Pdf Mener 1_1

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© 2016, 2020 Lapin Marteau, tous droits réservés Direction éditoriale : Coralie David et Jérôme Larré Couverture, photo et mise en page : Coralie David et Jérôme Larré Lapin Marteau, 22 rue de Ribaute, 31650 Saint-Orens-de-Gameville www.lapinmarteau.com ISBN 978-2-490390-09-0

Les auteurs

Olivier Caïra est sociologue et narratologue. Il travaille sur les industries de divertissement et la théorie de la fiction. Il a notamment écrit Jeux de rôle : les forges de la fiction et dirigé avec Jérôme Larré Jouer avec l’histoire. Il a également collaboré avec les XII Singes sur la gamme Adventure Party et sur les recueils de scénarios 6 cauchemars contemporains et 6 trésors légendaires. Coralie David a collaboré à la publication d’une centaine d’ouvrages, principalement pour les comptes de Black Book Éditions (JdR) et de Mnémos (romans). En parallèle, elle a écrit une thèse intitulée Jeux de rôle sur table : l’intercréativité de la fiction littéraire qui lui a permis d’obtenir un doctorat en littérature comparée. Coralie est désormais une des deux têtes de Lapin Marteau. Sébastien Delfino a illustré quelques jeux de rôles (Te deum pour un massacre, Nightprowler 2, etc.), écrit pour des fanzines et des magazines (MJ-zine, Di6dent, Casus Belli), conçu des systèmes de jeux (récemment celui de D3). Il anime aujourd’hui le podcast Les Carnets ludographiques au sein de Radio Rôliste. Fabien Deneuville est concepteur et éditeur de jeux de rôle depuis 2010. Il est l’auteur d’un autre recueil de conseils pour MJ : La Bible du meneur de jeu. Il mène régulièrement des actions pour faire connaître notre loisir, notamment en bibliothèques, en médiathèques et auprès d’autres institutions. Son engagement associatif lui a également permis d’exercer le rôle de président de la Fédération française de jeu de rôle. Nicolas Dessaux a publié deux jeux basés sur deux éditions précédentes du plus ancien des jeux de rôles : Épées & Sorcellerie et Aventures fantastiques, ainsi qu’un moteur de jeu minimaliste, Searchers of the Unknown, dont sont issues plusieurs publications récentes d’autres auteurs (La Lune et les Douze Lotus, Coureurs d’orage, Tempora Mutantur, etc.). Il a également publié Résistances irakiennes (L’Échappée, 2007) et Jeanne de Constantinople, comtesse de Flandre et de Hainaut (Somogy, 2010). 3

Romain d’Huissier travaille dans le milieu du jeu de rôle depuis une quinzaine d’années. Ayant fait ses premières armes dans le cadre de jeux et suppléments amateurs, il a depuis œuvré sur de nombreuses gammes et écrit pour le compte de divers magazines spécialisés. Étant écrivain, il a également publié plusieurs romans et nouvelles. Jean-Philippe Jaworski est auteur de jeu de rôle, nouvelliste et romancier. Il a publié du jeu de rôle historique (Te Deum pour un massacre) et des romans de fantasy dont les sources d’inspiration sont ludiques et historiques (Gagner la guerre, Rois du monde). Alexandre « Kobayashi » Jeannette est le créateur des Livres de l’Ours, label sous lequel il publie ses propres jeux de rôle (Tranchons & Traquons, 10.000, Shell Shock, etc.), ainsi que des traductions de jeux anglo-saxons (Barbarians of Lemuria, Sword & Wizardry). Il est également auteur de comics à paraître sous le label Thumb Breakers. Ancien contributeur du Site de l’Elfe Noir, Alexis Lamiable a fondé la micro-entreprise d’édition Electric Goat et traduit le jeu Psi*Run. En parallèle, il exerce ses talents de game designer au travers de divers concours de création rôliste. Jérôme « Brand » Larré a participé à l’écriture ou à la conception de plus d’une cinquantaine de jeux et suppléments, en France ou à l’étranger (C.O.P.S., Fiasco, Qin, Ryuutama, Tenga, etc.). Très engagé dans la théorie rôliste, il contribue à de nombreux événements favorisant la création : tables rondes, ateliers d’écriture, concours de création, etc. Jérôme est une des deux têtes de Lapin Marteau. En plus d’une activité dans la presse rôliste qui dure depuis 1987 et embrasse les quatre incarnations de Casus Belli, Tristan Lhomme a collaboré à l’écriture, la traduction et/ ou la publication d’une cinquantaine de jeux de rôle et de suppléments pour des éditeurs aussi divers que Siroz et Multisim, sans compter quelques excursions dans le jeu vidéo et la littérature. Il est l’auteur d’environ cent cinquante scénarios pour une quarantaine de jeux. Thomas Munier est l’auteur de jeux et de suppléments prenant place dans la forêt de Millevaux (Inflorenza, Millevaux Sombre) et dans des rêves (Marins de Bretagne, S’échapper des faubourgs, Dragonfly Motel). Il anime Outsider, un blog sur l’énergie créative et les univers artisanaux. Il aime aussi les collages à la Prévert, les musiques sombres, le cinéma, la littérature mindfuck et les petits chats. Auteur depuis le siècle dernier (Archipels, Star Drakkar, Lanfeust), Eric Nieudan a profité de son exil en terre celte pour se guérir du jeu de rôle et écrire des romans. Il n’a pas fallu longtemps pour qu’il rechute. Aujourd’hui, il joue plus qu’il ne maîtrise et il maîtrise plus qu’il ne produit. Récemment, il a combiné ses passions ludiques pour créer un story game ambiance old school, White Books. Isabelle Périer a participé à la conception et à l’écriture de nombreux ouvrages pour le compte d’éditeurs comme Multisim (Nephilim, Agone), Mnémos (Velin Carminae). En tant qu’universitaire, elle a axé ses recherches autour des cultures de l’imaginaire et notamment du jeu de rôle. Elle est co-rédactrice en chef de JDR Magazine et travaille aujourd’hui au sein du Département des Sombres Projets (Wasteland, Mournblade).

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Gregory Pogorzelski a traduit Apocalypse World et Dungeon World en français. Il met occasionnellement à jour son blog Du bruit derrière le paravent, où il émet des opinions sur la meilleure façon de faire semblant d’être un elfe. Il aime parler conception de jeux avec des mots comme « émergence », « boucles de rétroaction » ou « affordance », mais ne mord pas. Thomas Robert aime à répéter qu’il est l’imposteur du groupe. Rôliste expérimenté, il a roulé sa bosse dans des domaines aussi variés que l’organisation de conventions, principalement comme scénariste, ou l’administration du Grog. Même s’il ne se considère pas comme un auteur, il a eu l’occasion d’écrire pour des jeux comme Vermine ou Mousquetaires de l’ombre, ainsi que pour le magazine Casus Belli. Pierre Rosenthal a été le rédacteur en chef adjoint de la première formule de Casus Belli. Il a créé les jeux de rôle Simulacres et Athanor. Enfin, il a dirigé Le Manuel pratique du jeu de rôle, hors-série n° 25 de Casus Belli en 1999. Stéphane « StephLong » Treille est auteur et relecteur de jeux de rôle. Il a plus particulièrement travaillé sur Qin Shaolin & Wudang et La Brigade chimérique.

Notice Abréviations utilisées D&D : Donjons & Dragons. GN : jeu de rôle grandeur nature. GNiste : personne pratiquant le jeu de rôle grandeur nature. JdR : jeu de rôle. MJ : meneur de jeu. PJ, PNJ : personnage(s) joueur(s), personnage(s) non joueur(s). Méd-fan : médiéval fantastique. Background Pour des raisons de clarté, ce terme sera uniquement utilisé dans son sens d’historique d’un personnage, et pas dans le sens d’univers de jeu. Informations bibliographiques Sauf cas spécifiques, la première édition en version originale est toujours privilégiée. Les références bibliographiques sont données une fois par jeu. Lorsqu’elles comprennent plus de dix auteurs, le nombre de noms cités est limité à cinq et la mention « et autres » est ajoutée. LE MENEUR, LA JOUEUSE ET LE PERSONNAGE Vous l’aurez sans doute remarqué, mais, sans l’imposer aux autres auteurs, nous avons pris le parti de féminiser systématiquement le terme de « joueur » en « joueuse ». Nous sommes conscients que cela n’est pas ce à quoi nous enjoint la grammaire et que cela ne semble pas naturel pour la plupart d’entre nous. Certains nous ont même confié se sentir exclus par ce choix. Toutefois, nous l’avons fait à dessein. La première raison, certes moins importante, est que cela permet de distinguer sans effort les joueuses, quel que soit leur genre, d’un éventuel meneur ou des personnages. La seconde est que nous pensons qu’en tant qu’éditeur, surtout d’ouvrages théoriques, nous avons notre (tout petit) rôle à jouer sur l’image que se renvoie notre propre communauté et sur la façon dont elle traite certains de ses membres. En d’autres termes, c’est justement parce que cela « râpe » que nous pensons que c’est important de le faire. Quoi qu’il en soit, rassurez-vous, on s’y habitue rapidement. Après tout, nous n’avons féminisé qu’un seul mot, et cela ne concerne que quelques articles…

INTRODUCTION : Décider de sa pratique



Coralie David & Jérôme Larré Le maître de jeu est le monarque absolu d’un tout petit royaume qui ne règne […] que par la bonne volonté de ses sujets. E. Gary Gygax, Master of the Game, 1989. S’il est vrai que celui-ci contrôle le monde, prépare et met les détails en action, il est aussi vrai que le jeu reste un jeu pour lui et qu’il devrait pouvoir s’amuser. Sandy Petersen, L’Appel de Cthulhu, 1981.

Sortir de l’auberge

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ommençons ce recueil par une confession : chez Lapin Marteau, on aime le JdR et on est fier d’être rôliste. Nous ne sommes ni les premiers, ni les derniers, ni même les plus fervents, mais nous sommes intimement convaincus que notre loisir mérite bien plus d’égards que nous ne lui en accordons d’habitude. Peu importe qu’il s’agisse d’un art ou pas, qu’il soit d’ambiance, tactique, à autorité partagée, old school ou autre : depuis quarante ans, nous sommes des millions à nous y adonner ou à nous y être adonnés. Tous ensemble, nous avons multiplié les types de jeux disponibles, découvert des façons plus ou moins efficaces de les créer, appris de nos erreurs, acquis de l’expérience, érigé certaines œuvres en classiques, diversifié nos pratiques, dressé des barbelés parfois, mais nous avons plus souvent construit des passerelles et des chemins de traverse. Bref, nous avons progressé et, ce faisant, nous avons généré collectivement une grande quantité de connaissances liées à notre loisir. 7

Selon la perspective que l’on choisit d’adopter, on peut leur donner bien des noms : culture, théorie, etc. Aucun de ces termes n’est vraiment faux. Ce qui compte, c’est que ce savoir est indubitablement une richesse. Et en tant que tel, il soulève de nombreuses questions : comment le conserve-t-on ? Comment le développe-t-on ? Comment en facilite-t-on l’accès ? Comment le transforme-t-on en quelque chose d’autre ? Comment l’évalue-t-on ? Certaines de ces problématiques dépassent de loin le cadre de notre loisir et trouvent des échos dans divers domaines dont on ferait bien de s’inspirer (médias récents, autres formes ludiques, etc.). D’autres sont cruellement spécifiques. Par exemple, le jeu vidéo et le JdR partagent tous deux le risque très concret de perdre de nombreux savoir-faire avec la disparition de leurs pionniers, mais l’histoire du second est bien moins connue que celle du premier et ses publications originelles bien souvent fantasmées, voire mythifiées, sans que grand monde ne fasse l’effort de revenir aux textes originaux. De la même façon, on peut constater dans les pays francophones au moins, une vraie défiance – voire un tabou – de la communauté rôliste vis-à-vis de la théorie. Cela ne veut surtout pas dire qu’il ne se passe rien. Au contraire, podcasts, blogs, forums et autres magazines sont extrêmement dynamiques. Toutefois, le traumatisme des chasses aux sorcières des années 1990 a laissé bien des traces. Ainsi, dans nos travaux précédents comme lorsque nous avons cherché à réaliser ce recueil, nous avons été confrontés à nombre de joueuses1, meneurs ou auteurs dont nous connaissions le talent et qui avaient de vraies réticences à partager leur savoir-faire, non pas par manque de générosité, mais par peur de passer pour des donneurs de leçons se prenant un peu trop au sérieux. Comme s’ils n’étaient pas légitimes. Comme si je le JdR dans son ensemble ne l’était pas non plus2. Là encore, les choses changent, mais il est troublant de voir l’hostilité de certaines joueuses à l’idée qu’il puisse exister une théorie rôliste alors même que des auteurs de leurs jeux favoris comme Graeme Davis, Frank Mentzer ou Christopher Klug 3 nous ont expliqué être ravis, eux, de cette évolution. Or, comme nous vous le disions, nous sommes fiers d’être rôlistes. Nous croyons non seulement que l’activité qui nous rassemble est parfaitement légitime à générer sa propre théorie, mais que cette dernière va l’aider en retour à continuer à évoluer et à procurer plus de plaisir à ceux qui la pratiquent. Très probablement, cela se fera de diverses façons : en permettant de communiquer au travers d’un langage plus précis que celui auquel on est habitué, en posant de nouvelles questions qui nous forceront sans cesse à revoir ce que l’on tient pour acquis et qui, en retour, constitueront autant de défis lancés aux concepteurs qui voudront bien les relever, en suggérant de nouvelles façons de pratiquer notre loisir et de profiter davantage d’un corpus déjà vertigineux, mais où beaucoup de propositions finissent parfois par se ressembler, etc. 1. Sur la féminisation du terme joueur, voir encadré p. 6. 2. À ce sujet, vous pouvez consulter notre article « Non, ce n’est pas qu’un jeu ! » publié dans Casus Belli n° 18. 3. Respectivement les auteurs de Warhammer et de La Campagne impériale, de la boîte de rouge de D&D et de James Bond 007.

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C’est pour toutes ces raisons que nous avons voulu donner naissance à une collection dédiée à ces problématiques, Sortir de l’auberge ; pour ne pas se contenter d’une théorie qui parle des rôlistes de façon détachée et lointaine comme s’il s’agissait d’animaux étranges ; pour installer une autre théorie, plus respectueuse, qui s’adresse à eux comme à des adultes et qui puisse, directement ou indirectement, être mise en pratique autour d’une table de jeu. Mener des parties de jeu de rôle est le premier ouvrage de cette collection.

Mener des parties de jeu de rôle Ce recueil est donc le premier paru dans la collection Sortir de l’auberge et son objectif est d’aider les lectrices et les lecteurs à prendre du recul sur leurs pratiques et à s’améliorer en tant que MJ. Loin de proposer une formule magique ou d’imposer un « one best way » de la pratique du JdR, son but est de leur fournir les clés nécessaires pour qu’ils puissent faire leurs propres choix, en toute connaissance de cause, et en ayant pleine conscience des choix créatifs qui s’offrent à eux. Il s’adresse en priorité à des lecteurs qui sont déjà rôlistes, éventuellement MJ, mais qui n’ont pas besoin d’être spécialement expérimentés. En effet, il est prévu pour être compréhensible par des débutants et assez copieux pour que même des vétérans puissent y trouver du grain à moudre : une attention particulière a été apportée afin que chaque lecteur puisse retirer quelque chose de chaque article grâce à la présence de nombreux exemples, d’outils concrets et de fiches de synthèse. Enfin, le format du livre, loin des contraintes des formats Web et magazines1, a été pensé avec la volonté de proposer des ouvrages qui accompagnent les lecteurs tout au long des évolutions de leurs vies de rôlistes, quelles qu’elles soient. Mener des parties de jeu de rôle appartient à un triptyque : La Boîte à outils du meneur est conçue pour en être le complément et prend la forme d’un catalogue de techniques à utiliser plus concrètement en cours de partie, avec des recommandations sur leurs effets. Jouer des parties de jeu de rôle est aussi un recueil de conseils, c’est l’équivalent de celui-ci côté joueuses. Les trois livres partagent une philosophie commune et sont autant de pistes mises à disposition des rôlistes pour les aider à définir et à mettre en œuvre une façon de jouer qui leur convienne, une forme de « bien jouer ».

Maîtriser sa pratique Comment bien jouer ? Cette question n’est guère populaire dans la communauté rôliste : elle semble impliquer une compétition échevelée et des querelles interminables 1. Dont nous reconnaissons et apprécions les qualités, ayant l’occasion d’ailleurs de nous exprimer via ces supports (http://wwww.tartofrez.com et Casus Belli) et d’y publier des conseils ou autres articles théoriques à destination des rôlistes.

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qui ne se marieraient guère à la convivialité que la plupart d’entre nous attendent d’une partie. Pourtant, elle est non seulement cruciale, mais c’est aussi une des seules questions sur lesquelles nous revenons en permanence. Plus encore, elle est le point de mire de presque toutes ces connaissances que nous avons acquises sur notre loisir, et ces dernières ne semblent avoir été développées que pour répondre à cette question. En effet, quand on s’y attarde, lorsque l’on partage des astuces sur la meilleure façon d’optimiser un personnage ou sur la musique à utiliser en partie, on discute de comment bien jouer. Lorsque l’on écrit un jeu, on ne fait rien d’autre que transmettre aux joueuses une façon plus ou moins intéressante de le faire. Quand on se met d’accord sur le fameux « contrat social », en traçant une ligne entre les comportements que l’on juge acceptables et ceux qui ne le sont pas, on définit ce que veut dire « bien jouer » pour notre groupe. Même lorsque l’on décrit ce qui se passe autour d’une table ou que l’on réfléchit aux phénomènes qui font que l’on s’amuse ou pas, cela ne devient réel­ lement intéressant que si cela nous aide à en profiter davantage, et donc, à mieux jouer. Cela ne veut pas dire que déterminer une manière de bien jouer ne suscite pas de problèmes. Tout dépend de ce que l’on entend par « bien » : les soucis ne commencent vraiment que lorsque l’on tente de figer le sens de ce terme ou de s’approprier le droit de décider de ce qui peut être considéré comme tel. Et ce, même avec les meilleures des intentions… Pour vous en convaincre, il vous suffit de prendre la plupart des qualités que l’on attend en général d’une bonne rôliste : connaissance des règles ou de l’univers, capacité d’interprétation, prise d’initiative, écoute, etc. Vous trouverez toujours un archétype de joueuse exécrable qui correspondra à un mauvais dosage de cette qualité : respectivement intégriste des règles ou de l’univers, joueuse qui cabotine et tire la couverture à elle, qui monopolise l’attention du meneur, sentorette1, etc. Et cela, sans même parler du fait qu’il soit impossible de définir exactement quand ces qualités deviennent des défauts : ce qui est encouragé dans un jeu ou avec un groupe donné devient haïssable ailleurs. De notre point de vue, il existe de très nombreuses façons de bien jouer. Beaucoup plus que ne le montrent la plupart des typologies auxquelles nous avons été confrontés. Toutefois, nous sommes convaincus qu’il existe une vertu cardinale qui distingue la rôliste expérimentée de la novice : l’autonomie. Ou, autrement dit, la capacité à moduler sa façon de jouer selon ses envies, de tenir les rênes de sa propre pratique. En effet, nous pensons qu’il est important de s’éloigner du mythe simpliste et toxique selon lequel une joueuse n’aurait qu’un style de jeu ou serait condamnée à appartenir à telle ou telle catégorie et à vouloir toujours jouer de la même façon. Au contraire, nous souhaitons valoriser, bien avant les qualités d’interprétation ou la connaissance d’un univers, la capacité à prendre du recul sur sa propre pratique pour choisir délibérément sa manière de jouer et adapter son comportement en fonction. 1. Surnom donné par Croc (INS/MV, Bitume, etc.) aux joueuses particulièrement inactives ou inexpressives. Ces dernières peuvent toutefois apprécier une partie bien au-delà de ce que leur apparente inactivité le laisse penser de prime abord.

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Pour faire une analogie facile, cela revient à dire que, pour nous, l’on ne devient pas un conducteur expérimenté lorsque l’on arrive à se rendre à destination sans encombre, que ce soit pour la première ou pour la millième fois, mais lorsque l’on commence à ne plus avoir besoin d’y penser et que l’on peut se concentrer sur la façon dont on souhaite s’y rendre : vite, prudemment, en économisant son essence, sans réveiller son passager, en profitant du paysage, pas avant la fin de son disque favori, sans semer la voiture qui nous suit, etc. C’est pour cela que, même si ce livre est effectivement conçu pour vous aider à améliorer votre pratique du JdR, même s’il fait quatre cents pages, nous n’allons essayer à aucun moment de vous expliquer ce qui est « bien » ou pas. Pas une fois. Nous allons vous conseiller ou vous déconseiller de faire des choses, parfois avec zèle, mais cela ne sera jamais parce que ces dernières sont intrinsèquement bonnes ou mauvaises (peu de choses le sont quand on parle de JdR), mais parce que ce seront des outils plus ou moins adaptés à vos objectifs. En fait, nous allons surtout utiliser ces pages pour vous donner tout le nécessaire afin que vous puissiez décider de vous-même ce que signifie « bien jouer », et jouer en fonction. Vous pouvez bien entendu lire le livre d’une traite, mais tout a été fait afin que vous puissiez le découvrir de façon autonome, picorer chaque chapitre en fonction de vos points forts et de vos faiblesses, à votre rythme, et y revenir à un autre moment de votre vie de rôliste si vous le souhaitez. Vous pouvez ainsi essayer de compléter votre style, mais également d’en changer, de vous adapter à un jeu donné, voire de sortir volontairement de votre zone de confort pour expérimenter de nouvelles façons de jouer au sein d’une activité dans laquelle vous pensiez peut-être ne plus avoir grand-chose à découvrir.

Ce que vous trouverez dans ce recueil Pour mener à bien ces objectifs, nous avons organisé cet ouvrage selon une logique de « compétences ». Ces dernières correspondent à ce qu’un meneur peut ou doit savoir pour mener une partie, mais qui ne sont pas l’apanage d’un groupe ou d’un jeu spécifique. Pour faire une seconde analogie, imaginez maintenant que notre meneur est un cuisinier. On peut lui demander de pratiquer des recettes très différentes, il y a néanmoins des outils, des compétences techniques et des tours de main qu’il pourra réutiliser de façon régulière : préparer son plan de travail, monter des œufs en neige, dresser un plat, etc. Cela ne veut pas dire qu’il saura instantanément tout réussir, mais vous avez plus de chances de bien manger chez Bocuse que chez Lapin Marteau. Si, si. Vraiment. Nous sommes simplement partis du principe qu’il existe un certain nombre de compétences comparables que les meneurs peuvent améliorer et qu’elles sont, sinon nécessaires pour jouer à la plupart des jeux, au moins suffisamment transversales pour être évoquées ici. Vous trouverez donc dans cet ouvrage une vingtaine de textes couvrant chacun une de ces compétences, organisés en quatre grandes sections : la préparation de la partie, les bases de l’animation, les techniques avancées et quelques articles visant à varier 11

les plaisirs. Ils sont conçus pour traiter de chaque compétence dans son ensemble, associant théorie et astuces pratiques. Ils ont été écrits par des auteurs, meneurs ou joueuses dont nous admirons assez le travail ou le savoir-faire pour leur demander de venir les partager avec vous. Nous avons également pris garde à solliciter des intervenants aux profils variés, à la fois en termes de générations, mais aussi d’horizons ludiques et de jeux pratiqués. Vous trouverez la liste des auteurs ainsi qu’une rapide notice biographique les concernant en début d’ouvrage.

Et les jeux sans meneur dans tout ça ? Mener des parties de jeu de rôle concerne en priorité la pratique de jeux où l’autorité est répartie de façon traditionnelle, où les joueuses prennent les décisions concernant les actions de leur personnage et où le meneur s’occupe plus ou moins de tout le reste. Toutefois, même si cela semble paradoxal et même si, bien entendu, tout n’est pas directement applicable, la plupart des conseils donnés dans cet ouvrage sont également adaptés à nombre de jeux sans meneur. En effet, les prérogatives de ces derniers étant généralement redistribuées parmi les joueuses, elles se retrouvent finalement à faire appel aux compétences dévolues aux meneurs (décrire, improviser, animer des scènes, créer des émotions, etc.). Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si plusieurs jeux sans meneur sont conseillés en conclusion de ce livre.

La liste suivante vous permettra de vous faire une meilleure idée de ces articles. Une fois cet avant-propos terminé, les quatre premiers concernent donc la préparation de la partie. Ils évoquent principalement les questions liées au fait de rassembler les joueuses et à la scénarisation. • Organiser des parties, le b.a.-ba : Fabien Deneuville y détaille les difficultés logistiques et les diverses décisions à prendre pour réunir ses joueuses et s’organiser concrètement. Cet article se concentre davantage sur l’organisation du jeu que sur les aspects ludiques eux-mêmes, mais ce livre aurait été incomplet sans cet élément aussi capital que souvent négligé. • Créer un scénario : Tristan Lhomme donne certaines de ses astuces concernant cet autre aspect essentiel de la préparation de parties. Plus encore, en allant de l’idée initiale à la réalisation finale, il y présente la méthode qu’il utilise pour rédiger ses scénarios destinés à la publication, ainsi qu’une dizaine d’outils et d’angles d’approche permettant de ciseler ses propres aventures. • Adapter une œuvre pour en faire un scénario : Isabelle Périer explique comment s’inspirer de sa série ou de son roman préféré pour les adapter à une campagne de JdR, qu’il s’agisse de reprendre quelques éléments de décor ou, de façon beaucoup plus ambitieuse, une intrigue entière. Un soin particulier est apporté aux problématiques liées à la fidélité à l’œuvre originale et à l’implication des personnages. 12

• Construire un donjon, une méthode aléatoire : Éric Nieudan présente sa méthode pour construire non seulement un labyrinthe que les aventuriers se chargeront de mettre consciencieusement à sac, mais surtout un véritable morceau d’univers avec sa géographie, ses habitants, ses factions, etc. Cette routine de création procédurale permet également de compléter ou modifier un donjon déjà existant en cours de jeu. La seconde section du recueil regroupe sept articles qui approfondissent les bases de l’animation de partie. Ils constituent le cœur de cet ouvrage et développent chacun une compétence essentielle pour la majorité des meneurs. • Enseigner un jeu : Thomas Robert évoque les difficultés à transmettre aux joueuses à la fois l’essentiel de l’univers d’un jeu et de ses règles, mais aussi ce qui lui donne sa personnalité et le distingue de tous ceux qui traînent sur vos étagères. Ceci passe par la réalisation d’une synthèse de ses points incontournables, mais aussi par la création des personnages ou d’un scénario adapté à la découverte. • Décrire : Sébastien Delfino dresse un panorama de techniques et de principes permettant d’améliorer ses descriptions et de s’en servir à la fois pour installer une ambiance, faire passer des informations-clés ou même moduler le rythme de la partie. Loin de les réduire à de courts monologues, cet article explique comment les rendre interactives et en faire des éléments de jeu à part entière. • Improviser  : Alexandre Jeannette détaille les bases d’une improvisation utilisée à la fois pour dynamiser une partie et pour permettre aux imaginaires des joueuses et du meneur de s’enrichir mutuellement. Il y est notamment question de préparation, mais aussi de savoir réagir à certains événements-clés qui ne manqueront pas de se produire. • Incarner des PNJ : Jean-Philippe Jaworski développe l’essentiel de ce qu’il y a à savoir pour peupler ses parties de PNJ mémorables, en intégrant aussi bien leur conception que leur interprétation. Traitant des simples figurants comme des personnages plus épais, il fournit des outils pour les rendre uniques et cohérents, que ce soit au travers de leur façon de parler, de leurs noms ou de leurs moyens d’action. • Dompter la linéarité : Jérôme Larré propose de s’attarder sur les notions de linéarité et de dirigisme pour comprendre ce qui les différencie, mais aussi pour savoir comment les aborder autour d’une table de jeu, que ce soit pour les limiter ou en tirer profit. Vient ensuite une série d’astuces pour modifier un scénario de façon à régler au mieux la liberté qu’il propose ou pour corriger le tir en cours de partie. • Animer les combats : Romain d’Huissier présente les principaux types d’affrontements ainsi que leurs fonctions narratives. Il s’agit de profiter de leurs spécificités et de leurs similarités souvent mésestimées avec les scènes plus classiques. Il y explique notamment comment se servir des scènes de combat pour faire avancer l’histoire et développer les personnages.

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• Animer les scènes spéciales : dans cet article écrit à six mains, Thomas Munier, Coralie David et Jérôme Larré passent en revue une douzaine de types de scènes généralement peu traitées, voire oubliées, par la plupart des JdR et donc particulièrement difficiles à animer. Ce texte propose conseils et outils pour se les réapproprier et réussir à en faire des temps forts des parties, au lieu de les évacuer en quelques mots. La troisième section du recueil regroupe également sept articles, mais ceux-ci portent sur les techniques avancées d’animation de partie. Moins cruciales que les précédentes, elles n’en seront pas moins extrêmement utiles pour la plupart des meneurs qui y trouveront de multiples réponses à certaines difficultés récurrentes. • Commencer : Jérôme Larré explore les différentes façons de lancer la première scène d’une séance. Il y aborde les points suivants : ce qu’elle doit dévoiler ou pas, sa mise en jeu et la façon dont elle peut susciter un intérêt qui durera toute la partie. Cet article montre également les fonctions d’une telle entrée en matière et propose plusieurs outils pour réussir à démarrer sur les chapeaux de roue. • Rassembler & Diviser : Coralie David présente un grand nombre de techniques permettant de souder un groupe ou, au contraire, de tendre les relations entre ses membres. Il s’agit aussi bien d’expliquer pourquoi ils sont réunis au même endroit que de leur trouver une motivation commune, une raison de rester ensemble malgré l’adversité ou de ne pas couper les ponts quand la situation se complique. • Rendre les choses personnelles : Gregory Pogorzelski propose une liste d’astuces pour faire tourner l’essentiel de l’intrigue et des événements de la partie autour des personnages des joueuses et ainsi éviter de leur donner l’impression que ces derniers sont interchangeables. Cet article se compose de conseils généraux, puis d’une méthode destinée à créer un méchant et un plan machiavélique à leur mesure. • Créer des émotions particulières : Jérôme Larré évoque les problématiques liées au fait de jouer spécifiquement de façon à encourager certaines émotions ciblées, et ce que cela peut apporter ou enlever à la partie. Ces considérations sont prolongées par des conseils pour provoquer des émotions complexes à partir d’autres, beaucoup plus simples à obtenir. • Faire plaisir aux joueurs : dans cet entretien, Pierre Rosenthal parle de techniques qu’il utilise depuis une trentaine d’années pour maintenir l’intérêt de ses joueurs dans ses campagnes. Celles-ci tournent principalement autour des notions de récompense et de frustration, et de la manière dont il faut les utiliser en jeu pour donner aux joueuses exactement ce qu’elles souhaitent. • Jouer en musique : Stéphane Treille aborde l’essentiel des questions à se poser lorsque l’on veut se servir de la musique dans ses parties. Il y fait mention des pièges à éviter, du type de support à privilégier, de moyens pour trouver des morceaux intéressants ou pour les organiser, mais surtout des diverses causes et manières de les utiliser en jeu. Des playlists par genre, types de scène ou univers viennent compléter cet article.

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• Passer du scénario à la campagne : Olivier Caïra présente la méthode QESOM destinée à créer des suites à un scénario qui n’était initialement pas prévu pour cela. Elle permet d’imaginer une campagne en se concentrant sur les questions restées en suspens, puis en sélectionnant quelques paramètres triés sur le volet et, enfin, en faisant la part belle aux intrigues personnalisées et au principe d’écriture flottante. La quatrième section ne se compose que de quatre articles, mais ceux-ci ont principalement pour objectif de varier les plaisirs. Ils proposent essentiellement des pratiques alternatives ou très spécifiques, qu’il est généralement difficile à mettre en place sur chaque jeu ou partie. Toutefois, ces dernières offrent des expériences qu’il serait dommage de ne pas tenter. • Jouer avec les aides de jeu : Alexis Lamiable partage son expérience sur ces accessoires, qu’il s’agisse de leur réalisation concrète ou de les utiliser au sein de sa partie afin de renforcer l’immersion, faire passer une information ou créer un jeu dans le jeu. Cet article se concentre essentiellement sur trois types d’aides de jeu : les lettres, les coupures de journaux et les plans. • Jouer à distance : Éric Nieudan fait un état des lieux de tout ce qu’il y a à savoir pour faire ses premières parties en tant que MJ virtuel. Il y est surtout question du choix des logiciels et des configurations disponibles, de celle de monsieur Tout-leMonde qui veut juste s’y essayer à celle du futur spécialiste qui n’hésite pas à multiplier les programmes spécifiques pour profiter de tout le confort possible. • Jouer old school : Nicolas Dessaux brosse un portrait des principes fondateurs de l’Old School Renaissance et de diverses manières de les utiliser pour récréer les sensations d’une partie à l’ancienne, y compris avec des jeux beaucoup plus récents. Chacun pourra choisir ceux qui l’intéressent le plus et les panacher de façon à obtenir la façon de jouer qui lui semble la plus intéressante. • Partager la narration : Jérôme Larré présente des techniques de narration partagée et explique comment les intégrer de façon indolore et progressive lors de vos parties, même si vous jouez à des jeux qui n’ont a priori pas été prévus pour cela. Ces astuces peuvent aussi bien porter sur le fait de laisser les joueuses rajouter des éléments à l’univers de jeu, décider de l’évolution d’une situation ou même des différentes manières de cadrer une scène. La conclusion de ce recueil, Continuer à s’améliorer, propose enfin quelques pistes pour aller plus loin et trouver d’autres façons de poursuivre son évolution tout au long de sa « carrière » de meneur.

Bonne lecture !

organiser des parties : le b.a.-ba



Fabien Deneuville

E

n JdR comme dans beaucoup de loisirs, les conditions dans lesquelles se déroule la partie jouent un rôle non négligeable dans le succès ou l’échec de celle-ci. Cela peut sembler trivial, mais bien penser l’organisation de la partie permet de se libérer l’esprit des aspects logistiques et de mener en se concentrant sur le déroulé et l’animation du scénario. Mais plus encore, une organisation exceptionnelle peut vraiment faire la différence. En expérimentant un peu sur le format de la partie, il est possible de sortir du carcan habituel pour proposer une expérience différente aux joueurs.

L’espace de jeu Le format le plus simple et le plus classique consiste à jouer autour d’une table. Rien d’exceptionnel, donc, mais ce n’est pas la configuration la plus courante sans raison : les joueurs sont attentifs, concentrés, tournés vers le MJ. Le fait de s’installer à la table permet de « ritualiser » le démarrage de la partie : le MJ sort son écran, les joueurs s’installent avec leur feuille de personnage, c’est le signal du départ vers un autre univers. Quelques autres configurations sont également envisageables : • assis, de façon désordonnée, sur un canapé et des poufs dans un salon. On perd en efficacité ce que l’on gagne en confort : les joueurs sont moins concentrés, vont avoir plus tendance à se disperser, ou si l’heure avance, à s’endormir. Cela dit, si l’univers 17

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I La préparation

intègre ce genre d’ambiance, par exemple s’il s’agit d’un jeu oriental fantastique inspiré des Mille et une Nuits (Capharnaüm1, etc.), installer les joueurs sur un tapis et des coussins sera parfaitement dans le ton (mais en logeant tout le monde à la même enseigne) ; • une table haute et des tabourets. Cela peut aussi faire l’affaire, mais c’est moins confortable sur la durée et il faut également s’assurer que dans cette configuration « bar », il y aura suffisamment de place devant soi pour étaler à la fois les feuilles de personnage, les dés, l’écran, les papiers du MJ, etc. Concernant la table, vaut-il mieux une table ronde ou une table carrée ? Si les chevaliers du roi Arthur ont pu avoir ce débat, il n’est pas forcément utile dans votre cas. L’essentiel est que la table soit suffisamment grande pour que chaque joueur puisse poser devant soi sa feuille de personnage, ses dés, ses crayons et qu’il reste suffisamment de place pour que le MJ puisse mettre son écran, son scénario et son matériel derrière. Idéalement, il faudrait encore avoir l’espace nécessaire pour ajouter de la décoration, ou pour dessiner un plan sur une feuille de papier.

Le lieu Pour pouvoir jouer dans de bonnes conditions, il faut un endroit adéquat. L’idéal est de disposer d’une pièce spécifique, où il n’y aura que les joueurs et le MJ, où vous ne serez pas dérangé et où vous n’importunerez personne. Avoir à portée de main une commande pour faire varier l’intensité lumineuse dans la pièce de jeu est un luxe assez agréable. Cela permet d’éviter d’utiliser des bougies et de tamiser l’ambiance si nécessaire, notamment pour créer une atmosphère plus mystérieuse. L’endroit doit être calme et aussi insonorisé que possible, car les parties sont souvent très bruyantes. Vous pouvez passer de la musique2, et les joueurs ont parfois des échanges passionnés. Évitez donc autant que possible les bruits ambiants, la télévision en fond sonore, les allées et venues incessantes des colocataires… (Au contraire, proposez-leur de jouer avec vous) et tout ce qui pourrait vous fâcher avec vos voisins. Si vous avez la chance d’avoir un espace privé pour recevoir vos parties, prenez soin du voisinage et des éventuels cohabitants pour vous assurer que vous pourrez par la suite encore disposer d’un tel lieu. Sinon, vous pouvez aussi alterner et accueillir la séance à tour de rôle. Ce n’est pas l’idéal car la partie perdra en ritualisation, mais cela permet parfois d’éviter des problèmes de voisinage. N’oubliez pas d’anticiper également, si vous en avez besoin, la présence de prises électriques (pour brancher des lumières, diffuser de la musique, etc.). Après, il vous revient de fixer le degré de sophistication et le nombre d’accessoires nécessaires pour vos parties. 1. B ardas Raphaël, Cedelle François, C oppet Pierre, C ourdesses Boris, D’H uissier Romain et autres, Capharnaüm, Le 7 éme Cercle, Anglet, 2007. 2. Au sujet de la musique, consultez également l’article « Jouer en musique », p. 297.

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Si ni vous ni vos amis ne disposez d’un lieu où jouer, il va vous falloir redoubler de créativité pour trouver un endroit où organiser vos parties, voire pour stocker votre matériel. Plusieurs options peuvent s’ouvrir vous : • la salle associative (maison de quartier, des associations, etc.) de votre commune de résidence. Cela implique tout de même plusieurs choses : d’abord il faut rejoindre une structure associative ou en créer une de toutes pièces. Il faut ensuite proposer un projet : en effet, de telles structures ne pourront accepter un groupe de personnes uniquement en attente de locaux (leur nombre se fait en général rare), mais privilégieront un projet associatif bénéficiant aux riverains ou aux habitants de la commune. Ainsi, pour avoir plus de chances d’être accepté, un tel projet pourra proposer non seulement des parties régulières pour les passionnés, la participation à certains évènements locaux, des initiations, des ateliers autour du JdR pour la jeunesse, pour les scolaires, etc. Bref, l’essentiel est d’apparaître comme un moteur de la vie associative et citoyenne et non comme un parasite cherchant à consommer les ressources municipales ; • le foyer étudiant. Si vous êtes à l’université ou au lycée, vous avez très probablement accès à des locaux mis à disposition pour les activités des étudiants, vous devriez pouvoir donc en bénéficier en passant par les bonnes voies administratives ; • le bar. Si de tels lieux dédiés aux geeks et rôlistes de tous poils commencent petit à petit à apparaître, ils sont en général rares. S’installer dans un café pendant des heures, à faire du bruit, vous vaudra sans doute le regard noir du propriétaire des lieux. Pour vous en sortir au mieux, faites-vous plutôt discrets, mettez-vous à une table en retrait et n’oubliez pas de renouveler fréquemment vos consommations (toutes les heures ou toutes les deux heures) ; • le jeu en extérieur (voir p. 25).

Les accessoires En plus des éventuels éléments de lumière ou de sonorisation, on peut se poser la question des accessoires pour agrémenter la partie. Évidemment, nous ne sommes pas dans un grandeur nature, donc cela ne sert à rien de trop investir. Néanmoins, il reste possible de rehausser l’expérience de jeu à moindres frais. Évoquons tout d’abord ce que l’on appellerait communément la « décoration de table ». En plus de l’écran de jeu, on peut imaginer quelques petits éléments pour ajouter un peu de cachet à l’ensemble. Bougies, crânes factices, perles, tissus, bougeoirs, parchemins, cartes anciennes, tout peut être utilisé pour renforcer l’ambiance autour de la table.

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Trouver un lieu pour jouer

Vous trouverez par exemple : • en bazars et boutiques de décoration : des bougies chauffe-plats, des lanternes (lampes-tempêtes factices), des accessoires insolites, de l’encens, etc. ; • en boutiques de mercerie et autres activités manuelles : perles, tissus, etc. ; • en boutiques de farces et attrapes : faux crânes, faux sang, etc. L’idéal est de pouvoir s’adapter à l’univers dans lequel la partie va être jouée. On peut même être encore plus vicieux en camouflant dans cette décoration un indice pour le scénario. Cependant, c’est une idée à double tranchant : prévenez les joueurs d’une manière ou d’une autre que des indices peuvent également se cacher dans la décoration, sinon ils pourraient interpréter cette dissimulation comme un coup bas. Ensuite, il est également possible d’imaginer que certains accessoires soient utilisés pendant le déroulé de la partie, à tel ou tel moment-clé du scénario. On parle ici d’accessoires ad hoc : ils peuvent prendre la forme d’un objet trouvé par les personnages, que les joueurs se passent de main en main. Mieux vaut mettre un minimum de temps à les préparer  : bien souvent, nos amis les GNistes (joueurs pratiquant le JdR grandeur nature) ont développé des techniques pour fabriquer facilement des accessoires1. En parcourant leurs sites et leurs forums, on peut donc trouver de nombreuses astuces simples à mettre en œuvre pour obtenir des accessoires2 et des effets spéciaux (parchemins, liqueurs, fumée – en faisant bien attention sur ce dernier point à respecter les conditions de sécurité nécessaires). À vous de voir, pendant la préparation du scénario, le ou les accessoires qui favoriseraient l’immersion.

Le timing  C’est le point-clé dans l’organisation de la partie, et souvent le plus critique. Avec l’âge, il est de moins en moins facile de trouver le temps de jouer, surtout de façon régulière. Il faut veiller à choisir un rythme de jeu et une fréquence qui conviennent à tous. Si l’on part du principe que la plupart des gens ont des horaires de bureau, travaillent ou étudient la semaine, cela ne laisse que peu de possibilités pour vos séances de jeu. Une des clés pour réussir à trouver le bon rythme consiste à ritualiser au maximum les séances : toujours la même heure, toujours le même jour, toujours le même lieu. Par exemple, « tous les mardis soirs de 20 h à 23 h ». Ou bien « le deuxième dimanche du mois, de 15 h à 18 h ». Si vous n’avez pas une certaine régularité dans l’organisation, vous aurez beaucoup de mal à fidéliser vos joueurs. Après, il faut aussi savoir ne pas avoir les yeux plus gros que le ventre. Si vous comptez faire un one shot3, 1. À l’heure où nous écrivons ces lignes, on peut en voir quelques exemples sur des sites comme www. creavapeur.com ou www.trollcalibur.com. 2. Au sujet des accessoires, consultez également l’article « Jouer avec les aides de jeu », p. 331. 3. Scénario n’appelant pas de suite et qui ne s’inscrit pas dans un ensemble narratif plus large, comme une campagne.

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Dans le cas où vous n’arriveriez pas à vous organiser selon un créneau horaire régulier, vous serez contraints de vous arranger de séance en séance au gré des disponibilités de chacun. C’est la solution la plus souple pour tout le monde mais, contrairement à l’option du créneau régulier, elle implique presque toujours une fréquence de parties bien moindre. Toujours est-il que si vous n’avez pas le choix, les outils de planification de rendez-vous sont très utiles (par Internet ou par applications mobiles : Doodle ou SurveyMonkey), même si, fondamentalement, rien ne vaut le fait de venir jouer avec son agenda et de prendre cinq minutes à la fin d’une séance pour planifier la prochaine.

Le repas Une partie dure souvent plusieurs heures, et déborde régulièrement sur les heures de repas. Se pose donc assez vite la question de la nourriture ou du grignotage pendant la partie. Si vous jouez en soirée, faut-il manger avant, pendant ou après la partie ? N’oubliez pas d’en discuter : si vous vous donnez rendez-vous et que la moitié des joueurs arrive en vous demandant de commander des pizzas, vous allez perdre un temps précieux. Surtout si vous, vous avez déjà mangé. Si vous donnez rendez-vous aux joueurs avant de dîner, cela veut dire que vous aurez un peu de temps pour discuter de tout et de rien avant le démarrage de la partie, ce qui pourra aussi satisfaire les appétences sociales de votre groupe. Dans ce cas, il faut bien sûr prévoir trente minutes à une heure dans le timing de votre soirée. Manger en pleine partie n’est en général pas très pratique : vous allez salir les feuilles de personnages, les livres, le matériel de jeu, etc. Là aussi, les choses sont différentes si vous avez la possibilité d’avoir un menu bien dans le thème, qui puisse correspondre à une scène de repas ou de campement en jeu.

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ce n’est pas la question. Si par contre vous voulez vous lancer dans une campagne, discutez rapidement avec eux de la régularité des parties, du rythme que vous pouvez adopter et de votre ambition pour l’ensemble. Se lancer dans une campagne de vingtcinq séances avec un groupe avec lequel vous jouez une fois tous les deux mois vous prendra plus de quatre ans : épique, certes, mais vous avez très peu de chances de la terminer, surtout avec tous les joueurs d’origine… Sur un tel laps de temps, il est possible qu’un ou plusieurs d’entre eux déménagent, se retrouvent contraints d’arrêter pour des raisons familiales, etc. En général, essayez de prévoir une durée d’environ six mois à un an (voire une année scolaire) : sur cette période, il y a de bonnes chances que le groupe reste stable. Ainsi, pour une campagne aux séances mensuelles, il est raisonnable d’en prévoir une dizaine, pour une partie ayant lieu une fois tous les deux mois, cinq à six séances devraient suffire, et pour un jeu toutes les semaines, on peut viser plus large, de vingt à quarante séances. Mais attention à l’épuisement et à la lassitude des joueurs à ce rythme, surtout si vous jouez toujours au même jeu. Pour éviter ce phénomène, vous pouvez parfois intégrer un « interlude » pour jouer à un autre jeu ou incarner des personnages différents dans votre univers de prédilection (cela cassera la routine, tout en donnant un autre point de vue sur la campagne).

Pour éviter de perdre du temps, vous pouvez : • anticiper la commande de pizzas (commandez avant que les joueurs arrivent, demandez-leur leur préférence, utilisez des menus « favoris ») ; • demander à chacun d’amener sa nourriture, ou de quoi partager avec le reste du groupe. Sinon, plus classiquement, vous pouvez prévoir de quoi grignoter plutôt qu’un vrai repas. À noter que c’est tout de même moins intéressant diététiquement parlant, car vos joueurs et vous aurez tendance à manger beaucoup plus qu’autour d’un vrai repas. À vous de voir, ensuite, si vous voulez partir dans la malbouffe classique chips et coca, ou si vous essayez de choisir des aliments plus sains comme des fruits, des dips de légumes, un mélange de céréales, d’amandes et de fruits secs… Tout dépend de votre groupe et de vos envies. Voici une recette facile de houmous à proposer à vos joueurs.

Régaler ses joueurs pendant sa partie : une recette simple de houmous • une boîte de conserve de pois chiches • une cuillère à soupe de jus de citron • deux-trois cuillères à soupe d’huile d’olive • une pincée de sel • une cuillère à café d’ail • persil, basilic pour assaisonner La recette est très simple : prenez tous les ingrédients, mélangez tout dans un mixer puis servez avec du pain pita ou des crackers nature.

L’engagement  Si vous jouez en campagne, vous aurez besoin de joueurs réguliers et engagés. Au-delà des conseils déjà donnés dans la partie timing, il existe des solutions pour éviter les désistements, les séances reportées faute de monde ou les sagas qui auraient pu être épiques si on en avait dépassé le premier tiers. Vous pouvez par exemple vous arranger pour avoir en permanence beaucoup de participants à la campagne (plus de cinq PJ). Cela peut être compliqué à gérer si tout le monde est présent, mais cela permet aussi d’éviter d’annuler la séance si un ou deux joueurs ne peuvent pas venir. 22

Si vous voulez anticiper ce genre de problèmes, utilisez la technique du « bus ». Demandez-vous combien de vos personnages pourraient passer sous un bus sans mettre en péril le déroulement de la campagne ? Au-delà du nombre de joueurs, cela pose la question des personnages dans l’intrigue de la campagne : combien sont essentiels ? Y a-t-il un personnage qui soit absolument indispensable au déroulé de la campagne ? Si les réponses sont « beaucoup » et « oui », alors vous avez du souci à vous faire et risquez d’avoir beaucoup de mal à gérer les absences. Dans l’idéal, essayez de structurer vos parties afin que tout le monde puisse passer sous le bus pour ne dépendre de personne. Il faudra donc prévoir des intrigues autour de l’ensemble des personnages, et pas uniquement un ou deux1. Ainsi, même si certains joueurs sont absents, vous n’aurez pas à annuler la séance. Enfin, pour maintenir leur intérêt, vous pouvez aussi utiliser des techniques classiques : le cliffhanger (vous terminez la séance sur une question qui trouvera sa réponse dans la suivante) ou le teaser (le petit message ou la petite phrase qui, envoyé aux joueurs, leur donnera envie de savoir ce qu’il implique).

Trouver des joueurs À l’ère d’Internet et des réseaux sociaux, il est en général assez facile de recruter des camarades de jeu. Vous pouvez trouver des joueurs en : • allant sur les différents forums de rôlistes sur le Net. Certains sont tenus par des associations, d’autres non, mais quasiment tous proposent soit une rubrique pour y poster une annonce de recherche de joueurs, soit des rencontres « IRL », In Real Life, où vous pourrez nouer des contacts et trouver un groupe de joueurs. Voici une liste, à date d’impression de cet ouvrage : * Opale Rôliste (http://forum.opale-roliste.com/), * Un Dé dans la Face (http://www.undedanslaface.com/), * Casus NO, rubrique Recherche de joueurs (http://goo.gl/JEs8C3), • vous inscrivant sur les groupes dédiés au JdR sur les réseaux sociaux, où vous pourrez aussi rencontrer d’autres joueurs ; • vous renseignant à la boutique à côté de chez vous : vous pourrez y trouver de petites annonces ou découvrir d’éventuelles associations locales qui proposent des parties. 1. Note des éditeurs : si vous n’avez pas peur de devoir gérer les absences de vos joueurs, les intrigues personnelles peuvent également avoir de l’intérêt. Voir les articles « Rendre les choses personnelles » p. 261 et « Passer du scénario à la campagne » p. 325.

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Vous composerez certes toujours avec les personnages absents, mais la partie pourra tout de même avoir lieu.

Certaines boutiques organisent elles-mêmes des démonstrations ou des soirées régulières, souvent également avec l’aide d’une association ; • vous rendant en convention près de chez vous : les associations locales sont souvent impliquées dans leur organisation et c’est l’occasion de nouer des contacts et de rencontrer des joueurs ; • cherchant sur Internet les coordonnées d’associations près de chez vous, qui tiennent souvent un forum ou un site par le biais duquel vous pouvez les contacter.

Choisir un scénario pour la découverte du JdR1 Vouloir trouver des joueurs est une chose, mais vous pouvez aussi souhaiter faire découvrir le JdR autour de vous, que ce soit à des proches, ou dans le cadre d’un événement spécifique. Bien souvent, le JdR, on adore ou on déteste. Autant donc choisir le bon scénario et le bon format pour que cette découverte se passe au mieux. La durée de la partie doit être modulée selon la disponibilité de vos participants et le type de public. Si vous avez des joueurs qui sont déjà « geeks » et habitués à jouer à des jeux plutôt longs, vous pouvez assez facilement leur proposer une séance de durée habituelle (trois à cinq heures). Si vous êtes face à un public plus novice ou plus jeune, il faudra faire plus court et plus efficace. Une scène ou une rencontre unique durera entre vingt et trente minutes, et suffira à faire ressentir à vos joueurs le principe de base du JdR. Organisez-la simplement : • une situation initiale ; • un problème à résoudre (un affrontement physique ou social, un conflit, une négociation…) ; • un cliffhanger pour donner envie à vos joueurs de vivre la suite. Si vous avez un peu plus de temps devant vous, un mini-scénario d’une heure et demie à deux heures peut aussi faire l’affaire et occuper toute une soirée. Organisez-le autour de trois ou quatre scènes : une situation initiale dynamique (in medias res2), une scène de repos ou de transition, puis une scène finale de résolution un peu plus épique. Cela s’avère souvent nécessaire pour tenir en haleine des débutants et leur donner envie de retenter l’expérience. Faites également attention à l’univers et aux personnages que vous allez proposer à vos joueurs. Certains, peu habitués aux références habituelles des rôlistes, peuvent 1. À ce sujet, consultez également l’article « Enseigner un jeu », p. 93. 2. À ce sujet, consultez également l’article « Commencer », p. 225.

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Cernez leurs attentes, notamment en termes de créativité et de besoin de prendre le contrôle sur la narration. Des joueurs très inventifs peuvent vouloir créer leur personnage. Attention dans ce cas à bien anticiper la durée de cette étape et à éviter d’assommer des novices en commençant par un jeu à la fois technique et complexe. De plus, il vous faudra peut-être raccourcir le scénario en fonction, car le temps total que peut vous consacrer votre audience restera sans doute le même. Demandez-vous également si vos joueurs attendent ou non de pouvoir intervenir dans la création de l’histoire et à quel point vous êtes prêt à partager la narration. Certains préféreront un meneur très dirigiste qui les prendra par la main, quitte à n’intervenir que très peu sur le déroulé de l’histoire. D’autres voudront davantage d’autorité sur la fiction. Adoptez alors un style d’animation adapté ou choisissez un jeu dont les règles leur laissent davantage de liberté pour prendre le contrôle de la narration. Cela ne fera que rendre la partie plus agréable pour tout le monde.

Varier les formats de partie Si vous voulez innover, vous pouvez proposer à vos joueurs un format différent, qui bousculera leurs habitudes. En voici quelques-uns, mais attention, les pièges sont nombreux : • la partie en extérieur : aux beaux jours, il est plutôt plaisant de pouvoir jouer en extérieur. Un parc, un salon de jardin, une aire de pique-nique, etc. Voilà différents lieux où vous pouvez trouver des tables et des chaises pour vous installer tranquillement en extérieur. Respectez quand même quelques précautions d’usage : prévoyez de ne pas rester plusieurs heures en plein soleil, essayez d’avoir un peu d’ombre et prenez largement de quoi vous hydrater. S’il y a un peu de vent, emmenez également de quoi bloquer les feuilles de personnages et autres documents pour éviter qu’ils ne s’envolent. Si le temps menace, prévoyez une tonnelle, un parasol ou un abri de fortune ; • la partie ultra-courte : inspiré des formats pour débutants, ce type de partie peut aussi aider les joueurs aguerris en manque de temps à tester un jeu ou à proposer une démonstration rapide en convention. Pour s’y essayer, il ne faut pas oublier qu’une partie de JdR est toujours divisible en scènes. Contentez-vous de faire jouer une scène unique : une situation initiale, une complication à gérer et sa résolution. Vous pouvez imaginer une confrontation, un défi physique ou social, la gestion d’un PNJ, etc. Dans le cadre d’une animation en convention, il est même possible d’enchaîner ainsi

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être allergiques aux univers médiévaux : adaptez-vous et proposez plusieurs univers. L’Antiquité, les jeux historiques, le polar, le steampunk, autant de thèmes qui peuvent aider à séduire un public plus classique. Il vaut mieux essayer de tâter le terrain le plus tôt possible auprès de vos futurs joueurs : quels univers aiment-ils ? Au cinéma, en série TV, dans les romans ? Servez-vous-en pour leur proposer une expérience qui aura d’autant plus de chances de les intéresser.

plusieurs mini-parties courtes et plusieurs scènes indépendantes afin de constituer un scénario. Vous pouvez y parvenir grâce à un scénario qui se déroule dans un lieu unique ou met en scène un voyage. Le bon format consiste à poser un cadre de présentation global du scénario, pour ensuite enchaîner les scènes à l’intérieur de ce cadre. Imaginons un scénario où les PJ sont l’escorte d’une caravane marchande. Les différentes scènes correspondent à des rencontres sur la route : tantôt des contrebandiers, tantôt un esclandre entre commerçants, tantôt une créature fantastique. Vous pouvez ainsi enchaîner des scènes ultra-courtes de quinze à vingt minutes sans la moindre difficulté ; • la partie multi-tables : pour un changement encore plus radical, vous pouvez essayer de faire une séance multi-tables. Prévoyez un scénario pensé pour deux groupes, comme ceux permettant de jouer des corps expéditionnaires qui vont explorer soit en concurrence, soit en collaboration, le même lieu, mais avec deux points de départ différents. En général, la principale difficulté de ce type de scénario consiste à gérer les interactions entre les deux groupes. Plusieurs solutions sont alors possibles : * si vous jouez dans la même pièce que l’autre groupe, vous pouvez convenir d’un signal visuel avec l’autre meneur pour l’avertir du moment où vous passez à une scène où les deux groupes peuvent se croiser ; * autre option, si vous n’êtes pas dans la même pièce (ce qui est plus simple à gérer et induit plus de suspense), vous pouvez communiquer par chat ou SMS pour prévenir l’autre meneur. L’idée est de définir à l’avance les moments où les deux groupes peuvent interagir et la manière dont ils le font : est-ce que la rencontre sera hostile ? Prendra-t-elle la forme d’une négociation ? Sont-ils sur un pied d’égalité ? Devront-ils collaborer ? À l’issue de la rencontre, des personnages peuvent-ils passer d’un groupe à l’autre ? Dans quelles conditions ? Peuvent-ils repartir sur l’autre table ? Être pris en otage ? Toutes ces questions sont autant de points d’accroche qu’il faut définir à l’avance ; • la partie contre la montre  : dernier format atypique qui peut marquer vos joueurs, le jeu en temps limité. Dans ce cas aussi, il vaut mieux prévoir un scénario adapté et une façon de symboliser le temps qui passe (chronomètre, bougie, horloge, etc.) de façon visible, afin de mettre la pression aux joueurs. N’oubliez pas de prévoir du temps pour les scènes classiques, les interactions et les combats (qui sont souvent plus longs à gérer par la mécanique de jeu1). Il faudra également faire un choix dans ce type de scénario : joue-t-on en temps de jeu ou en temps réel ? Dans le premier cas, il ne faut jamais toucher au chronomètre. L’avantage est que les joueurs ressentent davantage la pression, mais l’effet est moins saisissant. Dans le second cas, il faut ajuster le chronomètre selon les choix des joueurs  : si par exemple les personnages 1. À ce sujet, consultez également l’article « Animer les combats », p. 173.

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Conclusion Paradoxalement, il n’a jamais été aussi facile d’entrer en contact avec d’autres joueurs, mais nos rythmes de vie nous laissent de moins en moins de temps pour jouer pendant plusieurs heures autour d’une table. Une organisation efficace et un peu de souplesse permettront de réussir à pratiquer notre passion de façon régulière, mais rien ne sera possible sans la volonté délibérée de donner la priorité au JdR et d’y investir le temps nécessaire.

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décident de voyager, il faut décompter le temps exact du voyage du chronomètre. C’est plus logique, mais les joueurs ressentiront moins la pression du temps, puisque le décompte est modifiable à souhait par le meneur. Les joueurs se doutent bien que les dernières secondes du compte à rebours auront lieu dans la dernière scène du scénario. Par contre, pour un scénario en huis clos, sans voyage, il est tout à fait possible de jouer en temps réel, l’impact n’en sera que plus fort.

Fiche de synthèse L’espace de jeu Configuration ordinaire : autour d’une table spacieuse. Configuration atypique : assis sur un canapé et des poufs dans un salon. • Avantages : plus confortable, plus adapté à certains univers. • Inconvénients : perte d’efficacité, les joueurs sont moins concentrés. Configuration atypique : une table haute et des tabourets. • Avantages : joueurs plus concentrés. • Inconvénients : manque de place, moins confortable. Le lieu  Critères importants : • pièce spécifique et consacrée à la partie ; • avoir de quoi faire varier la luminosité (commande, bougies) ; • endroit insonorisé et calme. Lieux potentiels : • chez le MJ ou l’un des joueurs avec possibilités d’alternance ; • salle associative ou municipale ; • foyer étudiant ; • bar ; • extérieur (aire de pique-nique, parc, etc.) Les accessoires Décoration de table : • en bazars et boutiques de décoration : des bougies chauffe-plats, des lanternes (lampes-tempêtes factices), des accessoires insolites, de l’encens, etc. ; • en boutiques de mercerie et autres activités manuelles : perles, tissus, etc. ; • en boutiques de farces et attrapes : faux crânes, faux sang, etc. Accessoires ad hoc (objets utilisés pendant la partie) : • parchemins ; • liqueurs ; • arme ; • fumée ; • carte ; • arme factice.

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ORGANISER

Le timing  Ritualiser au maximum les séances : toujours la même heure, toujours le même jour, toujours le même lieu. Calibrer à l’avance la durée de la campagne. Avoir une idée globale des disponibilités des joueurs, pour être le plus flexible possible. Toujours définir la date de la prochaine séance à la fin de la partie. Le repas Définissez une routine avec les joueurs. Discutez-en avant (pour éviter que certains aient mangé et pas d’autres, qu’il faille commander une pizza en catastrophe, etc.). Configurations possibles. • Manger avant la partie : * avantage : satisfait les appétences sociales du groupe ; * inconvénient : on perd du temps sur la partie. • Manger pendant la partie : * avantages : on commence à jouer rapidement, peut être cohérent avec la partie et l’ambiance ; * inconvénient : pas pratique. • Grignotage : * avantages : pas cher, prend peu de temps de préparation (voir houmous) ; * inconvénient : moins intéressant diététiquement parlant. Pour éviter de perdre du temps, vous pouvez : • anticiper la commande de pizzas (commandez avant que les joueurs arrivent, demandez-leur leur préférence, utilisez des menus « favoris ») ; • d emander à chacun d’amener sa nourriture, ou de quoi partager avec le reste du groupe. L’engagement  S’arranger pour avoir en permanence beaucoup de participants à la campagne (plus de cinq PJ) : • inconvénient : cela peut être compliqué à gérer si tout le monde est présent ; • avantage : cela permet de maintenir la séance si un ou deux joueurs ne peuvent pas venir.

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Utiliser la technique du bus : • avantage : la campagne ne dépend d’aucun PJ en particulier ; • inconvénient : il faut prévoir des intrigues autour de l’ensemble des personnages. Utiliser le cliffhanger ou le teaser pour maintenir l’intérêt des joueurs d’une séance à l’autre. Trouver des joueurs Aller sur les différents forums de rôlistes sur le Net. Suivre les groupes dédiés au JdR sur les réseaux sociaux. Demander à la boutique de JdR la plus proche. Se rendre dans la convention la plus proche. Chercher sur Internet les coordonnées d’associations. Choisir un scénario pour la découverte du JdR Se renseigner sur les goûts et les profils des joueurs pour s’y adapter (préférences dans d’autres médias, habitués de la culture geek ou pas, particulièrement créatifs ou pas, etc.) Faire jouer un scénario simple et court : situation initiale, problème et cliffhanger. Faire jouer un scénario simple de durée moyenne (1 h 30 à 2 h) : situation initiale dynamique, scène de repos ou de transition, scène finale de résolution plus épique. Varier les formats de partie La partie en extérieur. La partie ultra-courte. La partie multi-tables. La partie contre la montre.

SCÉNARIO

Créer un scénario



Tristan Lhomme

P

endant un long moment, j’ai pensé que cet article traiterait de la manière d’« écrire un scénario ». Mauvaise approche, car « écrire » attire l’attention sur la partie rédactionnelle de la création d’un scénario. Or, le véritable travail se fait en amont. Si vous vous êtes convenablement préparé, l’écriture proprement dite suivra une route déjà tracée. Et pourtant, comme nous le verrons plus loin, elle peut encore vous réserver des surprises.

La conception La conception de votre scénario commence très longtemps en amont, et s’arrête au moment où vous vous attelez à la mise en forme de votre histoire (voir p. 47). Étape n° 1 : le germe

Ne parlons pas encore d’intrigues, d’ambiance, de scènes ou de PNJ. Nous n’en sommes pas là. Pour l’heure, vous n’avez qu’une feuille blanche et l’envie de la remplir. Voici trois méthodes pour jeter les bases de votre scénario. Selon votre manière de réfléchir, elles peuvent être employées ensemble ou séparément. Ce que vous produirez lors de cette étape ne restera peut-être pas, mais vous servira de fondation pour des développements ultérieurs.

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Technique n° 1 : les associations Notez le premier mot qui vous passe par la tête. Puis deux autres, liés ou non aux précédents. Si vous n’avez pas d’idées, prenez un dictionnaire et ouvrez-le au hasard, trois fois. Si vous n’êtes pas content de l’un des mots, cherchez ses synonymes jusqu’à obtenir un résultat qui vous convienne. Que vous suggèrent-ils ? Exemple : je pense à « cimetière ». Cela me suggère « fossoyeur ». Le troisième mot, tiré au hasard, est « démarcation ». Après avoir envisagé une histoire de cimetière situé de part et d’autre d’une frontière, qui pourrait servir à la contrebande, je décide de passer à autre chose. Qu’est-ce qu’une démarcation ? Une limite. Quelle est la limite que trace un cimetière ? Celle entre la vie et la mort. Il y aura des morts-vivants au menu. Technique n° 2 : l’image Fermez les yeux, concentrez-vous une seconde et pensez à une image. Elle peut être le fruit de votre imagination. Il peut s’agir d’un souvenir (personnel ou raconté par quelqu’un d’autre) ou simplement d’un « vu à la télé ». La plupart des gens sont « visuels », mais il va de soi que cela fonctionne aussi avec les sons et les odeurs. Une fois que vous aurez l’image, essayez de la « mettre au point », d’y ajouter des détails. Soyez concret : chaque nouvel élément pourra servir, même si vous ne savez pas encore à quoi. Lorsque vous êtes satisfait du résultat, transcrivez l’image en une ou deux phrases (ou dessinez-la, si vous en êtes capable). Exemple : je vois du brouillard. Un paysage au petit matin, noyé dans le brouillard. Des collines. Le soleil se lève à ma gauche, au-dessus d’un bois dense. Devant moi, des remparts en ruine. C’est une ville médiévale. Technique n° 3 : la graine Cette fois, nous partons d’un élément qui paraît prometteur, que ce soit un PNJ, une scène, voire une partie du monde si vous évoluez dans un univers déjà écrit. Notez-le et faites la liste de tout ce qu’il vous évoque, sans avoir peur de tailler large. Exemple : je décide d’utiliser le Grand Ancien Mordiggian, dont les associations sont : goules, cimetières, cannibalisme et rêves. Notez que même si Mordiggian est un joueur de troisième division parmi les Grands Anciens, je ne sais pas encore à quel jeu je destine ce scénario, qui pourrait aussi bien être une histoire d’horreur que du médiéval-fantastique. Étape n° 2 : la maturation

Vous n’aurez jamais toutes les billes dont vous aurez besoin du premier coup. Et même si vous pensez les avoir, ne vous précipitez pas ! Laissez reposer vos idées. Donnez-vous du temps. Ruminez. Gardez le résultat de l’étape n° 1 en tête. Sans qu’il devienne pour autant une obsession, essayez d’y penser à certains moments-clés de la journée, quand vous avez l’esprit

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L’exercice devrait produire de fructueuses associations d’idées. Certaines sont évidentes : un documentaire sur telle région française vous fournit un cadre. D’autres sont juste logiques : à force de penser à un cimetière, le mot « épidémie » vous vient tout naturellement. Certaines, souvent les meilleures, arrivent directement de votre inconscient : vous vous réveillez en pensant au médecin de famille qui vous soignait quand vous étiez petit, et bon sang, il a une tête de fossoyeur ! Notez tout cela en vrac, au fur et à mesure que les pensées arrivent. Là encore, vous aurez du déchet lors des étapes suivantes. La prise de notes est une activité très personnelle. Je procède de la façon suivante : 1. j’ai toujours sous la main un carnet ou un cahier à spirale, dont on peut arracher les pages ; 2. je gribouille les idées au fur et à mesure qu’elles me viennent, sans ordre particulier. Je barre et je rature, j’entoure les phrases importantes, je relie les trucs qui me semblent « aller ensemble » par des flèches… et je me vide le cerveau en faisant de petits dessins dans les marges ; 3. lorsque j’ai noirci quatre ou cinq pages, je les arrache du cahier et j’ouvre un fichier texte ; 4. j’y recopie ce que j’ai écrit, en faisant un premier classement thématique sommaire, qui consiste surtout à poser côte à côte les bouts reliés par des flèches ; 5. c’est lors de cette phase que des mentions cryptiques comme « foss. Haml. » deviennent « Hamlet, scène du fossoyeur » ; 6. lorsque tous mes gribouillis sont transférés dans le fichier, je le retravaille un peu en faisant des couper-coller. L’objectif est d’obtenir des blocs qui semblent se répondre (parce qu’ils couvrent grosso modo les mêmes questions, ou parce qu’ils abordent un thème identique sous différents angles). Incohérences et contradictions sont non seulement utiles, mais désirables. Même si Y et X sont radicalement incompatibles, vous pouvez encore vous servir des deux ; 7. ensuite, j’imprime le résultat en double interligne avec une marge large, et en recto simple ; 8. et je recommence à gribouiller dessus. Lorsque la sortie imprimante n’est plus lisible, je reviens à l’étape 4. Répétez le processus autant de fois que nécessaire. Normalement, un ou deux cycles suffisent amplement pour être prêt à passer à l’étape suivante.

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disponible (pendant un trajet en transports en commun, en faisant la vaisselle ou en jardinant). Pensez-y avant de vous endormir et en vous réveillant.

Documentation Parfois, une idée s’impose avec la force de l’évidence. Il faut que vous fassiez un scénario où les joueurs seront confrontés à Al Capone ! En général, juste après, vous vous rendez compte que votre subconscient a écrit un chèque que votre culture générale est incapable d’encaisser. Comment était ce monsieur Capone dans la vie de tous les jours ? Où vivait-il ? À quoi ressemblait son entourage ? Si vous décidez de vous documenter, ce qui n’est jamais une obligation, vous devez vous interroger, en fonction de vos besoins et du temps dont vous disposez, sur la profondeur des sources auxquelles vous allez puiser. • En surface. Vous en restez à la culture populaire : le cinéma, les romans et les BD ont déjà exploité la figure ou la période qui vous intéresse et, en général, ce sont les clichés qui vous ont titillé. Qui a besoin de s’encombrer avec le vrai Capone, alors qu’il y a De Niro dans Les Incorruptibles ? • Entre deux eaux. Wikipédia est souvent un bon moyen d’inscrire les informations « clichées » dans une perspective plus large, et propose fréquemment une bibliographie un peu plus précise. Plus généralement, on trouve de tout sur Internet, de l’article hyper pointu au franc n’importe quoi. • En profondeur. Une visite à la bibliothèque ou chez le libraire ne fait pas de mal. Une biographie récente, une étude de l’époque ou une relecture des textes d’origine suffit souvent à dissiper de nombreuses idées fausses (exercice : relisez Conan Doyle, et comparez son Sherlock avec ses variantes cinématographiques ou télévisuelles récentes). Les clichés s’estompent ou disparaissent – et l’on comprend souvent d’où ils sortent. La vérité est toujours plus étrange que la fiction, et cela se vérifie quelle que soit la période étudiée. Il existe toujours des zones d’ombre, des détails peu connus, des petits faits du quotidien ou des bizarreries qui sont autant de clous auxquels accrocher vos idées. Après, reste à voir ce que vous voulez faire de tout cela. Que cherchez-vous, au fond ? Que voulez-vous faire de ce Capone ? Un « parrain » archétypal qui fasse peur aux personnages ? Le portrait plus nuancé d’un type sans scrupules et ivre de pouvoir, qui s’inscrira dans l’arrière-plan de votre histoire ? Ou est-ce qu’au fond, Capone vous intéresse moins que Chicago, la Prohibition et la guerre des gangs ? Tant que nous y sommes, faisons une digression rapide sur le « réalisme ». Un scénario ne doit pas être un reflet du réel. Il doit s’inscrire dans la réalité du jeu, ce qui est bien différent. Celle-ci partage de nombreux points communs avec «  notre  » réalité, mais c’est une version épurée et orientée en fonction des thèmes du jeu et de ce que vous voulez raconter dans votre scénario. Gardez cette idée en tête, elle conditionnera vos recherches. Si vous sentez que les livres commencent à faire obstacle entre votre idée et vous, jetez vos bouquins et reprenez votre bloc-notes !

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Et maintenant, un bref retour au réel. Vous vous êtes engagé dans ce processus de création pour une raison précise, d’où découlent des contraintes. Il est temps de s’y intéresser. Vous pensez n’avoir aucune contrainte  ? Regardez mieux. Vous les avez peut-être intégrées au point où elles vous semblent invisibles, mais elles sont là. La première chose à faire est de distinguer les contraintes fortes des contraintes faibles. Les premières sont impératives, les secondes aménageables. D’un projet à l’autre, elles peuvent changer de catégorie. Voici ma liste-type, à vous d’organiser la vôtre selon vos besoins. Les contraintes fortes • Une échéance. Sans une date limite, je procrastine et je ne fais jamais rien. Après presque trente ans à fréquenter des créatifs, je peux affirmer que je ne suis pas le seul. Vous n’avez pas de contrainte éditoriale, mais vous avez besoin de faire jouer ce scénario pour telle date. Si c’est juste pour « bientôt », fixez-vous une échéance. • Une longueur. L’édition impose des volumes en signes. Si vous écrivez pour faire jouer vos amis, vous n’avez pas ce repère, mais vous en avez un autre : le temps de jeu. Voulez-vous meubler une soirée, un week-end ou de nombreuses séances ? La réponse à cette question vous imposera des choix assez voisins, comme « il me faut 30 000, 100 000, 300 000 signes » (ces volumes correspondant grosso modo à une ou deux soirées de jeu, à quatre ou cinq séances de quatre heures, ou à une campagne de plusieurs mois). Les contraintes faibles • Votre envie. Vous écrivez pour vous faire plaisir, et c’est sans doute l’élément le plus important de l’équation. Si l’écriture vous empêche de dormir, laissez tomber ! • L’intégration à l’univers. Les scénaristes de JdR écrivent rarement dans le vide. Ils ont toujours le filet de sécurité représenté par un univers, ou au moins par le thème (l’un comme l’autre sont des sources d’idées appréciables). Pensez à l’univers comme un cadre. Vous devez inscrire votre scénario dedans, même si c’est tout en bas à droite plutôt qu’en plein milieu. Où le placer ? C’est votre décision, et elle peut être motivée par une multitude de raisons, pratiques ou esthétiques. Même à Vampire : la Mascarade1, si vous estimez que récemment, vous avez trop joué de sombres histoires politiques, d’autres thèmes attendent d’être exploités (à commencer par le plus simple, celui sur lequel on fait toujours l’impasse : la chasse). • Les attentes des joueurs. Pour paraphraser Woody Allen, vos amis veulent être surpris, mais avec ce qu’ils attendent. Un joueur de Bloodlust2 recherche une expérience différente d’un joueur de Maléfices3, même si c’est la même personne à 1. Davis Graeme, Dowd Tom, Greenberg Andrew, Rein.Hagen Mark, Stevens Lisa, Wieck Stephan, Wieck Stewart, Vampire: the Masquerade, White Wolf, Stone Mountain, 1991. 2. Croc, Ranne G.E., Bloodlust, Asmodée Éditions Siroz, Villiers-le-Bâcle, 1991. 3. Gaudo Michel, Rohmer Guillaume, Maléfices, Jeux Descartes, Paris, 1985.

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Étape n° 3 : le cadre

quinze jours d’intervalle. Demandez-vous de quoi ils ont envie. Veulent-ils quelque chose de classique, dans le droit fil des exigences de l’univers, ou ont-ils envie de jouer avec les codes, de casser les clichés et de vivre une expérience originale ? Leurs attentes risquent d’entrer en conflit avec vos désirs. Ce n’est pas forcément grave, mais c’est un élément à garder en tête. Faut-il les avertir  ? Parfois… sauf si vous recherchez un effet de surprise. • Les types de personnages. Quelles que soient vos envies et celles des joueurs, les personnages sont un autre élément de l’équation, qui préexiste souvent1. Si vous avez envie d’une histoire courte et violente mais que les personnages ne sont pas armés pour y faire face, cela vaut peut-être la peine d’attendre un peu que le groupe ait évolué. Idem si vous avez envie de vous lancer dans quelque chose de compliqué et de subtil avec des magiciens, alors que le groupe est essentiellement composé de combattants. Cette contrainte est (un peu) moins pesante que les autres, parce que les personnages se remplacent plus simplement que les joueurs.

À titre personnel… Le rêve que je poursuis de scénario en scénario est de produire une création rigoureusement fidèle à l’univers mais qui bouleverse les attentes des joueurs. C’est mon obsession. Quand vous aurez plusieurs scénarios derrière vous, reprenez-les et regardez si, par hasard, vous n’en avez pas une, vous aussi.

La préparation L’étape de conception est terminée. Vous avez une poignée de notes où apparaissent des mots-clés, une image ou deux, peut-être l’esquisse d’un personnage, le tout relié par des fils fragiles et incertains. Il est temps d’en tirer une histoire. Reprenez vos notes et relisez-les, muni d’un crayon (ou de plusieurs crayons de couleur). Étape 1 : l’esquisse

L’objectif de cette étape est d’arriver à une trame grossière. Reprenez vos éléments, et posez-vous les sept questions (page suivante). Qui fait quoi, où et comment, à qui et pourquoi ? Quelles en seront les conséquences ? Ce dernier point est particulièrement important  : les conséquences sont souvent le point d’entrée des personnages dans l’aventure. Tirez des traits entre les éléments de vos notes qui paraissent se relier naturellement (sans trop appuyer, vous allez sans doute pas mal gommer). 1. À ce sujet, consultez l’article « Passer du scénario à la campagne », notamment la partie Scénarisation flottante : le cas des intrigues personnalisées, p. 324.

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• notre première collecte d’idées nous a donné un cimetière, des fossoyeurs, des morts-vivants, une ville médiévale en ruine, du brouillard, le Grand Ancien Mordiggian et tout le bagage associé ; • la période de maturation a produit un cadre possible dans le monde réel, la notion d’épidémie et une trogne de fossoyeur ; • avons-nous des contraintes  ? L’objectif est d’écrire quelque chose de court, jouable en une soirée. Est-ce un scénario pour L’Appel de Cthulhu1 ? Pour les besoins de la démonstration, disons que oui.

Outil : les 7 questions Tout scénario, quel que soit son thème, est un exercice de diffusion d’informations. Vous communiquez des faits aux joueurs, qui les interprètent à leur manière. Quelles informations communiquer ? Tous les journalistes vous le diront, dans toute situation et à tout moment, sept questions se posent. • Qui ? • Quoi ? • Où ? • Quand ? • Comment ? • Pourquoi ? • Avec quelles conséquences ? Ces questions s’appliquent à votre intrigue, mais aussi à chaque scène importante, à chaque PNJ significatif, ou à chaque moment où les PJ font avancer l’action dans des directions imprévues. Vous n’avez pas besoin de rédiger de longues réponses, mais même une courte phrase aide à clarifier une situation. Varier l’ordre des réponses aide à mettre l’accent sur tel ou tel aspect de la situation (au bout du compte, savoir pourquoi Sauron veut l’Anneau est moins important que de savoir comment il compte l’obtenir).

1. Chodak Yurek, Henderson Harry, Krank Charlie, Perrin Steve, Petersen Sandy, Stafford Greg, Tadashi Ehara, Swenson Anders, Willis Lynn, Call of Cthulhu, Chaosium, Oakland, 1981. La version française la plus récente est la septième, éditée en 2015 par Sans-Détour Éditions.

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Exemple :

Qu’allez-vous faire de ces éléments ? Pour commencer, passons-les au prisme des stéréotypes de L’Appel de Cthulhu. Cela donne « une secte de fossoyeurs, adorateurs de Mordiggian, se prépare du fond de son cimetière à déclencher une épidémie. » C’est fonctionnel, mais c’est assez banal. Peut-on faire mieux ? Et s’il n’y avait pas de secte ? Et si les fossoyeurs endossaient le rôle central, celui des personnages-joueurs ? « Un groupe de fossoyeurs travaillant au cimetière d’une petite ville souffre d’une étrange épidémie… » C’est déjà plus intéressant, mais il nous manque un « pourquoi », nous n’avons pas intégré le brouillard et nous ignorons tout des effets de l’épidémie.

Le « et si… ? » et autres trucs Lors de la préparation, la pire des choses est de s’enfermer dans une seule perspective. • Changez d’approche aussi souvent que nécessaire. À chaque fois que vous établissez un lien, testez-le avec un « et si… » Et si ce qui vit dans la crypte n’était pas maléfique ? • Examinez chaque élément plusieurs fois, et demandez-vous ce qui se passerait si… Essayez d’être contre-intuitif sur au moins un ou deux éléments. Un monstre de la crypte moins nuisible qu’il n’y paraît est un bon exemple de cette démarche, et vous ouvre un vaste champ de possibilités. • Restez souple. Chacune des briques dont vous êtes en train de vous servir peut être positionnée d’une multitude de manières, et si elle ne rentre pas, vous pouvez toujours l’écarter… ou la placer en biais.

Nouvel essai : « L’histoire prend place dans une petite ville. Depuis qu’un brouillard épais s’est abattu sur le cimetière, les fossoyeurs souffrent d’une étrange maladie  : ils se croient encore dans la brume, et y aperçoivent des silhouettes anormales… » Cela prend tournure, mais il manque encore un « pourquoi ». Mordiggian est-il dans le coup, ou préférez-vous l’écarter au profit d’une autre cause ?

L’esquisse Au bout de plusieurs essais, votre argument est le suivant : « l’histoire prend place dans une grande ville. (Elle doit l’être, vous avez besoin de plusieurs fossoyeurs à plein temps.) Depuis qu’un brouillard épais s’est abattu sur le cimetière, les fossoyeurs souffrent d’une étrange maladie. Mélange d’hallucinations et de symptômes réels, elle contamine les citadins. Certains la propagent activement, d’autres luttent contre elle. Elle trouve son origine dans une crypte, dont l’habitant n’est pas aussi monstrueux qu’il y paraît… »

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Avez-vous une oreille complaisante dans votre entourage ? Une épouse, un frère, un ami qui ne jouera pas votre scénario, mais qui est prêt à vous écouter ? Si oui, servez-vous-en. Racontez-lui l’intrigue, parlez-lui de ce qui coince et demandez-lui son avis. Le sparring-partner peut avoir une solution à proposer ou pas, elle peut être bonne ou non. Si elle l’est, votre problème est résolu, si elle ne l’est pas, demandez-vous pourquoi, et voyez si vous ne pouvez pas la transformer. Pour moi, cet exercice est presque toujours oral, mais vous pouvez aussi trouver votre sparring-partner sur un forum ou échanger des mails avec lui. Notez que l’avis du sparring-partner n’est pas ce qui compte le plus dans l’affaire. Cette dure réalité est parfois difficile à faire accepter à votre complice du moment, qui s’évertue à vous faire des suggestions que vous balayez souvent d’un revers de main. Ce qui compte, c’est que vous verbalisiez les points qui vous posent problème. Très souvent, cela suffit à faire apparaître des solutions, des pistes ou un changement de point de vue. Du coup, votre interlocuteur n’a pas besoin d’être rôliste. En fait, il n’a même pas besoin d’exister, vous pouvez entretenir un dialogue très fructueux avec vous-même si vous n’avez personne d’autre sous la main. Vous pouvez avoir recours à un sparring-partner, réel ou imaginaire, à toutes les étapes du processus, de ses débuts à ses ultimes itérations.

Étape 2 : le développement

Désormais, vous avez une idée de base cohérente, qui tient en quelques lignes. Il ne vous reste plus qu’à en tirer une histoire. Vous allez devoir décider d’une ambiance et d’une structure, y accrocher des scènes, bref la convertir en un scénario prêt à rédiger. Les angles suivants sont des pistes de travail. Vous les utiliserez certainement tous, mais dans un ordre différent, et avec une intensité variable selon votre projet et votre manière de réfléchir. Là encore, il n’existe pas de « bonne » méthode. Personnellement, j’insiste beaucoup sur l’ambiance, la chronologie et l’histoire, mais je le répète, tout sert. Angle n° 1 : le genre, les thèmes et l’ambiance Que voulez-vous faire de votre histoire ? Quelque chose de sérieux ? De parodique ? D’iconoclaste ou de respectueux des conventions du genre ? Quelles que soient vos réponses, des scènes et des mécanismes commencent à apparaître d’eux-mêmes, même s’ils restent dépourvus de contexte. Exemple : si vous restez fidèle aux conventions de L’Appel de Cthulhu, les personnages seront certainement contaminés, tôt ou tard. La maladie, horrible, se propagera à leurs proches. Vous allez avoir besoin de regarder les règles de contagion.

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Outil : le sparring-partner

Outil d’ambiance : le film Demandez-vous qui mettrait votre scénario en scène si c’était un film, et qui jouerait dedans. Des noms vous viennent ? Poussez votre histoire dans cette direction. Si vous associez notre histoire de fossoyeurs à Claude Chabrol, nous sommes dans un drame psychologique, où tout se développera lentement et se rapportera, au bout du compte, à des histoires de sexe, de pouvoir et d’argent dans la bonne société locale. Le PNJ féminin central aura quelque chose d’Isabelle Huppert. Si le nom qui vous vient est Quentin Tarantino, ce sera plus… rythmé, et Uma Thurman occupera le premier rôle.

Angle n° 2 : la forme du scénario Voulez-vous d’une enquête ? Si oui, suivra-t-elle une structure en arborescence, avec une liste de pistes qui se connectent les unes aux autres, ou un modèle différent, par exemple basé sur une chronologie ? Souhaitez-vous donner davantage d’initiative aux joueurs, et donc bâtir un bac à sable1 à intrigues multiples ? Si oui, quelle va être votre échelle de travail ? Le cimetière ? La ville ? La région ? Aurez-vous besoin d’un plan et de rencontres, par exemple dans la crypte, ou est-ce inutile ? Exemple : notre scénario sera une enquête et suivra le vénérable – et toujours efficace – modèle de l’arborescence.

Structures pures ou mixtes ? Ne vous limitez pas. Souvenez-vous que les structures de scénario « pures » sont souvent moins intéressantes que les formes bâtardes. Si vous avez besoin d’un petit plan à la fin, greffez-le sur votre enquête, qui peut être bâtie comme une arborescence et comporter des aspects bac à sable. Personne ne viendra vous le reprocher.

Angle n° 3 : l’implication des personnages Oublier les personnages est pire qu’un crime, c’est une faute. Les joueurs ne doivent jamais avoir à se demander pourquoi leurs personnages sont présents au début du scénario… mais répondre à cette première question n’est pas suffisant. 1. Scénario sans histoire écrite à l’avance. Le MJ a un environnement (lieux, PNJ, chronologie, etc.) et réagit aux actions des joueurs. Ceux-ci se créent leurs propres objectifs.

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Obligez-vous aussi à penser loin en aval, en termes de résultat. Que peuvent obtenir nos héros ? Et à quel prix ? Exemple : en tant que fossoyeurs, nos héros sont aux premières loges pour voir la maladie se propager. Elle les touche, eux et leurs proches, ce qui est la meilleure des raisons pour avoir envie d’essayer de « faire quelque chose ». À l’autre bout de l’histoire, ils pourront sans doute mettre un terme à la menace, mais le prix à payer sera élevé. Et entre les deux, c’est encore un peu flou. Il faudra y revenir.

Outil d’implication : les « + » Pensez à votre situation de départ, ou à votre scène d’ouverture si vous l’avez déjà. Prenez les personnages et essayez de trouver une manière de les impliquer, en groupe ou individuellement (ou l’un, puis l’autre). Si ça ne colle pas, attribuez « 0 ». Si ça colle moyennement, « + ». Si ça colle parfaitement, « ++ ». Une fois que vous avez fait votre premier tour de table, reconsidérez le cas des personnages qui sont à 0. Qu’est-ce qui pourrait les impliquer davantage ? Est-ce que vous n’avez pas, dans leur histoire personnelle, un élément qui pourrait vous servir à imaginer une meilleure implication ? S’il n’y a rien à faire, il ne vous reste plus qu’à trouver un autre point de départ à votre histoire… ou à vous préparer à convaincre les joueurs de créer d’autres personnages. Cette technique peut aussi servir à d’autres moments du développement, par exemple lorsqu’il faut évaluer l’adéquation entre les personnages et leurs adversaires, ou la somme d’informations dont ils disposent, sur le mode « ils auront résolu l’enquête lorsqu’ils auront accumulé ++++. Chaque information vaut +, sauf celle-ci qui vaut ++. » Rien ne vous oblige à vous en tenir à un barème aussi sommaire. J’ai connu des gens qui évaluaient chaque élément de leur scénario sur vingt, et notaient au demi-point près…

Angle n° 4 : les relations Les personnages ne vont pas évoluer dans le vide. Si vous envisagez des prétirés, vous devez réfléchir à la manière dont ils se perçoivent, à la façon dont ils interagissent avec leur entourage, à leurs relations avec un éventuel commanditaire. Et si vous n’avez pas l’intention de leur donner des prétirés ? Faites ce petit travail sur les PNJ, il leur confère tout de suite une « couleur ».

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Au-delà de leur présence, qui n’est jamais difficile à mettre en place, ils ont besoin d’une motivation pour s’impliquer dans l’histoire… et surtout, vous devez leur donner des prises sur le déroulement des événements. Un scénario où le groupe affronte des adversaires impossibles à contrer parce que trop malins est aussi inintéressant qu’un scénario où l’ennemi est idiot.

Exemple : notre groupe sera plus intéressant à jouer si vous introduisez un minimum de conflit entre ses membres. Les fossoyeurs dépendent certainement de la mairie, et donc d’un bureaucrate qu’ils peuvent apprécier ou non. Savoir que le curé, avec qui ils travaillent au jour le jour, déteste le maire, qui les paye, aura certainement des répercussions sur leur manière d’appréhender ces deux PNJ, par exemple.

Outil de relations : les diagrammes relationnels Popularisés par White Wolf au début des années 1990, les diagrammes relationnels sont toujours utiles. Pour ceux qui ne connaissent pas la technique, elle consiste à disposer le nom des personnages impliqués (PJ ou PNJ), et de les relier par des flèches où vous inscrivez la nature de leur relation. Bien sûr, A et B ne se voient pas du même œil, il y aura donc une flèche de A vers B avec la mention « fou amoureux » et une flèche de B vers A avec la mention « gros lourd à éviter ». Il est parfaitement possible de concevoir une trame de scénario sous forme de diagrammes relationnels. Personnellement, je ne m’en sers presque jamais, et je conseille d’en faire un usage prudent et nuancé. Prudent, parce que tout le monde ne connaît pas forcément tout le monde, et qu’à trop détailler, on finit par se priver de toute marge d’improvisation. Nuancé, parce que ce genre de carte a tendance à figer les relations dans des attitudes stéréotypées, toujours identiques.

Angle n° 5 : les équilibres Une autre manière commode de penser un scénario est de se le représenter comme un jeu de mikado : un ensemble en équilibre instable, qui ne va pas tarder à tomber. Chaque PNJ ou groupe impliqué dans l’histoire est une baguette, qui touche un certain nombre d’autres baguettes. Quelque chose retire une baguette (qui ou quoi  ? quand ? pourquoi ? est-ce lors de la scène d’ouverture ou avant ?) La structure bouge. Comment ? Qu’est-ce qui tombe en premier ? Combien d’autres chocs pourra-t-elle supporter avant de s’effondrer complètement ? Et comme la métaphore ne tient pas complètement la distance : comment réagiront les baguettes qui se sentent tomber ?

Outil d’équilibres : le diagramme de forces Cousin proche du diagramme relationnel, mais allant légèrement au-delà, ses flèches listent les actions possibles en cas de friction entre les différents groupes qui participent à votre histoire. À la place de la mention « fou amoureux », ou en dessous d’elle parce que rien ne vous oblige à faire plusieurs diagrammes, la flèche qui relie A à B porte la mention « fera de son mieux pour la protéger de C ». Quant à la flèche qui relie B à A, elle s’enrichit d’un « lui fera porter le chapeau… »

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Angle n° 6 : les descriptions Votre scénario va se dérouler dans un nombre fini de lieux, et impliquer un nombre fini de PNJ. Dans vos notes initiales, un simple emploi suffit « Machin, rôdeur douteux », mais avant de les présenter aux joueurs, vous devez les typer. Vous voilà donc directeur de casting et responsable des décors. Pour les PNJ1, attachez-vous en priorité à ce qui marquera les joueurs – un détail vestimentaire, un tic de langage. Pour un bâtiment2, concentrez-vous sur l’idée que vous voulez faire passer, que ce soit la claustrophobie, le délabrement, la richesse ou n’importe quoi d’autre. Si vous optez pour la richesse, vous n’avez pas besoin de rédiger la description, pièce par pièce, de ce vaste manoir : notez juste une demi-douzaine de traits « riches », et placez-les dans vos descriptions au fur et à mesure de vos besoins (cheminée en marbre, boiseries cirées, tapis d’Orient, portraits d’ancêtres, lampes en bronze massif et cristal). Notez que ces approches ne concernent que les descriptions, forcément superficielles. Vous risquez d’avoir besoin de bien plus, notamment de savoir comment tel PNJ interagit avec le groupe, ou d’un plan du lieu. Ces besoins-là sont à traiter lors de la création de l’intrigue.

Outil de description : le portrait Synthétisez vos PNJ en une ou deux lignes, qui recouvrent les éléments suivants : • taille et poids (pas forcément au centimètre et au kilo près, « grand » ou « maigre » peuvent suffire) ; • couleur des yeux et des cheveux, coiffure ; • signes particuliers ; • vêtements ; • tics et manies. Exemple : Igor le rôdeur. Anormalement petit, corpulent à la limite de l’obésité, yeux noirs, longs cheveux bruns crasseux, légèrement bossu, porte un pardessus râpé trop grand pour lui, vague accent slave, ne se sépare jamais d’une dame de pique cornée qui « lui porte bonheur ».

1. À ce sujet, consultez également l’article « Incarner des PNJ », p. 141. 2. À ce sujet, consultez également l’article « Décrire », p. 109.

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SCÉNARIO

Cet angle s’avère particulièrement utile lorsque vous avez de nombreux groupes et sous-groupes aux interactions complexes.

Angle n° 7 : la chronologie Réfléchissez aux faits et inscrivez-les dans le temps. Que s’est-il passé avant la scène d’ouverture ? Qui a fait quoi parmi vos PNJ ? S’ils ont un plan, se déroule-t-il comme prévu ou est-il en train d’échouer ? S’il marche, a-t-il des effets inattendus ? Sont-ils en train d’improviser ? S’il y a plusieurs groupes, quel est le timing de leurs actions ou de leurs réactions ? Et quelles seront les conséquences de tout cela du point de vue des personnages ? Que peuvent-ils apprendre ? Quand vous aurez défriché tout cela, avancez : que se passera-t-il après la scène d’ouverture ? Les PNJ vont de toute façon devoir s’adapter à un imprévu de taille : les réactions du groupe. Mais au-delà de cela, que font-ils ? Exemple : huit jours plus tôt, un collègue des personnages est descendu dans la crypte, mettant en route toute la séquence d’événements. Quelle était sa motivation ? Avait-il un complice ? Présente-t-il des symptômes, ou est-il un porteur sain ? Est-il seul dans l’affaire ? Comment l’épidémie se propage-t-elle, avant et après la « prise d’antenne » ?

Outil de chronologie : les colonnes Une simple feuille de papier, avec une colonne par groupe (plus une colonne pour les actions des personnages), et une ligne pour chaque date ou heure importante, fait gagner un temps précieux, et permet de débrouiller d’éventuelles incohérences du type «  PNJ présent en deux endroits à la fois » ou autres soucis de conception, dont le « PNJ qui n’a rien à faire ».

Jour 1

Actions des PJ

Actions d’Igor le rôdeur

Matin

Scène d’ouverture

Chassé par un fermier

Actions du fos­ soyeur ami des PJ

Environnement Brume anormale

Après-midi

Mendie sur la place de la mairie

Soirée

Rôde autour du cimetière

Averses

Nuit

Effraction, rôde dans le cimetière

Brume anormale

Jour 2 Matin

Actions des PJ

Premiers symptômes de la maladie

Temps froid

Igor le rôdeur

PNJ B

Environnement

Dort au cimetière. Chassé par les PJ ? Discussion ?

Ne vient pas travailler

Pluie

Après-midi

Crachin

Soirée

Brume & crachin

Nuit

Meurt

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Brume à couper au couteau

C’est le cœur de votre réflexion, le moment où vous pensez « scènes et enchaînements ». Qu’est-ce qui déclenche l’implication des personnages ? Et ensuite, que vont-ils faire ? À quoi ressemblent leurs interlocuteurs et leurs ennemis ? Prenez une feuille de papier et posez-la dans le sens de la longueur. En partant de la gauche, faites la liste des scènes qui vous semblent nécessaires en les reliant par des flèches. Pour chaque scène, listez le lieu et les PNJ dont vous avez besoin, ainsi que le résultat que vous souhaitez obtenir (qui ne sera pas forcément celui que vous obtiendrez). Avec une autre couleur, tracez le cheminement des personnages dans l’histoire, afin de vérifier qu’ils sont bien dans l’action, et pas à côté. Au-dessus, tracez l’arc de tension : la majorité des scènes doit représenter une petite escalade par rapport à la précédente, jusqu’au final, ou au moins rester au niveau de la précédente. Si vous avez des baisses de régime, c’est un bon moyen de les repérer. Notez que montée en tension n’est pas forcément synonyme de violence. Il existe d’autres moyens de mettre la pression sur les personnages (un temps limité ou une meilleure compréhension des enjeux, par exemple). Si vous placez des conflits intermédiaires, arrangez-vous pour qu’ils soient suivis de moments un peu plus calmes, pendant lesquels la tension se stabilisera ou retombera légèrement. Exemple : vous décidez que la scène d’ouverture sera la disparition d’un collègue fossoyeur. Il était bizarre depuis quelques jours (un flash-back l’expliquera). Les personnages vont sans doute aller chez lui, bavarder avec sa femme. Elle tient des propos décousus. Eux-mêmes commencent à avoir des hallucinations. La nuit, une brume anormale flotte au-dessus du cimetière. Depuis quand ? Huit jours. Que s’est-il passé cette nuit-là  ? Un autre collègue a passé la nuit au cimetière, et il semblait hébété quand ils l’ont retrouvé au petit matin. Il est temps de l’interroger. Son témoignage les dirige vers la crypte et ce qui y rôde. À côté de tout ça, vous avez noté une scène de « recherche en bibliothèque » sur l’histoire de la ville et celle du cimetière. Elle n’est pas fléchée et peut se produire n’importe quand…

Outil d’histoire : le filage Normalement, vous n’écrivez pas dans le vide. Vous comptez présenter votre création à des joueurs. Mettez-vous dans leur peau. Que vous les connaissiez de longue date ou non, c’est assez simple : vous avez été joueur aussi, non ? Partez de la scène d’ouverture, et raisonnez comme ils le feraient. Avec un peu de pratique, vous arriverez vite à jouer le scénario avec un groupe imaginaire. C’est un excellent moyen de lisser l’enchaînement des scènes, de détecter des incohérences ou de repérer l’absence d’une information importante. C’est un bon moment pour faire intervenir un sparring-partner, si vous en avez un sous la main.

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SCÉNARIO

Angle n° 8 : l’histoire

Outil global : est-ce utile ? Pour tous ces angles, gardez toujours la notion d’utilité en tête. Écrire dix pages sur le cimetière peut être tentant, mais est-ce que ça servira, et si oui, comment ? Le scénario ne sera-t-il pas mieux servi par une demi-page de renseignements accessibles pendant l’enquête ? Avez-vous vraiment besoin de partir de la naissance d’Igor le rôdeur et de dérouler toute sa lamentable histoire ? Le principal critère d’utilité n’est pas « je peux transmettre cette information aux personnages par ce canal », mais « si je transmets cette information, que peuvent-ils en faire ? » Se concentrer sur l’utilité est un excellent moyen de se forcer à s’en tenir à l’essentiel.

À la loupe : la scène d’ouverture Les joueurs sont des êtres humains, avec des soucis et une tendance naturelle à la distraction. Maintenir une attention soutenue pendant plusieurs heures est difficile. Un bon moyen de les amener à se concentrer est de soigner votre scène d’ouverture1. Si elle est réussie, le scénario a de meilleures chances de fonctionner. Si elle est ratée, vous risquez de perdre vos joueurs dès le début de la partie. Il existe de nombreux moyens de capter l’attention des joueurs. En voici une petite sélection : • face à l’impossible. Un beau mystère a des qualités esthétiques propres, et s’il peut conduire un lecteur à consommer quatre cents pages de roman policier, il peut aussi pousser cinq personnes à vous écouter pendant quatre heures. L’un des collègues des personnages est retrouvé démembré dans une pièce fermée à clé, dans laquelle il était entré deux minutes plus tôt… et le groupe, qui se trouvait de l’autre côté de la porte, n’a rien entendu ; • face à l’adversité. Si vous voulez commencer par un petit combat, libre à vous ! Dans ce cas, le propos n’est pas (encore ?) le mystère. Le fossoyeur sort de la pièce complètement fou et tente de les démembrer ; • face au spectaculaire. Rien ne vous empêche de commencer par une scène à grand spectacle, comme le font tous les James Bond depuis un demi-siècle. Vous aurez à gérer une baisse de tension ensuite, mais ce n’est pas insurmontable. Disons que le brouillard tombe sur le cimetière, des formes impossibles rôdent à la périphérie de leur champ de vision, l’un de leurs collègues hurle… et lorsque le soleil revient, il a disparu.

1. À ce sujet, consultez également l’article « Commencer », p. 225.

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À moins d’avoir l’ambition d’être publié, vous écrivez pour vous. Le scénario que vous êtes en train de vous construire est un outil que vous pouvez personnaliser à l’infini. Adaptez la méthode ci-dessous pour qu’elle réponde à vos besoins. Les scénarios du commerce sont une source d’inspiration utile, mais si vous préférez noter chaque scène sur une fiche bristol numérotée, ou vous repérer avec des codes de couleur, c’est parfait ! Le plan

• « Carcassez » votre histoire : notez chaque intertitre, chaque partie et chaque sous-partie, ainsi que chaque bloc d’informations indépendant (ce qui, dans un scénario du commerce, donne un encadré). • Budgétez votre plan : assignez une valeur à chaque élément. Ce peut être un nombre de signes ou de pages, un temps de jeu estimé ou un pourcentage de la longueur totale « scène d’ouverture : 5 % du total », ou toute autre valeur qui vous paraîtra pertinente. Si vous pensez qu’il est inutile d’entrer dans le détail, affectez juste une valeur à chaque grande partie, en vous réservant la possibilité de la ventiler dans les sous-parties au fur et à mesure de votre progression. Carcasse et budget sont juste des moyens de briser une grosse tâche intimidante en plusieurs petites tâches gérables. Le résultat ne doit pas devenir une camisole de force ! Comme tous les plans de bataille, celui-là ne résistera pas à la réalité : vous serez certainement trop long à certains endroits, trop court à d’autres. La rédaction

En théorie, vous n’avez plus qu’à mettre de la chair sur votre squelette, bloc par bloc, en gardant un œil fixé sur le compteur de signes. En pratique, c’est souvent le moment des surprises. Des liens inattendus entre certaines parties apparaissent. D’autres, qui vous paraissaient évidents, ne fonctionnent tout simplement pas. Des embranchements imprévus se matérialisent. Et puis, c’est le moment où vous détaillez, or les détails sont importants. Vos mots d’ordre doivent être : • souplesse. Si une bonne idée vous vient, intégrez-la, même si elle bouscule votre plan. Et même si vous n’en avez pas, n’hésitez jamais à bouleverser l’ordre dans lequel vous présentez vos sous-parties, à rajouter un « Et si… » de dernière minute, et ainsi de suite ; • l’attention aux détails. Les mots sont importants. Si vous avez pré-rédigé des descriptions, elles vous fournissent une base de travail, mais même les PNJ secondaires

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SCÉNARIO

La mise en forme

doivent être nommés plutôt que réduits à une simple fonction1. La femme du fossoyeur disparu ne s’appelle pas « femme de ». Sa vie est assez difficile pour que vous ne la réduisiez pas à une simple silhouette ! Elle se nomme Enid, elle a la trentaine, l’air fatigué et un peu de gris dans les cheveux. Par ailleurs, c’est aussi lors de la rédaction que vous allez vous confronter à la technique. Les adversaires du groupe ont besoin de caractéristiques, et celles-ci méritent d’être un peu travaillées, quitte à revenir sur le texte. Quelles sont leurs tactiques préférées ? Leurs capacités ? Leurs éventuels sorts ? Qu’est-ce qui marquera le plus les joueurs ? Être confrontés à un fossoyeur baveux brandissant une pelle, ou au même dont la tête est enserrée dans une main de brume, et qui se sert d’une faucille argentée à la lame ornée de runes ? (Ce qui soulève la question de savoir où il a trouvé cette fichue faucille, et vous oblige à rajouter un paragraphe…)

Du sur mesure Vous avez l’avantage de connaître les personnages de vos joueurs, et donc de savoir quelles sont leurs forces et leurs faiblesses. Si le groupe compte d’excellents combattants, quelques goules affamées ne pèseront pas lourd en face d’eux. En revanche, ils risquent d’être vulnérables à la magie… Et bien sûr, s’ils sont mentalement fragiles, la découverte de ce qui rôde dans la crypte risque de les détruire avant qu’ils aient eu le temps de comprendre que toute squameuse et gélatineuse qu’elle soit, cette chose n’est pas hostile.

Itérations Votre premier jet est fini ? Excellent ! Mais le travail est-il terminé ? C’est moins sûr. Donnez-vous une semaine, puis relisez votre scénario, un stylo rouge à la main, comme si vous le découvriez pour la première fois. Vous aurez forcément des questions… et des idées supplémentaires. Comblez les trous, intégrez vos nouvelles idées… Puis laissez reposer et recommencez. C’est aussi le moment des coupes. Ce n’est pas seulement une question de longueur, l’utilité revient aussi au premier plan. Cette scène dont vous êtes si content, est-elle vraiment nécessaire ou ralentit-elle l’action ? Cette autre ne risque-t-elle pas d’envoyer les personnages à la chasse au dahu ? L’élagage est parfois un crève-cœur, mais il est souvent nécessaire. Normalement, vous devriez avoir résolu tous les problèmes en une paire de passes supplémentaires. Si vous pensez qu’il vous faut encore juste une petite relecture, méfiez-vous, vous êtes en train de devenir accro. Je ne plaisante pas, on peut se retrouver à réviser un texte dix ou douze fois, pour l’améliorer encore et encore. Arrêtez ! La perfection n’est pas de ce monde. À un moment donné, il faut savoir lâcher son bébé et voir s’il marche tout seul. 1. À ce sujet, consultez également l’article « Incarner des PNJ », p. 141.

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• les éléments « visibles par les joueurs », autrement dit les aides de jeu1, coupures de presse, etc., dont la rédaction est généralement une récréation amusante (mais pas au point d’oublier que vous devez y transmettre des informations) ; • les éléments de « préjeu » dont vous avez besoin et qui n’ont pas été couverts par la rédaction proprement dite. Une liste de noms pour les PNJ à improviser sur le pouce ? Un générateur aléatoire de symptômes pour notre épidémie ? Un aide-mémoire sur tel aspect des règles qui vous pose problème ? C’est le moment de bricoler tous ces outils.

Outil : le bilan Lorsque vous ferez votre première passe « à froid », reprenez vos notes. Gardez un œil dessus lorsque vous relirez le scénario. Vous serez souvent surpris de ce qu’elles sont devenues. Il y a de fortes chances pour que vous ayez écrit quelque chose de complètement différent de ce que vous aviez en tête au départ. Vous risquez aussi de découvrir que vous avez exploité une thématique complètement imprévue… qu’il est donc temps de renforcer, ou de faire disparaître.

Savoir conclure Quand un scénario est-il prêt ? La réponse varie de MJ en MJ. Pour moi, c’est quand la date de rendu arrive. D’autres bouclent cinq minutes avant l’arrivée des joueurs, ou considèrent que leur bébé est au point après l’avoir fait jouer dix fois en convention. Peu importe, au fond, parce qu’il est temps de réfléchir au prochain !

Au fait… Les exemples de développement qui accompagnent cet article ont été simplifiés pour les besoins de la cause, mais ils sont tirés de notes réelles. Elles ont donné deux scénarios : Les Maudits, dans Aventures effroyables2 et Ce crâne avait une langue et pouvait parler jadis, dans le Recueil de mini-aventures3 pour Chroniques oubliées qui accompagne Anathazerïn4.

1. À ce sujet, consultez également l’article « Jouer avec les aides de jeu », p. 331. 2. Auribeau Philippe, Dorward Scott, Lhomme Tristan, Mason Mike, Tarapacki Samuel, Aventures effroyables, Sans-Détour Éditions, Oyonnax, 2015. 3. Balandier Pierre, Berjoan Thomas, Bernasconi Laurent, Burckle David, Chattam Maxime et autres, Recueil de mini-aventures, Black Book Éditions, Lyon, 2015. 4. Debelle Laurent, Bernasconi Laurent, Anathazerïn, le sang des premiers-nés, Black Book Éditions, Lyon, 2015.

SCÉNARIO

Est-ce terminé ? Pas tout à fait. Il vous reste une paire de détails à régler :

Fiche de synthèse La conception Étape n° 1 : le germe Technique n° 1 : les associations Notez trois mots. Que vous évoquent-ils ? Technique n° 2 : l’image Représentez-vous une image et ajoutez des détails. Transcrivez l’image en une ou deux phrases. Technique n° 3 : la graine Partez d’un élément qui paraît prometteur (PNJ, scène, partie du monde). Notez-le et faites la liste de tout ce qu’il vous évoque. Étape n° 2 : la maturation Laissez reposer vos idées et pensez-y. Notez vos associations d’idées. Étape n° 3 : le cadre Les contraintes fortes : • une échéance ; • une longueur. Les contraintes faibles : • votre envie ; • l’intégration à l’univers ; • les attentes des joueurs ; • les types de personnages. La préparation Étape 1 : l’esquisse Reprenez vos éléments, et posez-vous les sept questions suivantes : qui ? Quoi ? Où ? Quand ? Comment ? Pourquoi ? Avec quelles conséquences ? Ces questions s’appliquent à : • votre intrigue ; • chaque scène importante ; • chaque PNJ significatif ; • chaque moment où les PJ font avancer l’action dans des directions imprévues.

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• changez d’approche aussi souvent que nécessaire. À chaque fois que vous établissez un lien, testez-le avec un « et si… » ; • examinez chaque élément plusieurs fois, et demandez-vous ce qui se passerait si… • essayez d’être contre-intuitif sur au moins un ou deux éléments ; • restez souple. Étape 2 : le développement Angle n° 1 : le genre, les thèmes et l’ambiance Faites un choix pour chaque élément. Angle n° 2 : la forme du scénario Voulez-vous d’une enquête ? Si oui, suivra-t-elle une structure en arborescence, avec une liste de pistes qui se connectent les unes aux autres, ou un modèle différent, par exemple basé sur une chronologie ? Souhaitez-vous donner davantage d’initiative aux joueurs, et donc bâtir un bac à sable à intrigues multiples ? Si oui, quelle va être votre échelle de travail ? Angle n° 3 : l’implication des personnages Quelle est leur motivation pour s’impliquer dans l’histoire ? Prenez les personnages et essayez de trouver une manière de les impliquer, en groupe ou individuellement. Si ça ne colle pas, attribuez « 0 ». Si ça colle moyennement, « + ». Si ça colle parfaitement, « ++ ». Une fois que vous avez fait votre premier tour de table, reconsidérez le cas des personnages qui sont à 0 et cherchez ce qui pourrait les impliquer davantage. Quelles sont les prises des personnages sur le déroulement des événements ? Pensez aux résultats. Que peuvent obtenir nos héros ? Et à quel prix ? Angle n° 4 : les relations Si les PJ sont des prétirés, réfléchissez à leurs relations avec leur entourage. Si les PJ ne sont pas des prétirés, faites ce petit travail sur les PNJ. Utilisez des diagrammes relationnels, de façon prudente et nuancée. Angle n° 5 : les équilibres Anticipez les évolutions potentielles et la manière dont elles pourraient modifier votre structure. Faites un diagramme de forces.

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SCÉNARIO

Ensuite, pour chaque élément :

Angle n° 6 : les descriptions Les PNJ : attachez-vous à ce qui marquera les joueurs et synthétisez-les en une ou deux lignes : • taille et poids (adjectifs significatifs) ; • couleur des yeux et des cheveux, coiffure ; • vêtements ; • signes particuliers, tics et manies. Lieux : concentrez-vous sur l’idée que vous voulez faire passer. Notez des traits et placez-les dans vos descriptions au fur et à mesure de vos besoins. Angle n° 7 : la chronologie Réfléchissez aux faits et inscrivez-les dans le temps. Que se passera-t-il après la scène d’ouverture ? Comment les PNJ vont-ils réagir aux actions des PJ, que font-ils ? Utilisez les colonnes : Jour 1

Actions des PJ

Actions du PNJ A

Actions du PNJ B

Environnement

Matin Après-midi Soirée Nuit Angle n° 8 : l’histoire Déterminez les scènes et enchaînements. Faites la liste des scènes nécessaires et reliez-les par des flèches. Pour chaque scène, listez le lieu et les PNJ dont vous avez besoin, ainsi que le résultat que vous souhaitez obtenir. Avec une autre couleur, tracez le cheminement des personnages dans l’histoire. Au-dessus, tracez l’arc de tension. La mise en forme Le plan « Carcassez » votre histoire : notez chaque partie, titre et assimilés. Budgétez votre plan : assignez une valeur quantitative à chaque élément.

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• souplesse. Si une bonne idée vous vient, intégrez-la ; • soin des détails. descriptions, noms des PNJ secondaires, etc.

Itérations Donnez-vous une semaine et relisez votre scénario. Comblez les trous, intégrez vos nouvelles idées… Puis laissez reposer et recommencez. Faites des coupes, en vous concentrant sur l’utilité de chaque scène. Préparez les éléments utiles pendant la partie : • les éléments visibles par les joueurs, soit les aides de jeu ; • les éléments de préjeu : liste de noms de PNJ, générateurs aléatoires, aidemémoire sur les règles, etc.

SCÉNARIO

La rédaction Vos mots d’ordre doivent être :



Isabelle Périer

V

oilà, vous venez de fermer un bouquin génial, de passer deux heures incroyables dans une salle de cinéma ou cinquante minutes haletantes devant votre écran de TV à regarder un épisode inoubliable de votre série préférée. Comme vous avez JdR dans une semaine et que c’est à votre tour de régaler vos amis avec une bonne partie, vous avez décidé de sauter le pas et d’adapter ce que vous venez de lire ou de voir pour votre prochaine séance. Et là, vous vous demandez comment vous allez vous y prendre…… Cet article est fait pour vous : il va essayer de cerner quelques méthodes et les embûches à éviter afin de vous faire gagner du temps, de la sueur et toutes les boulettes de papier que vous auriez sinon jetées à la corbeille.

Définir un cadre La première chose à faire est de se poser quelques bonnes questions permettant de définir le cadre dans lequel on veut faire ce travail d’adaptation. Qu’est-ce que je veux adapter ?

Une bonne histoire, c’est une somme de petits éléments bien assemblés pour donner un tout harmonieux et dynamique. Lorsque l’on se trouve dans la position de devoir faire une adaptation en JdR, on peut avoir envie de ne reprendre que certains de ces éléments :

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ADAPTER

ADAPTER UNE OEUVRE POUR EN FAIRE un scénario

• un ou des personnages pour en faire des PNJ marquants ; • l’introduction de l’intrigue qui peut devenir une bonne amorce de scénario ; • un enchaînement de péripéties particulièrement bien agencées afin de dynamiser un scénario qui s’annonce un peu mou ; • un ou des décors afin de dresser un cadre marquant pour son scénario ; • un objet original qui constituera un MacGuffin1 très convainquant…… Si vous ne souhaitez reprendre que certains éléments dispersés, vous trouverez dans ce qui va suivre des outils pour vous aider à les adapter à votre scénario. Toutefois, cet article est destiné en priorité à ceux ou celles qui souhaitent adapter une histoire dans son ensemble. Comment redécouper mon histoire ?

Il faut se poser la question de la longueur de l’œuvre à adapter (que nous appellerons œuvre source) avant de se lancer dans le processus d’adaptation. En effet, une nouvelle ou un épisode de série peuvent permettre d’écrire un bon one shot. Un film, un roman de taille raisonnable ou un jeu vidéo se prêtent davantage au burst2, une courte campagne de six à dix séances maximum. La logique voudrait que les formats plus grands – saison de série, cycle romanesque, trilogie cinématographique – soient plus adaptés au format campagne. Mais attention ! Plus l’œuvre source sera longue, plus son adaptation sera difficile et parsemée de pièges. En effet, l’adaptation d’une œuvre longue requiert beaucoup plus de travail. Mais surtout, du fait de la nature interactive du JdR, elle risque rapidement de sortir des « rails » de l’œuvre source et de vous demander de revoir très régulièrement, et peut-être intégralement, votre copie. Elle peut également vous pousser à mener des parties très dirigistes dans le but de conserver votre travail à peu près en l’état, et donc de limiter drastiquement la liberté des joueurs, au risque de provoquer frustration et mécontentement. Il vaut donc mieux s’en tenir à des œuvres sources assez courtes ou, si vous tenez vraiment à vous inspirer de créations longues, garder à l’esprit qu’il ne s’agit que d’une inspiration et que vos parties vont nécessairement faire dévier, dès la première scène peut-être, l’histoire de son cours. Il s’agit alors de reprendre les éléments de l’œuvre source (cadre, PNJ, trame, situation de départ) sans conserver le déroulement de

1. Dans un scénario de film, un MacGuffin est un objet ou une personne recherché par la grande majorité des protagonistes, et constitue donc un élément moteur de lʹhistoire, qui pousse les personnages à agir et à interagir. Sa nature nʹa pas de réelle importance. 2. JdR conçu pour une seule et unique campagne. Anglicisme qui désigne les JdR au format « tout-en-un ».

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l’intrigue1 à proprement parler, c’est-à-dire construire votre adaptation comme un cadre avec lequel vos PJ vont pouvoir interagir librement.

Certaines intrigues sont plus propices que d’autres à une adaptation en JdR. Elles reposent souvent sur des événements dramatiques et sur les motivations d’adversaires fascinants, ou du moins retors, c’est-à-dire sur des déclencheurs et des péripéties qui, une fois adaptés, ne dépendront pas de la bonne volonté des joueurs mais bien du MJ et des éléments qu’il contrôle. Vous resterez maître du déroulement de l’intrigue avec laquelle interagissent les PJ, qu’ils modifieront mais dont ils ne seront pas les initiateurs. En revanche, certaines histoires reposent principalement sur les motivations, les désirs et les relations entre personnages. Ce type d’intrigue est beaucoup plus difficile à mettre en scène autour d’une table de JdR pour deux raisons. La première est que le JdR, comme ses sources d’inspiration, privilégie traditionnellement l’action, les péripéties, les rebondissements, le combat, et qu’il est parfois difficile de faire sortir les joueurs de ces représentations. La seconde est que ce type d’intrigue repose sur les joueurs et leurs propres interactions, bien plus que sur leur interaction avec les éléments que le MJ déploie. Votre travail va être de les aider à rendre leurs relations intéressantes pour que l’histoire le soit. Mais vous ne pourrez intervenir que de façon beaucoup plus indirecte par rapport à une trame classique. Les difficultés rencontrées dans ce type de scénario redoublent s’il s’agit d’une adaptation : si l’alchimie entre les joueurs ne prend pas, vous risquez de vous retrouver avec une histoire plate qui n’avance pas. En outre, il est bon de vous demander si votre belle histoire est adaptée aux attentes des joueurs. En effet, en adaptant un drame psychologique à une table surtout motivée par la puissance de ses personnages, vous risquez de vous heurter à un mur. Et inversement, adapter Speed pour une table d’amateurs de fantasy onirique semble être une entreprise vouée à l’échec. Quel est mon objectif ?

Il est également bon que vous définissiez votre objectif par rapport à cette adaptation. Voulez-vous qu’elle soit fidèle, avec toutes les contraintes que cela implique ? Mettre en scène certains passages particulièrement réussis ? Revivre une histoire qui vous a plu  ? Respecter un certain canon fictionnel  : jouer une histoire d’amour, un polar, un road movie, un huis clos horrifique ? Ou votre objectif n’est-il que de passer un bon moment et de faire une bonne partie de JdR (quoi que cela puisse vouloir dire) ? Clarifier cette question vous permettra très probablement d’éviter quelques écueils et déceptions. Le processus d’adaptation va vous forcer à choisir de garder ce qui vous 1. On entend généralement par intrigue une combinaison de circonstances et dʹincidents, un enchaînement dʹévénements qui forment le nœud de lʹaction. Pour des raisons de simplicité, nous utiliserons indifféremment les termes dʹhistoire et dʹintrigue.

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ADAPTER

Mon histoire se prête-t-elle au JdR et aux spécificités de ma table ?

paraît crucial, car vous ne pourrez sans doute pas tout conserver. Par exemple, il y aura certainement des moments où vous devrez trancher : allez-vous laisser les personnages découvrir l’univers de l’œuvre originale au fil de leurs pérégrinations, sacrifiant l’ef­ ficacité de l’intrigue, ou au contraire forcer une scène-clé, quitte à donner l’impression que leur terrain de jeu se limite au décor de votre série favorite ? Le fait de réfléchir à l’avance à vos priorités vous aidera grandement dans votre travail de préparation (par exemple dans le choix de votre type de scénario) et au cours de la partie. Enfin, si votre intrigue suppose une longue durée, n’oubliez pas d’intégrer des éléments montrant que le temps passe – par des intrigues secondaires par exemple – voire de recourir à l’ellipse narrative, c’est-à-dire de passer sous silence des périodes plus ou moins longues. Puis-je vraiment adapter cette histoire dans mon univers de JdR ?

Bien évidemment, la question de la correspondance entre l’œuvre source et votre univers de JdR ne se pose pas si vous utilisez un système basique, qui se veut générique (qu’il s’agisse du D20 System1 ou de GURPS2). Il vous suffit de déployer l’univers de l’œuvre adaptée en utilisant le système en question. Cette solution est relativement aisée, mais elle possède le défaut de manquer de « cachet » : les mécaniques de jeu, étant génériques, ne seront pas spécialement adaptées à votre histoire : elles ne lui apporteront rien, mais ne lui nuiront pas non plus. Elles ne fonctionneront que pour la résolution des actions. L’autre cas, plus facile encore, consiste à adapter l’intrigue de l’œuvre source dans un JdR relevant du même univers : JRTM3 ou L’Anneau unique4, si vous vous inspirez de Tolkien, Star Wars5, Buffy the Vampire Slayer RPG6, ou encore l’une des nombreuses déclinaisons des écrits de Lovecraft. Toutefois, votre adaptation peut s’avérer plus délicate si le JdR auquel vous jouez n’a qu’un lointain rapport avec votre œuvre source. Car tout est possible : adapter du méd-fan en méd-fan, de la science-fiction en science-fiction, mais également glisser d’un genre à l’autre, voire opérer une véritable transposition d’un univers à un autre. Prenons quelques exemples pour être plus clairs. • Je veux adapter Les Gardiens de la galaxie dans l’univers de Warhammer 40K. Outre le travail d’analyse des éléments de l’intrigue, je vais devoir faire certains choix : Ronan sera probablement un serviteur des dieux obscurs, et il est certain que la gamme 1. Voir le System Reference Document sur le site de Wizards of the Coast : http://goo.gl/14pY 2. Jackson Steve, GURPS, Steve Jackson Games, Austin, 1986. 3. Charlton S.Coleman, Middle-Earth Role Playing, Iron Crown Enterprises, Charlottesville, 1984. 4. A ngula Amadio, M aggi Marco, M c D owall -T homas Dominic, N epitello Francesco, The One Ring, Adventures over the Edge of the Wild, Cubicle 7, Oxford, 2011. 5. Costikyan Greg, Gorden Gregory, Slavicsek Bill, Star Wars, West End Games, Honesdale, 1987. La version française la plus récente est Star Wars Edge of the Empire, éditée en France par Edge Entertainment. 6. Brannan Timothy S., Cairns Andrew, Chapman Paul, Fletcher Robert, Jurkat M. Alexander, Martijena Carlos Jose, Wilber James, Wilber Marianne, Buffy the Vampire Slayer, Eden Studios, New York, 2002.

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• Je veux adapter le roman La Vénus anatomique de Xavier Mauméjean dans l’univers de Mournblade3. Ici, c’est surtout la trame principale qu’il faut retenir : créer un humain (en l’occurrence, une humaine) artificiel(le) sous la direction d’un souverain devenu fou. Toute la dimension mécaniste et rationnelle s’inscrit bien dans les principes de la Loi (les Automata) et il est possible de reprendre une bonne partie des personnages pour les transformer en PNJ hauts en couleur. Bien entendu, il faut adapter le cadre et les détails de l’intrigue à l’univers de Moorcock. • Je veux adapter Le Crépuscule des Elfes de Jean-Louis Fetjaine dans l’univers de Fading Suns4 (mais quelle drôle d’idée !). Évidemment le travail est titanesque, mais pas impossible : il faut transposer l’espace du roman pour le déplacer sur une planète inconnue, ou encore sur plusieurs planètes (les royaumes des Elfes, des Humains, des Monstres et des Nains font, après tout, de bonnes planètes distinctes), les races féériques en races xénos (ce qui est somme toute assez aisé), les pouvoirs de chacun en pouvoirs psys (encore facile), garder les artefacts et l’intrigue globale telle quelle. Le problème de taille restant l’implication des PJ, mais nous y reviendrons p. 69. Et donc, à l’issue de ce questionnement, peut-être arriverez-vous à la conclusion qu’une telle adaptation est trop coûteuse en travail, et qu’il vaut mieux prélever certains éléments de votre bonne histoire plutôt que de vouloir l’adapter dans son intégralité. Peu importe, après tout, vous aurez déjà une bonne base pour écrire votre propre scénario5 et de quoi amuser vos joueurs samedi prochain. Quel type de scénario choisir ?

La tradition rôliste a distingué différents types de scénarios. Les plus fréquents sont le scénario linéaire, à savoir un scénario dont le déroulement des scènes est prédéterminé, 1. Barnes Owen, Bligh Alan, Boles Matt, French John, Hoare Andy et autres, Rogue Trader, Fantasy Flight Games, Roseville, 2009. 2. Abnett Dan, Astleford Gary, B arnes Owen, F lack Kate, K enrick Andrew et autres, Dark Heresy, Black Industries, 2008. 3. Attinost Benoît, Blanchard Vincent, Chansel Frédéric, Dumas-Pihou Julien, Gallot Stéphane, Jawad, Périer Isabelle, Saura Ismaël, Terrier Martin, Mournblade, Département des Sombres Projets, 2012. 4. Bridges Bill, Greenberg Andrew, Hartshorn Jennifer, Hatch Robert, Howard Christopher, Inabinet Samuel, Lemke Ian, Moore James A., Fading Suns, Holistic Design, Stone Mountain, 1996. 5. À ce sujet, consultez également l’article « Créer un scénario », p. 31.

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Rogue Trader1 s’adaptera beaucoup mieux à ce type d’intrigue (voyages spatiaux, présence de marchands, de mercenaires et de chasseurs de primes, rencontre avec des xénos) que Dark Heresy2 où l’on incarne des agents de l’Inquisition. En outre, les règles des jeux tirés de Warhammer 40K proposent une dynamique finalement peu héroïque, assez différente de celle des Gardiens de la galaxie. Ainsi, il me faudra peutêtre légèrement bousculer le moteur de jeu (donner plus de points de destin ?) afin d’arriver à mes fins.

aujourd’hui souvent dénoncé pour le peu de liberté qu’il laisse aux joueurs, le scénario semi-ouvert, qui prévoit quelques scènes majeures mais donne aux joueurs une grande liberté de mouvement entre celles-ci, également conspué pour ne permettre qu’une liberté plus apparente que réelle, et le bac à sable. Outre les choix idéologiques propres à chacun (les joueurs doivent-ils être libres, au risque de passer à côté de la partie ? Faut-il les diriger pour leur faire vivre une histoire brillante dans laquelle ils n’auront pas beaucoup de latitude pour agir1 ?), l’adaptation pose des questions concrètes et pratiques auxquelles ces types de scénarios peuvent répondre. • Le scénario de type linéaire a l’avantage de pouvoir « coller » au maximum à l’œuvre source, au risque toutefois d’étouffer les joueurs par sa faible marge de manœuvre. Il est néanmoins le bienvenu lorsqu’il s’agit de mettre en place une histoire très tournée vers l’action, où il faut cadencer les mouvements des PJ et donner un rythme soutenu à l’intrigue. C’est probablement la meilleure forme de scénario pour des histoires de type Speed, où l’action et le rythme de la partie priment sur l’enquête ou les relations entre personnages. • Le scénario de type semi-ouvert est un choix judicieux pour l’adaptation, dans le sens où il réserve une part de liberté aux joueurs tout en vous permettant de garder les temps forts de l’intrigue source. On peut toutefois lui reprocher sa tendance « illusionniste » : si les PJ vont de grande scène en grande scène, le cheminement entre ces dernières, c’est-à-dire le moment où les joueurs ont le plus de choix, n’est-il pas finalement sans importance ? Leur prétendue liberté n’est-elle pas un mensonge ? Il est possible de pallier à l’illusionnisme en décidant que les joueurs peuvent, s’ils se montrent astucieux, court-circuiter ces grandes scènes. • Le scénario de type bac à sable est très plastique et offre une véritable liberté aux joueurs, au risque de les voir passer à côté de l’intrigue, c’est-à-dire des événements les plus importants. C’est bien évidemment celui qui aura le plus tendance à s’éloigner de l’œuvre source, mais qui offre le plus d’espace pour que vos joueurs évoluent dans le cadre qui leur est imparti. Il peut sembler difficile à mener car il réclame un certain sens de l’improvisation. Toutefois, dans le cadre d’une adaptation, le MJ possède souvent une connaissance de l’histoire et de l’univers assez poussée pour pouvoir improviser à son gré. Enfin, l’usage du bac à sable est conditionné par la définition d’un cadre (le bac !), généralement spatial (une unité de lieu) : si ce cadre n’est pas bien posé d’emblée, ou si l’intrigue de départ ne présuppose pas un cadre strict, les joueurs vont probablement partir dans tous les sens et mettre le MJ dans une position délicate d’improvisation totale. La ville est un cadre raisonnable de bac à sable, et c’est souvent celui que se fixent les séries télévisées (Dexter, Person of Interest, NYPD, Penny Dreadful, Buffy contre les vampires, etc.).

1. À ce sujet, consultez également l’article « Dompter la linéarité », p. 159.

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Analyser les éléments de notre histoire Le cadre spatial

Quoi qu’il en soit, et à plus forte raison si vous avez choisi d’écrire un bac à sable, n’oubliez pas d’avoir une vision d’ensemble du théâtre des opérations. Dans un film ou un roman, l’auteur ou le réalisateur peut se permettre de ne montrer que deux ou trois maisons d’une ville et le comptoir du bar local. En JdR, les choses sont un peu plus compliquées : n’oubliez jamais que vos PJ vont arpenter les lieux de l’intrigue, se promener en ville, et qu’il vous faut donc imaginer un espace continu et explorable, bien plus qu’une série de lieux distincts et discontinus. Inspirez-vous de l’œuvre de départ, brodez et utilisez les éventuelles ressources de votre JdR ou de votre source : plans de villes, settings1… N’hésitez pas non plus à meubler votre espace de lieux inutiles et pittoresques, tout en restant dans le ton de l’œuvre d’origine : ils contribueront à créer un effet de réalité propice à l’immersion des joueurs. Laissez également ceux-ci meubler l’espace en cours de partie : leurs inventions vous permettront de souffler, voire d’introduire des péripéties inattendues. Bien entendu, vous pouvez – devez ! – utiliser votre œuvre source. S’il s’agit d’une œuvre picturale ou audiovisuelle (BD, film, série), vous pouvez isoler quelques représentations des lieux (imprimées ou sur tablette), afin de bien donner à voir aux joueurs ce que vous avez en tête, à condition que ces endroits s’intègrent de façon crédible dans votre monde de JdR. Vous pouvez toutefois préférer en faire vous-même la description, afin de laisser la liberté à vos joueurs de s’en forger leur propre représentation. De même, s’il s’agit d’une œuvre écrite (roman ou cycle romanesque), n’hésitez pas à isoler quelques descriptions des lieux, voire à les réécrire pour les adapter à vos besoins. Par exemple, les tables aléatoires ci-dessous essayent de faire ressortir quelques éléments caractéristiques de l’ambiance du château de Port-Réal dans Le Trône de Fer. Que ce soient les endroits, les personnages ou ce qu’ils sont en train de faire, ces éléments ont été sélectionnés pour rester dans le ton des lieux tels qu’ils sont dépeints dans l’œuvre source. L’aspect aléatoire permet de gagner du temps en cours de partie, tout en variant les plaisirs et en gardant des éléments de surprise, même pour le MJ. Tableau 1 : selon vos besoins durant la partie, tirez jusqu’à 5D12 pour générer un personnage à la volée. Ainsi, un tirage de 1, 2, 3, 4 et 5 signifiera que vos personnages vont rencontrer dame Alla de la maison Boulleau, une cliente assidue des établis­ sements de Petyr Baelish qui espionne quelqu’un dans le septuaire royal. Pour savoir 1. En JdR, un setting est un cadre au sens large, un univers créé pour un jeu. Il peut prendre la forme dʹune ville, dʹun pays, dʹun monde ou d’un multivers.

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Le cadre spatial requiert donc une attention particulière. Il peut être assez limité, surtout si vous avez choisi un scénario de type linéaire ou semi-ouvert et si vos PJ doivent aller de lieu en lieu pour résoudre l’intrigue.

qui elle espionne, il suffit soit de refaire un tirage sur cette table, soit de vous servir du tableau 2. En multipliant ces jets, vous devriez récréer facilement un nid de vipères dans l’esprit du Trône de Fer.

Résultat 

Prénom

Nom

Caractère

Activité

Lieu

1

Alla

Blount

Amant(e) d’une tête couronnée

Affronte

Tour de la Main

2

Aylin

Boulleau

Bâtard non reconnu par le roi

Cherche

La crypte

3

Cleos

Brune

Client assidu de Baelish

Couche avec

Le bal de la reine

Espionne

Tour de la Blanche Épée (résidence de la Garde royale)

4

Elinor

Castelfoyer Espion de Varys

5

Esmerande

Farring

Horriblement prude

Garde

Le septuaire royal

6

Gyles

Grotte

Ne répond jamais aux questions

Intimide

Les cuisines

7

Horas

Hollard

Obnubilé par la vengeance

Intrigue avec

Les geôles

8

Osfryd

Potaunoir

Phobie d’un élément

Médit

Les jardins

9

Seline

Rambton

Sadique

Négocie

Les remparts

10

Sisane

Rosby

11

Trystan

Tourbier

Sexualité malsaine

Se vante

Passage secret

12

Tyrek

Velaryon

Vénère R’hllor

Trahit

Salle du Trône

Sait fabriquer Quémande du feu grégeois

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Les réserves

Résultat

Nobles

Roturier et enfants

1

Barristan Selmy

Artisans

2

Ilyn Payne

Arya Stark

3

Jaime Lannister

Émissaires

4

Janos Slynt

Gardes Baratheon

5

Lancel Lannister

Gardes Lannister

6

Loras Tyrell

Grand mestre Pycelle

7

Meryn Trant

Lunarion

8

Ned Stark

Manteaux d’or

9

Petyr Baelish

Prince Joffrey

10

Reine Cersei

Serviteurs

11

Roi Robert

Syrio Forel

12

Sandor Clegane

Varys

Le cadre temporel

Dates La date de l’intrigue importe souvent peu, sauf dans le cas d’une adaptation dans un univers très connu, pour des questions de cohérence (est-ce que jouer à Achtung Cthulhu1 en dehors de la seconde guerre mondiale est une idée stupide ?). Toutefois, une date peut présupposer un certain nombre d’éléments qui déterminent l’ambiance, voire les péripéties, du scénario. Ainsi, certaines dates induisent un cadre particulier : Noël, Halloween, les fêtes de Beltane…… Dans Les Dames du Lac de Marion Zimmer Bradley, Mordred ne peut être conçu que parce qu’Arthur et Morgane célèbrent le rite du Roi cornu. 1. Birch Chris, Blewer David, Bund Alex, Charles Russ, Crossingham Adam, Hardy Lynne, Hite Kenneth, Newton Sarah, Pook Matthew, Achtung Cthulhu, Sans-Détour Éditions, Oyonnax, 2014.

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Tableau 2 :

De plus, la date à laquelle se déroule une intrigue peut avoir une incidence sur le climat, et donc sur les péripéties du scénario. Une histoire se déroulant en hiver permet d’instaurer une ambiance froide, déserte voire glauque. La présence de neige peut influer sur nombre de péripéties : accident de voiture, famine, lac gelé traversable ou non…… Dans un épisode de Person of Interest, Reese prend conscience de sa solitude mortifère car il est blessé et pris au piège dans sa voiture alors qu’il neige et que nul ne peut le joindre. Il manque ainsi de mourir de froid et, une fois sauvé, change de comportement. Il faut donc veiller à garder la date du scénario ou à la transposer afin de conserver ces éléments importants pour l’intrigue. Durée Si, dans l’idéal, il faut conserver la durée de l’histoire source, vous devez garder à l’esprit que certaines choses fonctionnent très mal en JdR. Il est assez difficile de jouer des intrigues sur plusieurs semaines ou plusieurs mois sans se lancer dans une campagne gigantesque. De plus, les joueurs ont tendance, lors des parties, à jouer des personnages hyperactifs, qui ne mangent pas, ne dorment pas, ne prennent pas de vacances, ne se fatiguent jamais et carburent dans le meilleur des cas à la caféine, voire aux amphétamines. Ainsi, si votre intrigue suppose une longue durée, assurez-vous que les PJ aient toujours quelque chose à faire – par des intrigues secondaires par exemple – ou de recourir à l’ellipse, c’est-à-dire de passer sous silence des périodes plus ou moins longues. Vous pouvez également ruser avec la temporalité de l’œuvre source. Soit vous rendez l’intrigue plus « dense » en raccourcissant sa chronologie, dans des limites raisonnables et vraisemblables : vous pouvez, comme Peter Jackson dans La Communauté de l’Anneau pour le départ de Frodon, couper court aux atermoiements et aux longues attentes ou encore ramasser une intrigue se déroulant sur plusieurs mois ou plusieurs années en quelques jours comme dans le Troy de Wolfgang Petersen qui transforme les dix ans de siège de Troie d’Homère en quelques jours, plus faciles à représenter au cinéma. Soit, de manière élégante, vous choisissez un point d’entrée dans l’intrigue au plus proche des péripéties en mettant en scène les événements importants du passé lors de flash-back bien amenés comme dans Lost, par exemple. Le défaut de ce choix est qu’il implique un certain dirigisme et une bonne volonté de la part des joueurs : il est hors de question qu’ils se débarrassent, lors d’un flash-back, d’un PNJ encombrant auquel ils viennent de parler longuement dans une scène du présent de narration. Dans tous les cas, comme dans n’importe quel scénario, vous devez reconstituer la chronologie des événements en insistant sur les actions et surtout les motivations des PNJ, car ce sont ces motivations qui vont vous permettre de vous adapter aux actions des PJ. Traditionnellement, elle indique par J le moment où les PJ commencent à agir (le début du scénario) et se déploie en amont et en aval de ce point de départ (J-1, J-2… ; J+1, J+2…). Elle permet non seulement de répondre précisément aux questions des joueurs, mais également de faire intervenir des événements ou des adversaires en temps voulu.

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L’intrigue

Pour bien maîtriser la structure de l’intrigue source, il est utile de se servir d’un outil scolaire mais bien pratique : le schéma narratif. Celui-ci permet de distinguer :

• l’élément perturbateur qui va faire démarrer l’intrigue et sans lequel il ne se passera rien (dans Dune, c’est le déménagement de la famille Atréides sur Arrakis qui provoque toute la suite des événements). Il peut être le fait des PJ (dans l’une des versions de la Géhenne de White Wolf, les PJ brisent la Mascarade à New York et déclenchent la fin des temps) ou des PNJ (les Grands Anciens se réveillent, il va falloir faire quelque chose pour gérer la situation) ; • les péripéties, c’est-à-dire les rebondissements de l’intrigue. Vous pouvez les lister intégralement ou n’en retenir que quelques-unes. Attention, certaines péripéties de l’œuvre source dépendent de décisions que vont prendre les joueurs, elles sont donc bien plus incertaines. Vous pouvez les conserver comme autant de péripéties possibles mais non nécessaires ; • l’élément de résolution qui devrait mettre fin à l’intrigue. Dans l’idéal (ou dans un scénario ouvert), il n’est pas prévisible car il doit être le résultat de l’action des PJ. Dans la pratique, les PJ ont souvent un éventail de choix qu’il est possible –  mais laborieux – d’anticiper. Et soyons honnêtes, les joueurs sont souvent beaucoup plus créatifs que nous ne pouvons l’imaginer… Ainsi, s’il est bon que vous dégagiez l’élément de résolution de l’œuvre source, au moins pour avoir une idée de la manière dont le scénario pourrait se terminer, ne perdez pas trop de temps sur cet élément qui, globalement, ne dépend pas de vous ; • la situation finale qui est liée à la résolution de l’intrigue par les PJ. Comme l’élément précédent, elle ne dépend pas tant de vous que de vos joueurs. Vous pouvez tenter de l’anticiper, en prenant exemple sur la situation finale de l’œuvre source, mais il serait peu intéressant et peu motivant de vouloir l’imposer aux joueurs. Gardez toujours en tête que vous ne pouvez agir que très indirectement sur les éléments dépendant des PJ et qu’il ne faut donc pas s’y attacher mais les conserver en vue d’une future utilisation. Et, si vous adaptez l’intrigue à un univers dans lequel vous avez déjà vos habitudes, n’oubliez pas de bien vérifier que les éléments que vous avez tirés de l’œuvre source s’y intègrent bien. Si ce n’est pas le cas, l’idéal sera sans doute de les modifier afin de conserver la cohérence de votre monde et d’éviter que vos joueurs ne fassent un rejet. Vous pouvez également choisir de conserver ou non des scènes-clés de l’œuvre source. N’hésitez pas alors à reprendre l’ambiance de celle-ci, ses éventuels effets de mise en scène, en vous appuyant lorsque c’est possible sur les règles spécifiques de 65

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• la situation de départ, à savoir la situation de l’univers avant que l’intrigue ne commence. Elle peut être positive (un village en paix abritant une famille unie) ou négative (un village ravagé par la peste et la famine dont les hommes viennent de partir à la guerre) ;

poursuite, de combat ou de bataille. Il faut bien sûr que ces règles soient cohérentes et pertinentes avec ce que vous souhaitez mettre en place. Par exemple, si vous voulez faire jouer une bataille épique, assurez-vous que les règles permettent de le faire. Pour donner de la consistance à vos PNJ lors de ces scènes-clés, vous pouvez également reprendre des lignes de dialogue particulièrement bien écrites. Et pensez à une éventuelle musique d’ambiance1, peut-être tirée de la B. O. du film ou de la série dont vous vous inspirez. Les PNJ

Une adaptation repose également sur la reprise des personnages de l’œuvre source et sur leur transformation en PNJ. Globalement, on peut distinguer trois types de PNJ2 : • les PNJ figurants qui peuplent l’univers mais n’ont a priori aucune importance dans l’intrigue. Il s’agit des clients de l’auberge ou des passants dans la rue. Même si votre œuvre source regorge de figurants, ne les listez pas tous. Gardez les figurants les plus intéressants et les plus intrigants pour peupler votre univers et aiguillonner vos PJ sur de fausses pistes ; décrivez-les en deux ou trois lignes maximum en leur trouvant un titre générique composé d’un nom et d’un adjectif (le commissaire bègue, la serveuse albinos, le chanteur manchot) ; • les PNJ ressource qui sont surtout là pour transmettre des informations aux PJ ou leur permettre de résoudre un problème ponctuel. Ils pourront éventuellement être étoffés en cours de partie, en raison de l’importance que leur donneront vos joueurs. Traitez-les comme des figurants mais rédigez bien la liste des informations qu’ils peuvent fournir à vos PJ ou l’aide qu’ils peuvent leur apporter ;

Détailler et coder les PNJ importants Pour ce faire, vous pouvez suivre le questionnaire suivant : • quelle est son apparence ? Et son « gimmick », c’est-à-dire son signe distinctif (objet, phrase-clé, tic, obsession ; les gimmicks du docteur House résident dans sa méchanceté, sa canne et son infirmité et sa phrase-choc, « Everybody lies ») ? • quelle est sa personnalité ? Si votre jeu propose un format de description (nature, attitude ; vertus ; qualificatifs ou Traits), utilisez-le ; • quelle place a-t-il dans la société (sa race [elfe, nain, alien, etc.] ou sa nationalité, son métier, sa famille, sa richesse) ? De la même manière, si votre jeu permet de coder cet aspect, utilisez-le ;

1. À ce sujet, consultez également l’article « Jouer en musique », p. 297. 2. À ce sujet, consultez également l’article « Incarner des PNJ », p. 141.

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• quelle est sa capacité d’action  ? Celle-ci est généralement quantifiée par le système de jeu (caractéristiques, compétences, traits…). Vous pouvez aimer inventer à chaud les paramètres techniques de vos PNJ, mais il s’agit d’un pari dangereux qui nécessite une bonne connaissance du jeu et une grande capacité à improviser. Si ce n’est pas votre cas, n’oubliez pas de préparer les fiches (abrégées) de vos PNJ pour compléter votre description. • de quelles informations dispose-t-il ? • quel est son rôle dans l’intrigue (opposant ? adjuvant ? sujet ou objet ? destinateur ou destinataire ? ambivalent ? évolutif ?) ? • quel est son éventuel archétype (mentor, trickster, femme fatale, etc.) ? • de quelle manière peut-il rencontrer les PJ ?

• les PNJ importants qui ont un rôle dans l’intrigue. Ce sont ces derniers qu’il faut détailler et coder en vous inspirant un maximum de votre œuvre source. Par exemple, Cersei Lannister est une belle femme mince et noble, blonde et touchant à la quarantaine (apparence). Elle est dévorée par l’amour du pouvoir et celui qu’elle porte à ses enfants. Son opportunisme et sa cruauté peuvent être sans bornes, tout comme le mépris qu’elle porte à l’ensemble de l’humanité (personnalité). C’est une Lannister, fille de Tywin, sœur de Tyrion et Jaime, amante de ce dernier et veuve du roi Robert Baratheon qu’elle a fait assassiner. Elle est désormais la reine mère (place dans la société). Elle connaît bien la politique de son royaume mais maîtrise mal ce qui se passe du côté du Mur et par delà les mers (savoir). Elle est elle-même assez faible mais possède un pouvoir tel qu’elle peut faire arrêter et exécuter quasiment qui bon lui semble. Elle possède de grandes capacités d’intrigante qu’elle met souvent à profit (pouvoir). Elle désire protéger ses enfants et garder le pouvoir pour elle et sa famille. Elle aimerait être un homme et tente de s’imposer dans la société patriarcale qui est la sienne. Elle doit tenir son rang et payer ses dettes, comme tout bon Lannister (motivations). Le reste dépend… de votre intrigue ! Au cours de votre description des PNJ, peut-être vous rendrez-vous compte que certains personnages sont en réalité inutiles : vous pouvez vous en passer, les conserver en tant que simples figurants, ou au contraire leur donner du poids en les intégrant à l’intrigue. De même, si l’envie vous prend d’ajouter des personnages, n’hésitez pas. Enfin, si votre univers de départ comprend des PNJ intéressants ou récurrents qui peuvent remplacer avantageusement certains personnages de l’œuvre source, utilisez-les : vous gagnerez du temps tandis que votre univers et votre intrigue n’en seront que plus cohérents et vraisemblables !

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• quelles sont ses motivations, à savoir ce qu’il veut et ce qu’il doit faire, sachant que ces deux aspects peuvent être antagonistes ?

Deux problèmes épineux Comment impliquer les personnages ?

Adapter une œuvre réclame de réfléchir longuement à la manière dont les PJ peuvent s’impliquer dans le scénario. En effet, a priori celui-ci ne prend pas en compte leur existence et ne s’intègre même pas forcément très bien à l’univers du jeu. Il risque donc de poser un souci de motivation aux PJ. Si votre adaptation n’est prévue que pour être jouée en one shot ou en burst1, la solution la plus simple est de faire des prétirés s’inspirant des personnages de l’œuvre source. Cette solution rajoute un peu de travail – faire les prétirés – mais elle permet à vos joueurs d’être directement impliqués dans l’intrigue. De manière plus légère et plus élégante pour eux, vous pouvez leur faire faire des personnages en leur imposant quelques éléments de background nécessaires à leur implication dans l’histoire (et que vous pouvez tirer de l’œuvre source) ou leur annoncer directement la couleur : « Ce soir, on joue un polar, et vous serez les enquêteurs ». Si votre adaptation s’insère dans une campagne plus vaste, avec un groupe de PJ déjà constitué et ayant déjà joué, plusieurs solutions s’offrent à vous. • S’il s’agit d’un jeu à missions (INS/MV2, C.O.P.S.3, City Hall4…), il vous suffit d’utiliser le cadre du jeu pour démarrer le scénario. Rien ne vous empêche, par la suite, de pimenter un peu la partie en faisant découvrir aux PJ que l’on ne leur a pas tout dit. • S’il s’agit d’un jeu où les PJ ont un but prédéfini (atteindre l’Agartha, la Golconde, sauver l’univers, vaincre un grand méchant…), il vous suffit de les mettre sur la voie en utilisant cette motivation inhérente au jeu. Comme dans le cas précédent, rien n’empêche qu’ils ne découvrent par la suite que cette motivation était un leurre. • Si votre jeu est lui-même un gigantesque bac à sable, vous allez devoir inventer quelque chose : un destinateur-donneur de mission (qui a peut-être déjà travaillé avec les PJ), une rencontre impromptue, un hasard qui fait bien les choses. Plus élégamment, vous pouvez lier votre amorce au background d’un ou plusieurs personnages (vengeance, ennemi juré, amnésie, famille honnie…) ou à leur Némésis qui vient les frapper en engageant un grand méchant (celui de l’œuvre source) qui pourra, pourquoi pas, devenir lui-même un PNJ récurrent.

1. JdR conçu pour une seule et unique campagne. Anglicisme qui désigne les JdR au format « tout-en-un », cʹest-à-dire qui nʹappellent pas lʹédition de suppléments. 2. Croc, Deleval Fabien, Salah Emmanuel, Sarfati Laurent, Twardowski Mathias, In Nomine Satanis, Magna Veritas, Idéojeux, Paris, 1989. 3. Amirà Alexandre, Attinost Benoît, Beney Jean-François, Benoist Nicolas, Bousquet Charlotte et autres, C.O.P.S., Asmodée Éditions Siroz, Buc, 2003. 4. Devernay Laurent, Guérin Rémi, Lapeyre Guillaume, City Hall, Roubaix, Ankama, 2014.

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Rester trop fidèle à l’œuvre source

Une première difficulté peut vous attendre si l’un de vos joueurs a également lu ou vu l’œuvre source. Bien évidemment, la meilleure solution pour y pallier est de vous en as­surer avant de vous lancer dans vos grands travaux. Ou de suffisamment prendre de distance pour que la connaissance de l’œuvre soit un atout immersif et non pas un obstacle au plaisir de votre joueur, par exemple en modifiant l’intrigue de manière à ce que sa conclusion reste incertaine pour l’initié et provoque la surprise. Ainsi, jouer dans l’univers du Trône de Fer est une idée exaltante, notamment pour les fans. Mais en rejouer les intrigues à l’identique manque de sel : pourquoi ne pas adopter un point de vue marginal sur ces histoires rebattues ? Voire même les modifier subtilement afin d’étonner vos joueurs ?

La fidélité à l’œuvre source peut vous bloquer à deux moments : lors de la conception du scénario et lors de la partie. La première tentation, lors de votre travail de préparation, c’est de ne rien changer, de ne rien adapter. Pourquoi ? A priori, si vous vous lancez dans une adaptation d’un roman ou d’un film en JdR, c’est que vous avez apprécié (adoré ?) l’œuvre. Alors pourquoi la modifier ? D’une part, pour que les joueurs aient bien l’impression d’être en train de jouer un scénario de JdR, et non pas de rejouer un film ou un roman. Il ne faut pas que votre adaptation ait l’air… d’une adaptation. Si vous l’intégrez à l’une de vos campagnes, elle doit devenir indissociable du reste de vos productions et de vos parties et ne pas faire pièce rapportée dans l’univers de JdR ; il faut qu’elle s’y intègre et s’y adapte au mieux afin d’en devenir un fragment à part entière. Ainsi vous éviterez l’impression de raccord, voire pire, de faux raccord. D’autre part, le but est de faire mieux que l’œuvre de départ. Ne restez pas trop humble devant votre source : si certains éléments de l’intrigue, un personnage, un décor, etc. vous semblent mal adaptés, faibles, bâclés, ou si vous avez juste envie de faire autre chose, allez-y, améliorez l’histoire, modifiez-la, faites-vous plaisir. La deuxième tentation peut surgir pendant la partie. En effet, cette histoire est si bien ficelée, que laisser les PJ la modifier, voire la massacrer, serait un véritable gâchis ! Les voir mettre votre ville à feu et à sang et tuer vos PNJ, quel crève-cœur ! Et cette ambiance subtile, à la fois légère et énigmatique, quel chagrin de voir vos joueurs la mettre à mal par leurs blagues douteuses ! Attention, donc ! Une partie de JdR est un espace d’expression : épousez le chaos de son déroulement et abandonnez la perfection de l’œuvre source. Et si vous ne parvenez pas à vous faire une raison, si vous préférez la perfection du roman ou du film, ne cherchez pas à l’utiliser pour jouer car vous ne parviendrez pas à donner à vos joueurs la liberté et l’espace propices à une partie satisfaisante. Acceptez l’exubérance de l’improvisation, acceptez d’être surpris par les joueurs. Même si ce n’est pas toujours évident, vous allez vous aussi vous y retrouver. Après tout, le JdR vous permet de prendre plaisir grâce à toutes vos créativités, la vôtre comme les leurs !

ADAPTER

Et si un joueur connaît déjà l’œuvre source ?

Fiche de synthèse Qu’est-ce que je veux adapter ? • Un ou plusieurs éléments d’une histoire (personnages, introduction, péripéties, décors, MacGuffin). • Une histoire dans son ensemble. • Une histoire et son univers. Quel découpage choisir ? • Le one shot. • Le burst. • La campagne (faire un premier découpage par scénario). • Le bac à sable. À propos de la pertinence d’une adaptation : • l’histoire que je veux adapter est-elle facile à adapter en jeu ? Faut-il travailler en profondeur ses mécanismes ? • quels sont mes objectifs ? Sont-ils en accord avec les objectifs de mes joueurs ? Quel type de scénario choisir ? • C’est une histoire concentrée sur l’action, où les joueurs sont contraints par le temps : linéaire. • C’est une histoire marquée par des temps forts, mais qui laisse une grande liberté entre ces temps forts : semi-ouvert. • C’est une histoire qui repose sur les libres interactions entre les PJ, le décor et les PNJ : bac à sable. À partir du découpage fait précédemment : • quels sont les scénarios (ou les points pour un one shot) qui méritent d’être développés ? Pour chacun de ces points, choisissez une méthode pour le faire : intrigue secondaire, flash-back, ajout de personnages ; • quels sont les scénarios (ou les points pour un one shot) qui méritent d’être réduits ? Pour chacun de ces points, choisissez une méthode pour le faire : ellipse narrative, contraction de durée, suppression de personnages. Reconstituez la chronologie des événements : J est le moment où les PJ commencent à agir. Décrivez les actions et les motivations des PNJ en amont et en aval de ce point de départ (J-1, J-2… ; J+1, J+2…).

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Reconstituez le schéma narratif de l’intrigue :

Pour les PNJ que vous voulez importer, répartissez-les dans les catégories suivantes et répondez aux questions : • PNJ figurants : quels éléments d’ambiance ce figurant permet-il d’installer ? Quelles informations me permet-il de faire passer sur l’univers ? Vers quelle fausse piste peut-il diriger les PJ ? Comment les rencontre-t-il ? • PNJ ressource : quelles informations donne-t-il aux PJ ? Comment les rencontre-t-il ? A-t-il vocation à devenir récurrent ou pas ? Si oui, comment ? • PNJ importants : quel est son rôle dans l’intrigue ? Comment rencontre-t-il les PJ ? Est-il un opposant, un adjuvant, sujet, destinateur, destinataire, ambivalent, évolutif dans ces positionnements ? Se classe-t-il dans un archétype célèbre (mentor, trickster, femme fatale, etc.) ? Comment impliquer les personnages ? Intégrer les motivations aux backgrounds : • f aire des prétirés (listez ici les informations qui doivent apparaître dans leur background) ; • rédiger vous-même leur background, ou y intégrer des éléments motivants (listez ici les informations qui doivent apparaître dans leur background). Intégrer les motivations du jeu : • si c’est un jeu à missions : quel est le cadre du jeu ? Quelles sont leurs missions type ? Comment les lier à l’intrigue ? • si c’est un jeu à but prédéfini plus large : quel est ce but ? Comment le lier à l’intrigue ? • si le jeu est un bac à sable : quel est le cadre du jeu ? Qu’est-ce qui pousse les PJ à voyager ? Comment les lier à l’intrigue ?

ADAPTER

• quelle est la situation de départ ? • quel est l’élément perturbateur ? • quelles sont les péripéties possibles ? • quelles sont les situations finales potentielles ?



Éric Nieudan

Remerciements : aux rôlistes de Google+ toujours prêts à aider, et particulièrement à Jens D. pour l’inspiration initiale et à John Payne pour son coup de main spontané sur les statistiques.

L

e donjon est un scénario bien particulier. C’est à la fois sa forme la plus ancienne, et peut-être encore aujourd’hui la plus pratiquée. Explorer un donjon, c’est souvent ce à quoi ressemble une partie de JdR dans l’imagination du non initié.

Après avoir montré qu’un donjon n’est pas qu’une suite de portes, de monstres et de trésors, cet article présente une méthode semi-aléatoire de création de donjon pour tous types d’univers. Vous déterminez les paramètres de départ, et laissez la procédure créer les détails. Cette méthode vous fera gagner du temps en organisant à la fois votre brainstorming et la struc­ture de l’aventure. En intégrant le hasard, elle produit des résultats plus surprenants que les idées que vous auriez pu avoir face à une page blanche. Et si la « création procédurale » ne vous intéresse pas, cet article contient aussi des conseils pour animer un donjon cohérent au sein d’une campagne.

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DONJON

construire un donjon une méthode aléatoire

Un donjon, pas un PMT1 Un donjon, c’est plus qu’une série de défis tactiques. Là, vous pensez à Diablo 2 ou à Descent 3. S’en contenter en JdR, cela revient à se priver de beaucoup de choses ; un peu comme si le seul jeu jouable avec un paquet de cartes était la bataille. Pour concevoir un donjon intéressant, il faut l’imaginer comme un bac à sable, un morceau d’univers avec sa géographie, ses habitants, ses factions, leurs problèmes, etc. Il existe des contre-exemples, comme le donjon-piège (Le Labyrinthe de la mort4 ou Tomb of Horrors5). Je ne discuterai pas les mérites de ce type de scénario, ce n’est pas ce que je cherche à émuler ici. Un donjon, c’est un scénario géographique et non linéaire : l’histoire jouée dépend des déplacements des personnages : entrer par la cour du château risque de déclencher l’alarme mais permet d’apprendre ce que trame le seigneur félon, tandis que passer par les geôles est plus discret – à condition de ne pas avoir peur du monstre des douves. En fin de compte, un donjon n’est pas si différent d’un scénario traditionnel quand celui-ci est présenté comme un organigramme.

Donjoniser l’extérieur Il existe une forme d’organisation d’aventure en extérieur appelée pointcrawl, par opposition au hexcrawl (l’exploration d’une région hexagone par hexagone, façon Oltrée ! 6), elle-même dérivée du dungeoncrawl. Plutôt que de dessiner une carte, on se contente de relier les zones de l’aventure par autant de traits qu’il existe de moyens de passer de l’une à l’autre. On a ainsi une sorte de plan minimaliste plus riche en informations : il peut montrer à la fois les passages souterrains ou aériens, les portails magiques, etc. La place gagnée par rapport à une carte permet de résumer les informations du scénario. Le donjon que vous allez concevoir ici peut être un de ces pointcrawls : au lieu d’imaginer des salles, vous créerez des clairières, des bois, des fermes en ruine et des ponts de lianes.

1. Expression péjorative désignant les aventures linéaires en donjon à la structure répétitive : le PJ passe une porte, tue un monstre, récupère le trésor, et ainsi de suite. 2. Blizzard North, Diablo, Blizzard Entertainment, Irvine, 1997. 3. Wilson Kevin, Descent: Voyages dans les ténèbres (V. O. : Descent: Journeys in the Dark) Fantasy Flight Games, Roseville, 2005, Edge Entertainment, Séville, 2011, pour la V. F. 4. Livingstone Ian, Le Labyrinthe de la mort (V. O. : Deathtrap Dungeon), coll. Folio Junior, Défis fantastiques, Gallimard, Paris, 1984. 5. Gygax Gary, S1, Tomb of Horrors, T.S.R., Lake Geneva, 1978. 6. Grümph John, Oltrée !, John Doe, Jouy-le-Moutier, 2013.

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10: Vault to Pyramid

Exemple de pointcrawl fabriqué avec DunGen, un générateur graphique d’Ed Allen. http://meta-studios.com/dg/dungen.html

well

1: Chamber flimsy door

0: Pyramid entrance natural ladder

window

6: Chapel

7: Suite of rooms

barrel vault 5: Worm tunnel

corridor

natural ladder

hallway

barred door 2: Melted walls

8: Charnel house overlooks gateway 9: Shrine 4: Guard room

Dessine-toi un donjon (avec un jeu de cartes) Préparation

Matériel requis • Un jeu de cinquante-quatre cartes. • Deux dés à six faces. • De quoi écrire et dessiner. • Optionnel : des Post-it et une grande table.

Le cadre Avant de vous lancer dans la conception, vous avez besoin de savoir ce que vous avez envie de créer. Un donjon n’est rien s’il n’est pas intégré dans un univers. Il faut qu’il corresponde à la fois au monde dans lequel vous jouez et au système de règles que vous utilisez. Mieux encore, il devrait avoir une place dans votre campagne, c’est-à-dire dans l’histoire ou dans la géopolitique de la région. Un avant-poste en ruine a une histoire 75

DONJON

3: Mausoleum

troublée ; les mines abandonnées où vit une tribu de gobelours sont le point de départ de sanglants raids frontaliers. Pour peu que les personnages ne s’y aventurent pas par hasard (et qui voudrait visiter des souterrains pleins de trucs prêts à vous bouffer sans une bonne raison ?), ils devraient être capables d’obtenir des informations sur l’objectif de leur quête. Dans le même ordre d’idées, il est intéressant de se demander dès le départ quelles sont les spécificités du donjon lui-même. L’avant-poste a été construit par un peuple venu d’au-delà des étoiles ; la mine des gobelours est organisée autour d’un puits central qui mène au monde souterrain. Une architecture, une histoire, une localisation stratégique, etc. En résumé, tout ce qui fera que votre donjon deviendra davantage qu’une simple mine de points d’expérience. Ayez, à l’avance, une idée de l’identité des occupants du donjon. S’ils appartiennent à plusieurs groupes, réfléchissez à ce qui les unit et à ce qui les divise. L’arrivée des personnages viendra bouleverser l’écosystème du lieu. Qu’ils éliminent un groupe ou s’allient avec un autre, les choses seront susceptibles de changer. Peut-être aussi qu’à leur arrivée, la situation n’est pas stable. Les gobelours partagent leur mine avec une sorcière humaine qui soigne leurs guerriers en échange de leur protection, mais qui aimerait bien prendre la place de leur chef de guerre. L’avant-poste est occupé par des pillards de l’autoroute, mais des disparitions nocturnes ont forcé les chasseurs du clan à s’aventurer dans les sous-sols. Profitant de leur absence, les drones sauvages qui nichent dans les tours s’attaquent au camp mal défendu à la surface. Appuyez-vous sur votre campagne ou sur les suppléments d’univers du jeu auquel vous jouez, mais vous pouvez aussi faire confiance au hasard. Les générateurs de scénarios (que vous trouverez en ligne1, mais aussi dans des jeux comme Dragon de poche2) sont d’excellents points de départ si vous n’avez pas beaucoup d’idées. Voyez ce qui fonctionne le mieux avec votre façon de penser  : un jeu de tarot divinatoire, une poignée de Rory’s Story Cubes3, une balade sur Deviantart4 ou Pinterest5, une discussion avec vos copains MJ des forums. Faites-vous une idée générale avant de passer à la construction, mais ne vous noyez pas dans les détails à ce stade. Vous aurez bien plus de matière pour peaufiner ces aspects une fois le donjon décrit.

1. Le Plot-o-shop de Tranchons & Traquons : http://goo.gl/EEPyC7 Le Giannirateur assisté par étagère : http://goo.gl/XD2c6K The Forge (en anglais) ne génère que des noms, mais il le fait tellement bien : http://goo.gl/XcGdDd 2. Grümph John, Dragon de poche, Chibi, Lulu.com, 2013. 3. https://www.storycubes.com/ 4. http://goo.gl/w3LU9F 5. http://goo.gl/lo2XZI

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En ce qui concerne les motivations des personnages à visiter l’endroit, attendez d’avoir fini pour décider, à moins bien sûr que vous ne construisiez le donjon pour répondre à un besoin de votre campagne ou pour donner corps à un projet des héros. Autrement, ayez confiance en votre imagination : vous aurez tout ce qu’il faut pour motiver l’exploration une fois le donjon terminé. Je vous en reparlerai plus bas.

Les questions à se poser • De quel genre de donjon s’agit-il ? (Des égouts puants, un château maudit, une ville pestiférée, une mine oubliée, une station spatiale…) • Comment s’intègre-t-il au monde alentour ? (Est-il fréquenté, réputé, craint, convoité, honni ? Et par qui ?) • Quel est son rôle dans la campagne ? (Doit-il révéler des informations aux personnages, leur fournir un objet, leur faire passer une épreuve ?) • Quelles sont ses spécificités ? (Architecture, localisation stratégique, origines, propriétés magiques, etc.) • Quelle est son histoire ? (Qui occupait le donjon avant les habitants actuels ? Certaines salles recèlent-elles des souvenirs oubliés, voire des trésors que les nouveaux venus n’ont pas découverts ? Si le lieu a eu un usage différent autrefois, en quoi a-t-il changé ?) • Qui sont ses occupants ? Qu’est-ce qui les unit ou les divise ? • Quels sont les liens des habitants avec l’extérieur ? (Ont-ils des voisins, des al­légeances, des victimes dans la région ?) Notez ce qui vous vient à l’esprit à la lumière de ce que vous savez de votre univers et de votre campagne. Le reste viendra tout seul par la suite.

Le temple des Gouttes de rubis Perdu au milieu de la jungle, ce temple est le tombeau de la dernière grande prêtresse du Meurtre, dont le fantôme hanterait encore les lieux un siècle après sa mort. On raconte que le temple est construit sur une mine de pierres précieuses aux propriétés mystiques. Qu’il s’agisse ou non d’une rumeur, celui ou celle qui prendra le contrôle de l’endroit aura la légitimité nécessaire pour fédérer les sectes d’assassins de l’empire.

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DONJON

Pour résumer ce qui a été dit ci-dessus, voici une liste de questions à garder en tête.

La table des occupants Première étape dans la création de votre aventure : les habitants du donjon. Vous allez créer une table qui s’organise comme ci-dessous.

Table A. Occupants du donjon 2d6 + valeur

Occupants

3-10

salle ou couloir vide

11-12

x habitants

13-14

x gardes

15

sentinelle et x alliés potentiels

16

habitant magique et x gardes

17

x/2 monstres errants

18

x/2 sentinelles *

19

victime *

20

habitant rebelle *

21

x visiteurs *

22

trompeur *

23+

boss et x habitants *

x = le plus bas entre la valeur de la carte et 2d6

Carte

Valeur

As

1

Valet

11

Dame

12

Roi

13

Joker

13

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Pas de panique, je vous explique la procédure dans quelques paragraphes. Pour l’instant, concentrez-vous sur les rencontres de votre aventure. Remplissez la table ci-dessus avec une série de créatures plus ou moins dangereuses et intéressantes. Les catégories employées ont l’avantage de produire un donjon dont les salles ne proposent pas systématiquement des situations hostiles. On discutera plus loin de la façon dont il est possible de les modifier. • Les habitants sont les occupants principaux du donjon. Ils ne sont pas forcément équipés pour combattre. • Les gardes, en revanche, ont pour mission de défendre le lieu.

• Les alliés potentiels peuvent être faibles et volontaires (comme des esclaves) ou débrouillards mais vénaux (des mercenaires). • Un habitant magique est un spécialiste de la magie, allié aux habitants (un shaman gnoll par exemple). • Les monstres errants sont soit alliés au boss, soit neutres (et potentiellement une nuisance pour les habitants). • La victime est une personne sans défense (marchand prisonnier, ambassadeur sans rançon, prince en attente de mariage forcé) qui peut servir d’accroche à la visite du donjon. • L’habitant rebelle est un autre allié potentiel. Est-il à la tête d’une faction opposée au boss, ou attend-il une occasion de se retourner contre lui ? • Les visiteurs sont des étrangers au donjon. Ils peuvent s’opposer aux habitants, représenter une opportunité, ou devenir une menace supplémentaire pour les héros. • Le trompeur est destiné à mettre un peu de variété dans l’aventure. C’est un vampire, un illusionniste ou un doppelgänger qui forcera les héros à utiliser autre chose que leurs muscles. • Le boss peut être l’occasion d’un affrontement épique comme dans un jeu vidéo, ou engager les personnages dans une belle joute verbale, ou encore s’échapper dès que les envahisseurs sont trop proches. Il peut prendre d’autres formes qu’un monstre ou un PNJ : une énigme, un trésor, un portail vers les plans extérieurs… Les astérisques (*) indiquent les créatures uniques : on ne les trouve que dans une seule salle du donjon.

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DONJON

• Les sentinelles sont soit des gardes gradés, soit des créatures plus puissantes au service du boss.

Le temple des Gouttes de rubis : les occupants Table A. Occupants du donjon 2d6 + valeur

Occupants

3-10

salle ou couloir vide

11-12

x pèlerins

13-14

x guerriers-panthères

15

statue d’or rouge et x esclaves

16

vestale écarlate et x guerriers-panthères

17

x/2 chauves-souris d’ombre

18

x/2 statues d’or rouge *

19

Lio Sarches, érudit malchanceux *

20

Lanara, vestale jalouse *

21

x explorateurs cupides *

22

élémentaire de sang *

23+

Pilar, prêtresse spectrale et x pèlerins *

x = le plus bas entre la valeur de la carte et 2d6

Construire le donjon

Passages, monstres, trésors Vous allez maintenant constituer votre donjon salle après salle. Suivez la procédure suivante pour chacune d’entre elles. Piochez une carte et lancez 2d6. Ajoutez la valeur des deux dés à celle de la carte (as = 1, valet = 11, reine = 12, roi et joker = 13) et consultez le tableau des occupants (A). Le résultat vous indique qui se trouve dans cette pièce. La valeur de la carte vous donne une indication de la taille de la salle ou de la longueur du passage (mais ne vous gênez pas si vous avez d’autres idées). La couleur de la carte établit l’usage de la salle (ou son thème), comme indiqué par le tableau B. Si vous tirez une figure, la salle a une particularité (table C). Si vos 2d6 ont fait un double, consultez la table D.

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Rencontres uniques : si vous obtenez un résultat marqué d’une * pour la deuxième fois, considérez que vous avez tiré le résultat juste au-dessous (ou le suivant si vous avez déjà placé la rencontre, et ainsi de suite jusqu’au boss). Si vous arrivez au bas du tableau, choisissez le résultat qui vous plaît le plus. Les rencontres que vous n’avez pas utilisées pourront servir de monstres errants, ou bien venir repeupler le donjon lors d’une prochaine visite.



Ressources : cultures, réserves, matériel, constructions…



Repos : sommeil, festin, jeu, torture, soins, prière…



Guerre : entraînement, patrouille, combat…



Défense : barricades, embuscade, surveillance…

Table C. Particularités des salles (figures) As

Piège ou obstacle

Valet

Matériel, nourriture ou armes

Reine

Objet magique

Roi

Trésor : valeur de la carte × 2d6 po (plus à haut niveau)

Joker

Révélation ou secret du monde

Table D. Circonstances spéciales (double sur 2d6) Les occupants de la salle…

La salle ou le couloir contient…

1

sont morts. Tués par qui ou quoi ?

un lien mystérieux avec le passé d’un héros

2

sont malades ou blessés

un danger naturel : gaz, lave, chutes de pierres

3

sont en train de perdre un combat

une sortie, un passage secret, un portail

4

sont aux ordres d’une force extérieure

un objet magique ou une malédiction

5

font quelque chose d’inattendu

une énigme ou un événement surnaturel

6

viennent de repousser une attaque

reliefs d’un combat récent

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DONJON

Table B. Usages des salles (couleur de la carte)

Organiser le plan Avec une carte et un lancer de dés, vous avez votre première pièce. Notez ce que la pièce contient, sans entrer dans les détails. Les choses se mettront en place d’ellesmêmes quand vous aurez quelques salles d’établies. Pour organiser votre donjon, vous pouvez procéder de plusieurs manières. Si vous avez assez de place, notez les détails de chaque salle ou passage sur un Post-it fixé à la carte correspondante. Vous pourrez ainsi réorganiser le donjon au fur et à mesure des tirages. Si vous êtes pressé, ou que vous préparez un petit donjon, ou que vous êtes dans le bus, vous pouvez dessiner directement les salles et prendre des notes à part. Faites-le au crayon à papier, et attendez d’avoir toutes les salles avant de les relier par des portes et des couloirs. Vous pouvez aussi opter pour la méthode feu d’artifice, qui consiste à lancer une poignée de cartes en l’air et à organiser le donjon en fonction de la façon dont elles retombent. Ce n’est pas très efficace, mais vous aurez du succès si vous le faites dans le bus. L’écologie du donjon Soyez logique en organisant vos salles les unes par rapport aux autres. S’ils ne l’ont pas construit eux-mêmes, les habitants du lieu ont sans doute aménagé l’endroit au mieux, quitte à bloquer des accès et à en faciliter d’autres. Par exemple, le garde-manger des gobelours devrait être facilement accessible depuis leur salle commune. S’ils doivent passer par le corridor aux Cauchemars à chaque fois qu’ils ont besoin d’un cuissot de cheval, prenez le temps de réfléchir aux conséquences sur leur santé mentale (et aux raisons qui font qu’ils n’entreposent pas leur nourriture ailleurs). Certains passages sont certainement plus fréquentés que d’autres, et d’autres encore ont peut-être été abandonnés. Notez tout cela, et servez-vous-en en partie pour donner des indices à vos joueurs sur ce qui les attend (voir encadré page suivante). Si votre donjon abrite plusieurs factions, il existe peut-être des zones contestées ou des barricades destinées à empêcher les intrusions. Prenez tous ces facteurs en compte pour décider à la fois de la façon dont votre donjon vit, mais aussi des activités et des objectifs de ses habitants. Si le donjon comporte des pièges, décidez si ceux-ci ont été conçus et installés par les occupants actuels, ou s’ils datent d’une époque antérieure – auquel cas il vous faudra imaginer comment ils vivent avec. Les ont-ils désactivés, ou courent-ils quotidien­ nement le risque de se faire percer de dards empoisonnés en allant aux latrines ? Cette réflexion vous donnera une idée du niveau de sophistication des pièges du donjon. Du rocher posé en équilibre à la sagaie façon Rambo jusqu’aux merveilleuses techniques de Grimtooth le Vicieux, en passant par les antiques dispositifs runiques dont on a oublié l’usage, les pièges sont aussi un moyen de donner du cachet à votre aventure.

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Choisir de prendre le couloir de gauche ou celui de droite, c’est le stade zéro de la décision en JdR. Comme dans un scénario « ouvert », où les joueurs doivent décider de la marche à suivre, calculer les risques et faire parfois des paris dangereux, il ne faut pas les laisser choisir à l’aveuglette. Non seulement ce n’est pas très intéressant pour eux, mais dans un donjon, un mauvais choix peut avoir des conséquences dramatiques. Si les joueurs n’ont aucun moyen de deviner derrière quelle porte se trouve la sphère d’annihilation, ils vont vite se lasser. Quand vous êtes derrière l’écran, ne lésinez pas sur les détails et les indices : des traces de passage, des bruits, des odeurs, des courants d’air. Les gonds de la porte sont-ils rouillés ou les a-t-on huilés récemment ? La bibliothèque est couverte de poussière, sauf le tome IV de l’Encyclopedia Celestis. Pas la peine d’abuser des jets de perception, soit dit en passant. Tout comme un scénario d’enquête, un donjon c’est avant tout un défi pour les joueurs : donnez-leur du grain à moudre et ne soyez jamais avare d’informations1.

N’ayez pas peur de la difficulté. Même si vous jouez avec un système qui quantifie le niveau de l’adversité pour que les personnages ne soient jamais dépassés, laissez la cohérence vous guider. Un clan de gnolls aura dans sa salle commune plus de guerriers que ne peut en affronter un groupe de héros de premier niveau. Expliquez bien aux joueurs qu’ils ne sont pas toujours de taille à affronter tous les dangers de front et qu’entrer en gueulant « initiative » n’est jamais la meilleure tactique. Ils seront bien plus satisfaits de l’aventure s’ils ont triomphé grâce à leur intelligence que parce qu’ils ont eu de la chance aux dés. Ne négligez pas le boss : rappelez-vous que vous faites du JdR, où les possibilités sont infinies. Votre rencontre finale n’a pas toujours pour but de mettre les joueurs à rude épreuve en ponctionnant une ultime fois les ressources du groupe. Votre grand méchant n’est peut-être même pas un combattant. Peut-être a-t-il un marché à proposer à ces aventuriers qui sont parvenus jusqu’à lui sans déclencher les alarmes ? Votre boss peut présenter un dilemme moral, ou avoir une valeur quelconque si on le garde en vie. S’il s’agit d’un « maître du donjon » à l’ancienne, assurez-vous qu’il ait une bonne raison d’être là, ainsi que des alliés, des ennemis et des objectifs. L’entrée du donjon n’est pas forcément la première salle que vous avez tirée. Placez-la à n’importe quelle extrémité de la carte – voire au milieu, si c’est un escalier ou une trappe – tant que cela rend la visite intéressante. Sauf cas particulier, votre complexe devrait avoir plusieurs points d’accès. D’une part parce que c’est plus pratique pour ses habitants : ils peuvent avoir construit une sortie de secours, un passage qui 1. Pour enrichir vos descriptions avec des informations utiles, consultez également l’article « Décrire », p. 110.

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DONJON

En partie : indices, décisions et orientation

sert pour le ravitaillement ou l’évacuation des ordures (c’est que c’est encombrant, les os d’aventuriers !), ou encore une issue qui mène à une autre zone de la surface. Et d’autre part, vous voulez récompenser les joueurs créatifs. Chaque point d’entrée devrait présenter des avantages et des défis uniques : l’entrée principale n’est pas piégée, mais elle est bien gardée. La grille d’aération permet d’éviter les patrouilles, mais il faut escalader une falaise à pic pour y accéder. Même dans un donjon-piège, trouvez des moyens de varier les accès. Si une pyramide n’a pas de sortie de secours, peut-être qu’un tremblement de terre a ouvert un puits donnant sur un réseau de cavernes, ou qu’un ver pourpre a creusé une galerie jusqu’aux sous-sols.

Le temple des Gouttes de rubis : les salles Salle 1 : 8 ♣ et 11 sur les dés. Sur 19, la table A me dit que cette salle abrite Lio Sarches, un érudit malchanceux. D’après la table B, trèfle signifie que la salle est liée aux ressources du temple. Je pense à un entrepôt de pierres de sang, mais j’attends d’en savoir plus pour décider. Salle 2 : 9 ♣ + 7, j’obtiens une vestale écarlate et sept guerriers-panthères, toujours dans un endroit lié aux ressources. J’imagine que cette salle sera contiguë à la précédente. Qu’est-ce qu’une prêtresse et son escorte viennent faire là  ? Je me dis qu’il pourrait y avoir un chantier d’excavation de la mine de pierres de sang, ou d’une partie plus ancienne du temple, que la jungle aurait envahie. Si c’est le cas, il faudra ajouter quelques pèlerins mis au travail. Salle 3 : 7 ♥ + 7, il s’agit d’une salle de repos où se trouvent sept autres guerriers-panthères. Peut-être leurs quartiers, ou la salle de culte où on se prépare à sacrifier l’explorateur ? Salle 4 : joker + 6, pour un total de 19. Lio Sarches à nouveau, donc je décale à la rencontre suivante : Lanara, la vestale jalouse. Je n’en sais pas plus sur la salle, et je décide que, grâce à sa magie, Lanara s’est aventurée seule dans un labyrinthe de salles encombrées de lianes aux fleurs mortelles. Le joker m’indique que cette rencontre pourra révéler un secret du monde aux personnages. Sans doute Lanara a-t-elle découvert quelque chose d’important dans les ruines, et c’est ce secret qui motivera sa trahison. Salle 5 : V ♥ + 9, ce qui me donne 20. Lanara étant déjà présente, j’obtiens un groupe de neuf explorateurs cupides dans un lieu dédié au repos : encore une salle de prière, ou peut-être la cuisine du temple. Les explorateurs sont-ils ici à la recherche de Lio Sarches, ou bien l’ont-ils planté là après avoir pillé l’entrepôt en salle 1 ? J’aime bien cette idée et je note que Sarches s’est fait doubler par son guide et ses porteurs qui l’ont vendu aux vestales.

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Salle 6 : 2  ♠ + double 4 : cette salle dédiée à la guerre est vide, mais le double indique qu’il s’y trouve un objet magique ou une malédiction. J’opte pour en faire une salle de garde à l’entrée du temple, défendue par un sort de drain de sang. Comme je suis sympa, je décide que la statuette qui sert de focus à ce sort peut en révéler la formule.

Du donjon à l’aventure

Faire entrer la pièce dans le puzzle Une fois vos salles dessinées et leurs habitants prêts à faire souffrir les envahisseurs, prenez quelques minutes pour polir votre création. Comme expliqué au début de cet article, rares sont les donjons qui existent en complète autarcie. Revenez sur les idées que vous avez notées avant la construction, relisez les questions posées plus haut et détaillez tout ce qui vous semble important. Ajoutez un jardin et des voisins. Qu’il s’agisse d’une cité ou d’une lande désolée, l’environnement du donjon est forcément affecté par les activités de ses habitants. Si des gens ou des monstres vivent alentour, il est intéressant de se demander s’ils évitent le lieu, ou au contraire s’ils interagissent avec lui. Ces détails sont susceptibles de créer des péripéties pendant le trajet jusqu’au donjon. Posez des allégeances. Si votre monde est en proie à des jeux de pouvoir, des luttes religieuses ou une Guerre Désespérée Contre les Forces du MalTM, réfléchissez à la façon dont les occupants du donjon s’y inscrivent. Les buts du boss coïncident probablement avec ceux de tel ou tel groupe. Si cela lui confère des alliés, il a certainement des ennemis susceptibles d’assister les personnages. Même si votre campagne n’a pas une dimension géopolitique importante, un petit conflit d’intérêts pourra vous servir pour de futures aventures. Imaginez son histoire. Une autre façon d’ajouter de la profondeur à vos souterrains est de vous pencher sur les événements du passé et la manière dont ceux-ci ont modifié le donjon. Ces idées seront utiles aux personnages pendant l’approche et la préparation, mais peut-être aussi durant l’exploration. En fonction de ce que vous avez déterminé ci-dessus, n’hésitez pas à revenir sur les détails du donjon. Changez les objectifs des créatures, adaptez les lieux, ajoutez un traître ou un espion. Plus votre bousin sera cohérent, plus il sera vivant.

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DONJON

Dans ce petit donjon, je n’ai pas obtenu le boss. Peut-être la grande prêtresse n’a-t-elle pas encore été réveillée ? Ou alors ce temple n’est qu’un avant-poste d’un complexe plus étendu… C’est le moment de le décider. En attendant, j’ai les statues d’or rouge, les chauves-souris d’ombre et l’élémentaire de sang sous le coude pour corser les choses si besoin.

Le temple des Gouttes de rubis : intrigue La construction de ce petit donjon m’a donné quelques idées dont je n’avais que les embryons pendant la phase de préparation. Le temple n’est plus abandonné : un groupe de vestales écarlates l’a investi avec ses guerriers-panthères. Elles cherchent à invoquer le fantôme de Pilar pour s’emparer de ses secrets. La nouvelle de la résurrection prochaine du temple des Gouttes de rubis a déjà fait le tour de la région, et des pèlerins sont en route depuis les villages situés sur le fleuve proche. Ceux qui ont atteint le temple sont forcés de travailler pour les vestales. Cependant, tous les locaux ne voient pas le retour du culte du Meurtre d’un bon œil, et un conseil d’anciens a engagé Lio Sarches pour découvrir ce qui se trame dans le temple. Celui-ci a embauché des suivants parmi la population locale, sans se douter que son guide était un assassin allié des vestales. Si j’écrivais cette aventure pour une campagne, j’essaierais de relier les forces en présence aux factions de mon monde. Des forces maléfiques ont-elles un intérêt à ce que Pilar revienne d’entre les morts ? Est-ce que Lio Sarches est une ancienne connaissance d’un des héros ? Lanara est décrite comme jalouse, mais je n’ai pas décidé de qui. Il est possible qu’elle souhaite s’approprier le pouvoir de Pilar plutôt que de la réveiller (car elle est en réalité son arrière petite-fille et ne comprend pas pourquoi son ancêtre devrait diriger le culte à sa place). Ce faisant, elle va contrarier les vœux de sa hiérarchie dans la capitale… Comme vous le voyez, la visite de ce petit donjon a le potentiel d’influencer toute ma campagne.

Rumeurs et motivations Enfin, si ce n’est pas déjà fait, trouvez une ou plusieurs bonnes raisons pour amener vos héros à profiter du fruit de votre labeur. Vous pouvez organiser cela de bien des manières. Moi, j’adore les tables de rumeurs à l’ancienne, c’est mon côté « vieux jeu ». Je trouve qu’une liste de rumeurs est un excellent moyen de résumer les trames de l’aventure. Si vous écrivez pour quelqu’un d’autre, il aura là un concentré d’informations qu’il pourra utiliser à son gré. Si le donjon est à votre seul usage, vous pourrez transmettre aux joueurs des renseignements vitaux dès que l’occasion se présentera. Car autant à l’extérieur, l’information c’est le pouvoir, mais dans un donjon, c’est la survie. Une rumeur, on l’entend à la taverne ou chez l’armurier nain, mais aussi de la bouche du marchand rencontré sur la route ou par-dessus les boucliers des nomades méfiants qui n’ont pas voulu partager le bivouac. Vous pouvez prendre le temps de réfléchir aux sources de chaque rumeur (encore un moyen de résumer des informations utiles pendant la partie sans écrire des pages) ou bien faire confiance à vos talents

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d’improvisateur. Et si vous manquez de temps, faites juste quelques tirages et résumez aux joueurs ce que leurs personnages ont appris avant de partir. Les MJ retors aiment inclure de fausses rumeurs à leurs listes. Ne vous gênez pas pour faire de même, à condition qu’il y ait toujours un fond de vérité ou qu’il soit possible de vérifier les informations. Autrement, vous êtes plus qu’un MJ retors, vous êtes injuste, et vous ne garderez pas vos joueurs bien longtemps.

Avec ce que j’ai déterminé jusqu’ici, j’ai suffisamment de matière pour créer une demidouzaine de rumeurs qui serviront à démarrer l’aventure. Les sources possibles sont entre parenthèses. 1. La grande prêtresse Pilar n’est pas morte. Elle règne sur une armée de morts-vivants et attend son heure (faux – villages du fleuve, tavernes et relais). 2. Les sages d’un des villages sont opposés au retour de Pilar. Ils seraient prêts à payer une fortune pour l’empêcher (colporteurs et voyageurs). 3. Un érudit a posé des questions sur la localisation du temple. Il s’est dit intéressé par les pierres de sang qui faisaient autrefois la richesse du culte (grande bibliothèque, sur la route). 4. Des villageois ont entrepris de retrouver la trace du temple. En chemin, ils sacrifient l’un des leurs à chaque crépuscule (sur la route, villages du fleuve). 5. Le culte du Meurtre existe toujours ! Il a infiltré toutes les couches de la société en secret (faux – temples en ville, sur le fleuve). 6. Les vestales écarlates ont offert une récompense à quiconque aurait des informations sur la localisation du temple (tavernes et marchés en ville). Si j’ai le temps, je peux consacrer une partie de la première séance à la recherche d’informations, et une autre au voyage. Pour peu que les joueurs soient dégourdis, cette simple liste peut générer quelques petites scènes intéressantes.

Hacker la méthode Des tables personnalisées

Les types d’habitants, les usages et les circonstances de cette méthode sont conçus pour créer des donjons très variés. Vous pouvez interpréter les résultats comme bon vous semble et obtenir les aventures qui vous intéressent. Ceci dit, vous ressentirez

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DONJON

Le temple des Gouttes de rubis : rumeurs

peut-être le besoin de modifier un ou plusieurs tableaux pour refléter vos envies ou les particularités de votre univers. Ne vous gênez surtout pas. Par exemple, si le donjon que vous construisez est l’immeuble de recherche et développement d’une zaïbatsu médicale, vous voudrez sans doute enlever toute référence à la magie dans les tables A et C, remplacer « guerre » par « science » dans le tableau B, et intégrer des événements tels qu’une inspection de sécurité ou un exercice incendie dans la table D. Génération à la volée

Rien ne vous empêche d’utiliser cette méthode en cours de jeu, pour ajouter une pièce à un donjon existant. Remplissez la table des occupants au fur et à mesure des besoins et d’après ce que vous savez de l’endroit. Vous pouvez aussi vous la jouer funambule et concevoir l’ensemble du donjon au fil de son exploration. Cela demande de bonnes capacités d’improvisation, mais à MJ vaillant rien n’est impossible. Dans ce cas, vous n’aurez pas le temps de dessiner le plan vous-même. Contentez-vous de décrire et laissez le dessin à un cartographe désigné parmi les joueurs. Une autre option est de partager la tâche avec les joueurs. Ils ont des idées et des envies, et leurs personnages ont des connaissances sur leur monde, alors pourquoi ne pas leur demander ? Pour quasi emprunter à Dungeon World1 : posez des questions à propos du donjon et bâtissez l’aventure sur les réponses.

Le temple des Gouttes de rubis : questions Si je n’avais eu que le temps de réfléchir à mon thème et aux habitants du donjon, j’aurais pu m’en sortir en profitant de l’imagination des joueurs. Au personnage qui connaît la jungle : quelle raison auraient les villageois des alentours de se rendre en pèlerinage au temple ? À celui qui trempe dans l’occulte : qu’as-tu lu sur la grande prêtresse du Meurtre qui te fait penser qu’elle n’est pas vraiment morte ? À quelqu’un qui fréquente les bas-fonds : comment as-tu entendu parler des vestales écarlates, et pourquoi ont-elles mis un contrat sur ta tête ? À l’intellectuel du groupe : comment a débuté la rivalité qui t’oppose au célèbre érudit Lio Sarches ?

1. Koebel Adam, Latorra Sage, Dungeon World, Sage Kobold Productions, 2012.

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Empruntez un donjon

Pour « donjonner » plus loin Mes propres expériences comprennent quelques générateurs de donjons, de bacs à sable et d’intrigues. J’en parle au fur et à mesure (ainsi que de celles d’autres fanatiques de la création aléatoire) sur Google+ : cherchez la collection Procedural Worldbuilding dans mon profil. Vous y trouverez notamment un PDF à remplir (en anglais) basé sur cette méthode, mais en bien moins détaillé. À l’heure où j’écris ces lignes, j’ai l’intention de faire un document à imprimer plus complet, dans la langue de MarcelaFroideval, qui sera disponible sur le site de Lapin Marteau. Si vous créez un donjon en vous servant de cette méthode (ou en la modifiant), n’hésitez pas à m’en parler !

Exemple de plan. Source : http://goo.gl/UeL51B

1. Dyson Logos : https://rpgcharacters.wordpress.com/ Megadungeon : https://megadungeoncomic.wordpress.com/ MonkeyBlood : http://goo.gl/646Z0C

DONJON

Pour gagner du temps, vous pouvez utiliser cette procédure pour peupler un lieu dont vous avez déjà le plan. Internet est rempli de cartes intéressantes, qu’elles viennent de scénarios publiés ou qu’elles soient dessinées par les cartographes de talent qui peuplent la blogosphère donjonneuse1. Vous pouvez aussi vous amuser à refondre un donjon existant : gardez le plan, faites une liste de créatures en partant des rencontres décrites et des éventuels monstres errants, mais servez-vous de la présente méthode pour en faire une version différente. Et pourquoi ne pas pousser le vice jusqu’à renvoyer les personnages dans un donjon qu’ils ont déjà visité, mais des années plus tard ou dans un univers parallèle ?

Fiche de Synthèse Méthode aléatoire • Décidez du thème du donjon (campagne, spécificités, occupants). • Remplissez la table des habitants. • Tirez une carte, ajoutez sa valeur au résultat de 2d6. • Consultez les tables A et B. Table A. Occupants du donjon

Carte

Valeur

2d6 + valeur

Occupants

As

1

3-10

salle ou couloir vide

Valet

11

11-12

x habitants

Dame

12

13-14

x gardes

Roi

13

15

sentinelle et x alliés potentiels

Joker

13

16

habitant magique et x gardes

17

x/2 monstres errants

18

x/2 sentinelles *

19

victime *

20

habitant rebelle *

21

x visiteurs *

22

trompeur *

23+

boss et x habitants *

x = le plus bas entre la valeur de la carte et 2d6

Les astérisques (*) indiquent les créatures uniques.

Habitants : occupants principaux qui ne sont pas forcément équipés pour combattre. Gardes : ont pour mission de défendre le lieu. Sentinelles : gardes gradés ou créatures plus puissantes au service du boss. Alliés potentiels : esclaves, mercenaires, etc. Habitant magique : spécialiste de la magie allié aux habitants. Monstres errants : alliés au boss ou neutres. Victime : une personne sans défense, peut-être la raison de la visite du donjon. Habitant rebelle : allié potentiel.

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Visiteurs : étrangers qui peuvent s’opposer aux habitants, représenter une opportunité ou devenir une menace supplémentaire. Trompeur : ne peut pas être vaincu grâce à la force brute. Boss : peut prendre d’autres formes.



Ressources : cultures, réserves, matériel, constructions…



Repos : sommeil, festin, jeu, torture, soins, prière…



Guerre : entraînement, patrouille, combat…



Défense : barricades, embuscade, surveillance… • Consultez la table C si vous tirez une figure. Table C. Particularités des salles (figures)

As

Piège ou obstacle

Valet

Matériel, nourriture ou armes

Reine

Objet magique

Roi

Trésor : valeur de la carte × 2d6 po (plus à haut niveau)

Joker

Révélation ou secret du monde

• Consultez la table D si vous faites un double sur les dés. Table D. Circonstances spéciales (double sur 2d6) Les occupants de la salle…

La salle ou le couloir contient…

1

sont morts. Tués par qui ou quoi ?

un lien mystérieux avec le passé d’un héros

2

sont malades ou blessés

un danger naturel : gaz, lave, chutes de pierres

3

sont en train de perdre un combat

une sortie, un passage secret, un portail

4

sont aux ordres d’une force extérieure

un objet magique ou une malédiction

5

font quelque chose d’inattendu

une énigme ou un événement surnaturel

6

viennent de repousser une attaque

reliefs d’un combat récent

• Répétez les étapes 3 à 6 jusqu’à avoir assez de salles. • Prenez du recul pour intégrer le donjon à l’univers et à la campagne. • Faites les ajustements du plan, notez les détails. • Composez une table de rumeurs.

DONJON

Table B. Usages des salles (couleur de la carte)

II L’ANIMATION : LES BASES

ENSEIGNER UN JEU



T

out MJ est tôt ou tard confronté à l’envie de découvrir, et à celle de faire découvrir de nouveaux horizons  : cela peut être dû au désir d’essayer le nouveau jeu qu’il vient de se procurer, à la lassitude des joueurs après la énième campagne dans le même contexte, ou tout simplement pour commencer à maîtriser. Autant de circonstances qui vont généralement pousser les meneurs à vouloir s’approprier très vite un nouvel univers, et à trouver une manière de donner à leurs joueurs le goût de s’y aventurer. Or, la tâche n’est pas forcément simple. Entre la lecture du livre de base, la préparation d’un scénario, la création des personnages, même un MJ expérimenté peut vite être débordé, ou même découragé. Ce n’est guère étonnant quand on pense que la plupart d’entre eux jouent essentiellement à une poignée de jeux fétiches et qu’ils sont donc potentiellement aussi perdus qu’un débutant lorsqu’ils en essaient d’autres. L’objectif de cet article est de fournir quelques pistes afin de faciliter ce travail de préparation, et quelques conseils sur les pièges à éviter lors de ce genre de parties. Même si on part du principe que l’article s’adresse à un MJ découvrant un nouveau jeu peu avant ses joueurs, certains conseils restent tout à fait valables pour un MJ qui souhaite présenter une ancienne perle ou son jeu favori à une nouvelle table de joueurs. Bien entendu, la problématique peut être très différente selon le jeu, le MJ et les joueurs. Livre de règles de 500 ou 32 pages, contexte connu ou totalement original, joueurs débutants ou aguerris, voilà autant de paramètres qui vont venir modifier

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ENSEIGNER

Thomas Robert

votre angle d’attaque. Cela dit, l’approche proposée ici se veut à peu près générique, et l’article tentera de l’illustrer par des exemples concrets basés sur des jeux du commerce.

Préparation : de quoi traite le jeu ? En quoi le jeu est-il spécial ? Lors de la découverte d’un nouveau jeu, la première lecture ne doit surtout pas s’attarder sur des détails. Votre objectif, en tant que MJ et lecteur, doit être d’en isoler les grandes lignes. Votre objectif n’est pas – encore – de devenir un spécialiste du jeu, mais de saisir son essence et sa mécanique de base. Pour cela, nous vous proposons une fiche de synthèse très simple p. 105 qui vous permettra, en quelques questions, de tracer les contours d’un jeu. Définir la thématique principale

L’un des objectifs de la première lecture est de définir la ou les thématique(s) du jeu. En ce qui me concerne, j’utilise généralement un des quatre grands thèmes suivants. Ils permettent de couvrir une large majorité de jeux : • le jeu d’action ou d’aventure. Les personnages explorent des contrées inconnues et vivent plus que leur part d’aventure et d’action, souvent sous forme de confrontations plus ou moins violentes ; • le jeu d’investigation ou jeu « à missions ». Le groupe de personnages est réuni par un destin commun ou une instance supérieure qui leur fournit une ou plusieurs « missions », bâties généralement sur un modèle similaire, et qui visent la plupart du temps à élucider un mystère ou à résoudre une enquête ; • le jeu d’intrigue ou jeu « à storyline ». Le jeu est basé sur une chronologie d’événements inconnue des joueurs, mais à laquelle ils sont confrontés au cours de leurs aventures, démêlant peu à peu l’écheveau des intrigues ; • le jeu d’ambiance. Le jeu vise à instiller une ou plusieurs ambiances particulières et à explorer cet aspect en particulier : horreur, peur, humour, folie, séduction, etc. Bien entendu, la plupart des jeux sont à cheval sur plusieurs de ces thématiques. Évidemment, c’est caricatural et un peu réducteur. Mais, lors de la première lecture, votre objectif n’est pas de faire une critique approfondie du jeu ou d’en saisir toutes les subtilités. Vous devez trouver une sorte de ligne directrice qui vous guidera et induira certaines scènes typiques : ainsi, un jeu d’action sera souvent centré autour de scènes de confrontation ou de poursuite, un jeu d’investigation autour de scènes d’enquête ou de collecte d’informations, et un jeu d’intrigue autour de scènes de dialogues ou de négociation. Repérer la thématique principale du jeu vous permettra de savoir quel type de scènes privilégier au moment du choix d’un premier scénario.

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Exemples de thématiques Jeux d’action et d’aventure : D&D, Earthdawn, Star Wars, Firefly1, Warhammer, L’Anneau unique, Qin, Pavillon noir, etc. Jeux « à missions » ou d’investigation : L’Appel de Cthulhu, INS/MV, Shadowrun, Spycraft2, Paranoïa3, etc. Jeux d’intrigue ou « à storyline » : World of Darkness, C.O.P.S., L5A, Nephilim, Polaris, Le Trône de Fer, Trinités4, etc.

Cette catégorisation est tout à fait arbitraire, et les exemples cités ne servent qu’à illustrer le type de jeux qui peuvent se retrouver dans chaque genre. Toutefois, il est entendu que la thématique par défaut d’un jeu n’a pas forcément de lien direct avec son application réelle lors d’un scénario ou d’une campagne. Mais pour l’heure, il s’agit de penser à la toute première partie avant d’envisager une campagne de longue haleine, et pour une première séance, il est préférable de rester dans le canon que prévoit le jeu.

(Re)Définir le genre

En plus de la thématique du jeu, il est essentiel de bien saisir à quel genre il appartient, ou quel est celui qu’il tente de retranscrire. Chaque genre ou sous-genre véhicule des codes et des habitudes avec lesquels il faudra vous familiariser. Mais si nombre d’univers, tant en fantasy, en fantastique qu’en science-fiction, se ressemblent, ils dégagent aussi une atmosphère et une saveur particulières. Il en est de même en JdR. De nombreux jeux se ressemblent, sans être forcément interchangeables. Au moment d’en faire découvrir un nouveau, il vous faut donc repérer les signes distinctifs et les particularités de l’univers, au même titre que celles du système de jeu, afin de les restituer à vos joueurs. Prenons le cas de l’heroic fantasy. Dans de nombreux univers de ce genre, le scénario type pourrait avoir la forme suivante : les héros sont présents dans un lieu spécifique, lorsqu’une menace apparaît. La population fait alors appel à eux pour contrer cette menace, qu’il s’agisse d’une bande de gobelins ou de voleurs, d’un mage maléfique ou encore d’une meute de loups sanguinaires. Imaginons maintenant des scénarios de

1. Banks Cam, Chalker Dave, Conway Brendan, Gilbert Dean, Leland Chris et autres, Firefly, Margaret Weis Productions, Williams Bay, 2014. 2. Carman Shawn, Crow Steve, Fish Sean Michael, Flory B. D., Gearin Scott et autres, Spycraft, Alderac Entertainment Group, Ontario, 2002. 3. Costikyan Greg, Gelber Daniel Seth, Goldberg Eric, Rolston Ken, Paranoia, West End Games, Honesdale, 1984. 4. Guéant Claude, Plasse Franck, Trinités, Les XII Singes, Saint-Didier-au-Mont-d’Or, 2006. 5. Care-Boss Emily, Breaking the Ice, Black and Green Games, Plainfield, 2005.

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ENSEIGNER

Jeux d’ambiance : Within, Sombre, Vermine, Patient 13, Breaking the Ice5, etc.

découverte reprenant un modèle similaire, mais qui cherchent à montrer les spécificités de quelques univers de fantasy bien connus. Dark Sun1 propose un monde axé sur la survie dans un contexte désertique. Il est donc possible de commencer le scénario dans un caravansérail, dans une oasis en plein désert. La menace qui pèsera sur l’endroit est le tarissement de la source d’eau. L’origine de cette menace est un groupe d’elfes qui ont été bannis et ont détourné la source souterraine en employant une magie interdite. Warhammer2 est un univers sombre et sordide, où les personnages débutent tout en bas de l’échelle sociale et héroïque, et où les notions de Chaos et d’Ordre ont bien plus d’importance que le Bien et le Mal. On peut donc imaginer un groupe de personnages vivant dans les bas-fonds d’une cité de l’Empire. Le cimetière local a été pillé et plusieurs tombes profanées. Le gardien du cimetière, une connaissance des personnages, leur demande d’élucider cette question et d’empêcher d’autres profanations. La menace est celle d’un groupe de trafiquants de cadavres, mais la réelle origine des dégradations est la faculté de médecine de la ville qui s’approvisionne ainsi en corps afin de mener ses expériences et démonstrations. Dernier exemple, Eberron3 a ceci de particulier qu’il accorde une grande importance, dans la vie quotidienne, à la magie. Les personnages pourraient donc se trouver à bord d’un navire aérien ou du train magique. La menace est celle d’agents d’une maison concurrente qui cherchent à saboter le véhicule pour causer sa destruction. Aux personnages de contrarier leurs plans pour sauver leur vie et celles des autres passagers. Définir l’axe de découverte

Une fois l’univers défini dans ses grandes lignes, il est important de discerner le type de personnages que le jeu propose d’incarner. Pour certains JdR, il est évident ou décrit en détail : dans Shadowrun4, les PJ sont des runners qui travaillent dans l’ombre de grandes corporations qui dirigent le monde, dans Pavillon noir5, ce sont les membres d’un équipage pirate, dans C.O.P.S. un groupe de flics travaillant dans le même commissariat, etc. Dans d’autres univers, le choix peut être plus large ou moins clairement expliqué : c’est le cas par exemple dans de nombreux jeux d’aventure où les personnages sont fréquemment définis comme « des héros de légende », mais qui laissent une certaine latitude quant à leurs actions réelles. Dans Star Wars, ils pourront 1. Brown Timothy, Denning Troy, Dark Sun, TSR, Lake Geneva, 1991. 2. Ansell Bryan, Bamba Jim, Davis Graeme, Gallagher Phil, Halliwell Richard, Johnson Jervis, Merrett Alan, Priestley Richard, Vernon Paul, Warhammer Fantasy Role Play, Games Workshop, Nottingham, 1986. 3. Baker Keith, Decker Jesse, Donais Michael, Finch Andrew J., Slavicsek Bill, Wilson Wyatt James, Eberron, Wizards of the Coast, Renton, 2004. 4. Babcock III L. Ross, Charrette Bob, Dowd Tom, Hume Paul, Lewis Sam, Weisman Jordan, Wylie Dave, Shadowrun, Fasa Corporation, Chicago, 1989. 5. Maroy Renaud, Pavillon noir, Black Book Éditions, Lyon, 2004.

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aussi bien être des héros « militaires » travaillant pour l’Alliance rebelle que des contrebandiers qui tentent tant bien que mal de faire fortune sur la Bordure extérieure. Ces deux types de personnages impliqueront de jouer des parties très différentes, et pourtant toutes deux parfaitement légitimes dans l’univers du jeu.

Pour cela, il vous faut aller encore plus loin et définir également les objectifs des personnages, ainsi que l’adversité : le type d’ennemis rencontrés, leurs motivations et leurs moyens. Là encore, nul besoin de rentrer dans les détails, mais il vous faut une idée générale du rôle des personnages dans l’histoire.

Exemples d’axes de découverte : Vampire Le jeu propose aux joueurs d’incarner une coterie secrète de vampires, généralement mêlés aux intrigues d’un ou plusieurs vampires plus puissants. L’axe de découverte pour ce type de jeu va souvent dépendre de l’expérience préalable de vos joueurs : • avec des joueurs débutants, il peut être intéressant d’omettre la nature exacte du jeu, de le présenter comme un jeu contemporain classique (en fabriquant éventuel­ lement des feuilles de personnage simplifiées), et de proposer un scénario où les PJ vivent leur transformation en vampires, la découverte de leur nouvelle condition et de leurs nouveaux pouvoirs, mais aussi leur première intégration dans diverses intrigues comme des luttes de pouvoir relativement simples impliquant leurs « géniteurs » ; • avec un groupe de joueurs plus expérimentés, cette approche sera moins efficace. Vous pourriez alors opter pour un angle différent, en leur faisant incarner le temps d’un court scénario des vampires plus anciens dans une époque passée (Moyen Âge, xviiie siècle, etc.) et résoudre une intrigue en laissant certains éléments en suspens. Ils créeraient alors leurs véritables personnages : de jeunes vampires du xxe siècle pris dans les rets des conséquences de cette intrigue ancienne. Dans le premier cas, l’axe de découverte est la genèse du vampire. Dans le second, il concerne les conséquences de l’immortalité sur les luttes d’influence.

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Votre rôle, avant la partie de découverte, est de définir avec exactitude l’approche que vous souhaitez adopter au niveau des personnages, l’axe par lequel vous allez faire découvrir le jeu à vos joueurs. Et à ce niveau, il ne faut pas forcément vous en remettre au type de personnages fournis « par défaut » par le jeu. Il vous faut trouver l’axe de découverte qui sera à la fois le plus efficace et le plus simple à mettre en œuvre, en ménageant éventuellement un réel effet de surprise. Efficace, car il vous permettra de montrer certains des aspects les plus représentatifs du jeu. Simple à mettre en œuvre, car il doit vous laisser vous concentrer sur un aspect précis de l’univers et des règles, sans avoir à les maîtriser dans leur ensemble dès le début.

Exemples d’axes de découverte : Pavillon noir Le jeu propose d’incarner un équipage pirate dans les Caraïbes du xviie ou xviiie siècle. Il se veut assez réaliste, et le système de règles peut parfois être intimidant, surtout pour une partie de découverte. • Si vous souhaitez limiter la quantité de règles à appliquer tout en faisant découvrir un aspect important de la piraterie, vous pouvez par exemple opter pour des personnages qui commencent le scénario en Europe avant d’embarquer pour le Nouveau Monde. En cours de traversée, plusieurs événements finissent par mener à une mutinerie. Leur vie de pirates vient de débuter… • Si par contre vous êtes à l’aise avec le système, pourquoi ne pas faire créer à vos joueurs les officiers d’un navire corsaire ? Mais là encore, en chemin, tout ne se déroule pas comme prévu, et les héros se rendent compte que leur capitaine est encore pire que ceux qu’ils pourchassent… À noter que dans les deux cas, l’axe de découverte est sensiblement le même : il s’agit de la genèse d’un équipage pirate. Mais dans le premier cas, le scénario peut être géré en maîtrisant simplement la mécanique de base et une partie des règles de combat. Dans le second, il vous faudra en plus connaître celles sur la gestion de l’équipage et des navires.

Trouver un scénario type

« Scénario type » est le terme consacré pour définir la trame archétypale à laquelle peuvent ressembler la plupart des scénarios d’un jeu. Pour Shadowrun, cela pourrait correspondre aux étapes suivantes : les personnages sont embauchés par un intermédiaire pour une mission louche, ils doivent s’infiltrer dans les locaux d’une mégacorporation pour voler un objet ou des informations, la situation se complique et lorsqu’ils arrivent enfin à livrer le fruit de leur larcin à leur contact, ils s’aperçoivent que celui-ci jouait un double jeu. Naturellement, il est possible de faire bien d’autres choses avec Shadowrun, et cela fonctionne plus ou moins selon les jeux (certains ne s’y prêtent pas du tout, d’autres définissent ce qu’il va se passer dans les règles mêmes), mais cette notion de scénario type repose justement sur une simplification permettant de rapidement identifier le type de parties proposé. Cette notion va nous être très utile car il s’agit maintenant, pour le MJ, de définir en quelques phrases ce que les joueurs vont vivre au cours de leur premier scénario. Une fois l’axe de découverte sélectionné, le scénario type devrait couler de source. Cela reste toutefois une étape à ne pas négliger. Dans certains JdR – notamment les jeux à missions – la structure du scénario type est souvent explicite. Pour d’autres au contraire, aucune aide n’est fournie à ce niveau. Si le livre de base ne comprend aucun scénario d’introduction ou s’il ne vous convient pas, référez-vous aux chapitres de conseils aux MJ. Ils comportent souvent de nombreuses pistes et parfois des synopsis prêts-à-jouer. Les nouvelles peuvent aussi servir de source d’inspiration. 98

Le scénario type se présente généralement sous la forme de quelques lignes au maximum, et tient en trois ou quatre scènes-clés. La majorité de ces scènes devraient naturellement découler de la thématique principale du jeu. Pour chacune, tâchez d’isoler les aspects importants de l’univers ou des règles qu’il vous faudra maîtriser. À titre de « loi » approximative, un scénario type ne devrait pas faire appel à plus d’une ou deux règles spécifiques, en plus de la mécanique principale. Idéalement, chacune devrait être le prétexte à la prise en main d’un aspect du jeu, en débutant par une scène où les joueurs pourront se familiariser avec les règles de base. Débuter par une scène plus complexe, comme un combat, est généralement une mauvaise idée1. Ne voyez pas trop grand. Si, après avoir défini le scénario type, vous vous rendez compte que vous faites trop appel à des règles spécifiques, il est alors préférable d’envisager de couper certaines scènes ou de les simplifier, ou bien encore de limiter les personnages disponibles.

Lorsque vous découvrez ou faites découvrir un jeu, ce n’est pas forcément le bon moment pour proposer un scénario original ou alternatif. Vous pouvez bien sûr tout à fait privilégier la surprise à la découverte, notamment en partant des bases d’un jeu connu, mais souvenez-vous que votre mission ici est avant tout de donner un aperçu représentatif du jeu, et de vous permettre, ainsi qu’à vos joueurs, de prendre en main le système et l’univers. Réservez plutôt l’originalité à des joueurs expérimentés. De même, un scénario d’introduction typique sera souvent assez linéaire. Là encore, l’expérience des joueurs et du MJ peut beaucoup jouer, mais souvenez-vous d’une chose  : lors de la découverte d’un nouveau système ou d’un nouvel univers, certains joueurs peuvent être un peu plus « paralysés » que d’habitude. D’autres exploreront au contraire les limites de leur nouveau terrain de jeu. Il faut après tout que chacun trouve ses marques. Un scénario plus linéaire a l’avantage de guider les joueurs pendant la découverte, en plus de faciliter le processus pour le MJ. Dans tous les cas, gardez en tête que votre objectif n’est pas de montrer toutes les subtilités du jeu à vos joueurs, mais de leur permettre de le prendre en main et, éventuellement, de donner envie d’en savoir davantage. Deux ou trois scènes intéressantes et bien développées valent souvent mieux qu’un long scénario trop imposant.

S’approprier le système et l’univers

Lors de votre première lecture, vous vous êtes déjà familiarisé avec les mécaniques de base du jeu. Il est maintenant temps de vous les approprier. Généralement, elles peuvent être résumées en quelques mots, au pire en quelques lignes. Au besoin, si vous n’avez pas déjà un écran remplissant ce rôle ou que personne ne l’a déjà fait pour vous 1. À ce sujet, consultez également l’article « Commencer », p. 225.

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De l’originalité et de l’ambition

et mis à disposition sur Internet, faites un résumé succinct du système sur une fiche bristol ou dans un document texte. N’hésitez pas à y inscrire d’éventuelles références aux pages où se trouve telle ou telle règle. Là encore, ce qui importe n’est pas tant le détail que la vue d’ensemble : nul besoin de s’attarder sur le bonus qui s’applique à chaque situation. C’est la mécanique générale qui doit être au centre de votre attention, ainsi que les particularités qui font le sel du système, s’il y en a. Ce sont quelques-unes de ces singularités que vous voudrez présenter aux joueurs dans votre scénario d’introduction, en vous arrangeant pour les mettre en avant. Nul besoin non plus d’être exhaustif : gardez bien en tête les scènes de votre scénario, et concentrez-vous sur ce qui est nécessaire pour les faire jouer. Un autre aspect essentiel d’une partie de découverte est de limiter le cadre de jeu au minimum, afin de réduire la somme d’informations et de paramètres que les joueurs – comme le MJ – doivent assimiler. Cela peut être fait de plusieurs manières : limiter l’étendue géographique du scénario, le nombre de PNJ avec qui interagir, réutiliser plusieurs fois le même décor, etc.

Mise en jeu : partager le jeu avec les joueurs À ce stade, vous maîtrisez assez le jeu pour le scénario que vous avez prévu, vous avez isolé ce qui le rend si particulier et ce qui pourrait le rendre attrayant aux yeux de vos joueurs. La séance est planifiée. Reste encore quelques étapes de préparation et à restituer en cours de partie tout le travail déjà accompli. Présenter le jeu aux joueurs

Au moment d’expliquer le jeu à vos joueurs, soyez bref et restez concentré sur la thématique et sur l’axe de découverte que vous avez choisis. Là encore, ne vous perdez pas dans des détails : même s’ils font la richesse du jeu et qu’il n’est pas question de remettre en cause leur intérêt, ils ne feront que gêner la découverte. Celle-ci doit rester aussi progressive que possible. Ainsi, il n’est pas nécessaire de présenter toute l’historique du jeu ou l’intégralité de son univers. Concentrez-vous sur le strict nécessaire permettant de jouer votre scénario et de poser le cadre que vous avez choisi. En termes de mécaniques de résolution, n’expliquez que la principale, qui doit être connue de tous. Vous pouvez également préparer un résumé de présentation d’une page maximum en utilisant par exemple notre modèle de fiche de synthèse (voir p. 105). Si vous pensez avoir une chance qu’ils le lisent avant la séance, envoyez ce texte à vos joueurs et permettez-leur de poser des questions ou de demander des éclaircissements. Lorsque vous leur répondez, là encore évitez l’abondance de détails. Ne fournissez que des réponses en relation avec l’axe de découverte et le scénario prévus ! Une autre alternative est de partager quelques illustrations évocatrices de l’univers du jeu – là encore en restant dans le cadre choisi – et de laisser l’imagination des joueurs travailler.

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Lors de la séance elle-même, ne présentez le jeu que si c’est absolument nécessaire et tenez-vous-en à l’essentiel. Là encore, soyez bref, idéalement une quinzaine de minutes. Vos joueurs sont là pour jouer, et non pour écouter un exposé sur un univers imaginaire. Il est aussi possible de concevoir ou d’adapter le scénario de découverte afin que cette phase de présentation soit minimale, voire inexistante. Faites par exemple correspondre les connaissances des personnages à celles des joueurs, ce qui permet de justifier une phase de « découverte » et d’apprentissage par les PJ eux-mêmes : ils peuvent être fraîchement débarqués, des enfants, amnésiques, etc.

Faire coïncider la découverte de l’univers par les personnages et les joueurs est une méthode rarement originale, mais néanmoins efficace. Elle permet une mise en situation plus rapide et une assimilation progressive du monde. Elle est particulièrement adaptée pour les jeux d’ambiance, à mystères dans un contexte déjà familier, occultes contemporains, historiques se situant dans des périodes connues, etc. Cela dit, il est possible de s’en inspirer pour bien d’autres univers. Avec l’axe de découverte de la genèse des vampires présenté auparavant, un MJ peut simplement décrire l’univers de jeu comme notre propre monde contemporain. Ce même axe peut être utilisé pour d’autres périodes historiques, par exemple en proposant de jouer un groupe de chevaliers au temps des croisades pour du Vampire: the Dark Ages1. Un autre exemple est le scénario Ardanyan’s Revenge pour Earthdawn2 : en présentant un contexte de départ où les personnages débutent en étant complètement coupés du monde, le MJ peut se contenter d’une version très partielle de la description de l’univers et de l’historique. Le bénéfice est double : le MJ y gagne à la fois en temps de préparation et de mise en place, et les joueurs ne se sentent pas « écrasés » par le monde. Reposez-vous toujours, lorsque cela est possible, sur ce qui est déjà connu de vos joueurs : vous leur fournirez ainsi un cadre qui leur permettra paradoxalement d’exprimer le fruit de leur imagination avec plus de liberté.

Créer les personnages

La création de personnage est une étape emblématique du JdR. Pour certains joueurs, il s’agit même de l’une des plus intéressantes, et nombre d’entre eux s’y investissent grandement. Lors de la découverte d’un nouveau jeu, elle peut cependant devenir 1. Bridges Bill, Brucato Phil, Campbell Brian, Chase Trevor, Cliffe Ken et autres, Vampire: the Dark Ages, White Wolf, Stone Mountain, 1996. 2. Babcock III L. Ross, Dowd Thomas A., Gorden Gregory, Kubasik Christopher, Lewis Sam, Mulvihill Michael A., Prosperi Louis J., Weisman Jordan K., Earthdawn, Fasa Corporation, Chicago, 1993.

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Découverte in situ

problématique, voire nocive. Pour une partie de découverte, vos joueurs n’ont probablement pas envie de passer toute la séance à concevoir leurs personnages. Et même dans le cas où vous débutez une campagne, ils apprécieront sans doute de créer leur alter ego définitif après une première familiarisation, tant avec les règles qu’avec l’univers. Plusieurs solutions s’offrent à vous, mais toutes tournent autour d’une même idée : les personnages utilisés pendant une partie de découverte ne devraient pas être conçus de la même manière que ceux d’une partie plus traditionnelle. Ils devraient être plus simples à créer et à prendre en main, quitte à être plus archétypaux. Une première solution est d’utiliser des prétirés. Cela implique plus de travail pour le MJ, entraîne le risque que certains des personnages proposés ne plaisent pas aux joueurs et qu’il y ait des frictions au moment du choix. Cependant, c’est la meilleure solution pour débuter la partie au plus vite sans pour autant s’empêcher d’avoir des personnages avec une certaine complexité. Le MJ peut par exemple glisser des pistes ou des informations dans la présentation du personnage. Elles peuvent être liées à ses connaissances spécifiques, à ses relations avec d’autres PJ ou PNJ, à des pistes ayant trait au scénario, ou bien encore à certains points de règles spécifiques. Ces présentations du personnage et de l’univers peuvent même être réunies en un seul texte. Les joueurs le lisent alors en début de partie et, après quelques minutes, tout le monde est prêt à se lancer dans l’histoire. Une autre possibilité est de choisir un processus de création simplifié, par exemple en utilisant des archétypes. Il s’agit alors souvent d’avoir des « bases » de personnages réduites à leur plus simple expression et ayant un rôle emblématique dans l’univers (le hacker, le samouraï des rues, le rigger ou le ganger dans un jeu cyberpunk ; le pilote, le chasseur de primes, le contrebandier ou le diplomate dans un jeu de space opera). Il ne restera alors qu’à répartir quelques points pour personnaliser le PJ et le rendre unique. De nombreux jeux proposent ce type de création. Quoi qu’il en soit, c’est une méthode qui implique un travail minimal pour le MJ et prend peu de temps, ce qui permet d’entrer dans la partie très rapidement. Toutefois, elle donne généralement des groupes très disparates, difficiles à mettre en scène ou à intégrer de façon crédible dans le cadre du scénario. Enfin, certains jeux et scénarios fournissent une méthode totalement différente, et commencent sans création technique des personnages. Le MJ propose alors aux joueurs de faire quelques choix essentiels qui leur permettront d’en définir les éléments principaux. Ce n’est qu’en cours de partie qu’ils déterminent les capacités réelles et les compétences de leurs personnages. Ainsi, les joueurs peuvent disposer d’un pool (réserve) de points à répartir, et n’attribuent ces points que lorsque la situation l’exige. Cela demande au MJ de créer des situations suffisamment différentes pour que le scénario présente encore un certain « challenge ». Mais cela permet, du côté des joueurs, d’utiliser la partie de découverte pour apprendre les rouages du système et créer un

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alter ego en conséquence. Un jeu comme Hystoire de fou1 poussait cette approche à son maximum, en faisant de cette création décalée une des bases du système.

Les jeux à création complexe Certains jeux proposent une création de personnage très détaillée qui peut souvent durer plusieurs heures (Shadowrun, Pavillon noir, Polaris2, Nephilim3, Rolemaster4, etc.). D’autres font appel à des listes de pouvoirs ou de talents parmi lesquelles faire son choix, ce qui, la plupart du temps, ralentit considérablement le processus (Qin5, Vampire, Earthdawn, etc.). Dans les deux cas, il est inenvisageable de proposer une création normale des personnages avant de faire découvrir le jeu. Pour ce type de JdR, les prétirés ou les archétypes sont des solutions à privilégier.

Une fois la partie lancée, le plaisir de la découverte devrait prendre le pas sur le reste. Comme lors d’une séance normale, c’est à vous de maintenir le rythme, de susciter l’intérêt des joueurs et de permettre au scénario de se dérouler tout en les laissant s’exprimer. Une partie de découverte présente toutefois certaines particularités. Premièrement, lorsque la situation s’y prête, il ne faut pas hésiter à faire quelques rares et courtes parenthèses afin de signaler ou d’expliquer un élément particulier. Il est bien plus aisé, pour les joueurs, d’apprendre un point de règle lorsqu’il est présenté en situation. L’objectif reste de découvrir ce que le jeu a d’intéressant ou d’original. Préférez donc deux ou trois digressions de ce genre en cours de partie à une grosse explication avant celle-ci. Si le découpage du scénario en scènes a été fait pour refléter certains aspects de l’univers ou du système, ces parenthèses s’intercaleront naturellement. D’autre part, il est paradoxalement déconseillé de vous référer aux règles ou aux suppléments. Si vous découvrez également le jeu, les joueurs savent que vous ne maîtrisez pas tous les rouages du système. Ils ne vous en voudront donc pas si vous n’appliquez pas une règle à la lettre. D’autant qu’ils ne connaissent sans doute pas cette dernière eux-mêmes. Si, en cours de partie, un point de règle vous échappe, et que vous n’avez 1. Gerfaud Denis, Hystoire de fou, Nestiveqnen, Aix-en-Provence, 1998. 2. Tessier Philippe, Polaris, Halloween Concept, Paris, 1997. La version la plus récente est la troisième édition publiée par Black Book Éditions. 3. Lamidey Fabrice, Weil Frédéric, Nephilim, Multisim, Paris, 1992. 4. Amthor Terence Kevin, Charlton S. Coleman, Cook Leonard, Fenlon Peter C., Moffatt Stephen E., Neidlinger Bruce R., Ruemmler John David, Shelley Bruce C., Rolemaster, Iron Crown Enterprises, Charlottesville, 1982. 5. Buty Pierre, d’Huissier Romain, Florrent, Neko, Valla Kristoff, Qin, 7éme Cercle, Anglet, 2005.

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En cours de partie

pas prévu de résumé la concernant, improvisez et inventez quelque chose en restant aussi cohérent que possible avec les mécaniques principales. Enfin, il existe toujours un écart important entre un jeu tel qu’il est écrit et un jeu tel qu’il est joué. Ce qui a pu vous apparaître comme une bonne idée sur le papier peut être beaucoup moins pratique en cours de partie. D’autres aspects peuvent ne pas plaire à votre groupe, etc. Dans une partie normale, vous n’hésiteriez sans doute pas à vous adapter et à éluder, ignorer ou modifier les choses qui ne fonctionnent pas ou qui ne vous plaisent pas. Dans une partie de découverte, il est déconseillé de procéder de cette manière. Essayez de rester aussi fidèle que possible au jeu et à l’univers tels qu’ils sont prévus. Si par la suite vous voulez continuer l’expérience, il sera alors temps de commencer le travail d’adaptation.

Conclusion Faire découvrir un jeu n’est pas forcément chose aisée. Toutefois, c’est une tâche qui peut être extrêmement gratifiante lorsque les joueurs prennent plaisir à s’immerger dans ce nouvel environnement et commencent à vous solliciter pour en découvrir toujours un peu plus. Du point de vue du MJ, la plupart des conseils exposés précédemment peuvent se résumer à ces trois règles élémentaires : • ne pas voir trop grand ; • entrer rapidement dans l’histoire ; • dévoiler les choses petit à petit. Et les trois restent subordonnées à la seule loi immuable du JdR : amusez-vous !

Fiche de synthèse : modèle Cadrage Quelle est la thématique principale ? • Le jeu d’action ou d’aventure. • Le jeu d’investigation ou jeu « à missions ». • Le jeu d’intrigue ou jeu « à storyline ». • Le jeu d’ambiance. À quel genre fictionnel le jeu correspond-il ? Qu’est-ce qui rend l’univers « spécial » ?

• Quel est le type de personnages incarnés ? • Quel est l’objectif des personnages ? • En quoi sont-ils différents du reste de la population ? Les PNJ • Qui sont les adversaires potentiels des PJ ? • Quelles sont leurs motivations ? • De quels moyens disposent-ils ? Le système de résolution • Quelle est la mécanique principale ? • Quels sont les modificateurs typiques employés ? • Quelles sont les mécaniques spécifiques les plus couramment utilisées ? (Initiative, combat, recherche d’informations, magie, etc.) • Est-ce qu’il existe une mécanique « d’exception » ? Si oui, laquelle ? (points de Karma, de Destin, de Personnage, etc.)

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Les PJ

Fiche de synthèse : Le Trône de Fer Cadrage Le Trône de Fer est un jeu d’intrigue dans un contexte médiéval-fantastique dur qui pourrait être apparenté à de la dark fantasy, où des familles nobles luttent sans pitié pour leur survie et le pouvoir. L’univers ne propose pas à proprement parler de « héros », et chaque personnage vient avec quelques forces qui lui permettent de survivre, et des faiblesses qui sont sa part d’ombre et peuvent être la source de sa perte. Les PJ Les joueurs incarnent divers représentants d’une même famille noble mineure (chevaliers, aristocrates, érudits, mercenaires, serviteurs). Ils cherchent avant tout à faire prospérer leur famille au sein du grand échiquier de Westeros, et doivent non seulement compter sur leurs compétences, mais également apprendre à devenir maîtres de leur destinée. Cette famille est décrite comme un personnage à part entière, créé de manière collaborative par les joueurs. Les PNJ Chaque journée dans Westeros est une occasion de se faire de nouveaux ennemis : maisons rivales, anciens alliés ayant trahi la famille des PJ, bandits, etc. Tous cherchent à survivre et à prospérer, et leur quête de pouvoir passe nécessairement par l’affaiblissement de la famille des PJ. Il peut s’agir d’autres maisons mineures, mais aussi de maisons plus puissantes, si les PJ viennent à attirer un peu trop l’attention. Le système de résolution La mécanique principale est un Roll & Keep utilisant des dés à six faces. On lance autant de dés que la somme de sa compétence plus une éventuelle spécialité, et on conserve autant de dés que sa compétence. La somme de ces dés est ensuite comparée à une difficulté. La difficulté moyenne est située entre 5 et 10, mais elle peut monter au-delà de 20. Les modificateurs s’échelonnent généralement entre -5 et +5. L’une des particularités du système est de traiter d’une manière similaire tous les conflits, qu’il s’agisse d’intrigues ou de combats. Le résultat s’obtient alors par une série de « passes d’armes ». Le vainqueur final détermine le résultat du conflit et les conséquences pour le perdant. Les PJ bénéficient d’une ressource supplémentaire via les points de Destinée, qui représentent le fait qu’ils auront un rôle à jouer dans l’histoire de Westeros. Les joueurs peuvent les dépenser de manière temporaire pour un effet mineur ou définitivement pour un bonus plus substantiel, voire pour influencer un élément qui serait normalement hors de portée de leurs personnages.

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Fiche de synthèse : « scénario type » pour Le Trône de Fer1 Synopsis Les PJ appartiennent à la famille A dont un des PJ est l’héritier. Ils ont été approchés par la famille B qui veut leur faire une proposition de mariage avec une de ses filles. Les PJ se rendent dans le château de ces derniers pour présenter les futurs mariés et négocier les aspects financiers. Ce que les PJ ne savent pas, c’est que la famille B souhaite en fait marier sa fille à la famille C, et n’utilise cette promesse que pour faire « monter les enchères ». Scène I : chasse à courre

Objectif : installer la situation initiale, et permettre de prendre en main la mécanique de résolution, avec des tests de Chasse (pour faire bonne impression pendant la vénerie), d’Équitation (pour rattraper le cheval devenu fou, et ensuite le calmer), de Vigilance (pour s’apercevoir de la présence de la famille C), etc. Scène II : négociations Après la chasse, durant le festin, les tractations vont bon train. Les représentants de chaque famille essaient de faire avancer leur cause. Objectif : présenter le système d’intrigue. Le vainqueur pourra choisir d’obtenir la main de la mariée, ou de faire en sorte que l’autre famille n’obtienne le mariage qu’à un prix déraisonnable. Dans un cas comme dans l’autre, cela n’ira pas sans provoquer des crispations. Scène III : confrontation Quelle que soit l’issue des négociations, un des membres d’une des familles se sent insulté et provoque un duel. Objectif : présenter le système de combat, en commençant par un affrontement limité à deux adversaires. Mais si la situation dégénère, cela pourrait se transformer en bataille rangée.

1. Kenson Stephen, Lindroos Frein Nicole, Pramas Chris, Schwalb Robert J., Scoble Jesse, A Song of Fire & Ice, Green Ronin Publishing, Renton, 2009. Le Trône de fer, Edge Entertainment, Séville, 2012, pour la V. F.

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Alors que les PJ se rendent au château B, ils tombent sur des représentants de B et de C en train de mener une chasse à courre. On leur propose de se joindre à la traque. Pendant la chasse, le cheval de la promise s’emballe et l’héritier doit tenter de la rattraper.

DÉCRIRE



S

i c’est en grande partie à travers leurs protagonistes que les joueurs appréhendent l’univers de jeu, les perceptions des personnages dépendent essentiellement des descriptions du MJ. C’est aussi la description qui permet de prendre conscience des enjeux ludiques et de la difficulté des épreuves. C’est encore elle qui rend manifeste les conséquences des actions des joueurs, et par là traduit leur influence sur le monde. Décrire est alors bien plus qu’une responsabilité informative : c’est aussi une large part de l’ouvrage narratif, esthétique et même ludique du MJ. Un ouvrage qui se prépare autant qu’il s’improvise, mais qui a surtout pour but d’être ressenti.

Informations, sensations, émotions Parce que le JdR prend place dans un monde imaginaire partagé, il existe essentiel­ lement pour les joueurs – et leurs protagonistes – à travers sa constante description par le MJ (bien qu’une partie de cet univers puisse déjà exister dans l’esprit des joueurs avant même que la partie commence : mondes à licence, ou prenant place dans une période historique connue, époque contemporaine, etc.) Le MJ ne se contente pas d’être « les yeux et les oreilles des personnages » : il doit en réalité transmettre toutes les informations que les protagonistes perçoivent et la plupart des impressions qu’ils ressentent.

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D ÉC R I R E

Sébastien Delfino

Comment sélectionner les bonnes informations ?

Décrivez clairement leur situation Normalement, Les joueurs doivent connaître, à tout moment, la condition de leurs protagonistes : où sont-ils, quand, dans quel état et dans quelle situation selon leurs objectifs. Cet exposé fondamental doit être relatif aux PJ et clair pour les joueurs : le MJ ne leur décrit certes que ce qu’ils peuvent percevoir, mais cela devrait déjà suffire pour que les joueurs puissent prendre des décisions. En dehors des cas particuliers où on cherche justement à amener les joueurs à prendre des décisions avec la contrainte d’une information limitée (en jeu d’horreur, par exemple), les données ainsi transmises devraient notamment suffire pour que les joueurs puissent faire les « bons » choix : il leur revient alors de les identifier mais, pour pouvoir jouer (et donc gagner ou perdre par eux-mêmes), ils doivent en savoir assez pour se décider. Soyez plus pratique que technique, plus subjectif qu’objectif Pour être utile, l’information doit davantage être pratique que technique, notamment « à échelle humaine » : les distances sont ainsi plus tangibles quand on les estime en nombre de pas plutôt qu’en mètres, un adversaire semble plus « présent » quand les PJ lui arrivent à l’épaule que lorsqu’il mesure 2 m 04, et il vaut mieux savoir qu’un véhicule tremble sous votre poids que de compter les boulons qui manquent. Si les détails techniques vous importent, vous pourrez toujours vous y attarder ensuite, lorsqu’un PJ emploiera une compétence ou un objet spécifique. Mais l’essentiel reste de matérialiser le monde selon les actions des PJ et donc les besoins des joueurs. Pour un lieu, faites de la description un itinéraire Un outil est d’abord perçu par la façon dont on le manipule (qu’il tienne au creux de la main, possède des leviers qui grincent ou qu’il alourdisse votre sac), puis par ses effets. De même, la description d’un lieu devrait autant se fonder sur la manière dont on peut y circuler (ou s’y installer) que sur ce que l’on en perçoit : les rayons du soleil révèlent les vestiges grisâtres du temple, dépassant à peine de la végétation où les PJ s’ouvrent un chemin à la machette ; les gravats roulent sous leurs pas et la grande salle en renvoie l’écho ; la cantina est si bondée que l’on a du mal à y lever le coude sans bousculer quelqu’un et qu’il faut crier pour s’entendre… Décrivez par touches successives Au contraire du monde réel qui se manifeste à nous en continu, le contexte imaginaire doit être régulièrement réitéré pour ne pas s’abîmer dans le flou, puis l’oubli. Mais plutôt que de rabâcher les mêmes informations, le MJ a tout intérêt à exploiter les actions des personnages et les changements de l’environnement pour non seulement replacer mais aussi actualiser et détailler ses descriptions, comme le font les conteurs habiles : on profite de ce qu’un PNJ fouille dans sa besace pour rappeler la 110

grande cape que ses gestes dérangent, on détaille le froid et la tuyauterie qui émanent des parois d’acier lorsqu’un astronaute rase les murs du vaisseau. En plus de mobiliser le sens pratique des joueurs (plutôt que de les perdre dans l’abstraction quadrillée héritée du wargame) et de crédibiliser le monde, cette approche concrète de la description est surtout une excellente base pour la développer ensuite dans une direction plus sensorielle, et donc potentiellement plus à même de provoquer des émotions. Comment utiliser les descriptions pour installer une ambiance ?

La description est également un important vecteur d’ambiance et, au-delà de l’exposé pratique, c’est elle qui favorise l’immersion des joueurs en octroyant de l’intensité à la narration, c’est elle qui donne corps à l’univers fictif : plus les personnages ressentent le monde, mieux les joueurs le comprennent et plus ils se comportent de façon cohérente avec lui. Pour projeter non seulement les PJ mais également les joueurs au cœur d’une bataille, il faut donc leur décrire à la fois l’avancée de l’ennemi, les ordres braillés pardessus la cohue, le sang qui pulse dans leurs veines et la morsure des armes1.

Chaque scène peut en fait s’exprimer à travers une multitude de sensations qui vont bien au-delà de l’image et du son. L’odorat est par exemple un sens très instinctif qui provoque chez les joueurs des réactions primales : il participe pleinement à l’évocation de la végétation et des cités grouillantes, il permet de parler de l’odeur de la poudre ou des exhalaisons des machines, il évoque les plaisirs de la table comme les plus vifs dégoûts. Et le nez est déjà annonciateur du palais : tout le panel de ce qui se mange et se boit, mais aussi le goût si particulier du sang, l’amertume des médicaments, le vomi ou l’âcreté des fumées. Le toucher recouvre quant à lui une vaste gamme de sensations trop souvent négligées : non seulement la diversité des textures, mais aussi la solidité d’une structure ou la souplesse d’un mouvement, les variations de température, les déplacements de l’air, le poids des objets que l’on empoigne et celui du barda que l’on trimballe, les vibrations d’un véhicule ou le recul d’un fusil, l’humide et le sec, le gluant et le rêche, le piquant et l’urticant, les sueurs froides et la moiteur étouffante, la douceur d’une caresse ou le choc d’un coup de poing. C’est un contact à la fois direct, immédiat, et qui peut pourtant être anticipé par la vue ou l’ouïe : la pluie sur l’habitacle, l’ondulation de la chaleur ou le bruissement d’une étoffe. Parlez-leur de leurs sensations physiques Plus intime et encore plus viscérale est la grande variété des sensations internes, de l’équilibre aux gargouillements des tripes, en passant par la fatigue, toutes les variantes 1. Décrire avec assez d’évocation «  pour que l’on s’y croie  » est une figure littéraire que l’on appelle « hypotypose » : largement étudiée dans le roman et le théâtre classiques, la notion est particulièrement inspirante pour les MJ.

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D ÉC R I R E

Utilisez tous les sens

du plaisir et de la douleur, les crampes, l’engourdissement, le vertige, l’accélération, la précision et la force des mouvements, la respiration, la perception du temps, les appuis, les postures, l’adrénaline et les battements du cœur… Toutes ces perceptions se combinent alors pour enrichir la description d’une matière tangible, vivante et donc personnelle. Car si le minimum syndical est d’informer, et donc déjà de traduire l’effort, le danger et les récompenses propres au jeu, c’est encore par leurs sensations que les personnages intègrent la fiction. Aussi, après avoir dépassé l’abstraction du virtuel, les sensations décrites doivent concerner les joueurs pour ouvrir la voie aux émotions qui s’y attachent : c’est le regard des PJ qui embellit la ville, c’est la contraction de leur estomac qui manifeste la peur, c’est en entendant des pleurs qu’ils peuvent s’attendrir. Les impressions des personnages créent ainsi un chemin vers le ressenti des joueurs et, par ce biais, le MJ peut alors leur transmettre bien plus que la sensation de leur environnement : en décrivant des points spécifiques de l’univers de façon à impressionner les joueurs, il provoque une atmosphère et fait passer des émotions complexes qui dépassent largement le cadre qu’il dépeint.

Mise en scène Si une histoire est une suite d’événements fictifs, la narration est la manière dont on les raconte. Au sein de la narration, la mise en scène est alors la façon dont sont présentés ces événements, la fenêtre, le cadre par lequel on montre l’histoire : les points de vue choisis (excluant donc tout ce que l’on abandonne au « hors champ »), les éléments sur lesquels on attire particulièrement l’attention, le découpage et l’exposition des scènes, leur rythme, leurs enchaînements, les effets d’annonce et de suspense… Si les joueurs choisissent également les éléments qui vont entrer dans le cadre de cette fenêtre, le MJ décide, au moins en partie, de son orientation. Cette mise en scène va avoir une influence majeure sur les descriptions en conditionnant ce que l’on décrit, quand, comment et à quel point. En JdR, la focalisation est quasiment induite : tout ce qui est perçu l’est a priori par les protagonistes. Le point de vue peut donc être soit « singulier », propre à l’un d’eux (concentré sur les sensations du PJ qui agit), soit suivre le groupe tout entier en focalisation plurielle (lorsque l’on présente le décor ou les situations, mais aussi lorsque l’on décrit un PJ aux autres joueurs). Rien qu’en suivant nos personnages, on va déjà manifester certaines choses, en ignorer d’autres, et donc jouer à masquer ou dévoiler ce qui nous arrange : c’est la base de la mise en scène, et c’est là que l’on fait des choix. Comment « doser » ses descriptions ?

Contrairement à un cinéaste, un MJ n’est pas limité par un budget : il lui suffit de parler pour faire apparaître des créatures improbables ou détruire des décors grandioses. 112

Mais décrire n’est pas pour autant gratuit : cela consomme du temps de parole, donc du temps de jeu, sans compter la répercussion sur le rythme du récit : plus on décrit, plus on ralentit l’action. Il nous faut donc doser, prioriser et répartir nos élans descriptifs, ce qui peut heureusement se faire selon quelques principes simples… Choisissez le bon détail au bon moment Le minimum syndical reste d’informer les joueurs pour qu’ils puissent faire des choix, mais les indications essentielles se contentent généralement d’être énoncées : la porte est fermée, la nuit va tomber. De même, la description s’efface souvent devant l’urgence ou l’intensité de l’action : quand on se fait tirer dessus, on se fiche un peu de l’allure du pistolet. Mais si on est touché, par contre, l’effet peut être assez dramatique pour évoquer des sensations qui vont bien au-delà de la perte de points de vie.

Heureusement, la description des situations n’a pas besoin de tout représenter avec la même précision : comme par un effet de focale photographique, une description peut parfaitement faire ressortir un élément avec un luxe de détails tout en laissant le reste de la scène dans un flou purement indicatif. C’est même bien plus facile à faire à l’oral qu’en triturant un objectif : « parmi l’affluence chamarrée de la place du marché, vous remarquez un curieux personnage voûté, drapé comme un épouvantail dans une capeline informe. Ses yeux caves vous scrutent intensément depuis les ombres de son capuchon ». D’ailleurs, si décrire peut ralentir le récit, une partie de JdR connaît en fait nombre de moments calmes qui sont autant d’occasions de détailler le monde autour des protagonistes. Les scènes de transition ou de repos (bivouac, soins…), les déplacements, les dialogues, l’investigation et la quête d’informations en général (recherche en bibliothèque, pistage, perquisition, archéologie, orientation…), le bricolage et la préparation (de la pose de pièges aux réparations d’astronef ) sont ainsi autant d’interactions propices à la description des lieux, des personnages ou du matériel qu’elles concernent. Braquez le projecteur sur ce qui intéresse les joueurs et singularisez vos descriptions En agissant, les joueurs vont fréquemment orienter les perceptions de leurs PJ vers ce qui les intéresse, donc attirer d’eux-mêmes le cadre de cette « fenêtre descriptive » sur leurs actions et ainsi participer activement à la description de l’univers. Ces descriptions, qui répondent aux choix ou aux questions des joueurs, sont bien souvent faites à la volée (ce qui n’empêche pas de les préparer, comme on le verra plus loin), mais peuvent justement mettre en valeur la singularité des protagonistes en 113

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Le niveau de détail que l’on accorde à chaque élément va ainsi constamment varier selon les priorités de la narration  : ne mentionner que l’essentiel lorsqu’il s’agit de soutenir l’action, ajouter des sensations pour donner du poids à ses conséquences ou pousser les joueurs à agir, prendre un moment pour poser l’ambiance ou s’attarder franchement pour créer du suspense ou amener une révélation…

décrivant à chacun les détails qui correspondent non seulement à ses perceptions mais à ses intérêts, ses capacités propres… ou ses inattentions. C’est ainsi qu’en gravissant le sentier vers la même forteresse, le guerrier du groupe remarquera ses remparts solides mais insuffisamment gardés et que le clerc verra les tourelles en ogive de la troisième dynastie, alors que le voleur ne s’inquiétera que d’être mal reçu. Rythmez la partie grâce aux descriptions Pour autant, un MJ-metteur en scène ne se contente pas d’être réactif. Que ce soit pour présenter une nouvelle situation, déclencher des événements et donc relancer l’action ou, à son tour, attirer l’attention des joueurs via les sensations de leurs protagonistes, le meneur a tout intérêt à lancer lui-même nombre de descriptions : c’est lui qui révèle la caverne secrète aux explorateurs ou qui annonce qu’une tempête se lève. Et c’est justement quand il a l’initiative de la narration que le MJ peut volontairement ralentir le récit pour laisser davantage de place à la description. Rythmer le récit ne consiste d’ailleurs pas à l’éperonner sans cesse, mais à alterner efficacement les temps forts et les moments calmes. Ne rechignez donc pas à prendre un instant pour imprégner les joueurs d’une ambiance, faire un ralenti esthétique, prolonger le suspense ou même –  par contraste  – préparer le terrain pour une puissante accélération de l’action. Comment enrichir les descriptions ?

Décrivez selon une dynamique progressive Parce qu’elles suivent l’attention – toujours mobile – des protagonistes et qu’il faut leur conférer du dynamisme, nos descriptions gagnent à être progressives  : on décrit les lieux au rythme des explorations, on fait apparaître l’adversité à mesure qu’elle se précise, on campe les personnages au fil de leurs gestes et de leur discours. Au minimum, nos effets de focale et de cadrage nous permettent d’aller du général au particulier ou, à l’inverse, de partir d’un élément frappant pour englober peu à peu tout ce qui l’entoure. On reproduit ainsi le mouvement du regard ou le pic d’attention que provoque un détail saillant et, en mettant justement en scène les changements de leurs perceptions, on implique davantage les PJ tout en animant nos descriptions. Et ce dévoilement progressif a encore bien d’autres usages : il met en valeur le temps en modifiant lentement l’éclairage d’un décor sous les yeux des PJ ou fait monter la tension en empirant rapidement une situation ; notre caméra virtuelle peut glisser le long des façades ou ramper dans les sous-bois pour donner l’impression de parcourir l’espace, les bribes d’une intrigante conversation peuvent émerger et disparaître dans le brouhaha du bal masqué… Mais, surtout, la surprise peut surgir d’une description apparemment tranquille pour provoquer l’étonnement, le rire ou la frayeur.

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Définissez vos objectifs pour savoir quoi décrire, et pourquoi Tout est en fait question d’intention narrative : une fois dispensée l’information nécessaire, que voulez-vous mettre en scène ? Fixer un objectif clair pour chaque description est encore le meilleur moyen de faire des choix cohérents parmi les nombreuses sensations disponibles, tous les points de vue possibles, les effets de cadrage et les axes de progression imaginables. S’il s’agit de soutenir l’immersion dans un univers tangible, appuyez-vous sur l’odorat, les sensations internes ou le toucher (la chaleur, la matière, le poids des choses) et progressez doucement, des informations générales jusqu’aux détails réalistes. S’il faut transmettre la puissance d’une tempête, ballottez justement votre description entre les mouvements er­ratiques du navire, le grondement du ciel, la panique des marins et l’énormité des murs d’eau qui les menacent. Les effets spéciaux, eux, enrichissent grandement les scènes spectaculaires, de la détonation d’un puissant sortilège aux éclats qui accompagnent une fusillade en passant par l’enroulement flottant des liquides en apesanteur. Et si vous voulez émouvoir, préférez au contraire la suggestion véhiculée par l’ambiance globale et l’allusion aux expressions d’autrui, afin de permettre aux joueurs d’investir ce flou de leurs propres sentiments… À ce stade, parce qu’il recouvre à la fois l’attention aux joueurs, le sens de la mise en scène et une certaine rhétorique, l’art de la description pourrait sembler bien complexe à mettre en œuvre. Mais il y a une solution à cela : une belle description, ça se prépare.

Comment préparer des descriptions enrichissantes ?

Si l’on ne se penchera guère ici sur le contenu du monde imaginaire, reconnaissons tout de même brièvement que sa richesse, sa cohérence et son esthétique éventuelles fourniraient des sources d’inspiration bienvenues pour sa description. Le matériel descriptif est bien souvent assez peu fonctionnel dans les livres de JdR. Il ne concerne pas forcément les lieux précis que les PJ vont parcourir. Il faudra donc fréquemment commencer par le développer pour donner de la consistance à ce qui n’est qu’énoncé ou définir la manifestation concrète et substantielle d’un élément dont on ne possède que des caractéristiques techniques… Documentez-vous et trouvez des sources d’inspiration Cet enrichissement de l’univers comme la préparation des descriptions elles-mêmes bénéficient grandement d’un travail de documentation : pour bien présenter quelque chose, il vaut mieux le connaître. Heureusement, le Net regorge d’informations sur tous les sujets que vous voudrez décrire : descriptions textuelles, mise en scène dans le cinéma, ambiance et gestion de l’espace dans les jeux vidéo, par exemple. Inspirez-vous à loisir, et pillez sans scrupules. Mais c’est encore dans vos propres expériences sensorielles que vous pourrez puiser la matière la plus brute, et il existe justement un petit exercice bien utile pour raviver les souvenirs et entraîner votre capacité de représentation.

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Préparation

Projetez-vous Lorsque vous préparez vos parties, prenez simplement le temps de vous projeter : rêvassez à vos histoires, conversez avec vos personnages, promenez-vous mentalement dans vos décors et accordez-vous un moment pour en imaginer l’atmosphère, les angles de vue, les textures et tout ce que vous aurez envie de montrer aux protagonistes. Mettez-vous à leur place, dans les situations que vous leur proposerez : comment les choses vous apparaissent-elles, comment les ressentez-vous  ? Sauriez-vous y ajouter des détails ? Le contexte établi, représentez-vous agissant dans cette scène comme le feraient les joueurs : que percevez-vous alors ? Quels effets, quelles nouvelles sensations produiraient vos tentatives, leur réussite ou leur échec ? Cette gymnastique de scénographie mentale gagne en aisance avec la pratique, mais on en tire bénéfice dès les premières fois : le simple fait d’avoir pris le temps de se représenter les choses aide nettement à les décrire. Comment formuler les descriptions ?

Exercez-vous pour trouver le bon rythme Une fois ces impressions développées par la documentation et la projection, tâchons de les mettre en mots, en commençant par les expliquer simplement (et de préférence à haute voix) : en prenant le temps de formuler clairement ce que l’on a imaginé, on installe le socle de tout ce qui suit… Une fois qu’on a énoncé clairement ce que l’on doit décrire aux joueurs, on organise son exposé selon la progression évoquée plus haut : d’abord pour déterminer dans quel ordre présenter les choses, puis pour se préoccuper du rythme. Sans oublier que décrire ralentit la partie mais sans non plus chronométrer ses interventions, on peut déjà anticiper grossièrement leur durée et donc présenter une grande ville au pas de promenade – les décors et les détails typiques se succédant tranquillement et par conséquent longuement, alors que l’on anime les poursuites par de brèves illustrations faites de phrases courtes et d’images fugaces. Différentes parties d’une même description nécessiteront d’ailleurs différentes durées : mieux vaut passer un moment à installer une atmosphère pour en faire jaillir une surprise, plutôt que de brosser l’ambiance en deux phrases pour délayer son effet dans un luxe de détails. De même, la charge de l’ennemi devrait être traitée plus vite que la sanglante mêlée qui s’ensuit : non seulement parce que les détails n’apparaîtront que de près, mais aussi parce que le combat doit être le centre de l’attention. Choisissez le registre de langue approprié C’est alors qu’interviennent les choix de langue. Au-delà de la conjugaison, quasi machinale tant le présent de narration favorise l’immersion et l’interaction, tout le reste est en fait question de goût. Et parce que les descriptions occupent une grande

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part du temps de parole d’un MJ, son ton, sa syntaxe, son lexique et ses formules participent largement à son « style ». Il n’existe guère de règles en la matière, les inspirations littéraires sont légion et le champ des possibles gigantesque. D’ailleurs, la manière dont on raconte est souvent proche de celle dont on parle au quotidien. Mais si on se préoccupe effectivement de style, on peut déjà formuler quelques notions utiles… D’abord, s’assurer d’être compris est bien plus important que tous les effets oratoires : les choix de vocabulaire, en particulier, devraient favoriser la clarté et l’évocation, plutôt que l’étalage du jargon. Ensuite, différents genres fictionnels impliquent souvent différents langages : la métaphore se prête plutôt à la romance ou à l’introspection, l’humour se glisse dans les détails insolites et les comparaisons, l’action et l’aventure bénéficient d’une expression plus directe et percutante, l’allusion et la sobriété favorisent l’investissement sentimental, la précision technique sert davantage l’enquête que le flou impressionniste… L’évocation est aussi une notion bien utile : parce que nous avons tous la mémoire d’une foule d’expériences sensorielles, faire appel aux souvenirs des joueurs transmet d’une part plus de sensations en moins de mots et, d’autre part, facilite leur investissement émotionnel. Là encore, les sens les plus intimes et les moins intellectualisés sont souvent les plus évocateurs.

S’il peut paraître utile à ce stade d’écrire ses descriptions, il est par contre important de ne pas rédiger  : un MJ n’est ni un écrivain ni un récitant, c’est un conteur qui transmet son propos par une performance orale largement improvisée. Pour conserver une part de spontanéité à cette performance orale autant que pour pouvoir réagir aux actions des PJ, ses descriptions ont tout intérêt à se fonder sur des indications succinctes plutôt que sur la lecture d’un texte formaté : une intention narrative formulée en quelques mots, des listes de noms et d’adjectifs ordonnées selon la progression descriptive choisie, des indications de durée pour éviter de s’enliser, une poignée d’impressions pour les situations les plus récurrentes, des pense-bêtes… Rattacher ensuite ses notes descriptives à chaque événement, lieu, créature, personnage ou épreuve ludique qui le mérite peut alors être aussi simple qu’un Post-it collé à l’écran du MJ ou qu’un feuillet attaché au trombone dans la marge du scénario. Interprétez les descriptions On peut même y ajouter quelques notes d’interprétation, puisqu’il faudra finalement représenter toutes ces descriptions devant un auditoire. Le MJ-conteur aurait alors bien tort de se priver de tous les effets de voix et de gestuelle à sa disposition : le ton, le débit, le volume de son discours participent ainsi à transmettre l’atmosphère d’un lieu ou la tension d’une situation.

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Préparez des supports de description synthétiques et clairs

On peut ainsi énoncer lentement, gravement et en laissant des pauses dans la description d’un lieu désolé et apparemment désert. On peut parler très vite et même crier pour brosser le tableau d’une catastrophe, on pourrait sourire lorsque l’on évoque un personnage charmant, mimer le vent dans les feuillages, baisser la voix pour parler d’une scène intimiste, serrer les dents pour décrire la douleur et prendre une intonation menaçante pour lancer l’attaque du monstre : si l’on veut s’en donner la peine, l’interprétation du monde n’est pas moins du jeu d’acteur que celle des PNJ. Et l’ampleur que l’on donne à ce roleplay attire justement l’attention des joueurs sur l’action autant qu’elle transmet l’émotion. Avec un peu de pratique, toutes ces méthodes permettent de gagner en aisance, deviennent des habitudes et s’intègrent à l’animation globale des parties. La description cesse alors d’être un exercice en soi : elle n’interrompt plus l’action mais y répond du tac au tac, elle se distille dans la plupart des échanges avec les joueurs et trouve son rythme au sein de la narration. Et lorsque le MJ met naturellement en scène un imaginaire dont il est devenu familier, distribuant presque en continu des indications sensorielles, il donne effectivement vie au monde autour des personnages. En faisant sonner les pavés sous leurs pas ou tressauter la mitraillette dans leurs mains, en peignant des couleurs sur les toits matinaux ou en leur nouant l’estomac d’angoisse, on présente aux joueurs un univers non pas seulement tangible mais réactif, une sorte de personnage mutant avec qui interagir.

Interactivité Comment rendre les descriptions interactives ?

Parce que c’est en grande partie le MJ qui fait apparaître le monde devant les joueurs, sa description est un élément essentiel de l’interface du jeu. Et pour que le monde autour des PJ soit véritablement interactif, il faut déjà qu’ils puissent agir sur la manière dont ils le perçoivent… Laissez les joueurs intervenir Leur principal moyen d’influencer les descriptions consiste à orienter l’attention sur ce que les personnages font et ce qu’ils veulent découvrir : qu’ils fassent le guet au coin de la rue ou qu’ils reniflent le contenu d’une fiole, leurs actions génèrent des descriptions. Au minimum, cela devrait modifier la perception de ce qui les entoure, mais il ne faut jamais négliger le caractère ludique de cette interaction qui, dans l’idéal, devrait toujours apporter des informations utiles au jeu : s’ils posent les bonnes questions et cadrent la fenêtre descriptive au bon endroit, des indices apparaissent. Des indices qui ne vont probablement pas suffire à « résoudre » le scénario, mais qui devraient déjà les renseigner sur le monde, ce qu’il contient et la manière dont il fonctionne.

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Solliciter des descriptions est un moyen pour les joueurs d’évaluer leurs actions : peser leurs chances de réussite, chercher des solutions et mesurer leurs résultats. Utilisez la mécanique de résolution C’est d’ailleurs en agissant que les PJ produisent de la description : le décor se déroule parce qu’ils avancent et les détails ressortent parce qu’ils les observent. Mais s’il revient aux joueurs de raconter leurs tentatives, il appartient généralement au MJ d’en décrire les effets, positifs ou négatifs. Au-delà des conséquences techniques, cela signifie que les joueurs peuvent déjà gagner ou perdre au « jeu de la description » : non seulement leurs résultats vont leur rapporter ou leur coûter de l’information (les indices qu’ils ratent, les fausses pistes, les erreurs de jugement…), mais ils vont aussi produire des sensations plaisantes ou douloureuses et une mise en scène flatteuse ou accablante.

C’est d’ailleurs dans l’action que la singularité des protagonistes peut davantage s’exprimer. D’abord, comme on l’a dit, en s’appropriant le cadre de notre fameuse fenêtre descriptive, mais aussi parce que les effets de leurs capacités vont encore davantage conditionner leurs perceptions : le personnage qui emploie sa compétence Psychologie devrait ainsi accéder à des impressions et donc des indices différents de celui qui possède des yeux cybernétiques. Ces particularités devraient d’autant plus influencer la description de leurs réussites et de leurs échecs puisque, en orientant leurs personnages à la création, les joueurs indiquent assez clairement ce qu’ils attendent de la narration : autant le mettre en valeur. Comment jouer avec les descriptions ?

Semez des indices dans vos descriptions La part de jeu qu’offrent les descriptions prend une ampleur toute particulière dans les parties qui mettent l’information spécifiquement en valeur : les jeux d’enquête, bien sûr, mais aussi la diplomatie, le combat tactique, l’intrusion, la survie… En recourant largement à l’allusion comme en dispersant les indices à travers les différentes perceptions des PJ, on va alors reporter une part du jeu sur l’attention des joueurs, leur curiosité envers le monde et leur capacité d’interprétation des informations. Ferrez vos joueurs Pour le MJ, il s’agit d’être un peu subtil : on ne communique plus aux joueurs la pertinence ou la signification des informations, on leur dresse un tableau général 119

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C’est ainsi que le PJ qui réussit son jet d’alpinisme y gagne le paysage grandiose visible depuis le sommet, alors que celui qui échoue – même sans tomber – subit la description des parois anguleuses et glacées, de ses membres endoloris et tremblants : le résultat des actions influence la narration et se traduit dans la description.

qui contient des indices plus ou moins ténus et on favorise l’implicite sur l’explicite. La description du campement saccagé ne dira plus qu’il y a « une piste qui s’enfonce à travers les fourrés » mais on glissera seulement, dans le tableau des tentes déchirées et du matériel dispersé, que « la végétation elle-même a été dérangée » ; on ne leur signale plus le manque de conviction de l’informateur, on en fait un portrait plus complet en mentionnant ses hésitations et son regard fuyant. Ce n’est que s’ils remarquent ces détails que les PJ pourront chercher plus loin, obtenir encore plus de description et à nouveau tenter d’en tirer une information de plus en plus précise : la présentation du monde devient le support de nouveaux défis. Qu’on recoure alors aux jets de dés ou que le jeu repose entièrement sur les interrogations et la réflexion des joueurs dépendra bien sûr de ce que le MJ comprend de leurs aptitudes et de leurs intérêts. Mais c’est une notion largement vraie pour l’ensemble du JdR, et un principe fondamental de l’hameçonnage : il est important de connaître ses cibles. L’expérience prouve en tout cas que l’attention aux détails se développe chez les groupes dans lesquels elle est récompensée. Avec la pratique, elle engendre alors un plus grand intérêt pour les descriptions, donc pour le monde imaginaire lui-même.

Conclusion Mentionnons tout de même la part de description qui revient aux joueurs. Que vous jouiez de manière très classique ou vous vous adonniez à la narration partagée1, les joueurs doivent au moins décrire leurs personnages, et ce n’est pas nécessairement limité à l’explication de leurs actions. Une grande part de roleplay réside en réalité dans la description de leur apparence, de leur attitude et de leur comportement, des expressions de leur visage comme de ce qui transparaît de leurs humeurs. En présentant ainsi leurs personnages, les joueurs les intègrent à la scène : ils les placent dans le décor, ils les situent dans l’action, ils réagissent à l’ambiance. Si le MJ les y incite, en évoquant pour eux un monde tangible autant qu’en leur fournissant des occasions, les joueurs peuvent alors participer à la description : se défaire un instant du discours direct, adopter à leur tour un style descriptif et contribuer directement à la mise en scène de leurs aventures. C’est d’ailleurs un effet facilement obtenu en passant symboliquement un élément de décor aux personnages : une canette roule jusqu’à leurs pieds ou un nuage de poussière leur couvre les épaules, et les incite naturellement à décrire leur réaction. Plus la mise en scène sera sensorielle, plus le monde leur paraîtra tangible, plus les joueurs seront intéressés pour partager la description avec le meneur. Et ils généreront par ce biais de la matière descriptive et de l’interaction. 1. À ce sujet, consultez également l’article « Partager la narration », p. 381.

Fiche de synthèse Informations, sensations, émotions Comment sélectionner les bonnes informations ? Décrivez clairement la situation des PJ Assurez-vous que vos descriptions de début de partie répondent aux questions suivantes : • où sont-ils ? • quand ? • dans quel état ? • dans quelle situation ? • quels sont leurs objectifs ? Soyez plus pratique que technique, plus subjectif qu’objectif Pour un lieu, faites de la description un itinéraire Décrivez par touches successives Exploitez les actions des personnages et les changements d’environnement pour replacer mais aussi actualiser et détailler vos descriptions.

Utilisez tous les sens • L’odorat : sens très instinctif et évocateur, utile pour provoquer des réactions primales (dégoût, faim, etc.) • L e toucher : utile pour faire passer des informations sur la matière (texture, solidité, souplesse, poids, vibrations, etc.) et l’environnement (température, vent, humidité, etc.) Parlez-leur de leurs sensations physiques Décrivez les réactions de leur corps : vertige, fatigue, plaisir, douleur, crampes, engourdis­ sement, respiration, adrénaline, battements de cœur, etc. Mise en scène Comment « doser » ses descriptions ? Choisissez le bon détail au bon moment • Pour soutenir l’action : ne mentionnez que l’essentiel. • Pour donner du poids à des conséquences ou pousser les joueurs à agir : ajoutez des sensations. • Pour créer du suspense ou amener une révélation : prenez le temps de poser l’ambiance ou de vous attarder sur certains éléments.

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Comment utiliser les descriptions pour installer une ambiance ?

• Profitez des scènes de transition pour décrire des lieux, des personnages ou du matériel : repos, déplacements, préparation, etc. Braquez le projecteur sur ce qui intéresse les joueurs et singularisez vos descriptions Gardez à l’esprit que vos descriptions répondent aux choix ou aux questions des joueurs. Mettez en valeur la singularité des PJ par des détails qui correspondent à leurs perceptions, intérêts, capacités propres, inattentions, etc. Rythmez la partie grâce aux descriptions N’hésitez pas à lancer des descriptions pour : • présenter une nouvelle situation ; • déclencher des événements et relancer l’action ; • attirer l’attention des joueurs sur un élément particulier. Comment enrichir les descriptions ? Décrivez selon une dynamique progressive Faites apparaître l’adversité à mesure qu’elle se précise. Campez les personnages au fil de leurs gestes et de leur discours. Partez d’un élément frappant pour englober peu à peu tout ce qui l’entoure. Reproduisez le mouvement du regard ou le pic d’attention que provoque un détail saillant. Impliquez davantage les PJ en mettant en scène les changements de leurs perceptions. Définissez vos objectifs pour savoir quoi décrire, et pourquoi Que voulez-vous mettre en scène ? Fixez-vous un objectif clair pour chaque description. Préparation Comment préparer des descriptions enrichissantes ? Documentez-vous et trouvez des sources d’inspiration Projetez-vous Conversez avec vos personnages, promenez-vous mentalement dans vos décors et accordezvous un moment pour en imaginer l’atmosphère, les angles de vue, les textures et tout ce que vous aurez envie de transmettre aux PJ. Mettez-vous à leur place, dans les situations que vous leur proposerez : comment les choses vous apparaissent-elles ? Ajoutez des détails. Le contexte établi, représentez-vous agissant dans cette scène comme le feraient les joueurs : que percevez-vous ? Quels effets, quelles nouvelles sensations produiraient vos tentatives, leur réussite ou leur échec ?

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Comment formuler les descriptions ? Exercez-vous pour trouver le bon rythme Expliquez simplement vos impressions à haute voix. Déterminez l’ordre dans lequel vous allez présenter les choses, à quel rythme, et pour quelle durée. Choisissez le registre de langue approprié Assurez-vous d’être compris, évitez le jargon inutile pour privilégier l’évocation. Utilisez la métaphore pour la romance ou l’introspection. Glissez des détails insolites et des comparaisons comiques pour faire ressortir l’humour. Exprimez-vous de façon directe et percutante pour une scène d’action ou d’aventure. Préférez l’allusion et la sobriété pour favoriser l’investissement sentimental. Choisissez la précision technique pour l’enquête. Préparez des supports de description synthétiques et clairs Ne rédigez pas, notez des indications succinctes.

Rattachez vos notes descriptives à chaque événement, lieu, créature, personnage ou épreuve ludique qui le mérite. Interprétez les descriptions Ajoutez quelques notes d’interprétation adaptées : • parlez lentement et gravement tout en laissant des pauses dans la description d’un lieu désolé et apparemment désert ; • parlez très vite ou criez pour brosser le tableau d’une catastrophe ; • souriez lorsque vous évoquez un personnage charmant ; • mimez le vent dans les feuillages ; • baissez la voix pour parler d’une scène intimiste ; • serrez les dents pour décrire la douleur ; • prenez une intonation menaçante pour lancer l’attaque du monstre. Interactivité Comment rendre les descriptions interactives ? Laissez les joueurs intervenir Faites en sorte que vos descriptions modifient la perception de ce qui les entoure et leur transmettent des informations utiles.

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Gardez une certaine spontanéité et flexibilité pour pouvoir réagir aux actions des PJ.

S’ils posent les bonnes questions et cadrent la fenêtre descriptive au bon endroit, récompensez-les avec des indications utiles sur l’univers de jeu et son fonctionnement. Sollicitez-les pour faire des descriptions. Utilisez la mécanique de résolution Décrivez des effets intéressants lorsque les joueurs tentent de faire une action, qu’ils soient positifs ou négatifs. Faites de la description un jeu : gain ou perte d’information, sensations plaisantes ou douloureuses, mise en scène flatteuse ou accablante, etc. Mettez en valeur leurs singularités en insistant sur la manière dont ils résolvent les actions. Comment jouer avec les descriptions ? Semez des indices dans vos descriptions Ferrez vos joueurs Montrez-leur les informations sans leur communiquer leur pertinence ou leur signification.

IMPROVISER



Alexandre Jeannette

« Ce que vous faites, c’est systématiquement débile, mais c’est toujours inattendu. »

Au commencement…

L’

improvisation est au cœur du JdR : que ce soit dû aux actions des joueurs, à un jet de dés au résultat improbable ou tout simplement à la structure même des règles, tout MJ a un jour été obligé d’improviser. Cela est souvent perçu comme un incident, une exception ou même le résultat d’une erreur de la part du meneur, comme si ce dernier devait être une créature omnisciente capable de prévoir toutes les actions de ses joueurs. Pire, j’ai déjà pu lire qu’un « bon » MJ était celui qui était capable de ramener ses joueurs sur la « bonne voie », celle de son scénario préparé aux petits oignons et qui ne souffrait aucun changement. Cette façon de penser est en partie issue de cette vieille dichotomie entre joueurs « ceux qui s’amusent » et MJ « celui qui bosse » ; d’un côté, ceux qui improvisent face aux situations que leur propose le MJ, de l’autre celui qui prévoit ces situations, de préférence avec une longueur d’avance. En apprenant à gérer l’improvisation et en lui laissant

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improviser

Arthur, Kaamelott, saison 2, épisode 57.

plus de place dans vos parties, vous pourrez découvrir que c’est un espace qui permet justement au MJ de s’amuser et d’être un joueur au même titre que le reste de la table. S’il ne doit en rester qu’un

Mener une partie de JdR partage un point commun avec beaucoup d’autres activités : on s’améliore avec la pratique. Mais pour s’améliorer, il faut partir sur de bonnes bases et savoir respecter certains principes. Sans cela, vous pourrez mener pendant des années sans noter la moindre évolution. Avant d’aborder les conseils et les outils qui vous aideront à improviser, nous allons commencer par établir le principe le plus important qui va servir de base à tout ce qui va suivre : ne dites pas non à vos joueurs. Si le « non » reste une réponse valide face aux demandes illogiques ou stupides (voir encadré ci-dessous), ces dernières sont assez rares et faciles à identifier. Pour les joueurs, les questions aux meneurs sont généralement motivées par l’une de ces trois raisons : • obtenir une information qui peut les aider à prendre une décision ; • obtenir une information qui leur donne un avantage dans un conflit ; • obtenir une information qui leur permette de s’immerger davantage dans l’univers. À chaque fois que vous répondez non, vous risquez donc : • d’empêcher une prise de décision, ce qui va perturber le rythme de la partie ; • de réduire l’intérêt du joueur à chercher des solutions originales ; • d’empêcher le joueur de s’immerger dans l’univers. Généralement, la pierre d’achoppement pour beaucoup de meneurs est le second point : transmettre une information qui donne un avantage dans un conflit. Ce genre de demandes est parfois perçu comme une forme de tricherie, comme une volonté d’éviter les difficultés et de manière générale comme un moyen de se payer la tête du meneur.

Quand dire non ? Tout comme le MJ n’est pas infaillible, les joueurs ne sont pas toujours inspirés et certaines de leurs demandes méritent parfois un « non » retentissant comme unique réponse. Il s’agit des demandes où une réponse positive remettrait en question la logique de l’univers « mon personnage invente la poudre ! » ou le concept du personnage « mon professeur d’histoire médiévale a sûrement des contacts dans la pègre » tels qu’ils ont été définis au départ. C’est pourquoi il est important de bien déterminer l’un comme l’autre avant de commencer à jouer, nous en reparlerons dans notre première partie page suivante.

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Comment dire non : le « non, mais… » Même quand vous dites « non », parce que cela vous a échappé ou parce que vous pensez ne pas avoir d’autre choix, il est encore possible de le faire d’une façon qui ne coupe ni le flot de la partie, ni la motivation des joueurs. Ainsi, vous pouvez en profiter pour leur transmettre une information qui leur permet d’avancer, leur donne un avantage ou leur en apprend plus sur le monde. Par exemple, vous pouvez répondre à notre professeur d’histoire médiévale : « Tu n’as pas de contact dans la pègre, mais peut-être que l’étudiant que tu as fait renvoyer pour possession de drogue, si. Pas sûr qu’il soit content de te voir, par contre ». Dans la mesure du possible, comme un échec (voir p. 133), un « non » ne doit pas amener la partie à une impasse, mais vers un chemin différent.

En finir avec les mauvaises habitudes

À titre personnel, j’y vois les restes de tout un système éducatif qui, pendant notre jeunesse, nous a enseigné que chaque question n’avait qu’une seule et unique réponse et que d’autres approches étaient hors sujet (et donc pénalisées), et que le travail en équipe était de la triche. « Vous ne pouvez pas le conseiller, vos persos ne sont pas là ! » Qui n’a jamais entendu ou prononcé cette phrase au cours d’une partie ? Comme nous l’avons dit plus haut, il peut être nécessaire de brider la créativité des joueurs quand elle va à l’encontre de la logique qui sous-tend la partie, mais dans le cas contraire, essayez plutôt d’accompagner le mouvement.

Quand vous répondez par la négative aux questions des joueurs, quand vous ne rebondissez pas sur leurs actions ou leurs décisions, vous privilégiez votre imaginaire par rapport aux leurs. Vous n’avez plus des joueurs, mais un public. Ce n’est pas cette approche que nous allons privilégier ici. Alors même que l’improvisation est au cœur du JdR, elle est souvent considérée comme un cas « extrême » ou « limite », un genre de sanction pour le meneur qui ne se serait pas assez préparé. Il nous semble plus intéressant de la remettre au centre de notre pratique. Improviser n’est pas un art difficile réservé à une petite élite de pratiquants expérimentés. C’est ce qui donne tout son sel à l’activité du meneur, quelle que soit son expérience. Les pages qui vont suivre vont vous donner des conseils et des outils pour vous aider à improviser, mais le principe directeur qui les guide est toujours le même : amusez-vous !

Se préparer à improviser L’improvisation étant, essentiellement, l’art de s’organiser sans préparation antérieure, peut-on réellement se « préparer » à improviser avant la partie ? 127

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Le JdR n’est pas un examen, c’est une activité collaborative. L’improvisation se nourrit de cette collaboration entre joueurs et meneur : chacun donne un support à l’imaginaire de l’autre.

Maîtrise du genre

Selon le genre et le jeu que vous avez choisis (fantasy, space opera, horreur, anticipation, western…), vous devrez apprendre à connaître leurs codes. Car avant de créer, d’étudier et de digérer tout un corpus d’œuvres liées au genre que vous allez mener, il est tout aussi important de connaître la logique du jeu que vous allez utiliser. N’oubliez pas qu’un JdR, même s’il s’inspire d’un genre particulier, ne vise pas nécessairement à l’émuler. D&D1 s’inspire par exemple des éléments les plus superficiels du Seigneur des anneaux2 (groupes constitués de différents peuples, races intrinsèquement mauvaises, etc.) plaqués sur une ambiance picaresque proche des récits de sword & sorcery, notamment ceux de Fritz Leiber (qui met en scène des individus plus motivés par le gain personnel que par la sauvegarde du monde), ce qui donne au jeu une logique bien particulière : la fantasy de D&D n’est pas celle du Seigneur des anneaux pas plus qu’elle n’est celle du Cycle des épées de Fritz Leiber, elle est un genre à part entière. Émulation & inspiration

L’Appel de Cthulhu propose de jouer « dans les univers de H.P. Lovecraft », mais la logique du jeu est celle d’un groupe d’aventuriers « classique » (toutefois moins puissant que ceux de D&D !) qui utilise les univers de Lovecraft comme décor. Ils ne définissent pas pour autant la logique interne du jeu. Le protagoniste de la nouvelle Le Cauchemar d’Innsmouth a dû s’enfuir, mais votre groupe de joueurs peut parfaitement nettoyer la ville au fusil à pompe et à la dynamite. Il ne s’agit pas d’une contradiction : le jeu a ses propres codes qui ne cherchent pas nécessairement à émuler ceux des œuvres qui l’ont inspiré. D’autres JdR, au contraire, tirent leur logique d’une adhésion stricte au genre : des jeux comme Smallville3 ou Sombre4 sont assez emblématiques de cette approche. Le plus important est de savoir quelle approche vous avez choisie. Cela vous permettra de déterminer si telle ou telle demande de vos joueurs doit être ignorée (parce qu’elles contredisent la logique de l’univers ou celle du jeu), et quelles réponses apporter aux autres. La logique de la source d’inspiration n’est pas toujours celle du jeu. Pour reprendre l’exemple d’une partie de JdR inspiré par les œuvres de Lovecraft, quand un joueur demande si on peut trouver de la dynamite à Innsmouth, si vous souhaitez 1. Arneson Dave, Gygax Gary, Dungeons & Dragons, TSR, Lake Geneva, 1974. 2. Note des éditeurs : il existe une polémique parmi les historiens du JdR à ce sujet, notamment alimentée par diverses déclarations de Gary Gygax quant aux liens qu’entretient D&D avec la Terre du Milieu. Aussi, pour certains spécialistes, émuler cet univers était une intention fondatrice et affirmée de la création du supplément fantasy pour Chainmail et de D&D, et non une superposition a posteriori. Au-delà de l’emprunt des créatures, des mécaniques correspondent parfaitement à certains éléments des romans de fantasy ayant inspiré D&D (comme l’alignement chez Michael Moorcock et Poul Anderson, ou la mémorisation des sorts chez Jack Vance). Cela amène à penser que ces sources littéraires, que l’on oppose parfois un peu vite au système, ont eu une influence profonde et durable sur les règles elles-mêmes. 3. Banks Cam, Smallville, Margaret Weis Productions, Williams Bay, 2010. 4. Scipion Johan, Sombre, Terres étranges, 2011.

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émuler le genre la réponse à donner est certainement « non ». Si vous souhaitez suivre la logique d’un jeu comme L’Appel de Cthulhu, « oui » est une réponse parfaitement envisageable. De la même manière, si on se doute bien que le personnage de Conan a peu de chances de mourir (sauf cas exceptionnels), ce n’est pas forcément vrai pour tous les personnages partant à l’aventure dans l’âge hyborien.

Tous les genres à portée de clic Vous pouvez également vous diriger vers un site américain comme TV Tropes (http:// tvtropes.org/), qui regroupe dans chaque genre et sous-genre les stéréotypes et les principes qui les sous-tendent. C’est une source d’inspiration particulièrement intéressante si vous pensez à légèrement modifier ces stéréotypes afin de surprendre vos joueurs. Une femme fatale peut se révéler être une parfaite ingénue, le détective privé peut être corrompu, un policier peut faire preuve d’initiative et le gorille du chef de la mafia est trompettiste à ses heures perdues.

Quelle que soit l’approche que vous avez privilégiée par rapport au genre (émulation ou simple inspiration), la relecture et le visionnage d’œuvres liées au type d’univers que vous avez choisi va vous donner plusieurs éléments qui vous aideront à improviser. Au niveau le plus simple, vous allez pouvoir récupérer des noms de personnages, de lieux, des descriptions… En bref tout l’aspect « physique » d’un univers : vous aurez une idée, même vague, de l’aspect des bâtiments, de la population, du fonctionnement d’une organisation, de la loi, de l’ambiance qui peut régner dans une rue, une ville, etc. Tout cela vous donnera matière à créer des listes de noms, d’ambiances, d’odeurs, de bâtiments, d’accents, de signes particuliers, de conditions climatiques (pour sortir du triptyque beau, nuageux et pluvieux, par exemple1). Certains meneurs en font des cahiers entiers mais si vous n’en avez pas l’habitude, je vous conseille plutôt de regrouper sur une page A4 les listes indispensables pour votre partie. Par exemple, si votre prochaine séance se déroule en milieu urbain, créezvous une table avec une liste de noms de personnages, de professions, de traits de caractère, de bâtiments, d’atmosphères… Si vous voyez trop gros dès le départ, vous risquez de flancher face à la somme de travail requise, en revanche remplir une simple feuille A4 ne devrait pas vous prendre plus d’une demi-heure. De plus, vous aurez beaucoup plus de facilité à utiliser un outil que vous avez créé vous-même qu’en allant piocher ailleurs comme en témoigne la couche de poussière qui recouvre actuellement une partie de votre collection de JdR.

1. À ce sujet, consultez également l’article « Décrire », p. 109.

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L’art de la récup’

Liste de courses Les listes et autres tables aléatoires sont les outils les plus précieux du meneur en pleine improvisation1. Parmi les grands classiques, on trouve bien entendu les listes de noms, de motivations ou d’événements aléatoires. Mais d’autres éléments, souvent oubliés, peuvent se révéler particulièrement utiles pour dépeindre une atmosphère : les odeurs (iodée, pluie, sang, urine, musc, etc.), les sons (foule, caquetage, musique, cris, chants, insultes, pleurs…), les vêtements (en loques, tiré à quatre épingles, tachés de sang, usés mais entretenus…). Il suffit généralement d’un seul élément pour donner aux joueurs une information pertinente. Le but de ces listes n’est pas de noyer les joueurs sous les détails, mais au contraire de les aider à se faire une idée claire de l’univers : le noble qui les reçoit n’est-il pas désargenté ? L’odeur acide que traîne ce professeur de chimie est-elle bien naturelle ? Etc.

Voici un exemple de tableau utilisé pour une partie de D&D. Scénario : La Cité des lycanthropes (ambiance générale : Sparte dans le film 300) Noms masculins Perseus Vasileos Grigor Ioannis Theogen Iospeh

Noms Professions Attitudes féminins Alia Forgeron Curieux Sofia Maître d’armes Arrogant Demetra Historien Illuminé Agni Prêtre Déprimé Elena Soldat Volubile Marilena Enfant-soldat Sérieux

Lieux

Odeurs

Arène École Forge Temple Marché Fontaine

Sang Métal fondu (forge) Musc Sapin Sel (près de la mer) Fleurs (près du temple)

L’art de la récup’, le retour

Le second élément à récupérer dans vos sources d’inspiration est un peu plus subtil : essayez de saisir le comportement de plusieurs personnages. Comment réagissent-ils face au stress, à la manipulation, à la franchise, aux marques d’affection ? Il ne s’agit pas de dresser un profil psychologique complet pour tous les PNJ de votre campagne, mais de voir comment sont dépeints des caractères différents et leurs réactions aux actions (probables) des joueurs. En tant que MJ, n’oubliez pas que vous êtes censé incarner les personnages que les joueurs vont croiser. Lorsque vous serez pris au dépourvu, vous aurez tendance à revenir 1. Vous pourrez trouver ce genre de tables aléatoires sur des sites spécialisés comme The Dungeon Dozen (http://roll1d12.blogspot.fr/) ou dans des ouvrages spécifiques : Crespy Patrice, Les Catacombes de la ville morte, Les XII Singes, Saint-Didier-au-Mont-d’Or, 2015, en français. Bowerbank Gary, Burke Adam, Chandler Rafael, Collins Bill, Deming Mason et autres, Roll XX, Neoplastic Press, 2012, et Ibach Dawn, Ibach Jeff, Pinto Jim, Ultimate Toolbox, Alderac Entertainment Group, Ontario, 2009, en anglais, mais ce dernier est épuisé et ne sera disponible qu’en occasion.

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par défaut à votre propre personnalité1. Si vous êtes soupe au lait et qu’un des joueurs se montre agaçant, le moine pacifiste qu’il vient de rencontrer va soudain lui jeter une table à la tête. N’hésitez jamais à vous taire et à prendre le temps de réfléchir. Ces quelques secondes vont vous permettre de préserver la cohérence de votre univers. Tout comme les joueurs, vous devez essayer de ne pas trahir le concept du PNJ que vous interprétez. En prime, c’est beaucoup plus simple qu’il n’y paraît au premier abord. Voici quelques exemples de profils de PNJ. Ilvanir, émissaire elfe : suprémaciste elfe arrogant S’il est arrogant, on peut partir du principe qu’il réagira très mal à l’intimidation, ne prêtera que peu d’attention aux interventions des non-elfes, mais qu’il pourra éventuellement écouter ceux qui le brossent dans le sens du poil. Vu que c’est un émissaire, il n’aura sans doute pas recours à la violence (mais sera accompagné par des gardes du corps prêts à le faire…). Casey Brown, flic fatigué : idéaliste contrarié et faux cynique Vous savez déjà que Casey ne risque pas de faire des heures supplémentaires pour une enquête sans importance et s’il a affaire à des personnages corrompus (ou qui tentent de le corrompre), il n’aura pour eux que du mépris. Proposez-lui de prendre part à une grande cause, de faire un « vrai » boulot de flic et il vous suivra jusqu’en enfer. Vous pouvez détailler les PNJ davantage si vous le souhaitez, mais avec la pratique quelques mots suffiront amplement.

Quelles que soient les règles utilisées, le genre choisi et l’univers dépeint, le rôle du meneur dans une partie de JdR consiste avant tout à offrir des choix à ses joueurs puis de les confronter aux conséquences de ces choix. • Ces choix naissent d’interactions avec des PNJ. « Vous découvrez que l’inspecteur X est un ripou ». • Ces choix ont un impact sur des PNJ. « Vous faites arrêter l’inspecteur X ». • Les conséquences de ces choix ont un impact sur les personnages des joueurs. « Une partie du commissariat vous considère comme des traîtres ». Donner des choix aux joueurs implique que vous devez être prêt à les suivre… Et non à les devancer. Plus la structure de votre scénario sera rigide, plus vous serez pris au dépourvu si les joueurs décident de suivre une autre voie que celle que vous aviez imaginée. L’improvisation est la clé qui vous permet de donner cette liberté à vos joueurs. 1. À ce sujet, consultez également l’article « Incarner des PNJ », p. 141.

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Il est beau mon scénario, il est beau

Vous noterez également l’emphase placée sur les PNJ  : plus leurs objectifs, leurs motivations et leurs caractères seront définis (et clairs !), plus vous serez capable de vous adapter aux actions des joueurs. Comme vous avez pu le constater plus haut, six mots peuvent suffire.

Pendant la partie Il est maintenant temps d’entrer dans le cœur du sujet : les joueurs sont pendus à vos lèvres mais vous ne savez plus comment enchaîner, c’est le blanc mental. Commencez par respirer avant de parler. Prenez toujours le temps de faire une pause pour vous accorder un instant de réflexion. On trouve parfois certains conseils proposant de camoufler ces moments de doute, ou de faire croire que vous improvisez un élément que vous connaissez déjà pour minimiser son importance aux yeux des joueurs. Peutêtre que cela fonctionne à votre table, mais je pense cependant qu’il vaut mieux ne pas chercher à dissimuler tout cela : les joueurs auront ainsi d’autant plus l’impression que le meneur part lui aussi sur des routes inexplorées. Certains d’entre eux sont peut-être des meneurs et savent très bien pourquoi vous faites semblant de regarder dans un livre ou pour quelle raison vous êtes retourné aux toilettes. Et surtout, gardez les points suivants en tête… Comment réagir face… aux choix inattendus des joueurs

En tant que meneur, je chéris les moments où les joueurs parviennent à me surprendre. Cela signifie qu’ils sont suffisamment impliqués dans l’histoire pour chercher des solutions qui sortent des sentiers battus. Un groupe de joueurs qui met ses idées en commun aura toujours une longueur d’avance sur un meneur qui travaille seul. Mais le JdR est une activité collaborative, ce qui signifie qu’en tant que meneur, vous pouvez également profiter des réflexions de vos joueurs. Même s’ils agissent de manière inattendue, ce n’est (généralement) pas pour faire n’importe quoi : ils cherchent une information (pour les aider à prendre une décision, pour obtenir un avantage et/ou pour s’immerger davantage dans l’univers). Cette information est souvent fournie par un PNJ, dans un lieu précis. Vous êtes obligé d’improviser lorsque vous n’avez pas préparé l’information, le PNJ ou le lieu. Ce n’est pas très grave, car les joueurs vous ont déjà fourni tout ce que vous avez besoin de savoir : • l’information qu’ils désirent trouver : n’oubliez pas que les informations font avancer l’histoire car elles aident les joueurs à prendre des décisions. N’improvisez pas toute une scène pour finalement dire aux joueurs qu’ils ne découvrent rien (à moins bien évidemment que ce « rien » ne constitue un indice en lui-même) ; • le PNJ  : ils vous ont indiqué quel type de personnage ils cherchaient (un indic, un vieil ermite alias le Vieux-qui-sait, un armurier, un hacker, etc.). Trouvez-lui 132

un nom, un signe particulier et une motivation sur les listes que vous avez établies avant le début de la partie (ou juste au débotté) et voilà : votre PNJ est prêt ; • le lieu : là aussi les joueurs ont dû vous indiquer l’endroit où ils souhaitaient chercher et, si vous vous êtes bien préparé en amont (voir la première partie p. 127 et suivantes), vous pourrez décrire n’importe quel lieu de votre univers comme si vous l’aviez prévu six mois à l’avance.

Laisser les joueurs improviser1 Une des options possibles consiste tout simplement à laisser les joueurs décrire la scène dans sa totalité : le PNJ, le lieu et même la manière dont ils obtiennent l’information qu’ils recherchaient. Il ne vous reste qu’à décider du prix de cette information (en termes de temps, de faveurs, de risques, etc.). Vous pouvez également vous contenter de leur poser quelques questions très précises : « Un homme vous regarde intensément, pourquoi ? », « À quoi ressemble-t-il ? », etc. Certains joueurs seront ravis de pouvoir participer ainsi au développement de l’intrigue, d’autres y verront un énorme frein à leur immersion dans l’histoire et leur rôle. N’hésitez pas à demander un retour sur cette technique en fin de partie afin de voir si vos joueurs en sont friands, ou pas.

Comment réagir face… À un jet de dés improbable

Une des meilleures façons de faire face à cette situation reste d’envisager tous les résultats possibles avant que les dés ne soient lancés. L’effet d’une réussite est généralement simple à prévoir : « j’ai touché mon adversaire », « j’ai ouvert la porte », « j’ai convaincu la milice de notre innocence », etc., mais les effets d’un échec semblent parfois plus difficiles à établir. Il suffit pourtant de respecter une règle assez simple : un échec ne doit pas mener la partie dans une impasse. Si, par exemple, un échec empêche les personnages d’obtenir une information vitale pour la suite de l’aventure, ses conséquences doivent être redéfinies. Pour que la partie puisse continuer, il faut que les personnages obtiennent l’information, même en cas d’échec. C’est la technique du «  non, mais…  », les personnages échouent mais ils obtiennent le minimum nécessaire pour faire avancer l’histoire. Notez toutefois qu’un échec doit avoir des conséquences néfastes : les personnages sont surpris par leurs ennemis, ces derniers apprennent qu’ils ont obtenu une information critique, un autre groupe a trouvé l’information avant eux, etc. 1. À ce sujet, consultez également l’article « Partager la narration », p. 381. et « Rendre les choses personnelles » p. 261.

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La toute première règle à respecter face à un système de jeu qui implique du hasard est la suivante : lorsque vous faites reposer l’issue d’une action sur un jet de dés (un tirage de carte, le chifoumi…), vous devez être prêt à en accepter les conséquences, quelle qu’en soit l’issue.

Lorsque les conséquences d’un échec ou d’une réussite sont clairement établies, gérer le résultat de n’importe quel jet se révélera un jeu d’enfant. D’une part le joueur aura toutes les informations nécessaires à sa disposition avant de lancer les dés, et d’autre part le meneur pourra envisager la manière dont l’histoire avancera après le jet de dés. Cela évitera aux joueurs et au meneur de se retrouver dans une impasse suite à un jet de dés malheureux.

Prenez des notes ! Dès que vous créez un PNJ ou un lieu dans le cadre d’une improvisation, pensez immédiatement à le noter ! Cela va vous aider à enrichir votre univers et encore une fois, si les joueurs croisent à nouveau ce même personnage et ce même lieu, ils auront encore plus la sensation que leurs PJ vivent dans un monde cohérent plutôt qu’un décor en carton-pâte. Accordez-vous toujours un moment à la fin d’une partie pour intégrer ce qui s’y est déroulé. Vous y trouverez parfois des éléments qui pourront alimenter la partie suivante : chaque décision des joueurs a des conséquences.

Comment réagir face… À une baisse de rythme

Lorsque la partie semble être arrivée dans une impasse, il faut en identifier la cause : • les joueurs sont-ils paresseux ? N’oubliez pas qu’un meneur n’est pas un clown. Vous n’êtes pas censé porter la partie à bout de bras pendant que les joueurs admirent le paysage et lancent les dés pendant les combats. Cela ne nécessite pas une improvisation mais une discussion sur ce que chacun attend d’une partie de JdR ; • les joueurs sont-ils fatigués ? C’est tout bête, mais parfois une pause ou même un arrêt de la partie peut être bénéfique pour tout le monde. Si vous jouez rarement, cela peut être un crève-cœur, mais l’acharnement ludique ne donne jamais rien de bon ! • les joueurs manquent-ils d’informations ? Faites intervenir des PNJ ou des événements qui pourront les sortir de l’impasse. Cela peut parfaitement prendre la forme d’une attaque-surprise (les ninjas sont un choix indémodable) qui lancera les joueurs sur la piste des commanditaires. Mais il existe également des méthodes plus « subtiles » : un personnage fait un rêve ou reçoit une lettre anonyme, un adversaire retourne sa veste ou s’en prend aux proches d’un PJ, un événement extérieur perturbe le statu quo (émeute, catastrophe naturelle…). Cette méthode présente l’avantage de montrer aux joueurs que le monde qui les entoure est toujours en mouvement. Le désavantage est qu’elle leur laisse penser que le meneur leur donne la becquée. L’introduction de nouvelles informations doit donc toujours requérir une décision de la part des joueurs : ils doivent combattre les ninjas, interpréter leurs rêves, aller à ce rendez-vous fixé par une lettre anonyme, survivre à l’émeute et comprendre ce qui en est à l’origine… évitez en revanche d’improviser un événement aléatoire sans rapport avec le scénario : il vous sera plus difficile d’en conserver des éléments pour votre prochaine partie, et vous n’aurez toujours pas aidé les joueurs à résoudre leur problème.

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Comment réagir face… À l’absence d’une règle ?

Un de vos joueurs se retrouve dans une situation biscornue qui devrait trouver sa réponse dans les règles, mais voilà : vous ne les connaissez pas par cœur (et dans le cas de certains jeux, c’est bien normal) ou la règle n’existe pas. Revenez tout simplement à la mécanique de base du jeu que vous utilisez, fixez les conséquences en cas d’échec et de réussite puis passez à la scène suivante. Selon les règles, les conséquences ne seront sans doute pas les mêmes : diminution d’une jauge dans les systèmes qui fonctionnent sur la gestion des ressources, gain d’un trait négatif dans les systèmes dits « narratifs », etc. Pour improviser en douceur, il est donc recommandé de bien maîtriser la logique des règles que vous utilisez. Exemple : lors d’une partie de D&D, les PJ sont poursuivis par le guet de la ville. Je ne sais plus s’il existe des règles de poursuite. Je décide d’aller au plus simple et m’inspire des jets contre la mort de la cinquième édition : les joueurs font des jets en Dextérité (athlétisme), les premiers à obtenir trois succès échappent à leurs poursuivants, ceux qui obtiennent trois échecs sont rattrapés. Que pourrais-je inventer d’autre ? Je précise qu’un joueur peut sacrifier un succès pour annuler l’échec d’un de ses amis en le soutenant dans la course. Un des joueurs refuse de lâcher son sac de butin ? Il commence la poursuite avec un échec au compteur.

Selon vos habitudes ou votre groupe, il vous sera peut-être difficile d’improviser  : vos vieux réflexes reprendront le dessus quelle que soit votre préparation en amont. N’hésitez pas dans ce cas à vous diriger vers des jeux où les principes que nous avons énoncés ici sont érigés en règles. Le fait que l’improvisation soit incluse mécaniquement dans les règles du jeu pourrait vous aider à mieux les saisir. Le système Gumshoe que l’on trouve dans Cthulhu1 vous aidera pour vos scénarios d’enquête. FATE2 ou Dungeon World, où les choix des joueurs sont placés au cœur des parties, pourront également vous aider. Parfois, de simples accessoires seront utiles pour sortir des sentiers battus (les cartes aventures de Tranchons & Traquons3 ou Pathfinder4, par exemple).

1. Hite Kenneth, Laws Robin D., Trail of Cthulhu, Pelgrane Press, Londres, 2007, Cthulhu, 7ème Cercle, Anglet, 2008, pour la V. F. 2. Donoghue Rob, Hicks Fred, FATE, Evil Hat Productions, Silver Spring, 2002. 3. Jeannette Alexandre, Le Grümph, Cartes du destin, Les Livres de l’Ours, 2009. 4. GameMastery Plot Twist Cards, Paizo, Redmond, 2010, Cartes de rebondissements, Black Book Éditions, Lyon, pour la V. F.

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Les jeux qui peuvent vous aider

Au-delà de la partie Comme vous avez pu le constater, l’improvisation n’est pas un art réservé aux vieux briscards. Elle est au cœur de toutes les parties de JdR : quand vous êtes en train d’interpréter les résultats d’un jet en combat, vous êtes en train d’improviser, lorsque vous interprétez un PNJ qui répond aux questions des joueurs, vous êtes en train d’improviser. Généralement on ne le remarque pas, car à chaque fois on a des lignes directrices assez claires : les règles de combat dans le premier cas, la description d’un PNJ dans le second. Tous les éléments que l’on trouve dans une aventure (intrigue, lieux, PNJ…) répondent tous à une logique très claire : les PNJ agissent selon leurs traits de caractère et leurs objectifs, les lieux sont un moyen de mettre l’accent sur l’atmosphère en reflétant l’attitude des PNJ, ou les événements qui s’y déroulent (un monastère dont l’abbé est corrompu peut très bien être affligé d’odeurs abominables venant des égouts tout proches), l’intrigue s’appuie sur l’histoire des personnages afin d’impliquer davantage les joueurs. Une fois que vous avez saisi la logique qui sous-tend l’ensemble (celle des règles et celle de l’univers), vous aurez beaucoup moins de mal à improviser et cela améliorera vos parties. L’improvisation est ce qui vous permettra de faire ressentir à vos joueurs que leurs personnages évoluent dans un monde vivant qui réagit à leurs actions. Quelle place laisser à l’improvisation dans vos créations ?

Lorsque vous planifiez une aventure ou que vous concevez un jeu, il faut laisser une place à l’improvisation du meneur. C’est un exercice compliqué, car l’équilibre entre la surcharge et le manque d’informations est difficile à atteindre. Si l’on se fonde sur les principes que nous avons énoncés plus haut, il existe tout de même quelques leçons à retenir. Si votre jeu s’appuie sur un genre précis, déterminez dans quelle mesure il cherche à l’émuler ou juste à s’en inspirer ? Si je cherche à émuler les récits de Conan le barbare, j’aurai un jeu où la mort du personnage sera rarissime, où son évolution (de voleur à roi par exemple) sera au centre de la campagne et où les personnages des autres joueurs évolueront en parallèle mais pas forcément en groupe. Si je souhaite juste m’en inspirer, j’aurai un jeu qui se déroule dans cet univers mais qui respecte les canons d’un JdR classique : mon personnage peut mourir, travaille en équipe, etc. Montrer au lieu de révéler

Aucune approche n’est meilleure qu’une autre, mais en étant clair sur ce genre de choix, vous aidez déjà le meneur à s’approprier la logique du jeu et de l’univers. Dans le cadre d’une aventure, connaître les motivations d’un PNJ sera plus important que de connaître ses mensurations. Pour la description d’un lieu (qu’il s’agisse d’un empire ou de vestiges abandonnés), l’ambiance qui y règne est plus importante qu’un historique d’une dizaine de pages. Lorsque vous décrivez les ruines d’une cité naine, parlez des

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traces laissées par les griffes des orcs là où se trouvaient des pierres précieuses, parlez des portes et des colonnes qui ont été rongées par le sang acide des trolls. Cela sonnera mieux que « vous savez que cette cité a été envahie par les peaux-vertes en tirli-trentedeux ». Vous écrivez une aventure, pas un guide touristique. Pour faire simple, décrivez les lieux et les organisations comme des individus. Quand un personnage fouille une pièce, il pose une question au lieu où il se trouve et l’objet sur lequel il met la main lui fournit des informations. Les ruines d’un château ne sont pas qu’une toile de fond : on s’y cogne, on s’y met à l’abri du vent, on y hallucine ou on imagine un moyen d’y piéger ses ennemis. Pour que les joueurs interagissent avec des lieux et des PNJ, ils doivent pouvoir les saisir, au sens propre comme au sens figuré.

Un monde vivant1

CONCLUSION La capacité d’improvisation du meneur est souvent l’argument utilisé lorsque l’on compare le JdR sur table à ses versions informatiques. Là où le second suit un script, le premier peut réagir « en temps réel » aux actions des joueurs. Tâchez de vous en souvenir la prochaine fois que vous hésiterez à mener une partie. Une fois que la séance commence plus rien n’est fixé, plus rien n’est sûr : vous allez jouer des rois, incarner des vagabonds, dévoiler une ruelle sordide ou les couloirs d’une station spatiale, vous serez le tonnerre qui vient du ciel et le réconfort qui vient d’un feu de camp. Pour vos joueurs vous serez un guide, un arbitre, tour à tour un ami fidèle et leur pire ennemi. Et ils reviendront, ils vous affronteront, vous trahiront, vous agaceront parfois, mais ils se battront à vos côtés. L’aventure se joue des deux côtés de l’écran, ne l’oubliez pas. 1. À ce sujet, consultez également l’article « Décrire », p. 109.

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La meilleure manière de présenter un monde vivant consiste justement à le considérer et à le décrire comme une créature vivante. Une ville n’est pas qu’un ensemble de bâtiments dont vous décrivez l’architecture, c’est un individu (ou un monstre selon les cités). Elle cache les personnages ou les expose en pleine lumière, elle les égare dans ses ruelles labyrinthiques, dissimule leurs ennemis ou les protège de ses remparts. Plus vous parvenez à personnifier les lieux, les institutions et les PNJ, plus vous pourrez mesurer l’impact que les décisions des joueurs auront sur le monde. L’ambiance d’une ruelle a peut-être changé, l’odeur d’opium du bar que vous avez fait fermer a disparu, les gens sont plus nombreux sur la place du marché, etc. En plus de cela, le thème d’un univers peut vous guider dans vos descriptions : dans celui de Dark Heresy par exemple, le thème fondamental est la corruption. Cette corruption se retrouve dans la vétusté des bâtiments, ou dans l’attitude des PNJ qui cherchent tous à obtenir quelque chose face aux PJ. L’humidité, l’érosion, la rouille et la pourriture sont omniprésentes, les rituels des techno-prêtres et des ecclésiastes sont répétitifs, usés et vides de sens. Cela donnera à votre monde une unité qui permettra à vos joueurs de s’y plonger davantage.

Fiche de synthèse Ne dites pas non à vos joueurs Dites « non, mais », afin de transmettre une information qui leur permet d’avancer, leur donne un avantage ou leur en apprend plus sur le monde. Même si la demande des joueurs est illogique et stupide, « non » ne doit pas amener la partie à une impasse, mais vers un chemin différent. À moins que cela nuise à la cohérence, ne bridez pas la créativité des joueurs, mais essayez d’accompagner le mouvement. Rebondissez sur les actions ou les décisions des joueurs. Se préparer à improviser Maîtrisez le genre Apprenez à connaître ses codes. Connaissez la logique du jeu que vous allez utiliser. Émulation & inspiration Le jeu a-t-il ses propres codes, qui ne cherchent pas à émuler ceux des œuvres qui l’ont inspiré ? Ou au contraire, tire-t-il sa logique d’une adhésion stricte au genre ? Choisissez une approche précise, et adaptez vos réponses pour rester cohérent avec cette logique. N’hésitez jamais à vous taire et à prendre le temps de réfléchir pour trouver une solution qui préserve la cohérence de votre univers ou le concept du PNJ que vous interprétez. L’art de la récup’ Relisez et revoyez les œuvres liées au type d’univers que vous avez choisi pour en tirer plusieurs éléments d’improvisation : • récupérez des noms de personnages, de lieux, des descriptions… • faites-vous une idée de l’aspect des bâtiments, de la population, du fonctionnement d’une organisation, de la loi, de l’ambiance qui peut régner dans une rue, une ville, etc. • f aites-vous une liste de grands classiques : noms, motivations et événements aléatoires. • faites une seconde liste pour dépeindre l’atmosphère : aspect des bâtiments, odeurs, sons, vêtements, accents, signes particuliers, de conditions climatiques, etc. • regroupez ces listes sur une page A4.

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L’art de la récup’, le retour Lorsque vous vous replongez dans ces inspirations, essayez de saisir le comportement de plusieurs personnages pour imaginer leurs réactions aux actions des joueurs. Comment réagissent-ils face au stress, à la manipulation, à la franchise, aux marques d’affection ? Il est beau mon scénario, il est beau Si vous donnez des choix aux joueurs, soyez prêt à gérer leurs conséquences. Ayez un scénario flexible : plus sa structure sera rigide, plus vous serez pris au dépourvu si les joueurs décident de suivre une autre voie que celle que vous aviez imaginée. Définissez les objectifs, les motivations et les caractères des PNJ pour vous adapter aux actions des joueurs. Six mots peuvent suffire. Pendant la partie Comment réagir face… aux choix inattendus des joueurs Demandez-vous le type d’information qu’ils cherchent : sert-elle à prendre une décision, à obtenir un avantage et/ou à s’immerger davantage dans l’univers ? S’ils cherchent une information précise : n’improvisez pas toute une scène pour finalement dire aux joueurs qu’ils ne trouvent rien (à moins que ce « rien » ne constitue un indice). S’ils cherchent un PNJ : ils vous ont indiqué le type de personnage qu’ils voulaient rencontrer. Trouvez-lui un nom, un signe particulier et une motivation sur les listes que vous avez établies avant le début de la partie.

Option possible : laissez les joueurs décrire la scène : le PNJ, le lieu et la manière dont ils obtiennent l’information. Décidez de son prix (en termes de temps, de faveurs, de risques, etc.). Ou alors, posez-leur quelques questions précises. Dès que vous créez un PNJ ou un lieu dans le cadre d’une improvisation, notez-le. Comment réagir face… À un jet de dés improbable Envisagez un maximum de résultats possibles avant que les dés ne soient lancés. Respectez la règle suivante : si un échec doit avoir des conséquences néfastes, il ne doit pas mener la partie dans une impasse. Comment réagir face… À une baisse de rythme Identifiez sa cause : • si les joueurs sont paresseux, discutez de leurs motivations ; • si les joueurs sont fatigués, faites une pause ou arrêtez la partie ;

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improviser

S’ils cherchent un lieu : utilisez votre liste d’atmosphère pour le décrire.

• si les joueurs manquent d’informations, faites intervenir des PNJ ou des événements qui pourront les sortir de l’impasse. Comment réagir face… À l’absence d’une règle Revenez à la mécanique de base du jeu et fixez les conséquences en cas d’échec et de réussite. Au-delà de la partie Quelle place laisser à l’improvisation dans vos créations ? Déterminez des « balises » de cohérence selon l’univers, le genre et le type de jeu. Montrer au lieu de révéler Connaissez les motivations des PNJ plutôt que leurs mensurations. Connaissez l’ambiance d’un lieu plutôt que son historique détaillée. Montrez sans dire : plutôt que de simplement énoncer un événement passé tragique, insistez sur ses conséquences sur le paysage ou les PNJ. Décrivez les lieux et les organisations comme des individus. Considérez le monde et décrivez-le comme une créature vivante, avec ses réactions et ses évolutions selon les actions des PJ.

Incarner des PNJ



Jean-Philippe Jaworski

A

h ! Que monsieur de Beaumarchais eût été un bon maître de jeu !

Hélas, il n’est pas permis à tous les MJ d’être ainsi saisis par leur sujet et de laisser parler avec naturel les nombreux PNJ qu’ils animent en cours de partie. Ou bien le naturel reste sélectif, et tel MJ ne campera que tel type de personnage, et ne donnera toujours pour interlocuteurs à ses joueurs que quelques archétypes récurrents. Comment faire, dès lors, pour conférer de la variété et de la profondeur au personnel nombreux d’une partie de JdR ? Ces quelques pages proposeront des outils pour mieux définir la typologie des PNJ, pour leur octroyer singularité et consistance, et rappelleront quelques principes narratifs afin de leur prêter vie en cours de partie.

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PNJ

« Lorsque mon sujet me saisit, note-t-il dans la préface du Mariage de Figaro, j’évoque tous mes personnages et les mets en situation : “Songe à toi, Figaro, ton maître va te deviner. Sauvez-vous vite, Chérubin, c’est le comte que vous touchez. Ah ! Comtesse, quelle imprudence, avec un époux si violent !” Ce qu’ils diront, je n’en sais rien ; c’est ce qu’ils feront qui m’occupe. Puis, quand ils sont bien animés, j’écris sous leur dictée rapide, sûr qu’ils ne me tromperont pas, que je reconnaîtrai Bazile, lequel n’a pas l’esprit de Figaro, qui n’a pas le ton noble du comte, qui n’a pas la sensibilité de la comtesse, qui n’a pas la gaieté de Suzanne, qui n’a pas l’espièglerie du page, et surtout aucun d’eux la sublimité de Brid’oison. Chacun y parle son langage : eh ! que le dieu du naturel le préserve d’en parler d’autre ! »

I. Typologie des PNJ Il arrive couramment qu’un scénariste ou un MJ attribue intuitivement le rôle et l’importance des PNJ selon la fonction qu’ils doivent remplir au cours du scénario ou de la campagne. Toutefois, il advient régulièrement que le comportement des joueurs trompe toutes les prévisions du MJ et modifie la fonction des PNJ. Il n’est pas rare de voir les PJ se désintéresser d’un PNJ majeur, échafauder des théories ramifiées sur un PNJ complètement secondaire, prendre en grippe un PNJ destiné à les seconder ou se faire corrompre par un PNJ adverse. Si ces infléchissements font partie du plaisir du jeu, ils sont également susceptibles de bouleverser vos plans et peuvent déstabiliser certains MJ. Le but de ces lignes est de fournir certains outils qui permettront de mieux définir l’action des PNJ dans le fil de la partie, et par conséquent de mieux anticiper la nature des relations qu’ils noueront avec les joueurs. 1. PNJ sujets et PNJ objets

Au fil d’une intrigue, un personnage peut adopter deux attitudes face à l’action. Il peut être sujet de l’action. Cela signifie qu’il s’agit d’un personnage actif, qui prend des initiatives : par ses décisions et ses actes, il possède une influence sur l’intrigue. C’est le journaliste qui mène une enquête, l’officier qui lance une offensive, le séducteur qui courtise une beauté, le criminel qui monte un coup. Il peut être objet de l’action. Cela signifie que le personnage est passif, qu’il dispose d’une marge d’action réduite. C’est son existence plus que son action qui influe sur l’intrigue. Il peut s’agir d’une personnalité ciblée par un attentat, du gardien d’un secret, de la star qui enflamme les passions, de l’enfant kidnappé qu’il faut retrouver. Pour prendre un vieil exemple romanesque, dans Le Chevalier de la charrette, Chrétien de Troyes raconte comment Méléagant a enlevé la reine Guenièvre et comment Lancelot et Gauvain se lancent à leur poursuite pour délivrer la souveraine et châtier le félon. Dans ce roman, Méléagant, Lancelot et Gauvain sont des personnages sujets, parce qu’ils se disputent la reine. Guenièvre, enjeu de leur rivalité, est un personnage objet. Il peut bien sûr arriver qu’un personnage soit à la fois, ou successivement, sujet et objet. Dans Le Chevalier de la charrette, le sénéchal Keu est le premier compagnon d’Arthur à affronter Méléagant ; mais sa défaite entraîne sa capture et celle de la reine. Il est donc brièvement sujet mais devient rapidement objet. Quant à Lancelot, sa capture par traîtrise en fait également un objet de l’action, et il ne doit sa liberté recouvrée qu’à la mansuétude de ses gardiens ; mais son emprisonnement ne dure guère, et il n’est donc objet que le temps d’une péripétie. Ces deux exemples témoignent du fait qu’une des deux caractéristiques reste généralement dominante. Quelle est l’utilité concrète de cette distinction dans la création du PNJ ? En fonction de la situation du personnage dans le scénario, on adaptera sa composition.

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PNJ sujet

PNJ objet

Motivation & moyens d’action

Ce qui le rend attractif pour les PJ

Pourquoi agit-il ?

Est-il objet d’un sentiment ? (Amour, haine, vengeance, ambition…) Est-il lié aux PJ par une obligation morale ou familiale ?

Quelle est la force de sa détermination ? Quels sont ses atouts ? Quelles sont ses limitations ?

Est-il l’objet d’un contrat ou d’une prime ? Un mystère le rend-il attirant ?

Dans Le Chevalier de la charrette, Guenièvre est un objet très attractif parce qu’elle cumule les appâts (et les appas) : reine, elle est un enjeu de pouvoir ; belle et galante, elle est un objet de désir ; épouse d’Arthur, elle est objet de prestige. Le romancier a renforcé de surcroît la motivation des deux héros sujets parce qu’elle est la maîtresse de Lancelot et la tante de Gauvain. Adapter le profil du PNJ en fonction de la situation qu’il occupera dans le scénario permet de mieux cadrer son influence et de mieux prévoir l’action des PJ, sans pour autant afficher trop de dirigisme. 2. Opposants, adjuvants, figurants

La critique littéraire définit les actants secondaires des récits comme des opposants et des adjuvants. J’y ajouterai les figurants, qui n’ont guère d’influence sur l’action à proprement parler mais jouent un rôle important dans la profondeur et la couleur de l’univers fictif.

• Tout d’abord, quelle est la nature du différend qui affronte les opposants aux PJ ? Un ennemi possède des raisons personnelles ou sentimentales (fussent-elles nationalistes ou religieuses) à son hostilité contre les PJ ; un adversaire se retrouve dans un parti antagoniste sans pour autant avoir des motifs particuliers contre les PJ. La nature du conflit se trouvera infléchie par cette première précision. • Deuxièmement, il faut définir si l’opposant est sujet ou objet du conflit. Un op­posant sujet est « offensif » contre les PJ : ce peut être un ennemi juré, un rival, un conspirateur… À l’inverse, un opposant objet adopte une attitude « défensive » face aux PJ : il s’agit du monstre de donjon ou du criminel en fuite. La détermination de ce profil oriente profondément la dynamique du scénario : un opposant sujet permet au MJ de relancer sans cesse la partie tandis qu’un opposant objet nécessite plus d’initiative de la part des PJ. 143

PNJ

Les opposants sont les personnages qui font obstacle aux protagonistes. Dans un scénario, ce sont les PNJ les plus importants puisqu’ils entretiennent une situation conflictuelle. D’après un lieu commun bien connu, « c’est le méchant qui fait l’histoire » : plus un opposant est important, plus il convient d’approfondir sa personnalité. Pour concevoir des opposants variés et singuliers, il est opportun de résoudre plusieurs questions.

Types d’opposants

Exemples Activiste, conspirateur Terroriste Gang, bande de brigands

Sujet

Envahisseur, conquérant Prédateur (fonds vautours, tueur en série, vampire, alien…) Service secret Spectre (lié à une hantise) Monstre de donjon Criminel en fuite

Objet

Receleur Secte, communauté autarcique Corporation, syndicat

• Troisièmement, il convient d’avoir une idée précise sur la nature des actions hostiles entreprises par les opposants. S’agit-il d’attaques directes ou indirectes ? S’agit-il d’actions légales ou illégales ? (Un PNJ qui se livre à des manœuvres coercitives mais légales peut pousser les PJ à la faute s’ils sont les premiers à violer la loi au cours du conflit…) Dans quel domaine l’opposant mène-t-il ses opérations hostiles ? Entreprend-il une offensive sur le plan politique, judiciaire, économique, criminel, social, médiatique, militaire, religieux, magique ? Suit-il un plan ? Combine-t-il plusieurs stratégies ? Nature des actions hostiles

Exemples Contre-mesure programmatique ou idéologique Nouveau découpage territorial Contestation constitutionnelle ou légale Élections anticipées

Offensive politique

Dépôt d’amendements Motion de censure Renversement d’alliances

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Délation Contrôle fiscal Dépôt de plainte

Offensive judiciaire

Constitution de partie civile Procédure dilatoire, obstruction légale Appel Licenciement Publicité comparative Prix concurrentiels OPA Débauchage de cadres

Offensive économique

Espionnage industriel Contrôle des matières premières Contrôle du circuit de distribution Rachat de la dette Corruption Intimidation Surveillance illégale Harcèlement Faux témoignage Chantage

Offensive criminelle

Vol Agression Prise d’otage Assassinat

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PNJ

Sabotage

Mise en garde directe ou par tiers interposé Sobriquet dépréciatif Graffitis Calomnies, rumeurs

Offensive sociale

Implication des proches Discrimination Pressions hiérarchiques Campagne de presse hostile Caricatures Offensive médiatique

Enquête sur le passé des PJ (risque de publication sur leurs secrets compromettants) Paparazzade (risque de publication des actions illicites des PJ au cours du scénario) Harcèlement sur les réseaux sociaux Ultimatum, défi Manœuvres de diversion ou d’intimidation Opérations de renseignement Opérations commando

Offensive militaire

Guérilla Tactique de terre brûlée Offensive frontale Accusation d’immoralité Accusation d’impiété Accusation d’hérésie Offensive religieuse

Prêche hostile, agitation des foules Mobilisation de sectes ou de sociétés secrètes Pressions sur le pouvoir civil Investigations secrètes Investigations inquisitoriales

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Renseignement divinatoire Envoûtement, malédiction Offensive magique

Philtres néfastes (y compris philtres d’amour, employés à des fins malveillantes) Nécromancie faisant appel aux ennemis défunts des PJ, hantise Invocation d’esprits, de démons ou de créatures hostiles

• Quatrièmement, il faut fixer le niveau d’antagonisme des opposants. Sont-ils timorés, résolus, intransigeants, fanatiques ? En combinant les réponses à ces diverses questions, on obtient des profils de PNJ opposants très différents, qui permettent de donner une grande variété aux antagonistes des PJ. Les adjuvants sont les personnages qui vont seconder les protagonistes. Informateurs, protecteurs, serviteurs, collègues, amis, alliés, bons samaritains, complices, conjoints, ils peuvent se décliner sous de nombreuses formes. S’ils sont utiles pour assurer une certaine fluidité à l’action, il faut veiller à limiter leurs moyens. Un adjuvant trop efficace frustrera certains joueurs en se substituant à l’action des PJ ; un adjuvant trop serviable pourrait se retrouver exploité par certains PJ peu scrupuleux. Dans ces deux hypothèses, le plaisir du jeu risque de s’émousser en plaçant les PJ en retrait.

Il est hors de question, naturellement, de développer les figurants autant que les autres PNJ. Mais il faut poser quelques repères qui permettront de leur donner une certaine texture. En effet, le figurant contribue à la couleur locale : loin d’être passepartout (le garde, le prêtre, le marchand, le mendiant…), il doit apporter une touche spécifique qui participe à l’originalité de l’univers. Prenons un scénario qui se déroule dans une ville assiégée : le garde est en fait un bourgeois engagé dans la milice, qui se donne des airs féroces mais se révèle plus dangereux parce qu’il est effrayé que parce qu’il est aguerri ; le prêtre, redoutant le pillage de son sanctuaire, anime la défense

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PNJ

Les figurants vivent dans l’univers de jeu mais ne sont pas les principaux acteurs de l’intrigue. Ils sont toutefois essentiels à l’immersion et à la crédibilité du cadre fictif. Un décalage descriptif entre les figurants et les opposants ou adjuvants induit automatiquement de la part des joueurs une sélection des PNJ. Si ce phénomène peut permettre de gagner en efficacité scénaristique (puisque les joueurs restent concentrés sur les PNJ importants), en revanche cela affadit l’univers, car l’essentiel du personnel n’est plus perçu que comme une masse d’utilités sans caractère. Il s’agit au contraire de soigner, sinon tous les figurants, du moins un certain nombre d’entre eux, pour rendre dans un premier temps les PNJ importants plus difficiles à distinguer. Du coup, l’univers de jeu gagne en variété et en profondeur.

par des prêches enflammés, organise des processions, dirige l’hôpital  ; le marchand se transforme en profiteur de guerre, qui spécule sur l’envolée des prix et trafique à travers les lignes pour faire du marché noir ; le mendiant est un réfugié qui a fui devant les atrocités de la guerre, essaie de louer ses bras pour ne pas être considéré comme une bouche inutile mais demeure confronté à l’hostilité de beaucoup d’habitants et se trouve plus ou moins réduit à la délinquance – il peut d’ailleurs être impliqué dans les trafics du marchand… Un nom, un ou deux traits particuliers, un comportement orienté par un profil un peu typé suffisent à donner vie à quantité de PNJ. L’intérêt des joueurs, qui spéculent régulièrement sur la connexion de ces figurants avec l’intrigue principale, fournit souvent des pistes pour broder sur ces épures. 3. Rôles principaux et rôles secondaires

Les repères typologiques qui viennent d’être évoqués restent assez théoriques, mais possèdent leur utilité dans la création des PNJ. Ils facilitent la diversification des profils. Certains MJ auront une préférence pour les PNJ objets (typiquement, un donjon rempli de monstres n’est composé que de PNJ objets qui attendent l’arrivée des PJ) ; d’autres n’emploieront que des PNJ sujets (avec le risque de transformer les PJ en témoins du scénario). Repérer ces tendances permet de les corriger. Varier les profils, combiner les caractéristiques débouche sur la singularisation individuelle du personnel du scénario : diversifier et équilibrer les processus actanciels renforce l’impression de complexité de l’univers, c’est-à-dire sa vraisemblance. Il est évident que ces statuts peuvent évoluer au cours de la partie : les actions des joueurs peuvent largement infléchir le comportement, la fonction et le rôle des PNJ. Par exemple, un PNJ adjuvant trahi par l’un des PJ deviendra un opposant, un adversaire deviendra un ennemi, et un sujet pourra devenir un objet.

II. Épaisseur des PNJ Définir la fonction actancielle des PNJ est une étape importante sur le plan conceptuel, mais ne suffit nullement à donner du corps aux personnages. Il s’agit ensuite de leur insuffler vie, tant dans leur conception que dans leur incarnation en jeu. Le premier principe qui doit régir non seulement leur création, mais leur action, c’est que tout PNJ est un être vivant. Si on ne les traite que comme des utilités narratives, l’univers de jeu perd une grande partie de sa profondeur. Même s’il n’est qu’ébauché, chaque PNJ doit disposer d’un peu de singularité et d’autonomie. Quelques principes de bon sens permettent d’affiner cette caractérisation, même si vous n’êtes pas obligé de tous les appliquer à chaque PNJ : allez au plus efficace, à ce qui va vous aider à transmettre des informations intéressantes et utiles à vos joueurs.

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1. Penser les noms des personnages

Les noms sont essentiels parce qu’ils vont fournir la représentation la plus fréquente des PNJ. Dans ce cas, il est capital de leur accorder une importance spéciale. Le nom d’un personnage synthétise quantité d’informations : c’est un marqueur historique, culturel, religieux, social et familial. Les formes et les usages d’attribution d’un nom varient selon les périodes et les civilisations. Il s’agit d’en tenir compte pour que vos PNJ disposent d’une onomastique (système des noms propres d’une langue ou d’une région) en adéquation avec l’univers de jeu. Les noms seront aussi attribués en fonction du registre dominant que vous comptez donner à la partie : on n’opte pas pour les mêmes noms si on envisage une orientation épique, parodique ou réaliste.

Informations véhiculées par le nom

Usages La forme du nom varie selon les époques. • Les citoyens romains utilisent les tria nomina (praenomen, [prénom] nomen [nom] et cognomen [surnom]), ce qui les différencie du reste de la population (esclaves, affranchis, pérégrins, etc.).

Marqueur historique

• Les sociétés barbares emploient une onomastique allitérative (la filiation est suggérée par l’emploi d’une même racine). • Le Haut Moyen Âge n’emploie que le prénom. • Apparition progressive du patronyme à partir du xii e siècle.

Marqueur culturel

Les personnages portent généralement un nom appartenant à leur aire linguistique. Il peut aussi arriver que des personnages de fiction très populaires soient à la source d’une mode onomastique. (Diffusion des prénoms arthuriens dans la population française à partir de la fin du xie siècle…).

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PNJ

• Prénoms composés à la mode aux xviie et xviiie siècles.

Des familles pieuses donnent souvent à leurs enfants : • des noms divins (Dionysos/Denis ou Hermès dans l’Antiquité, Jesus dans la culture latino-américaine) ; Marqueur religieux

• des noms héroïques (Alexandre, Julien, Romulus dans l’Antiquité) ; • d es noms de saints populaires (Marie, Pierre, Jean, Georges…). • Distinction traditionnelle entre le patronyme sans particule du roturier et le nom à particule de l’aristocrate.

Marqueur social

• L’accumulation des noms à particule signale la présence de nombreux quartiers de noblesse. • L e choix du prénom peut être révélateur d’une classe socioculturelle. (De nos jours, la bourgeoisie donne souvent des prénoms traditionnels à ses enfants ; comparativement, les classes populaires donnent plus de prénoms anglo-saxons.) • Un patronyme composé signale souvent un accident dans l’histoire familiale (divorce, adoption).

Marqueur familial

• Dans le christianisme traditionnel, le prénom était souvent celui d’un parrain ou d’une marraine. • Certains prénoms appartiennent à des traditions familiales et réapparaissent une génération sur deux, voire à toutes les générations.

2. Définir le portrait physique du personnage

Il est inutile de fournir un portrait détaillé. En revanche, il s’agit de définir l’allure générale du personnage et quelques traits distinctifs qui pourront servir de support à sa caractérisation indirecte dans le fil de la narration ; abrégeant ainsi les phases descriptives, cela minimisera les risques de décrochage de l’attention des joueurs. Dans ce portrait, il convient particulièrement de penser la relation qui peut exister entre le corps et le comportement du PNJ : certains déterminismes physiques induisent des traits de caractère ou des habitudes spécifiques. Shakespeare explique l’ambition criminelle de Richard III par une blessure narcissique, le physique contrefait du duc de Gloucester l’ayant incité à se comporter en monstre. À l’inverse, un personnage trop conscient de sa beauté peut développer une certaine suffisance. Enfin, une particularité physique,

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belle ou laide, peut devenir matière à sobriquet et contribuer à l’identité sociale du PNJ. Louis de Guise et son fils Henri furent surnommés « le Balafré » en raison de cicatrices récoltées au combat ; le capitaine François de La Noue fut surnommé « Bras de Fer » en raison de la prothèse qui remplaça son bras perdu au cours de la troisième guerre de religion… 3. Définir le portrait moral du personnage

Une fois encore, il n’est pas utile de se livrer à une analyse psychologique approfondie. Le JdR n’a pas pour but d’étudier les personnages mais de les animer. L’essentiel est de doter le PNJ de quelques traits permettant de le singulariser et d’orienter son comportement. Premièrement, dotons-le d’un tempérament global qui servira de canevas. S’inspirer de l’antique théorie des humeurs peut fournir un outil de création très pratique. On peut ainsi choisir entre un tempérament sanguin (ou jovial), atrabilaire (ou mélancolique), flegmatique (ou calme, voire passif ) et bilieux (ou colérique). Sur cette base, on distribue quelques traits de caractère –  qualités, défauts, névroses  – qui viennent individualiser le PNJ. L’important n’est pas d’en attribuer beaucoup, mais d’en définir une poignée qui soient exploitables en jeu, aussi bien dans le comportement et le langage que dans les motivations du PNJ. Introduire une ou deux contradictions dans le caractère d’un personnage génère souvent une impression de complexité et lui donne plus de profondeur. Il importe également de vérifier que le profil psychologique du PNJ concorde avec sa fonction actancielle. Qui pourrait croire que le duc de Gloucester puisse attendre patiemment que la couronne d’Angleterre lui revienne en héritage ? Non, cet individu bilieux, ambitieux et revanchard est un personnage sujet qui va écarter tous les obstacles pour parvenir au trône et devenir Richard III. À l’inverse, comment la princesse de Clèves aurait-elle pu se lancer dans une aventure adultère avec le séduisant duc de Nemours ? Flegmatique, pieuse et loyale, son profil lui donne certes une grande force morale, mais pour demeurer l’objet de son devoir plus que le sujet de sa passion.

Inutile de se perdre dans une biographie détaillée. En revanche, il est toujours intéressant de poser quelques informations sur le passé du PNJ quand elles sont en relation directe avec l’action du scénario. Elles peuvent éclairer les motivations du personnage, mais aussi fournir des renseignements qui intéresseront les PJ. Car c’est là le plus important : ce qui concerne le passé des PNJ doit être accessible (facilement ou non) aux PJ. Remonter dans le temps grâce à la rumeur, aux légendes, aux enquêtes, fournit toujours une gratification importante aux joueurs et donne plus de consistance aux PNJ dotés d’un passé.

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PNJ

4. Évoquer le passé du personnage

Situation sociale du PNJ

Possibilités

Statut

Esclave, serf Étranger, métèque, minorité discriminée Citoyen, homme libre Aristocrate Niveau de fortune à définir

Situation familiale

Orphelin Intégré à une fratrie Enfant unique Célibataire Marié Veuf Parent ou sans enfant

Fonctions

Vocation, sacerdoce Missions Métier

Obligations

Personnes à charge Activités professionnelles Contrats Honneur (personnel, familial) Passions Conditionnement (idéologique, religieux)

Relations

Obligés Amis Amants Ennemis Concurrents Alliés Subordonnés Supérieurs

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5. Insertion sociale du personnage

Il s’agit de définir, même rapidement, la position sociale du PNJ  : son statut, sa situation familiale, ses fonctions, ses obligations, ses relations. Même s’il n’est qu’ébauché, ce portrait social donne aussitôt au personnage une très grande complexité parce qu’il lui impose un certain nombre de déterminismes corporatistes, familiaux, affectifs et économiques. Croisés avec son portrait moral, ces traits sociaux vont aussitôt singulariser le PNJ et lui conférer une identité individuelle. Dans ce volet de la création, il est particulièrement important de penser les relations que ce PNJ peut avoir avec les autres acteurs du scénario, qu’ils soient PJ ou PNJ. Ce sont ces interactions sociales qui, en alimentant la rumeur, les solidarités ou les inimitiés, vont permettre aux joueurs de circuler au milieu du tissu relationnel de l’univers de jeu. Il ne faut pas hésiter à forcer un peu le trait, à multiplier les liens (qu’ils soient amicaux ou antagonistes) entre les PNJ d’un scénario : cela donne une saveur très romanesque au jeu et confère plus de densité à l’univers. 6. Doter le personnage de motivations

Les motivations sont des informations-clés ; ce sont peut-être les renseignements les plus cruciaux car ils vont déterminer l’action des PNJ même si la partie sort des prévisions du scénario. Ces motivations – sentiments, ambitions, craintes, inhibitions, obligations – sont souvent la résultante d’un certain nombre de caractéristiques définies par le portrait moral, le passé et l’insertion sociale du personnage. Si vous voulez particulièrement développer un PNJ, il convient donc de croiser les quelques informations définies dans chacune de ces rubriques : individuel­lement, elles peuvent rester sommaires, mais c’est de leur convergence que surgiront l’originalité et la profondeur du personnage. Un PNJ dont les motivations sont cohérentes et claires gagne en autonomie : il se prête facilement à l’improvisation1 puisque son action reste orientée par certaines lignes directrices. Complexifier un PNJ revient à lui donner des motivations contradictoires : soumis à un dilemme, un personnage devient plus nuancé et aura un comportement plus partagé qui renforcera l’illusion de son humanité.

La plupart des conseils qui précèdent portent sur la création des PNJ : toutefois, s’il n’est pas incarné de façon efficace, le PNJ le plus fouillé n’arrêtera guère l’attention des joueurs. Au moins deux axes doivent être pensés pour optimiser la présence du PNJ en cours de partie.

1. À ce sujet, consultez également l’article « Improviser », p. 131.

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PNJ

III. Incarner les PNJ en cours de partie

1. La question de la description : comment portraiturer le PNJ en cours de partie1 ?

Deux stratégies sont possibles. La caractérisation directe consiste à dresser le portrait du personnage ou à montrer une illustration qui le représente. La caractérisation indirecte consiste à insérer au fil de la narration un certain nombre d’indices qui permettent de se faire une idée de l’apparence du personnage, ou d’employer une bande-son dédiée qui lui associe une tonalité2. L’intérêt de la caractérisation directe est de poser immédiatement une représentation commune à tous les joueurs ; son inconvénient est de suspendre un moment l’interaction ludique si elle est descriptive. Il est à noter que plus une description en caractérisation directe est détaillée, plus les joueurs risquent de l’interpréter de façon métaludique comme signalant un PNJ important. L’intérêt de la caractérisation indirecte est qu’elle ne suspend pas le jeu ; son inconvénient provient de la dispersion des informations, qui, en fonction de l’attention des joueurs, risque de créer des représentations divergentes du PNJ, ce qui peut ensuite se révéler source de malentendus. Un MJ manipulateur peut très bien jouer sur les caractérisations pour tromper les réflexes de ses joueurs : s’il veut introduire discrètement un PNJ majeur, il utilisera de préférence la caractérisation indirecte ; s’il veut entraîner les joueurs sur une fausse piste, il pourra leur présenter un PNJ secondaire dans une description détaillée en caractérisation directe.

Exemples Les joueurs croisent un nain nommé Skeggiold le Fouisseur dans une auberge. La caractérisation directe du PNJ consistera, avant de traiter ses interactions avec les PJ, à en donner la description suivante : « Plutôt râblé, Skeggiold a le teint couperosé et le nez rougeaud du vieil alcoolique. La barbe mal peignée, le cheveu gras et terne, les ongles crasseux, il porte des vêtements de grosse toile et un solide gilet de cuir. Son piolet de prospecteur pourrait également lui servir d’arme de guerre. » La caractérisation indirecte du PNJ permettra de commencer immédiatement à jouer les interactions avec les PJ, tout en glissant une série de détails plus ou moins descriptifs au fil des échanges. Ainsi, « en raison de sa petite taille, Skeggiold se hisse sur un siège, mais la chaise craque de toutes ses chevilles sous son poids » ; il pourra jeter sans façon sur la table « un piolet de prospecteur qui porte des taches suspectes et aurait pu servir à fendre autre chose que des cailloux » ; plus tard, comme le nain écluse sec au cours de la conversation, le MJ peut glisser que cela « explique son teint couperosé et son nez rougeaud de vieil alcoolique » ; des personnages assis à côté de lui peuvent être incommodés par « l’odeur de sébum exhalée par sa barbe mal peignée et ses cheveux gras » ; quand il s’agit de payer son écot, Skeggiold sort une bourse de « son solide gilet de cuir » et pousse quelques pièces sur la table « de ses doigts aux ongles crasseux ».

1. À ce sujet, consultez également l’article « Décrire », p. 109. 2. À ce sujet, consultez également l’article « Jouer en musique », p. 297.

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La question des discours rapportés : comment donner la parole aux PNJ en cours de partie ?

C’est un axe d’autant plus essentiel que le JdR repose avant tout sur la conversation. C’est à travers leurs échanges avec les PJ que les PNJ prennent vie. Spontanément, MJ comme joueurs vont varier les modalités de discours rapporté, souvent sans autre motif que la fantaisie du moment. Toutefois, en fonction des buts narratifs ou dramaturgiques que l’on sert, certains discours rapportés sont préférables à d’autres. • Le discours direct donne la parole au personnage : il permet au joueur d’incarner à la première personne le personnage de fiction. C’est le discours rapporté le plus plaisant parce que le plus théâtral ; il nécessite en revanche plus d’efforts et prend plus de temps que les autres types de discours rapportés, parce que l’interprétation directe développe souvent tout le caractère phatique et expressif des échanges. (La fonction phatique du langage rassemble tous les messages dont le but n’est pas de transmettre de l’information mais d’établir et de maintenir la communication : formules de politesse, échanges de lieux communs…) • Le discours indirect permet au MJ (ou au joueur) de conserver une certaine distance avec l’énoncé du personnage et de sélectionner ses propos les plus importants : il nécessite beaucoup moins d’efforts d’interprétation, fait gagner du temps, mais efface en grande partie le caractère du personnage. • Le discours narrativisé, qui consiste pour le narrateur (c’est-à-dire pour le MJ ou pour le joueur) à résumer le propos d’un personnage, n’est à employer qu’avec parcimonie, dans le cadre de séquences de jeu intercalaires entre les scènes importantes du scénario. Ce type de discours rapporté est intéressant parce qu’il permet de gagner beaucoup de temps, mais il nuit à l’immersion dans l’univers de jeu.

Le choix des modalités de discours rapporté n’est pas aussi anodin qu’il y paraît. Savoir varier les types de discours, c’est maîtriser le rythme de la partie. « Skeggiold s’écrie qu’il a très soif » n’aura pas le même effet sur les joueurs que « Skeggiold s’écrie : “Barbedienne ! Ce qu’il fait soif, dans cette taule !” » Dans le deuxième cas, en laissant la parole au PNJ, en lui prêtant un propos coloré, un MJ incite davantage les joueurs à renchérir et à ouvrir une séance de roleplay. Dès que le MJ opte pour le discours direct, il peut jouer sur un certain nombre de facteurs pour singulariser chaque PNJ. La création d’un phrasé spécifique à chaque personnage donne un outil très efficace pour lui conférer de la présence. Au MJ de déterminer :

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PNJ

• Personnellement, je déconseille vivement l’emploi du discours indirect libre en cours de partie : parce que ce discours rapporté intègre directement les propos des personnages dans la narration sans marqueur de parole ou d’énonciation, il est facteur de confusion chez les joueurs qui ne distingueront pas forcément ce que les PNJ disent de ce que le MJ raconte.

• la syntaxe du personnage (phrases non verbales, phrases infinitives, phrases simples, phrases complexes) ; • son niveau de langue (familier, courant, soutenu) ; • son débit (lent, normal, rapide), ses idiosyncrasies (ou erreurs typiques d’un individu) ; • ses éventuels problèmes phonatoires (bégaiement, cheveu sur la langue, enrouement, logorrhée) ainsi qu’un accent éventuel si le MJ peut en adopter. Un MJ capable de combiner plusieurs de ces caractéristiques élocutoires parviendra à créer une expression typée pour la plupart des PNJ, ce qui lui permettra au besoin de les interpréter dans une conversation sans avoir à préciser qui prend la parole.

Conclusion Les quelques axes évoqués dans cet article sont loin de former un système. Ils n’en ont ni l’ambition, ni même l’exhaustivité. Très largement empruntés à la narratologie, ils ont simplement pour objectif de formaliser quelques repères qui permettront aux MJ de mieux conceptualiser des pratiques spontanées mais impensées. Le but poursuivi n’est pas de proposer une grille fastidieuse de création et d’interprétation des PNJ, mais plutôt de présenter des outils qui aideront à compenser telle ou telle défaillance vécue pendant une partie. Car l’essentiel demeure ce qu’écrivait monsieur de Beaumarchais : que le dieu du naturel nous garde de brouiller le plaisir du jeu avec trop de règles et de théorie !

Fiche de synthèse TYPOLOGIE DU PNJ Personnage sujet  Personnage objet  • Quels sont ses objectifs et motivations ? • En quoi est-il attractif ? • Quels sont ses moyens d’action ?



• Quel est son rôle dans l’intrigue ?

• Comment considère-t-il les PJ ?



• Comment les PJ le considèrent-ils ?



Personnage opposant  • Quelle est la nature de son conflit avec les PJ ? • Est-il sujet ou objet du conflit ? • Quelles sont les actions hostiles qu’il va entreprendre, ses moyens d’action ? • Quel est le niveau d’antagonisme de l’opposant ? Est-il timoré, résolu, intransigeant, fanatique ? Personnage adjuvant  • Quelle est la nature de sa relation avec les PJ ? • En quoi leur est-il utile ? • Quelles sont ses limites ? Personnage figurant  • Quel est son archétype ? • Quel est son « twist » ? • Quel élément d’interprétation (accent, tics gestuels, etc.) le caractérise ?

1. Quel est son nom, et quelles informations fait-on passer via ce nom ? (Caractère, origine, réputation, position sociale, etc.) 2. Quels sont les éléments marquants de son portrait physique ? Comment cette information est-elle passée autour de la table ? (Interprétation marquée, caractérisation directe ou indirecte). 3. Quel est son tempérament global ? (Colérique, mélancolique, calme, jovial, etc.) Quelles sont ses qualités, ses défauts, ses névroses ? Comment cette information est-elle passée autour de la table ? (Interprétation marquée, caractérisation directe ou indirecte). 4. Quels sont les éléments de son passé en lien avec le scénario ? Comment les joueurs peuvent-ils y avoir accès ?

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PNJ

ÉPAISSEUR DU PNJ

5. Quel est, dans l’univers du jeu, le statut du PNJ, sa situation familiale, ses fonctions, ses obligations, ses relations ? Où se situe-t-il dans la hiérarchie sociale ? 6. Quelles sont ses motivations, ses sentiments, ambitions, craintes, inhibitions, obligations ? INTERPRÉTATION DU PNJ  Pour les dialogues, que choisissez-vous de privilégier ? Le discours direct, le discours indirect, le discours indirect libre, le discours narrativisé. Pour quelles raisons ? Quel est le phrasé spécifique du PNJ ? • Syntaxe (phrases non verbales, infinitives, simples, complexes). • Niveau de langue (familier, courant, soutenu). • Débit (lent, normal, rapide). • Idiosyncrasies (ou erreurs typiques d’un individu). • Problèmes phonatoires (bégaiement, cheveu sur la langue, enrouement, logorrhée).

Dompter la linéarité



Jérôme Larré

La première version de cet article est parue en plusieurs parties dans les MJ Only du magazine Casus Belli entre février et décembre 2011 sous le titre « La Vie du rail ». Vous en trouverez une version modifiée et mise à jour dans les pages suivantes.

S’

il y a bien des problèmes auxquels la plupart des meneurs sont confrontés, c’est bien ceux qui touchent à la linéarité et au dirigisme. Mal gérés, ils peuvent transformer une partie tout à fait correcte en véritable désastre. Cet article propose de s’attarder sur ces notions pour comprendre ce qui les différencie, mais aussi pour savoir comment les aborder autour d’une table de jeu, que ce soit pour les limiter ou en tirer profit, avant de détailler toute une série d’astuces permettant de s’adapter à ce qui se passe pendant la partie.

Mener implique de proposer des parties intéressantes aux joueuses en échange de leur attention, et de tout mettre en œuvre pour maintenir leur intérêt. Peu importe que celles-ci soient captivées par un enchaînement de scènes définies à l’avance ou par une intrigue improvisée qui évolue constamment selon leurs interventions. Que vos idées

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LINÉARITÉ

Un numéro d’équilibriste

vous viennent d’un scénario issu du commerce, d’un film vu la veille1 ou d’une de vos créations, cela ne les concerne finalement que très peu. Vous êtes le seul responsable de ce que vous leur proposez et devez l’assumer, notamment en palliant les éventuels défauts de votre matériau d’origine. Cela ne veut pas dire que vos joueuses n’ont qu’à se taire et écouter, ou qu’elles ne sont pas autant actrices que vous dans l’histoire que vous vous apprêtez à vivre, mais tant que le résultat fonctionne autour de la table et aussi longtemps qu’elles sont captivées, nul ne trouvera rien à redire. Parallèlement, les joueuses ont aussi une responsabilité envers vous : quel que soit leur état de fatigue ou la semaine qu’elles ont passée, si elles sont autour de la table, elles se doivent d’être actives et attentives. Ceci conduit à un paradoxe2 auquel sont confrontés tous les meneurs qui, dans la mesure du possible, doivent concilier deux principes en grande partie antinomiques : • respecter une des principales spécificités du JdR en donnant le sentiment aux joueuses qu’elles « sont » leurs personnages et qu’elles sont libres de faire ce qu’elles veulent tant qu’elles respectent l’intégrité du jeu (univers, règles, ambiance, etc.) ; • proposer les bases d’une histoire (ou un cadre permettant d’en faire émerger une) capable de susciter et de maintenir leur intérêt comme leur attention. Concrètement, cela veut dire les surprendre tout en leur offrant une trame à la fois efficace et cohérente, compréhensible, sur laquelle elles ont le sentiment de pouvoir agir. Impossible de recourir à une simple esbroufe ou à un tour de passe-passe trop évident qu’elles auraient tôt fait de démasquer. Par contre, rien n’empêche d’improviser en se servant de ce qu’elles amènent en cours de jeu3 et de limiter ainsi son travail de préparation, même si la partie sera toujours meilleure avec que sans.

Dirigisme et linéarité, deux notions proches Généralement confondues et perçues uniquement comme des concepts négatifs, les notions de linéarité et de dirigisme sont néanmoins distinctes et peuvent présenter bien des avantages. Si une partie peut être ruinée par un dirigisme pesant, elle peut aussi retomber comme un soufflé ou partir complètement en vrille du fait d’une trop grande liberté accordée aux joueuses. 1. À ce sujet, consultez également l’article « Adapter une œuvre pour en faire un scénario », p. 55. 2. Ce paradoxe est très proche de celui que M. Joseph Young a appelé « Le Truc impossible avant le petitdéj’ », avec toutefois deux nuances importantes. D’abord, ici la question ne se pose pas en termes de conflits de territoire entre meneur et joueuses. On cherche la meilleure façon de créer et de conserver de l’intérêt. Ensuite, les différents modes de jeu décrits par Young (illusionnisme, participationnisme, etc.) sont considérés dans cet article comme autant d’outils pouvant être parfaitement adaptés à la situation de jeu. Pour plus de détails, voir : Young Joseph, Theory 101: The Impossible Thing before Breakfast, 2005, ptgptb. org/0027/theory101-02.html, « Le Truc impossible avant le petit-déj’ », http://ptgptb.free.fr/0027/ th101-2.htm, pour la V. F. 3. À ce sujet, consultez également l’article « Improviser », p. 125.

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La linéarité caractérise un scénario où les événements s’enchaînent sans que les personnages puissent dévier du chemin prévu. Tout est sur des rails et, après une scène donnée, seule une autre peut lui succéder. Dans un genre différent, le dirigisme est l’attitude d’un meneur qui, quelles que soient les alternatives perçues par les joueuses, tente d’imposer la direction que va prendre la suite des événements. Concrètement, on peut très bien faire jouer de façon dirigiste un scénario ouvert, y compris pour de bonnes raisons (comme éviter de louper le dernier métro), et on peut adopter une attitude réactive sur un scénario dont l’intrigue est initialement linéaire, notamment en restant à l’écoute des propositions de sa table ou en développant son contexte1. Cette façon de faire, reposant sur une intrigue simple dopée par l’attitude ouverte du meneur, est souvent la méthode la plus efficace. Mais l’essentiel reste ce que les joueuses perçoivent de la partie. Si elles sentent que leur liberté d’action est artificiellement limitée au-delà de ce qu’elles jugent raisonnable, vous avez déjà échoué. Et même si vous n’en êtes pas la cause, cela reste votre responsabilité. Après tout, si le scénario est mauvais, peu importe son origine : non seulement c’est vous qui l’avez choisi mais surtout, personne ne vous a obligé à le respecter à la lettre. De même, à quelques rares exceptions près, si les joueuses n’ont pas pu discerner leurs moyens d’agir ou n’ont pas osé le faire, c’est sans doute que vous avez mal jaugé la difficulté, oublié de vous adapter, ou ne leur avez pas rendu les choses assez claires. Soyons honnête, il n’y a rien de plus dur pour un meneur que de gérer une table passive. Mais son rôle est de maintenir l’intérêt des joueuses en les surprenant et en faisant en sorte qu’elles comprennent à tout moment, sinon le fin mot de l’histoire, au moins comment elles peuvent y participer.

Paradoxalement, le problème n’a rien à voir avec le fait d’aider ou pas les personnages. Il s’agit en réalité de savoir qui impose sa volonté à l’autre, et avec quelle dose de subtilité ou de brutalité. Typiquement, pour de nombreux rôlistes, un compagnon 1. À ce sujet, consultez également l’article « Passer du scénario à la campagne », p. 317.

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LINÉARITÉ

Cela dit, si elles se plaignent de la linéarité d’un scénario, cela ne veut dire qu’une chose de façon certaine : qu’elles ont voulu faire quelque chose et n’ont pas pu (ou cru ne pas pouvoir le faire), et qu’elles pensent que cela est dû à une mauvaise raison. Le plus souvent, elles l’attribuent soit à un autoritarisme mal maîtrisé, soit à une faiblesse du meneur : incapacité à suivre, fainéantise, etc. Si l’on excepte les quelques cas où il ne s’agit que de l’expression d’une mauvaise humeur ou d’une mauvaise foi passagère (qui ne sont pas forcément négatives dans le sens où elles témoignent également de l’attachement des joueuses à ce qu’il se passe en jeu), c’est le signal qu’il faut, outre se remettre en question, davantage clarifier certains points  : la toute-puissance perçue d’un pouvoir, la capacité de nuisance insoupçonnée d’un PNJ, la gravité d’une situation et les enjeux ou les conséquences d’un choix…

omnipotent ou un deus ex machina protégeant les personnages seront davantage perçus comme de frustrantes pertes de liberté plutôt que comme des gestes de sympathie ou des éléments légitimes du scénario. Dans le pire des cas, ils seront même considérés comme des artifices grossiers démontrant l’impuissance du meneur à sauver sa partie, souvent à raison. À l’inverse, une montée de la pression directement liée à leurs actes ou décisions apparaîtra comme un défi plutôt que comme une agression.

Éloge de la linéarité De l’autre côté de l’écran, imposer sa volonté à quelqu’un par la force porte, parmi d’autres, un nom peu élogieux : le bourrinisme. D’une certaine façon, le dirigisme n’est rien d’autre qu’une forme de bourrinisme appliquée par le meneur sur ses joueuses. Et, comme le savent ces dernières, cela a parfois du bon. Sans tomber dans l’excès, tout devient beaucoup plus agréable avec des objectifs clairs, une visibilité réelle sur les moyens à sa disposition, quelques conflits lisibles et, à défaut d’une implication préalable, une bonne connaissance du contexte. Ainsi, même si une attitude ouverte est généralement plus intéressante qu’une posture dirigiste, condamner cette dernière par principe revient à se priver d’un instrument parfois très utile de la « boîte à outils des MJ ». Elle est une option à considérer lorsque : • le temps manque ; • on veut privilégier la simplicité et l’efficacité, notamment dans le premier ou le dernier épisode d’une campagne ; • la qualité d’une partie, loin de dépendre uniquement de l’intrigue ou du sentiment de liberté des joueuses, repose sur d’autres éléments : interprétation, scènes viscérales, ambiance, suspense, émotions, défis, découverte de certains aspects spécifiques (de l’univers, des personnages, etc.) ; • les joueuses commencent à perdre de vue la dynamique générale et ont besoin de se recentrer ; • elles ne savent pas gérer facilement la pression, la liberté ou leur propre imagination. Surtout si elles ont tendance à craindre l’échec. Dans la plupart des parties, il est important de réussir à concilier le sentiment de liberté (dont ont besoin les joueuses) avec les avantages de la linéarité et du dirigisme (cohérence, efficacité, lisibilité…). L’idéal est généralement d’utiliser des trames parallèles. Tandis que les joueuses sont guidées par l’une d’elles, plusieurs autres leur permettent d’exprimer leur créativité. Il peut aussi s’agir de leur laisser le choix des objectifs qu’elles se fixent ou des moyens de les réaliser, en évitant toutefois de cumuler les deux car, contrairement à une idée reçue, préparer un scénario consiste autant à briser le côté linéaire de certains passages qu’à l’accentuer dans d’autres.

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Comment moduler la linéarité de son intrigue ? Comme expliqué précédemment, à moins que les joueuses soient d’une passivité qui frise l’irrespect, le meneur est seul responsable du degré de liberté laissé à ces dernières lors d’une partie. Ainsi, s’il estime que la base de son intrigue n’est pas assez ouverte ou, au contraire, pas assez directive et donc probablement trop difficile, il lui appartient d’en adapter la linéarité. Ceci est d’autant plus important que s’il existe dans le commerce nombre de très bons scénarios, rares sont ceux qui multiplient les approches et solutions, faute de place le plus souvent. Pour ne pas se retrouver prisonnier de son scénario, le MJ dispose de trois options principales : • ne pas le faire jouer. Même si cela représente souvent une préparation accrue, surtout en campagne, on a souvent tendance à oublier que cela reste un choix aussi légitime que les autres ; • compenser ses lacunes par une préparation accrue ; • réagir en jeu et improviser pour réussir à retomber en permanence sur ses pattes (voir ci-dessous). Adapter un scénario…

Naturellement, il est souhaitable de cumuler adaptation en amont de la partie et improvisation durant cette dernière, surtout si les deux démarches sont menées de façon complémentaire. Voici quelques éléments relatifs à la préparation d’une session de jeu. … En analysant sa structure La première chose à faire est généralement de s’assurer d’avoir bien compris la structure du scénario. Qu’il s’agisse d’un bac à sable où les PJ peuvent évoluer à leur gré ou d’une succession plus rigide de scènes scriptées, toute aventure comporte quelques grandes phases qu’il est important d’isoler ; ne serait-ce qu’un début, un milieu et une fin.

À titre d’exemple, si on veut rejouer L’Empire contre-attaque du point de vue des passagers du Faucon Millenium, on a plus ou moins quatre grandes phases  : Hoth, la course-poursuite dans l’espace, l’arrivée dans la cité des nuages et la confrontation avec les forces impériales en embuscade. Les transitions sont respectivement la fuite, le besoin de trouver des pièces pour réparer le vaisseau et la rencontre avec Dark Vador. De fait, pour rejouer l’essentiel du film, vous n’avez que quelques contraintes à respecter :

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En identifiant les enjeux de chaque phase et les transitions qui permettent de passer de l’une à l’autre, vous aurez presque tout le nécessaire pour improviser tout en conservant une base solide. En effet, durant la partie, vous n’aurez à vous préoccuper que de ces transitions. Votre tâche sera donc de les amener subtilement et de profiter de l’inventivité de vos joueuses entre celles-ci.

• les PJ sont attaqués par des troupes impériales en surnombre. À vous de leur donner suffisamment de corps et d’avoir du répondant face à leurs réactions. Récompensez leurs idées en permettant de sauver des alliés, de vaincre des adversaires hors de combat ou par la destruction d’un ennemi coriace (comme un quadripode) ; • ils doivent fuir. Assurez-vous qu’ils veulent le faire, voire qu’ils en prennent l’initiative, et donnez-leur les moyens de quitter l’endroit où ils se trouvent. S’ils optent pour la dissimulation, rajoutez des déchets largués par un croiseur. S’ils préfèrent les sensations fortes, lancez une capture puis une exploration dudit croiseur ou une course-poursuite dans un champ d’astéroïdes… • ils réussissent à s’échapper, mais s’aperçoivent que leur vaisseau nécessite des pièces de rechange. Ils sont reçus comme des rois là où ils cherchent à s’en procurer. Mais, alors qu’ils profitent de l’accueil… • ils sont piégés par leur Némésis. C’est l’occasion pour les PJ de tout donner et de briller avant un grand final ou un éventuel cliffhanger. Même si les transitions peuvent apparaître artificielles à la lecture, intercaler des scènes prenant réellement en compte les désirs des joueuses suffit à les dissimuler sans grand effort. Vous pouvez les laisser exprimer leur créativité : vous savez exactement de quel élément vous avez besoin, la prochaine transition, et vous avez tout votre temps pour l’obtenir. En restant ouvert sur le reste, la partie devient plus intéressante pour tous. En effet, même le meneur finit par s’ennuyer s’il ne donne pas aux joueuses la possibilité de le surprendre. … En regardant comment les scènes s’enchaînent Si vous bénéficiez de plus de temps ou que vous voulez aller plus loin, vous pouvez passer à l’échelle de la scène. Cette méthode réduit souvent un peu l’ouverture, mais elle génère des séquences plus intenses et travaillées. L’idéal étant bien sûr de prendre le meilleur de chaque méthode. Selon la même logique que précédemment, identifiez toutes les scènes du scénario et notez pour chacune : • ce qui doit être obligatoirement fait pour la jouer ; • vers quelles autres scènes elle peut déboucher ; • ce qu’elle apporte à l’intrigue, au développement des PJ ou des PNJ, autrement dit : ce que l’on perd à ne pas la jouer, ce qui est essentiel et ce que l’on peut modifier ; • ce sur quoi peuvent jouer les PJ, notamment en matière d’objectifs (peuvent-ils choisir la prochaine étape ?) ou de moyens (ont-ils une marge de manœuvre quant à la façon de « réussir » la scène ?). Vous pouvez faire cela de bien des façons : sous une forme graphique (schéma, mind map, etc.), en remplissant les fiches suivantes pour chaque scène. 164

Numéro et titre Prérequis :

Débouchés :

Enjeux : Les PJ peuvent : Vous distinguerez alors plusieurs types de scènes risquant de poser problème : • celles qui n’apportent aucun élément indispensable à l’intrigue ou aux personnages. Elles servent habituellement à présenter certains aspects du monde, à insérer des passages d’action ou à introduire une séquence plus centrée sur les émotions. Le plus souvent, vous pouvez vous en dispenser en distillant, par exemple, vos informations sur le décor ou les motifs d’émoi au sein d’une scène principale. Contrairement à une idée reçue, multiplier à outrance les scènes inutiles ne brise en rien la linéarité d’un scénario. Très rapidement, cela rend juste la partie plus longue et plus pénible ; • les scènes qui dépendent d’un élément unique, ou d’une combinaison de conditions difficiles à obtenir en jeu. Vous risquez dans ce cas de devoir rajouter des éléments « flottants » (voir ci-dessous) ; • les scènes qui ne peuvent déboucher que sur une seule autre scène. Elles ne sont pas toujours à proscrire, mais il vaut mieux utiliser un peu de poudre de perlimpinpin – typiquement une diversion (voir ci-dessous) – pour que la transition soit indolore ; • les scènes n’offrant de marge de manœuvre ni sur les objectifs ni sur les moyens. Celles-ci sont à éviter comme la peste : trouvez un moyen de les rendre intéressantes en rajoutant plus de possibilités sur un de ces deux points. Inversement, une scène qui laisse toute liberté aux joueuses sur ces deux niveaux a de fortes chances de ne pas être claire, et donc de manquer d’efficacité et de dynamisme. … En préparant ses munitions

• des éléments ou indices « flottants ». Certains objets ou indications sont absolument nécessaires pour que les joueuses comprennent les choix qui s’offrent à elles et qu’elles aillent de l’avant : un vaisseau pour quitter Hoth, un anneau magique appartenant à un vieil oncle, des traces de sang sous la baignoire, etc. Le souci est que si les PJ n’attrapent pas la balle au vol (ou commettent un acte inconsidéré), tout ce que vous aviez prévu va passer à la trappe. Prévoyez donc des solutions de rechange au cas où : voler un vaisseau ennemi, rencontrer Gollum, découvrir une empreinte partielle… • des conflits, dilemmes ou oppositions portés par les PJ ou leur environnement immédiat, ou des problèmes personnels centrés sur les personnages. Le plus simple est

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LINÉARITÉ

Enfin, quelle que soit la partie, il est toujours bon d’avoir quelques petites aides de jeu sous forme de listes (un Post-it est suffisant pour chacune), un peu de matériel pour pouvoir improviser beaucoup plus facilement durant la partie. Ces munitions peuvent être :

de dresser une petite liste de situations (un personnage qui doit, par exemple, choisir entre son « clan » et ses compagnons), mais vous pouvez aussi semer des « graines » destinées à provoquer ces situations : prises de position en public difficiles à tenir par la suite, armes magiques puissantes mais néfastes pour les intérêts ou les valeurs du groupe sur le long terme, petits secrets qui entraînent un engrenage infernal, etc. Vous pouvez également arriver au même résultat en jouant sur les émotions de votre choix1 ; • des scènes de diversion, avant tout conçues pour prendre les joueuses aux « tripes » – si possible avec la musique associée – et reliées à d’autres passages de votre scénario, que vous pouvez déclencher quand bon vous semble afin de capter l’attention des joueuses et les empêcher de se sentir trop « limitées » : courses-poursuites, combats sur des toits ou des surfaces verticales, décors mobiles ou en train de s’effondrer, etc. Essayez de prévoir à chaque fois un ou deux défis particuliers pour les PJ ; • des noms de PNJ correspondant à l’ambiance voulue2, complétés si possible par leur âge, un éventuel mot-clé définissant leur concept et une attitude de base visà-vis des PJ, par exemple représentée par un smiley ; • des rencontres ou petites saynètes. Prêtes à être insérées sur le pouce, elles vous permettront d’introduire de nouveaux éléments au scénario ou de réfléchir au moyen d’utiliser les propositions des joueuses ou de canaliser leurs personnages.

Les listes du commerce Même si préparer ces listes prend assez peu de temps, il est parfois agréable de s’épargner cette peine en achetant directement un recueil qui en comprend plus que l’on ne pourra jamais en écrire. Pour les univers médiévaux fantastiques, les livres du maître de D&D53 et Pathfinder4 en contiennent déjà un grand nombre. Pour les autres genres en revanche, il faut souvent se tourner vers les productions anglo-saxonnes. Les amateurs de jeux futuristes trouveront sans doute leur bonheur dans les suppléments Traveller5 et le Galactic Campaign Guide6 pour Star Wars.

1. À ce sujet, consultez également l’article « Créer des émotions particulières », p. 277. 2. À ce sujet, consultez également l’article « Incarner des PNJ », p. 141. 3. Baur Wolfgang, Cline C. M., Cordell Bruce R., Crawford Jeremy, Decker Jesse et autres, Dungeon Master’s Guide, Wizards of the Coast, Renton, 2014. 4. Banks Cam, Baur Wolfgang, Bulmahn Jason, Bulter Jim, Cagle Eric et autres, Pathfinder Game Mastery Guide, Paizo, Redmond, 2010. 5. Miller Marc, Traveller, Game Designers’ Workshop, Normal, 1977. 6. Schweighofer Peter, Wilker J. D., Galactic Campaign Guide, Wizards of the Coast, Renton, 2003.

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S’adapter durant la partie1

Bien sûr, il est impossible de tout prévoir. Des joueuses parviendront toujours à s’enfermer là où vous pensiez que ce n’était pas possible et d’autres réussiront à trouver des sorties à vos souricières. Aussi, voici une compilation de quinze astuces relativement connues qui seront tout de même très utiles pour moduler la linéarité de vos parties, à la fois pour l’atténuer et pour recentrer les choses quand cela s’avère nécessaire. Soyez clair, juste, et à l’écoute C’est l’évidence même, mais une joueuse qui a l’impression que les évènements répondent aux conséquences de ses décisions ne ressentira pas de limite à sa liberté, même si elle ne dévie jamais de ce qui est prévu par le scénario. 1. Faites toujours bien attention à ce que les joueuses aient une bonne vision des objectifs de leurs personnages et de ce qui les motive. De plus, assurez-vous que ces objectifs leur semblent difficiles mais atteignables si elles s’en donnent la peine. Ceci implique qu’elles aient une direction à suivre, que ce soit sur le long terme (comme avec un objectif de campagne) ou sur une scène donnée. Si les joueuses perdent de vue le but à atteindre, leur motivation retombera et elles commenceront à provoquer des situations nuisibles à la partie, soit pour s’occuper (bagarre, etc.), soit parce qu’elles chercheront, comme dans certains jeux vidéos, à trouver la solution en « cliquant » sur tout ce qu’elles n’ont pas essayé avant. 2. Jouez à la dure. Cela ne veut pas dire que vous devez nécessairement jouer dans un monde noir où tout se paye, ou décimer les personnages. Par contre, même si vous jouez dans un univers super-héroïque, faites en sorte que les actions des joueuses aient des conséquences et appliquez-les. Ne vous arrêtez pas parce qu’une joueuse échoue ou fait un mauvais choix. Continuez la partie en évitant soigneusement de la juger et faites évoluer le monde en fonction. Cette responsabilisation leur donnera rapidement le sentiment qu’elles peuvent faire ce qu’elles veulent, un échec n’arrêtant pas le cours de la partie pour autant.

4. Sollicitez les joueuses. Lors d’une partie, il y a de nombreux éléments que vos joueuses pourraient décrire à votre place2. Par exemple, si elles cherchent des informations sur un individu, demandez-leur ce qu’elles entendent. La plupart du temps, elles seront contentes que vous vous serviez de leurs idées (qui correspondront à ce qu’elles veulent jouer), et cela ne vous empêchera pas de faire ce que vous aviez prévu. 1. À ce sujet, consultez également l’article « Improviser », p. 125. 2. À ce sujet, consultez également l’article « Partager la narration », p. 381.

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LINÉARITÉ

3. Comme expliqué un peu plus haut, laissez autant que possible le choix des objectifs ou des moyens de les réaliser à vos joueuses, en faisant attention à ce qu’elles ne soient pas perdues si elles peuvent décider de l’un et l’autre. Cela vous permettra de conserver rythme et intensité, tout en donnant aux joueuses le sentiment de s’approprier la partie.

Une joueuse confrontée à un ennemi qu’elle a elle-même « créé » devrait avoir bien plus de mal à vous trouver dirigiste, mais ce serait oublier le principal avantage de cette méthode : les contributions elles-mêmes, qui vous sauveront régulièrement la mise. 5. Corollaire du point précédent, acceptez (presque) systématiquement les propositions des joueuses, sans chercher en priorité à retomber sur vos pattes. Demandez-vous d’abord comment construire quelque chose d’intéressant autour. Il n’y a presque jamais de situation impossible à rétablir, de tyran tué trop tôt dont un des sbires ne peut prendre la place, de secret connu par une seule personne, etc. Désarçonnez-les ! Même si vous êtes clair et que vous prenez en compte ce que disent les joueuses, il vous faudra les surprendre pour conserver leur attention durant toute la partie. Que ce soit en mettant en place des événements auxquels elles ne s’attendent pas ou, plus simplement, en suscitant du jeu entre elles. 6. Déséquilibrez les personnages lors de la création, et jouez dessus. Bien que la plupart des systèmes poussent à faire l’inverse, toute différence (de niveau, de statut social, de groupe ethnique, etc.) permet de créer du jeu et de développer les relations à l’intérieur du groupe. En accentuant ces différences au fil des parties, vous attirez l’attention des joueuses sur autre chose que la complexité de l’intrigue et leur fournissez autant de scènes a priori divertissantes auxquelles elles devront réagir. 7. Cassez des choses. Si possible celles que les joueuses tiennent pour acquises, soit parce qu’elles y sont attachées, soit parce qu’elles pensent qu’elles font partie de leurs personnages. Forcez-les à s’adapter. Vous n’avez pas besoin que ce soit définitif, mais brutal et soudain. Et cassez également ce que vous avez mis du temps à construire vous-même. Si les personnages voient un PNJ monter en puissance au fil des parties et pensent qu’il va, par exemple, retrouver son trône légitime, n’hésitez pas à le tuer ou à en faire un méchant juste avant qu’il n’accomplisse ce que tout le monde attend de lui. 8. Inversez les rôles. Prenez une chose positive pour les personnages (un PNJ, leur place dans la société, un objet, etc.) et faites-en quelque chose de négatif. Au même moment, prenez quelque chose de négatif de même ampleur et faites-en quelque chose de positif. Laissez les joueuses comprendre cette nouvelle donne, en tirer les enseignements et s’adapter. Par exemple, faites leur apprendre par celui qu’elles pensaient être leur pire ennemi que leur mentor les a trahies. 9. Utilisez les habitudes des joueuses contre elles. Cela vaut à la fois pendant la partie où vous pouvez, par exemple, jouer sur les clichés ou répéter une même situation deux fois avant de la changer spectaculairement, et hors-jeu en faisant par exemple semblant d’inventer le nom d’un PNJ pour surprendre vos joueuses qui ne pourront s’empêcher d’en tenir compte1. 1. À ce sujet, consultez également l’article « Improviser », p. 125.

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10. Alternez les charges. À moins que vous ne vouliez faire ressentir un effet d’accumulation positive ou négative, préférez terminer sur une défaite ou une note triste une scène qui a bien commencé, et inversement. Malgré la simplicité grossière de ce procédé, cela reste le moyen le plus efficace de conserver des rebondissements et du rythme durant toute une partie, en évitant de décourager ses joueuses et de ruiner leur implication avec un style trop permissif. Recentrez la partie Enfin, comme expliqué précédemment, il est parfois bon de limiter en douceur les possibilités offertes aux joueuses afin d’éviter que la partie ne perde en efficacité et en intensité. Il s’agit bien de les orienter et de restreindre leur liberté, mais avec l’objectif bienveillant de les remettre en mouvement lorsqu’elles s’enlisent. 11. Jouez la montre. Si elles prennent leur temps et tergiversent en oubliant d’avancer, trouvez un prétexte en jeu (bombe, retour du supérieur, aube précédant la bataille, etc.) et passez en temps réel. Sans que vous ayez à intervenir, elles se chargeront elles-mêmes de faire tout ce qui est nécessaire pour relancer la partie (ce qu’elles auraient pu ressentir comme de l’ingérence si l’effort était venu de votre côté de l’écran). 12. Ne dites pas les choses, montrez-les. Et mieux, faites-en des récompenses1. Même si les joueuses ont besoin d’un coup de main, évitez le plus possible de donner des indices hors-jeu, de demander un jet de dés ou de faire intervenir un PNJ sans autre raison apparente que la transmission d’une information-clé pour la suite du scénario. Personne n’est dupe. Par contre, n’hésitez pas à faire en sorte que le PNJ montre presque la solution, ou que le jet ait l’air légitime, ou intervienne finalement à la demande d’une joueuse. Si les joueuses ont l’impression d’avoir « gagné » un indice, surtout si elles pensent qu’il était difficile à obtenir ou qu’il est dû à une idée ou une déduction ingénieuse, elles s’en serviront de façon presque automatique. Mieux, elles se féliciteront de l’avoir obtenu au lieu de vous reprocher de le leur avoir montré. Les scénarios soi-disant infaisables, c’est fini.

14. Ne laissez pas un échec (ou une réussite) mettre fin à une séquence de jeu que vous voulez voir arriver à son terme. Fondamentalement, un mauvais jet de dés n’est que le signe d’une bifurcation dans la progression de l’histoire. Rien de plus. Si un personnage échoue, ne résolvez pas l’ensemble de sa tentative mais, au contraire, 1. À ce sujet, consultez également l’article « Décrire », p. 109.

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LINÉARITÉ

13. Multipliez les indices. Presque identique à la précédente et au principe des indices flottants, cette astuce consiste à toujours prévoir au moins trois façons de récupérer une information-clé. Cela permet de s’assurer que les joueuses ne passent pas à côté, mais cette technique vous aidera surtout à aiguiller habilement les déductions de votre groupe une fois l’information trouvée.

profitez-en pour rajouter une complication ou une péripétie et donc, de la tension et du suspense. Par contre, continuez dans la direction dans laquelle vous étiez lancé. Ainsi, un personnage loupant un jet de Discrétion peut par exemple se faire remarquer par un autre cambrioleur, ou par un garde qui ne pourra pas donner l’alarme s’il est pris de vitesse. Et il faudra encore que le PJ trouve un moyen de cacher le corps… 15. Enfin, envoyez les ninjas ! Ficelle plus qu’éculée quand il s’agit de redynamiser une partie, l’arrivée inopinée d’un groupe d’opposants permet, certes, de faire jeter quelques dés, mais aussi et surtout de remettre les personnages sur la voie en leur donnant quelqu’un à interroger ou une nouvelle indication. En variant les interventions des PNJ (assassins, négociateurs, foule manipulée, etc.) et de leurs cibles, vous multiplierez d’autant les informations que vous communiquerez aux joueuses et qui pourront les remettre dans le sens du courant.

CONCLUSION Comme vous avez pu le voir, la linéarité et le dirigisme sont loin d’être systématiquement mauvais. Même si on entend beaucoup plus parler de cet excès, le manque de liberté est aussi problématique que le fait de ne pas avoir d’angle d’attaque ou de fil rouge. Aussi, si vous ne devez retenir qu’une chose de cet article, c’est que la marque d’un meneur au point sur cet aspect de la maîtrise n’est pas uniquement de savoir briser la linéarité ou d’éviter le dirigisme. Il faut savoir les moduler pour s’adapter à ce qui se passe autour de sa table. Ainsi, il sera aussi souvent nécessaire d’offrir de nouvelles options aux joueuses que de les recentrer. Pour toutes ces situations, il existe des outils et il est plus efficace d’apprendre à les connaître et à les utiliser selon ses besoins, plutôt que de s’en priver à cause de tel ou tel a priori. Quoi qu’il en soit, que votre intrigue soit scriptée ou improvisée, donnez toujours l’impression à vos joueuses d’avoir réussi à accomplir quelque chose durant la partie : apprenez à conclure.

Fiche de synthèse Fiche de scène Numéro et titre : Prérequis : Enjeux : Les PJ peuvent :

Débouchés :

Comment moduler la linéarité d’une intrigue ? Via une préparation accrue. En s’adaptant en cours de partie. En acceptant de s’en éloigner pour jouer tout à fait autre chose. Comment préparer un scénario pour moduler sa linéarité ? En analysant sa structure globale. • Résumez en quelques mots le début, le milieu et la fin du scénario. • Listez les grandes phases du scénario et les transitions entre chacune d’entre elles. • Concentrez-vous sur les transitions. En regardant chaque scène. • Listez les prérequis, les débouchés, les enjeux et les moyens d’action (fiche de scène). • Cherchez celles qui : * ne semblent servir à rien : trouvez-leur une utilité ou enlevez-les ; * sont difficiles à obtenir : rajoutez des « semi-pistes » (voir l’article « Passer du scénario à la campagne », p. 317) ; * ne peuvent déboucher que sur une scène unique : soignez la transition ; * n’offrent pas de prise sur les objectifs ou les moyens : retravaillez-les pour que les PJ aient la main sur les premiers ou les seconds.

• Rajoutez des éléments ou indices « flottants ». • Conflits, duels, etc. • Scènes spectaculaires. • Noms de PNJ. • Rencontres ou saynètes impromptues.

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LINÉARITÉ

En préparant ses munitions.

Comment s’adapter durant la partie ? Soyez clair, juste, et à l’écoute. 1. Vision claire des objectifs pour les joueuses. 2. Jouez à la dure. 3. Laissez le choix des objectifs ou des moyens de les réaliser. 4. Sollicitez les joueuses. 5. Acceptez presque systématiquement leurs propositions. Désarçonnez-les. 6. Déséquilibrez les personnages. 7. Cassez des choses. 8. Inversez les rôles. 9. Utilisez les habitudes des joueuses contre elles. 10. Alternez les charges. Recentrez la partie. 11. Jouez la montre. 12. Ne dites pas les choses, montrez-les. Faites-en des récompenses. 13. Multipliez les indices. 14. Ne laissez pas un échec (ou une réussite) mettre fin au jeu. 15. Envoyez les ninjas !

Animer les combats



Romain d’Huissier

U

n combat est une scène (presque) comme une autre.

C’est une vérité que l’on a souvent du mal à admettre autour d’une table de JdR. En effet, il n’est pas rare que dès qu’un combat commence, les personnages passent du statut d’alter ego des joueurs à celui de pions sur un échiquier – avec toute la distanciation et la perte d’immersion narrative qui en découlent. Cela s’explique de bien des façons : héritage du wargame dont descend le JdR (et où les « personnages » sont, sauf cas exceptionnel, des unités moins investies par l’affect du joueur), nécessité de se concentrer sur les règles car la vie des PJ est mise en jeu, MJ considéré comme adversaire car interprétant les ennemis des personnages, etc. Pourtant, un combat doit être considéré à l’égal des autres scènes qui composent le reste du scénario : il participe pleinement à l’ambiance de la partie, s’inscrit dans la narration globale et offre autant – si ce n’est même plus – d’opportunités d’interpréter son personnage durant un moment chargé en tension.

Types de combat, objectifs et enjeux

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COMBATS

En premier lieu, lorsqu’un combat survient dans un scénario – qu’il soit prévu par le MJ, initié par les joueurs ou le fruit d’un tirage sur une table de rencontre aléatoire – il est généralement très utile de déterminer son type afin de définir ses objectifs et fonctions narratives.

Le type peut bien sûr avoir été décidé à l’avance (si le combat est prévu explicitement dans le scénario) ou être rapidement choisi au moment où il survient. Typologie du combat

Souvent, le type du combat est naturellement défini par sa place dans le scénario (entrée en matière, climax…) et le MJ ne pense pas forcément à le préciser – ne serait-ce que pour lui-même. Cela peut pourtant lui être utile pour le mener à une réflexion plus approfondie : ce combat arrive-t-il au bon moment de la partie, compte tenu de son type ? Quelle adversité prévoir en fonction de ce dernier ? S’il faut improviser une altercation à tel moment, de quoi a-t-on le plus besoin ? Ainsi, les combats et leur enchaînement pourront s’intégrer harmonieusement à la logique du scénario – et mieux, y participeront pleinement –, que ce soit du point de vue narratif, ludique, interprétatif, etc.

Types de combat et jeux particuliers La typologie suivante est généraliste et certains types de combats seront donc absents (ou très rares) dans des jeux spécifiques. Par exemple, les JdR où les affrontements sont durs, violents, jamais anodins (à l’image de Tenga1) ne se prêtent idéalement pas à des combats récréatifs – car chaque coup de sabre est potentiellement mortel. À l’inverse, dans des jeux plus portés sur l’action et l’aventure (façon Hollow Earth Expedition2), les combats paroxystiques ont rarement comme enjeu la mort des personnages – mais plutôt l’échec des plans du grand méchant.

Voici une liste (forcément non exhaustive mais recouvrant sans doute la majorité des possibilités) des types de combat. Combat récréatif Il s’agit d’un affrontement sans grande conséquence, principalement destiné à permettre aux joueurs de se défouler. Un tel combat est souvent utilisé pour évacuer la tension ou la frustration, mais aussi pour valoriser les personnages qui se déferont aisément de leurs adversaires. De plus, une partie de JdR peut être longue et l’ennui rôde parfois autour de la table (par exemple durant une enquête qui ne progresse pas) : quand les joueurs piquent 1. Larré Jérôme, Tenga, John Doe, Jouy-le-Moutier, 2011. 2. Baugh Bruce, Boren Brannon, Bradley Patrick E., Cagle Eric, Carl Jason et autres, Hollow Earth Expedition, Exile Game Studio, Seattle, 2006.

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du nez, provoquer un combat peut les ragaillardir efficacement ! Le MJ trouvera une justification plus tard : le but est ici de réveiller l’attention de son groupe – si cela peut sembler artificiel, c’est un ressort efficace qui peut en bonus donner des idées de développements futurs. La bagarre d’auberge est un combat récréatif classique : qu’ils en soient ou non les déclencheurs, les personnages se retrouvent pris dans la mêlée générale d’une bonne rixe (remplacer auberge par bar, cantina ou saloon suivant le contexte de la partie). Pas de risques réels, c’est donc le moment idéal pour se passer les nerfs de façon ludique. Un combat récréatif doit ainsi être mené avec rythme et mettre l’accent sur une certaine légèreté. Étant donné les faibles enjeux en général et l’objectif assumé de rompre avec l’ennui, mieux vaut ne pas le faire durer trop longtemps (utiliser une règle relative aux mooks est un bon moyen d’accélérer la résolution, voir encadré suivant) : il doit rester une parenthèse dans la partie, quand bien même il amène d’autres développements par la suite.

Les mooks Le terme mook désigne des adversaires peu dangereux, qui puisent leur force dans leur nombre – un groupe d’orcs, une bande de mafieux, une escouade de Stormtroopers… L’intérêt de ces mooks est de fournir une opposition mineure aux personnages, qui parviennent à se débarrasser de plusieurs d’entre eux en une seule attaque. Ils sont donc les antagonistes idéaux à utiliser pour un combat récréatif : peu menaçants mais nombreux, ils permettent aux personnages de briller et de se défouler à moindres frais. De nombreux JdR intègrent une règle pour traiter ce genre de PNJ : citons Les Secrets de la Septième Mer1 ou Qin. Voici deux exemples sur la façon d’intégrer des mooks dans un système de jeu : • un mook est mis hors de combat en un coup. Dès lors que le personnage réussit son attaque, un de ces adversaires mineurs est défait – il ne reste plus qu’à s’occuper des dix autres ! • un groupe de mooks possède autant de points de vie que le nombre de ses membres. Ainsi, une attaque réussie d’un personnage fera diminuer ce groupe d’un mook pour chaque point de dégât infligé.

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1. Figueroa Marcelo Andres, Kapera Patrick, Pinto Jim, Soesbee Ree, Vaux Rob et autres, 7th Sea, Player’s Guide, Alderac Entertainment Group, Ontario, 1999.

Combat pédagogique Le combat pédagogique est utile lorsque la table adopte un nouveau JdR1 : mettre en scène un affrontement est une façon de se frotter au système de combat, souvent plus complexe que le reste des règles. Ce genre d’altercations peut également servir après que les personnages ont progressé : ils ont acquis de nouveaux pouvoirs, techniques ou talents martiaux, le meilleur moyen d’en voir les effets est de les essayer en conditions réelles ! Cela permet également au MJ de constater directement le degré d’augmentation de la puissance des personnages – et d’adapter son opposition en conséquence. En général, durant un tel affrontement, le rythme est ralenti afin que MJ et joueurs puissent assimiler les règles, se référer au livre en cas de souci, s’assurer que chacun comprenne la mécanique utilisée, etc. Bien que cela ait des chances de briser un peu l’immersion narrative, l’avantage est d’intéresser au système de jeu et c’est alors un investissement à long terme : les combats suivants seront plus fluides et les joueurs s’y impliqueront d’autant plus qu’ils auront compris comment lier technique et interprétation. Un combat pédagogique peut se rapprocher du combat récréatif : à la fonction narrative de celui-ci s’ajoute alors celle de mesurer les progrès des personnages. C’est typiquement la scène de Matrix où Neo affronte Morpheus après avoir appris le kung-fu ! Combat évaluatif Tout affrontement n’a pas pour but d’éliminer son adversaire. Parfois, « on ne connaît quelqu’un que lorsqu’on l’a combattu » – un adage typique chez les artistes martiaux. On retrouve d’ailleurs ce genre de combats dans de nombreux films de sabre chinois, et Matrix Reloaded y rend hommage au cours de la scène où Neo affronte Seraph afin de rencontrer l’Oracle. Pour les joueurs, l’intérêt est de mesurer leur propre force ou celle d’un PNJ. • Si ce PNJ est un adversaire, c’est le moment de déceler ses points forts et points faibles en vue d’un prochain combat – plus sérieux. Par exemple, à la fin du premier acte d’un scénario, on pose d’emblée le grand méchant comme un opposant d’une puissance surpassant celle des personnages. Puis, durant le deuxième acte, en le rencontrant à nouveau, les personnages constatent leurs propres progrès et lui tiennent tête un peu plus longtemps. Pour enfin, à la fin du dernier acte, le combattre quasiment sur un pied d’égalité – ou en ayant si bien préparé cet affrontement final en toute connaissance de ses forces et faiblesses que l’écart de force est comblé. • Si ce PNJ est un allié potentiel, il est alors utile de savoir s’il sera à la hauteur de ce que le groupe peut attendre de lui. On rencontre aussi ce genre de combats lors des tournois (d’arts martiaux, de chevalerie) où ils sont également un moyen de briller socialement. 1. À ce sujet, consultez également l’article « Enseigner un jeu », p. 93.

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Blessures non létales Certains jeux permettent de n’infliger que des blessures contondantes durant un combat, de retenir ses coups afin de ne pas tuer sur un jet de dés malheureux (ou trop heureux !). De telles règles sont idéales pour un combat évaluatif – dont le but n’est pas de tuer mais de prendre la mesure de son vis-à-vis, tout en remportant une victoire si possible éclatante. Mais elles peuvent également servir pour un combat récréatif, si vous souhaitez éviter que ses séquelles handicapent les personnages pour le reste du scénario. Voici deux exemples de ce genre de règles afin de les intégrer à un système de jeu : • outre ses points de vie, le personnage dispose d’une jauge (points de stress, points de fatigue, etc.) qui diminue lorsqu’il reçoit des dommages bénins et qui remonte aisément ; • les dégâts subis sont temporaires (représentant des contusions plus que des plaies ouvertes) et s’estompent après une heure de repos.

Combat paroxystique Le combat paroxystique est censé constituer un pinacle, un évènement qui n’a rien d’anodin – il ne faut donc pas en faire le mode par défaut afin de ne pas amoindrir son impact. Une simple bande de malandrins qui en veulent à la bourse des personnages vont préférer fuir dès le premier sang versé que de combattre jusqu’au dernier (dès qu’une moitié de ses membres est mise hors de combat, les autres décampent) ! De la même façon, des personnages un peu sagaces feront retraite si l’issue d’un affrontement leur semble fatale au vu des forces en présence (si un ou deux personnages sont gravement blessés ou déjà hors-jeu, les survivants devraient penser à fuir). Ici, il ne s’agit plus de se défouler gratuitement ou de tester la force de l’ennemi : il faut jeter toutes ses forces dans la bataille car le risque est réel – mourir, ne pas réussir à sauver un proche, perdre un avantage décisif (allié, objet important…), ne pas empêcher le grand méchant de mettre en marche sa machine infernale, etc. La victoire dans un tel combat n’est pas nécessairement la mort de l’adversaire : ce peut être de le pousser à se rendre (juger un criminel est souvent plus important que simplement l’éliminer) ou lui faire comprendre ses erreurs et déclencher sa rédemption – pour le voir devenir un allié pour la prochaine campagne ! Ce type de combat doit donc être réservé à un climax, un sommet dans la tension dramatique du scénario. C’est souvent là qu’il faut rendre les choses personnelles1 : l’ennemi a tué un proche d’un personnage – voire l’ennemi est un proche d’un personnage : « Je suis ton père ! ». Le MJ doit donc utiliser toutes les ressources de ses PNJ pour combattre les personnages, il doit tirer parti de leurs faiblesses (apprises durant

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1. À ce sujet, consultez également l’article « Rendre les choses personnelles » p. 261.

des combats évaluatifs précédents) : en bref, ne leur faire aucun cadeau ou, du moins, s’assurer de donner cette impression aux joueurs. Car à vaincre sans péril, on triomphe sans gloire –  ils n’apprécieront que plus une victoire obtenue dans les larmes et la douleur, et une défaite subie dans les mêmes conditions attisera leur envie de revanche.

La mort d’un personnage Dans un combat paroxystique, les chances de trépasser doivent être réelles. La gloire est ainsi proportionnelle au risque. Il ne faut donc pas que le MJ cherche à tout prix à sauver un personnage lors d’un tel affrontement. C’est au joueur de s’assurer qu’il a bien mesuré l’enjeu et préparé son personnage en conséquence : si le hasard inhérent à la plupart des systèmes a bien sûr sa place dans un combat à mort, la façon dont le personnage l’aborde est tout aussi importante. Il doit mettre toutes les chances de son côté – équipement adapté, connaissance de l’adversaire (d’où l’intérêt d’un combat évaluatif précédent !), renforts éventuels, plan bien huilé, etc. Si malgré tout cela le personnage devait succomber, il faut alors mettre sa mort en corrélation avec l’ambiance de l’univers : dans un jeu dur et sans pitié (Within1 ou L’Appel de Cthulhu), cette ultime défaite devrait être presque anonyme, un simple évènement  sur lequel on ne s’attarde pas ; dans un jeu plus héroïque (Star Wars ou Spirit of the Century2), il faudrait au contraire que périr ait un sens (le personnage emporte son adversaire dans la mort, le blesse suffisamment pour qu’un allié l’achève, le retient pour permettre à ses camarades de battre en retraite). Dans La Communauté de l’Anneau, Boromir ne trépasse qu’après avoir couvert la fuite de Frodon en éliminant une bonne quarantaine d’Uruk-hai !

Interrompre un combat Parfois, la mort de l’un ou l’autre protagoniste n’est pas l’issue recherchée ou idéale pour le scénario – et ce même dans le cas d’un combat paroxystique. Il faut alors que le MJ ait à disposition des solutions pour interrompre ou conclure l’affrontement d’une autre manière. • Intervention extérieure : les forces de l’ordre (ou un parti tiers) surgissent et obligent les deux camps à se disperser. Le combat se termine donc, souvent de façon frustrante (ce qui aiguise la hâte de disputer le match-retour), mais peut évoluer pour devenir un autre genre de scène d’action (course-poursuite, évasion, etc.).

1. Attinost Benoît, Larré Jérôme, Within, Les Écuries d’Augias, Saint-Étienne, 2011. 2. Balsera Leonard, Donoghue Robert, Hicks Fred, Spirit of the Century, Evil Hat Productions, Silver Spring, 2006.

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• Fuite : les joueurs y pensent rarement mais lorsque le combat devient trop corsé, c’est peut-être qu’il vaut mieux opter pour une retraite. De la même façon, si le grand méchant perd tous ses hommes de main et risque de succomber à son tour, il sacrifiera ses derniers gardes du corps pour couvrir sa fuite – et revenir plus tard prendre sa revanche. • Être capturé : plutôt que de mourir, se rendre ou se constituer prisonnier sont deux bons moyens de survivre plus longtemps. La suite de l’aventure mettra alors en scène un plan d’évasion et des séances d’interrogatoire plus ou moins agréables… Pour un méchant, se laisser prendre est l’occasion d’introduire le ver dans la pomme et de détruire le groupe de l’intérieur – à la manière de Loki dans Avengers ou de Khan dans Star Trek, Into Darkness.

Basculer d’un type à l’autre Rien n’empêche de basculer d’un type de combat à un autre. Un combat récréatif peut devenir paroxystique ou au contraire, un combat qui avait des allures de climax s’avérer n’être qu’une évaluation. Un tel basculement permet non seulement de surprendre les joueurs, mais aussi de les pousser dans leurs retranchements en termes d’interprétation de leurs personnages. Il faut introduire un élément qui permette le basculement d’un type à un autre, créer une rupture dans la dynamique du combat ou en changer le type a posteriori, quand les joueurs ont toutes les informations en main. Voici deux exemples. • Lancés dans une fusillade pour libérer un otage (un combat qui a tout de paroxystique), les personnages se rendent compte à la fin que ce dernier est en réalité un commanditaire qui souhaitait tester leur professionnalisme (le combat n’était qu’évaluatif, l’otage n’ayant jamais rien risqué). • Alors qu’ils affrontent un groupe de gobelins typique (combat récréatif ), les personnages se rendent compte que chaque peau-verte tuée se relève le tour suivant. En réalité, ces êtres sont les sujets d’expérience d’un nécromancien qui en a fait des mortsvivants. Rapidement, les personnages épuisent leurs ressources et se fatiguent face à ce qu’ils pensaient n’être qu’une menace mineure. Le combat est dès lors paroxystique et l’enjeu devient non seulement de survivre, mais aussi de découvrir comment tuer ces gobelins zombis. Déterminer les objectifs et les fonctions narratives

Posons ces définitions : • objectifs : ils sont diégétiques et concernent donc personnages et antagonistes, il s’agit du but que poursuivent les protagonistes du combat durant celui-ci ;

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• fonctions narratives : elles sont extradiégétiques et concernent le MJ et les joueurs, il s’agit de l’objet même du combat au sein du scénario, de son rôle dans la partie.

Ainsi, du point de vue diégétique 1, on cherche toujours à atteindre un certain objectif : tuer un adversaire précis, s’emparer d’un objet, capturer un ennemi, faire diversion, empêcher l’opposant d’atteindre son propre objectif, tenir une position, etc. Du point de vue extradiégétique, une scène de combat aura comme fonction narrative d’introduire un nouvel ennemi et de le présenter dans l’action, de délivrer des indices pour la suite, de poser une ambiance, de faire progresser l’intrigue, etc.

Exemples d’objectifs permettant de renouveler les combats : • le personnage affronte un ancien ami ou amour passé du mauvais côté mais ne peut se résoudre à le blesser ; • le combat doit être mené discrètement afin de ne pas réveiller les gardes ou attirer l’attention de la patrouille urbaine ; • il faut libérer des otages et donc éviter que les adversaires les exécutent ou qu’ils se prennent une balle perdue ; • le personnage doit désamorcer une bombe tout en empêchant son ennemi de l’approcher pour la déclencher sans attendre ; • l’objectif est de briller auprès d’un recruteur ou commanditaire potentiel – par exemple, durant un tournoi de chevalerie ou en défaisant les gardes du corps qui le protègent ; • l’adversaire doit être capturé (en vue d’un procès, parce qu’il connaît une information cruciale…) et non tué, mais lui se bat pour faire couler le sang.

Voici deux exemples de la façon d’articuler types, objectifs et fonctions narratives d’un combat. • Les personnages, alors qu’ils se rendent dans une petite cité côtière, croisent un groupe de gobelins. L’affrontement est rapide et facilement remporté : il s’agit d’un combat récréatif. Pour les joueurs, c’est un bon moyen de se défouler ou de tester les règles du jeu. Pour le MJ, c’est une façon de commencer directement dans l’action pour impliquer sa table. L’objectif des personnages est d’éliminer les gobelins en maraude : ils représentent un danger pour les voyageurs. Les gobelins cherchent avant tout à se défendre contre ces vils aventuriers. Le MJ a cependant posé une fonction narrative derrière cette rencontre apparemment aléatoire : normalement, il n’y a pas de gobelins de ce côté-ci de la région… Avoir croisé ces créatures est donc un moyen de donner un indice aux personnages sur la suite du scénario (découvrir qu’une menace plus importante a poussé ces gobelins à migrer pour survivre). 1. À l’intérieur de l’univers. Ici les objectifs sont donc ceux des personnages.

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• Une bagarre d’auberge de prime abord anodine a en réalité été déclenchée par un ennemi des personnages, présent par hasard sur les lieux. Grâce à cette altercation, il peut les voir à l’œuvre et observer leur façon de combattre. Ici, les PJ ont juste pour objectif de s’amuser et d’éviter trop de bleus, tandis que le but de leur mystérieux adversaire est de réunir des informations sur eux. Les joueurs prennent pour un combat récréatif ce qui est en réalité un combat évaluatif – et les personnages ne pourront le comprendre qu’en s’apercevant de la présence de leur ennemi dans l’auberge. La fonction narrative, pour le MJ, est de justifier le fait que cet adversaire soit en mesure de mettre en difficulté les personnages dans de prochains combats – ou leur envoie des opposants adaptés à leurs talents. Le MJ doit donc utiliser au mieux tous les outils précédemment présentés pour inscrire les affrontements dans son scénario : ce sont des scènes qui apportent au récit autant que les dialogues ou les enquêtes. Elles ont leur propre logique interne, et celle-ci doit s’articuler avec celle de l’histoire narrée par la table. Bien déterminer le type d’un combat, fixer les objectifs de chaque protagoniste et lui assigner une fonction narrative contribue ainsi à renforcer l’implication dans la partie sur tous les plans – technique, narratif, interprétatif…

Scripter un combat Comme toute autre scène, un combat peut se scénariser. Bien sûr, ce qui s’y déroule dépend en grande partie des joueurs et des aléas imposés par les règles (comme dans n’importe quelle autre scène, serait-on justement tenté de dire…), mais cela ne signifie pas que le MJ doive perdre de vue la narration pour se contenter du rôle d’adversaire des personnages.

Décrire ! Cela semble évident mais bien souvent, concentrés qu’ils sont sur les jets de dés et leur interprétation, MJ et joueurs oublient de rendre le combat vivant par manque de description1. En effet, durant un affrontement, chaque protagoniste répète peu ou prou les mêmes actions : attaquer, se défendre, se déplacer. Le but est d’habiller ces actions souvent semblables afin qu’elles apparaissent différentes pour les joueurs. Il faut donc raconter ce que font personnages et PNJ pour mettre en scène leurs actions avec dynamisme et inventivité, afin de susciter dans l’imagination de chacun une scène mémorable. Une action technique simple (comme frapper) s’accompagne d’une description qui lui confère un cachet unique, en cohérence avec l’esprit du jeu et le type du combat.

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COMBATS

1. À ce sujet, consultez également l’article « Décrire », p. 109.

• Si le combat est plutôt récréatif, dans une ambiance pulp, les joueurs peuvent se lâcher et en rajouter en mettant le décor à profit. Un simple « j’attaque » devient « je bondis sur la table de l’auberge et donne un grand coup de pied dans les assiettes et verres, qui vont heurter le visage de mes adversaires. » • Si le combat est paroxystique ou a lieu dans un jeu où chaque affrontement peut se révéler gravissime, une certaine sobriété permet d’instaurer plus de tension – à l’image d’un duel mis en scène par Sergio Leone ou dans certains films de sabre. Les phrases descriptives seront alors plus courtes et sèches, comme focalisées sur l’efficacité immédiate de l’action dépeinte : « Je quitte ma garde et porte un coup de katana en biais. »

Utiliser le décor

La mise en scène du combat devrait s’appuyer sur le décor où il se déroule : le MJ maîtrise ainsi l’espace où prend place l’affrontement. C’est un élément très important, car décrire un décor ou un autre évoque immédiatement des images fortes dans l’esprit des joueurs, c’est donc un outil puissant que le MJ ne doit pas sous-estimer. En effet, l’endroit où a lieu le combat peut conditionner le déroulement de celui-ci, la façon dont les personnages vont s’y battre, les descriptions qui seront faites, etc. Selon le terrain, le MJ peut introduire des éléments (bonus ou malus à certains jets, possibilités d’accomplir des actions pour les personnages ou les PNJ…) qui traduisent en termes de règles et de narration les impératifs et opportunités du décor. Afin de créer rapidement l’ambiance voulue, le MJ peut se contenter de décrire le décor de la scène de combat de façon succincte, en s’appuyant sur de tels mots-clés : l’imagination des joueurs fera le reste  ! Mais il peut également aller à rebours des attentes induites lorsqu’il nomme le lieu de l’affrontement : une auberge étrangement déserte (même le patron n’est pas là) ou un entrepôt inoccupé où sont pourtant stockés des containers récents (que contiennent-ils ?) créent un contraste qui frappera tout aussi bien l’esprit des joueurs. Voici quelques exemples de décors décrits par mots-clés et éléments techniques induits typiques.

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Mots-clés

Éléments techniques

Auberge

Clients, tables et chaises, cheminée, serveuses portant des plateaux, chopes d’alcool, escalier menant à l’étage, nourriture dans des assiettes…

Malus pour utiliser des armes longues, armes improvisées (assiettes, gobelets, cruches…), bonus aux cascades depuis les tables ou l’escalier, risque de toucher une serveuse innocente en cas d’échec critique, incendie possible si le contenu de la cheminée est répandu…

Usine

Murs semi-écroulés, ampoules brisées, machines-outils rouillées, palettes éparpillées, câbles dénudés, tableau électrique arraché, rats, matériel de chantier…

Possibilité d’éliminer des adversaires en utilisant l’électricité, véhicule pouvant être mis en marche, malus à la perception à cause de l’obscurité ambiante, armes improvisées (outils…), déclenchement d’une phobie (rats et autre vermine), bonus de couvert (sac de ciment, palettes…)…

Château fort

Gardes effectuant des rondes, remparts, douves, tours de guet, cour intérieure, écuries, chevaux, meurtrières, échelles, catapultes…

Malus à la discrétion en raison des gardes si on veut s’introduire, bonus à la perception si on protège grâce aux tours de guet, possibilité de fuite en volant un cheval, explosion de muret suite à un tir de catapulte, bonus à un jet de survie de chute des remparts en tombant dans les douves…

Rue d’une ville

Kiosque à journaux, voitures, circulation dense, groupe d’enfants en sortie scolaire, immeubles, vitrines des commerces, trottoirs, carrefours…

Risque de toucher un passant en cas d’échec critique, nombreux otages disponibles pour les méchants, bonus pour se mettre à couvert, possibilité de voler ou réquisitionner un véhicule pour une course-poursuite, changement de décor en entrant dans un immeuble ou une boutique…

Spatio­ port

Vaisseaux, tour de contrôle, hangars, mécaniciens, outils de maintenance, droïdes, speeders, patrouille, douanes…

Bonus pour se mettre à couvert, malus à la discrétion à cause de patrouilles, opportunité de voler un vaisseau pour un combat spatial, armes improvisées (outils…), crash d’un astronef ou d’un speeder touché par un tir perdu…

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COMBATS

Décor

Faut-il utiliser un plan des lieux du combat ? Un jeu comme Feng Shui1 déconseille de le faire  : un plan limiterait l’imagination des joueurs. Et en effet, si le but est que les personnages puissent interagir au maximum avec les éléments du décor, mieux vaut ne pas trop le figer et permettre ainsi aux joueurs de l’agrémenter en fonction de leurs propres idées. Cette façon de faire convient assez bien aux jeux pulp, où l’important est de décrire la scène la plus amusante et cinématographique possible. Mais en fonction de l’enjeu du combat, il peut être tout aussi intéressant de dessiner un plan des lieux. Cela permet d’instiller une certaine tension en faisant du décor lui-même un élément de danger, foisonnant de mystères : qu’y a-t-il après cette porte ? Un ennemi se dissimule-t-il derrière cet angle de mur  ? Animer un combat de cette manière est souvent l’apanage de jeux au système de combat tactique, dont le plus célèbre est D&D. En outre, utiliser un plan permet de poser concrètement certains éléments du décor. C’est une chose de dire que des containers de produits radioactifs se trouvent dans la zone de combat, c’en est une autre de les dessiner à leur emplacement précis et de laisser les joueurs composer avec cette donnée particulière – ces containers sont-ils dans la ligne de tir, peut-on les utiliser comme couvert, n’y a-t-il pas un risque de contamination rien qu’en passant à côté ?

Péripéties et rythme

La plupart des systèmes de combat imposent un rythme au déroulement de l’affrontement – tour après tour, chacun agissant lorsque vient son moment. Rester enferré dans cette routine est souvent ce qui enlise le combat et lui fait perdre son dynamisme. Mais un combat peut aussi être agrémenté de nombreuses péripéties qui vont briser cette succession soporifique ! Après tout, le monde continue à tourner pendant que les personnages se battent et ses composants peuvent intervenir  dans l’affrontement. Et comme le MJ incarne ce monde, il reprend ainsi la main sur le rythme du combat et maîtrise le temps. Surtout, il indique aux joueurs que l’histoire ne s’interrompt pas ou ne se déroule pas dans une bulle temporelle, mais que le combat participe bien au scénario. Le moyen le plus évident est de préparer une liste de péripéties qui vont bouleverser le rythme de la scène. Ces péripéties peuvent être spécifiques à un combat planifié mais aussi constituer un vivier dans lequel le MJ peut piocher lors d’une altercation improvisée. À lui de décider du moment où ces péripéties surviennent : à la fin du deuxième tour, quand tel protagoniste fera telle action, dès que le combat s’enlise trop…

1. Laws Robin D., Feng Shui, Daedelus Entertainment, 1996.

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Hexagon Universe1propose une fiche de scène d’action à remplir, qui permet de lister toute une série de péripéties pouvant survenir durant un combat. Voici quelques exemples de péripéties courantes : • l’intervention des forces de l’ordre : et oui, quand plusieurs individus se battent en place publique, il est courant de voir arriver le guet, la police ou les miliciens. Des témoins les auront alertés ou bien ils patrouillaient dans le coin : quoi qu’il en soit, il est de leur devoir d’interrompre le combat et de tirer tout cela au clair – quitte à emprisonner les personnages s’ils se montrent peu coopératifs ; • du renfort : l’une ou l’autre partie peut recevoir de l’aide et faire ainsi basculer les chances de son côté : il suffit qu’un personnage ou un PNJ ait eu l’occasion d’ap­ peler des alliés. Cela peut même ajouter un objectif au combat : empêcher l’adversaire d’appeler à l’aide ; • une péripétie liée aux actions des protagonistes : c’est là que le décor mis en place précédemment va servir. Des super-héros qui se battent en pleine rue peuvent provoquer l’explosion d’une conduite de gaz ou l’effondrement d’une façade d’immeuble. Dans une vieille usine, un des ennemis rallume l’électricité, ce qui met en marche plusieurs machines et ajoute un danger supplémentaire ; • une péripétie liée à un individu neutre : si le combat a des témoins, ceux-ci peuvent intervenir, notamment en appelant les forces de l’ordre comme indiqué mais pas seulement. Dans un bar, le tenancier fatigué de voir son établissement mis à sac par d’incessantes bagarres sort son fusil et tire en l’air pour calmer les esprits. Un chauffeur de taxi, voyant les personnages en difficulté, interpose son véhicule et leur propose de monter pour les aider à fuir. De telles péripéties peuvent influer sur le type du combat, en changer les objectifs et enjeux. Une altercation avec des hommes de main (un combat récréatif classique) peut s’aggraver si l’un d’eux parvient à appeler en renfort l’un des lieutenants de son organisation – un tueur connu pour son efficacité et sa détermination. On peut alors passer à un combat évaluatif (ce lieutenant cherche à voir ce que les personnages ont dans le ventre pour éventuellement les recruter) ou paroxystique (il veut éliminer ceux qui ont porté atteinte à l’honneur de ses hommes).

Développer les personnages Comme (voire plus que) dans toute autre scène de la partie, joueurs et MJ peuvent – doivent ! – interpréter personnages et PNJ durant un combat.

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COMBATS

1. D’Huissier Romain, Devernay Laurent, Lofficier Jean-Marc, Lullien Jean-Baptiste, Hexagon Universe, Les XII Singes, Saint-Didier-au-Mont-d’Or, 2013.

Par les règles

Personne ne se comporte de la même façon durant une altercation. Atouts physiques, volonté, analyse du terrain, armes utilisées : tous ces paramètres et bien d’autres interviennent dans la façon dont un guerrier aborde un combat. Souvent, ces données sont couvertes par l’aspect technique d’un personnage et passent en général par une composante physique. Des attributs comme la force ou la rapidité, des atouts ou handicaps comme le courage ou la lâcheté donnent déjà une idée de la façon dont un personnage va se comporter dans un combat ou quel rôle il va y tenir. Certains jeux proposent même des techniques de combat spécifiques (Le Livre des Cinq Anneaux1) tandis que d’autres permettent de définir des traits du personnage par de courtes phrases évocatrices (Wulin2 ou FATE). Il est ainsi pertinent de se baser sur le côté technique d’un personnage pour l’interpréter physiquement durant un affrontement : le joueur doit s’inspirer de ses caractéristiques pour lui inventer un comportement adéquat qui n’appartiendra qu’à lui. Le MJ peut faire de même avec ses PNJ – les rendant par ce biais uniques et donc mémorables. Pour le MJ, typer un PNJ de cette façon est un moyen d’indiquer son niveau de dangerosité. Dans la plupart des films de sabre, les adversaires de bas niveau possèdent un profil classique (simple épée, tenue sobre, technique sommaire) tandis que les ennemis dangereux disposent d’armes singulières (guillotine volante, double sabre-laser, pistolet à la crosse d’ivoire décorée d’une croix en or), se vêtent avec ostentation et usent de coups peu orthodoxes (dans La Rage du tigre, maître Long aime briser les sabres de ses opposants avec son triple bâton avant de leur défoncer les côtes). Voici quelques éléments en exemple : • la façon de bouger : selon son agilité, sa force, son caractère belliqueux, etc., un personnage n’aura pas la même façon de se mouvoir. Fonceur, en retrait, prudent, provoquant l’adversaire… La gestuelle participe à la description d’un combat vivant et renforce l’interprétation du personnage ; • une arme de prédilection : l’équipement du combattant le singularise souvent grandement. Un colosse se sert d’un marteau de guerre, un souple spadassin manie des dagues jumelles… Ou l’inverse, afin de créer un contraste saisissant ! Ce gringalet qui brandit une hache aussi lourde que lui marquera ainsi durablement les esprits. Bloodlust Métal3 pousse même cette logique plus loin en faisant de l’arme un personnage à part entière, possédant pouvoirs et personnalité ; 1. Bolme Edward S., Heckt Andrew, Stolze Greg, Trindle D.J., Wick John, Williams David, Zinser John, Legend of the five Rings, Alderac Entertainment Group, Ontario, 1997. La version française la plus récente est Le Livre des Cinq Anneaux, quatrième édition publiée par Edge Entertainment. 2. Henry Nicolas, Wulin, Chroniques du Pinceau et de l’Épée, Game-Fu, Saint-Médard-en-Jalles, 2015. 3. C olombeau Rafael, L alande François, G rümph John, M ay Pierrick, Bloodlust Métal, John Doe, Jouy-le-Moutier, 2012.

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• un coup spécial  : selon la technique martiale qu’il pratique, le personnage adopte toujours la même botte pour achever un adversaire (tel Achille et son coup de lance sauté dans Troie) ou possède un enchaînement fétiche, un genre de signature. Luchadores1 permet ainsi de créer ses propres coups spéciaux : un élément majeur pour typer son personnage lorsque l’on interprète des catcheurs masqués ! Le MJ peut également utiliser cette personnalisation technique contre les personnages – afin de les défier ou de les pousser à évoluer, à se remettre en question. Un épéiste utilisant une lame légendaire se la fait dérober : avec quoi va-t-il mener ses prochains combats (y compris ceux pour récupérer son bien) ? Comment un colosse réussira-t-il à vaincre un adversaire petit et agile dans un espace réduit où sa carrure constitue un handicap plus qu’un avantage ? Que se passe-t-il quand un sniper d’élite devient borgne après avoir pris un éclat dans l’œil ? Il y a là matière à interprétation en prenant comme point de départ une péripétie qui puise sa source dans la personnalisation technique du personnage. La parole

Durant un affrontement, on ne fait pas que grogner ou ahaner. Un duel est le moment idéal pour discuter ou s’invectiver – voire lancer un débat éthique. Dans les Chevaliers du zodiaque (Saint Seiya), les adversaires passent presque plus de temps à discourir qu’à se battre ! Une habitude que pourraient reprendre les personnages de Devâstra réincarnation2, jeu qui s’inspire clairement de ce dessin animé et dans lequel il est explicitement précisé que parler durant un combat ne coûte aucune action – une règle qui peut être importée dans de nombreux systèmes si le MJ souhaite faire des dialogues un élément important des combats. Pour autant, cela n’est pas gratuit : les belles paroles ont un effet bien concret sur le combat. Convaincre son ennemi qu’il fait fausse route, l’humilier par quelques insultes bien senties ou le narguer afin de le décontenancer doit avoir des retombées techniques. Un jet impliquant le charisme ou des compétences rhétoriques devrait ainsi octroyer un malus aux actions de l’adversaire pour avoir ébranlé son assurance. Dans Wulin, on peut même faire perdre la face à son adversaire, ce qui a pour effet de le mettre hors de combat tout aussi efficacement que de l’assommer – une idée à reprendre pour des jeux où le ridicule tue aussi sûrement qu’un fleuret. Une phrase-signature peut également typer un personnage, par exemple s’il l’utilise avant de porter le coup de grâce, à la façon du fameux « N’as-tu jamais dansé avec le diable au clair de lune ? » que déclame le Joker du Batman de Tim Burton avant d’exécuter sa victime. Cela peut d’ailleurs fournir un indice sur l’identité d’un assassin – l’une de ses cibles ayant survécu rapporte cette phrase aux personnages, qui ont dès lors une piste pour identifier ce tueur.

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COMBATS

1. D’Huissier Romain, Favre Willy, Heylbroeck Julien, Luchadores, Pulp Fever Éditions, Le Haillan, 2011. 2. D’Huissier Romain, Devernay Laurent, Devâstra réincarnation, Pulp Fever Éditions, Le Haillan, 2012.

Conclusion Le combat est-il vraiment une scène (presque) comme une autre ? Oui, comme on l’a vu : un affrontement doit s’inscrire dans la trame du scénario et y participer, les personnages doivent être interprétés, le décor doit contribuer à l’ambiance et permettre d’intégrer des péripéties, il n’est pas une simple toile de fond. Mais le « presque » a son importance. Un combat reste une scène un peu particulière : le risque de se laisser déborder par les règles spécifiques est important, l’enjeu est de taille pour les joueurs (possible perte du personnage) et l’irruption de la violence n’est que rarement un fait anodin. Il y a donc un travail supplémentaire à effectuer de la part du MJ afin de faire en sorte que le combat s’inscrive dans la narration globale et n’interrompe pas l’immersion ou l’interprétation des joueurs. Et c’était le but de cet article : lui fournir quelques outils et pistes de réflexion pour cela, afin qu’à sa table, les scènes de combat s’insèrent naturellement dans l’histoire racontée par les joueurs pour le plus grand plaisir de tous !

Fiche de combat Il peut être intéressant pour le MJ de créer pour chaque scène de combat prévue une fiche descriptive afin de récapituler tout ce qui a été évoqué dans cet article. Il peut même la remplir succinctement au début d’un combat à l’initiative des joueurs. Il pourrait ainsi y noter : • le type du combat ; • les adversaires auxquels se confrontent les personnages ; • la fonction narrative ; • les objectifs des divers protagonistes ; • le décor où il prend place (décrit par quelques mots-clés, des éléments techniques et narratifs) ; • les péripéties qui surviennent durant son déroulement. Et ce, d’autant plus si le MJ compte partager son scénario (en ligne, dans un magazine ou dans un livre de jeu) afin qu’il soit joué par d’autres.

Fiche de synthèse : fiche de combat Type de combat : Protagonistes : Personnages

Adversaires

Témoins

Autres

Fonctions narratives :

Objectifs : Pour les personnages

Pour les adversaires

Décor : Décor

Mots-clés

Éléments techniques et narratifs

Péripéties : Moment de survenance

COMBATS

Péripéties

SPÉCIALES

animer les scènes spéciales



Thomas Munier, Coralie David et Jérôme Larré

U

ne partie de JdR recoupe une grande variété de situations. Certaines, habituellement bien plus fréquentes, peuvent être regroupées en trois grandes catégories. Ce sont les scènes archétypales, et la plupart des jeux expliquent clairement comment les gérer. Il s’agit des combats (essentiellement les escarmouches), des séquences d’exploration (fouilles de zones, collectes d’indices) et des scènes d’interaction sociale (interrogatoires, joutes verbales, voire, selon comment vous les jouez, flirts, badinage, séances de procès, etc.).

Par opposition, les scènes spéciales regroupent toutes les situations qui ne correspondent à aucune de ces dernières. Il arrive que des jeux fournissent des règles pour en gérer certaines, à l’instar de C.O.P.S. et des courses-poursuites, mais elles sont le plus souvent laissées à l’appréciation du meneur. Pourtant, ces scènes ont le potentiel pour devenir tout aussi intéressantes à jouer que les autres. Elles peuvent elles aussi créer de la tension, transmettre des informations sur le monde ou les personnages, ou donner corps à un genre. Nous allons voir comment animer ces situations et les imbriquer entre elles de façon à en faire des moments forts de vos parties. Vous trouverez dans cet article une succession de principes dont le rôle est de vous aider à les mettre en jeu, puis des pistes plus concrètes pour chacun. Ces dernières prendront soit la forme de conseils directs, soit celle de questions destinées à vous montrer l’éventail de possibilités qui s’offrent à vous. Étant donné le nombre de types 191

de scènes spéciales, l’article qui suit est très volumineux et vous n’avez sans doute pas intérêt à le lire d’une traite. Privilégiez davantage celles qui vous intéressent et picorez-les au gré de vos envies, peut-être en accompagnant votre lecture de celle d’autres chapitres1 afin d’approfondir et d’expérimenter.

Les grands principes Avant de passer en revue les différents types de scènes spéciales et de voir, concrètement, comment les rendre passionnantes, voici quelques principes qui s’appliquent à la plupart d’entre elles. Intégrer ces aspects devrait vous permettre de vous adapter à de nombreuses situations. Non-obligation

Vous avez toujours le choix de jouer ou pas une scène spéciale. Si vous êtes mal à l’aise ou si vous avez l’impression d’être face à un passage obligé et de ne pas pouvoir vous en sortir de façon satisfaisante, il vous reste toujours la possibilité de faire une ellipse. Cela ne rendra certes pas votre partie mémorable, mais il n’y a aucune honte à avoir si cela vous évite de vous embourber et de faire perdre une heure à toutes les joueuses présentes. Par contre, si vous décidez de jouer, assumez pleinement ce choix et inspirez-vous de tous les outils à votre disposition, comme, par exemple, ceux décrits dans la suite de cet article. Fonction narrative

Comme expliqué dans l’article précédent2, la fonction narrative d’une scène correspond à la raison pour laquelle celle-ci est intégrée à la partie, au-delà des simples liens de causes à effets induits par ce qui se passe dans la fiction. C’est typiquement le cas du combat qui peut s’expliquer par le fait que les personnages traînent dans un endroit peu fréquentable, mais qui n’est là que pour relâcher un peu de pression, enseigner aux joueuses les bases des règles ou relancer le rythme de la partie. Il n’y a aucune raison que les scènes spéciales en soient dépourvues. Elles ne servent pas qu’à meubler ou à éviter de frustrer les joueuses lorsqu’elles font un choix qui prend le meneur de court, même si ces deux fonctions sont parfaitement légitimes. Dans la mesure du possible, elles devraient correspondre à une intention claire de la part du meneur et des joueuses, et s’étendre au-delà de ce qui touche directement les personnages pour également concerner le déroulement de la partie et les joueuses elles-mêmes. Selon la scène, le meneur peut distinguer les fonctions narratives conflictuelles, émotionnelles, esthétiques, informationnelles ou divertissantes.

1. Par exemple « Animer les combats » p. 173, « Décrire » p. 109, ou « Incarner des PNJ » p. 141. 2. L’article « Animer les combats », p. 173.

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Fonctions narratives

Épreuve

Proposer un défi aux joueuses et aux personnages

Émotionnel

Faire ressentir une émotion1 aux joueuses (joie, amour, peur, colère, dégoût, haine…) Donner à voir l’univers de jeu

Esthétique

Informationnel

Reproduire les codes d’un genre fictionnel

Exemples classiques Course-poursuite Bataille Répétition Flash-forward Rêve Cérémonie Rêve Voyage Plans Bivouac

Transmettre des révélations

Flash-back

Permettre aux joueuses de collecter des renseignements

Bivouac

En apprendre davantage sur les personnages

Attente

Rêve

En donner aux joueuses pour leur « argent » Divertissant

Occuper une joueuse dont le personnage est inactif pendant que les autres sont impliqués dans une scène archétypale

Temps longs

Enjeu et adversité

La scène doit avoir un enjeu qui soit propre aux personnages, un élément qui puisse éventuellement mal tourner et justifie le fait qu’ils agissent. Il convient donc de se demander ce qui peut les influencer, quelles sont les décisions qu’ils peuvent prendre, quelle est leur liberté d’action, etc. Les scènes spéciales peuvent être riches de suspense. Va-t-on rattraper le grand méchant  ? Quelqu’un va-t-il s’opposer à ce mariage  ? Va-t-on finir la nuit avec un couteau entre les omoplates ? Ce séjour au sanatorium va-t-il être l’occasion d’un repos bien mérité ou de terrifiantes découvertes ? 1. À ce sujet, consultez également l’article « Créer des émotions particulières », p. 277.

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SPÉCIALES

Types

Si vous voulez que cette scène ait un enjeu fort, le plus rapide est sans doute de vous demander quelle est la crise en cours (on parle parfois de « scènes de crise »), ce qui pourrait se passer si les personnages échouent à la gérer, s’ils ne font rien, etc. Mais toutes ne nécessitent pas autant d’adversité, ou l’éclatement d’un conflit externe. Certaines peuvent être purement contemplatives par exemple, ne faire qu’instiller une tension sans que rien ne se concrétise, voire se contenter de donner une information sur l’identité des réels antagonistes. Assurez-vous de prévoir un niveau et un type d’opposition adaptés à ce que vous voulez provoquer. Très souvent, cela consistera à anticiper un conflit, par exemple sous la forme d’une menace, d’un secret, d’un compte à rebours, etc. Cette menace pourra être uniquement annoncée, mise en œuvre plus tard, ou être active durant la scène. Elle peut prendre la forme de loups qui rôdent près du bivouac des PJ, d’empoisonneurs présents à une cérémonie où ils sont invités, d’une rencontre avec leur Némésis dans l’antichambre du roi, d’un cauchemar qui surgit pendant leur sommeil. Pour que la scène spéciale ne devienne pas une scène archétypale sitôt la menace révélée, celle-ci peut agir à des niveaux qui ne sont ni martiaux, ni sociaux, ni liés à une enquête, ou le faire à la fois sur ce plan-là, classique, et sur un autre, plus original. Le loup tente de saper le moral des personnages, l’assassin de les endormir, la Némésis de les séduire sans dire un mot, le cauchemar de mettre en doute leurs convictions. Utilisation des règles

Les règles servant à gérer certains types de scènes spéciales ont souvent été utilisées comme des moyens de caractériser des jeux, qu’il s’agisse du piratage informatique dans Shadowrun ou Cyberpunk1, des duels dans Le Livre des Cinq Anneaux ou de l’intimité dans Apocalypse World2. Mais ce n’est pas parce que le jeu auquel vous jouez ne prévoit pas de règles spécifiques correspondant à ce que vous souhaitez mettre en place que tout doit être géré selon le bon vouloir de la table. Idéalement, chaque scène spéciale doit avoir un impact mécanique sur les personnages (évolution d’une jauge de santé, gain ou perte de points de moral, un nouveau contact sur la fiche, etc.) et en retour ceux-ci doivent avoir la possibilité d’agir mécaniquement sur la scène (faire des manœuvres ou un jet de connaissance, collecter ou dépenser des ressources, protéger ou attaquer un bien, une valeur ou une personne, etc.). Des scènes presque comme toutes les autres

Quoi qu’il arrive, si vous avez décidé de jouer une scène spéciale et que vous êtes perdu ou si vous trouvez que le rythme patine, il est toujours possible de revenir aux bases. Concrètement, cela signifie que vous pouvez la transformer en scène archétypale, quitte à perdre ce qui en faisait la spécificité. 1. F isk Colin, F riedland Dave, M oss William, P ondsmith Mike Alyn, R uggels Scott, Cyberpunk, R. Talsorian Games, Berkeley, 1988. 2. Baker Vincent, Apocalypse World, Lumpley Games, 2010.

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1. mettre en jeu un incident déclencheur, quelque chose qui tourne mal, un événement qui ne devrait pas se produire ; 2. faire apparaître des conséquences et un enjeu plus important que ce que le signe avant-coureur n’aurait pu le laisser penser. Il peut être facile ou difficile à gérer pour les personnages ; 3. rajouter une complication quand les choses semblaient sur le point de revenir sous contrôle ; 4. résoudre la situation et définir les conséquences. Pour prendre un exemple connu de la plupart des groupes, imaginons une scène de campement. Toutefois, après vous être lancé, vous n’avez pas eu l’impression que vos joueuses soient très enthousiastes et vous préférez revenir à quelque chose de plus classique. Vous pouvez toujours partir du principe que le personnage dont c’est le tour de garde est tiré de sa torpeur parce qu’il voit deux gobelins qui ne l’ont pas remarqué, mais qui sont en train de passer entre lui et le reste du groupe (1). Il y a de fortes chances qu’ils tombent sur ces derniers si le guetteur ne fait rien (2). Imaginons que les personnages gèrent cette menace sans trop de difficulté, ils s’aperçoivent rapidement que les deux pauvres hères ne sont en fait que les éclaireurs de toute une tribu qui avance en direction du campement (3) et que, selon la manière dont s’est passée l’étape précédente, ses membres peuvent avoir été alertés par des bruits de combat. Aux joueuses de décider comment elles vont gérer la situation : négociation, discrétion, fuite, combat, illusion, etc. (4) Certaines options pourront leur permettre d’apprendre que les gobelins se dirigent vers une sorte de conseil de guerre rassemblant toutes les tribus des environs afin de lancer une grande offensive contre le royaume.

Les scènes spéciales en détail Vous trouverez dans la suite de cet article une liste de types de scènes spéciales, ainsi que des conseils pour les jouer ou des questions devant vous permettre non seulement de les diversifier, mais aussi et surtout de les adapter à vos envies. Attentes

Un peu comme celle des temps longs, cette catégorie pourra paraître surprenante. Elle semble regrouper, par définition, des scènes où il ne se passe rien et qu’il vaudrait donc mieux résumer en une phrase au lieu de les jouer. Cependant, il est parfois intéressant de les mettre en jeu pour faire ressortir cet écoulement du temps et le fait que les joueuses ne contrôlent pas totalement le destin de leurs personnages. Par exemple, ceux-ci peuvent être en attente d’une nouvelle mission ou de la décision d’un figurant, d’une action devant être accomplie par le reste du groupe, piégés dans un endroit en attendant que les secours arrivent, etc.

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SPÉCIALES

Il vous suffit d’intégrer les quatre étapes suivantes :

Les pistes ci-dessous sont classées selon le type de scène que vous souhaitez mettre en place (voir p. 193). Type de scène : épreuve Fonctions narratives : montrer le passage du temps aux joueuses. Exemples : attente de la décision d’un tiers, pris au piège. Quelques questions à se poser : • qu’est-ce qui empêche les personnages de mettre fin à l’attente eux-mêmes ? Le décor ? Les PNJ ? Des relations ou responsabilités tierces ? • comment est-ce que les personnages peuvent avoir l’impression ou savoir que leurs adversaires progressent pendant qu’eux sont bloqués ? • quels sont les moyens d’action des personnages pour communiquer avec l’extérieur ou pour influencer le déroulé des événements ? Type de scène : émotionnelle Fonctions narratives : créer de la tension, susciter l’impatience. Exemples : attente dans une antichambre ou l’ascenseur qui amène au dernier niveau, enfer administratif, une sauterie pleine de mortels avant un règlement de comptes entre vampires. Quelques questions à se poser : • comment faire ressortir l’ennui au travers des descriptions1  ? Via le champ lexical ? Et sinon ? • est-ce que l’inaction peut être montrée ? Qu’est-ce qui la symbolise le mieux ? Mettre en jeu des PNJ qui ne cessent de râler parce que les choses n’avancent pas, mais trouvent des raisons de s’opposer à tous les efforts concrets (technocrates, contradicteurs, lâches, procéduriers, etc.) ? Leur faire proposer des solutions que les joueuses savent être inefficaces ? • est-ce que l’on peut voir des mesures de ce temps qui n’avance pas ? Un compte à rebours de type ascenseur ou horloge qui passe de plus en plus lentement ? Est-ce que les personnages sortent du temps réel ? Peut-on montrer un tableau de bord indiquant des résultats qui n’évoluent pas, etc. ? • est-ce qu’il existe un moyen de revenir sur ce qui a été fait, une sorte de récapitulatif final, ou sur ce qui attend les personnages ? Un interlocuteur ? Des vidéos ? Des preuves ?

1. À ce sujet, consultez également l’article « Décrire », p. 109.

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Type de scène : esthétique Fonctions narratives : installer le calme avant la tempête, susciter une phase contemplative. Exemples : permission ou retour dans la famille avant l’appel aux armes, village hobbit dont personne ne veut s’éloigner, banquet entre mafieux. Quelques questions à se poser : • quelles sont les activités futiles auxquelles sont contraints les personnages ? Est-ce que les joueuses peuvent les proposer elles-mêmes ? • qu’est-ce que provoquent ces activités et comment est-ce que cela se répercute sur leurs proches ? Est-ce que le jeune garçon du mercenaire est content que son père lui accorde un peu de temps ou lui fait-il la tête car il ne le voit jamais ? • comment est-ce que cela entre en résonnance avec ce qu’il va se passer dans les scènes suivantes ? Est-ce que le père attentif va plus tard être confronté à un enfant soldat  ? Devra-t-il protéger des écoliers qui se sentiront plus liés à lui que ne l’ont jamais été ses propres enfants ? • comment peut-on varier les décors et rencontres a priori sans intérêt pour créer des sortes de mini-rebondissements ? En faisant inopinément arriver le facteur ? Le cousin qui prend les personnages comme modèle est-il toujours content de les voir ? En faisant perdre de vue aux PJ leurs proches dans un centre commercial pour laisser revenir un temps les réflexes du terrain ? • comment les personnages peuvent-ils tuer le temps et quelles activités font-ils qu’ils ne feraient jamais s’ils avaient la possibilité de partir ? Quelles sont les petites joies en apparence inutiles qui rythment une journée où il ne se passe rien et génèrent des interactions positives ? Apprendre à un enfant à faire du vélo ? Se déguiser en clown pour une fête d’anniversaire ? Des crêpes pour le goûter du dimanche ? Type de scène : informationnelle Fonctions narratives : distiller des renseignements sans violence, présenter des alliés ou ennemis potentiels, transmettre des informations via une atmosphère. Exemples : allées d’un tribunal, cour du roi en attendant une entrevue, rencontre entre shadowrunners dans un espace public. Quelques questions à se poser : • quelles sont les conversations entendues ? Par qui ? Quelle valeur leur accorder ? • est-ce que les PNJ s’ennuient eux aussi ? Abordent-ils les protagonistes ? De façon intéressante ou inintéressante ? • est-ce que les PJ font des erreurs à force d’impatience ?

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• comment réussir à mener des discussions à plusieurs niveaux : un pour les profanes et autres badauds présents, et un pour ce qui a une réelle importance ? • comment le lieu de l’attente peut-il être utilisé pour apprendre de nouvelles informations ? Est-ce que celles-ci nécessitent une action qui les rendrait disponibles, par exemple attirer l’attention du vigile pour pouvoir voler une blouse de docteur et quitter la pièce ? Type de scène : divertissante Fonctions narratives : actualiser le statut d’un personnage inactif, faire le point, occuper les joueuses. Exemples : banc public, bureau du commissaire, salle d’attente d’un hôpital. Quelques questions à se poser : • est-ce qu’il est possible de jouer une scène introspective, un peu à l’instar des confessionnaux de télé-réalité ? Même si c’est beaucoup plus facile dans un univers fantasy, est-ce que l’appel d’un supérieur ou d’un membre de la famille ne peut pas permettre d’obtenir le même résultat ? Le personnage, grâce aux questions posées par son interlocuteur, peut se remettre en question, réfléchir à sa situation ; • dans tous les cas, est-ce qu’il ne serait pas utile de profiter de ce temps mort pour faire le point sur ce qui se passe, que ce soit directement ou en provoquant une discussion potentiellement tendue avec un tiers, par exemple parce qu’elle crée des obligations à ses compagnons ? • est-ce qu’il ne vaut mieux pas faire jouer un autre personnage à la joueuse isolée ? Ne peut-elle pas justement incarner celui qui la fait attendre ? Ou un autre personnage qui finira par lui donner l’information, mais qui lui permet de rencontrer son personnage habituel, trop occupé à ne rien faire ? Inversement, est-ce que ce n’est pas l’occasion de recevoir un appel de son personnage principal pour créer une sorte de suspense, par exemple en laissant penser que ce dernier a été enlevé ou a découvert quelque chose d’important qu’il ne peut pas encore révéler au reste du groupe ? Batailles

Historiquement, les batailles ont longtemps été simulées par des règles spécifiques et il était très courant de trouver ces dernières dans les sections réservées aux meneurs, voire d’utiliser des jeux à part entière pour le faire (Chainmail1, Battlesystem2, etc.). Toutefois, avec la diversification thématique du JdR, les batailles ont fini par devenir bien plus accessoires et par passer du statut de scènes archétypales à celui de scènes spéciales. Qu’est-ce qu’une bataille  ? Un affrontement plus grand qu’une escarmouche qui prendrait beaucoup trop de temps à gérer avec le système de combat classique, et dont 1. Gygax Gary, Perren Jeff, Chainmail, TSR, Lake Geneva, 1971. 2. Niles Douglas, Winter Steve, Battlesystem, TSR, Lake Geneva, 1985.

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Du point de vue du MJ, on retrouve principalement deux grandes approches pour ce type de scènes : en faire des mini-jeux tactiques (comme ceux cités ci-dessus) ou les réduire à des décors surtout utilisés pour leur intérêt narratif (comme dans Tenga1). Naturellement, il existe de nombreuses méthodes intermédiaires, comme celles que l’on retrouve dans de grands classiques comme Bushido2 et L5R (hors utilisation du jeu spécifique Clan War3). Voici quelques questions à vous poser pour pouvoir proposer des scènes de bataille variées. Quelle sera l’influence des joueuses sur le résultat ? Est-ce que les joueuses doivent avoir un rôle décisif sur l’issue de la bataille ou pas ? Peuvent-elles changer le cours de l’histoire (et de l’Histoire) ? Quels sont les événements que vous ne souhaitez pas qu’elles modifient ou qui doivent absolument figurer dans le scénario ? Quels sont les éléments tactiques (composition d’armées, fatigue, logistique, terrain, etc.) à prendre en compte et est-ce que les joueuses pourront avoir une influence dessus ? Quelles sont les relations entre les joueuses et leurs personnages ? Les joueuses bénéficient-elles d’une vue d’ensemble et d’une connaissance supérieure à celle de leurs personnages ? Peut-être via un support, un jeu dans le jeu ou un autre dispositif ? Peuvent-elles activer uniquement leurs personnages ou aussi des unités de PNJ ? Une joueuse dont le personnage est mort ou l’unité en déroute continue-t-elle de jouer ? Quels sont les types d’actions proposés aux personnages ? Que peuvent-ils faire d’autre que combattre des adversaires face à eux ? Peuvent-ils rallier une unité en déroute ? Défier ou capturer un adversaire de renom ? Gérer leur équipement ? Faire une manœuvre stratégique ? Tenir une position ? Parler ? Fuir ? Trahir ? Quelles sont les conditions de victoire ou de défaite ? Qu’est-ce qui est vraiment en jeu ? Un élément d’intrigue ? La vie des personnages ? D’autres considérations plus épiques ? Comment détermine-t-on le vainqueur ? Par des points de victoire ? L’évolution de l’histoire ? La réalisation d’un objectif précis ? Comment sait-on si les adversaires achèvent les blessés ou pas ? 1. Le système de combat de Tenga (réutilisé dans Bloodlust Métal) est disponible gratuitement à cette adresse : http://goo.gl/1m7oxT 2. Charrette Robert N., Hume Paul R., Bushido, Phoenix Games, USA, 1980. 3. Williams Dave, Clan War, Alderac Entertainment Group, Ontario, 1998.

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les personnages ne maîtrisent pas tous les tenants et aboutissants. Le détail des forces en présence ou des opportunités tactiques peut être communiqué aux joueuses sans tenir compte des connaissances des personnages ou révélé progressivement selon celles-ci.

Bivouacs

Comme les voyages, le campement fait partie des clichés rôlistes, à la fois dans le bon et le mauvais sens du terme. Rares sont les joueuses à ne pas avoir eu à répondre à la question rituelle des tours de garde, voire qui pensent avoir essayé toutes les variations possibles. Pourtant, avec un peu de préparation, les scènes de bivouac peuvent devenir particulièrement intéressantes. Faites de la durée du campement un enjeu Que les PJ soient traqués ou qu’ils traquent une cible, ils auront tôt ou tard à s’ar­ rêter pour des raisons indépendantes de leur volonté (repos, nourriture, soins, attendre qu’un danger passe, etc.). S’ils sont poursuivis, il va falloir arbitrer entre discrétion, sécurité et la part de leur avance qu’ils ne sont pas prêts à sacrifier. N’hésitez pas à faire monter la tension, à multiplier les jets de perception, de survie ou de bricolage, voire à leur demander un jet d’intelligence s’ils décident d’allumer un feu ou à évoquer les volutes de fumée qui s’élèvent vers le ciel, etc. S’ils traquent des fugitifs, insistez sur leur fatigue et sur le dilemme suivant : vont-ils prendre le risque de perdre la trace de leur proie, ou celui de ne pas être en capacité de l’affronter sans y laisser des plumes ? Multipliez les solutions possibles de bivouac Variez les lieux et montrez ce qu’ils impliquent pour casser la routine (à flanc de falaise, au sommet d’un arbre, près d’un cours d’eau, dans des ruines, dans une garnison à la loyauté douteuse, dans un cimetière hanté, etc.), et proposez aux PJ plusieurs possibilités pour une même halte – si possible sans solution évidente. Par exemple, vaut-il mieux dormir sous la pluie ou prendre le risque de s’assoupir dans une grotte que l’on n’a pas eu le temps d’explorer ? Amenez les joueuses à faire un choix et à se positionner, elles réfléchiront ainsi naturellement à ses conséquences. Si vous voulez aller encore plus loin, donnez-leur le choix entre plusieurs itinéraires en fonction de ce qu’ils impliquent pour le campement : facilité à trouver de la nourriture, dangerosité, etc. Tenez compte de la fatigue des personnages Jouez sur leurs ressources, et rendez les conséquences d’un bivouac « raté » ou mal préparé substantielles et réellement intéressantes. Comme dans Ryuutama1, si les règles spécifient que les personnages récupèrent des points de vie ou des sorts toutes les nuits, liez cette récupération à la qualité de leur campement. Rendez leur importance à ces phases, il s’agit d’un des enjeux majeurs d’un voyage qui se passe bien, pas juste d’une corvée. Jouez sur l’inventaire de l’équipement et des rations  Dans le même ordre d’idées, c’est le moment de mettre un coup de pression aux joueuses : les PJ ont-ils assez à manger pour finir le voyage ? Faut-il partir à la chasse ? 1. Okada Atsuhiro, Ryuutama, Jive Ltd, Tokyo, 2007.

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Organisez des tours de garde et de possibles attaques nocturnes Attention surtout à ne pas en abuser. Détournez ce lieu commun pour surprendre vos joueuses et rendre ces scènes vraiment spéciales : et si ces yeux qui épiaient les PJ dans le noir n’étaient que ceux d’inoffensifs enfants perdus affamés attirés ici par l’odeur de la viande rôtie ? Et s’ils avaient installé leur campement non loin de champignons dont les spores hallucinogènes leur donnent des visions de leurs pires cauchemars ? Rendez les assiettes des personnages intéressantes Vous n’êtes pas obligé de faire dans la critique culinaire haut de gamme ou de resservir l’archétype du nain aviné et de l’elfe végétarien, mais une simple scène reposante peut devenir une façon d’apprendre de nombreux éléments liés au monde ou l’occasion d’échanges entre les personnages. Et cela s’étend bien sûr aux diverses façons de se procurer la nourriture. Insistez sur les odeurs, les différentes façons d’assaisonner un gibier ou, sans faire dans le scabreux, sur les conséquences inattendues d’un changement de régime. Si vous manquez d’inspiration, repensez aux cris d’orfraie que poussent certains de nos compatriotes lorsqu’ils se voient proposer du bœuf en gelée, à la manière dont nos voisins s’offusquent de nous voir manger des escargots et des cuisses de grenouilles, ou pire encore, à tous ceux qui disent « pain au chocolat » au lieu de « chocolatine ». Organisez une veillée où chaque personnage peut raconter une histoire Cette technique est difficile à renouveler sans lasser, mais elle reste très efficace lorsque vous réussissez à bien l’amener, le plus souvent grâce à un PNJ (barde, officier, mentor, groupie, shaman, etc.) utile pour encadrer ce que vont dire les personnages et éventuel­ lement relancer la discussion. En effet, rien de pire qu’une histoire qui tombe à plat. Pour éviter cela, il vaut mieux fixer des contraintes : ces histoires doivent nous apprendre quelque chose à propos d’un personnage, d’un lieu, ou nous aider à déterminer qui est le plus bel homme du royaume, le meilleur groupe de musique du métroplexe, etc. Vous pouvez même envisager de demander à vos joueuses de se préparer entre deux séances. Mais dans tous les cas, réutilisez les histoires contées par vos PJ : faites du monstre de la légende de ce conte nain une réalité, racontez-en une autre version par la bouche d’un autre orateur, etc.

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Trouver une rivière ? On imagine que d’autres créatures peu recommandables peuvent être venues boire elles aussi. Sur un coup de malchance, les rations d’un personnage peuvent avoir été gâtées par l’eau (sa gourde a une fuite) ou boulottées par un animal et les autres personnages vont devoir partager avec lui… Demandez des jets cachés aux joueuses (perception, survie, intelligence et assimilés devraient faire l’affaire) pour savoir si elles ont anticipé le rationnement et ont encore assez de ressources dans le cas d’un trajet qui s’éternise. Si le résultat des jets est caché, impossible de savoir qui a « réussi » ou pas, et donc qui a « raison » : profitez ensuite d’une conversation animée entre le rôdeur patibulaire qui est persuadé qu’ils auront de quoi finir le voyage, et le barbare colérique qui pense que cela ne sera pas le cas.

Investissez les rêves et cauchemars des personnages Là aussi un classique, mais ne le négligez pas pour autant. Préparez-les à l’avance, faites en sorte qu’ils soient adaptés aux personnages (qu’ils correspondent à leur vision du monde, par exemple) et qu’ils apprennent aux joueuses des éléments sur l’univers, l’avenir, le passé, leurs personnages ou ceux des autres, etc. Ne les rendez pas systématiques, n’en faites par un «  distributeur d’informations  », et insistez sur leurs conséquences négatives (perte de points de fatigue, déprime), et positives (les blessures guérissent légèrement plus vite, par exemple). Le secret est d’utiliser la mécanique pour faire des rêves et du sommeil deux drogues. Cela dit, c’est également un bon moyen de suggérer des émotions aux joueuses sans les y contraindre : culpabilité d’avoir laissé mourir tel PNJ, scène d’amour avec un autre PJ du groupe, etc. Offrez des opportunités d’actions individuelles Mettez en place des scènes où les personnages peuvent comploter, satisfaire des besoins inavouables, voler, faire de l’artisanat, dresser un animal, écrire des lettres, etc. Cérémonies

Même si la manière dont il faut les jouer est rarement expliquée, les scènes de cérémonie ont souvent une grande importance en JdR. Ce n’est pas tant par leur nombre – il est cependant rare qu’une campagne n’en compte pas au moins une –, mais surtout parce qu’elles ont par essence une signification particulière. En effet, elles marquent, tant pour les personnages que pour les joueuses, un événement qui mérite que l’on si attarde. Le plus souvent, il s’agit d’un début ou de la fin de quelque chose : mariage, enterrement, rite de passage barbare ou universitaire, fête, messe, procès, etc. Les quelques pistes ci-dessous sont classées selon le type de scène que vous souhaitez mettre en place (voir p. 193). Type de scène : émotionnel Fonctions narratives : créer de l’antipathie ou de l’empathie vis-à-vis de certains personnages, susciter une émotion particulière1. Exemples : adoubement d’un écuyer, enterrement, mariage. Quelques questions à se poser : • quels sont les participants qui se laissent submerger par l’émotion ou au contraire n’arrivent pas à réprimer des pensées bien moins positives  ? Comment le manifestent-ils ? Est-ce que la joie d’un tiers rend visible le fait que la personne qui devrait être la plus heureuse semble en fait soucieuse ? 1. À ce sujet, consultez également l’article « Créer des émotions particulières », p. 277.

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• est-ce que cela ne serait pas mieux si c’était à l’un des personnages de faire un discours ? • est-ce qu’un orateur ne peut pas se servir de la tribune de fortune que lui fournit la cérémonie pour essayer de convaincre les présents de quelque chose qui n’a absolument rien à voir (appel à la vendetta suite à un meurtre de sang, ambitions politiques, etc.) ? Le fait-il de façon subtile ? Son opportunisme dégoûte-t-il la foule ou la galvanise-t-il ? Type de scène : informationnel Fonctions narratives : donner un contexte particulier à la collecte d’informations, rencontrer des interlocuteurs pour les voir en action et dans un contexte où ils ne peuvent pas tout se permettre. Exemples : assemblée mafieuse, conseil d’administration, soirée d’anciens du lycée. Quelques questions à se poser : • qu’est-ce que les différents protagonistes se disent pendant la cérémonie ? Et surtout, qu’échangent-ils pendant que la situation les empêche de parler (gestes, regards, etc.) ? En quoi ces gestes montrent-ils qu’ils entretiennent des relations particulières ? • qui doit organiser les funérailles du PJ qui y est passé la semaine dernière ? En quoi jouer ces préparatifs peut-il permettre de faire le point sur la situation complexe dans laquelle les joueuses pataugent ? Qu’est-ce que leur entourage pense, mais n’ose pas leur dire et qui serait pourtant très utile ? • qu’est-ce qui est dévoilé pendant la cérémonie ? Le vrai nom d’un personnage ? Son amitié d’enfance insoupçonnée avec son pire ennemi ? Sa chanson préférée qui est aussi un indice de son identité secrète ? • qu’est-ce que les autres participants viennent dire aux PJ ? Qui essaye de se les mettre dans la poche ? Qui est tellement bouleversé qu’il multiplie les gaffes ? Pourquoi la vieille tante gâteuse en confond un avec un lointain cousin ? Que lui raconte-t-elle ? Type de scène : esthétique Fonctions narratives : montrer l’univers du jeu, responsabiliser les personnages, susciter un attachement ou une réaction envers une composante du décor (faction, adversaire, etc.). Exemples : création d’une meute de loups-garous, orgie d’elfes noirs, rites élégants d’une tribu menacée, trip chamanique.

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• qui est apparemment sur la même longueur d’onde que les personnages ? À quelles attitudes, gestes ou regards décèlent-ils qu’ils ne sont pas les seuls « professionnels » au milieu d’une assemblée de « profanes » ?

Quelques questions à se poser : • est-ce que les personnages sont volontaires pour participer à la cérémonie ? Qu’est-ce qui pourrait les pousser à accepter de tels honneurs malgré eux ? • qu’est-ce que la cérémonie nous apprend sur ceux qui y participent ? Sur ceux qui y officient ? • quelle image les personnages renvoient-ils dans le regard des tiers ? • est-ce qu’il est possible d’utiliser certains passages de la gamme particulièrement difficiles à mettre en jeu et pourtant très riches (nouvelles, descriptions, etc.) ? • est-ce qu’il vaut mieux faire une description relativement clinique pour laisser aux joueuses le soin d’interpréter ce que cela représente ou est-ce qu’il vaut mieux la rendre particulièrement emphatique et sensorielle ? Courses-poursuites

Les courses-poursuites sont un des clichés les plus éculés des films d’action. Elles sont notamment mises en avant dans certains jeux comme James Bond 0071 et C.O.P.S. Pourtant, même si tous les rôlistes en ont joué une à un moment ou l’autre de leur carrière, elles sont souvent boudées dans les parties, faute de pouvoir être facilement intégrées sans devenir très répétitives. Mais ces scènes sont loin d’être condamnées à être des successions de jets d’Athlétisme ou de Conduite. Voici quelques pistes pour les rendre uniques et leur donner un peu d’épaisseur. Variez les véhicules  Est-ce que les personnages ne peuvent utiliser qu’un seul type de véhicule ? Comment pouvez-vous les amener à décider de changer de véhicule en cours de poursuite ? Quel en serait l’intérêt ? Quelles sont les capacités « spéciales » des divers véhicules utilisés (nitro, pare-buffle, etc.) ? Leurs inconvénients (fragilité, volé, pas discret, attire tel ou tel gang, etc.) ? Est-ce que les autres véhicules s’écartent sur le passage des PJ ou pas ? Est-ce que certains véhicules débloquent de nouveaux terrains possibles (un bateau permet d’aller sur l’eau, un scooter de se faufiler dans les embouteillages ou les rues étroites de la vieille ville, etc.) ? Comme dans la célèbre scène de La Cité de la peur, est-ce que la poursuite ne serait pas plus intéressante avec des véhicules totalement exotiques : voiturette de golf, caddie de supermarché, fauteuil roulant, stand à hot-dog ? Est-ce que les véhicules sont similaires ou furieusement opposés (voiture contre tank, Harley contre semi-remorque, etc.) ?

1. Gorden Gregory, Kern Robert, Klug Gerard Christopher, Randall Neil, James Bond 007, Victory Games, New York, 1983.

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Servez-vous du terrain  Est-ce que les personnages ou leurs adversaires peuvent essayer de contrôler la route prise par l’autre ? Est-ce que cela peut devenir un enjeu ? Quelles sont les différentes « zones » par lesquelles peut passer la course-poursuite, de l’escalier (pour une poursuite à pied) à la marina, une station de métro ou l’endroit où a lieu le marché de la ville (pour une poursuite en voiture) ? Pour cela, les jeux vidéo comme la série des Motor Storm ou des Grand Theft Auto constituent une source d’inspiration très utile. Est-ce que ces zones réduisent ou rendent plus évidentes les différences entre les véhicules  ? Comment réagissent les habitants de ces zones ? Sont-ils des membres de gangs vindicatifs ? Des badauds outrés ? Quels sont les dégâts collatéraux que les PJ peuvent causer ? Comment peuvent se faire les transitions entre chaque zone ? Existe-t-il des dangers vers lesquels les protagonistes peuvent essayer de se projeter (ornières, rampes de sécurité, falaises, véhicules venant en contresens, etc.) ? Est-ce que le terrain est relativement uniforme ou y a-t-il de nouveaux obstacles qui apparaissent en permanence ? Quelle est la météo ? Est-ce qu’il gèle ? Pleut ? Proposez des opportunités d’actions aux joueuses  Est-ce que tous les PJ conduisent leur propre véhicule ? Si un seul PJ conduit et que les autres sont passagers, peuvent-ils faire autre chose que continuer la poursuite (sauter sur la voiture qui les double, tirer au mousquet sur leur adversaire à cheval) ? Peuvent-ils changer de véhicule en mouvement, se battre, hacker le réseau de transport, essayer de désamorcer une bombe, tirer par la fenêtre ou depuis des postes prévus à cet effet ? Voulez-vous tenir compte des distances ? Y a-t-il un objet à récupérer ou un objectif – comme éviter ou provoquer l’arrivée de renforts – à atteindre qui puisse subitement inverser les rôles entre poursuivis et poursuivants ? Quelles sont les communications avec l’extérieur ? Est-il possible de minimiser les dommages collatéraux ? De modifier le décor (tirer sur un aiguillage, faire s’abattre une grue sur la route, etc.) ? Jouez sur l’état des PJ  Faites commencer la course-poursuite avec des personnages blessés ou presque à bout de souffle. Sont-ils dans un état altéré (ivresse, drogues, sédatifs) ? Variez l’objectif de la poursuite  Est-ce que celle-ci s’arrête faute de poursuivants ou de poursuivis ? Est-elle limitée dans le temps pour les personnages ? Pour les joueuses ? Est-elle soumise à une durée pour éviter qu’un événement malheureux se produise ? Un nombre fixé de rounds ? L’objectif est-il de semer les poursuivants ou de les maintenir occupés suffisamment longtemps ? Flash-back

Un flash-back permet de jouer une scène ayant déjà eu lieu au moment où se passe l’essentiel de l’action de la partie. Ce procédé est notamment utile pour introduire les

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souvenirs d’un ou plusieurs personnages, un événement lié à l’historique, etc. Il est également très efficace lorsqu’il s’agit de dévoiler un tabou ou la manière dont s’est réellement déroulé un événement passé dont les joueuses n’ont qu’une version. Il est souvent bien plus intéressant de faire jouer ce flash-back. Il existe en général trois façons d’interpréter cette scène  : en la décrivant, en la rejouant de façon fidèle à un déroulement prévu avec la complicité des joueuses dont les personnages étaient impliqués (et éventuellement celle des autres en leur confiant des PNJ présents à l’époque), ou en les laissant au contraire totalement libres de décider des actions des protagonistes. Ceci permet également de conserver une certaine incertitude et d’accroître le suspense pour les joueuses, même si les personnages sont généralement censés déjà connaître l’issue de la scène. Naturellement, le résultat ne correspondra pas forcément à ce que le meneur en attendait et il faudra donc trouver un moyen d’expliquer cette divergence a posteriori. Il existe deux manières d’y parvenir : en acceptant de changer le présent en fonction de la scène passée, ou en trouvant un moyen d’annuler les effets de cette dernière. Flash-forward

Les flash-forward sont similaires aux flash-back, si ce n’est qu’ils se concentrent sur un événement à venir et non déjà passé. Se combinant particulièrement bien avec les introductions in medias res1, ce procédé peut signifier un futur incertain ou au contraire inéluctable.2 S’il s’agit d’un avenir possible, la scène prend alors la forme d’une sorte d’avertissement. Par exemple : • c’est ce qui arrivera si les personnages se comportent d’une certaine façon. Pensez au terrible monde possible de Retour vers le futur II, celui qui se produit parce que Marty a laissé Biff s’emparer de l’almanach des sports dans l’épisode précédent. Ne pas réussir à l’éviter sera donc un indicateur très probable de l’échec des personnages. • une succession de flash-forward peut être une répétition (voir p. 210 voir Scène de répétition), à l’instar des rêves cités p. 211. Dans L’Homme doré de Philippe K. Dick, le héros peut à chaque instant expérimenter tous les futurs possibles avant de choisir la meilleure décision à prendre dans le présent. S’il s’agit d’un avenir certain, on peut imaginer les cas suivants : • on avertit les joueuses que reconstituer la scène est un enjeu, et sans doute la meilleure issue possible. Faire en sorte qu’elle se produise comme prévu sera donc un objectif à atteindre et un indicateur très probable du succès des personnages. 1. À ce sujet, consultez également l’article « Commencer », p. 225. 2. À ce sujet, consultez également l’encadré sur la tension narrative dans l’article « Créer des émotions particulières », p. 284.

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• on peut aussi essayer de se lancer le défi suivant : quoi que fassent les personnages, la scène aura lieu, mais elle doit de surcroît être une conséquence de leurs actions. Cet exercice est très stimulant en tant que meneur, mais il nécessite d’avoir une capacité de réaction certaine et de rester « juste » face aux joueuses. D’une part il faut leur laisser une marge de manœuvre suffisante, d’autre part il faut se débrouiller pour que l’enchaînement de causes et de conséquences qui va amener la scène à se réaliser soit totalement justifiable. Enfin, le flash-forward n’anticipe pas forcément l’apogée de la partie mais, comme dans le pré-générique de certaines séries, il ne peut être que le moment où apparaît la complication qui va lancer la dernière partie du scénario. On va jouer pour savoir comment on en est arrivé là, et une fois que la scène de la vision est reconstituée, les joueuses retrouvent toute leur liberté d’action et ont compris tous les enjeux pour pouvoir enfin tenter de résoudre le problème. Plans

Les phases de plan sont souvent des phases de jeu que l’on aborde assez différemment du reste de la partie. En effet, elles prennent généralement la forme d’une discussion interminable entre joueuses, où l’interprétation et les personnages n’ont finalement que peu de choses à dire. Il s’agit d’une sorte de jeu dans le jeu, comme un casse-tête dont on ne connaîtrait qu’une partie et que l’on chercherait à résoudre à plusieurs. Certains choisissent de limiter ces phases. On retrouve cette approche dans des jeux comme Les Mille-Marches1, et si vous ne la connaissez pas, elle mérite largement que vous y jetiez un œil, surtout si vous aimez le pulp. Ce ne sont pas les joueuses qui font le plan mais bien les personnages, qui accumulent des points de mission selon les ressources à leur disposition (contacts, connaissances, matériel, etc.) Les joueuses ne jouent que l’exécution du plan supposé, et peuvent dépenser ces points pour vaincre les divers obstacles auxquels les personnages sont confrontés. La justification se fait alors a posteriori. Toutefois, vous pouvez aussi choisir de faire jouer toutes ces scènes du point de vue des personnages, à leur hauteur, justement parce que vous avez envie de proposer l’équivalent d’un Ocean’s Eleven ou de tous ces films où la préparation du plan constitue l’essentiel de l’action. Voici quelques exemples de scènes pour imaginer ce que font les personnages lors d’une telle préparation et ce qui peut se produire.

1. Bachmann Christophe, Davoust Anne, Davoust Olivier, Grümph John, Guillout Pascal, Les Mille-Marches, John Doe, Jouy-le-Moutier, 2011.

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• ils sont condamnés à provoquer ce futur funeste (pensez à Œdipe…), et cette dimension tragique fait pleinement partie de ce que l’on cherche à obtenir ;

Scène d’alerte Questions fondamentales : est-ce que les personnages vont réussir à échapper à la vigilance des gardes alors même que ces derniers les recherchent ? Vont-ils laisser des traces de leur passage (matériel, corps, vidéo, empreinte psychique, etc.) ou pas ? Lieux : dans les endroits ciblés par l’opération, en leur cœur ou dans des annexes, ou dans d’autres jugés suffisamment importants pour être protégés par de nombreux gardes. Figurants : chiens, gardes, hélicoptères. Complications : • les adversaires sortent une technologie ou une magie plus performante que ce à quoi s’attendaient les personnages ; • leurs opposants ont été mis au courant et se dirigent vers le point de repli des personnages. Il est même possible qu’il s’agisse d’un piège pour découvrir leur quartier général : il va falloir improviser ; • un officier ennemi arrête l’alerte et explique qu’il ne s’agit que d’un exercice. Pourquoi ? Scène d’espionnage Questions fondamentales : est-ce que les personnages vont réussir à obtenir l’informationclé dont ils ont besoin ? Le feront-ils sans se faire remarquer, ce qui la rendrait caduque ? Lieux : à proximité des décideurs adverses, sur place ou chez eux, dans la matrice, dans un van banalisé, dans un restaurant chic, sur l’oreiller. Figurants : dispositif d’écoute et de brouillage, espions, passants, forces de l’ordre. Complications : • l’information implique le personnage qui la capte, sans qu’il puisse nier avoir reçu quelque chose ; • la cible est en fait un autre espion, qui croit pouvoir obtenir l’information recherchée auprès du personnage. Les deux veulent donc la même chose, mais peuvent-ils se faire confiance ? • l’information obtenue n’est valable que pour un très court laps de temps, ce qui oblige à précipiter le reste des opérations. Scène de mise en commun des informations ou de planification au sens strict Questions fondamentales : est-ce que les personnages vont réussir à se mettre d’accord ? À temps ? Est-ce que ce sera sur un plan efficace ? Lieux : salle de guerre ou du conseil, avec des supports visuels, des plans (informatiques ou tracés sur le sol), des maquettes. 208

Complications : • les adversaires ont trouvé le quartier général des personnages et tentent de s’en emparer de force ; • les personnages ont plusieurs options qui leur permettent de valider certaines hypothèses, mais toutes prennent du temps et ils doivent faire des choix. Il faut donc déjà se fermer des portes et se décider assez vite pour s’assurer d’avoir le temps d’exploiter les résultats ; • les personnages se savent écoutés par leurs adversaires, même si ces derniers ignorent qu’ils sont au courant. Scène de préparation ou de répétition Questions fondamentales : est-ce que les personnages auront acquis les compétences ou les objets qui leur manquent pour réaliser leur plan ? Seront-ils assez en forme ? Lieux : salle de sport, d’entraînement, bibliothèque, reconstitution virtuelle des lieux de l’opération. Figurants  : camarades, grimoire, mentor, clones virtuels des antagonistes, forces obscures. Complications : • il est possible d’obtenir la capacité requise, par exemple via la sorcellerie ou la chirurgie, mais cela a un coût définitif et très important pour le personnage qui choisit de le faire : son âme, son identité, la possibilité de se connecter à la matrice ou d’utiliser la magie, etc. ; • le personnage réussit grâce à l’utilisation d’un objet, mais celui-ci s’avèrera inopérant au moment où il en aura le plus besoin. Le personnage devra apprendre à réussir par lui-même, ce dont dépendra la survie du groupe ou le succès de l’opération ; • l’entraînement a un impact sur la santé, la fatigue ou la préparation des personnages. Ils doivent faire des choix selon tous ces critères. Scène de repérage Questions fondamentales : est-ce que les personnages vont obtenir suffisamment d’informations supplémentaires pour préparer leur plan sans se faire eux-mêmes repérer ou arrêter ? Vont-ils augmenter le niveau d’alerte des gardes ? Lieux : sur les lieux ciblés par l’opération, que ce soit en leur cœur ou dans des annexes. Figurants : complices, gardes, chiens, snipers, systèmes de détection.

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SPÉCIALES

Figurants : contact éloigné (via des corbeaux ou la matrice), indics, subordonnés ou personnel de façon générale.

Complications : • les personnages voient leur commanditaire habillé en uniforme ennemi pénétrer dans le complexe ; • ils sont repérés bien malgré eux par une personne innocente, qui elle n’est ni discrète ni entraînée. Peut-être essaye-t-elle de faire la même chose que les personnages. Il va falloir choisir entre leur conscience et le fait de ne pas prendre de risques ; • l’alerte n’a pas été donnée, mais les personnages ont l’impression d’être observés, puis suivis. Scène de validation hiérarchique Questions fondamentales : est-ce que les personnages vont convaincre leur hiérarchie ou leurs subalternes de suivre leur plan  ? Pourront-ils agir malgré cette dernière  ? Obtiendront-ils les ressources nécessaires ? Sont-ils les bonnes personnes pour prendre des décisions aussi importantes ? Lieux : non loin d’une prise d’otages, dans une salle du conseil, chez un juge réveillé en pleine nuit. Figurants  : politiciens incompétents, officiers supérieurs, rivaux internes et externes, subalternes. Complications : • les personnages voient leur plan invalidé à cause d’un argument qu’ils savent erroné, mais ne peuvent pas le révéler à moins de se mettre en très sérieuse difficulté (clémence coupable envers l’ennemi, non-respect de la procédure judiciaire, bavure, etc.). Et, bien entendu, il devient de plus en plus urgent d’agir ; • grâce à l’influence discrète d’un rival, les personnages voient leur plan soutenu par la hiérarchie et de très sérieux moyens attribués à sa réalisation. Malheureusement, ils savent que leur projet court au désastre et que tout est fait pour qu’ils doivent en assumer la future responsabilité. Pourront-ils détourner leur propre plan des yeux de ceux à qui ils doivent rendre des comptes, le tout en évitant que l’opération ne finisse en bain de sang ? Répétitions

Une répétition est une scène d’entraînement ou de préparation où l’on joue les choses « pour de faux » : combat au premier sang, joutes virtuelles ou oniriques, simulation d’un rendez-vous amoureux, boucle temporelle. Normalement, il suffit de mener ces séquences de façon classique, toutefois, vu qu’elles peuvent intervenir dans de nombreuses scènes spéciales, des plans d’intrusion aux rêves, vous trouverez quelques questions à vous poser afin de les intégrer au mieux.

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Est-ce que la répétition ne donne pas elle aussi lieu à une sorte d’évaluation1 ? Que ce soit par un supérieur, par les autres membres de l’équipe ou les personnages, voire même les joueuses ? Qu’est-ce qu’il en reste ? Est-ce que les personnages peuvent répéter entre eux ou doivent-ils être aidés par des tiers ? Faire valider la capacité d’un personnage à en tromper un autre par les joueuses elles-mêmes peut apporter une dimension intéressante à la partie. Rêves

Les rêves constituent un élément incontournable des jeux qui ont pour thème central le chamanisme ou tout ce qui touche de près ou de loin aux hallucinations. Voici quelques pistes pour mettre en scène ces moments où les personnages ne suivent plus les lois de la physique, mais celles d’un autre monde. Celui-ci peut prendre plusieurs formes : dimension des rêves, des morts, voyage astral, psyché d’un individu ou expérience virtuelle. Ces pistes sont classées selon le type de scène que vous souhaitez jouer (voir p. 193). Type de scène : épreuve Fonctions narratives : proposer un défi très concret à relever, exercer une attrition mentale. Exemples : arène virtuelle, attaque mentale, bad trip, cauchemar, hallucination, matrice. Quelques questions à se poser : • est-ce que les joueuses savent que leurs personnages rêvent ? Ces derniers s’en rendent-ils compte ? • est-ce que le personnage s’introduit dans les rêves ou la psyché de son adversaire ? Est-ce l’inverse ? Est-ce sur un terrain neutre (arène virtuelle, etc.) ? • est-ce que la scène va avoir un impact technique sur les joueuses, par exemple en modifiant leur feuille de personnage ? Est-ce que cet impact va dépendre de ce qui se passe dans le monde des rêves (un personnage se croyant mort meurt, par exemple) ou n’est là que pour faire comprendre qu’il s’agit de cauchemars particulièrement éprouvants (jauge de santé mentale, malus ou perte de volonté, etc.) ? • de la même façon, si un événement particulier se produit lors du rêve, est-ce qu’il arrive également dans la réalité ? Peut-on ramener des objets du monde des rêves ? Y tuer quelqu’un ? 1. À ce sujet, consultez également l’article « Animer les combats », p. 173.

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SPÉCIALES

Est-ce que ce qui se passe dans les répétitions a un impact sur la situation réelle ? Sur les personnages ? Efface-t-on à la fin de la scène tout ce qui a été modifié, y compris sur les feuilles de personnage, des blessures à la progression ? Est-ce que cela reste ? Est-ce que l’on prend la peine de noter ces modifications ?

• est-ce que les actions entreprises par le personnage lors du rêve lui permettent de progresser d’un point de vue technique ? De se soigner (au sens large) ? Est-ce que c’est un endroit où il peut se rendre régulièrement pour s’entraîner ou étudier ? • lorsqu’un personnage voit ses compagnons dans son rêve, sont-ils incarnés par leurs joueuses respectives ou pas ? Est-ce qu’il s’agit d’une représentation fidèle ou générée par ce que le rêveur pense d’eux ? Peut-il y avoir plusieurs représentations d’un même personnage ? Peut-on s’affronter soi-même ? • est-ce qu’il existe une fiche de personnage pour le monde réel et une autre pour les rêves ? Type de scène : émotionnelle Fonctions narratives : faire écho à l’intimité des personnages, refléter leur psyché, donner des indices sur une future révélation, susciter des sentiments envers d’autres personnages. Exemples : confrontation avec leurs pires cauchemars, contact avec des disparus, délire, hypnose, rêve nostalgique. Quelques questions à se poser : • est-ce qu’il faut révéler aux joueuses l’issue « réelle » d’un événement que les PJ seraient en train de revivre en rêve ? • est-ce que les joueuses connaissent tous les éléments du monde de la psyché ou de l’histoire de leurs personnages, ou ces derniers peuvent-ils découvrir des choses sur eux-mêmes et leurs proches au travers de leur voyage onirique ? • est-ce que ce qu’ils découvrent est la réalité ou une représentation plus ou moins symbolique de celle-ci ? • est-ce que ce sont les joueuses ou vous qui allez décrire l’essentiel du monde si celui-ci est lié à leur personnage ? De la même façon, est-ce à elles de révéler des éléments qui pourraient être compromettants ou devenir des faiblesses ? Qui tranche en cas de différence d’interprétation ? • si la scène est réconfortante, qu’est-ce qui y met fin ? Qu’est-ce qui se passe dans le monde « réel » si le personnage ne souhaite pas l’interrompre ? Type de scène : esthétique Fonctions narratives : faire jouer des événements bouleversants ou fondamentaux sans rendre le jeu injouable, faire jouer de nombreuses alternatives, montrer les aspects les plus étranges de l’univers, rattraper un déroulement malheureux (à la Dallas). Exemples : essais et erreurs façon Un jour sans fin, mondes astraux, scènes de rencontres amoureuses rejouées à l’infini comme dans le film In the Mood for Love, simulations virtuelles.

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SPÉCIALES

Quelques questions à se poser : • quels sont les éléments les plus spécifiques de l’univers à faire expérimenter aux personnages ? • qu’est-ce qu’ils peuvent tester ainsi qu’ils ne feraient pas autrement (romance avec un adversaire, sorcellerie, etc.) ? • est-ce que ce type de scènes ne peut pas procurer des sortes de « points de destin » qui permettraient de rejouer une scène que les personnages manquent  ? Il faudrait dès lors décréter qu’ils n’ont joué que sa version onirique alternative : c’est une bonne manière de justifier certains retours en arrière sans que ce soit la porte ouverte à tous les abus ou que cela ait l’air d’un « sauvetage » par un meneur déresponsabilisant. Type de scène : informationnelle Fonctions narratives : aiguiller les joueuses, annoncer une menace à venir, présenter un personnage inaccessible autrement, susciter l’anticipation, transmettre des informations-clés. Exemples : possessions, prophéties, rêves prémonitoires. Quelques questions à se poser : • est-ce que ce qui se passe dans le monde onirique peut être vu, compris ou piraté par des tiers ? • est-ce que certains personnages ne peuvent être contactés que par le monde des rêves ? S’agit-il des personnages eux-mêmes ou de la représentation que s’en fait le rêveur ? • est-ce que l’événement que le rêve permet d’anticiper présente des signes avantcoureurs dans le monde « réel » ? Est-ce que ce sont ceux-ci qui mettent fin au rêve ? Temps longs

Dans cette catégorie sont regroupées des situations qui peuvent s’étaler sur des jours, voire des années et dont vous voulez montrer la longue durée, ou par exemple le fait que le personnage a été coupé du monde. Ce sont les soins, le repos (prison, asile psychiatrique…) et toute autre entreprise de longue haleine. Elles peuvent être jouées d’une traite ou découpées et insérées parmi d’autres. Vous pouvez également vous concentrer sur un épisode unique, mais particulièrement significatif pour représenter la période en question. Pour atteindre son objectif, le personnage doit seulement remplir un impératif de temps (par exemple, sa guérison va au moins prendre une semaine) ou au contraire valider un certain nombre d’étapes. Ces étapes peuvent être indispensables à la réussite de l’entreprise ou devenir l’occasion de collecter des avantages ou des handicaps pour la suite.

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Objectifs du personnage

Étapes à valider

Guérir d’une blessure physique

Surveiller son état de santé Trouver les meilleurs spécialistes Subir des examens et des diagnostics Si automédication, collecter le matériel et apprendre les techniques nécessaires Subir des hallucinations dues à la souffrance ou à la maladie (rêves)

Guérir d’un état mental

Raconter son histoire devant un jury de spécialistes Subir des traitements expérimentaux Revoir des proches perdus de vue Revivre des scènes traumatiques de son passé (flash-back) Être à la merci de son adversaire pendant sa réclusion Devoir trouver un moyen pour empêcher son adversaire d’agir librement pendant ce temps

Acquérir de nouvelles techniques

Chercher un mentor Découvrir un refuge où s’entraîner en sécurité Subir des épreuves jusqu’à les remporter haut la main (répétitions)

Faire pression sur l’opinion d’un groupe social

Identifier les leaders d’opinion Répandre des vérités qui dérangent ou de fausses rumeurs Enquêter sur les forces en présence Recueillir des témoignages

Acquérir un stade spirituel supérieur

Trouver un mentor Faire un voyage initiatique Expérimenter des états seconds Avoir des visions spirituelles (rêves) Résoudre des énigmes métaphysiques Participer à des combats initiatiques

Accomplir un rituel de magie

Trouver la formule magique Collecter les composantes matérielles Recruter des officiants Déterminer les dates et les heures les plus propices 214

SPÉCIALES

Voyages

Les voyages sont une des activités les plus courantes des personnages de beaucoup de JdR1 et, pourtant, ils restent la bête noire de nombreux meneurs. Voici quelques pistes pour rendre ces passages uniques et leur donner un peu d’épaisseur. Faites jouer les préparatifs du voyage  Ne vous limitez pas à un rapide passage au marché ou à quelques scènes de marchandage : insistez sur les émotions des PNJ vis-à-vis du départ des PJ, mais aussi sur ce qu’il provoque chez ces derniers. Si le voyage est central dans les parties que vous vous apprêtez à mener, par exemple parce qu’il s’agit d’une campagne autour d’une expédition, n’hésitez pas à faire jouer les préparatifs logistiques en vous inspirant des classiques du genre (Par-delà les montagnes hallucinées2, Dark Continent3, Mythos Expeditions4, etc.). Montrez l’évolution du paysage  Variez les climats et les reliefs, insistez sur les spécificités des décors que les PJ traversent, multipliez les petites saynètes animalières ou végétales permettant notamment d’en apprendre plus sur la nature qui les entoure5. Mettez en scène une attaque Le classique des classiques, à tel point que lorsque vous commencez à décrire un peu trop une partie du trajet, vos joueuses vont sans doute être instantanément suspicieuses. Demandezvous ce que le modus operandi des assaillants révèle de leur identité, ne faites pas deux fois la même chose et n’en abusez pas : aucune route commerciale ne tolérerait des raids constants. Intégrez des phases de pénurie et de perte d’orientation La survie d’une expédition ne tient souvent qu’à la bonne gestion du matériel et le soin porté au rationnement des ressources en cas de crise. Aussi, si vous trouvez que le voyage se déroule un peu trop sereinement, n’hésitez pas à priver les PJ de celle de votre choix : nourriture, abri pour la nuit, guides ou porteurs, carte ou boussole, etc. Jouez sur les rencontres Qu’ils soient hostiles ou amicaux, certains PNJ peuvent à eux seuls rendre une partie du voyage mémorable. Le voyage est notamment un moment propice aux rencontres 1. Parmi les jeux qui ont prévu des règles spéciales pour le voyage, on citera L’Anneau unique, Oltréé ! et Ryuutama. 2. Andersen Marion, Anderson Phil, Blum Michael, Caramagno Sophia, Engan Charles et autres, Beyond the Mountains of Madness, Chaosium, Oakland, 1999. 3. Salisbury David, Smith Mandy, Dark Continent, New Breed, 2001. 4. Gauntlett Adam, Hite Kenneth, Laws Robin D., Long Steven S., Marlow Emma, Roy Lauren, Sanderson Matthew, Tarwater Tristan J., Tidball Jeff, White Bill, Mythos Expeditions, Pelgrane Press, Londres, 2001. 5. À ce sujet, consultez également l’article « Décrire », p. 109.

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amoureuses si souvent délaissées dans notre loisir  : si les PJ croisent une personne esseulée sur le chemin, il sera bien plus naturel que celle-ci les accompagne que s’ils avaient fait sa connaissance en ville, par exemple. De la même manière, les rencontres sont un moyen privilégié de réincorporer des éléments liés à l’historique des personnages1 dans des moments qui auraient sinon paru creux. Faites du terrain un personnage à part entière N’oubliez pas qu’il peut constituer un danger en lui-même et tenir tête aux personnages, comme il peut au contraire les accueillir et s’offrir à eux. Les obstacles sont faciles à imaginer : éboulements, conditions climatiques effroyables, sables mouvants, etc., mais allez au-delà du danger lui-même : un glissement de terrain peut révéler l’entrée d’une grotte comme les ruines d’une ancienne civilisation disparue. Profitez-en pour en apprendre davantage aux joueuses et aux personnages sur le monde. Rajoutez une limite de temps  Franchir un fleuve avant que la pluie ne le rende impraticable, arriver avant un concurrent, amener un objet vital à une autre destination et donc devoir choisir entre perdre du temps ou renoncer à un autre avantage, etc. Voici autant de façons de mettre un peu de tension dans une partie qui perd en nervosité. Vous pouvez même renverser totalement la situation en intégrant une course dans laquelle les personnages ne veulent absolument pas arriver premiers, mais durant laquelle ils ne peuvent pas donner l’impression qu’ils ne font pas de leur mieux. Laissez du temps à l’introspection et à la contemplation  Le voyage peut être propice à des scènes plus détachées de l’action. Lors de vos descriptions2, vous pouvez utiliser des éléments du décor pour rappeler des souvenirs aux personnages (que ce soit pour les pousser à s’interroger sur certains de leurs objectifs ou à se demander ce que deviennent les PNJ qu’ils ont laissés derrière eux) ou pour attirer l’attention des joueuses sur des éléments marquants de l’univers et ainsi titiller leur curiosité : quelle est donc cette grande tour, là-bas, au loin ? Pourquoi est-ce qu’il semble y avoir un dragon qui hurle à son sommet, alors qu’ils sont censés avoir disparu depuis des siècles ? Imbriquez les scènes entre elles

Une scène spéciale peut être le point central d’une séance ou d’une campagne, voire un cadre pour toutes les autres scènes. C’est notamment le cas pour un mariage ou un voyage. Ainsi, supposons par exemple que les PJ font un pèlerinage mystique. Il y a des embûches sur le chemin, des figurants aux objectifs spirituels ou profanes, 1. À ce sujet, consultez également l’article « Rendre les choses personnelles » p. 261. 2. À ce sujet, consultez également l’article « Décrire », p. 109.

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Par exemple, vous pouvez tout à fait intercaler un passage de délire (assimilable à un rêve) dû à la douleur au moment où un personnage est sur le point de perdre son dernier point de vie en combat. Quand vous jouez la scène, vous pouvez même synchroniser la réalité telle qu’elle est perçue par ses compagnons, qui eux sont pleinement conscients, et ce que lui perçoit dans son délire. De la même façon, vous pouvez passer d’une scène spéciale à l’autre en enchaînant une scène d’amour avec un duel, dont un des deux antagonistes se révèle être l’amant(e) du premier, voire en intégrant une troisième scène spéciale avec un flash-back expliquant la rencontre (ou la rupture) du couple.

Conclusion Les scènes spéciales ne sont ni des passages obligés ni des corvées. Nous avons vu qu’il existait plusieurs garde-fous pour éviter de se laisser submerger. Toutefois, elles peuvent servir de nombreuses fonctions narratives et beaucoup apporter à la partie : épreuves, émotions, un certain canon esthétique, des informations, etc. Il n’est absolument pas nécessaire de les surpréparer. Avec la pratique et les quelques pistes de cet article, vous ne devriez pas tarder à les voir enrichir votre palette de techniques. Rapidement, vous devriez les mettre en jeu avec autant d’aisance que des scènes plus archétypales. En effet, le seul réel besoin est le même que pour toutes les autres  : décider d’une direction générale au moment où vous les lancez et vous poser quelques questions de base. À quoi sert-elle ? Comment la mettre en jeu ? Quelles opportunités se présentent aux personnages ? Que risquent-ils ?

SPÉCIALES

des manifestations surnaturelles, des rencontres sur leur route… Il est possible de faire de ce périple le liant entre toutes les scènes dont vous aurez besoin et d’imaginer la manière dont celles-ci peuvent s’intégrer à des scènes de voyage.

Fiche de synthèse Scènes archétypales et scènes spéciales Archétypales : gérées par la plupart des systèmes, le plus souvent de type combat, exploration ou interaction sociale. Spéciales : les scènes non archétypales. Les grandes catégories de scènes spéciales Attentes

Batailles

Bivouacs

Cérémonies

Courses-poursuites

Flash-back

Flash-forward

Plans

Répétitions

Rêves

Temps longs

Voyages

Les grands principes Non-obligation : vous n’êtes presque jamais forcés de jouer une scène. Fonction narrative : à quoi sert vraiment cette scène dans votre partie ? • Épreuve • Émotionnelle • Esthétique • Informationnelle • Divertissante Enjeu et adversité : créez-les en anticipant une crise ou un conflit. Utilisation des règles : ce n’est pas parce qu’il n’y a pas de règle spécifique que vous ne pouvez pas vous servir des autres ou qu’il n’y a pas de conséquences techniques. Des scènes presque comme toutes les autres : pour transformer une scène spéciale en scène archétypale, intégrez les quatre étapes suivantes : • un incident déclencheur ; • des conséquences et un enjeu ; • une complication ; • une résolution. Imbriquez les scènes spéciales entre elles ! Attentes Les scènes d’attente servent à montrer qu’il ne se passe pas grand-chose durant certaines phases-clés. Cette inactivité et le temps ainsi perdu deviennent des informations en soi.

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Type de scène : épreuve Fonctions narratives : montrer le passage du temps aux joueuses. Exemples : attente de la décision d’un tiers, pris au piège. Type de scène : émotionnelle Fonctions narratives : créer de la tension, susciter l’impatience. Exemples : attente dans une antichambre ou l’ascenseur qui amène au dernier niveau, enfer administratif, une sauterie pleine de mortels avant un règlement de comptes entre vampires. Type de scène : esthétique Fonctions narratives : installer le calme avant la tempête, susciter une phase contemplative. Exemples : permission ou retour dans la famille avant l’appel aux armes, village hobbit dont personne ne veut s’éloigner, banquet entre mafieux. Type de scène : informationnelle Fonctions narratives : distiller des renseignements sans violence, présenter des alliés ou ennemis potentiels, transmettre des informations via une atmosphère. Exemples : allées d’un tribunal, cour du roi en attendant une entrevue, rencontre entre shadowrunners dans un espace public. Type de scène : divertissante Fonctions narratives : actualiser le statut d’un personnage inactif, faire le point, oc­cuper les joueuses. Exemples : banc public, bureau du commissaire, salle d’attente d’un hôpital. Batailles Une bataille est un affrontement qui prendrait trop de temps à gérer avec le système de combat classique et dont les personnages ne maîtrisent pas tous les tenants et aboutissants. Ces scènes peuvent varier selon les paramètres que vous choisissez de mettre en place. L’article en compte une trentaine, qui peuvent être réparties selon quatre grandes questions : • quelle sera l’influence des joueuses sur le résultat ? • quelles sont les relations entre les joueuses et leurs personnages ? • quels sont les types d’actions proposés aux personnages ? • quelles sont les conditions de victoire ou de défaite ?

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SPÉCIALES

Voici des exemples correspondant aux cinq grands types de fonctions narratives.

Bivouacs Les scènes de bivouac sont celles où les personnages font une pause, le plus souvent pour la nuit et après avoir dressé un campement. Une bonne façon de les diversifier est de suivre les principes suivants : • faites de la durée du campement un enjeu ; • multipliez les solutions possibles de bivouac ; • tenez compte de la fatigue des personnages ; • jouez sur l’inventaire de l’équipement et des rations ;  • organisez des tours de garde et de possibles attaques nocturnes ; • rendez les assiettes des personnages intéressantes ; • organisez une veillée où chaque personnage peut raconter une histoire ; • investissez les rêves et cauchemars des personnages ; • offrez des opportunités d’actions individuelles. Cérémonies Ces scènes marquent, tant pour les personnages que pour les joueuses, un événement qui mérite que l’on s’y attarde. Le plus souvent, il s’agit du début ou de la fin de quelque chose : mariage, enterrement, rite de passage, fête, messe, procès, etc. Voici des exemples correspondant à trois types de fonctions narratives. Vous trouverez de nombreuses questions permettant de les développer dans le corps de l’article. Type de scène : émotionnelle Fonctions narratives : créer de l’antipathie ou de l’empathie vis-à-vis de certains personnages, susciter une émotion particulière. Exemples : adoubement d’un écuyer, enterrement, mariage. Type de scène : esthétique Fonctions narratives : montrer l’univers du jeu, responsabiliser les personnages, susciter un attachement ou une réaction envers une composante du décor (faction, adversaire, etc.). Exemples : création d’une meute de loups-garous, orgie d’elfes noirs, rites élégants d’une tribu menacée, trip chamanique. Type de scène : informationnelle Fonctions narratives : donner un contexte particulier à la collecte d’informations, rencontrer des interlocuteurs pour les voir en action et dans un contexte où ils ne peuvent pas tout se permettre. Exemples : assemblée mafieuse, conseil d’administration, soirée d’anciens du lycée.

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SPÉCIALES

Courses-poursuites Ces scènes sont loin d’être condamnées à être des successions de jets d’Athlétisme ou de Conduite. Voici quelques pistes pour leur donner un peu d’épaisseur : • variez les véhicules ; • servez-vous du terrain ; • proposez des opportunités d’actions aux joueuses ; • jouez sur l’état des PJ ; • variez l’objectif de la poursuite. Flash-back et Flash-forward Un flash-back permet de jouer une scène ayant déjà eu lieu au moment où se passe l’essentiel de l’action de la partie. Un flash-forward permet de faire la même chose avec une scène n’ayant pas encore eu lieu. Un flash-back peut en général être interprété de trois façons : • en le décrivant ; • en le rejouant avec l’aide d’une ou plusieurs joueuses ; • en le jouant comme n’importe quelle autre scène. Un flash-forward concernant un avenir encore modifiable peut prendre la forme d’une scène potentielle, qui ne deviendra la réalité que si les PJ se comportent (ou ne réussissent pas à se comporter) d’une certaine façon. Il peut au contraire prendre la forme d’une succession de scènes servant toutes d’expérimentations possibles. Un flash-forward concernant un avenir certain peut devenir un objectif pour les joueuses (la réalisation de ladite scène), un augure funeste annonçant une tragédie à venir, ou un défi pour le meneur qui doit se débrouiller coûte que coûte pour que la scène se réalise tout en étant la conséquence logique des décisions de la table. Dans les deux cas, un flash-forward constitue une scène d’introduction efficace et ne doit pas forcément annoncer l’apogée de la partie. Le plus souvent, il est plus intéressant de mettre en jeu la complication qui va lancer le dernier acte du scénario. Plans Pour que les scènes où les personnages préparent des actions ne se limitent pas à une interminable conversation entre les joueuses totalement détachée du reste de la partie, voici des exemples de scènes à réutiliser. Dans le corps de l’article, chacune d’entre elles est complétée par des suggestions de lieux, de figurants et de complications : • alerte : est-ce que les personnages vont réussir à échapper à la vigilance des gardes alors même que ces derniers les recherchent ? Vont-ils laisser des traces de leur passage (matériel, corps, vidéo, empreinte psychique, etc.) ou pas ?

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• décision ou mise en commun des informations : est-ce que les personnages vont réussir à se mettre d’accord ? À temps ? Est-ce que ce sera sur un plan efficace ? • espionnage : est-ce que les personnages vont réussir à obtenir l’information-clé dont ils ont besoin ? Le feront-ils sans se faire remarquer, ce qui la rendrait caduque ? • préparation ou répétition : est-ce que les personnages auront acquis les compétences ou les objets qui leur manquent pour réaliser leur plan ? Seront-ils assez en forme ? • repérage : est-ce que les personnages vont obtenir suffisamment d’informations supplémentaires pour préparer leur plan sans se faire eux-mêmes repérer ou arrêter ? Vont-ils augmenter le niveau d’alerte des gardes ? • validation hiérarchique : est-ce que les personnages vont convaincre leur hiérarchie ou leurs subalternes de suivre leur plan ? Pourront-ils agir malgré cette dernière ? Obtiendront-ils les ressources nécessaires ? Sont-ils les bonnes personnes pour prendre des décisions aussi importantes ? Répétitions Une répétition est une scène d’entraînement ou de préparation où l’on joue les choses « pour de faux » : combat au premier sang, joutes virtuelles ou oniriques, simulation d’un rendez-vous amoureux, boucle temporelle. Elle peut être jouée de façon classique ou intégrée à d’autres scènes spéciales (rêves, plans, etc.). Les principaux paramètres concernant les répétitions peuvent être résumés en trois questions : • quel est l’impact de la répétition sur la « réalité » ? • donne-t-elle lieu à une évaluation ? • les personnages répètent-ils seuls ou avec des tiers ? Rêves Les scènes oniriques peuvent prendre de nombreuses formes : dimension des rêves, des morts, voyage astral, psyché d’un individu ou expérience virtuelle. Voici quelques exemples correspondant à quatre types de fonctions narratives. Chacun permet de se poser des questions (détaillées dans l’article) afin de se préparer au mieux. Type de scène : émotionnelle Fonctions narratives : faire écho à l’intimité des personnages, refléter leur psyché, donner des indices sur une future révélation, susciter des sentiments envers d’autres personnages. Exemples : confrontation avec leurs pires cauchemars, contact avec des disparus, délire, hypnose, rêve nostalgique. Type de scène : épreuve Fonctions narratives : proposer un défi très concret à relever, exercer une attrition mentale. Exemples : arène virtuelle, attaque mentale, bad trip, cauchemar, hallucination, matrice.

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Exemples : essais et erreurs façon Un jour sans fin, mondes astraux, scènes de rencontres amoureuses rejouées à l’infini comme dans le film In the Mood for Love, simulations virtuelles. Type de scène : informationnelle Fonctions narratives : aiguiller les joueuses, annoncer une menace à venir, présenter un personnage inaccessible autrement, susciter l’anticipation, transmettre des informations-clés. Exemples : possessions, prophéties, rêves prémonitoires. Temps longs Ces scènes gagnent généralement à être découpées en un certain nombre d’étapes à valider avant que le personnage ait pu remplir ses objectifs. Voici quelques exemples. Objectifs du personnage

Étapes à valider Surveiller son état de santé Trouver les meilleurs spécialistes

Guérir d’une blessure physique

Subir des examens et des diagnostics Si automédication, collecter le matériel et apprendre les techniques nécessaires Subir des hallucinations dues à la souffrance ou à la maladie (rêves). Raconter son histoire devant un jury de spécialistes Subir des traitements expérimentaux Revoir des proches perdus de vue

Guérir d’un état mental

Revivre des scènes traumatiques de son passé (flash-back) Être à la merci de son adversaire pendant sa réclusion Devoir trouver un moyen pour empêcher son adversaire d’agir librement pendant ce temps

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SPÉCIALES

Type de scène : esthétique Fonctions narratives : faire jouer des événements bouleversants ou fondamentaux sans rendre le jeu injouable, faire jouer de nombreuses alternatives, montrer les aspects les plus étranges de l’univers, rattraper un déroulement malheureux (à la Dallas).

Chercher un mentor Acquérir de nouvelles techniques

Découvrir un refuge où s’entraîner en sécurité Subir des épreuves jusqu’à les remporter haut la main (répétitions) Identifier les leaders d’opinion

Faire pression sur l’opinion d’un groupe social

Répandre des vérités qui dérangent ou de fausses rumeurs Enquêter sur les forces en présence Recueillir des témoignages Trouver un mentor Faire un voyage initiatique

Acquérir un stade spirituel supérieur

Expérimenter des états seconds Avoir des visions spirituelles (rêves) Résoudre des énigmes métaphysiques Participer à des combats initiatiques Trouver la formule magique

Accomplir un rituel de magie

Collecter les composantes matérielles Recruter des officiants Déterminer les dates et les heures les plus propices

Voyages Les voyages sont une des activités les plus courantes des personnages et restent la bête noire de nombreux meneurs. Voici quelques principes pour les rendre uniques : • faites jouer les préparatifs ; • montrez l’évolution du paysage ;  • intégrez des phases de pénurie et de perte d’orientation ;  • jouez sur les rencontres ;  • faites du terrain un personnage à part entière ;  • rajoutez une limite de temps ;  • laissez du temps à l’introspection et à la contemplation. 

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Jérôme Larré

L

Poney Fringant, la Cantina, le Central Perk ou même le Mistral1… on ne compte plus les tavernes et autres auberges où des personnages se rencontrent avant de commencer leurs aventures. Mais, sauf cas particuliers2, ce qui est ailleurs un lieu commun devient souvent une véritable torture en JdR. En effet, lorsque cette ficelle se double d’une certaine paresse ludique, laissant joueuses et PJ libres et sans objectifs, il n’est pas rare que la situation s’éternise, accumulant les poncifs avant de se terminer par une inévitable bagarre ou l’arrivée de la milice. Si cela vous est familier, vous comprendrez à la fois le nom de cette collection et pourquoi il est critique de soigner ses entrées en matière. e

Ce court article part du principe que vous êtes capable de créer vos propres scènes, mais que quelques conseils vous seront utiles pour faire de meilleures introductions.

Une introduction ? Pour quoi faire ? La réponse semble évidente : commencer la séance ! Pourtant une scène d’introduction (ou la succession de plusieurs d’entre elles) a de nombreuses autres utilités. Elles dépendent 1. Ces établissements sont issus respectivement des univers du Seigneur des anneaux, de La Guerre des étoiles, de Friends et de Plus belle la vie. 2 Comme dans Nuit agitée à l’auberge des trois plumes, l’excellent scénario de Grame Davis pour Warhammer ou Les Dragons du désespoir qui débute la saga DragonLance dans la célèbre Auberge du Dernier Refuge.

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III L’ANIMATION : TECHNIQUES AVANCÉES

des objectifs liés à la partie, au scénario, à l’état de la campagne, mais aussi à la fin de la dernière séance et à bien d’autres facteurs. L’idéal pour commencer est donc de se demander à quelles questions cette entrée en matière est censée apporter des réponses. Cette liste est loin d’être exhaustive, mais permet déjà d’envisager les cas les plus courants. • Qui sont les PJ ? Que font-ils ensemble ? • Comment joue-t-on à ce jeu ? Quel est l’élément intéressant du système ? • Quels sont les comportements que le jeu favorise ? • De quoi parle-t-il ? Quelle problématique met-il en avant ? • Est-ce que cela mérite d’y passer ses jeudis soirs ? • Pourquoi faut-il rattraper les méchants ? Leur point de vue est-il compréhensible ? • À quoi ressemble l’univers ? Qu’a-t-il de spécial ? • Faut-il recentrer l’attention des joueuses ? Rappeler la séance précédente ? • De quoi est-ce l’introduction ? D’un scénario ? D’une campagne ? • Où dois-je commencer pour avoir une chance de finir avant le métro ? Les fonctions de base

Inutile de chercher à répondre à toutes ces questions. Cela nuirait à la clarté de ce que vous voulez mettre en avant. Vous devez juste sélectionner celles qui vous semblent les plus pertinentes. Par contre, en plus de ces éléments, il existe quatre fonctions cruciales que toute introduction devrait remplir : • dévoiler l’objectif  : les joueuses doivent avoir une idée assez claire de ce qu’elles vont chercher à obtenir : gagner la guerre, jeter l’anneau dans la montagne du Destin, remporter la Coupe de feu, etc. ; • créer la motivation : elles doivent savoir pourquoi les PJ veulent y arriver ou, au moins, aller de l’avant ; • montrer le(s) début(s) du chemin : l’introduction doit donner une idée des premières possibilités qui s’offrent aux personnages pour atteindre leur objectif ; • faire naître l’envie : l’attention des joueuses doit être captée et la promesse d’une partie intéressante commencer à se concrétiser. Le meneur doit « pitcher » le reste de la partie et créer l’envie, à la fois d’agir sur la suite, mais également de la découvrir. Vous allez donc devoir imaginer une ou plusieurs scènes – voire toute une séance si vous introduisez une campagne – qui permette à la fois de remplir les fonctions ci-dessus, d’apporter les réponses aux questions qui vous semblent importantes et d’attiser la curiosité des joueuses.

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Une introduction ne pourra jamais tout expliquer ou répondre à toutes les questions. Pas plus qu’elle ne suffira à ce que vos joueuses partagent votre ferveur pour cet univers que vous adorez. Elle pourra créer l’étincelle, mais ce sera à vous d’entretenir la flamme. Enfin, elle ne pourra pas non plus faire boire un âne qui n’a pas soif  : si une joueuse s’évertue à refuser l’aventure, le mieux reste sans doute d’en discuter hors-jeu.

Susciter l’intérêt Le principal rôle d’une introduction est de donner aux joueuses l’envie de faire tous les efforts nécessaires pour jouer, fussent-ils logistiques, sociaux, climatiques, nar­ ratifs ou autres. Plus que les amener à suspendre volontairement leur incrédulité (pour reprendre le terme de S. T. Coleridge) face à ce qui pourrait les surprendre dans la partie, il s’agit de les amener à renforcer activement leur propre envie d’y croire et de se prendre au jeu1. Les ingrédients de base

L’introduction doit à la fois exciter et intriguer. Elle doit donner envie de connaître le fin mot de l’histoire, mais aussi d’en découdre pour qu’elle aille dans le sens que l’on souhaite, tout en redoutant qu’elle fasse le contraire. Pour atteindre cet objectif, il est conseillé d’intégrer les points suivants dans votre introduction : • une situation dont l’issue est incertaine ; • une dynamique qui empêche les PJ de rester impassibles ; • un élément étrange créant la surprise.

Qui porte le mort ? Voici une introduction très simple, facilement adaptable à votre univers favori, qui servira d’exemple dans cet article  : «  C’est la nuit, il pleut. Vous avez de la boue jusqu’à la ceinture. Vous êtes en train de courir maladroitement à travers champs alors que vos poursuivants ne cessent de gagner du terrain. Vous voyez leurs torches. Vous entendez les aboiements de leurs chiens. Qui porte le mort ? »

1. Ou l’« Active creation of belief ». Murray Janet, Hamlet on the Holodeck: the Future of Narrative in Cyberspace, MIT Press, Cambridge, 1998.

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Les limites

Ainsi, dans le cas de l’introduction « Qui porte le mort ? », vous retrouvez les trois ingrédients ci-dessus. L’issue de la course-poursuite reste incertaine, les joueuses doivent agir si elles ne souhaitent pas que les PJ soient capturés et, enfin, ce cadavre à l’origine inconnue amène la surprise. À noter que dans cet exemple, les fonctions de base ne sont remplies qu’à court terme. C’est la découverte à la fois de l’identité du cadavre et de ce qui a mis le groupe dans une telle situation qui permettra de sceller un arc plus ambitieux. Enfin, pour intégrer tous ces éléments, il est conseillé d’adopter une approche basée sur une des clés ci-dessous. Dans notre exemple, il s’agit d’une combinaison d’un conflit (vont-ils être rattrapés ?) et des personnages (que font-ils là ? Pourquoi ce cadavre ?). Les quatre clés

Elles correspondent à ce qui est censé intriguer les joueuses et capter leur attention. Traditionnellement, on en compte trois – l’idée, le conflit et les personnages, mais, une quatrième peut sans doute être appliquée au JdR : l’univers1. Là encore, il est plus efficace de n’en traiter qu’une ou deux que de se disperser. L’idée correspond à la situation mise en avant par l’introduction. Elle doit être accrocheuse, c’est-à-dire reposer sur quelque chose que les joueuses n’ont jamais eu l’occasion de faire ailleurs (l’unification du Japon au travers des yeux des habitants d’un gynécée), d’excitant (des chevaucheurs de dragons) ou de déjà connu, mais avec un détournement (et si Sauron avait gagné ?) ou un autre point de vue (les PJ doivent voler les plans de l’Étoile noire). Elle est compréhensible facilement, mais porte des incertitudes et des enjeux poussant à l’action (par exemple les PJ sont des personnages de contes de fées pris au piège de notre monde et quelqu’un cherche à les faire disparaître). Le conflit est l’opposition autour de laquelle tout se structure. Quelqu’un veut quelque chose, et quelqu’un ou quelque chose l’en empêche. Qu’est-ce qui est en jeu ? Pourquoi est-ce que cela compte ? Les joueuses doivent avoir le sentiment que les PJ peuvent agir et changer la donne. Cela fonctionne encore mieux si l’opposition semble déséquilibrée, peut connaître des phases différentes ou des retournements de situation. Les personnages constituent le moyen le plus facile de créer de l’intérêt : la majorité des joueuses y sont déjà attachées avant même l’introduction. Lorsque ce n’est pas le cas, il est très utile d’essayer de déterminer quels sont leurs moyens d’action, en quoi la situation les touche à eux en particulier2, ce qu’ils désirent, quels sont leurs problèmes, et surtout comment ils peuvent être changés par ce qui va se produire. Une approche alternative, notamment dans les univers historiques ou à licence, est de jouer sur le fan service. 1. Les clés présentées ici sont purement narratives. On peut en imaginer qui intègrent des spécificités du JdR : techniques (pourquoi le pouvoir de mon personnage ne marche-t-il pas sur ce monstre ? Pourquoi en a-t-il un nouveau sans avoir monté de niveau ?), basées sur la différence entre connaissances des joueuses et des PJ, etc. 2. À ce sujet, consultez également l’article « Rendre les choses personnelles » p. 261.

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Passer à la pratique Transmettre l’essentiel

Avant de commencer votre introduction, vous devez vous assurer que les joueuses disposent des informations nécessaires. Ceci n’a pas à être long. Idéalement, lire sa feuille de personnage peut suffire. Il est aussi possible qu’il faille utiliser tout ce qui est décrit dans l’article « Enseigner un jeu » (p. 93.). Voici quelques techniques pour cette étape indispensable à votre réussite.

Procédés

Avantages

Inconvénients

Backgrounds spécifiques

Sur mesure

Très long, pas toujours retenu

Création de groupe commune (voir p. 236.)

Sur mesure, amusant

Monopolise l’essentiel d’une séance

Exposé

Simple, maîtrise du contenu, polyvalence

Long à préparer, ennuyeux, empiète sur le temps de jeu

Film, BD, documentaire

Simple, peu de préparation

Possible qu’avec certains jeux et certaines joueuses

Hot Seat (p. 230.)

Interprétation, personnalisation, quantité d’informations

Très long, pris sur le temps de jeu

Journée-type (p. 264.)

Développe les PJ

Informations très spécifiques, début lent

Lettres d’amour (p. 246.)

Rapide, recentrage, incertitude

Possible que sur certaines séances, quantité d’informations très limitée

Poser des questions aux PJ (p. 385.)

Personnalisation, polyvalence

Apports essentiel­ lement des joueuses

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L’univers, enfin, est la dernière de ces quatre clés principales. Une introduction qui laisse en entrevoir un aspect peu connu (découverte d’un continent, un événement important dont on ne connaît que la version officielle), quelque chose d’apparemment impossible (l’avènement de la magie dans un monde qui en est dépourvu) ou une évolution majeure ne devrait avoir aucun problème à capter l’attention des joueuses.

Présentation technique des PJ au reste du groupe

Simple, pas trop long

Pris sur le temps de jeu, peu de secrets

Résumé en début de séance

Simple, efficace, dynamise les parties

Possible que sur certaines séances, informations spécifiques

Rumeurs

Facile, utilisable en jeu sans prendre de temps

Informations spécifiques, souvent utilisables qu’après les premières scènes

Hot Seat Cette technique consiste à faire passer successivement les PJ et à ce que chacun de leurs camarades leur pose à tour de rôle une question sur leur relation, des moments qu’ils ont partagés, etc. Cette technique est extrêmement efficace pour développer un passé commun foisonnant à un groupe de personnages.

Les grands principes

Une fois les informations nécessaires transmises, il convient désormais de donner corps à votre introduction. Voici quelques principes pour vous guider. On sonne la fin de la récré (ou son début…) : vous devez mériter l’attention des joueuses, la conserver, mais pas attendre qu’on vous la donne. Frappez fort et sans attendre ! Marquez le coup pour être sûr qu’elles se concentrent sur la partie et oublient le film de la veille. Présentez par l’action : évitez les descriptions statiques. Ce que vous montrez doit être en train d’agir ou de subir une action et marquera d’autant plus les joueuses si vous y confrontez leurs personnages. Exploitez les problèmes au lieu de les cacher : si une joueuse s’émeut parce que votre introduction fait faire quelque chose qu’elle pensait inimaginable à son personnage, rien ne sert d’argumenter : le mal est fait. Transformez alors ce problème en force et permettez à la joueuse de découvrir en jeu les raisons d’un tel comportement. Cherchez le déséquilibre : privilégiez les personnages antagonistes et les situations tendues, dynamiques, qui ne s’embourberont pas dans le statu quo. Vous devez créer du mouvement. C’est aux joueuses de trouver des solutions. Pas de décompte du temps d’antenne : mieux vaut quelque chose de fort sur peu de PJ si ces derniers en deviennent intéressants même pour les autres joueuses. Comme dans Lost, mettez un ou deux PJ sur le devant de la scène (par leur talent ou leurs difficultés), traitez-les comme ils le méritent et changez à la séance suivante. 230

Il y a plusieurs entrées à ce donjon : vous pouvez toujours faire une autre introduction que celle prévue : prétextez un point d’accès dérobé, un piston pour récupérer une enquête, etc. Cela permet même régulièrement de renouveler certaines expériences répétitives. Pas de limite : l’introduction est avant tout le moment où la tension démarre. Rien ne vous oblige à faire de cette scène la première chronologiquement, ni à partir du principe que les joueuses doivent y incarner les mêmes personnages que d’habitude. Déstructurez à l’envi ou changez de point de vue le temps d’une scène. Variations de mise en jeu

Enfin, une fois que vous avez imaginé la base de votre introduction et que celle-ci correspond à vos besoins, vous voudrez peut-être ajouter un peu de fantaisie. Voici quelques éléments de mise en jeu qui vous inspireront peut-être. Aide de jeu1 : commencez la séance en donnant un accessoire aux joueuses : coupures de journaux leur expliquant le contexte, rapport, casse-tête à résoudre, etc. Elles se concentreront directement sur la partie tandis que vous pourrez adapter le début du scénario en fonction de leur performance, ou utiliser les techniques de type introduction in medias res ou flash-forward2. Cinématique  : une scène décrite par le MJ, sans autre interaction. Cela permet d’insister sur certains éléments importants : puissance ou épaisseur d’un PNJ, danger à venir, conséquences des choix des PJ, etc. Faire jouer d’autres personnages : attribuez d’autres personnages aux joueuses, que ce soit leurs ennemis jurés ou de vulgaires quidams. Encore plus qu’une cinématique, ceci permet de commencer rapidement tout en autorisant de nouvelles perspectives. Flash-forward : vous trouverez plus d’informations sur ce procédé en p. 206 de ce recueil. Générique : cet artifice est excellent pour ritualiser et dynamiser les parties. Il consiste à passer une musique spécifique3 le temps de présenter soit les PJ soit le contexte du jour. À titre d’exemple, toutes mes séances de Tenga commençaient par « C’est la nuit, il pleut », et avec The Ecstasy of Gold d’Ennio Morricone. 1. À ce sujet, consultez également l’article « Jouer avec les aides de jeu », p. 331. 2. À ce sujet, consultez également l’article « Animer les scènes spéciales », p. 191. 3. À ce sujet, consultez également l’article « Jouer en musique », p. 297.

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Pas de fun tax : passez directement à ce qui est intéressant et épargnez-vous tous les prétendus « maux nécessaires ». Si vos joueuses ont aimé les infiltrations ou négocier avec M. Johnson lors de vos premières séances de Shadowrun, il est peut-être temps de commencer directement au moment où il les trahit.

Pré-générique  : similaire à la précédente, cette technique est à rapprocher de la façon dont commencent les James Bond et autres Aux frontières du réel. Après une situation-choc où assez souvent, les joueuses incarnent des personnages spécifiques, on lance la musique du générique et on rejoue de façon classique, mais en ayant à l’esprit l’objectif de la séance et la motivation des PJ. Teaser : une simple succession rapide de vignettes destinées à donner aux joueuses un aperçu de ce qui les attend durant la partie.

Quelques outils Si vous manquez quand même d’inspiration pour créer vos propres scènes, voici quelques outils qui devraient pouvoir vous aider. Vous y trouverez autant d’exemples pour les points précédents de cet article. Utiliser un générateur

Une méthode relativement simple est de vous servir d’un générateur de situation, puis de modifier celle ainsi obtenue pour intégrer tous les éléments de réponse que vous voulez donner durant votre introduction. Vous n’aurez sans doute jamais l’idée du siècle en procédant de la sorte, mais cette contrainte créative devrait vous permettre d’aboutir à un résultat acceptable tout en gagnant beaucoup de temps. Un générateur assez efficace est disponible à l’adresse suivante : http://www.chaoticshiny.com/situationgen.php. Vous en trouverez facilement d’autres, par exemple p. 76 de ce recueil. Des introductions in medias res déjà prêtes

Ce procédé consiste à propulser les PJ directement au cœur de l’action. Tout ce qui pourrait la ralentir sera expliqué plus tard. En JdR, ceci peut notamment permettre de commencer la séance par une scène plus technique (combat, course-poursuite) afin de se familiariser avec ses spécificités avant de reprendre de façon plus classique. « Qui porte le corps ? » est une introduction in medias res. Voici deux autres exemples1 : • vous revenez des funérailles du Dr Van Helsing. Alors que vous passez par la forêt, votre calèche se brise contre une forme sombre et massive. Vous n’avez pas encore totalement repris vos esprits qu’un hurlement de loup se fait entendre dans la nuit. Que faites-vous ? • vous êtes aux Jumeaux, dans l’armée du roi du Nord. Vous profitez des festivités du mariage, quand une agitation s’empare du camp alors que retentit un air des plus incongrus : Les Pluies de Castamere. Que faites-vous ? 1. De nombreux autres exemples sont disponibles sur http://www.lapinmarteau.com

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Ces techniques fonctionnent de façon proche à la fois de la narration partagée et des introductions in medias res, si ce n’est qu’elles sont extrêmement génériques et indépendantes de tout scénario. Leur objectif premier est de permettre de jouer rapidement malgré une préparation minimale, mais elles peuvent être utilisées afin de faciliter le début d’une séance tout à fait classique. En voici trois exemples : • l’envie : demandez à un personnage ce qu’il souhaite le plus, ce qu’il se passerait s’il l’obtenait et ce qui l’empêche de le faire. Éventuellement, interrogez un de ses camarades sur ce qui ne le rend plus si sûr que cela soit une bonne chose, un autre sur ce qui doit absolument être fait avant pour que cela soit possible, etc. Vous devriez avoir en quelques minutes un cadre complet à partir duquel lancer la partie ; • jamais : demandez à une joueuse ce que son personnage ne ferait pour rien au monde, éventuellement ses raisons, puis – que ce soit quelque chose de négatif ou de positif – pourquoi il est justement en train de le faire. Vous aurez peut-être besoin de décrire un peu la scène pour amorcer la pompe. Impliquez ses camarades dans ce qui vient de se passer ; • double inversion : alors que leurs PJ sont en train de discuter avec leur principal allié, celui-ci est abattu par un tireur embusqué. La communauté cherche le meurtrier et elle tombe sur le bras droit de leur pire ennemi. Celui-ci dit être innocent et venu pour changer de camp. En privé, il annonce que l’allié des PJ était en fait un traître.

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Les routines de démarrage

Fiche de synthèse Une introduction ? Pour quoi faire ? À quelles questions doit répondre l’introduction ? Les fonctions de base • Dévoiler l’objectif.



• Montrer le(s) début(s) du chemin.

• Créer la motivation. • Créer l’envie.

Susciter l’intérêt Les ingrédients de base : • une situation dont l’issue est incertaine ; • une dynamique qui empêche les PJ de rester impassibles ; • un élément étrange créant la surprise. Les quatre clés L’idée, le conflit, les personnages, l’univers. Passer à la pratique Transmettre l’essentiel Les grands principes • On sonne la fin de la récré (ou son début…).



• Présentez par l’action.

• Exploitez les problèmes au lieu de les cacher.



• Cherchez le déséquilibre.

• Pas de décompte du temps d’antenne.





• Pas de fun tax.

• Il y a plusieurs entrées à ce donjon.





• Pas de limite.

Variations de mise en jeu • Aide de jeu. • Cinématique. • Générique.

• Faire jouer d’autres personnages. • Flash-forward.

• Pré-générique. • Teaser.

Quelques outils Utiliser un générateur Des introductions in medias res déjà prêtes Les routines de démarrage : l’envie, jamais, double inversion



Coralie David

Un paramètre à doser avec parcimonie

C

ollaboratives ou compétitives, les relations entre les PJ sont un paramètre important dans une partie de JdR, à plus forte raison dans une campagne. Poser les bases des relations entre les personnages du groupe est une tâche qui incombe fréquemment aux joueuses, lorsqu’elle n’est pas prise en charge par le postulat initial du jeu (aventuriers réunis pour une quête, par exemple, sans entrer dans les détails). Elles le font souvent en rédigeant l’historique de leur personnage, mais ce n’est pas toujours le cas et des problèmes de cohésion émergent régulièrement : il manque un élément pour fédérer les personnages. Avez-vous déjà eu l’impression qu’à un moment donné de la partie, vos personnages n’avaient plus aucune raison cohérente de rester ensemble ? Avez-vous déjà pensé qu’il serait plus logique que votre personnage quitte le groupe, mais de le faire rester pour des questions de « méta-jeu » (pour ne pas le voir devenir PNJ) ? Bref, il arrive qu’un groupe de PJ n’ait pas de liant fort qui vienne expliquer sa cohésion. Dans cet article, vous trouverez des solutions pour résoudre ces soucis, mais pas seulement. Rassembler le groupe de PJ est important pour lui donner une raison d’être, mais le diviser peut s’avérer aussi utile pour rendre la partie intéressante. C’est un paramètre à doser avec parcimonie, parce que cette fluctuation entre union et division peut générer des tensions et des rapprochements qui participeront à rendre les PJ substantiels. Il sera également question des séparations et regroupements purement physiques, ces moments où les PJ partent chacun de leur côté. 235

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rassembler & diviser

Rassembler Voici un ensemble de techniques pour rassembler les personnages au sens large : elles peuvent vous permettre de leur donner de bonnes raisons d’être physiquement au même endroit, de former un groupe uni, de le rester, voire de se rabibocher. Sans grande surprise, certains de ces effets seront beaucoup plus faciles à obtenir selon le moment où vous décidez de les mettre en place. Ces techniques, légèrement modifiées, pourront également servir à diviser les personnages. Avant la première SÉance

Faites une création de groupe commune Certains JdR proposent des phases de création qui ne peuvent être que collectives. C’est le cas de jeux comme Tenga, qui envisagent le groupe comme une sorte de métapersonnage à part entière, ou d’autres comme Apocalypse World qui insistent directement sur les relations interpersonnelles en posant des questions spécialement conçues pour créer des conflits potentiels. Certains jeux comme Smallville ou NanoChrome1 poussent même les joueuses à créer des fragments d’univers qui lieront leurs PJ entre eux. L’objectif est de définir un réseau de liens qui unissent les PJ avant même de commencer à les jouer, si on part du principe qu’ils se connaissent déjà. Ces liens n’ont pas à être uniquement positifs. Profitez-en par exemple pour semer quelques graines de discorde discrètes mais bien présentes : le but n’est pas de commencer la partie à couteaux tirés, mais d’installer des éléments dont les joueuses pourront ensuite s’emparer si elles le souhaitent. Pour définir ces relations, vous avez notamment deux possibilités : vous pouvez choisir d’écrire de A à Z le background commun du groupe en prenant vos décisions sur la base des suggestions des joueuses ou de leurs fiches, ou vous pouvez opter pour une séance de création de groupe collective. C’est peut-être la solution la plus avantageuse, car elle vous demandera moins de travail et le fait que les idées viennent également des joueuses leur facilitera la tâche d’appropriation de ce passé réellement commun, puisque forgé par le groupe (même si la création de groupe peut concerner des éléments futurs). Après (ou avant) la création des personnages, vous pouvez leur poser des questions qui vous permettront d’imaginer ensemble des relations intéressantes2. En voici quelques exemples : • comment vous êtes-vous rencontrés ? • quel est votre meilleur souvenir commun ? • quelle est la qualité que tu apprécies le plus chez le personnage de la joueuse qui se trouve à ta gauche ? 1. Le Grümph, NanoChrome, Lulu, 2014. 2. À ce sujet, consultez également l’article « Partager la narration », p. 381.

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• quel est le meilleur service que le personnage de la joueuse qui se situe à ta droite t’ait rendu ?

• à qui as-tu sauvé la vie lors de votre première rencontre ? Dans quelles circonstances ? • vous deux, comment vous êtes-vous sortis ensemble de ce combat perdu d’avance ? • qui, autour de cette table, t’a présenté celui qui est devenu ton mari ? • pour qui éprouves-tu, ou as-tu éprouvé, des sentiments amoureux ? Il est facile, à partir de là, d’introduire les questions qui porteront en germe de futures oppositions : • qu’est-ce que t’a fait le personnage de la joueuse à ta droite que tu ne lui as jamais pardonné ? • quel est le défaut que tu ne supportes pas chez le personnage de la joueuse à ta gauche ? • pourquoi n’apprécies-tu pas que ce PJ fréquente le frère de ton personnage ? • à qui regrettes-tu d’avoir sauvé la vie lors de votre première rencontre ? Pourquoi ? Ce seront les joueuses qui décideront de la manière dont elles résoudront ou pas ces oppositions, mais intégrer ces tensions permet de créer un groupe crédible, avec ses hauts et ses bas. Ne verrouillez pas trop cette étape pour laisser aux joueuses le plaisir de continuer à développer ces relations en jeu. Votre objectif est simplement de poser des bases fertiles dont elles se saisiront pour éviter que les premières séances de jeu ne soient trop fades.

Jeux à formule ou jeux centrés sur les personnages ? D’une façon générale, toutes ces méthodes peuvent aussi bien être utilisées pour les jeux dits « à formule » que pour ceux « centrés sur les personnages ». Par jeux à formule, on entend généralement les JdR qui respectent une structure assez classique (on parle alors de scénario-type) et où les motivations qui poussent les PJ à agir sont le plus souvent extérieures aux personnages. Si un supérieur leur confie une quête (dans la quatrième édition d’INS/MV, les PJ sont envoyés en mission par des supérieurs), il aurait sans doute confié la même quête à des personnages différents. Dans les jeux centrés sur les personnages, les raisons qui poussent les PJ à agir sont censées, du moins en partie, venir d’eux-mêmes. Dans Ars Magica, les joueuses créent une Alliance et tous les événements à venir, les ennemis et les objectifs des personnages tournent directement ou indirectement autour de celle-ci.

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Si vous estimez que les réponses sont trop neutres, manquent de piquant ou échouent à créer des liens forts entre les PJ, passez à la vitesse supérieure et intégrez directement des faits plus marquants dans vos questions :

Évidemment, ces catégories peuvent être poreuses. Si certaines méthodes sont davantage adaptées aux jeux centrés sur les personnages, elles sont également intéressantes pour les jeux à formule : après tout, les flics de C.O.P.S. se sont peut-être déjà croisés dans le commissariat, ces Nephilim dans une vie précédente, etc. Ces liens antérieurs représenteront toujours un enrichissement.

Liez les historiques individuels des PJ Cette méthode, assez classique, vous demandera plus de temps, mais elle surprendra peut-être davantage vos joueuses lors des parties, et conviendra mieux à celles qui sont plus réticentes à l’aspect partagé qu’implique la précédente démarche. Comme d’habitude, demandez-leur d’écrire, de façon plus ou moins développée, le background de leurs personnages. Une fois que vous les avez tous reçus, intégrez des intersections entre ces historiques afin de lier les personnages par leur passé. Vous pouvez soit les créer vous-même, soit modifier un élément du premier background pour le retrouver dans le second. Voici quelques pistes pour imaginer ces intersections. • les PNJ : identifiez les personnages adjuvants et opposants1 de chaque background, et intégrez-les dans d’autres en conservant le même type de relation d’un PJ à un autre. Par exemple, si la mère adorée du premier PJ était Wonder Woman et que le second PJ explique qu’il a voulu devenir un super-héros le jour où Batman l’a sauvé des flammes, remplacez ce dernier par Wonder Woman. Wonder Woman reste donc un personnage adjuvant dans les deux cas. Vous pouvez aller encore plus loin en repérant les archétypes relationnels (mentor, acolyte, apprenti, traître, etc.) et les exporter d’un background à l’autre. Imaginons que le premier personnage ait eu Merlin comme mentor lorsqu’il était adolescent. Il peut alors être intéressant que le second PJ l’ait eu juste avant comme professeur, lorsqu’il était enfant. Si vous voulez pimenter un peu le tout et transformer cet élément au départ fédérateur en un éventuel facteur de discorde, insinuez que le second PJ n’a jamais digéré ce qu’il considère comme un abandon de la part de Merlin, surtout pour aller éduquer un autre futur héros soi-disant plus prometteur que lui. Pourtant, Merlin reste un adjuvant pour les deux personnages dans le sens où, de son point de vue, il est bienveillant envers les deux PJ. • les lieux : autant que possible, faites en sorte que les personnages soient liés aux mêmes endroits, notamment en ce qui concerne leur jeunesse. Ils pourront ainsi avoir été dans la même école mais s’y être seulement croisés, tout en ayant apprécié et détesté les mêmes professeurs. Ils auront un attachement égal pour ce lieu, et réagiront forcément s’il est attaqué. Pour le présent, n’hésitez pas à les rassembler dans le même quartier d’une ville, voire à leur faire fréquenter le même bar. Leur rencontre paraîtra d’autant plus naturelle, s’ils ne se connaissaient pas avant, ou s’ils s’étaient juste croisés dans les couloirs du lycée.

1. À ce sujet, consultez également l’article « Incarner des PNJ », p. 141.

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• les liens sentimentaux : l’avantage par rapport à la méthode de création de groupe commune, c’est que vous pouvez choisir de cacher ces liens aux joueuses non concernées et donc générer plus de surprises autour de ces situations (liaison secrète, personnage naïf ne se rendant pas compte de ce qu’éprouve un autre à son égard, etc.). Souvent, les sentiments, amoureux ou pas, sont laissés de côté dans les historiques des PJ. N’hésitez donc pas, même si cela relève de la première impression diffuse, d’attirer l’attention des joueuses sur ce sujet et de discuter avec elles de ce que leur personnage ressent à l’égard de chaque autre PJ. C’est un sujet où il est souvent difficile de prendre une décision à leur place, mais rien ne vous empêche de leur faire des suggestions. Si vous intégrez ne serait-ce que deux PNJ, lieux, événements marquants et liens sentimentaux dans chaque background, vous devriez arriver à obtenir un groupe avec des relations substantielles. Par contre, tentez autant que possible d’éviter les heureux hasards et autres causalités narratives cousues de fil blanc, qui viendraient saper la crédibilité de votre travail.

Une bonne inspiration pour lier les PJ : Fiasco Dans Fiasco, chaque personnage a une connexion avec celui de la joueuse se situant à sa gauche et à sa droite. Ils peuvent être liés par un lieu ou un objet, et on définit d’abord les PJ par leurs relations avant de définir leur identité. Cette méthode est très rapide et efficace.

Utilisez l’opposition comme liant Les ennemis de mes ennemis sont mes amis. Rien de tel qu’un ennemi commun pour avoir une raison cohérente de s’associer. Par opposition, j’entends les PNJ mais pas seulement, selon une acception bien plus large qui correspondrait aux « fronts » ou menaces d’Apocalypse World : organisations, maladies, lieux, événements, etc. De plus, si vous jouez dans un jeu à l’univers particulièrement dense où vos joueuses devront assimiler beaucoup d’informations, vous pouvez faire d’une pierre deux coups en intégrant ces opposants du monde du jeu directement dans l’historique des personnages, tout en les utilisant comme liant. 239

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• les événements marquants : pensez au film Sleepers, lorsque les quatre gamins des rues commettent malgré eux un crime au chariot à hot-dog. Cet événement les liera à tout jamais. Intégrer un ou deux événements de ce type au background de vos PJ peut suffire à installer un attachement fort entre eux. La palette d’événements marquants est de plus assez large, de l’étape habituelle d’une vie à l’exceptionnelle catastrophe, vous pouvez déplacer le curseur : agression, pire et meilleur souvenir, décès d’un proche, rite d’initiation, premier emploi ou mission, emprisonnement ou heures de retenue (rappelez-vous le film Breakfast Club, où cinq adolescents très différents les uns des autres créent des liens forts en une journée de retenue), prise d’otages, autant d’événements marquants qui, bien intégrés aux historiques de vos PJ, peuvent leur permettre de commencer la partie avec un groupe soudé.

Contrairement à la précédente méthode, vous n’aurez pas besoin de passer du temps à réécrire ou modifier l’historique des PJ, puisque le background devient presque superflu : il vous suffit de leur expliquer, à l’oral ou à l’écrit, en quoi cette méga-corpo est devenue leur ennemie. Pendant la partie

Si vous ne voulez ou ne pouvez pas consacrer le temps nécessaire aux précédentes méthodes, voici quelques pistes pour rassembler votre groupe en cours de partie. Faites de la cohésion l’objectif de la première séance La solution la plus évidente consiste à plonger les PJ au cœur de l’action (introduction in medias res1), quitte à revenir en arrière après pour expliquer comment ils se sont retrouvés dans une telle situation2, que ces précisions viennent des joueuses, de vous ou que vous les déterminiez tout au long de la partie. En résumé, cela revient à précipiter les PJ au cœur d’un événement marquant (voir page précédente), à la différence que ce sont les joueuses elles-mêmes qui vont décider de la manière dont elles vont l’affronter ensemble. Votre travail est ici de vous assurer que chaque PJ puisse trouver sa place, par exemple grâce à leur complémentarité, sans pour autant les téléguider et empêcher les joueuses de prendre des initiatives, sachant qu’elles vous étonneront immanquablement. Autre méthode qui est le contre-pied de celle-ci, vous pouvez choisir de vous concentrer sur la rencontre des PJ elle-même. Dans ce cas, assurez-vous que la période qui précède ne soit pas trop longue, afin de ne pas mener les deux tiers de la séance joueuse par joueuse. Voici quelques pistes pour y parvenir. • La convocation par une force extérieure identifiée : dans un jeu à formule, cela tombe sous le sens, les PJ sont contactés par leur commanditaire et doivent se rendre à un point de rendez-vous. Mais cela peut également fonctionner dans les jeux centrés sur les personnages : ils sont convoqués au commissariat, à l’hôpital, à un enterrement, par le chef du clan, etc. Souvenez-vous de l’introduction du premier scénario des Masques de Nyarlathotep, même si c’est depuis devenu un cliché : les PJ ont tous un contact en commun, Jackson Elias, qui leur envoie un mystérieux télégramme leur fixant un rendez-vous pour former une équipe d’investigation. Sur place, leur ami étant décédé, c’est naturellement qu’ils vont chercher à savoir qui l’a tué. Dans cet exemple, il n’est pas nécessaire que les PJ se connaissent ou que leur historique mentionne Jackson, ou même qu’ils en aient un. • Mauvais endroit, mauvais moment : les PJ se retrouvent ensemble dans un lieu sans qu’ils soient censés s’y rencontrer : une soirée mondaine, une diligence, 1. À ce sujet, consultez également l’article « Commencer », p. 225. 2. À ce sujet, consultez également l’article « Animer les scènes spéciales », p. 191.

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• Seuls contre tous : si les PJ sont spéciaux, pour le meilleur ou pour le pire, cette singularité commune va les rassembler. Ils sont les champions respectifs de leur tribu, ils sont les premiers mutants à manifester des pouvoirs surnaturels, ils appartiennent à une minorité quelconque. Ainsi, il ne sera pas difficile de les rassembler dans un lieu où ils auront des raisons crédibles de se rendre : les fêtes des moissons pour les champions, une boîte de nuit connue pour accueillir des mutants, une église de leur communauté religieuse dissidente. Pour reprendre un classique, si les PJ ne sont pas censés être encore au courant de leur nature singulière, vous pouvez même les faire commencer dans une cellule, où ils ont été emprisonnés à cause de ce qu’ils sont, et les laisser s’en rendre compte en discutant. Lorsque leurs PJ se rencontrent, laissez les joueuses prendre le temps de s’observer, de se forger une première impression, en leur demandant de davantage montrer que dire. Au lieu d’annoncer : « mon personnage est un ancien taulard à la mine patibulaire », conseillez-leur de décrire leur PJ, que les autres joueuses aient la liberté de se faire une opinion d’après ce qu’elles perçoivent. Contrairement à la méthode précédente, ne précipitez pas le rythme. Peu importe la méthode que vous choisissez, assurez-vous que chacune puisse trouver sa place dans le groupe. Mais gardez en tête que les PJ ne se sont pas un simple assemblage de compétences : ils ne peuvent être résumés à une fonction pratique. Mettez en jeu des situations où chacun pourra manifester sa personnalité : le premier PJ est colérique mais courageux, le second PJ menteur mais intelligent, etc. Faites-les pleurer ensemble Que ce soit de rage, de désespoir ou de rire, mais rassemblez-les en les poussant à éprouver des émotions communes, ou à crever les abcès. Parfois, au cours du scénario ou de la campagne, il arrivera que les PJ soient si divisés qu’il paraîtra plus cohérent que le groupe se sépare. Voici quelques pistes pour leur permettre de retisser des liens forts, dont certaines sont des variantes de celles que nous avons proposé d’utiliser avant la partie. • Organisez un face à face et un dos à dos : enfermez les PJ qui sont en conflit quelque part, et mettez en place une situation en deux phases : la première où ils n’auront rien d’autre à faire que discuter pour passer le temps (n’hésitez pas à ajouter un PNJ pour les séparer s’ils en viennent à s’entretuer, bien que ce soit une possibilité envisageable, ou pour les pousser à se liguer contre lui, ou pour évoquer la pomme 241

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un rite rassemblant plusieurs tribus, etc. Ils vont alors être confrontés, ensemble, à un phénomène qui va les pousser à s’associer. Il peut être dû au hasard (les Quatre Fantastiques sont irradiés par des rayons lors de leur voyage spatial, les PJ fument une cigarette à la sortie d’un night-club et sont agressés par des loups-garous), ou à une manipulation déguisée en hasard (ils ont tous gagné un voyage, mais c’est un piège d’une multinationale qui les a pris en grippe).

de discorde s’ils évitent le sujet) ; la seconde où ils devront collaborer pour s’en sortir. Rien de tel qu’un beau combat en équipe pour se réconcilier, dos à dos contre une myriade de gobelins ! Dans cette scène, sans exagérer, insistez sur l’éventuelle désorganisation des ennemis pour mettre en valeur la complicité des PJ. • Rappelez-leur qui est leur adversaire : une force opposante leur prend quelque chose qui leur est cher. Elle a tué leur mentor, brûlé leur école, contaminé leur soigneur préféré. Cet événement tragique les pousse à faire front et leur rappelle qu’il existe des choses plus graves que leurs conflits internes qui méritent d’être mis de côté. En tout cas, cela dirigera temporairement leur colère contre d’autres cibles. • Donnez-leur un objet d’affection commun : s’ils sont à couteaux tirés, transformez un élément important pour le premier PJ en un élément important pour le second PJ. Dans la série Once Upon a Time, Emma Swan et Regina Mills, qui sont au départ des ennemies jurées, ont un enfant en commun, mis au monde par la première et adopté par la seconde. Leur lien maternel avec Henri va les obliger à travailler ensemble pour finalement devenir des alliées. Choisissez donc deux PNJ dans l’entourage proche de vos deux PJ, et faites en sorte de les lier de façon cohérente. Mieux, pensez au personnage de Liv Tyler dans Armageddon, qui est à la fois la dulcinée d’un personnage et la fille d’un autre. Avec un seul PNJ, vous pouvez rapprocher deux PJ. • Confisquez la pomme de discorde : si au contraire, le groupe se déchire car deux PJ poursuivent le même objectif antagoniste (nous en reparlerons), comme le poste de capitaine du navire, ou le cœur du même homme, confisquez-leur, au moins temporairement. L’objet de leur amour peut avoir disparu, être tué par un ennemi, le bateau avoir été endommagé par un mystérieux saboteur, ou pire, avoir été coulé par l’armée. Si le fait de poursuivre le même but était source de tensions, pour un temps au moins il deviendra une force fédératrice. • Mettez-les à la merci les uns des autres : faites en sorte que le premier PJ puisse sauver le second, donnez-lui tout pouvoir sur lui. Mais gardez à l’esprit que c’est quitte ou double, car rien ne vous assure qu’il ne choisira pas d’en profiter pour au contraire l’enfoncer, et c’est là tout l’intérêt de ces situations : si le premier PJ fait le choix d’aider le second, surtout s’il n’y a aucun témoin pour le répéter, cet acte constituera un grand pas vers un rapprochement durable. Ces scènes peuvent prendre bien des formes : au-delà du grand classique où un personnage se retrouve suspendu dans le vide, attendant patiemment qu’un autre lui tende une main secourable, on peut imaginer un interrogatoire où les policiers proposent au premier PJ de dénoncer le second pour ne pas aller en prison (l’effet est d’autant plus efficace que l’interrogatoire est cruel). La paladine doit par exemple choisir de sacrifier son épée magique, symbole de son engagement, pour éviter à la sorcière du groupe d’être tuée par une créature démoniaque. D’une manière ou d’une autre, elle sait que la chair du monstre consumera l’arme. En résumé, si ce sauvetage implique un sacrifice de la part du PJ qui a le pouvoir, cela en démultiplie l’effet réconciliateur (et le risque).

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• Faites intervenir leurs fans, c’est-à-dire n’importe quel PNJ appréciant un ou plusieurs PJ. Cela peut être un individu ou tout un groupe, comme un village reconnaissant d’avoir été sauvé. Plus les PNJ sont innocents ou dépendent des personnages, mieux c’est : eux ne voient que leurs qualités et leur renvoient une image positive de ce qu’ils peuvent accomplir ensemble. Ces fans seraient terriblement déçus s’ils en venaient à comprendre que leurs héros ne sont pas à la hauteur de leurs discours. C’est une façon relativement indolore de mettre les PJ au pied du mur, de leur faire prendre un peu de recul pour se rendre compte de ce qu’ils ont accompli et d’envisager ce que serait le monde sans eux. Cela fonctionne aussi avec les mentors ou n’importe quel autre PNJ adjuvant. Vous pouvez encore en rajouter en leur montrant par ce biais qu’ils sont les seuls à pouvoir sauver le monde. • Sortez le miroir : confrontez-les à un problème qui, de manière subtile et implicite, les renvoie à leur propre situation : la querelle de deux frères a mené un village à sa ruine, cette détenue regrette tellement d’avoir tué son ami pour une histoire d’argent, ce soldat d’avoir dénoncé sa sœur juste parce qu’ils étaient amoureux de la même femme, etc. Faites en sorte que ces PNJ deviennent le potentiel reflet de leurs regrets et remords si jamais ils laissent leur situation se détériorer. Cela les poussera peut-être à parler de leurs sentiments. • Permettez-leur de se racheter : si le mal est déjà fait, pour arranger les choses il faut avoir la possibilité de se rattraper. Si vous avez le choix, donnez au premier PJ le bouclier magique que recherche le second. Si le premier décide d’en faire cadeau au second, cela permettra peut-être à ce dernier de le pardonner de ne pas avoir sauvé son familier. • Acceptez un départ : si, malgré vos efforts, le groupe ne retrouve pas une cohésion satisfaisante, acceptez que certains PJ partent et qu’une ou plusieurs joueuses créent de nouveaux personnages. Peut-être que cet événement resserrera les rangs de ceux qui resteront. Peu importe le moyen que vous employez, surtout n’imposez rien. Proposez des choix qui permettent de rassembler le groupe, mais ne forcez pas sa cohésion. Si vous n’en avez pas fait un prérequis initial, c’est aux joueuses de décider. Vous ne gagnerez rien en utilisant de grosses ficelles ou en manquant de subtilité.

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• Inversez les rapports de force : dans le cas où un PJ charismatique et fort persécute un PJ timide qui a peu confiance en lui, mettez-les dans une situation où, pour une raison ou une autre, le premier voit ce qui fait sa force (physique, mentale ou sociale) être sérieusement diminué, rendant l’intervention du second indispensable. Par exemple, le hacker est enfermé dans une autre pièce et doit guider le second PJ à la voix pour effectuer le piratage du serveur central. La puissante barbare est aveuglée et dépend des jets de perception du mage pour éviter les coups. Le beau Toréador raffiné très populaire dans la société vampirique a été capturé par une meute de loups-garous avec le Gangrel du groupe, et sa survie dépend entièrement de la capacité du vampire bestial à négocier avec eux, car ils n’acceptent de ne parler qu’à lui.

En parler « hors-jeu ? » Toutes les techniques présentées dans cet article partent du principe que les choses peuvent se résoudre à l’échelle des personnages. Toutefois, si vous sentez que le problème vient d’une incompréhension entre les joueuses ou d’un comportement inadapté, il sera plus rapide et plus efficace d’interrompre la partie pour en discuter. Cela n’a rien de honteux, et peut vous permettre par exemple de corriger un oubli, de repréciser un élément important, etc. Vous pouvez même aller plus loin en expliquant que les PJ s’apprécient même si on ne l’avait pas précisé au départ. Mieux vaut une courte discussion hors-jeu et repartir sur des bases saines que passer des heures à continuer une partie devenue médiocre.

Maîtrisez les séparations et dissuadez-les de faire bande à part Si diviser le groupe des PJ en deux ou trois équipes pour gagner du temps est nécessaire, logique, voire indispensable pour accomplir certains objectifs, il est parfois compliqué de gérer un groupe qui est presque toujours éclaté en différents lieux. Voici quelques idées pour réunir les PJ lorsqu’ils se mettent à la jouer un peu trop « perso » sans raison valable. • Faites intervenir l’autorité : si vous jouez à un jeu à formule, le supérieur des PJ peut les convoquer de façon inopinée et urgente. Si un des membres du groupe est en retard, ce sont les autres qui subiront son courroux. Aux justifications du genre « c’est pas d’not’ faut’ », le supérieur répondra que si, ils sont une équipe, et leur rappellera qu’ils sont responsables les uns des autres. • Montrez-leur que l’isolement est dangereux et néfaste : les adversaires des PJ ne sont pas stupides et profiteront probablement du fait que l’un d’entre eux se retrouve seul pour lui tomber dessus et lui infliger une sévère correction, dans le meilleur des cas. Ils peuvent également en profiter pour le capturer, l’interroger et le forcer à divulguer de précieuses informations, ou encore tenter de le retourner contre le groupe. Cela dit, c’est l’option la plus radicale : il suffit de montrer à la joueuse que son personnage l’a échappé belle. Dans le même ordre d’idées, le grand classique « tu n’es pas là, tu ne peux pas intervenir » lors d’un interrogatoire ou d’une conversation cruciale produit toujours son effet lorsqu’un PJ oublie de poser une question importante. N’hésitez pas non plus, lorsque le groupe se retrouve, à rappeler aux joueuses dont les PJ n’ont pas assisté à la scène de faire abstraction des informations que leur personnage n’est pas censé avoir, si celui qui était présent oublie de leur raconter. Cette approche sera sans doute frustrante et inadaptée dans une ambiance pulp ou décontractée, mais conviendra parfaitement si vous cherchez à installer une atmosphère plus rugueuse et exigeante. • Utilisez le méta-jeu pour les rendre paranoïaques : lorsque les personnages se séparent, n’hésitez pas à faire des apartés. Ainsi, les autres ne sauront pas si ce qu’ils racontent à leur retour est bien la vérité. Et lorsque vous maîtrisez la scène où ils sont 244

Comment gérer les séparations ? Il existe plusieurs manières de gérer les situations où les PJ sont physiquement éloignés : • faire des apartés : c’est un moyen classique, qui a pour avantage de préserver la surprise des joueuses et pour inconvénient de casser le rythme de la séance si le MJ y a trop fréquemment recours. Le mieux est de l’utiliser lorsque la séparation sera probablement de courte durée, et si vous souhaitez que la scène où le PJ raconte ce qui lui est arrivé loin du groupe soit intéressante, notamment si les informations qu’il a découvertes dépendent de son interprétation (apparences trompeuses, malentendus, etc.) ; • permettre à la joueuse dont le PJ est absent d’incarner un PNJ : cette méthode est peut-être la plus adaptée lorsque le PJ va être amené à être longuement séparé du reste du groupe. La joueuse sera ainsi moins frustrée, mais il peut être parfois difficile d’assumer les conséquences de ses actes s’il s’avère que ce PNJ en sait plus que la joueuse, ou s’il a un rôle-clé à jouer dans la suite. L’équilibre est donc difficile à atteindre, entre PNJ insignifiant qui n’intéressera pas ou peu la joueuse, et PNJ majeur qui risque d’avoir trop de pouvoir ; • leur permettre de communiquer via un dispositif : il peut prendre plusieurs formes selon l’univers (canal magique, monde astral, téléphone, télépathie, chat, visioconférence, etc.). Le plus naturel est de trouver un moyen équivalent à l’oral, bien que l’écrit (télégrammes, messages par pigeons voyageurs, lettres, SMS, etc.) puisse être intéressant : la joueuse pourra par exemple passer des notes à ses camarades et y exprimer des choses que leur interlocuteur n’entendra pas, mais aura bien du mal à écrire aussi vite qu’elle ne parle.

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à part, tentez-les, par exemple en leur donnant plus de pouvoir s’ils gardent certaines ressources ou informations pour eux. S’ils succombent à la tentation, faites en sorte que certaines de leurs petites trahisons remontent à la surface. S’il vous semble trop contraignant de systématiquement avoir recours aux apartés, faites-les uniquement lorsque la situation devient tendue ou propice à la trahison, notamment les scènes d’interrogatoire où il est plus facile, pour les joueuses spectatrices censées ne pas être là, de se concentrer sur des détails et de souffler des questions. Si jamais l’interrogateur a raté un élément crucial, débrouillez-vous pour que les autres le sachent lorsqu’il sera trop tard, ou passez-lui des mots de façon visible. Lors des scènes d’exploration ou de fouille, expliquez que les joueuses gagneront un temps précieux si elles se répartissent différentes zones ou demandez-leur simplement, si elles décident de fouiller à plusieurs, qui cherche dans quelle zone. Chaque PJ examinant une zone éloignée de celle des autres, après un jet de perception, n’hésitez pas à utiliser de petits papiers pour transmettre le résultat aux joueuses : même si aucune ne garde quoi que ce soit pour l’enrichissement personnel de son personnage, cela poussera les autres à s’interroger et à se rapprocher pour voir ce qu’il en est. Et si certaines le font, demandez des tests aux autres pour qu’elles puissent s’en apercevoir. Ce genre de méthodes les encouragera à éviter de se séparer pour pouvoir se surveiller les unes les autres, ou s’assurer de ne rien oublier.

ENTRE lES séances

Profitez des moments calmes J’entends par là les périodes où l’action se relâche, où le rythme se ralentit, par exemple entre les missions ou les scénarios. La plupart du temps, elles deviennent des ellipses. Voici quelques pistes pour en faire des scènes propices au rapprochement des PJ. Un exemple concret de ces scènes calmes fédérant le groupe nous est donné par les RPG vidéoludiques de BioWare, Dragon Age Origins et la trilogie Mass Effect. Dans le premier, ce sont les feux de camp, où vous pouvez offrir aux personnages de votre groupe les objets qu’ils recherchent selon leur background. Dans le second, vos coéquipiers et vous vous retrouvez dans votre vaisseau, le Normandy. Dans les deux cas, « ces inter-missions » sont l’occasion de créer des liens avec les autres personnages, que ce soit par la séduction, l’humour ou l’évocation de souvenirs, avec le défaut que les étapes des relations sont trop ostensiblement « scriptées », ne se déclenchant que lorsque certains points de l’intrigue principale sont franchis. Ces séquences peuvent se dérouler en introduction ou en conclusion de séances et entre celles-ci, par exemple en communiquant par mail ou par forum.

Écrivez-leur des lettres d’amour  Cette technique popularisée par Apocalypse Word consiste à écrire une lettre à destination des personnages. Les joueuses les découvrent au début d’une séance, ce qui leur permet de se remémorer les événements de la précédente, de se reconcentrer sur leurs buts et de choisir entre plusieurs options (éventuellement rendues disponibles par un test). C’est un bon moyen d’obtenir un espace de liberté et de lancer directement l’action. Pour rassembler les personnages, vous pouvez utiliser ces lettres de deux manières. La première consiste à intégrer de nouveaux événements s’étant déroulés entre les séances, et au cours desquels les PJ se sont rapprochés. La seconde est de proposer, parmi les actions disponibles, des options pour les unir ou les rabibocher dès le début de la séance. Voici un exemple particulièrement sadique : Ma chère Furiosa, tu es en train de conduire un camion chargé de réfugiées dans le désert alors que les hommes de Joe continuent à te poursuivre sans relâche. Pourrais-tu, s’il te plaît, lancer les dés+cool ? Sur 10+, tu choisis une seule option. Sur un 7-9, choisis deux options parmi les suivantes : • le personnage de la joueuse à ta gauche prend une balle ; • tu prends une balle ; • le signal de la réserve s’allume : le camion ne va pas tarder à s’arrêter… Sur un échec, j’en choisis deux à ta place. Tendrement, ton MC.

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• Installez une ambiance propice à créer des liens : certains PJ semblent amorcer un rapprochement amoureux ? Insistez auprès de l’un sur les ombres qui dansent sur le visage de l’autre autour du feu de camp. Les PJ font la fête au bar ? Insistez sur le fait que tous les autres flics se tiennent autour d’eux et qu’ils sont les stars de la soirée, que d’autres paraissent envier leur complicité. • demandez-leur comment ils organisent leur vie entre les scénarios : comment vivent-ils au quotidien ? S’ils ne se voient jamais, faites-leur remarquer : « et vous ne vous voyez pas du tout ? » Au pire, si vos joueuses n’ont vraiment pas le réflexe qui va leur permettre de renforcer leurs liens, l’époux d’un PJ peut proposer d’inviter à dîner un ou plusieurs autres. Ils peuvent également se croiser dans le village, dans le bar où ils ont leurs habitudes, si cela reste crédible. Vous pouvez même intercaler des inter-scénarios visant à les rapprocher, pour cela je vous renvoie aux méthodes précédemment énoncées. Poussez-les à définir des objectifs communs Une part importante de votre travail, en tant que MJ, est de donner des objectifs aux PJ pour qu’ils aient des raisons d’agir et de rester ensemble. Mais, comme pour la création de groupe, les joueuses se sentent encore davantage investies dans la partie lorsqu’une bonne dose des idées vient d’elles, surtout en ce qui concerne les objectifs. • Intégrez les objectifs communs qui émergent en cours de partie dans vos prochains scénarios : entre chaque séance, prenez un peu de recul et identifiez les objectifs qui sont les conséquences des actions des PJ, et qu’ils ont donc indirectement amorcés : ils ont un peu trop molesté cette petite frappe qui ne devait être qu’un PNJ sans importance ? Donnez-lui la rancune tenace, il pourrait s’en prendre à leur famille et devenir un ennemi commun qui, au départ, n’était absolument pas prévu. Vous avez remarqué que les PJ s’intéressaient particulièrement à ce vieux livre bizarre au-delà des réponses dont ils ont besoin pour résoudre l’enquête en cours, mettez-le au cœur d’autres affaires. 247

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• Amorcez les scènes de rapprochement : lorsque la tension retombe autour du feu, dans le véhicule qui ramène les PJ, à la cantina ou dans la salle de pause du commissariat, si d’elles-mêmes les joueuses n’engagent pas la conversation, vous pouvez leur rappeler les temps forts de l’action, où leur travail d’équipe a fait la différence : « Jack, alors que tu regardes O’Neil boire son café tant bien que mal avec sa main bandée, tu te souviens de la manière dont il s’est interposé entre le flingue et toi. » Pour éviter que cet outil devienne une ficelle trop évidente, utilisez-le avec parcimonie et variez ses formes. Cela peut par exemple être l’occasion de faire intervenir des PNJ mentors ou fans pour féliciter le PJ qui s’est sacrifié, ou l’époux d’un PJ qui vient remercier son coéquipier d’avoir sauvé la vie de son conjoint, un journaliste qui mette cette coopération en valeur, etc. Plus long à mettre en place mais pour obtenir un effet plus marqué, donnez à un PJ le moyen de résoudre l’objectif personnel d’un autre. Cela peut prendre la forme classique de l’objet qu’il recherche ou, plus subtil, le premier PJ va contribuer à réconcilier le second avec un membre de sa famille ou à laver son honneur d’un crime qu’il n’a pas commis. Bien sûr, vous pouvez vous servir des mêmes outils pour diviser le groupe.

Laissez-les s’ennuyer Si la cadence d’une partie est une donnée fondamentale à prendre en compte, sans tomber dans le pur contemplatif, le fait de laisser le rythme ralentir sans chercher à le relancer peut générer des développements très intéressants. Évidemment, cela concerne les campagnes au moyen ou long cours et ne doit pas devenir trop fréquent. Les bacs à sable à l’échelle d’une vaste région ou d’un pays s’y prêtent très bien, comme les road trip ou autres expéditions, où le trajet n’est pas une ellipse mais au contraire le cœur du jeu (L’Anneau unique, Ryuutama, etc.) Parfois, les PJ sont bloqués1 : ils ne peuvent pas s’offrir le voyage pour se rendre là où la suite de leurs aventures les attend, leur contact est mort et ils ne savent pas quoi faire ni ou aller, parce qu’ils ont échoué à trouver une solution à leurs problèmes ou parce qu’ils ont pris des décisions qui ont mené à cette situation. L’échec n’est pas la fin de l’histoire mais une autre direction que prend celle-ci, dit-on. Pour autant, ne minorez pas les conséquences de leurs actes : si les solutions pour continuer semblent trop faciles, cela revient à nier leur influence sur la partie. Le fait de trouver ensemble des solutions sans que vous leur tendiez la perche contribuera à les rapprocher : par exemple, ils peuvent décider de travailler pour gagner de l’argent ou de partir en stop pour un périple de plusieurs jours qui aurait duré deux heures en avion, de passer chez la famille de l’un d’eux car ils ne peuvent plus continuer sans être soignés, etc.

• Demandez aux joueuses ce qu’elles veulent faire entre les séances : certains JdR le proposent. Oltrée ! fournit au MJ une feuille d’aventure, un outil pour imaginer la zone à explorer par les PJ selon ce but défini par les joueuses en posant des questions telles que : « qu’est-ce qui peut aller mal ? », ou « qu’est-ce qui pourrait faire changer d’avis ou reculer les patrouilleurs ? ». Ces objectifs peuvent être résolus en un seul scénario, ou occuper toute une campagne, à vous de décider. De mon expérience, il est généralement mieux de laisser jouer quelques parties au groupe avant de demander aux joueuses de déterminer des objectifs communs, de façon à les laisser se familiariser avec l’univers pour être plus inspirées. Quoi qu’il en soit, les joueuses seront probablement plus investies dans un objectif qu’elles auront défini ensemble, et qui fédérera d’autant plus facilement leur groupe. Naturellement, cette liste n’a rien d’exhaustif. Toutefois, il s’agit d’autant de techniques éprouvées qui ont toutes eu l’occasion de faire leurs preuves. Assurez-vous juste d’en changer suffisamment souvent pour qu’elles ne deviennent pas des « tics » de maîtrise et perdent toute efficacité. 1. À ce sujet, consultez également l’article « Animer les scènes spéciales » sur les attentes, p. 195.

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Ont été évoqués, dans la partie précédente, un certain nombre d’outils visant à fédérer le groupe qui pouvaient également servir à le diviser au prix de quelques modifications. Voici maintenant des méthodes spécifiquement pensées pour semer la discorde parmi les PJ, mais cette liste sera plus courte puisque de nombreux moyens ont déjà été cités. Pourquoi diviser le groupe ? Car les conflits, les tensions et les incompréhensions contribuent à faire des PJ des personnages substantiels, et pas de simples pions ou listes de compétences utiles. Il ne s’agit pas de décider des relations entre les PJ à la place des joueuses, mais de mettre en place des situations intéressantes et de les laisser choisir quelle en sera l’issue. Avant la première SÉANCE

Mettez un traître dans le groupe Si un PJ peut toujours être « retourné » en cours de partie, l’avantage de prévoir d’intégrer un traître avant la première séance vous permet de réfléchir aux raisons et aux moyens de cette trahison, afin de la rendre crédible dans ses causes et son exécution. Toutefois, son rôle n’est pas de détruire le groupe et ses moyens d’action doivent rester limités. Il existe notamment deux sortes de traîtres, dont l’impact sur le groupe sera légèrement différent : • le traître « de métier » : qu’il soit dévoué à l’idéologie du camp adverse ou rémunéré par celui-ci, il aura probablement peu de scrupules, en tout cas lors des premières parties, à faire des excès de zèle pour servir les adversaires des autres PJ. Subtil ou peu discret, cela dépendra de la joueuse, mais ce PJ aura probablement des compétences cruellement utiles pour mettre des bâtons dans les roues des autres, renseigner l’ennemi sur leurs activités voire les attirer dans un piège. Votre groupe risque de se diviser de façon plus profonde, dans le sens où il est difficile de pardonner à un tel agent double agissant de son propre chef. Faites donc jouer des scènes dont le but sera de laisser une chance au traître de revenir dans les bonnes grâces des autres, par exemple en rendant des services désintéressés à ses camarades, ou en lui permettant de prendre plus de risques que les autres pour mener leur mission à bien. Cependant, s’il décide de se repentir, cela pourrait faire l’objet d’un voire plusieurs scénarios, ou de durer toute la campagne. • le traître contraint : celui-ci n’ayant pas choisi de trahir le reste du groupe, il est possible qu’il traîne les pieds pour mettre des bâtons dans les roues de ses camarades et s’en tienne au strict minimum. Il pourra plus facilement être réintégré par la suite, notamment si les ennemis ont menacé sa famille ou autre. L’impact sur la cohésion du groupe sera donc moindre.

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Diviser

Pour que le procédé reste efficace, ne mettez pas systématiquement de traître et surtout, ne donnez pas toujours ce rôle à la même personne. Laissez à la joueuse une porte de sortie pour éviter qu’elle ait l’impression de n’avoir aucune liberté (pouvoir se soustraire à l’influence de ses maîtres chanteurs, avoir la possibilité de se défaire d’une idéologie fanatique) et permettez au groupe de se rendre compte de ladite trahison. Il appartient aux joueuses de décider de la façon dont elles géreront cette situation qui ébranlera la confiance du groupe dans son ensemble. Si vous voulez vraiment charger la mule pour diviser le groupe, faites en sorte que les commanditaires du traître lui conseillent d’appuyer sur les points sensibles, à savoir les secrets de chacun, les rivalités, les tensions, etc., bref tout ce qui relève des relations humaines. De très nombreux jeux prévoient des éléments qui se prêtent à l’intégration d’un traître dans un groupe, comme les anges de Mathias pouvant infiltrer les rangs des démons dans INS/MV, la police des polices chez les C.O.P.S., le Sabbat dans Vampire : la Mascarade, etc. PENDANT la partie

Mettez-les devant le fait accompli Lorsque vous débutez une nouvelle partie, c’est-à-dire qu’il s’est écoulé une période de temps indéfinie à la fin d’un cycle (scénario, campagne, etc.) qui fait l’objet d’une ellipse où les PJ ont vaqué à leurs occupations, commencez la séance en décrivant une scène déjà tendue entre eux, par exemple : « Carrie, tu viens de coller ton poing dans la figure d’Alain. Il est allongé par terre et saigne abondamment. Camille, pourquoi es-tu en train de les braquer avec tes flingues1 ? » Quand la joueuse a trouvé une raison à l’attitude agressive son personnage, par exemple : « Je les braque pour tenter de les calmer, car j’ai bien vu que ça allait mal se finir », passez la parole à celle qui joue Alain : « Qu’est-ce que tu as bien pu faire à Carrie pour qu’elle se mette dans cet état ? » et ainsi de suite. Il est important que chaque personne autour de la table puisse ajouter des éléments de son cru. De plus, en tant que MJ, il est crucial que vous fassiez régulièrement référence à cet épisode afin d’éviter que les joueuses l’évacuent en minimisant son impact : si Carrie a frappé Alain car ce dernier a trompé sa sœur, il faut que le sujet revienne sur le tapis. En procédant ainsi, vous laissez vos joueuses trouver les raisons de cette dispute qui a mal tourné d’une part et, surtout, vous les laissez libres de résoudre ses conséquences, que la situation dégénère ou s’arrange. Elles vont dès lors s’approprier cet événement que vous leur avez au départ imposé.

1. À ce sujet, consultez également l’article « Partager la narration », p. 381.

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Si vous utilisez cette méthode, prenez garde à éviter certains écueils :

• tenez compte du caractère des personnages. Dans l’exemple pris précédemment, si Carrie n’est pas violente habituellement, il vaut mieux chercher une réaction plus adaptée à sa personnalité. Sinon, insistez sur le caractère exceptionnel de son attitude : « Carrie, toi qui es toujours si douce, qu’est-ce qui a bien pu te bouleverser suffisamment pour que tu en viennes à frapper Alain ? ». Cette méthode peut faire l’objet d’un flash-forward : lorsque la séance commence, vous décrivez la scène aux joueuses, puis vous revenez dans le temps et vous serez surpris de constater à quel point celles-ci essaieront d’arriver à la scène en question. Toutefois, même si cette technique apporte généralement une satisfaction intense en cas de succès, soyez conscient que ce « passage obligé » reste une contrainte et que vous n’avez aucune garantie d’y arriver. Instillez le doute via des moyens apparemment « neutres » De façon analogue à celle dont vous pouvez utiliser le méta-jeu pour rendre les joueuses paranoïaques, il vous est possible de les orienter grâce aux filtres par lesquels elles perçoivent ce qu’il se passe en jeu. • Lorsque la situation est tendue entre les PJ, multipliez les tests qui permettent habituellement de détecter un danger (jets de perception, de vigilance, etc.) Mieux, cachez le résultat, et lors des échecs critiques expliquez à une joueuse, en privé ou par un petit mot, que son personnage est persuadé d’avoir vu celui qu’il soupçonne de trahison écrire son nom dans un SMS. Peu importe la réaction de la joueuse ensuite, le doute sera bien là. • Lancez des rumeurs, vraies et fausses : le premier PJ couche avec le mari du second. Le troisième PJ aurait été vu dans le carré V.I.P. d’une boîte de nuit où le baron de la drogue que son équipe traque depuis des mois a ses habitudes. Qu’elles soient vraies ou fausses, pour semer le doute il faut les mélanger, et faire en sorte qu’elles soient crédibles ou subtiles : dans l’exemple du night-club, le PJ peut effectivement s’y être rendu parce qu’il sort avec une célèbre musicienne qui y a ses entrées. Dans l’idéal, ces rumeurs doivent venir de différentes sources. Le must est d’apprendre par un PNJ opposant, surtout un que vos PJ détestent particulièrement, une vérité peu reluisante sur un membre du groupe, preuve authentique et irréfutable à l’appui. Celui-ci peut vouloir négocier cette information, demander une alliance, chercher la rédemption, autant de possibilités intéressantes en plus du sérieux coup que portera cette révélation à la confiance mutuelle des PJ. Et surtout, pensez que la 251

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• pour certaines joueuses peu habituées, le fait qu’il s’agisse d’une contrainte sur laquelle elles n’ont aucune prise peut rendre l’expérience désagréable. C’est d’autant plus vrai si vous vous en servez pour systématiquement défaire les liens qu’elles s’évertuent à mettre en place. Cela revient indirectement à leur signifier que cela ne sert à rien de jouer ;

mauvaise réputation d’un PJ retombe forcément sur le reste du groupe (regards de travers des PNJ, brusque arrêt des conversations quand ils arrivent à la machine à café, pression de la hiérarchie, etc.), ce qui va tendre les relations entre PJ. N’hésitez pas à utiliser les médias pour aggraver ou générer le doute : journaux, réseaux sociaux, tags, crieurs de rue, bardes, etc. Il existe un épisode de la série Kaamelott (Pupi, saison 2 épisode n° 183), qui constitue un excellent exemple de ce procédé. Au marché, Arthur rencontre Karadoc et sa famille. Ils assistent à un spectacle de marionnettes les mettant en scène, eux et d’autres héros de la série. Cela permet de dire implicitement qu’Arthur est populaire, mais surtout, dans le cas qui nous occupe, d’annoncer l’idylle naissante entre Guenièvre et Lancelot, qui dans l’avenir sera une des causes de leur conflit. Et dans le cas de Karadoc, imaginez l’impact que cela aurait pu avoir si jamais, devant sa famille, ce spectacle l’avait fait passer pour un idiot ou un traître. Soyez attentif aux détails, et surtout à ce qui se voit de l’extérieur, et la manière dont cela peut être perçu et déformé. • Faites prendre parti aux PNJ : lorsqu’un PJ a un doute sur d’autres, avoir quelques PNJ qui vont dans son sens peut être intéressant. Mieux, ces PNJ peuvent attirer l’attention des PJ sur des points troublants qu’ils n’avaient pas remarqués. Prenons l’exemple du policier corrompu qui détourne de l’argent. Un collègue un peu balourd peut lancer, au détour d’un couloir  : «  z’êtes bien payés dans l’équipe d’intervention, je viens de voir ton coéquipier débarquer en Aston Martin… c’est toi, la James Bond Girl ? » avant d’éclater d’un rire gras. Si le PJ est assez intelligent pour éviter d’afficher des signes de richesse aussi ostensibles, poussez-le à la faute pour permettre aux PNJ de faire circuler les informations : si le PJ essaie de séduire un PNJ, ce dernier peut avoir d’envie d’aller dîner dans ce restaurant hors de prix, et y être aperçu par un autre PNJ qui ne se privera pas d’en parler à la machine à café. Et si la faute en question est commise pour des raisons altruistes mais inavouables (protéger un collègue, payer les frais de santé de son frère), cela crée une histoire dans l’histoire, ce qui est très efficace pour générer des intrigues secondaires ou amener un sentiment de continuité. Lorsque les soupçons sont déjà là, les PNJ peuvent émettre des réflexions pour encourager un PJ suspicieux à se méfier : « Amy ? Quand on était à l’école de magie, elle m’a fait un sale coup qui m’a valu quelques heures de colle à sa place. » Titiller la curiosité du PJ pour qu’il ait envie d’en savoir plus peut le pousser à se rapprocher du PNJ, voire à se confier à lui. Ce PNJ deviendra dès lors un bon moyen pour vous d’attiser et de relancer les tensions. Mettez-les en concurrence On entend parfois que le JdR est un jeu uniquement collaboratif et non compétitif. Pourtant, comme dans n’importe quel autre jeu ou histoire, personnages et joueuses peuvent être en concurrence pour atteindre le même objectif. Nous avons tous eu, autour de notre table, des joueuses qui rivalisaient pour être les meilleures en combat, en pilotage ou autres.

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• Ne récompensez pas en fonction du mérite de chacun. Par exemple, si les PJ résolvent un problème tous ensemble, débrouillez-vous pour que seule une partie du groupe en récolte les lauriers. Ne vous préoccupez pas tant des points d’expérience ou d’autres récompenses techniques que de celles liées à l’univers du jeu. Ainsi, suite un combat contre un monstre terrorisant un village, décidez que les habitants ne voient que le coup final et ne traitent qu’un seul des PJ comme un héros : ils lui parlent en priorité, le considèrent comme le chef, l’invitent à la table du maire, essayent de s’attirer ses grâces, lui trouvent toujours des excuses, le défendent contre ses camarades, etc. Par contre, ces derniers sont loin de recevoir le même traitement, et on ne cesse de les ignorer ou de leur couper la parole, ce qui ne devrait pas manquer d’attiser leur jalousie, ou au moins de les agacer. Vous pouvez obtenir le même effet en variant la nature des récompenses, par exemple en donnant un artefact unique censé récompenser le travail du groupe au PJ le moins méritant sur cette mission, ou à celui qui sera le moins qualifié pour en tirer parti.

Ces jeux où les PJ sont forcément divisés Certains JdR sont pensés pour encourager la rivalité entre joueuses ou personnages. On pense bien sûr à Paranoïa, où chaque PJ est par nature un traître, à Ambre et ses enchères, à Houses of the Blooded1 où il faut déterminer qui décide de l’issue de l’action, à The Extraordinary Adventures of Baron Munchausen2, où les joueuses doivent s’interrompre et se contredire. Ce sont autant de possibilités différentes de baser explicitement le gameplay d’un jeu sur la compétition entre PJ ou joueuses. Tous ces éléments peuvent naturellement être adaptés puis intégrés à vos propres parties. 1. Wick John, Houses of the Blooded, Wicked Dead Brewing Company, 2008. 2. Cule Michael, Pearcy Derek, Wallis James, The Extraordinary Adventures of Baron Munchausen, Hogshead Publishing, Londres, 1998.

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• Proposez des situations propices à la compétition : cela peut concerner les spécialités des personnages (combat, enquête, persuasion, etc.), mais aussi l’intérêt des PNJ : le respect d’un mentor ou d’un adversaire, l’amour d’un amant, l’intérêt des médias, une promotion, etc. Si les PJ arrivent à franchir la plupart des obstacles en jouant sur la complémentarité de leurs compétences, faites parfois en sorte, au contraire, que la spécialité de tel ou tel personnage devienne une contrainte pour un autre, par exemple en rendant inutile ou inefficace sa propre spécialité : imaginons une partie de Shadowrun où une même information peut être obtenue par une intrusion astrale (magie), matricielle (informatique) ou physique (force). Toutefois, chaque approche rendra les autres caduques et il va falloir choisir. En résumé, minorer pour un temps (du moins en apparence) l’aspect complémentaire poussera certains PJ à vouloir s’accaparer un genre d’autorité sur le reste du groupe lorsqu’ils se persuaderont, petit à petit, qu’ils sont plus « efficaces » que les autres.

• Utilisez les hiérarchies et jouez sur l’asymétrie entre les personnages en termes d’autorité. Servez-vous des différences de statut pour créer la zizanie dans le groupe, notamment via les réactions des PNJ, qui auront peut-être tendance à moins respecter ceux qui sont en bas de l’échelle. Cette hiérarchie peut être officielle ou plus pernicieuse et illégitime, comme celles liées à l’âge ou au genre. Comme dans l’exemple précédent, les PNJ peuvent constamment répondre en regardant tel ou tel PJ, même lorsque la question est posée par un autre, ou avoir des exigences différentes, aussi bien en cas de réussite que d’échec. Prenez leur jouet préféré et donnez-le à un autre Les spécialités des PJ sont souvent un moyen pour eux de trouver leur place au sein du groupe, du moins au départ. Mais c’est aussi une façon pour les joueuses de dire ce à quoi elles souhaitent être confrontées. Ainsi, à Shadowrun, un technomancien dont les compétences liées à la matrice ont été optimisées témoigne d’une volonté de jouer des parties en rapport avec la technologie et l’informatique. Si vous mettez en place des situations où un PJ brille, même temporairement, en s’adonnant à la spécialité d’un autre, cela pourra exacerber leur rivalité. Imaginons que dans un donjon, les serrures et les pièges soient purement magiques : seule la mage du groupe pourra être capable de s’en occuper, et le voleur ne pourra plus être mis en valeur via ces compétences qui sont habituellement son pré carré. Cela ressemble à la méthode « inverser les rapports de force », à la différence près qu’ici le PJ « dépossédé » ne dépend pas forcément de l’autre pour le tirer d’un mauvais pas.

Aller trop loin Abuser de ce type de procédés pourrait frustrer vos camarades, ou pire, générer des jalousies bien réelles. Attention donc à bien garder en tête que si vous suscitez des antagonismes entre les personnages, c’est uniquement pour rendre les parties plus intéressantes et avec une bienveillance totale envers vos joueuses. Il y a une différence de taille entre les encourager à sortir de leur zone de confort et créer un environnement de jeu toxique. Voici trois principes à retenir : • vous pouvez parfois être injuste avec les personnages, pas avec les joueuses ; • ne mettez pas toujours les mêmes PJ sur le devant de la scène ; • ne forcez pas les PJ à se détester, mais mettez-les dans des situations propices à générer de la tension.

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La plupart des univers comportent déjà des éléments pouvant être utilisés comme sources de tensions parmi les personnages. Ceux-ci ont beaucoup servi, pas toujours à bon escient, et il est rare d’y avoir encore recours. Prenons l’alignement : il n’a pas pour unique fonction de nous dire si un PJ a le droit d’utiliser tel objet, il implique également toute une philosophie de vie. N’hésitez pas à jouer dessus lorsqu’il peut être un moyen d’opposer, et plus généralement de caractériser, deux personnages. Ainsi, dans un groupe impliquant un assassin et un paladin, vous pouvez décrire au second la manière dont le premier lui sauve la vie en se montrant extrêmement cruel avec leur ennemi commun, le sorcier maléfique, poser la question au personnage de savoir ce qu’il en pense, voire faire intervenir la hiérarchie religieuse, surtout si celle-ci est particulièrement injuste envers l’assassin. Entre le cliché éculé et l’opposition si vive qu’il est impossible pour deux personnages de cohabiter, il existe tout un spectre de variations intéressantes. Et ce qui est vrai pour l’alignement l’est aussi pour toutes les formes de préjugés et de discriminations que l’on retrouve dans nos univers (clans de vampires, nains et elfes, racisme anti-métahumains, écoles de magie rivales, tensions de genre, etc.). Même si on a tendance à les évacuer, vous pouvez au contraire les transformer en une véritable richesse, aussi utile pour rapprocher que pour diviser les personnages. Par exemple, il vous suffit de croiser deux sources de tension de nature différente pour donner du grain à moudre à vos joueuses : est-ce que le Brujah et le Tremere ayant fait partie du même gang lorsqu’ils étaient humains vont être solidaires ? Ou seront-ils avant tout loyaux envers leurs clans ? Est-ce que la solution proposée par les orques n’est pas, au final, la plus « humaine » ? Pour vous réapproprier ces clichés, vous devez faire ressentir leur poids (par exemple en multipliant les petites scènes anodines destinées à montrer à quel point ils font partie de la vie quotidienne), mais également multiplier les situations où les personnages sont forcés de se positionner autour de ces questions. Cela peut prendre la forme d’un événement qui se produit sous leurs yeux et les pousse à débattre de la marche à suivre ou les amène à choisir entre leur loyauté prétendue et la solidarité avec le reste du groupe. Encore une fois, attention à ne pas constamment mettre des enjeux trop élevés : l’objectif n’est pas de scinder définitivement le groupe mais de rendre les relations entre les personnages plus riches et plus profondes. Obligez un PJ à privilégier l’un de ses compagnons au détriment d’un autre Si vous avez joué à The Walking Dead de Telltale Games, parfois le jeu vous demande explicitement de décider quel PNJ va mourir : les zombies attaquent, vous ne pouvez en sauver qu’un seul sur les deux. Sans aller jusqu’à la mort d’un des personnages, proposez des situations où un PJ devra choisir de privilégier l’un ou l’autre de ses coéquipiers. Par exemple, un supérieur lui demande conseil pour savoir à qui attribuer une récompense, comment arbitrer une dispute, ou de nommer un responsable.

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Réappropriez-vous les clichés de l’univers

Isolez-les géographiquement Lorsqu’une situation devient tendue ou que le groupe est affaibli, il peut être intéressant de le séparer pour faire monter la tension d’un cran. • Afin de les pousser à la trahison, même inconsciente : les scènes d’interrogatoire ou de procès s’y prêtent parfaitement. Un jet de volonté raté peut signifier qu’un PJ révèle une information cruciale sur la véritable identité d’un autre lors d’une convocation chez un supérieur, par exemple. • Afin de les mettre à la merci des ennemis : suite à un test de perception manqué (ou autre) d’un des personnages, une partie de la salle souterraine en ruine dans laquelle les PJ sont éparpillés pour la fouiller s’effondre et sépare le groupe en deux. La première partie est alors attaquée par de redoutables ennemis et la seconde entend les cris de douleur de ses compagnons, qu’elle retrouvera plus tard dans un piteux état. Débrouillez-vous pour que le fait que l’accident soit dû à l’erreur d’un de ceux qui ont été préservés de l’attaque soit clair, et des tensions devraient rapidement émerger. Cela peut également se produire lors d’un combat : un échec critique du premier PJ isole le second du reste du groupe. Il est alors assailli par de nombreux adversaires qui le blessent très grièvement.

Comment physiquement diviser le groupe ? Si vous avez besoin de séparer les PJ, n’hésitez pas à utiliser l’environnement : souvenezvous de l’apparition de la crevasse à la fin de Star Wars 7. La foule se forme, le téléphone sonne et force l’interlocuteur à s’éloigner, voire à rentrer chez lui, certains sont convoqués… Cela peut notamment être très utile lorsque vous souhaitez retarder la découverte d’une information, ajouter de la pression en cas de baisse de rythme, les pousser à changer d’itinéraire ou les détourner de leur but actuel.

ENTRE LES SÉANCES

Donnez-leur des objectifs antagonistes ou exclusifs • les objectifs antagonistes : la réussite d’un PJ implique l’échec d’un autre. Les personnages ont peut-être un but commun au départ, mais cela changera une fois qu’il sera accompli : ils cherchent tous à vaincre la terrible liche qui ravage la région, mais la paladine veut récupérer son épée magique pour la détruire, alors que le voleur prévoit de la vendre à un riche marchand. • les objectifs exclusifs : c’est un but que seul un personnage du groupe peut atteindre, et qui dans l’idéal le mettra en valeur s’il y parvient : remporter le grand tournoi de chevalerie ou de tir à l’arc, réussir à convaincre le fils du duc de l’épouser elle, la fille d’une famille noble mineure mais très fortunée. Faites en sorte que les retombées bénéfiques de la réalisation de cet objectif soient marquées pour le PJ en question, et qu’elles fassent de l’ombre au reste du groupe, voire lui nuisent.

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Qu’ils aient une incarnation quelconque dans l’univers du jeu (rapports de mission, échanges épistolaires, journaux intimes, articles ou chroniques pour une organisation quelconque) ou pas (souvenirs, prises de note), vous pouvez utiliser les comptes rendus des joueuses pour diviser le groupe. Sans même parler du fait que d’éventuels rapports des personnages pourraient tomber entre de mauvaises mains (voir les techniques liées aux médias), les joueuses n’auront jamais la même version des événements et il arrivera fatalement un moment où ce que dit l’une pourra être mal interprété par l’autre, ou par un PNJ s’en servant contre un PJ. Cela fonctionne d’autant mieux lorsqu’il s’agit de rendre des comptes à une autorité et que seul un personnage peut s’exprimer à la fois (policier face à la justice, inquisiteurs ne pouvant donner l’impression de douter, samouraïs ne voulant pas se déshonorer, etc.).

Proposez sans imposer, équilibrez et variez les procédés Cet article recense de nombreuses techniques et autres variantes afin de vous permettre de ne pas toujours recourir aux mêmes. Gardez à l’esprit que la diversité est essentielle pour éviter que les « ficelles » deviennent trop évidentes pour les joueuses. Ces méthodes peuvent être plus ou moins adaptées à un moment donné en fonction de plusieurs critères évoqués au début de cet article, mais pour résumer : un groupe relevant un à un tous les défis qui se dressent sur sa route, comme si ses membres n’avaient aucune relation entre eux et n’étaient que de simples machines, n’est pas très intéressant. Peu importe la technique que vous utiliserez, faites enfin très attention à ne pas donner l’impression aux joueuses que vous leur imposez la nature des relations qu’entretiennent leurs personnages. Laissez-leur de l’espace et ne décidez pas à leur place. Proposer des situations qui leur permettent de développer des relations intéressantes sans préjuger de la direction de ce développement demande de la subtilité. En effet, même s’il est parfois utile de bousculer certaines habitudes, il s’agit davantage de suggérer ou de préparer des opportunités d’évolution que de les leur imposer de facto.

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Utilisez les comptes rendus

Fiche de synthèse Rassembler Avant la première SÉance Faites une création de groupe commune. Liez les historiques individuels des PJ (PNJ, lieux, événements marquants, sentiments). Utilisez l’opposition comme liant. Pendant la partie Faites de la cohésion l’objectif de la première séance. • La convocation par une force extérieure identifiée.  • Mauvais endroit, mauvais moment. • Seuls contre tous.  Faites-les pleurer ensemble. • Organisez un face à face et un dos à dos.  • Rappelez-leur qui est leur adversaire.  • Donnez-leur un objet d’affection commun.  • Confisquez la pomme de discorde. • Mettez-les à la merci les uns des autres. • Inversez les rapports de force.  • Faites intervenir leurs fans. • Sortez le miroir.  • Permettez-leur de se racheter. • Acceptez un départ.  Maîtrisez les séparations et dissuadez-les de faire bande à part. • Faites intervenir l’autorité.  • Montrez-leur que l’isolement est dangereux et néfaste.  • Utilisez le méta-jeu pour les rendre paranoïaques.  ENTRE lES séances Profitez des moments calmes. • Amorcez les scènes de rapprochement.  • Installez une ambiance propice à créer des liens.  • Demandez-leur comment. Poussez-les à définir des objectifs communs. • I ntégrez les objectifs communs qui émergent en cours de partie dans vos prochains scénarios.  • Demandez aux joueuses ce qu’elles veulent faire entre les séances.

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Diviser Avant la première SÉANCE Mettez un traître dans le groupe (traître de métier, traître contraint).

Mettez-les devant le fait accompli Instillez le doute via des moyens apparemment « neutres ». • Multipliez les tests qui permettent habituellement de détecter un danger. • Lancez des rumeurs, vraies et fausses.  • Faites prendre parti aux PNJ. Mettez-les en concurrence. • Proposez des situations propices à la compétition.  • Ne récompensez pas en fonction du mérite de chacun. • U tilisez les hiérarchies et jouez sur l’asymétrie entre les personnages en termes d’autorité. Prenez leur jouet préféré et donnez-le à un autre. Réappropriez-vous les clichés de l’univers. Obligez un PJ à privilégier l’un de ses compagnons au détriment d’un autre. Isolez-les géographiquement. • Afin de les pousser à la trahison, même inconsciente.  • Afin de les mettre à la merci des ennemis.  ENTRE LES SÉANCES Donnez-leur des objectifs antagonistes ou exclusifs. • Les objectifs antagonistes. • Les objectifs exclusifs.  Utilisez les comptes rendus.

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PENDANT la partie



Gregory Pogorzelski

L

a magie ne prend plus vraiment. Les aventuriers ont autre chose à faire que d’aller battre la campagne en essayant de déchiffrer une carte miteuse. Les shadowrunners trouvent monsieur Johnson complètement tarte et particulièrement radin. Le cercle paranormal de l’université Miskatonic ne pétille même plus de l’œil à la lecture de cette lettre, écrite par un lointain cousin dont on ignorait l’existence, où il décrit les grenouilles bizarres et les lumières étranges émanant de la demeure centenaire qu’il a achetée pour une bouchée de pain. Vos joueurs n’ont plus envie d’aventures à l’emporte-pièce. Ils en ont assez d’avoir l’impression d’incarner des personnages interchangeables ou que s’ils ne se donnent pas la peine de résoudre le scénario, n’importe qui d’autre pourra le faire à leur place. Non, ce qu’ils veulent, c’est que l’on découvre un peu qui sont leurs bonshommes. Que l’on profite des trente pages de background et des quatre heures de choix mécaniques méticuleux qu’ils se sont farcis avant la première partie (voire pendant les séances précédentes de la campagne), et de tous les éléments intéressants qu’ils ont dû laisser derrière eux par la force des choses. Ils ont envie que ça devienne personnel. Animer une aventure taillée sur mesure pour les PJ semble être un sacré programme, mais ce n’est pas aussi dur que cela en a l’air. Cet article vous propose une liste d’astuces pour arriver à donner l’impression aux joueurs que l’essentiel tourne autour de leurs

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personnelles

rendre les choses personnelles

personnages et de personne d’autre ! Vous y trouverez d’abord des conseils généraux, puis une méthode pour les mettre en pratique en choisissant un méchant et un plan machiavélique correspondant exactement à vos héros.

Apprendre à connaître nos héros Aussi évident que cela puisse paraître, mais pour donner le sentiment aux joueurs que vos parties sont taillées sur mesure pour leurs personnages, vous devez déjà savoir qui sont ces derniers. Ils ne sont pas de simples ramassis de statistiques, les héros d’un background oublié faute d’avoir été utilisé voire lu, ou des listes sur une feuille. Vous devez comprendre la façon dont vos joueurs se les représentent, et vous faire une idée d’ensemble de leur groupe lorsqu’ils vont tous être joués en même temps. Apprenez à lire entre les lignes

Les dix éléments importants de leur historique Il est parfois difficile de repérer, parmi les cinq mille mots d’un background kilométrique, ce qui intéresse vraiment le joueur, ce qu’il juge essentiel. À la façon d’Hero Wars1, demandez-leur d’y surligner les dix mots-clés ou expressions les plus importants. À l’inverse, demandez à ceux qui rechignent habituellement à l’idée d’écrire un historique de se contenter d’une liste de dix points issus du passé de leur personnage : rencontres marquantes, lieux importants, objets chers à leur cœur, moments privilégiés, etc. Interrogez-les ensuite sur la signification de ces mots-clés, et ils commenceront à remplir les blancs d’eux-mêmes et vous proposeront au final quelque chose d’aussi exploitable et intéressant que les autres. Traits, avantages, défauts, etc. De nombreux jeux permettent aux joueurs de mécaniser les relations ou la personnalité de leur alter ego. Ne faites jamais l’erreur de sous-estimer ces informations : ce sont de vrais trésors. Un mentor, un rival, une organisation dont le PJ fait partie ou qui l’a dans le collimateur ? Autant de PNJ prêts à resservir ! Alcoolique, colérique, non-violent ? De bons points de départ pour imaginer des situations rendues particulièrement intenses par ces traits. Une relique, une maladie, un secret, un repaire ? Voici une liste d’enjeux pour un futur plan machiavélique… Même la technique a une histoire Regardez quels sont les traits les plus importants du personnage : où le joueur a-t-il mis ses plus gros scores ? Quelles compétences dépendent de la classe choisie ou au contraire se révèlent bien plus surprenantes  ? Demandez-lui directement comment 1. Appel Shannon, Laws Robin D., Robertson Roderick, Stafford Greg, Hero Wars, Issaries Inc., Oakland, 2000.

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son alter ego a pu les apprendre, les développer, ce qu’elles risquent de représenter pour lui à l’avenir, etc. Inspirez-vous de la liste de questions dans le prochain encadré, rebondissez dessus, demandez l’avis des autres joueurs quand l’intéressé sèche, et très vite tout cela sera bien plus que des chiffres.

Questions à poser concernant certains aspects techniques des personnages • Qui t’a appris cette compétence ? • Est-ce tu as toujours été aussi [caractéristique] ? • À quoi emploies-tu ton [trait] au jour le jour ? • Est-ce que c’est ton vrai métier ? • Qu’est-ce que tu comptes faire de ces capacités ? • Dans quel but as-tu passé ta vie à t’entraîner à ça ?

Les cases inutiles La plupart des feuilles de personnage comportent des champs plus ou moins facultatifs  : presque toujours son portrait, la fameuse case «  notes  », souvent les lignes « concept », « personnalité » ou « faction », etc. Quand un joueur remplit une de ces cases soi-disant anodines, c’est que cela l’intéresse. Il vous donne des informations sur son personnage, et elles comptent pour lui. Qui connaît-il personnellement dans son clan de vampires ? Quelles relations a-t-il avec son sire ? À son avis, comment est-il considéré par les autres membres ? Les voit-il souvent ? Qu’a-t-il en tête quand il écrit distraitement « concept : Han Solo » ? Que c’est un électron libre ? Qu’il a un créancier aux fesses ? Et cette cicatrice, sur son portrait ? Comment l’a-t-il obtenue ? Demandez aux premiers intéressés

La présentation au tableau Demandez aux joueurs de présenter leur personnage oralement, devant le groupe. Précisez-leur d’être brefs et de se concentrer sur l’essentiel. Si quelque chose pique votre intérêt ou vous laisse dans le flou, réclamez des précisions et encouragez vos 263

personnelles

Naturellement, cette observation ne s’arrête pas avec la fin de l’étape de création. Essayez par exemple de percevoir la dynamique dans laquelle sont les joueurs lorsqu’ils décident de dépenser des points d’expérience ou d’héroïsme, de choisir telles disciplines ou telles voies, etc. C’est souvent très révélateur, surtout lorsque cela ne semble pas correspondre au discours affiché des joueurs (ce qui ne veut pas forcément dire qu’il y a un problème, ni, si c’est le cas, qu’il vient d’eux).

petits camarades à faire de même. Soyez attentif à la façon dont ils réagissent, s’ils écoutent d’un air poli ou s’ils sont captivés par ce qui est dit. Retenez surtout ce qui intéresse le plus de monde autour de la table. Plus le groupe s’anime autour d’un élément, plus ce dernier aura de chances d’intéresser les joueurs durant la partie. La liste au père Noël Au début de la campagne, ou en cours de route si vous manquez d’inspiration, demandez aux joueurs d’écrire une courte liste, cinq éléments maximum, qui commence par « Au cours de la campagne, j’aimerais avoir l’opportunité de… » et voyez ce qui en ressort. N’hésitez pas à proposer vos propres suggestions. Vous ne demandez pas cette liste pour la suivre à la lettre, bien sûr, mais pour vous faire une idée des envies et des attentes des joueurs. Elle constituera une bonne source de ressorts narratifs pour la suite. Même une demande clownesque, comme « j’aimerais avoir l’opportunité de régner sur l’univers » vous dit quelque chose sur ce que souhaite le joueur et la taille des enjeux possibles. Imaginez comment son personnage réagirait si une silhouette étrange lui proposait exactement ça… Observez-les de près

La journée-type C’est votre première partie et vous ne savez pas par quoi commencer1 ? Au contraire, cela fait tellement longtemps que vous jouez que vous ne savez plus bien comment renouveler l’intérêt des joueurs ? Lancez cette phrase : « bon, on va dire que c’est une journée calme. Pas d’alerte, pas de menace qui pèse, tout est tranquille. Vous faites quoi quand tout va bien ? » Laissez-les faire, mais à la moindre excuse, réincorporez tout ce que vous avez pu récolter sur les personnages avant la partie, tout ce qui vous intrigue dans leurs apports, tout ce que vous avez envie d’explorer : un coup de fil de leur mentor, une apparition de leur rival, des symptômes de leur maladie, etc. Allez-y en douceur  : cela n’aura pas de graves conséquences, pour cette séance du moins. Regardez comment ils réagissent, même si chacun s’occupe de ses affaires dans son coin. Enfin, terminez par un cliffhanger. La technique de la journée-type est particulièrement utile lorsque vous faites une séance de création et que vous ne voulez pas vous quitter sans avoir rodé vos personnages – ou les mécaniques du jeu – pendant une heure ou deux. Les découvrir en action est toujours plus efficace. Interroger leurs personnages C’est un petit tour pendable que tous les MC d’Apocalypse World et tous les meneurs de Lady Blackbird2 connaissent par cœur. « Rodrik, toi qui as beaucoup voyagé, quelle 1. À ce sujet, consultez l’article « Commencer », p. 225. 2. Harper John, Malbos Yragaël, Lady Blackbird, auto-édité, 2009.

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est la meilleure auberge du village ? C’est quoi, sa spécialité ? » En posant des questions sur l’univers de jeu non pas au joueur mais à son personnage, et en lui demandant quelque chose qu’il est censé savoir, vous faites d’une pierre deux coups. Vous sondez l’imagination des joueurs à la recherche d’inspiration et, surtout, vous encouragez le joueur à se projeter dans son personnage, à répondre du point de vue de ce dernier et donc, à vous donner des prises pour faire en sorte de l’impliquer personnellement.

Comme vu précédemment, les personnages et les joueurs sont une source d’inspiration. Que vous prépariez vos séances jusque dans les moindres détails ou que vous préfériez improviser1, apprendre à identifier les idées potentielles qu’ils vous donnent est une compétence qui vous sera toujours utile. Par contre, la question de savoir comment réincorporer tout cela dans vos parties est tout aussi cruciale. Voici quelques pistes très simples pour arriver à vos fins. Leur entourage

Personne n’est une île. Tout le monde a de la famille, des amis, des collègues, des fournisseurs, des indics, des subordonnés, des patrons, des commanditaires, etc. Le but n’est pas – nécessairement – de transformer votre campagne en Downton Abbey, mais une poignée de seconds rôles du côté des PJ rend votre univers plus riche et plus crédible. Et s’ils sont inspirés par les idées des joueurs, ils se feront un plaisir d’interagir avec eux… voire de prendre des risques pour eux. Car, si la ficelle du vieil oncle que l’on ne connaissait ni d’Ève ni d’Adam et qui lègue une maison hantée en Écosse est franchement surannée, elle devient beaucoup plus efficace lorsqu’il a été introduit par un joueur, ou que les PJ ont déjà pu interagir avec lui et ont des raisons (techniques, narratives, affectives ou n’importe quelle combinaison des trois) de s’y être attachés. Des antagonistes

Qu’est-ce que vous allez leur mettre en face, à nos héros ? Il vous faut des grands méchants, des rivaux, des adversaires, des institutions menaçantes, des clans en­nemis, des armées entières et j’en passe. Dès qu’un PJ est remonté contre quelqu’un ou au contraire, dès qu’il s’est mis quelqu’un à dos, notez-le quelque part. Même dans le cas où votre table est remplie de paladins en peluche avec des cœurs sur le ventre et dont les montures sacrées ressemblent fortement à des petits poneys, ils ont forcément pris la place de quelqu’un, déplu, ou ont accompli quelque chose dont la conséquence peut avoir été négative. Même indirectement.

1. À ce sujet, consultez également l’article « Improviser », p. 125.

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Quels éléments réincorporer ?

Des MacGuffins

Un personnage recherche l’épée de son père. Le cadre de la corpo possède des preuves incriminant les shadowrunners. Barghul le nécromant veut le phylactère de Vesuvius pour asservir le royaume. L’alchimiste est en quête du temple d’Hermès. Ces éléments en apparence capitaux mais dont l’importance réelle est moindre que prévu sont du pain bénit pour le MJ. Surtout, n’en laissez aucun de côté. Ils feront d’excellentes motivations et, plus généralement, seront autant de ressources narratives de premier choix durant les séances. Des décors

Utilisez les endroits qu’ils fréquentent régulièrement, volontairement ou à contrecœur, ou qui ont une importance particulière pour eux. Leur taverne préférée, le temple du paladin, la boutique de sorcellerie, le siège social de la méchante mégacorpo, le château de Barghul le nécromancien. Un plan n’est pas obligatoire mais un nom, une ambiance et quelques faits marquants aident grandement à les mettre en scène. Et bien entendu, n’oubliez pas de peupler ces décors avec des PNJ tout autant liés aux personnages. Des situations récurrentes

Dans quels genres de situations ces personnages-là risquent-ils d’être fourrés le plus souvent ? Des bagarres de bar ? Des enquêtes haletantes ? De l’exploration ? Des guerres d’influence ? De l’infiltration urbaine ? Tout cela est déterminé par le jeu choisi et la campagne prévue, certes, mais aussi par leurs traits, leurs classes, leurs compétences, leurs pouvoirs, leurs allégeances, etc. Garder cela en tête permet d’adapter les scénarios et toutes leurs composantes au plus près.

Prenez des notes ! Même si vous aimez improviser et que vous avez une mémoire d’éléphant, gardez trace de tout cela. Personnellement, je passe mon temps à faire des listes à partir de ce que les joueurs me donnent, mais choisissez le format qui vous convient et n’hésitez pas à changer régulièrement de méthode. Écrivez de courtes fictions. Des biographies. Des entrées d’encyclopédie. Des listes de choses à faire. Tracez ou récupérez des cartes. Si vous avez la fibre artistique, croquez les PNJ, les lieux habituels, donnez un logo à la mégacorpo. Ou mettez les joueurs à contribution ! Après tout, ces PNJ, ces décors, ils viennent d’eux ! S’ils rechignent un peu, appâtez-les avec un bonus en points d’expérience… Même si vous n’êtes pas convaincu de l’utilité de ces éléments, notez-les quand même. Vous n’aurez qu’à y jeter un œil pour trouver de quoi relancer vos parties et, comme ils seront liés aux personnages, ces événements paraîtront probablement bien moins factices que votre sempiternelle attaque de ninjas.

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Comment réintégrer tout ça : le méchant ! Ce qui suit est un exemple assez classique d’utilisation de tout ce que nous avons vu précédemment : ne vous contentez plus des adversaires pour intégrer des ennemis, voire des Némésis. Prenez un méchant, donnez-lui un plan, lancez-le sur la trace des personnages et laissez bouillir. Ils le connaissent, il leur en veut, et personne n’a envie de lâcher quoi que ce soit. Vous avez un scénario. Pour pouvoir réellement vous en servir, vous aurez principalement besoin des éléments suivants.

Pas nécessairement méchant d’un point de vue moral, ni un super-vilain (même s’il est souvent dépeint comme tel dans les pages qui suivent pour plus de simplicité), l’antagoniste est surtout quelqu’un qui exerce une volonté propre (un PNJ sujet1) et qui, même avec les meilleures intentions du monde, va provoquer des événements face auxquels les personnages ne pourront pas rester inactifs. La façon dont la volonté de ces derniers et celle de l’antagoniste vont s’opposer est la base de l’intrigue de votre scénario ou de votre campagne. Qui est-il ?

Commençons déjà par dénicher le candidat idéal. Ce PNJ doit titiller votre imagination et votre curiosité, vous devez avoir envie de l’incarner, de le développer et de le mettre dans les pattes des joueurs. Pour trouver cette perle rare, passez en revue les éléments suivants. Les backgrounds Si vos joueurs ont gratté du papier, faites en sorte que cela ne soit pas pour rien. Regardez dans le passé de leurs personnages s’il n’y a pas un PNJ tout prêt à revenir sur le devant de la scène pour endosser l’habit de l’antagoniste. Si la famille du barbare a été décimée et qu’il a juré de se venger, le coupable pourrait réapparaître. Et tant qu’à faire, ne vous limitez pas à ceux qui sont déjà identifiés comme des adversaires. Piochez dans les alliés, les membres de la famille et les mentors disparus : imaginez leur tête quand la mystérieuse figure qui jusque-là restait dans l’ombre se révèle être ton père, Luke ! Faites juste attention à ce qu’ils ne se sentent pas lésés si un atout qu’ils ont payé avec des points de création se révèle être un désavantage récurrent ou un ennemi. D’expérience, les joueurs sont surtout contents de voir leur personnage ainsi mis en avant, mais peutêtre aurez-vous besoin de compenser l’avantage technique perdu par un autre. Les fiches de personnages Certains jeux utilisent des historiques, des avantages, des défauts, des traits supplémentaires ou autres, et parmi eux l’on retrouve souvent des PNJ qui n’attendent 1. À ce sujet, consultez également l’article « Incarner des PNJ », p. 141.

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Un antagoniste

que ça : rivaux, Némésis, ennemis jurés, etc. Vous pouvez aussi, indirectement, vous inspirer d’autres traits plus généraux. Si c’est un vampire qui ne se nourrit que d’un certain type de proies, il peut s’agir d’une de celles-ci, de celui ou celle qui les protège, voire même de la personne qui a provoqué cette tendance à être très sélectif dans le choix de ses victimes. Plus classiquement, si le PJ fait partie d’une organisation, l’antagoniste peut très bien être son homologue d’une faction rivale. Si c’est un clerc, il sera ravi de pouvoir enfin se frotter à un nécromancien, un vrai, pour utiliser et montrer ses pouvoirs anti morts-vivants. Les épisodes précédents S’ils ont humilié un PNJ influent, il aura d’excellentes raisons de prendre sa revanche. S’ils ont piqué une technologie de pointe à une mégacorpo quelconque, elle enverra sa « sécurité externe » la récupérer. Et quand bien même le dernier méchant aurait été proprement oblitéré, il aura très certainement des amis, de la famille, des associés ou des subordonnés prêts à le venger. Mais vous pouvez tout aussi bien prendre le contrepied et choisir un quidam rencontré au détour d’un scénario pour le transformer en grand méchant. Le gobelin qui a pris la poudre d’escampette après s’être mangé un coup de hache ? Maintenant, sa tribu l’appelle Torg-le-Borgne, c’est le héros de la bataille de la Colline – il est possible qu’il ait un peu enjolivé l’histoire – et il entend bien mener une troupe de guerriers d’élite sur la voie de la vengeance. Le conflit en quelques mots

Pour servir de moteur à notre scénario, notre antagoniste ne doit pas juste exister. Il doit vouloir quelque chose très fort, ne pas pouvoir l’obtenir facilement, et avoir les PJ sur son chemin. Les trois, obligatoirement. Si trouver la plupart de ces éléments ne vous posera probablement aucun problème (définir ce que veut l’antagoniste, pourquoi il le veut et ne s’en est pas déjà emparé), ce n’est pas forcément le cas du dernier, l’opposition avec les PJ. Pourtant, c’est bien ce qui rendra les choses personnelles et pourra faire de lui leur meilleur ennemi. Aussi, voici deux pistes pour vous aider. L’antagoniste veut quelque chose que nos héros possèdent, protègent ou apprécient Le tripot où ils négocient leurs affaires. L’anneau de Protection magique du guerrier. La bibliothèque occulte des Investigateurs. Le sang du mentor du Tremere. L’anarchie dans la ville fétiche de nos super-héros. Simple et direct. Évitez « l’intégrité physique des PJ » : si vous commencez par ça, le scénario risque de se réduire à une coursepoursuite effrénée… voire à une seule baston, gagnée ou perdue.

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L’obtenir va fâcher nos héros, directement ou non

Le plan machiavélique

C’est le squelette de votre scénario : si les PJ n’agissent pas, que va faire l’antagoniste et comment est-ce que cela va se répercuter sur les personnages ? Souvenez-vous, ce n’est pas juste un méchant, c’est leur ennemi. À eux. Partons du principe que si les PJ n’interviennent pas, l’antagoniste réussira son coup – à moins qu’il y en ait d’autres. Découpez ce plan en deux fois trois étapes : trois étapes d’ouverture et trois étapes d’exécution. L’ouverture Durant l’ouverture, l’antagoniste met les éléments en place plus ou moins discrètement. Il cherche des informations. Il collecte ses ressources. Il réunit ses agents. Il place ses pions là où il faut. À cette étape du scénario, les PJ n’ont pas nécessairement une idée claire de ce qui arrive ou de l’identité de la personne qui est derrière toute l’affaire, mais ils doivent se rendre compte que quelque chose se passe, qu’il y a anguille sous roche. Là encore, servez-vous de tout ce que vous avez noté précédemment pour montrer comment les actions du méchant ont des conséquences sur les personnages  : des signes avantcoureurs chez certains de leurs contacts, des habitudes qui changent dans les lieux qu’ils fréquentent le plus, etc. Bref, ils sont sans doute les seuls à pouvoir comprendre qu’il y a un lien entre ces éléments en apparence disparates. L’ouverture se termine toujours par une étape cruciale qui permet enfin à l’antagoniste de passer à l’acte à proprement parler. L’exécution C’est bon, ça explose. Notre antagoniste abat ses cartes et lance la machine. Ici, les étapes s’enchaînent plus violemment et surtout ça se voit. On n’est plus là pour finasser. Il s’en prend directement aux personnages (même si ce n’est pas ce qui le motive) ou à ce à quoi ils tiennent. Deux silhouettes entrent par effraction et kidnappent le mentor. Une conduite de gaz explose à la cave et la maison est en feu.

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Si l’objectif lui-même ne concerne pas les PJ, les moyens de l’obtenir ou les conséquences de son accomplissement peuvent mettre les PJ en rogne ou dans une situation difficile. Si Barghul le nécromancien prend sa revanche sur l’Ordre de Cécil qui protège les routes contre les morts-vivants, les PJ risquent de devoir se coltiner des zombies à chaque trajet. Si le cadre corporatiste obtient le monopole sur les puces positroniques, tout le matériel informatique va doubler de prix au grand dam du hacker. Et si le promoteur immobilier veut démolir le manoir des Investigateurs, ce n’est pas par simple appât du gain, mais parce que les reliques du cimetière indien juste en dessous l’intéressent juste très, très fort.

Des camionnettes blindées déversent des vagues de mercenaires aux quatre coins de la métropole. Ça ne rigole plus. Le monde des personnages est sur le point de s’écrouler : plus le temps de chercher à comprendre ce qu’il se passe. Les enjeux ont pris une ampleur phénoménale, les concernent directement et touchent à ce qui les définit, à la fois individuellement et en tant que groupe. L’antagoniste tape là où ça fait mal et il va falloir agir ou « périr », même si ce n’est pas forcément au sens propre. Si vous voulez reprendre les codes du cinéma d’action hollywoodien1, la dernière étape de l’exécution est généralement le moment de vérité, là où tout se joue, le pur duel de volonté entre les PJ et l’antagoniste. C’est lui contre eux et eux contre lui, ici et maintenant : il est sur le point d’atteindre son objectif et c’est la toute dernière chance de l’en empêcher. Trouver les bonnes étapes

Que ce soit pour l’ouverture ou l’exécution, une étape est solide si… Elle rapproche l’antagoniste de son objectif Votre antagoniste doit justifier tout un scénario, voire même une campagne. La moindre des choses est donc de le travailler suffisamment pour que son plan soit cohérent. Si certaines étapes ne semblent servir à rien, il ne sera plus crédible, la motivation des joueurs et des personnages se réduira comme peau de chagrin et c’est tout ce que vous avez prévu qui en pâtira. Trouvez la raison qui pousse l’antagoniste à agir lors de chaque étape. Elle est plus marquante que la précédente et moins que la prochaine Au début, le plan de l’antagoniste est léger, discret, subtil. Plus ça avance, plus c’est dangereux, évident, intense et plus cela touche les personnages de façon intime. Cela vous aidera à rythmer la partie en crescendo et à pousser vers un final qui restera dans les mémoires. Elle implique, directement ou indirectement, un ou plusieurs PJ Comme pour le plan, choisissez des étapes qui mettent en danger les PJ, leur entourage direct, leurs ressources ou leur confort, puis creusez toujours un peu plus en direction de ce qui constitue leur raison d’être. Ce n’est pas nécessairement le but de l’étape, mais ce sera en tout cas une conséquence de celle-ci. Et si les joueurs ne prennent pas l’initiative, cela risque même d’être leur premier contact avec l’étape en question. À chaque fois, demandez-vous : en quoi est-ce que cela touche nos héros ? Des criminels 1. Naturellement, rien ne vous empêche d’utiliser des structures moins rigides si vous le souhaitez. Celle-ci, si elle n’a pas l’avantage de l’originalité, a celui de l’efficacité et exige une préparation sans doute moins importante.

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encagoulés qui sèment l’anarchie en ville, c’est bien joli, mais si l’un d’entre eux est en train de démolir la petite bicoque de tante May «  dépendant  : tante grabataire (3 points) », tout de suite cela change la donne. Tapez là où ça fait mal.

Les PJ ont au moins la sensation qu’il se passe quelque chose, sinon rien n’est possible. Même si le grand méchant touche à leurs affaires, ils pourraient passer à côté. Et s’ils se trouvent à trente kilomètres de chez tante May quand les criminels renversent ses poubelles et mettent le feu à son chat ? Pour chaque étape, demandez-vous : comment est-ce que nos héros seront au courant ? Et pourquoi ce sont eux qui sont au courant plutôt que quelqu’un d’autre  ? Pensez à lâcher un indice lié à leurs compétences, un tuyau fourni par quelqu’un de leur entourage ou plus simplement, tante May décroche le téléphone pour appeler son neveu à l’aide. Même une information qui arrive par hasard peut fonctionner, mais à la condition que les personnages soient dans une position privilégiée pour comprendre ce qu’elle implique : si un PJ allume la télé, comme dans toute bonne série, il tombe fatalement sur les informations et l’équipe filme comme par hasard la maison de tante May qui brûle. Pour tous les autres, cela n’aurait été qu’une simple petite vieille. Les PJ peuvent y changer quelque chose Le but est quand même que les PJ aient des choses à faire. Si votre étape se résume à « l’antagoniste ricane et annonce qu’il a accompli son plan il y a vingt-trois minutes », vous risquez la révolte. Gardez en tête les compétences, les rôles et les habitudes de chaque PJ, voire de chaque joueur et modulez leurs moyens d’action en fonction. Qui tape d’abord et discute ensuite ? Faites de ce PJ le négociateur, juste assez longtemps pour que la tension monte et que le joueur ressente une vraie libération au moment où il pourra enfin se lâcher. Qui n’arrive jamais à prendre une décision ? Mettez-le dans une situation où tout va dépendre de sa capacité à résister à la pression. Pour chaque étape, demandez-vous ce qu’ils vont faire une fois mis au courant ? Foncer tête baissée ? Suivre les suspects ? Prévenir leurs contacts ? Ou vont-ils penser à une idée plus tordue, comme « prendre l’apparence d’un adversaire et retourner à la base des méchants » ? Mettez-les dans des situations où ils devront choisir entre sacrifier des choses auxquelles ils tiennent et réussir ce qu’ils entreprennent. Si vous n’arrivez pas à anticiper leurs décisions – ou pire, si cela vous évoque des réactions telles que « faire profil bas » ou « se laisser mourir » –, cela signifie qu’il y a un souci quelque part. Affinez jusqu’à ce que vous trouviez plusieurs réponses à cette question. Étoffer les détails à l’envi Pour certains MJ adeptes de l’improvisation, un méchant et un plan suffisent. Mais si ce n’est pas votre cas, étoffez jusqu’à vous sentir à l’aise. Vous pouvez lister les ressources et les faiblesses de l’antagoniste, développer son entourage de subalternes,

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Elle est visible

enrichir chaque étape du plan avec des figurants, des aides de jeu et des rebondis­ sements. Faites juste en sorte que ces éléments soient connectés de près ou de loin aux personnages. Par exemple, tel lieutenant de l’antagoniste peut être un habitué du café où les PJ ont leurs habitudes, un de leurs contacts ou l’homme dont leur petite cousine à laquelle ils ne peuvent rien refuser est folle amoureuse. Vous pouvez écrire un background complet pour votre antagoniste, lui faire sa fiche de personnage, réfléchir à son interprétation  ; lui inventer un rival, pourquoi pas, éventuellement avec son propre plan. Mais n’oubliez pas votre objectif : faire en sorte que cela touche les personnages ou au moins ce qui est important pour eux. Qu’est-ce que la relation de l’antagoniste et de son mentor peut nous apprendre sur eux ? N’hésitez pas à piocher dans les autres articles de l’ouvrage et à trouver votre propre zone de confort. Le but d’une préparation, sur mesure ou pas, c’est de se réserver des munitions, de réfléchir à des idées qui serviront au moment où on ne sait plus quoi répondre aux joueurs. Viendra toujours bien assez tôt le moment de se lancer, mais c’est à vous qu’il revient d’arbitrer entre le temps que vous êtes prêt à allouer à la préparation et ce dont vous avez besoin pour vous sentir prêt. Dans tous les cas, si vous réussissez à bien impliquer les personnages, vos joueurs feront l’autre moitié du chemin ! Pendant la partie

Voici quelques conseils pour animer au mieux cette machination infernale. Dès qu’il ne se passe rien, quelque chose arrive aux PJ Quand les PJ tournent en rond, quand ils hésitent ou tergiversent, bref : quand il n’arrive plus rien d’intéressant, lancez-vous. Passez à la prochaine étape du plan de l’antagoniste ou provoquez un événement en rapport avec les notes que vous avez prises sur les éléments liés aux personnages. Quoi que vous fassiez, faites quelque chose et arrangez-vous pour que cela les touche, eux ou leurs proches. N’hésitez pas à balancer des ellipses si vous trouvez que la transition est trop brusque : « vous ne faites toujours rien ? Non ? Vous comptez faire quoi jusqu’à vendredi prochain ? Toujours rien ? D’accord : vendredi soir, vous allumez la télé, et au journal… » Comme expliqué dans l’encadré p. 266 sur les notes, n’hésitez pas à vous préparer une liste d’événements négatifs ou positifs qui lient directement ou indirectement l’entourage des PJ au sens large à votre grand méchant, ou les éventuelles conséquences de ses actes qui pourraient les toucher d’une manière ou d’une autre. Intégrez-les dans la partie au premier temps mort. Soyez sévère mais juste Bien sûr, présenter une étape est une question de mise en scène : vous voulez des descriptions qui pètent et un rythme qui pousse les joueurs à l’action. Mais ceci fait,

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Cela marche aussi dans l’autre sens  : si les personnages l’emportent, il y a fort à parier que subir une défaite lorsque leur antagoniste reviendra et les prendra par surprise provoquera un sursaut d’orgueil chez les joueurs, ou qu’ils s’agaceront de voir que celui-ci n’a pas tiré les leçons de leurs affrontements précédents. Adaptez votre plan aux actions des PJ Là encore, l’essentiel est que les décisions des joueurs aient une répercussion pour qu’ils puissent se sentir concernés par ce qui se passe. En bien comme en mal. Quand une étape de son plan machiavélique est dans les choux, le bon antagoniste révise sa position. Il peut perdre une bataille sans que cela entame sa motivation à gagner la guerre. Considérez cette étape perdue, mais imaginez la suite. Est-ce qu’il y a une alternative crédible ? Une autre voie ? Ou simplement la même chose en moins fort ? À quel point est-il amoindri dans ses moyens ? Son influence ? De quoi est-il capable maintenant ? Si vraiment tout est perdu pour lui et si ce n’est déjà fait, il confronte les PJ avec tout ce qu’il a, pour se venger, pour partir en beauté ou par pure mesquinerie. Et là, normalement, vous avez un grand final qui satisfera les joueurs. Dans tous les cas, demandez-vous en quoi sa prochaine action est une conséquence de ce qu’ont fait les personnages ? Quel impact cela va-t-il avoir pour lui ? Et si, au lieu de revenir commettre un larcin de plus, l’antagoniste essayait de leur faire porter le chapeau, se radicalisait, réutilisait leurs propres techniques et devenait ainsi bien plus efficace, ou déclenchait l’arrivée d’un fléau bien pire encore ? Partez du principe qu’à chaque fois qu’il subit un revers, l’antagoniste a une raison supplémentaire de s’en prendre encore davantage aux personnages et à leurs proches. Peu importe qu’il veuille augmenter les enjeux ou qu’il se détourne de son plan initial pour se laisser aveugler par la haine envers ses ennemis, il ne s’agira plus de braquer une banque ou de faire tomber un gouvernement mais de se débarrasser d’eux une bonne fois pour toutes !

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n’oubliez pas votre rôle d’arbitre. Les PJ peuvent normalement changer la donne  : regardez ce qu’ils font, annoncez les conséquences, demandez des jets de dés, jouez la scène ! L’essentiel, pour rendre les choses personnelles, est de donner de l’importance aux répercussions. Comment pourraient-ils avoir l’impression que cela les concerne, eux et personne d’autre, si vous ne respectez pas leurs décisions, même quand elles sont mauvaises ? Si à un moment vous avez l’impression que les PJ sont dépassés, dites-le et expliquez comment l’antagoniste l’emporte. Si c’est la dernière étape, c’est sa victoire : profitez-en pour en faire des tonnes, monologuez comme un méchant de serial ou racontez un épilogue qui présente clairement ce qui sera désormais différent. Cela peut sembler dur, mais si vous voulez que les enjeux deviennent personnels, il faut parfois donner aux joueurs l’envie de prendre leur revanche.

Fiche de synthèse : Rendre les choses personnelles Apprendre à connaître nos héros Apprenez à lire entre les lignes • Les dix éléments importants de leur historique. • Traits, avantages, défauts, etc. • Même la technique a une histoire. • Les cases inutiles. Voici quelques questions à poser concernant certains aspects techniques des personnages. • Qui t’a appris cette compétence ? • Est-ce tu as toujours été aussi [caractéristique] ? • À quoi emploies-tu ton [trait] au jour le jour ? • Est-ce que c’est ton vrai métier ? • Qu’est-ce que tu comptes faire de ces capacités ? • Dans quel but as-tu passé ta vie à t’entraîner à ça ? Demandez aux premiers intéressés La présentation au tableau. La liste au père Noël. Observez-les de près La journée-type. Interrogez leurs personnages. Quels éléments réincorporer ? Leur entourage. Des antagonistes. Des MacGuffins. Des décors. Des situations récurrentes. Prenez des notes !

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Fiche de synthèse : Comment réintégrer tout ça : le méchant ! Le méchant n’est pas forcément méchant C’est avant tout un antagoniste. Sa volonté s’oppose à celle des personnages.

Pour le trouver, passez en revue : • les backgrounds des personnages ; • leurs fiches ; • les sessions précédentes. Le conflit L’antagoniste veut quelque chose que nos héros possèdent, protègent ou apprécient. L’obtenir va fâcher nos héros, directement ou non. Le plan machiavélique La structure Trois étapes d’ouverture. Trois étapes d’exécution. Trouver les bonnes étapes Une bonne étape inclut les éléments suivants : • elle rapproche l’antagoniste de son objectif ; • elle est plus marquante que la précédente, mais moins que la prochaine ; • elle implique directement ou indirectement un ou plusieurs PJ ; • elle est visible ; • les PJ peuvent y changer quelque chose. Pendant la partie Pour animer au mieux cette machination infernale, suivez les principes suivants : • dès qu’il ne se passe rien, quelque chose arrive aux PJ ; • soyez sévère mais juste ; • adaptez votre plan aux actions des PJ.

personnelles

Qui est-il ?

Créer des émotions particulières



La première version de cet article est parue en janvier 2011 dans la rubrique MJ Only du magazine Casus Belli. Il portait alors le titre « Petit traité de manipulation à l’usage des honnêtes meneurs ». Vous en trouverez une version modifiée et mise à jour dans les pages suivantes.

S

i les premiers articles de ce recueil ont pour objectif de présenter les compétences de base qu’utilisent tous les meneurs, il arrive un moment où, au-delà du strict minimum nécessaire pour mener des parties acceptables, on souhaite provoquer une émotion particulière chez les joueuses. Peut-être voulez-vous introduire une expérience spécifique, explorer un thème que vous n’avez pas l’habitude d’aborder par le JdR, briser une éventuelle routine, adapter une œuvre qui vous a plu1, etc. Toutefois, de façon beaucoup plus prosaïque, certaines thématiques de jeux, y compris parmi les plus populaires, sont construites de façon évidente autour de cette envie. C’est notamment le cas de ceux à vocation humoristique ou horrifique.

Concentrez-vous sur ce qui compte vraiment L’horreur est sans doute le genre pour lequel il est le plus facile de saisir l’intérêt de se concentrer en priorité sur les émotions ressenties par les joueuses. Certes, on peut mettre 1. À ce sujet, consultez également l’article « Adapter une œuvre pour en faire un scénario », p. 55.

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émotions

Jérôme Larré

le même soin à provoquer des sentiments plus positifs, comme la fierté d’être arrivé au bout d’un donjon, l’exaltation d’avoir terrassé sa Némésis ou la satisfaction d’avoir démêlé les fils d’une enquête. Mais l’horreur a en plus l’avantage de contredire nombre d’idées reçues concernant la maîtrise et ce qui est réellement important dans une partie. C’est pour cela que je crois que tout meneur qui cherche à se perfectionner devrait s’y essayer. Une des premières choses que l’horreur nous apprend est que l’importance donnée au personnage est souvent surévaluée. En effet, l’objectif d’une partie horrifique est d’effrayer la joueuse, non son avatar, ce dernier n’étant qu’un moyen « d’atteindre » la première. Or, seule la joueuse compte. Autant le rappeler, le personnage n’existe pas vraiment. Ce n’est pas pour rien si les moments considérés comme inoubliables en JdR et dont on reparle des années après sont habituellement ceux où le personnage échappe à sa joueuse comme un protagoniste de roman peut échapper à son créateur. C’est ce que l’on appelle l’immersion : quand la joueuse réagit, elle exprime en partie sa propre personnalité, en partie celle de son personnage, sans effort conscient de sa part pour incarner un rôle ; pur paradoxe pour un jeu où on met si souvent l’accent sur le fait de jouer quelqu’un de différent de soi, certains des meilleurs moments du JdR sont ceux où la joueuse réagit de façon primale, lorsqu’il y a une « contagion1 » entre ce que ressent son personnage et ses propres émotions. Bref, lorsque l’on touche la joueuse. Une autre leçon à tirer des jeux d’horreur est que, quoi que l’on en dise, on ne joue pas uniquement pour le « fun ». On joue parfois pour ressentir autre chose que le plaisir de s’amuser ou le fait de passer un moment agréable. Par exemple, on peut aussi jouer pour se faire peur, ou pour bien d’autres raisons tout aussi louables. Et bien qu’il soit d’usage de dire que l’essentiel « c’est que les joueuses s’amusent », ce critère ne suffit pas à déterminer si une partie est bonne ou pas. Si on fait une analogie avec le cinéma, où la plupart des gens se rendent aussi pour se délasser entre amis avant tout, on trouvera un quasi-consensus pour qualifier La Liste de Schindler ou Le Tombeau des lucioles de bons films. Pourtant, après avoir vu l’un ou l’autre, aucun spectateur ne dira s’être amusé ou avoir passé un bon moment. Mais, malgré cela, et même sans définir quels sont les critères permettant de savoir si un film est bon ou pas, ils apparaîtront comme tels. Exactement de la même façon, en JdR, essayer de susciter des réactions variées ou inhabituelles chez les joueuses peut conduire à une bonne partie, même si elle n’est pas « amusante » au sens premier du terme. Enfin, l’horreur nous apprend que le sacro-saint scénario n’est pas aussi important que l’on veut bien le croire. Pour prendre un autre exemple cinématographique, l’intrigue 1. Dans le monde du GN, on appelle souvent cette contagion « bleed » (terme inventé par Emily Care Boss, notamment connue des rôlistes pour avoir écrit Breaking the Ice). On la qualifie de « bleed-in » lorsque les joueuses amènent leurs propres émotions dans la partie, et de « bleed-out » lorsque les émotions de la partie ont un impact au-delà de cette dernière. Malheureusement, ces phénomènes ont longtemps été écartés des théories du JdR sur table. Aussi, il ne faut pas hésiter à s’inspirer de ce que mettent en place les GNistes pour apprendre à gérer au mieux ce type de problématiques, par exemple parce que cette contagion devient trop importante : ateliers, débriefings, etc. Pour plus de renseignements, voir : http://nordiclarp.org/wiki/Bleed

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Ainsi, l’horreur est un genre qui force à se concentrer sur l’essentiel : les joueuses et ce qu’elles ressentent. Toutefois, pour efficace qu’elle soit, elle ne s’intéresse qu’à un champ réduit d’émotions (peur, dégoût, surprise, etc.). Voici quelques pistes pour élargir ce spectre et obtenir une palette plus riche applicable à d’autres types de jeux.

Oui mais concrètement, comment faire ? Il existe quelques principes de base qui, s’ils ne garantissent pas le succès à chaque fois, peuvent vous permettre d’atteindre vos objectifs. Créez une ambiance propice à l’émotion que vous souhaitez provoquer 

Inutile de s’attarder ici sur ce premier point, plusieurs autres chapitres de ce recueil expliquent déjà très bien comment s’y prendre2. Mais si les émotions que vous allez chercher à susciter seront généralement dirigées vers un objet (on a peur, on se réjouit ou on est fier de « quelque chose »), l’ambiance, elle, créera un état d’esprit favorable à leur éclosion et à leur croissance. Vous n’êtes pas convaincu ? Essayez de reprendre un de vos vieux donjons et tentez de le maîtriser en mode horreur, avec l’ambiance appropriée, et vous serez sans doute étonné du résultat. Il en sera de même si vous reprenez un scénario Star Wars avec une ambiance de film noir. Il vous appartient de proposer une atmosphère propice aux réactions et émotions que vous souhaitez provoquer. Montrez vos jouets 

Sans aller jusqu’à noyer les joueuses avec des informations inutiles, il reste important de leur présenter les éléments de votre scénario introduits spécifiquement pour 1. Arfert Tomas, Gulliksson Nils, Joergensen Torbjorn, Nordbeck Lars, Kult, Metropolis Ltd, Folsom, 1993. 2. Consultez notamment les articles « Décrire » p. 109. et « Jouer en musique » p. 297.

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de La Chute, qui narre les derniers jours d’Hitler dans son bunker, est relativement mince, connue à l’avance, et ne laisse que peu de place aux coups de théâtre. Pourtant, le film a rencontré un réel succès et provoqué une vive polémique. Ceci n’est pas dû à son sujet, que d’autres ont abordé sans obtenir le même résultat, mais à sa capacité à susciter une certaine forme d’empathie et de compassion envers le principal protagoniste, qui n’a pourtant rien de sympathique. Pour revenir au JdR, imaginez-vous assis à une table de Cthulhu ou de Kult1. Préférez-vous une intrigue minimaliste mais qui vous fait réellement peur, vous secoue de façon viscérale, sans que vous compreniez nécessairement pourquoi, ou une intrigue plus complexe où vous devrez mettre en scène la frayeur de votre personnage, faute d’en éprouver vous-même ? Aussi séduisant que soit l’exercice de construction mentale qui préside à la conception d’un scénario, et aussi important que celui-ci paraisse au regard de la plupart des rôlistes, l’histoire n’est qu’un moyen d’obtenir ce qui compte vraiment : provoquer de la tension, des réactions et des émotions chez les joueuses.

provoquer leur « émoi », agitation ou trouble. On ne peut s’inquiéter que d’un danger que l’on connaît ou devine, ressentir de la compassion que pour quelqu’un que l’on voit souffrir et auquel on s’identifie, se réjouir que d’un événement heureux auquel on assiste ou participe, etc. Communiquez sur les motivations et objectifs

Vous devez également faire en sorte que les joueuses connaissent exactement les raisons des actions de leur personnage, tant d’un point de vue psychologique (motivations) que narratif (objectifs). Ainsi, arpenter un donjon sera une expérience radicalement différente selon la raison qui est à l’origine de cette exploration : est-ce « pour le sport » ? Les PJ sont-ils poursuivis ou poursuivants ? Cherchent-ils à empêcher un événement funeste en un temps limité (mort d’un proche, ouverture d’un portail, etc.) ? L’idée est de rendre ces éléments tellement évidents, tellement naturels pour la joueuse qu’elle n’a plus besoin d’y réfléchir. Dès lors, les péripéties rencontrées seront vécues comme des obstacles entravant la poursuite des objectifs du groupe. Il existe de nombreuses façons d’informer vos joueuses. Certains systèmes y pourvoient de façon explicite (Mouse Guard1, Tenga), mais il est souvent nécessaire de les soutenir par votre scénario et les interactions avec les PNJ. Modulez le suspense, demandez des réponses rapides et semez le doute

S’il est assez facile de faire en sorte que les personnages ne se doutent de rien lors d’une session de jeu, il est beaucoup plus difficile de surprendre les joueuses elles-mêmes. Réaliser des parties originales sans être déroutantes tout en se renouvelant tient souvent de la gageure. Pourtant, il est crucial que tout puisse se produire à chaque instant, que les joueuses soient dans un état où elles peuvent être surprises et poussées à se comporter « instinctivement ». Ainsi, tout en augmentant l’effet de toutes les sensations nécessitant une stimulation (peur, espoir, satisfaction, crainte confirmée, etc.), on force la joueuse à réagir spontanément plutôt qu’à se demander comment son personnage réagirait. Responsabilisez les joueuses et donnez-leur du feedback

Il est important de les laisser s’engager d’elles-mêmes d’un point de vue émotionnel et d’amplifier certains des stimuli que vous leur envoyez, mais elles doivent réaliser que l’essentiel de ce qui leur arrive n’est que la suite logique de leurs actions et de leurs décisions. En insistant sur ce point, par exemple en reprenant leurs suggestions pour faire réagir les PNJ sur certains détails, on peut transcender les passages obligés d’un scénario tout en l’adaptant à leurs envies2. Plus important encore, il peut s’avérer nécessaire de valoriser en jeu certaines émotions dont l’expression ou l’interprétation 1. Crane Luke, Mouse Guard, Archaia Studio Press, Fort Lee, 2008. 2. À ce sujet, consultez également l’article « Dompter la linéarité », p. 159.

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peuvent embarrasser certaines joueuses. Il faut alors montrer que vous souhaitez favoriser ce genre de comportements plutôt que vous en moquer afin qu’elles réussissent à les intégrer à leur jeu (et à l’histoire que vous êtes tous en train de créer). Si une joueuse a tendance à rigoler nerveusement à l’annonce de mauvaises nouvelles, faites en sorte que son personnage ait le même réflexe ; si une joueuse ne peut s’empêcher de sourire et de bomber le torse lorsqu’elle entend parler des exploits de son personnage, que ses interlocuteurs lui donnent de grandes tapes dans le dos. Ce sont de petites bases.

Suscitez une émotion en particulier Ces quelques principes sont efficaces mais demeurent génériques. L’idéal est de réfléchir à l’avance à l’effet que l’on veut produire et d’employer ensuite le maximum de ressources pour générer cet effet. Ceci suppose trois actions délicates : • mettre en place les composantes ludiques (système, personnages, scénario) nécessaires ; • jouer sur l’intensité. Ainsi, si on souhaite exalter la fierté des personnages grâce à un exploit, on peut insister sur la difficulté de la tâche qu’ils vont entreprendre, et renforcer cette adversité via des jets difficiles (du moins en apparence), avec une opposition évidente et des anecdotes sur ceux qui ont essayé avant eux et ont échoué. Toutefois, certaines émotions sont plus difficiles à provoquer que d’autres. Afin d’identifier celles que vous souhaitez introduire dans le jeu, vous pouvez vous référer à de nombreuses typologies théoriques. Si ces débats de spécialistes n’ont que peu d’intérêt autour d’une table de jeu, les notions d’émotions primaires et secondaires sont extrêmement utiles pour un meneur. En effet, selon ces théories, les effets les plus complexes (secondaires) peuvent être obtenus à partir d’un certain nombre d’émotions simples (primaires). Ekman, par exemple, considère que ces dernières sont au nombre de six : colère, dégoût, joie, peur, surprise et tristesse. Pour lui, la pitié ne serait que de la tristesse résultant d’un événement négatif touchant un tiers. D’autres considèrent la peur comme une forme de tristesse anticipée. De votre côté, vous pouvez trouver cette liste trop courte ou trop longue, peu importe. L’essentiel est que vous ayez une idée de la façon dont vous pouvez décomposer tous les sentiments qui vous paraissent difficiles à susciter autour d’une table en « ingrédients » individuellement plus simples à appréhender. Car c’est là l’aspect le plus utile de ces théories : si la plupart des émotions primaires sont faciles à mettre en œuvre (la tristesse est générée par un événement négatif, la joie par un positif, etc.), les émotions secondaires se mettent en scène exactement de la même manière. Pour provoquer un sentiment de compassion (ou d’injustice), il suffira donc de lier les personnages à un PNJ qui subit un événement négatif (peut-être non mérité).

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• identifier exactement les émotions et réactions que l’on souhaite susciter ;

De même, pour provoquer de la satisfaction, il suffit de créer une joie (événement positif), de permettre aux joueuses de l’anticiper et de valider leurs attentes. Gardez cette notion en tête, elle vous sera utile pour prévoir toutes les composantes nécessaires afin d’éviter qu’une scène importante de votre scénario tombe à plat (par exemple, parce que l’on a oublié de créer un lien entre les PJ et le PNJ qu’elles doivent avoir envie de sauver).

Jouez avec leur intensité La dernière tâche à effectuer pour utiliser ces techniques avec une certaine finesse est de moduler l’intensité des émotions que l’on cherche à provoquer. Pour chacune d’entre elles, il existe des leviers sur lesquels on peut agir pour les renforcer ou, au contraire, les atténuer. C’est ce que l’on appelle les « variables d’intensité ». Il en existe quelques-unes qui s’appliquent à toutes les émotions ou presque : • la vraisemblance : un événement est généralement plus efficace s’il est crédible et qu’il n’amène pas à se poser de questions sur sa nature ou ses causes ; • la proximité : il en va de même s’il touche des proches ou des PNJ déjà connus (et c’est encore plus vrai pour des PJ) plutôt que des inconnus ; • la surprise : l’événement qui prend au dépourvu génère souvent une émotion bien plus intense que celui que l’on voit venir ; • la stimulation et l’anticipation (dans une certaine mesure) : certaines émotions se nourrissent de l’anticipation des joueuses (peur, espoir, déception, etc.). Cela n’exclut pas forcément le point précédent : on peut s’attendre à ce qu’un événement arrive mais être surpris par la façon dont il se produit (voir encadré sur la tension narrative p. 284). Certains films d’horreur usent et abusent de ce procédé. Il existe bien sûr un grand nombre d’autres variables d’intensité dépendant de l’effet que vous voulez obtenir et de la situation. Le tableau p. 286-287 en liste quelques-unes. Mais les choses se font assez naturellement une fois que l’on a planifié ce que l’on souhaite obtenir et que l’on a compris la façon dont émotions primaires et secondaires s’imbriquent.

Exemple Prenons un exemple assez archétypal mais qui sera sans doute plus clair. Admettons que vous meniez une campagne1 de Warhammer et que vous pensiez que d’ici deux ou trois séances, il serait bon que les personnages arrivent au moment où ils quittent définitivement leurs vies ordinaires et assument enfin leur statut de héros. Si vous connaissez les

1. Les mêmes méthodes marchent bien entendu pour une séance unique, mais prendre une campagne comme exemple permet de distinguer plus facilement les différentes étapes. Il vous suffit simplement de changer d’échelle.

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Difficile de créer directement un sentiment de révolte. On peut essayer de s’en approcher en combinant colère et résignation (émotions secondaires) avec une opposition. D’après le tableau p. 286-287, ces deux émotions correspondent respectivement à un reproche lié à un événement négatif non souhaitable, et une tristesse inévitable (émotion primaire). Et tant qu’à faire, pour intégrer le côté tragique espéré, autant rajouter un soupçon de désespoir en rendant cette tristesse irréversible. L’influence du gouffre de Helm étant bien présente, vous décidez que la potentielle chute de la cité où se trouvent les personnages face aux hordes venues du nord pourra tout à fait remplir cette fonction. Pour avoir la dimension reproche nécessaire à la colère, il vous suffit de faire en sorte que les assaillants aient utilisé des méthodes particulièrement déloyales pour arriver à leurs fins (trahisons, corruptions, pactes interdits, cannibalisme, etc.). Pour le côté irréversible, c’est encore plus facile. Continuer à jouer la bataille alors que tout semble perdu et que tout le monde se désorganise et fuit autour d’eux devrait suffire. Toutefois, pour que les joueuses ne soient pas simplement passives devant les événements, ou pour éviter qu’elles soient tentées de faire fuir leurs personnages, il vous reste à créer le « déclic » qui va leur permettre d’agir et de s’opposer concrètement à leurs ennemis : un PNJ important est sur le point d’être massacré, un étendard d’être capturé, une statue particulièrement emblématique d’être renversée, etc. Si on résume, pour créer cette situation, il faut que dans deux ou trois séances, une horde ennemie composée en partie de cannibales capture la cité grâce à une trahison, éventuellement associée à des rites impies. Pendant la bataille, la défaite doit sembler inévitable et les personnages, alors même que tout paraît perdu (désespoir et résignation), doivent avoir la possibilité de se battre pour un objectif en apparence illusoire, mais qui leur donne l’occasion de s’affirmer et de s’opposer (colère) sur une bande-son

1. Joseph Campbell est un anthropologue américain spécialiste de la mythologie comparée, surtout connu pour sa théorie du monomythe, décrite dans son essai de 1949, Le Héros aux mille et un visages. Celle-ci part du principe que presque tous les héros mythiques, quelle que soit leur culture d’origine, suivent un parcours archétypal correspondant à ce qu’il appelle « le voyage du héros ». Particulièrement populaire, ce schéma est repris dans nombre d’œuvres de fiction modernes et constitue l’un des deux versants, avec Aristote, de ce que l’on retrouve dans de nombreux ouvrages traitant de structures narratives. Puisque les sources gratuites et accessibles sur ce sujet abondent, nous avons choisi de ne pas les détailler davantage dans ce recueil. Toutefois, nous en reparlerons probablement dans un futur ouvrage de cette collection.

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thèses de Joseph Campbell1, cela correspond plus ou moins à la phase du « seuil ». Pour cela, vous aimeriez provoquer un sentiment de révolte chez vos joueuses, un moment un peu tragique où les personnages refusent de baisser les bras et se transcendent en prenant une position ferme, en faisant des choix marquants et difficiles. Comme vous avez envie d’épopée, que vous venez de revoir la trilogie du Seigneur des anneaux et avez encore des images de la bataille du gouffre de Helm plein la tête, vous décidez de partir vers cette ambiance.

galvanisante. Ce sera la statue du fondateur de la cité et le symbole de son pouvoir. Même si c’est un peu facile, la détermination des personnages et un retournement de situation pourront empêcher la ville de tomber et leur conférer le statut de héros. Selon votre goût pour la planification, vous pouvez vous contenter de cela pour la séance de la bataille ou au contraire détailler bien davantage ce qu’il va se passer. Par contre, pour que cela fonctionne de façon idéale, profitez des deux séances précédentes pour jouer sur les variables d’intensité. Voici quelques pistes : • amener les personnages à connaître nombre de citadins par leurs noms, à les apprécier ou pas, à se lier à la ville et à ses habitants, etc. ; • donner des signes avant-coureurs concernant l’attaque ennemie, peut-être du temps dont les PJ disposent pour s’y préparer, et leur confier quelques responsabilités ; • créer une inimitié contenue avec le futur traître, des indices qui rendent évidente sa trahison a posteriori, mais sans trop en dire ; • créer un lien avec la statue, par exemple en faisant d’elle le lieu d’un événement romantique, celui d’un serment des personnages, l’œuvre d’un PNJ important pour eux, etc.

Tension narrative : curiosité, surprise et suspense La théorie des émotions primaires et secondaires a pour avantage d’être simple à appréhender et de permettre de construire progressivement, ce qui limite les risques de vrais dérapages. Bien entendu, elle est loin d’être la seule. Par exemple, les travaux de Raphaël Baroni sur la tension narrative peuvent facilement être convertis en un petit outil bien pratique. L’idée principale, pour un meneur du moins, est de raffiner un peu la notion d’anticipation – celle qui, dans le tableau p. 286-287, différencie entre autres la joie de l’espoir. On distinguera alors deux choses : • est-ce que les joueuses anticipent quelque chose qui va avoir lieu de façon certaine ou est-ce qu’elles peuvent encore avoir une influence dessus, l’empêcher, le provoquer, etc. ? • est-ce que les joueuses sont avant tout mises au défi de comprendre ce qui se passe (diagnostic) et elles anticipent alors surtout une révélation de la vérité, ou doivent-elles prévoir des événements à venir (pronostic) ? Bien utilisée, cette double distinction vous permet de provoquer toute une palette d’émotions différentes. Ainsi, de façon classique, si vous voulez créer de la surprise, il vous suffit de mettre en scène un événement que les joueuses n’ont pas ou mal anticipé. Par contre, si vous préférez susciter de la curiosité, faites en sorte que les joueuses soient amenées à analyser ce qui se passe et à devoir anticiper la confrontation de leurs

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hypothèses à la réalité. C’est très naturel dans le cadre d’un scénario d’enquête, mais il n’est guère difficile de le faire ailleurs : tiers sollicitant leur opinion, comptes à rendre, etc. Si c’est le suspense qui vous intéresse, amenez-les à se prononcer sur la suite des événements, que ce soit oralement ou par les actions qu’elles font entreprendre à leurs personnages. Cela peut prendre des formes triviales, comme choisir entre deux trajets ou deux tactiques lors d’un combat, en sachant que les répercussions sont réelles et dépendent de leur capacité à anticiper correctement. Cela marchera presque à coup sûr. Les joueuses doivent-elles voir venir l’événement ?

avoir un impact dessus ?

Peuvent-elles encore

Surprise

Non, ou elles se trompent



Curiosité

Oui (diagnostic)

Oui

Suspense

Oui (pronostic)

Oui

Suspense par contradiction

Oui, mais elles doivent ne pas avoir envie qu’il se produise

Non

Rappel

Oui, il doit s’agir d’éléments déjà connus

Non

Vous pouvez enfin susciter d’autres émotions en provoquant l’anticipation d’un futur déjà connu des joueuses. Si la suite se fonde sur des éléments déjà familiers, vous allez générer des situations de «  rappel  » ou favorisant l’ironie dramatique. Si l’événement prévu est contraire à ce que souhaitent les joueuses, cette inéluctabilité va amener ce que l’on appelle du « suspense paradoxal », ou « suspense par contradiction ». Sans même parler du fait que cela va les pousser à se démener pour s’opposer à ces événements qu’elles préféreront éviter à tout prix. Ce simple outil est déjà très utile pour créer de la tension dans ses scénarios. Ce ne sont que quelques principes à apprendre, mais vous pouvez également le combiner avec le tableau de la page suivante. Encore une fois, tant que vous ne perdez pas l’essentiel de vue, tout devrait aller pour le mieux.

Vous avez maintenant des bases pour vous lancer dans cette vaste entreprise. Pour mettre en pratique quelques-uns des principes exposés ci-dessus, abordez votre prochaine séance de jeu en vous demandant : « qu’est-ce que je veux provoquer chez mes joueuses ? » plutôt qu’en vous concentrant sur les ficelles scénaristiques. Le reste devrait suivre.

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Émotions

Émotion

Condition

Variable d’intensité

joie

content d’un événement souhaitable

degré du souhaitable

détresse

mécontent d’un événement souhaitable

degré du non souhaitable

tristesse

mécontent d’un événement non souhaitable

degré du non souhaitable

heureux pour autrui

joie pour un événement arrivant à autrui

comme joie, lien avec autrui, mérite d’autrui

désolé pour autrui

tristesse pour un événement arrivant à autrui

comme tristesse, lien avec autrui, mérite d’autrui

ressentiment, jalousie

détresse pour un événement arrivant à autrui

comme détresse, lien avec autrui, mérite d’autrui

schadenfreude

joie pour un événement non souhaitable arrivant à autrui

comme tristesse, lien avec autrui, mérite d’autrui

espoir

joie anticipée

comme joie, probabilité

peur

tristesse anticipée

comme tristesse, risque

satisfaction

espoir validé

comme joie, probabilité, certitude

crainte confirmée

peur validée

comme tristesse, risque, certitude

soulagement

peur non validée

comme tristesse, risque, certitude, comme joie

déception

espoir non validé

comme joie, probabilité, certitude, comme tristesse

choc

tristesse inattendue

comme tristesse, surprise

bonne surprise

joie inattendue

comme joie, surprise

suspense

espoir et peur et incertitude

comme joie et tristesse, probabilité, risque

résignation

tristesse inévitable

comme tristesse, inéluctabilité, impuissance

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tristesse irréversible

comme tristesse, irréversibilité

fierté

joie et approbation de soi

comme joie, perception, conscience

culpabilité

tristesse et désapprobation de soi

comme tristesse, perception, conscience

appréciation

joie et approbation d’autrui

comme joie, perception, conscience, lien avec autrui

reproche

tristesse et désapprobation d’autrui

comme tristesse, perception, conscience, lien avec autrui

gratitude

appréciation provoquant une joie

comme appréciation, comme joie

colère

reproche provoquant une tristesse

comme reproche, comme tristesse

gratification

fierté provoquant une joie

comme fierté, comme joie

remords

culpabilité provoquant une tristesse

comme culpabilité, comme tristesse

attirance

être attiré par un objet désirable

proximité, désirabilité

répulsion

ne pas être attiré par un objet non désirable

proximité, désirabilité

émotions

désespoir

Fiche de synthèse Pour combattre quelques idées reçues sur les émotions en JdR : • le personnage n’existe pas vraiment, seule la joueuse compte ; • perdre le contrôle de son personnage peut être chouette ; • être ému par une partie ou se sentir proche des personnages aussi ; • une bonne partie n’est pas forcément une partie où on s’amuse et inversement ; • on ne joue pas que pour le « fun » ; • on n’est pas limité aux émotions courantes : peur, fierté, etc. ; • le scénario n’est qu’un moyen. Tout le reste aussi. Seule la joueuse compte. Principes généraux • Créez une ambiance propice à l’émotion que vous souhaitez provoquer. • Montrez vos jouets. • Communiquez sur les motivations et objectifs. • Modulez le suspense, demandez des réponses rapides et semez le doute. • Responsabilisez les joueuses et donnez-leur du feedback. Susciter une émotion spécifique • Identifiez exactement les émotions et réactions que vous souhaitez susciter. • Décomposez-les en émotions primaires relativement simples à générer. • Mettez en place les composantes ludiques (système, personnages, scénario, relations) nécessaires. • Jouez sur l’intensité : vraisemblance, proximité, surprise, anticipation. Tension narrative : • surprise : pas d’anticipation ou mauvaise anticipation ; • curiosité : anticipation, incertitude et diagnostic ; • suspense : anticipation, incertitude et pronostic ; • suspense par contradiction : anticipation, certitude et non souhaitable ; • rappel : anticipation, certitude et éléments déjà connus.

faire plaisir aux joueurs Carotte & bâton, les conseils d’un dinosaure



Une interview de Pierre Rosenthal tu nous as dit vouloir parler de quelques-unes des techniques dont tu te sers avec tes joueurs pour maintenir leur intérêt durant une campagne. Tu peux nous en dire plus ?

C’est ça. Je voulais rapidement évoquer différentes manières de s’adapter pour donner aux joueurs ce qu’ils veulent, que ce soit des récompenses évidentes ou des difficultés dont ils se souviendront. Et sans doute quelques autres astuces aussi. Après, ces conseils ne représentent que la pratique d’un seul individu, pas même forcément bon MJ, sur un nombre de jeux limité et apparaissant aujourd’hui comme des classiques : D&D, L’Appel de Cthulhu, In Nomine Satanis Magna Veritas, Capitaine Vaudou1, etc. Par contre, cette pratique dure depuis trente ans, de façon plus ou moins continue. D’une certaine façon, ce sont les conseils d’un dinosaure.

Je ne doute pas que certains conseils sembleront peut-être évidents, voire redondants avec les articles du présent ouvrage ou avec ceux de l’antique Manuel pratique du jeu de rôle 2. Mais les lecteurs sauront choisir ceux dont ils préfèreront s’inspirer, ou ceux qu’ils laisseront de côté. 1. Pécau Jean-Pierre, Rosenthal Pierre, Capitaine Vaudou, Casus Belli, Jeux Descartes, Paris, 1991. 2. Disponible gratuitement en pdf sur le site de la Fédération Française de Jeu de Rôle : http://www.ffjdr. org/manuel-pratique-du-jeu-de-role/

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FA I R E P L A I S I R

P

ierre,

Tu parlais de jeux classiques. Est-ce que tu peux préciser dans quel cadre tu te places ? J’imagine que tes conseils ne fonctionnent pas avec tous les jeux ni toutes les façons de jouer. Ces conseils sont initialement pensés pour le jeu tel que je l’ai pratiqué avec mes groupes d’amis pendant des années : en campagne, et non pas pour un scénario one shot ou des joueurs que vous ne reverrez pas. De plus, je pars du principe que les joueurs ont confiance en la capacité du MJ à respecter certains principes. C’est en quelque sorte sa propre part d’un contrat social au sein du groupe. Concrètement, par campagne, il est surtout question des éléments suivants : 1. un même jeu ; 2. un même univers : a. Cthulhu de nos jours n’est pas Cthulhu dans les années 1930 ; b. Les Royaumes oubliés1 ne sont pas Eberron ; 3. un même noyau de joueurs : a. ils n’incarnent pas forcément les mêmes personnages durant toute la campagne ; b. avoir quelques joueurs qui vont et viennent n’est pas un problème si le noyau reste stable ; 4. plusieurs séances de jeu : a. une campagne commence à partir de deux courts scénarios dans le même univers ; b. c’est le fait d’être dans un même univers cohérent qui donnera envie d’y rejouer en pouvant soit s’y référer, soit le faire évoluer. De même, un contrat social typique pourrait comprendre les responsabilités suivantes pour le meneur afin de conserver la confiance des joueurs. Bien sûr, les conseils seront à mettre en perspective avec votre propre fonctionnement : 1. ne pas faire abstraction du méta-jeu : joueurs comme MJ essayent de rester « en jeu » le plus possible, mais comprennent bien qu’il s’agit d’un jeu : a. où on fera des pauses clope ou bouffe ; b. où on fera des apartés ou du hors-jeu (en nombre raisonnable) ; c. où il faut parfois savoir faire quelques concessions limitées « On accepte la mission même si elle est louche parce que l’on joue ensemble » ; 1. Greenwood Ed, Grubb Jeffrey, Forgotten Realms, Campaign Set, TSR, Lake Geneva, 1987. Nous retenons 1987 parce que c’est la sortie du Campaign set, mais le module H1: Bloodstone Pass, sorti en 85, est désormais considéré comme le premier de cet univers.

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2. ne pas avoir d’ego. Ou le moins possible : a. les PNJ n’appartiennent pas au meneur. S’ils ont des plans et des objectifs, cela dépend de leur personnalité ou de leur fonction dans la partie, pas de la volonté du MJ de « gagner » ; b. le meneur ne doit pas plier et modifier le scénario à outrance pour pouvoir compenser les conséquences des actions des personnages. Si cela devait arriver, il doit faire attention à ne surtout pas donner aux joueurs l’impression que leurs décisions n’ont pas d’impact ; 3. suivre les règles : a. les règles ne se limitent pas aux plus évidentes, comme le combat ou la magie, mais impliquent aussi par exemple le respect de l’univers et de sa cohérence ; b. si les mécaniques intègrent une part d’aléatoire, le meneur la respecte et en tient compte. Après quelques aventures, vous devriez savoir de façon assez naturelle ce qui plaît à la majorité de vos joueurs. Comme il s’agit d’une campagne, ceci se présente presque toujours de façon dynamique, sous la forme d’une progression ou d’une évolution. Et tant mieux, parce que tant pour une histoire que pour un jeu, une stagnation entraîne très souvent la lassitude et la fin de la partie. Cette évolution peut prendre plusieurs formes. Elle peut être chiffrée, qu’elle soit mesurée en points d’expérience, niveaux, puissance, talents. Elle peut être moins explicite, par exemple parce qu’elle se concrétise par des gains d’influence, une évolution de certaines relations ou tout simplement une réputation qui évolue. Donc, finalement, c’est toujours positif. Tu ne parlais pas de difficultés tout à l’heure ? Effectivement, il y a une distinction importante à faire. Certains joueurs préfèrent la carotte, d’autres le bâton. Dit comme cela, cela peut sembler étrange. C’est bien sûr un peu caricatural, mais, de mon expérience, tous les joueurs aiment à la fois qu’on leur fasse des cadeaux et souffrir pour obtenir ce qu’ils veulent. Ou du moins que leurs personnages souffrent pour qu’eux l’obtiennent. Par contre, c’est dans des proportions très différentes selon les individus et c’est à cela qu’il faut justement faire attention. Les joueurs qui préfèrent le bâton n’apprécient la progression que s’ils ont le sentiment qu’ils l’ont méritée, qu’elle a été dure, mais qu’ils ont justement réussi à la surmonter au travers de nombreux obstacles. C’est le cas du joueur qui est parvenu à patiemment monter son magicien au niveau 20 à la force du poignet, en ayant manqué de mourir vingt fois, et sans doute en ayant perdu quelques autres personnages avant d’y arriver.

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FA I R E P L A I S I R

Alors, comment identifier ce que veulent les joueurs ?

À l’inverse, ceux qui préfèrent la carotte veulent surtout ressentir cette ascension dans ce qu’elle a d’irréversible, pouvoir flamber, se pavaner parce qu’ils sont les plus forts ou les plus beaux, éventuellement les plus audacieux ou prompts à saisir les opportunités, mais pas forcément les plus résilients. Dans les deux cas, ce qui va être très important, c’est de conserver entre chaque scénario un certain nombre de liens qui pourront servir plus tard, comme autant de points d’intérêt pour les joueurs. Cela va principalement concerner les PNJ rencontrés, qu’il s’agisse d’alliés ou de personnages redevables (carotte) ou de futurs ennemis (bâton). C’est aussi le cas de nombre d’autres choses qui peuvent émerger des situations de jeu (équipement, rumeurs, lieux à découvrir, etc.). Et en quoi t’adaptes-tu à eux, alors  ? Qu’est-ce qui change lorsque l’on veut jouer plutôt carotte ou plutôt bâton ? Lorsque vous voulez accentuer le côté bâton, vos joueurs seront sans doute très sensibles au fait que vous soyez ouvert et pédagogue sur les raisons des succès et des échecs. Ils ne doivent pas avoir l’impression que vous êtes injuste, mais que tout n’est que la conséquence de leurs décisions ou de leurs actions. Même quand c’est aléatoire d’ailleurs, le jet ne vient qu’en conséquence de leurs choix. Il peut parfaitement être jeté devant l’écran pour faire monter la tension et le sentiment de jouer «  pour de vrai », tout comme il peut résoudre tout un pan du scénario en cas de très bonne idée. Bref, sans les culpabiliser ou leur mettre la tête sous l’eau, les joueurs doivent avoir le sentiment que si leurs personnages échouent, c’est avant tout de leur faute et qu’ils auraient pu jouer différemment pour éviter ce contretemps. Pour cela, n’hésitez pas à faire appel au débriefing, ou aux solutions en jeu pour valoriser ceux qui ont échoué, mais ont brillamment essayé (inspecteur cherchant à comprendre ce qu’il s’est passé, moine se renseignant avant de faire l’office funèbre des moins chanceux). Inversement, pour la carotte, l’idée n’est pas tant de valoriser les conséquences des actions ou le sentiment de mérite que de récompenser constamment les apports des joueurs et de minimiser l’impact des mauvaises décisions qu’ils pourraient prendre. Ainsi, durant les jets de dés, gardez-vous de donner trop explicitement les conséquences d’un échec, afin de maintenir le sentiment qu’il existe un enjeu fort tout en vous assurant de pouvoir retomber sur vos pattes en cas de problème – généralement en minimisant ses conséquences sans avoir l’air d’y toucher ou en rebondissant sur un second jet de dés d’une autre capacité. En moins visible, bien entendu, c’est le cas du personnage qui loupe un jet de saut et doit tester sa force pour voir s’il réussit malgré tout à se retenir aux poutrelles en métal du pont qu’il a réussi à atteindre in extremis, quitte à ne rien faire d’autre pour ses prochaines actions. De même, mettez en avant les bonnes idées et ne cherchez pas à les contrer, même si cela implique de sacrifier l’adversité présente dans votre scénario. Au pire, si celui-ci devient complètement caduc, concluez rapidement avant de rajouter un intermède pour savoir comment les personnages ont réussi à profiter des avantages de leur victoire avant d’enchaîner sur une nouvelle aventure. De même, évitez de reprendre vos cadeaux ou de les 292

empoisonner : l’épée vorpale n’est pas à usage unique (même si on peut lui découvrir d’autres capacités plutôt que de multiplier les objets magiques). Il ne faut pas non plus que cette arme remarquable vous fasse passer pour un traître aux yeux du PNJ que vous croyiez être votre allié juste parce que vous la portez, etc. Mais comme je l’évoquais précédemment, presque tous les joueurs veulent à la fois de la carotte et du bâton. Tout le secret est de réussir à proposer un mélange des deux qui permette de satisfaire les joueurs sans leur donner l’impression que tout est trop facile, et donc ennuyeux, ou que tout est trop difficile, et donc décourageant ou désespérant. En prenant un exemple qui parlera sans doute à tout le monde, c’est au MJ de sentir ces moments où il vaut mieux jeter les dés derrière l’écran, ou au contraire mettre en scène l’importance de ce jet en le faisant au vu et au su de tout le monde. Est-ce qu’il veut mettre en avant l’histoire (cacher les dés) ou le destin du personnage (les montrer)  ? Et si vous avez besoin d’un filet de sécurité, vous pouvez toujours utiliser une des premières techniques illusionnistes qui consiste à respecter le résultat des dés lancés devant les joueurs tout en limitant leur impact dans l’histoire (voir page précédente).

On dirait que cela peut être adapté à presque toutes les scènes. Tu as des exemples concrets ? Peut-être avec un contexte à la D&D, pour que cela parle à tout le monde ? Très bien. Prenons quelques situations très emblématiques. La mort des personnages, par exemple. Même pour les joueurs qui aiment la difficulté, la perspective de perdre son alter ego et de recommencer à zéro n’est que très rarement enthousiasmante. Dans ce cas, on peut par exemple faciliter l’ascension du petit nouveau. Je l’ai déjà un peu évoqué, mais donner au nouveau personnage une raison de s’intéresser à l’ancien pour justifier le fait qu’il connaisse plus ou moins les mêmes informations est un procédé souvent efficace. Ainsi, dans Capitaine Vaudou, on utilisait l’amatelotage : les deux personnages partagent la même couche en alternance et se relaient sur le pont, se tenant plus ou moins au courant de tout. On peut imaginer une idée similaire dans une guilde de voleurs, par exemple. Dans cette optique, si vous voulez faire un cadeau au joueur, vous pouvez lier les deux personnages de façon à ce que le nouveau ait plus rapidement le pied mis à l’étrier. Vous pouvez par exemple lui donner une partie des ressources de l’ancien en faisant de lui son héritier, neveu, élève, condisciple, etc. Cela expliquera qu’il lui lègue son épée sainte, mais aussi quelques richesses et contacts. Et si tout cela s’accompagne d’un serment de venger le disparu ou de terminer sa quête à sa place pour que sa mort ne soit pas vaine, vous devriez obtenir une justification qui fonctionne d’un point de vue ludique sans pour autant manquer de cachet. 293

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Sur cet exemple particulier, on est dans une zone grise où certains penseront qu’il s’agit de triche et d’autres non. C’est à vous de voir la façon dont vous souhaitez jouer, mais toujours est-il que cette technique reste une corde potentielle à votre arc et illustre bien la différence entre les deux optiques, carotte et bâton.

Si vous voulez plutôt satisfaire les joueurs orientés « bâton », insistez sur les hauts faits du disparu et montrez que sa mort ne fait pas de lui un raté, au contraire. Ce n’est qu’une bataille perdue, sans doute après un certain nombre de gagnées, dans une guerre dont il est désormais possible de voir l’issue, qu’il a largement contribué à rendre enfin imaginable. Peut-être que le nouveau venu pourra lui aussi obtenir l’épée sainte de son prédécesseur, mais non sans une petite quête personnelle grâce à laquelle il pourra prouver sa valeur (ou atteindre le niveau nécessaire s’il recommence en dessous). D’ailleurs, cela me permet d’enchaîner sur la gestion des objets magiques et leur rareté. Dans la plupart des jeux classiques, on les obtient soit avec de la chance aux dés pour déterminer le trésor d’un monstre, soit relativement souvent, selon la description de telle ou telle pièce du donjon. Or, à part pour certains, généralement uniques, cela entraîne un galvaudage de la notion même d’objet magique. Aussi, lorsque vous en donnez, faites en sorte qu’ils procurent un réel avantage, tout en évitant que cela devienne une habitude (carotte). Mais laissez également aux PJ des ouvertures au sein de votre univers, afin qu’ils puissent obtenir ces objets moyennant une contrepartie ou un effort conséquent (bâton) : enchanteurs, maîtres-artisans, vieux bibliothécaires ayant une idée de l’endroit où les trouver, quête se poursuivant d’un donjon à un autre, etc. Ainsi, les joueurs auront également la sensation de les mériter et que, tout autant que leur puissance, cela les rend exceptionnels. Pour certains, Arthur était puissant parce qu’il avait Excalibur. Pour d’autres, c’est le fait d’être puissant (par sa lignée, son potentiel, ses valeurs, etc.) qui a permis à Arthur d’obtenir Excalibur. Pour prendre une autre situation classique, évoquons la détection des pièges. Traditionnellement, dans Advanced Dungeons & Dragons1, quand on veut désamorcer un piège, le voleur fait un jet de la capacité du même nom pour chaque piège. Toutefois, dans une salle qui en comporte plusieurs (ce qui est loin d’être rare), rien n’empêche de considérer que le jet vaut pour tous ceux de la salle, surtout s’il est réussi (carotte), ou au contraire d’expliquer qu’il s’agit d’un dispositif très complexe et qu’il va falloir réussir plusieurs jets pour pouvoir passer, ou trouver une façon de contourner le problème (bâton). Dans le premier cas, vous donnez l’impression au joueur qui incarne le voleur que son personnage est une sorte d’Arsène Lupin en armure de cuir, dans l’autre, qu’il va vraiment falloir ruser pour aller voir ce qui se cache plus loin, que ce soit en utilisant une perche de trois mètres, un sort permettant d’enclencher tous les pièges à distance, ou en trouvant les notes secrètes de celui qui les a installés. Les deux approches sont valorisantes, mais de façon très différente. La première privilégie une satisfaction immédiate et limite la frustration sur l’instant. La seconde, au contraire, commence par frustrer et insère une péripétie pour permettre une satisfaction à terme sans doute plus importante. À vous de voir ce qu’il vaut mieux choisir en fonction de vos joueurs, de leur état de fatigue, etc.

1. Gygax Gary, Advanced D&D, TSR, Lake Geneva, 1977-1979.

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Enfin, pour conclure par un dernier exemple beaucoup plus trivial, prenons le cas de tous les actes routiniers accomplis par les personnages : le voleur qui cherche à détecter des pièges tous les deux pas, le groupe qui monte la garde tout le temps de la même façon, l’ordre de marche qui ne change jamais, etc. Ces automatismes font gagner un temps précieux en partie. Ils évitent une certaine routine (refaire ces choix à chaque fois), et c’est donc une très bonne idée de les intégrer, par exemple en partant du principe que les personnages gèrent automatiquement sauf situation exceptionnelle. Mais lorsque, justement, on est dans ce cas de figure, vous pouvez, par exemple, dire aux personnages qu’ils ont une impression étrange. Puis demandez-leur un test de perception ou du trait adapté à la situation (carotte), en leur précisant d’employer des méthodes différentes de celles qu’ils utilisent par défaut pour leur autoriser ce jet (bâton). Dans le premier cas, le but est de savoir s’ils font attention et, dans le second, à quoi ils font attention.

JOUER EN MUSIQUE



Stéphane Treille

Quelle est l’utilité de la musique en JdR ?

P

our la suite de cet article, nous entendons musique au sens large d’accompagnement sonore, ce qui peut donc inclure des titres musicaux, mais aussi des sons, des ambiances sonores naturelles ou urbaines, et bien entendu le silence.

Pour résumer, se servir de la musique dans les parties comporte plusieurs avantages  : cela permet de favoriser l’ambiance, l’immersion, d’appuyer les actions, de mettre en valeur des scènes ou des personnages, comme c’est le cas au cinéma ou dans les jeux vidéo. Nous allons donc voir en détail différentes manières de l’utiliser pour améliorer vos parties.

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Musique

Cet article est dédié à Arnaud « Kundun » Gaugain, un MJ qui a su me faire franchir le mur du son.

Quels sont les pièges à éviter ? Malgré tous les avantages qu’il y a à jouer en musique, il faut cependant savoir l’utiliser avec parcimonie : • elle peut devenir une compagne encombrante si l’on n’y prend pas garde ou si on se laisse déborder ou accaparer par son utilisation ; • il ne faut pas hésiter à la couper de temps en temps pour préserver son impact. De plus, quand on débute, il vaut mieux éviter de trop se concentrer : • sur la musique elle-même qui ne doit pas non plus passer au premier plan ; • sur les changements de titres ; • sur l’ambiance au détriment du scénario et des actions des PJ.

Bien débuter avec la musique : faire correspondre le genre musical au genre de l’univers fictionnel La musique peut avoir un tel impact autour de la table qu’il convient de débuter en douceur et de la lier harmonieusement à l’univers de jeu. L’objectif n’est pas de « heurter les oreilles » des joueurs avec une bande-son inappropriée et contre-immersive, mais de choisir les bons morceaux et de les diffuser sans multiplier les manipulations. Si vous n’avez jamais osé franchir le pas, l’idéal est de commencer par des titres longs voire des albums entiers qui vont vous servir de toile de fond. Ainsi, vous pourrez jouer les chefs d’orchestre sans trop d’efforts.

Univers

Exemple de jeu

Exemple d’album

Sciencefiction

Eclipse Phase1, Cyberpunk, Shadowrun

Steve Roach, Kevin Braheny & Richard Burmer : Western Spaces Stellardrone : Echoes Prodigy : The Fat of the Land Palancar : Counting Raindrops

1. Baugh Bruce, Bills Randall N., Blumenstein Lars, Boyle Rob, Cole Davidson, Cross Brian, Graham Jack, Snead John R., Wolter Tobias, Eclipse Phase, Catalyst Game Labs, Lake Stevens, 2009.

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Horreur contem­ poraine

Yen Pox : Blood Music

Americana1, Delta Green2, Vampire

Cousin Silas : Adrift off the Islets of Langerhans Una Voice, Chandra Jade Shankar : Hearts of Darkness

Horreur xixe début xxe siècle

Achéron3, Maléfices, L’Appel de Cthulhu

Frédéric Chopin : Sonate n° 2 pour piano en si bémol mineur, op. 35 Lustmord : The Word as Power Electropaganism : Sonic Idolatry

Médiévalfantastique, fantasy

Pathfinder, AD&D, RuneQuest4

Steve Roach : Arc of Passion Stumbleine : The Night Before Dead Can Dance : Toward the Within Wardruna : Runaljold – Yggdrasil

Quels outils utiliser ? Les CD

La musique numérique

La musique dématérialisée au format MP3 (ou WAV pour une qualité optimale), reste le choix le plus pratique. Même si cette option implique d’avoir organisé ses dossiers en amont, vous y gagnerez en place et un simple ordinateur portable ou une tablette vous suffisent pour jouer.

1. Combrexelle Anthony, Americana, John Doe, Jouy-le-Moultier, 2015. 2. Detwiller Dennis Peter, Glancy Adam Scott, Tynes John, Delta Green, Pagan Publishing, Seattle, 1997. 3. Bousquet Charlotte, Henry Nicolas, Achéron, CDS Éditions, 2010. 4. Perrin Steve, Stafford Greg, RuneQuest, Chaosium, Oakland, 1978. 5. www.cdbaby.com

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Musique

Passer d’un disque à l’autre lors d’une partie exige de nombreuses manipulations et vous oblige à prévoir beaucoup de matériel. Le site CD Baby5 permet de trouver des albums rares, au format physique ou numérique. Le suivi d’envoi des CD est de qualité et les frais très raisonnables.

Quelques questions sur la musique numérique Étant donné que ce format est sans doute le plus pratique et le plus utilisé de nos jours pour sonoriser des parties, voici quelques points supplémentaires qui pourront vous être utiles. Comment acheter de la musique numérique ? Il existe nombre de sites légaux pour l’achat de MP3, l’un de mes préférés pour « chiner » et découvrir des groupes peu connus d’ambient ou de musique industrielle est Bandcamp1. Les prix sont plus qu’abordables, il est même possible d’obtenir des albums à partir de 0 euro. Son outil de recherche, couplé à ses suggestions bienvenues, permet de faire des trouvailles musicales alléchantes. Comment lire de la musique numérique ? Winamp offre la possibilité d’afficher non pas le temps écoulé sur un titre, mais celui restant avant sa fin. Ceci est très utile lorsque vous souhaitez vous servir de la musique lors de cinématiques (voir p. 305). Windows Media Player, iTunes ou MediaMonkey, avec leur principe de bibliothèque musicale intégrée, requièrent un peu de travail préparatoire, mais vous y gagnerez ensuite en temps et en énergie. Personnellement, j’ai tendance à varier les logiciels : j’utilise soit Winamp soit Windows Media Player, et je complète avec YouTube lorsque j’ai besoin de passer des titres que je n’ai pas dans ma collection. Comment éditer ou couper les morceaux ? Il est tout à fait possible de redécouper et de raccourcir des titres en format numérique. Il existe plusieurs logiciels qui le permettent assez facilement. On peut citer parmi eux Audacity2 ou MP3 TrackMaker3.

Les sites de streaming

Vous pouvez aussi utiliser des sites permettant de lire les titres en direct : YouTube, Dailymotion, Deezer, Spotify, SoundCloud pour ne citer que les plus connus. Pour les deux premiers, voici une astuce pour gagner du temps : copiez-collez les liens des différents morceaux sur un fichier texte, et cliquez au fur et à mesure de vos besoins à partir de cette liste. L’utilisation des sites en ligne implique d’avoir une connexion Internet stable pendant toute la partie et de se servir d’un logiciel de blocage des publicités comme Adblock, afin d’éviter ce genre de désagréments sonores. 1. https://bandcamp.com 2. Audacity.fr. Son tutoriel se trouve à cette adresse : http://www.tutoriels-animes.com/commentcouper-un-mp3.html 3. Logiciel gratuit disponible sur de nombreux sites de téléchargement légaux.

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Il vaut mieux privilégier la possibilité de faire ses listes à l’avance pour gagner en souplesse lors des parties ; de ce point de vue, Deezer et Spotify constituent les meilleurs choix. Vous pouvez également créer une playlist avec YouTube, mais cela implique beaucoup de manipulations préalables.

De l’utilité des bandes originales et de leur limite Un des premiers réflexes est de passer en continu des bandes originales (B. O. ou OST en anglais) de films, de séries, de jeux vidéo ou de dessins animés pour s’éviter de fastidieuses manipulations. Cela a l’avantage d’être simple, nombre de B. O. (voir le tableau page suivante) s’adaptent parfaitement aux univers qu’elles sonorisent, et conviennent donc aux JdR aux univers proches (science-fiction, horreur, médiévalfantastique et fantasy, western, etc.). Se servir d’une B. O. (intégralement ou pas) n’a pas que des côtés positifs. Certaines sont beaucoup trop variées dans leurs ambiances, et parfois même lorsqu’elles sont composées par une seule et même personne. Certaines autres peuvent être reconnues par les joueurs et conduire à des digressions qu’il faut canaliser. Pour cela, posez les choses en début de partie : « on joue, pour tout ce qui a trait à la musique, on peut en discuter en fin de partie ou lors d’une pause ». Vous pouvez également préciser : « il est inutile de dire que vous avez reconnu tel ou tel morceau, le but est de faire du JdR, pas un blind test ».

Mais il est bien sûr aussi possible de limiter l’usage des B. O. ou de passer par des titres peu connus. Utiliser la B. O. de Star Wars pour le jeu du même nom est utile quand on veut par exemple se rapprocher de l’histoire des films, mettre en scène des personnages connus ou des lieux vus au cinéma. Souvent, c’est même une forme de fan service qui fait plaisir à tout le monde (ce serait dommage de croiser Dark Vador ou de voir une démonstration de force de l’Empire sans entendre les premières notes de La Marche impériale). Mais même dans ce cas, le mieux est de préciser en préambule que vous allez puiser dans les titres de la B. O. Ainsi, pour jouer dans l’univers du Seigneur des anneaux, la B. O. des films est adaptée. Toutefois, elle reste difficile à utiliser à cause de la construction de certains morceaux et il faudra en tenir compte lors de la sélection des titres, plutôt que de la laisser tourner en continu.

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Musique

D’expérience, en expliquant d’emblée tout cela, vous éviterez la plupart des coupures et autres interventions intempestives d’experts musicologues.

Afin de vous servir d’inspiration, voici quelques exemples de B. O. classées par types d’univers. Univers

Exemple de jeu

Exemple de B. O.

Science-fiction

Eclipse Phase, Cyberpunk, Shadowrun

Horreur

Dark Heresy, L’Appel de Cthulhu

Monde des Ténèbres

Loup-garou1, Vampire

Western

Deadlands2

Médiévalfantastique, fantasy

Pathfinder, AD&D, RuneQuest

Pulp

Hollow Earth Expedition, Aventures dans le monde intérieur3, Leagues of Adventure4

M83 : Oblivion dans Aeon Flux Battlestar Galactica Mass Effect 1, 2 et 3 Deus Ex Wonderful Days Alien 1, 2, 3 et 4 Biohazard (Resident Evil) The Descent La colline a des yeux Shutter Island Entretien avec un vampire Van Helsing Underworld Dracula Le Bon, la Brute et le Truand Red Dead Redemption 3 h 10 pour Yuma True Grit Conan le barbare World of Warcraft Robin des Bois (version 2010) Kingdom of Heaven Game Of Thrones Jurassic Park La Momie Pirates des Caraïbes Rambo 4

1. Chupp Sam, Greenberg Andrew, Hatch Robert, Pass Geoff, Rein.Hagen Mark, Wieck Stewart, Williams Travis L., Witt Samuel R., Werewolf: the Apocalypse, White Wolf, Stone Mountain, 1991. 2. Forbeck Matt, Gorden Gregory, Hensley Shane Lacy, Hensley Michelle, Hopler John, Deadlands, Pinnacle Entertainment Group, Blacksburg, 1996. 3. Burgeas Vincent, Charpentier Elwin, Cheyrias Mikaël, Evrard Guy-François, Jambert Laurent, Lion Gauthier, Aventures dans le monde intérieur, La Boîte à Polpette, Moëlan-sur-Mer, 2009. 4. Wade-Williams Paul, Leagues of Adventure, Triple Ace Games, 2012.

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Ambiance ou scène précise ? La musique peut être utilisée pour installer une ambiance sur le long terme, en fond sonore, ou au contraire de façon beaucoup plus précise, le plus souvent le temps d’une scène. Une musique dite d’ambiance sera plus longue et aura pour vocation de tourner en fond sans que vous vous en préoccupiez, afin de mettre en place une atmosphère générale. Il vous suffit pour cela de vous demander quel type d’ambiance vous souhaitez installer (tension, angoisse, calme, action, épique), et de laisser tourner la playlist correspondante jusqu’à un changement d’ambiance. Vous trouverez dans le tableau p. 307-308 des exemples d’associations titre-ambiance.

Dans un cas comme dans l’autre, il faut choisir avec soin vos titres afin qu’ils correspondent au mieux à ce que vous voulez faire ressentir aux joueurs. N’hésitez pas à les tester : lancez le titre en question et fermez les yeux. Si, immédiatement, des images vous viennent, que tout prend vie et que vous visualisez la scène, c’est que votre choix est le bon. Avec le temps, ce travail sera automatique et immédiat. Pensez comme un réalisateur de cinéma qui se servirait de la musique pour mettre ses images mentales en valeur. Tarantino est un parfait exemple de ce qu’un MJ expérimenté pourrait faire en termes de sonorisation de parties. Par exemple, il n’hésite pas à jouer la carte du décalage si cela est nécessaire. Pensez à la fin du premier Kill Bill  : lorsque Beatrix Kiddo affronte O-Ren Ishii au katana lors d’un duel à mort dans un jardin japonais enneigé, le combat débute sur une reprise aux accents latino-américains de Don’t Let Me Be Misunderstood, ce qui constitue un choix audacieux. Que vous essayiez de mettre en place une ambiance ou sonorisiez une scène précise, on ne peut prédire la durée d’une séquence : peut-être que la scène précise pour laquelle vous avez prévu ce morceau ne va pas durer dix minutes mais deux heures, ou que l’ambiance angoissante mise en place au début de la partie va finalement se prolonger toute la séance. Il faut donc souvent passer un titre en boucle, en le répétant. Il convient alors de vérifier au préalable que le titre « supporte la boucle », c’est-à-dire qu’il puisse être répété sans que cela choque les oreilles des joueurs et finisse par les lasser. Si vous n’aimez pas trop répéter les morceaux, vous devrez au préalable en choisir plusieurs pour une même ambiance ou une même scène.

1. DiTillio Larry, Willis Lynn, Masks of Nyarlathotep, Chaosium, Oakland, 1984.

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Sonoriser une scène nécessite en général d’utiliser des morceaux ayant une durée plus courte, le plus souvent prévus. Ce peut être une rencontre avec un PNJ, la visite d’un lieu-clé, la découverte d’un cadavre ou d’un indice, un combat, etc. Vous trouverez dans le tableau concernant Les Masques de Nyarlathotep1 p. 311 des exemples de musiques adaptées à des scènes précises, ainsi que des conseils plus spécifiques dans la section « Action, opposition, tension, narration » p. 306.

Il est toujours mieux de pouvoir tester ce genre de choses avant la partie, mais une fois votre bibliothèque musicale construite (voir p. 310), cela ne vous prendra que quelques instants. Lorsque vous préparez votre liste de titres, vous devez décider que tel morceau illustrera tel type d’ambiance ou telle scène précise. L’idéal est d’avoir créé des dossiers par types d’ambiances, et d’autres classés par genres musicaux. Cela sera plus facile pour « piocher » dedans au pied levé, mais cela ne sera pas toujours suffisant. Alors, comment faire ? Il n’y a pas de secret, jouer en musique nécessite de la préparation et donc d’écouter régulièrement des morceaux qui peuvent être utilisables en partie. Cela peut passer par des discussions avec d’autres MJ, ou par la lecture de sujets dédiés sur certains forums tels que Casus No, Antonio Bay, le SDEN, la Cour d’Obéron, Vox Ludi, etc., voire même sur ceux d’un éditeur ou d’un jeu spécifique. Dans le cas de certains scénarios du commerce, l’auteur fournit une liste de titres musicaux de référence. Anthony Combrexelle l’a très bien fait sur Americana, par exemple. Plus rarement, certains jeux ont même une B. O. officielle comme 13th Age1 ou Trail of Cthulhu.

Les thèmes musicaux Vous pouvez affiner la mise en musique de vos parties en déterminant un titre pour tout ce qui a de l’importance et qui revient plus ou moins régulièrement : les PJ, les PNJ majeurs, les lieux essentiels, certains types d’évènements. Tout cela est particulièrement pertinent dans le cadre d’une campagne, où certains éléments (PNJ, lieux marquants) pourront être récurrents sans pour autant lasser. Quand je souhaite mettre en avant un PNJ important, je me sers par exemple du titre The Count of Monte Cristo, extrait de la B. O. d’Old Boy. Rien de tel que The Writing on My Father’s Hand de Dead Can Dance pour l’arrivée d’un personnage féminin ambigu à la beauté ineffable. Dans le même ordre d’idées, un puissant PNJ de Vampire pourrait par exemple être accompagné par Pompeii d’E.S. Posthumus. Pour les PJ, il est même possible de faire appel à vos joueurs : à eux de trouver, en restant raisonnable et raisonné, la musique qui correspond le mieux à leur personnage. Un jeu comme C.O.P.S., à la fois parce qu’il est proche de notre quotidien, mais aussi parce qu’il regroupe des protagonistes d’horizons très variés, se prête particulièrement à ce genre de pratiques, et il est très loin d’être le seul. Comment se servir des thèmes des PJ ?

1. Heinsoo Rob, Tweet Jonathan, 13th Age, Pelgrane Press, Londres, 2013.

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Il existe plusieurs possibilités : • en début de campagne quand les PJ se rencontrent et se présentent ; • quand un PJ est au centre d’une scène ; • quand un PJ a son moment de gloire ; • quand un PJ est dans la panade ; • quand un PJ meurt. Veillez toutefois à ne pas abuser du thème du PJ et à ne l’utiliser que pour les moments très forts, quels qu’ils soient.

Les cinématiques Derrière ce nom, je désigne des scènes narrées presque uniquement par le MJ. Lors de celles-ci, la musique peut être utilisée de plusieurs façons, mais elle sert presque toujours de repère temporel, venant rythmer ou encadrer ce qui se passe en jeu. Voici quelques exemples : • on peut faire correspondre une description simple ou interactive à la durée d’un titre donné. Dans le second cas, les personnages ont une certaine latitude, dans le premier ils sont simples spectateurs. Pour un résultat optimal concernant les descriptions simples, je ne peux que vous encourager à répéter avec le titre choisi pour être certain que l’ensemble corresponde parfaitement ;

• on peut se servir de la musique comme d’un chronomètre pour mettre la pression sur les joueurs et leurs personnages. Ce procédé est utilisé par certains MJ afin de conférer du relief à une scène pour la rendre plus marquante. Il convient de ne pas en abuser pour en conserver tout l’impact, et, sauf dans le cas des descriptions simples, de ne pas laisser les personnages trop spectateurs de ce genre de scènes, prévoyez des moments où ils pourront intervenir. Lors du scénario La Montre à remonter le temps pour La Brigade chimérique1, j’ai utilisé le titre Aqua Vitae de Future World Music pour sonoriser l’arrivée des PJ en dirigeable à Londres. Je leur ai décrit la ville en rythme, accélérant mon débit en même temps que le morceau gagnait en intensité, ajoutant de plus en plus de détails : j’ai commencé par une description globale de la ville, avec ses éléments importants comme Big Ben, la Tamise, puis je me suis attardé sur les détails comme les quais, les grues, les dockers en train de décharger, pour finir exactement au moment de l’atterrissage sur le toit d’un immeuble. 1. D’Huissier Romain, Favre Willy, Devernay Laurent, Heylbroeck Julien, Treille Stéphane, La Brigade chimérique, Sans-Détour, Oyonnax, 2010.

305

Musique

• on peut faire correspondre une action ou un combat à la durée d’un titre donné : à la fin de ce dernier, l’action ou le combat s’arrête ;

De prime abord, on peut émettre quelques réserves quant au fait de laisser les PJ spectateurs. C’est aussi pour cela qu’il existe des cinématiques plus interactives comme décrites plus haut. En outre, le fait que les PJ ne puissent agir peut devenir un véritable ressort dramatique, qui fait gagner en cohérence : ils restent cois face à un spectacle effrayant ou au contraire fabuleux, sont dans une position où ils ne peuvent agir directement, attendent que quelque chose ait fini de se produire ou que ce soit le moment opportun pour agir, etc. Grâce aux cinématiques, vous amenez une dimension supplémentaire à vos scénarios. La sensation d’immersion est plus intense et le lien entre les émotions des personnages et celles des joueurs n’en devient que plus fort. Parfois, il est plus important de se concentrer sur ce que les joueurs ressentent que sur les décisions qu’ils prennent. C’est une des grandes valeurs ajoutées que peut apporter la musique autour d’une table, elle contribue à renforcer ce lien pour rendre certaines scènes particulièrement mémorables.

Action, opposition, tension, narration Parmi les autres techniques efficaces, il est souvent très utile de varier la mise en musique en fonction de ce qu’il arrive aux personnages. On peut notamment identifier les quatre types de moments suivants dans une partie, comme autant d’ambiances sonores possibles : action, opposition, tension et narration. En effet, les PJ peuvent : • agir, calmement ou pas (action) ; • se battre (opposition) ; • subir une pression ou une tension particulière (tension). Vous pouvez aussi être en train de décrire1 (narration) : • un lieu ; • un cadre ; • un personnage. Pour toutes ces situations, comme là non plus on ne maîtrise pas la durée de la séquence, il est sans doute plus adapté de passer un titre en boucle ou d’enchaîner deux ou trois morceaux du même album et ayant une certaine cohérence. Pour les scènes courtes et intenses, vous pouvez puiser dans les nombreux titres créés par des groupes spécialistes des bandes-annonces et des morceaux rythmés ou effrayants comme, notamment, Audiomachine, Two Steps from Hell, X-Ray Dog, Immediate Music, Future World Music, Scoring Audio Geeks, etc. 1. À ce sujet, consultez également l’article « Décrire », p. 109.

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Même si ce n’est pas notre premier réflexe, et sans doute parce que ce n’est pas notre premier réflexe, il ne faut pas hésiter à jouer le décalage, par exemple en mettant de la musique électronique pour une scène de combat dans un univers médiéval-fantastique ou de l’entre-deux-guerres. Il est difficile de savoir à l’avance si ce genre de décalage va déconnecter les joueurs de la partie ou si au contraire il va singulariser une scène et contribuer à la rendre particulièrement marquante : c’est à vous, MJ, d’expérimenter, de tester, et surtout de sentir votre table et l’ambiance de l’instant. À titre d’exemple, on citera à nouveau la scène de duel de Kill Bill entre Beatrix Kiddo et O-Ren Ishii, mais aussi celles, ultra-violentes, d’Orange mécanique sur fond de Beethoven. De mon expérience, il faut laisser parler ses envies, avoir pris la température de la table et accepter de sortir des sentiers battus pour la surprendre. Rien de tel qu’un titre industriel pour déconcerter des joueurs de L’Appel de Cthulhu ou d’Achéron. Et à l’inverse, un peu de Mozart ou de Chopin durant une partie d’Eclipse Phase ou de Shadowrun peut donner un cachet réellement unique à une scène autrement ordinaire. Le plus simple reste toutefois de choisir des morceaux adaptés au jeu et à l’univers, et de réserver ce décalage à quelques scènes fortes, quitte à avoir un plan de secours si, une fois le moment venu, cela vous semble trop risqué.

Type de scène Action Action

Jeux envisagés Pathfinder, Luchadores L’Appel de Cthulhu

Titres proposés Apollon’s Quill : Asklepios Subheim : December

Action

Capharnaüm

Two Steps from Hell : Shoot to Kill

Action épique Action musclée, fuite Ambiance sombre Arrivée d’un PNJ imposant Arrivée d’un PNJ important

Vampire Z-Corps1 Crimes2, Maléfices

Epic Score : Witch Hunt X-Ray Dog : Crime Yen Pox : Descent Phil Rey : Entrance of the Gladiators Two Steps from Hell : Freedom Fighters

Combat héroïque Combat

AD&D, Pathfinder Vampire Pathfinder, Brigade chimérique Brigade chimérique, L’Appel de Cthulhu

Immediate Music : Redrum OST Visions of Escaflowne : Dance of Curse

1. Favre Willy, Neko, Valla Kristoff, Z-Corps, Le 7éme Cercle, Anglet, 2010. 2. Chaudier Christophe, Lefebvre Yann, Crimes, Caravelle, La Fare-les-Oliviers, 2006.

307

Musique

Afin de vous aider à mieux comprendre ce que l’on peut passer comme titre en fonction de ce qui arrive en jeu, voici un tableau avec quelques morceaux que j’aime utiliser en partie. Ils restent assez faciles à trouver, même si j’ai également essayé d’en proposer de moins connus.

Combat

Delta Green

Combat

Shadowrun

Combat

Agone1

Combat épique

Loup-garou

Enquête

Delta Green

Infiltration

James Bond

Infiltration Narration calme Narration calme Narration calme Narration calme

C.O.P.S. Eclipse Phase Divers Capharnaüm Scion2

Narration triste

Polaris

Narration angoissante Narration angoissante Narration angoissante Narration sombre Stress intense Tension

Vampire

X-Ray Dog : Overdrive OST Devil May Cry 2 : Faithful Servant (Furiataurus Battle) E.S. Posthumus : Tikal Immediate Music : Vengeance (avec les chœurs) OST Les Rivières pourpres : La Bibliothèque OST Assassin’s Creed 2 : Approaching Target 1 OST Metal Gear Solid : Intruder 1 8Dawn : Lux Deos Max Corbacho : Pilar Ascension Eudardo Tarilonte : Ancient Egypt OST Avatar : Night Iridescence Adrian von Ziegler : Enlighten my Soul Una Voice, Chandra Jade Shankar : Hearts of Darkness Part 1

L’Appel de Cthulhu

Musica Cthulhiana : Madness

Polaris

Brian Eno : Belgian Drop

L’Appel de Cthulhu Warsaw3 Dark Heresy

Cousin Silas : H. P. Lovecraft Oz Karasu : Nova Immediate Music : Fatal Vision OST Clash of the Titans : Release the Kraken Ost Predator : Camouflaged Dead Can Dance : The Host of Seraphim

Tension

7th Sea

Tension

Divers

Tristesse, mélancolie

Divers

1. Benoit David, Célerin Sébastien, Gaborit Mathieu, Lerin Jean-Rémy, Lullien Jean-Baptiste, Marsan Stéphane, Spinat Xavier, Weil Frédéric, Agone, Multisim, Paris, 1999. 2. Achilli Justin R., Alexander Alan, Bowen Carl, Bridges Bill, Chambers John, Lee Michael B., Schaefer Peter, Stewart James, Watt Andrew, Scion, White Wolf, Stone Mountain, 2007. 3. Favre Willy, Heylbroeck Julien, Warsaw, John Doe, Jouy-le-Moultier, 2009.

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Des bruits et des bruitages : MP3, morceaux, logiciels d’ambiance En complément des morceaux de musique, il est également possible d’ajouter de temps à autre des sons et autres bruitages. Ce procédé est particulièrement efficace pour effrayer ou stresser les joueurs, et donc pour accentuer les scènes de tension. Il a le mérite de surprendre vos joueurs. Ainsi, lors d’une partie de Patient 131, diffuser des bruits de pas ou de portes qui grincent peut amener une crispation certaine. De plus, même si c’est plus anecdotique, il peut également servir à ritualiser certains événements se produisant en jeu, comme la présence de certains types de créatures ou l’invocation de certains sortilèges. Pour trouver de tels sons, vous pouvez utiliser des CD de bruitages déjà préparés ou vous rendre sur des sites spécialisés. Dans les deux cas, c’est un domaine où vous devrez probablement passer du temps à faire du tri avant de dénicher ce qui vous convient. Quoi qu’il en soit, il existe sur le Net de nombreux fichiers MP3 gratuits ou payants où l’on peut dégoter des hurlements, des bruits de tirs ou d’explosion, des pas sur du carrelage, etc. • http://www.universal-soundbank.com/ • http://lasonotheque.org/ • http://www.sound-fishing.net/

En ce qui concerne les logiciels spécifiquement dédiés aux bruits d’ambiance, j’ai coutume d’utiliser Atmosphere Lite2. Comme son nom l’indique, c’est un logiciel très léger qui permet de personnaliser une bande-son à partir d’une ambiance de base pour obtenir, par exemple, les craquements du bois la nuit autour d’un feu de camp. On peut également citer Scene Sound3 qui est souvent plébiscité par les MJ, car il gère à la fois les ambiances et les sons comme les bruitages. Évidemment, les bruitages sont tout à fait adaptés aux jeux d’ « ambiance » : L’Appel de Cthulhu, Patient 13, Maléfices, Achéron pour ne citer qu’eux, mais quelques sons bizarres dans un scénario de Warhammer ou Cyberpunk peuvent contribuer à faire frissonner la table comme à installer d’autres types d’atmosphères. Car là aussi, même si les parties d’épouvante se marient particulièrement bien aux accompagnements sonores, c’est aussi le cas des autres types de jeux moyennant une préparation adaptée. 1. Combrexelle Anthony, Patient 13, John Doe, Jouy-le-Moutier, 2007. 2. Disponible à cette adresse : http://atmosphere-lite.fr.softonic.com/ ou à celle-ci : http://www.clubic. com/telecharger-fiche122346-atmosphere-lite.html 3. Disponible sur ce site après inscription : http://scenesound.cyclobster.com/default.aspx

309

Musique

Pour les diffuser pendant la partie, vous pouvez utiliser votre logiciel habituel ou en lancer un second pour mixer bruits et musiques.

Gérer sa bibliothèque musicale, préparer ses parties Il n’y a pas de secrets, constituer votre bibliothèque sonore vous prendra plus de temps que de monter un meuble suédois. Soyez patient, prenez le temps, écoutez ici et là ce qu’il se fait puis, une fois la musique sur votre ordinateur, créez des dossiers, utilisez des logiciels comme iTunes ou MediaMonkey pour les classer. Choisissez de grands thèmes, des types d’ambiances et ensuite, au fur et à mesure que vous remplissez vos dossiers, augmentez la taille de votre bibliothèque. Si vous préparez une campagne, piochez dans vos titres et constituez un dossier spécifique par scénario. Une astuce simple consiste à renommer les titres en fonction de l’usage que vous allez en avoir : ambiance précise, scène précise, rencontre avec un PNJ important. • Avantage de cette méthode : on s’y retrouve facilement le moment venu. • Inconvénient : cela prend beaucoup de temps. Pour le classement global, le mieux est de faire de grands dossiers par type d’ambiances, par type de scènes voire même par genre de JdR. • Avantage de cette méthode  : on trouve rapidement des fichiers, quelles que soient les actions des PJ (y compris les plus farfelues et insoupçonnables). • Inconvénient : il faut des heures de travail pour classer les titres dans les dossiers adéquats. Il est également possible, et c’est ainsi que je procède, de laisser les titres classés par OST et artiste compositeur pour aller piocher dedans au fur et à mesure. Cela implique d’avoir beaucoup écouté les différents albums pour trouver facilement les titres adaptés. • Avantage de cette méthode : elle requiert peu de temps en amont pour le classement. • Inconvénient : il faut parfaitement connaître tous ses albums pour ne pas se perdre lors de la préparation de la partie ou se retrouver bloqué durant cette dernière.

CONCLUSION Nous les geeks, et moi comme les autres, avons tendance à collectionner tout ce qui peut l’être. Pourtant, il n’est pas utile de disposer de milliers de morceaux pour pouvoir sonoriser vos parties. Le mieux étant souvent l’ennemi du bien, si vous multipliez vos titres à l’excès, vous risquez d’en oublier la plupart. Faites simple. Pour une partie de six à huit heures, une bonne vingtaine de titres peuvent suffire, surtout s’il s’agit de vos premiers essais musicaux. Vous serez toujours à temps d’en ajouter ou d’inclure des bruitages par la suite.

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Scènes & ambiances

Morceau

Générique, début

Subheim : December

Générique de fin

Adrian von Ziegler : Enlighten my Soul

Combat héroïque

Immediate Music : Redrum

Combat violent

OST Devil May Cry 2 : Faithful Servant (Furiataurus Battle)

Course-poursuite

OST Sleepy Hollow : The Church Battle

Course-poursuite (suite)

OST Sleepy Hollow : The Final Confrontation

Course-poursuite, action

Epic Score : Honorable Objective

Enquête qui débute

Steve Roach & Byron Metcalf : Offering in Waves

Enquête calme

Steve Roach : Moment of Grace

Enquête, frisson

OST Les Rivières pourpres : La Bibliothèque

Exploration, suspense

OST Casshern : Scene #14

Frisson

Yen Pox : Purgatorio

Fuite rapide

X-Ray Dog : Crime

Narration calme

Steve Roach & Vidna Obmana : The Gathering

Narration calme, suite

OST Deus Ex Human Revolution : Det1 Marketplace Ambient

Narration, suspense

Steve Roach : Fever Pulse

Stress

OST Deux Ex Human Revolution : Picus Get to Finicular Stress

Tension

OST Predator : Camouflaged

Tristesse

OST The Expendables : Confession

La chambre 410

Dead Can Dance : The Host of Seraphim

La boutique de l’horreur

Immediate music : Living in Fear

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Musique

Pour vous donner un exemple, voici une bande-son adaptée au scénario new-yorkais des Masques de Nyarlathotep.  À titre indicatif, j’ai passé environ deux heures pour la construire, mais comptez un petit peu plus si vous ne connaissez pas bien vos morceaux.

Ah, et n’oubliez pas : le silence est aussi de la musique. Alors n’hésitez pas à surprendre vos joueurs en coupant le son pendant un moment de tension, par exemple. Lors de ma première partie de Patient 13, j’ai commencé sans un son pour faire ressortir l’impression de perdition des personnages, puis j’ai seulement mis des bruits de pas et de portes qui claquent. Quand les PJ se réveillent dans un lieu inconnu quels que soient les scénarios, il est courant qu’il n’y ait pas un son jusqu’à ce que les personnages aient réellement retrouvé leurs esprits. C’est une méthode vivement conseillée, par exemple pour le flash-forward au début du scénario Moonlighton Vermont pour Dés de sang, Director’s Cut Edition1. Vous venez de lire quelques astuces pour sonoriser vos parties. Que vous en connaissiez déjà l’essentiel ou pas, il vous faut désormais passer à l’étape suivante  : multipliez les échanges avec les autres MJ pour enrichir votre culture musicale, découvrir de nouveaux artistes, de nouvelles utilisations de titres parfois connus que l’on n’ose pas diffuser. Bref, il est temps d’expérimenter ! Qui aurait pu dire avant d’essayer que faire jouer une course-poursuite de zombies avec la musique de Benny Hill marcherait ? Et pourtant, je l’ai vécu en tant que joueur et la table avait adoré. Il ne faut pas avoir peur de se lancer et de prendre chez les autres ce qui vous plaît. C’est comme cela que vous progresserez. Et là, une fois le mur du son franchi, vous vous demanderez comment vous avez pu vous passer de ce média d’une richesse infinie, et vous prendrez un plaisir nouveau à écouter de la musique, à noter pour tel ou tel titre une utilisation potentielle dans un scénario. Bref, cela risque de changer votre vision du JdR mais aussi, plus globalement, de la musique.

1. Devernay Laurent, Dupont Willy, Finet Romuald, Dés de sang, Pulp Fever Éditions, Le Haillan, 2011.

Fiche de synthèse Quelle est l’utilité de la musique en JdR ? Favoriser l’ambiance. Favoriser l’immersion. Souligner des actions. Mettre en valeur des scènes ou des personnages. Quels sont les pièges à éviter ? Donner trop d’importance à la musique. Ne pas réussir à gérer les manipulations durant le jeu. Contraindre les joueurs pour que leurs actions correspondent à la musique prévue. Ne jamais la couper et minimiser son impact. Faire correspondre genre musical et fictionnel Bonne façon de débuter. Profiter d’albums entiers déjà compilés. Quels outils utiliser ?

La musique numérique : • se la procurer (https://bandcamp.com) ; • la lire (iTunes, MediaMonkey, Winamp, Windows Media Player) ; • l’éditer (Audacity, MP3 TrackMaker). Les sites de streaming. De l’utilité des bandes originales et de leur limite Pour limiter les manipulations. Pour avoir un accompagnement adapté. Pour se rapprocher d’une œuvre originale en cas d’adaptation préexistante. Mais elles peuvent être connues des joueurs.

313

Musique

Les CD.

Sonoriser une ambiance ou une scène précise ? Sonoriser une ambiance nécessite des morceaux longs pouvant être passés en boucle sans monopoliser l’attention du MJ. C’est souvent plus facile à préparer et à animer. Inversement, sonoriser une scène précise implique de prévoir un plus grand nombre de morceaux plus courts et de mieux les connaître. Le résultat est généralement bien plus efficace, par exemple en permettant davantage d’effets, mais le temps de préparation, puis de manipulation durant la partie, s’en trouve logiquement accru. Dans les deux cas, assurez-vous que les morceaux ou sélections choisis supportent la boucle et préparez des bibliothèques adaptées. Les thèmes musicaux Un thème est un morceau systématiquement associé à un élément du jeu (PJ, PNJ, lieu, type d’événement), de façon à créer une association dans l’esprit des joueurs. Ce procédé est d’autant plus efficace en campagne. Même s’ils sont à réserver aux moments forts, les thèmes de PJ peuvent notamment être utilisés en début de campagne quand : • les PJ se rencontrent et se présentent ; • quand un PJ est au centre d’une scène ; • quand un PJ a son moment de gloire ; • quand un PJ est dans la panade ; • quand un PJ meurt. Les cinématiques Les cinématiques sont des scènes presque uniquement narrées par le MJ. En parallèle aux autres fonctions détaillées plus haut (ambiance, genre, etc.), la musique y sert principalement à marquer le passage du temps. Par exemple : • on peut calquer la durée d’une description sur celle d’un titre donné ; • on peut faire de même avec un combat ou toute autre scène plus interactive ; • on peut se servir de la musique pour signifier un compte à rebours. Action, opposition, tension, narration Identifier les phases d’action, d’opposition, de tension et de narration. Prévoir des titres pouvant correspondre à ce type de phases et s’enchaîner. Utiliser des morceaux d’ambiance ou liés à l’univers, puis basculer sur ces titres pour insister sur certaines scènes spécifiques. Ne pas hésiter à jouer avec le décalage le cas échéant.

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Des bruits et des bruitages Très efficace (surprise, horreur), mais nécessite énormément de préparation. S’adapte aux éléments de jeu à ritualiser (sorts, créatures, etc.). CD de bruitages. Sites gratuits. Logiciels spécialisés (Atmosphere Lite, Scene Sound). Gérer sa bibliothèque musicale, préparer ses parties Fonctionnalités incluses dans de nombreux logiciels. Plusieurs méthodes de classement : • lentes mais efficaces : par scénario, par type d’ambiance, etc. ; • rapides mais confuses : par artiste, par album, etc. Derniers conseils Ne multipliez pas les titres dans votre bibliothèque. Ne multipliez pas les titres dans vos playlists.

Musique

Ne négligez pas le silence.

Passer du scénario à la campagne



Olivier Caïra

L

Vos joueurs viennent de passer un excellent moment. Vous savourez l’aboutissement de vos efforts de MJ… quand vous entendez  : «  Bon, quand est-ce qu’on joue la suite ? », le problème est que Terreur sur le Michigan Queen est un scénario one shot, et que vous n’avez aucune idée de la suite à lui donner… Que faites-vous ?

Dire « Oui » et voir ensuite : la méthode QESOM Le JdR a été conçu dès ses origines pour être pratiqué en campagne, et ne jouer que des scénarios distincts revient à se priver d’un des grands plaisirs de ce loisir : la narration longue associée à la prise d’expérience, c’est-à-dire l’évolution technique 317

CAMPAGNE

e soleil se lève sur le lac Michigan. Un groupe de courageux investigateurs, dont une journaliste grièvement blessée et un détective en état de choc, quittent en chaloupe un navire en proie aux flammes. Aux odeurs de bois et de carburant se mêle le parfum entêtant du Rye, le whisky canadien que la pègre achemine à prix d’or vers Gary et Chicago. Le combat contre les contrebandiers, alliés à des abominations venues des profondeurs, a été terrible. Ce n’est qu’  in extremis que les aventuriers ont sauvé des flammes le manuscrit que brandissait la mystérieuse Meredith en invoquant les horreurs du lac. Au même moment, sur la base de photos remises par la journaliste, la police de Chicago interpelle le parrain local, Giancarlo Scarafaggio, au saut du lit.

et psychologique des PJ. Donc si vos joueurs réclament une campagne à l’issue d’un scénario réussi, commencez par fixer une date avec eux, la deadline étant le meilleur moteur de la créativité. Ensuite, reprenez votre premier scénario et les notes écrites au fil du jeu, et lancez-vous. La méthode QESOM (Questions En Suspens, Oui Mais) aide à bâtir une suite à partir des grandes composantes de la première aventure. Recenser les questions en suspens

Première étape : envisagez la partie qui vient de s’achever comme s’il s’agissait d’un épisode de série, en vous référant à vos attentes de lecteur ou de spectateur. Certes, le parrain est derrière les barreaux et le navire des contrebandiers a brûlé, mais si l’on se projette vers le prochain épisode, d’autres éléments vont permettre à l’intrigue de rebondir. Certains groupes discutent spontanément de cela en fin de partie, avec des commentaires qui peuvent vous fournir des pistes de développement précieuses : « Je suis sûre que Meredith n’est pas morte ; personne n’a vu son corps » ou « Scarafaggio en taule… ça va pas durer : il doit avoir des dossiers sur tout Chicago ! » Si ce n’est pas le cas de vos joueurs, lancez la discussion, de vive voix ou en ligne, par des questions très ouvertes (la liste n’est bien entendu pas exhaustive) : • « d’après vous, qui va réagir à ce qui vient de se passer ? » Le groupe vous dresse ainsi la liste des acteurs pertinents de votre prochain épisode : la police, la presse, les hommes de Scarafaggio, les autres groupes criminels de la région, les créatures du lac, Meredith et ses complices ; • « comment voyez-vous la situation évoluer dans les prochains jours ? » Votre groupe fait « vivre » le monde fictionnel en fonction de ses propres anticipations : Scarafaggio s’évade, un flic curieux enquête sur l’origine des photos, l’épave du Michigan Queen est découverte avec d’étranges cadavres calcinés à son bord, une guerre des gangs débute, etc. ; • « pour vous, quels sont les autres obstacles à surmonter, les autres adversaires à vaincre pour résoudre le problème ? » Les joueurs vous indiquent ce qui leur semble prioritaire : est-ce plutôt la lutte contre la pègre, l’infestation du lac Michigan par des humanoïdes aux allures de batraciens ou la circulation de livres renfermant des savoirs maléfiques ? ; • « qu’est-ce que votre personnage et vous-même retirez de cette aventure ? Qu’est-ce que cela va changer dans la vie de votre personnage ? » Chacun vous explique plus en détail pourquoi le scénario lui a plu et ce qui le motive à poursuivre l’aventure. C’est le moment de prendre des notes ou d’enregistrer ce qui va se dire. Les joueurs vous livrent une brassée d’idées, parmi lesquelles vous devrez choisir et surtout modifier ce qui vous paraît le plus en phase avec leurs attentes. Vous pouvez également choisir de répondre à toutes ces questions en solitaire : vous vous privez du brainstorming amené par la discussion collective, mais vous conservez un rôle

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d’auteur plus exclusif de la campagne. Vous aurez le bénéfice de la surprise, mais le risque de passer à côté de ce qu’ils ont aimé dans le premier épisode. Sélectionner et tordre les idées : la règle du « oui, mais… »

Vous avez recensé une série d’anticipations, d’acteurs principaux, d’enjeux et de centres d’intérêt pour mettre en place votre prochain épisode. Mais si vous remployez directement les réponses de vos joueurs lors de la session de jeu suivante, ils auront le sentiment de s’être gâché le plaisir. De plus, ils risquent de vous voir comme simple miroir de leurs réflexions et non comme scénariste de leurs aventures. Si, en revanche, vous apportez toujours une inflexion personnelle, vous les suivrez en termes d’intérêt narratif mais vous les précéderez en termes de créativité. Mettons qu’ils prédisent l’évasion de Scarafaggio. C’est un développement prévisible : la police et la justice de Chicago étant sous influence des milieux criminels, vous pouvez dire « oui » à un rebondissement sur le thème « Scarafaggio en prison ». Maintenant, ajoutez un « mais… » et faites en sorte qu’il arrive autre chose qu’une évasion, mais toujours en lien avec l’idée que l’arrestation ne signifie pas la fin de l’intrigue liée au parrain : Scarafaggio est blessé par un codétenu, son épouse contacte les PJ pour leur faire des révélations, toute la prison se mutine, l’inspecteur qui l’a arrêté est retrouvé pendu, etc. En revanche, si personne ne s’intéresse plus à Scarafaggio lors de la discussion, oubliez-le aussi : c’est une branche morte de votre campagne en devenir. Si votre groupe s’intéresse davantage aux Profonds qui prêtaient main-forte aux mafieux, « oui » le thème d’une infestation du lac Michigan devient pertinent, « mais… » la suite des événements va par exemple les conduire en amont ou en aval : à vous de décider si les monstres ont pris pied sur les immensités rurales des Grands Lacs de l’Ouest ou s’ils essaiment à l’est le long du Saint-Laurent, voire jusqu’à Québec et Montréal.

La méthode QESOM permet de passer d’un épisode à sa suite en respectant les principales attentes des joueurs. Elle peut être employée à chaque étape de la campagne. Mais scénariser ne se résume pas à mettre en forme les anticipations du groupe et les réactions des PNJ aux événements déclenchés par les PJ. Passer du scénario à la campagne, c’est aussi raisonner en termes de méta-intrigue 1, c’est-à-dire penser aux thèmes centraux de la campagne et à la « grande histoire » qui se dessine au fil des épisodes. Il faut donc également « partir de la fin » pour avoir une idée, même vague, de ce vers quoi va tendre l’ensemble de l’aventure. 1. Traduction du terme anglais metaplot, qui peut correspondre à l’évolution de l’univers au sein des divers suppléments d’une gamme. Il est ici employé pour désigner l’intrigue globale d’une campagne par opposition à celles de chaque scénario.

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CAMPAGNE

Penser à long terme, écrire à court terme

Inutile de planifier ni d’écrire les épisodes trop à l’avance, en suivant le modèle souvent rigide des campagnes éditées : vous gagnerez en temps et en réactivité si vous écrivez vos scénarios au fil du jeu. Les grands schémas et caractéristiques de campagne

Pour éviter d’avancer à l’aveuglette, commencez par choisir un grand type de campagne parmi les suivants : • accomplir une quête : il s’agit classiquement d’aller trouver le trésor sous la montagne, le Graal, les trois fragments de la couronne brisée, ou simplement le magot du parrain, et d’en revenir plus riches, plus érudits, plus puissants… ; • contrecarrer un plan maléfique : un groupe conspire à bouleverser l’ordre du monde. Les autorités, ignorantes, indifférentes, complices ou dépassées, ne réagis­ sent pas. Seuls les PJ se dressent face au danger ; • enrayer un processus : contrairement au plan, le processus n’est pas intentionnel mais il est auto-entretenu. Sa forme classique est l’épidémie, qui lance une course contre la montre et oblige souvent à voyager, enquêter, parlementer… ; • résoudre une énigme : démasquer un cambrioleur, un lycanthrope ou un tueur en série, élucider la disparition d’un galion ou d’un astronef, innocenter un proche… les PJ ont pour mission principale de dévoiler la vérité ; • faire basculer un rapport de force entre camps antagonistes : suivant un schéma moins manichéen que les précédents, il peut s’agir de négocier les termes d’une paix, de s’imposer dans un milieu conflictuel… ou de s’assurer que l’on finit dans le camp des vainqueurs ; • survivre à une menace : les PJ sont malades, enfermés, traqués, empoisonnés, maudits ou piégés dans un autre monde, et doivent tout faire pour trouver comment se tirer de ce mauvais pas. Définissez ensuite les caractéristiques qui vous donneront un aperçu global de votre campagne : • statique (découverte approfondie de Chicago et sa région) ou mobile (Chicago, Vancouver, le bush australien, le Vanuatu, R’lyeh…) ? • avec ou sans pression temporelle (rien n’interdit d’espacer des épisodes de campagne de plusieurs mois ou années, voire d’intercaler des scénarios sans lien avec la métaintrigue entre deux épisodes, surtout si vos PJ sont des « professionnels » de l’aventure) ? • orientée vers quels grands genres fictionnels (la suite donnée au Michigan Queen peut avoir une dominante pulp, horreur, policière, voire espionnage ou science-fiction) ? • à environnement social dense ou clairsemé (concrètement, combien de PNJ créer, mettre en scène et mémoriser) ? 320

Ces questions simples vous permettent d’anticiper le travail à fournir pour vous documenter, créer les personnages, les chronologies et les lieux de l’action. Toutes les campagnes n’ont pas l’ambition éditoriale des Masques de Nyarlathotep : mieux vaut créer une campagne statique offrant des situations de jeu intéressantes et variées que de succomber sous le fardeau d’une préparation trop exigeante. Ramifications et faces cachées

Une fois ces grands choix accomplis, donnez substance à votre méta-intrigue en lui cherchant des liens avec ce qui a déjà été joué dans votre one shot, puis dans chaque épisode. Après chaque partie, dressez des schémas ou prenez quelques notes sur les ramifications possibles des grands éléments de l’aventure, qu’ils aient figuré ou non dans votre scénario initial : • ramifications spatiales : quelle est l’implantation géographique de cet élément ? Une mafia peut dominer un seul quartier ou plusieurs métropoles. Des créatures surnaturelles peuvent exister par delà les plans. Une maladie peut avoir différents foyers infectieux. L’occultiste un peu fou que vous avez improvisé lors d’une scène de recherche en bibliothèque peut avoir observé une infestation de Profonds similaire à celle du Michigan en Écosse ou en Afrique centrale ; • ramifications temporelles : quel est le passé et le futur de vos éléments ? Si l’infestation du lac par les Profonds a commencé lors de la guerre de Sécession, les PJ pourront en trouver des traces sous forme d’archives, de portraits ou de témoignages. Si la piste de la sorcière Meredith semble s’arrêter à un orphelinat de Providence, comment expliquer que l’on retrouve son portrait craché dans une peinture du xviiie siècle ? Pourquoi le prochain solstice d’hiver est-il marqué d’une croix sur plusieurs calendriers et agendas trouvés durant l’enquête ?

Si l’exercice ne fournit pas suffisamment de matière, reprenez les éléments connus des joueurs en commençant par « mais en réalité… » pour leur imaginer une face cachée, comme dans l’encadré de la page suivante.

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CAMPAGNE

• ramifications sociales : quelles sont les relations de vos PJ et de vos PNJ qui peuvent faire irruption dans la suite de la campagne ? Pensez à la famille, aux collègues de travail, aux amis d’enfance, et surtout aux relations clandestines (informateurs, taupes, maîtres chanteurs, amants et maîtresses). Vos PJ ont-ils tué leur Némésis trop tôt à votre goût ? Inventez-lui un frère encore plus pervers et assoiffé de vengeance. Les scénaristes des Die Hard l’ont bien fait, pourquoi pas vous ?

Giancarlo Scarafaggio, chef d’une famille mafieuse de Chicago Ramifications géographiques : plusieurs planques et propriétés à Chicago et sur le pourtour du lac Michigan, particulièrement à Gary, ville proche mais située dans l’Indiana, qui lui sert de port secondaire loin des enquêteurs de l’Illinois ; des liens mafieux, personnels et professionnels, avec Boston, New York et Palerme. Ramifications temporelles : Scarafaggio est une petite frappe des bas-fonds de Chicago née vers 1870. Il organise sa « famille » au fil des années de contrebande avec le Canada et de ses deux séjours en prison. Depuis 1919 et l’instauration de la Prohibition, il a fait alliance avec Meredith, une sorcière qui favorise ses trafics sur le lac Michigan et coule les bateaux de ses concurrents, par des moyens qu’il préfère ignorer. Dans les prochaines années, il compte faire main basse sur toute la région des Grands Lacs et s’attaquer au nord de l’État de New York. Ramifications sociales : une quarantaine d’hommes de main totalement dévoués dont Justerini et Brooks, ses tueurs  ; Angelina, sa jeune épouse, terrorisée par ce qu’elle a découvert sur son compte ; le père Di Pietro, un curé de quartier tenu par le secret de la confession ; Guglielmo Viazzo, son avocat et homme de confiance ; la plupart des élus et notables de Chicago, qui lui mangent dans la main. « Mais en réalité… »  Option 1 : Scarafaggio est atteint d’une maladie incurable. Catholique fervent, il tente de se racheter in extremis en dévoilant tout lors de son procès. Mais il en a déjà trop dit : Viazzo et le groupe de sorciers conduit par Meredith comptent bien le faire taire. Après la mort mystérieuse du père Di Pietro, Angelina se tourne vers les PJ, dont elle suppose qu’ils ont compris la nature des activités de son mari. Option 2 : Scarafaggio est un sorcier bien plus puissant que Meredith. Il compte sur son séjour en prison pour endormir la vigilance de ses nombreux adversaires et orchestrer une invocation bien plus ambitieuse, cette fois-ci à l’échelle des océans. Mais Justerini et Brooks exécutent un journaliste de la presse à scandale qui préparait une biographie non autorisée du parrain… un excès de zèle qui va attirer l’attention des PJ.

Décortiquer la première session

On dit souvent qu’une campagne s’écrit en fonction des profils offerts par le groupe de PJ. Si vous transformez un scénario one shot en campagne, vous disposez d’un matériau bien plus riche qu’une simple liasse de fiches de personnage : là encore, une analyse de la première session permet de gagner du temps et de bien cibler la méta-intrigue. Quels ont été les épisodes et les ingrédients narratifs qui ont surpris, amusé, terrifié ou enthousiasmé vos joueurs ? Les attentes d’un groupe sont par nature hétérogènes, mais 322

vous pouvez néanmoins recenser les points forts de votre one shot pour vous lancer dans la méta-intrigue. Vos joueurs ont-ils apprécié l’atmosphère urbaine de Chicago, la négociation tendue avec des informateurs de la pègre, les rencontres sophistiquées avec des figures de la presse ou de la politique locale ? Ou au contraire ont-ils préféré la scène finale d’horreur et de violence à bord du Michigan Queen en feu ? Tenez particulièrement compte de leurs priorités et de leurs dernières réactions, une fois passé le paroxysme du scénario. Veulent-ils immédiatement lire le manuscrit de Meredith ? Vont-ils chercher la célébrité, voire publier leurs exploits ? Vont-ils au contraire nouer des relations confidentielles avec d’autres investigateurs de l’occulte, ou simplement chercher à reprendre le cours d’une vie normale ? Les joueurs se montrent-ils inquiets, en termes de roleplay, des séquelles psychologiques liées à cette aventure ? Si vous jouez à un jeu qui le permet, comment allouent-ils leurs éventuels gains d’expérience  ? Toutes ces observations vous en diront plus long que des pages de background.

Du risque de duplication des intrigues S’il y a beaucoup à apprendre du jeu vidéo en termes de scénarisation, il faut aussi en connaître les travers. L’un des principaux moyens de rallonger l’expérience vidéoludique a été de jouer sur la répétition  : ramasser trente champignons magiques, tuer les cinquante dragons qui dévastent la région, rassembler les six morceaux de la lance brisée, etc. Si bon nombre de campagnes publiées en JdR sur table se résument elles aussi à l’élimination d’une kyrielle d’ennemis ou à une « collecte de Poké Balls », vous avez tout intérêt à varier les plaisirs en alternant les types d’intrigue d’un scénario à l’autre. La répétitivité en JdR ne se limite pas à la caricature du porte-monstre-trésor  : elle concerne toute structure qui devient trop prévisible pour les joueurs (par exemple : enquête-bibliothèque-cultistes-monstres-fuite).

• l’intrigue épique se fonde sur la confrontation à un environnement dont les héros doivent identifier les menaces, mais aussi les ressources ; • l’intrigue dramatique repose sur les interactions sociales, les héros cherchant le plus souvent à faire tourner les positions des autres personnages en leur faveur ; • l’intrigue épistémique s’inscrit dans une logique d’enquête, les héros consacrant leurs efforts et leurs talents à l’élucidation d’un mystère. Ces trois « briques » élémentaires de la construction scénaristique peuvent se résumer en trois mots-clefs : quête, négociation et investigation. Si votre premier scénario était principalement épique et épistémique (enquêter sur une filière de contrebande pour

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CAMPAGNE

La narratologue Marie-Laure Ryan distingue ainsi trois types d’intrigues de base :

ensuite affronter des horreurs sur un lac), il serait intéressant de modifier ce dosage à l’épisode suivant. Par exemple, infiltrer une prison pour espionner un chef mafieux sera davantage dramatique et épistémique (les héros ne viennent pas « vaincre » la prison au sens épique). À l’opposé, galvaniser tout un village pour conduire un raid sur un port infesté de Profonds sera plus de nature épique et dramatique.

Scénarisation flottante : le cas des intrigues personnalisées Éviter la rigidité des campagnes publiées n’empêche pas de scénariser, parfois très en amont, afin d’amener des intrigues dans l’aventure sans donner l’impression de les « parachuter ». C’est typiquement ce que vous pouvez faire pour chacun des personnages principaux afin de renforcer l’engagement des joueurs : ils ne sont pas engagés dans la campagne par hasard, mais parce qu’une composante essentielle du destin de leurs personnages va s’y jouer. Des intrigues secondaires

Prenons l’exemple d’Amelia. Pour cette jeune journaliste intrépide du Chicago Tribune, vous prévoyez un développement dans le cadre de votre campagne lovecraftienne, où vous décidez que chaque personnage peut se découvrir des liens ancestraux avec le Mythe de Cthulhu. On pourrait parler de l’ « arc narratif » d’Amelia, à deux réserves près : d’abord, votre scénario n’impose pas cette découverte comme un aboutissement nécessaire (la joueuse peut très bien s’en désintéresser) ; ensuite, vous n’allez pas en écrire le récit, mais en formuler les éléments d’intrigue sans leur donner de fil spatio-temporel contraignant. C’est ce que j’appelle la scénarisation flottante. Dans un jeu vidéo, de nombreuses quêtes secondaires sont proposées, au prix d’une surcharge de l’agenda des aventuriers. Traversez un village en parlant à tous les habitants et l’on vous demandera de voler une gemme, d’incendier une maison, de secourir un enfant au fond d’un puits, de ramener quinze peaux d’ours, de couper du bois, de débarrasser le cimetière d’une créature nocturne et de réconcilier deux amoureux… sans oublier votre quête principale qui consiste à sauver le monde. L’interface aide à gérer ces intrigues multiples en les consignant dans un journal, voire en pointant les directions à suivre pour les accomplir. Il arrive que vous terminiez une quête sans même vous en apercevoir, parce qu’elle se trouve dans votre journal depuis trop longtemps : la multiplicité tue l’enjeu et les émotions liées au sentiment d’urgence d’une intrigue particulière. Sur table, les intrigues secondaires sont moins nombreuses et surtout moins « écrites », au sens où le meneur les fait avancer ou les met entre parenthèses à sa guise, en fonction notamment du rythme qu’il souhaite imprimer au jeu.

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Préfigurer les quêtes personnalisées au fil des épisodes

Revenons à Amelia : lors de sa création, la joueuse vous a indiqué que la journaliste rêve depuis l’enfance de ruines de marbre au pied d’une cascade. Cette image a poussé la jeune femme à se spécialiser dans les enquêtes paranormales et à s’intéresser à l’archéologie. Partant de cet élément succinct, vous pouvez imaginer une quête personnelle qui fera découvrir à Amelia son lien de parenté avec la sorcière Meredith, et une initiation qui lui donnera des pouvoirs magiques liés aux créatures aquatiques, au risque de faire vaciller sa santé mentale. Ce thème peut très tôt s’inviter dans l’aventure par le biais de micro-événements sans signification apparente : au bord d’une route, un enfant qui se baigne sort de la rivière et donne la main à Amelia ; dans une église où elle mène l’enquête, le bénitier est agité de vaguelettes durant quelques instants… Par petites touches, vous utilisez des procédés de préfiguration (le foreshadowing des scénaristes anglophones) qui indiquent que l’eau sera importante pour Amelia dans la campagne, sans lui donner les clés exactes de chaque épisode : vous jouez sur les attentes de la joueuse afin que l’intrigue secondaire éclose progressivement, sans monopoliser l’attention du groupe ni rompre le cours de l’action. De l’idée à la fiche pratique

Concrètement, une intrigue personnalisée peut prendre la forme d’une fiche qui ne s’organise pas selon une séquence narrative fixe, mais qui rassemble les composantes de l’intrigue. En voici un exemple allégé : • synopsis : Amelia fait preuve d’une affinité surnaturelle avec l’eau. Comme Meredith, dont elle est la cousine au second degré, elle est issue d’une puissante lignée des mages de Dagon venus d’Europe. Seule l’exploration des ruines du temple dont elle rêve peut lui faire découvrir ce pouvoir latent ;

• événements : 1. Découverte d’un visuel indiquant le nom du sanctuaire de Dagon. 2. À partir du nom, découverte de la légende des prêtres de Dagon et localisation des ruines. 3. Découverte de sa parenté avec Meredith (dans les notes de la sorcière, à l’état civil, dans les archives de son orphelinat, lors d’un rêve plus explicite que les autres, etc.) ; • épreuves : 1. Les adversaires ancestraux de la lignée veillent et attaquent quiconque enquête sur la légende. 2. Une fois sur place, Amelia doit nager jusqu’à une crypte sous les ruines et affronter seule le gardien du temple. 3. Pour maîtriser ses pouvoirs sans sombrer dans la folie, Amelia doit se doter de protections (magie, soutien psychologique, etc.) ;

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CAMPAGNE

• préfiguration : il arrive souvent à Amelia des choses bizarres en lien avec l’eau. Son rêve des ruines devient particulièrement intense lorsqu’elle a été immergée ou si elle dort près de l’eau ;

• récompense et contrecoup : au prix d’une perte de santé mentale, Amelia acquiert des pouvoirs de magie élémentaire de l’eau et apprend des sorts de contact et d’invocation liés à Dagon et aux Profonds. Comme Meredith, sa chevelure prend désormais de légers reflets bleu vert qui peuvent trahir ses origines. N’hésitez pas à employer le même genre de fiche si vous jouez une campagne éditée : les joueurs seront d’autant plus surpris et satisfaits de constater que vous prenez soin de leur créer des intrigues personnalisées. Principes d’écriture flottante1

Tous les ingrédients de cette intrigue sont flottants : ils ne figurent nulle part tant que vous, meneur, ne choisissez pas de les faire intervenir. Cette forme de scénarisation repose sur l’alliance de noms communs très génériques et de noms propres, notés a posteriori sur la fiche, qui ancrent l’ingrédient scénaristique dans la campagne au moment opportun. Par exemple, un « visuel » des ruines est un terme délibérément vague : dans une peinture chez tel riche propriétaire, une mosaïque au fronton de tel temple englouti, une gravure dans tel grimoire, la marqueterie de tel meuble ancien, à l’arrière-plan d’une photo d’actualité dans le Tribune… Cet aspect mal défini n’est pas une faiblesse scénaristique mais une force. Il signifie que vous pouvez faire surgir ledit visuel soit dans un temps faible (Amelia déambule dans Chicago), soit dans un moment de tension (le visuel est un tatouage dont le porteur s’enfuit dans la foule), soit comme « récompense » à l’issue d’un moment tendu (Amelia et ses compagnons viennent d’occire un sorcier et parcourent son grimoire). De même, la « localisation » des ruines peut se produire de mille manières, dans un espace et un temps que vous ne définirez qu’au dernier moment : recherches en bibliothèque, carte au trésor trouvée sur la dépouille d’un aventurier, indications orales d’un érudit, voire phénomène surnaturel en résonance avec le thème de l’eau. Les « adversaires ancestraux » peuvent être humains, monstrueux, spectraux… et surtout ils peuvent surgir à tout moment. Une fois les événements survenus, cochez-les sur la fiche en notant quelques mots-clefs et noms propres pour garder trace de votre improvisation : « Tatouage Giuseppe » ou « Carte épave Niagara » vous suffiront amplement pour remémorer l’épisode à la joueuse quelques séances plus tard. La quête d’Amelia est écrite ici de façon simpliste, à la manière de nombreuses intrigues secondaires de jeu vidéo, mais elle s’en distingue parce qu’elle s’inscrit dans le background proposé par la joueuse pour son personnage et parce qu’elle est entièrement écrite en scénarisation flottante. Elle va donc s’agréger sans mal à la campagne et permettre d’en moduler l’intensité. Il est bien entendu possible de la développer 1. Ce type de procédé a notamment été popularisé par Robin D. Laws. Il en pose les prémices dans son ouvrage de conseil aux MJ Robin’s Laws Of Good Game Mastering (Steve Jackson Games, Austin, 2002), et le formalise dans Cthulhu, 7ème Cercle, op. cit., p. 158).

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davantage, par exemple en créant au fil des épisodes les « pièces » principales de l’intrigue : fac-similés de la carte, arbre généalogique, etc.

Conclusion La principale appréhension qu’ont les meneurs au moment de lancer une campagne est la quantité de travail que cela requiert. Cette crainte est nourrie par l’habitude de lire des campagnes publiées, c’est-à-dire écrites pour un meneur et des joueurs dont le scénariste ignore les attentes et les réactions. Lorsque l’on scénarise pour son propre groupe, on rédige nettement moins, et surtout on envisage les épisodes au fil des parties : chaque épisode va produire ses propres intrigues, et certaines sessions pourront être exclusivement consacrées à en dénouer les fils. Passer du scénario à la campagne est en définitive bien plus facile que s’atteler à l’écriture d’un nouveau one shot. La méthode proposée ici consiste à : • faire l’inventaire avec les joueurs des questions restées en suspens à l’issue du premier scénario ; • envisager des développements qui respectent les centres d’intérêt des joueurs mais qui s’écartent de ce qu’ils ont exprimé (principe du « Oui, mais… ») ; • définir la méta-intrigue de la campagne dans ses grandes lignes, mais sans chercher à fixer l’enchaînement précis des péripéties ; • noter les principaux appuis de la méta-intrigue en termes d’espace, de temps et de personnages impliqués ; • analyser les profils des personnages et les attentes des joueurs ; • créer pour chaque personnage une intrigue en écriture flottante, de manière à l’introduire et à la résoudre à point nommé dans l’aventure collective.

Quel que soit le scénario one shot que vous faites jouer, prenez l’habitude d’y glisser des éléments supplémentaires qui faciliteront l’éventuel lancement d’une campagne. Je les appelle des semi-pistes. Ce sont des amorces qui ne mènent nulle part, mais pas des fausses pistes. Leur forme typique est la clé de consigne, le nom griffonné sur un parchemin ou la lettre codée. Tant que les PJ ignorent dans quelle serrure glisser la clé, à quoi correspond le nom ou comment décoder le message, ces objets demeurent inutilisables et mystérieux. Les semi-pistes deviendront des pistes à part entière lorsque vous le déciderez, le plus souvent par recoupement : les PJ découvrent un billet de train qui leur indique dans quelle gare chercher la consigne, le nom se révèle être celui d’un

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CAMPAGNE

Semer des amorces : du bon usage des « semi-pistes »

lieu-dit qu’ils croisent sur la route ou celui d’un ancien élève de l’école de magie, la clé du code apparaît dans un livre qu’ils compulsent, etc. Le cinéma d’Hitchcock en fournit de nombreux exemples. En termes scénaristiques, les semi-pistes donnent aux joueurs l’impression que vous avez prévu un développement de l’intrigue, tout en restant impénétrable : vous pouvez donc les utiliser en cours de partie en arborant un air narquois, sans avoir la moindre idée de ce vers quoi elles vont mener. Attention à ne pas en faire des fausses pistes, qui risquent de polluer votre session : une semi-piste est soit trop anodine pour apparaître comme un indice, soit trop énigmatique pour que le groupe sache comment la suivre. Elle n’est pas conçue pour faire perdre son temps au groupe. Combien de semi-pistes placer ? Tout est question d’univers et de genre. Dans des jeux « à secrets », dans des univers dominés par les logiques de clandestinité ou dans des scénarios à thème psychiatrique, les semi-pistes deviennent un élément d’ambiance : elles renforcent le sentiment que l’environnement des personnages résiste à leur compréhension. C’est par exemple l’effet produit par la série Lost1. Au contraire, dans une partie très épique et dans un univers aux enjeux très transparents, une ou deux semipistes suffiront à embrayer vers une logique de campagne.

1. Vous serez peut-être surpris de voir cité Lost comme exemple à suivre, mais cet effet de multiplication de pistes sans suite qui a été reproché à la série peut se révéler être une force dans un JdR, où le fait d’accorder de l’importance à telle ou telle piste fait partie des prérogatives des joueurs.

Fiche de Synthèse La méthode QESOM 1. Dites « oui ». 2. Recensez les questions restées en suspens à l’issue du premier scénario : • en notant les interrogations des joueurs ; • en demandant : « Qui va réagir à ce qui vient de se passer ? » « Comment voyez-vous la situation évoluer dans les prochains jours ? » « Quels sont les autres obstacles à surmonter pour résoudre le problème ? » « Qu’est-ce que cela va changer dans la vie de votre personnage ? » 3. Sélectionnez et tordez les idées : la règle du « oui, mais… » : envisagez des développements qui respectent les centres d’intérêt des joueurs mais qui s’écartent de ce qu’ils ont exprimé. 4. Définissez une méta-intrigue et des thèmes principaux, mais sans trop aller dans le détail des péripéties. 5. Choisissez un grand type de campagne : • accomplir une quête ; • contrecarrer un plan maléfique ; • enrayer un processus ; • résoudre une énigme ; • faire basculer un rapport de force ; • survivre à une menace.

• statique ou mobile ? • avec ou sans pression temporelle ? • orientée vers quels genres fictionnels ? • environnement social dense ou clairsemé ? 7. Donnez de la substance à votre méta-intrigue en développant les : • ramifications spatiales ; • ramifications temporelles ; • ramifications sociales. 8. Décortiquez votre première séance : analysez les profils des personnages et les attentes des joueurs.

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CAMPAGNE

6. Choisissez les caractéristiques de votre campagne :

 9. Créez des intrigues personnalisées pour chaque joueur : • créez des intrigues secondaires et/ou personnalisées flottantes ; • préfigurez les quêtes personnalisées au fil des épisodes ; • résumez-les sur des fiches. Autres principes généraux • penser à long terme, écrire à court terme ; • varier les trois types d’intrigues : épique, dramatique et épistémique ; • semer des amorces. Fiche d’intrigue personnalisée : • synopsis ; • préfiguration ; • liste d’événements ; • liste d’épreuves ; • récompense et contrecoup.

IV varier les plaisirs

JOUER avec les aides de jeu



Alexis Lamiable

Introduction Qu’est-ce qu’une aide de jeu ?

L’

aide de jeu, définie un peu par défaut, désigne quelque chose qui n’est pas nécessaire pour jouer, mais qui… aide à jouer. Tout le monde sait que pour faire du JdR, il suffit d’un livre de règles, de papier, de crayons et de quelques dés. Et encore. On pourrait donc considérer tout le reste, y compris les scénarios, sup­ pléments de contexte et conseils au MJ, comme des aides de jeu. Toutefois, dans le cadre de cet article, nous considérerons qu’une aide de jeu désigne un objet ayant vocation à être manipulé par les joueurs, et aidant le MJ à atteindre certains objectifs ludiques.

Les buts des aides de jeu

Les trois buts majeurs des aides de jeu sont : favoriser l’immersion, distribuer des informations et proposer aux joueurs un jeu dans le jeu, par exemple sous la forme d’une énigme. La plupart des aides de jeu répondent à au moins deux de ces objectifs, à différents degrés. 331

Aides de jeu

La plupart des aides de jeu ont une existence dans l’univers, comme les coupures de journaux et les lettres, d’autres non, on pense ici aux dés spéciaux ou encore aux cartes, et certaines ont un statut intermédiaire : elles représentent un objet de l’univers de jeu de manière imparfaite, comme un court texte résumant le contenu d’un grimoire complexe.

Une aide de jeu favorise l’immersion lorsqu’elle représente un objet dont on parle en jeu, à un niveau dépendant de la fidélité de la représentation : un résumé de lettre est moins immersif que le texte « réel » de la lettre, lui-même moins immersif qu’une lettre manuscrite, rédigée à la plume sur un papier vieilli et scellée à la cire. Cela dit, il est également possible de faire des aides de jeu qui ne se limitent pas à représenter fidèlement un objet de l’univers, mais qui se basent sur une forme de symbolisme (une bougie représentant la durée de vie d’un groupe électrogène) ou dont la manipulation est plus importante que l’aspect (talkie-walkie remplaçant la radio d’un sous-marin, lecteur MP3 remplaçant un gramophone, etc.). Une aide de jeu donne des informations, sauf si elle n’est qu’un élément de décor ou d’ambiance. C’est évidemment le cas d’une lettre reçue par les PJ, ou d’une carte représentant les lieux à visiter, mais cela peut aussi être le cas d’une illustration ou d’une reproduction d’un objet trouvé en jeu. Cependant, il est aussi possible d’aller bien plus loin. Dans le cas d’un objet qui confère une certaine compétence (communiquer avec l’extérieur grâce au seul talkie-walkie en leur possession, menacer avec l’unique arme à feu de la pièce où ils sont enfermés), l’aide de jeu sert aussi à indiquer clairement à chacun la personne qui possède l’objet en question. Ici, l’important est la façon dont les joueurs vont s’en servir et comment cela va modifier leur manière de jouer. Peut-être vont-ils tenter de se voler le pistolet, de demander de l’aide ou des renseignements avec le talkie-walkie, etc. En simulant une capacité spécifique, ce genre d’aides de jeu donne des informations qui vont largement au-delà de la présentation d’un contenu écrit à l’avance. Enfin, parfois, l’aide de jeu ne fait que reprendre des informations fournies par le MJ, mais elle peut en contenir bien plus, et dans ce cas être soumise à un décryptage ou une interprétation par les joueurs. Cela nous conduit au troisième objectif : l’énigme, le jeu dans le jeu. Le texte d’une lettre livre moins facilement ses indices qu’un résumé fait par le MJ : il faudra que les joueurs décident de ce qui est important et de ce qui n’est là que pour donner du caractère, du cachet. Mais la lettre-objet peut aussi fournir des indices non textuels. Est-elle en partie brûlée, ou tachée de sang ? Est-elle écrite dans un style qui n’est pas celui de son auteur présumé ? Les joueurs doivent-ils l’inspecter pour en tirer tous les indices ? Peut-être contient-elle des informations inscrites à l’encre invisible, ou codées d’une manière ou d’une autre. Quand utiliser des aides de jeu ?

Bien qu’il y ait plusieurs facteurs à prendre en compte, le plus important sera en général le temps dont vous disposez. La durée de conception d’une aide de jeu peut être élevée, surtout si vous voulez en faire un objet « d’époque » et pas simplement un texte imprimé avec une police cursive. Il convient de bien doser son travail de préparation, sous peine de se retrouver avec une superbe lettre de mission, mais rien d’autre pendant le reste de l’aventure.

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Supposons toutefois que vous avez du temps. Devez-vous pour autant transformer chaque document de l’univers en aide de jeu ? Évidemment, non. Il ne faut créer une aide de jeu que lorsqu’elle vous permet d’atteindre un objectif ludique de manière efficace. Pour cela, il faut définir vos objectifs. Cela dépendra aussi de la nature de la partie que vous allez jouer. Voici quelques points à considérer. 1. Est-ce que je veux attirer l’attention sur cet objet ? Tendre un document aux joueurs attire forcément l’attention sur l’objet correspondant dans le scénario. L’exemple-type est la boîte d’allumettes du Tigre Trébuchant, un indice de la campagne Les Masques de Nyarlathotep que les PJ trouvent dans la chambre où leur contact a été tué et qui leur indique où poursuivre leur enquête. Lorsque le MJ donne une vraie boîte d’allumettes aux joueurs, cela leur signale explicitement qu’il s’agit d’un lieu important. Dans une partie orientée enquête, on peut éventuellement imaginer des aides de jeu conduisant à une fausse piste, et donc faussement intéressantes, mais c’est beaucoup plus rare dans d’autres jeux. Le pendant négatif de cet aspect est que si vous avez l’habitude de donner des aides de jeu à vos joueurs, l’absence d’aide de jeu suggère qu’un indice n’est pas important ou, pire, que vous venez de l’improviser. 2. Est-ce que j’ai besoin de créer de l’immersion ? Parfois, souvent même, l’imagination des joueurs est plus efficace pour créer de l’immersion que tout ce que pourrait envisager le MJ. Il n’est pas particulièrement utile de préparer un diaporama de la Comté ou de Poudlard à ses joueurs. Ceux qui ont vu les films auront ces images en tête et les autres auront leur propre vision de ces lieux. Mais il arrive que vous ayez besoin de créer de l’immersion. Montrer un portrait peut être plus efficace que décrire un visage (mais pour évoquer un sentiment, insister sur des impressions suggestives ou mentionner un élément important, les mots seront parfois plus adaptés). Dans certains cas, brandir une missive du roi sera plus efficace que de la décrire. Et enfin, dans un jeu de pirates, parler de carte au trésor est un cliché, mais en étaler une sur la table, c’est un rêve de gosse qui se réalise.

3. Est-ce que je peux mieux transmettre une information ainsi ? Certaines informations seront mieux transmises si elles sont décrites ou résumées par le MJ, et d’autres se prêteront mieux à une transmission par une aide de jeu. Une carte sera toujours un excellent support pour parler de géopolitique à ses joueurs.

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Aides de jeu

Dans une partie à l’ambiance horrifique, et pour reprendre un ressort du jeu vidéo Silent Hill, on peut donner une radio aux joueurs qui se mettra à grésiller chaque fois qu’il y aura des monstres à proximité. Non seulement cela participe à l’immersion, mais c’est aussi une information très utile d’un point de vue tactique.

Une lettre ne sera pas très efficace pour transmettre des noms ou des dates, mais elle sera parfaite pour transmettre un style, ou l’état d’esprit de son auteur. Une aide de jeu donnée aux joueurs peut aussi être un moyen de transmettre une information sans la formuler. Confier un objet réel au joueur dont le personnage a le plus haut grade pour montrer sa position hiérarchique dans le groupe est un bon exemple : il pourra changer de main au gré des mises à pied et autres conflits avec les supérieurs. Qui porte la torche et ne peut pas se battre ? Qui possède tel morceau du simulacre de Sedefkar, et en subit donc l’influence négative ? Une aide de jeu peut également représenter l’utilisation d’une ressource par les joueurs, et leur permet ainsi de donner une information au MJ sans avoir à la formuler  : tant que l’un des joueurs a l’anneau vert, son personnage est invisible, par exemple. Dans un autre cas, celui qui a le pistolet choisit de le braquer sur un autre, ce qui montre la manière dont il décide d’utiliser cette ressource. Enfin, le MJ peut avoir recours aux aides de jeu pour transmettre aux joueurs des informations des uns sur les autres. Par exemple, un des joueurs peut recevoir une lettre l’incitant à prendre garde aux autres PJ, et le reste de la table en recevoir une autre pour les mettre en garde contre ce premier PJ1. N’hésitez pas à choisir deux types de papier différents pour bien les distinguer, cela ne fera qu’attiser leur curiosité. Ainsi il n’est pas obligatoire qu’une aide de jeu soit destinée à tous les membres du groupe. Dans tous les cas précédemment cités, les joueurs peuvent se prendre ou s’échanger de tels objets, ou en négocier la possession.

La lettre Quand utiliser une lettre ?

Une lettre ou un journal intime permet de faire parler un PNJ qui n’est pas présent, soit parce qu’il est éloigné dans l’espace, soit parce qu’il est éloigné dans le temps (et peut-être mort au moment du scénario). Si la lettre n’était pas destinée aux PJ, elle peut révéler des informations que le PNJ aurait préféré garder secrètes. Contrairement à une information directe, la lettre est sujette à interprétation. Les joueurs n’ont peut-être pas tous les éléments pour la comprendre et, contrairement à un dialogue avec un PNJ, ils ne peuvent pas poser de questions. Le MJ peut donc utiliser cela pour créer de la confusion et pousser les joueurs à émettre des hypothèses. Si vous craignez que vos joueurs ne démasquent un PNJ trop tôt ou ne vous mettent dans l’embarras avec des questions prématurées, communiquez par lettre !

1. À ce sujet, consultez également l’article « Rassembler & Diviser », p. 235.

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La lettre est également le lieu idéal pour dissimuler des informations discrètes, par exemple dans les coordonnées et la date qui sont de bons moyens pour les faire passer de façon subtile. Que pourrait signifier une lettre dont la date d’envoi est ultérieure à celle de la mort de celui qui l’a rédigée ? Enfin, comme dans un discours oral, le MJ peut encourager l’immersion au travers du style du texte : vocabulaire démodé ou argotique, tics de langage, etc. Au-delà du texte, il peut jouer sur l’apparence de la lettre, du choix de la police de caractères à celui du papier. Choix du support

S’agit-il d’une lettre manuscrite, tapée à la machine, ou imprimée ? D’un e-mail ou d’un SMS ? Une lettre manuscrite vous laisse plus de latitude dans le choix du papier et de l’encre, qui peuvent beaucoup jouer. Une lettre écrite au stylo-bille sur du papier à imprimante n’aura pas le même effet qu’une lettre écrite à la plume sur du papier vergé. On peut acheter dans les papeteries des encres de couleur marron ou violette qui donneront un aspect ancien, utilisées avec une plume. Mais il vous faudra peut-être réapprendre l’écriture cursive ! Si la lettre est ancienne par rapport au moment où se déroule l’histoire, vous pouvez vieillir artificiellement le papier. La technique la plus simple consiste à tremper le papier dans un thé légèrement infusé, ce qui lui donnera un aspect jauni. Attention, si l’encre que vous utilisez pour écrire est soluble dans l’eau, il faut vieillir le papier avant d’écrire le texte ! Si votre aide de jeu est un journal intime, vous pourriez être tenté d’utiliser comme support un carnet relié, avec une couverture en cuir ou en carton avec impression « grimoire ». C’est toutefois un choix assez coûteux, et cela vous obligera à rédiger beaucoup de texte, il sera donc souvent préférable de proposer des extraits de journal intime, sur papier libre. Vous pourrez peut-être justifier de n’utiliser que des extraits en expliquant que le journal a été en partie détruit, ou les pages arrachées. Enfin, que ce soit pour éviter de trop rédiger de texte ou pour cacher des informations aux joueurs, vous pouvez brûler ou tacher des parties de la lettre ou du journal.

Pour varier les styles d’écriture, la solution la plus rapide consiste à utiliser un traitement de texte avec une police de caractères appropriée. Il existe de nombreuses polices libres de droits imitant une écriture manuscrite ou divers types de machines à écrire. La police peut indiquer le degré d’usure et de saleté de la machine utilisée, et suggérer différents contextes :

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Aides de jeu

Choix de la police ou du style calligraphique

Pour les polices manuscrites, il est parfois difficile d’en trouver qui aient un rendu naturel ; autant que possible, privilégiez les polices modernes, au format OpenType, qui proposent plusieurs variantes pour la même lettre :

Dans les exemples ci-dessus, la police TrueType Anke Calligraphic a un bon rendu, mais est trop régulière pour sembler vraiment naturelle (tous les « T » ont la même forme, par exemple). Observez comme les polices Pecita et Mathilde varient la forme des lettres suivant le contexte. Quelques adresses où trouver des polices : http://www.dafont.com/fr/ http://www.1001fonts.com Si vous préférez faire une lettre véritablement manuscrite, on trouve dans les papeteries des kits de calligraphie égyptienne, arabe, victorienne… Une solution rapide et peu coûteuse consiste à acheter un stylo-plume de calligraphie Plumix, plus facile à manier qu’une vraie plume, une cartouche à remplir et un kit d’encres de couleur. L’art de la calligraphie dépasse le cadre de cet article, mais il existe de nombreux manuels abordables, tels que Calligraphie et Enluminure, aux Éditions Vigot. Aller plus loin

Si la plupart des lettres et des extraits de journaux intimes seront de simples sources d’informations et d’ambiance, il est parfois possible de varier les plaisirs en donnant aux joueurs un document-énigme. Le texte lui-même est peut-être codé ou chiffré ? Un décalage dans l’alphabet (chiffre de César) ou une substitution peuvent être suffisamment simples pour être décryptés pendant la partie ou entre deux sessions. Un texte codé pourrait donner lieu à une aventure entière, rien que pour récupérer le livre permettant de le comprendre. Le site www.dcode.fr fournit tous les outils nécessaires pour crypter et décrypter des messages, avec des méthodes allant du chiffre de César à un simulateur de la machine Enigma (dont les nazis se servaient pour coder leurs messages). La disposition du texte est-elle importante ? Peut-être que la première lettre de chaque ligne ou le premier mot de chaque phrase contient un message secret. Et si un message se cachait dans les espaces libres, écrit à l’encre invisible ? Vous pouvez produire une encre invisible très simplement en écrivant au jus de citron, et révéler cette encre en chauffant la lettre à la flamme d’une bougie. On peut encore corser les choses et créer du jeu en rajoutant une limite de temps. 336

La coupure de journal Quand utiliser une coupure de journal ?

La coupure de journal est, avec la lettre, un élément récurrent des scénarios d’enquête. C’est souvent par ce moyen que les PJ apprennent de nouvelles informations. Celles-ci sont moins personnelles, mais elles peuvent être biaisées par l’orientation du journal. En dehors de cela, il s’agit en général d’un simple indice, avec un peu de couleur saupoudrée pour faire beau. La coupure de journal a un effet un peu artificiel : le MJ a extrait l’information qui est intéressante pour les joueurs. En soi, cela suffit presque à détruire l’effet d’immersion. Il serait beaucoup plus satisfaisant de pouvoir donner aux joueurs un journal entier (ou au moins une page) et de les laisser se débrouiller. Dans l’idéal, il faudrait qu’ils lisent ce document à tête reposée, afin qu’ils puissent porter un regard nouveau sur une information ignorée précédemment. Cela demande malheureusement beaucoup de travail, pour un résultat assez aléatoire. Une solution intermédiaire consiste à donner aux joueurs toutes les coupures qui attireraient l’œil de leur personnage, et pas seulement celles qui sont pertinentes pour le scénario. Cela permet d’une part de créer de fausses pistes, mais aussi de diffuser subtilement des informations sur le contexte historique ou politique (voir ci-dessous). Fausses pistes Pour les jeux prenant place dans des périodes historiques spécifiques comme L’Appel de Cthulhu, les vrais journaux d’époque sont une source intarissable d’articles plus vrais que nature, susceptibles d’attiser la paranoïa de vos joueurs. On peut trouver les archives de nombreux journaux français sur le site Gallica1 de la BNF. Voici quelques titres réels tirés de journaux de 1923 : « on greffe un œil de porc à un enfant ; une icône de grande valeur dérobée au Père-Lachaise ; une heure chez les fantômes ; un cataclysme dans les îles du Pacifique ; l’Élixir de longue vie ; il existe en Mandchourie un vieillard de 163 ans ; des sarcophages gallo-romains en plein Paris ; un homme a découvert la Pierre philosophale… » Contexte historique

Le journal est un support idéal pour répondre à ces questions sans imposer aux joueurs un exposé d’histoire. Au lieu de simplement leur donner la coupure qui contient les indices pertinents, entourez-la d’autres nouvelles contenant des informations de contexte. 1. http://gallica.bnf.fr/html/presse-et-revues/presse-et-revues

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Aides de jeu

Si vous jouez à une époque que vos joueurs connaissent peu, de nombreuses questions peuvent se poser  : la lampe de poche existait-elle en 1923  ? Était-il possible d’aller d’Angleterre aux États-Unis en avion ? Quel était le régime politique en France ? Le parti fasciste et le parti nazi existaient-ils déjà ? Qu’en pensaient les gens ?

Si votre scénario repose sur la lenteur des communications entre l’Europe et les États-Unis, glissez un entrefilet sur les premiers essais de télégraphe transatlantique (janvier 1923). Si les personnages français sont amenés à aller en Allemagne, mentionnez l’occupation de la Ruhr ou reproduisez la lettre ouverte d’André Michelin invitant au démantèlement de l’aviation allemande. Si vous n’avez pas le temps ou l’envie de préparer de tels articles historiques, ou d’aller les chercher dans des archives de journaux (par exemple sur Gallica), faites une simple revue de presse à vos joueurs : « le journal parle des fouilles du tombeau de Toutânkhamon qui progressent, de la conférence de Lausanne pour la paix en Turquie, et enfin cet article attire ton attention… » Réalisation pratique

La réalisation d’une coupure de journal est très simple, puisqu’il suffit de s’inspirer de la mise en page et du style des journaux réels. Le texte est disposé en colonnes étroites (une, deux ou trois, selon la longueur et l’emplacement sur la page). La police de caractères est presque toujours une police « sérif », souvent à empattement triangulaire ; par exemple, Belgrano Regular pour le corps du texte, Garamond en gras et petites majuscules pour les titres et Canterbury pour le nom du journal.

Plus rapides d’utilisation, mais moins personnalisables, il existe des générateurs de coupures de journaux pour lesquels il suffit de fournir le texte  : http://www.fodey. com/generators/newspaper/snippet.asp Pour obtenir des photographies « d’époque », outre les authentiques clichés d’archives, il est possible d’appliquer quelques filtres informatiques à une photographie moderne. Ainsi, à partir d’un portrait de Gary Gygax1 et du logiciel libre The Gimp, on obtient une photographie en noir et blanc pour un journal moderne en désaturant l’image et en ajoutant du grain, et une photographie pour un ancien journal en appliquant un filtre « Roy Lichtenstein » avant de désaturer. 1. Photo originale de Gary Gygax prise par Moroboshi en 1999 à la ModCon Game Fair à Modène, en Italie, Creative Commons, disponible ici : https://goo.gl/0NFhjL

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Photographie initiale, noir et blanc.

Photographie avec grain ajouté.

Photographie avec filtre Roy Lichtenstein.

Enfin, et même si cela doit être réservé à la réalisation des aides de jeu les plus exceptionnelles, notons qu’il est possible de faire imprimer de « vrais » journaux, sur du papier à journal, pour des sommes raisonnables. Ainsi, sur www.newspaperclub.com, vous pourrez imprimer un journal pour une quarantaine d’euros, une grosse partie de ce prix représentant les frais d’expédition. Si vous tirez votre journal en plusieurs exemplaires, le prix par exemplaire devient correct.

Le plan ou la carte Quand utiliser un plan ou une carte ?

Commençons par préciser la différence entre les deux : une carte est une représentation à plat d’une région géographique, et peut être simplifiée ou stylisée ; un plan est une représentation d’un endroit a priori plus petit, assez précise pour que l’on puisse s’en servir pour se repérer. On trouve donc en général des cartes de régions, pays ou continents, et des plans de villes ou de bâtiments.

Parfois, cartes et plans sont présentés comme étant objectifs et sont censés être un véritable reflet de la réalité. Dans d’autres cas, ils peuvent être subjectifs et montrer uniquement ce que savent les personnages (notamment lorsqu’ils incluent un brouillard de guerre, ou sont remplis au cours de la partie). Enfin, ils peuvent indiquer la vision « locale » de l’univers du jeu, avec tous ses biais historiques et culturels. Ces plans-là

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Aides de jeu

La carte géographique et le plan servent évidemment à se repérer dans l’espace. Ils sont d’autant plus utiles dans un JdR se déroulant dans des lieux inconnus des joueurs, puisque ceux-ci n’ont que ces supports et de vagues indications orales pour se repérer. C’est également une aide de jeu utile au meneur, qui lui-même a besoin de se repérer s’il veut rester cohérent. Ces supports peuvent toutefois fournir plus d’informations que de simples données géographiques.

peuvent transmettre de fausses informations, ou des renseignements erronés, ce qui les rend particulièrement intéressants. Quel que soit le type de plan ou de carte dont vous avez besoin, le forum The Cartographer’s Guild et la communauté Google+ du même nom seront une source d’inspiration et d’aide inépuisable (en anglais). Faire un plan

Outils en ligne Il existe de nombreux outils permettant de créer un plan de bâtiment ou de donjon, dont certains sont très simples mais largement suffisants pour obtenir des plans fonctionnels : • Deepnight.net, pour un plan simple en noir et blanc : http://deepnight.net/ tools/tabletop-rpg-map-editor/ • Pyromancers.com, pour un plan plus évolué et en couleur : http://pyromancers.com/dungeon-painter-online/ D’autres, comme MapTool, permettent de créer des plans et des cartes mais ont également pour objectif de servir de table virtuelle1 : http://www.rptools.net/ toolbox/maptool/ Qu’est-ce qu’un bon plan ? Un bon plan est un plan qui met en évidence la logique de l’organisation des lieux qu’il représente. Les lieux d’habitation s’adaptent à leur environnement, et doivent répondre aux différents besoins vitaux de leurs résidents. Si vous imaginez votre plan sans avoir ces éléments en tête, il n’aura pas l’air réaliste. Voici donc certains principes dont il vaut mieux se souvenir : • les riches sont mieux situés que les pauvres ; • les pauvres sont plus nombreux ; • les gens ont besoin de manger et boire ; • les villes évoluent avec le temps (en général pour s’agrandir). La manière dont ces considérations générales affecteront votre cité ou bâtiment dépend du contexte. Par exemple, la plupart du temps, les meilleurs appartements d’un immeuble sont en bas, et on loge les domestiques ou les étudiants sous les toits. À la Nouvelle-Orléans, ville souvent inondée, les domestiques sont logés au rez-dechaussée des maisons et les pièces à vivre sont à l’étage.

1. À ce sujet, consultez également l’article « Jouer à distance », p. 349.

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Autre exemple, le besoin en eau et en nourriture fait que la plupart des villes sont établies le long d’une rivière ou d’une côte, et entourées de cultures agricoles. Si votre cité est souterraine, alors elle doit probablement commercer avec des villes voisines qui ont des cultures. Si elle n’a pas de point d’eau, comment les habitants survivent-ils ? En cas de panne d’inspiration, n’hésitez pas à partir de cartes de villes réelles, souvent riches d’une certaine « couleur locale ». Ainsi, Valencia en Espagne a détourné le cours de sa rivière suite à une inondation, et a bâti un énorme espace vert le long de l’ancien cours ; elle est donc traversée d’un grand parc en forme de rivière. Les plans de donjons1 soulèvent le même genre de questions : comment cette tribu de gobelins est-elle arrivée au niveau -27 ? Comment survit-elle ? Un bon plan est capable de faire apparaître la manière dont le donjon s’intègre dans son environnement et le développement de son écosystème. N’hésitez pas à regarder du côté des donjons de Dyson’s Delves2. Certains sont pré-remplis, d’autres sont laissés à votre imagination, mais les plans sont à la fois beaux et variés. Faire une carte

Utiliser une carte réelle Dans un jeu contemporain, le plus simple est probablement d’utiliser une carte touristique ou un extrait de Google Maps, éventuellement retouché pour contenir les informations que vous souhaitez. Pour un jeu historique, le Web regorge de sources de cartes anciennes, avec notamment Géoportail3, ainsi que le superbe moteur de recherche Old Maps Online4, une sorte de Google Maps vous permettant de naviguer à la fois dans l’espace et dans le temps. Les cartes réelles peuvent aussi être utilisées comme base de création. Ainsi, la carte de Westeros est essentiellement une combinaison de celle de l’Angleterre au nord et de celle de l’Irlande, retournée et agrandie, au sud. Créer une carte sur ordinateur

1. À ce sujet, consultez également l’article « Construire un donjon », p. 73. 2. https://rpgcharacters.wordpress.com/zerobarrier/dysons-delves/ 3. http://www.geoportail.gouv.fr/ 4. http://www.oldmapsonline.org 5. http://sourceforge.net/projects/autorealm/ 6. http://www.profantasy.com/

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Aides de jeu

Il existe moins d’outils pour faire des cartes géographiques que pour dessiner des plans de donjons. Les plus connus sont AutoRealm5 (gratuit et libre) et Campaign Cartographer 6 (payant mais produisant de plus beaux résultats). Si vous êtes à l’aise avec les outils d’illustration comme Inkscape, vous pouvez également vous en servir pour créer vos cartes, ils vous laisseront plus de latitude.

À partir d’une forme simple dans Inkscape (par exemple un cercle transformé en chemin), appliquez le filtre « Transformer en fractale ». Vous obtiendrez une forme pouvant représenter une côte, comme à gauche ci-dessous. Vous pourrez ensuite modifier le chemin obtenu pour l’adapter à vos besoins, et illustrer le contenu. Une recherche telle que « isometric asset » sur Pinterest1 vous fournira de nombreux éléments graphiques pour représenter villes, forêts et montagnes, utilisables pour votre usage personnel. Vous pouvez également délimiter la carte en zones, qu’elles soient régulières (ici, au milieu, une triangulation) ou irrégulières (à droite, un motif de Voronoi). Pour obtenir un quadrillage régulier, créez un objet avec les outils de rendu de grille intégrés, transformez-le en motif de remplissage et affectez-le à votre terrain. Un quadrillage triangulaire ou hexagonal est plus adapté pour une carte précise (notamment pour des besoins de stratégie militaire), et une carte avec motif de Voronoi sera plus pratique pour indiquer que telle zone est une plaine, telle zone un désert, etc.

Forme simple transformée en fractale.

Zones délimitées par triangulation.

Zones délimitées par motif de Voronoi.

Si vous êtes moyennement à l’aise avec les outils d’illustration, n’hésitez pas à vous contenter des contours de terre, éventuellement d’un quadrillage. Imprimez-en plusieurs exemplaires que vous remplirez ensuite à la main. Cela vous évitera le travail le plus fastidieux. Créer une carte sur papier Faire une carte à la main lui donne immédiatement un aspect « carte au trésor » que n’a pas la carte imprimée ou affichée sur une tablette. Pour une carte à l’ap­ parence ancienne, vous pouvez trouver en papeterie du papier format A3 ou supérieur. Comme pour l’écriture de lettres, nous recommandons l’utilisation d’un stylo-plume calligraphique avec de l’encre marron pour dessiner les contours et inscrire les noms 1. https://fr.pinterest.com/bartoszroczniak/game-art-isometric-assets/

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de villes et de régions. Le pourtour des côtes, lui, peut être marqué avec un pinceau trempé dans du café. Naturellement, tout ceci est compatible avec les techniques de vieillissement du papier. Attention toutefois, si vous dessinez au préalable votre carte au crayon, ou si vous faites un quadrillage, les parties couvertes par le café ou l’encre ne seront pas effaçables ! Veillez donc à les gommer avant de faire le tracé final. Points importants à prendre en compte Le premier point est celui du focus de la carte. À moins que votre monde ne soit plat, ou que la zone représentée ne soit petite, la projection déforme nécessairement les distances à un endroit de la carte. Bien que ce soit réducteur, on peut considérer, pour un jeu historique ou de fantasy, qu’une carte est plus précise au centre que sur les bords, et que le choix du centre reflète des spécificités politiques ou culturelles. Si vous achetez votre carte dans le royaume de Pimpolin, alors le royaume de Pimpolin sera au centre, et plus on s’éloigne, plus les distances seront imparfaites, plus les connaissances seront floues. À moins que vous ne vouliez jouer sur la confusion possible, n’oubliez pas de placer une rose des vents (indiquant le nord) et une échelle. Pour l’échelle, il est souvent plus utile d’utiliser des « jours de marche » que des lieues ou des kilomètres. Utilisez une unité de mesure qui correspond à la vitesse de déplacement des personnages. Enfin, si votre carte a été créée en format numérique (le SVG est fortement recommandé, ou tout autre format vectoriel), abusez des calques, cela vous permettra de générer plusieurs versions de votre carte : une avec uniquement les informations géographiques, une avec les forces politiques, une avec les secrets à destination du MJ, etc.

Objets et accessoires Quand utiliser un accessoire ?

L’intérêt premier de l’accessoire est l’immersion : si votre personnage trouve un grimoire, et que le MJ vous en remet un, bien poussiéreux et cryptique, vous aurez l’impression de tenir entre vos mains l’objet découvert par votre personnage. Lors de l’étape suivante, quand le joueur dit « je me plonge dans l’étude du grimoire », l’effet fonctionne : il feuillette réellement le grimoire, devant tout le monde. Le deuxième intérêt, souvent sous-exploité, est de proposer une énigme intéressante. Face à un grimoire, vous pouvez faire un jet de latin et écouter le MJ vous décrire le 343

Aides de jeu

Avec le prop, l’accessoire, on entre dans le domaine du gadget. Il est très rare qu’un tel objet apporte une plus-value ludique à la table, son intérêt principal étant d’être cool. Il ne s’agit pas de remettre en question le fait que poser sur la table une réplique du poignard du méchant soit cool ; c’est une raison tout à fait suffisante pour intégrer un accessoire. Mais il en existe d’autres, plus pragmatiques, d’en utiliser.

résultat, ou bien vous pouvez réellement feuilleter un grimoire et essayer de le décrypter. Une énigme quelconque peut être résolue par un jet de dés, ou bien être réellement élucidée par le joueur, au travers de la manipulation d’un accessoire. On trouve dans le commerce différents puzzles de difficultés variables qui peuvent représenter une boîte à ouvrir1, des objets à assembler, etc. Attention toutefois, l’objet-énigme ne doit pas être utilisé à la légère : sa résolution dépend des capacités des joueurs et pas de celles de leurs personnages. À vous de voir si cette manière de jouer les satisfait. Le troisième intérêt, déjà évoqué plus haut, est d’attirer l’attention sur un élément qui pourrait passer inaperçu, comme la boîte d’allumettes du Tigre Trébuchant. Dans un jeu d’enquête, proposer un accessoire pour chaque indice important permet de les réunir au centre de la table et de créer une ambiance appropriée de «  réunion d’inspecteurs », où on assemble les pièces du puzzle. Comment créer un accessoire ?

Il est difficile de rentrer ici dans les détails de fabrication de chaque type d’accessoire possible. Pour les accessoires d’ambiance horrifique, nous nous contenterons de citer le site Propnomicon2, véritable référence en ce qui concerne les objets lovecraftiens. Pour les accessoires ayant un effet en jeu, voici quelques idées qui nous ont paru pertinentes : • le passage du temps peut être marqué par l’écoulement d’un sablier ou la combustion d’une bougie. Le sablier peut être retourné lorsque les personnages agissent ; • les jeux de plateau (échecs, hnefatafl…) peuvent représenter un jeu dans le jeu. Vaincre le MJ ou résoudre une situation de jeu revient à vaincre un PNJ dans l’aventure ; • on trouve de plus en plus d’offres de «  monnaie fantasy  », c’est-à-dire de pièces simili or, argent et cuivre avec des impressions de dragons et autres créatures fantastiques3. Ces pièces peuvent être utilisées pour représenter les ressources des personnages et les trésors qu’ils découvrent ; • les boîtes à secret et autres puzzles peuvent être résolus par les joueurs pour représenter une énigme similaire élucidée par leurs personnages. Ces puzzles sont souvent fournis avec des indices, et un jet de compétence appropriée pourrait fournir cet indice.

Conclusion Certains, fiers de leurs talents d’improvisateurs, diront qu’une aide de jeu ne sert qu’à faire plaisir au MJ qui montre à ses joueurs à quel point il a bien préparé sa partie. Nous espérons avoir présenté ici suffisamment d’exemples illustrant les diverses manières dont une aide de jeu bien choisie peut atteindre un objectif ludique original 1. http://www.baron-des-casse-tete.com/25-collection-himitsu-bako-boites-a-secret-japonaises 2. http://propnomicon.blogspot.fr 3. http://www.fantasycoin.com ou http://campaigncoins.com/

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et difficile à reproduire de manière purement narrative. Bien sûr, il ne s’agit que d’idées générales, et c’est votre imagination qui vous permettra de créer des aides de jeu qui épateront vos joueurs.

Et dans un jeu futuriste ?

Aides de jeu

Les lettres et les journaux ne sont pas forcément adaptés à des jeux contemporains ou futuristes. Il existe d’autres manières de communiquer avec vos joueurs : un extrait d’enregistrement entendu à la radio, un e-mail ou un SMS reçu sur leur portable, le compte Twitter ou Facebook d’un PNJ, un forum prenant place dans l’univers du jeu, éventuellement utilisé entre les parties…

Fiche de synthèse Introduction Qu’est-ce qu’une aide de jeu ? Un objet ayant vocation à être manipulé par les joueurs. Il sert un objectif ludique. Il a un lien avec l’univers du jeu (total ou partiel, symbolisme, etc.) Les buts des aides de jeu Favoriser l’immersion. Fournir des informations. Proposer un jeu dans le jeu. Quand utiliser des aides de jeu ? Est-ce que je veux attirer l’attention sur cet objet ? Est-ce que j’ai besoin de créer de l’immersion ? Est-ce que je peux mieux transmettre une information ainsi ? La lettre Quand utiliser une lettre ? Faire parler un absent ou un muet. Donner les informations qu’il n’aurait jamais divulguées aux personnages. Jouer sur les interprétations possibles. Éviter les questions supplémentaires. Dissimuler des informations discrètes. Jouer sur le style. Choix du support Quelle est la technologie employée ? Faut-il la vieillir ? Lettre ou carnet ? Quel est son état (conservation, soin, etc.) ? Choix de la police ou du style graphique

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Aller plus loin Codes. Encre sympathique. La coupure de journal Quand utiliser une coupure de journal ? Donner un article, une page ou plusieurs ? Fausses pistes. Ambiance et contexte historique. Réalisation pratique Faire la mise en page directement. Utiliser un générateur. Appliquer des filtres sur les photos. Imprimer de « vrais » journaux. Le plan ou la carte Quand utiliser un plan ou une carte ? Choisir entre plan et carte. Représentation objective ou subjective de la réalité. Faire un plan Outils en ligne. Qu’est-ce qu’un bon plan ?

Aides de jeu

• Suivre quelques principes de type : * les riches sont mieux situés que les pauvres ; * les pauvres sont plus nombreux ; * les gens ont besoin de manger et boire ; * les villes évoluent avec le temps (en général pour s’agrandir). • Adapter les lieux au contexte. • Penser qu’il s’agit d’un milieu pour des êtres vivants et que la plupart font au plus simple, ce qui a un impact sur les lieux. Faire une carte Utiliser une carte réelle. Créer une carte sur ordinateur. Créer une carte sur papier.

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Points importants à prendre en compte La projection déforme les distances. Le centre de la carte n’est jamais déterminé au hasard. Plus on est loin du centre, plus les informations risquent d’être imprécises. Réfléchissez à la rose des vents, l’échelle, son unité de mesure. Multipliez les calques ou les fonds de carte pour des usages différents. Objets et accessoires Quand utiliser un accessoire ? Avoir un truc cool à la table. Accentuer l’immersion. Concentrer l’attention des joueurs. Comment créer un accessoire ? Possibilités infinies ou presque. Marquer la durée via un sablier ou une combustion. Utiliser des jeux de plateau ou de société. Utiliser de la « fausse » monnaie. Utiliser des boîtes à secret ou autres puzzles.

JOUER à distance



Éric Nieudan

Merci aux copains de Radio rôliste et de L’Auberge virtuelle, notamment à Kalysto, Michaël Croitoriu, Sébastien Delfino et Volsung qui travaillent sans relâche pour améliorer les conditions de jeu des MJV de France, de Navarre et d’ailleurs.

Le JdR à distance

E

n ce xxie siècle, plus personne ne devrait se lamenter de n’avoir plus le temps de jouer à cause du boulot, des enfants ou de l’éclatement géographique du groupe historique : avec Internet au bureau, à la maison et dans nos poches, il est devenu assez facile de faire du vrai JdR, aussi souvent que pendant notre folle jeunesse enfuie. Et c’est également un moyen accessible aux nouveaux venus qui voudraient s’essayer à notre loisir.

Une table virtuelle, ques aco ?

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DISTANCE

Quand je parle de faire du JdR à distance, il ne s’agit ni de cybersexe dans World of Warcraft, ni de jeu par forum ou par e-mail. Jouer sur table virtuelle, c’est jouer avec de vrais gens, aux jeux auxquels on jouerait avec ses amis, dans son club ou en convention :

de Pathfinder à Nephilim en passant par Fiasco1 ou Les Lames du cardinal2. Avec des outils informatiques hérités du monde professionnel ou spécifiquement conçus pour cela, on peut simuler une table de jeu et réunir des joueurs distants de milliers de kilomètres. Une solution à tous nos problèmes

Avant d’entrer dans les détails, sachez que les gens qui jouent à distance le font pour différentes raisons : • une partie par semaine, par mois ou par an ne leur suffit pas ; • ils n’ont pas d’amis (près de chez eux) ; • l’envie de découvrir des jeux les taraude ; • ils en ont marre d’être MJ tout le temps ; • leurs horaires sont compliqués ; • leurs potes de jeu se trouvent à l’autre bout de la planète ; • « merde, putain, on va la finir cette chronique commencée en 1998 ? » ; • ce sont des débutants qui ne savent pas où s’initier. Alors certes, jouer par ordinateur interposé n’est pas aussi convivial que de s’asseoir autour d’une table garnie de Pépito et de Coca (ou d’olives bio et de bouteilles de triple IPA, on a tous vieilli), mais c’est toujours plus proche du JdR que les palliatifs habituels, MMORPG en tête.

Avant de se lancer Il suffit de peu de chose pour faire du JdR à distance. Tant que vous avez une connexion Internet décente et une machine capable de faire tourner un navigateur récent ou un logiciel type Skype, vous êtes paré. Un ordinateur vieux de moins de cinq ou six ans, quel que soit son système d’exploitation, devrait suffire. C’est surtout la qualité de la connexion qui importe. Vous n’avez pas envie que le plan du combat super tactique contre le dragon des égouts refuse de se mettre à jour ou que votre tirade super roleplay pour convaincre les Sekekers de vous laisser vos bijoux de famille soit interrompue faute de bande passante « Allô ? Ne coupez pas ! ». Si vous n’avez qu’une tablette ou un smartphone pour accéder à Internet, vous risquez de devoir vous contenter du minimum (communiquer par la voix, mais guère plus). Des solutions existent, même si elles sont balbutiantes. J’en mentionne une p. 353. 1. Morningstar Jason, Fiasco, Bully Pulpit Games, Chalpell Hill, 2009. 2. Auribeau Philippe, Bidal Samuel, Guirou Camille, Isnard Jérôme, Shakeri Mahyar, Les Lames du cardinal, Sans-Détour, Oyonnax, 2014.

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« Bonjour, je suis nouveau en ville et j’ai un nain douzième niveau » Pour débuter, le mieux est de trouver des gens qui jouent déjà. C’est un peu l’équivalent de la visite timide au club de la ville dans laquelle on vient d’emménager. On ne sait pas si on s’entendra avec les gens ou si on accrochera aux jeux pratiqués, mais c’est une première étape pour prendre ses repères et découvrir la culture locale. Trouver la bonne communauté

Si vous avez un jeu ou des jeux favoris, demandez sur les sites et les forums fréquentés par ses fans. Il n’est pas impossible qu’il existe déjà des groupes qui jouent en ligne. Mais si vous n’avez pas peur de découvrir à la fois le médium et de nouveaux jeux, on trouve des communautés de rôlistes qui jouent à distance aux quatre coins du Net : sur les forums généralistes ou spécialisés et sur les réseaux sociaux comme Google+ (voir p. 363).

Devenir MJ virtuel Que ce soit ou pas votre première expérience en tant que joueur, vous aurez sans doute envie de mener une partie à distance. Et là, c’est la panique. Quels outils utiliser ? Avez-vous besoin d’acheter des licences, d’engager un illustrateur, de commencer une formation d’ingénieur du son  ? Respirez un bon coup.  Avant d’enchaîner les tutoriels, vous devrez vous poser sérieusement la question de vos besoins. Une table virtuelle, c’est exactement comme une table Ikea. On peut poser dessus tout un tas de figurines, d’aides de jeu, de décors en plastique, de dalles Velleda, de dés spéciaux, etc. Ou on peut se contenter de jouer avec un bloc-notes et un crayon. Si vos besoins sont minimes, vous jouez dans votre canapé et la table ne sert plus qu’à poser votre café. Vos besoins dépendront aussi du jeu que vous envisagez d’animer, et vous serez sans doute amené à changer de méthode d’une partie à l’autre. Tranquille contre Gros Bill : deux exemples d’outils

Nous n’en sommes qu’aux balbutiements du JdR à distance, mais les solutions sont quand même nombreuses. C’est un peu comme les systèmes de jeu, tout le monde a ses préférences et personne ne démord de son avis. Dans les pages qui suivent, je vais principalement parler des deux outils que j’utilise le plus, et j’en mentionnerai quelques autres à la fin de cet article. La Méthode tranquille : vidéo par Google Hangouts

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Hangouts est l’application de chat texte, vocal et vidéo de Google. Elle est intégrée à toutes les versions de Chrome (PC, Mac ou Linux). Dans les autres navigateurs,

le plugin nécessaire s’installe en un clin d’œil. On accède aux Hangouts depuis Google+, Gmail, Inbox ou la page dédiée (hangouts.google.com)  : choisissez vos contacts et cliquez, vous avez une fenêtre de vidéoconférence pour tout le monde. Cela ne marche pas toujours aussi bien que les logiciels du commerce, mais c’est gratuit et facile d’utilisation. On verra plus bas que cette solution fonctionne pour tout type de JdR, du moment que l’on n’est pas trop exigeant sur les options.

Lancer de dés dans le chat texte de Google (gros plan)

La méthode Gros Bill : table virtuelle Web sur Roll20 Pour qui souhaite devenir un pro de la maîtrise virtuelle, roll20.net est un service qui offre à peu près tout : la vidéo, les dés, les feuilles de personnages, la musique et tous les outils utiles à un MJV (MJ Virtuel) qui se respecte. Aucune installation n’est nécessaire puisqu’il s’agit d’un site Web – on est donc à même de satisfaire les adorateurs du démon Micro$oft comme les hipsters du Mac ou les amis des pingouins. Le site a une application mobile depuis peu mais ma dernière tablette ayant rendu l’âme au printemps, je n’ai pas eu l’occasion de la tester.

Illustration de fond, feuille de personnage et aides de jeu sur Roll20.

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Pour jouer, on crée une « campagne » qui contiendra toutes les informations dont on aura besoin lors des parties. Ces données sont conservées sur le site, ce qui est bien pratique quand on veut profiter de la pause déjeuner au bureau pour consulter ses notes et préparer sa séance. Un compte gratuit donne accès à 90 % des fonctionnalités et à un espace de stockage raisonnable. Je détaillerai au fur et à mesure, mais sachez que Roll20 a un plugin pour Hangouts qui affiche la campagne à tous les participants, qu’ils aient un compte ou non. Pratique pour faire venir des débutants.

Un plan, des figurines et des notes sur Roll20. (Les zones grisées apparaissent en noir pour les joueurs.)

La voix

Si vous n’avez pas la possibilité de parler avec vos joueurs, vous aurez du mal à faire du JdR. Les solutions ne manquent pas : de Skype à Mumble, en passant par TeamSpeak et Hangouts, vous devriez vite trouver une solution qui convienne à tout le groupe. La voix, c’est le minimum vital pour jouer en ligne. Tant que vous vous entendez, tout le reste peut se faire en réel, chacun dans son coin : griffonner des notes dans un carnet, consulter un scénario papier et lancer les dés chez soi (à condition que tout le monde se fasse confiance, bien sûr). Point matériel

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De nos jours, les micros des webcams et des ordinateurs portables sont de bonne qualité, souvent même trop bonne. Un casque ou des écouteurs vous éviteront de faire écho dans le canal audio de tout le monde (socialement, c’est l’équivalent en table virtuelle des odeurs corporelles mal maîtrisées). Dans le même ordre d’idées, le micro intégré risque de capter les rires des enfants et les aboiements du chien du voisin.

Rien de tel pour casser une ambiance de donjon bien glauque que la sirène d’une ambulance qui passe sous les fenêtres de quelqu’un. Si vous n’êtes pas un hardcore gamer, sachez que l’on trouve des casques-micros de bonne qualité à peu près partout pour un peu plus d’une trentaine d’euros. Et que si votre portable est dépourvu de jack micro, il existe des adaptateurs USB pour une bouchée de pain sur Amazon ou eBay. La vidéo

À moins d’être un grand timide ou un alien infiltré sur la planète Terre, il est souvent mieux de jouer avec l’image. Cela vous permettra de parler avec les mains et de profiter des expressions faciales des autres quand vous leur faites un sale coup dans le dos. Ceci dit, jouer en audio seul à une table qui pratique la vidéo n’est pas rédhibitoire. Ici, les solutions sont aussi nombreuses que les logiciels de vidéoconférence. En ce qui concerne la Méthode tranquille, Hangouts présente beaucoup d’avantages : • aucune installation : il marche dans les navigateurs Web récents ; • l’écosystème permet de démarrer la séance à l’heure prévue (les personnes inscrites à la partie reçoivent une invitation automatiquement) ; • les plugins pour prendre des notes en commun ou dessiner des cartes (voir p. 357) ; • les plugins pour lancer des dés (DiceStream, Bones, etc.) ; • le plugin Roll20 (voir p. 352), qui permet de partager sa campagne avec des gens qui n’ont pas de compte sur le site1 ; • vous pouvez partager votre écran et donc montrer une image ou un schéma aux autres participants ; • pour les parties de démonstration, vous pouvez choisir de diffuser en direct sur YouTube.

Le plugin Bones pour Hangouts ne protège pas des échecs critiques.

1. Google a récemment mis à jour Hangouts et les plugins ont disparu. Espérons que cela ne soit que temporaire.

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Partager son écran pour montrer une carte sous Hangouts (notez les plugins dans la barre de gauche).

Avec ou sans webcam ? Il y a des pour et des contre. Voir la tête des autres participants est plus vivant, et savoir que l’on est filmé aide à résoudre les problèmes d’attention : on a moins tendance à se curer le nez, à ouvrir un bouquin ou à carrément s’endormir (ne rigolez pas, ça m’est arrivé avec un éditeur que je ne nommerai pas de peur que mon chèque pour cet article se perde). Au rayon des inconvénients, on peut citer la bande passante qui parfois en souffre, et la timidité de certains joueurs (ou de leurs conjoints qui ne souhaitent pas être immortalisés sur YouTube alors qu’ils traversent l’arrière-plan en pyjama, leur brosse à dents dans la bouche).

La musique et les bruitages

Là, ça se corse. Comme dans une partie classique, jouer en musique demande un peu de travail1. Pour peu que vous soyez regardant sur le timing des bruitages et des changements de bande-son, vous ne pourrez pas vous servir d’une solution tout-en-un sur Internet (en tout cas pas à l’heure actuelle, mais je suis sûr que ce problème sera vite résolu). En revanche, si vous avez juste besoin d’un peu de musique de fond, Roll20 a un juke-box qui joue des morceaux libres de droits à partir de SoundCloud et des ambiances sonores tirées de Tabletop Audio – pas de Basil Poledouris pendant la scène de voyage à travers la steppe, désolé.

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1. À ce sujet, consultez l’article « Jouer en musique », p. 297.

Sur Hangouts, on peut partager des vidéos YouTube. Le choix est plus large (et pas toujours légal), mais comptez un temps de latence qui risque de ruiner vos effets de surprise, sans parler des éventuelles publicités qui pourraient casser l’ambiance au pire moment. Cela mis à part, c’est une solution tout à fait suffisante pour la musique d’ambiance (et Basil Poledouris dans la steppe). Pour faire de la sonorisation de pro, les spécialistes recommandent Mumble ou TeamSpeak, deux logiciels gratuits ou presque : il faut dépenser quelques euros pour louer un serveur. Évidemment, et comme toute solution logicielle, il faut prendre le temps de l’installer chez chacun des participants. Quelqu’un devra s’être penché sur la technique (il existe des tutoriels et des wikis pour cela) afin de guider les autres dans leurs réglages. C’est plus de boulot, mais la qualité sonore est à ce prix. Les dés (et les cartes)

Lancer les dés chez soi, ça va une fois de temps en temps, mais c’est se priver d’un des plaisirs de notre loisir  : le suspense partagé. Ce sont ces moments, généralement en fin de partie, où tout le monde se penche sur la table pour être témoin du résultat d’un jet vital. Et je ne parle pas des problèmes de confiance qui risquent de s’envenimer sur la durée : pourquoi est-ce que le paladin réussit toujours, mais alors toujours, ses jets de chasteté ? Tous les logiciels de table virtuelle proposent un lanceur de dés plus ou moins sophistiqué. Celui de Roll20 a une pelletée d’options : du lancer simple (en tapant /roll dans le chat) aux boutons customisables, en passant par les formules et les macros qui comptent les réussites ou les dés en 3D qui roulent sur l’écran. Pour vos parties sur Hangouts, vous pouvez vous servir du chat texte (voir encadré suivant) ou de plugins comme Bones ou DiceStream. Ce dernier est mon préféré parce qu’en plus d’afficher les résultats en surimpression au-dessus de la tête du joueur, il propose un bandeau (façon interview télé) pour le nom de votre personnage et sa profession. Quand on joue en one shot avec des gens que l’on ne connaît pas, c’est pratique pour se rappeler que le premier barbu joue Korloff le mercenaire bourru, que le deuxième incarne le Terrible Shugenja Masqué et que le troisième est Mélinda la demi-elfe aguicheuse. Si votre jeu utilise des cartes à jouer, Roll20 intègre un paquet virtuel que l’on peut mélanger, distribuer et arranger comme on le souhaite. Il est même possible d’importer ses visuels pour jouer avec des cartes spéciales.

Dés de secours À défaut d’une autre solution pour lancer les dés en partie, les petits gars de chez Google ont pensé à nous. Tapez /roll suivi du nombre de dés (2d6, 1d20+7…) dans le chat texte du Hangouts. Pas celui de la vidéoconférence, celui qui apparaît dans votre fenêtre Google+, Inbox ou Gmail. (J’espère qu’ils penseront à rectifier ça, d’ailleurs.)

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Les images et les notes

Quand on est séparé par des milliers de kilomètres, que l’on se voie uniquement (dans le meilleur des cas) dans une petite fenêtre et que le son n’est pas forcément bon, il est toujours utile de compléter ses descriptions avec quelques illustrations ou photos judicieusement choisies. En mode Tranquille, vous travaillez vos scénarios comme le faisaient vos ancêtres. Toutes vos notes sont sur papier ou dans un fichier quelconque, et quand vous avez des images à montrer, vous pouvez partager votre écran. Les solutions Gros Bill sont toutes dotées de fonctionnalités qui vont dans ce sens. Roll20 a un système d’aides de jeu (handouts) qui contiennent chacune une image et des notes que les joueurs peuvent modifier si le MJV leur en donne les droits. Il existe aussi un champ pour les notes secrètes de la campagne. Ce genre d’outils permet de préparer ses séances directement dans Roll20 : toutes les informations nécessaires au scénario sont sur le site, et en théorie vous pouvez vous dispenser de tout autre support. Prenons un exemple. Vous créez une aide de jeu pour un PNJ : le sergent Kendra Jones des marines coloniaux. Vous l’illustrez avec une image trouvée sur Internet et vous inscrivez les informations que les personnages connaîtront dès le début : son nom, son grade et le fait qu’elle ait servi avec le frère d’un des héros, disparu en mission sur la station Blue Cluster. Au départ, l’aide de jeu est privée. Vous pouvez la rendre visible pour un ou plusieurs joueurs. Quand vous la mettez à disposition, les joueurs peuvent y ajouter leurs propres observations, mais personne d’autre que vous ne verra vos notes : « le sergent Jones n’est jamais revenue de Blue Cluster. La créature nanobiologique qui la remplace a pour mission de préparer l’invasion des Xénobébêtes de Xarg  ». Si vous ajoutez les caractéristiques de l’extraterrestre, vous avez une fiche de PNJ multi-usage. Les plans et les quadrillages

Partager des informations n’est pas 100 % nécessaire pour jouer en ligne. Chacun peut prendre ses notes sur un coin de bureau. Mais sur Internet, il est dommage que tout le monde ne profite pas du travail des autres. Il est aussi bien pratique de griffonner un plan pour éclaircir une situation tactique. Là encore, on peut se la jouer Gros Bill ou y aller Tranquille. Le dessin tranquille Si le jeu ne nécessite que quelques notes et un schéma ou deux, contentez-vous d’un document partagé. Hangouts a une fonction notes qui ouvre un Google Doc automatiquement partagé par tous les participants. Chacun peut y écrire ce qu’il veut pendant la partie et s’y référer entre les séances. Dans le cadre d’un système de jeu peu compliqué, cela peut même suffire pour les feuilles de personnages.

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Si vous avez besoin de dessiner, les choses se compliquent un peu. Toujours sous Hangouts, il est possible de partager un document Google Drawings (une sorte de

Paint en ligne). C’est un outil suffisant pour dessiner à main levée, faire des formes simples, des flèches, des blocs de texte, etc. Si votre jeu a des mécanismes façon plateau (des pions ou des compteurs qui passent d’un joueur à l’autre, par exemple), Google Drawings est un moyen simple de les simuler  : un cercle de couleur avec un mot dessus, et vous avez un pion reproductible à l’infini. Il ne manque plus qu’à attribuer une zone de la page à chaque joueur pour savoir à tout moment qui possède quel pion.

Un tapis de jeu pour Swords Without Master1 bricolé sous Google Drawings.

Les options des Gros Bill Ici, tout est compris : les outils de dessin, les pions, les figurines, etc. C’est l’idéal si vous jouez des combats en mode tactique : une carte choisie dans la bibliothèque d’images, importée depuis chez vous ou dessinée à l’arrache sur un fond parchemin. Personnellement, j’ai une campagne où les joueurs dessinent le donjon au fil de leur exploration, ambiance années 1980. Quand il y a un combat, on se contente de zoomer sur la salle. Un système de calques évite de déplacer le plan quand on veut bouger sa figurine. Notons ce petit plus : il existe un calque réservé au MJ, qui lui permet de cacher les figurines des monstres que les joueurs n’ont pas encore rencontrés et de prendre des notes sur ce qui s’est passé dans la salle. Pour les fanas de la figouze, Roll20 gère les quadrillages et les hexagones à l’échelle de votre choix. Avec un compte payant, vous avez accès au brouillard de guerre (la carte est noire pour les joueurs ; on en révèle les portions au fur et à mesure) et à l’éclairage dynamique (on assigne des sources de lumière aux figurines et le décor apparaît au fil de leur déplacement). Ce genre d’effets spéciaux demande un temps de préparation supplémentaire, ce qui n’est pas pour tout le monde : certains d’entre nous ont une vie sociale et des jeux vidéo à finir, après tout… 1. Ravachol Epidiah, Swords Without Master, Worlds Without Master, 2014.

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Les tableaux blancs Il existe pléthore de tableaux blancs virtuels destinés aux professionnels  : Linoit, RealtimeBoard, Prezi, Cacoo… et ce ne sont que ceux que je connais. Si vous pratiquez un jeu dans lequel chacun est susceptible de contribuer à la création, le tableau blanc est une excellente solution. Il y a de la place pour les feuilles de personnages (qu’on peut remplir directement avec l’outil texte), les images représentant les lieux et les PNJ, les plans, les notes des joueurs, etc. L’avantage par rapport à une application orientée MJ & joueurs, c’est que tout le monde a les mêmes droits : je peux illustrer les contacts de mon personnage comme je veux, modifier la carte de relations entre les protagonistes, etc. sans avoir à solliciter un MJ qui a autre chose à faire. En l’état actuel des choses au moment de l’écriture de cet article (juillet-août 2015), la recommandation des spécialistes est cacoo.com. C’est une application Web gratuite qui ne limite pas les participants et gère les onglets pour chaque tableau.

Tableau blanc sur Cacoo.com prêté par Volsung J.O. Notez les onglets pour les feuilles de personnages.

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Les informations prennent de la place quand on joue en campagne, et il devient assez vite fatigant de zoomer et dézoomer constamment sur un tableau qui a pris les proportions de la grande muraille de Chine. Une option à l’étude sur l’auberge virtuelle (la communauté Google+ des rôlistes à distance francophones) à l’heure où j’écris ces lignes, c’est Google Slides (un PowerPoint en ligne), qui permet d’avoir à la fois les dessins, les notes et les illustrations dans le même document avec un système de pagination.

Un tableau avec des notes, des photos et des pions sur Linoit.com (réalisé par Fabulo Genesis).

L’automatisation des tâches

La technologie ne sert pas seulement à imiter la réalité. Cela peut aller plus loin. Les logiciels conçus pour le JdR poussent la sophistication jusqu’à automatiser une partie des mécanismes de jeu. J’ai déjà expliqué qu’ils savaient compter les réussites de chaque dé. Ils peuvent aussi faire un jet sur une table et en afficher le résultat. Ou décompter les points de vie du gobelin numéro 7 quand Frontal le barbare lui colle un coup de boule. Son copain l’élémentaliste Kikram sera content d’apprendre que les zones d’effet de ses boules de feu se placent toutes seules. Si vous jouez avec des cartes spéciales, vous pouvez les piocher au hasard, les distribuer aux joueurs ou les placer sur la table où bon vous semble, face visible ou cachée. Une fois de plus, préparer tout cela demande du temps. Plusieurs plateformes proposent, pour des sommes modiques, des modules tout prêts avec les décors, les rencontres préparées et toutes les informations déjà remplies. Les autres Gros Bill

Comme je le disais il y a quelques pages, Roll20 est loin d’être la seule solution complète pour faire du JdR en ligne. Des logiciels comme Rolisteam, Fantasy Grounds et la suite RPTools proposent des options plus poussées. Fantasy Grounds, par exemple, a un partenariat avec Wizards of the Coast et vend des packs qui permettent d’automatiser les classes de personnages et les monstres sans rien avoir à rentrer soi-même.

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En plus de leur coût (relativement modique), tous ces outils ont une courbe d’apprentissage un peu plus élevée. Il faudra plus de travail pour convertir vos joueurs. Ces logiciels sont souvent plus anciens que les plateformes Web, mais ce n’est qu’avec ces outils que le jeu en ligne se popularise vraiment.

Fantasy Grounds, une application qui sent bon Baldur’s Gate.

N’ayant pratiqué ces solutions que lors de très brefs tests, je me garderai bien d’établir un comparatif. Mon conseil ne change pas  : si vous lancez une table virtuelle vousmême, commencez simple. Vous serez toujours à temps de monter de niveau par la suite.

Oui mais… effort « Dis, papy Eric, toi qui as beaucoup joué en ligne, est-ce que c’est vraiment aussi fun qu’en vrai ? — Ah ah, les enfants, vous m’en posez, une question. Tout n’est pas noir et blanc comme pendant la guerre contre les forces de Zurgoniax le Maudit. » Les avantages du jeu en ligne sont nombreux : • on joue avec des gens de partout, ce qui est pratique quand on n’habite que quelque part ; • on case une partie de JdR comme une séance de console (un soir à l’improviste, le dimanche matin, un jour de maladie…) ; • on teste des jeux : Internet commence à ressembler au plus grand club de JdR au monde, et c’est pas fini ;

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• quand il fait mauvais dehors, on joue au chaud sans avoir à braver les éléments et les transports en commun.

Mais les inconvénients persistent : • la technologie n’est pas parfaite : on perd toujours du temps avec les soucis techniques de l’un ou de l’autre. (Pas plus que l’on en perd en transport et à commander les pizzas, ceci dit.) Prévoyez quand même une dizaine de minutes (plus si vous avez un ou plusieurs nouveaux) pour régler les impondérables ; • au début, il faut une ou deux séances pour se projeter dans le jeu et oublier qu’on parle à un écran. C’est un peu comme si on était un débutant à nouveau : il y a un moment où les feuilles de papier disparaissent et l’imaginaire prend le dessus ; • à distance, on est privé de la gestuelle et de la plupart des expressions faciales : les webcams, si elles sont activées, n’apparaissent que dans de petites fenêtres. Impossible de poser une question d’un regard, de tendre un dé à un joueur ou de faire un clin d’œil au MJ. Il faut donc être plus attentif aux voix. En tant que meneur, pensez à distribuer le temps de parole et à vous assurer que personne ne s’ennuie (sachant que dans le cadre d’une activité en ligne, il est facile de se distraire sans casser l’ambiance de la partie). En tant que joueur, faites attention à ne pas couper les autres et, même si vous avez un moment d’inattention, ne perdez pas le fil de l’action. Du coup, si le fait de tous parler en même temps peut contribuer au plaisir de certaines parties, ce ne sera pas possible lors d’une séance en ligne ; • même s’il n’existe aucune limite théorique à la durée des parties, dans les faits, vous trouverez beaucoup plus de séances de trois heures les soirs de semaine que de marathons courant sur tout un week-end. Le format court n’est pas un inconvénient en soi, mais vous aurez sans doute moins de choix par rapport aux parties classiques. Honnêtement, la pratique permet de compenser tous ces inconvénients et on arrive vite à des tables virtuelles presque aussi efficaces que celles où les joueurs sont physiquement réunis. Le seul truc encore impossible, c’est de partager les Granola.

Conclusion : des liens non cliquables Alors, le JdR à distance est-il fait pour vous ? Ne comptez pas sur moi pour répondre à cette question. Essayez, vous verrez bien. Je parie ma première hache +1 que vous y prendrez goût. Ci-dessous, une liste de tous les sites et les logiciels dont j’ai parlé. Sachez aussi que l’on a pas mal discuté du JdR par table virtuelle dans les épisodes 46 et 47 de Radio rôliste (radio-roliste.net). • Son : teamspeak.com, mumble.com. • Vidéo : hangouts.google.com, skype.com.

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• Tableaux blancs  : linoit.com, prezi.com, cacoo.com, realtimeboard.com, drive.google.com. • Tables virtuelles : roll20.net, fantasygrounds.com, rptools.net. • Communautés  : jdrvirtuel.com, virtuaJdR.net, la communauté L’Auberge virtuelle sur Google+, le groupe Facebook FR Roll20, ou le sujet « Looking For Group » sur roll20.net.

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• Exemple de partie en ligne : partie de Dark Heresy en table virtuelle avec roll20 et TeamSpeak 3, où l’on voit les outils utilisés ainsi que le visage des joueurs et de la MJ, Scarlett Souris : https:// youtu.be/CriWsx7ZQeY

OLD SCHOOL

JOUER Old school



Nicolas Dessaux

Qu’est-ce que l’OSR ?

D

epuis une dizaine d’années, le mouvement OSR (Old School Renaissance) a émergé pour devenir l’une des sphères les plus créatives du JdR, au point que certains de ses concepts ont été importés ailleurs. Au départ, l’idée était de revenir à la simplicité des premiers JdR, avec une bonne dose de nostalgie. Mais de cette recherche sont nés bon nombre d’idées, de jeux, de scénarios, de suppléments en tout genre. Les rétroclones, c’est-à-dire les systèmes de règles compatibles avec les anciennes éditions des JdR des années 1970 et du début des années 1980, ont euxmêmes engendré des quasi-clones ou des néoclones, qui explorent de nouvelles pistes tout en conservant un air de famille avec leurs aïeux. Mais au-delà, l’OSR c’est une myriade de blogs, de forums, de scénarios et de suppléments autoproduits, qui puisent dans l’histoire du JdR tout en la renouvelant. Après quelques années, le succès de l’OSR peut être mesuré par le soin que l’éditeur de D&D a pris de rallier cette sphère à sa dernière édition.

Créez vos PJ aléatoirement Dans le temps, c’est-à-dire aux débuts de notre hobby (boîte Moldvay ou Mentzer), on ne créait pas un personnage. On le «  tirait  » aux dés. 3d6, dans l’ordre des six caractéristiques. Puis, en fonction des résultats, on pouvait choisir sa classe. Nain, par 365

exemple, ou bien magicien. C’était encore le cas quand j’ai commencé à jouer. Plus tard, j’ai découvert des jeux où l’on répartissait des points. Je dois le confier : je suis toujours incapable de répartir des points correctement. Trop long, trop de calculs pour un résultat insipide. La création aléatoire, c’est l’un des mantras de l’OSR. Pour le joueur comme pour le MJ, c’est un gain de temps considérable, surtout lorsque l’on ne maîtrise pas le système sur le bout des doigts. C’est le remède à l’optimisation, aux personnages stéréotypés et calibrés sur mesure. On me demande parfois si cela ne crée pas des personnages bancals, déséquilibrés, des loosers ? Oui, bien sûr, parfois. Justement ! C’est ce qui les rend attachants et uniques. Il m’est arrivé d’obtenir un personnage dont aucun score n’atteignait la moyenne et de prendre beaucoup de plaisir à l’incarner. Au lieu d’être taillés pour l’action, ils doivent faire leurs preuves. Survivre est un enjeu en soi, et quelle récompense quand ils y parviennent  ! Si vos joueurs n’ont pas l’habitude, ils râleront, c’est certain. Soyez inflexible. Ne les laissez pas échanger des scores, lancer plus de dés que prévu, soit autant d’artifices néfastes à l’expérience véritable. Ils vous remercieront d’avoir bousculé leurs petites habitudes.

Ne faites pas de background Le concept de background de personnage a pris énormément d’importance au fil de l’histoire du JdR. Je dois confesser avoir été un intégriste du background développé, rédigé, discuté, de la séance complète dédiée à la création d’un personnage. J’en suis revenu, pour plusieurs raisons. Ce qui singularise un personnage, c’est d’abord les aventures qu’il va vivre, pas ce qu’il a fait avant de commencer. Il n’existe rien de plus frustrant qu’un background détaillé mais finalement peu compatible avec les aventures jouées, ou avec celui des autres personnages. Et puis, quand on dispose d’un temps restreint pour jouer, c’est une perte de temps inutile. Aujourd’hui, surtout quand je maîtrise de l’OSR, le background se résume aux caractéristiques et à la classe de personnage – et c’est une véritable libération.

Oubliez les compétences, demandez-leur comment ils font La plupart des jeux issus de l’OSR sont dépourvus de système de compétences. Le problème n’est pas tant que ce soit incompatible avec l’esprit des premiers JdR : Empire of the Petal Throne1, publié en 1975, possédait un embryon de système de talents, et RuneQuest, en 1978, a popularisé l’usage d’une liste de compétences exprimées en pourcentages. Mais la plupart des joueurs de l’OSR se méfient des compétences, et les ont parfois en horreur. 1. Barker M.A.R., Empire of the Petal Throne, World of Tékumel, Rules for Fantasy Adventures and Campaigns on an Alien Planet, TSR, Lake Geneva, 1975.

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Les défenseurs des compétences considèrent en général qu’elles donnent des personnages moins stéréotypés, plus finement détaillés, que dans les jeux qui les intègrent dans une classe de personnage. C’est possible en théorie, mais dans la pratique, la plupart des joueurs reconstituent presque intuitivement le même type de personnages, avec ou sans classes, avec ou sans compétences. Les exemples de création de personnages des jeux à compétences sont presque toujours d’une banalité sans bornes, si bien que cet argument d’originalité est le plus souvent invalide. La fluidité de jeu est également en cause. Chercher la compétence adaptée sur la feuille de personnage constitue souvent une perte de temps qui nuit au rythme de la partie. Enfin, les compétences tendent à réduire les capacités des héros plutôt qu’à les augmenter. Ceux de la bande dessinée et des feuilletons savent escalader, monter à cheval, conduire un hélicoptère, se battre, parler de multiples langues, etc. Ils n’ont pas besoin d’avoir appris tout cela. Lorsque je puise dans mes souvenirs, je m’aperçois que c’est ce que j’ai mis en œuvre de manière intuitive et que c’est ce qui me posait problème avec les compétences trop détaillées.

N’hésitez pas à tous les tuer, ce n’est pas la fin de l’histoire Si le JdR est caractérisé par le fait d’incarner un personnage qui revient d’une séance à l’autre, il peut sembler curieux de voir le massacre total du groupe de personnages érigé en concept, voire de le glorifier. Le TPK (Total Party Kill) est pourtant un concept courant de l’OSR. Le célèbre scénario de Gary Gygax, Tomb of

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Que leur reprochent-ils  ? Tout d’abord, de pousser à privilégier les jets de dés par rapport à l’inventivité des joueurs pour résoudre les problèmes. Le Quick Primer for Old School Gaming, de Matthew Finch, qui est considéré comme l’un des manifestes de l’OSR, développe particulièrement ce thème sous la forme d’une série d’exemples. Le joueur new school cherche à résoudre les problèmes par de simples jets de dés, là où le joueur old school décrivait minutieusement les actions de son personnage. Pour découvrir quelque chose, faut-il réussir un jet de Trouver ou décrire les lieux où on le cherche précisément ? Bien sûr, il y a une part de caricature, mais cela a marqué ses lecteurs. Qu’est-ce qui prime ? Est-ce que ce sont les talents du joueur ou ceux du personnage ? L’OSR penche pour la première solution. Il ne s’agit pas seulement d’employer moins de règles, mais d’abord de pousser les joueurs à réfléchir sur ce que font leurs personnages. Expliquer le moyen par lequel on désamorce un piège est plus intéressant que de lancer les dés pour la même action. Même une action incertaine comme escalader peut devenir plus intéressante si le joueur explique bien comment son personnage s’y prend. C’est à doser selon les cas de figure, car les jets de dés peuvent entretenir la tension ou accélérer certaines actions. Dans l’OSR, le cas par cas prime sur la règle définie à l’avance.

Horrors, avec ses pièges monstrueux destinés à tester la ruse des joueurs – plus que celle des personnages – ou encore le manuel des Pièges de Grimtooth1, sommet de sadisme ludique, en sont l’illustration. Il est vrai que, dans les premiers âges du hobby, on ne s’embarrassait pas toujours de détails avec les personnages. Il était courant de voir un joueur disposer de plusieurs personnages, ou d’un seul, mais accompagné de suivants, jusqu’à ce que la sélection naturelle en fasse émerger un. Dans ces conditions, leur donner un nom n’était pas forcément utile. Même sans tomber dans cet extrême, le TPK est à la convergence de plusieurs idées fortes de l’OSR : mettre l’emphase sur l’aventure plutôt que sur les personnages, sur ce qui est joué plutôt que sur le background, obliger les joueurs à déployer leur ruse plutôt que la force des personnages quand ils font face à une situation dangereuse, apprendre à fuir ou à parlementer, sans hésiter à les confronter à des adversaires à la puissance disproportionnée, les pousser dans leurs derniers retranchements, montrer la violence du monde et leur fragilité, permettre à des personnages somme toute assez ordinaires au départ de devenir des héros par leurs propres exploits plutôt que par les facilités qu’on leur a accordées. On peut très bien jouer en mode OSR sans TPK, mais il n’est pas interdit d’y réfléchir et d’en comprendre les implications réelles. Ainsi, même si cela peut surprendre aujourd’hui, le MJ peut très bien anticiper le TPK et même l’utiliser de manière intéressante. Par exemple, il est possible d’envoyer un premier groupe naïf et imprudent se faire massacrer rapidement comme introduction au scénario, puis en confronter un second, plus solide et plus averti, à la même menace. Même sans aller jusque-là, il est envisageable de combiner mortalité élevée et continuité de la partie, ce qui contribue à renforcer le sentiment qu’un danger extrême guette les personnages. C’est le principe des Red Shirts de Star Trek, personnages destinés à mourir dans l’épisode même où ils apparaissent. La pratique, très courante dans l’OSR, de faire escorter les personnages par une bande de suivants permet de transformer l’un d’entre eux en PJ. Le PNJ prisonnier libéré qui devient un PJ est un autre classique indémodable, qui a pour fonction de compléter les rangs jusque dans le plus obscur des donjons. Ainsi, la continuité du groupe l’emporte sur celle des personnages qui le composent. Personnellement, j’emploie une alternative assez simple au TPK. Lorsque les personnages sont tous au sol, je ne considère pas qu’ils sont morts, mais bel et bien prisonniers, comme ce serait le cas dans un film. C’est ensuite le prétexte à de belles scènes d’évasion dans des conditions catastrophiques. Il m’est arrivé de leur donner l’occasion de s’évader après des mois d’esclavage, soit parce qu’une opportunité se dessinait, soit parce que la perspective d’un banquet anthropophage les poussait à tenter le tout pour le tout… 1. O’Connor Paul Ryan, Grimtooth’s Traps, Flying Buffalo, Scottsdale, 1981.

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Un scénario bien construit, une enquête bien ficelée, une intrigue bien structurée, beaucoup de préparation… Et si le JdR ne consistait en rien de tout cela  ? Et s’il s’agissait simplement d’explorer des terres inconnues ? Les règles originales de D&D, l’aïeul des JdR, comportaient entre autres particularités le fait de proposer d’employer comme matériel de jeu des produits d’autres sociétés, sans l’accord de celles-ci ; parmi eux, Outdoor Survival1, un jeu de plateau publié par Avalon Hill en 1972. Il s’agissait d’un jeu d’exploration de terres sauvages, qui avait le mérite d’offrir une carte à hexagones dépourvue de toute mention écrite : cela en faisait la carte générique idéale. Il suffisait de transformer les tanières d’ours en villes ou en châteaux pour avoir un monde fantastique. Dans Outdoor Survival, on devait se déplacer en trouvant de la nourriture et de l’eau, sans faire de mauvaises rencontres. Couplé avec quelques tables de rencontres aléatoires, il devenait possible de s’en servir comme support de JdR. Pour rendre l’exploration intéressante, il faut mettre en place beaucoup d’obstacles et de rebondissements qui forcent les joueurs à réfléchir. Franchir une rivière ou un ravin est stimulant, s’ils trouvent une solution intéressante et qu’elle fonctionne. Si vous avez des réserves de plans, utilisez-les lorsque vos PJ tombent sur des ruines étranges, qu’ils les explorent ou qu’ils les fuient, cela participe à l’ambiance. L’exploration ne consiste pas seulement à remplir une carte, elle est plus intéressante si les personnages découvrent peu à peu les mystères de la région : civilisations éteintes, causes de leur disparition, relations entre les habitants, lieux inattendus, richesses imprévues. Les tables de monstres errants, classiques des jeux de l’OSR, sont source de surprise à condition de savoir les utiliser. Si, régulièrement, un monstre tombe sur les personnages sans que les joueurs ne puissent faire quoi que ce soit, cela devient vite lassant. Voir la trace du même monstre dans la boue, deviner sa silhouette à l’horizon, découvrir les restes déchiquetés de sa proie, savoir qu’il suit les personnages est déjà plus stimulant  ; même si le monstre ne se montre jamais. N’oubliez pas non plus d’alterner les rencontres et les obstacles matériels. Une astuce que j’utilise souvent consiste à tirer non pas un mais deux monstres sur ladite table. Je les associe, soit parce qu’ils voyagent ensemble (cavalier et monture, par exemple des hommes-lézards montés sur des ours-hiboux), soit parce qu’ils s’opposent (partie de chasse, guerre entre humanoïdes). Cela donne des rencontres plus contrastées et plus étranges, qui frappent davantage l’imagination. Enfin, gardez à l’esprit que les rencontres ne sont pas toujours mauvaises ou hostiles. Même dans la jungle la plus profonde, les aventuriers peuvent avoir de bonnes surprises.

1. Dunnigan Jim, Outdoor Survival, Avalon Hill, Renton, 1972.

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L’objectif des PJ ? Explorer !

Mais ne vous inquiétez pas, tout MJ sait qu’une équipe de joueurs est capable de provoquer assez de péripéties inattendues pour jouer une séance complète en dehors des rails du scénario, qu’ils créent eux-mêmes la plupart des problèmes qu’il leur faut résoudre (et suggèrent l’autre moitié) ; il sait également qu’il manque toujours de temps pour préparer son scénario et que plus il l’a préparé, plus les joueurs s’ingénient à en sortir. Le jeu d’exploration limite à l’extrême la préparation, même s’il reste possible d’y implanter des zones détaillées et des intrigues complexes, tout en utilisant au maximum le facteur chaos constitué par les joueurs. Un des grands classiques du début des années 1980, L’Île de la terreur1, fournissait aux joueurs une carte d’une île dont seules les côtes étaient représentées, le reste étant composé d’hexagones blancs. Tout n’était qu’exploration et découverte d’une île peuplée de pirates, de sauvages et de dinosaures dans le plus pur style pulp. Ce refus de la linéarité, de l’arc scénaristique tracé à l’avance, se retrouve dans les concepts clés de l’OSR que sont le bac à sable et le mégadonjon2.

Créez l’univers pendant les parties : le bac à sable Parmi les notions qui ont émergé dans la sphère de l’OSR et qui ont débordé ses frontières, il y a celle du sandbox, le bac à sable. La légende3 veut que le terme puise son origine dans les bacs de sable utilisés par les joueurs de figurines pour mettre du relief dans leurs champs de bataille. L’idée centrale du bac à sable, c’est que le monde n’est pas défini a priori, mais qu’il s’élabore au fur et à mesure des séances de jeu et des actions des personnages, pour les joueurs comme pour le MJ. Au cours de l’histoire du JdR, des univers extrêmement bien construits ont été publiés dans les moindres détails, avec des dizaines de suppléments pour les décrire. Certains joueurs considèrent ces développements comme une contrainte étouffante, que ce soit à cause de l’investissement matériel nécessaire, de la difficulté à retenir toutes les informations, ou encore des pénibles débats soulevés par le joueur qui connaît mieux l’univers que le MJ. Le bac à sable est une manière de rompre radicalement avec tout cela. C’est aussi une manière de rompre avec le railroading, c’est-à-dire avec les campagnes conçues d’emblée comme un arc narratif dont le MJ connaît le déroulement du début à la fin. C’est pour cela que ce concept, applicable à n’importe quel type de jeu, est populaire au sein de l’OSR : il rompt avec les strates accumulées de l’histoire du hobby pour revenir à sa liberté initiale. Le bac à sable typique commence dans un lieu restreint : un village perdu dans la forêt, une petite ville paumée, une région isolée, voire une planète pour de la science-fiction. 1. Cook David, Moldvay Tom, X1 The Island of Dread, TSR, Lake Geneva, 1981. 2. À ce sujet, consultez également l’article « Construire un donjon », p. 73. 3. D’autres attribuent l’origine du terme aux véritables bacs à sable pour enfants, terrains de jeu sans risques par excellence.

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Le MJ doit prendre soin de noter les éléments nouveaux au fur et à mesure pour conserver la logique de l’ensemble et lui donner vie. Peu à peu, le noyau initial s’enrichit pour devenir un véritable univers. La façon la plus simple et la plus classique de préparer un bac à sable est d’avoir abondamment recours aux tables aléatoires. Il en existe des suppléments entiers, dédiés ou non à un jeu en particulier, et plus encore sur Internet. Mais voici une autre possibilité pour créer un bac à sable rapidement : choisissez une demi-douzaine de scénarios, en piochant dans vos vieux magazines ou sur Internet (peu importe qu’ils appartiennent déjà ou non à un univers). Faites en sorte qu’ils puissent être positionnés à proximité de votre lieu de départ. Examinez les principaux éléments culturels et géographiques et transformez-les en dominantes (il y a un temple du dieu de la foudre, ce sera la divinité principale de la région ; il y a des mines, ce sera l’activité principale des habitants du lieu), de manière à poser rapidement quelques bases pour singulariser votre bac à sable. Élaguez tous les détails inutiles et renommez ce qui est trop caractéristique d’un autre univers, de manière à unifier un peu. L’intérêt de cette méthode, c’est que vous vous assurez que les personnages aient plusieurs intrigues à se mettre sous la dent ou lieux à explorer dès le départ, tout en leur laissant choisir librement ce qu’ils vont décider de privilégier.

Jouez dans un univers vaste avec peu de préparation : le mégadonjon Le mégadonjon est l’un des concepts importants qui y ont émergé de l’OSR. L’idée est en germe dès les débuts du JdR. Après tout, si l’on suit les conseils de Gary Gygax, en 1974 un donjon qui se respecte doit avoir au moins douze niveaux de profondeur, changer constamment de configuration et se repeupler entre deux visites des 1. À ce sujet, consultez l’article « Partager la narration », p. 381.

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Les personnages n’ont pas de connaissances étendues sur le reste du monde, puisque leur horizon se limite à ce qu’ils connaissent : quelques PNJ et lieux importants, quelques pistes d’intrigues ou d’exploration. Le MJ peut puiser quelques idées dans les feuilles de personnages pour décrire ce point de départ : l’un d’entre eux sait bien nager, il doit y avoir un lac non loin ; un autre a appris à forger des armes, il doit y avoir du minerai, de l’eau et du bois accessible, et ainsi de suite. Dans un bac à sable orienté vers le partage de la narration1, les joueurs peuvent même intégrer leurs propres ingrédients. Ensuite, l’ajout de nouveaux composants se fera au fur et à mesure des scénarios, sans plan d’ensemble. Il peut s’agir d’éléments supplémentaires dans la zone qu’ils connaissent, parce que des questions nouvelles surgissent (quelle civilisation a vécu là jadis ? Quelle religion pratique-t-on ?) ou parce que de nouvelles informations les renseignent sur ce qui se passe autour (une caravane de marchands ou de prosélytes religieux arrive, etc.). Les personnages peuvent décider de voyager, que ce soit pour savoir ce qui se passe au bout du chemin ou parce que les événements les y encouragent.

aventuriers. Le mégadonjon n’est pas simplement un donjon plus grand, plus vaste, plus profond, plus peuplé, surdimensionné ou gonflé aux hormones. C’est un environnement complet placé au centre de la campagne. Il ne faut pas le voir comme un « porte-monstre-trésor » aux proportions délirantes, mais comme le fruit d’une longue histoire, occupé par plusieurs strates de populations qui ont chacune laissé leurs traces et leurs mystères. C’est un lieu que l’on explore, que l’on découvre, que l’on cherche à comprendre. Les adversaires, les pièges, les dangers font partie de cette exploration mais n’en sont pas l’objet essentiel. Avec un bon mégadonjon, on peut presque se passer d’un univers extérieur qui se résume à un camp de base, une cité ou autre lieu où l’on peut se réapprovisionner entre deux explorations. Un mégadonjon est assez vaste pour être peuplé par plusieurs groupes rivaux. C’est le principe des factions, autre concept-clé de l’OSR. Quand les aventuriers explorent le mégadonjon, ils sont moins considérés comme des perturbateurs venus de l’extérieur que comme des pions utilisables dans les guerres secrètes et les alliances changeantes entre ces factions. Chacune détient des éléments sur l’histoire du mégadonjon et ses secrets. Les personnages peuvent donc naviguer entre les factions, s’allier aux unes et aux autres, mener leur propre jeu pour progresser dans leur exploration. Rien n’oblige le MJ à créer son mégadonjon de A à Z : au contraire, c’est un bac à sable dynamique. Il peut, à l’aide de son imagination et d’outils aléatoires, le compléter et le développer en fonction des directions d’exploration choisies par les joueurs, des thèmes qui les stimulent ou les intriguent, ajouter un niveau ou un secteur qu’il n’avait lui-même pas prévu. C’est précisément cela qui en fait un environnement dynamique. Ces dernières années, des publications comme Dwimmermount1, Stonehell Dungeon2, Castle of the Mad Archmage3, ou en version gonzo, Anomalous Subsurface Environment4 fournissent des environnements aussi détaillés qu’un univers de jeu, contenus dans des donjons de plusieurs centaines ou milliers de salles.

Laissez les dés décider L’une des caractéristiques de l’OSR, c’est le goût de l’aléatoire. Des tables aléatoires, surtout, mais pas uniquement. On trouve parfois des livres entiers de tables aléatoires  : des tables de rencontres, de paysages, de construction de scénarios, de relations entre les personnages, de pilosité, de heaumes, de création de cultes, de monstres et j’en passe. Ce principe est cohérent avec celui des caractéristiques tirées de manière aléatoire. Est-ce que la table aléatoire constitue une bride à l’imagination, une contrainte  ? Il n’est pas question de suivre aveuglément les 1. Allison Tavis, Macris Alexander, Maliszewski James, Dwimmermount, Autarch LLC, Durham, 2014. 2. Curtis Michael, Stonehell Dungeon, Lulu.com, 2009. 3. Bloch Joseph, Castle of the Mad Archmage, BRW Games LLC, Stanhope, 2014. 4. Wetmore Patrick, Anomalous Subsurface Environment, Lulu.com, 2011.

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Un système que j’emploie fréquemment est celui de la table de réaction, telle que je l’ai découverte il y a plus de trente ans dans les règles rédigées par Tom Moldvay pour la célèbre « boîte rouge1 ». Il est souvent décrié par les rôlistes, à tort selon moi. Le principe est simple : lorsque les personnages rencontrent un monstre ou un PNJ, le MJ lance un dé pour savoir s’il sera plutôt hostile ou plutôt amical. La plupart des MJ s’insurgent contre cette atteinte à leur libre arbitre, arguent du fait que le comportement du PNJ est dicté par le scénario, par la situation, par son rôle, par… et pourquoi, après tout ? Laisser ce paramètre à l’arbitrage des dés crée des situations imprévues, inédites, parfois drôles. Les orques qui montent la garde devraient chasser les intrus, mais ils sont amicaux. Pourquoi ? Est-ce qu’ils sont fâchés contre leur maître qui les paye mal ou les maltraite ? Est-ce qu’ils veulent faire retomber la faute sur une autre équipe ? Est-ce qu’ils se méprennent sur les intentions des personnages  ? Est-ce que l’un d’entre eux a reconnu celui qui l’avait sauvé quand il était enfant ? La situation est tout de suite moins banale que lorsqu’ils sont irrémédiablement hostiles. Il faut simplement apprendre à se laisser porter par l’aléatoire, savoir rebondir dessus tout en maintenant une certaine logique. Lorsque l’on emploie le système des factions des mégadonjons, son usage coule de source puisque l’on sort d’une opposition binaire pour rentrer dans des relations complexes entre groupes rivaux. Aujourd’hui, j’emploie pour cela des dés à icônes, avec différents types d’humeur qui donnent une gamme plus variée de réactions. Un autre principe commun dans les jeux de l’OSR est l’emploi d’une règle de moral en combat. À différents moments, les adversaires des personnages doivent faire un jet pour savoir s’ils poursuivent l’affrontement ou s’ils se replient, voire partent en déroute. Il ne s’agit pas seulement d’un archaïsme hérité des wargames, mais d’un concept fort : un combat ne se termine pas nécessairement parce que l’ennemi est mort, mais bien souvent parce qu’il quitte le champ de bataille. La dynamique des combats s’en trouve entièrement transformée : les adversaires se dérobent, se regroupent, se réorganisent, contre-attaquent, plutôt que de se faire massacrer sur place. Bien sûr, on peut faire tout cela sans jets de dés, mais l’intégrer dans le système est une manière efficace pour inciter les joueurs à en tenir compte.

1. Arneson Dave, G ygax Gary, H olmes J. Eric, M oldvay Tom, Dungeons & Dragons, Basic Set, TSR, Lake Geneva, 1981.

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tables, mais de s’en servir comme d’une ressource, une inspiration, un facteur chaos qui amène des résultats différents de ce que l’on aurait imaginé de prime abord. Prenons un exemple simple : lorsque je crée un PNJ, j’imagine son rôle, sa fonction, puis je tire au hasard son sexe. Ce simple geste brise bien des stéréotypes et génère souvent des PNJ plus intéressants.

Mettez les grandes batailles épiques au cOEur du jeu et faites de vos PJ de puissants dirigeants Le JdR est né des expérimentations audacieuses au sein de clubs de wargames et de jeux de plateau du Wisconsin, au début des années 1970. Les règles de Chainmail, un jeu de combat médiéval avec figurines, ont servi de base pour celles de D&D, même s’il ne faut pas négliger l’influence de Diplomacy1, Outdoor Survival, Fight in the Skies2, ou encore Don’t Give up the Ships!3, un jeu de combat naval. Les joueurs de Chainmail s’étaient organisés dans la Castle & Crusades Society, qui avait publié dans son bulletin la carte d’un univers imaginaire, le Grand Royaume, creuset du monde de Greyhawk, où pouvaient s’affronter leurs armées. C’est au nord de ce royaume que Dave Arneson allait situer le château de Blackmoor, cadre de la toute première campagne de JdR à partir de fin 1971. Ce nom faisait clairement référence à Braunstein, petite ville allemande imaginaire qui avait servi de cadre à des expériences de wargame napoléonien mâtiné de diplomatie, où chaque joueur incarnait un personnage, officier ou leader civil. Dans Blackmoor4, l’exploration de donjons allait de pair avec une véritable campagne politico-militaire. Ce petit rappel historique vise à montrer que l’idée d’emmener les personnages dans de véritables épopées militaires, de l’escarmouche à la bataille rangée en passant par le siège et l’assaut naval est indissociable de l’histoire du JdR. Il n’est pas étonnant qu’elle ressurgisse régulièrement, pas uniquement dans la sphère de l’OSR. Pour ma part, depuis trente ans, j’ai toujours inclus cette dimension politique et militaire dans mes campagnes, et pas uniquement lorsque je maitrisais de l’heroic fantasy. Intégrer une bataille rangée dans une séance de JdR implique un véritable changement de dimension du jeu. Tout d’abord, il faut choisir sous quel angle les personnages vont l’aborder : sont-ils de simples soldats pris au cœur de la bataille ? Il m’est arrivé de commencer un scénario in medias res, au milieu des affrontements, ou pire, juste après la défaite, lorsque les joueurs découvrent qu’ils sont du mauvais côté de la ligne de front. Dans ce cas de figure, le MJ seul détermine le camp victorieux et la principale préoccupation des personnages est la survie. Mais ceux-ci peuvent aussi jouer un rôle plus actif, soit dans les événements qui précèdent la bataille, soit pendant. Par exemple, les informations (plans de citadelle, détail des troupes, défenses, etc.) qu’ils ont obtenues dans leurs enquêtes ou missions d’espionnage vont jouer un rôle crucial dans le déroulement des combats. Ou alors, ils peuvent mener l’assaut décisif contre un objectif-clé (avant-poste, bastion, navire, etc.), dont le résultat sera déterminant. Jusque-là, la bataille est un décor, une situation exceptionnelle, tendue, mais le scénario peut être maîtrisé de manière traditionnelle. 1. Callhamer Allan B., Diplomacy, 1959. 2. Carr Mike, Fight in the Skies, fourth edition, Guidon Games, Evansville, 1972 (les trois premières éditions ont été produites et distribuées par l’auteur). 3. Arneson Dave, Carr Mike, Gygax Gary, Don’t Give up the Ships!, Guidon Games, Evansville, 1972. 4. Arneson Dave, Blackmoor, TSR, Lake Geneva, 1975.

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À l’échelle stratégique, il ne s’agit plus seulement de mettre en scène la bataille, mais l’ensemble de la guerre. J’ai mené une longue campagne sur ce thème. Les personnages souhaitaient créer un état tampon entre deux puissances rivales, avec le soutien discret de l’une d’entre elles. Ils avaient choisi un chef local insignifiant et borné comme homme de paille, afin d’avoir la main sur les questions militaires tout en étant acceptés par la population. Les scénarios alternaient donc recrutement des troupes les plus hétéroclites, problèmes d’intendance, espionnage, coups de main sur des objectifs ennemis et batailles à diverses échelles – y compris les grands déplacements stratégiques sur une carte. C’était intéressant, car l’initiative est venue des joueurs, comme un développement naturel de la campagne. Les victoires étaient leurs victoires1. Ce qui est aussi intéressant, c’est que le MJ n’a plus à décider qui sera le camp victorieux : ce sont les idées des joueurs et les actions des personnages qui vont être déterminantes. Du coup, à partir d’une certaine échelle, c’est l’univers de jeu qui peut être redessiné par leurs actions. Il faut y être préparé. J’ai pris ce risque non seulement dans des mondes fantastiques, mais dans une campagne historique sur la Révolution française, en introduisant un wargame sur la bataille de Valmy. L’histoire n’a pas été bouleversée, mais j’avais admis le principe qu’elle puisse l’être. Cette dimension stratégique en implique une autre  : il faut administrer le territoire conquis, ce qui entraîne de nouveaux problèmes à gérer pour les personnages : catastrophes naturelles, collectes d’impôts, révoltes, récoltes, relations avec le clergé ou les puissances économiques peuvent devenir autant de thèmes de scénarios, pour constamment renouveler l’intérêt de la campagne sans tomber dans la gestion quotidienne. Ainsi, comme dans les cas de figure précédents, les personnages font des choses mais, surtout, ils en font faire, ils ordonnent sans prendre part à l’exécution. Attention, quand les joueurs ont pris goût à cela, ils ont tendance à reproduire ce 1. À ce sujet, consultez également l’article « Rendre les choses personnelles » p. 261.

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Plus difficile, mais plus exaltant  : confier aux personnages une responsabilité au niveau tactique ou stratégique. Au niveau tactique, ils peuvent diriger leur propre unité, soit collectivement (ils forment un état-major), soit même individuellement (ils ont chacun leur troupe à mener). Dans ce cas, quelles que soient les règles adoptées, on a déjà un pied dans le wargame ; il faut s’assurer que tous les joueurs y trouvent leur compte, que ceux qui adhèrent le moins aient autre chose à faire (par exemple, intervenir contre un objectif-clé, comme précédemment) pour ne laisser personne sur le carreau. Il faut que leurs unités soient à même de jouer un rôle majeur dans les combats, quelle que soit l’échelle, qu’ils mènent une solide escouade pour débloquer un secteur important du champ de bataille, ou qu’ils dirigent une véritable armée. J’ai ainsi fait commencer un scénario de sword and sorcery de la manière suivante : les personnages conduisent une escouade à travers les montagnes à la poursuite de pillards lorsqu’ils sont pris en embuscade. Ils doivent donc gérer leurs actions, mais aussi les ordres qu’ils donnent à leurs partisans.

comportement dans tous les scénarios, cherchant à construire des réseaux, à utiliser leurs contacts ou leur influence plutôt que de s’exposer eux-mêmes au danger. C’est un autre style de jeu, parfois déconcertant quand on n’en a pas l’habitude, et qui demande beaucoup de réactivité.

Jouez un classique Au cours de ses quarante premières années, le JdR a déjà généré ses classiques : Le Temple du mal élémentaire1, Les Masques de Nyarlathotep ou encore La Campagne impériale2, sans compter la série Dragonlance3. Or, il en va des classiques en JdR comme au cinéma ou en littérature : on les connaît, mais on ne les a pas forcement joués pour autant. Ou alors, nous l’avons fait de manière bâclée, dans de mauvaises conditions, à un âge où nous étions trop jeunes pour en tirer toute la saveur. Bref, nous sommes passés à côté des classiques. Il n’est jamais trop tard pour y remédier. Il ne s’agit pas (seulement) d’un exercice de nostalgie : il faut d’abord comprendre pourquoi ces titres sont devenus des classiques, pourquoi ils constituent la base d’une expérience partagée entre des dizaines de milliers de joueurs.

Exemples de tables pour les bacs à sable Pour les utiliser, jetez 1d4, 1d6, 1d8, 1d10 et 3d12 et lisez les résultats directement sur les tables. Vous devriez obtenir les bases d’un scénario inspirant. Climat Point de départ Situation Accroches Climat 1. Dans les jungles luxuriantes, 2. Dans les marais putrides, 3. Au bord des falaises, 4. Près de la Table des fées,

1. Gygax Gary, Mentzer Franck, T1-4 Temple of Elemental Evil, TSR, Lake Geneva, 1985. 2. Bambra Jim, Davis Graeme, Gallagher Phil, The Enemy Within, La Campagne impériale, Games Workshop, Nottingham, Jeux Descartes, Paris, 1986 à 1989, pour la V. F. 3. Hickman Tracy, Johnson Harold, Niles Douglas, Smith Carl, Williams Michael, Dragonlance, Dragons of Despair, TSR, Lake Geneva, 1984.

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Point de départ 1. un village construit dans les ruines d’un ancien sanctuaire 2. un port où l’on pratique le commerce des esclaves 3. une petite île couverte de brumes 4. un village perdu dans une forêt de champignons géants 5. une célèbre auberge où s’arrêtent les caravanes 6. une bourgade mal famée Situation 1. menacé par une invasion barbare 2. protégé par un ordre de chevalerie fanatique 3. dont les anciens habitants furent pétrifiés 4. divisé en trois factions secrètes 5. non loin du temple d’un dieu reptile 6. contrôlé par une secte cagoulée 7. au pied de la montagne sacrée 8. au point de départ d’une ancienne route Accroche « l’aventure commence… » 1. par une attaque de pirates 2. par la découverte de tombes ouvertes 3. par un tournoi prestigieux 4. par une inondation prodigieuse 5. par la grande foire annuelle 6. par une lueur rouge à l’horizon 7. par une invasion de créatures d’un autre temps 8. par la mort d’un arbre sacré 9. par la mort du seigneur 10. par un violent tremblement de terre

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Et les personnages ont entendu parler de trois lieux importants 1. un bourg lacustre fortifié 2. un temple interdit aux infidèles 3. les ruines d’une civilisation avancée 4. un avant-poste d’un empire conquérant 5. une arène de gladiateurs 6. une cité autrefois dévastée par les dragons 7. un camp de réfugiés d’une guerre interminable 8. un col infranchissable à travers les montagnes enneigées 9. une immense nécropole 10. une cité perdue dans les glaces 11. une brume qui donne de terribles cauchemars 12. un palais englouti

Qu’est-ce que l’OSR ? Old School Renaissance. Mouvement hétérogène. Rétroclones, quasi-clones et néoclones. créez vos PJ aléatoirement Gain de temps. Pas d’optimisation. Sentiment de récompense accru. Ne faites pas de background Ne perdez pas de temps à faire un background qui ne sera pas exploité en jeu. Ne vous concentrez pas sur le passé… … mais sur les aventures et ce qui fait des personnages des héros. Oubliez les compétences, demandez-leur comment ils font Stimulez la créativité des joueurs en ne réduisant pas les actions à des jets de dés. Privilégiez le cas par cas. Augmentez les capacités des personnages au lieu de les limiter. N’hésitez pas à tous les tuer, ce n’est pas la fin de l’histoire Montrez la dangerosité du monde et redonnez tout leur sens à des options comme la négociation, la fuite ou la ruse. Utilisez le Total Party Kill comme une astuce scénaristique. Pour ne pas aller trop loin, utilisez les PNJ et remplacez la mort par la captivité. l’objectif des PJ ? Explorer ! Multipliez les obstacles et forcez les joueurs à réfléchir. Ne réduisez pas l’exploration à une progression géographique. Servez-vous des tables de rencontres aléatoires et des fonds de cartes.

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Fiche de synthèse

Créez l’univers pendant les parties : le bac à sable Découvrez l’univers presque en même temps que vos joueurs. Commencez dans un lieu restreint et élargissez l’univers. Exploitez la profusion de tables aléatoires disponibles. Jouez dans un univers vaste avec peu de préparation : le mégadonjon Faites-en un environnement complet, un univers en miniature, et non un simple donjon. Multipliez les factions et les relations sociales. Assemblez des donjons classiques et les adaptant à un thème spécifique. Laissez les dés décider Utilisez les dés comme accélérateurs, pas comme freins. Utilisez les règles de réaction et de moral. Profitez de l’apparente contradiction générée par les dés pour épaissir l’histoire. Mettez Des batailles épiques et faites de vos PJ de PUISSANTS dirigeants Donnez des responsabilités aux personnages, y compris en termes de gestion. N’hésitez pas à voir grand. Imbriquez l’échelle des personnages et celle des nations. jouez un classique Jouez ou rejouez les classiques. Appréciez-les avec votre regard d’adulte et du haut de votre expérience. Partagez votre expérience avec les autres.

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Jérôme Larré

La première version de cet article est parue en mai 2012 dans la rubrique MJ Only du magazine Casus Belli. Vous en trouverez une version modifiée et mise à jour dans les pages suivantes.

N

ombre de savoir-faire des meneurs tournent autour d’un même objectif : favoriser l’implication des joueuses et leur prise d’initiative. Mais pourquoi limiter cette dernière aux actions de leurs personnages ? Les joueuses peuvent contribuer à bien d’autres aspects de la partie lorsque l’on les y incite. Depuis quelques années, les techniques qui vont dans ce sens sont régulièrement rassemblées sous le terme de « narration partagée ». Bousculant certaines de nos habitudes, en affirmant d’autres, elles ont tendance à impressionner mais restent finalement bien plus accessibles qu’il n’y paraît.

La narration partagée Traditionnellement, en cours de jeu, les joueuses n’ont qu’une seule tâche : incarner leur PJ attitré et décider de ses réactions. La gestion de l’univers, de l’intrigue et des PNJ reviennent au MJ. Cette répartition semble aussi évidente qu’immuable

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et, pourtant, elle est constamment mise à mal. C’est bien sûr le cas dans certains jeux récents comme Montségur 12441 et On Mighty Thews2, mais aussi de productions plus anciennes (Prince Valiant3, les Whimsy Cards4 de Lion Rampant, etc.), et dans nombre de grands classiques, que ce soit lorsqu’un investigateur temporairement fou est contrôlé par le meneur dans L’Appel de Cthulhu, quand une joueuse gère plusieurs personnages dans Ars Magica5, ou lorsqu’elle prend des notes dans Ambre6. En pratique, la narration partagée consiste simplement à essayer de jouer avec cette distinction toute théorique entre MJ et PJ pour donner aux joueuses davantage d’influence sur le déroulement de la partie. En d’autres termes, faire de la narration partagée, cela revient à se poser les questions suivantes  : et si on se servait de la créativité des joueuses pour renforcer celle d’un meneur évidemment ravi de pouvoir absorber leurs contributions pour les intégrer à son scénario ? Si on laissait la table entière s’emparer de certaines portions de l’univers ou de l’intrigue ? Et si, en plus, on les y encourageait ? Certains avantages semblent évidents (multiplier les bonnes idées, impliquer les joueuses, recentrer la partie sur ce qui les intéresse), d’autres ne se révèlent qu’en jeu, et notamment le plaisir de voguer sur les contributions des PJ tout en continuant à mener sa barque avec souplesse. Au lieu de chercher absolument à dérouler son histoire, on s’autorise à être surpris. Et ce plaisir peut rapidement tourner à l’excitation, voire à l’inquiétude lorsque l’exercice se corse, mais avec un peu d’expérience, il est assez facile d’éviter la plupart des écueils classiques : perte de contrôle, joueuses ne jouant pas le jeu, etc. Quoi qu’il en soit, on lit tout et son contraire sur la narration partagée. Révolution pour certains, simple bon sens ou pratique éculée pour d’autres, peu importe. Cet article n’a pas pour vocation de porter un jugement sur ce procédé, mais juste de vous proposer quelques techniques à intégrer lors de vos parties, notamment avec les jeux qui, a priori, n’ont pas été conçus pour cela. Vous aurez tout le temps de vous faire votre avis au fur et à mesure de vos propres expériences.

1. Jensen Frederik J., Montsegur 1244, Thoughtful Games, Oxie, 2009. 2. Carryer Simon, On Mighty Thews, auto-édité, 2012. 3. Dunn William G., Krank Charlie, Stafford Greg, Willis Lynn, Prince Valiant, Chaosium, Oakland, 1989. 4. Les Whimsy Cards sont un accessoire vendu par Lion Rampant. Elles prennent la forme d’un jeu de cartes, dont chacune correspond à un artifice scénaristique (Coïncidence étrange, Dilemme moral, Jalousie, etc.). Les joueuses en recevaient une au début de la partie et pouvaient la jouer avec l’accord du meneur quand cela leur semblait intéressant. Elles recevaient alors une nouvelle carte à la place de l’ancienne. Ars Magica est un des jeux où elles sont utilisées. Pour le détail des cartes : http://www.darkshire.net/jhkim/rpg/systemdesign/cards/whimsycards.html 5. Rein.Hagen Mark, Tweet Jonathan, Ars Magica, Lion Rampant, Northfield, 1987. 6. Wujcik Erick, Amber, Phage Press, Detroit, 1991.

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Parfois, il apparaît de bon ton de contester le terme « narration partagée » sous prétexte qu’il existerait des jeux qui ne seraient pas définis comme tels et où on partagerait la narration. Or, si ceci est bel et bien une réalité, nous avons tout de même choisi de le conserver. D’une part, c’est le premier qui a été utilisé pour regrouper ces techniques, d’autre part, si nous suivions cet argument, nous serions bien embêtés pour parler de JdR ou, pire, de jeux de mots… Par contre, il est sans doute utile de distinguer les éléments sur lesquels s’opère ce partage. Ainsi, il peut être question de ne redistribuer que les privilèges génératifs (le droit de rajouter un pan d’univers, ou d’en développer d’autres déjà présents) ou les privilèges résolutifs1 (le droit de dire comment évolue une situation). On peut également distinguer le mode de partage, c’est-à-dire la manière dont les privilèges de narration sont répartis. Cet article évoque surtout des sollicitations directes et ponctuelles, mais les privilèges de narration peuvent être attribués aléatoirement, limités à telle ou telle composante, délégués pour un temps donné, misés en fonction d’une règle précise, négociés à plusieurs, réservés, etc. Enfin, on peut également séparer narration et autorité. Dans le premier cas, on partage le fait d’être sollicité pour dire quelque chose et dans le second, celui de pouvoir trancher sur ce qui est intégré ou pas. Ainsi, les Whimsy Cards donnent la parole aux joueuses, mais uniquement avec l’accord du meneur. Toutes ces nuances permettent de varier presque à l’envi les différents principes et autres techniques proposés dans cet article. Pour plus de détails : http://www.tartofrez.com/autorite-et-narration-12/

Les grands principes Bien avant de proposer une quelconque recette, la narration partagée commence avec quelques automatismes et un style de maîtrise que l’on peut résumer par les principes suivants. • Ne dramatisez pas, évitez de mettre la pression à vos joueuses. Ces techniques ne sont que le prolongement du comportement qui est le vôtre depuis des années : jouer à un JdR, n’importe lequel, c’est par définition partager la narration. 1. Dans sa thèse, Le Jeu de rôle sur table : l’intercréativité de la fiction littéraire, Coralie David ne distingue pas les notions de partage de narration et d’autorité, mais y développe notamment la différence entre autorité générative et résolutive. Cette seconde distinction, même limitée ici au partage de la narration, reste extrêmement utile.

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Objets et modes de partage

Vous racontez déjà des histoires où les joueuses décident des actions des protagonistes principaux. Avec ces quelques techniques, vous les laissez juste décider d’un peu plus de choses que d’habitude. Tout ira pour le mieux si vous appliquez ces concepts naturellement, sans faire la classe à vos joueuses. Évitez l’impératif et l’emploi de verbes tels que « décrire », « expliquer » ou « raconter ». Préférez les questions directes. Pour caricaturer, imaginez la différence entre « Comment tu t’y prends pour rentrer dans le château ? Tu en parles avant aux autres ou pas ? » et « Bon, les gars, je n’ai pas d’idées… Faites un plan que je gagne une heure et vous rebalance toutes vos idées dans la figure. » • Faites confiance à vos joueuses et prenez ce qu’elles vous offrent. Il y a peu de chances qu’elles sabordent la partie sciemment, alors détendez-vous. Si certaines tentent de profiter de la situation, non seulement vos privilèges de meneur vous permettent de faire face à tout ce qu’elles pourront imaginer, mais c’est aussi probablement que vos propositions ne correspondent pas à leurs attentes. Vous ne perdrez rien à vous adapter. • Ne revenez jamais sur ce que dit une joueuse (sous réserve que cela soit cohérent avec le reste de la partie.) Le pire est de leur donner l’impression que vous faites juste semblant de leur laisser la main. Tout ce qu’elles disent doit avoir une influence et une réalité dans l’univers du jeu, même si cette dernière peut n’être qu’apparente ou purement symbolique. Ainsi, si elles décident que le grand méchant est malade, cela peut être un traquenard ou une rumeur dont elles finiront par apprendre l’origine, mais n’écartez pas cette idée d’un revers de main. • En choisissant ce que vous leur demandez, choisissez ce que vous leur imposez. Si votre intrigue tient sur quelques points clés, ne leur donnez pas la possibilité de les modifier. De nombreuses techniques permettent de faire accepter d’emblée les éléments auxquels vous tenez. Si vous dites à une joueuse « Lorsque tu pénètres dans la cantina, tout le monde s’arrête net et regarde dans ta direction. Qui t’attend de pied ferme et veut te faire la peau ? », vous lui laissez décrire une partie de ses ennemis, mais imposez simultanément leur existence de façon indolore. C’est probablement tout ce dont vous aviez besoin. Utilisée adroitement, cette méthode simple est aussi un moyen de contourner certaines règles sans avoir l’air d’y toucher. Ainsi, pour l’initiative : « Tu es plus rapide qu’elle, tu le sais. Qu’est-ce qui a foiré cette fois-ci ? ». • Si vous posez des questions, ciblez-les. Ainsi, les joueuses répondront plus rapidement et de manière plus instinctive. Si elles commencent à réfléchir ou à craindre de « mal faire », cela risque de créer des blocages. Paradoxalement « Ton personnage est habillé plutôt chic ou plutôt fonctionnel ? Son armure montre-t-elle ses origines ? Est-ce qu’il la porte en ce moment ? À quoi il ressemble, sinon ? » est souvent bien plus efficace que le classique « Décris-moi ton personnage ». • Reformulez. Abondamment. En modifiant subtilement les propositions des joueuses, vous arriverez aisément à écarter tous les éléments qui vous ennuient tout en conservant leur aval. Attention cependant à rester discret si vous ne voulez pas qu’elles devinent ce que vous avez prévu.

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• Encouragez les joueuses à s’entraider et à se proposer mutuellement des idées lorsque l’une d’elles a des difficultés pour répondre à vos questions ou pour sortir de sa zone de confort, surtout si vous réalisez qu’elle a du mal avec ces nouveaux outils et ralentit l’action.

Quelques techniques Le plus facile, pendant la création

En temps normal, la création de personnages est le moment où on sollicite le plus la participation des joueuses. Par sa nature même, cet exercice exige qu’elles inventent des éléments et les insèrent dans l’univers. Puisqu’elles sont dans le bon état d’esprit, autant en profiter pour les encourager à en faire davantage. La méthode la plus éculée consiste à suggérer aux joueuses de développer les éléments liés à leurs personnages (PNJ, factions, lieux, etc.). Ainsi, les joueuses de Shadowrun ont depuis longtemps pris l’habitude de détailler les contacts de leurs alter ego. Ceux-ci deviennent naturellement des interlocuteurs récurrents, et ils peuvent ensuite devenir bien plus qu’un simple moyen de débloquer les joueuses avec le bon coup de téléphone au bon moment. On peut faire de même avec tous les éléments importants liés au PJ ou, autrement dit, avec tout ce qui est important pour la joueuse. Certains points (avantages et défauts, compétences élevées) sont plus difficiles à mettre en scène durant la création de personnages, mais vous pouvez demander aux joueuses de vous raconter des anecdotes ou des saynètes les mettant en avant. Celles-ci introduisent en général de nombreux éléments tout prêts à être réutilisés. Cette façon de faire demande énormément de temps et malheureusement, tout n’est pas toujours utile. Le mieux est de développer uniquement ce dont les joueuses ont besoin, quitte à poursuivre la création en jeu, que ce soit sous la forme de flash-back à la Hellywood2, ou en gardant une partie des points de création pour les dépenser plus tard. Deux autres limites se révèlent rapidement : cette technique est centrée sur un personnage (et ne favorise donc ni les éléments communs ni les interactions) et est généralement limitée dans le temps, le plus souvent au début de la campagne. 1. Ce principe est un des concepts établis par la communauté The Forge. Son nom est celui de son inventeur, l’auteur de jeu Paul Czege (Bacchanal, My Life with Master, Nicotine Girls, etc.). 2. Andere Raphaël, Gharbi Emmanuel, Grümph John, Guillout Pascal, May Pierrick, Hellywood, John Doe, Jouy-le-Moutier, 2008.

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• Ne laissez pas une même joueuse décrire à la fois son opposition et la façon dont cette situation se résout, faute de quoi elle ne l’intéressera plus. C’est ce que l’on appelle généralement le principe de Czege1. Même s’il existe quelques exceptions, si une joueuse consacre du temps à la description d’un ennemi, ou à créer des liens entre son personnage et lui, c’est pour que vous lui donniez du fil à retordre, et très probablement pour que vous vous empariez de ce protagoniste pour la surprendre.

Pour favoriser les interactions, la base est simple : laissez les joueuses créer leurs PJ en même temps et en discuter. Allez même au-delà : faites-leur créer un groupe qui ait une existence propre pour leur permettre de formaliser ce qu’elles souhaitent vivre lors de la campagne. Plusieurs jeux emploient cette méthode avec succès, notamment Ars Magica, Smallville et Vermine1, qui abordent le problème sous des angles légèrement différents. Dresden Files2 va plus loin et pousse les joueuses à créer la cité dans laquelle leurs PJ évoluent. Dans le futur Guts3, il s’agira aussi de choisir les éléments du monde mis en avant dans la campagne. Finalement, tout ce qui peut amener les joueuses à créer des relations entre leurs PJ, à les relier à des choses existantes dans l’univers et, globalement, à dire ce qu’elles veulent jouer, est bon pour vous. Là encore, une avalanche de questions bien senties ne pourra être que bénéfique. Pour favoriser les éléments ayant un impact sur le long terme, l’idéal est à nouveau de demander aux joueuses, dès la création, ce que leurs personnages veulent devenir et ce qu’elles souhaitent les voir devenir (c’est l’ambition et le karma dans Tenga). En développant cette base, vous augmentez vos chances de viser juste et d’offrir des situations qui susciteront des propositions de leur part au fil de la campagne. Certains systèmes d’expérience permettent aussi de partager la main quant à la progression des PJ et font participer les joueuses et le meneur de concert. Il peut s’agir d’une progression par objectifs où chacun détermine, avec l’accord du meneur, la condition à réaliser pour gagner son prochain niveau – oui, aussi simplement que cela. On peut également utiliser des «  clés  » (Shadow of Yesterday4, Marvel Heroic Roleplaying5) ; celles-ci sont un moyen de gagner des points en fonction de la façon dont le personnage développe un travers donné, et d’en obtenir plus s’il dépasse ce penchant et s’en débarrasse définitivement. Une dernière façon très efficace d’amener vos joueuses à contribuer sur le long terme est de leur poser quelques questions dont elles ne pourront trouver la réponse qu’en jeu, quitte à recevoir de l’expérience pour cela. Pour parvenir à leurs fins, elles devront ainsi développer certains aspects de leur personnage en fonction du monde qui les entoure. Dans Montsegur 1244, la joueuse incarnant Corba doit ainsi déterminer en jeu combien d’enfants elle a enterrés, ce qui lui vient à l’esprit quand elle pense à Philippa et son plus grand regret. Les réponses à ces questions en amènent de nouvelles et rendent l’univers toujours un peu plus passionnant et personnel. 1. Amirà Alexandre, Barbarin Rémi, Bernard Pascal, Blondel Julien, Croitoriu Michaël et autres, Vermine, livre du meneur, Le 7éme Cercle, Anglet, 2004. 2. Balsera Leonard, Butcher Jim, Cogman Genevieve, Donoghue Rob, Hicks Fred, Hite Kenneth, Macklin Ryan, Underkoffler Chad, Valentine Clark, The Dresden Files, volume one: Your Story, Evil Hat Productions, Silver Spring, 2010. 3. Delanghe Gaëlle, Devernay Laurent, Larré Jérôme, Legay Pierre, GUTS, JdR à venir aux éditions Lapin Marteau. 4. Nixon Clinton R., The Shadow of Yesterday, Anvilwerks, Nouvelle-Orléans, 2004. 5. Banks Cam, Donoghue Robert, Norris Jack, Scoble Jesse, Sullivan Aaron, Underkoffler Chad, Marvel Heroic Roleplaying, Margaret Weis Productions, Williams Bay, 2012.

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Revisiter les compétences Parmi les méthodes les plus utiles en cours de partie, on compte celles qui partent du principe que les compétences peuvent permettre, non seulement de savoir ce que sait faire un personnage, mais également à quel point sa joueuse peut influencer le reste de l’univers. Si on se penche sur la fonction des compétences en jeu, on s’aperçoit qu’elles sont en général employées avec deux types d’objectif : imposer quelque chose (en général altérer l’univers ou se débarrasser d’un obstacle) ou obtenir une information (un bon médecin peut apprendre que l’assassin est gaucher). Pour le second, c’est particulièrement le cas des compétences qui touchent à la perception et aux connaissances comme, parfois, les interactions sociales, le hacking, etc. La technique des compétences déclaratives modifie l’équilibre classique en permettant à la joueuse de répondre elle-même aux questions qu’elle pose (autrement dit d’imposer ses réponses). Ainsi, au lieu de se contenter de recevoir une information du meneur, elle enrichit l’univers. Si un PJ cherche des rumeurs sur un malfrat et réussit son jet, vous pouvez demander à la joueuse ce qu’elle découvre. Naturellement, tout ce qu’elle propose, sous réserve d’un éventuel problème de cohérence, arrive réellement. Charge à vous de voir quelles rumeurs sont fondées ou pas, et comment les intégrer. Si vous êtes un adepte de l’improvisation1, vous trouverez rapidement cette technique indispensable, surtout si vous l’appliquez à du dungeon crawling ou aux indices d’une enquête « Le témoin te donne la description du tueur : de quels détails se souvient-il ? », idéalement après une scène d’introduction coup-de-poing2. Construire un labyrinthe ou une énigme policière à la volée alors même que vos joueuses la démêlent et proposer un résultat cohérent est une expérience des plus grisantes. Bien sûr, c’est loin d’être facile. Mais comme indiqué précédemment, si vous avez envie d’essayer, rien ne vous empêche d’utiliser un scénario éprouvé comme base et de limiter l’utilisation de cette technique à quelques éléments périphériques. Une autre façon originale de vous servir des compétences est de les considérer comme des ressources pour l’historique des PJ. Un individu doué dans un domaine a plus de chances de posséder des contacts dans ce secteur d’activité et d’avoir acquis des objets particuliers liés à sa maîtrise de ce savoir-faire. Pour représenter ce fait, donnez des points aux PJ pour leurs compétences les plus élevées et autorisez-les à les dépenser pour intégrer de nouveaux éléments en rapport avec leurs compétences, puis donnez-en de nouveaux lorsqu’ils progressent. Un expert en tir pourra ainsi avoir un armurier, un receleur ou un policier qu’il aura entraîné parmi ses contacts, et pourrait disposer d’une arme de collection. Cette méthode a l’avantage de donner très rapidement corps à l’entourage des PJ. 1. À ce sujet, consultez également l’article « Improviser », p. 125. 2. À ce sujet, consultez également l’article « Commencer », p. 225.

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Le plus intéressant, pendant le jeu

Cadrer les scènes Un autre grand volet des techniques de narration partagée consiste à faire participer vos joueuses au cadrage des scènes1, voire du scénario lui-même. Comme indiqué précédemment, vous pouvez par exemple vous servir d’introductions coup-de-poing qui commencent en plein milieu de l’action (in medias res) et laissent les PJ face à une situation qu’ils doivent résoudre. Ensuite, demandez aux joueuses de compléter celle-ci ou d’expliquer leur présence en ces lieux. Les joueuses se font souvent un malin plaisir de fournir suffisamment d’idées pour alimenter plusieurs sessions tout en impliquant au maximum leurs PJ. Voici quelques exemples : « Tu es étendu sur les rails, ligoté, et tu entends le train qui arrive à vive allure. Encore une fois, tu aurais mieux fait de fermer ta grande bouche de Texan. Qui as-tu encore vexé ? » ou « Tu es sur le pont de Brooklyn face au Bouffon Vert. Il maintient en équilibre un car scolaire et ce à quoi tu tiens le plus au monde. Qu’est-ce donc ? Est-ce que tu préfères le sauver, sauver les enfants, ou lui sauter dessus ? » Inversement, il peut être parfois très pratique de laisser la main aux joueuses pour conclure une scène. Surtout si celle-ci devient répétitive. C’est un écueil courant lorsque les ennemis sont en surnombre, peu dangereux et relativement génériques (tribus de gobelins, armée ennemie, etc.) ou que vous voulez forcer un événement ou un revers, dans la plus grande tradition des histoires pulp (capture, fuite forcée, etc.), même s’il vaut mieux ne pas en abuser. Ainsi, pour une scène où les PJ repoussent une horde « Vous avez fait fuir les kobolds qui menaçaient le village, où les rattrapez-vous ? Combien en laissez-vous s’échapper ? », ou « Ils ne pourront pas vous tenir tête bien longtemps, vous préférez les empêcher de ravager le village ou capturer leur chef ? ». Pour un revers, on peut imaginer  : «  Le village est ravagé, vous avez réussi à vous enfuir, mais non sans peine. Qu’est-ce que cela vous a coûté ? » ou, plus positif, « Vous auriez pu tenter de vous enfuir, mais vous avez préféré faire quelque chose de bien précis avant que les hommes du baron vous capturent ? Qu’était-ce ? ». Cette méthode épargne à votre table une scène qui s’éternise en amenant les joueuses à faire un choix puis à passer à la suite, sans diluer leur intérêt. Enfin, si vous souhaitez employer la narration partagée pour la construction des scènes elles-mêmes, sachez que c’est parfaitement possible. Des jeux narratifs ont d’ailleurs été entièrement conçus dans cette optique (Fiasco, My Life with Master2, etc.). Dans le cadre de parties classiques, ce procédé est surtout intéressant pour apporter du relief aux phases difficiles à renouveler sans qu’elles deviennent rigides, typiquement les voyages et les batailles rangées par exemple3. Pour cet exercice, il faut reconnaître 1. À ce sujet, consultez également l’article « Décrire », p. 109. 2. Czege Paul, My Life with Master, Half Meme Press, Livonia, 2003. 3. À ce sujet, consultez également l’article « Animer les scènes spéciales », p. 191.

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Conclusion Ces techniques ne sont ni révolutionnaires ni bien difficiles à mettre en place, et, avec un peu de pratique, il est facile d’en éviter les principaux inconvénients. Elles constituent un outil supplémentaire à la disposition des meneurs, non seulement pour gérer certains moments un peu épineux de façon élégante, mais aussi et surtout pour relancer l’intérêt des joueuses. Commencez par en glisser une ou deux dans vos parties classiques. Rapidement, vous ne pourrez plus vous en passer. Prenez simplement garde à ne pas en abuser.

Bombardez-les de questions Ceci rappellera sans doute des choses aux MC d’Apocalypse World : posez des questions. Plein. Harcelez vos joueuses. Bombardez-les. Précises, ciblées, auxquelles on ne peut répondre que par un ou deux mots, toujours orientées, qui ferment autant d’éléments qu’elles en ouvrent. Cherchez celles qui créent des déséquilibres, de la tension, du jeu. Forcez les joueuses à prendre rapidement parti et à assumer. Bousculez-les. Ainsi, si vous devez impliquer les PJ et constituer le groupe3, interrogez-les sur leurs relations : « Quel est le seul de tes compagnons dont tu privilégierais la vie à la tienne ? Pourquoi ? Qui n’aurais-tu préféré jamais rencontrer ? Quelle est la vraie raison de ta présence ? ». S’ils font un plan, jouez sur leur responsabilité  : « Tu vois un objet en or, sans doute magique, un peu plus loin. Qu’est-ce que c’est ? Est-ce que tu abandonnes ton poste pour le prendre ? ». S’ils font des échecs critiques, saisissez la balle au bond et renvoyezleur : « Vers la tête duquel de tes coéquipiers pointais-tu ton arme ? Pourquoi ? Était-ce vraiment un accident ? ». Profitez du moindre événement du scénario pour donner un tour nouveau à un personnage. Capitalisez sur les rebondissements : « Comment savaistu que cela allait se produire ? Pourquoi n’as-tu rien fait pour l’empêcher ? », voire sur la chance, ou la malchance, d’une joueuse  : «  Pourquoi t’es-tu acharnée ainsi sur ce sorcier ? Qu’est-ce que cela aurait changé que tes compagnons le capturent vivant ? » ou, au contraire, « Pourquoi as-tu retenu tes coups ? ».

1. Pulp Engine : http://legrumph.org/SP/AidesJeuOfficielles/Cartes-PulpEngine.pdf 2. Au cœur de la mêlée : http://tengajdr.com/?page_id=4 3. À ce sujet, consultez également l’article « Rassembler & Diviser », p. 235.

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que l’idéal est sans doute de s’inspirer du Pulp Engine1 de John Grümph ou de ses adaptations faites pour Les Milles-Marches et Tenga2.

fiche de synthèse Les grands principes Ne dramatisez pas, évitez de mettre la pression à vos joueuses. Faites-leur confiance et prenez ce qu’elles vous offrent. Ne revenez jamais sur ce qu’elles disent. En choisissant ce que vous leur demandez, choisissez ce que vous leur imposez. Si vous posez des questions, ciblez-les. Reformulez. Abondamment. Encouragez les joueuses à s’entraider. Techniques Pendant la création. • Développer les éléments liés aux personnages. * Interlocuteurs. * Anecdotes. • Poursuivre la création en jeu. * Ne pas dépenser tous les points de création. * Flash-back. • Création de groupe. • Progression par objectifs. • Poser des questions à suivre. Autour de la table. • Revisiter les compétences. * Compétences déclaratives. * Compétences comme jauges d’historiques. • Cadrer les scènes. * Introduction coup-de-poing (in medias res). * Laisser les joueuses conclure une scène. * Construire les scènes de façon partagée.

Conclusion : continuer à s’améliorer



Coralie David & Jérôme Larré

Et maintenant ?

A

près la vingtaine d’articles de ce recueil, vous devriez désormais avoir lu un grand nombre de conseils et autres astuces. Bien entendu, tous ne vous seront pas utiles. Le panorama dressé dans ces pages est bien trop large pour que vous puissiez tout retenir ou tout mettre en œuvre d’un coup. Vous allez donc devoir choisir et en laisser de côté. Rien de grave à cela. Au contraire, c’est exactement le but. Tout d’abord parce que cet ouvrage est prévu pour que vous puissiez y revenir tout au long de votre parcours rôliste : selon vos objectifs du moment, votre groupe ou le jeu auquel vous jouez, vous n’aurez sans doute pas envie de privilégier les mêmes approches. Pour tout dire, nous sommes persuadés que l’idée comme quoi nous jouerions tout le temps de façon identique est une ineptie et nous espérons que ce recueil vous donnera justement envie d’essayer d’autres pratiques. Ensuite, parce que comme nous vous le disions il y a presque quatre cents pages de cela, on devient un meneur expérimenté en décidant non plus uniquement de jouer, mais de la façon dont on veut jouer. Lorsqu’on se fixe des objectifs et sélectionne certaines approches, mais aussi et surtout lorsqu’on en délaisse d’autres. C’est pour cette raison que, de notre point de vue, dans le cas improbable où il faudrait mesurer la maturité d’un MJ, le critère déterminant ne serait ni l’ancienneté ni les heures de vol, mais les réponses aux questions suivantes  : puis-je obtenir des parties satisfaisantes de façon répétée ? Même avec un groupe que je ne connais pas ? Puis-je définir mon 391

propre style ? Puis-je en changer, ou au moins sortir de ma zone de confort, et mes parties rester plaisantes ? Puis-je me fixer certains objectifs, les tenir et mesurer ma capacité à le faire avec plus ou moins de succès ? Suis-je à même de percevoir mes automatismes ? Puis-je les rectifier si nécessaire ? Mais ces interrogations n’ont rien d’obligatoire pour apprécier une partie de JdR, et il n’y a rien de honteux à savourer ce plaisir sans se créer de pression supplémentaire. Car si une fois la lecture de ce livre finie se pose la question de savoir comment continuer à progresser en tant que meneur, il s’agit surtout de trouver de nouvelles façons d’apprécier notre loisir. En effet, le but n’est pas de se rapprocher d’une perfection idéalisée ou de rentrer dans une espèce de course insensée à la performance, mais simplement d’éviter de stagner, de se lasser ou de lasser ses joueuses.

Comment continuer ? Passée la lecture de conseils, voici quelques principes à suivre pour continuer à améliorer sa capacité à préparer ou animer une partie. Les premiers font logiquement l’objet des prochaines publications de la collection Sortir de l’auberge. D’autres sont juste de bonnes habitudes à prendre. Constituez-vous une boîte à outils !

La première chose à faire est sans doute de vous confectionner un catalogue commenté de techniques, d’outils et d’astuces. Il complétera ce recueil et vous pourrez le compulser de temps à autre pour ne pas utiliser toujours les mêmes ficelles. Cette boîte à outils peut prendre la forme d’un carnet, d’un fichier informatique ou autre. Ne vous servez pas tant des commentaires pour juger ces techniques, mais au contraire notez les meilleures combinaisons possibles. Comme expliqué en introduction, c’est exactement la philosophie du prochain recueil de la collection Sortir de l’auberge, La Boîte à outils du meneur. Passez de l’autre côté de l’écran !

Dans de nombreux groupes, le rôle de MJ revient toujours à la même joueuse. C’est une position agréable, valorisée, mais aussi le meilleur moyen de se couper de ce que ressentent ses camarades et de faire des parties médiocres. Quand vous vous plaignez de leur incapacité à contourner les difficultés que vous leur imposez, ou à comprendre ce qui vous paraît évident, c’est souvent signe qu’il vaut mieux soit se remettre en question, soit qu’il faut redevenir joueuse un moment. L’idéal est alors de solliciter les diverses compétences qu’elles mettent en œuvre (au-delà de celles de leurs personnages et de leur capacité à s’en servir pour avancer dans la partie). Tout ceci est détaillé là aussi dans un prochain recueil de notre collection, Jouer des parties de jeu de rôle.

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Échouez !

Peu enthousiasmante, il s’agit d’une des façons les plus efficaces de progresser et sans doute la seule que nous partagerons tous. Lire ou écrire des conseils réduira certes le risque, mais ne vous sauvera pas : chez Lapin Marteau, nous avons loupé plus de parties qu’à notre tour, reçu quelques mails d’insultes et sommes sur la liste noire d’une poignée de joueuses. Mais tous ces échecs ont été de formidables leçons. Rassurez-vous, il y a très peu de chances que de tels extrêmes vous arrivent : vos joueuses sont probablement vos amies et il y a fort à parier qu’elles seront encore plus bienveillantes si vous les prévenez. Gardez juste en tête que vous ne jouez pas votre vie sur une partie ni le fait que vous soyez un bon ou un mauvais meneur. Par contre, si vous n’échouez pas de temps en temps, c’est sans doute que vous n’osez pas sortir de votre zone de confort et jouez constamment de la même façon. Là encore, rien de grave tant que vous ne commencez pas à vous ennuyer ou à avoir l’impression de faire du surplace. Sinon, vous ne pouvez vous en prendre qu’à vous-même… Échangez avec la communauté !

Autre moyen très efficace de se maintenir à jour : prendre part à la communauté rôliste. Vous finirez toujours par y trouver votre bonheur, mais cela vous demandera du temps. Selon ce que vous cherchez, vous pouvez échanger de façon physique (conventions, clubs), virtuelle (forums, blogosphère, réseaux sociaux), ou même suivre la presse. Cela vous permet de vous tenir au courant des nouvelles approches, tant des effets de mode que des réelles nouveautés (peu importe du moment que cela vous apporte quelque chose), mais aussi de poser des questions ou de trouver des ressources en rapport avec les problèmes spécifiques que vous rencontrez ou pourriez rencontrer. Enfin, vous aurez accès à un flot permanent d’idées, d’inspirations ou de réflexions qui ne demandent qu’à être recyclées. Voici quelques pistes pour faire vos premiers pas. Il en existe bien d’autres. • Blogs : www.tartofrez.com, www.awarestudios.blogspot.fr, etc. • Clubs et conventions : www.le-thiase.fr • Forums : www.pandapirate.net/casus/, www.sden.org • Presse : Casus Belli, Di6dent, JdR mag, Le Maraudeur • Podcasts : www.cendrones.fr, www.lacellule.net, www.radio-roliste.net • Vidéos : www.rolistetv.com • Autres sites : www.ptgptb.fr, www.legrog.org, etc.

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Jouez, jouez et rejouez !

Enfin, le plus important : jouez comme un concepteur de jeux ! Parce que concevoir des jeux et des parties est finalement très proche. Cherchez en priorité les jeux différents de ceux auxquels vous êtes habitués, jouez-y tels qu’ils sont écrits et poussez-les dans leurs retranchements. Essayez toutes les options, toutes les possibilités et découvrez en quoi les expériences qu’ils vous proposent diffèrent de vos habitudes ou peuvent les enrichir. La diversité est en effet une richesse qui est inscrite dans l’ADN même du JdR. Certains jeux sont également excellents pour s’entraîner à une compétence particulière de meneur. Ainsi, en plus des très nombreux exemples déjà cités dans cet ouvrage, en voici quelques-uns que nous avons l’habitude de défendre  : Ryuutama donne de nombreuses pistes sur la façon d’enseigner un jeu, la création de scénarios, certaines scènes spéciales et certaines émotions, Agôn1 et Cold City2 sur la compétition et les façons de diviser ou rassembler le groupe, Breaking the Ice sur d’autres scènes spéciales (rendez-vous amoureux), Épées & Sorcellerie3 sur le jeu old school, Fiasco sur la création de scénario, Montsegur 1244 ou Witch: The Road to Lindisfarne4 sur les notions de linéarité, Monsterhearts5 sur l’improvisation et la façon de rendre les choses personnelles, On Mighty Thews6 ou Oltrée ! sur la narration partagée, Tenga sur comment passer du scénario à la campagne, Apocalypse World sur à peu près tous les points précédents, etc. Enfin, n’hésitez pas à jouer avec des gens que vous ne connaissez pas et acceptez qu’ils n’apprécient pas les mêmes choses que vous. Il n’y a pas de meilleur moyen de s’apercevoir que certaines de nos habitudes peuvent être remises en cause, ou au contraire qu’elles font partie intégrante de notre façon de jouer.

À très bientôt !

1. Fitzpatrick Wilhelm, Harper John, Agôn, auto-édité, 2006. 2. Craig Malcom, Cold City, Contested Ground Studios, Oxford, 2006. 3. Dessaux Nicolas, Épées & Sorcellerie, Brave Halfling Publishing, 2009. 4. Barthaud Kevin, Lacy Richard, Witch: The Road to Lindisfarne, Pompey Crew Design, 2012. 5. Alder Avery, Monsterhearts, Buried Without Ceremony, 2012. 6. Carryer Simon, On Mighty Thews, auto-édité, 2012.

REMERCIEMENTS



Lapin Marteau et les auteurs de cet ouvrage remercient tous les souscripteurs pour les avoir aidés à lancer la collection Sortir de l’auberge. Ce livre a vu le jour grâce à vous !

Associations À La Croisée Des Fers, Association Grands Jeux, Association Némésis, le Club des Aventuriers, La Guilde des Joueurs, Ligue Ludique, Rêves De Jeux

Boutiques Arcadia (54), Descartes (33), Jeux du monde (31), La Boutique du manoir (34), Philibert (67), Rocambole (59), Tempus Ludi (89), Trollune (69) 

particuliers Abel, Ackinty Strappa, Acritarche, Adrien Denis, Aka Fioroni, Akairetos, Akhad, Alban Quadrat, Aldaric, Aldo «  Pénombre  » Pappacoda, Alexandre Diss, Alexis Hoarau, Alias, Allan Gautron, Anthony « Infornographie » Avila, Anthony Salapete, Antoine Bauza, Antoine Boegli, Antoine «  Damask  » Foing, Antoine Pempie, Anton, Arik, Arius Moghador, Arkel, Arnaud B., Arnaud Celard, Arnaud Lecointre, Arnaud Pichon, Arnulphe de Lisieux, Asphy, Audibert Sébastien, Auquier Maxime, Aurèle Nicolet, Aurélien Vincenti, Aymeric Pelzer, BadHub, Baktov, Baron H., BarthusVulgaris, Basha, Bashar, Bastien Lyonnet, Bastien Tabary, BatsaxIV, Beaucier, 395

Becker Vincent, Beltran, Benjamin Diebling, Benjamin Méquignon, Benoît Chérel, Benoit D., Benoît Philibert, Berger Cyril, Bertrand Bry, Bertrand Mullon, Bigcoco18, Bimbo, le jeu qu’il vous faut  !, Boegen David, Botharu, Bouletsama, Brezeler, BriseBarbe, Bruno Bosc-Zanardo, Bruno Cabioch, Buggy, Bzjeurd, C. Mongodin, Cadaric, Cadavre, Calie, Capitaine Némo, Carpe, Casque Noir, Cédric Jeanneret, Cédric Zobrist, Charline Bernier, Chernobyl & Druideria, Childéric Maximus, Chilibak, Chris Costard, Christophe «  BJ  » Breysse, Christophe Asnar, Christophe Jankowski, Christophe Joveneau, Christophe Laudon, Claude Féry, Clément Trénit, Colvalkir, Coocz, Corren, Cousin Nalesk, Croc, Cryoban, Cyol, Cyril, Cyril « NbM » Deveautour, D3x, DaBaru, Damien « damsdreg » Rodrigues, Damien « MatFenric » Léger, Damien Reimert, Dansimati, dargoss, Darkbubu, Darthnull, David « Ktar » Garnarat, David «  Nursus  » Benoist, David B. Capricorne, David Colom-Arnoux, Davy Gérard, Decrouy Xavier, Denis Souly, Dhaanyeel, Dieu, Dilvich, Dimitri Chaignat, Dmonchaux, Doc Dandy, Doc Edderskopp, Docteur Fox, Docteur Half, Dominique «  Zeylion A.  » Suchaire, Doops, Dorothée Duval, Dr Stapelton, Drulaan, Druzil, Durieu, E.Contesse, Eathanor, Edak, Edern «  Crêpe  » Le Meut, Édouard Gonzalez, Eimef, El Pulpo Mecanico, Eloso, Elyandel, Emilie et Matthieu Dumoulin Bouget, Emmanuel « Ketzol » Landais, Emmanuel Dufour, Emmanuel Le Bouter, Emmanuel Ponette, Equites, Eric Bonnet, Eric Brambilla, Eric Dedalus, Eric Delamour, Eric Le Nouy, Erwan Le Corre, ET_SYL20, Etienne Goos, Etienne Guerry, Ewell, Excoriateur, F. Vincent, Fabien Lewandowski, Fabien Lotz, Fabien Morel, Fabrice Girardot, Fabrissou, Félix Reinmann, Feyd, Fin, Florent Moragas, Florent Sacré, Florian Briand, Florian Dufour, ForgeJdR, Franck Mercier, Francois Bastier, François Cedelle, François Lalande, François Roussel, François-Pierre Crinon, Fred le Farfelin, Frédéric Gérard, Frederic Le Saux, Frédéric Seraphine, FredMelison, Fustir, Gaëtan «  Wang  » Tessier, Gauthier «  Go@t  » Lion, Gauthier Damoran, Gauthier Lahache, Gil, Gilles B., Gilles Donnarumma, Ginkoko, Globo, Gobelin Nounours, Golgoroth, Grafxx, Grégoire « Qui revient de Loin » Macqueron, Grégor, Grégory Thonney, Grey, Grimbou, Guilhem Arbaret-Fischbach, Guillaume « Gap » Pasquier, Guillaume Agostini, Guillaume Faure-Lenormant, Guillaume Fouillet, Guillaume G., Guillaume Godet-Bar, Guillaume Nonain, Guillaume Saint-Sorny, Guillemot Didier, Guylène Le Mignot, Gzavier, Hadrien Lleida, HAENELST, Hardbox, Hazel Lions, Heedio, Héphaistos, Iloria, Inarus, Iranon de Aira, Jacky Bauer, Jamin-Normand, Janique, Janus, Jean Gagnon, Jean S., Jean-Antoine Mounier, Jean-François Lévêque, Jean-Luc Vassal, Jean-Michel Armand, Jean-Patrice Albrand, Jean-Paul Gourdant, Jean-Philippe Guérard, Jean-Yves Gaucher, Jeff de Raise Dead, Jérémie «  Jemrys  » Rueff, Jérémie Lautour, Jérome Bianquis, Jérôme Buard, Jérôme Isnard, Jérôme Javelas, Jices, Jicey, Jolhan, Jordan Brunier, Julian « Labelle Rouge » Lemonnier, Julien « Zemd » Flamant, Julien Becker, Julien Delabre, Julien Palluel, Julien Pouard, Kadus, Kakita Inigin, KamiSeiTo, Kardwill, Karfael, Keljumg, Kerrubin, KF, Kirdinn, Knil, Kobal, KoteMenDo, Kristobald, Kylar, Kyldan, Ladaline, Lapin, Laurent Condon, Laurent Devernay, Laurent Mata, Laurent Schenkel, Lavisse guillaume, Le Nay, Le Roi en jaune, Les Arpenteurs, Lhotseshar & Lindanae, Lionel François, Lobo, Loïc Dublanc, Loïc Girault, Loïc Weissbart, Looping du Secteur 51, Loris, Lou Ainsel, LouFredou, Loup Vaillant, Ludieikos, Ludo, Ludovic Poiret, Luke, Lulvaran, M. Fénot, Madtroll, Magisterphamtom, Magnamagister, Alexandre « Magnapocryphe » Charles, Malateste, Manoli Chalaris, Manuel Bedouet, Marc «  Marchiavel  » 396

Dubouchet, Marc « Yrka » Eusebio, Marc Lafon, Marc Rivault, Marc Sautriot, Marc Verdier, Marcello, Marcellus Lesendar, Marek, Marie « Ayla » Olive, Markov, Martin Terrier, Masoj, MastaDaddy, Mathieu Canonier, Mathieu Mertz, Matthieu Burel, Matthieu Galk, Matthieu jagu, Matthieu Sauveur, Maxence Lagalle, Mcu, Melarno Anskhein, Melnuur, Merryneils, Metazeta, Meuh, Mickael Letertre, Mickey, Mike Winter, Mike11210, Miss Mopi, Misterwest, Mithriel, Modran, Monsieurv, Mr Tweedy, MrCaribooo, Najai, Nalzur, Natha, Nathalie Hauzeur, Nathaniel Henel, Necroline, NecroZephir, Nekith, Neuromancien, Nevym, Nico Dobin, Nico du dème de Naxos, Nicodemauss, Nicolas « Yoda Mister » Tauzin, Nicolas Benloulou, Nicolas Bernard, Nicolas Fuseau, Nicolas Regal, Nilebog, Oberon, Oligotron, Olivier Jacquemin, Olivier Roullier, Olivier Simpère, Olivier Tétaz, Olivier «  Overb62  » Verbreugh, Onirions, Ook, Or77, ORP & Dragon Mouche, Orygins, Paindesegle, Palpacwel, Papyrolf, Pascal Viette, Patrice «  Walking-Pat  » Granieri, Patrice Hédé, Patrick «  Roll’n’Rôle  » Trempond, Paul Enguehard, Paul Valette, Pauline, Payet Cédrique, Pelon, Peres Christophe, Pernic «  Black Pharaoh  » N., Peroys, Perrot Claude-Arnaud, Philippe “Sildoenfein” D., Philippe Marichal, Philmer, Philou, Phoenryll, Pierre Becker, Pierre Gavard-Colenny, Pierre Gay, Pierre Rosenthal, Pierre Vanhulst, Pierre-Emmanuel, Pierre-Louis Fugazzi, Pierre-Olivier Grange, Pierre-Yves, Pierrick, Pierrick « Picric » Boyer, Pierrick Revol, Piouh, Pivent, PM, Polla con Alas, Poulpiche, Poulpy, Poupy Kerloc’h, Quenie, Raphaël Granier de Cassagnac, Ratafia, Ravanel, Red, RedJericho, Rémy Catalan, Renaud Velter, René-Philippe Gimenez, Renz, Réorx, Richard Berthet, Richard Poitras, Roberto, Roland Guissani, Romain « Howdy » Ayoul, Romain Barriquand, Romain Darmon, Romain Hommette, Romain Pocachard, Romain Rougé, Romain S., Romaric Bolzan, Roxane Collet, S@m, Sam., Samuel De Azevedo, Samuel Moullé, San Pedro Frederic, Sanchez Nicolas, Sandra H. Bruel, Sanne Stijve, Sébastien «  Aranduir  » Pons, Sébastien Crapart, Sebastien Hauguel, Sébastien Kervella, Sébastien Schwendimann, Sebastien Torres, Sébastien Vicard, Serge «  Hobbit  » Salvé, Serge Billarant, Severin, Siprilius, Sisko, Skav, Somalucard, Sombre69, Sourismaniac, Spassinando, St Gaillard, Stéphane Bagnier, Stéphane Devouard, Stéphane Julien, Stéphane Lebonnois, Steve Dempsey, Steve Jakoubovitch, Superfred, Sylvain « Da Profezzur » Dabriou, Sylvain L., Sylvain Pouilly, Tagan Adrien, Talhouët Gwénaël, Taliesin, Taranto, Tarpagnan, Templeton, Tenaul, Thabanne, Thibaut «  Peabee  » Mermet, Thibaut Bleger, Thibaut Martin, Thierry « Mister ti » Doisneau, Thierry Delpierre, Thierry Gebelin, Thierry Nouza, Thierry Sabot, Thjazi, Thomas Da Silva Perret, Thomas Giot-Mikkelsen, Thomas Herubel, Thomas Rey, Timothée « Silenttimo » Bossin, Timothy Story, Tirodem, Tistakel, Tixu Oty, Tnidelet, Tom_Bombadil, Toulza Aymeric, Toussaint Pigeon, Tristan Lhomme, Troleur, Ufum, Uiop, Valentin Roussel, ValladeD, Vignemesle, Vincent ‘Groscouic’ Lamoque, Vincent Jedat, Vincent Lajoanie, Vincent Mottier, Vincent P., Vincent Plana, Vincent Thomas, Vincent Ziec, Vladkergan, Walter, Whidou, XavGangrel, Xavier Algoud, Xavier Etchebes, Xavier Oziouls, Xavier Van Roy, Xefantion, Xiangh, Yanakin, Yann Lerculeur, Yann Morlot, Yann Thollon, Yannick Le Bret, Yannick Recht, Yannick T. Himber, Yapados, Yragaël, Ysneyd, Ze Great Pat, Zeben, Zechrub, Zelis, ZotoPatate.

table des matiÈres

Introduction, décider de sa pratique : Jérôme Larré et Coralie David, p. 7. I. LA PRÉPARATION Organiser des parties, le b.a.-ba : Fabien Deneuville, p. 17. Créer un scénario : Tristan Lhomme, p. 31. Adapter une œuvre pour en faire un scénario : Isabelle Périer, p. 55. Construire un donjon, une méthode aléatoire : Éric Nieudan, p. 73. II. L’ANIMATION : LES BASES Enseigner un jeu : Thomas Robert, p. 93. Décrire : Sébastien Delfino, p. 109. Improviser : Alexandre Jeannette, p. 125. Incarner des PNJ : Jean-Philippe Jaworski, p. 141. Dompter la linéarité : Jérôme Larré, p. 159. Animer les combats : Romain d’Huissier, p. 173. Animer les scènes spéciales : Thomas Munier, Coralie David et Jérôme Larré, p. 191. III. L’ANIMATION : TECHNIQUES AVANCÉES Commencer : Jérôme Larré, p. 225. Rassembler & Diviser : Coralie David, p. 235. Rendre les choses personnelles : Gregory Pogorzelski, p. 261. Créer des émotions particulières : Jérôme Larré, p. 277. Faire plaisir aux joueurs : interview de Pierre Rosenthal, p. 289. Jouer en musique : Stéphane Treille, p. 297. Passer du scénario à la campagne : Olivier Caïra, p. 317. IV. VARIER LES PLAISIRS Jouer avec les aides de jeu : Alexis Lamiable, p. 331. Jouer à distance : Éric Nieudan, p. 349. Jouer old school : Nicolas Dessaux, p. 365. Partager la narration : Jérôme Larré, p. 381. Conclusion, continuer à s’améliorer : Jérôme Larré et Coralie David, p. 391.

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