sentir investi de l’obligation de «  rendre heureux son partenaire ». Le vampire de Monsterhearts, au contraire, perd de son influence sur les gens s’il les laisse coucher avec lui. La goule devient de plus en plus dépendante, etc. Voici une liste des personnages de base d’Apocalypse World et de leurs sex moves. Ils montrent à quel point il est facile de varier ces conséquences et peuvent vous servir d’inspiration dans d’autres jeux.

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La seconde méthode est de mettre en jeu les conséquences de cette relation sexuelle. Si toute la table a pris du temps pour l’évoquer, c’est que cette dernière n’est pas anodine. On ne détaille que rarement les coups d’un soir du séducteur de la table. Quelles vont être ses répercussions sur les premiers concernés, sur leur relation et, plus globalement, sur la trame générale ? Là encore, tout ceci est à la fois impliquant et ne dépend pas de vous, et il est donc très probable que vous perdiez légèrement le contrôle de l’histoire. Et c’est tant mieux. La première chose à se demander, c’est est-ce ce rapport sexuel a fait évoluer votre personnage ? Qu’est-ce qui change le concernant ? Et pour son partenaire ? Prennent-ils la chose de la même façon ? Comment va évoluer leur relation ? Vont-ils débuter une romance ou au contraire s’éviter, voire se détester ? Vont-ils désormais partager un secret qu’ils chercheront à cacher à tout prix ? Et évidemment, les déséquilibres en la matière sont toujours intéressants : regrets, jalousie, sentiments naissants malgré le fait de savoir que la nuit passée ensemble n’engageait à rien, dégoût, gêne après une relation non assumée… Soyez généreux avec le reste de la table : montrez que cette relation a eu des répercussions et attendez-vous à des réactions.

Livret

Interprétation probable de son sex move

Ange gardien

Amène l’autre à se confier.

Arrangeur

Se sent obligé de rendre heureux son partenaire.

Beauté fatale

Rien ne se passe. Elle reste imperturbable et annule le sex move de son partenaire.

Biker

Se confie et raconte tous ses petits secrets.

Céphale

Lit dans les pensées de son partenaire et découvre ses traumatismes les plus profonds.

Chien de guerre

Regagne de l’énergie ou de la confiance en lui, ce qui va l’aider sur son prochain test.

Envoûteur

Convainc son partenaire de l’entretenir ou le menace pour obtenir ce qu’il désire. Possibilité aussi d’avoir une relation plus saine, mais moins profitable.

Machiniste

Apprend de nombreuses choses en observant son partenaire, comme un amant jaloux.

Passeur

Veut montrer qu’il ne s’attache pas, parfois avec bien trop d’insistance pour que cela soit vrai.

Prophète

Les deux partenaires doivent s’épauler ou se nuire, quelle que soit la distance.

Taulier

Entretient son partenaire sans que cela ne lui demande d’investissement particulier.

conclusion : Apprendre à perdre le contrôle En guise de conclusion, rappelons que le personnage reste traditionnellement la créature de la joueuse. Selon les habitudes de chaque groupe, le meneur peut intervenir plus ou moins directement, mais il n’est pas rare que la joueuse ait une telle relation avec son alter ego qu’elle ne laisse quiconque prendre des décisions le concernant. Pourtant, accepter qu’il sorte du chemin qu’on lui avait tracé pour vivre « sa propre vie », tomber amoureux et nous étonner, c’est accepter de perdre une partie du contrôle que l’on exerce sur lui. On peut avoir autant de plaisir à essayer de découvrir jusqu’où tout cela va mener le personnage qu’à lui faire suivre un destin tout tracé. C’est également comprendre qu’une partie de JdR est une création collective, un orchestre de 298

jazz dans lequel les improvisations individuelles s’harmonisent, se construisent et se complètent à plusieurs, tous ensemble autour de la table.

Quoi qu’il en soit, un des grands plaisirs du JdR est de jouer pour voir ce qui va se passer. C’est incarner Jared ou Kelly et de tout donner même si on sait que l’on ne pourra réussir, mais pour voir comment les choses évoluent. Finalement, c’est comme pour toute œuvre de fiction : que l’on lise un roman ou une bande dessinée, que l’on regarde un film ou une série, c’est généralement pour connaître le fin mot de l’histoire. Ou au moins sa suite. Mais, en JdR, aucune des deux n’est écrite à l’avance. On crée la partie, on la « vit » tous ensemble. On va découvrir son personnage, ses camarades, et les situations souvent impossibles dans lesquelles ils se retrouvent. Le groupe va également créer des relations, des tensions, des petites histoires dans l’histoire. Mais pour profiter de tout cela, il est nécessaire d’apprendre à se laisser surprendre et à jouir de toute cette imprévisibilité fertile et créatrice.

1. À ce sujet, consultez également l’article « Dépasser ces clichés », p. 227.

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surprendre

Plus encore, cela peut être l’occasion de découvrir de nouvelles pistes. En JdR, on peut éprouver autant de plaisir à explorer les émotions humaines qu’à explorer des univers exotiques. Laisser son personnage évoluer, c’est aussi le laisser nous offrir d’autres perspectives. Il devient alors possible de jouer avec toute une palette de thèmes sinon difficiles à aborder : l’amour, la maternité, la différence, le genre, la sexualité, le deuil, le racisme1… Ceux-ci peuvent occuper le devant de la scène (Monsterhearts, sous prétexte d’histoires de monstres, explore la découverte de la sexualité, les interrogations sur le genre et l’influence que l’on peut avoir sur les autres), comme être des ajouts venant relever spectaculairement nos campagnes classiques.

Fiche de synthèse Utilisez l’aléatoire pour être surpris Utilisez les dés  Avantages : • rapidité et simplicité d’utilisation ; • crée à coup sûr des imprévus ; • oblige à se diversifier ; • aiguise la créativité. Inconvénients : • devient vite lassant ; • perte de pouvoir décisionnel des joueuses ; • suspension volontaire d’incrédulité plus difficile ; • plus compliqué de faire des propositions cohérentes. Alliez cohérence et imprévisibilité Prenez une table spécifiquement adaptée. Plutôt que de jeter un dé : • choisissez le résultat le plus pertinent ; • jetez un dé mais utilisez une réserve quelconque pour compenser le côté aléatoire du résultat ; • choisissez un résultat sur la table, mais refusez toujours votre première idée et essayez de varier le plus possible vos réponses ; • sollicitez les autres joueuses. Préparez votre personnage à vous surprendre Utilisez des prétirés • Essayez d’abord sur des parties courtes. • Choisissez celui qui est le plus différent de ce que vous jouez habituellement. • Tirez parti de la complémentarité et de l’unité du groupe pour créer du jeu avec les autres joueuses. • Inspirez-vous d’un personnage fictif ou réel déjà existant. Mettez des dilemmes dans votre historique • Considérez votre background comme une liste au Père Noël. • Intégrez des oppositions fertiles : les valeurs de votre PJ entrent en contradiction avec ses objectifs, ses motivations ou son éducation, par exemple. • Évitez les dilemmes qui se résolvent trop vite ou trop facilement.

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Laissez des zones floues • Posez des questions sans donner de réponse. • Ne vous posez pas trop de questions avant la partie. • Autorisez-vous à découvrir votre personnage en jouant. Jouez pour tirer parti des zones floues • Montrez les zones de flou. • Acceptez que ce qui se passe pendant la partie impacte votre personnage. • Rebondissez sur ce qui se passe dans la partie pour répondre aux questions concernant votre personnage. • Ne révélez ni trop, ni trop peu. Donnez de réelles réponses, mais qui donnent envie d’en apprendre davantage. Jouez pour être surpris Favorisez la prise de risque par la bienveillance • Acceptez de perdre le contrôle sur votre personnage. • Expérimentez, échouez, trompez-vous. • Partagez vos idées avec les autres joueuses, posez-leur des questions.

• D emandez aux autres joueuses ce qui les intéresse dans votre personnage, ce dont elles ont envie pour la suite, et tenez-en compte dans votre jeu. • Utilisez les mécaniques du jeu pour intégrer leurs idées ou leur donner de l’importance. • Faites des propositions aux autres joueuses, dites-leur quelles sont les scènes que vous avez aimées et pourquoi. Lâchez prise • Ne forcez pas votre personnage à faire face à tous les conflits, et toujours jusqu’au bout. • Acceptez l’échec comme une autre direction que prend l’histoire. Acceptez les propositions directes • Acceptez-les, même quand elles s’opposent à vos propres aspirations. • Laissez-vous embarquer par leurs idées et acceptez le jeu tel qu’il se déroule. • Rebondissez sur les propositions des autres pour faire avancer l’histoire tous ensemble. Choisissez la focalisation du groupe • Jouer avec ses tripes : prenez les décisions de votre personnage de la façon la plus instinctive qui soit. • Jouer en transparence : partagez plus d’informations que celles qui sont connues par les personnages, et acceptez que les décisions de ces derniers soient prises en fonction de ces informations.

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Adaptez-vous aux envies des autres

Acceptez des thématiques inhabituelles, exemple : la romance Faites des triangles amoureux • Provoquez ce genre de situations. • Envisagez ces interactions comme autant de manière d’enrichir les autres intrigues. • Imaginez les questions que peuvent entraîner ces situations. Révélez la poussière sous le tapis • Créez des personnages imparfaits et vulnérables. • Mettez en jeu des motivations antagonistes pour votre PJ et utilisez-les. • Choisissez le moment où les révélations du passé auront le plus d’impact. Jouez la séduction • Donnez de l’importance et des conséquences aux jets de séduction et aux scores élevés de charisme ou assimilés. • Laissez la séduction bousculer les motivations, le caractère et les valeurs de votre PJ. • M ontrez la manière dont le comportement de votre PJ est modifié par le jeu de la séduction. Choisissez vos partenaires • Établissez les règles, pour peut-être mieux les briser après. • Définissez l’attirance que votre personnage éprouve à l’égard d’un autre : charnelle, platonique, spirituelle, amoureuse, etc. • Demandez-vous comment votre personnage vit son attirance, et comment y réagit-il, notamment s’il l’éprouve envers un antagoniste. Apprendre à utiliser la thématique du sexe de façon intéressante • Ne décrivez pas l’érotisme ou la scène elle-même, mais l’attitude du personnage pour en dire plus sur lui. • Donnez à ces scènes des répercussions sur le caractère et les relations du personnage. • Jouer les conséquences à termes des relations sexuelles.

S’entraîner



Arnaud Pierre

Les exercices proposés dans cet article se divisent en deux grandes catégories : • les quatre premiers (Balles de couleur, Cadrans émotionnels, Sous-titres et Histoire un mot à la fois) se concentrent sur les principes de l’improvisation. Ce sont de petits jeux que l’on peut faire avant une partie, à titre d’échauffement, pendant que le MJ se prépare ou en attendant une joueuse en retard ; • les six autres exercices (Trois Statuts, Changement de statut, Half-life, Personnage à trois répliques, Sans paroles et Encore) ont pour but de vous aider à travailler vos personnages et à bâtir des propositions plus efficaces durant la partie. Vous pouvez les pratiquer comme des échauffements, mais ils peuvent aussi être intégrés à vos séances afin de pimenter le jeu.

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s’entraîner

C

e recueil repose sur l’idée qu’être joueuse de JdR implique de mobiliser un ensemble de compétences dans lesquelles il est possible de se perfectionner. De là à dire que l’on peut également s’entraîner à la pratique de notre loisir, il n’y a qu’un pas que nous franchissons volontiers. L’objectif de cet article est de s’inspirer des exercices ludiques déjà présents dans une activité proche, le théâtre d’improvisation, afin de les adapter spécifiquement au JdR. Naturellement, vous ne trouverez ici qu’une poignée d’entre eux. Toutefois, les dix que nous vous présentons dans la suite de ce chapitre sont particulièrement utiles pour des rôlistes : ils devraient vous permettre d’élaborer les vôtres, en fonction de vos besoins et de vos envies.

Autant que possible, lorsque ces exercices impliquent le fait de se mettre dans la peau d’un personnage, nous vous encourageons à choisir le prochain que vous interpréterez afin de pouvoir recycler vos idées plus facilement. Certains, comme les Cadrans émotionnels, Trois Statuts, Changement de statut, Personnage à trois répliques et Sans paroles peuvent même s’intégrer aux séances avec un peu d’adaptation, par exemple lors d’un flash-back ou d’un autre type de cut scene1.

Un mot des éditeurs : ateliers ou exercices ? Dans le GN, il est de plus en plus courant d’utiliser ce que l’on appelle des « ateliers ». On trouve déjà la trace de leur utilisation dans le jeu Knappnålshuvudet2 en 1999, même si rien n’indique qu’il ait été le premier à les systématiser. Très populaires au sein de la foisonnante scène scandinave, ce sont généralement des activités périphériques destinées aux joueuses, dont l’objectif est de faire en sorte que l’expérience d’un GN spécifique soit la plus satisfaisante possible. Traditionnellement, il s’agit également de petits exercices préparatoires. Ils ont par exemple pour but de s’assurer que les joueuses partagent des connaissances communes sur l’univers, de lier ou créer des personnages, ou d’expliquer comment il convient de réagir à certains moments-clés de la partie. Mais au fil des années, les ateliers ont évolué aussi bien en termes de dispositifs (mini-jeux, discussions, consignes, etc.), d’utilité (briser la glace, échauffements semblables à ceux du théâtre d’improvisation, calibrage culturel, etc.) que de durée ou de structure (ateliers postGN, interruptions, etc.). Mais ces ateliers existent également dans le JdR sur table sous d’autres formes et ont finalement un fonctionnement très similaire : séance 0 et création de groupe, élaboration du contrat social3, prologue raconté par des cut scenes impliquant des PNJ, visionnage d’un film de référence, etc. La principale différence entre ces ateliers et les exercices que vous trouverez dans ce chapitre est que les premiers servent surtout dans le cadre d’un jeu spécifique, là où les seconds cherchent à renforcer votre compétence de façon plus globale. Mais cette différence reste surtout théorique, floue, et n’a au final qu’une importance limitée. L’essentiel est de savoir qu’en tant que MJ ou joueuse, vous pouvez proposer de telles activités à votre table et que celles-ci peuvent rendre votre pratique plus agréable.

1. Les cut scenes sont différentes des autres scènes de la partie  : on y joue temporairement d’autres personnages, un flash-back ou un flash-forward, etc. Elles peuvent également prendre la forme de cinématiques où les PJ ne sont pas autorisés à intervenir. 2. Ericsson Martin, Gräslund Susanne, Gullbandsson Mattias, Jacobsson Holger, Krauklis Daniel et autres, Knappnålshuvudet, Göteborg, 1999. 3. À ce sujet, consultez également l’article « Jouer ensemble », p. 129.

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Notez toutefois que même s’ils restent plaisants, il s’agit d’exercices. Il faut donc prendre le temps de se mettre d’accord avec votre table pour s’essayer à ces petits jeux simples, parfois en apparence déconnectés d’une partie de JdR, mais qui vont vous permettre de vous perfectionner. En somme, tels des sportifs capables d’enchaîner des marathons narratifs de six à douze heures, il est normal de s’entraîner, de s’assouplir et de se renforcer en dehors de la piste de course. Chaque exercice est présenté sous la forme suivante : • une description de l’exercice et de ses règles ; • un ou plusieurs exemples ; • une présentation des principes qui sous-tendent la logique de l’exercice, pour comprendre ce qu’il permet d’améliorer ; • un résumé de l’idée essentielle de l’exercice. On ne peut pas aborder ces exercices n’importe comment. Il faut être dans un certain état d’esprit. Rappelez donc bien les points ci-dessous lorsque vous présentez ces jeux à votre table.

Conseils préalables

Même si un exercice ne tourne qu’autour de la parole, tout votre corps doit être investi. Une joueuse affalée sur une chaise ou occupée à refaire sa cinquantième pyramide de dés ne pourra pas retirer le meilleur des enseignements de l’exercice. Votre corps a une mémoire, une énergie, et il est essentiel de la sentir pour la maîtriser et l’utiliser au mieux. De même, l’intuition est souvent très négligée. Ne vous concentrez pas uniquement sur la technique et la théorie. Sachez régulièrement laisser de côté la réflexion pour privilégier la spontanéité. L’intuition se développe avec l’expérience, et non pas grâce à la rationalité pure. Ce point est primordial pour apprendre car, comme disait Viola Spolin, une pionnière de l’improvisation : « La certitude vient de la conscience intuitive. » En d’autres termes, certaines connaissances sont acquises non pas quand on les sait, mais quand on les sent. Et pour les sentir, il faut tout simplement pratiquer et expérimenter. Plusieurs fois. Enfin, cela signifie également qu’il est stérile de débriefer pendant trente minutes sur un exercice une fois effectué. Ce temps serait mieux utilisé à recommencer l’exercice.

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s’entraîner

Soyez mobilisé intellectuellement, mais aussi physiquement et intuitivement

Vous n’êtes pas là pour la performance, mais pour vous améliorer

Ces exercices existent pour que vous échouiez. Même si cela semble paradoxal, échouer, ce n’est pas tant une fin qu’un début. Cela veut dire que vous êtes sur la bonne voie, que vous prenez suffisamment de risques et que vous venez d’apprendre quelque chose. La première fois que vous pratiquerez ces exercices, vos prestations ne seront probablement pas bonnes. Mais souvenez-vous que l’objectif n’est pas de faire de vous un roi de l’improvisation ou de la comédie, mais d’améliorer certaines compétences en tant que joueuse de JdR. Ne soyez donc pas trop dur avec vous-même, et n’hésitez pas à aussitôt recommencer l’exercice si vous voulez faire mieux. Lorsque l’on apprend le jeu de go, on dit qu’il faut perdre ses cinquante premières parties pour comprendre son fonctionnement. C’est exactement la même chose ici. Dans l’idéal, il faudrait refaire ces exercices des dizaines de fois, jusqu’à en intégrer parfaitement les mécanismes. Tout le monde autour de vous est un génie !

Le dernier point incontournable pour le bon déroulement de ces jeux est la confiance. Toutes les joueuses qui vous entourent ont de bonnes idées. Elles n’ont d’ailleurs que de bonnes idées. Même lorsque ces dernières vous paraissent bancales ou inappropriées, supposez simplement qu’elles ont été mal emballées. Vous êtes ensemble dans cet exercice du début à la fin : il n’y a pas réellement d’erreur1, uniquement des opportunités de jeu. Traitez vos partenaires avec respect, bienveillance et amour, et tout se passera bien.

La situation Régulièrement, les exercices vous demanderont d’établir une situation. Notez bien qu’une situation initiale doit répondre aux questions suivantes : • quelle est votre relation ? • qui êtes-vous individuellement ? • où êtes-vous ? • quand est-ce que la scène se joue ? • quel problème êtes-vous en train de régler ? N’hésitez pas à jouer certaines situations qui ont émergé lors de vos parties ou qui pourraient probablement le faire pour que cela vous soit utile en jeu.

1. À ce sujet, consultez également l’article « Garder la balle en l’air », p. 113. Il liste certes des fautes qu’il est possible de faire lors d’un match d’improvisation, mais celles-ci sont relevées par l’arbitre et pas par les autres participants qui doivent toujours continuer d’improviser ensemble.

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1. Les Balles de couleur Le jeu

Cet exercice en apparence très basique est un incontournable. Disposées en cercle debout ou assises autour d’une table, les joueuses se lancent des « balles de couleur » invisibles. Celle qui donne la balle dit sa couleur en regardant la joueuse qui la reçoit. Lorsque celle-ci la réceptionne, elle répète la couleur de la balle pour confirmer qu’elle l’a bien reçue. À son tour ensuite de lancer la balle à une autre joueuse, en répétant toujours la même couleur. Une fois que le groupe a bien compris le mécanisme, on peut commencer à aller plus vite et à rajouter d’autres balles de couleurs différentes dans le cercle. Au bout d’une minute, arrêtez le jeu pour vérifier qu’aucune balle n’a été perdue ou n’a changé de couleur. Bien que le jeu puisse paraître enfantin, il n’est pas si simple. Parfois les joueuses auront deux balles de couleurs différentes dans les mains, vont devoir gérer plusieurs sollicitations en même temps ou trouver quelqu’un de disponible. On peut estimer que l’exercice est maîtrisé quand vous arrivez au ratio de « une balle par joueuse » et que les balles continuent de bouger de manière fluide et continue. Exemple Joueuse 1 à joueuse 2 : « Rouge ». Joueuse 2 : « Rouge ». Joueuse 2 à joueuse 3 : « Rouge ». Etc.

L’écoute ne correspond pas seulement au fait d’entendre et de comprendre les propositions des autres joueuses. Elle s’étend également au sous-texte, au langage physique, à l’évolution de l’histoire (les changements de rythme, les éléments de décor annoncés, etc.). Sans elle, rien ne peut être construit. Durant une partie, nous recevons une quantité phénoménale d’informations, mais nous n’avons qu’une capacité limitée à les intégrer et à les traiter. C’est ce que le jeu des Balles de couleur met en exergue. Il montre que nous sommes naturellement plus enclins à donner une balle qu’à faire l’effort d’être disponible pour en recevoir une. L’écoute est donc impossible sans disponibilité préalable. Celle-ci est un état de tension interne où l’on concentre tous ses sens et son langage physique vers la réception d’information. Cet exercice permet de très bien le ressentir et de développer ces sensations qu’il est important de retrouver durant une partie. En somme, il s’agit de s’entraîner à montrer à ses camarades que l’on est prêt à recevoir une information d’un instant à l’autre, sans pour autant occuper l’espace sonore. Ainsi, la joueuse améliore sa contribution au flot de la partie, c’est-à-dire à l’échange constant d’actions et de

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s’entraîner

Principes : La disponibilité, l’écoute et le flot

réactions qui la caractérise. Comme expliqué dans « Garder la balle en l’air1 », il est important d’apprendre à rebondir sur les propositions des autres joueuses sans briser cet échange. Est-ce que ce que vous allez faire ne va pas briser le flot de la partie ? Si la réponse est oui, abstenez-vous. Si la partie s’enraye, elle ne redémarrera pas sans efforts. S’entraîner à protéger le flot, c’est s’entraîner à protéger le plaisir du groupe. Dans l’exercice, cela se traduit par l’idée suivante : on doit attendre que quelqu’un soit disponible pour lui transmettre la balle, et on évite de s’en débarrasser dès que possible. Toute balle perdue est une erreur de communication dont la faute est toujours partagée entre l’envoyeur et le récepteur. Le premier ne doit pas lancer sa balle tant que son partenaire n’a pas répété la couleur pour confirmer l’avoir reçue. Réciproquement, le récepteur doit gérer le double objectif de se rendre disponible et de ne pas oublier la balle qu’il a dans les mains. Une fois en partie, ces erreurs ont des répercussions immédiates : malentendus, mise en retrait des joueuses les plus timides, détérioration de l’ambiance et du plaisir, etc. L’idée essentielle : construire ensemble est d’abord une affaire d’écoute.

2. Les Cadrans émotionnels Le Jeu 

On sépare la scène ou la table en quatre zones appelées « cadrans ». On associe à chacune d’entre elles une émotion particulière, en prêtant bien attention à ne pas tomber dans l’écueil de citer seulement des émotions négatives. On donne ensuite une problématique aux joueuses et elles devront interpréter leur personnage selon l’émotion correspondante aux cadrans dans lesquels elles se trouvent. Régulièrement, elles devront changer de zone, et donc les personnages d’émotion, en prenant soin de justifier cette évolution. On arrête la scène une fois que le problème a été résolu. Pour plus de simplicité, surtout si vous jouez autour d’une table de JdR, vous pouvez représenter les zones sur une feuille de papier et vos déplacements par un dé ou une figurine. Gardez bien en tête que l’objectif de l’exercice est d’interpréter les émotions des personnages et de justifier leurs évolutions de façon cohérente. Exemple Un inspecteur de police se rend dans un laboratoire d’analyses pour obtenir les résultats d’un test A.D.N. concernant le meurtre de la veille. Inspecteur (zone joie) : « Je suis sûr que ces résultats vont nous permettre de boucler cette affaire aujourd’hui même. C’est une chance incroyable que l’on ait pu prélever ce cheveu sur le corps de la victime. » 1. Voir p. 113.

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Laborantin (zone peur) : « J’espère que vous ne vous énerverez pas, inspecteur, mais… j’ai perdu l’échantillon. Je ne sais plus où je l’ai mis. Je suis vraiment désolé… » Inspecteur (il bouge dans la zone colère) : « Vous vous foutez de ma gueule ?! C’était la seule preuve qu’on avait ! On devrait vous foutre au trou pour votre incompétence ! » Laborantin (il bouge dans la zone joie) : « Oh, tout de suite les grands mots. Voyez le bon côté de la chose, maintenant cette enquête est un véritable mystère que seul un grand détective peut résoudre. Ça va certainement aider votre réputation et votre carrière. » Inspecteur (zone colère, puis zone tristesse) : « Ma carrière ?! Mais je vais vous mettre mon poing dans la gueule ! (Il change de zone et s’affale sur sa chaise.) Ma carrière est ruinée. J’ai déjà deux blâmes, un alcoolisme grandissant et si je ne suis pas ce soir à la maison avant 18 heures, ma femme va me quitter. Avec vos histoires, mon mariage est foutu… » Principes : émotions, justification et propositions

Jouer les émotions1 peut effrayer, car il n’est pas rare que cela implique de surpasser sa peur du ridicule et, plus généralement, de se montrer vulnérable. Tant que l’on n’est pas à l’aise avec cela, il est très tentant d’incarner des personnages forts, inébranlables, que rien ne peut atteindre. Pourtant, une bonne partie de JdR se nourrit aussi de cette vulnérabilité et par le renouvellement qu’apportent les évolutions des personnages au sein des diverses scènes. Mais encore faut-il accepter qu’ils se laissent émouvoir.

Ce jeu permet donc d’étendre sa palette d’émotions. Et, si on file la métaphore, c’est exactement la façon dont devrait fonctionner votre jeu : comme un pinceau que l’on trempe dans une couleur, il sera en partie teinté par la couleur précédente. De la même manière, s’entraîner à jouer les transitions d’une émotion à l’autre, par exemple une tristesse se transformant en colère, est un exercice qui, une fois mis en application, se révèle très riche, personnalise grandement votre interprétation et permet d’éviter bon nombre de clichés. Ainsi, vous pouvez plus facilement explorer des émotions complexes et inédites, le tout en transmettant des informations plus subtiles sur l’état de votre personnage au reste de la table. Mais cela ne fonctionnera que si vos justifications sont crédibles. L’essentiel est sans doute de viser la sincérité, même basique. Cela s’avère bien plus efficace que de chercher à être original, intéressant ou drôle. Comme le dit Keith Johnstone, un autre maître à 1. À ce sujet, consultez également l’article « Créer des émotions particulières » dans Mener des parties de jeu de rôle, p. 277.

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s’entraîner

Cette résistance au changement est ce que l’on appelle un « mécanisme de peur ». Celle-ci s’exprime souvent autour des tables de JdR de manière insidieuse, par des réflexes que nous sommes incapables d’identifier tant que personne ne nous les a montrés. Face à l’inconnu, nous pouvons par exemple facilement nous laisser aller à l’agressivité ou à la négativité. Ce sont typiquement d’autres mécanismes de peur, et aussi la raison pour laquelle beaucoup de joueuses aiment jouer la colère et n’en démordront pas tant qu’on ne les poussera pas activement en dehors de leur zone de confort.

penser de l’improvisation théâtrale : « Soyez ennuyeux, soyez évidents. » Les éléments drôles ou dramatiques apparaîtront d’eux-mêmes, ne vous en inquiétez surtout pas. Contentez-vous donc de justifier du mieux possible vos changements d’émotions et de vous concentrer sur la cohérence de votre personnage. Cela lui donnera toute la crédibilité et l’épaisseur nécessaires. C’est pour toutes ces raisons qu’il ne faut pas hésiter à profiter de l’exercice pour provoquer les changements de cadrans et ne pas se contenter de le faire lorsqu’ils sont évidents. C’est rater autant d’occasions de travailler ses transitions. Bougez d’abord, justifiez après. Pourquoi est-ce si important d’utiliser les émotions pendant une phase de jeu ? Parce qu’elles vous permettent d’improviser des propositions et donc de créer du jeu pour les autres1. Autrement dit, elles constituent un moyen d’apporter des idées ou des informations nouvelles. Celles-ci vont aller nourrir l’histoire en devenant des bases sur lesquelles vos camarades pourront rebondir. Une telle proposition peut être verbale, physique, technique, prendre la forme d’un accessoire, d’une action, d’un objet, d’un PNJ, etc. L’objectif principal est qu’en donnant du grain à moudre au reste de la table, elles apportent davantage de contenu dramatique, colorent les personnages et rendent donc l’histoire plus intéressante. L’idée essentielle : les émotions sont un ressort très puissant pour rendre un personnage intéressant, mais elles sont d’autant plus efficaces qu’elles sont construites par touches successives. Laissez-vous donc toucher par ce qui se passe pendant la partie.

3. Sous-titres Le Jeu

On établit une situation problématique impliquant deux personnages. Ceux-ci sont interprétés par deux joueuses qui ne peuvent s’exprimer que dans une langue imaginaire improvisée (mais vous pouvez également utiliser une de celles de l’univers dans lequel vous allez jouer votre prochaine partie). Deux autres joueuses sont chargées de traduire leurs grommellements de façon intelligible au fur et à mesure de leur énonciation, comme si elles les sous-titraient. Elles doivent toutefois éviter de cabotiner, de mésinterpréter ou de créer des situations inutilement ridicules. Dans un premier temps, elles doivent essayer de coller au plus près à ce que les autres joueuses essayent d’exprimer, mais des traductions plus exotiques sont possibles au fur et à mesure qu’elles prennent de l’aisance. Le jeu se termine quand le problème posé au départ est résolu. Idéalement, il est de bon ton d’inverser les rôles entre sous-titreurs et joueuses à chaque fois.

1. À ce sujet, consultez également l’article « Créer du jeu pour les autres », p. 179.

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Exemple Joueuse 1 : « Niatoakbaléfannetapedestu. » Sous-titreur 1 : « Ouvre la porte, il est derrière moi. » Joueuse 2 : « Dazémanno ? Manno bal té garashfaalletu ! » Sous-titreur 2 : « Tu parles du tueur ? Le tueur t’a suivi jusqu’ici ! » Principes : intention, efficacité des propositions et percussion

Si vous deviez retirer les dialogues superflus d’une séance de jeu, que resterait-il ?

Les sous-titreurs, quant à eux, doivent être totalement disponibles et à l’écoute. Si parfois l’intention des joueuses va leur sembler claire, il faudra à d’autres moments qu’ils n’hésitent pas à tenter de la deviner, voire à carrément construire une proposition de jeu à part entière. Les autres joueuses devront alors intégrer immédiatement ces nouveaux éléments et se laisser influencer, quelle qu’ait été leur idée d’origine. Comme toujours avec les exercices d’improvisation, l’essentiel est de ne pas rompre le flot de la partie. Il faut apprendre à s’adapter au quart de tour aux idées des autres sans les contredire. C’est ce que l’on appelle la « percussion ». C’est le moyen le plus efficace de s’assurer que l’on avancera vite dans l’histoire. Ainsi, travailler sa percussion permet de s’entraîner à accepter d’être changé par le jeu des autres pour que leurs propositions ne perdent pas tous leurs enjeux et ne deviennent pas anecdotiques. C’est un outil extrêmement efficace pour enrichir l’interprétation de vos personnages et donner une signification à la plupart des dialogues de la partie, en utilisant autant le sous-texte que ce qui est véritablement dit. L’idée essentielle : on peut transmettre ses intentions de jeu autrement que par la bouche de son personnage et il est crucial d’apprendre à le faire.

1. À ce sujet, consultez également l’article « Se laisser surprendre », p. 277.

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s’entraîner

Lors d’une partie, il peut être tentant d’occuper l’espace par de longs discours n’ayant d’autre but que de nous donner une contenance ou de nous sentir en sécurité à la table. C’est, là aussi, un mécanisme de peur. Cet exercice vise justement à éliminer ces travers en empêchant les longues tirades. Grommeler dans une langue imaginaire est difficile. Cela pousse les joueuses à se concentrer davantage sur leurs intentions – ce qu’elles veulent réellement transmettre – que sur les mots avec lesquels elles le font. La contrainte est donc très forte : il faut inventer une langue, transmettre son intention et intégrer immédiatement ce qui vient d’être traduit. Ainsi, il leur est impossible de chercher à anticiper ce qu’il va se passer, toute leur concentration est déjà requise pour le fonctionnement du jeu. En s’entraînant ainsi, on apprend principalement deux choses : à jouer pour découvrir ce qu’il va se passer, et donc à s’autoriser à être surpris1, et à laisser le sous-texte reprendre le dessus sur ce qui est énoncé, c’est-à-dire à redécouvrir des manières de faire des propositions plus efficaces en jeu.

4. Un mot à la fois Le Jeu

En cercle ou assises autour d’une table, les joueuses doivent construire une histoire en ne disant qu’un mot, chacune à tour de rôle. Une joueuse peut toutefois dire « Point » pour terminer une phrase avant d’énoncer ensuite le premier mot de la phrase suivante. Pour faciliter l’implication et la spontanéité, la première phrase doit commencer par « Je ». Le jeu s’arrête quand l’histoire est vraiment beaucoup trop incompréhensible ou qu’elle est achevée. Comme dans les exercices précédents, il faut surtout éviter de briser le flot. Si un mot ne vient pas, n’hésitez pas à commencer par le début de la première syllabe ou par la première lettre qui vous vient en tête, et vous trouverez de quoi compléter pour obtenir un tout cohérent. Avec un peu d’entraînement, l’histoire suivra un débit normal. Par contre, pour faciliter le jeu et garder tous les éléments de l’histoire à l’esprit, il est recommandé de répéter à haute voix la phrase en cours lorsqu’on la termine. Par convention, c’est la personne qui a mis le point qui s’en charge. Exemple « J’étais », « dans », « le », « métro », « quand »… Principes : prendre des décisions, s’y tenir et éviter les mécanismes de peur

Comme les précédents, ce jeu nécessite d’être à l’écoute et spontané. Toutefois, régulièrement, il amène certaines joueuses à tomber dans divers écueils qui sont autant d’opportunités de mettre en avant des travers que l’on retrouve autour d’une table de JdR1 : • proposer deux mots à la suite car on anticipe ce qu’il va se passer. Cela revient à faire du scriptwriting (scripter l’histoire à l’avance), un autre mécanisme de peur probable ; • proposer un mot syntaxiquement incorrect car nous n’avons pas assez bien écouté les autres joueuses ; • ne pas trouver de mot tout de suite. Ceci est souvent la manifestation de l’un des deux mécanismes de peur suivants : chercher à choisir un mot optimal, ne pas réussir immédiatement et se juger pour cela, ou sélectionner un mot en fonction de ce que l’on souhaite faire faire aux autres (scriptwriting). Prenez le premier mot qui convient, ne vous jugez pas et faites confiance à vos camarades de jeu pour construire dessus ; 1. À ce sujet, consultez également l’article « Garder la balle en l’air », p. 113.

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• parler de personnes indéfinies (« il », « elle ») ou rajouter des qualificatifs ou adverbes de façon à retarder volontairement une décision ou une prise de risque, par exemple : « Un », « matin », « brumeux », « froid », « nuageux », « blanc », etc. Il s’agit d’une forme d’obstruction ou de retard de jeu1, et les joueuses doivent être capables de supporter la crainte qui déclenche ce comportement pour prendre des décisions et les assumer. Jouer, c’est faire des choix, et improviser, c’est décider ; • proposer un mot inattendu pour rendre l’histoire plus drôle et cabotiner : « J’étais », « dans », « un », « vilebrequin », etc. Si cette proposition semble plaisante sur le moment, elle rend la tâche des autres joueuses extrêmement difficile. Après un bon mot, il est très ardu de réussir à justifier la situation ainsi provoquée, et donc de rebondir dessus pour faire progresser l’histoire ; • s’éloigner du sujet initial. Très souvent lors des premiers essais, les phrases n’ont guère de rapport entre elles. Le personnage principal et son objectif sont rapidement oubliés, et on crée ainsi un certain nombre de questions qui ne trouveront jamais de réponse. Bref, l’histoire va partir dans tous les sens, faisant fi de la moindre notion de cohérence. Là encore, ce type de digression est très probablement un mécanisme de peur : il peut traduire votre inquiétude à l’idée de décevoir le groupe, ou votre crainte que celui-ci n’approuve pas votre choix. Pour autant, c’est un comportement qui, dans la mesure du raisonnable, n’est le bienvenu ni dans cet exercice, ni autour d’une table de JdR.

Une variante de cet exercice consiste à jouer par groupe de deux. Le plus souvent, cela a un impact bénéfique direct à la fois sur le flot et sur la qualité des histoires. Leur implication en est largement renforcée. Vous entraîner ainsi devrait vous permettre de rendre votre groupe bien plus efficace lors des scènes où tous les personnages sont réunis, en améliorant grandement votre capacité d’écoute et votre dynamique collective. En effet, lors d’une séance de jeu, les idées fusent et il est important de réussir à rebondir sur celles de ses camarades et les renforcer, plutôt que sans cesse repartir de zéro. L’idée essentielle : indépendamment de ce que peut faire leur personnage, une bonne histoire nécessite que les joueuses ne se laissent pas dépasser par leurs idées. Au lieu de s’éparpiller, elles doivent réussir à rester à la fois concentrées et spontanées.

1. À ce sujet, consultez également l’article « Garder la balle en l’air », p. 113.

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s’entraîner

À la fin de chaque histoire, essayez de voir si ces travers sont apparus. C’est un très bon outil pour apprendre à les identifier, puis à s’y opposer, voire à les supprimer. Le niveau des parties s’en ressentira progressivement, car si ce jeu peut paraître simple en apparence, il montre à quel point il est facile de se laisser dépasser quand on est plusieurs. Si cela vous rappelle certaines scènes d’échafaudage de plan lors de vos séances de jeu, c’est tout à fait normal.

5. Les Trois Statuts Le Jeu

Cet exercice se joue à trois et nécessite un peu d’espace. Il ne peut se faire autour d’une table. Commencez par laisser les trois joueuses choisir des numéros de 1 à 3 représentant la position de leur personnage. Celui ayant le numéro  1 a le statut le plus élevé et est dominant  ; à tel point, d’ailleurs, qu’il ne souhaite pas s’adresser directement au numéro 3, dominé par les deux autres. Les joueuses 1 et 2 ont chacune un ballon de baudruche ou une écharpe qui représente, dans le jeu, une arme dont le moindre coup suscite une souffrance effroyable (fouet, etc.). L’exercice est toujours structuré ainsi : le personnage ayant le statut le plus élevé souhaite déplacer rapidement un objet (celui peut être symbolisé par une boîte à chaussures, une trousse, une corbeille, etc.) d’un bout à l’autre de la zone de jeu. Toutefois, il ne veut pas le faire lui-même mais n’hésitera pas à utiliser son arme pour arriver à ses fins. Inversement, les autres personnages cherchent avant tout à se faire oublier et à éviter les coups. L’exercice se termine quand il a assez duré ou que l’objet est arrivé à destination. Pour aider les joueuses, l’idéal est sans doute de définir une situation, surtout si celle-ci peut avoir déjà eu lieu dans le passé des personnages que vous vous apprêtez à jouer dans votre partie de JdR : la reine veut faire déplacer une statue, un savant fou veut se débarrasser d’un cadavre, un dictateur veut que l’on ajuste son pupitre, etc. À noter qu’il existe de nombreuses variantes à cet exercice  : en ayant des statuts secrets au début du jeu, en donnant un même statut à deux joueuses, etc. Exemple 1 : « Lieutenant ! Je veux que cette bombe soit installée sous cette tente ! » (Il désigne l’autre bout de l’espace.) 2 : « Sergent, oui Sergent ! » (Il s’approche de la bombe mais, effrayé, va sur le côté de la scène.) « Officier ! Au rapport ! » 3 (Rentre dans l’espace) : « Oui, lieutenant ! » 2 : « Déplacez cette bombe ! » 3 : « Lieutenant, oui lieutenant ! » (Il se rapproche très lentement de la bombe.) 1 à 2 : « Mais c’est pas encore fini ?! » 2 : « Mais, c’est que… » (N° 1 frappe n° 2 qui hurle de douleur et s’en prend à son sous-fifre.) « Allez, plus vite ! » (N° 2 frappe n° 3 qui s’écroule.) 1 : « Mais vous avez vu ce que vous avez fait ?! » (Il frappe n° 2 plusieurs fois et n° 3 en profite pour s’échapper de l’espace.)

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Principe : statuts

Même si on y réfléchit peu, les différences de statut sont au cœur de nombreuses scènes d’interactions sociales en JdR. Elles peuvent prendre la forme d’une entrevue avec le prince de la ville à Vampire : la Mascarade, d’un remontage de bretelles par son vieux maître, d’un combat avec un adversaire particulièrement intimidant, etc. En s’entraînant à mieux gérer les dynamiques créées par les différentes positions sociales, on rend toutes ces scènes d’autant plus intéressantes. De surcroît, cela constitue un bon moyen de diversifier son interprétation au-delà de l’alternative caricaturale entre servilité zélée et rébellion quasi-adolescente. Un statut élevé est une position confortable car elle confère un pouvoir sur l’autre. Elle comporte des risques, comme la tentation de se servir de l’autre uniquement comme d’un faire-valoir que l’on humilie et rabaisse, pensant y trouver un moyen de briller. Fort heureusement, il existe de nombreuses autres façons de jouer un statut élevé sans pénaliser son interlocuteur. Voici quelques exemples : • regarder les autres joueuses droit dans les yeux ; • faire des phrases courtes et claires ; • donner des ordres ; • rester droit, faire le minimum de mouvements ; • parler fort ; • être compétent, savoir ce qu’il se passe ; • envahir l’espace des autres ; • laisser quelques secondes de silence avant de parler ; • être froid. À l’inverse, un statut bas est rarement joué dans son entièreté, et n’est pas très populaire. En effet, il s’agit de se montrer complètement vulnérable et en dessous de tous. Pourtant, une telle position peut être très agréable à interpréter, tant pour son pouvoir comique que purement dramatique1. La principale difficulté est de réussir à ne pas transformer son personnage en pleurnichard qui se contenterait de se lamenter sur son incompétence et son inutilité. Au contraire, un PJ de faible statut est sans doute plus intéressant s’il a à cœur d’être apprécié et de montrer ses qualités2. Là encore, les techniques d’interprétation sont nombreuses : 1. Dans certains univers, cette position peut également apporter un avantage stratégique. Dans des univers à forte rigidité sociale (l’Angleterre de Downton Abbey, le Japon de l’ère Edo, etc.), les personnages bien nés ne peuvent pas se rendre dans certains lieux ni s’entretenir aisément avec des membres des castes inférieures. 2. À ce sujet, consultez également l’article « Faire d’un incapable un héros », p. 245.

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s’entraîner

• prendre des décisions ;

• bafouiller, ne pas finir ses phrases, parler vite, avoir la voix qui baisse en milieu de phrase ; • avoir le regard fuyant ; • hésiter, changer d’idée de peur que la précédente soit mauvaise ; • rester voûté ; • changer fréquemment d’émotions ; • demander l’autorisation pour tout ; • acquiescer automatiquement dans un premier temps ; • se toucher les mains, tripoter ses vêtements, etc. ; • se gratter, avoir des tics ; • jubiler au moindre signe d’appréciation. Ce statut bas va donc être d’autant plus intéressant à jouer que le personnage va osciller entre le dégoût pour la tâche demandée et l’envie de plaire à son maître1. Refusez la tâche, excusez-vous, puis faites avancer l’objet juste un peu, souriez de contentement à votre maître, puis craignez son courroux, fuyez à nouveau, etc. L’idée essentielle : savoir donner corps à sa position sociale est incontournable pour rendre crédibles les scènes basées sur des dynamiques hiérarchiques.

6. Changement de statuts Le Jeu

Deux joueuses ont des personnages qui entretiennent un rapport hiérarchique très marqué où les positions respectives de chacun sont évidentes (suzerain et vassal, patron et employé, maître et apprenti, etc.). Les joueuses établissent leur relation pendant une minute environ, puis on fait intervenir une troisième joueuse qui apporte un élément perturbateur dans la scène. Celui-ci provoque une inversion totale du rapport de force entre les deux protagonistes. L’exercice se termine lorsque le basculement a été totalement joué. À noter qu’il existe une variante où ce changement est graduel. Exemple Un vigile de boîte de nuit refuse l’entrée à un individu qu’il suspecte d’être un dealer de drogue. 1. Cette logique est au cœur du jeu My Life with Master. Nous ne saurions trop vous le conseiller si ces problématiques vous intéressent. Czege Paul, My Life with Master, Half Meme Press, Livonia, 2003.

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Vigile : « Tu rentres pas. » Dealer : « Mais je comprends bien, vous faites votre travail, c’est normal, néanmoins je me demandais si on ne pouvait pas… Non mais je comprends, écoutez, si ça vous va… On va attendre qu’il y ait moins de monde, d’accord ? » Vigile : « … » Dealer : « Ou pas. Oui. Non. C’est vrai. En même temps, bon, moi je paie mon entrée, si après vous avez rien à faire, on se retrouve au bar, je peux vous payer un verre. Ou deux. On prend une bouteille ! Allez, on fait comme ça ? » Vigile (après un long silence) : « Tu t’écartes de la file d’attente et t’arrêtes. » Un V.I.P. saute la queue et reconnaît le dealer. Ils s’embrassent et ce dernier lui expose son problème. Vigile : « Ah oui, non mais… Oui, non, mais alors… euh… oui, alors je m’excuse. Non mais en fait il fallait le dire. Je… je vous prends une table ? » Dealer (après un long silence) : « Tu ne trouves pas qu’elles sont un peu sales, mes baskets ? Allez, va prendre un chiffon et nettoie-moi ça ! » Principe : le changement de statut

Un des principaux intérêts lorsque l’on définit des personnages par leur statut est de pouvoir ensuite les faire évoluer. Que cela soit graduel pour montrer la montée en puissance des PJ ou brutal lors d’un coup de théâtre, cet événement sera important lors d’une campagne. S’entraîner à jouer ces changements permet de rendre ces scènes mémorables.

L’idée essentielle  : des dynamiques sociales et des statuts qui évoluent, ce sont à la fois de nouvelles opportunités de jeu mais aussi des façons inédites d’explorer son personnage.

7. Half-life Le Jeu 

On donne une situation problématique aux joueuses qui ont deux minutes pour jouer une scène correspondante. Passé ce délai, on arrête l’exercice, que le problème ait été résolu ou non. On refait ensuite la même scène en divisant le temps par deux, puis encore par deux et ainsi de suite. Les joueuses doivent conserver un débit normal et ne pas essayer d’enchaîner les répliques à toute vitesse ou de parler en même temps que les autres. Au contraire, l’objectif est de supprimer le superflu pour respecter la limite de temps. À noter qu’il existe une variante avancée où les joueuses doivent trouver elles-mêmes la situation initiale durant le temps imparti.

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s’entraîner

En tant que joueuse, soyez donc bien consciente que chaque fois que vous interprétez un personnage au-dessus du lot, il sera sans doute très intéressant de vous donner la possibilité d’orchestrer sa déchéance sous les yeux de ceux-là mêmes qu’il domine.

Exemple Quand on a deux minutes : Joueuse 1 : « Vite, il nous faut atteindre le saloon avant qu’il ne ferme. » Joueuse 2 : « Je sais, mais où sont les chevaux ? » Joueuse 1 : « Là ! » (Son personnage indique l’abreuvoir.) Quand on a trente secondes : Joueuse 1 : « Vite ! Là ! Les chevaux. Au saloon ! » Principe : propositions efficaces

Durant une séance, les dialogues ont principalement deux fonctions : nous en apprendre davantage sur les personnages (attitude, vision du monde, relations, etc.), sur l’univers ou faire avancer l’intrigue. Certaines répliques réussissent à atteindre ces deux objectifs, d’autres n’en réalisent aucun. Sans grande surprise, il faut privilégier les premières. Cet exercice permet de s’entraîner à favoriser les dialogues les plus efficaces et à réduire les superflus. Ainsi, vos propositions auront plus de pertinence et d’impact sur le reste de la partie qui sera probablement plus fluide et intense, centrée sur les actions. Cet exercice met également en évidence un autre mécanisme de peur : le gossiping (bavardage), c’està-dire le fait de remplir l’espace sonore avec des répliques dont les enjeux sont faibles, sans véritable rapport avec le problème principal, ou qui ne dévoilent pas grand-chose. Or, si nous avons souvent tendance à vouloir meubler les instants de silence, encore faut-il apprendre à produire du sens et de l’intérêt plutôt qu’un simple bruit de fond. C’est pour cette raison qu’il est conseillé, à la fin de l’exercice, de discuter tous ensemble afin de déterminer la meilleure version. Le plus souvent, durant les premiers essais, les groupes s’accordent sur la version de quinze secondes. Celle-ci semble allier dynamisme et clarté, mais démontre également que près de 90 % de la première version était inutile. On considère que cet exercice est maîtrisé lorsque la version en une minute devient la meilleure. L’idée essentielle : les propositions efficaces sont celles qui nous en apprennent davantage sur les personnages ou l’univers, ou qui font progresser l’intrigue.

8. Personnage à trois répliques Le Jeu 

On donne une situation problématique à deux joueuses qui n’ont le droit d’échanger que trois répliques chacune durant la totalité de l’exercice. Elles peuvent jouer les actions de leur personnage ou les annoncer à la personne qui anime l’exercice. Le but est de faire la meilleure et la plus longue scène possible. Celle-ci se termine quand chaque joueuse a dit ses trois répliques. Naturellement, écrire quelque chose d’intel­ ligible revient à utiliser une de ses répliques, comme si elle avait été prononcée. 318

Exemple Une lycéenne dont les notes laissent à désirer rentre d’une soirée arrosée après le couvre-feu. Malgré ses efforts pour ne pas faire de bruit, sa mère, récemment divorcée, l’attend dans le fauteuil du salon et la fixe du regard. Mère : Je croise les bras, claque des doigts et indique le canapé en face de moi. Lycéenne : Je souffle, m’assois avec lourdeur et mets ma main sur mon front. Mère : Je me lève, prends son sac, cherche son téléphone et commence à regarder les SMS et photos envoyés. Lycéenne : « Hey ! Arrête, c’est à moi. Je savais que j’aurais dû rentrer chez papa ! » Mère : « C’est qui, lui ? » Je montre une photo où elle est en train d’embrasser un garçon plus vieux qu’elle. Lycéenne : Je rougis et reprends le téléphone. Je me rassois. « Personne… » Je détourne le regard. Principe : propositions non verbales

Cet exercice est conçu pour amener les joueuses à travailler sur tous les moyens d’expression de leur personnage en dehors de la parole, grâce à une contrainte simple : ne parler que lorsque l’on ne peut pas agir autrement. En effet, il existe un énorme potentiel à exploiter dans les actions non verbales. Celles-ci permettent aux joueuses d’utiliser voire de créer du décor, de mieux visualiser la scène et les actes qu’elles interprètent, même lorsque ceux-ci ne correspondent pas à une action technique (attaque, esquive, utilisation d’une compétence, etc.).

Enfin, cet exercice favorise l’écoute active : si on peut facilement se couper la parole, il faut en général une certaine concentration pour écouter et visualiser une action physique. Un personnage fait quelque chose, l’autre joueuse répond par une autre action. C’est simple et efficace, et cette dynamique se ressent rapidement dans la discussion autour de la table de jeu. L’idée essentielle : l’interprétation d’un personnage passe autant par celle de ses actes que par l’énonciation de ses paroles.

9. Sans paroles Le Jeu

On donne une situation problématique aux joueuses. Elles doivent jouer une scène sans parler ni rédiger quoi que ce soit d’intelligible. Elles ne peuvent communiquer leurs intentions que par leurs actions. La scène se termine quand le problème est résolu.

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s’entraîner

Lors des premiers essais, les scènes ne dureront probablement guère plus de quelques secondes. On considère que l’exercice est maîtrisé lorsque l’on arrive à tenir une minute sans perdre en intérêt.

Exemple  En plein Midwest, juste après un braquage qui a mal tourné, un renégat entre dans un saloon pour commander un verre au tenancier de l’établissement. Il est blessé et cherche à se faire recoudre. Renégat : « Je fais tinter mes bottes et m’accoude au bar. J’indique une bouteille de whisky derrière le barman. » Tenancier : « Je prends la bouteille et sers un verre. » Renégat : « Je mets ma main sur la bouteille pour qu’elle reste en place. » Tenancier : « Je remarque les taches de sang sur sa veste. Je dirige lentement ma main sous le bar pour attraper le fusil qui y est accroché. » Renégat : « Je pose mon colt sur le bar en faisant claquer ma langue. » Tenancier : « Je lâche le fusil et me sers ce qui sera peut-être mon dernier verre. » Principe : communiquer ses intentions

Cet exercice est évidemment dans la continuité du précédent. Il permet d’aller un peu plus loin dans l’utilisation des propositions non verbales en poussant les joueuses à élargir leur vocabulaire et leurs techniques pour transmettre leurs intentions. Dans l’exemple cité, tout le challenge pour le renégat sera d’indiquer qu’il veut se faire recoudre sans prononcer les mots de « blessure », « braquage » ou « bandage ». N’hésitez pas à prendre votre temps pour chercher des moyens de vous exprimer. Le silence à la table sera probablement à couper au couteau, mais il devrait entretenir la tension recherchée. L’idée essentielle : faire parler un personnage n’est pas toujours utile, il existe de nombreuses autres façons de s’exprimer et de permettre à sa joueuse de transmettre ses intentions.

10. Encore Le Jeu 

On donne une situation problématique aux joueuses qu’elles commencent à explorer pendant une trentaine de secondes. Une fois ce temps passé, l’animateur peut intervenir à n’importe quel moment en disant « encore » juste après une réplique pour demander à la joueuse concernée de changer sa phrase, et ce autant de fois qu’il le souhaite. La joueuse, quant à elle, doit être spontanée et ne pas hésiter à changer complètement de direction ou d’idée. L’objectif de cet exercice est de se forcer à prendre des risques. Il se termine quand le problème est résolu.

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Exemple  Joueuse 1 : « Où est ma sœur ? » Joueuse 2 : « Je ne sais pas où est ta sœur. » Meneur : « Encore. » Joueuse 2 : « Je sais exactement où est ta sœur. Dans ma chambre ! » Meneur : « Encore. » Joueuse 2 : « Ta sœur est morte, Fanny ! » Meneur : « Encore. » Joueuse 2 (regard inquiétant) : « Elle nous empêchait de vivre heureux, mon amour. » Principes : la prise de risques et l’augmentation des enjeux

Cet exercice favorise la spontanéité. En effet, impossible pour les joueuses d’anticiper face à des « encore » à répétition. Toutefois, il est surtout conçu pour qu’elles puissent également s’entraîner à la prise de risques en rendant les sources de conflits beaucoup plus difficiles à éviter. Durant cet exercice, il n’y a guère d’autre choix que de les embrasser pleinement et d’essayer de réagir en allant vers le problème plutôt que de le fuir, de le minimiser ou de le faire disparaître sous le tapis.

Dans la plupart des jeux à MJ, ce genre de retournement de situation ne se produira que rarement par la simple volonté des joueuses. Cependant, il existe non seulement des jeux sans meneur, mais il est également possible de faire monter les enjeux via les actions des personnages. Expérimenter la sensation que procure une telle évolution de la tension permet d’en faciliter la gestion une fois en jeu, mais également de favoriser les propositions les plus efficaces. L’idée essentielle : les réactions les plus intéressantes à une situation sont généralement celles qui en font augmenter les enjeux.

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s’entraîner

Dans l’exemple ci-dessus, les joueuses enchaînent quatre stratégies différentes. La première est un évitement, ce qui pousse généralement la partie à stagner. La deuxième consiste à écarter le problème en lui trouvant une solution immédiate à partir de laquelle il est difficile d’élaborer. La troisième amplifie le problème, et donc permet aux autres participants de s’en emparer et de jouer avec. La quatrième est de loin la plus satisfaisante : elle fait avancer la scène à grands pas, et les autres joueuses peuvent s’en emparer. En effet, elle est très claire et amène un élément nouveau important pour l’histoire : le personnage de la joueuse 2 est a priori un psychopathe.

Conclusion Comme vous avez pu le constater, ces exercices tournent tous autour d’une poignée de principes qu’il est salutaire de s’approprier tant ils sont utiles une fois mis en pratique autour de la table : la disponibilité de la joueuse, sa capacité d’écoute, à intégrer les propositions des autres et à rebondir dessus sans les contredire (percussion) et enfin sa propre faculté à faire des propositions qui soient elles-mêmes efficaces et génératrices de jeu. Ces grands principes sont en permanence confrontés à la réalité de deux besoins antagonistes : celui de préserver la cohérence de l’histoire et d’être capable de justifier ce qui se passe, et celui de ne pas laisser retomber la partie, en préservant un flot continu et spontané. Utiliser ces exercices pour s’entraîner est une façon très efficace d’améliorer ces compétences qui seront utiles dans tous les JdR ou presque. Elles seront certes plus ou moins importantes, mais elles devraient toujours être présentes. Par cette même pratique, vous devriez être capable de reconnaître plus facilement les mécanismes de peur et les fautes les plus courantes1 : cabotinage, confusion, décrochage, manque d’écoute, obstruction, refus de personnage, retard de jeu, rudesse excessive, scripter l’histoire, etc. Puis, dans un second temps, vous pourrez rapidement les désamorcer. Naturellement, il existe de très nombreux autres exercices. Toutefois, les dix présentés dans cet article vous aideront à créer vos propres routines. Il ne faut pas hésiter à les modifier pour qu’ils s’adaptent à vos besoins du moment : insister sur un aspect plutôt qu’un autre, ajouter des variantes, renforcer son lien avec ce que vous êtes en train de jouer par ailleurs, vous aider à démarrer, etc. Comme expliqué dans l’introduction de ce recueil, nous croyons que l’autonomie est une valeur essentielle pour faire évoluer votre pratique. Exactement de la même façon qu’il vous appartient de choisir les compétences sur lesquelles vous souhaitez vous concentrer, nous pensons que s’approprier ces exercices, comprendre ses propres besoins et s’y adapter est une étape nécessaire sur le chemin de l’autonomie.

1. À ce sujet, consultez également l’article « Garder la balle en l’air », p. 113.

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Fiche de synthèse Conseils généraux pour la pratique des exercices • Si possible, jouez le personnage de la partie qui va suivre (ces exercices seront signalés par un astérisque : *). • Soyez mobilisé intellectuellement, mais aussi physiquement et intuitivement. • Vous êtes là pour vous améliorer : tentez, échouez, recommencez. • Faites confiance et transformez les « erreurs » en opportunités de jeu. • Sachez établir une situation en répondant aux questions suivantes : a. quelle est votre relation ? b. qui êtes-vous individuellement ? c. où êtes-vous ? d. quand est-ce que la scène se joue ? e. quel problème êtes-vous en train de régler ? 1. Les Balles de couleur Idée essentielle Construire ensemble est d’abord une affaire d’écoute. Principe Se rendre disponible, écouter et contribuer au flot de la partie.

Faites cet exercice avant une partie, à titre d’échauffement, pendant que le MJ se prépare ou en attendant une joueuse en retard. Toutes les joueuses du groupe peuvent participer. Déroulement du jeu • Réunissez-vous autour de la table. • Lancez-vous des balles de couleur invisibles. • Lorsque vous donnez une balle, dites sa couleur en regardant la joueuse qui la reçoit. • Lorsque vous recevez une balle, répétez sa couleur pour confirmer sa réception. Lancez ensuite la balle à une autre joueuse en recommençant le même processus. • Accélérez et ajoutez plus de balles. • Arrêtez le jeu au bout d’une minute pour vérifier qu’aucune balle n’a été perdue ou n’a changé de couleur.

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s’entraîner

Quand faire cet exercice ? Combien de joueuses nécessite-t-il ?

2. Les Cadrans émotionnels* Idée essentielle Les émotions sont un ressort puissant pour rendre un personnage intéressant, mais elles sont d’autant plus efficaces qu’elles sont construites par touches successives. Laissez-vous toucher par ce qui se passe pendant la partie. Principe  Interpréter un large panel d’émotions, les crédibiliser et faire des propositions. Quand faire cet exercice ? Combien de joueuses nécessite-t-il ? Pratiquez cet exercice pour vous échauffer, puis intégrez-le à vos séances afin de pimenter le jeu (flash-back, cut scene, etc.). C’est un exercice pour deux joueuses. Déroulement du jeu • Séparez la scène ou la table en quatre zones appelées « cadrans ». • Associez à chacune une émotion particulière (ne mettez pas que des émotions négatives). • Définissez une problématique. • Interprétez votre personnage selon l’émotion correspondante au cadran dans lequel vous vous trouvez. • Changez de zone et faites évoluer les émotions de votre personnage en conséquence, en prenant soin de justifier ce changement de façon cohérente. • Arrêtez la scène une fois que le problème a été résolu. 3. Sous-titres* Idée essentielle On peut transmettre ses intentions de jeu autrement que par la bouche de son personnage. Principe Maîtriser ses intentions, faire des propositions efficaces et s’adapter. Quand faire cet exercice ? Combien de joueuses nécessite-t-il ? Faites cet exercice avant une partie, à titre d’échauffement, pendant que le MJ se prépare ou en attendant une joueuse en retard. C’est un exercice pour quatre joueuses. Déroulement du jeu • Établissez une situation problématique impliquant deux personnages. • Faites-les interpréter par deux joueuses qui ne peuvent s’exprimer que dans une langue imaginaire.

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• Demandez à deux autres joueuses de traduire leurs grommellements de façon intelligible au fur et à mesure de leur énonciation, comme si elles les sous-titraient. • Évitez de cabotiner, de mésinterpréter ou de créer des situations inutilement ridicules. Collez à ce que les autres joueuses essayent d’exprimer, et envisagez des traductions plus exotiques au fur et à mesure que vous prenez de l’aisance. • Arrêtez l’exercice une fois que le problème a été résolu. 4. Un mot à la fois Idée essentielle Une bonne histoire nécessite que les joueuses ne se laissent pas dépasser par leurs idées. Au lieu de s’éparpiller, elles doivent réussir à rester à la fois concentrées et spontanées. Principe  Prendre des décisions, s’y tenir et éviter les mécanismes de peur. Quand faire cet exercice ? Combien de joueuses nécessite-t-il ? Faites cet exercice avant une partie, à titre d’échauffement, pendant que le MJ se prépare ou en attendant une joueuse en retard. Toutes les joueuses du groupe peuvent participer.

• Formez un cercle ou asseyez-vous autour de la table. • Construisez une histoire en ne disant qu’un mot, chacune à tour de rôle. • Une joueuse peut dire « point » pour terminer une phrase avant d’énoncer ensuite le premier mot de la phrase suivante. Elle répète à haute voix la phrase qu’elle a terminée. • La première phrase doit commencer par « Je ». • Le jeu s’arrête quand l’histoire est trop incompréhensible ou qu’elle est achevée. 5. Les Trois Statuts* Idée essentielle Savoir donner corps à sa position sociale est incontournable pour rendre crédibles les scènes basées sur des dynamiques hiérarchiques. Principe  Gérer et interpréter les différents statuts. Quand faire cet exercice ? Combien de joueuses nécessite-t-il ? Pratiquez cet exercice pour vous échauffer, puis intégrez-le à vos séances afin de pimenter le jeu (flash-back, cut scene, etc.). C’est un exercice pour trois joueuses qui nécessite de l’espace.

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s’entraîner

Déroulement du jeu

Déroulement du jeu • C hoisissez une situation : le personnage ayant le statut le plus élevé souhaite déplacer un objet (symbolisé par une boîte à chaussures, une trousse, une corbeille, etc.) d’un bout à l’autre de la zone de jeu. Toutefois, il ne veut pas le faire lui-même mais n’hésitera pas à utiliser son arme pour arriver à ses fins. Inversement, les autres personnages cherchent à se faire oublier et à éviter les coups. Exemples de situations : la reine veut faire déplacer une statue, un savant fou veut se débarrasser d’un cadavre, un dictateur veut que l’on ajuste son pupitre, etc. • Laissez les trois joueuses choisir des numéros de 1 à 3 représentant la position de leur personnage. Celui ayant le numéro 1 a le statut le plus élevé et est dominant : il ne souhaite pas s’adresser directement au numéro 3, dominé par les deux autres. • Donnez aux joueuses 1 et 2 un ballon de baudruche ou une écharpe qui représente une arme dont le moindre coup suscite une souffrance effroyable (fouet, etc.). • Mettez fin à l’exercice lorsqu’il a assez duré ou que l’objet est arrivé à destination. 6. Changement de statut* Idée essentielle Des dynamiques sociales et des statuts qui évoluent, ce sont à la fois de nouvelles opportunités de jeu mais aussi des façons inédites d’explorer son personnage. Principe  Gérer et interpréter les évolutions des différents statuts. Quand faire cet exercice ? Combien de joueuses nécessite-t-il ? Pratiquez cet exercice pour vous échauffer, puis intégrez-le à vos séances afin de pimenter le jeu (flash-back, cut scene, etc.). C’est un exercice pour trois joueuses. Déroulement du jeu • Dites à deux joueuses qu’elles doivent interpréter des personnages qui entretiennent un rapport hiérarchique marqué où les positions respectives de chacun sont évidentes (suzerain et vassal, patron et employé, maître et apprenti, etc.). • Commencez la scène et laissez-les établir leur relation pendant une minute environ. • Faites intervenir une troisième joueuse qui apporte un élément perturbateur. Celui-ci provoque une inversion totale du rapport de force entre les deux protagonistes. • Arrêtez l’exercice quand le basculement a été totalement joué.

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7. Half-life* Idée essentielle Les propositions efficaces sont celles qui nous en apprennent davantage sur les personnages ou l’univers, ou qui font progresser l’intrigue. Principe  Réduire les propositions à faible enjeu. Quand faire cet exercice ? Combien de joueuses nécessite-t-il ? Faites cet exercice avant une partie, à titre d’échauffement, pendant que le MJ se prépare ou en attendant une joueuse en retard. C’est un exercice pour deux joueuses ou plus. Déroulement du jeu • Donnez une situation problématique aux joueuses qui ont deux minutes pour jouer une scène correspondante. • Mettez fin à l’exercice passé ce délai, que le problème ait été résolu ou pas. • Demandez-leur de refaire la même scène en divisant le temps par deux, puis encore par deux et ainsi de suite. • Expliquez aux joueuses qu’elles doivent conserver un débit normal et ne pas essayer d’enchaîner les répliques à toute vitesse ou de parler en même temps que les autres. L’objectif est d’enlever tout ce qui est inutile pour respecter la limite de temps. • Discutez pour déterminer la meilleure version.

Idée essentielle L’interprétation d’un personnage passe autant par ses actes que par ses paroles. Principe  Améliorer les propositions non verbales. Quand faire cet exercice ? Combien de joueuses nécessite-t-il ? Pratiquez cet exercice pour vous échauffer, puis intégrez-le à vos séances afin de pimenter le jeu (flash-back, cut scene, etc.). C’est un exercice pour deux joueuses. Déroulement du jeu • Donnez une situation problématique à deux joueuses. Elles n’ont le droit d’échanger que trois répliques chacune durant la totalité de l’exercice. Elles peuvent jouer les actions de leur personnage ou les annoncer à la personne qui anime l’exercice.

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s’entraîner

8. Personnage à trois répliques*

• Expliquez-leur que le but est de faire la meilleure et la plus longue scène possible. • Arrêtez l’exercice quand chaque joueuse a dit ses trois répliques. 9. Sans paroles* Idée essentielle Faire parler un personnage n’est pas toujours utile, il existe de nombreuses autres façons de s’exprimer et de permettre à sa joueuse de transmettre ses intentions. Principe  Communiquer ses intentions sans parler. Quand faire cet exercice ? Combien de joueuses nécessite-t-il ? Pratiquez cet exercice pour vous échauffer, puis intégrez-le à vos séances afin de pimenter le jeu (flash-back, cut scene, etc.). C’est un jeu pour deux joueuses. Déroulement du jeu • Donnez une situation problématique à deux joueuses. Elles doivent jouer une scène sans parler ni rédiger quoi que ce soit d’intelligible. Elles ne peuvent communiquer leurs intentions que par leurs actions. • Mettez fin à la scène quand le problème est résolu. 10. Encore Idée essentielle Les réactions les plus intéressantes à une situation sont généralement celles qui en font augmenter les enjeux. Principe  Augmenter les enjeux et prendre des risques. Quand faire cet exercice ? Combien de joueuses nécessite-t-il ? Faites cet exercice avant une partie, à titre d’échauffement, pendant que le MJ se prépare ou en attendant une joueuse en retard. C’est un exercice pour trois joueuses. Déroulement du jeu • Donnez une situation problématique à deux joueuses. • Laissez l’explorer pendant une trentaine de secondes. • Intervenez à n’importe quel moment en disant « encore » après une réplique pour demander à la joueuse de changer sa phrase, autant de fois que vous le souhaitez.

conclusion

ne pas être cette joueuse-là



Selene Tonon

L

es précédents chapitres de ce recueil se sont efforcés de mettre en avant les différents savoir-faire utiles à la pratique du JdR. Toutefois, il reste un dernier élément à ne surtout pas négliger : le savoir-être. Ainsi, si une fois autour de la table de jeu, on excuse très facilement les maladresses, il est néanmoins nécessaire d’identifier l’existence de certains comportements qui sont presque toujours toxiques. Dans ces cas-là, le problème n’est pas tant qu’une joueuse puisse manquer de compétence ou faire un choix créatif malheureux, mais bien que, consciemment ou pas, elle ait décidé d’adopter une conduite qui pénalise la satisfaction de toute la table pour privilégier la sienne. Et pourtant, cela arrive à tout le monde. Pour tout dire, si vos amis ou vous ne l’avez pas déjà été, c’est sans doute que vous ne jouez pas depuis assez longtemps. Mais le but de cet article n’est ni de prétendre que cela n’arrive pas, ni de jeter les mauvaises joueuses au pilori, ni de s’auto-congratuler. Au contraire, il est avant tout question de se concentrer sur les comportements plus que sur les personnes, sur des moyens de faire en sorte d’éviter les attitudes nuisibles à votre table plutôt que de chercher à déterminer si vos camarades de jeu vous méritent ou pas.

329

savoir-être

On ne saurait trop vous conseiller de ne pas être cette joueuse-là.

L’objectif est double : • identifier les comportements « à problèmes » lorsqu’ils arrivent en jeu et être capable d’avoir une discussion avec la personne qui en est à l’origine avant que la partie ne dégénère ; • prendre du recul sur sa propre pratique et tomber moins souvent dans ces travers qui privent le reste de la table d’une bonne partie de son plaisir de jeu. Sans grande surprise, la plupart de ces comportements ont déjà été évoqués dans les chapitres précédents. Certains vous sembleront si évidemment toxiques que vous aurez du mal à imaginer que des joueuses puissent tomber dans le panneau. Il est vrai que nombre d’entre eux semblent simplement relever des bonnes manières et aller de soi1, mais ce serait oublier que, passé une certaine heure, et pris dans le jeu, nous n’avons plus du tout les mêmes attentes ou rituels sociaux. D’autres comportements, au contraire, vous rappelleront sans doute votre façon de faire ou celle de vos proches. Peu importe. L’essentiel n’est pas tant de fournir une sorte de check-list qui serait immuable dans le temps que de vous proposer des pistes de réflexion sur les attitudes que l’on peut accepter autour d’une table de jeu et celles qui n’y ont pas leur place. Cet article est organisé autour du précepte suivant : « Je joue avec les autres en les laissant jouer. » En apparence simple, voire un peu béat, il se révèle en réalité bien plus profond. Tous ces termes revêtent une importance particulière et permettent de cibler des problèmes spécifiques. Ainsi, pour chacun d’eux, vous trouverez ci-après une rapide explication, quelques conseils et une contrepartie positive, une sorte de principe facile à garder en tête pour éviter de prendre les mauvaises décisions.

Il suffit de faire ce que le meneur demande, c’est ça ? Non. C’est auprès de toute la table que vous devez soigner votre savoir-être, meneur et joueuses compris. Cela n’implique pas de sacrifier votre plaisir pour celui d’une autre personne, mais peut-être de se mettre au diapason des attentes du reste du groupe et d’aller dans le sens du jeu. Si le meneur vous semble très présent dans cet article, c’est sans doute parce que, pour des raisons d’accessibilité, nous avons choisi la configuration de jeu la plus courante.

1. Ceci explique notamment que ces comportements sont très rarement évoqués lorsque l’on définit un contrat social (à ce sujet, consultez également l’article « Jouer ensemble », p. 129.). Pourtant, nous ne saurions trop vous conseiller de passer cet article en revue avant de vous livrer à l’exercice.

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« Je joue avec les autres en les laissant jouer. » Soyez intellectuellement disponible et jouez !

La première façon de pénaliser la satisfaction du reste de la table, c’est sans doute de ne pas jouer ou de ne pas en donner l’impression. Une joueuse physiquement absente vaut probablement mieux qu’une joueuse qui n’est que physiquement présente ou qui n’avait visiblement pas envie de jouer. Cette dernière gâche la partie de tout le monde. Même s’il existe des phases plus ou moins passives1, le JdR est une activité exigeante en termes de concentration. Il nécessite l’établissement d’une confiance entre les participants et perd terriblement à être pratiqué de manière désinvolte. La technologie est, à ce titre, une source de distraction permanente2.

L’ordinateur portable, quant à lui, est à proscrire totalement, à moins qu’il ne fasse partie intégrante de la partie et que le MJ ait même souhaité qu’une ou plusieurs joueuses puissent avoir accès à un tel dispositif. Toutefois, on peut remarquer que même dans ce cas, il est crucial de porter une attention particulière à limiter au maximum les sources de distraction virtuelles : quitter tout programme inutile et particulièrement les jeux, les réseaux sociaux et les logiciels de discussion, de même que les fils d’actualité et de mail. En bref, le seul logiciel ouvert, la seule musique écoutée, doit l’avoir été avec l’accord de la table. Si vous utilisez votre ordinateur portable pour prendre des notes, le plus efficace reste de couper la connexion Internet. Mais la distraction n’a pas besoin d’être technologique pour exister. Le meilleur exemple est celui de la joueuse qui passe une demi-heure à feuilleter le livre de règles pour trouver le sort parfait à lancer ou pour optimiser l’évolution de son personnage, voire qui en profite pour lire des nouvelles ayant trait à l’univers du jeu. Ces éléments sont certes très intéressants, et son attitude probablement due 1. À ce sujet, consultez également l’article « S’entraîner » sur l’écoute active, p. 319. 2. À ce sujet, consultez également l’interview « La bonne joueuse, tu vois, elle lance les dés… », p. 21.

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savoir-être

Pour ce qui est du téléphone, l’idéal serait de l’éteindre ou de mettre sa sonnerie en silencieux afin de ne pas perturber le jeu pendant son déroulement. Y jeter un œil de temps en temps, éventuellement répondre à un message écrit de façon très occasionnelle doit être l’extrême limite (et un MJ serait tout à fait en droit de considérer que c’est déjà de trop si cela nuit à l’ambiance qu’il tente d’instaurer). Devoir prendre un appel peut arriver, mais il vaut mieux éviter que cela devienne une habitude ou de se faire trop attendre. Dans le cas où une situation particulière dicterait une attention soutenue, la moindre des choses est de prévenir les autres joueuses et le MJ, quitte à convenir de décaler la partie ou à annuler sa propre participation.

à son enthousiasme, cependant cela reste une distraction. Évitez de vous livrer à un tel comportement durant la partie. Dans l’idéal, si vous avez accès au matériel nécessaire1, faites-le entre les séances. Sinon, utilisez les temps morts ou profitez des bavardages précédant le jeu effectif pour vous mettre à jour. Pensée positive : « C’est maintenant que j’ai la possibilité de jouer, il faut que j’en profite. La partie est plus importante, je pourrai voir cela plus tard. » Il est possible, en revanche, que vous ayez besoin d’avoir une activité manuelle pendant la partie afin de maintenir la concentration2. Si tel est le cas et que vous pouvez vous y adonner avec discrétion ou au moins sans bruit, aucune hésitation : allez-y ! Rien n’empêche de tricoter ou de dessiner sur un carnet pendant la partie, ce sont des activités tout à fait neutres par rapport au jeu et qui peuvent légitimement être utilisées comme support. La représentation des personnages et des scènes peut même être un excellent supplément à l’imaginaire développé autour de la table. Ne trichez pas

Les situations de non-jeu évoquées précédemment sont involontaires, et ne sont évitables qu’en prêtant une attention particulière à ses habitudes. Néanmoins, il existe également des comportements prémédités qui cassent littéralement le jeu, que ce soit en l’empêchant de se dérouler de façon normale ou en rompant la confiance entre les joueuses. Ils ont un point commun : dans tous les cas, ils représentent une forme de triche. Lire le scénario du MJ (que ce soit en consultant ses notes personnelles ou en retrouvant le texte sur Internet ou en boutique) ou jeter un œil discret aux fiches de personnage des autres joueuses (dans le cas où elles sont cachées) sont des exemples de diverses manières de gâcher une partie : personne n’y gagne quoi que ce soit, et tout le monde finit par perdre son temps. Ne laissons aucune place au doute : au cours d’un jeu impliquant plusieurs personnes, la triche ne se justifie jamais. Il s’agit d’un avantage indu que l’une des joueuses s’arroge par rapport aux autres, détournant les règles pour son propre profit, dénaturant ainsi tout le plaisir de l’activité… pour tout le monde. Car la personne ayant triché sait qu’elle n’aura pas réellement « gagné » (si tant est que ce mot puisse avoir un sens en JdR), et les autres auront assez fatalement la désagréable sensation qu’il s’est passé quelque chose de curieux, et que le jeu ne s’est pas déroulé de la manière dont il aurait dû. Pire encore, à part dans certaines séances très tactiques, il est courant que l’avantage ainsi obtenu n’ait que très peu d’influence sur ce qui compte vraiment dans la partie. Ceci accentue indubitablement le décalage avec les autres joueuses qui perçoivent le geste comme encore plus mesquin. 1. Si besoin, n’hésitez pas à demander de l’aide à votre meneur. Si elles ne sont pas déjà disponibles sur Internet, il pourra sans doute vous fournir les informations techniques concernant le type de personnage que vous incarnez. 2. À ce sujet, consultez également l’interview « La bonne joueuse, tu vois, elle lance les dés… », p. 21.

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Pensée positive : « La curiosité est une qualité, la sagesse en est une autre : j’aurai bien plus de plaisir en découvrant les secrets du jeu en temps et en heure. » Les autres formes de tricherie, telles que celles liées à la façon de lancer les dés ou à leur lecture, ne trouvent pas plus de justification. Ne confondez pas relations fictives et relations réelles

En outre, et sans parler forcément de tricherie, certaines irruptions du réel dans le jeu demeurent indésirables. S’il est tout à fait naturel d’aider une joueuse débutante à mettre en place son interprétation et à créer son personnage, il l’est moins d’en profiter pour en tirer quelque avantage (circulation clandestine d’informations, entraide incohérente, arrangements ne correspondant à rien en jeu). De la même façon, les liens familiaux ou de proximité de la vie réelle ne doivent pas avoir préséance sur les liens entre leurs alter ego. Or, il arrive parfois d’avoir l’impression que deux personnages collaborent de façon artificielle et qu’ils n’ont pas de véritables raisons d’être aussi liés. C’est flagrant, notamment en jouant avec certains couples qui ne peuvent s’empêcher de se venir en aide, même si cela va totalement à l’encontre du sens de la partie. Ce type de phénomène est en partie normal, surtout chez les jeunes joueuses. C’est ce qu’on appelle le bleed1. Toutefois, si ces arrangements semblent calculés, ils installent une ambiance très néfaste et un véritable sentiment d’injustice chez les autres joueuses. Cela insinue, en quelque sorte, que le jeu – et donc leurs efforts et leur temps – ne compte pas vraiment et qu’il est impossible d’interagir de façon normale avec ces personnages.

En outre, on peut aussi garder à l’esprit qu’un lien fort d’amitié (ou de proximité, de manière générale) existant entre des joueuses peut être un bon moyen de mettre en scène des rivalités sans que cela déborde sur la réalité2. Si les deux sont d’accord pour créer ce type de relations, c’est même l’occasion rêvée pour faire les pires crasses au personnage de l’autre joueuse sans que cette dernière lui en tienne rancune ! Il faut, bien entendu, que le respect demeure dès qu’il n’est plus question de jouer, et qu’il n’y ait aucune ambiguïté quant à la nature des hostilités : elles font partie du jeu et sont limitées à ce dernier. Pensée positive : « Le temps du jeu, les liens entre les personnages deviennent plus importants que les liens hors-jeu. En dehors du jeu, c’est évidemment le contraire. » 1. À ce sujet, consultez l’article « Exploiter la distinction entre joueur et personnage », p. 195. 2. À ce sujet, consultez également l’article « Coopérer et Rivaliser », p. 149.

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savoir-être

En revanche, si la table juge cela pertinent et susceptible d’apporter un regain d’intérêt dans la partie, il est envisageable de créer les personnages de ces joueuses en s’inspirant de leur relation. Cela peut par exemple être très utile en cas d’anxiété sociale de la part d’une joueuse débutante, ou en prévision d’un besoin de soutien en cours de partie.

« Je joue avec les autres en les laissant jouer. » C’est un lieu commun : le JdR est une activité collective. Pourtant, il peut arriver d’oublier cette dimension coopérative, y compris lorsque l’on est face au MJ. Certains oublient parfois que ce dernier n’est pas là pour s’opposer aux joueuses, mais bien pour leur proposer une histoire intéressante ou un challenge adapté (et, si possible, les deux à la fois). Si les personnages ont parfois des objectifs divergents et doivent souvent relever les défis proposés par le MJ, il ne s’agit que d’une compétition virtuelle qui ne concerne qu’indirectement les joueuses. Nuire à ses camarades est un comportement évidemment toxique ; croire que le MJ est son ennemi aussi. Distinguez joueuses et personnages

Une pratique couramment observée est de provoquer directement les autres joueuses pour instiller une rivalité limitée pour nourrir celle des personnages. Les moyens peuvent être multiples : taquinerie, dépassement de soi par la comparaison à l’autre, humour, etc. Si certaines tables ne semblent pas savoir jouer sans, cette façon de faire reste loin d’être généralisable. Pire encore, il s’agit fréquemment d’une très mauvaise idée1. Certaines provocations prononcées par une joueuse et non par son personnage peuvent créer une situation gênante, rompant immédiatement l’immersion de la table. De plus, elles peuvent faire oublier le contexte ludique à la personne ciblée et l’amener à répondre comme si elle avait été mise en cause de façon très sérieuse. Enfin, toutes les joueuses ne sont pas égales dans leur vécu, et il est possible que certains mots puissent blesser bien plus que l’on ne pouvait s’y attendre, et que leur destinataire ne souhaite plus jouer ni n’arrive à le faire. Par extension, il peut être très malvenu d’évoquer une particularité réelle de la joueuse comme s’il s’agissait également d’une particularité du personnage. La couleur de peau, le poids, la taille, l’orientation sexuelle, l’identité de genre de nos partenaires de jeu ne sont pas forcément les mêmes que ceux de leurs personnages. Aussi est-il très maladroit et néfaste pour l’ambiance, par exemple, de commencer à évoquer la transidentité ou l’obésité d’une joueuse en plein milieu d’une partie, que la personne soit ouverte sur le sujet ou qu’elle ne le soit pas. Le personnage n’est pas sa joueuse. Et inversement. Pensée positive : « Nous jouons ensemble. La qualité que nous mettons en avant, collectivement, c’est de faire la part des choses entre joueuse et personnage. » Ne débattez pas des règles pendant la partie

Lorsqu’une erreur de règle nous désavantage ou que son interprétation est discutable, remettre en question la décision du MJ ou du reste de la table devient très tentant. Dans ces cas-là, tout est bon pour obtenir gain de cause et réparer l’injustice : 1. Les points de vue peuvent diverger sur le sujet : consultez également l’article « Créer du jeu pour les autres » p. 179, ou encore « Coopérer et Rivaliser », p. 149.

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négociation, mauvaise foi, justification « au texte de la loi » en sortant son livre, etc. Pourtant, une telle explication risque de briser le flot de la partie et de placer une autre personne dans une position assez inconfortable, car elle devra à la fois se justifier et faire preuve d’autorité. Si le rappel d’une règle oubliée ou la clarification d’une situation mal explicitée est totalement compréhensible (voire souhaitable), l’insistance menant à un débat stérile n’est jamais agréable. Si vous trouvez que le MJ a manifestement tort, que vous le lui signalez et qu’il maintient sa position, il vaut mieux lui accorder foi le temps de la partie. Les longs et pénibles débats peuvent toujours être menés plus tard (ou demeurer inachevés si personne n’a vraiment envie de les mener : sont-ils vraiment si importants ?). En attendant, son but n’est pas de nuire aux personnages des joueuses, mais bien de leur proposer une situation qu’il juge intéressante. Pensée positive : « Il y a un temps pour le jeu, et un autre temps, séparé, pour le débat et l’établissement des règles. Priorité à l’action. » N’étalez vos connaissances que si cela sert le jeu

Cela fait également intervenir un décalage entre ce que le personnage sait et ce que sa joueuse sait, en plus de poser de nouvelles questions. Un PJ de diplomate est-il forcément réservé à une joueuse ayant lu cinq fois les livres consacrés à l’univers du jeu, incluant les nouvelles publiées en librairie, ou bien souhaite-t-on qu’une joueuse puisse également découvrir ce rôle en même temps que le cadre spécifique à la campagne ? Est-il obligatoire d’avoir soi-même une maîtrise en ingénierie pour jouer un personnage versé dans cette science ? Cela semble contradictoire avec l’idée même de jouer un rôle. Il s’agit également de ne pas se servir de ses connaissances personnelles pour remplacer celles du personnage, ce qui risquerait de déséquilibrer le système de jeu, et d’être par conséquent perçu comme une forme de tricherie. Si des compétences de connaissance sont mentionnées sur la fiche de personnage, c’est justement pour que l’intérêt des PJ ne soit pas subordonné aux connaissances de leurs joueuses. Le plus souvent, on cherche à solliciter leur capacité de réflexion et à se poser les bonnes questions, pas leur culture générale. En outre, de tels exposés posent un problème supplémentaire : ils confisquent au MJ le droit de s’approprier un cadre existant et de le développer. Il devient donc impossible 335

savoir-être

Il en est de même concernant les connaissances que l’on peut avoir accumulées, que ce soit sur l’univers du jeu, sur un domaine scientifique ou autre. Connaître et savoir citer par cœur les noms de tous les chefs de clan de l’empire ou les intrigues politiques en cours au sujet d’un monarque n’a pas plus d’intérêt que d’improviser un cours d’aérodynamique ou de physique nucléaire en pleine partie. Ce sont certes des sujets passionnants, mais ils monopolisent également du temps qui devrait être consacré à l’action (et donc au jeu en lui-même).

de se démarquer d’une œuvre originale ou de rajouter une couche de fantastique. Tout ne peut plus être que fidèle au canon ou réaliste. Or, par définition, un univers de JdR dans lequel les personnages évoluent se construit au fil de la narration. Sauf quelques rares contre-exemples, il se base sur les ramifications de ce qui a déjà été acté en jeu ou validé ensemble, et donc aussi sur les éléments qu’ajoutent les joueuses et le MJ en cours de route. Si ce dernier décide que la physique quantique est une forme de magie, c’est tout à fait son droit. Il en va de même s’il chamboule la hiérarchie historique du Japon au xvie siècle, ou s’il décide qu’Athéna est en réalité la sœur de Zeus. Cependant, malgré une confiance et une bienveillance nécessaires, il serait idiot de partir du principe que le meneur ne se trompe jamais, d’une part parce que cela serait bien entendu faux, d’autre part parce que ces erreurs peuvent être un effet de mise en scène destiné à vous montrer que quelque chose cloche ou à attirer votre attention. Il s’agit d’un procédé couramment utilisé dans le cadre des uchronies, par exemple. Aussi, dans le cas où la probabilité d’une erreur du MJ est forte, il ne faut pas hésiter à le lui signaler. Il existe des façons polies de le faire. Lui présenter la chose avec tact, comme une supposition et après avoir demandé la parole, et non pas comme une contradiction formelle en l’interrompant, peut notamment être judicieux. Pensée positive : « Je considère que je découvre l’univers du jeu en même temps que mon personnage. Cela me permet d’avoir encore des surprises. »

« Je joue avec les autres en les laissant jouer. » Si la coopération avec les autres joueuses est importante, il est compréhensible qu’elle n’aille pas de soi dans un contexte de compétition entre les personnages, et qu’il soit difficile d’adopter un comportement équilibré vis-à-vis de cette question1. La juste mesure est d’autant plus complexe à atteindre qu’il émerge parfois des situations où le comportement du personnage pourrait également gagner à être modulé en fonction du contexte. Coopérez avec le meneur

Dans le cas où le MJ n’a pas donné une motivation suffisante aux PJ pour se lancer dans l’aventure qu’il propose, il convient de faire fonctionner son esprit critique. Si le MJ est expérimenté, peut-être est-ce intentionnel (il prévoit un rebondissement futur) ou peut-être est-ce une erreur. Quoi qu’il en soit, il saura probablement gérer le hors-piste qui pourrait s’ensuivre. En revanche, si le MJ est débutant, il peut être très embarrassant de lui pointer du doigt sa maladresse en pleine partie. Même si vous avez l’impression qu’il gâche votre soirée, évitez par exemple d’insister sur son erreur en lui expliquant à quel point il est incompétent, que vous auriez fait mieux, ou de lui donner une bonne leçon en courtcircuitant son scénario et en refusant ouvertement de suivre les pistes qu’il peut proposer. Tous les bons MJ ont commencé un jour, il serait dommage de décourager des vocations. 1. À ce sujet, consultez également l’article « Coopérer et Rivaliser », p. 149.

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Dans la mesure du possible, il s’agit de se comporter de manière volontaire face au scénario. Cela implique de tenter de suivre l’histoire, mais aussi, dans une certaine mesure, de la faire avec les autres joueuses : si votre personnage s’isole systématiquement du reste du groupe, c’est qu’il n’en fait vraisemblablement pas partie. Il est probable que vous ralentissiez considérablement l’action et il peut être pénible, pour les autres joueuses, de constater que la moitié du temps de jeu est en réalité occupée à raconter les tribulations d’un seul personnage, lequel refusant obstinément de se joindre aux autres. Pensée positive : « Quand se présente une opportunité de jeu collectif, impliquant plusieurs personnages, je la saisis. C’est plus intéressant ainsi. » Sachez quand révéler vos secrets

Suivant une idée similaire, la rétention d’informations est une pratique tout à fait attrayante dans le contexte d’une enquête comportant une dimension compétitive. Ceci est particulièrement vrai si les personnages sont incités à s’accuser mutuellement, par exemple parce que certains d’entre eux sont effectivement des coupables potentiels. Dans les cas extrêmes, on peut observer ce type de comportements dans les parties ayant un format de soirée-enquête (ou murder party) en huis clos ou dans certains jeux spécifiques (Paranoïa, Cold City, etc.). On peut également rencontrer de tels enjeux dans des campagnes d’un format plutôt classique, à partir du moment où les personnages ont des secrets, honteux ou compromettants, qu’ils souhaitent cacher à tout prix.

Ce qui est un simple gâchis peut devenir une situation de refus de jeu lorsque le secret concerne l’enquête en cours et fait partie des nœuds du scénario. Et ce, même si quelqu’un vous a signifié que votre objectif était d’emporter votre secret dans votre tombe. L’idée n’est pas qu’il soit révélé à tout prix, mais bien qu’il soit possible de le deviner, ou du moins de tenter des suppositions – y compris erronées – à son sujet. Bref, le but est qu’il crée du jeu. Par exemple, une liaison amoureuse clandestine comprend généralement son lot d’œillades discrètes et de décisions irrationnelles pouvant même laisser supposer des rancunes, de la méfiance ou de la haine, la tension ne devenant que plus palpable devant les personnes les plus directement opposées à cette romance. 337

savoir-être

Sur ce point, il convient de faire particulièrement attention, car l’équilibre peut être compliqué à atteindre et à maintenir : si l’objectif du personnage est de cacher ce secret, l’objectif de la joueuse est de l’interpréter de manière suffisamment pertinente. En d’autres termes, le fait de ne jamais jouer un secret diminue son importance, et celui-ci perd de sa capacité à rendre votre personnage plus intéressant. C’est une information dont on n’a sans doute pas tenu compte pour jouer et qui aurait probablement gagné à être remplacée par une autre. En effet, l’enjeu est plus de savoir quand et dans quelles circonstances dévoiler cette information que de réussir à ne pas l’éventer. Il s’agit donc d’incarner un personnage sachant plus ou moins bien donner le change, pas d’éviter à tout prix qu’il soit démasqué.

Pensée positive : « Les secrets ajoutent du piment au jeu. Je trouve leur intérêt dans leur interprétation active et dans leur échange, plutôt que dans leur dissimulation. » N’agressez pas les autres joueuses, même indirectement

Si le meurtre d’un autre personnage semble être une pratique tout à fait admise d’une façon générale, il vaut quand même mieux tenir compte du contexte. S’il intervient en début de partie, on peut légitimement se poser la question de sa pertinence. Même si le personnage a de fort bonnes raisons d’en éliminer un autre, il peut aussi penser à d’autres actions et à d’autres finalités (vengeance à plus long terme, ou sous une autre forme). La question est moins pertinente lorsque l’on a dépassé la moitié du temps de jeu pour la séance, même si elle peut toujours se poser dans le cadre d’une campagne. Le viol, par contre, est à proscrire, à tout prix. Quelle que soit la situation, le viol du personnage d’une joueuse par celui d’une autre joueuse est un acte bien trop lourd de conséquences. Il est impossible de connaître à la perfection le passé des personnes avec qui on joue, surtout concernant des épisodes aussi intimes. L’empathie existant entre un personnage et sa joueuse peut mener cette dernière à sortir du contexte du jeu et à ne plus pouvoir en profiter, sans même parler de l’évidente souffrance que cela risque de raviver. Même dans le cas d’une personne qui n’aurait jamais été victime de viol, l’impact émotionnel d’un tel acte risque fort de couper l’immersion, en plus de créer un traumatisme réel.

Un ressort scénaristique comme un autre ? Non, le viol n’est pas un ressort scénaristique comme un autre. Mais cela ne veut pas dire que l’on ne peut pas s’en servir dans le cadre d’une partie de JdR. En effet, les problématiques des joueuses ne sont pas forcément exactement les mêmes que celles du MJ, et il peut désirer l’utiliser. Toutefois, qu’un viol soit intégré à l’intrigue ne sousentend en rien que celui-ci doit être joué ou mis en scène. Il est de la responsabilité du meneur de prendre les indispensables précautions pour s’assurer que son insertion dans l’intrigue, a priori rapportée ou devinée, ne soit ni vaine, ni traumatisante et qu’elle enrichisse réellement la partie. Quelles que soient ses intentions, il n’est jamais indispensable de décrire une telle scène et personne n’a à l’imposer à des joueuses qui n’ont pas explicitement donné leur accord.

Pensée positive : « Mes actes ont un impact sur les autres joueuses. Un personnage inhumain peut être joué de façon humaine, sans contradiction. »

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« Je joue avec les autres en les laissant jouer. » Ne monopolisez pas la parole

Dans un loisir où il est valorisé d’être proactif, imaginatif et éloquent, il est tout à fait possible de se laisser emporter par un abus de confiance lors d’élans de créativité et d’enthousiasme. En ce sens, la sollicitation intempestive du MJ est une manière de confisquer le jeu aux autres, sans forcément s’en rendre compte. Pour cette raison, il peut être intéressant de rester vigilant quant à l’espace laissé aux autres joueuses. Cela concerne à la fois leur capacité à prendre la parole, celle de leur personnage à agir, et que les deux aient suffisamment de temps pour arriver à leurs fins. Au-delà d’apprendre à ne pas couper la parole aux autres (ce qui est de moins en moins évident au fur et à mesure que la tension monte et que l’heure avance), il peut être opportun de prêter attention aux partenaires de jeu les plus timides. Leur présenter, de temps en temps, des tremplins à l’interprétation de leur personnage1 est une très bonne façon de les convier à participer. En effet, toutes n’ont pas la même aisance orale, ou la même créativité, et aider les autres joueuses à prendre pied dans la partie est à la fois immersif et valorisant pour tout le monde. Le tout est d’y aller avec bienveillance : il s’agit de tendre la main, pas de brusquer, d’impressionner ou d’effrayer. Il ne s’agit pas non plus de profiter de son aisance, le cas échéant, pour se poser en bienfaitrice et en centre d’attention. Une partie de JdR n’est pas un concours de popularité, mais plutôt une histoire interactive où chaque personnage principal doit, dans l’idéal, avoir une importance équivalente à celle des autres. On pourrait comparer cela avec une série télé où le réalisateur souhaite que tous les héros aient un temps d’écran similaire. Pensée positive : « Par mon action, je peux aider l’ensemble de la table à participer de manière plus égalitaire, améliorant l’expérience de jeu. »

Les blagues incessantes et les références à la culture populaire sont un autre moyen de confisquer la parole, mais aussi de rompre l’immersion. Dans certains jeux, un peu d’humour bien dosé ne fait pas de mal : certaines ambiances, particulièrement propices à la parodie et à la dérision, s’accommodent très bien de calembours et de citations bien placées. Dans d’autres cas, néanmoins, cela peut être très perturbant : comment jouer une scène d’horreur ou de suspense lorsque l’une des joueuses multiplie les allusions comiques au roi Arthur et à sa cour dans Kaamelott ? Parfois, un tel comportement peut aisément s’expliquer par une volonté de fuir le côté dramatique de la scène et de se rassurer face à une situation de jeu anxiogène. Néanmoins, c’est très risqué. Une blague au mauvais moment et c’est toute l’implication nécessaire au maintien de l’ambiance qui s’effondre. 1. À ce sujet, consultez également l’article « Créer du jeu pour les autres », p. 179.

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savoir-être

Sachez quand être drôle

Pensée positive : « Par mon comportement, je contribue à l’ambiance de la partie. Il y a des scènes pour rire, d’autres pour l’angoisse, la peur, le doute. »

conclusion : Privilégiez la bienveillance sur la mauvaise foi Avoir un comportement toxique, c’est aussi être désagréable avec toutes les autres, de mauvaise foi, ne pas accepter leurs erreurs, les pointer du doigt, faire des reproches, communiquer des émotions négatives, accuser de tricherie, etc. Autant ne pas se mentir, il est impossible d’avoir une attitude irréprochable en permanence, et donc de l’exiger de ses camarades. En revanche, on peut s’efforcer d’accepter ce que l’on souhaiterait que les autres acceptent… et bien plus encore. Pensée positive : « En me comportant de manière bienveillante, je signifie aux autres ma volonté de passer un bon moment ensemble. » On aura compris que cette liste de conseils doit d’abord s’appliquer à soi et que, dans l’idéal, aucun point ne devrait être imposé à autrui. On ne peut améliorer les parties sans une démarche volontaire et motivée, et presque jamais sans améliorer la façon dont on joue, soi. C’est en tout cas bien plus efficace que de se contenter de mettre le nez de ses camarades dans leurs erreurs ou de leur infliger le constat de leurs échecs. L’adhésion reste bien plus efficace que la contrainte. Bref, pour ne pas être cette joueuse-là, le meilleur remède reste la bienveillance.

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Fiche de synthèse Objectifs • Identifier les comportements problématiques et être capable d’avoir une discussion avant que la partie ne dégénère. • Prendre du recul sur sa propre pratique et éviter ces travers. « Je joue avec les autres en les laissant jouer. » Soyez intellectuellement disponible et jouez ! • Si vous êtes présent, impliquez-vous dans la partie. • Évitez les téléphones ou les ordinateurs, sauf si la partie les requiert. • Consultez les manuels de jeu entre les séances, pas pendant. • Occupez-vous les mains si cela vous aide à vous concentrer. Pensée positive « C’est maintenant que j’ai la possibilité de jouer, il faut que j’en profite. La partie est plus importante, je pourrai voir cela plus tard. » Ne trichez pas • Les soi-disant « avantages » acquis par la triche n’en sont pas. • Les autres joueuses perçoivent le décalage. Pensée positive  « La curiosité est une qualité, la sagesse en est une autre : j’aurai bien plus de plaisir en découvrant les secrets du jeu en temps et en heure. »

• Aidez les joueuses débutantes sans chercher à en tirer un quelconque avantage. • Privilégiez les liens entre personnages plutôt que ceux entre joueuses. • Servez-vous de la complicité que vous avez avec une autre joueuse pour mettre en scène une rivalité intéressante entre vos PJ. Pensée positive « Le temps du jeu, les liens entre les personnages deviennent plus importants que les liens hors-jeu. En dehors du jeu, c’est évidemment le contraire. » « Je joue avec les autres en les laissant jouer. » Distinguez joueuses et personnages • Ne provoquez pas les autres joueuses. • N’évoquez pas une particularité de la joueuse comme s’il s’agissait de celle de son PJ.

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savoir-être

Ne confondez pas relations fictives et relations réelles

Pensée positive « Nous jouons ensemble. La qualité que nous mettons en avant, collectivement, c’est de faire la part des choses entre joueuse et personnage. » Ne débattez pas des règles pendant la partie • Discutez des problèmes de règles entre les séances. • S’il vous semble que le MJ se trompe, faites-le remarquer discrètement et n’insistez pas. Pensée positive « Il y a un temps pour le jeu, et un autre temps, séparé, pour le débat et l’établissement des règles. Priorité à l’action. » N’étalez vos connaissances que si cela sert le jeu • Ne monopolisez pas la parole pour montrer que vous connaissez bien le contexte du jeu. • Ne vous cantonnez pas à des rôles où votre savoir est proche de celui de votre PJ. • Gardez à l’esprit qu’un univers de JdR est construit par toutes les joueuses au fur et à mesure de la narration. • S’il vous semble que le MJ se trompe, faites-le remarquer avec tact. Pensée positive « Je considère que je découvre l’univers du jeu en même temps que mon personnage. Cela me permet d’avoir encore des surprises. » « Je joue avec les autres en les laissant jouer. » Coopérez avec le meneur • Faites confiance au MJ et ne l’accablez pas de reproches quand il fait une erreur. • Tentez de vous impliquer dans l’histoire sans vous isoler du reste du groupe. Pensée positive « Quand se présente une opportunité de jeu collectif, impliquant plusieurs personnages, je la saisis. C’est plus intéressant ainsi. » Sachez quand révéler vos secrets • Gardez à l’esprit que si l’objectif du personnage est de cacher ce secret, le vôtre est de l’interpréter de manière pertinente et intéressante. • Sans révéler les secrets de votre PJ, montrez leur existence dans votre jeu, afin que les autres joueuses puissent les deviner ou à tout le moins se poser des questions. Pensée positive « Les secrets ajoutent du piment au jeu. Je trouve leur intérêt dans leur interprétation active et dans leur échange, plutôt que dans leur dissimulation. »

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N’agressez pas les autres joueuses, même indirectement • Ne tuez pas le PJ d’une autre joueuse à moins d’avoir une excellente raison, posez-vous la question du contexte et de savoir si la vengeance pourrait prendre une autre forme. • Proscrivez le viol. Pensée positive « Mes actes ont un impact sur les autres joueuses. Un personnage inhumain peut être joué de façon humaine, sans contradiction. » « Je joue avec les autres en les laissant jouer. » Ne monopolisez pas la parole • Restez vigilant quant à l’espace que vous laissez aux autres joueuses, que ce soit pour le temps de parole ou d’action de leurs personnages. • Aidez les autres joueuses à participer, notamment les plus timides. Pensée positive « Par mon action, je peux aider l’ensemble de la table à participer de manière plus égalitaire, améliorant l’expérience de jeu. » Sachez quand être drôle • Prenez en compte l’ambiance de la partie. • Si vous êtes mal à l’aise lors d’une scène dramatique, ne cassez pas son intensité pour les autres joueuses. Pensée positive « Par mon comportement, je contribue à l’ambiance de la partie. Il y a des scènes pour rire, d’autres pour l’angoisse, la peur, le doute. »

• N’exigez pas des autres joueuses qu’elles soient parfaites. • Efforcez-vous d’accepter ce que vous souhaiteriez que les autres acceptent. Pensée positive « En me comportant de manière bienveillante, je signifie aux autres ma volonté de passer un bon moment ensemble. »

savoir-être

Privilégiez la bienveillance sur la mauvaise foi

et maintenant ?



Coralie David & Jérôme Larré

N

ous vous l’avions dit en introduction de ce recueil : les conseils aux joueuses sont bien moins courants que ceux à destination des MJ. Sans surprise, il existe donc encore de nombreuses voies à explorer, et bien plus de façons encore de les aborder. Face à toutes ces possibilités, nous avons simplement essayé de vous offrir un florilège des conseils que nous aurions aimé recevoir plus jeunes, lorsque nous découvrions le JdR. Nous sommes conscients que toutes les approches abordées dans ces pages n’auront pas le même intérêt à vos yeux. Certaines vous inspireront, d’autres vous paraîtront inutiles, voire peut-être même franchement idiotes. Tout ceci est bien normal. Comme nous vous l’expliquions, notre but n’est pas de prêcher pour une bonne façon de jouer, ultime et immuable, mais de vous donner tout le nécessaire pour que vous puissiez picorer selon vos envies et vos besoins. En effet, même si nous l’oublions trop souvent, notre façon de jouer évolue au fil du temps. Nos goûts changent, les jeux et les camarades avec lesquels nous jouons aussi. C’est la raison pour laquelle nous souhaitions que ce recueil puisse vous suivre tout au long de votre « carrière rôliste ». Ainsi, nous avons essayé de l’organiser pour que vous puissiez le rouvrir dans des mois, voire des années, et découvrir avec un œil neuf certains outils qui vous avaient alors paru moins intéressants. Inversement, certains conseils qui vous avaient marqué sur le moment ne seront peut-être plus du tout adaptés à votre façon de jouer. L’essentiel est qu’en parcourant ces pages, vous trouviez des méthodes alternatives pour faire face aux questions que vous vous posez. Essayer d’autres styles, tenter de nouvelles expériences, accepter de sortir de sa zone de confort, c’est aussi ce qui permet de ne pas se lasser. 345

Nous ne trahirons aucun secret en vous disant que chez Lapin Marteau, nous avons plutôt tendance à vous encourager à diversifier vos pratiques de jeu, à essayer de vous forger un style, puis à ne plus vous y limiter. En ce qui nous concerne, même si nous avons bien entendu nos préférences, nous prenons autant de plaisir à jouer aux derniers story games qu’à arpenter des donjons old school ou à nous vautrer goulûment dans le mélodrame le plus sirupeux. Il nous semble qu’en tant que rôlistes, la possibilité de passer de l’un à l’autre est une richesse et que chaque type de jeu améliore notre façon de jouer à tous les autres. Naturellement, ces réflexions sont à l’origine de l’idée d’éditer ces recueils. Toutefois, l’essentiel, c’est qu’il n’est pas nécessaire de se poser autant de questions pour apprécier une partie de JdR. Se laisser porter par ses goûts et ses envies du moment n’est pas moins valable. C’est la raison pour laquelle ces conseils ne doivent surtout pas devenir un carcan, ou un dogme. Sans jeu de mots, ce ne sont pas, à proprement parler, des règles. S’ils deviennent une source de pression supplémentaire, c’est qu’ils sont utilisés pour faire le contraire de ce pour quoi ils ont été conçus. En effet, ce ne sont que des outils pour résoudre des problèmes ponctuels ou pour apporter un peu de fraîcheur à une pratique qui en avait peut-être besoin. Leur but est essentiellement de proposer de nouvelles pistes lorsque le plaisir s’étiole : perte d’intérêt pour les enjeux, lassitude, tensions entre joueuses, etc. Vous n’y trouverez pas la formule magique pour régler tous les problèmes, mais des suggestions pour changer certaines habitudes et explorer d’autres manières de jouer. Néanmoins, il arrivera peut-être un moment où vous penserez avoir fait le tour de ce que ce recueil a à vous offrir. Il se posera alors la question de savoir comment continuer à progresser, individuellement ou collectivement. Pour vous aider à répondre à cette interrogation, nous vous présentons six lignes directrices qui devraient vous assurer de trouver d’autres pistes.

Comprenez que le meneur est une joueuse comme les autres Pour des raisons pratiques, nous vous avons présenté ce recueil comme une série d’articles à destination des joueuses, et non du meneur. À première vue, la frontière est simple et tout le monde la comprend. Cependant, nous sommes persuadés que, dès que l’on creuse, elle devient bien moins étanche que l’on a tendance à le penser. Nous vous encourageons à essayer de dépasser cette distinction, non pas parce qu’elle est ringarde ou dysfonctionnelle, mais elle peut – lorsqu’elle ne sert pas à faciliter le déroulement du jeu – vous empêcher bien malgré vous de pleinement savourer vos parties. Ainsi, n’hésitez pas à conseiller quelques-uns de ces articles à votre meneur et à discuter avec lui de certains passages, surtout si vous avez envie d’essayer de nouvelles choses à votre table.

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Cela peut sembler évident, mais tout le monde ne le fait pas. Le statut du meneur est une notion particulièrement polémique au sein de notre loisir : si on ne peut que se féliciter de voir l’avènement de plus en plus de jeux permettant de réfléchir à sa portée réelle, il n’en reste pas moins extrêmement clivant. Preuve en est la récurrence avec laquelle les jeux en question suscitent des débats pour savoir s’ils sont, ou pas, des JdR. Certains rôlistes n’hésitent pas à faire de la répartition des rôles entre meneur et joueuses une question de respect ou de savoir-vivre, fustigeant quiconque se contenterait de « mettre les pieds sous la table ». Pour d’autres, se limiter à décider de ce que fait son personnage est devenu impensable, et se voir conférer une partie du pouvoir narratif du meneur est une bouffée d’air frais et de liberté indispensable. Pour d’autres encore, cela prend un véritable tour politique, voyant dans l’asymétrie entre meneur et joueuses une forme de domination dont il faut se débarrasser à tout prix. Toutefois, c’est oublier une part importante de la réalité d’une partie de JdR. Par bien des aspects, le meneur est une joueuse comme les autres. Contrairement à ce que l’on pourrait croire de prime abord, lui aussi doit suivre des règles. Ces dernières n’ont pas toujours la même forme que celles qui s’adressent aux joueuses, mais quand il ne suit pas celles d’un manuel spécifique, il doit au moins suivre celles de son groupe. Il peut s’agir de choses particulièrement triviales (il doit jouer dans une langue que comprend l’ensemble des participants), ou beaucoup plus lourdes de sens. Son pouvoir ne commence et ne se termine qu’avec l’approbation des joueuses : il est limité avant tout par ce qu’elles sont prêtes à accepter. De plus, comme les autres participants, il joue lui aussi pour passer un bon moment. Ou, à défaut, un moment intéressant. Il peut lui aussi se laisser porter, rêver, jouer pour être surpris, lâcher prise face aux idées des joueuses pour voir jusqu’où celles-ci vont amener la partie. De la même façon, il peut lui aussi souhaiter sortir de sa zone de confort, et là aussi, cela ne se fera pas sans l’accord de ses camarades. Même dans un jeu très classique, il peut avoir envie que les joueuses lui suggèrent des idées sur le monde, l’univers ou même les mécaniques. Il ne faut pas hésiter à s’écarter un petit peu du traditionnel « le MJ raconte, les joueuses écoutent ». C’est sans doute le meilleur moyen de redécouvrir ce qui est une évidence pour la plupart des débutants, mais que perdent de vue nombre de rôlistes aguerris  : l’ensemble du groupe n’est composé que de joueuses, même si l’une d’entre elles, le meneur, peut avoir quelques prérogatives particulières dans la mesure où ces dernières permettent d’accroître le plaisir de tout le monde. Concrètement, cela veut dire que lorsque vous faites une proposition à votre meneur, ou l’inverse, il s’agit d’une conversation entre joueuses exactement identique à celle que vous auriez avec n’importe qui d’autre à la table. Rappeler cette simple vérité, pourtant triviale, suffit parfois à rendre les échanges bien plus dynamiques et à donner un coup de fouet à des parties devenues mornes ou ennuyeuses. Aussi, n’hésitez pas à prendre des initiatives : et si vous, les joueuses, proposiez la trame principale de la prochaine campagne, à partir de laquelle le meneur brodera d’autres intrigues ?

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Et si vous imaginiez un événement qui chamboule totalement votre vision de votre univers favori pour vous permettre de le voir avec un œil nouveau ? Peut-être même que vous pourriez envisager d’autres types de personnages : et si, pour une fois, vous jouiez les domestiques au lieu de jouer les puissants, façon Downton Abbey  ? Bien sûr, ce ne sont ici que des exemples. Vous n’avez pas besoin de remettre en cause les fondements du fonctionnement de votre table, mais déplacer quelques habitudes peut être réellement rafraîchissant après quelques années de jeu. Mais, plus important, cela permet aussi de prendre du recul sur sa propre façon de jouer, sur ce que l’on tient pour acquis, ce que l’on croit obligatoire, etc. Parler ensemble, joueuses et meneur, discuter de ce qui plaît à chacun, de ce qui est réussi ou à perfectionner, confronter les points de vue concernant un même événement survenu durant la partie sont autant de conversations utiles  : elles sont un bon moyen d’apprendre plus rapidement et de continuer à s’améliorer pour le plaisir de tous, le sien et celui de ses camarades…

Développez votre style sans en être prisonnier Si vous débutez, vous allez rapidement acquérir certains automatismes. Cela peut se faire de façon inconsciente ou mûrement réfléchie, et dépendre par exemple de vos préférences ou de ce qui vous a marqué dans telle ou telle partie. Toujours est-il que toutes les joueuses ont tendance à reproduire ces habitudes, bonnes et mauvaises, et ce indépendamment des personnages qu’elles jouent. On peut considérer ce phénomène comme un manque de variété, une sorte de carcan dans lequel il faudrait éviter de se retrouver enfermé. Et, bien qu’il sera sans doute avisé d’y prêter attention si vous jouez plusieurs campagnes avec la même table, nous préférons le voir comme quelque chose de beaucoup plus positif : la constitution d’un style. Attention, si vous êtes féru de théorie rôliste, vous avez sans doute déjà croisé une des très nombreuses typologies qui regroupent les joueuses en grandes catégories en fonction de leurs motivations. Ce n’est pas ce dont nous parlons ici. D’une part, parce que ces modèles s’illustrent rarement par des applications concrètes, au-delà bien entendu de l’idée de conseiller aux meneurs de donner aux joueuses ce qu’elles veulent. D’autre part, parce que ces théories sont souvent détournées de leur propos initial et deviennent – bien malgré elles – des prétextes pour créer des distinctions artificielles entre rôlistes et pour réfuter leur capacité à moduler leur pratique de façon autonome. Néanmoins, avec ces réserves en tête, elles peuvent constituer des grilles de lecture intéressantes et nous vous conseillons d’en découvrir quelques-unes pour réfléchir à vos propres motivations ludiques. Le tableau ci-dessous contient les principales typologies de ces dernières décennies afin de vous aider à pouvoir les retrouver facilement.

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Auteur (modèle) et source

Année

Catégories (dans la langue originale)

Perren, Doomsday Book n° 3

1970

GAMEr, WARrior

Blacow, Different Worlds n° 10

1980

Power gamer, role-player, story teller, wargamer

Allston, Strike Force

1988

Builder, buddy, combat monster, copier, genre fiend, mad slasher, mad thinker, plumber, romantic, rules rapist, showoff, pro from Dover, tragedian

Bartle, Journal of MUD Research n° 1

1996

Achiever, explorer, killer, socializer

Kim (modèle triple), www.darkshire.net

1997

Dramatist, gamist, simulationist

Edwards (GNS), http://indie-rpgs.com

1999

Gamist, narrativist, simulationist

Wizards of the Coast, www.seankreynolds.com

1999

Character actor, power gamer, storyteller, thinker

Pohjola (Turku), https://nordiclarp.org

2000

Dramatist, gamist, simulationist, immersionist

Powell (GEN), www.darkshire.net

2001

Gamist, explorative, narrative

Laws, Robin’s Laws of Good Game Mastering

2001

Butt-kicker, casual player, method Actor, power gamer, specialist, storyteller, tactician

Bateman (DGD1), 21st century Game Design

2006

Conqueror, manager, participant, wanderer

Yee, Cyberpsychology & Behavior, vol. 9, n° 6

2006

Achiever, immersionist, socializer

Zackariasson, www.zackariasson.com

2010

Progress & provocation, power & domination, helping & support, friends & collaboration, exploration & fantasy, story & escapism

McDiarmid, Branches of Play: The 2011 Wyrd Con Academic Companion

2011

Dramatist, gamist, simulationist, immersionist

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Cette parenthèse refermée, ce que nous appelons ici « style » est bien plus individuel et concret que les classifications ci-dessus. Cela rassemble tout ce qui caractérise la façon de jouer d’une joueuse, que ce soit la palette des techniques qu’elle utilise fréquemment, la façon dont elle prend, s’accapare ou redistribue la parole, toutes ces situations qu’elle jouera invariablement de la même façon parce qu’elle ne pourra pas s’en empêcher, ses réactions face à certains types de pression, son comportement lorsque son personnage ne participe pas à l’action, etc. Par exemple, si vous remarquez que telle joueuse décrit abondamment l’apparence physique de ses personnages, peu importe les raisons, cela fait partie de son style de jeu. Idem pour une autre qui a tendance à se montrer extrêmement rustre dès que ses personnages sont confrontés à des PNJ qui tournent autour du pot. Peu importe que sa personnalité soit à l’avenant ou qu’elle ne se comporte ainsi que durant les parties, si elle le fait de façon systématique ou presque, cela fait partie intégrante de son style de jeu. Se concentrer sur la notion de style permet de réaliser que nous en avons tous un ou plusieurs, affirmé ou pas. Cette prise de conscience est un premier pas pour essayer de l’identifier, d’en parler avec nos camarades, de jouer autrement ou au contraire de se faire plaisir sans arrière-pensée, etc. De notre point de vue, le plus important est sans doute que cela permet de façonner notre style comme on le souhaite, en toute autonomie, et non d’en être prisonnier. Pour continuer à s’améliorer ensemble, l’idéal devient alors d’en discuter avec ses camarades et d’être attentif à leur propre style. De façon évidente, cela peut vous permettre d’élargir le catalogue de vos propres techniques. L’attitude d’une joueuse a généré un effet, autour de la table, que vous souhaiteriez reproduire, ou qui vous a tout simplement beaucoup plu ? Demandez-vous pourquoi cela a si bien fonctionné. Était-ce la façon dont elle faisait s’exprimer son personnage ? Sa capacité à s’imposer tout en s’effaçant au bon moment pour ne pas écraser les autres joueuses et mettre leur personnage en valeur ? Sans verser dans une forme d’autocongratulation hypocrite et stérile, il n’y a aucune honte à dire aux autres joueuses que l’on a particulièrement apprécié telle ou telle partie de leur jeu. Pour paraphraser Apocalypse World, soyez fan des autres personnages et du talent de leurs joueuses. Échangez vos astuces, demandez quand vous n’y arrivez pas, partagez vos expériences, faites-vous des retours pour mieux saisir ce qui plaît ou pas : vous serez parfois surpris, par exemple lorsque certaines joueuses vous diront avoir apprécié votre façon de jouer lors d’une partie où vous vous êtes trouvé particulièrement insipide. Et de la même manière, acceptez les retours négatifs, en essayant de prendre du recul : est-ce un comportement que vous pouvez facilement changer ? Quelle était votre intention première ? Le problème est-il dû à une tension plus profonde entre cette joueuse et vous, ou à une autre frustration arrivée pendant la partie et dont cette critique n’est que la manifestation ?

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Prenez bien garde à ce que vous imaginez être votre style ne devienne pas un prétexte pour jouer comme un malotru et être ainsi « cette joueuse-là » dont parle le chapitre précédent. Mais une fois cette éventualité considérée, soyez conscient que vous ne pourrez pas plaire à tout le monde. Aussi, privilégiez les retours qui vous aident à perfectionner certains aspects de votre style (comment mieux les jouer  ? Quand les mettre en scène ? etc.), ou à gommer ceux que vous n’avez pas souhaité développer. Évitez pour l’instant les conseils qui vous pousseraient à renier votre style ou à en changer brutalement, vous pourrez à l’occasion vous livrer à des expérimentations. La seule limite est celle de votre confiance en vous. Si vous passez davantage de temps à vous demander si vous jouez de la façon appropriée qu’à apprécier la partie, c’est sans doute qu’il est grand temps d’arrêter de se poser des questions et de jouer de façon plus spontanée. Si le problème se confirme, vous y réfléchirez entre les parties. Enfin, continuer à progresser en travaillant votre style signifie presque invariablement que vous allez être amené à en développer plusieurs. Tout cela se fait naturellement lorsque vous réalisez que vous avez des difficultés à jouer sur certains registres de façon aussi satisfaisante qu’à l’accoutumée, et que vous préférez remettre vos habitudes en question plutôt que de rester sur ce que vous savez déjà faire. Ce n’est pas toujours confortable sur le moment, comme tout ce qui implique de sortir de sa zone de confort. Ce n’est même pas obligatoire. Mais c’est la voie la plus sûre pour devenir ce qui est pour nous l’apanage de la joueuse expérimentée : être capable de moduler sa pratique selon ses envies et d’en prendre les rênes.

Passez de l’autre côté de l’écran Malgré l’idée reçue, rien ne vous oblige à devenir meneur. Vous pouvez rester toute votre vie du côté illustré de l’écran, et vous n’en serez pas moins une rôliste à part entière. Toutefois, si vous souhaitez continuer à vous améliorer, y compris en tant que joueuse, nous vous conseillons d’endosser le rôle du meneur, même si ce n’est que pour quelques séances. Tout d’abord, cela vous ouvre une perspective différente sur ce qui se passe à la table, et notamment sur les attitudes des autres joueuses. Une partie de ce que vous ne voyiez pas dans le comportement de vos camarades va désormais vous sauter aux yeux, vous permettant ainsi de comprendre comment réagit telle joueuse, et comment un meneur peut ressentir, mais aussi se servir, de ce genre d’automatismes. Ensuite, vous comprendrez mieux les contraintes avec lesquelles doit composer le meneur, ce qui implique notamment la responsabilité de faire réagir tout un monde aux actions des PJ. Si vous ne le faites pas à l’échelle de votre personnage, c’est également l’occasion de penser en termes d’effets narratifs (suspense, surprise, frustration, etc.) et de réfléchir à des schémas à plus ou moins longue échéance. Cela peut sembler anodin mais devrait considérablement élargir votre palette de joueuse, et vous amener, 351

en tant que telle, à prendre plus facilement des décisions, selon ce que souhaite votre personnage évidemment, mais aussi en fonction de vos propres souhaits pour la suite de l’intrigue, ou du ressenti de vos camarades. Passer de l’autre côté de l’écran est un défi, mais il paraît généralement bien plus ardu qu’il ne l’est vraiment. Non seulement la transition est d’autant plus facile que vous êtes une joueuse expérimentée, mais en outre, tout le monde a envie de vous voir réussir. En effet, il est très improbable que votre table soit malveillante à votre égard. Au contraire, elle aura probablement tendance à vous pardonner vos hésitations. Alors, lancez-vous ! Vous verrez à quel point cela peut être grisant. Naturellement, si vous désirez vous préparer au mieux (ou même aller encore plus loin), vous pourrez trouver des conseils pour vous aider à sauter le pas dans le premier ouvrage de la collection, Mener des parties de jeu de rôle. À noter que certains jeux, comme Ryuutama1, sont spécialement conçus pour aider les joueuses à devenir meneur, notamment en leur faisant découvrir les responsabilités de ce dernier via une fiche de personnage spécifique, ce qui leur permet d’avancer à leur rythme.

Échouez utile Nous vous l’avons déjà dit, mais ce recueil ne contient aucune formule magique. Il vous aidera à apprécier davantage vos parties, à améliorer ce dans quoi vous jugez pertinent de vous perfectionner, mais il ne vous empêchera pas, à l’occasion, de rater une partie. Pour tout dire, il est impossible de pratiquer une activité aussi créative et sociale que le JdR sans échouer de temps à autre. Et soyez assuré qu’écrire des articles de conseils n’immunise pas davantage contre l’échec, exactement comme un sportif peut faire une chute ou une contre-performance. Aussi, ne cherchez pas à ne jamais vous tromper. Au contraire, voyez ce risque comme une opportunité d’aller de l’avant et apprendre encore davantage. Pour cela, vous devez vous assurer de ne jamais rester sur un échec et de toujours vous remettre en selle, mais également de réfléchir après coup aux origines du problème, tout seul ou en groupe, pour lui trouver une solution. Mais plus encore, n’ayez pas peur de provoquer l’échec en expérimentant de nouveaux effets à votre table. Certains fonctionneront, d’autres non, mais la plupart d’entre eux n’auront qu’un impact limité qu’il sera facile de circonscrire en cas de problème. Enfin, rompez avec vos habitudes, prenez des risques : si vous êtes habitué à toujours jouer des barbares dans votre groupe, ou d’une façon générale le personnage qui va discuter avec les PNJ, laissez cette place à quelqu’un d’autre. Donnez une réelle chance à la fois aux autres joueuses de s’y essayer, mais aussi à d’autres types de personnages 1. Okada Atsuhiro, Ryuutama, Jive Ltd, Tokyo, 2007, Lapin Marteau, Saint-Orens-de-Gameville, 2013, pour la V. F.

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de vous intéresser. D’autant plus que, là encore, si vous expliquez votre démarche au reste de la table, il y a peu de chances que les autres joueuses vous mettent des bâtons dans les roues : au contraire, ce sera peut-être un déclic pour elles aussi, et elles en profiteront pour essayer de nouvelles choses !

Échangez avec la communauté La communauté des rôlistes est très active sur le Web, et il existe de nombreux sites, blogs et forums où vous pourrez échanger sur vos expériences, ou apprendre de celles des autres. Voici quelques pistes pour commencer ou poursuivre votre exploration. Il en existe bien d’autres. • Blogs  : www.tartofrez.com, https://jenesuispasmjmais.wordpress.com/, www.awarestudios.blogspot.fr, etc. • Clubs et conventions : www.le-thiase.fr • Forums : www.pandapirate.net/casus/, www.sden.org • Presse : Casus Belli, Di6dent, JdR mag, Le Maraudeur • Podcasts : www.cendrones.fr, www.lacellule.net, www.radio-roliste.net • Vidéos : www.rolistetv.com • Autres sites : www.ptgptb.fr, www.legrog.org, etc. Nous vous conseillons également d’élargir votre exploration au monde du GN, dont les problématiques convergent massivement avec celles du JdR. Vous pourrez par exemple trouver quantité d’informations adaptées à ces deux formes de JdR sur le site Electro GN.

Jouez, jouez et rejouez ! Cette dernière piste est de loin la plus évidente. Multipliez les parties, jouez avec d’autres personnes, allez en convention, testez de nouveaux jeux. Cela vous permettra de faire de belles rencontres, et de découvrir toujours plus de manières différentes d’apprécier et de pratiquer notre loisir. Voici quelques exemples de jeux que nous vous conseillons pour travailler certains des points évoqués tout au long de ce recueil. • Pour jouer sans se limiter à son personnage  : Nobilis, où vous serez responsable d’une partie de la réalité en plus d’incarner un élu des dieux, parfait pour expérimenter en douceur l’extension de ses privilèges narratifs au-delà de son simple alter ego ; Ars Magica, parce que l’on crée une véritable troupe de personnages,

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et que l’on est amené à faire tourner le rôle de meneur ; On Mighty Thews1, où toutes les joueuses bâtissent l’univers au début de la partie ; Oltrée ! où elles continuent de le faire tout au long de celle-ci. • Pour la tension entre collaboration et compétition : Cold City, où les agents travaillent pour des gouvernements différents, mais doivent malgré tout collaborer : chaque PJ a ses propres objectifs qui peuvent rentrer en conflit avec ceux du reste du groupe ; Agôn, où chaque personnage cherche à devenir le héros mythique dont la gloire surpasse celle de tous les autres. • Pour la création de personnage : Everway2, où on crée les backgrounds en s’inspirant des Visions Cards et des questions qui les accompagnent, avant de piocher au hasard un point fort, une faiblesse et un destin ; Monsterhearts, pour sa création de personnage rapide qui problématise les relations entre les PJ avant même de commencer à les jouer. • Pour l’interprétation de personnage : Dying Earth, où les joueuses ne gagnent des points d’expérience que si elles arrivent à replacer dans la séance des phrases aux tournures particulièrement ampoulées et biscornues données par le meneur ; Les MilleMarches et leurs aspects qui sont autant de traits de caractère et de spécificités du personnage que la joueuse est encouragée à interpréter en cours de partie pour obtenir des bonus ; Puppetland3 qui permet d’interpréter des marionnettes dans un univers à la fois merveilleux et inquiétant. Celles-ci, à cause de leur nature magique, ne peuvent agir qu’une heure, durée maximum d’une partie. Pendant celle-ci, la règle « what you say is what you say » minimise les interventions hors-jeu : ce qui est dit autour de la table est dit dans la fiction. • Pour l’improvisation et le fait de rebondir sur ce que proposent les autres joueuses : The Extraordinary Adventures of Baron Munchausen4 est un JdR sans MJ où on incarne des aristocrates du xviiie siècle qui se racontent leurs aventures, sous forme de défis : « Racontez-nous, mon bon monsieur, comment, en vous trompant de linge, vous avez sauvé toute la cour française de la noyade  ?  » À partir de ces contraintes, à la joueuse d’improviser un récit de cinq minutes, ses camarades se chargeant de lui compliquer la tâche autant que possible ; Wastburg et sa mécanique de résolution très aléatoire relativement décorrélée du talent des personnages, qui force donc à s’adapter sans cesse ; Fiasco qui est à peu de chose près un hilarant exercice d’improvisation.

1. Carryer Simon, On Mighty Thews, auto-édité, 2012. 2. Scott Jenny, Tweet Jonathan, Everway, Wizards of the Coast, Renton, 1995. 3. Tynes John, Puppetland, Hogshead Publishing, Londres, 1999. 4. Cule Michael, P earcy Derek, W allis James, The Extraordinary Adventures of Baron Munchausen, Hogshead Publishing, Londres, 1998.

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• Pour incarner d’autres types de personnage : Breaking the Ice dans lequel la joueuse doit choisir, pour son personnage, d’inverser un élément qui la définit, que ce soit son genre, son orientation sexuelle, mais aussi ses origines ethniques ou sociales, ses opinions politiques, son âge, etc. Et bien sûr, tous ces jeux qui obligent à jouer des types de personnages très précis, comme des gens atteints de troubles psychologiques (Patient  131), des voleurs (Nightprowler2, L’Aventure perdue d’Arsène Lupin3), des « méchants » (In Nomine Satanis, Billet rouge4), des minorités opprimées (Project: Pelican5, Bimbo6), etc. Comme vous pouvez le voir, ces six pistes vous laissent encore de vastes espaces pour expérimenter ou découvrir de nouvelles pratiques, et donc, potentiellement, pour continuer à progresser avec vos camarades. Cette capacité à se renouveler sans cesse prouve, s’il en était besoin, l’incroyable richesse de notre loisir. À très bientôt !

1. Combrexelle Anthony, Patient 13, John Doe, Jouy-le-Moutier, 2007. 2. Beney Jean-François, Bouly, Croc, Delafosse Guillaume, Masson Philippe, Pevel Pierre, Nightprowler, Siroz Productions, Viroflay, 1995. 3. Devernay Laurent, Guéant Claude, Plasse Franck, Toutain Frédric, Verschueren Jérôme, L’Aventure perdue d’Arsène Lupin, Les XII Singes, Saint-Didier-au-Mont-d’Or, 2013. 4. J eannerat Lionel, J ospin Laurent Valentin, T homas Quentin, Billet rouge, Les Écuries d’Augias, Saint-Étienne, 2012. 5. Bousquet Charlotte, Fernandez Fabien, Project: Pelican, CDS Éditions, 2009. 6. Privat Grégory, Bimbo, Sans-Détour Éditions, Oyonnax, 2014.

REMERCIEMENTS



Lapin Marteau et les auteurs de cet ouvrage remercient tous les souscripteurs pour les avoir aidés à lancer la collection Sortir de l’auberge. Ce livre a vu le jour grâce à vous !

Associations À La Croisée Des Fers, Association Grands Jeux, Association Némésis, le Club des Aventuriers, La Guilde des Joueurs, Ligue Ludique, Rêves De Jeux

Boutiques Arcadia (54), Descartes (33), Jeux du monde (31), La Boutique du manoir (34), Philibert (67), Rocambole (59), Tempus Ludi (89), Trollune (69) 

particuliers Abel, Ackinty Strappa, Acritarche, Adrien Denis, Aka Fioroni, Akairetos, Akhad, Alban Quadrat, Aldaric, Aldo «  Pénombre  » Pappacoda, Alexandre Diss, Alexis Hoarau, Alias, Allan Gautron, Anthony « Infornographie » Avila, Anthony Salapete, Antoine Bauza, Antoine Boegli, Antoine «  Damask  » Foing, Antoine Pempie, Anton, Arik, Arius Moghador, Arkel, Arnaud B., Arnaud Celard, Arnaud Lecointre, Arnaud Pichon, Arnulphe de Lisieux, Asphy, Audibert Sébastien, Auquier Maxime, Aurèle Nicolet, Aurélien Vincenti, Aymeric Pelzer, BadHub, Baktov, Baron H., BarthusVulgaris, Basha, Bashar, Bastien Lyonnet, Bastien Tabary, BatsaxIV, Beaucier, 359

Becker Vincent, Beltran, Benjamin Diebling, Benjamin Méquignon, Benoît Chérel, Benoit D., Benoît Philibert, Berger Cyril, Bertrand Bry, Bertrand Mullon, Bigcoco18, Bimbo, le jeu qu’il vous faut  !, Boegen David, Botharu, Bouletsama, Brezeler, BriseBarbe, Bruno Bosc-Zanardo, Bruno Cabioch, Buggy, Bzjeurd, C. Mongodin, Cadaric, Cadavre, Calie, Capitaine Némo, Carpe, Casque Noir, Cédric Jeanneret, Cédric Zobrist, Charline Bernier, Chernobyl & Druideria, Childéric Maximus, Chilibak, Chris Costard, Christophe «  BJ  » Breysse, Christophe Asnar, Christophe Jankowski, Christophe Joveneau, Christophe Laudon, Claude Féry, Clément Trénit, Colvalkir, Coocz, Corren, Cousin Nalesk, Croc, Cryoban, Cyol, Cyril, Cyril « NbM » Deveautour, D3x, DaBaru, Damien « damsdreg » Rodrigues, Damien « MatFenric » Léger, Damien Reimert, Dansimati, dargoss, Darkbubu, Darthnull, David « Ktar » Garnarat, David «  Nursus  » Benoist, David B. Capricorne, David Colom-Arnoux, Davy Gérard, Decrouy Xavier, Denis Souly, Dhaanyeel, Dieu, Dilvich, Dimitri Chaignat, Dmonchaux, Doc Dandy, Doc Edderskopp, Docteur Fox, Docteur Half, Dominique «  Zeylion A.  » Suchaire, Doops, Dorothée Duval, Dr Stapelton, Drulaan, Druzil, Durieu, E.Contesse, Eathanor, Edak, Edern «  Crêpe  » Le Meut, Édouard Gonzalez, Eimef, El Pulpo Mecanico, Eloso, Elyandel, Emilie et Matthieu Dumoulin Bouget, Emmanuel « Ketzol » Landais, Emmanuel Dufour, Emmanuel Le Bouter, Emmanuel Ponette, Equites, Eric Bonnet, Eric Brambilla, Eric Dedalus, Eric Delamour, Eric Le Nouy, Erwan Le Corre, ET_SYL20, Etienne Goos, Etienne Guerry, Ewell, Excoriateur, F. Vincent, Fabien Lewandowski, Fabien Lotz, Fabien Morel, Fabrice Girardot, Fabrissou, Félix Reinmann, Feyd, Fin, Florent Moragas, Florent Sacré, Florian Briand, Florian Dufour, ForgeJdR, Franck Mercier, Francois Bastier, François Cedelle, François Lalande, François Roussel, François-Pierre Crinon, Fred le Farfelin, Frédéric Gérard, Frederic Le Saux, Frédéric Seraphine, FredMelison, Fustir, Gaëtan «  Wang  » Tessier, Gauthier «  Go@t  » Lion, Gauthier Damoran, Gauthier Lahache, Gil, Gilles B., Gilles Donnarumma, Ginkoko, Globo, Gobelin Nounours, Golgoroth, Grafxx, Grégoire « Qui revient de Loin » Macqueron, Grégor, Grégory Thonney, Grey, Grimbou, Guilhem Arbaret-Fischbach, Guillaume « Gap » Pasquier, Guillaume Agostini, Guillaume Faure-Lenormant, Guillaume Fouillet, Guillaume G., Guillaume Godet-Bar, Guillaume Nonain, Guillaume Saint-Sorny, Guillemot Didier, Guylène Le Mignot, Gzavier, Hadrien Lleida, HAENELST, Hardbox, Hazel Lions, Heedio, Héphaistos, Iloria, Inarus, Iranon de Aira, Jacky Bauer, Jamin-Normand, Janique, Janus, Jean Gagnon, Jean S., Jean-Antoine Mounier, Jean-François Lévêque, Jean-Luc Vassal, Jean-Michel Armand, Jean-Patrice Albrand, Jean-Paul Gourdant, Jean-Philippe Guérard, Jean-Yves Gaucher, Jeff de Raise Dead, Jérémie «  Jemrys  » Rueff, Jérémie Lautour, Jérome Bianquis, Jérôme Buard, Jérôme Isnard, Jérôme Javelas, Jices, Jicey, Jolhan, Jordan Brunier, Julian « Labelle Rouge » Lemonnier, Julien « Zemd » Flamant, Julien Becker, Julien Delabre, Julien Palluel, Julien Pouard, Kadus, Kakita Inigin, KamiSeiTo, Kardwill, Karfael, Keljumg, Kerrubin, KF, Kirdinn, Knil, Kobal, KoteMenDo, Kristobald, Kylar, Kyldan, Ladaline, Lapin, Laurent Condon, Laurent Devernay, Laurent Mata, Laurent Schenkel, Lavisse guillaume, Le Nay, Le Roi en jaune, Les Arpenteurs, Lhotseshar & Lindanae, Lionel François, Lobo, Loïc Dublanc, Loïc Girault, Loïc Weissbart, Looping du Secteur 51, Loris, Lou Ainsel, LouFredou, Loup Vaillant, Ludieikos, Ludo, Ludovic Poiret, Luke, Lulvaran, M. Fénot, Madtroll, Magisterphamtom, Magnamagister, Alexandre « Magnapocryphe » Charles, Malateste, Manoli Chalaris, Manuel Bedouet, Marc «  Marchiavel  » 360

Dubouchet, Marc « Yrka » Eusebio, Marc Lafon, Marc Rivault, Marc Sautriot, Marc Verdier, Marcello, Marcellus Lesendar, Marek, Marie « Ayla » Olive, Markov, Martin Terrier, Masoj, MastaDaddy, Mathieu Canonier, Mathieu Mertz, Matthieu Burel, Matthieu Galk, Matthieu jagu, Matthieu Sauveur, Maxence Lagalle, Mcu, Melarno Anskhein, Melnuur, Merryneils, Metazeta, Meuh, Mickael Letertre, Mickey, Mike Winter, Mike11210, Miss Mopi, Misterwest, Mithriel, Modran, Monsieurv, Mr Tweedy, MrCaribooo, Najai, Nalzur, Natha, Nathalie Hauzeur, Nathaniel Henel, Necroline, NecroZephir, Nekith, Neuromancien, Nevym, Nico Dobin, Nico du dème de Naxos, Nicodemauss, Nicolas « Yoda Mister » Tauzin, Nicolas Benloulou, Nicolas Bernard, Nicolas Fuseau, Nicolas Regal, Nilebog, Oberon, Oligotron, Olivier Jacquemin, Olivier Roullier, Olivier Simpère, Olivier Tétaz, Olivier «  Overb62  » Verbreugh, Onirions, Ook, Or77, ORP & Dragon Mouche, Orygins, Paindesegle, Palpacwel, Papyrolf, Pascal Viette, Patrice «  Walking-Pat  » Granieri, Patrice Hédé, Patrick «  Roll’n’Rôle  » Trempond, Paul Enguehard, Paul Valette, Pauline, Payet Cédrique, Pelon, Peres Christophe, Pernic «  Black Pharaoh  » N., Peroys, Perrot Claude-Arnaud, Philippe “Sildoenfein” D., Philippe Marichal, Philmer, Philou, Phoenryll, Pierre Becker, Pierre Gavard-Colenny, Pierre Gay, Pierre Rosenthal, Pierre Vanhulst, Pierre-Emmanuel, Pierre-Louis Fugazzi, Pierre-Olivier Grange, Pierre-Yves, Pierrick, Pierrick « Picric » Boyer, Pierrick Revol, Piouh, Pivent, PM, Polla con Alas, Poulpiche, Poulpy, Poupy Kerloc’h, Quenie, Raphaël Granier de Cassagnac, Ratafia, Ravanel, Red, RedJericho, Rémy Catalan, Renaud Velter, René-Philippe Gimenez, Renz, Réorx, Richard Berthet, Richard Poitras, Roberto, Roland Guissani, Romain « Howdy » Ayoul, Romain Barriquand, Romain Darmon, Romain Hommette, Romain Pocachard, Romain Rougé, Romain S., Romaric Bolzan, Roxane Collet, S@m, Sam., Samuel De Azevedo, Samuel Moullé, San Pedro Frederic, Sanchez Nicolas, Sandra H. Bruel, Sanne Stijve, Sébastien «  Aranduir  » Pons, Sébastien Crapart, Sebastien Hauguel, Sébastien Kervella, Sébastien Schwendimann, Sebastien Torres, Sébastien Vicard, Serge «  Hobbit  » Salvé, Serge Billarant, Severin, Siprilius, Sisko, Skav, Somalucard, Sombre69, Sourismaniac, Spassinando, St Gaillard, Stéphane Bagnier, Stéphane Devouard, Stéphane Julien, Stéphane Lebonnois, Steve Dempsey, Steve Jakoubovitch, Superfred, Sylvain « Da Profezzur » Dabriou, Sylvain L., Sylvain Pouilly, Tagan Adrien, Talhouët Gwénaël, Taliesin, Taranto, Tarpagnan, Templeton, Tenaul, Thabanne, Thibaut «  Peabee  » Mermet, Thibaut Bleger, Thibaut Martin, Thierry « Mister ti » Doisneau, Thierry Delpierre, Thierry Gebelin, Thierry Nouza, Thierry Sabot, Thjazi, Thomas Da Silva Perret, Thomas Giot-Mikkelsen, Thomas Herubel, Thomas Rey, Timothée « Silenttimo » Bossin, Timothy Story, Tirodem, Tistakel, Tixu Oty, Tnidelet, Tom_Bombadil, Toulza Aymeric, Toussaint Pigeon, Tristan Lhomme, Troleur, Ufum, Uiop, Valentin Roussel, ValladeD, Vignemesle, Vincent ‘Groscouic’ Lamoque, Vincent Jedat, Vincent Lajoanie, Vincent Mottier, Vincent P., Vincent Plana, Vincent Thomas, Vincent Ziec, Vladkergan, Walter, Whidou, XavGangrel, Xavier Algoud, Xavier Etchebes, Xavier Oziouls, Xavier Van Roy, Xefantion, Xiangh, Yanakin, Yann Lerculeur, Yann Morlot, Yann Thollon, Yannick Le Bret, Yannick Recht, Yannick T. Himber, Yapados, Yragaël, Ysneyd, Ze Great Pat, Zeben, Zechrub, Zelis, ZotoPatate.

table des matiÈres

INTRODUCTION Décider de sa pratique : Jérôme Larré et Coralie David, p. 9. I. LES BASES La bonne joueuse, tu vois, elle lance les dés… : interview d’Anne Richard-Davoust et du Grümph, p. 21. Créer un personnage : Coralie David, p. 29. Développer un personnage au fil du jeu : Coralie David, p. 49. Interpréter un personnage : Romain d’Huissier, p. 69. Aider son personnage à gagner : le b.a.-ba de l’exploration de donjons  : Géraud G., p. 93. Garder la balle en l’air : Cédric Ferrand, p. 113. Jouer ensemble : Emmanuel Gharbi, p. 129. II. TECHNIQUES AVANCÉES Coopérer et rivaliser : Julien Pouard, p. 149. Se renouveler : Coralie David et Jérôme Larré, p. 163. Créer du jeu pour les autres : Coralie David et Jérôme Larré, p. 179. Exploiter la distinction entre joueur et personnage : Guylène Le Mignot, p. 195. S’approprier un jeu : Raphaël Bombayl, p. 209. III. VARIER LES PLAISIRS Dépasser ces clichés : Selene Tonon, p. 227. Faire d’un incapable un héros : Sandy Julien, p. 245. Jouer des génies : Olivier Caïra, p. 261. Se laisser surprendre : Peggy Chassenet, Coralie David et Jérôme Larré, p. 277. S’entraîner : Arnaud Pierre, p. 303. CONCLUSION Ne pas être cette joueuse-là : Selene Tonon, p. 329. Et maintenant ? : Jérôme Larré et Coralie David, p. 345.

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