These Almohaya 2015

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Université Sorbonne Nouvelle - Paris 3 Ecole doctorale 268 Langage et langues : description, théorisation, transmission EA 7345 – CLESTHIA Langue, système, discours Centre de recherche en traductologie CR-Trad (Ecole Supérieure d‟Interprètes et de Traducteurs - ESIT)

THÈSE DE DOCTORAT EN TRADUCTOLOGIE Essam ALMOHAYA

L‟EXPLICITATION EN TRADUCTION Une étude de cas : la traduction du Monde Diplomatique en arabe durant la période 2001-2011 Thèse dirigée par

Madame le Professeur Colette LAPLACE

Soutenue le 06 mai 2015 à Maison de la Recherche, 4 rue des Irlandais, 75005 PARIS

Jury : Monsieur Hassan Hamzé, Professeur émérite, Lyon 2 (pré-rapporteur) Madame Myriam Salama-Carr, Professeur émérite, University of Manchester (GrandeBretagne) (pré-rapporteur) Madame Fayza El Qasem, Professeur Paris 3 (Présidente du jury) Madame Colette Laplace, Professeur Paris 3 (Directeur de la thèse)

L‟EXPLICITATION EN TRADUCTION Une étude de cas : la traduction du Monde diplomatique en arabe durant la période 2001 - 2011

Résumé Cette thèse se propose d‟explorer le phénomène de l‟explicitation en traduction et d‟observer la mise en œuvre de la stratégie d‟explicitation dans un grand corpus composé de traductions en arabe du Monde Diplomatique (MD) durant la période 2001-2011. Elle s‟articule autour de cinq questions centrales : Qu‟est-ce que l‟explicitation ? Qu‟est-ce qu‟on explicite ? Pourquoi ? Pour qui ? Comment ? Pour mener à bien cette investigation, nous avons élaboré un appareillage conceptuel dont la Théorie Interprétative de la Traduction (TIT) constitue le socle et auquel les autres approches traductives ont apporté des outils conceptuels et méthodologiques complémentaires. A la lumière des travaux antérieurs, nous avons d‟abord tenté de redéfinir le concept de l‟explicitation afin de déterminer les caractéristiques de cette stratégie ainsi que ses fondements théoriques. Ensuite, nous nous sommes penché sur l'analyse du corpus du MD composé d‟environ 5000 exemples d‟explicitation en contexte. Grâce à l'analyse discursive des décisions d‟explicitation prises par les traducteurs du MD, nous avons pu dégager cinq problématiques principales qui suscitaient leur intervention et six techniques par le biais desquelles ils mettaient en œuvre les explicitations dans les textes arabes. Enfin, nous proposons cinq maximes susceptibles d‟optimiser l‟application de cette stratégie de sorte à permettre aux lecteurs cibles d‟accéder aisément au sens des textes sources. L‟explicitation devient pour nous un travail de marqueterie qui consiste à insérer dans le fil du texte des suppléments informationnels pertinents, mais surtout limités au strict nécessaire. Tout est question de « bon sens ».

Mots-clés Explicitation, risque d‟ambiguïté, pertinence, rapport explicite / implicite, équivalence discursive, vouloir dire, explicitness, hypothèse de l‟explicitation, décision d‟explicitation, tentative d‟explicitation.

Abstract The present thesis explores the concept of explicitation in translation and the implementation of this strategy on a large corpus of Arabic translations of “Le Monde Diplomatique” (MD) from 2001 to 2011. The argument revolves around five central questions: What is explicitation? What is explicitated? Why? For whom? And how? To carry out this investigation, a conceptual framework was developed of which The Interpretive Theory of Translation (TIT) forms the basis, with other translational approaches contributing additional conceptual and methodological tools. In the light of previous research, we have first attempted to redefine the concept of explicitation in order to determine the distinctive features of this strategy as well as its theoretical foundations. Then, we have focused on the analysis of about 5000 examples of explicitation from MD in their context. Through the discursive analysis of the reasons why the translators of MD decided to apply explicitation, we have identified five main issues that justify the strategy and six techniques by which the translators apply it to Arabic texts. Finally, five translational maxims are proposed that optimize the application of explicitation so as to enable readers in the target language easy access to the meaning of the source text. Our conclusion is that when the explicitation strategy is applied in this way, the result is similar to marquetry with supplementary, but above all strictly relevant information inlaid into the text. It is all about „common sense‟.

Keywords Explicitation, risk of ambiguity, relevance, explicit / implicit report, discursive equivalence, intended meaning, explicitness, Explicitation hypothesis, decision to apply explicitation, attempted explicitation.

Dédicace

À ADNAN IBRAHIM

Remerciements

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Remerciements Je ne saurais assez remercier Madame le Professeur Colette Laplace qui a cru en moi au moment où je doutais de moi-même. Les mots, si éloquents soient-ils, ne pourront jamais lui exprimer toute ma gratitude. Grâce à la patience dont elle a fait preuve à mon égard, à la pertinence de ses remarques, à ses corrections maintes fois renouvelées et à la confiance qu‟elle a placée en moi, ce travail a pu voir le jour. Je lui resterai éternellement redevable. Qu‟elle soit vivement remerciée, en mon nom et au nom de ma famille ! J‟adresse également mes sincères remerciements à Madame le Professeur Fayza El Qasem qui, par ses encouragements, m‟a donné la force de poursuivre cette aventure. A travers ses enseignements et ses propres traductions, elle m‟a appris à manier ingénieusement l‟arabe pour atteindre la plénitude du sens en traduction. Je remercie tous les enseignants de la section recherche en traductologie de l'ESIT qui ont guidé mes premiers pas dans cette discipline. Enfin, je remercie chaleureusment mes amis qui m‟ont toujours apporté leur soutien, même dans les moments les plus difficiles : Jassas AL-AGHBARI, Khaled AL-KHALED, Amira MAJEED, Karim KHEMIRI, Nisrine KHEMIRI, Vincent PLANEL (France), Khaled AL-EDRISSI, Tameem AL-JAWFI, Sarah YAHIA (U.S.A), Walid AL-ZOBEIRI (Yémen).

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Liste des sigles et abréviations

Liste des sigles et abréviations

MD

Monde Diplomatique

TIT

Théorie Interprétative de la Traduction

DTS

Descriptive Translation Studies

Sommaire

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Sommaire INTRODUCTION GÉNÉRALE ................................................................................................... 10 PREMIÈRE PARTIE : VERS UNE CONCEPTION GLOBALE DE L‟EXPLICITATION ........................................................................................................................................................ 33 CHAPITRE I : L‟explicitation dans les différentes approches théoriques de la traduction 37 1. L‟explicitation du point de vue des approches linguistiques ..................................................... 38 2. L‟explicitation du point de vue des approches sociolinguistiques ............................................. 44 3. L‟explicitation du point de vue des approches philosophiques .................................................. 51 4. L‟explicitation du point de vue des approches communicationnelles ........................................ 58 5. L‟explicitation du point de vue des approches fonctionnelles ................................................... 82 6. Bilan d‟étape .............................................................................................................................. 91 CHAPITRE II : L‟explicitation dans les approches descriptives de la traduction (DTS) .... 96 1. L‟explicitation du point de vue des approches systémiques ...................................................... 98 2. L‟explicitation du point de vue des approches empiriques ...................................................... 104 3. Bilan d‟étape ............................................................................................................................ 142 CHAPITRE III : Vers une conception générale de l‟explicitation ........................................ 145 1. Mise au point sur le cadre théorique et méthodologique ......................................................... 146 2. Notre conception générale de l‟explicitation............................................................................ 148 3. Les caractéristiques distinctives de l‟explicitation ................................................................... 157 4. L‟explicitation entre explicitness et explication ....................................................................... 160 5. La distinction entre l‟explicitation et les autres stratégies de traduction ................................. 167 6. Les fondements théoriques de l‟explicitation ........................................................................... 174 7. En guise de conclusion ............................................................................................................. 207 DEUXIEME PARTIE : LES MOTIVATIONS ET LES TECHNIQUES DE L‟EXPLICITATION : ANALYSE DU CORPUS DU MD 2001-2011 .................................. 217 CHAPITRE IV : Les motivations des explicitations dans le corps du MD 2001-2011 ........ 219 1. Les risques d‟ambiguïté et d‟incompréhension : gérer ou subir .............................................. 222 2. Les cinq motivations principales de l‟explicitation .................................................................. 230 3. L‟analyse statistique des motivations d‟explicitations sur l‟ensemble du corpus du MD 20012011 .............................................................................................................................................. 353 4. En guise de conclusion ............................................................................................................. 368 CHAPITRE V : Les techniques d‟explicitation et leur mise en œuvre dans le corpus du MD 2001-2011..................................................................................................................................... 370 1. La stratégie d‟explicitation : macro-stratégie, techniques et procédés ..................................... 372

Sommaire

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2. Les techniques d‟explicitation du MD ..................................................................................... 375 3. La mise en œuvre des techniques d‟explicitation ..................................................................... 440 4. En guise de conclusion ............................................................................................................. 508 CONCLUSION GÉNÉRALE ..................................................................................................... 512 Références bibliographiques ........................................................................................................ 532 Glossaire ....................................................................................................................................... 565 Liste des tableaux ......................................................................................................................... 579 Liste des figures ........................................................................................................................... 590

Introduction générale

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INTRODUCTION GÉNÉRALE Constitués d‟articles de fond et d‟enquêtes approfondies sur les grands sujets politiques, économiques, sociaux et culturels de l‟actualité mondiale, les textes du Monde Diplomatique (dorénavant MD) regorgent de références culturelles et d‟allusions subtiles qui posent sans doute des problèmes de traduction. Est-il possible de traduire en arabe de tels textes, destinés principalement aux lecteurs francophones cultivés ? Et surtout, est-il possible de transmettre aux lecteurs arabophones l‟intégralité du sens compris par les lecteurs francophones, les différences linguistiques et culturelles entre les deux langues-cultures et les deux lectorats étant ce qu‟elles sont ? Quelles techniques de traduction pourraient être mises en œuvre pour y parvenir ? La réponse à la première question semble évidente. En principe, tout texte est traduisible dès lors que l‟on peut le comprendre et que l‟on cherche à faire comprendre son vouloir dire aux nouveaux lecteurs. Les textes du MD ont effectivement été traduits en langue arabe de 2000 à 2012. En revanche, la réponse aux deux autres questions nécessite toute une thèse. Comme celleci. En effet, le présent travail vise à étudier la question de la transmission du sens exprimé en de tels textes extrêmement riches en notions culturelles, et caractérisés par un style journalistique soutenu et souvent allusif, et ce pour un lectorat auquel ces textes n‟étaient pas destinés initialement. Pour ce faire, nous allons nous intéresser tout particulièrement à l‟étude d‟une stratégie de traduction qui nous paraît la plus en phase avec l‟objectif recherché1 et la plus fréquemment sollicitée par les différents traducteurs du MD au cours de la décennie écoulée : l‟explicitation. Avant de présenter nos questions et hypothèses de recherche, nous proposons d‟examiner un exemple extrait de la traduction du MD novembre 20092 qui nous aidera à comprendre les tenants et les aboutissants du phénomène de l‟explicitation en traduction en général et dans la traduction du MD en particulier. Nous allons d‟ailleurs exploiter cet exemple, qui portera le numéro 1, tout au long de la première partie de cette thèse pour illustrer nos propos sur les différentes conceptions de l‟explicitation dans les approches théoriques et empiriques de la traduction. À la fin de la première partie, nous proposerons notre traduction de ce même exemple, faite selon notre propre conception globale de l‟explicitation.

Mise en contexte de l‟exemple Après la crise des subprimes de l'été 2007, le monde économique a été frappé par une deuxième crise bancaire et financière en automne 2008, qui s'est rapidement répercutée sur les marchés boursiers par une chute des cours. Ce « krach financier » a mis à rude épreuve le capitalisme 1

L‟explicitation n‟est évidemment pas la seule technique sollicitée pour cette fin. Les traducteurs mettent en œuvre d‟autres techniques de traduction, en plus de l‟explicitation, qui participent grandement et souvent concomitamment à la réalisation de cet objectif. Nous y reviendrons dans le chapitre 3 de la présente thèse. 2 Nous allons adopter dorénavant ce format (MD, Mois, Année) pour donner la référence des numéros du MD dont sont extraits les exemples.

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Introduction générale

financier et remis en cause le principe de l‟autorégulation des marchés. Fidèle à son style ironique et à ses analyses économiques profondes, Frédéric Lordon adresse dans cet article intitulé « les disqualifiés ...» des critiques virulentes à l'encontre des experts, éditorialistes, politiques, qui « nous ont bassinés pendant deux décennies à chanter les louanges du système financier qui est en train de s'écrouler ». Dans cet extrait que nous allons reproduire avec sa traduction en arabe et une retraduction linguistique en français de la version arabe 3, l‟auteur critique le changement d‟attitude de deux éditorialistes, Laurent Joffrin de « Libération » et Favilla, l‟éditorialiste masqué des « Echos », qui ont retourné leur veste après la crise et se mettent désormais à tirer à boulets rouges sur l‟effondrement du capitalisme financier, comme si de rien n‟était. Lordon commente en particulier cette déclaration de Favilla publiée dans les Echos, le 7 octobre 2008 : «Cette bulle idéologique, la religion du marché tout-puissant, a de grandes ressemblances avec ce que fut l’idéologie du communisme (...). Le rouleau compresseur idéologique libéral a tout balayé sur son passage. Un grand nombre de chefs d’entreprise, d’universitaires, d’éditorialistes, de responsables politiques ne juraient plus que par le souverain marché ». Exemple nº 1 : Celui qui, telle la Belle au bois dormant, se serait endormi avant l'été pour se réveiller et lire ces lignes aujourd'hui croirait sans doute avoir affaire une fois de plus à ces habituels fâcheux d'Attac ou bien de L'Humanité [...]4

‫واه‬٩ ً‫ٺ‬٥ ،٬ُٖ‫ ؤٽب اٹنٌ ځبٻ ٱجٸ ٭ٖٸ اٹ‬Quant à celui qui s‟est endormi

avant la saison de l‟été, à l‟instar

‫ وَٲوؤ‬٠‫ ٹَُزُٲ‬،"‫بثخ اٹڂبئپخ‬٪‫ ٱّٖخ "رتُٺخ اٹ‬du conte de la « Belle au bois ‫ٺً األهعؼ‬٥ ‫زٲل‬٦َُ‫ىه اٹُىٻ ٭‬َٞ‫ څنڃ اٹ‬dormant », pour se réveiller et lire ces lignes aujourd‟hui, il se croira

"‫ّپخ "ؤربٳ‬٢‫جخ ظتڂ‬ٙ‫ب‬٪‫ ؤځّڄ ؤٽبٻ اظتٲبالد اٹ‬plutôt devant les articles furieux de « Attac » qui "‫ىظتخ ؤو ٕؾُٮخ "ٹىٽبځُزُڄ‬٦‫خ ٹٺ‬ٚ‫ اظتڂبڅ‬l‟organisation

Prolongeant les tendances ّ ‫ "كتت ؤٿ َڂٮغو ٵ‬:٣‫ٕبهفبً ٽڀ ځى‬ présentes, on peut donc ‫ٸ‬ d‟ores et déjà anticiper qu‟un ً‫ب‬ٞ‫څنا!" ٍُزٖلّه ٱوَجبً ٽٲبالً ا٭ززبؽُبً ٍبف‬ sonnant « Il faut que ça pète .‫ثٲٺټ ٭ب٭ُال‬ ! » donnera bientôt son titre à un prochain éditorial d‟un Favilla déchaîné.

3

s‟oppose à la mondialisation, ou

‫ واٽزلاكاً عتنڃ ٹٺزىعّهبد‬.‫ُخ‬٥‫ اٹُْى‬du journal communiste « l‟Humanité » [...] Prolongeant ces ً‫ڂىاځب‬٥ ّ‫ نتٶڂڂب ٽڂن اِٿ اٹزڂجّىء ثإٿ‬،‫اضتبٹُخ‬

tendances actuelles, on pourrait dès maintenant prédire qu‟un titre virulent du style « tout cela doit exploser ! » sera bientôt l‟intitulé d‟un éditorial5 furieux, sous la plume de Favilla.

Nous allons expliquer notre méthode de présentation des exemples d‟explicitation et de retraduction linguistique dans la section consacrée à la méthode d‟analyse du corpus, vers la fin de cette introduction. 4 Nous avons supprimé le passage suivant dont la traduction en arabe ne nous donnait pas l‟occasion de développer d‟autres types d‟écarts d‟explicitation : « C‟est pourtant Favilla, l‟éditorialiste masqué des Echos, qui libère enfin toute cette colère contenue depuis tant d‟années. Car on ne le sait pas assez, Les Echos sont en lutte : trop d‟injustices, trop de censures, trop d‟impostures intellectuelles. N‟a-t-on pas étouffé la « vérité » même : «Toute voix dissonante, fût-elle timidement sociale-démocrate, en rappelant les vertus d’un minimum de régulation publique, passait pour rescapée de Jurassic Park. Et voici que tout à coup la vérité apparaît. L’autorégulation du marché est un mythe idéologique ». 5 Littéralement « un article de préambule » ou « un article d‟ouverture ». Cette périphrase est souvent employée en arabe pour dire « éditorial ».

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Introduction générale

Décidément Blanche-Neige aurait du mal à reconnaître ses nains. Laurent Joffrin, qui il y a quelques mois encore aidait Bertrand Delanoë à pousser son cri d'amour pour le libéralisme et fustigeait la « gauche Bécassine (7) », celle qui n'a pas compris les bienfaits du marché, a visiblement mangé de la mauvaise pomme - en fait la même que Favilla. (7) Laurent Joffrin, La Gauche Bécassine, Robert Laffont, Paris, 2007. (MD novembre 2008)

ً‫ىثخ‬٦ٕ "‫بثخ اٹڂبئپخ‬٪‫ثبٹزإٵُل ٍزغل "رتُٺخ اٹ‬

،]8[ ‫ ٭ٺىهاٿ عى٭واٿ‬.‫ بذل ؤٱياٽهب‬٫ّ‫و‬٦‫يف اٹز‬

‫ل‬٥‫خٍ ؤّهو وؽَت ٵبٿ ََب‬٦ٚ‫اٹنٌ ٽڂن ث‬

‫الٯ ٕوفخ ؽجّڄ‬ٝ‫] يف ب‬9[ ٌ‫ثورواٿ كوالځى‬

‫ مٹٴ اٹَُبه‬،"‫ٹٺُرباٹُخ وَڂلّك "ثبٹَُبه اٹَبمط‬ ‫ ٱل ؤٵٸ‬،‫بئٸ اٱزٖبك اٹَىٯ‬ٚ‫اٹنٌ دل َٮهټ ٭‬

‫ وڅٍ يف‬،‫ؼٍ ٽڀ اٹزٮبؽخ اظتَپىٽخ‬ٙ‫ثْٶٸٍ وا‬

:‫اضتٲُٲخ ځٮٌ رٮبؽخ ٭ب٭ُال‬

Bien sûr, la « Belle au bois dormant » aura du mal à reconnaître ses nains. Laurent Joffrin [8] qui, il y a quelques mois seulement, aidait Bertrand Delanoë [9] à pousser son cri d‟amour pour le libéralisme et condamnait la « gauche niaise », cette gauche qui n‟a pas compris les vertus de l‟économie du marché, a visiblement mangé de la pomme empoisonnée, qui est en fait la même pomme de Favilla.

" ‫[ هئٌُ ٕؾُٮخ "ٹُرباٍُىٿ‬8] ‫اٹيت ٵبځذ ٍبثٲبً رْزهو‬Libération ‫[ ثَُبهَّزهب‬8] Chef du journal “Libération” qui

était réputé pour sa sensibilité à

‫پٸ ٹٺزوّّؼ ٹٺوئبٍخ‬٦َ ٌ‫پلح ثبهٌَ اٹن‬٥ [9] gauche .ٍ‫ڀ اضتية االّزواٵ‬٥ ‫اٹٮوځَُخ‬

[9] Le maire de Paris qui brigue une candidature aux présidentielles au nom du parti socialiste.

o Analyse comparative A l'aide d‟une simple analyse comparative, nous avons relevé, dans l‟exemple nº 1, une dizaine de « différences », qui se manifestent majoritairement sous forme d‟ajouts succincts intégrés dans le texte arabe ou sous la forme de notes du traducteur, mises toujours à la fin de l‟article traduit. Ainsi, « l‟été » devient « la saison de l‟été », « la Belle au bois dormant » se met dans la version arabe entre guillemets avec l‟introduction en amont par le mot « conte ». De même, nous remarquons des ajouts en amont et en aval des termes « Attac » et « Humanité » qui visent apparemment à préciser aux lecteurs arabes à quoi renvoient ces deux termes. Les noms « Laurent Joffrin » et « Bertrand Delanoë » ont mérité deux notes en fin d‟article pour dire aux lecteurs arabes qui sont ces personnages. Enfin, l‟expression « la gauche Bécassine » devient « la gauche niaise », et l‟adjectif « mauvaise » qualifiant la « pomme » devient en arabe « empoisonnée » alors que la traduction littérale hors contexte est « ‫ئ‬ٛ‫» ع‬, c'est-à-dire « mauvaise ». Visiblement, il y a eu, ici, substitution des termes d‟origine et non ajouts comme dans les cas précédents. Qu‟en est-il de l‟explicitation dans cette traduction ?

Introduction générale

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Les questions principales de la recherche Cette analyse rapide soulève plusieurs interrogations légitimes sur les aspects suivants : o La nature de ces « écarts » de traduction La première question qui se pose est la suivante : comment appelle-t-on ces « différences » et à quelle stratégie ou technique de traduction6 peuvent-elles être attribuées ? Pour le besoin de cette présentation, nous allons donner un début de réponse ici afin de pouvoir poursuivre notre raisonnement. De façon neutre et objective, ces « différences » peuvent être appelées « shifts of translation » (écarts de traduction) (Catford 1965) 7. Il ne faudrait pas voir dans l‟emploi du terme « écart » ici une connotation péjorative ou une norme prescriptive, c'est-à-dire une dérogation à la règle générale et normale qu‟il conviendrait de suivre. Il s‟entend plutôt comme une différence linguistique qui ressort de l‟analyse comparative des termes employés dans le texte source et de leurs correspondances linguistiques dans le texte cible. Ces écarts sont souvent le résultat des techniques de traduction mises en œuvre par les traducteurs (Toury 1995). Concernant l‟explicitation, existe-t-il une définition exacte sur laquelle on peut s‟appuyer pour confirmer que les écarts constatés dans l‟exemple nº1 relèvent effectivement de cette stratégie ? C‟est là une des questions fondamentales de cette thèse. En fait, bien que très présent dans les recherches traductologiques, le concept même de l‟explicitation pâtit d‟un flou terminologique et conceptuel qui empêche de déterminer précisément les écarts découlant de l‟application de cette stratégie. Nous allons d‟ailleurs consacrer la première moitié de cette thèse à l'éclaircissement de ce concept afin de pouvoir cerner les mécanismes de cette stratégie et discerner les écarts qui en découlent. Mais mentionnons, pour commencer, deux définitions auxquelles se référent souvent les chercheurs en traductologie. La première, plus générale et communément admise, est tout naturellement celle que fournissent les dictionnaires de langue française, tels que le Grand Robert (tome IV : 1992) qui définit ainsi : « l‟action d‟expliciter, de rendre explicite ». Le verbe expliciter (v.tr.- 1870 ; de explicite) signifie : 1- Énoncer formellement. 2- Rendre clair et précis. Quant à l‟adjectif explicite, il en donne la définition suivante : (ad. Ŕ 1488 ; lat. explicitus, p.p. de explicare.) 1- Qui est réellement exprimé, formulé. 2- Qui est suffisamment clair et précis dans l‟énoncé ; qui ne peut laisser de

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Par stratégie de traduction, nous entendons une méthode générale de traduction, décidée par le traducteur ou le demandeur de la traduction, reflétant des considérations théoriques ou idéologiques. Nous la distinguons de la technique de traduction par laquelle nous entendons un procédé traductif appliqué de façon ponctuelle, répondant à des considérations pragmatiques. Une stratégie générale se met en œuvre dans le texte traduit à l'aide de plusieurs techniques de traduction. 7 Nous reviendrons sur le concept d‟écart dans le premier chapitre. À ce stade de la recherche, nous nous contentons ici de dire qu‟au niveau de la forme, ces écarts peuvent être des ajouts, des omissions ou des substitutions. Au niveau de la fonction, seule une analyse discursive permet de déterminer leur portée sémantique ou pragmatique dans le texte traduit.

Introduction générale

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doute. De cette définition, nous pouvons déduire que l‟explicitation est l‟action d‟énoncer formellement quelque chose ou de rendre un énoncé suffisamment clair et précis pour ne pas laisser de doute. La deuxième définition, propre à la recherche traductologique et considérée comme la plus ancienne, est celle proposée par Vinay et Darbelnet dès 1958, dans le cadre de leur approche linguistique de la traduction : « un procédé qui consiste à introduire dans LA [langue d‟arrivée] des précisions qui restent implicites dans LD [langue de départ], mais qui se dégagent du contexte ou de la situation » (Vinay et Darbelnet [1958] 1977 : 9)8 À la lumière de ces définitions, et étant donné que la plupart des écarts constatés dans l‟exemple précédent, sont des précisions parfaitement inférables du texte source, et qu‟ils cherchent à rendre le sens des énoncés suffisamment clair et précis, nous pouvons confirmer désormais que ces écarts peuvent s‟inscrire dans le cadre de l‟explicitation. Tout au moins, ils peuvent être considérés comme des « tentatives » d‟explicitation, s‟ils n‟arrivent pas à apporter toute la précision voulue dans le texte traduit. En revanche, la traduction du syntagme « avant l‟été » par "‫ف‬ٛ‫( "قجم فصم انص‬avant la saison de l‟été), ou la répétition lexicale du mot "‫( "رفبزخ‬pomme) à la fin du deuxième énoncé de l‟extrait, relève-t-elle de l‟explicitation, étant donné que ces écarts n‟apportent pas de précision spécifique du sens, généralement et aisément compris des lecteurs arabes ? Nous allons donc nous pencher sur l‟élaboration de critères qui peuvent nous permettre de distinguer les « véritables » cas d‟explicitation, des autres écarts. Et enfin nous nous interrogerons sur la légitimité de ces écarts. o La légitimité de ces « écarts » Ces « écarts d‟explicitation », ou tout simplement ces « explicitations » sont-elles légitimes et justifiées ? Nous allons tenter de voir sur quels fondements théoriques, voire éthiques, les traducteurs s‟autorisent à opérer ces ajouts et substitutions. Procéder de la sorte, ne constitue-t-il pas une violation du principe de la « fidélité » en traduction ou une transgression des droits d‟auteur, comme le laissent entendre les commentaires formulés à l'encontre de l‟emploi des notes du traducteur, décrites parfois comme étant un « aveu d‟échec » de la part du traducteur, une « infamie », voire une « honte du traducteur »9 ? Qu‟en est-il maintenant de la portée sémantique et de la valeur pragmatique de ces explicitations dans le texte traduit ? o Le rapport d‟équivalence de sens et d‟effet entre les deux textes Dans l‟optique de cette stratégie, nous allons nous demander si, les deux textes, source et cible, peuvent être considérés comme équivalents au niveau du sens et de l‟effet produits sur leurs

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Nous ajoutons les crochets Ces commentaires sont rapportés par Henry (2000) dans son article consacré à l'étude de la note du traducteur sous l‟optique de l‟explicitation. Nous y reviendrons en détails dans le chapitre 5, dédié à l'analyse étayée des différentes techniques d‟explicitation. 9

Introduction générale

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lecteurs respectifs. Autrement dit, est-ce que le lecteur arabe comprend vraiment le sens de l‟antonomase dans l‟expression la « gauche Bécassine »10, de l‟ironie dans « Blanche-Neige aurait du mal à reconnaître ses nains »11, de l‟allusion dans la phrase « croquer dans la mauvaise pomme »12 ou de l‟insinuation dans la phrase « il faut que ça pète »13, comme le fait le lecteur natif français ? Et si nous avions présenté cet exemple sans contextualisation, aurions-nous pu, y compris les lecteurs francophones, saisir le sens implicite dans l‟exemple précédent ? Nous allons voir comment les traducteurs du MD cherchent à transmettre, par le biais de cette stratégie, et le sens et l‟effet de tels éléments au lectorat arabe. Le tout dans le cadre d‟une analyse discursive de l‟ensemble du texte afin de mieux apprécier la profondeur et la pertinence sémantique de ces explicitations. o La compétence du traducteur L‟analyse de ces explicitations ne peut pas se faire sans tenir compte du traducteur qui en est l‟auteur. Dans le cadre de l‟analyse de cette stratégie, nous allons voir à quel degré de compréhension de ces « implicites » culturels les traducteurs eux-mêmes sont arrivés, les contraintes qui pèsent sur leurs choix traductifs, l‟objet et l‟objectif de leurs explicitations, à savoir le dire de l‟auteur, ses mots et ses expressions, ou ce qu‟il voulait dire par ces mots. Comment interpréter le choix du traducteur de l‟exemple précédent consistant à remplacer dans le deuxième énoncé « Blanche-Neige » par « la Belle au bois dormant » alors qu‟il s‟agit de deux contes bien différents ? Lorsqu‟ils ne possèdent pas les connaissances encyclopédiques nécessaires à la saisie du sens de ces allusions ou ne disposent pas des références culturelles appropriées, de quelque nature qu‟elles soient, comment font les traducteurs du MD pour pallier leurs insuffisances et pour en faire profiter le lectorat cible ?

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D‟après nous, F. Lordon entend dire la gauche craintive et niaise, à l‟image de Bécassine, qui a peur de la modernité. La suite du texte valide cette hypothèse de sens, c'est-à-dire la peur de s‟ouvrir à l'économie de marché et d‟adopter le système financier libéral qui contredit les principes du vieux dogme socialiste. 11 L‟auteur fait ici allusion à la scène où Blanche-Neige découvre, après s‟être réveillée, que les propriétaires du chalet sont sept nains. Elle les reconnaît aisément en faisant le rapprochement entre leurs surnoms et leurs mimiques et caractères. Par analogie, l‟auteur veut dire que celui qui se réveille après l‟avènement du krach financier et lit les déclarations de Favilla et de Laurent Joffrin, diamétralement opposées à ce qu‟ils soutenaient avant, aurait du mal à les reconnaître, tellement ils ont changé leur fusil d‟épaule et de discours. 12 Une autre allusion à la scène où Blanche-neige tombe dans le piège tendue par la méchante sorcière et croque la pomme fatale. Elle tombe dans le coma. Le sens pertinent qui s‟actualise ici est que Favilla et Laurent Joffrin se sont fait piéger par le matraquage médiatique, dont ils sont à la fois les auteurs et les victimes, et par les confirmations des experts économiques qui ne juraient que par le souverain marché. 13 Cette phrase est attribuée à Olivier Besancenot, porte parole de la LCR, qui l‟a prononcée lors d‟une interview sur les ondes de radio RMC. Considérée comme un leader d‟extrême gauche, Besancenot appelle à la mobilisation, voire à la révolution contre les dérives du système capitaliste qui nuit considérablement aux droits des travailleurs. Le sens qui s‟actualise ici est donc que Favilla va finir par adopter les thèses anticapitalistes de Besancenot et consorts en appelant carrément à la révolution contre le capitalisme financier. La mention de « l‟idéologie communiste », du « rouleau compresseur libéral » dans la déclaration citée de Favilla confirme ce sens.

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o La compétence du lecteur Nous allons voir à cet égard, comment les traducteurs analysent (ou devraient analyser) au préalable les connaissances présumées de leur lectorat, pour mieux doser l‟explicitation fournie. Dans notre exemple, est-ce que le lecteur arabe « Modèle », selon le terme d‟Eco ([1979], 1985), un citadin ayant généralement l‟équivalent du niveau Bac+3, connaît ou est censé connaître les héroïnes des contes allemands des frères Grimm « La Belle au bois dormant », « Blanche-Neige » - ou à tout le moins les dessins animés correspondants de Walt Disney -, ou encore la bande dessinée de Joseph Porphyre Pinchon « Bécassine », les références à la vie politique française, comme les deux éditorialistes mentionnés ou le nom du maire de Paris, l‟orientation politique et idéologique des quotidiens français « Libération » (de gauche), « les Echos » (libérale), l‟Humanité (communiste) ou celle de l‟organisation « Attac » (altermondialiste) ? L‟étude de l‟explicitation, c‟est aussi l‟analyse de la manière dont le texte prévoit son lecteur Modèle, ainsi que les suppositions des traducteurs à l'égard de la non-connaissance ou de la méconnaissance de ces références de la part de son lectorat. De telles lacunes culturelles relèvent naturellement de la distance culturelle qui sépare ces deux langues-culture, et non pas forcément de l‟ignorance du lectorat. Nous allons donc analyser comment les traducteurs tentent d‟apporter des compléments informationnels, lorsque la connaissance de ces références s‟avère décisive pour la saisie du sens du passage en question. Qu‟en est-il du choix de ces suppléments ? o La pertinence des informations apportées par le traducteur Pour faire comprendre le sens de ces références, est-ce que le traducteur arabe a choisi les traits pertinents susceptibles d‟aider le lecteur arabe à inférer le sens voulu ? L‟écart d‟explicitation introduit est censé, d‟après les définitions de base, rendre le sens clair et précis. Le choix de l‟information pertinente à intégrer dans une explicitation quelconque revêt donc une importance capitale. Dans notre exemple, les informations fournies en note sur Laurent Joffrin et Bertrand Delanoë sont-elles pertinentes pour comprendre le retournement de situation dont il s‟agit, dans ce contexte14 ? N‟était-il pas possible d‟abréger le contenu des deux notes et l‟intégrer dans le texte traduit ? De surcroit, dans « La Belle au bois dormant », il est questions de sept fées marraines et non de nains. La confusion entre « la Belle au bois dormant » avec ses sept fées marraines, et « Blanche-Neige » avec ses sept nains, n‟a-t-elle pas d‟incidence sur la compréhension du sens de la comparaison implicite suggérée par la phrase « Blanche-Neige aurait du mal à reconnaitre ses nains » ? Nous allons donc analyser les facteurs en fonction desquels se fait la sélection de ces compléments.

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C‟est-à-dire les socialistes qui, avant le krach boursier, faisaient l‟éloge des bienfaits de l‟ouverture à l'économie libérale du marché et les libéraux qui, après le krach, commencent à critiquer ce système économique et ses effets délétères.

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o Les autres possibilités de traduction Y a-t-il d‟autres techniques de traduction pour rendre le sens de ces éléments culturels comme la recherche d‟images équivalentes dans la littérature ou la culture arabe ? Pourquoi le traducteur at-il conservé les références d‟origine en ce qui concerne le conte « la Belle au bois dormant » alors qu‟il a gommé la référence à « Bécassine » ? N‟est-il pas possible, voire préférable, de dire simplement « celui qui s‟est endormi avant l‟été pour se réveiller à l‟automne et lire ces lignes », en sacrifiant l‟allusion au conte ? Pourquoi le concept de « libéralisme » a été traduit littéralement ici par un emprunt du même terme en arabe, sans explicitation ? En analysant différents exemples d‟explicitations dans différentes textes du MD, nous allons pouvoir comparer les avantages et les inconvénients des différents choix traductifs et ceux issus de l‟explicitation. Cela nous permettra également de déceler, à travers l‟analyse quantitative de ces choix, les tendances de traduction et les préférences des traducteurs quant à la stratégie à mettre en place pour traduire ces éléments. Il ressort de l‟analyse de cet exemple que la question de l‟explicitation en traduction est un sujet à la fois intéressant et complexe. Il convient donc de mener une investigation théorique approfondie afin d‟apporter des éléments de réponses satisfaisants à ces multiples interrogations. Nous considérons que ce phénomène se prête à l'analyse à travers six questions fondamentales : 1- Qu‟est-ce que l‟explicitation en traductologie ? 2- Comment délimiter clairement cette stratégie par rapport aux autres techniques de traduction et sur quels fondements théoriques se base sa pratique ? 3- Qu‟est-ce qu‟on cherche à expliciter dans un texte ? 4- Pour quelles raisons les traducteurs décident d‟expliciter ? 5- De quelles manières se présentent ces explicitations dans le texte traduit ? 6- De quels facteurs dépend le choix de l‟explicitation dans tel ou tel énoncé ou dans tel ou tel contexte de traduction ? Pour tenter d‟y répondre convenablement, nous avons cherché à cerner les différentes conceptions de l‟explicitation dans les approches théoriques et empiriques de la traduction. Nous avons surtout accordé une attention particulière aux concepts opératoires élaborés par ces approches, qui sont susceptibles d‟éclairer certaines facettes de ce phénomène. o Le flou terminologique et conceptuel Au départ, nous avions imaginé qu‟un survol rapide de ces études nous permettrait de déterminer clairement la définition et les caractéristiques de cette stratégie et que nous pourrions passer très vite à l‟analyse du corpus. Mais nous avons rapidement dû constater que le concept était extrêmement compliqué et confus et que la lecture des études existantes soulevait plus d‟interrogations que nous n‟en avions au début. De surcroit, les recherches sur l‟explicitation sont caractérisées par leur émiettement et leur superficialité ; elles sont souvent limitées à un aspect très particulier du phénomène ou éclatées sous formes de références disséminées. Ainsi, nous avons rencontré le terme « explicitation » sous la plume d‟une trentaine d‟auteurs qui en traitent différemment dans le cadre de différentes

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perspectives théoriques et méthodologiques. Il s‟agit parfois aussi d‟analyser des questions et des procédés extrêmement proches du phénomène de l‟explicitation, mais sous des dénominations autres. Ceci est aggravé par l‟absence de monographie, qui permettrait de contraster les apports des uns et des autres et de faciliter la recherche, dans un cadre global et cohérent, sans refaire ni défaire ce qui a été déjà bien fait. Aussi, en l'état actuel, la recherche sur l‟explicitation tourne-t-elle, soit dans un cercle répétitif où il s‟agit plutôt de chicanes terminologiques sur le concept que du concept lui-même, soit dans des petits cercles restreints qui abordent certains aspects du phénomène sans les intégrer dans une vision d‟ensemble. D‟où la nécessité de forger une conception globale de la stratégie d‟explicitation en traduction, dans un cadre théorique unifié et cohérent qui mette à profit l‟apport des différentes approches théoriques en la matière. Cependant, l‟investigation théorique, quoiqu‟essentielle, ne peut seule aboutir à des conclusions valides si elle ne s‟appuie pas sur un corpus d‟exemples réels d‟explicitations pouvant illustrer les propos théoriques avancés et les mettre à l'épreuve de la réalité. Au-delà des interrogations théoriques évoquées ci-dessus, nous allons présenter ici les différentes caractéristiques de notre corpus consacré à l'analyse des différentes facettes du phénomène de l‟explicitation.

Présentation de notre corpus Notre corpus est constitué d‟environs cinq mille exemples d‟explicitations extraits des différents articles du MD traduits et publiés entre 2001 et 2011 et nous allons exposer ci-dessous les modalités de constitution et dépouillement, la méthodologie suivie pour l‟analyse des données et l‟intérêt particulier pour notre thèse. Toutes ces considérations revêtent une importance capitale pour la compréhension du phénomène de l‟explicitation. En effet, au-delà de l‟analyse contextuelle de chaque cas d‟explicitation, l‟analyse globale de l‟ensemble des exemples relevés sur toute cette période et la possibilité de comparaison des différentes explicitations inhérentes aux mêmes éléments culturels, mais dans différents contextes, nous révèle d‟autres facteurs extratextuels, tels que la compétence du traducteur, les normes et contraintes de traduction, etc., dont il faudrait tenir compte pour bien comprendre le fonctionnement de cette stratégie en traduction. Voici donc une présentation rapide de ce corpus et des hypothèses de recherche que nous avons pu émettre à partir de nos constatations générales sur le recours à cette stratégie. o Le MD : la version française Le MD est un mensuel français d‟information et d‟opinion. Il se présente comme l‟« héritier d‟une histoire prestigieuse, résolument à part dans un paysage médiatique de plus en plus uniforme » et comme le « pourfendeur de la pensée unique »15. Il conjugue une large ouverture sur les questions internationales avec une vision critique et analytique des différents sujets

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Citations puisées dans la rubrique « qui sommes-nous » du site officiel du Monde Diplomatique, disponible sur le lien http://www.monde-diplomatique.fr/diplo/apropos/. Dernière consultation le 1 octobre 2013.

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d‟actualité politiques, économiques, culturels, écologiques, artistiques, etc., sur l‟Europe, le monde arabo-musulman et le monde outre-Atlantique. Adepte des grandes enquêtes, et grâce à ses analyses approfondies et à ses points de vue engagés, le MD se définit également comme « un journal de référence pour tous ceux qui veulent comprendre, mais aussi changer, le monde actuel ». La ligne éditoriale est clairement orientée politiquement, avec une sensibilité à gauche. Le journal critique souvent l‟impérialisme américain ou « néolibéral », les nouvelles stratégies boursières sacrifiant l'emploi à la rentabilité, la «pression sécuritaire », notamment celle qui pèse sur les « jeunes issus de l'immigration » en France. Nous allons voir dans notre analyse des exemples d‟explicitation que ces thématiques sont très récurrentes dans les articles du MD. La version papier du journal s‟étend sur une trentaine de pages environ, comprenant une dizaine d‟articles variés, présentés en pavés et disposés en quatre colonnes par pages, un dossier générique sur un thème particulier économique ou politique, etc., composé lui aussi d‟environ 5 articles, une dizaine d‟encadrés accompagnant certains articles et des comptes rendus d‟une sélection de livres issus de différents domaines tels que l‟art, le cinéma, le théâtre, etc. La version papier est disponible dans les kiosques le premier jour du mois, la version électronique est diffusée deux jours plus tôt sous format PDF pour les abonnés en ligne. 

Son lectorat

Ce journal s‟adresse à un lectorat francophone souvent cultivé, averti, intéressé par les questions internationales et voulant disposer d‟un point de vue plus approfondi en la matière. Il s‟agit, en effet, moins d‟une présentation descriptive l‟actualité telle que la pratiquent les journaux classiques, que d‟un décryptage de l‟actualité mondiale grâce à une mise en perspective historique et géopolitique des faits soumis à l'analyse. En plus du lectorat français, ce journal semble intéresser différents publics étrangers. Il faut savoir qu‟en février 2013, le MD comptait 44 éditions internationales en 28 langues16 : 37 imprimées avec un tirage total qui dépasse 2,4 millions d‟exemplaires et 7 sept éditions uniquement en ligne. 

Son style

La publication étant mensuelle, la rédaction a nécessairement un certain recul face à l'actualité, ce qui favorise une réflexion critique et analytique. Le MD se distingue par un niveau de langue généralement élevé, un style soutenu, ce qui en fait un journal « élitiste », dans le sens où il ne touche pas le grand public, contrairement à la version arabe dont voici la présentation.

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En trente langues : allemand, anglais, arabe, arménien, bulgare, biélorusse, chinois, coréen, croate, espagnol, espéranto, farsi, finnois, français, grec, hongrois, italien, japonais, kurde sorani, kurde kurmandji, norvégien, polonais, portugais, russe, serbe, slovaque, slovène, suédois, tchèque et turc.

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o Le MD : la version arabe  Historique Lancé en 1988 sous forme d‟édition trimestrielle imprimée avec environ 40 % du contenu de la version française, interrompu plusieurs fois entre 1990 et 2000 à cause des contraintes financières et des censures, le premier numéro de la version arabe actuelle du Monde diplomatique fût traduit et diffusé comme supplément au journal libanais an-Nahar, en 2000 à Beyrouth. La version papier traduite contenait de 50 à 70% de la version originale du journal et était proposée gratuitement au Liban, alors qu‟elle était vendue dans les autres pays arabes, avant qu‟elle ne soit distribuée gratuitement comme supplément gratuit des quotidiens arabes dès 2007. La traduction du MD en arabe est éditée depuis 2000 sous ces deux formes : la version numérique disponible par abonnement sur le site www.mondiploar.fr, et la version papier éditée d‟abord par le dit journal et puis par la filiale appelée « le Monde Diplomatique, les Éditions Arabes », créée à Paris depuis 2005. Cette filiale travaille en partenariat avec la société anonyme « A concept Mafhoum », qui gère tout le processus de la traduction, et en collaboration avec le journal « AlQabas » au Koweït, qui s‟occupe depuis 2008, de l‟édition de la version papier. 

Diffusion du MD dans le monde arabe

Entre 2000 et 2005, le MD arabe était de faible diffusion, car il était peu connu des lecteurs arabophones en dehors du Liban et des abonnés à la version électronique17. Il s‟adressait généralement à un cercle restreint de lecteurs comprenant notamment les services diplomatiques arabes installés à Paris, une élite intellectuelle intéressée par l‟actualité mondiale, les professionnels de la presse audiovisuelle, les enseignants et certains étudiants-chercheurs, etc. De 2005 à 2007, grâce à la démocratisation de l‟Internet haut débit, dans la plupart des pays arabes, la version électronique comptait de plus en plus d‟abonnés. De son côté, la version papier était de plus en plus présente dans certaines librairies parisiennes, notamment celle de l‟Institut du Monde Arabe à Paris, ainsi que dans les bibliothèques des grandes universités arabes. Depuis 2007, le cercle de diffusion de la version papier du MD arabe s‟est élargi considérablement jusqu'à intéresser la plupart des grands quotidiens arabes, qui la publient mensuellement, selon les accords passés avec la filiale « le Monde Diplomatique, les Éditions Arabes », comme supplément gratuit, ce qui élargit considérablement les lecteurs potentiels du MD arabe. Ce dernier réalise, en 2012, un tirage cumulé qui dépasse les 600 000 exemplaires. Le tableau suivant montre, selon les informations glanées sur les sites officiels du MD français et arabe, la répartition par pays du nombre d‟exemplaires tirés et la date de début de la diffusion gratuite.

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Nous n‟avons pas pu obtenir d‟informations précises sur le nombre d‟abonnés à l'édition en ligne ni avant 2005 ni après.

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Pays

Quotidien éditeur

Nombre d‟exemplaires

Date de parution

Égypte AL-Akhbar/AL-Ahram 380 000 2007 Émirats Arabes Al-Khaleej 80 000 2007 Unis Palestine Al-Ayyam 15 000 2007 Qatar Al-Watan 22 000 2007 Arabie saoudite AL-Riyadh, 160 000 2008 Yémen Al-Siyyassia 40 000 2008 Koweït AL-Qabas 74 000 2008 Syrie-Liban Al-Akhbar Non indiqué 2009 Maroc le mensuel juridique Adala- Juste Non indiqué 2011 Tableau 1: Liste des pays arabes qui distribuent gratuitement le MD arabe en supplément mensuel

De plus, l‟édition électronique, régulièrement éditée sur le site du MD arabe, a participé à cette expansion du lectorat, en supprimant purement et simplement toutes les frontières étatiques et en contournant toutes les censures. Elle s‟adresse à tous les arabophones dans tous les pays où il n‟était pas (encore) disponible en version papier. Ce public est extrêmement varié en termes de connaissances culturelles et de profils sociolinguistiques, ce qui va influer largement sur l‟emploi de la stratégie d‟explicitation durant les 5 dernières années. o L‟objectif de la traduction du MD Dans le monde arabe, la traduction du MD est partie à la base d‟une volonté militante, dans le sens où elle permettait de développer des problématiques différentes, alternatives, voire progressistes et démocrates. Les états arabes n‟ont pas demandé cette traduction, mais, sous l‟effet de la mondialisation et la guerre contre le terrorisme, les gouvernements arabes devaient faire preuve d‟une certaine tolérance et ouverture par rapport à la presse internationale et de leur volonté de promouvoir le dialogue entre l‟Occident et l‟Orient. En effet, au-delà de ces considérations politiques, les lecteurs arabes sont désireux de savoir ce qui se dit et se passe en Occident car ils sont conscients que, dans le nouveau « village mondial », leur destin est étroitement lié aux événements politiques et économiques internationaux. Cette traduction s‟inscrit également dans le cadre de l‟introduction d‟un modèle journalistique de renommée mondiale qui intéresse autant les professionnels de la presse et des médias arabes, en quête d‟ouverture et de liberté d‟expression, que les lecteurs arabes curieux de voir une autre forme de journalisme libre et critique. L‟objectif non déclaré de la traduction du MD peut donc se résumer en deux mots : informer et former. Informer le lectorat arabe grâce à des analyses de qualité, approfondies et documentées, et former les journalistes arabes, avec l‟introduction de normes textuelles et stylistiques, mais aussi terminologiques propres au discours journalistique, comme les emplois métaphoriques, l‟organisation de l‟article, l‟utilisation de termes précis pour désigner les nouveaux concepts émergents etc. Il importe de noter que, dans le contexte arabe, les journalistes et les traducteurs comptent parmi les acteurs les plus efficaces dans l‟actualisation du lexique arabe et l‟adaptation

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de cette langue aux besoins de cette ère de la mondialisation. C‟est par leur truchement que les nouvelles expressions et les nouveaux concepts font leur apparition dans le discours médiatique qui contribue à les répandre sur l‟échelle panarabe et même dans l‟usage quotidien des communautés arabophones. o La sélection d‟articles traduits De 2000 à 2005, à peine la moitié des articles du MD français était traduite. Les textes sélectionnés portaient sur des sujets relatifs à la France, aux États-Unis et au Monde Arabe18. À partir de 2005, le MD arabe s‟étoffe en traduisant de plus en plus d‟articles de la version originale et élargit sa diffusion dans les pays arabes comme nous l‟avons déjà évoqué. En 2007, la version arabe comprend plus de 70 % des articles de la version française. Il reste donc un espace rédactionnel de 30% propre à chaque journal arabe. Les rédacteurs en chefs sélectionnent les articles publiés19 selon l‟intérêt des articles pour le lectorat ciblé et selon le contexte politicoéconomique. En 2008, la traduction s‟étend à plus de 90% des textes d‟origine. Chaque éditeur local se réserve toujours le droit d‟ajouter, dans le supplément portant le nom du Monde Diplomatique, à hauteur de 10% de l‟espace rédactionnel, des articles développant des problématiques inhérentes à l'actualité de son pays. Tous les textes touchant à l'actualité économique sont traduits à partir de 2007 suite à la crise des subprimes et à la crise financière qu‟elle a provoquée. Depuis 2010, les comptes rendus des livres intègrent la sélection des textes traduits. Avec l‟avènement du « Printemps arabe », tous les textes sur le monde arabe sont traduits. Cependant, en pleine expansion du MD arabe, c‟est précisément ce « Printemps arabe » qui va emporter avec lui les espoirs de développer davantage cette édition20. A cela s‟ajoute, une crise financière à répétition du MD arabe, il est parfois difficile de payer les traducteurs et d‟assurer la survie de cette édition, ce qui a entraîné la suspension de ce projet et la liquidation judiciaire en 2012 de la filiale qui gérait la traduction. o L‟intérêt du corpus pour l‟étude de l‟explicitation Grâce à l'énorme variété des sujets traités par le MD, ces textes regorgent de faits culturels et sociaux dont la traduction pose problème, ce qui en fait une bon poste d‟observation du phénomène d‟explicitation. Étant donné que ces textes sont à vocation plutôt analytique et 18

Il faudrait peut-être rappeler le contexte politique de l'époque, notamment la guerre en Afghanistan et en Irak. Les textes économiques, littéraires et religieux et tous ceux traitant des pays asiatiques ou de l‟Amérique latine étaient souvent exclus de la sélection. 19 Pour éviter que les articles traitant du Monde Arabe soient exclus de la traduction, le Monde Diplomatique à Paris a rajouté une clause dans le contrat qui stipulait que tous les articles traitant du monde arabe et islamique ne devaient pas faire partie des 30 % que pouvait éliminer le rédacteur en chef. 20 En effet, ces traductions semblent déranger certains pays arabes, car le MD était favorable aux revendications populaires et pacifiques de la rue arabe. De plus, la destruction des archives du journal Alsyasiya au Yémen en 2011, la guerre en Syrie, l‟instabilité politique en Égypte, l‟irascibilité excessive des pays du Golfe, etc., ont bloqué net la diffusion du MD dans ces pays.

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argumentative, le style de rédaction est riche en argumentations étayées, raisonnements bien ficelés, comparaisons implicites avec des événements historiques, politiques, etc. Tout cela contribue à rendre l‟argumentation plus convaincante et le style plus percutant. Toute ambiguïté ou confusion lors de la traduction risque de nuire à la cohérence, voire à l‟intelligibilité de ces analyses. Les textes sont critiques. Ils regorgent de sous-entendus et d‟ironie. Tout cela nécessite une attention particulière de la part des traducteurs pour décrypter dans un premier temps ces implicites et ré exprimer dans un deuxième temps le vouloir dire de l‟auteur, à l‟aide de quelques compléments informatifs, sans verser cependant dans l‟exégèse. Les textes sont enfin caractérisés par un style journalistique riche en désignations métaphoriques : métonymies, antonomases, éponymes, symboles, expressions tropiques, etc. Le style gagne certes en effet, mais ces raccourcis stylistiques rendent la tâche de la traduction plus compliquée et le sens obscur s‟ils ne sont pas pris correctement en charge par le traducteur. Nous allons voir en quoi l‟explicitation pourrait aider à contourner ces difficultés, tout en conservant cette particularité stylistique du MD français, si l‟on garde à l‟esprit l‟un des objectifs de la publication en langue arabe qui était, comme nous l‟avons indiqué ci-dessus, de tenter d‟enrichir et la langue arabe et le style journalistique en arabe. o Les modalités de traduction du MD Grâce à notre entretien21 avec M. Samir ALAITA, co-président de la filiale Monde Diplomatique, les éditions arabes, et rédacteur en chef du MD arabe, depuis 2005, nous en avons appris un peu plus sur le déroulement de la traduction de ces textes. Voici une brève description du cycle mensuel de la traduction : Vers la fin du mois, disons par exemple le mois d‟avril, M. ALAITA reçoit les textes originaux de la version française qui sera publiée le premier mai. Il choisit les textes qui seront traduits en arabe - c‟était le cas avant 2009, car depuis presque tous les textes sont traduits - et les envoie, à partir du 28 avril, à son équipe de traduction, basée au Liban, constitué de plusieurs traducteurs professionnels, souvent formés dans des écoles de traduction au Liban. Un responsable libanais s‟occupe de diriger, sur place, cette équipe de traduction dont les contours restent imprécis puisqu‟on ne connaît pas les noms des traducteurs, les traductions étant publiées sous l‟anonymat. C‟est le coordinateur libanais qui choisit ses traducteurs en fonction de leur disponibilité et de leur spécialité. Les traducteurs désignés disposent d‟une semaine pour effectuer les traductions. Vers le 7 mai, le coordinateur reçoit les traductions et les envoie tout de suite au rédacteur en chef à Paris, qui les transmet à son tour à l'équipe responsable de la diffusion en ligne, aux responsables de l‟édition papier à Paris entre 2005 et 2008 ou au journal Al-Qabas au Koweït après l‟accord signé en 2008, mais aussi aux autres services de rédaction des quotidiens arabes, qui les distribuent dès 2007 sous forme de supplément mensuel gratuit. Le 8 mai l‟édition électronique est en ligne, le 10 mai, la version papier est disponible dans la librairie

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Après plusieurs correspondances par courriels, M. ALAITA m‟a accordé un entretien, le 11 novembre 2011, pendant une heure, dans un café parisien, durant lequel il m‟a expliqué comment se déroule la traduction du MD.

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de l‟Institut du Monde Arabe ou envoyée par la poste aux abonnés en France et à l'étranger, du 12 au 15 mai, les quotidiens arabes publient la traduction, majorée de quelques articles supplémentaires, comme nous l‟avons déjà évoqué. Vers la fin du mois de mai, tout le processus recommence et ainsi de suite. Les traducteurs changent d‟une année à l‟autre, voire d‟un numéro à l‟autre ; il n‟y a donc pas de réelle continuité et il ne nous a pas été possible, malgré plusieurs tentatives infructueuses, de prendre contact avec les traducteurs. Selon les dires de M. ALAITA, il n‟y a pas de consignes précises de traduction, à part la vitesse d‟exécution et l‟exigence d‟exactitude et de qualité de la traduction. Comme les traductions sont anonymes, la réputation du traducteur n‟est pas en jeu, ce qui a des répercussions sur l‟implication des traducteurs. Faute de temps, il n‟y pas de véritable révision des textes en langue arabe pour corriger les fautes de grammaire ou de syntaxe, ni même les éventuelles fautes de traduction. Après 2008, l‟éditeur Al-Qabas intervient sur la mise en page du texte traduit et procède parfois à la correction de quelques fautes d‟orthographes, avant d‟éditer la version papier. Mais il n‟y a aucune intervention sur la traduction elle-même. o La constitution du corpus général du MD La traduction du MD est un projet de grande envergure. Sur dix ans d‟existence, plus de 8000 articles ont été traduits, totalisant une vingtaine de milliers de pages, que nous avons toutes compilées sous format électronique, ce qui représente, à notre connaissance, le corpus numérique de traductions journalistiques français-arabe le plus grand qui soit. En effet, le MD est le seul journal traduit et distribué à l‟échelle du Monde Arabe et sur cette période relativement longue. La constitution d‟un tel corpus était une tâche ardue et extrêmement complexe. Nous avons d‟abords recueilli tous les textes originaux publiés entre 2001 et 2005 à partir d‟un CD-ROM contenant les archives de la version française du MD pour la période allant de 1978 jusqu‟à 2005. Quant aux textes publiés entre 2005 à 2011, ils sont facilement accessibles grâce à un abonnement au site du MD français, où chaque numéro est édité sous format PDF téléchargeable. Quant aux traductions arabes, nous avons souscrit à un abonnement à la version papier qui donne droit également aux éditions électroniques et aux archives disponibles en ligne depuis 2001. Nous avons réunis tous les textes traduits dans des fichiers Word, en téléchargeant un par un, plus de 4000 articles22, car malheureusement les numéros traduits ne sont pas édités, comme la version française, sous format PDF téléchargeable. Il fallait ensuite refaire la mise en page et indexer chaque article avec sa traduction. Cette étape était extrêmement fastidieuse. Au final, nous avons réussi à constituer un corpus parallèle de plus de vingt mille pages au format PDF. Ce corpus représente une importante base de données pour toute recherche traductologique impliquant des textes pragmatiques, notamment journalistiques, dans la combinaison linguistique français-arabe. L‟exploitation de ce corpus aurait été plus facile si notre but avait été d‟analyser le phénomène de l‟explicitation au seul niveau linguistique. Dans ce cas, les outils de traitement

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Rappelons que les textes français n‟étaient pas tous traduits en arabe.

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automatiques des langues TAL et certains logiciels concus spécifiquement à cet effet comme Lexico 3, auraient été indispensables. Mais, à l'instar de notre analyse de l‟exemple nº 1, le but de toute cette entreprise était d‟analyser la conception et l‟application de la stratégie d‟explicitation dans ce corpus au niveau discursif, en échappant à une certaine myopie de l‟approche linguistique sur laquelle nous reviendrons dans le chapitre II du présent travail. Nous avons ainsi voulu mettre l‟accent, non pas seulement sur la partie linguistique explicite et facilement repérable, mais plutôt sur la partie implicite contextuelle et extralinguistique, pas toujours aisément décodable. Le corpus spécifique sur l‟explicitation Face à ces milliers de pages traduites, il fallait élaborer une grille de lecture qui nous permettrait de repérer les passages susceptibles de contenir des explicitations. Après une lecture exploratrice, nous avons relevé quelques signes qui trahissent l‟existence d‟explicitations. Il s‟agit souvent de marqueurs typographiques comme les guillemets ou les parenthèses signalant les insertions opérées par les traducteurs, ou la présence de notes de fin d‟article. Il suffit de comparer les passages concernés dans le texte français et le texte arabe pour déterminer si ces ajouts sont le fait des traducteurs ou s‟ils sont déjà présents dans le texte d‟origine. Après avoir effectué un relevé presque exhaustif de ces écarts, nous avons constaté que la majorité absolue de ces ajouts sont bel et bien des explicitations. Nous avons ensuite procédé à une lecture plus attentive pour déceler les autres explicitations qui se faufilent dans le tissu textuel, échappant ainsi à notre premier filtre visuel. Les explicitations ainsi détectées s‟ajoutent aux précédentes pour former notre corpus spécifique de l‟explicitation contenant environ 5000 exemples. Pour chaque explicitation relevée, nous avons reproduit le passage entier où elle figure, l‟intitulé de l‟article, son numéro et son année de parution, ainsi que le texte de son chapeau qui nous sert de résumé ou de contextualisation générale de l‟article en question. Le premier dépouillement de ce corpus nous a montré que la plupart des explicitations détectées provenait des textes français traitant de sujets politiques, économiques ou culturels, en rapport avec la France, les pays de l‟Union européenne et les Etats-Unis. Ce premier constat nous a incité à porter une attention toute particulière à l‟analyse des traductions de ces textes. Nous les avons lus entièrement, très attentivement, plusieurs fois, avant de déceler toutes les explicitations injectées discrètement dans le texte arabe. Il s‟agit de plus de 500 articles que nous avons passés au peigne fin. C‟était pour nous l‟occasion d‟enrichir notre connaissance culturelle sur les sujets abordés, de perfectionner nos connaissances linguistiques grâce au style châtié du MD, et d‟améliorer notre compétence professionnelle en traduction en essayant toujours de proposer une traduction plus adaptée à chaque contexte. Nous allons d‟ailleurs proposer systématiquement nos traductions alternatives lors de l‟analyse des exemples apportés dans cette thèse, à chaque fois que nous considérons que les « tentatives » d‟explicitation faites par les traducteurs du MD sont malencontreuses ou inappropriées. Le dépouillement de notre corpus nous a mis également sur la piste d‟autres hypothèses qui mériteront un approfondissement.

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Quelques hypothèses sur l‟explicitation dans le MD 1- Il semble que les textes traitant de sujets politiques, économiques ou culturels en rapport avec les pays étrangers et lointains, comme les pays asiatiques ou ceux de l‟Amérique latine contiennent moins d‟explicitations dans les textes traduits en arabe que les textes portant sur les sujets du même type, mais relatifs à l‟Union européenne ou aux USA comme nous l‟avons souligné plus haut. Le même constat peut être fait à propos des textes traitant des sujets relatifs aux pays arabes. Nous supposons que dans le premier cas, les journalistes français ont été plus explicites dans leur présentation des problématiques, anticipant ainsi le manque de connaissances supposé de leurs lecteurs cibles ce qui fait que les traducteurs arabes ont un travail d‟explicitation à fournir moins important. Dans le deuxième cas, celui des textes portant sur le monde arabe, les journalistes du MD ont été, là encore, et pour la même raison que dans le premier cas, plus explicites, mais le lectorat arabe dispose d‟un bagage cognitif plus important sur le monde et la culture arabe que le lecteur français moyen. Les traducteurs n‟ont donc guère eu besoin d‟expliciter. Il serait peut-être intéressant, si cela ne sortait du sujet de notre thèse, de voir s‟ils n‟ont pas été amenés parfois à supprimer des explicitations inutiles pour un lectorat arabe. 2- Bien que portant sur les mêmes éléments linguistiques ou culturels, les explicitations varient souvent d‟un endroit à l'autre dans le même texte, en cas de multiples occurrences, mais aussi d‟un contexte à l'autre et d‟un numéro à l'autre. Le degré d‟explicitation augmente par endroits et régresse dans d‟autres. Nous émettons l‟hypothèse que la disponibilité des indices contextuels sur ces éléments ainsi que le changement de leur fonction discursive dans le texte, déterminent le degré de leur explicitation. 3- En plus des explicitations « classiques » suscitées par les références culturelles présumées inconnues du lectorat cible, nous avons relevé d‟autres explicitations inhérentes à des difficultés de désignation linguistique en arabe ou à des éventuels risques d‟ambiguïté du sens en contexte. À l'égard de ce constat, nous supposons que les traducteurs sont enclins à évincer tout risque d‟ambiguïté tant linguistique que textuel. 4- Nous avons observé une évolution constante tant dans la récurrence des explicitations que dans le choix des techniques employées, et ce à partir de 2007. Nous sommes enclin à imputer cette évolution à l‟élargissement considérable du lectorat dès cette époque grâce à la distribution gratuite du MD arabe. 5- Nous constatons généralement un manque de pertinence dans les choix des explicitations fournies et parfois un manque de rigueur dans le mode d‟application des explicitations décidées à l'échelle des différents textes traduits du MD. Nous supposons que le manque de recherche documentaire approfondie sur la charge culturelle véhiculée par ces textes, l‟absence de consigne précises de traduction, le manque de concertation et de coordination au sein de l‟équipe des traducteurs du MD, l‟anonymat des traducteurs, etc., sont autant de facteurs qui peuvent expliquer en grande partie ce phénomène.

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La méthode d‟analyse du corpus À l'aide de ce corpus, nous allons procéder à trois types d‟analyse des données disponibles, qui se complètent les unes les autres. Une analyse discursive qui consiste à étudier chaque cas d‟explicitation en tenant compte des éléments évoqués dans les questions de recherche : la nature de l‟écart explicitant, sa motivation, la pertinence de l‟information apportée, la nécessité de pratiquer cette intervention, etc. Une grille d‟analyse discursive et de prise de décision d‟explicitation sera élaborée spécifiquement à cet effet. Parmi les cas analysés, nous allons trouver des explicitations dites « pertinentes ». C‟est-àdire qui transmettent fidèlement et pleinement le sens pertinent des énoncés dans lesquels elles figurent. Mais nous allons voir, le plus souvent, des « tentatives » d‟explicitation, qui ne parviennent pas à rendre intelligible le sens pertinent de ces énoncés. Cela est souvent dû à l'apport insuffisant ou non pertinent de compléments informationnels, voire à une information erronée qui induit en erreur le lecteur et entrave sa coopération interprétative. Seront également analysés certains cas où les traducteurs n‟ont pas su décrypter le sens implicite qui sera donc perdu pour le lecteur arabophone. Une analyse diachronique qui consiste à comparer les différentes explicitations du même élément explicité, dans plusieurs traductions du MD sur plusieurs années. Elle permet de comprendre les variations du degré d‟explicitation de ces éléments, de déterminer les facteurs qui entrent en ligne de compte. Cette analyse comparative des différentes traductions d‟un même élément problématique permet surtout de voir l‟intérêt, en termes de lisibilité et d‟intelligibilité du sens, de recourir à la stratégie de l‟explicitation, en comparaison avec les autres choix traductifs appartenant à d‟autres stratégies employées comme la traduction directe (report, emprunt, calque) ou l‟adaptation. Une analyse quantitative qui vise, chiffres à l'appui, à révéler les tendances qui se dessinent à travers les années, grâce à l'étude de la récurrence des explicitations recensées. Il ne s‟agit pas d‟effectuer une étude empirique statistique dans les règles de l‟art, car nous n‟avons pas de compétence réelle de statisticien. Il s‟agit plutôt d‟exploiter les données de notre corpus, dans le but de décrire plus précisément certains aspects globaux du phénomène dont on ne peut se rendre compte en analysant séparément les exemples. Cette analyse nous permettra de savoir en quelle année il y avait plus d‟explicitations, quelle technique d‟explicitation était la plus sollicitée, quelle catégorie d‟éléments problématiques a suscité le plus d‟explicitations, etc. Toutes ces analyses seront effectuées à l'aide d‟une soixantaine d‟exemples principaux d‟explicitation, à l'instar de l‟exemple nº 1 exposé plus haut, appuyées, par plus de deux cents exemples secondaires d‟explicitation. Lorsque nous fournissons un exemple principal, nous allons toujours procéder de la manière suivante : nous allons d‟abord mentionner le titre de l‟article dont est extrait l‟exemple, le mois et l‟année de parution de l‟article et faire une mise en contexte générale du contenu de cet article.

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Nous allons ensuite présenter l‟exemple dans un tableau composé de trois colonnes : dans la première, nous reproduisons le passage en français dans le cadre d‟une séquence textuelle complète formant une « unité de sens », dans la deuxième colonne, nous donnons la traduction en arabe proposée par le traducteur du MD, et dans la troisième nous fournissons une « retraduction linguistique » faite par nous-même, de la traduction arabe de la colonne du milieu, afin que les lecteurs non arabophones puissent comprendre le contenu exact du texte arabe. Comme son nom l‟indique, cette retraduction linguistique se veut aussi « littérale » que possible. Nous allons tenter de retraduire aussi « fidèlement » que possible les motivations des termes et expressions linguistiques arabe d‟origine, afin de permettre aux lecteurs non arabophones d‟apprécier les synecdoques arabes choisies. Ainsi, nous emploierons toujours les correspondances linguistiques préétablies des termes arabes, y compris les emprunts utilisés par les traducteurs. Nous allons également calquer, dans la mesure du possible, la même structure syntaxique du texte arabe afin refléter l‟enchaînement des idées tel que dicté par les codes linguistiques ou stylistiques de l‟arabe ou décidé par le projet d‟écriture du traducteur et son propre style de rédaction. Nous allons veiller, malgré tout, à ce que la phrase ainsi traduite reste intelligible pour le lecteur francophone. Lorsque cette traduction s‟avère peu ou pas compréhensible à cause d‟illogismes et d‟incohérences, nous dérogerons à cette règle générale en employant des équivalents fonctionnels en français, notamment lorsqu‟il s‟agit de traduction d‟expressions tropiques ou de certaines synecdoques linguistiques arabes difficilement transposables. De telles dérogations seront signalées en notes de bas de page. En tout cas, la retraduction linguistique est une application concrète de notre conception de la « traduction directe » qui s‟effectue par le biais de trois procédés principaux : le report pur et simple des vocables étrangers, l‟emprunt des termes qui n‟ont pas de correspondances linguistiques fixes en langue cible et le calque syntaxique et sémantique des expressions et tournures employées dans le texte d‟origine. L‟intérêt de cette forme de rétroversion linguistique réside également dans le fait qu‟elle permettra aux lecteurs de se faire une idée aussi précise que possible de la quantité des explicitations purement linguistiques dans chaque exemple, de la pertinence des autres explicitations qui nous intéressent, de la présence de risques d‟incompréhension ou d‟ambiguïté du sens pour le lecteur arabe, du degré d‟équivalence de sens et d‟effet entre les deux textes, de la compétence du traducteur, du style général de traduction. En bref, nous tentons de donner au lecteur francophone les moyens de lire ce que lit le lecteur arabe et de suivre le cheminement de la pensée et la structuration de l‟information arabe. Ayant déjà compris le sens de l‟énoncé français, nos lecteurs francophones seront à même de juger si la version arabe transmet réellement et fidèlement le vouloir dire de la version française. En dessous de chaque tableau présentant un exemple principal, nous allons donner notre propre commentaire de l‟explicitation faite et l‟appuyer, le cas échéant, par notre propre proposition de retraduction. Celle-ci se fera selon le modèle interprétatif formant le socle théorique de notre thèse et notre conception de l‟explicitation. Nous allons nous contenter parfois d‟apporter de brèves

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modifications visant à améliorer, selon notre propre estimation, la traduction faite par le traducteur du MD. En plus de ces exemples principaux, nous allons étayer l‟analyse des problématiques et techniques d‟explicitation dans la deuxième partie de la thèse par d‟autres « exemples secondaires » complémentaires. Il s‟agit d‟exemples tirés du corpus du MD, mais moins contextualisés que les exemples principaux. En effet, pour ne pas surcharger le texte, nous allons les présenter dans des tableaux composés de quatre colonnes, où l‟on reproduit dans la première 23 colonne l‟énoncé ou du moins l‟« unité de sens » minimale, contenant l‟élément problématique suscitant l‟explicitation, avec mention bien sûr du numéro du MD et l‟année de parution selon le format (MD, mois, année), notre « retraduction linguistique » de l‟explicitation fournie dans la deuxième colonne, la traduction arabe publiée dans la troisième colonne, et une brève analyse contextuelle de l‟élément problématique et de l‟explicitation qui en est faite dans la quatrième colonne appelée « le but recherché par l‟explicitation ». Cette brève analyse discursive a pour vocation de nous montrer si l‟explicitation décidée réussit vraiment à éliminer les éventuels risques d‟ambiguïté ou d‟incompréhension du sens, ou si elle échoue. Dans le premier cas, elle sera pertinente, dans le deuxième, elle sera considérée comme une « tentative » d‟explicitation, d‟où, comme nous le verrons, notre emploi fréquent du verbe « tenter » en début de chaque commentaire de traduction. Et dans ce dernier cas, nous allons proposer, le plus souvent en note de bas de page, notre propre explicitation censée remédier aux insuffisances ou aux erreurs constatées de l‟explicitation fournie initialement par le traducteur. Les notes infrapaginales font donc partie intégrante du texte de la thèse et contiennent des informations essentielles. Leur place dans le paratexte est seulement motivée par les contraintes d‟espace et pour ne pas allonger excessivement les tableaux, ce qui nuirait à la visibilité et à la lisibilité générale de nos exemples secondaires. Le but de ces derniers, y compris les notes afférentes, est de corroborer les analyses faites sur les exemples principaux, étayer les différents cas de figure et démontrer qu‟il ne s‟agit pas de cas isolés. Remarquons d‟ailleurs que nous allons produire les textes arabes, dans les exemples principaux et secondaires, tels qu‟ils sont publiés par le MD, dans sa version électronique, c'est-à-dire avec les éventuelles erreurs linguistiques d‟accentuation, de grammaire ou les gaucheries de style. Ce genre d‟erreurs n‟est pas l‟apanage des traductions du MD. La plupart des quotidiens arabes, même parfois les grands titres, ferment les yeux sur la qualité de l‟expression linguistique arabe, par manque de personnel ou de temps pour la révision ou peut-être par nonchalance.

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Cf. Point 4-1-3-1, et glossaire sous l‟entrée « unité de sens ».

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La structure de la thèse Cette thèse est scindée en deux grandes parties, totalisant cinq chapitres. La première partie s‟intitule « Vers une conception globale de l‟explicitation ». Elle vise à dresser un état des lieux aussi complet que possible, de la recherche sur l‟explicitation afin de montrer ce qui a été fait et ce qui nous reste à faire ou à refaire. À partir de cette étude rétrospective, nous allons ensuite proposer notre conception globale de l‟explicitation. Cette partie comprend trois chapitres : Le chapitre premier, intitulé « l‟explicitation dans les différentes approches théoriques de la traduction», vise à analyser la façon dont cinq grandes approches traductives conçoivent l‟explicitation. Il s‟agit des approches linguistique, sociolinguistique, philosophique, communicationnelle et fonctionnelle de la traduction. L‟objectif de cette exploration est de relever l‟ensemble des termes désignant, directement ou indirectement, le phénomène de l‟explicitation, et de cerner, au plus près, les outils conceptuels susceptibles d‟expliquer son fonctionnement. Nous allons illustrer concrètement les différentes conceptualisations élaborées dans le cadre de ces approches, en les appliquant sur la traduction de l‟exemple nº 1. Sont analysés en particulier les concepts opératoires suivants : « l‟écart de traduction /Catford 1965», « la traduction littérale versus la traduction oblique / Vinay et Darbelnet 1958 » (approches linguistiques) ; « l‟ajustement du message chez Nida 1964, 1969 et de Newmark 1988 » (approches sociolinguistiques), « la préservation de l‟étranger et les tendances déformantes chez Berman 1985 », « la dynamique explicative chez Steiner 1975 », « l‟exotisation chez Schleiermacher [1838]/1985 » (approches philosophiques), la stratégie d‟ « exotisation » chez Venuti 1995, « les maximes de Grice 1975 », « le principe de la pertinence chez Sperber et Wilson 1986, Gutt 2000 », « l‟équivalence discursive et le principe de la synecdoque chez Seleskovitch et Lederer 1978, 1995 » (approches communicationnelles), « le skopos chez Vermeer 1978 et Nord 1995 » (approches fonctionnelles). Le chapitre II, intitulé « l‟explicitation dans les recherches descriptives de la traduction DTS », complète le premier en soulignant les apports des recherches empiriques sur l‟explicitation, notamment en ce qui concerne les méthodes de recherches appliquées, les typologies d‟explicitations proposées, les explications avancées. Sont étudiées dans ce chapitre les approches empiriques systémiques, notamment le concept de « normes de traduction » chez Toury 1995, le concept de « minimisation des risques » chez Pym (2005), l‟hypothèse de l‟explicitation de Blum-Kulka (1986), l‟hypothèse asymétrique de l‟explicitation de Klaudy et Karoly (2001, 2005), l‟hypothèse de l‟explicitation de House (2004), le concept de « l‟explicitness » dans les approches empiriques sur l‟explicitation, etc. Les propos avancés sont étayés à l'aide de notre exemple nº 1. Ce chapitre se termine par un bilan d‟étape où nous présentons une sorte de synthèse sur les conclusions auxquelles nous sommes parvenu après cette exploration de la littérature traductologique sur l‟explicitation dans les deux premiers chapitres. Le chapitre III s‟intitule « Notre conception globale de l‟explicitation ». Il s‟inscrit dans la suite logique des deux précédents. Après avoir passé en revue la littérature antérieure, nous y

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présenterons ce que nous entendons par explicitation dans cette thèse ; le tout dans un cadre théorique et méthodologique unifié et cohérent, formé essentiellement par la théorie interprétative du sens (dorénavant TIT) et appuyé par quelques concepts opératoires élaborés par les autres approches théoriques et empiriques de traduction. Seront notamment étudiés, exemples tirés du corpus à l'appui, les caractéristiques distinctives des explicitations, des autres écarts de traduction : les écarts d’explicitness linguistique, ceux relevant de l‟explication ou de la glose ainsi que les écarts résultant de l‟emploi d‟autres techniques de traduction, comme la traduction littérale ou l‟adaptation. A cela s‟ajoute une analyse des mécanismes du fonctionnement de ce phénomène, qui s‟articule autour de quatre axes : la réexpression du vouloir dire, le rétablissement du rapport explicite/implicite dans le texte traduit, l‟adaptation au lectorat cible et l‟explicitation comme un processus de prise de décision. Fort de cette conception générale et des outils conceptuels élaborés, nous allons approfondir la recherche, dans la deuxième partie qui s‟intitule « les motivations et les techniques de l‟explicitation : Analyse du corpus MD 2001-2011». Elle vise à analyser en profondeur les « décisions d‟explicitation» prises par les traducteurs du MD durant toute la période de la recherche. Cette analyse part de la description du résultat de l‟explicitation, c'est-à-dire les traces explicites de reformulation laissées par les traducteurs, en procédant à rebours, afin d‟accéder aux opérations mentales - hypothèses, inférences et interprétations - qu‟effectue le traducteur lors de la prise de décision. En cherchant à comprendre les rouages internes de ce processus, nous allons tenter de déterminer avec précision les motivations et techniques spécifiques de l‟explicitation. Parallèlement, nous tenterons de dégager les tendances que nous voyons se dessiner, au fil de notre analyse du corpus, dans les choix opérés lors de l‟explicitation par les traducteurs arabes. Pour ce faire, nous présenterons les statistiques et graphiques illustrant ces tendances générales dans la pratique de l‟explicitation dans le MD durant la décennie passée, tout en avançant les explications qui nous paraissent les plus plausibles de ces tendances. Il s‟agira de retracer l‟évolution de ce phénomène à la lumière des changements qu‟a subi ce projet (l‟élargissement du lectorat, les délais serrés, l‟augmentation du nombre des textes traduits, le changement de normes, etc.). Cette analyse quantitative globale nous permettra surtout de savoir quelle est la problématique de traduction qui a incité le plus les traducteurs du MD à recourir à l'explicitation et quelle est la technique d‟explicitation la plus sollicitée. Le chapitre IV, intitulé « les motivations des explicitations dans le corpus du MD 2001-2011 », se concentre sur les différentes raisons qui incitent les traducteurs du MD à recourir à l'explicitation. Dans ce chapitre, notre approche est résolument interprétative, axée sur le vouloir dire du texte ; nous tenterons de démontrer que les motivations relevées et les analyses discursives effectuées s‟inscrivent dans le cadre d‟un effort de minimisation des risques d‟interprétation du sens par le lecteur cible. Nous analyserons donc les différents problèmes pouvant créer des risques d‟incompréhension ou des risques d‟ambiguïté s‟ils ne sont traités de façon appropriée et efficace par les traducteurs. Parmi ces problèmes, nous analyserons ceux inhérents au sens des emplois métonymiques des noms propres, aux allusions et connotations,

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aux comparaisons implicites, aux référents et faits culturels et historiques présumés inconnus ou méconnus des lecteurs cibles, aux jeux de mots et aux constructions elliptiques comme les sigles et acronymes. À cela s‟ajouteront les explicitations motivées par le vide lexical ou par l‟instabilité terminologique en arabe, l‟emploi des expressions métaphoriques, le renforcement de la cohérence du sens des énoncés. Une fois l‟explicitation définie et les motivations identifiées, nous allons ensuite chercher à répondre à la question de savoir comment font les traducteurs du MD pour mettre en œuvre la stratégie de l‟explicitation. Le chapitre V, intitulé « les techniques d‟explicitation et leur mise en œuvre dans le corpus du MD 2001-2011», est consacré d‟abord à l‟étude des différentes techniques d‟explicitations sollicitées par les traducteurs du MD, les caractéristiques de chaque techniques, ses avantages et inconvénients, et notamment les régularités et coïncidences constatées entre le choix de la technique et la motivation de l‟explicitation. Ces techniques sont au nombre de six : l‟incrémentialisation, la périphrase, la paraphrase, l‟insertion, l‟équivalent synonymique, la note du traducteur. Dans la deuxième partie de ce chapitre, nous analyserons, exemples tirés du corpus à l'appui, les risques liés à la mise en œuvre de cette stratégie. En nous fondant sur la grille d‟analyse discursive et de prise de décisions d‟explicitation, nous allons établir cinq maximes traductionnelles d‟explicitation qui permettent d‟optimiser la mise en œuvre de cette stratégie sur l‟ensemble du texte traduit : les maximes de pertinence, de qualité, de quantité, de sûreté et de manière. Le but ultime est de produire des explicitations pertinentes capables d‟éluder les risques d‟ambiguïté ou d‟incompréhension. Ces derniers sont généralement engendrés soit par le non respect de ces cinq maximes lors de l‟application de la stratégie d‟explicitation elle-même, soit par le recours à une autre stratégie de traduction inadaptée à tel ou tel contexte. En conclusion de la deuxième partie, nous allons rappeler les difficultés liées à la traduction du MD et proposer des conseils pouvant améliorer de tels projets de traduction à l‟avenir. En étudiant de façon systématique et rigoureuse le phénomène de l‟explicitation, nous cherchons à encadrer l‟utilisation de cette stratégie de traduction dans les futures traductions. En effet, le travail du traducteur est toujours vu comme relevant d‟un talent et d‟une chance de trouver des traductions heureuses, mais au-delà de cette dimension, nous aspirons à donner du sens et de la méthode à cette pratique. Cela se fait non pas par la prescription de telle ou telle stratégie de traduction, mais par la description des principes généraux d‟explicitation et de la palette des techniques d‟explicitation auxquelles peuvent faire appel les traducteurs en toute connaissance de cause.

Partie I : Vers une conception globale de l’explicitation

PREMIÈRE PARTIE VERS UNE CONCEPTION GLOBALE DE L‟EXPLICITATION

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Partie I : Vers une conception globale de l’explicitation

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Préambule La traductologie est une discipline relativement nouvelle dont les débuts remontent aux années cinquante du siècle précédent, mais qui s‟est développée très rapidement, au cours des dernières décennies, notamment dans les années 70. À partir de cette période, on voit se multiplier les courants traductologiques, inspirés de différentes disciplines telles que la linguistique du texte, la psycholinguistique, la pragmatique, la sociologie, la théorie de la communication, pour répondre à l'hégémonie de la conception linguistique de la traduction dans les années 50 et 60. En nous inspirant des différentes typologies proposées par des traductologues comme Holmes (1978), Gentzler (1993), Yoda (2005), Guidère (2008), Pym (2010), Munday (2011), et après un long examen analytique et critique des courants théoriques existants24, nous avons choisi de diviser, pour le besoin de cette étude, la littérature traductologique en deux grands courants : les approches théoriques de la traduction, à vocation théorique, généralisante, et les recherches descriptives de la traduction (dorénavant DTS) qui dans une approche empirique et scientifique, cherchent à analyser la pratique réelle de la traduction, à travers l‟analyse des données factuelles recueillies dans les textes traduits. Dans le cadre des approches théoriques, nous distinguons cinq conceptions25 majeures de la traduction : la conception linguistique, la conception sociolinguistique, la conception philosophique, la conception communicationnelle, la conception fonctionnelle. Dans le cadre des DTS, nous distinguons deux grandes conceptions : la conception systémique représenté par la théorie du polysystème et d‟autres approches culturelles, les approches empiriques inscrites dans le cadre de plusieurs « hypothèses de l‟explicitation ». Dans chacune de ces conceptions, il existe plusieurs approches qui reflètent certaines nuances conceptuelles, terminologiques et méthodologiques. Chaque approche élabore donc des concepts opératoires spécifiques et propose sa vision de la pratique traductive, dans le cadre de l‟orientation générale de la conception dans laquelle elle s‟inscrit. Par concepts opératoires, nous entendons des outils conceptuels purement descriptifs permettant d‟expliquer un aspect d‟un phénomène de traduction. Nous les distinguons des orientations générales qui dominent dans certains courants, qui pourraient être de caractère normatif ou évaluatif. Notre objectif n‟est pas de créer une nouvelle typologie de la traductologie, mais plutôt d‟élaborer, du mieux que nous pouvons, une typologie chronologique susceptible de mettre en relief l‟évolution de la réflexion sur l‟explicitation et d‟exploiter les concepts pertinents de chaque approche théorique. Il importe également de souligner que, d‟une part, les frontières entre les conceptions elles-mêmes ne sont pas étanches, et d‟autre part, les lignes de démarcation entre les diverses approches au sein de chaque conception ne sont pas non plus très nettes. La raison en

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Voir Figure 1 à la fin de ce préambule. Par conception, nous entendons un ensemble de paradigmes théoriques visant à expliquer l‟acte du traduire et par conséquent la démarche traductive, dans un cadre plus ou moins homogène et cohérent. 25

Partie I : Vers une conception globale de l’explicitation

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est que chaque conception est en perpétuel mouvement et en constante progression vers de nouvelles idées et disciplines, ce qui crée des zones de croisements et d‟interdisciplinarité et confère à la traductologie sa richesse idéologique et méthodologique. Nous avons donc passé au peigne fin la réflexion traductologique sur l‟explicitation, dans toutes ses approches26, en recherchant deux éléments principaux : les différentes désignations et explications du phénomène de l‟explicitation que nous allons analyser, exemples à l'appui, et les concepts opératoires élaborés dans le cadre de ces approches et qui sont susceptibles d‟apporter un éclairage sur les différents aspects de cette question. Nous cherchons à tirer parti de la complémentarité entre les différents courants traductologiques en cherchant à concevoir, pour l‟étude de l‟explicitation, un cadre conceptuel cohérent, associant différents concepts opératoires compatibles. En effet, l‟élaboration de ce cadre global ne pourrait se faire que si l‟on adopte, voire adapte, le cas échéant, les différents outils conceptuels et méthodologiques qui nous intéressent dans un cadre unifié et cohérent, afin de tirer au clair ce phénomène. Le tableau suivant récapitule l‟ensemble des approches et des concepts opératoires étudiés dans cette première partie la thèse. Le premier chapitre est consacré à l'étude de l‟explicitation dans les approches théoriques, le deuxième chapitre, complète le premier, en faisant la lumière sur l‟explicitation sous l‟optique des DTS, le troisième chapitre, s‟appuie sur les premiers, en élaborant une vision générale de l‟explicitation en traduction.

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Par commodité, nous allons désormais utiliser le terme « approches » (au pluriel) comme équivalent du terme « conception », afin de mieux souligner les nuances conceptuelles et terminologiques que nous allons examiner.

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Partie I : Vers une conception globale de l’explicitation l'approche stylistique de Vinay

les procédés obliques et stylistiques

(1950-1960)

l'approche mécanique de Catford

le concept d'écart/ l'équivalence formelle

la conception

l'approche de Nida et Margot

l'ajustement du message/ l'équivalence dynamique

l'approche socioculturelle de Mounin

le concept d'universaux/

l'approche éthique de Berman

le Propre et l'Etranger/ l'exotisation

l'approche herméneutique de Steiner

l'interprétation/ la dynamique explicative

l'approche poétique de Meschonnic

le décentrement/ la traduction comme réécriture

l'approche de Venuti

l'invisibilitédu traducteur/ l'exotisation

l'approche communicative de Grice

les maximes de conversation/ l'implicature

la théorie de la Pertinence

le principe de la pertinence/ l'inférence du sens

la théorie interprétative

le rapport explicite-implicite/ l'équivalence de sens

la théorie de l'action

le concept de l'action/ le but de la traduction

l'approche de typologie textuelle de Reiss

la fonction du type de texte

la théorie du Skopos

le skopos de la traduction/ la fonction du texte cible

l'approche littéraire de l'école de Manipulation

la traduction dans le système littéraire et culturel

la théorie du Polysystème

le concept du polysystème/ des normes de traduction

les hypothèses de l'explicitation

Blumk-Kulka/Klaudy et Karoly/House

les différentes recherches empiriques

l'explicitness/l'explicitation

l'approche de Pym 2005

le concept de "minimisation de risque"

la conception linguistique

sociolinguistique (1960-1970)

la conception philosophique ( romantisme allemand 19e S., les années 80 et 90)

l'explicitation dans les différentes approches de traduction

la conception communicationnelle (1970-1980)

la conception fonctionnelle (19801990)

la conception systémique DTS (1990-2010)

la conception empirique DTS (1986-2011)

l'équivalent descriptif

Figure 1: L'ensemble des conceptions et approches de traduction ainsi que les concepts opératoires susceptibles d'éclairer le phénomène de l'explicitation

Partie I : Chapitre I : L’explicitation dans les différentes approches théoriques de la traduction

CHAPITRE I L‟explicitation dans les différentes approches théoriques de la traduction

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Partie I : Chapitre I : L’explicitation dans les différentes approches théoriques de la traduction

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1. L‟explicitation du point de vue des approches linguistiques Développées dans les années 50 et 60, les approches linguistiques considèrent la traduction comme un phénomène de transposition linguistique27 se produisant essentiellement au niveau des mots, des phrases, et parfois du texte. Les linguistes se penchent souvent sur l‟analyse des différences observées entre les systèmes linguistiques, en mettant l‟accent sur les incompatibilités sémantiques dans la désignation de la réalité. Ainsi, partant du constat indéniable de l‟irréductible différence entre les langues et les cultures, ces approches aboutissent à des conclusions erronées sur l‟intraduisibilité des textes (Catford 1965). Et en se fondant sur un autre constat indéniable, celui de l‟existence de certaines correspondances linguistiques entre des éléments de systèmes linguistiques différents, elles aboutissent à des conclusions discutables sur le fait que toute traduction, au-delà de ces correspondances pré-assignées, comporte un acte d‟infidélité28 ou de déviation par rapport à langue source. Entre ces deux tendances extrêmes, Vinay et Darbelnet (1958 [1977, 1995])29 ont tenté de démontrer qu‟en exploitant les ressources linguistiques et stylistiques des langues, on pouvait, par le biais de plusieurs procédés, dont l‟explicitation, réussir l‟acte de traduire. Basée sur la connaissance de deux structures linguistiques, la stylistique comparée est, selon eux, la discipline la mieux à même d'expliquer les procédés impliqués dans le processus de traduction (Vinay et Darbelnet 1977 : 4). Tous ces procédés devraient permettre de transmettre le message dans ses dimensions linguistique et stylistique.

1.1. La traduction littérale versus l‟explicitation À partir de leur étude stylistique comparative du français et de l'anglais, Vinay et Darbelnet établissent deux stratégies générales de traduction : la traduction directe et la traduction oblique. La première consiste à transposer les éléments de la langue source dans la langue cible, et comprend trois procédés dits directs (l‟emprunt, le calque, la traduction littérale). La deuxième s‟impose, lorsque la transposition directe s‟avère impossible, à cause des différences structurelles et métalinguistiques entre langue source et langue cible (Vinay et Darbelnet 1977 : 31). Elle regroupe quatre procédés dits obliques (la transposition, la modulation, l‟équivalence, l‟adaptation). Nous allons emprunter à ces auteurs l‟expression « la traduction directe » pour désigner la traduction qui consiste, soit à employer des correspondances linguistiques préétablies, souvent consignées dans les dictionnaires bilingues (le procédé de la traduction littérale), 27

Elle puise ses concepts dans plusieurs courants linguistiques à savoir : le distributionnalisme bloomfieldien, le structuralisme saussurien, la glossématique de Hjelmslev, le fonctionnalisme de Jakobson ou de Martinet, la grammaire générative de Chomsky, etc. 28 Cette idée est illustrée par le célèbre adage italien « traduttore tradittor » (le traducteur traitre), et ou comme le dit Mounin (1965) dans sa fameuse expression « les belles infidèles ». 29 Cet ouvrage est édité une deuxième fois en 1977 par Didier et traduit en anglais en 1995. Nous allons nous référer désormais à l'édition de Didier 1977.

Partie I : Chapitre I : L’explicitation dans les différentes approches théoriques de la traduction

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soit à calquer les expressions sémantiques et syntaxiques (le procédé du calque), soit à emprunter les termes d‟origine pour remplir les cases vides dans le répertoire linguistique de la langue cible (le procédé de l‟emprunt). Cette stratégie n‟implique aucune interprétation du sens ni intervention explicite de la part du traducteur. Dans notre exemple nº 1, la traduction du syntagme « pousser son cri d‟amour pour le libéralisme » traduit littéralement par "‫خ‬ٛ‫جشان‬ٛ‫) "إطالق صشخخ زجّ نه‬pousser son cri d‟amour pour le libéralisme) est visiblement un bon exemple de traduction « directe ». Le traducteur a calqué l‟expression « pousser son cri d‟amour » et a emprunté le terme « libéralisme », qu‟il adapte cependant à la morphologie arabe "‫خ‬ٛ‫جشان‬ٛ‫"انه‬. En revanche, la traduction du syntagme verbal « [il a] mangé de la mauvaise pomme » par "‫[( "أكم انزفبزخ انًغًٕيخ‬il] a mangé de la pomme empoisonnée) n‟est pas une traduction directe. Celle-ci devait être ‫"أكم انزفبزخ‬ "‫ئخ‬ٛ‫انغ‬, le terme "‫ئخ‬ٛ‫ "ع‬étant la correspondance directe du terme « mauvaise ». Cette traduction doit donc être considérée comme une traduction oblique, selon Vinay et Darbelnet. Mais auquel des quatre procédés correspond-elle exactement ? Y a-t-il une tentative d‟explicitation dans cette traduction oblique ?

1.2. Les procédés de la traduction oblique En fait, aux quatre procédés obliques sus-indiqués, Vinay et Darbelnet ajoutent une série de procédés stylistiques, comme l‟explicitation, l‟amplification, l‟étoffement, la dilution, l‟implicitation, la généralisation, etc. Ces procédés dits « secondaires » résultent en fait de l‟application des quatre procédés dits « généraux » de la traduction oblique et produisent un effet prosodique, c'est-à-dire une transmission du contenu sémantique et stylistique du message, étalé sur plusieurs segments de l‟énoncé (Ibid. :13). Ils opèrent sur la phrase et sont souvent dus à des contraintes imposées par la langue cible. C‟est ainsi que le terme de l‟explicitation fait sa première apparition dans une étude traductologique30.

1.3. L‟explicitation comme procédé oblique secondaire L‟explicitation est considérée globalement donc comme un procédé stylistique indirect auquel le traducteur peut recourir lorsqu‟il bute sur des contraintes linguistiques empêchant la traduction directe. Plus précisément, et comme nous l‟avons déjà évoqué dans l‟introduction, l‟explicitation est définie selon les auteurs, comme « un procédé qui consiste à introduire dans LA [langue d‟arrivée] des précisions qui restent implicites dans LD [langue de départ], mais qui se dégagent du contexte ou de la situation » (Vinay et Darbelnet 1977 : 9)31. On comprend dès lors que le traducteur se met à la place du lecteur d‟origine, déduit les informations implicites du contexte et exprime ces précisions dans le texte traduit pour le lecteur cible. Cette définition est d‟ailleurs reprise par la plupart des chercheurs que nous allons étudier tout au long de cette première partie. En vertu de cette définition, la traduction de « la Belle au bois dormant » par « le conte de la 30 31

Selon les dires de la plupart des traductologues dont notamment Klaudy (1998 :82) et Guidère (2008 : 87) Nous ajoutons les crochets

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Belle au bois dormant »32, est logiquement une explicitation, car le traducteur introduit une précision sur cette référence littéraire (le mot conte) qui se dégage du contexte33. De même, la traduction de « mauvaise pomme » par « pomme empoisonnée » en arabe devrait donc être une application de ce procédé, car le traducteur ne fait que dégager une information implicite qui se dégage du contexte (l‟allusion à Blanche-Neige et à la méchante sorcière).

1.4. Une conception vague de l‟explicitation La première traduction semble correspondre à la définition donnée, mais pour la deuxième, il subsiste un problème : est-ce qu‟il s‟agit d‟une simple substitution et de l‟introduction d‟une précision comme le suggère la définition proposée ? Nous pouvons dire qu‟il y a eu substitution explicitante, car le terme « empoisonnée » précise en effet le sens : la pomme n‟est pas simplement mauvaise de goût ou gâtée, elle a été rendue nocive par un poison. Pour dissiper le doute sur la possibilité d‟inclure cet exemple sous cette conception, examinons l‟exemple que donnent les auteurs pour illustrer ce qu‟ils entendent par « explicitation ». Il s‟agit d‟un exemple sur la précision du genre dans la traduction de « students » employé dans le contexte de « St. Mary‟s School » qui amènera une traduction au féminin : « les étudiantes », car il s‟agit d‟une institution réservée aux filles (Vinay 1977 : 110). Dans ce cas, le traducteur opte pour le féminin en fonction du contexte de la phrase et de sa connaissance de l‟institution « St. Mary‟s School ». En commentant cet exemple, les auteurs avancent que cette explicitation est motivée par une contrainte linguistique, car l‟anglais n‟explicite pas le genre comme le français, ainsi que par une volonté de précision de l‟information. Et c‟est d‟ailleurs souvent le cas dans les autres applications de ce procédé portant souvent sur des explicitations de pronoms dont on peut déduire les référents grâce au contexte. Traduire « étudiants » par « étudiantes » est donc considéré comme une explicitation bien qu‟il s‟agisse d‟une simple substitution comportant une précision grammaticale. Par ailleurs, la précision du sens implicite déductible grâce au contexte est perçue comme un gain de sens justifié. Et pour cause, Vinay et Darbelnet définissent dans leur glossaire le concept de « gain de sens » comme étant « une unité d‟explicitation » (1977 : 9). Autrement dit, sans cette explicitation, le lecteur risquerait de perdre une information s‟il n‟arrivait pas à la déduire du contexte, d‟où l‟intérêt et la légitimité de ce procédé. Cela dit, et contrairement à ce qu‟aurait laissé entendre la définition précédente et l‟exemple donné par les auteurs, ceux-ci excluent l‟utilisation du procédé de l‟explicitation dans la traduction de ce qu‟ils appellent les « allusions figées dans le métalinguistique ». A cet égard, ils écrivent ceci : « Il nous reste une dernière sorte d‟allusion, dont le domaine est celui des faits et

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Par commodité et pour éviter les répétitions, nous reproduisons directement la retraduction linguistique et non le texte arabe. Celui-ci est reporté dans l‟exemple nº 1. 33 Le traducteur n‟a pas jugé nécessaire d‟étayer cette explicitation en disant par exemple ‫ٺخ اٹٲٖخ اٹيت حتپٸ‬ٞ‫بثخ اٹڂبئپخ ث‬٪‫"رتُٺخ اٹ‬ "‫( االٍټ ځٮَڄ‬l‟héroïne éponyme du conte de la Belle au bois dormant). Il s‟est contenté de mettre ce nom entre guillemets pour souligner le caractère spécifique de cette désignation. Nous reviendrons en détails sur ce procédé d‟explicitation dans le chapitre V de cette thèse.

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des gestes de tous les jours, des coutumes, des traditions, du way of life, comme disent les Américains […] en effet, ces allusions portant sur des faits très particuliers, intimement liés à la vie d‟une nation, il faut renoncer à toute traduction et chercher simplement à faire comprendre au lecteur de quoi il s‟agit » (Vinay 1977 : 257). Dans ce cas, nos deux exemples contenant des allusions à des références culturelles ne peuvent pas être considérés comme relevant du procédé de l‟explicitation. Paradoxalement, les auteurs préconisent, à la fois, de « renoncer à toute traduction » et de « chercher simplement à faire comprendre au lecteur de quoi il s‟agit ». Pour sortir de cette impasse, nous pensons qu‟il faudrait voir en l‟explicitation, tel que conçue par ces auteurs, un procédé de traduction, limité aux seuls aspects linguistiques et stylistiques du message, et que les éventuelles précisions ajoutées ne s‟appliquent pas aux informations culturelles implicites dans les allusions métalinguistiques, mais à d‟autres procédés stylistiques secondaires34. A leur décharge, nous pensons que Vinay et Darbelnet avaient pour but principal d‟effectuer des analyses contrastives qui démontrent aux apprentis-traducteurs, exemples réels à l'appui, les différences linguistiques et stylistiques entre le français et l‟anglais et non de réaliser une étude théorique poussée sur ces procédés de traduction eux-mêmes, ni sur la manière de traduire le culturel, ce qui pourrait expliquer ces paradoxes et imprécisions. Enfin, il importe de remarquer que la confusion typologique35 chez Vinay et Darbelnet est soulignée, même au niveau des quatre procédés obliques généraux. A ce propos, Ladmiral avance que le procédé de l‟équivalence, par exemple peut « désigner toute opération de traduction » et que « l‟adaptation n‟est déjà plus une traduction » (Ladmiral 1979 : 20). D‟autres chercheurs comme Chuquet et Paillard (1987 : 10), Larose (1989 : 26, 45) ont formulé des critiques à l'égard des faiblesses de cette classification, que Guidère (2008 : 45) rapporte dans son ouvrage précité intitulé « Introduction à la 34

Le problème avec cette typologie de procédés de traduction tient au fait que les auteurs ne définissent pas clairement des critères distinctifs de chaque procédé oblique secondaire. Ainsi, nous avons pensé au départ que la traduction de « avant l‟été » dans l‟exemple nº1 par « avant la saison de l‟été » en arabe pouvait correspondre à l'explicitation tels qu‟ils la conçoivent. Or, en examinant les définitions des autres procédés stylistiques et les exemples censés les illustrer, nous avons constaté la même confusion. En effet, pour Vinay et Darbelnet, le procédé appelé « amplification » consiste à utiliser plusieurs mots pour exprimer la même idée, comme dans la traduction de la phrase anglaise (the charge against him » par « l‟accusation portée contre lui » (Vinay et Darbelnet 1977 : 5) ; celui appelé «dilution » renvoie à la répartition d‟un signifié sur plusieurs signifiants, comme la traduction de « bilan » en anglais par « the balance sheet » (Ibid. : 9) ; et celui de « l‟étoffement » est définie comme une variété d‟amplification, appliquée aux prépositions françaises qui ont besoin d‟être étoffées par l‟adjonction d‟un adjectif, ou d‟un nom, comme dans la traduction de «To the trains » qui devient « Accès aux quais » (Ibid. : 9). La traduction en arabe du syntagme « avant l‟été » pourrait donc être considérée à la fois comme une application des procédés de l‟explicitation, de l‟amplification, de la dilution et de l‟étoffement. 35 Malgré ces imprécisions qui s‟expliquent en partie par le manque de maturité de la réflexion traductologique à l'époque, la stylistique comparée du français et de l’anglais de Vinay et Darbelnet reste une méthode didactique de traduction très bien documentée et appréciée par les traducteurs français-anglais. Cette méthode qui s‟est inspirée initialement du travail de Malblanc (1944) sur la stylistique comparée du français et de l‟allemand fut, à son tour, une source d‟inspiration pour le traductologue espagnol Vazquez Ayora (1977), qui s‟est penché sur une étude comparative entre l‟anglais et l‟espagnol sous la même perspective linguistique et stylistique.

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traductologie). Mais ceci dépasse le cadre strict de cette étude. Poursuivons notre recherche des différents outils conceptuels en rapport avec l‟explicitation. Dans la section suivante, il est question du concept d‟écart, que nous avons déjà évoqué dans l‟introduction.

1.5. L‟intraduisibilité culturelle chez Catford Le linguiste anglais Catford (1965) s‟est heurté, lui aussi, au problème théorique de la traduction des faits métalinguistiques, problème qu‟il désignait par le terme de « l‟intraduisibilité culturelle ». Pour Catford, la traduction s‟inscrit dans le cadre de la linguistique comparée, car elle relève d‟une opération entre les langues qui consiste à remplacer « un texte dans une langue par un autre texte dans une autre langue» (Catford 1965 : 1). Il développe ainsi une conception idéaliste de la traduction, caractéristique de l‟état de la théorie linguistique dominante à l'époque, qui suppose à la fois la mise en œuvre systématique des « correspondances formelles » entre les langues impliquées dans l‟opération de traduction et la disponibilité de telles correspondances pour toutes sortes de contenus. Cette conception conduit souvent à l'impossibilité de la traduction, autrement dit, l‟intraduisibilité, que Catford divise en deux catégories : l‟intraduisibilité culturelle, due à l'absence d‟équivalents culturels pour une situation donnée, et celle linguistique, motivée par le manque d‟éléments linguistiques correspondants pour un signe linguistique donné. Il déduit ensuite que l‟intraduisibilité culturelle découle de l‟intraduisibilité linguistique (Catford 1965 : 101). Inutile donc de chercher à traduire les références culturelles dans notre exemple nº 1, puisque la culture arabe ne dispose pas d‟équivalents des contes des frères Grimm, ni de journaux communistes comme « l‟Humanité » ou de gauche comme « Libération ».

1.6. Le concept d‟écart de traduction Cependant, en dehors de ces situations d‟intraduisibilité « culturelle », traduire selon Catford, consiste à trouver ce qu‟il appelle « translation equivalent » (un équivalent traductionnel), qui est une correspondance formelle visant la reproduction fidèle des mots, des syntagmes et des structures de la langue source, dans la langue d‟arrivée (Ibid. : 21). Il précise également que ces « équivalents traductionnels » ne se limitent pas aux mots « justes », mais aussi aux expressions « équivalentes » utilisées dans des situations identiques dans l‟autre langue. L‟ensemble de ces correspondances formelles et traductionnelles36 forment ce qu‟il appelle « l'équivalence textuelle ». Celle-ci est définie comme étant toute forme de texte traduit dont l'observation 36

En effet, les correspondances formelles prônées par Catford ne sont pas autre chose que la traduction directe de Vinay et Darbelnet ; les équivalents traductionnels coïncident largement avec la plupart des procédés de la traduction oblique, tels que l‟équivalence et l‟adaptation. Les faits culturels sans équivalents linguistiques restent intraduisibles pour Catford, et laissés à l'ingéniosité du traducteur pour Vinay et Darbelnet, qui invitent ce dernier à trouver un moyen quelconque pour les expliquer au lecteur. L‟approche reste éminemment comparative, bien que le point de comparaison diffère un peu. Chez Vinay et Darbelnet, on compare des différences stylistiques dans l‟expression linguistique alors que chez Catford, on compare des différences formelles ou textuelles entre la langue du texte source et la langue du texte cible.

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permet de dire qu'elle est l'équivalent d'une forme de texte source (Ibid. : 27). Toute différence entre cette équivalence idéale supposée et ce qui se fait réellement est considérée comme un écart37 de traduction « shift of translation » : « By „shifts‟ we mean departures from formal correspondence in the process of going from the SL [source language] to the TL [target language]» (Catford 1965 : 73)38. Ainsi, tout changement entre les deux langues, que ce soit de niveau linguistique, de catégorie grammaticale, de structure sémantique ou stylistique (comme par exemple, la lexicalisation d‟un élément grammatical), est considéré comme un écart de traduction. En application de cette conception sur notre exemple nº1, le traducteur aurait dû proposer les mots arabes "‫ش‬ٚ‫ "رسش‬et " ‫خ‬َٛ‫ "اإلَغب‬qui sont les acceptions linguistiques premières des termes « Libération » et « Humanité ». Il aurait également suffit d‟écrire "‫هخ انغبثخ انُبئًخ‬ًٛ‫ "خ‬pour calquer littéralement le syntagme « la Belle au bois dormant », sans signaler qu‟il s‟agit d‟un nom de conte. Un tel ajout est perçu comme un écart par rapport à la correspondance formelle supposée.

1.7. L‟écart versus l‟explicitation Néanmoins, nous pensons que les écarts de traduction que constate Catford constituent plutôt une description des résultats du processus de traduction tels qu‟ils ressortent de l‟analyse contrastive linguistique. Un relevé minutieux de ces écarts, couplé à une analyse fouillée de leurs motivations permettrait de cerner les rouages internes et complexes de l‟activité traduisante, y compris les techniques de traduction utilisées39. Et c‟est en cela que réside l‟intérêt de cette approche pour notre étude. En effet, si l‟on exploite la définition de l‟explicitation fournie par Vinay et Darbelnet ainsi que leur conception de la « traduction directe » et si l‟on y applique le concept d‟écart de Catford, nous pouvons redéfinir sommairement l‟explicitation comme étant un écart de traduction qui consiste à introduire des précisions dans la langue d‟arrivée qui font que le texte cible subit une déviation par rapport à la correspondance formelle supposée, issue de la « traduction directe » 40. Cette dernière pourrait donc servir de point de référence à partir duquel nous allons recueillir toutes sortes d‟écarts de traduction, dont tout naturellement ceux générés par l‟explicitation41.

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Certains traductologues traduisent le terme shift par « décalage » ou « écart », comme c‟est le cas de Salama-Carr (2003 : 101), qui opte pour le terme « écart », étant plus neutre. Nous adoptons cette traduction. 38 Les crochets insérés dans la citation sont de notre fait. 39 En effet, ces écarts peuvent aider à réaliser, de façon objective, l‟analyse des traductions au micro-niveau, c'est-àdire l‟analyse des variations traductionnelles au niveau des mots et des structures. On peut ainsi étudier la manifestation linguistique concrète des choix qui ont été opérés par les traducteurs. Nous y reviendrons dans les prochains chapitres. 40 Il s‟agit, comme nous l‟avons dit plus haut, d‟une traduction par correspondances linguistiques qui met en œuvre les procédés de la traduction littérale, du calque et de l‟emprunt. 41 L‟intérêt théorique et méthodologique de ce concept opératoire, n‟a pas échappé aux auteurs de recherches empiriques qui ont bâti leurs études là-dessus. Il n‟en demeure pas moins que son application dans le domaine de la recherche sur l‟explicitation a posé de sérieux problèmes que nous allons tenter d‟analyser dans le deuxième chapitre, avant de démontrer dans le troisième chapitre comment nous comptons nous y prendre pour les surmonter.

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Concrètement, en appliquant ce concept à l‟exemple nº 1, nous obtenons le relevé que nous avons exposé en début d‟introduction générale. Toujours est-il qu‟il nous manque, au-delà de la définition générique du Grand Robert et celle, plus au moins vague de Vinay et Darbelnet, une conception claire de l‟explicitation susceptible de discerner les écarts relevant de cette stratégie42 de ceux qui proviennent de l‟application d‟une autre technique de traduction. Enfin, il ressort clairement que, mise à part les concepts de la « traduction directe » de Vinay et Darbelnet et d‟« écart de traduction » de Catford, que nous comptons exploiter en tant qu‟outils conceptuels purement descriptifs, les approches linguistiques ne constituent pas un cadre propice à la compréhension du phénomène de l‟explicitation tel qu‟observé dans notre corpus du MD. Pour répondre aux différentes questions principales de la thèse, il faudrait envisager d‟autres approches théoriques qui s‟intéressent davantage aux rapports langue/culture et traducteur/lecteur.

2. L‟explicitation du point de vue des approches sociolinguistiques Les approches sociolinguistiques considèrent la traduction, non plus comme une opération linguistique basée sur l‟idée du langage comme code, mais plutôt comme étant une activité sociale basée sur la connaissance que le traducteur a de la langue et, surtout, de la culture et de la société dans laquelle la traduction a lieu. Elles tentent ainsi de pallier l‟insuffisance des approches linguistiques concernant la gestion de la relation entre les langues et les cultures. A partir d‟arguments linguistiques solides, ces approches tentent de démontrer que l‟on pourrait tout traduire, dès lors que l‟on considère la traduction comme une opération de transfert du contenu sociolinguistique du message à l'adresse de la communauté socioculturelle visée par la traduction. Cette orientation vers le lecteur et la langue-culture cible s‟est affirmée grâce à une vision plus pragmatique de la traduction durant les années 60-70, notamment dans le domaine de la traduction biblique. La traduction porte désormais sur le sens d‟un message qu‟on cherche à transmettre au récepteur, privilégiant ainsi une approche « cibliste » et adaptative. Une telle conception de la traduction semble a priori favorable à l'utilisation de la stratégie d‟explicitation. En effet, l‟explicitation, quoi que désignée sous d‟autres dénominations linguistiques, se voit proposée comme un procédé participant de la transmission du sens vers un nouveau lecteur au profil linguistique et ethnologique différent de celui du lecteur natif. Quatre concepts opératoires peuvent nous être utiles pour mieux cerner ce phénomène : les « universaux » linguistiques et culturels de Mounin, l‟«ajustement du message » de Nida, l‟«addition » de Newmark, la « paraphrase » de Margot.

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Nous parlons toujours de l‟explicitation en termes de stratégie, car comme nous le verrons plus tard, il n‟y a pas qu‟une seule technique d‟explicitation, mais plusieurs qui s‟inscrivent toutes dans le cadre de cette stratégie globale.

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2.1. L‟explicitation et les « universaux » de Mounin : le tronc commun Le linguiste français George Mounin admet dans Les problèmes théoriques de la traduction (1963), qu‟il existe une diversité linguistique résultant de différentes visions du monde et que la saisie du sens peut être « difficile, approximative, hasardeuse » (Mounin 1963 : 40). Pour lui, la traduction ne doit pas être qualifiée comme étant toujours possible ou toujours impossible, toujours totale ou toujours incomplète, mais plutôt comme étant « une opération, relative dans son succès, variable dans les niveaux de la communication qu‟elle atteint » (Ibid. : 248). La possibilité de la traduction découle de deux facteurs essentiels : la prise en compte des aspects «non linguistiques » et «extra-linguistiques» (Ibid. : 16) qui forment le sens de tout message et l‟existence des « universaux » linguistiques, sémantiques, anthropologiques, civilisationnels qui, en étant propres à toutes les langues et peuples du monde, sous-tendent les significations dans toutes les langues: « Les universaux sont les traits qui se retrouvent dans toutes les langues Ŕ ou dans toutes les cultures exprimées par ces langues» (Ibid. : 196). Les universaux de langage et ce fond culturel commun (Ibid. : 191-223) fondent la conviction que les langues sont en réalité plus proches qu‟il n‟y paraît, malgré cette apparente incommensurabilité linguistique ou irréductibilité culturelle. De ce fait, Mounin (1963) soutient que tout ce qui peut être exprimé dans une langue peu également l‟être dans une autre, pour peu que le traducteur maîtrise la langue cible et la culture de la communauté cible dont cette langue est l‟expression naturelle : « Nulle traduction n‟est totalement adéquate si cette double condition n‟est pas satisfaite » (Ibid. : 236)43. Mounin n‟utilise pas le terme de l‟explicitation, mais il cite dans son ouvrage plusieurs exemples qui pourraient correspondre à cette stratégie, notamment pour traduire les concepts ou les objets inconnus dans la langue/culture cible. C‟est ainsi qu‟il propose par exemple de traduire « montagne » par « une grande colline haute de 3000 pieds », « rivière » par « eau coulante » ; lac au moyen de « vaste étendue d‟eau » (Ibid. : 63), pour les lecteurs dont l‟environnement sociolinguistique ne permet pas de comprendre directement ces référents. À l‟aide de brèves descriptions évoquant des choses ou des concepts connus dans la langue et la culture cible, le traducteur peut combler ces lacunes et réduire le fossé culturel. Les traducteurs du MD peuvent donc recourir à ces périphrases définitoires pour traduire tous les termes et concepts qui figurent dans les textes du MD français, mais qui sont présumés inconnus des lecteurs arabes. Ainsi, la traduction dans l‟exemple nº 1 du nom du journal « l‟Humanité » par l‟ajout, en amont et en aval de ce nom, des mots « journal » et « communiste » peut être 43

Il distingue par ailleurs deux manières de traduire à l'époque : Il y a les traductions qui adaptent le texte à la culture cible en traduisant de façon naturalisée, de sorte que le lecteur pense lire un texte original, comme les belles infidèles, il y a aussi celles qui traduisent mot à mot, de sorte que le lecteur pense lire un texte étranger au regard de la morphologie sémantique et stylistique (Mounin 1967 : 53). Ces deux tendances correspondent aux stratégies de l‟exotisation et de la naturalisation, que nous avons déjà évoquées dans l‟analyse des approches linguistiques et philosophiques et sur lesquelles nous reviendrons.

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considérée comme une courte définition de ce référent supposée inconnu de la majorité des lecteurs arabes, notamment ceux qui pouvaient lire cette traduction en 200844. En outre, les différents ajouts constatés dans cet exemple peuvent s‟expliquer par cette volonté de réduire l‟écart culturel et de définir en termes linguistiques connus un référent culturel inconnu. Une explication plus étoffée de ce phénomène est fournie par Nida (1964, 1969) dans le cadre de son concept opératoire appelé « l‟équivalence dynamique ».

2.2. L‟explicitation comme procédé de l‟équivalence dynamique de Nida Convaincus qu‟il ne saurait y avoir de correspondance absolue entre langues, à cause de l‟irréductibilité des langues et des cultures, Nida et Taber (1969: 12) n‟en concluent pas à l'intraduisibilité linguistique à l'instar de Catford (1965), mais ils affirment, tout comme Mounin (1963), que tout ce qui se dit dans une langue peut se dire dans n‟importe quelle autre langue, pourvu que la forme ne soit pas essentielle à ce qu‟ils nomment le « message ». Pour transmettre ce dernier, ils soutiennent que la bonne stratégie de traduction à mettre en œuvre est celle qui cherche à produire l‟équivalence dynamique dans la langue réceptrice. Cette équivalence dynamique (rebaptisée communicative) consiste à exprimer de la façon la plus naturelle possible le message en prenant en compte la culture du destinataire du message, afin de produire chez lui un effet équivalent à celui produit chez le destinataire du texte de départ (Nida 1964 : 24). Pour ce faire, Nida (Ibid. : 227-231) expose ce qu‟il appelle les « techniques d‟ajustements du message » utilisées lors du processus de traduction, afin de surmonter les barrières culturelles et réduire au maximum les risques d‟incompréhension des lecteurs cibles45. On commence à s‟éloigner peu à peu de l‟attachement servile aux mots, comme c‟était le cas dans la conception linguistique de la traduction. Ces techniques comprennent l‟addition, la soustraction et l‟altération. C‟est sous la technique de l‟addition que Nida traite indirectement de l‟explicitation. 2.2.1. L‟explicitation synonyme d‟addition d‟informations Nida définit la technique de l‟addition comme étant un écart visant à « expliciter » le sens implicite du message : « a shift from the implicit to the explicit status that occurs when "important semantic elements carried implicitly in the source language may require explicit identification in the receptor language» (Ibid. : 228). L‟explicitation est donc perçue comme un ajout visant l‟ajustement du message en vue de le rendre plus compréhensible et plus clair aux récepteurs. Autrement dit, son but est de réexprimer clairement une information implicite. Celleci est définie par Nida comme étant : « une information présente dans un message, par l‟intention de l‟auteur et dans la compréhension du récepteur, sans être explicite, élément sous-entendu […]

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Rappelons qu‟à cette époque, la traduction du MD est distribuée à titre gratuit comme supplément mensuel accompagnant les grands quotidiens de plusieurs pays arabes. Cf. Tableau 1, des pays concernés, que nous avons fait figurer dans l‟Introduction Générale. 45 Dans le contexte de la traduction de la Bible, l‟intelligibilité de ce message évangélique auprès de l‟audience cible revêt une importance capitale, d‟où cette insistance sur le sens et l‟effet.

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Souvent l‟information est implicite parce que l‟auteur savait que les récepteurs la connaissaient déjà ; mais une information clairement implicite pour les premiers récepteurs doit souvent devenir explicite pour d‟autres récepteurs afin de leur permettre de comprendre le message (Nida 1971 : 174). Il donne l‟exemple de la traduction de « queen of the South » (Luke 11 : 31), que l‟on pourrait traduire par « woman who was ruling in the south country » pour mieux expliciter aux lecteurs le sens implicite: Quelle « reine » ? Quel « Sud » ?, si les mots « queen » ou « south » ne leur parlent pas (Nida 1964 : 228). Ces informations implicites sont aisément déductibles pour le lecteur natif, mais ne le sont pas nécessairement pour le lecteur cible, d‟où l‟importance d‟ajuster le message en les explicitant. Cela correspond parfaitement dans notre exemple nº 1 aux additions des mots comme « conte », « journal », « organisation qui s‟oppose à la mondialisation » pour expliciter aux lecteurs arabes ce que le lecteur natif comprend aisément en lisant les noms « Belle au bois dormant », « L‟Humanité », « Libération », « Attac ». En revanche, l‟explicitation telle que Nida la conçoit ne se limite pas uniquement à l‟information implicite ; elle peut porter aussi sur une « forme linguistique » présente dans le texte à traduire. 2.2.2. L‟explicitation des formes linguistiques problématiques : extension du ressort Pour Nida, il arrive parfois que le traducteur ressente la nécessité de réexprimer plus clairement certaines expressions linguistiques car leur forme initiale risque de ne pas être assez claire pour les nouveaux récepteurs, si traduite mot à mot. Il s‟agit des cas comme l‟explicitation des expressions elliptiques, l‟addition de spécifications ou de synonymes, l‟ajout de classificateurs, de connecteurs ou l‟addition de catégories grammaticales46 propres à la langue cible, l‟amplification d‟un énoncé laconique, le traitement des questions rhétoriques, etc. (Nida 1964 : 227-228). Ceci nous permet d‟expliquer la traduction dans notre exemple nº 1 de l‟expression elliptique « les bienfaits du marché » par "‫( "فضبئم اقزصبد انغٕق‬les vertus de l‟économie de marché), étant donné que l‟ajout du mot « économie » rend le sens de cette expression encore plus clair. Il peut donc s‟agir d‟un écart d‟explicitation. Cette extension du concept s‟explique par le fait que le centre d‟intérêt de la conception de Nida n‟est plus l‟équivalent linguistique ou stylistique comme c‟était le cas chez Vinay et Darbelnet, ni la correspondance formelle ou l‟équivalent traductionnel de Catford, mais plutôt la clarté du message pour les récepteurs. Si les formes linguistiques utilisées dans le texte d‟origine sont condensées, connotées ou moins explicites, le traducteur se donne le droit de les éclaircir ou de

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Les additions dues à la restructuration grammaticale ou aux catégories manquantes de la langue source sont considérées comme obligatoires, car il s‟agit d‟une nécessité grammaticale et syntaxique.

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les amplifier en ajoutant les éléments sémantiques nécessaires. L‟ensemble de ces additions est appelé également « les amplifications lexicales »47. 2.2.3. L‟explicitation et l‟amplification lexicale : différentes dénominations, même notion Selon Nida, ces amplifications lexicales se mettent en œuvre en traduction par le biais de trois techniques : l‟emploi de termes classificateurs, la substitution d‟expressions descriptives et la redistribution des composantes sémantiques (Nida 1971 : 144, 105-106). A propos des termes classificateurs, Nida (1971 : 145) écrit ceci : « Il s‟agit d‟un terme général qui se met à côté du terme inconnu pour orienter le lecteur dans la bonne direction. Certaines langues mettent les termes classificateurs en apposition ». Ce procédé classificateur consiste, par exemple, à ajouter « la ville de », devant un toponyme inconnu des lecteurs. Il peut s‟employer également devant un nom propre lorsque celui-ci véhicule un sens particulier. Les ajouts internes pratiqués dans notre exemple nº 1 devant les noms que nous avons évoqués plus haut rentrent donc dans cette catégorie. Laquelle fait partie de l‟addition, qui est synonyme de l‟explicitation. La technique de la substitution consiste à remplacer un mot de la langue source par des expressions descriptives qui sont naturellement plus longues que ce mot, puisqu‟elles décrivent la forme ou la fonction de l‟objet désigné par ce mot. Par exemple, la synagogue peut être décrite comme « la maison de prière des Juifs » (Nida 1971 : 145). Cette technique correspond en fait au procédé explicatif chez Mounin, dans le sens où l‟explicitation est considérée ici comme une périphrase définitoire. Non loin de la technique de substitution, celle de redistribution des composants sémantiques est proposée lorsqu‟il s‟agit de traduire des concepts inexistants ou lorsque l‟on a affaire à des connotations différentes (Nida et Taber 1982 : 109). Cette technique se base sur l‟idée de l‟analyse componentielle, c'est-à-dire la décomposition des mots les plus porteurs d‟une culture en leurs divers éléments sémiques, dont le traducteur doit choisir et réexprimer le plus pertinent. Elle ouvre dans la pratique sur l‟expansion, autrement dit, l‟emploi d‟expressions sous forme de paraphrases telle que la paraphrase « caught having sexual relations with a man not her husband » pour traduire « taken in adultery ». Il en va de même pour la traduction d‟expressions condensées imprégnées de connotations nécessitant une explicitation, comme la traduction de « Je suis un Dieu jaloux », par « je suis un Dieu qui exige que mon peuple m‟aime exclusivement », afin d‟éviter des mauvaises interprétations du mot jaloux. La traduction opère ici une reconstruction de l‟expression du point de vue sémantique pour transmettre le vrai message (Nida 1971 : 145). Cette technique aurait pu être employée par le traducteur du MD novembre 2008 s‟il avait voulu expliciter davantage le concept de « libéralisme » au lecteur arabe, dans ce contexte en 47

Il est à noter que le terme d‟addition cède parfois la place au terme de l‟amplification, qui désigne chez Nida « tout procédé par lequel une expression devient plus volumineuse dans la traduction que dans le texte original », ce qui est, à notre avis, une autre façon de désigner l‟explicitation.

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particulier, par le recours à l'analyse componentielle ou à la périphrase. Il aurait pu proposer par exemple ceci « la promotion de la libre concurrence et l‟ouverture au marché » ( ‫غ انًُبفغخ انسشح‬ٛ‫رشد‬ ‫)ٔاالَفزبذ ػهٗ انغٕق‬. Un choix qui n‟a pas été fait, à juste titre, car le traducteur a dû supposer que cet emprunt, consacré par l‟usage, évoque déjà pour le lecteur arabe cette signification pertinente. Nida précise enfin que ces amplifications lexicales peuvent se réaliser dans le corps du texte lorsqu‟elles sont brèves et concises ou en dehors du texte traduit si elles sont longues ou volumineuses, ce qui donne lieu à l'utilisation des notes de traducteur. Les deux notes ajoutées dans l‟exemple nº1 sont donc également considérées comme des explicitations, mises en dehors du texte pour la bonne raison qu‟elles sont longues. Ainsi, d‟après la conception de l‟explicitation de Nida, tous les écarts relevés dans notre exemple, à l'exception de la traduction de « gauche Bécassine » par « gauche niaise »48, sont bel et bien des écarts produits par l‟application des techniques d‟addition et d‟amplification lexicale, autrement dit, l‟explicitation. Cette conception se trouve fortement corroborée par celle fournie par Margot (1979) et Newmark (1988), dont les approches traductives s‟inscrivent également dans le cadre de la conception sociolinguistique de la traduction.

2.3. L‟explicitation en tant que paraphrase légitime chez Margot Margot propose une conception de l‟explicitation similaire à celle de Nida et étudie ce phénomène à travers le principe de la paraphrase. Il distingue deux sortes de paraphrases : la paraphrase légitime et la paraphrase illégitime (Margot 1979 : 128). L‟explicitation est une paraphrase légitime définie comme : « une relation d‟une phrase a à b qui existe si et seulement si a signifie la même chose que b » (Margot 1979 : 128). Ce genre de paraphrase repose sur le principe que « les langues ont des façons diverses et originales d‟exprimer la même chose » (Ibid. : 128). L‟explicitation est donc basée sur l‟équivalence sémantique du message, même si les formes linguistiques diffèrent.

2.4. Les techniques d‟addition d‟informations explicitantes chez Newmark Inscrite dans une approche sociolinguistique, la méthode de traduction élaborée par Newmark (1988) comporte une longue liste de procédés de traduction, à savoir : le transfert, l‟équivalent culturel, la naturalisation, la traduction littérale, l‟analyse componentielle, la suppression, les traductions standardisées, la paraphrase, les gloses, les notes, les classificateurs, etc. (Newmark [1988] 2005 : 103).

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Les exemples que donne Nida de la technique de substitution ne permettent pas de considérer cette traduction comme un cas appartenant à cette technique, pas plus que les explications fournies concernant l‟explicitation de certaines formes linguistiques. Cela n‟empêche que par principe, cette traduction contribue en fin de compte à la réalisation du même objectif de l‟équivalence dynamique de Nida, qui est l‟intelligibilité du message. Nous reviendrons sur cette traduction plus tard.

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Bien que le terme explicitation ne figure pas dans cette liste, plusieurs procédés mentionnés coïncident avec le concept de l‟explicitation tel que conçu par Nida, à savoir : la naturalisation par l‟emploi d‟équivalent descriptif, l‟analyse componentielle, la paraphrase, les notes et les classificateurs. Pour Newmark aussi, lorsque ces additions (explicitations) sont introduites dans le texte, elles doivent être brèves de sorte à ne pas perturber la lecture de la traduction ni l‟attention du lecteur. Dès lors, elles peuvent se présenter sous les formes suivantes (Newmark 1988 : 92) : -

-

-

L‟emploi d‟un alternatif à côté du mot d‟origine. Cet alternatif fonctionne comme un synonyme explicatif. Exemple : « la gabelle » devient « the gabelle, or salt-tax ». L‟ajout d‟une périphrase explicative sous la forme d‟une proposition adjectivale. Exemple : « la taille » se traduit par « la taille, which was the old levy raised in feudal times from the civilian population, … ». L‟emploi d‟un équivalent descriptif (comme la traduction de Baccalauréat par « French secondary school leaving exam », ou la traduction de « Sejm » par « Polish parliament ». Les insertions sous forme de syntagme nominal ou verbal, mis en apposition, par exemple : « les traites » se traduit par « the traites, customs due, … » L‟ajout entre guillemets lorsqu‟il s‟agit d‟une traduction littérale d‟un mot (exemple : la traduction de « das Kombinat » par «the kombinat (a "combine" or "trust")» ; ou entre parenthèses49 pour les additions internes les plus longues. L‟ajout de classificateurs. Par exemple : « Speyer » est rendu par « the city of Speyer».

Lorsque ces additions sont introduites dans le paratexte, elles peuvent prendre les formes suivantes50: - Les notes en bas de page51 - Les notes à la fin du chapitre - Les notes ou le glossaire en fin de volume Toutes ces techniques approfondissent notre compréhension des différentes formes sous lesquelles peuvent se manifester les explicitations dans le texte traduit. Notre corpus du MD abonde en exemples confirmant le recours des traducteurs du MD à toutes ces techniques. Nous y reviendrons dans le chapitre V du présent travail. Il ressort clairement, de tout ce qui précède, que les approches sociolinguistiques marquent un pas en avant vers la compréhension du phénomène de l‟explicitation, en ce qui concerne son emploi pour la traduction du culturel et son rapport avec le lecteur cible. Néanmoins, le curseur de la recherche dans ces approches reste figé sur le sens du « message », limité au cadre des mots et expressions, voire des énoncés. Une telle vision ne permet pas d‟expliquer les variations des explicitations d‟un contexte à l'autre. Elle ne prend pas suffisamment en compte le texte entier 49

Selon Newmark, les parenthèses sont utilisées pour les additions faisant partie de la traduction, tandis que les crochets s‟emploient pour apporter des rectifications sur des faits matériels ou moraux introduit dans le texte sans rapport avec la traduction. 50 Ces formes sont exposées par ordre de préférence selon la conception de Newmark. 51 Newmark fait remarquer que les notes en bas de page deviennent gênantes lorsqu‟elles sont trop longues ou trop nombreuses (Newmark 1988: 92).

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comme une seule unité de traduction, ni d‟ailleurs les facteurs extratextuels, comme les normes et les contraintes de traduction. Cet aspect textuel est primordial dans des textes comme ceux du MD, où la cohérence textuelle est de mise. Tout est lié, dès le titre de l‟article jusqu'à sa conclusion en passant par toutes les rubriques intermédiaires. Faudrait-il donc recourir systématiquement à l'explicitation à chaque fois que l‟on a affaire à un terme ou concept inconnu ? De quels facteurs dépendent l‟explicitation. Notre enquête se poursuit. Nous allons à présent tourner nos regards vers les approches philosophiques, pour voir quel éclairage celles-ci peuvent apporter sur les facettes encore sombres du concept de l‟explicitation.

3. L‟explicitation du point de vue des approches philosophiques Les approches philosophiques de la traduction comprennent, entre autres, l‟approche herméneutique initiée par Schleiermacher (1813) et appliquée à la traduction par Steiner (1975), l‟approche romantique de Benjamin (1923), l‟approche poétique de Meschonnic (1973), l‟approche éthique de Berman (1984), pour ne citer que les plus célèbres. Ces approches sont souvent basées sur la philosophie du langage et sur une conception linguistique éthique de la traduction. Elles évoquent des questions philosophiques comme l‟idéologie, la poétique, la transparence de la traduction, le dédoublement du traducteur, la déconstruction du sens, etc., qui sont souvent difficiles à appréhender et dont l‟intérêt dépasse le cadre spécifique de cette étude. En revanche, elles soulèvent des questions intéressantes sur l‟interaction entre les langues et les cultures, les auteurs et les lecteurs, forcés à se rencontrer et à s‟entendre, malgré leurs divergences, par le biais de la traduction. A cela s‟ajoute la problématique de l‟interprétation du sens qui se faufile à travers les maillages linguistiques, le caractère mystérieux, pour ne pas dire sacré, de la langue source et le caractère complexe, voire incertain, du sens. La pertinence de ces approches pour notre sujet réside plus dans les questions qu‟elles soulèvent, que dans les réponses qu‟elles fournissent. Dans ce cadre, le questionnement sur l‟éthique du traduire nous intéresse tout particulièrement. En explicitant le sens implicite ou en explicitant un concept nouveau, par n‟importe quelle technique, ne transgressons-nous pas l‟éthique de la traduction ? Cette démarche explicative ne porte-t-elle pas atteinte au caractère exotique de l‟étranger ? Entre informer le lecteur ou déformer la traduction, où se place exactement l‟explicitation ? Dans cette présentation, nous allons nous limiter aux idées principales qui sont en rapport direct avec notre sujet, en évitant de rentrer dans toutes les subtilités de la pensée des auteurs cités, qui sont d‟ailleurs particulièrement intéressantes pour la réflexion traductologique.

3.1. La rencontre entre l‟écrivain et le lecteur selon Schleiermacher : qui fait le premier pas ? Dans sa conférence de 1813, publiée en 1838 et intitulée « Des différentes méthodes du traduire » que nous ne connaissons que par la traduction de Berman (1985), Schleiermacher nous présente sa conception du rôle du traducteur vis-à-vis de l‟auteur et du lecteur. « […] quels chemins peut

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prendre le véritable traducteur qui veut rapprocher réellement ces deux hommes si séparés : l‟écrivain d‟origine et son lecteur, et faciliter à celui-ci, sans l‟obliger à sortir du cercle de sa langue maternelle, la compréhension et la jouissance les plus exactes et complètes du premier ? À mon avis, il n‟y en a que deux : ou bien le traducteur laisse l‟écrivain le plus tranquille possible et fait que le lecteur aille à sa rencontre, ou bien il laisse le lecteur le plus tranquille possible et fait que l‟écrivain aille à sa rencontre. Les deux chemins sont à tel point complètement différents, qu‟un seul des deux peut être suivi avec la plus grande rigueur, car tout mélange produirait un résultat nécessairement fort insatisfaisant et il serait à craindre que la rencontre entre l‟écrivain et le lecteur n‟échoue totalement » (Schleiermacher 1999 [1985] : 94). Schleiermacher opte, par conviction, pour la stratégie de l‟exotisation qui consiste, selon sa conception, à laisser l‟écrivain le plus tranquille possible et à faire que le lecteur quitte son cercle pour aller à sa rencontre. Il considère cette stratégie comme moyen de refuser la position dominante de la culture et de la langue cibles et de préserver l‟altérité du texte source. L‟explicitation ne pourrait-elle pas représenter une voie médiane, qui fera, contrairement à ce que soutient Schleiermacher, réussir cette rencontre ? Dans notre exemple nº 1, les ajouts introduits, quoiqu‟insuffisants, ne semblent pas vraiment faire échouer la rencontre entre l‟auteur F. Lordon et ses nouveaux lecteurs yéménites, saoudiens, égyptiens, etc. Au contraire, le traducteur de ce MD a tenté de les rapprocher l‟un de l‟autre, par l‟explicitation du sens que l‟auteur veut transmettre aux lecteurs. Certes, la réussite n‟est pas totale, mais l‟échec aurait été certain si le traducteur s‟était abstenu de toute médiation tant sur le plan linguistique que culturel.

3.2. L‟explicitation comme un acte de déformation chez Benjamin Dans La tâche du traducteur (1923)52, le philosophe romantique allemand Benjamin s‟inscrit dans la lignée de Schleiermacher, en envisageant la traduction comme une transformation qui, à la fois, modifie l‟œuvre originale et enrichit la langue maternelle grâce à la langue étrangère. Pour lui, l‟œuvre littéraire, comme toute autre forme d‟art, est conçue pour elle-même. Contrairement à la conception sociolinguistique plaçant le lecteur au centre de son intérêt, l‟approche de Benjamin propose d‟oublier toute référence au lecteur et d‟évincer le souci de s‟adapter à ses connaissances. C‟est la langue qu‟il conviendrait de privilégier, car elle est porteuse d‟un mystère, d‟une dimension « poétique » qui transcende la communication. La traduction ne doit pas aspirer à remplacer l‟original, mais elle doit être transparente grâce à sa littéralité qui porte un «ton émotionnel» et ainsi laisse entrevoir l‟écart irrécupérable. Ainsi, d‟un constat indéniable sur les potentialités sémantiques que peut receler la langue ou le texte d‟origine, on aboutit à une conclusion selon laquelle le meilleur moyen de rendre compte de ces potentialités sémantiques, est d‟éveiller dans la langue cible « l‟écho de l‟original » (Ibid. 254), quitte à rendre hermétique le texte traduit. Dans ce sens, l‟explicitation s‟avère un acte de déformation de la traduction et une violation du caractère pur et mystérieux du texte source. 52

Ce texte est la préface de la traduction par Benjamin des Tableaux parisiens.

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Selon cette conception, le traducteur de notre exemple nº 1 n‟a donc fait que transformer la langue allusive, le style satirique et le caractère sublime de l‟expression de l‟auteur. Il aurait mieux fait de laisser entrevoir ces écarts, au lieu de les réduire, en preservant les traits exotiques de ces énoncés en traduction vers l‟arabe. Et comprenne qui pourra !

3.3. L‟explicitation comme un acte de transformation chez Steiner Dès le premier chapitre intitulé « After Babel », Steiner affirme que « comprendre, c‟est traduire » et que « toute compréhension est interprétation active » (Steiner 1978 [1975] : 262). Selon l‟auteur, et sans rentrer dans les détails, cette interprétation active, indispensable à tous les niveaux, passe par un parcours herméneutique quadripartite : un "élan de confiance", c'est-à-dire la conviction de l‟existence d‟un sens véhiculé par le texte, une "incursion" dans le texte, qui renvoie à l'étape de la compréhension de ce sens, une "incorporation" ou "importation" dans la langue du traducteur, autrement dit, l‟appropriation de ce sens et finalement une phase de "compensation" pour rétablir l'équilibre avec l'original que ce processus de compréhension aurait pu rompre. C‟est lors de son passage en langue-cible que le message de la langue-source subit une transformation. Ces transformations participent du mécanisme explicatif de la traduction et se manifestent en phase de restitution du sens par la compensation, l‟addition et la restauration. La traduction est donc un acte créatif et explicatif qui procède par addition en explicitant ce qui est implicite. C‟est sous le terme générique de « l‟explication » que Steiner traite de l‟explicitation. Il considère « l‟explication » comme une caractéristique essentielle de la dynamique de la traduction : « La dynamique de la traduction est avant tout explicative, elle explique ou plus justement explicite et rend tangible tout ce qu‟elle peut de l‟inhérence sémantique de l‟original. Le traducteur cherche à présenter « ce qui est déjà là ». Toute explication est addition ; elle ne se contente pas de reformuler l‟unité originale mais doit la munir d‟un contexte explicatif, d‟un champ de ramifications concrètes et tactiles ; c‟est pourquoi « la traduction procède par augmentation » (Steiner [1975] 1978 : 259)53. Il précise également que « le traducteur se doit de concrétiser le « sens » implicite, l‟ensemble des dénotations, connotations, déductions, intentions, associations contenues dans l‟original mais qui ne sont pas explicites, ou alors seulement en partie, parce que l‟auditeur ou le lecteur indigène en possède une compréhension immédiate » (Ibid. : 259). Cela dit, cette dynamique explicative et interprétative ne permet cependant pas d‟atteindre la traduction « parfaite », vu le caractère foncièrement polysémique, évolutif et imprécis du langage, qu‟il n‟est pas toujours aisé d‟expliciter. C‟est la raison pour laquelle Steiner (1978 : 292) définit la « bonne traduction » comme étant celle où « la dialectique de l‟impénétrable et de la progression, de l‟étrangeté irréductible et du terroir ressenti n‟est pas résolue mais demeure expressive ». Par conviction ultime, tout comme Benjamin et Schleiermacher, Steiner préfère plutôt la stratégie de l‟exotisation, qui permet à l'étranger de rester expressif. Aussi, consciente de 53

C‟est nous qui soulignons.

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la dynamique explicative et interprétative de la traduction, l‟approche herméneutique de Steiner finit-elle par privilégier la traduction littérale, exotisante. En appliquant cette approche à la traduction de notre exemple, nous pensons que les ajouts introduits, en phase de compensation, même s‟ils ne réalisent pas la traduction « parfaite », contribuent néanmoins à la concrétisation du sens implicite des énoncés, s‟inscrivant ainsi dans le cadre de ce que Steiner appelle la dynamique explicative de la traduction.

3.4. L‟explicitation et l‟éthique de la traduction chez Berman : le Propre versus l‟Étranger Héritier de Schleiermacher et de Benjamin, le philosophe et théoricien français, Berman, soutient que la traduction devrait porter sur la lettre et non sur le sens. Cette conception s‟inscrit dans son éthique de la traduction basée sur la distinction entre le Propre et l‟Çtranger, qui prône la supériorité de l‟Étranger par rapport au Propre, ainsi que la primauté de la langue source et du texte source dans la traduction et, par conséquent, la soumission de la langue recevante. Le texte de la traduction doit rester transparent en laissant voir à travers lui l‟original. La traduction ainsi faite chercherait à accueillir l‟Çtranger dans la langue d‟arrivée, à y tenir et à y voir une valeur incontestable de la traduction, car à force de recevoir en soi l‟Çtranger et l‟Autre, la langue d‟arrivée se transforme, évolue, s‟élargit, et s‟enrichit. Cette conception linguistique et philosophique, héritière de l‟époque des romantiques allemands, l‟amène à concevoir l‟opération traduisante en deux stratégies de traductions totalement opposées : la traduction exotisante (l‟exotisation) et la traduction ethnocentrique (la naturalisation). La première, préconisant la préservation de l‟étrangeté du texte source et l‟ouverture sur la culture source, est considérée par Berman comme une visée éthique positive de la traduction. Aux antipodes de cette « bonne » traduction, se place la deuxième stratégie ethnocentrique, privilégiant le côté de la langue d‟arrivée au détriment de la couleur locale du texte source. Cette visée négative de la traduction ne peut que produire une mauvaise traduction : « J‟appelle mauvaise traduction la traduction qui, généralement sous couvert de transmissibilité, opère une négation systématique de l‟étrangeté de l‟œuvre étrangère » (Berman 1984 : 17). En effet, Berman refuse l‟idée d‟embellir la traduction aux dépens de la langue source en créant ce que Mounin appelait les « Belles infidèles », c'est-à-dire des traductions qui éliminent l‟Çtranger et pratiquent des excès d‟adaptation de sorte à rendre le texte trop parfaitement assimilé à la culture cible. 3.4.1. L‟explicitation en tant qu‟acte à la fois informant et déformant chez Berman Berman admet que la traduction subit des transformations et évoque la question de l‟explicitation dans son analyse des « treize tendances déformantes » de la traduction. L‟explicitation y est

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traitée sous le nom de clarification54 : « Certes, la clarification est inhérente à la traduction, dans la mesure où tout acte de traduire est explicitant » (Berman 1985 : 70)55. Vue aussi comme un « corollaire de la rationalisation » (Ibid. : 70), l‟explicitation se présente comme une tendance déformante qui vise la clarification rationnelle et explicative des éléments linguistiques du texte source, en gommant ainsi l‟étrangeté du texte source, voire la couleur locale. En outre, l‟explicitation chez Berman ne se limite pas aux transformations linguistiques à l'intérieur du texte traduit, mais s‟inscrit également dans un cadre plus large, celui de la « Translation » ou l‟ « étayage de la traduction ». En fait, la traduction ne peut pas se suffire à elle-même et a besoin pour fonctionner d‟être soutenue par la « translation » qui comprend tout le travail de la critique et des nombreuses formes de transformations de l‟œuvre : « L‟étayage de la traduction comprend tous les paratextes qui viennent la soutenir : introduction, préface, postface, notes, glossaires, etc. La traduction ne peut pas être « nue » sous peine de ne pas accomplir la « translation » littéraire » (Berman 1995 : 68). L‟explicitation ainsi conçue est donc contraire à l'éthique positive du traduire de Berman représentée par la stratégie sourcière et exotisante ; elle pourrait être plus proche de la stratégie naturalisante cibliste, au sens de Berman, puisqu‟elle vise la clarté du texte cible. Mais alors, elle sera conçue comme mauvaise traduction. Ainsi, gommer la référence à Bécassine, bien que cet acte soit parti d‟une bonne intention visant notamment la clarification, ne peut que s‟inscrire dans ce que l‟éthique de la traduction considère comme une visée négative. Dans les approches philosophiques examinées ci-dessus, la conception dualiste de la stratégie de traduction correspond en fait à une vision sourcière de la traduction, c'est-à-dire orientée vers la langue et le texte source opposée à une vision cibliste, c'est-à-dire orientée vers la langue et la culture cible. Certaines approches théoriques, y compris philosophiques, appellent au dépassement de ces dichotomies sourcier/cibliste, exotisation/naturalisation, etc.

3.5. L‟explicitation et le rapport de forces entre les cultures : l‟ « exotisation » selon Venuti L‟approche de Venuti adopte la même conception de la stratégie de traduction, c'est-à-dire l‟exotisation, puisque Venuti lui-même est dans la ligne de Schleiermacher ; il est un peu celui qui a introduit Schleiermacher aux Etats-Unis. Cependant, cette approche se distingue des autres 54

Cette conception bermanienne de l‟explicitation sous le terme de la clarification est confirmée par plusieurs chercheurs comme Laviosa-Braithwaite (1998 : 289) qui considère les répétitions lexicales, l‟addition des conjonctions, le remplissage des ellipses, comme des formes possibles de cette tendance de clarification (explicitation) chez Berman. House interprète cette conception comme ceci : « clarification is inherent in translation to the extent that every translation comprises some degree of explicitation and that it tends to be longer than its original » (House 2004 : 191). De son côté, Jerzy Brzozowski (2008 : 775) considère « le passage (en principe blâmable) de la polysémie à la monosémie et la traduction paraphrasante ou explicative » comme une forme d‟explicitation au sens de Berman. 55 C‟est nous qui soulignons.

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approches philosophiques précédentes par le fait qu‟elle représente plutôt ce que l‟on appelle le « cultural turn »56 . Il s‟agit d‟approches théoriques relativement récentes, à vocation politique et anthropologique, qui se penchent sur les aspects culturels de l‟activité de traduction et tentent de décrire les critères qui conditionnent l‟acceptation de la traduction ainsi que les interactions entre culture et traduction à une époque précise. En effet, dans le contexte actuel de la mondialisation, le contact linguistique et culturel est désormais inévitable et la traduction participe soit au conflit, soit au rapprochement de ces petits mondes communiquants. La recherche traductologique sur la communication interlinguistique et interculturelle continue d‟évoluer dans ce nouvel environnement de plus en plus marqué par la rapidité, l‟automatisation, l‟explosion de la demande de traduction, mais aussi et surtout par une sorte de mondialisation culturelle. A l'instar des autres partisans de ces approches dites « culturelles » comme Lefevere et Bassnett (1990, 1998), Snell-Hornby (1990), Venuti (1995) conçoit la traduction elle-même comme un enjeu culturel, notamment pour les cultures en position de faiblesse. L‟accent est mis ici, non pas seulement sur l‟importance de la préservation de la langue cible lors de l‟activité traduisante, mais aussi et surtout sur la culture qui devient l‟objet même de la traduction et non simplement un facteur à prendre en considération. La traduction joue un rôle crucial dans ce rapport interculturel dans la mesure où elle représente parfois une sorte d‟appropriation des cultures étrangères à des fins politiques, culturelles, etc. Cette appropriation passe généralement par une violence faite à la langue et à la culture sources afin de les domestiquer. En effet, selon Venuti (1995), le traducteur dispose de deux méthodes de traduction à l'égard du texte étranger : la naturalisation (domestication) et l'exotisation (foreignizing). La première méthode cherche la transparence et la lisibilité de la traduction en présentant aux lecteurs cibles un texte fluide compatible avec la culture cible. L‟invisibilité postulée et revendiquée du traducteur serait le garant de cette transparence de la traduction dans laquelle les aspérités culturelles sont rabotées et les traits exotiques gommés. Mais pour Venuti, cette naturalisation ou plutôt neutralisation des spécificités linguistiques et culturelles du texte source, systématiquement pratiquée selon lui aux Etats-Unis, implique une violence faite aux valeurs culturelles de la langue source. Face à cette situation, Venuti privilégie l‟autre méthode, à savoir l‟exotisation consistant à reproduire les aspects culturels du texte source dans le texte cible (Venuti 1995 : 221). Le retour, voire le recours, à cette stratégie de l‟exotisation, n‟est pas motivé par les mêmes anciennes considérations linguistiques et éthiques, mais vise plutôt à contrebalancer l‟hégémonie de la culture anglo-saxonne ou des autres cultures dominantes. Aussi, Venuti plaide-t-il pour une

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Ce terme figure dans l‟intitulé de l‟article «Introduction : Proust's Thousand and One Nights : The 'Cultural Turn' in Translation Studies», par lequel s‟ouvre l‟ouvrage « Translation History and Culture » (1990) de Lefevere et Bassnett (1990). Il désigne cette conception culturelle de la traduction qui élargit le champ de recherche, dans le contexte de la mondialisation et du développement des TIC (Technologies de l‟Information et de la Communication), au-delà de la situation de communication immédiate et de la recherche d‟équivalence, pour englober les normes sociales, les identités nationales, les rapports de pouvoirs, etc.

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plus grande visibilité du traducteur à travers cette stratégie pour permettre à la culture source, quelle que soit sa position géostratégique, de s‟exprimer dans d‟autres langues et cultures. Bien que l‟exotisation s‟oppose par définition à l'explicitation, le principe de la visibilité du traducteur que défend Venuti est favorable à l'étude de l‟explicitation dans la mesure où le traducteur, qui opte pour l‟explicitation, laisse de toute évidence des traces qui trahissent son existence et le rendent visible. Il s‟exprime, telle une voix off, à travers les ajouts insérés entre parenthèses ou guillemets au sein du texte ou carrément par la fameuse note du traducteur. Dans notre corpus du MD qui met en jeu la culture française versus la culture arabe, la stratégie la plus apte à laisser transparaître la culture source, en l‟occurrence la culture française, est plutôt l‟explicitation et non l‟exotisation. Avec celle-ci, le traducteur et la culture source seront, certes, visibles, mais c‟est le lecteur qui serait dérouté, avec celle-là, le traducteur et le monde de la culture source seront visibles, et le sens sera, de surcroît, intelligible. En rendant la traduction visible et lisible, sans être exotisante ni ethnocentrique, l‟explicitation, ainsi perçue, contribue au contact entre les langues et cultures dans le respect des différences de part et d‟autre et non au conflit ni à l'hégémonie. Traduire le MD du français vers l‟arabe, en adoptant l‟explicitation comme stratégie de traduction, profite à la langue/culture arabe, et inversement, traduire des textes littéraires ou religieux de l‟arabe vers le français, par le biais de cette même stratégie, profitera à langue/culture française. Dans les deux cas, les deux cultures communiquent et s‟interpénètrent.

3.6. Vers un dépassement des dichotomies : le décentrement de Meschonnic Dans Pour la Poétique II (1973), Meschonnic, philosophe français et traducteur de la Bible, propose la notion du décentrement qu‟il définit comme suit : « Le décentrement est un rapport textuel entre deux textes dans deux langues-cultures jusque dans la structure linguistique de la langue, cette structure linguistique étant valeur dans le système du texte. L‟annexion est l‟effacement de ce rapport, l‟illusion du naturel, le comme-si, comme si un texte en langue de départ était écrit en langue d‟arrivée, abstraction faite des différences de culture, d‟époque, de structure linguistique. Un texte est à distance : on la montre, ou on la cache. Ni emporter, ni exporter » (Meschonnic 1973 : 308). Cette conception basée sur le décentrement accorde au traducteur un statut comparable à celui de l‟écrivain en considérant la traduction comme un projet de réécriture. En effet, pour Meschonnic, la traduction ne peut se résumer à une conception basée sur le dualisme du sens et de la forme, à la nécessité de choisir entre le transfert du texte de départ dans la littérature d'arrivée ou inversement, le transfert du lecteur d'arrivée dans le texte de départ. Ce concept opératoire du décentrement participe à réduire l‟opposition entre partisans de la lettre, attachés au texte de départ, et défenseurs du sens, soucieux de l'efficacité de la transmission du message. Bien que Meschonnic affiche, dans sa pratique de la traduction biblique, une tendance

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littéraliste, ses réflexions philosophiques sur le concept de réécriture de la traduction et de décentrement permettent de dépasser le débat fermé entre sourciers et ciblistes 57, selon l'expression introduite par J.-R. Ladmiral (1994 :15). Ce dernier, nous propose d‟ailleurs dans Traduire : théorèmes pour la traduction (1979), le concept langue-culture58, considérant la langue et la culture comme une entité en harmonie avec elle-même. Ce concept permet également de dépasser la vision aporétique entre la langue d‟un côté et la culture de l‟autre, ce qui va d‟ailleurs favoriser le développement d‟autres approches communicationnelles et culturelles basées sur la corrélation entre langue et culture et non sur leur séparation. Peut-on dès lors concevoir l‟explicitation en traduction comme un moyen de réaliser un projet de réécriture (Meschonnic) qui respecte la relation fusionnelle entre langue et culture (Ladmiral) ? En conservant la référence culturelle du texte d‟origine et en l‟accompagnant d‟une brève explicitation qui en évoque le trait de signification pertinent, ne réalisons-nous pas ce décentrement, ce projet d‟écriture, tout en respectant la langue du texte d‟origine et la culture du texte d‟arrivée, l‟auteur comme le lecteur ?

4. L‟explicitation communicationnelles

du

point

de

vue

des

approches

Développées dans les années 70, les approches communicationnelles succèdent aux approches sociolinguistiques et rompent généralement avec la conception linguistique de la traduction. Elles envisagent la traduction comme un acte spécifique de communication interlinguistique et interculturelle. L‟étude de la traduction s‟inscrit dans le cadre de l‟analyse du discours ou du texte dans son intégralité, en tenant surtout compte du contexte communicatif et de l‟environnement cognitif entourant l‟acte de communication. Cette conception s‟exprime principalement à travers deux grands modèles théoriques : le modèle interprétatif, appelé communément la théorie interprétative de la traduction (TIT)59 et le modèle inférentiel représenté par ce que l‟on appelle la théorie de la Pertinence. Nous allons commencer par l‟analyse la place de l‟explicitation dans le modèle interprétatif. En fait, cette stratégie n‟a pas fait, en tant que telle, l‟objet d‟études ou de publications particulières, mais elle est présente en arrière-plan dans toute la réflexion sur le rapport implicite/explicite situé au cœur de ce modèle. En outre, les principes instaurés par la TIT constituent la pierre angulaire de notre conception globale de la thèse présentée dans le chapitre III, d‟où l‟attention particulière

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Ladmiral définit les termes sourciers et ciblistes comme suit : « Ceux que j‟appelle les « sourciers » s‟attachent au signifiant de la langue, et ils privilégient la langue-source ; alors que ceux que j‟appelle les « ciblistes » mettent l‟accent non pas sur le signifiant, ni même sur le signifié mais sur le sens, non pas de la langue mais de la parole ou du discours, qu‟il s‟agira de traduire en mettant en œuvre les moyens propres à la langue cible » (Ladmiral 1994 : 15) 58 Meschonnic parle aussi de langue-culture ou de culture-langue. Robert Galisson (1991 : 109-151) propose également ce terme dans le cadre de ce qui appelle les CCP « mots à charge culturelle partagée ». 59 Nous allons employer les termes TIT et modèle interprétatif de façon interchangeable.

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que nous allons attacher à ses concepts opératoires. Une fois cette présentation faite, nous allons passer à l‟étude du modèle inférentiel afin d‟approfondir davantage notre compréhension de l‟explicitation et d‟assoir notre conception globale sur des fondements théoriques solides.

4.1. La TIT : une question de « bon sens » ! Cette théorie est centrée sur l‟interprétation du sens et vise à cerner le processus de compréhension et de réexpression du vouloir dire d‟une production orale ou écrite. Elle se situe en dehors du débat texte source / texte cible et se base plutôt sur l‟opposition entre l‟implicite et l‟explicite, au niveau des mots et des phrases mais surtout au niveau des textes et des discours pour expliquer l‟émergence et le transfert du sens dans cette situation de communication spécifique, qu‟est la traduction. Cette approche interprétative est fondée à la fin des années 60 par une praticienne de l‟interprétation de conférence, Seleskovitch, qui s‟est appuyée sur son expérience professionnelle pour expliquer les mécanismes de l‟acte de traduire. À partir de son analyse de la pratique réussie de la traduction, elle soutenait que la compréhension du message ne résultait pas d‟une patiente construction du sens par sélection des significations linguistiques pertinentes à partir de la chaîne sonore entendue puis par correction de ces premières inférences par la prise en compte des éléments extra-linguistiques, mais bien d‟un traitement simultané de la chaîne sonore par toutes les connaissances pertinentes (linguistiques et extra-linguistiques), ce qui permet, par exemple, des phénomènes d‟anticipation cognitive. Dans un deuxième temps, Lederer et Israël se sont employés à démontrer que cette conception ne s‟appliquait pas seulement à la compréhension du discours oral, mais aussi à celle du texte écrit. Cette approche innovante a permis aux traducteurs professionnels de s‟émanciper des carcans de la vision linguistique pure et dure de la traduction, sans pour autant dénigrer l‟importance de l‟analyse de la langue et du texte source. En effet, nous pouvons dire, de façon schématique, que la TIT distingue entre le niveau de la langue, c'est-à-dire les significations des mots et la valeur sémantique des phrases hors contexte, et le niveau du discours qui est porteur du vouloir dire de l‟auteur/locuteur et que le lecteur/auditeur comprend grâce à l‟action conjuguée et simultanée de toutes ses connaissances linguistiques et extra-linguistiques. La TIT nous présente ainsi sa conception du fonctionnement du langage humain, à l'oral comme à l'écrit, pour analyser ensuite le processus de compréhension du sens et proposer enfin la manière dont ce sens compris pourrait être réexprimé dans toute sa plénitude, aux lecteurs cibles, dans leur langue. Et c‟est dans toutes ces étapes que le concept de l‟explicitation puise son importance. 4.1.1. Le principe de la synecdoque : la partie pour le tout En étudiant le fonctionnement du langage, Seleskovitch réalise qu‟au niveau linguistique, « les langues n'explicitent qu'une partie des concepts qu'elles désignent » (Seleskovitch 1984 : 181). La langue ne désigne jamais la totalité de l‟image mentale d‟un référent mais dévoile seulement un

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trait saillant ou un aspect pertinent susceptible d‟évoquer chez le lecteur ou l‟auditeur l‟ensemble de la représentation mentale du référent. En outre, le trait saillant retenu pour désigner un même référent diffère d‟une langue à l'autre, et donc « ces explicites ne se recouvrent pas » (Ibid. : 184). Seleskovitch a appelé ce phénomène « le principe du key hole ». En effet, suivant ce principe, le français, en utilisant le mot « trou de serrure », trouve pertinent et met en relief le fait que le trou se trouve dans la serrure, alors que l‟anglais, pour désigner ce même objet, insistera sur la finalité du trou, qui est de pouvoir y introduire une clé et l‟appellera key hole, un trou pour une clé. Les deux désignations sont différentes, mais le référent est le même. Lederer a ensuite repris et développé ce principe en l‟appelant le « principe de la synecdoque ». En analysant ce même exemple, Lederer avance que le français a utilisé un seul aspect du référent pour désigner tout le référent, autrement dit, la partie pour désigner le tout, ce qui correspond à la définition de la synecdoque60. Ainsi, chaque langue choisit une synecdoque différente pour désigner le même référent, en établissant une relation d‟identité entre une partie et un tout. Selon l‟approche de Lederer, la synecdoque renvoie à la partie explicite, alors que la partie implicite sera toute l‟image mentale évoquée et activée par cette synecdoque. Cette partie explicite exprimée formellement est le pendant de l‟implicite. L‟un appelle l‟autre. Cette figure témoigne du fonctionnement du langage humain qui « opère par désignation, et non par dénomination » (Lederer 1981 : 357). En traduction, vue sous une perspective communicationnelle, la notion de synecdoque permettra de faire toucher du doigt à tous les niveaux les subtiles variations du rapport implicite/explicite dans l‟expression d‟un même vouloir dire dans deux langues cultures différentes. En effet, ce phénomène existe bel et bien à tous les niveaux. Au niveau des mots, Lederer (1976 [2001] :28) explique que : « le mot dans le discours se réfère à une chose sans jamais la décrire intégralement : il est incomplet dans chaque langue et différent d‟une langue à l‟autre mais, incomplet et différent, il transmet dans la parole la même notion et la même chose ». Chaque langue trouve donc un moyen qui lui est propre pour désigner le même référent d‟une façon courte, pertinente, et compréhensible pour les gens qui parlent cette langue. Ce choix dépend en grande partie du génie de chaque langue61. Au niveau des énoncés, Lederer (Ibid. : 46-47) soutient que la synecdoque « éclaire d‟une lumière plus vive une caractéristique générale du discours : tout énoncé, par l‟implicite conceptuel auquel il renvoie, est plus large que sa formulation ne l‟est en langue ». L‟explicite au

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Dans la rhétorique classique, la synecdoque est une figure de style qui consiste à prendre le plus pour le moins, la partie pour le tout (une voile pour un bateau), le singulier pour le pluriel (défaire l‟ennemi, pour les ennemis), la matière pour l‟objet (boire un verre), l‟espèce pour le genre (le pain pour la nourriture) et vice versa. 61 Le génie de la langue est un automatisme langagier plutôt conventionnel que personnel, car il est lié au « dépôt sédimentaire des innombrables usages de la parole » Seleskovitch (2001 [1974] :103). Il arrive parfois que ce soit le traducteur qui décide de ce choix afin de s‟adapter au savoir présumé chez le lecteur. Nous y reviendrons.

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niveau des énoncés concerne souvent des collocations, des expressions figées, des idiomatismes, etc. (Lederer 1984 : 59). Au niveau du discours, « la pensée choisit pour s‟exprimer des formes souvent complexes, jamais totalement explicites ; elle implique autant qu‟elle explicite » Lederer (1994 : 35). Les textes ne désignent, eux non plus, qu‟une partie seulement des idées qu'ils expriment : « Les auteurs eux aussi n'explicitent qu'une partie de leur vouloir dire ; les discours et les textes comportent une grande partie d'implicite qui correspond au savoir partagé entre interlocuteurs […]. Le même sens ne s'exprime pas dans un même rapport explicite/implicite dans différentes langues (Lederer 1994 : 181). En somme, l‟expression du sens dans un discours ou dans un texte fonctionne de la manière suivante : « Tout texte est un compromis entre un explicite suffisamment court pour ne pas lasser par l‟énoncé de choses sues et un implicite suffisamment évident pour ne pas laisser le lecteur dans l‟ignorance du sens désigné par l‟explicite» (Lederer 1994 : 58). Ce mode de désignation que ce soit au niveau des mots, des énoncés ou des idées différent non seulement d‟une langue à l'autre, mais aussi d‟un texte à l'autre, et surtout d‟un auteur à l'autre, ce qui nécessite un traitement attentif et particulier de la part des traducteurs des différentes rapports explicite/implicite en question. Ceci dit, bien que confronté à deux langues qui disent de façon différente la même chose, ou à deux auteurs qui expriment la même idée, mais autrement, le traducteur est capable d‟extraire le sens du texte produit, seul dénominateur commun, et de le réexprimer dans sa langue maternelle, avec des synecdoques également différentes, mais susceptibles de déclencher les associations d‟idées qui amènent le lecteur à l'appréhension du même vouloir dire initial. 4.1.2. Les compléments cognitifs : entre bagage et contexte cognitifs La partie explicite, linguistique n‟est donc que la partie visible de l‟iceberg. L‟autre partie invisible, extralinguistique, est l‟implicite, c'est-à-dire le non-dit, qui provient de la prise en compte d‟autres informations extralinguistiques issues des connaissances cognitives du lecteur, des indices contextuels du texte et de la situation de communication. Ces structures cognitives extralinguistiques sont désignées généralement sous le concept de « compléments cognitifs ». Selon Seleskovitch, ce concept désigne tous les éléments de connaissance grâce auxquels pourra se produire l‟alchimie du sens à partir des données linguistiques (Seleskovitch 1975 : 49-50). Parmi ces compléments cognitifs, Seleskovitch distingue le « bagage cognitif » considéré comme étant le « savoir général » du sujet (Seleskovitch 1984 : 119), et le « contexte cognitif » qui est « constitué par le souvenir des éléments de sens précédemment acquis au fils du discours » (Ibid.: 227) ». Lederer (1994) précise davantage ce concept qui revêt une importance capitale pour la compréhension des mécanismes d‟émergence du sens dans le discours. D‟après elle, le bagage cognitif se compose de l‟ensemble des «connaissances linguistiques et extralinguistiques

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emmagasinées à plus ou moins long terme dans la mémoire62 » (Lederer 1994 : 37). Ceci inclut le savoir notionnel et émotionnel qu‟un individu acquiert à travers son vécu personnel (savoir empirique), le langage (ce qu‟il apprend par la lecture, l‟enseignement, les conversations, la télévision, etc.), sa propre réflexion (les imaginations, le résultat de réflexions, le fruit de lectures), des faits d‟expérience, des émotions, des événements ayant marqué la culture générale, etc. (Lederer 1994 : 211). Autrement dit, ce bagage cognitif comprend tout ce dont dispose le lecteur avant même de lire le texte et qui va lui permettre de l‟interpréter. Néanmoins le seul bagage cognitif, bien que primordial, n‟est pas suffisant pour l‟appréhension du sens global du texte. Vient alors se joindre à ce savoir préexistant, un autre savoir fourni par le « contexte cognitif », qui se constitue à la lecture du texte et va croissant au fur et à mesure que le discours avance. Il est de courte durée, mais « il reste en mémoire suffisamment pour permettre d‟assimiler le discours ou le texte dans sa continuité » (Ibid. : 37). Plus précisément, le contexte cognitif comporte les informations recueillies du « contexte verbal » et celles provenant des « indices contextuels » parsemés dans le texte en entier. La première source est formée par les mots et les phrases entourant le mot ou la phrase en question, car, en effet « dans la communication, le sens se dégage de l‟enchaînement des mots et des phrases, chacun et chacune ajoutant son apport aux autres mais bénéficiant aussi du leur » (Lederer 1984 : 19). La deuxième source concerne tout ce qui a été dit avant et après l‟élément ou l‟énoncé en question, qui peut contribuer à l'émergence du sens voulu. En effet, le texte s‟explique, s‟interprète lui-même. L‟on doit donc tenir compte des « informations cumulatives fournies par l‟auteur, lesquelles précèdent l‟énoncé problématique ou lui succèdent » (Rydning 2001 : 22). Le sens global devient donc le « produit de la synthèse des significations linguistiques et de la connaissance du monde et de la situation de communication » (Lederer 1994 : 215). Il est de nature non verbale correspondant à un état de conscience, équivalent au vouloir dire initial de l‟auteur. C‟est ce sens là que le traducteur cherche à réexprimer dans le texte traduit, par le biais de plusieurs techniques de traduction, dont l‟explicitation. 4.1.3. Entre l‟intention de dire et le dire : le vouloir dire Selon la TIT, le sens à traduire n‟est pas autre chose que l‟actualisation du vouloir dire de l‟auteur dans le texte. Ce sens est « objectif » dans la mesure où il peut être compris par la majorité des lecteurs natifs. Il ne se réduit pas à la somme des significations pertinentes des mots ; du reste, ces significations pertinentes n‟ont elles-mêmes pu être dégagées que grâce à l‟interaction de certaines connaissances extralinguistiques, supposées connues chez le lecteur et par conséquent tues, en vertu du principe de la synecdoque. Ce sens « objectif » se distingue également du sens « subjectif » qui relève de l'exégèse, de l'herméneutique ou de l‟intention de dire. Objectivement saisissable à travers les significations linguistiques pertinentes associées aux compléments cognitifs appropriées, ce « vouloir dire », objet de la traduction selon l‟approche 62

Il se présente sous forme déverbalisée, une sorte de contenu mnésique, de « souvenirs cognitifs », préalablement acquis et emmagasiné dans la mémoire du lecteur.

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interprétative, se distingue donc d‟une part, de « l‟intention de dire », subjective et hypothétique, et d‟autre part, du «dit», objet « fétiche » de la traduction pour les approches linguistiques et philosophiques, c'est-à-dire les mots et les expressions du texte. Pour la TIT, le dire est certes, « le vecteur de la communication, mais pour que celle-ci aboutisse, il faut que ce qui est dit soit interprété de façon à faire émerger le vouloir-dire » (Durieux 1998 : 21). En effet, dans la visée communicative de l‟auteur, le vouloir dire de celui-ci ne se confond pas avec la signification des mots, car : « l‟interprète qui se concentre sur l‟appréhension des idées, comme le fait tout auditeur normal, ne s‟intéresse pas à ce que veulent dire les mots mais à ce que veut dire la personne qui parle » (Seleskovitch 1986 : 109). Ce qui compte, c‟est ce que l‟auteur veut que ses lecteurs/auditeurs comprennent. 4.1.3.1. Les unités de sens : les pièces du puzzle ! Si ce vouloir dire émerge spontanément dans l‟esprit de l‟auditeur ou de l‟interprète de conférence professionnel à l‟écoute de chaque énoncé, pour les textes écrits, le même mécanisme se produit : la saisie du sens global par le lecteur natif ou le traducteur professionnel se constitue peu à peu à partir des « unités de sens » qui « ne se recouvrent ni avec les unités de discours que découperait une analyse syntaxique, ni avec des équivalences préétablies définissant un lien fixe avec la formulation en langue originale (Lederer 1976 [2001] : 32). Ce concept d‟« unité de sens » désigne, selon Lederer, une « unité minimum de compréhension, en-deçà de laquelle il n‟y a pas encore de sens, mais seulement des mots avec chacun leurs signification propre, et au-delà de laquelle commence la communication » Lederer (Ibid. : 41). Avant de communiquer le vouloir dire de l‟auteur, ces unités se communiquent entre elles, s‟interprètent, se complètent, d‟où la nécessité des les considérer comme un tout. Elles agissent comme des pièces de puzzle, où chacune apporte un détail supplémentaire jusqu'à former le portrait voulu. Le nombre de ces pièces peut (doit) être différent d‟une langue à l'autre, d‟un traducteur à l'autre, mais l‟image reconstituée doit être la même. Ces unités de sens sont également observables aux réactions qu‟elles déclenchent, autrement dit, l‟effet63 qu‟elles génèrent sur le lecteur du texte. Communiqué par le texte, prévu par l‟auteur et perçu par le lecteur natif, cet effet est intrinsèquement lié au vouloir dire de du texte. Il peut être émotif, esthétique ou cognitif. En fait, la TIT définit la traduction comme « devant produire le même effet cognitif et émotif sur ses lecteurs que le texte original sur les siens » (Lederer 1987 : 12). C‟est sur ces unités de sens qu‟intervient le traducteur par l‟explicitation, tout en considérant les apports des autres unités de sens antérieures et ultérieures. Nous y reviendrons. 63

Nida est l‟un des premiers à évoquer le concept de l‟effet dans le cadre de l‟équivalence dynamique : « the people must “feel as well as understand what is said” » (Nida 1969:25). Cette idée est largement admise dans la plupart des recherches traductologiques comme le confirme Newmark (1981 : 10) « it is widely agreed that producing the same effect on the readers of his or her translation as was produced on the readers of the source text to the highest extent possible should be the main aim of the translator ». Cette notion de l‟effet s‟exprime parfois sous d‟autres étiquettes linguistiques comme l‟équivalence pragmatique ou fonctionnelle (House (1997), Koller [1979] 1989 : 102).

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4.1.3.2. La traduction par équivalence de sens et d‟effet Selon la TIT, la compréhension interprétative du sens s‟accompagne d‟un oubli partiel ou total des mots du discours « la déverbalisation », mais le vouloir dire subsiste dans un état préverbal dans l‟esprit du traducteur. Dans une opération de traduction, tout change : les langues avec leurs propres synecdoques, les lecteurs avec leurs bagages cognitifs, les cultures avec leurs propres réseaux référentiels, la situation de traduction avec ses nouveaux acteurs et facteurs, etc. Seul demeure inchangé, de façon intangible, mais parfaitement perceptible, le vouloir dire initial. La tâche du traducteur consiste alors à restituer ce sens « déverbalisé », en choisissant librement et spontanément le juste rapport entre l‟implicite et l‟explicite qui va convenir à la langue-culture d‟arrivée. Ainsi seulement le texte traduit pourra être considéré comme équivalent sur le plan notionnel, émotionnel et esthétique au texte de départ. Cette réexpression du sens s‟effectue grâce à la création des « équivalences de sens » ou équivalences discursives pour chaque « unité de sens » du texte considérée dans son intégralité et non sous l‟angle des léxèmes qui la composent, rompant ainsi avec la conception linguistique qui procède par « correspondances » linguistiques. Lederer différencie ces deux stratégies en ces termes : « les premières s‟établissent entre des textes, les secondes entre des éléments linguistiques, mots, syntagmes, figements ou formes syntaxiques » (Lederer 1994 : 51). La correspondance se rapporte donc à la langue en tant que système, au texte en tant que séquence linéaire d‟unités linguistiques et à la traduction en tant qu‟opération de transcodage au cours de laquelle le traducteur remplace les unités du texte de départ par des unités équivalentes dans la langue d‟arrivée. Une correspondance existe avant la traduction. Elle est consignée dans les dictionnaires bilingues ou considérée comme l‟équivalent sémantique ou fonctionnel d‟un élément donné. En revanche, l‟équivalence interprétative, selon la TIT, a trait au discours, et non à la langue, au texte dans sa globalité, et à la traduction et non au transcodage. Elle est le produit d‟une interprétation du vouloir dire du texte. Elle relève de l‟ordre du déductible, de l‟interprétatif, du discursif et privilégie la créativité. Çtant un produit de la traduction, l‟équivalence n‟existe que par la traduction, et non avant elle. Cette conception de l‟équivalence interprétative, appelée aussi discursive, implique deux conséquences : d‟abord, il n‟est plus question de rechercher des correspondances de langue, mais des équivalences de discours ; il peut y avoir une correspondance au niveau du dire, mais aucune adéquation au niveau du vouloir-dire, d‟où la méfiance vis-à-vis de l‟emploi quasi systématique de certaines correspondances préétablies64. Ensuite, il est dès lors légitime de concevoir des 64

Il n‟en demeure pas moins que le modèle interprétatif, basé sur la pratique réelle et réussie de la traduction, admet qu‟il existe certains cas où la traduction par correspondances est possible. Il s‟agit seulement des cas où le traducteur n‟a pas besoin de modifier le rapport explicite/implicite du sens dans le texte d‟arrivée, du fait de l‟existence de formes d‟expressions identiques entre les deux langues ou de la disponibilité des mêmes compléments cognitifs auprès de deux lectorats du texte de départ et d‟arrivée. Ces identités de désignations synecdoquiennes et de

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ajouts dans le texte traduit afin de recréer une chaîne discursive permettant l‟interprétation d‟un sens identique. 4.1.3.3. L‟équivalence est une création discursive ad hoc L‟adéquation de ces équivalences dans le texte traduit repose sur deux fondements : la reconsidération du nouveau rapport explicite/implicite et la prise en compte des connaissances cognitives présumées chez le lecteur. S‟agissant du premier fondement, le traducteur devrait créer, lors de la réexpression du sens, une équivalence de sens basée sur un nouveau rapport explicite/implicite. Cette stratégie ne se réalise pas par la traduction de la synecdoque linguistique ou discursive elle-même, mais par la création d‟une autre synecdoque équivalente. Traduire en se contentant de transposer les traits saillants que choisit la langue de départ pour désigner une notion risque non seulement de nuire à l‟intelligibilité de la traduction, mais plus grave encore, de fausser le sens. Lederer (2004 : 127) déclare à ce propos : « Le principe de la synecdoque explique pourquoi il est illusoire de vouloir traduire la langue : au niveau des mots comme au niveau du discours, il n'est pas possible de traduire uniquement l'explicite, la synecdoque, car dans l'autre langue, le tout sera désigné par une synecdoque différente. […] On a donc d'une langue à l'autre un seul référent mais deux explicites différents pour le désigner ». Quant au deuxième fondement, ces équivalences sont formulées de façon ad hoc en fonction des connaissances cognitives présumées du destinataire. En effet, par l‟équivalence, le traducteur s‟adapte aux connaissances du lecteur cible en lui apportant les compléments cognitifs nécessaires à la compréhension du sens, tout en tenant compte de la globalité du texte traduit et de son contexte cognitif comme nous l‟avons déjà expliqué. Selon cette conception de la traduction, le traducteur occupe une place privilégiée qui lui permet de prendre les décisions nécessaires lors de la reformulation. Il ne se laisse pas enfermer dans une simple opération de transcodage par correspondances, mais au contraire, il jouit d‟une assez grande liberté quant aux choix des équivalences qu‟il juge les mieux adaptées à chaque situation et à chaque « unité de sens ». Le corollaire de cette liberté est la fidélité au sens appréhendé qui est, rappelons-le, identique au vouloir dire de l‟auteur. L‟équivalence de sens est atteinte dès lors que toutes les idées contenues dans un texte sont transmises, de la manière la plus appropriée, en fonction du message à transmettre. Le traducteur fait jouer ses connaissances encyclopédiques, ses compétences linguistiques et son savoir-faire professionnel pour aboutir au meilleur résultat, de façon originale, créative et surtout rigoureuse.

situations communicationnelles sont l‟exception ; la règle reste néanmoins l‟existence de différences aux deux niveaux linguistiques et situationnels, d‟où le besoin de création d‟équivalences adéquates et adaptatives.

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4.1.4. L‟explicitation selon le modèle interprétatif De tout ce qui précède, il ressort clairement que la question de l‟explicitation est au cœur de la réflexion théorique de la TIT par l‟intérêt qu‟elle porte au rapport explicite/implicite et par sa conception de la traduction à travers la stratégie de l‟équivalence discursive. C‟est ainsi que Lederer (1994 :126) déclare que : « Le principe de l‟explicitation est fondamental en traduction ». Comme stratégie de traduction, l‟explicitation trouve son application dans ce nouveau rééquilibrage du rapport explicite/implicite, qui consiste à gonfler parfois les synecdoques, c'està-dire les parties explicites dans le texte traduit afin d‟assurer la bonne transmission du sens global d‟une façon aussi fidèle que possible. La tâche du traducteur, qui procède à l'explicitation, consiste alors à trouver le bon dosage susceptible de véhiculer le sens dans toute sa plénitude, même au prix de l‟augmentation de la partie explicite : « le traducteur veille à ce que le rapport explicite-implicite permette au nouveau lecteur de ne rien perdre du sens. Dans le cas où les implicites du texte original ont peu de chances d‟être saisis par le nouveau lecteur, le traducteur procède à «l‟explicitation» » (Lederer 1994 : 126). Cette augmentation de la partie explicite, dû à la conversion de certaines informations suggérées dans la partie implicite, dépend de l‟évaluation préalable des connaissances cognitives supposées des lecteurs. Cette conception répond parfaitement à la question de la légitimité des écarts explicitants. En effet, cet impératif de rééquilibrage de la partie explicite, en l‟augmentant ou en la rendant plus aisément intelligible, justifie les additions de compléments cognitifs nécessaires pour l‟appréhension du vouloir dire global de tout le texte. L‟adaptation aux normes et habitudes langagières des lecteurs cibles rend tout aussi légitime l‟utilisation de synecdoques linguistiques et discursives plus longues ou différentes. En outre, concevoir l‟explicitation, dans le cadre général de la stratégie de l‟équivalence, permet d‟expliquer raisonnablement la variation des explicitations d‟un texte à l'autre. L‟explicitation participe, elle-aussi, d‟une création discursive qui n‟a d‟existence qu‟en cas d‟absence de correspondances préétablies capables de transmettre le sens dans toute sa plénitude et pertinence. Par cette stratégie, le traducteur procède à une analyse discursive de l‟ensemble des unités de sens, et décide ensuite lesquelles de ces unités méritent d‟être explicitées et lesquelles peuvent être laissées à la capacité déductive du lecteur. Pour illustrer l‟ensemble de ces considérations théoriques, nous allons citer deux exemples d‟explicitations puisés dans un article de Lederer 2004. Analysant les problèmes de la transmission du culturel à partir d‟extraits du premier chapitre du roman La fille du capitaine (1836), traduit du russe en français par Raoul Labry, en 1947 et réédité plusieurs fois, Lederer (2004) présente ces deux exemples sur la traduction des mots culturels : « diadka » et « niedorosl ». Comme il n‟existe pas de vocables français qui correspondent exactement à ce à quoi renvoient ces deux mots russes, le traducteur explicite le premier terme par une périphrase insérée définissant son sens dans ce roman et ajoute ensuite le

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terme d‟origine entre parenthèses : "A partir de cinq ans, je fus remis aux mains du piqueur Savélitch, promu, pour sa tempérance, à la dignité de serviteur attaché à ma personne (diadka)". (Lederer 2004 : 124). De même, il explicite le terme « niedorosl » par une longue périphrase de sept mots : Je vivais comme tout jeune noble campagnard, avant l'âge de servir…".(Ibid.: 124). Lederer commente cette explicitation en disant qu‟elle « fournit au lecteur, de la façon la plus simple et la plus lisible, le renseignement utile. Il ne traduit pas la langue, il transmet l'aspect culturel grâce à une équivalence de texte » (Lederer 2004 : 125). Afin de mieux cerner les différents apports de cette approche et les mettre en parallèle avec ceux des autres approches déjà examinées, nous allons à présent appliquer ses concepts opératoires à notre exemple tiré du corpus du MD. 4.1.4.1. Application de ce modèle sur l‟exemple nº 1 Voyons d‟abord comment F. Lordon, l‟auteur de l‟article, a dosé l‟implicite de son texte par rapport à son évaluation des connaissances cognitives partagées chez les lecteurs français du MD. Nous verrons ensuite comment le traducteur du MD a tenté de rééquilibrer le rapport implicite/explicite, par l‟explicitation, à l'attention des lecteurs arabes, afin de leur transmettre le vouloir dire global de ces énoncés, y compris l‟effet ressenti par le lecteur natif. L‟auteur semble partir du fait que ses lecteurs natifs ont déjà intégré dans leur bagage cognitif les connaissances nécessaires à l‟identification de toutes les références culturelles et les noms propres cités dans l‟énoncé. Ainsi, il n‟a donné aucune information supplémentaire sur la nature de l‟organisation « Attac », ni sur l‟orientation politique des quotidiens « Libération » et « l‟Humanité », ni sur la fonction de « Laurent Joffrin » et de « Bertrand Delanoë », ni sur la vieille bande dessinée « Bécassine », ni sur les contes « la Belle au bois dormant » et « BlancheNeige », ni même sur certaines scènes spécifiques de ces contes, telle que l‟épisode de la « pomme » qu‟a tendue la sorcière à Blanche-Neige, ni celle de la reconnaissance par BlancheNeige des sept nains par le rapprochement qu‟elle opère entre leurs noms inscrits sur les lits et leurs mimiques et caractères. F. Lordon a ainsi pu exprimer ses idées avec une concision saisissante, produisant un texte allusif et ironique dans lequel l‟implicite est au moins aussi important que l‟explicite. En outre, l‟auteur ne table pas seulement sur le bagage cognitif de ses lecteurs, mais aussi sur les compléments cognitifs issus du contexte cognitif. Ainsi, dans notre exemple, l‟auteur n‟a pas donné d‟indication sur l‟identité de Favilla, car il l‟avait présenté dans l‟énoncé précédent comme étant l‟éditorialiste masqué des Echos. Dans son allusion au titre du nouvel éditorial supposé de Favilla, l‟auteur semble parier sur les connaissances issues du bagage cognitif du lecteur et celles issues du contexte cognitif. Pour les premières, il a dû supposer que les lecteurs ont déjà entendu parler d‟Olivier Besancenot, puisqu‟il a été candidat au nom de la LCR aux présidentielles en 2002 et 2007, et qu‟ils ont éventuellement entendu parler de sa fameuse phrase « il faut que ça pète » relayée peu de temps auparavant par la radio RMC et par certaines chaines d‟informations. Pour les secondes, l‟auteur

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a déjà fourni des indices contextuels en citant le passage de Favilla où il parlait des ressemblances entre l‟ancienne propagande communiste contre le capitalisme financier et le matraquage médiatique actuel en faveur du libéralisme. Le lecteur attentif ne manquera pas de percevoir l‟ironie du choix de ce titre évocateur, voire provocateur, qui consiste à dire que Favilla, l‟éditorialiste du journal économique libéral finira par adopter la position des communistes et appeler à la lutte contre ce fléau mondial qui ronge l‟économie du pays : le libéralisme. Un autre indice contextuel important est fourni par la mention des « habituels fâcheux d‟Attac » qui critiquent souvent les effets délétères de la mondialisation, comme les éditorialistes communistes de « l‟Humanité ». Toutes ces informations linguistiques et extralinguistiques sont censées fusionner dans l‟esprit du lecteur, faire émerger le sens voulu et produire l‟effet escompté. Du côté du traducteur, le changement de langue-culture et de lecteurs l‟oblige tout naturellement à prendre une autre posture, celle du médiateur culturel. Il cherche à rétablir l‟équilibre explicite/implicite rompu par ce transfert interlinguistique et interculturel, afin d‟assurer le bon déroulement du processus interprétatif du lecteur arabe qui risquerait sinon d‟interrompre sa lecture. Les ajouts introduits dans le texte arabe s‟expliquent donc par ce souci de rétablissement d‟un nouveau rapport ou l‟explicite prime sur l‟implicite, notamment au début de l‟article, contrairement au rapport initial. A y regarder de près, le traducteur semble partir de l‟hypothèse que les lecteurs arabes du MD novembre 2008 connaissent les deux contes des frères Grimm par le biais des dessins animés de Walt Disney, dont il existe plusieurs versions arabes. Il s‟est contenté de rappeler que « la Belle au bois dormant » est un « conte », laissant le lecteur déduire la portée sémantique de l‟emploi de cette référence en particulier dans ce contexte. Cependant, nous ne comprenons pas pourquoi il a remplacé le nom de « Blanche-Neige » par « la Belle au bois dormant » ? S‟agit-il d‟une simple confusion qui aurait pu être corrigée par le réviseur ou l‟éditeur ? Est-ce un choix prémédité qui pourrait s‟expliquer par le fait que, selon son estimation subjective, « Blanche-Neige » n‟est pas très connu dans le monde arabophone, du moins pas autant que l‟autre conte ? Et à cause de ce changement, la touche d‟ironie dans « reconnaître ses nains » risque de ne pas être ressentie par le lecteur arabe. En ce qui concerne la traduction de « mauvaise pomme » par « pomme empoisonnée », le traducteur tend une perche au lecteur, en lui fournissant un début d‟explicitation, espérant ainsi qu‟il saura décrypter l‟allusion à l'histoire de la sorcière. Pour les lecteurs qui ne connaissent pas Blanche-Neige, il subsiste un risque de mauvaise interprétation en pensant à la « pomme » qui a causé l‟expulsion d‟Adam et Ève du Paradis, cette histoire étant connue dans le monde arabophone. Quant à la référence à Bécassine, le traducteur semble partir du principe que cette vieille bande dessinée n‟est sûrement pas connue des lecteurs arabes, parfois même pas des jeunes lecteurs français, et qu‟il serait plus utile d‟interpréter directement le sens pertinent de l‟expression « la gauche Bécassine » par « gauche niaise », sans qu‟il soit nécessaire de conserver cette référence ou d‟ajouter une longue note la définissant. Mais ce choix l‟a amené à supprimer du même coup

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la note de l‟auteur précisant que cette gauche Bécassine fait l‟objet d‟un livre éponyme publié par Joffrin. Cette omission engendre une perte sémantique que le traducteur aurait pu récupérer en indiquant en note que Joffrin avait publié un livre sur cette partie de la gauche. Quant à l‟allusion dans la phrase « il faut que ça pète », nous pensons que le traducteur, basé au Liban et donc pas assez bien informé de l‟actualité en France, n‟a pas su en déchiffrer le sens implicite. Et pour cause, le traducteur ne peut pas compter, comme l‟a fait l‟auteur, ni sur le bagage cognitif du lecteur arabe, qui n‟a sans doute pas entendu parler de Besancenot, ni sur les indices contextuels dont le sens ne s‟actualisent pas facilement. La seule explication plausible est que le traducteur lui-même n‟a pas compris l‟allusion. Ceci dit, le lecteur arabe saisit quand même l‟idée générale qui consiste à dire que Favilla va encore sortir une déclaration diamétralement opposée à ce qu‟il soutenait avant. Enfin, la traduction de l‟expression « les bienfaits du marché » par « les vertus de l‟ouverture au marché » peut être considérée comme une désignation synecdoquienne que le traducteur a jugé plus explicite et donc plus apte à transmettre l‟idée ainsi exprimée en français. Au regard des deux textes, nous pouvons dire que le traducteur a tenté de créer des équivalences de sens et d‟effet, au niveau de certaines unités de sens, mais que le vouloir dire global de l‟auteur dans ces deux énoncés n‟est pas encore assez clair. En relisant le texte traduit dès le début, en nous mettant dans la peau d‟un lecteur profane, nous nous sommes rendu compte que la traduction exigeait beaucoup d‟efforts interprétatifs pour accéder au sens pertinent et ressentir le même effet voulu. Ceci tient au fait que les informations ajoutées ne sont pas, à notre avis, toujours pertinentes et suffisantes. Elles restent limitées à la fonction référentielle des éléments culturels cités, en déléguant la tâche de déduction du sens pertinent au lecteur. Le traducteur s‟éloigne peu à peu de la littéralité du texte de départ en s‟approchant petit à petit du vouloir dire, mais sans atteindre la plénitude du sens. Quant à l‟intention de dire de l‟auteur, le traducteur s‟est gardé, par choix ou par manque de compréhension, de verser dans l‟exégèse. Une telle éventualité se serait produite si le traducteur avait choisi de traduire la « gauche Bécassine » par une note disant que cela fait allusion à Ségolène Royale par exemple, ou à un autre éléphant socialiste dont la position est défavorable au libéralisme financier. Bien que les concepts élaborés par la TIT soient extrêmement intéressants pour mieux cerner le phénomène de l‟explicitation, ce modèle n‟a pas assez théorisé sur les aspects pratiques de l‟étape de la réexpression. Un manque que nous allons tenter de suppléer en poursuivant notre enquête sur les autres approches de traduction. Mais avant cela, analysons quelques études se réclamant du modèle interprétatif pour voir comment les autres chercheurs considèrent l‟explicitation. 4.1.5. L‟explicitation telle que conçue dans certaines études inscrites dans ce cadre de la TIT Nous présentons brièvement trois études qui abordent la problématique de l‟explicitation dans le cadre d‟analyses effectuées sur d‟autres questions de traduction, à savoir la conception de méthode de traduction, l‟analyse du rôle de la note du traducteur et la typologie des techniques de traduction.

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4.1.5.1. L‟explicitation comme procédé de renforcement selon la méthode de Delisle L‟explicitation est traitée dans le cadre d‟une méthode de traduction, proposée par Delisle (1980) et fondée sur l‟analyse du discours. Il s‟agit d‟une approche textuelle65 de la traduction qui s‟inscrit dans le cadre de la théorie interprétative de la traduction. Il opère la même distinction entre la correspondance et l‟équivalence et apporte plus de détails sur son application en traduction. Celle-ci se fait moyennant plusieurs procédés qui peuvent être classés, en fonction de leurs résultats, en deux catégories : le renforcement et l‟économie. La première consiste à utiliser plus de mots dans le texte cible pour exprimer l‟idée du texte source. Elle comprend trois procédés : la dilution, l‟explicitation et la périphrase. La deuxième suit le cheminement inverse et comprend trois procédés opposés : la concentration, l‟implicitation et la concision. Il ressort clairement que l‟explicitation est une technique de traduction qui procède de la réalisation de la stratégie générale de l‟équivalence. Dans Terminologie de la traduction (1999), Delisle et al., définissent l‟explicitation, comme étant le « résultat d‟un étoffement qui consiste à introduire dans le texte d‟arrivée, pour plus de clarté ou en raison de contraintes imposées par la langue d‟arrivée, des précisions sémantiques non formulées dans le texte de départ, mais qui se dégagent du contexte cognitif ou de la situation décrite » (Delisle et al. 1999 : 37). Il avance les exemples suivants pour illustrer cette conception de l‟explicitation : 1- « Kean returned to London, leaving a trail of furious managers and mixed reviews behind” traduit par « Kean rentra à Londres et laissa derrière lui de nombreux directeurs de théâtre mécontents et de critiques partagés » ; 2- « Gender gap » rendu par « l‟écart entre le vote féminin et le vote masculin » ; 3- « Best before » traduit par « à consommer de préférence avant le » ; 4- « Confiscation révolutionnaire » traduit par « seized during the French Revolution » (Delisle 1999 :138) ; 5- Le 4 juin 1958, le général de Gaulle se rend à Alger. Il y prononcera ce fameux « Je vous ai compris », si mal compris à l‟époque. La traduction en anglais: « On June 4, 1958, General Charles de Gaulle arrived in Algiers to announce that he would ensure that Algeria remained a French colony (when in fact he knew he wouldn‟t) » (Ibid. : 139). D‟après la définition de Delisle, ces explicitations sont justifiées, soit par un implicite déductible du contexte (exemple 1), soit par une contrainte linguistique comme le manque de correspondance linguistique (exemple 2), soit un souci de clarification d‟une information qui risque d‟échapper au lecteur (exemple 4 et 5). En revanche, l‟explicitation dans l‟exemple 3 ne nous semble pas aussi bien justifiée. En effet, cet exemple prête à confusion car cette traduction peut être perçue, selon l‟approche interprétative, comme un équivalent fonctionnel préétabli par 65

Pour lui, toute traduction doit être précédée d‟une analyse textuelle, au moins au niveau typologique, pour assurer la validité de la compréhension- et donc de l‟interprétation- qui s‟en suit. Cette analyse devrait porter sur le sens du texte, le contexte, le type du texte, la finalité et l‟idéologie du texte à traduire. Les résultats de cette analyse nous détermineront la méthode de traduction adaptée (Delisle 1980 :22).

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l‟usage linguistique dans la langue cible. Le traducteur n‟a pas ajouté expressément des précisions sémantiques pour clarifier le sens, mais il a simplement utilisé une correspondance linguistique préassignée. Le propre d‟une équivalence discursive est d‟être ad hoc et inédite. Ce qui n‟est pas le cas ici. Remarquons également que l‟augmentation de la partie explicite, au sein du texte, peut aller jusqu'à l‟introduction de plusieurs mots (exemple 2) ou d‟une longue incise (exemple 5). Le volume importe peu dès lors que le nouveau rapport explicite/implicite permet au lecteur d‟induire aisément et surement le sens voulu. Néanmoins, ces exemples sont décontextualisés. Dans une approche textuelle et interprétative comme la sienne, ces mêmes éléments seront explicités différemment, en plus ou en moins, selon le besoin contextuel de chaque texte. 4.1.5.2. L‟explicitation et la note du traducteur selon Henry Henry analyse, sous la perspective de la TIT, un corpus de traductions de textes littéraires, où elle s‟intéresse particulièrement au traitement de l‟implicite et des référents linguistiques chargés de connotations culturelles. Il ressort de son analyse que la technique de la note du traducteur est fréquemment utilisée par les traducteurs pour résoudre les problèmes posés par certains implicites et certaines spécificités linguistiques dites intraduisibles, telles que les jeux de mots. Elle conçoit cette technique dans le cadre de la stratégie de l‟explicitation : « Il me semble que la notion traductionnelle au cœur de la problématique de l‟intraduisible et de la N.d.T. (note du traducteur) est celle de l‟implicite et, surtout, de l‟explicitation » (Henry 2000 : 65)66. En s‟appuyant sur le concept rapport explicite/implicite élaboré par la TIT et le concept du Lecteur Modèle d‟Eco (1985), Henry (Ibid. : 66) considère l‟explicitation comme un processus par lequel on cherche à remplir les espaces de non-dit ou de déjà dit qui ne sont pas explicitement exprimés dans le texte, à s‟adapter au savoir de l‟interlocuteur et à franchir un écueil de type lexiculturel. Ce dernier appartient, comme le définit Antoine (1998), « à l'implicite, non-dit, qui est au-delà des mots, des lexies. Il représente une valeur qui s‟ajoute aux mots que le traducteur doit traduire » (Ibid. : 65). En explicitant ce lexiculturel, le traducteur cherche à apporter des informations dosées et choisies en fonction des connaissances du destinataire de la traduction et du contexte cognitif qui se construit à la lecture de l‟œuvre. Cette étude inclut clairement la note du traducteur dans la stratégie de l‟explicitation. De plus, elle plaide en faveur de la prise en charge par l‟explicitation des connotations véhiculées par les mots. Nous y reviendrons dans les chapitres IV et V, consacrés respectivement à l'analyse des motivations et des techniques d‟explicitations dans le MD. 4.1.5.3. L‟explicitation comme procédé d‟amplification selon Molina et Hurtado Dans le cadre d‟une recherche entamée par Molina (1998), sous la direction de Hurtado, sur les éléments culturels dans les traductions en arabe de cent ans de solitude de Garcia Marquez, les 66

C‟est nous qui ajoutons les parenthèses.

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deux auteurs établissent une longue liste de dix-huit techniques de traduction qu‟elles appliquent à l‟analyse du corpus. Cette typologie comprend les techniques67 suivantes : l‟adaptation, l‟amplification, l‟emprunt, le calque, la compensation, la description, la création discursive, l‟équivalent standardisé, la généralisation, l‟amplification linguistique, la condensation linguistique, la traduction littérale, la modulation, la particularisation, la réduction, la substitution (linguistique, paralinguistique), la transposition et la variation (Molina et Hurtado 2002 : 509511). Cette typologie se base sur les classifications antérieures proposées par Vinay et Darbelnet (1958), Nida (1964), Vazquez Ayora (1977), (Margot 1979), Newmark (1988), Delisle (1993). Elle se veut une synthèse globale de ces classifications. Contre toute attente, le terme de l‟explicitation ne figure pas dans cette longue liste. Néanmoins, plusieurs techniques exposées relèvent, à notre avis, de la stratégie d‟explicitation. Il s‟agit notamment des techniques de l‟amplification, de la compensation, de la description, de la particularisation et de l‟équivalent discursif. Cela témoigne d‟un certain flou conceptuel et terminologique dont pâtit cette notion, pourtant centrale dans la TIT. C‟est la technique de l‟amplification qui nous semble le plus relever de la stratégie d‟explicitation. En effet, cette technique consiste, selon Hurtado (2002 : 510), à introduire des précisions n‟ayant pas été formulées dans le texte original : informations, paraphrases explicatives, notes du traducteur, etc. Elle donne l‟exemple de la traduction du « Ramadan » par « the Muslim month of fasting to the noun Ramadan ». Définie comme une technique consistant à remplacer un terme ou une expression par la description de sa forme et/ou fonction, la technique de la « description » de Hurtado correspond, à notre avis, à celle de « l'équivalent descriptif » de Newmark, aux « amplifications lexicales » de Nida et à la description basée sur les universaux culturels chez Mounin ; lesquels se recoupent tous avec l‟explicitation. La traduction du terme italien « panettone » par « the traditional Italian cake eaten on New Year‟s Eve », illustre, d‟après les auteurs, cette technique. Présentée ainsi, elle nous semble bien relever de la stratégie d‟explicitation. La technique de la « particularisation », à l'opposé de la « généralisation », consiste à utiliser un terme plus précis ou concret, comme la traduction du terne anglais « window » par « guichet » en français. Bien qu‟elle n‟implique pas d‟augmentation de la partie explicite, cette technique peut être porteuse d‟explicitation, parce qu‟elle apporte une précision de sens, de façon très économe. C‟est le cas par exemple de la traduction de « mauvaise pomme » par « pomme empoisonnée » dans l‟exemple nº 1. En effet, dans ce contexte, ce choix spécifique du terme arabe déclenche 67

Elles entendent par techniques de traduction, des procédés dynamiques et fonctionnels que les traducteurs appliquent au niveau des textes traduits. Elles s‟inscrivent dans le cadre de stratégies générales de traduction qui agissent plutôt au niveau du processus afin d‟indiquer au traducteur la méthode à suivre pour résoudre des problèmes de traduction. Nous souscrivons à cette distinction, d‟où l‟insistance sur le choix du terme stratégie en parlant de l‟explicitation en général et sur les techniques d‟explicitation en évoquant les différents procédés employés par les traducteurs comme la note du traducteur ou la périphrase.

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chez le lecteur toute une série d‟associations d‟idées, devant, normalement, aboutir à l‟émergence du sens voulu. Dans un autre contexte, ce syntagme peut être traduit littéralement ou par une équivalence interprétative libre comme « la pomme pourrie » s‟il s‟agissait simplement de désigner le fait que cette pomme n‟est pas propre à la consommation dans cet état. C‟est le contexte qui permet de se prononcer sur l‟adéquation de tel ou tel choix traductif. Nous y reviendrons.

4.2. L‟explicitation du point de vue du modèle inférentiel : le couple intention/inférence S‟inscrivant dans le cadre de la conception communicationnelle de la traduction, les approches inférentielles s‟inspirent de différentes disciplines comme la linguistique du texte, la pragmatique, la logique, la sociologie, les théories de la communication, etc. Pour conduire leurs recherches, elles se basent souvent sur l‟analyse de discours. Leurs réflexions théoriques sont axées principalement sur l‟analyse psycholinguistique des mécanismes de production et l'inférence68du sens dans une situation de communication. Leurs concepts opératoires sont ensuite appliqués à la traduction, celle-ci étant perçue comme une situation de communication spécifique. Parmi ces concepts, nous nous intéressons particulièrement au principe de la coopération interprétative, aux maximes conversationnelles et au principe de la pertinence. A la base des approches inférentielles, écrit Jacques Moeschler (1996 : 29-30), se trouvent trois idées fondamentales : 1- Le sens communiqué d‟un énoncé est généralement implicité ; 2- La récupération du sens communiqué se fait via un calcul inférentiel ;

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Kerbrat-Orecchioni (1986 : 24) appelle inférence « toute proposition implicite que l‟on peut extraire d‟un énoncé, et déduire de son contenu littéral en combinant des informations de statut variable (interne ou externe) ». Ces inférences correspondent aux implicatures de Grice qui impliquent que le lecteur tente par des opérations déductives de combler les zones d‟ombres ou les blancs du texte, à l'aide des indices contextuels fournis par le texte. Ce processus de raisonnement inductif repose sur l‟aptitude à savoir remplir les silences du texte, à mettre en relation des informations et à les hiérarchiser pour mieux saisir le vouloir dire de l‟auteur. Denhière et Baudet (1992 : 81-85) proposent deux catégories d‟inférence : celles de liaison et celles d‟enrichissement. Les premières consistent à « articuler entre elles les propositions construites à partir de l‟information directement apportée par le texte. Elles assurent la cohérence de la représentation mentale construite à partir du texte en comblant les trous subsistant entre des énoncés explicites ». Ces inférences de liaison agissent dans le cadre des explicitations textuelles, au sens de Blum-Kulka, visant à renforcer la cohérence du texte en apportant quelques ajouts dissipant une éventuelle ambiguïté. Les deuxièmes relèvent de « l‟intégration de l‟information fournie dans un cadre de connaissance qui permet, soit de spécifier des aspects non explicités dans le texte, soit de relier le texte dans son ensemble à des connaissances non explicitées». Elles peuvent donc porter sur divers éléments du texte source nécessitant quelques explicitations par l‟ajout ou la spécification. Quel que soit le type d‟inférence sollicitée, le traducteur devrait assurer à son lecteur les conditions optimales pour le bon déroulement du processus de l‟inférence du sens. L‟échec de l‟inférence implique un déséquilibre du rapport explicite/implicite, ce qui se solde à son tour par des problèmes de perte ou d‟ambiguïté de sens.

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3- Le calcul inférentiel est déclenché par des règles pragmatiques (principe de coopération et maximes conversationnelles Ŕ de quantité, de qualité, de pertinence et de manière […] et principe de pertinence […]) Selon ce modèle, « le processus mis en œuvre par les interlocuteurs en situation de communication n‟est plus le codage/décodage, mais l‟intention/inférence. D‟où l‟importance des éléments cognitifs (en sus des signaux codés) dans la communication verbale » (Bastin 1993 : 474). La compréhension de cette conception devrait nous permettre de savoir comment déduire ce sens implicité grâce au calcul inférentiel, et puis surtout comment le réexprimer de façon optimale dans le texte traduit. Nous allons voir en quoi, et dans quelles conditions, l‟explicitation pourrait être un moyen d‟optimiser l‟inférence du sens par le destinataire de la traduction. 4.2.1. Le principe de la coopération interprétative : le lecteur-interprète Pour Grice (1975), le but central de la communication humaine est de reconnaître l'intention communicative de l'interlocuteur, c'est-à-dire le vouloir dire du locuteur, car, selon lui, ce qui est dit avec les mots (what is said), ne correspond pas tout à fait au vouloir dire (what is meant). Ce qui importe, c‟est le sens que vont acquérir ces mots grâce à leur mise en contexte. Pour cerner les mécanismes de ce processus, il pose l‟hypothèse qu‟il y aurait à l'œuvre dans chaque acte de communication un principe d'économie dans le langage, visant à ne dire que ce qui est pertinent. Les comportements du locuteur dans la communication sont donc censés être coopératifs, afin d‟aboutir à des énoncés pertinents que le destinataire peut comprendre aisément. Cette coopération de la part du locuteur est sous-tendue par une conduite rationnelle, caractérisée par le respect ou la violation ostensible de règles appelées « maximes conversationnelles » (Grice 1975 : 45-46) que sont la quantité, la qualité, la pertinence et la manière. 4.2.2. Les quatre maximes conversationnelles de Grice Pour être coopératif, le locuteur doit utiliser ou exploiter l‟une ou l‟ensemble de ces maximes : La maxime de la quantité impose que la contribution du locuteur contienne autant d‟informations qu‟il est nécessaire dans la situation, mais pas plus : « Make your contribution as informative as is required (for the current purposes of the exchange) […] Do not make your contribution more informative than is required» Grice (1975 : 45). La maxime de la qualité exige la sincérité du locuteur, qui ne doit pas mentir et qui doit avoir de bonnes raisons d‟affirmer ce qu‟il affirme (Ibid. : 45). La maxime de la pertinence impose que l‟on parle à propos : «Be relevant» (Ibid. : 46). La maxime de la manière postule que l‟on s‟exprime clairement, c‟est-à-dire brièvement, sans obscurité, sans ambiguïté et de manière ordonnée (Ibid. : 46). Il faudrait comprendre que ces maximes ne constituent pas des règles pour produire de bons énoncés, mais plutôt des règles qui sont régulièrement et ostensiblement violées, dans la réalité,

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pour produire ce que Grice appelle des « implicatures conversationnelles »69. Celles-ci se réfèrent à ce qui est suggéré ou exprimé par un locuteur, de façon implicite, et qu‟il faut comprendre via un processus d‟inférence basée sur la connaissance du contexte et de l‟environnement cognitif. En effet, si l‟énoncé d‟un texte respecte ces maximes, c'est-à-dire s‟il contient suffisamment d‟informations pertinentes formulées de façon ordonnée et sans ambiguïté, si le locuteur peut déduire et comprendre facilement, il est jugé conforme aux conventions communicatives d‟un côté et aux attentes du destinataire de l‟autre côté. Le processus de l‟interprétation de l‟information se déroule correctement et l‟énoncé devient intelligible. Nul besoin donc d‟explicitation. En revanche, si l‟énoncé ne respecte pas l‟une des maximes citées, ce qui arrive souvent, en vertu du principe de l‟économie du langage, ou de celui de la synecdoque pour reprendre le terme de la TIT, il n‟est pas jugé erroné ou sans signification, loin s‟en faut. Mais le processus d‟interprétation de sa signification en contexte rencontrera quelques problèmes et il faudrait dès lors procéder à « l'inférence » pour déchiffrer cette « implicature », comme l‟appelle aussi Carston (1988, 2002). En situation de communication normale, les participants engagés dans un échange monolingue sont censés appliquer les deux principes à la fois : celui de l‟économie du langage par le locuteur et celui de la coopération interprétative par l‟interlocuteur. En situation de traduction, l‟implicature conversationnelle suscite souvent une intervention de la part du traducteur pour faciliter au lecteur le calcul inférentiel de ce qui a été tu, et qu‟il n‟est pas en mesure de déduire tout seul. Cela mène, dans la pratique de la traduction, à la mise en œuvre de la stratégie de l‟explicitation, qui sert à fournir les éléments nécessaires pour faire tourner la machine interprétative et assurer la coopération du lecteur. 4.2.3. Le principe de la pertinence : optimiser l‟inférence S‟inscrivant dans la continuité de l‟approche inférentielle de Grice, le principe de la pertinence de Sperber et Wilson (1989) constitue la toile de fond théorique de ce qu‟on appelle la « théorie de la pertinence ». Ce principe consiste à dire que tout énoncé communique la présomption de sa pertinence optimale et que la plus importante faculté mentale qui permet aux hommes de communiquer est celle de pouvoir déduire le sens du message à partir des circonstances qui entourent sa production. Cette faculté de déduction du sens est un trait spécifique à l'esprit humain qui permet de maximiser la pertinence et par conséquent les effets cognitifs avec un minimum de mots et d‟efforts (Sperber et Wilson 1986 : 260). L‟être humain fonctionne donc comme un puissant dispositif de traitement de l'information. Pour expliquer ce processus de tri et de sélection de l‟information pertinente, l‟approche inférentielle de Sperber et Wilson (1986, 1989) attache une importance particulière au contexte cognitif. En effet, selon cette approche, un locuteur va fournir à son interlocuteur un certain 69

Grice distingue en fait deux types d‟implicature : l'implicature conversationnelle qui dépend du contexte de la conversation et l'implicature conventionnelle dépendant de l'énoncé lui-même.

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nombre d'indices qui, mis en parallèle avec le contexte, vont lui permettre d'inférer l'intention communicative. Pour que le texte soit pertinent et que l‟inférence soit optimale, il faut tenir compte de ce contexte. Celui-ci intègre des informations de sources diverses ; il ne se limite pas aux aspects linguistiques et sémantiques de la communication, mais il se forme des connaissances encyclopédiques stockées dans la mémoire à long terme, des interprétations des énoncés précédents conservées dans la mémoire à moyen terme et enfin des informations perceptibles dans l‟environnement physique où se produit la communication, qui sont stockées dans la mémoire à court terme. Ainsi conçu, le contexte cognitif n‟est pas figé, mais il est construit et reconstruit pour l‟interprétation de chaque énoncé70. En appliquant ce principe à la traduction, traduire serait mettre en place une stratégie susceptible de réduire l‟effort interprétatif et maximiser la pertinence. Comme tout acte d‟énonciation, une traduction serait jugée non pertinente si elle demandait beaucoup d‟effort d‟interprétation (processing effort) (Sperber 2005 : 64, Wilson 2009 : 394). Cela se produit souvent lorsqu‟il s‟agit de traduire des passages difficiles ou des éléments linguistiques ou extralinguistiques nécessitant l‟apport d‟informations contextuelles pour la saisie de leur sens. Si le traducteur laisse ces éléments implicites, il applique le principe de l‟économie du langage, mais il contrevient au principe de la pertinence et risque de perdre la coopération interprétative du lecteur, ce qui pourrait se solder par l‟échec de la communication, en l‟occurrence la traduction. Dans une telle situation, il est clair que la stratégie de traduction la plus adéquate pour permettre aux lecteurs de saisir de façon optimale l‟implicature, tout en réduisant le coût interprétatif, est, de loin, l‟explicitation. A l'instar du principe de la pertinence, mais venant d‟un autre horizon théorique, la théorie du jeu mise au point par le mathématicien John von Neumann, Jiri Lévy (1967) élabore un concept opératoire important que nous avons jugé utile d‟annexer au modèle inférentiel. Il s‟agit de la stratégie « minimax » qui pourrait nous permettre de rendre compte du phénomène de la variation des explicitations constatées dans le MD 2001-2011. 4.2.4. La stratégie minimax de Lévy : maximum d‟effets, minimum d‟efforts Lévy se base sur la théorie du jeu pour développer sa stratégie de traduction dite « minimax ». L‟idée de base est de trouver la meilleure stratégie d‟action dans une situation donnée, afin d‟optimiser les gains et minimiser les pertes. L‟idée de l‟optimisation développée dans cette stratégie psycholinguistique s‟appuie sur les mêmes principes énoncés ci-dessus, dans le sens où elle explique que les sujets parlants utilisent un minimum d‟effort pour communiquer le maximum d‟informations. En traduction, les sujets traducteurs font également appel, selon Lévy, à cette stratégie de façon intuitive en cherchant à appliquer de façon pragmatique la solution de traduction qui réalise le maximum d‟effet avec le minimum d‟effort. 70

Les similitudes avec la conception interprétative de la TIT sont flagrantes, d‟où notre décision de les classer ensemble dans le cadre de la conception communicationnelle de la traduction.

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En effet, Lévy conçoit la traduction comme un processus de prise de décision, dans lequel le traducteur choisit parmi des « instructions », c'est-à-dire des choix sémantiques et syntaxiques possibles afin d‟atteindre la solution optimale. Dans ce processus, chaque décision influe sur la prise des décisions suivantes, créant ainsi une chaine de choix successifs et interdépendants. L‟application de la stratégie minimax, dans le cadre de la prise de décisions par les traducteurs face à des contraintes ou des normes de traduction, devrait permettre au traducteur de réaliser le maximum d‟effet pour un minimum d‟effort (Lévy 1967 : 1171). Au sujet de l‟explicitation, Lévy constate, dans ces recherches expérimentales, que le traducteur « tends to explain the logical relations between ideas even where they are not expressed in the original text, to explain away any breaks in thougt or changes in perspective, to”normalize” the expression » (Lévy 1965 : 79). Cette tendance à l‟explicitation des relations logiques et à la « normalisation » de l‟expression s‟explique, selon lui, par le fait que les traducteurs sont souvent enclins à rendre le texte étranger intelligible aux lecteurs. Par ailleurs, certaines traductions peuvent même afficher des cas de surexplicitation « over translation », ce que Lévy considère comme un signe de médiocrité des traductions ainsi faites. Cet outil conceptuel nous permettra d‟affiner notre compréhension des mécanismes de l‟explicitation. L‟on pourrait désormais y voir un processus de prise de décision où chaque explicitation se présente comme une option parmi d‟autres dans une liste de solutions possibles et, une fois retenue, elle détermine les autres choix traductifs, y compris d‟autres explicitations. Ceci constitue un pas en avant vers la compréhension de ce phénomène et partant l‟élaboration d‟une conception globale et complète la concernant. Nous sommes, certes, assez loin de la conception linguistique et de ses thèses sur l‟intraduisibilité, mais il nous reste encore un long chemin à parcourir avant d‟atteindre notre objectif ultime. Voyons à présent comment cette approche inférentielle a été appliquée à la question de l‟explicitation, à travers l‟analyse de deux études menées sous cette perspective. 4.2.5. Quelques exemples d‟études inscrites dans le cadre du modèle inférentiel Nous exposons ici la conception qu‟ont élaborée Delport (1989) et Tenchea (2003) de l‟explicitation dans le cadre de leurs analyses de deux différents corpus de traduction.  L‟explicitation comme figure contrainte de traduction selon Delport Delport (1989) considère la traduction comme un acte de communication, et comme dans tout acte de communication, « le contexte, plus généralement la situation - linguistique et extralinguistique - apporte à l‟interlocuteur un certain nombre d‟informations et intervient amplement dans l‟interprétation qu‟il fait du message qu‟il reçoit». (Delport 1989 : 45).

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Sous cette perspective communicationnelle71, Delport considère le traducteur, d‟ailleurs métaphoriquement qualifié d‟omniscient (Ibid. : 45), comme un deuxième lecteur qui interprète et comprend le message et dont la tâche consiste ensuite à « redire » ce que le locuteur-auteur a dit, pour que de nouveaux interlocuteurs du texte-cible, les lecteurs de la traduction, reçoivent à leur tour le message de l‟auteur (Ibid. : 46). Pour y parvenir, le traducteur est libre de choisir la « figure de traduction » qui lui paraît la plus appropriée pour redire ce message. Par figure de traduction, Delport entend une technique de traduction que le traducteur choisit librement entre plusieurs autres options. L‟explicitation est l‟une de ces figures de traduction visant à reformuler le sens compris. Dans un corpus de plusieurs romans traduits entre le français, l‟anglais et l‟espagnol, Delport étudie les transformations textuelles résultant de l‟application de deux figures de traduction : l‟explicitation et l‟amplification. Pour déceler ces écarts, elle s‟est basée sur deux critères : d‟abord, les écarts ne doivent pas être obligatoires, dans le sens où ils ne sont pas motivés par des contraintes linguistiques, mais seulement par un choix libre du traducteur, ce qui cadre avec sa définition du concept de figure de traduction. Ensuite, elle adopte le concept d‟écart de Catford, pour identifier ces transformations entre les textes sources et traduits. En effet, pour Delport, c‟est la traduction littérale qui sert de point de référence pour détecter les variations et les ajouts, dans le sens où ces derniers ne se seraient pas produits si le traducteur avait simplement réalisé une traduction mot à mot72. Elle dégage de son analyse deux conclusions : d‟abord, la plupart des écarts constatés sont des ajouts qu‟elle explique par le fait qu‟« aucune traduction n‟évite à certains moments d‟ajouter, de dire plus que ne disait le texte-source » (Delport 1989 : 46) ; ensuite, la majorité de ces ajouts relèvent de l‟explicitation et l‟amplification qui sont fréquemment sollicitées par les traducteurs. L‟explicitation est donc perçue comme un choix facultatif et comme un ajout que le traducteur insère dans le texte sur la base de son interprétation du sens du message et de sa connaissance du contexte. Cependant, le traducteur n‟introduit pas de son plein gré des informations sans que cet ajout soit justifié, d‟où une distinction entre l‟explicitation et l‟amplification, qui génèrent toutes les deux des ajouts en traduction.  L‟explicitation versus l‟amplification En cas d‟amplification, le traducteur « ne se contraint pas à puiser dans les éléments potentiellement inclus dans la situation qu‟évoque le texte-source. Il ajoute, il développe, au gré de ce que son imagination lui présente». Néanmoins, cette amplification n‟est pas complètement inconditionnelle. Le traducteur est soumis, selon Delport, à une seule restriction : « la précision, 71

A cet égard, il importe de noter que, bien qu‟inscrite dans le cadre de l‟approche communicative, cette étude d‟écarts reste trop attachée aux aspects linguistiques. Ainsi, les exemples d‟explicitations relevées représentent souvent des cas où les traducteurs explicitent les déictiques, la relation logique reliant des faits évoqués dans deux propositions, ou une relation grammaticale, par sa lexicalisation, etc. 72 Nous reviendrons sur cette idée pour développer notre conception générale de l‟explicitation, comme nous l‟avons d‟ailleurs suggéré en début de ce chapitre.

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l‟explication apportées doivent être compatibles avec la situation évoquée par la phrase à traduire» (Delport 1989 : 48). Quant à l‟explicitation, l‟information ajoutée doit être implicite et déductible de la situation évoquée, et non seulement compatible avec cette situation, comme c‟est le cas de l‟amplification. Dans ses termes, Delport considère l‟explicitation comme « une figure libre quant à son existence, mais contrainte quant à son contenu ». Autrement dit, le traducteur peut ne pas expliciter, mais lorsqu‟il décide de le faire, il ne peut pas se permettre d‟ajouter quoi que ce soit en dehors des informations qui sont implicites dans le texte source et parfaitement déductibles par le lecteur natif.73  L‟explicitation en tant que procédé générique selon Tenchea Bien qu‟inscrite généralement sous une approche communicationnelle de la traduction, Tenchea (2003) a conduit des recherches fouillées, à vocation purement linguistique, sur les procédés de traduction, notamment ceux de l‟explicitation et de l‟implicitation, à partir d‟un corpus de traduction entre le français et le roumain. Elle considère ces deux procédés comme deux types de démarches traductives systémiques et complémentaires, qui se situent dans le domaine de l‟équivalence indirecte. L‟explicitation et sa contrepartie l‟implicitation fonctionnent aussi bien au niveau phrastique qu‟au niveau interphrastique et répondent à des contraintes textuelles ou discursives. Il ressort de son analyse que l‟explicitation est un concept vaste qui regroupe d‟autres procédés, et elle propose de redéfinir ce concept comme suit : « Un procédé qui consiste à introduire dans le texte d‟arrivée des éléments dont le correspondant n‟est pas présent dans le texte de départ : il s‟agit soit d‟une amplification au niveau formel (du signifiant), portant sur les termes constitutifs des unités de travail, soit d‟un ajout de sèmes (niveau du signifié), réalisé par une simple substitution des termes. Ces opérations ont pour résultat un enrichissement informationnel du TA [texte d‟arrivée] par rapport au TD [texte de départ], permettant une expression plus précise, plus claire, plus complète, donc plus explicite du sens des unités linguistiques en jeu et /ou des relations entre celles-ci » (Tenchea 2003 : 110). Elle affine son analyse de ce phénomène en distinguant trois catégories d‟opérations linguistiques conduisant toutes à l'explicitation : l‟addition, l‟expansion et la substitution explicitante. 73

Cette distinction entre l‟explicitation et l‟amplification semble, de prime abord, coïncider avec celle opérée par Margot entre la paraphrase légitime et illégitime, ou se rapprocher de la définition de l‟amplification fournie par Molina et Hurtado (2002). Mais sa conception est nuancée. En fait, pour Delport, l‟amplification peut être un simple ajout d‟information, comme elle peut consister à apporter des précisions sur un élément qui existe déjà dans le texte en employant un hyponyme d‟une plus grande précision. Pour illustrer ce procédé, elle donne plusieurs exemples, dont la traduction de « Coche » de l‟espagnol par « guimbarde » en français, et du terme anglais « wind » par « brise », en français, etc. (ibid. : 52). Delport considère ces exemples forts courants en traduction, des amplifications, dans le sens où le traducteur choisit de « rejeter ce qui serait la traduction « littérale » au profit d‟un mot de plus grande compréhension sémantique» (Delport 1989 : 53). Ainsi conçu, ce procédé correspond plutôt à l'altération chez Nida, ou la particularisation chez Molina et Hurtado (2002).

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L‟addition entraîne « l‟enrichissement du contenu sémique des unités cibles par rapport aux unités sources » et correspond souvent à l'explicitation des éléments implicites déductibles. L‟expansion porte sur « des signes préexistants », c'est-à-dire l‟explicitation des éléments déjà présents sur la surface linguistique. Elle implique souvent des modifications au niveau lexical et syntaxique (recatégorisation, changement du point d‟incidence, changement du statut syntaxique des termes, changement de la structure phrastique, etc.). La substitution explicitante porte sur les signifiés. Elle peut prendre trois formes : l‟hyponymisation qui consiste à employer un terme spécifique et plus précis à la place du terme d‟origine ; la référentialisation, c'est-à-dire l‟explicitation du référent d‟un terme anaphorique à l‟intérieur d‟une phrase ou d‟une séquence textuelle ; et enfin l‟utilisation de syntagme-définition, qui consiste à remplacer le signifié d‟origine par une équivalence lexicale du type terme-définition. Elle dresse une liste des termes pouvant être employés par les chercheurs pour désigner ces opérations (linguistiques) d‟explicitation, à savoir : introduction, insertion, ajout / développement, expansion, amplification, dilution, étoffement, allongement, explication et paraphrase. Elle considère que le terme de la paraphrase est le plus proche du concept de l‟explicitation : « il est d‟ailleurs possible, dans presque tous les cas, d‟utiliser en LD [langue de départ] une paraphrase susceptible de mettre en lumière des éléments latents, virtuels, qui seront explicités en LA [langue d‟arrivée] » (Ibid. : 110)74. Les exemples d‟explicitation qu‟elle a relevés et analysés portent souvent sur des aspects linguistiques tels que la cohésion syntaxique, l‟explicitation de relations logiques latentes, des termes anaphoriques, l‟ajout de connecteurs, la lexicalisation d‟un aspect verbal ou modal, l‟ellipse, etc. Bien que limitée à la structure linguistique et interphrastique, cette conception de l‟explicitation revêt, pour notre étude, un intérêt particulier parce qu‟elle considère l‟explicitation comme un processus général de traduction qui sous-tend plusieurs procédés traductifs spécifiques. Le résultat de ce processus peut ensuite se manifester dans la traduction sous trois modes principaux : l‟ajout d‟éléments informationnels ou la substitution par des termes plus précis ou la substitution par des termes plus clairs. Une telle conception nous ouvre d‟autres pistes de réflexion sur les différentes techniques par lesquelles les explicitations peuvent être mises en œuvre.

4.3. Application de ce modèle sur l‟exemple nº 1 En appliquant le principe de coopération interprétative sur le texte de F. Lordon, nous nous rendons compte rapidement que cet auteur avait prévu une bonne coopération interprétative de la part de son lecteur francophone. Le modèle interprétatif expliquait ce même phénomène en ces propres termes : le dosage du rapport implicite/explicite qui sous-tend toute expression langagière et la prise en compte des compléments cognitifs qui sous-tend tout travail interprétatif. Le modèle inférentiel nous explique, en ses termes, que l‟auteur a supposé que l‟expression linguistique de 74

Nous ajoutons les crochets.

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ces phrases était suffisamment pertinente pour le lecteur natif. Celui-ci est censé être capable de saisir « what is meant », derrière les références littéraires et les allusions dans « reconnaitre ses nains », « mauvaise pomme », « il faut que ça pète ». Ces implicites culturels et allusions rentrent dans la catégorie des « implicatures conversationnelles », motivées par le principe d‟économie du langage. Elles sont le résultat de la violation de la maxime de quantité, car l‟auteur n‟a pas donné suffisamment de détails sur ces références. Cela n‟empêche que le lecteur natif parvienne à en inférer le sens car il puise dans ses connaissances cognitives - la crise de l‟automne 2008, les déclarations contradictoires des éditorialistes et des experts, les événements relatées dans Blanche-Neige, le caractère niais de Bécassine, etc. - ce qu‟il faut pour suppléer les creux et aboutir à la compréhension du vouloir dire de l‟auteur. Malgré la concision des expressions de l‟auteur, celles-ci réalisent toutefois un acte d‟ostentation qui rend manifeste son intention. En s‟exprimant de la sorte, F. Lordon a pu réaliser le maximum d‟effet avec le minimum de mots. En coopérant de la sorte, le lecteur natif a réussi à traiter, de façon optimale, les informations disponibles dans le texte et dans le contexte cognitif, en ne choisissant que ce qui est pertinent pour la compréhension de ce que F. Lordon veut lui communiquer. En lisant la phrase « il faut que ça pète », le lecteur natif n‟a pas pensé à Olivier Besancenot, le jeune facteur, mais au candidat d‟extrême gauche qui dénonce toujours le capitalisme financier. En lisant « la mauvaise pomme », il n‟a pas pensé à la méchante sorcière ni au baiser d‟amour qui va réveiller Blanche-Neige, mais au fait que cette héroïne s‟est fait piéger, par naïveté, par cette méchante reine déguisée en vieille dame gentille. Assimilé à un dispositif de traitement d‟information, le lecteur natif fait des calculs inférentiels rapides de sorte à saisir le sens pertinent de toutes ces comparaisons implicites. Le libéralisme déguisé sous ses airs bénéfiques, les éditorialistes naïfs qui se sont fait piéger, les autres éditorialistes et experts hypocrites que l‟on ne peut plus reconnaître, les fâcheux d‟Attac et les grincheux de l‟Humanité qui avaient raison, et ainsi de suite. Qu‟en est-il du traducteur arabe et de ses lecteurs potentiels ? En appliquant le principe de la pertinence, le traducteur du MD se trouve face à deux choix : soit il s‟exprime de façon brève et concise en brisant lui aussi la maxime de la quantité, en comptant sur la coopération active interprétative des lecteurs arabes, soit il produit un acte d‟ostentation complète qui fournit les éléments nécessaires pour réduire le coût interprétatif des lecteurs, en leur donnant le sens pertinent directement. Dans certaines unités de sens, le traducteur du MD a respecté le principe de la pertinence en donnant suffisamment d‟information sur les deux journaux et l‟organisation altermondialiste Attac. Dans d‟autres, il a violé la maxime de la « qualité » (sincérité), car il a traduit « Blanche-Neige » par « la Belle au bois dormant », ce qui est une sérieuse confusion. Il a enfreint la maxime de la manière, car il a donné des informations en fin de note d‟article alors que le lecteur avait immédiatement besoin de ces compléments pour saisir le sens de l‟énoncé. D‟autant plus qu‟il a omis de traduire une note importante dans le texte d‟origine. En procédant ainsi, le traducteur oblige son lecteur à faire un aller-retour qui risque de couper le fil de ses idées. Il aurait pu

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abréger le contenu de ces notes et l‟injecter directement dans le texte. Il a violé aussi la maxime de la pertinence, car l‟information sur la candidature de Delanoë aux présidentielles, même si elle est correcte, n‟est pas pertinente dans ce contexte. Il a aussi produit une implicature difficile à déchiffrer par le lecteur en rendant la phrase « il faut que ca pète » et « reconnaitre ses nains » sans aucun indice contextuel supplémentaire. En fin de compte, le traducteur a cherché par ces ajouts à expliciter le sens de ces implicatures, mais le résultat reste mitigé. Tout le jeu réside désormais dans les connaissances cognitives des lecteurs de ce MD et de leur degré d‟implication dans la coopération interprétative. En lisant le texte dès le début, nous ne pouvons pas dire que le traducteur a communiqué le sens de façon optimale à son lecteur arabe, c'est-à-dire en produisant un maximum d‟effet avec un minimum de mots. Dans ce cas, nous préférons parler de « tentatives » d‟explicitation.

5. L‟explicitation du point de vue des approches fonctionnelles La conception fonctionnelle de la traduction s‟inscrit dans le prolongement de celle communicationnelle, en ce sens que les deux courants considèrent la traduction comme un acte de communication interculturelle. Développées en Allemagne pendant les années 70-80, les approches fonctionnelles ont mis davantage l‟accent, non pas sur le déroulement de la communication et l‟émergence du sens en discours comme dans les approches communicationnelles, mais plutôt sur les fonctions du langage, de la communication, des textes sources et cibles et de la traduction. Elles situent la traduction dans le contexte de la sociolinguistique pragmatique et la conçoivent comme une action communicative impliquant une action culturelle et par conséquent une transformation du texte. Une telle action s‟opère grâce à une stratégie de traduction orientée vers le nouveau texte traduit et sa nouvelle fonction dans le contexte d‟accueil. Le skopos (la finalité) du texte traduit et celui de la traduction indiquent au traducteur la stratégie à suivre pour rendre la traduction conforme à ces visées, arrêtées dès le départ par le donneur d‟ordre. On est bien loin de l‟opération de transcodage linguistique observée dans les conceptions linguistiques. La théorie de l‟action de Holz-Manttari (1984), l‟approche de Reiss (1977) sur les typologies de textes, la théorie du Skopos de Vermeer (1978) et Nord (1991) relèvent de ces approches fonctionnelles. Avant d‟analyser les concepts opératoires élaborés dans le cadre de ces approches qui pourraient nous permettre d‟approfondir notre compréhension du phénomène de l‟explicitation, nous tenons à commencer par la présentation de l‟approche de Halliday (1989). Elle fait en quelque sorte office de passerelle entre les conceptions communicationnelles et fonctionnelles et revêt un intérêt particulier pour notre problématique.

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5.1. L‟explicitation en tant qu‟expansion textuelle selon Halliday Halliday (1989), un linguiste anglais, entreprend une réflexion sur l‟analyse du discours avec une approche fonctionnelle du langage écrit de tous les jours. Il distingue trois fonctions 75 : idéationnelle, interpersonnelle et textuelle (Halliday 1989 : 44). La fonction idéationnelle permet à l'utilisateur d‟exprimer ses idées et ses sentiments, la fonction interpersonnelle permet d‟exprimer sa position vis-à-vis des énoncés des autres interlocuteurs, la fonction textuelle permet enfin d‟exploiter les deux premières en créant un texte pertinent et expressif. L‟intérêt d‟une telle analyse pour les approches fonctionnelles de la traduction réside dans le fait qu‟elle pourrait aider le traducteur à mettre au point une stratégie de traduction spécifique qui convienne à chaque fonction76. Dans le cadre de son analyse, Halliday aborde la question de l‟explicitation qu‟il définit comme « a syntactic-textual procedure in which a secondary clause expands on a primary one with three alternative procedures: elaborating, extending or enhancing the primary clause » (Halliday 1994 : 225). L‟explicitation est donc perçue comme un procédé d‟expansion textuelle qui, par l‟enrichissement pragmatique et linguistique qu‟il introduit, augmente le niveau d‟explicitation (l‟explicitness)77 des textes traduits. Cette expansion se réalise à l'aide des techniques de l‟élaboration, de l‟extension et de l‟amélioration. Il compare cette expansion textuelle, résultant de l‟explicitation, à celle d‟un immeuble : la technique de l‟élaboration, comparable aux travaux portant sur les structures déjà existantes de l‟immeuble, se réalise en discours par la réexpression avec d‟autres mots plus spécifiques ou plus informatifs, selon divers modes tels que : l‟exposition (in other words), l‟exemplification (for example), la clarification (to be precise) ; la technique de l‟extension, comparable à l'élargissement d‟un immeuble, se réalise par l‟addition comme l‟ajout de connecteurs et de marqueurs cohésifs ou par la substitution ; enfin la technique de l‟amélioration, comparable à celle de l‟embellissement de l‟environnement de l‟immeuble, se concrétise par de petites modifications ou amplifications stylistiques porteuses de sens. En d‟autres mots, Halliday décrit l‟élaboration par le terme « équivaut » (equals), l‟extension par le mot « ajouté » (added to) et l‟amélioration par « multiplié par » (multiplied by). (Halliday 1994 : 219).

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La première classification basée sur les fonctions du langage remonte à l'œuvre du psychologue allemand Karl Bühler (1936) qui distingue entre trois fonctions : la représentation des objets et des phénomènes, l‟attitude du producteur à l'égard de ces objets, l‟adresse de l‟auteur au récepteur du texte. Jakobson (1960) propose également une classification comprenant six fonctions principales : expressive (émotive), référentielle (dénotative), appellative (conative), poétique, phatique et métalinguistique. 76 Les travaux de Halliday sur l‟analyse de discours sous la perspective des fonctions du langage, ont inspiré de nombreux traductologues et spécialistes de l‟analyse de discours comme Baker (1992) et Hatim & Mason (1990 ; 1997). Ils présentent d‟ailleurs un cadre théorique très sollicité dans certaines études empiriques linguistiques sur l‟explicitation (House 2004, Becher 2011, etc.). Ce cadre conceptuel permet de décrire les divers écarts d‟explicitation au niveau textuel et d‟en expliquer les motivations sur la base de l‟analyse des fonctions de langage. 77 Nous allons revenir sur ce terme en détail dans le chapitre II où il occupe une place primordiale dans la réflexion sur l‟explicitation. Nous nous contentons de le traduire à présent par « niveau d‟explicitation ».

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L‟explicitation peut donc soit substituer soit ajouter soit amplifier des éléments significatifs dans le texte traduit en vue de réussir les trois métafonctions du langage décrites par l‟auteur. Sous cette perspective, nous pouvons affirmer que les ajouts constatés dans l‟exemple nº 1 procèdent tous de l‟explicitation, et plus précisément de la technique de l‟extension. Ils sont justifiés par la fonction référentielle (dénotative) de ces éléments culturels. Néanmoins, la fonction connotative est souvent laissée à la capacité interprétative des lecteurs arabes, puisqu‟il le traducteur n‟élucide directement aucune illusion. Qu‟en est-il maintenant de la conception de l‟explicitation dans les approches fonctionnelles à proprement parler ?

5.2. L‟explicitation comme une « action » ayant un but Les approches fonctionnelles s‟inspirent de la théorie de l‟action de Holz-Manttari (1984), stipulant que le sens de toute action dépend de sa finalité. Aussi, la traduction est-elle une action traductionnelle (translatorial action) qui doit avoir un but. Ce dernier consiste à réussir la communication interculturelle par la production d‟un texte capable de fonctionner dans la culture cible. Cette action traductionnelle devient le concept central de cette théorie, et détermine surtout la stratégie de traduction à adopter vis-à-vis du texte source. Selon cette approche, la primauté est désormais accordée à la finalité de l‟action traductionnelle et non au sens du texte source. Celui-ci cesse d‟être le point de référence du processus traductif ; il n‟a plus de valeur en soi, à part celle de servir de trame pour la réalisation des fonctions de la communication interculturelle, même au prix de changements radicaux par rapport au texte source. La fin étant de servir l‟action traductionnelle et de satisfaire les besoins et attentes de la « clientèle cible ». Cette conception institue une rupture avec le principe de l‟équivalence de sens instauré par les approches communicationnelles, ou la réussite de la traduction se mesure à l'aune de son équivalence de sens et d‟effet au vouloir dire du texte source. Par l‟intérêt qu‟elle porte au lectorat cible, appelé souvent « clientèle », cette approche s‟oppose catégoriquement à la conception philosophique de la traduction où l‟on réserve tous les soins à langue et au texte source, indépendamment de la réaction du lectorat. En revanche, selon cette approche, le traducteur acquiert le statut d‟un expert dans la coopération communicative et c‟est à lui seul qu‟incombe la responsabilité de la réussite comme de l‟échec de la traduction. C‟est la raison pour laquelle, le traducteur jouit de toute latitude de prendre les mesures qui lui paraissent nécessaires et utiles pour atteindre le but fixé par le commanditaire de la traduction. Doté de ce droit d‟agir et de décider, et en l‟absence de consignes précises à part l‟intelligibilité et la lisibilité du texte traduit pour les clients arabes, les traducteurs du MD pourraient solliciter toute sorte de techniques, dont en premier lieu l'explicitation, pour répondre à cet impératif d‟intelligibilité. La question n‟est pas de savoir si les écarts introduits sont légitimes ou pas, mais de savoir si le lecteur potentiel arabe aurait envie de lire le texte jusqu'à la fin et s‟il comprendrait les points de vue du MD sur les différents sujets traités. Toute explicitation est bonne dès lors qu‟elle participe de la réalisation de cet objectif.

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5.3. La fonction et le type du texte : les stratégies correspondantes selon Reiss La théoricienne allemande Reiss (1977, 1989) fonde son approche traductionnelle sur la fonction de la traduction, et surtout sur les types de textes. Elle se démarque de la théorie de Holz-Manttari par le fait qu‟elle n‟ignore pas le rôle du texte source dans la détermination de la stratégie de traduction. Cherchant à la fois à catégoriser les manières de traduire et à permettre une évaluation systématique des traductions, Reiss établit une typologie des textes à traduire selon la notion de fonction, et associe à chaque type de texte une méthode de traduction particulière. Elle se base sur les trois fonctions principales identifiées par Karl Bühler pour établir sa « typologie des textes pertinente pour le traducteur » qui comprend trois catégories : les textes informatifs, les textes expressifs et les textes opérationnels ou appellatifs (Reiss 1989 : 108) 78. Chacun de ces types de texte appelle la mise en place de stratégies de traduction appropriées. S‟il s‟agit par exemple d‟un texte informatif, il conviendrait de choisir une stratégie qui assure le mieux la mission d‟informer : « If an informative text was written in the original SL communicative situation in order to transmit news, facts, knowledge, etc. (...), then the translation should transmit the original information in full, but also without unnecessary redundancy » (Reiss 1989:110). Reiss admet pourtant qu‟il n‟y a pas une seule fonction pour chaque type de texte, mais plutôt plusieurs fonctions dont une dominante. Sous cette perspective, les textes du MD dont la fonction principale est d‟informer le lecteur francophone à travers les analyses de l‟actualité et les différentes questions mondiales, nécessitent une stratégie de traduction compatible avec cet objectif, comme l‟explicitation par exemple. Celle-ci pourrait donc être considérée comme une stratégie générale de traduction dans tous les textes du MD et non seulement comme un expédient auquel les traducteurs ont ponctuellement recours, au cas par cas, pour contourner une difficulté de traduction. En comptabilisant les explicitations relevées dans notre corpus par année, on pourrait voir pendant quelle période l‟explicitation était une stratégie générale et prisée, et quand elle était au contraire appliquée de façon sporadique.

5.4. La théorie de skopos : la fin justifie les moyens Vermeer (1970) et Nord (1991) sont les principaux précurseurs de cette théorie, appelée la théorie du Skopos, du mot grec skopos, traduit le plus souvent en anglais par « purpose », et en français par « but », « finalité », ou « visée ». Elle s‟inspire de la théorie de l‟action dans la mesure où la traduction est conçue comme une action que le traducteur peut expliquer et justifier : « an act of behaviour to be called an action, the person performing it must (potentially) be able to explain why he acts as he does although he could have acted otherwise » (Vermeer 2000 : 223). En effet, 78

Plus tard, Reiss modifie la trajectoire de sa conception de la traduction en s‟approchant davantage de celle de la théorie du Skopos postulant qu‟en matière de stratégie de traduction, c‟est la fin qui justifie les moyens.

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cette théorie s‟articule principalement autour de la fonction de la traduction, laquelle est déterminée par le skopos du texte traduit, c'est-à-dire sa finalité dans la culture cible. Vermeer explique ainsi la règle du skopos : « chaque texte est produit pour répondre à une finalité spécifique et il doit servir cette finalité […] il faut traduire/interpréter/parler de manière à ce que le texte puisse fonctionner dans la situation dans laquelle il sera utilisé, pour ceux qui veulent l‟utiliser et précisément comme ils souhaitent qu‟il fonctionne » (Vermeer 1989 : 20)79. Ce qui est important dans ce cadre, c‟est le rôle de l‟initiateur ou du commanditaire de la traduction qui assigne un skopos à la traduction dans la culture cible, en spécifiant souvent les besoins et attentes des lecteurs cible, ce qui va déterminer le contenu même de la traduction. Le traducteur est l‟expert qui met en place la stratégie adéquate pour atteindre ce skopos. Par ailleurs, cette approche place la question de l‟effet du texte cible sur le destinataire au centre de son intérêt. L‟effet devient le corollaire de la fonction de chaque traduction, car celle-ci doit consister à reproduire le même effet que celui produit par le texte source sur ses lecteurs. Cet impératif donne plus de liberté au traducteur, lui permettant de justifier, par exemple, le remplacement de jeux de mots par d‟autres pour obtenir le même effet en langue cible ou encore d‟expliquer des éléments qui étaient implicites chez le récepteur du texte source qui sont porteurs de significations pertinentes ou d‟effets particuliers. 5.4.1. Le changement de skopos : nouveau texte, nouvelle fonction La grande innovation de cette théorie du skopos provient du fait qu‟elle précise que, dans certains cas, le texte original n‟a pas nécessairement le même skopos que le texte traduit. Ce postulat implique deux conséquences : La première concerne les principes de l‟équivalence et de la fidélité qui liaient traditionnellement les deux textes sources et cible. En cas de non maintien du skopos du texte d‟origine, le principe de l‟équivalence cède la place au principe de l‟adéquation (Reiss 1983) qui consiste à évaluer la traduction non pas prioritairement - voire exclusivement - en fonction d‟une équivalence de sens ou de style, mais essentiellement en fonction de son adéquation à la finalité du texte traduit80. Le principe de « loyauté » (Nord 1991, 2001) se substitue au principe de la fidélité. Celui-là vise à prendre en compte les intentions communicationnelles et les attentes de tous les partenaires du texte source et du texte cible impliqués par l‟action de la traduction. Le concept de loyauté, imposant le respect des intentions communicationnelles du texte source comme du texte cible, n‟autorise donc pas, théoriquement, une totale liberté vis-à-vis du texte source. Bien que 79

Cité in Nord (1997 : 29). L‟intérêt d‟une telle conception de la traduction se voit surtout dans des cas précis, à savoir : quand il s‟agit de traduire des documents officiels entre deux systèmes culturels différents (comme la traduction d‟un diplôme britannique pour une université française), quand le texte cible vise une finalité autre que celle du texte original (comme l‟adaptation d‟un texte en prose pour le théâtre), quand le destinataire change (comme un texte pour adultes qu‟on traduira pour les enfants, etc.) (Nord 2008 : 21). Dans de tels cas, la perspective purement fonctionnelle aura priorité sur les normes habituelles de l‟équivalence. Néanmoins, les partisans de cette théorie élargissent ce principe à tous les types de traduction, y compris à la traduction littéraire. 80

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disposant d‟une grande marge de manœuvre, le traducteur est censé tenir compte des attentes communicationnelles du texte source de sorte à ne pas les transgresser sans raisons apparentes ou expressément spécifiées par le commanditaire de la traduction. Quant à la deuxième conséquence en cas de changement de skopos, elle concerne l‟autonomie du texte d‟arrivée par rapport au texte source. En fait, le traducteur devrait mettre en place une stratégie qui s‟adapte, non plus au contenu du texte source, qui cesse désormais d‟être l‟élément central déterminant la nature du texte d‟arrivée, mais au nouveau skopos du texte traduit : « It is not the source-text and/or its surface-structure which determines the target-text and/or its surfacestructure, but the skopos » (Vermeer, 1996 : 15). L‟attention du traducteur sera plutôt portée vers le texte d‟arrivée qui devient une entité de plein droit avec sa nouvelle fonction dans la culture d‟arrivée. Nous n‟avons pas trouvé d‟études dédiées spécifiquement au sujet de l'explicitation telle que conçue par ces approches fonctionnelles. Mais dans certaines analyses d‟exemples de traduction, nous pouvons rencontrer quelques témoignages en rapport avec ce cadre. C‟est le cas par exemple de Moretti (2002) qui traite de la question du transfert des notions spécifiques en traduction juridique, sous l‟optique fonctionnelle. Il considère que la stratégie la plus adaptée pour parvenir à ce but serait : « la création d‟un néologisme sémantique (un terme ou une tournure correspondante) puis la création d‟une forme correspondante, concrètement par le biais d‟une adaptation du texte, d‟un commentaire explicatif entre parenthèses et/ou d‟une note en fonction du terme donné et de son aptitude à être explicite pour que la traduction puisse remplir, dans la culture cible, la fonction pragmatique attendue par le client » (Moretti 2002 : 61). La description faite de cette stratégie porte l‟empreinte de l‟explicitation (commentaire explicatif, note).

5.5. Avantages et inconvénients de ces approches Ces approches revêtent un intérêt particulier pour notre sujet en ce sens qu‟elles accordent la priorité à la visée traductive et qu‟elles légitiment les interventions du traducteur. Plus qu‟un médiateur culturel, le traducteur est un expert professionnel et un preneur de décision. Sa tâche consiste à déterminer la stratégie de traduction adéquate après l‟analyse de la situation communicative et culturelle du projet et de l‟action de la traduction. En fait, avant de se demander si tel syntagme en langue cible est bien l‟équivalent de tel autre en langue source, le traducteur doit effectuer une analyse globale qui comprend, entre autres facteurs, la visée traductive, les intentions communicationnelles, les attentes du public visé, les consignes de l‟éditeur ou l‟initiateur de la traduction. Une fois cette analyse effectuée, le traducteur peut prendre toutes les décisions adéquates, mêmes les plus audacieuses et atypiques, pour remplir les fonctions communicatives et culturelles des textes traduits. Du côté des inconvénients, ces approches tendent, comme nous l‟avons signalé plus haut, à accorder au texte traduit une identité autonome et des skopos qui peuvent être différents de ceux du texte source. On s‟intéresse tellement à la notion de la fonction de la traduction, ce qui est

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louable en soi, qu‟on peut aller jusqu'à conclure, de façon plus ou moins extrême, que le skopos de la traduction peut dévier du skopos de départ et par conséquent, tous les changements nécessaires, aussi radicaux soient-ils, sont justifiables, acceptables, voire recommandables. C‟est ainsi qu‟elles pêchent par un excès de pragmatisme qui va, parfois, à l'encontre des conceptions traditionnelles du rapport texte source/texte cible et du sens. Le skopos supplante la place centrale du sens et devient le seul critère d‟évaluation et de validation d‟une traduction. Toutes les traductions sont bonnes dès lors qu‟elles correspondent aux finalités assignées dès le départ. Cela reflète une vision libérale et économique de la profession de la traduction, parfois aussi une conception confuse de la notion du « sens » en traduction.

5.6. Application du modèle fonctionnel à l‟exemple nº 1 Les textes du MD étant considérés comme des textes journalistiques pragmatiques81, on pourrait supposer logiquement que la stratégie appropriée au transfert du contenu informatif serait l‟explicitation. Compte tenu de la charge connotative et du style ironique dominant dans cet article du MD novembre 2008, nous pouvons supposer aussi que l‟explicitation est un moyen efficace de révéler le sens de ces implicites et produire l‟effet escompté. Étant donné que le skopos de cette traduction dans le monde arabophone est de former et d‟informer, comme nous l‟avons évoqué dans l‟Introduction Générale, il serait donc plus intéressant d‟adopter une stratégie à mi-chemin entre l‟exotisation et la naturalisation, qui puisse informer le lectorat arabe du contenu cognitif et informatif tout en le formant au style journalistique, soutenu et tropique. Dans une telle « action » de traduction, l‟explicitation constitue une stratégie appropriée à ce skopos. Le traducteur du MD novembre 2008 aurait donc pu profiter de la liberté accordée par cette conception fonctionnaliste et oser introduire des explicitations plus développées, et surtout plus pertinentes, sur les différents éléments impliqués dans ces énoncés. Il aurait pu par exemple traduire « reconnaitre ses nains » par une note où il dit « reconnaître les experts et éditorialistes qui ont retourné leur veste après le krach, à l'image de Blanche-Neige qui, après son réveil, a réussi à savoir quel nom portait chacun des sept nains en faisant le rapprochement entre les noms marqués sur les lits et les traits de caractères les plus saillants de chacun des nains ». En revanche, si le traducteur juge que la référence culturelle importe peu, il pouvait dire simplement « les propos des éditorialistes ne sont plus les mêmes qu‟avant la crise ». Un tel choix sacrifie l‟allusion, la touche d‟ironie et engendre une perte stylistique. Et si l‟on ne tient pas compte de la dernière fonction supposée du MD dans le monde arabe 82, et que l‟on ne retient que la fonction informative du texte lui-même, le traducteur aurait pu 81

Par opposition aux textes littéraires ou artistiques, Dans le contexte de cet exemple, la fonction supposée peut consister ici à montrer aux lecteurs arabes comment s‟y prennent les auteurs français pour exposer leurs point de vue sur des sujets sérieux ou formuler des critiques virulentes, sans porter des accusations graves et infondées, et ce à l'aide de références culturelles d‟apparence anodine comme les contes pour enfants, exemptes d‟arrière-pensée idéologiques ou provocatrices, ce qui ne ferait qu‟enrichir le style journalistique arabe et intéresser le lectorat. 82

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neutraliser toutes les références et allusions culturelles, en allant droit au « but ». Voici par exemple une traduction libre et purement informative :  Traduction « libre » de l‟exemple nº 1 : Celui qui, telle la Belle au bois dormant, se serait endormi avant l‟été pour se réveiller et lire ces lignes aujourd‟hui croirait sans doute avoir affaire une fois de plus à ces habituels fâcheux d‟Attac ou bien de L‟Humanité. [...] Prolongeant les tendances présentes, on peut donc d‟ores et déjà anticiper qu‟un sonnant « Il faut que ça pète ! » donnera bientôt son titre à un prochain éditorial d‟un Favilla déchaîné. Décidément, Blanche-Neige aurait du mal à reconnaître ses nains. Laurent Joffrin, qui il y a quelques mois encore aidait Bertrand Delanoë à pousser son cri d‟amour pour le libéralisme et fustigeait la « gauche Bécassine (7) », celle qui n‟a pas compris les bienfaits du marché, a visiblement mangé de la mauvaise pomme Ŕ en fait la même que Favilla (7) : Laurent

‫ ٹُٲوؤ‬٠‫ ٍب اٍزُٲ‬،٬ُٖ‫ ؤٽب اٹنٌ ځبٻ ٱجٸ اٹ‬Celui qui se serait endormi avant

l‟été pour lire ces lignes aujourd‟hui,

‫ڀ ؤٿّ األٽو‬٢َ ‫ ٭ٲل‬،‫ىه اٹُىٻ‬َٞ‫ څنڃ اٹ‬croirait sans doute avoir affaire une ‫ ثٶزبثبد ؤوٹئٴ احملزغٌن ٽڀ‬ٜ‫بكرڄ ٽورج‬٦‫ ٵ‬fois de plus aux habituels contestataires de la gauche communiste ou altermondialiste. [...] ‫ڀ‬٥ ‫ نتٶڂڂب‬،‫ٺً څنا اظتڂىاٷ‬٥ ً‫ واٍزپواها‬Et dans le droit fil de cette évolution, ‫ُخ‬٥‫ىح ٹٺضىهح االعزپب‬٥‫ ٱواءح ك‬٤‫ ٱوَت رىٱ‬on peut s‟attendre à retrouver bientôt un appel à la révolte sociale à la Une ‫ٺً اٹٖٮؾخ األوذل ٹٺٖؾب٭خ اٹٺُرباٹُخ‬٥ de la presse néolibérale. [...].‫ىظتخ‬٦‫ٍ ؤو اظتڂبڅ٘ ٹٺ‬٥‫اٹَُبه اٹُْى‬

.‫اصتلَلح‬

‫ل ؤٿ ٵبٿ‬٦‫ ٭ج‬،٬‫ًَن حتلَل اظتىاٱ‬٦‫وظتڀ اٹ‬

‫ىٿ ٽڀ رٺٶا‬ٚ٦‫اٹٖؾٮُىٿ اٹَُبهَىٿ نتز‬

ً‫ٺ‬٥ ً‫ٍ يف االځٮزبػ ٱلٽب‬ٝ‫اٹَُبه اٹلنتٲوا‬ ‫ آٷ هبټ األٽو اٹُىٻ بذل‬،‫اٹٺُرباٹُخ االٱزٖبكَخ‬

‫واه ىٽالئهټ يف اٹٖؾب٭خ‬٩ ً‫ٺ‬٥ ،‫اٹزڂلَل‬ .‫ ثزغبوىاد األٍىاٯ اظتبٹُخ‬،‫اٹُپُڂُخ‬

Difficile de s‟y retrouver quand des journalistes de gauche qui s‟irritaient hier des hésitations d‟une partie de la gauche sociale-démocrate à s‟ouvrir davantage au libéralisme économique, s‟indignent aujourd‟hui, avec leurs confrères de la droite libérale, des excès des marchés financiers.

Joffrin, La Gauche Bécassine, Robert Laffont, Paris, 2007.

Dans cette traduction, il n‟y aucune mention des noms propres, ni des phrases contenant les allusions. Seul prime le contenu informatif, la fonction assignée à ces énoncés. Tant pis pour la perte stylistique ou culturelle. Néanmoins, cette traduction serait-elle encore de l‟explicitation, ou plutôt de l‟équivalence interprétative libre, voire de la traduction ethnocentrique ? Qu‟en est-il de l‟effet ironique complètement neutralisé et des traits culturels gommés? Et si l‟on effectue une traduction directe, exotisante de tout ce passage, qui sauvegarde les traits exotiques, mais sans les expliciter, voici ce que l‟on pourrait lire en arabe :

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 Traduction « directe » de l‟exemple nº 1 : Celui qui, telle la Belle au bois dormant, se serait endormi avant l‟été pour se réveiller et lire ces lignes aujourd‟hui croirait sans doute avoir affaire une fois de plus à ces habituels fâcheux d‟Attac ou bien de L‟Humanité. [...] Prolongeant les tendances présentes, on peut donc d‟ores et déjà anticiper qu‟un sonnant « Il faut que ça pète ! » donnera bientôt son titre à un prochain éditorial d‟un Favilla déchaîné. Décidément, Blanche-Neige aurait du mal à reconnaître ses nains. Laurent Joffrin, qui il y a quelques mois encore aidait Bertrand Delanoë à pousser son cri d‟amour pour le libéralisme et fustigeait la « gauche Bécassine (7) », celle qui n‟a pas compris les bienfaits du marché, a visiblement mangé de la mauvaise pomme Ŕ en fait la même que Favilla (7) : Laurent Joffrin, La Gauche Bécassine, Robert Laffont, Paris, 2007.

‫بثخ‬٪‫ ٵغپُٺخ اٹ‬،٬ُٖ‫ ؤٽب اٹنٌ ځبٻ ٱجٸ اٹ‬Celui qui se serait endormi avant

l‟été, comme la Belle au bois

،‫ىه اٹُىٻ‬َٞ‫ وَٲوؤ څنڃ اٹ‬٠‫ ٭َُزُٲ‬،‫ اٹڂبئپخ‬dormant, pour se réveiller et lire ces ‫بكرڄ ثإوٹئٴ‬٦‫ ٵ‬ٜ‫ڀ ؤٿّ األٽو ٽورج‬٢َ ‫ ٭ٲل‬lignes aujourd‟hui, croirait sans doute [...].‫اظتزنٽوَڀ ٽڀ ؤربٳ ؤو ٽڀ اإلځَبځُخ‬

‫ ٭ُپٶڂڂب‬،‫واٽزلاكاً عتنڃ اٹزىعهبد اٹواڅڂخ‬ ‫ڂىاځبً ٽلٽلٽبً ٽضٸ "ال‬٥ ‫اٹزڂجا ٽڀ اِٿ ثإٿ‬

ً‫ٺ‬٥ ٰ‫ٺ‬ٍُُٞ "٤ٙ‫ثل ٽڀ اځٮغبه اٹى‬ .‫ِٲبٹڄ‬٥ ‫ا٭ززبؽُخ ٽٲجِٺخ ٹٮب٭ُال اظتُڂٮٺِذ ٽڀ‬

qu‟il s‟agit une fois de plus de ces habituels fâcheux d‟Attac ou bien de L‟Humanité. [...] Prolongeant les tendances actuelles, on peut donc désormais predire qu‟un titre claironnant tel « Il faut que la situation explose ! » donnera bientôt son titre à un prochain éditorial d‟un Favilla déchaîné.

ٗ‫ٺً ثُب‬٥ ‫ت‬٦ٖ‫ ٍُٶىٿ ٽڀ اٹ‬،ً‫ب‬٦ٞ‫ وٱ‬Décidément, Blanche-Neige aurait du mal à reconnaître ses nains. Laurent

‫ ٭ٺىهاٿ‬،‫ٺً ؤٱياٽهب‬٥ ٫‫و‬٦‫ اٹضٺظ ؤٿ رز‬Joffrin, qui aidait Bertrand Delanoë. ‫ل ثًنرواٿ‬٥‫ عى٭واٿ اٹنٌ ٵبٿ ََب‬il y a quelques mois, à pousser son cri d‟amour pour le libéralisme et

‫الٯ‬ٝ‫ٺً ب‬٥ ،‫خ ؤّهو‬٦ٚ‫ ٽڂن ث‬،‫ كوالځىَڄ‬fustigeait la « gauche Bécassine (7) », ‫ وَڂزٲل "اٹَُبه‬،‫ ٕوفخ ؽجڄ ٹٺُرباٹُخ‬celle qui n‟a pas compris les bienfaits

du marché, a visiblement mangé de la

٤‫ ٽڂب٭‬٤َ ‫ مٹٴ اٹنٌ دل‬،)7( "‫ اٹجُٶبٍُين‬mauvaise pomme Ŕ tout comme ‫ ال ثل ؤځڄ ٱل ؤٵٸ ٽڀ اٹزٮبؽخ‬،‫ اٹَىٯ‬Favilla (7) : Laurent Joffrin, La Gauche .‫ و٭ب٭ُال ٵنٹٴ‬،‫اٹَُئخ‬

Bécassine, Robert Laffont, Paris, 2007.

،‫ اٹَُبه اٹجُٶبٍُين‬،‫ ٹىهاٿ عى٭واٿ‬.)7(

.2007 ،ٌَ‫ ثبه‬،‫هوثًن ال٭ىٿ‬

Dans ce type de traduction, le lecteur arabe pourrait-il vraiment saisir le fond de pensée de l‟auteur et comprendre les référents culturels cités ? Est-ce ainsi que l‟on sauvegarde la tonalité de la langue source, la potentialité sémantique du texte source et que l‟on peut espérer intéresser le lecteur arabe ? Comment concevons-nous la stratégie de l‟explicitation par rapport à ces différentes possibilités de traductions, notamment celle faite par le traducteur du MD, et les deux proposées plus haut ? Nous allons tenter de répondre plus précisément à ces questions dans le chapitre III, après avoir complété notre étude rétrospective des différentes approches théoriques de la traduction. Ce que l‟on pourrait confirmer dès à présent, c‟est qu‟il existe bel et bien différentes stratégies et possibilités de traduction, toutes intéressantes, voire acceptables ; tout le jeu réside dans l‟objectif assigné à la traduction et de notre conception de la tâche du traduire. Ici s‟achève la première partie de notre enquête sur l‟apport des principales approches théoriques de la traduction à la réflexion sur la problématique de l‟explicitation. Mais avant de poursuivre plus avant, dressons un rapide bilan de cette première investigation.

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6. Bilan d‟étape 6.1. L‟hétérogénéité des approches de traduction Au terme de ce survol théorique, nous constatons qu‟il existe une multitude d‟approches de la traduction, toutes pertinentes et toutes justifiées dans leur champ d‟investigation propre. Elles cherchent toutes à décrire l‟activité de la traduction en tant que processus et produit, mais elles se distinguent essentiellement par les aspects qu‟elles privilégient dans la théorisation. Souvent la problématique de l‟explicitation n‟a été qu‟effleurée. Différentes réponses, souvent partielles, ont été apportées par les chercheurs, chacun selon l‟angle de recherche qui lui est propre. 6.1.1. Différents centres d‟intérêt Le curseur de la réflexion traductologique se déplace d‟une approche à l'autre : la langue et le style en linguistique, le contenu sémantique et culturel du message « linguistique » pour les approches sociolinguistiques, l‟éthique de la traduction pour les approches philosophiques, le sens du texte et l‟équivalence discursive pour la TIT, l‟inférence et la reproduction du sens en discours pour les approches inférentielles, la fonction du langage, du texte et de la traduction pour les approches fonctionnelles. A ce déplacement conceptuel, s‟ajoute l‟emploi d‟une terminologie propre à chaque approche, ce qui rend impératif de préciser les acceptions des termes utilisés et de ne pas se fier à leur significations premières en langue. Ainsi, l‟équivalence formelle ou traductionnelle de Catford (1965) ne correspond pas à l‟équivalence naturelle ou dynamique de Nida (1964, 1969) ni à celle proposée par la TIT (Lederer et Seleskovitch 1975, 1976). En revanche, certains concepts opératoires désignent les mêmes principes explicatifs, mais chaque approche leur attribue une dénomination différente. Il en est ainsi pour les principes d‟économie du langage, de synecdoque et de pertinence qui se recouvrent largement. 6.1.2. Différentes méthodologies Les différences des concepts centraux et des terminologies utilisées se concrétisent également par l‟adoption de méthodologies différentes : l‟analyse linguistique et stylistique des mots et des phrases pour les approches linguistiques, l‟analyse de l‟environnement socioculturel du récepteur pour les approches linguistiques, le jugement qualitatif et éthique des traductions pour les approches philosophiques, l‟analyse de la pratique réelle et réussie de la traduction pour la TIT, l‟analyse du discours pour les approches inférentielles, l‟analyse des facteurs pragmatiques et économiques de la production et de la réception des traductions pour les approches fonctionnelles.

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6.1.3. Différentes stratégies de traduction Cette diversité conceptuelle, terminologique et méthodologique s‟est soldée par une autre diversité au niveau des stratégies de traduction proposées pour réussir l‟acte de traduction. Audelà des spécificités internes de chaque conception théorique, nous pouvons distinguer, de façon schématique, trois tendances générales : D‟un côté, il y a les stratégies dites « sourcières »83 qui sont souvent liées aux considérations linguistiques basées sur la distinction entre l‟esprit et la lettre, ou aux considérations philosophiques basées sur l‟éthique positive ou négative de la traduction. Elles tâchent de préserver les particularités de la langue source et d‟attirer le lecteur vers l‟auteur et la culture source en l‟invitant à s‟interroger sur l‟étrangeté de l‟œuvre traduite. Elles impliquent ainsi une médiation minimale du traducteur car les caractéristiques du texte source y sont visibles (Hatim et Mason 1997 : 148). De l‟autre côté, il y a les stratégies à vocation « cibliste »84 dont le but est de produire un beau texte avec une belle langue qui se lit comme un original. Elles sont censées privilégier la langue et la culture cible en se conformant aux conventions linguistiques de la langue cible et en remplaçant les notions culturelles problématiques par des équivalents fonctionnels et situationnels propres à la culture d‟arrivée. De plus, elles privilégient le lecteur en s‟adaptant à ses connaissances et ses attentes pour lui faciliter la compréhension du texte traduit. Ces stratégies expriment les valeurs culturelles sans représenter de vrais défis pour les traducteurs qui les assimilent tout simplement à la culture dominante du texte cible (Hatim et Mason 1997 : 145). Entre les deux, il y a les stratégies envisagées dans le cadre du processus de prise de décision du traducteur. Le choix de la stratégie à mettre en place est laissé à l'appréciation du traducteur, selon son analyse du texte et de la situation de traduction. Ainsi, les approches sociolinguistiques et communicationnelles ne dictent pas une stratégie en particulier85. Elles instaurent des principes généraux et c‟est au traducteur qu‟incombe la responsabilité du choix de la stratégie adéquate. Cette vision stratégique permet de briser le cercle vicieux des débats générés par la dichotomie sourcière/cibliste : la traduction possible vs impossible, totale vs incomplète, fidélité à la lettre vs fidélité à l'esprit, le propre vs l‟étranger, etc. Sous cette perspective, il n‟y a plus une seule traduction ou une seule technique possible, mais plusieurs ; il n‟y a pas de critères normatifs pour 83

Les dénominations attribuées à ces stratégies diffèrent d‟un auteur à l'autre : la traduction directe (Vinay et Darbelnet), l‟exotisation (Berman, Schleiermacher, Benjamin, entre autres), la traduction littérale (Mounin 1965), la traduction anti-illusoire (Lévy 1969 : 32)83, la traduction « overt » (House 1977, 1997), la traduction par équivalent direct (Gutt (1991 [2000]), etc. Certains auteurs optent pour ces stratégies par conviction ultime, comme Berman, Benjamin, etc., tandis que d‟autres les proposent dans le cadre de leurs descriptions des éventuelles stratégies de traduction observées dans la réalité, même s‟ils ne s‟y adhérent pas. 84 Ces stratégies sont décrites sous plusieurs étiquettes linguistiques : la naturalisation ou la traduction ethnocentrique (Berman, Venuti, etc.), les « belles infidèles » (Mounin 1965), la traduction « illusoire » Lévy (1969), la traduction « covert » House (1977), « l‟annexion » Meschonnic (1973), la stratégie adaptative (Koller 1997 : 60) ou « l‟adaptation » (Bastin 1993, Tatilon (1986 : 22-23), etc. 85 Les approches ciblistes tendent, dans la pratique, à privilégier les stratégies carrément ciblistes, même si, en théorie, elles ne s‟opposent pas à d‟autres types de stratégies, quoi que sourcières.

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distinguer les bonnes des mauvaises stratégies. Toute stratégie est valable et défendable dès lors que le traducteur peut expliquer et justifier ses choix.

6.2. Quid de l‟explicitation ? Après cet examen approfondi de l‟état de la recherche théorique sur l‟explicitation, nous constatons que l‟explicitation est une notion vaste et complexe, entachée d‟un flou conceptuel et terminologique, qu‟il conviendrait de dissiper. En effet, si l‟on peut généralement considérer que son application génère un écart de traduction, objectivement saisissable par le biais d‟une analyse linguistique comparative, c‟est l‟explication de la nature et de la légitimité de cet écart qui créé la confusion. Il est perçu comme une déviation d‟une correspondance formelle idéale (Catford), comme un moyen d‟ajustement du message traduit (Nida), comme une déformation de la traduction (Berman), comme une transformation explicative (Steiner), comme une brève information complémentaire cognitive ou extralinguistique (Lederer et Seleskovitch), comme une assistance communicative et interprétative (Gutt, Grice, Sperber et Wilson, etc.), comme une expansion linguistique (Halliday), comme un apport d‟informations culturelles (Ballard86), etc. Si le terme « explicitation » est employé par plusieurs auteurs (Vinay, Tenchea, Lederer, Seleskovitch, Ballard), d‟autres préfèrent parler d‟addition, d‟amplification lexicale, de périphrase, de note du traducteur, de paraphrase légitime, de clarification, d‟explication, d’explicitness, etc. Les techniques qui peuvent relever de la stratégie d‟explicitation sont nombreuses et reçoivent, sous la plume de chaque auteur, de nouvelles désignations et applications. Il conviendrait donc de redéfinir clairement les contours de cette stratégie pour la distinguer des autres procédés de traduction. Quant à la place de l‟explicitation parmi les différentes stratégies de traduction proposées, il est évident que l‟explicitation trouve mieux sa place dans les approches qui confient le choix de la stratégie adéquate au traducteur. Sous cette perspective, l‟explicitation gagne à être plutôt considérée comme une solution de traduction ad hoc, répondant à un besoin communicatif ou à un objectif de traduction arrêté. Cette solution est « rentable » car elle réduit l‟effort interprétatif demandé au lecteur qui déduit plus aisément le vouloir dire du texte et « rentable » également pour le traducteur qui produit un maximum d‟effet avec un minimum d‟efforts, et trouve ainsi une troisième voie entre deux choix extrêmes, la traduction exotisante d‟un côté, et la traduction ethnocentrique de l‟autre. Nous tenons à clore ce chapitre sur ce tableau récapitulatif qui présente les différents termes désignant l‟explicitation ou les procédés qui y ressemblent, et les autres procédés qui sont clairement distincts de l‟explicitation et les idées clés qui se dégagent de l‟analyse des propos théoriques et des applications pratiques des auteurs étudiés.

86

Les travaux de Ballard en rapport avec l‟explicitation ainsi que ceux des autres auteurs cités ci-après, seront précisés et exploités dans la deuxième partie de la thèse. Ces auteurs ne représentent pas une approche en particulier, mais puisent leurs différents concepts dans les différents courants de pensée traductologique.

Partie I : Chapitre I : L’explicitation dans les différentes approches théoriques de la traduction

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Auteur

Termes désignant l‟explicitation ou un procédé proche

Ballard

explicitation, incrémentialisation, note du traducteur, dépronominalisation, étoffement, substitution avec une définition ou un terme précis

report, emprunt, adaptation

explicitation comme compromis entre exotisation et naturalisation / son efficacité pour le transfert culturel

Berman

La clarification, notes du traducteur, étayage de la traduction

traduction exotisante/ traduction ethnocentrique (les belles infidèles)

préservation de l‟étranger du texte source

Delisle

Explicitation, Périphrase, dilution, paraphrase, ajout, compensation

concision, implicitation, concentration

équivalence de sens au niveau textuel / ajouts justifiés

Delport

Explicitation, amplification

traduction littérale

figure de traduction / traducteur omniscient

Gallèpe

Incrémentialisation, avec adaptation)

ITQ (importation telle quelle), L‟adaptation nontraduction

Techniques de la pure traduction / explicitation est un signe de manque d‟implication

implicature

quatre maximes (quantité, qualité, pertinence, manière) / coopération interprétative du lecteur pour inférer le sens

Traduction littérale

trois métafonctions du langage (idéationnelle, interpersonnelle, textuelle)

IAA

(importation

Procédés différents l‟explicitation

de

Concepts opératoires/ idées principales

Grice

explication, explicature

Halliday

explicitness, expansion, extension, amélioration

Harvey

traduction descriptive, emploi d‟un terme générique assorti d‟une glose concise, transcription avec glose

équivalence formelle, équivalence fonctionnelle

explicitation est perçue comme une description, une glose pertinente

Henry

explicitation, note du traducteur, ajout à coté du terme, insertion ailleurs, ajout de formule introductive, ajout entre guillemets

traduction adaptation

utilité de l‟explicitation pour la traduction du lexiculturel / légitimité de la note du traducteur

Laplace

Explicitation, incrémentialisation, note du traducteur,

entropie, omission, adaptation libre, anaphore

explicitation sous forme d‟incrémentialisation ou de note du traducteur

Lederer, Seleskovitch

explicitation, équivalence discursive libre

correspondance, adaptation, équivalence fonctionnelle, figée

équivalence de sens et d‟effet / rapport explicite /implicite du texte / compléments cognitifs

Leppihalme

addition dans le texte, la note du traducteur, ajout à côté du terme, ajout de marqueur typographique, paraphrase explicative,

traduction littérale, emprunt, omission, report

explicitation est une addition d‟information pertinente / moyen de traduire les allusions dans les noms propres et dans les phrases

élaboration,

littérale,

Partie I : Chapitre I : L’explicitation dans les différentes approches théoriques de la traduction

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Margot

paraphrase légitime

Paraphrase illégitime

équivalence sémantique du message / ajouts déductibles du contexte

Molina et Hurtado

amplification, note du traducteur, paraphrase explicative, compensation, description, particularisation, équivalent discursif

adaptation, emprunt, calque, équivalent standardisé, condensation linguistique, réduction, transposition, variation

techniques de transmission du culturel / fidélité en traduction

Mounin

périphrase explicative

Traduction littérale

universaux de langage / possibilité de traduction du culturel

Moretti

traduction explicative par commentaire ou par une note création de néologisme sémantique

adaptation fonctionnelle

explicitation comme création sémantique adaptative

Nida

addition, amplification lexicale, note du traducteur, altération, substitution, redistribution des composants sémantiques

soustraction

équivalence communicative / transmission du message

Newmark

addition d‟informations, ajout de synonyme, d‟équivalent ou de classificateur, périphrase ou paraphrase explicatives, syntagme nominal ou verbal en apposition, note du traducteur, analyse componentielle

transposition, équivalent culturel, standardisation, suppression, naturalisation, traduction littérale

traduction du culturel / adaptation au contexte socioculturel de l‟audience

Sperber, Wilson,

explication, explicature

explicature

maximisation de la pertinence / optimisation de l‟inférence / contexte cognitif

Steiner

Explication, dynamique compensation

exotisation

transmettre le potentiel du texte source / caractère évolutif et imprécis du langage

Tenchea

explicitation, addition, expansion, substitution par hyponymisation, pat référentialisation et par un ternedéfinition, introduction, insertion, ajout, développement, amplification, dilution, étoffement, allongement, explication, dépronominalisation

Vinay et Darbelnet

Explicitation, amplification, étoffement, compensation

explicative,

dilution,

explicitation comme terme générique / elle peut se définir globalement comme une sorte de paraphrase explicative

implicitation

traduction emprunt, modulation

directe calque

par et

sens du message linguistique / effet stylistique

Tableau 2: Les termes désignant les différentes techniques de traduction, dont l‟explicitation et les procédés qui s‟y apparentent

Partie I : Chapitre II : L’explicitation dans les approches descriptives de la traduction (DTS)

CHAPITRE II L‟explicitation dans les approches descriptives de la traduction (DTS)

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Partie I : Chapitre II : L’explicitation dans les approches descriptives de la traduction (DTS)

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Préambule Nous nous intéressons dès à présent à un autre volet de la recherche traductologique qui revêt une importance particulière pour notre sujet. Les approches descriptives de la traduction (dorénavant DTS) 87 se donnent pour objectif de décrire la réalité de la traduction à travers l‟analyse de grands corpus de textes traduits sur différentes périodes et dans différentes langues. Une telle perspective large nous permet de prendre de la hauteur en examinant la question de l‟explicitation au niveau global, en tenant compte des facteurs extratextuels et spatio-temporels, et non seulement au niveau local représenté par l‟analyse discursive des énoncés d‟origine et de leurs traductions en arabe. Ces études englobent plusieurs approches descriptives, notamment les approches « systémiques » d‟Even-Zohar et de Toury, dans les années 70-80, constituant ce que l‟on appelle communément la théorie du Polysystème, les approches « culturelles » de la traduction, développées dans le cadre du « tournant culturel » des années 90, comme celles de Venuti (1995) et de Pym (2005, 2010) et les approches empiriques, développées dans le cadre de plusieurs « hypothèses de l‟explicitation » comme celles de Blum-Kulka 1986, Klaudy et Károly 1995, House 2004. Bien que formant un cadre théorique et méthodologique à part entière, ces approches s‟inspirent généralement des approches communicationnelles et fonctionnelles que nous avons examinées dans le premier chapitre. Poursuivant notre objectif de cerner au mieux le phénomène de l‟explicitation, nous allons traiter, dans ce chapitre, de plusieurs notions susceptibles de révéler certains aspects de la conception et de la pratique de l‟explicitation. Il s‟agit surtout des notions de cohésion et de cohérence textuelle, de la place de la traduction dans le contexte d‟accueil, des normes et contraintes de traduction, du processus de prise de décision d‟expliciter ou de ne pas expliciter, d‟universaux et tendances de traduction, etc. Dotées d‟une approche méthodologique qui se veut rigoureuse et scientifique, ces approches s‟appuient généralement sur l‟analyse statistique des écarts de traductions relevés dans un corpus donné, afin de catégoriser ces écarts, d‟en déterminer la récurrence, les motivations, pour en déduire enfin les normes de traduction en vigueur ou les tendances de traduction dominantes, à telle ou telle époque. Basées sur ces données objectives (exemples réels de traductions issus de textes publiés), ces études cherchent à expliquer, sans aucune visée prescriptive, les traductions existantes telles qu‟elles sont et non telles qu‟elles auraient dû être. Et ce, en tenant compte du contexte linguistique, culturel, littéraire, et surtout historique, de leur production. Il n‟y a donc plus de bonnes ni de mauvaises traductions, mais simplement des traductions qui correspondent ou ne correspondent pas aux attentes et normes de la langue et culture d‟accueil. Grâce à cette démarche objective, les approches tentent d‟instaurer les bases d‟une méthodologie descriptive et scientifique propre à la traductologie, lui permettant de révéler des phénomènes propres au domaine de la traduction, conférant ainsi à la traductologie le statut d‟une science empirique à part entière.

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Le terme de « translation studies » a été introduit par James Holmes (1972). Il s‟emploie pour désigner toutes les activités de recherche portant sur la traduction (version produite) et éventuellement sur le processus de traduction.

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1. L‟explicitation du point de vue des approches systémiques En plus des caractéristiques générales évoquées ci-dessus, les études d‟Even-Zohar et de Toury se distinguent par le fait qu‟elles portent essentiellement sur la traduction d‟œuvres littéraires, les conclusions de ces études ayant été ensuite étendues à d‟autres types de traductions. Mais ces œuvres littéraires traduites sont perçues comme faisant partie intégrante (dans une position plus ou moins centrale ou périphérique) du système littéraire de la société d‟accueil qui est lui-même inséré dans les systèmes culturels et historiques de cette société qui sont plus larges et plus complexes. Le texte littéraire traduit doit donc être étudié, non pas de façon isolée, mais plutôt en fonction de la place qu‟il occupe au sein du « polysystème » de la société d‟accueil. La traduction est donc conçue, non pas comme un système autonome et isolé, mais plutôt comme un sous-système, soumis aux interactions avec les systèmes littéraire, culturel et historique dans lesquels elle s‟inscrit. Le processus de traduction s‟étudie désormais comme un transfert intersystèmes et non plus uniquement comme un transfert interlinguistique ou un transfert interculturel. Introduit dans les années 70 par l‟Israélien Itamar Even-Zohar (1978 [2000]), le terme «polysystème » reflète cette conception de la traduction en tant que système opérant dans le cadre d‟un vaste système dynamique et complexe d‟accueil. D‟où également le nom de la théorie du Polysystème qui représente une construction conceptuelle et pratique d‟une importance capitale au sein des DTS.

1.1. La position de la traduction dans le « polysystème » d‟accueil selon EvenZohar En analysant l‟état de la littérature du jeune État hébreu, Even-Zohar (1978) aboutit à la conclusion qu‟il existe une sorte de compétition entre les formes littéraires, à l‟issue de laquelle certaines formes occupent, à une époque donnée, une position centrale au sein de ce polysystème et d‟autres une position périphérique. En tant que l‟une des composantes systémiques du polysystème, la littérature traduite peut soit s‟inscrire dans la tendance conservatrice des genres littéraires occupant une position centrale soit au contraire favoriser le changement en venant renforcer des genres littéraires jusqu‟ici en position périphérique ou en apportant un souffle nouveau. Il n‟en demeure pas moins que la position de la traduction de la littérature ou de tout autre domaine, n‟est pas totalement figée dans chaque polysystème ; elle change avec le temps et au gré des circonstances historiques, politiques, culturelles, etc. Ainsi la traduction en hébreu a pu jouer un rôle crucial dans le polysystème israélien, en important des modèles étrangers dans une littérature encore jeune. Even Zohar mentionne également des cas de transfert par la traduction de modèles littéraires vers une littérature nationale en position périphérique car dominée par une culture plus influente (Even-Zohar 1990 : 51). Il constate que si la traduction occupe une place centrale dans le polysystème littéraire d‟accueil, les stratégies de traduction sont orientées vers le texte source, à la recherche d‟une

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traduction adéquate. Par conséquent, on assiste à une certaine innovation au niveau des normes de la culture cible résultant d‟une pratique exotisante de la traduction. Les traducteurs ne se sentent pas contraints de se plier aux normes de la culture cible (Even-Zohar 2002 [1978] : 215). En revanche, si la traduction occupe une place périphérique, les stratégies de traduction sont orientées vers la culture cible, à la recherche d‟une traduction acceptable pour la société d‟accueil. On remarque alors une certaine tendance au conservatisme vis-à-vis des normes de la culture cible, les traducteurs faisant des choix résolument ciblistes, sans se soucier de la perte des modèles du texte source. Leur objectif principal n‟est plus de proposer une traduction adéquate au texte source, mais bien de faire qu‟elle soit acceptable pour le système d‟accueil. Suivant la logique d‟Even-Zohar, nous pourrions peut-être nous attendre à ce que dans le premier cas de figure, les traducteurs du MD optent plutôt pour l‟explicitation afin de révéler à travers leurs choix traductifs le monde culturel français et le style journalistique du MD. Dans le deuxième cas, les traducteurs auront plutôt tendance à opter pour l‟adaptation culturelle, en gommant les traits exotiques et en proscrivant l‟emploi des emprunts ou des reports, portant des relents de la culture cible. Nous postulons que la traduction du MD s‟inscrit plutôt dans le cadre du premier cas de figure. Comme nous l‟avons déjà évoqué dans l‟Introduction Générale, les traducteurs et les journalistes se voient investis, dans le monde arabe, d‟un rôle de premier ordre dans l‟enrichissement linguistique de la langue arabe et l‟évolution de ses modes d‟expression. Nous allons tenter de voir plus précisément, chiffres à l'appui, grâce au recensement des cas d‟explicitation relevés dans notre corpus par année, si cette stratégie était appliquée, suivant les périodes, et le contexte, de façon plus ou moins systématique durant la période étudiée. La fréquence des explicitations sur certaines années pourrait nous servir d‟indicateur de la place et de la fonction de la traduction dans telle ou telle période. Nous y reviendrons dans le chapitre V. Nous passons à présent à l‟approche de Toury qui recèle de nouveaux concepts extrêmement utiles pour valider ou invalider nos hypothèses de recherche.

1.2. Les normes de traduction selon Toury : les clés du processus Dans le cadre de la théorie du Polysystème, Toury (1978, 1995) développe le concept des normes pour rendre compte de l‟interaction entre les systèmes littéraires et culturels et le processus de prise de décision aboutissant à la mise en œuvre de telle ou telle stratégie de traduction dans les traductions analysées. Dans son analyse des textes traduits, Toury part de l'hypothèse selon laquelle la traduction, comme toute forme d‟écriture, obéit à des « normes ». La soumission aux normes du texte source permet de dire qu'une traduction est « adéquate » par rapport au texte source, tandis que la soumission aux normes de la culture cible permet de dire que c‟est une traduction « acceptable » dans le système d‟accueil. Il s‟intéresse tout particulièrement au deuxième cas de figure qu‟il se propose de définir et d‟analyser à partir de l‟étude des traductions existantes. Ainsi, l‟analyse de ces normes devient un moyen d‟expliquer le processus de prise de décision des traducteurs, qui

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cherchent à rendre leurs traductions acceptables dans le système de réception. Autrement dit, les normes sont censées révéler les comportement des traducteurs et déterminer ce qui est acceptable, adéquat ou interdit dans le processus de traduction : « the translation of general values or ideas shared by a community - as to what is right and wrong, adequate and inadequate - into performance instructions appropriate for and applicable to particular situations, specifying what is prescribed and forbidden as well as what is tolerated in certain behavioural dimension » Toury (1995 : 54-55). Cependant, les normes sont spécifiques à chaque culture. De surcroît, elles sont instables car elles sont influencées en permanence par les changements d‟époques et des systèmes littéraires, linguistiques, culturels et autres. Comment procéder alors pour identifier objectivement les normes qui déterminent l‟accueil bienveillant ou hostile des traductions dans un polysystème donnée à un moment donné ? Selon Toury, il existe deux sources pour connaître ces normes : la première consiste à recueillir et analyser les déclarations des divers acteurs de la traduction, tels que les praticiens, les théoriciens, les réviseurs, etc., concernant les normes, sans devoir analyser les traductions elles-mêmes. La deuxième consiste à analyser les traductions afin de détecter les variations linguistiques et textuelles censées être le produit des prises de décisions des traducteurs, décisions qui sont supposées être, à leur tour, issues des normes. Il précise que les données collectées de la première source peuvent contenir des préférences et des perceptions personnelles des protagonistes concernés et préfère ainsi se baser sur les normes issues de l‟analyse des textes, bien que celles-ci puissent aussi comporter un certain degré de relativité et de généralisation. En effet, ces normes seront, en fin de compte, le résultat d‟un processus de déduction et de généralisation basées sur les analyses de données linguistiques, comme le requièrent les canons scientifiques de la démarche empirique. Il propose donc un modèle d‟analyse des variations linguistiques et textuelles qui existent entre des petits segments du texte source et cible, appelés des « unités de traduction »88. Le relevé de ces variations se réalise, de façon objective, à l'aide du concept d‟ « écart » déjà évoqué, en comparant ces segments sélectionnés entre eux. Ces variations reflètent donc des choix traductifs. L‟orientation observée dans les segments analysés du texte permet d‟établir une orientation générale pour le texte et pour la traduction dans son ensemble. L‟on pourrait ainsi déterminer si telle traduction est orientée vers la langue et le texte de départ ou si telle autre est orientée vers la langue de la culture réceptrice.

88

L‟unité de traduction telle que l‟entend Toury n‟a rien à voir avec l‟« unité de sens » définie par Lederer. Il s‟agit ici de segments de texte dégagés par le chercheur aux fins d‟analyse. Le choix des segments doit se faire en fonction de la comparaison à laquelle les segments sont soumis.

Partie I : Chapitre II : L’explicitation dans les approches descriptives de la traduction (DTS)

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1.3. Les trois catégories de normes de traduction Après analyse des données89, Toury dégage trois catégories de normes : les normes initiales, les normes préliminaires et les normes opérationnelles. L‟ensemble de ces normes déterminent les stratégies de traduction mises en place par les traducteurs afin de réaliser des traductions dites acceptables. 1.3.1. Les normes initiales : l‟adéquation versus l‟acceptabilité Toury conçoit la norme initiale comme un moyen d‟identifier l‟orientation générale de la traduction. S‟agit-il d‟une traduction orientée dans l‟ensemble vers le texte et la langue de départ ou vers le texte et la langue d‟arrivée? Dans le premier cas, la traduction reflète des normes ou des éléments de la langue de départ, ce qui détermine son degré d‟« adéquation » par rapport au texte source, dans le deuxième cas, elle reflétera des normes et des éléments linguistiques propres à la langue et au texte d‟arrivée, ce qui détermine son degré d‟« acceptabilité » dans la culture réceptrice (Toury 1995 : 57)90. L‟orientation générale de la traduction vers le texte source ou cible n‟empêche pas de constater des décisions de traduction qui vont à l'encontre de cette orientation dans certains segments analysés ; la norme initiale étant un indicateur général par rapport à d‟autres normes plus spécifiques. 1.3.2. Les normes préliminaires : la stratégie générale Les normes préliminaires portent sur l‟analyse de la politique relative à la traduction, lorsque politique il y a, et sur l‟acceptation des traductions indirectes (translation policy et directness of translation)91. Par politique de traduction, Toury entend les éléments régissant le choix des textes à traduire dans une culture ou une langue donnée, à une époque précise. Le choix des types de textes à traduire n‟est pas laissé au hasard ; il dépend souvent des maisons d‟éditions qui décident d‟introduire tel ou tel texte dans le système d‟accueil. 1.3.3. Les normes opérationnelles : les variations des reformulations Ce sont les normes qui régissent, au cours du processus de traduction, la segmentation et la reformulation du texte, c‟est-à-dire ce qui varie et ce qui reste invariable entre les deux textes source et cible. Parmi les normes opérationnelles, Toury distingue les normes matricielles et les normes texto-linguistiques.

89

Les normes identifiées par Toury proviennent des données quantitatives enregistrées et analysées pendant quinze ans portant sur la traduction de romans étrangers. 90 Cf. notre bref exposé de l‟approche d‟Even-Zohar. 91 Par « directness of translation », Toury entend la possibilité de traduire un texte à partir d‟une langue-relais qui n‟est pas la langue source (traduire par exemple un texte littéraire coréen en français en se fondant sur la traduction anglaise).

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Les premières se rapportent à l‟intégralité du texte d‟arrivée. Il s‟agit en fait des variations par rapport au texte de départ : les omissions, les ajouts, l‟emplacement des passages, le découpage du texte en segments, les notes en bas de page, etc. Certaines variations observées dans la traduction peuvent dériver de la structure même de la langue d‟arrivée ou des stratégies de compensation ou de perte appliquées par les traducteurs, dont l‟explicitation. Les secondes concernent les choix linguistiques, c‟est-à-dire le choix des éléments lexicaux, des phrases et des traits stylistiques du texte d‟arrivée. Toury distingue deux types de normes textolinguistiques : les normes générales qui s‟appliquent à la traduction en général, et les normes particulières se rapportent à un mode de traduction en particulier ou à la traduction d‟un type particulier de texte.

1.4. L‟explicitation : entre lois, universaux et normes de traduction! De l‟analyse générale de nombreuses traductions de romans étrangers pendant plus de quinze ans, Toury dégage quelques normes générales, à savoir : la standardisation, l‟interférence, la simplification et l‟explicitation (Toury 1995 : 267-279). Vu leur fréquence dans presque toutes les traductions analysées, ces normes sont parfois appelées des « lois de traduction », les autres chercheurs, intéressés par ce phénomène les appelleront plutôt des « universaux de traduction »92 ou des « tendances » (Baker 1993, Laviosa-Braithwaite 1998, etc.). La « standardisation » correspond à la stratégie de la naturalisation que nous avons déjà évoquée, c'est-àdire l‟adaptation du texte source aux normes de la culture cible. L‟« interférence » renvoie au transfert d‟éléments appartenant au texte source vers le texte cible, comme les emprunts, les reports, etc. Ces interférences créent des ajouts dans la traduction, notamment dans le cadre du transfert culturel d‟une langue/culture « majeure » vers une langue/culture « mineure » ou « faible ». (Ibid. : 275). La « simplification » s‟observe surtout lorsque l‟on ne trouve pas les bonnes équivalences. L‟explicitation renvoie au fait que les textes traduits ont tendance à afficher plus d’explicitness, (plus de clarté, de matière linguistique) que leurs textes d‟origine ou d‟autres textes comparables (Toury 1995 : 227, 2004 : 23-24). Dans ses travaux antérieurs, Toury avait déjà noté cette tendance à l‟explicitation : « there is an almost general tendency Ŕ irrespective of the translator‟s identity, language, genre, period, and the like Ŕ to explicitate in the translation information that is only implicit in the original text » (Toury 1980 : 60). Dans le sillage de Toury, Chesterman (1997 : 71) considère lui aussi l‟explicitation comme une loi de la traduction : « another translation law that has long been recognized is the law of explicitation: translators tend to produce texts that are more explicit than the originals ». La notion de « normes » de Toury et sa démarche empirique s‟avèrent particulièrement intéressantes pour conduire des analyses fouillées sur notre corpus du MD. Faute d‟avoir des informations précises sur les traducteurs ou sur les consignes de traduction, nous nous appuyons 92

C‟est-à-dire des phénomènes universels observés dans toutes les traductions. Nous y reviendrons.

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sur la deuxième source d‟informations d‟après Toury, qui est l‟analyse des manifestations concrètes des décisions d‟explicitation consignées dans le texte traduit. L‟analyse globale des écarts d‟explicitation relevés dans le MD, au cours des années, pourra nous permettre de découvrir, non seulement les normes de traduction en vigueur durant cette période, mais aussi le rapport entre certains changements de facteurs dans le contexte d‟accueil - comme l‟élargissement du lectorat, la publication gratuite du MD dès 2007, la sélection de plus de textes à traduire, etc. - et le degré d‟explicitation. L‟analyse diachronique et synchronique des écarts d‟explicitation face à des problèmes particuliers de traduction, comme la traduction des jeux de mots, des métonymies sur toponymes, des emplois antonomasiques de noms propres, des comparaisons implicites, des référents inexistants en langue et/ou culture arabe, etc., nous permettra de découvrir les normes opérationnelles en vigueur, c'est-à-dire de décrire d‟éventuelles régularités dans l‟application de telle ou telle technique d‟explicitation à l'égard de ces cas problématiques. Nous y reviendrons en détails dans les chapitres IV et V. Qui plus est, ces écarts recèlent des indices sur le profil sociolinguistique des traducteurs, leur évaluation des connaissances linguistiques et culturelles des lecteurs cibles, leur conception de la tâche de traduction, leurs lacunes encyclopédiques, etc.  Le concept de « minimisation des risques » selon Pym

Nous intégrons les travaux de Pym dans les approches descriptives de la traduction, car cet auteur s‟intéresse tout particulièrement aux sujets relatifs aux recherches empiriques sur l‟explicitation, ainsi qu‟au domaine de la communication interculturelle. Sous cette perspective, Pym développe une conception de l‟explicitation qui repose sur le principe de « risk aversion ». Selon lui, lors de l‟interprétation du message par les lecteurs cibles, l‟explicitation se présente comme un type de coopération traducteur-lecteur où le traducteur éprouve un besoin naturel d‟être aussi clair et précis que possible, ce qui l‟amène à prévoir les éventuels risques d‟incompréhension ou d‟ambiguïté du sens et à les dissiper. Le recours à l‟explicitation concrétise cette volonté de minimisation des risques d‟interprétation du sens : « the translator wants to avoid or minimize risk, and one of the means for this is precisely explicitation» (Pym 2005 : 41). L‟idée de l‟anticipation des réactions des lecteurs pour empêcher ces risques de se produire a été reprise par beaucoup de chercheurs empiriques, que nous allons étudier dans la section suivante. Ils s‟appuient sur ce concept pour expliquer les motivations de certaines explicitations constatées dans leurs corpus. Dans cette optique communicationnelle, l‟explicitation se propose comme une solution qui offre une certaine garantie en matière de transmission du sens. Les risques que fait encourir le mauvais dosage de l‟explicitation (comme la répétition ou la redondance sémantique) restent beaucoup moins lourds de conséquence que le risque d‟incompréhension occasionné par une nonexplicitation. C‟est dans ce sens que Becher 2011 déclare ceci : « What is the risk of being too explicit? A waste of energy and paper Ŕ not too bad. What is the risk of being too implicit? Communicative breakdown Ŕ very bad. This shows that it is perfectly natural and justifiable for

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translators to adopt a strategy of avoiding implicitness, even where it is not licensed by the source text » (Becher 2011 : 62). Pym pousse un peu loin sa réflexion sur l‟explicitation en avançant que cette stratégie peut être davantage sollicitée lorsqu‟il s‟agit de traduire des textes ou des passages d‟une grande complexité, afin de faciliter l‟interprétation du texte traduit par le lecteur : « the harder the source text, the harder the translator works, and the more likely they are to make their renditions explicit » (Pym 2005 : 8-9). Aussi, l‟explicitation serait-elle une des traces des efforts cognitifs de l‟interprétation du message et du texte : plus l‟effort d‟interprétation est important, plus les traces d‟explicitation se manifestent dans le texte traduit : « Addition is used where they implement their mental explicitation in the TT [target text] » (Ibid. : 9). Le principe de « minimisation des risques » de Pym (2005) tient bien sûr compte des éventuels déséquilibres engendrés par les impératifs d‟urgence et par l‟explosion de la demande de traduction. Le traducteur qui voudrait produire une traduction claire et intelligible, dans un délai serré, n‟aura pas le temps de chercher des trouvailles linguistiques inédites ou des adaptations culturelles risquées. Il sollicite davantage l‟explicitation qui est compatible avec la stratégie minimax : plus de résultats pour un minimum de risques, d‟efforts et de temps. La traduction peut ne pas être parfaite, ce qui est d‟ailleurs presque toujours le cas, mais elle est au moins correcte et intelligible. Compte tenu des délais et des conditions de la traduction du MD, ce principe pourrait jouer un rôle crucial dans cette traduction si l‟on voulait rendre un texte intelligible, et sans prendre des risques inutiles. Si nous retournons à notre exemple nº 1, il est clair que le traducteur de ce MD novembre 2008 a pris des risques d‟ambiguïté, voire d‟incompréhension du sens, en apportant trop peu d‟informations pertinentes ou en passant sous silence des sens implicites dont la compréhension est décisive pour saisir le vouloir dire de l‟énoncé. Avec quelques suppléments d‟informations, le traducteur aurait pu éliminer ces risques. Et comme l‟explique Becher, au demeurant, le risque de redondance, au cas où le lecteur arabe saurait seul déchiffrer le sens, est beaucoup moins grave que le risque d‟incompréhension.

2. L‟explicitation du point de vue des approches empiriques Dans le cadre conceptuel et méthodologique des DTS, des dizaines de travaux empiriques ont été effectués sur l‟explicitation, en analysant ce phénomène dans différents corpus de traductions, à partir de certaines hypothèses formulées par des chercheurs comme Blum-Kulka (1986), Klaudy et Károly (2001, 2005) et House (2004). L‟on parle désormais d‟ « hypothèses d‟explicitation » que l‟on cherche à valider ou invalider par la mise en œuvre d‟une méthodologie empirique. La première hypothèse et la plus influente est celle émise par Blum-Kulka (1986), connue sous le nom de « l‟hypothèse de l‟explicitation », (dorénavant l‟Hypothèse ou l‟hypothèse de BlumKulka).

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2.1. L‟hypothèse de l‟explicitation Cette Hypothèse est d‟une importance particulière car, par les suppositions qu‟elle a formulées et par la méthodologie de recherche qu‟elle a élaborée, elle a participé à la création d‟un nouveau cadre de recherche, entièrement destiné à l‟analyse du phénomène de l‟explicitation en traduction. Nonobstant son importance, cette Hypothèse pâtit de confusions et de malentendus de la part des chercheurs qui s‟en inspirent sans avoir bien assimilé ses suppositions ou suivi ses recommandations. C‟est la raison pour laquelle, nous avons jugé nécessaire de faire toute la lumière sur cette étape charnière de la recherche en matière d‟explicitation. 2.1.1. Le contexte d‟apparition de l‟Hypothèse Cette Hypothèse est formulée par Blum-Kulka (1986) dans un article intitulé « Shifts of cohesion and coherence in translation », consacré à l‟étude des écarts de cohésion et de cohérence entre les textes traduits et leurs textes sources. A cette époque, le terme « explicitation » qui fut introduit grâce à la stylistique comparée de Vinay et Darbelnet (1956), n‟était pas encore largement utilisé dans les études traductologiques, mis à part certains travaux relevant des approches communicationnelles (la TIT et la théorie de la Pertinence) examinées dans le chapitre précédent. Malgré le développement des approches communicationnelles et fonctionnelles dans les années 70 et 80, l‟explicitation était souvent considérée comme une transformation du contenu ou de la forme du texte source, lors de la traduction, qui est liée principalement à l'implicite linguistique. Cette transformation se manifeste par l'apparition, dans le texte traduit, d‟informations qui ne sont pas exprimées linguistiquement dans le texte source, mais qui existent dans la structure profonde de ces textes, c'est-à-dire de façon à la fois implicite et déductible pour le lecteur d‟origine. Ces transformations, appelées « écarts de traduction » (shifts of translation), et constatées à partir d‟une analyse contrastive entre le texte source et le texte cible, sont souvent attribuées aux différences typologiques sémantiques et syntaxiques entre les langues selon Barkhudarov (1979)93, ou à ce que Vaseva (1980)94 appelle « linguistic asymmetry » et « missing catégories ». L‟asymétrie linguistique implique que le traducteur exprime plus explicitement dans la langue cible des composantes sémantiques implicites dans la langue source ; les catégories manquantes renvoient au fait que certaines catégories grammaticales peuvent exister dans une langue, mais pas dans l‟autre, ce qui suscitent des explicitations. S‟inspirant du modèle inférentiel et s‟appuyant sur la méthode de l‟analyse du discours, Blum-Kulka dépasse ce cadre purement linguistique et envisage l‟explicitation sous la perspective communicationnelle : « It is assumed 93

Barkhudarov analyse les additions en traduction de l‟anglais vers le russe et les explique par l'existence de syntagmes nominaux elliptiques en anglais, que le traducteur devrait reformuler explicitement en russe, car cette langue s‟accommode mal du caractère elliptique de l‟anglais. Ainsi, « gun licence » devient en russe, “licence for right to carry weapon”. Cité par Klaudy (1998 : 81), in Baker (1998). 94 Vaseva analyse également les additions lexicales et grammaticales générées par la traduction du russe vers le bulgare et inversement, et constate que la langue bulgare a des articles alors que le russe n‟en a pas, ce qui fait que le traducteur « transforme » le texte en ajoutant ces catégories manquantes.

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that translation should be viewed as an act of communication ; as in the study of all acts of communication, consideration of both the process and the product of the communicative act necessarily relate to at least the linguistic, discoursal and social systems holding for the two languages and cultures involved » (Blum-Kulka 1986 : 17). 2.1.2. Les écarts de cohésion et de cohérence inhérents à l‟explicitation Blum-Kulka (1986) ne donne pas une définition précise du concept de l‟explicitation, mais elle explique ce phénomène à travers l‟analyse des écarts de cohésion et de cohérence, dans un corpus composé de traductions entre le français, l‟hébreu et l‟anglais. Ces écarts sont considérés comme des indicateurs textuels de la présence d‟explicitation, dans la mesure où ils génèrent souvent plus d‟« explicitness »95 au niveau des textes traduits. S‟agissant des écarts de cohésion, ils se manifestent, au niveau linguistique et textuel, sous forme de marqueurs linguistiques spécifiques (coordinateurs, conjoncteurs, etc.) situés entre les mots et les segments du texte, de sorte à créer des relations sémantiques entre ses composantes linguistiques, des liens logiques, et à rendre le texte grammaticalement et syntaxiquement correct. Ils sont inhérents au choix des mots, à la structure phrastique et interphrastique, à la densité textuelle et à l‟organisation informationnelle. Quant à leurs motivations, ces écarts de cohésion sont souvent imputables aux différences entre les systèmes linguistiques. Il peut s‟agir de différences de système grammatical, comme par exemple la précision en français de la référence anaphorique et du genre, lors de la traduction de l‟anglais qui ne précise pas le genre des mots. Aussi la langue française est-elle considérée comme plus explicite que la langue anglaise par rapport à ce point de référence linguistique. Comme il peut s‟agir aussi de différences au niveau des préférences stylistiques textuelles. BlumKulka s‟appuie sur les travaux de Levenston (1976), de Berman (1978) et de Vieira (1984) qui démontrent que l‟hébreu préfère comme norme stylistique la répétition lexicale, tandis que l‟anglais tend plutôt vers la pronominalisation. L‟hébreu est donc plus explicite que l‟anglais par rapport à ce registre. En ce qui concerne les écarts de cohérence, ils renvoient à l‟inférence du sens du texte par le lecteur, selon les principes de la pertinence et de l‟implicature que nous avons déjà évoqués. Ils agissent au niveau des connaissances cognitives du lecteur et des informations fournies explicitement par le texte et/ou implicitement par le contexte. Ils sont donc inhérents au lecteur (reader-based shifts) et au texte (texte-based shifts). Selon l‟auteur, ces écarts découlent essentiellement de l‟interprétation que fait le traducteur des liens implicites du texte et de son 95

Avant d‟expliquer les éléments de cette Hypothèse, nous tenons à préciser, dès à présent, que le concept de l’explicitness joue un rôle crucial dans l‟analyse de la conception de l‟explicitation dans ce cadre empirique. Nous avons jugé utile et plus commode de garder, dorénavant, le terme tel quel, en l‟employant en italique comme un terme masculin. Par explicitness, nous entendons l‟augmentation des éléments exprimés linguistiquement dans le texte traduit ayant souvent pour effet l‟augmentation de la clarté au niveau sémantique.

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évaluation des différences des connaissances culturelles entre les lecteurs cibles et les lecteurs de l‟original et de la stratégie textuelle, mise en œuvre par l‟auteur, sous-tendant la structure d‟informations. De tout cela, Blum-Kulka conclut que le processus de traduction entraîne nécessairement des variations au niveau des écarts de cohésion et de cohérence. Lesquels se soldent souvent par l‟augmentation de l’explicitness du texte traduit. C‟est ainsi qu‟elle aboutit à la formulation suivante de son Hypothèse. 2.1.3. L‟énoncé de l‟Hypothèse L‟essentiel de cette hypothèse est exposé dans les deux passages suivants : “The process of interpretation performed by the translator on the source text might lead to a TL [target language] text which is more redundant than the SL [source language] text. This redundancy can be expressed by a rise in the level of cohesive explicitness in the [target language] text. This argument may be stated as „the explicitation hypothesis‟, which postulates an observed cohesive explicitness from [source language] to [target language] texts regardless of the increase traceable to differences between the two linguistic and textual systems involved. It follows that explicitation is viewed here as inherent in the process of translation» (Blum-Kulka 1986 : 19)96 […] thus, it might be that explicitation is a universal strategy inherent in the process of language mediation, as practiced by language learners, non-professional translators and professional translators alike” (Ibid. : 21). 2.1.4. L‟explication de l‟Hypothèse En se basant sur l‟analyse des motivations de ces écarts, Blum-Kulka soutient que les écarts inhérents à l'explicitation peuvent être classés en deux catégories : 1- Les écarts d‟explicitation « inhérents aux systèmes » : ces écarts dépendent des deux types de différences : a) les différences linguistiques et culturelles entre les langues et les différences de connaissances d‟audiences impliquées en traduction ; b) les préférences stylistiques, c'est-à-dire les différences dans les normes stylistiques et communicatives textuelles des deux langues. Pour faciliter la distinction entre les différents écarts supposés par l‟Hypothèse, nous allons qualifier désormais toutes ces différences ainsi que les écarts d‟explicitations qui en résultent de « systémiques ». Leur explication et théorisation s‟inscrit dans le cadre de ce que Blum-Kulka appelle l’hypothèse de transfert97. 2- Les écarts d‟explicitation « inhérents à la traduction », c‟est à dire ceux qui sont liés intrinsèquement au processus même de la traduction, indépendamment des différences

96

Nous soulignons et ajoutons les parenthèses. L‟auteur ne fournit pas d‟éléments supplémentaires sur cette hypothèse, qui ne fait pas l‟objet de son analyse de corpus ni de son intérêt pour la question des écarts de cohésion et de cohérence. 97

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systémiques. Nous allons qualifier désormais ces différences ainsi que les écarts d‟explicitation qui en découlent de « traductionnels ». Malgré l‟importance des écarts systémiques, notamment ceux en rapport avec le lectorat cible (reader-based shifts), Blum-Kulka développe sa fameuse Hypothèse exclusivement à partir de la deuxième catégorie d‟écarts, qui sont d‟ailleurs majoritaires dans son corpus. Elle suggère que ces explicitations issues des écarts traductionnels s‟expliquent par le fait qu‟elles sont liées au processus de médiation linguistique et d‟interprétation du texte qu‟implique naturellement tout acte de traduire. Elles génèrent plus d’explicitness dans les textes traduits et sont donc indépendantes de toute différence systémique, qu‟elle soit inhérente aux systèmes linguistiques et culturels ou aux préférences stylistiques et communicatives textuelles. Ces explicitations ont généralement pour effet de rendre les textes traduits plus redondants dans la mesure où elles ne font que développer explicitement un implicite préexistant. En outre, ce genre d‟explicitations existe dans tous les textes traduits, quelle que soit la langue ou le texte, voire l‟expérience du traducteur. Par conséquent, Blum-Kulka suggère que l‟explicitation serait une stratégie universelle de traduction. Le schéma suivant représente les différentes implications de l‟Hypothèse ainsi que leur imbrication les unes avec les autres.

Hypothèse de l‟explicitation

Indépendance des systèmes linguistiques

Inhérence au processus de traduction

Augmentation de l’explicitness

Redondance des textes traduits

Indépendance de l‟expérience des traducteurs

L‟explicitation pourrait être une stratégie universelle de traduction

Figure 2: La représentation de l‟ensemble des suppositions de l‟hypothèse de Blum-Kulka (1986)

Les exemples que fournit Blum-Kulka pour illustrer et soutenir son Hypothèse sont de deux types : premièrement, les exemples classiques relatifs aux écarts de cohésion qui se manifestent souvent par l‟ajout de marqueurs cohésifs comme « to, so, then, and, etc. », que le traducteur introduit sur la base de son interprétation des liens logiques implicites entre les segments des textes. Deuxièmement, les exemples qui montrent, selon elle, qu‟il existe bel et bien des

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explicitations sans aucun lien avec des motivations dites « systémiques ». C‟est le cas de la traduction de cette phrase « She told them not to help each other » par « Elle leur dit de ne pas s‟aider et de travailler tout seul » (exemple 5b) (Blum-Kulka 1986 : 20 [293]). Selon Blum-Kulka, cette explicitation n‟est pas due aux préférences stylistiques du français ni aux différences linguistiques. Elle découle de l‟interprétation qu‟a faite le traducteur du sens de l‟énoncé, de son envie d‟expliciter le sens logique implicite et de rendre le texte plus clair, créant ainsi une redondance sémantique. Elle commente cette traduction en disant : « While in texts 3 and 4 the process of explicitation might be connected to syntatctic or lexical language differences, no so much argument can be used to explain the exemples in 5. The translator simply expands the TL text, building into it a semantic redundancy absent in the original.” (Blum-Kulka 1986 : 23). Afin de mieux cerner les conséquences d‟une telle conception de l‟explicitation, et avant d‟aller loin dans l‟analyse de cette Hypothèse, nous allons commencer par l‟appliquer sur notre exemple nº 1.

2.2. Application de l‟Hypothèse à notre exemple nº 1 En vertu de cette Hypothèse, nous pouvons distinguer dans notre exemple les explicitations suivantes : Les explicitations dues aux différences systémiques entre la langue française et la langue arabe. Il s‟agit par exemple de la traduction de « avant l‟été » par « avant la saison de l‟été » et de celle de « la même que Favilla » par « la même pomme de Favilla ». Ces deux explicitations peuvent être attribuées aux préférences stylistiques de l‟arabe98 qui tend à la prolixité et la dépronomination, en introduisant ces précisions. À cela s‟ajoute les autres explicitations, plus nombreuses, dues aux différences culturelles, comme celles en rapport avec les anthroponymes, les noms des contes, des journaux, que nous avons évoqués à maintes reprises. Ces explicitations peuvent être considérées comme des écarts de cohérence inhérents aux lecteurs (reader-based shifts), puisqu‟elles visent à combler certaines lacunes au niveau des connaissances cognitives des lecteurs arabes sur ces référents. L‟ensemble de ces écarts rentrent dans la catégorie des explicitations « systémiques » qui s‟expliquent dans le cadre de « l‟hypothèse du transfert », et non dans celle de la fameuse hypothèse de l‟explicitation, à proprement parler. Toujours est-il qu‟il existe des centaines d‟explicitations qui peuvent appartenir à ce que BlumKulka appelle « les explicitations traductionnelles ». Dans notre exemple, nous en avons relevé deux : d‟abord, la traduction du syntagme verbal « avoir affaire à ces habituels fâcheux d‟Attac »

98

Nous verrons également plus tard dans notre corpus des explicitations de ce genre, comme celle de l‟expression « en 2005 » par 5002 ‫بٻ‬٥ ‫( في‬en l‟année 2005). Cet ajout, visant à expliciter un implicite linguistique, reflète plutôt une norme stylistique propre à l‟arabe moderne, créant certes une redondance. Il est à noter que le registre littéraire arabe, avec lequel sont écrits les textes littéraires ou religieux moyenâgeux et certains textes plus ou récents, est, au contraire, très concis et proscrit complètement cette prolixité. Nous y reviendrons dans l‟analyse des effets des normes linguistiques et stylistiques sur le degré de l‟explicitation dans le chapitre V.

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par « [il] se croira plutôt devant les articles furieux99, de l‟organisation Attac... » ; et puis la traduction du syntagme nominal « les bienfaits du marché » par « les vertus de l‟économie du marché ». Dans les deux cas, l‟ajout des mots « articles » et « économie » n‟a pas de motivation linguistique ni stylistique, car il n‟existe aucune difficulté à traduire les termes de l‟original par les correspondances linguistiques pré-établies. Ces deux écarts découlent plutôt de l‟interprétation du sens de ces deux syntagmes dans ce contexte. Par cette reformulation plus claire de l‟idée qu‟il a comprise, le traducteur de ce MD voulait être plus explicite, en renforçant la cohérence : on n‟a pas affaire aux personnes physiques des responsables d‟Attac, mais à leurs déclarations, rendues en arabe par le mot "‫( "يقبالد‬articles) ; les bienfaits ne sont pas inhérents au marché lui-même, mais à la politique économique d‟ouverture envers les marchés financiers mondiaux. En vertu de l‟hypothèse, il s‟agit donc d‟écarts de cohérence, que l‟on peut appeler des « explicitations traductionnelles ». C‟est sur ces écarts que les suppositions énoncées de l‟hypothèse peuvent s‟appliquer : elles sont intrinsèquement liées au processus de la traduction, car elles ne résultent que de l‟interprétation du sens des énoncés en discours. Elles génèrent plus d’explicitness, et sont donc une source éventuelle de redondance, car certains lecteurs, voire la majorité, peuvent déduire aisément le sens du contexte. Suivant toujours la logique de l‟Hypothèse, de tels écarts ne sont pas exclusivement le fait de ce traducteur en particulier, mais peuvent se manifester dans d‟autres contextes identiques, traduits par d‟autres traducteurs arabes, abstraction faite de leur expérience professionnelle. Dans ce sens, les explicitations correspondant à ces écarts de cohérence pourraient être considérées comme un trait caractéristique de toutes les traductions faites en arabe. L‟explicitation serait ainsi une stratégie universelle de traduction en arabe, en tout temps, et dans tous les types de textes. Au risque de nous répéter, nous ne devons pas perdre de vue le point focal de toutes ces suppositions : elles ne s‟appliquent, selon l‟Hypothèse, qu‟aux écarts de cohésion et de cohérence. En effet, ceci a été et est encore la source de confusion conceptuelle et méthodologique autour de l‟hypothèse de Blum-Kulka.

2.3. Les confusions autour de cette Hypothèse Cette hypothèse de Blum-Kulka a jeté un pavé dans la mare de la recherche sur l‟explicitation, en ce sens qu‟elle a donné naissance à de nouvelles pistes de réflexion en la matière, à savoir l‟augmentation de l’explicitness dans les textes traduits, la prétendue universalité de la stratégie d‟explicitation. Cependant, malgré l‟originalité et l‟apparente simplicité de l‟Hypothèse, sa formulation initiale par Blum-Kulka a été relativement vague, ce qui a provoqué plusieurs confusions conceptuelles et méthodologiques dans les recherches empiriques ultérieures qui s‟en

99

Il semble clairement que le traducteur ait confondu les termes « fâcheux » et « fâchés », en traduisant l‟acception du deuxième terme à la place de celle du premier. Fâcheux, ici, ne veut pas dire furieux, mais plutôt dérangeant, gênant, désagréable. On se croirait donc face à l'une des déclarations désagréables et hostiles à l'économie de marché, comme en font habituellement les partisans d‟Attac. Nous aurions proposé en arabe le terme "‫غخ‬٥‫( "اظتي‬gênantes).

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sont inspirées. Afin de souligner puis de dissiper les malentendus autour de cette Hypothèse100, nous tenons à avancer quatre remarques générales : Premièrement, comme nous l‟avons déjà souligné, toutes les explicitations « systémiques » font partie de « l‟hypothèse du transfert » et sont donc purement et simplement exclues de « l‟hypothèse de l‟explicitation ». Pour conduire correctement la recherche empirique sur l‟explicitation, dans le cadre de cette Hypothèse, il conviendrait de respecter d‟emblée cette distinction opérée entre ces deux volets. En effet, nous avons constaté que certains chercheurs, que nous allons mentionner ultérieurement, n‟ont pas rigoureusement appliqué cette distinction tant dans le relevé et que dans le classement des explicitations présentes dans leurs corpus. Une telle confusion risque de compromettre la validité de leurs conclusions sur les suppositions de l‟Hypothèse. Becher (2011) a consacré un chapitre de sa thèse à « l‟explicitation et l‟implicitation en traduction », à l'analyse de ces confusions observées dans certaines études empiriques qui se donnent comme objectif de valider l‟Hypothèse, sans pour autant se limiter aux écarts concernés. Deuxièmement, il ne s‟agit pas d‟une seule observation déduite, mais d‟un ensemble de constatations qui mettent en exergue plusieurs aspects du phénomène de l‟explicitation. En fait, Blum-Kulka évoque à la fois la question de l‟augmentation de l’explicitness dans les textes traduits, ayant pour corollaire la redondance, et l‟universalité de la stratégie d‟explicitation qui est inhérente au processus même de la traduction et donc indépendante des systèmes linguistiques, textuels, culturels et de l‟expérience du traducteur. C‟est donc un ensemble de sous-hypothèses imbriquées les unes dans les autres. Or, cette Hypothèse est souvent réduite à l‟idée de l'augmentation de l’explicitness ou à celle de l‟universalité de l‟explicitation. Certains chercheurs mènent des recherches qui confirment une partie des suppositions de l‟Hypothèse et concluent rapidement à sa validité en général. Une analyse scientifique des différentes études qui se revendiquent du cadre de cette hypothèse se doit de situer leurs conclusions par rapport à tous ces volets pour éviter les extrapolations infondées. Troisièmement, ce sont les écarts de cohésion et de cohérence produisant des explicitations « traductionnelles » qui doivent être les seuls indicateurs valides d‟explicitation, si l‟on veut mener la recherche dans la perspective de confirmer ou d‟infirmer l‟Hypothèse. Le choix d‟autres indicateurs d‟explicitation nécessiterait d‟abord l‟élaboration d‟une nouvelle définition de l‟explicitation et ensuite une éventuelle modification de cette Hypothèse. Nous avons constaté que certains chercheurs (Øverås 1998, Pápai 2004, Kamenická 2008) analysent des écarts, autres que ceux relevant de la cohésion et de la cohérence, et concluent ensuite que l‟Hypothèse est validée ou invalidée. De telles conclusions ne sont pas fondées, méthodologiquement parlant, car le point de comparaison n‟est plus le même. Quatrièmement, il importe de rappeler que Blum-Kulka n‟a jamais affirmé que cette Hypothèse avait été confirmée. Toutes ses observations restent des suppositions en attente de validation. Elle 100

La description que nous sommes en train de faire, dans cette section et celle d‟après, est originale car aucune étude, à notre connaissance, n‟a analysé, à ce jour, cette Hypothèse de cette manière.

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n‟a jamais affirmé que tous les textes traduits sont toujours plus explicites que les textes sources, ni que l‟explicitation est nécessairement une stratégie de traduction universelle. D‟ailleurs, pour valider cette hypothèse, Blum-Kulka propose à la communauté des chercheurs de mener des études plus approfondies sur ces écarts en particulier, dans des corpus de traductions de grande envergure, issus de plusieurs paires linguistiques et divers domaines de traduction, à l'aide d‟une méthodologie empirique rigoureuse qu‟elle a mise en place, spécialement à cet effet. Vu le volume important des recherches empiriques récentes sur l‟explicitation, nous tenons à rappeler ici les consignes principales afin de corriger la trajectoire des éventuelles futures recherches empiriques en la matière.

2.4. La méthode de recherche préconisée par Blum-Kulka Cette méthode s‟inscrit dans la perspective de la bi-directionalité (par exemple du français vers l‟arabe et vice-versa), et s‟appuie sur des analyses comparatives et contrastives de deux types de corpus : les corpus parallèles et les corpus comparables. Les corpus parallèles contiennent des textes sources en français (pour conserver notre exemple) en regard desquels sont placées leurs traductions en arabe. Ces corpus sont de préférence alignés, c'est-à-dire leurs textes sont coordonnés au niveau des phrases ou des paragraphes pour faciliter la consultation et la comparaison. Le but de cette première analyse de ce type de corpus est de relever les écarts d‟explicitation, toutes catégories confondues (tant systémiques que traductionnels). Les corpus comparables sont composés de textes traduits en langue (arabe) et d‟autres textes non traduits écrits directement en arabe (textes journalistiques arabes par exemple). Ils doivent être suffisamment importants pour être représentatifs des faits étudiés (marqueurs de cohésion, lexicalisation des pronoms, ajout de coordinateurs, interprétation des liens logiques implicites, etc.). Le but de cette deuxième analyse est de déterminer les normes stylistiques et linguistiques de la langue arabe à l'égard des faits étudiés, comme celles de la « lexicalisation des pronoms » par exemple. C‟est le cas de la répétition du mot « pomme » dans notre exemple nº1. Une fois les normes dégagées, il serait plus aisé de déterminer tous les écarts faisant partie de la catégorie des explicitations systémiques. Les explicitations dues aux motivations grammaticales et syntaxiques sont plus faciles à discerner grâce aux études contrastives linguistiques dans les deux langues. De la liste des écarts relevés dans le premier corpus parallèle français-arabe (systémiques et traductionnels), la méthode de Blum-Kulka préconise de supprimer les explicitations « systémiques » motivées par les normes linguistiques et stylistiques de l‟arabe inhérentes au fait étudié « la répétition lexicale, par exemple ». Cette suppression faite, il ne nous restera que les explicitations présumées « traductionnelles », motivées par l‟interprétation que fait le traducteur du sens de ces marqueurs de cohésion. C‟est sur ce genre d‟écarts, relevés à l'aide de cette méthodologie, que la recherche sur l‟Hypothèse peut (et doit) s‟effectuer, tout en limitant sa validité sur ce fait en particulier « lexicalisation des pronoms », sans aucune extrapolation

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générale. Il va falloir procéder de la même façon pour chaque langue étudiée (le français, l‟anglais, le chinois, etc.), pour chaque marqueur de cohésion ou de cohérence analysé, dans chacun des deux sens de la traduction (français-arabe et puis arabe-français), dans d‟autres combinaisons linguistiques (anglais-français, chinois-russe et russe-chinois, etc.) et dans différents types de textes, sur d‟autres faits linguistiques ou textuels, avant de se prononcer sur la validité générale de cette Hypothèse. La méthodologie est certes rigoureuse, mais complexe et exige de très nombreuses études, sur des corpus de grandes envergures, pour arriver à cette fin. Nous avons étudié plus d‟une trentaine de recherches de ce genre, dédiées exclusivement au sujet de l‟explicitation, dont nous allons présenter une synthèse générale, afin de creuser davantage la question de l‟explicitation en traduction, telle qu‟elle est perçue.

2.5. Les différentes recherches empiriques menées dans le cadre de l‟Hypothèse Avant de nous prononcer sur la validité de cette Hypothèse, à partir de l‟analyse de notre corpus d‟explicitations du MD, nous allons voir d‟abord les conclusions d‟une multitude de recherches empiriques sur cette même question, dans d‟autres langues, fondées sur d‟autres corpus. 2.5.1. Les caractéristiques générales de ces études Les recherches effectuées sur la base de cette Hypothèse sont empiriques, descriptives et s‟inscrivent pleinement dans le cadre des DTS. Grâce au développement des corpus informatisés à la fin des années 90, les recherches sur l‟explicitation se basent désormais sur d‟énormes corpus numériques, parallèles et comparables, composés de milliers de textes, ce qui améliore considérablement leur représentativité et leur fiabilité concernant le phénomène étudié (Tymoczyko 1998). Ces études sont majoritairement quantitatives, basées sur des analyses statistiques des occurrences d‟explicitations décontextualisées. Toutefois, il existe quelques études empiriques basées sur des analyses d‟exemples d‟explicitations en contexte (Séguinot 1998, Perego 2003, Dimitrova 2005, Saldanha 2008). 2.5.2. L‟étendue des recherches empiriques La majorité de ces études sont publiées dans le cadre d‟articles d‟une vingtaine de pages, mais il existe aussi quelques thèses de doctorat (Saldanha, Becher) et un ouvrage complet (Dimitrova) consacrées à cette problématique. Ces études sont menées sur des traductions en différentes langues, impliquant différents types de textes et dans presque tous les domaines de traduction. La majorité de ces recherches sont rédigées en langue anglaise, laquelle constitue également la langue la plus étudiée dans la plupart des corpus parallèles et comparables constitués.

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Pour les autres langues impliquées, nous mentionnons, sans être exhaustif, les exemples suivants : le français (Candace101 Séguinot 1988, Blum-Kulka 1986), le norvégien (Linn Øverås 1998, Fabricius-Hansen 1998), le russe (Sara Laviosa-Braithwaite 1996, 1998, Englund Dimitrova 2005, Inkeri Vehmas-Lehto 2001, 2001), l‟allemand (Nicole Baumgarten 2008, Viktor Becher 2010, 2011, Monica Doherty 2005, Juliane House 2004, Erich Steiner 2008), le hongrois (Kinga Klaudy 1993, 1998, Vilma Pápai 2004 Elise Perego 2003), le finnois (Tina Puurtinen 2004), le néerlandais (Rio Vanderauwera 1985), le polonais (Eva Gumul 2006, 2007, 2008), le portugais (Gabriel Saldanha 2007), l‟espagnol (Van Leuven-Zwart 1989, 1990, Anthony Pym 2005), l‟hébreu (Shoshana Blum-Kulka 1986, Rachel Weissbrod 1992, Miriam Shlesinger 1989), le tchèque (Renata Kamenická 2008, Petra Konšalová 2007, Jiri Lévy 1965), le chinois (Hsin-Hsi Chen 2004). Concernant la langue arabe, il n‟existe pas vraiment d‟études approfondies dans ce domaine, à l'exception de quelques de ces travaux : Mona Baker (1993, 1998), Jamal Al-Qinai (1999) sur le style des écarts linguistiques en traduction, un article sur les écarts de répétitions en arabe écrits par Rasoul ElKhafaji (2006, 2010) et un récent article sur les techniques d‟explicitation dans un corpus de traduction anglais-arabe (Waleed Othman 2013). D‟où, nous semble-t-il, l‟intérêt de notre étude portant sur un vaste corpus français-arabe, même si notre recherche ne portera pas uniquement sur des marqueurs de cohésion ou de cohérence. Quant aux types de texte et aux domaines de traduction concernés par ces recherches, nous en citons également quelques uns à titre indicatif : la traduction des textes économiques, juridiques, techniques, journalistiques (articles de magazines, presse), littéraires (roman, textes narratifs), pragmatiques (textes de vulgarisation scientifiques, information touristiques, discours politiques), populaires et historiques, la traduction pour enfant, le sous-titrage, l‟interprétation simultanée. Cette diversité des domaines de traduction investigués enrichit considérablement la réflexion sur l‟explicitation en traduction. S‟il n‟est pas étonnant de rencontrer des études portant sur l‟explicitation dans le domaine de la vulgarisation de textes scientifiques, il peut paraître plus surprenant et particulièrement intéressant de voir étudier ce phénomène dans le domaine du soustitrage. A priori, les contraintes audio-visuelles ne devraient pas être en faveur de l‟utilisation de l‟explicitation, à moins de regarder ce procédé d‟un autre œil102.

2.6. Les conclusions de ces recherches à l'égard de l‟hypothèse de l‟explicitation Pour ne pas perpétuer la fâcheuse tendance à donner une vision réductrice ou confuse de l‟Hypothèse, nous proposons de situer les différentes conclusions de ces études empiriques par rapport aux différentes suppositions énoncées par Blum-Kulka. Pour ce faire, nous allons diviser

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Contrairement à notre habitude de mentionner uniquement le nom de famille des auteurs, nous avons jugé utile de fournir dans ce passage le nom et le prénom de chaque chercheur, afin d‟aider les chercheurs intéressés à retrouver plus facilement ces études dans les différentes ressources documentaires. 102 En fait, ces études vont plaider pour la considération de l‟hyponymisation (choix d‟un terme plus précis) comme une technique d‟explicitation. Nous y reviendrons dans le chapitre V.

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l‟hypothèse de Blum-Kulka en cinq suppositions principales, auxquelles nous appellerons désormais hypothèse 1, 2, 3,4 et 5, avec h minuscule. 2.6.1. Les conclusions sur l‟hypothèse 1 : l‟augmentation de l’explicitness La plupart des recherches empiriques confirment cette idée : les écarts de cohésion et de cohérence génèrent des explicitations traductionnelles qui augmentent l’explicitness des textes traduits. Ainsi, par exemple, Vehmas-Lehto (1989 : 201) conclut que les textes journalistiques traduits en finnois sont plus explicites que les textes traduits en russe et ceux écrits en finnois ; Øverås (1998 : 583-588) confirme que l‟augmentation du niveau de l’explicitness dans les textes littéraires traduits de l‟anglais vers le norvégien et inversement, est une conséquence inévitable qui résulte du processus de la traduction. Dans la même lignée, Doherty (2003) aboutit à la conclusion que l‟augmentation de l’explicitness est un trait caractéristique des textes traduits qui peut même être considéré comme une mesure de différence entre les textes traduits et les textes comparables non traduits. En revanche, certaines études, quoique minoritaires, émettent des réserves à l'égard de cette supposition. D‟après Weissbrod (1992 : 153), l’explicitness n‟est pas une caractéristique figée des textes traduits, mais plutôt une tendance qui est influencée par des facteurs pragmatiques tels que l‟existence de normes communicatives généralement acceptées dans le contexte de la réception de la traduction produisant cet explicitness. L‟augmentation de ce dernier n‟est donc pas imputable uniquement au processus même de la traduction, ce qui ne permet pas de valider cette supposition. De son côté, Fabricius Hansen (1998 : 232) constate une tendance nette à l‟augmentation de l’explicitness, qui résulte de la traduction des tournures syntaxiques composées et denses des textes sources en plusieurs mots, voire plusieurs phrases. Cependant, ces explicitations sont dictées, selon lui, par les différences syntaxiques et stylistiques entre le norvégien, l‟anglais et l‟allemand, ce qui ne compte pas non plus comme une confirmation de cet élément de l‟Hypothèse. L‟étude de Baumgarten et al. (2008 : 198) va dans le même sens lorsqu‟elle conclut que l‟augmentation de l’explicitness dépend de plusieurs facteurs tels que les différences conventionnelles entre les langues impliquées en traduction, puisqu‟il ne se manifeste pas toujours dans toutes les traductions. 2.6.2. Les conclusions sur l‟hypothèse 2 : la redondance Rappelons-nous que, selon Blum-Kulka, le traducteur interprète le texte et comprend les liens de cohésion et de cohérence qui sont implicites dans le texte source. A partir de ce constat, elle émet l‟hypothèse que le traducteur tend à exprimer ces liens logiques au lecteur qui pourrait souvent les déduire sans ces explicitations, ce qui crée une redondance sémantique. Rares sont les chercheurs qui confirment cette hypothèse. En effet, selon Séguinot (1988 : 106), l‟augmentation de l’explicitness ne doit pas être toujours perçue comme une redondance. Cette vision, ajoute-telle, est réductrice à l'égard du concept de l‟explicitation. Heltai (2005) soutient également que les explicitations en traduction ne relèvent pas uniquement de la redondance sémantique. Elles

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s‟expliquent plutôt par le fait que les traducteurs voudraient accroître la lisibilité et l‟intelligibilité du texte traduit en réduisant les efforts interprétatifs investis par le lecteur pour inférer le sens, selon le « principe de la pertinence » que nous avons déjà évoqué. Gumul (2006) va dans le même sens en confirmant que l‟explicitation aide les interprètes à surmonter les difficultés d‟ordre culturel, et qu‟elle n‟est pas une simple redite de ce qui est déductible du contexte. 2.6.3. Les conclusions sur l‟hypothèse 3 : l‟inhérence de l‟explicitation au processus de la traduction Blum-Kulka avait supposé que l‟augmentation de l’explicitness, inhérente aux écarts de cohésion et de cohérence, était intrinsèquement liée au processus de la traduction et non aux différences entre les langues. Le problème majeur de cette hypothèse réside dans le fait que Blum-Kulka ne définit pas clairement les caractéristiques distinctives des explicitations traductionnelles et des explicitations « systémiques optionnelles », c'est-à-dire celles qui découlent des différences ou des préférences stylistiques entre les langues. Les explicitations « systémiques obligatoires » sont facilement reconnaissables, puisque, sans elles, la traduction est linguistiquement incorrecte. Les chercheurs vont tenter de remédier à cette relative imprécision et de découvrir la nature de ce type d‟explicitation « traductionnelle », de prouver son existence et de tenter de le distinguer plus clairement des explicitations optionnelles (Klaudy 1998, Becher 2010, 2011). Après examen des différentes études, nous pouvons dire que les avis sont partagés entre les auteurs, même si l‟on observe que la balance penche désormais plus du côté de l‟infirmation de cette hypothèse que de sa validation. Parmi les études confirmant cette hypothèse, figure celle de Vehmas-Lehto (1989 : 201) qui a scrupuleusement suivi la méthodologie proposée par Blum-Kulka et a constaté que les textes traduits dans une langue donnée sont plus explicites que les textes non-traduits écrits directement dans cette même langue. Elle en tire cette conclusion : « It is possible, therefore, that explicitation strategies inherent in the translation process cause translated texts in a given genre to be more explicit than the texts originally composed in the target language for the translations». S‟appuyant sur un corpus bidirectionnel de traductions de l‟anglais vers l‟hébreu, Shlesinger (1995) suggère que les interprètes tendent à rendre les formes implicites plus explicites, et ce dans les deux sens de la traduction et indépendamment des normes linguistiques et stylistiques des deux langues, ce qui confirme que l‟explicitation est liée au processus même de la traduction, indépendamment des autres facteurs linguistique, stylistique ou culturel. En suivant une autre méthode basée sur la comparaison du rapport explicitation/ implicitation dans un corpus bidirectionnel (anglais-norvégien) composés de textes littéraires, Øverås a trouvé que le nombre d‟explicitations a dépassé largement le nombre des implicitations dans les deux sens. Elle en conclut que : « explicitation is a characteristic feature of the translation process » Øverås (1998 : 588). Dans la même lignée, à l'aide d‟un corpus parallèle bidirectionnel allemand et tchèque composé de textes populaires historiques et d‟un autre corpus comparable de textes similaires dans les deux langues, Konšalová (2007) conduit une étude sur la traduction des

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expressions denses. À l'issu de cette étude, elle constate que les traducteurs tendent à expliciter plus qu‟à impliciter dans le sens du tchèque vers l‟allemand, alors que la tendance est moins nette dans l‟autre sens. Pour elle, ses résultats constituent un argument en faveur de l‟inhérence de cette stratégie au processus de la traduction et donc une confirmation de l‟Hypothèse (Konšalová 2007 : 31). Il importe de noter que les deux études d‟Øverås et de Konšalová (2007) comportent des erreurs méthodologiques compromettant leurs conclusions. Nous y reviendrons à la fin de cette section. En dehors de ces études confirmant ou prétendant confirmer l‟hypothèse, il existe d‟autres recherches qui invalident ou au moins émettent des réserves ou des restrictions à l'égard de cette question. Sous cette catégorie, nous pourrions mettre les études de Séguinot (1988), Klaudy (1998) et Kamenická (2007, 2008). Séguinot (1988:106) était l‟un des premiers chercheurs à s‟intéresser à l'hypothèse de BlumKulka sur l‟explicitation. À partir de son analyse d‟un corpus de traductions français-anglais, elle conclut que le processus de traduction inclut effectivement un processus d‟explicitation, sans pour autant limiter l‟explication de ce constat au seul processus d‟interprétation de sens implicite des liens logiques ou des marqueurs de cohésion. Elle montre que ces explicitations dites « traductionnelles » peuvent également être expliquées par les différences stylistiques et linguistiques comme l‟avaient déjà expliqué Vinay et Darbelnet, ou encore par d‟autres facteurs pragmatiques comme le travail de la révision de la traduction avant l‟édition, la prise en compte des futurs lecteurs de la traduction, etc. (Ibid. :109). Par ailleurs, dans la Routledge Encyclopedia of Translation Studies (Baker 1998 : 82), Klaudy (1998) a écrit un article sur ce phénomène où elle établit une typologie des explicitations en quatre catégories : Les explicitations obligatoires, dictées par les différences structurelles, syntaxiques et sémantiques entre les langues ; les explicitations optionnelles, motivées par les différences de stratégies textuelles de structuration de l‟information et par les préférences stylistiques entre les langues ; les explicitations pragmatiques, dictées par les différences entre les cultures et les connaissances partagées des lecteurs ; et enfin, et surtout, les explicitations inhérentes à la traduction attribuées à la nature même du processus de la traduction. Pour Klaudy, cette dernière catégorie d‟explicitation trouve son explication la plus convaincante dans l‟une des principales caractéristiques intrinsèques de l‟activité de traduction qui est la nécessité de réexprimer dans la langue cible des idées qui ont été conçues à la base dans la langue de départ : « The latter type of explicitation is explained by one of the most pervasive, language-independent features of all translational activity, namely the necessity to formulate ideas in the target language that were originally conceived in the source language » (Klaudy 1993 : 84). De cette typologie, il ressort clairement que les trois premières catégories correspondent aux explicitations « systémiques » de Blum-Kulka, et que seule la quatrième catégorie correspond aux explicitations traductionnelles concernées par cette Hypothèse. Ceci pourrait donc être perçu comme un argument confirmant l‟idée que l‟explicitation est inhérente au processus de la

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traduction. Il n‟en demeure pas moins vrai que Klaudy ne confirme pas toutes les autres suppositions de l‟Hypothèse, d‟autant plus que les recherches ultérieures de Klaudy vont l‟amener à modifier l‟hypothèse de l‟explicitation émise par Blum-Kulka, en présentant ce qui va s‟appeler « l‟hypothèse asymétrique de l‟explicitation ». En revanche, Kamenická, l‟auteure d‟une thèse soutenue en 2007 sur l‟explicitation et le style du traducteur, invalide l‟idée de l‟inhérence au processus de la traduction, dans une étude publiée en 2008 dans laquelle elle analyse la proportion des explicitations et des implicitations dans des traductions tchèques réalisées par deux traducteurs différents. En effet, son étude montre que les textes traduits ne manifestent pas toujours une tendance à l‟explicitation ; au contraire, certaines traductions ont révélé plus de cas d‟implicitations que d‟explicitations. 2.6.4. Les conclusions sur l‟hypothèse 4 : l‟universalité de la stratégie de l‟explicitation Analysant un corpus de traductions faites par des traducteurs professionnels et des apprentistraducteurs, Blum-Kulka a constaté que, dans toutes les traductions, il y avait des explicitations portant sur des marqueurs de cohésion et de cohérence. Comme nous l‟avons évoqué plus haut, à partir de ce constat, elle a déduit que l‟explicitation dépendait en fait du processus de l‟interprétation textuelle et de la médiation linguistique qu‟implique toute activité traduisante ; elle ne dépendait ni de la langue, ni de la culture, ni des normes stylistiques, ni de l‟expérience du traducteur. La validation de cette hypothèse s‟obtient systématiquement grâce à la validation simultanée des hypothèses 1 et 3 (l‟augmentation de l’explicitness et l‟inhérence au processus même de traduction) qui lui sont intrinsèquement liées. Néanmoins, pour s‟assurer de la validité générale de cette hypothèse, il faudrait prouver que les traductions de différents textes, dans des langues différentes, à différentes époques, dans les deux sens de la traduction, contiennent toujours des écarts de cohésion et de cohérence relatifs aux explicitations traductionnelles. Seules les analyses de plusieurs grands corpus de traductions permettraient d‟y parvenir. La confirmation définitive ne pourra être obtenue qu‟après constitution d‟un échantillon représentatif de toutes les langues du monde. En attendant une validation scientifique générale, un élément important, issu des recherches sur corpus, vient soutenir en quelque sorte cette hypothèse. Il s‟agit des recherches portant sur les « universaux de traduction ». C‟est ainsi que Baker (1993 : 243) confirme que « translationinherent explicitation can be regarded as a “translation universal” ». Baker entend par « universaux de traduction » des traits caractéristiques inhérents au processus même de la traduction : « product of constraints which are inherent in the translation process itself, and this accounts for the fact that they are universal » (Ibid. : 246). Elle les distingue des normes de traductions de Toury qui se présentent, selon elle, comme des caractéristiques de traduction observées dans certains types de traduction à un moment donné : « translation features that have been observed to occur consistently in certain types of translation within a particular sociocultural and historical context » (Ibid. : 246).

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Sous la même perspective, Laviosa-Braithwaite (1998 : 288) considère l‟explicitation comme l‟un des universaux de traduction, étant donné sa fréquence dans plusieurs traductions impliquant plusieurs paires linguistiques. Par « universaux de traductions », elle entend des caractéristiques linguistiques qui apparaissent typiquement dans les textes traduits plutôt que dans les textes d‟origine et qui sont censées être indépendantes des spécificités linguistiques des deux langues impliquées dans le processus de traduction. Ainsi, la simplification, la normalisation, la convergence, la désambiguïsation, etc., sont considérées également comme des universaux de traduction. Pápai (2004) parvient à la même conclusion, en s‟appuyant sur l‟analyse de son corpus de textes littéraires traduits de l‟anglais vers le hongrois et de textes hongrois non traduits : « explicitation is likely to be a universal feature of translated texts, i.e. this set of data supports Blum-Kulka‟s hypothesis » (Pápai 2004 : 157). Elle a également conduit une autre étude sur des textes scientifiques dont le résultat corrobore la conclusion précédente : l‟explicitation est un phénomène qui se produit autant dans les textes littéraires que dans les textes non littéraires, ce qui confirme son universalité. En revanche, d‟autres chercheurs infirment cette hypothèse ou au moins se montrent réticents à son égard. D‟après Weissbrod (1992), l‟explicitation n‟est pas un universel de traduction, ni une tendance universelle, mais plutôt une norme de traduction qui change au gré des circonstances historiques: « Explicitation in translation is not, as previous research has suggested, solely a universal tendency or a function of translation on a literacy/orality scale. It is norm-dependent and thus changes with historical circumstances and according to the position of translated literature » (Weissbrod 1992 : 153). Dans la même veine, Malmkjaer (2005) déclare ne pas partager la position de ceux qui considèrent l‟explicitation comme stratégie universelle. Elle pense qu‟il vaut mieux envisager le phénomène de l‟explicitation en termes de normes qui rendent mieux compte du phénomène. House (2004) se penche sur l‟analyse de l’explicitness dans le discours, à partir d‟un corpus de traductions entre l‟anglais et l‟allemand. Elle soutient que l’explicitness n‟est pas un phénomène invariable ou universel des textes traduits, mais qu‟il est plutôt un phénomène variable qui émerge en discours et diffère largement d‟une langue à l‟autre. Dans cet ordre d‟idée, Baumgarten et al. (2008) appliquent rigoureusement la méthodologie proposée par Blum-Kulka pour la validation de son hypothèse, sur un corpus de textes de vulgarisation scientifique. Les résultats de cette recherche ont amené les auteurs à conclure que l‟explicitation n‟est pas un phénomène universel. Tantôt elle apparaît, tantôt elle disparaît et lorsqu‟elle apparaît, c‟est plutôt à cause des conventions communicatives et des normes stylistiques et non à cause du processus de la traduction elle-même (Baumgarten et al. 2008 : 198). Les auteurs précisent, d‟ailleurs, que c‟est dans la catégorie des explicitations optionnelles (stylistiques ou culturelles) que l‟on relève des fréquences élevées d‟explicitations ayant poussé certains chercheurs à y voir une stratégie universelle. Ces explicitations optionnelles sont a priori inhérentes aux paires linguistiques et donc non universelles, ce qui contredit cette hypothèse.

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Pym (2010 : 81) n‟envisage pas non plus l‟explicitation comme l‟un des universaux de traduction. En se fondant sur son analyse des corpus de traductions et sur des recherches empiriques antérieures sur l‟explicitation, Pym affirme que certaines explicitations dites « asymétriques » peuvent être considérées comme une stratégie universelle de traduction, mais pas toutes les explicitations. Il entend par les « explicitations asymétriques » celles qui dépendent des choix facultatifs des traducteurs, qui ne sont pas imposées par des contraintes linguistiques et qui ne sont pas toujours contrebalancées par des implicitations si l‟on traduit dans le sens inverse. Nous y reviendrons. Dans sa thèse précitée, Becher (2011) analyse un corpus de textes économiques traduits entre l‟anglais et l‟allemand, et en conclut que l‟explicitation ne peut pas être considérée comme une stratégie universelle : « it should have become clear that it is highly misleading to call explicitation a possible “universal” of translated text » (Becher 2011 : 75). Exemples à l'appui, il démontre que l‟explicitation dépend d‟autres facteurs linguistiques, communicatifs et pragmatiques. 2.6.5. Les conclusions sur l‟hypothèse 5 : l‟indépendance de l‟explicitation de l‟expérience des traducteurs Cette hypothèse est liée à celle de l‟universalité de la traduction. Elle stipule que l‟explicitation se manifeste dans chaque traduction, quelle que soit l‟expérience du traducteur. Cependant, en analysant les traductions faites par plusieurs traducteurs, Blum-Kulka ajoute une précision à cette hypothèse qui consiste à dire que les traducteurs non professionnels explicitent davantage que les traducteurs professionnels. L‟idée de la corrélation entre l‟expérience du traducteur et le degré d‟explicitation - l‟explicitation en elle-même étant déjà supposée universelle - a intéressé beaucoup de chercheurs. La validation de cette hypothèse nécessite d‟effectuer des études qualitatives et psycholinguistiques, sur des traductions faites par les mêmes traducteurs, dans les mêmes conditions. Séguinot (1998 : 107) critique cette idée qui associe le degré élevé de l‟explicitation à la pratique des traducteurs non professionnels, ce qui sous-entend une évaluation négative à l‟égard du concept de l‟explicitation. Ainsi, il y aurait de bonnes traductions - avec moins d‟explicitations faites par des traducteurs professionnels et des traductions moins bonnes - avec plus d‟explicitations - réalisées par des traducteurs moins expérimentés. Dimitrova (2005 : 134, 229) a consacré un ouvrage entier à l'étude de cette question à partir de l‟analyse de l‟explicitation des liens logiques implicites et de certains référents culturels. Elle en a conclu que les traducteurs professionnels explicitaient quand il le fallait avec une méthode rigoureuse tandis que les étudiants de langues explicitaient à chaque fois qu‟ils rencontraient un problème de compréhension ou de traduction sans une méthode contrôlée. L‟explicitation est

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donc présente chez tous les traducteurs, et ce sont les non professionnels qui explicitent davantage ; ce qui confirme en quelque sorte l‟hypothèse 5103. Saldanha (2008 : 28) s‟intéresse à cette question en analysant deux traductions faites par deux traducteurs dans le même environnement cognitif. Elle a constaté que chaque traducteur avait sa propre conception du rôle du traducteur comme médiateur culturel par rapport à son public de lecteurs et que ces conceptions ont déterminé leur attitude vis-à-vis de l‟explicitation (2008 : 31). Le degré de l‟explicitation n‟est pas corrélé à l‟expérience, mais dépend plutôt de la conception personnelle de la tâche du traducteur. Par ailleurs, la question du rapport entre le traducteur et l‟explicitation soulève une autre interrogation concernant la nature de la stratégie de l‟explicitation : est-ce qu‟il s‟agit d‟une stratégie consciente qui reflète des choix délibérés du traducteur ou d‟une stratégie subconsciente qui se réalise de façon spontanée lors de la traduction? Blum-Kulka reste vague sur ce sujet. En effet, l‟explicitation peut être perçue comme une tendance spontanée et naturelle, puisqu‟elle est supposée être à la fois indépendante des compétences des traducteurs et inhérente au processus cognitif d‟interprétation du texte qui se fait a priori de façon subconsciente. En revanche, elle peut être vue comme issue de choix délibérés des traducteurs opérés lors du processus de médiation linguistique qui est censé être un processus conscient. Les auteurs se sont également divisés sur ce point. De son côté, Øverås (1998 : 575) semble considérer l‟explicitation comme une stratégie consciente inhérente à la traduction, car elle interprète l‟augmentation de l’explicitness dan son corpus en termes de normes opérationnelles selon l‟approche de Toury. Ces normes de Toury (1995 : 58) sont en rapport avec la prise des décisions par les traducteurs lors de la reformulation du texte traduit, qui se fait généralement de façon consciente. En revanche, Olohan (2001) semble concevoir l‟explicitation comme un processus subconscient inhérent à la traduction. En effet, elle a démontré que les textes anglais dans le corpus TEC (parallèle) étaient caractérisés par la préservation de marqueurs syntaxiques optionnels plus que dans les textes comparables anglais du corpus BNC (comparable). Ces marqueurs concernent l‟emploi de « that » optionnel, vide de sens, après les verbes « say, tell, promise » (Olohan 2001), ainsi que l‟optionnel « to » après le verbe « help » (Olohan 2002). Cette tendance à ne pas omettre ces éléments syntaxiques optionnels peut être considérée comme un comportement 103

En fait, nous pensons que le traducteur professionnel travaille en général (mais pas toujours) pour des clients « avertis » qui connaissent tout du sujet sur lequel porte la traduction. Dans ce cas, le traducteur n‟a donc guère à expliciter pour faciliter l‟interprétation de sa traduction par les lecteurs. Le traducteur non-professionnel sera souvent tenté d‟expliciter parce qu‟il a eu lui-même du mal à saisir le sens et qu‟il pense qu‟il en ira de même de l‟utilisateur de la traduction. Ceci explique en partie, à notre avis, les résultats auxquels est parvenu Dimitrova. Mais cela n‟empêche que parfois les traducteurs non professionnels font moins d‟explicitations s‟ils n‟ont pas réussi à comprendre le sens implicite des textes à traduire. Ils restent dès lors au niveau superficiel et collent de trop près au texte source en s‟abritant derrière la traduction directe. C‟est ce que nous avons constaté lors de l‟analyse de notre corpus. Nous y reviendrons dans la deuxième partie de cette thèse.

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subconscient plus qu‟une conduite relevant d‟une stratégie délibérée de prise de décision (Olohan 2001 : 429). Entre les deux avis, se positionne Gumul (2006) pour qui l‟explicitation en interprétation simultanée est, dans la plupart des cas, une procédure non stratégique, notamment lorsqu‟il s‟agit d‟écarts d‟explicitation relatifs à la cohésion. Mais, il existe aussi des explicitations portant sur le sens, comme lorsqu‟il s‟agit de désambiguïser les métaphores ou d‟ajouter des phrases explicatives. De telles procédures relèvent, selon elle, d‟un choix stratégique et conscient des interprètes.

2.7. Les critiques formulées à l'égard de ces études Dans son analyse de la validité et de la pertinence de l‟hypothèse de Blum-Kulka, Becher (2011) critique certaines études empiriques en décelant les erreurs méthodologiques qu‟elles ont commises. La première erreur consiste à compter des explicitations systémiques optionnelles parmi les explicitations traductionnelles, ce qui augmente les occurrences de ces dernières dans les textes traduits et fausse par conséquent les résultats obtenus. C‟est ainsi qu‟Øverås (1998) inclut, faute d‟analyse contrastive suffisante, des explicitations optionnelles d‟ordre stylistique et culturel dans ses statistiques sur les occurrences des explicitations présumées inhérentes à la traduction. Cette confusion l‟amène à interpréter ce mélange d‟explicitations par les normes opérationnelles de Toury, ce qui entraîne une contradiction supplémentaire. En effet, ces normes, qui influent sur la prise de décision des traducteurs au stade de la réexpression, dépendent des langues et des cultures, tandis que les explicitations traductionnelles de Blum-Kulka doivent, au contraire, en être indépendantes (Becher 2011 : 35). La deuxième erreur soulignée par Becher concerne le choix d‟indicateurs dépassant le cadre conceptuel de l‟explicitation. Un tel élargissement nécessite au préalable de fournir une définition claire et précise de ce que les chercheurs entendent par explicitation. La plupart des études n‟ont pas pris la peine de poser clairement leurs propres définitions de l‟explicitation. Et lorsque c‟est le cas, on constate un manque de rigueur dans l‟application de ces définitions lors de la sélection des exemples d‟explicitations. Dans ce sens, Øverås (1988 : 4) définit l‟explicitation comme etant “the kind of translation process where implicit, co-textually recoverable [source text] material is rendered explicit in [the target text]”. Et pourtant, elle a recensé parmi les explicitations traductionnelles des cas d‟amplifications textuelles, qui ne sont pas liés à l'implicite, Il en va de même pour l‟étude de Pápai (2004). Quant à Kamenická, elle reconnaît que « the concept of explicitation has been surrounded by much conceptual vagueness » (Kamenická 2008 : 188), sans toutefois proposer sa définition de l‟explicitation. Par conséquent, les exemples sélectionnés vont comporter différents types d‟explicitations, ce qui remet en cause ses conclusions sur l‟Hypothèse. La troisième erreur découle, à notre avis, des mauvaises interprétations des résultats. Ce genre d‟erreur guette en effet la plupart des recherches empiriques visant à déduire des règles générales

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à partir de l‟analyse des données linguistiques. Malgré la représentativité des grands corpus informatisés et la rigueur des méthodes d‟analyse et de calcul, il subsiste toujours un risque de mauvaise interprétation des données ou d‟extrapolation des conclusions. Gallagher dit à ce propos : « Lorsqu‟on se livre à des recherches linguistiques à caractère contrastive, le danger est toujours grand de faire des extrapolations hasardeuses concernant les caractères spécifiques et les tendances profondes des langues sous examen. Quelle que soit l‟étendue du corpus sur lequel on s‟appuie, il ne faut jamais oublier que bon nombre de phénomènes langagiers échappent à la généralisation. Dans la plupart des langues, en effet, on peut observer des tendances concurrentes susceptibles de faire le désespoir des linguistes qui mettent leur point d‟honneur à soumettre nos systèmes langagiers au lit de Procuste » (Gallagher 2003 : 72). Les recherches sur l‟Hypothèse ne font pas exception. En effet, certaines recherches attribuent la responsabilité de certaines explicitations au processus même de la traduction, alors qu‟elle pouvait être imputée aussi à d‟autres facteurs stylistiques, pragmatiques et communicatifs, comme l‟ont souligné, entre autres chercheurs, Séguinot (1988) et Becher (2011). D‟autres chercheurs se contentent de prouver qu‟il y a plus d’explicitness dans les textes traduits pour extrapoler cette conclusion à l'ensemble des suppositions de l‟Hypothèse. Cette erreur méthodologique s‟explique en partie par une mauvaise compréhension de l‟Hypothèse. Par ailleurs, nous avons pu observer que certains chercheurs se contentent de citer au début de leurs articles les travaux précédents sur l‟Hypothèse, sans vraiment prendre la peine de cerner son contenu conceptuel et méthodologique, ni de soumettre les études précédentes à une analyse critique. L‟étude de Konšalová (2007) illustre bien notre propos sur la mauvaise compréhension de l‟Hypothèse et des études précédentes. En analysant les écarts d’explicitness dans le domaine syntaxique dans un corpus bidirectionnel, Konšalová révèle que l‟explicitation augmente dans le sens de la traduction du tchèque vers l‟allemand, alors que dans le sens inverse, elle affirme que la tendance à l‟explicitation n‟est pas attestée (Konšalová 2007 : 31). Cela infirme plutôt l‟Hypothèse qui suppose que l’explicitness doit augmenter dans tous les cas et dans les deux sens de la traduction. Toutefois, elle conclut en disant : « The results of this study are in line with the findings of other authors, whose research offers data in support of the explicitation hypothesis (e.g. Øverås 1998, Fabricius-Hansen 1998, Olohan and Baker 2000, Pápai 2004) » (Ibid. : 31). L‟étude citée de Fabricius-Hansen (1988) n‟apporte pas de confirmation de l‟Hypothèse car elle attribue les explicitations relevées aux différences textuelles et pragmatiques, comme nous l‟avons déjà évoqué. Dans ce même registre, on rencontre souvent des références à l'étude de Puurtinen (2004) dans le cadre de la confirmation de l‟Hypothèse alors que cette recherche sur la traduction de la littérature pour enfant n‟a pas abouti à des conclusions définitives, à cause des interférences avec la langue source (Puurtinen 2004 : 174).

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2.8. Les contributions des recherches empiriques sur l‟explicitation au-delà de l‟hypothèse de Blum-Kulka Malgré une certaine complexité méthodologique voire une imprécision conceptuelle, l‟hypothèse de Blum-Kulka a donné un grand essor à la recherche sur le phénomène de l‟explicitation. Mais nous avons pu constater que bon nombre d‟études qui se réclament de ce cadre s‟enferment dans un cercle répétitif : même hypothèse, même objectif, parfois aussi mêmes erreurs méthodologiques. Seules changent les combinaisons linguistiques impliquées. En revanche, lorsque les recherches critiquent ou infirment l‟Hypothèse, elles tentent d‟élaborer de nouveaux cadres conceptuels alternatifs susceptibles d‟élargir et de guider leur recherche sur l‟explicitation, ouvrant ainsi la voie à de nouvelles pistes de réflexion en la matière. Les recherches empiriques récentes tentent donc de proposer d‟autres hypothèses plus en phase avec les résultats d‟analyse des corpus. Certains chercheurs, comme Becher (2011), préconisent même l‟abandon complet de toute l‟hypothèse de Blum-Kulka : « the Explicitation Hypothesis should not be investigated anymore, because it is (a) unmotivated, (b) unparsimonious, and (c) vaguely formulated » (Becher 2011: 74)104. Deux cadres conceptuels alternatifs tentent de prendre la relève de l‟hypothèse de l‟explicitation : l‟hypothèse asymétrique de l‟explicitation de Klaudy et Károly (2005, 2009) et l‟hypothèse de House (2004). 2.8.1. L‟hypothèse asymétrique de l‟explicitation de Klaudy et Károly L‟hypothèse asymétrique de Klaudy et Károly se base sur la comparaison entre les explicitations et les implicitations relevées dans un corpus bidirectionnel. Il s‟agira par exemple de comparer les explicitations relevées dans des traductions faites du français vers l‟arabe avec les implicitations relevées dans les traductions faites de l‟arabe vers le français, en ce qui concerne l‟indicateur d‟explicitation qui fait l‟objet de l‟étude : lien implicite, élément culturels, etc. Cette comparaison est basée sur le concept de la symétrie et de l‟asymétrie opérationnelle. On parle d‟un rapport symétrique opérationnel lorsqu‟une explicitation constatée dans une direction de traduction est contrebalancée par une implicitation dans la direction opposée de la traduction. Inversement, un rapport asymétrique implique qu‟une explicitation dans un sens n‟est pas compensée par une implicitation dans l‟autre sens. Suite à des études sur un corpus bidirectionnel composé de traductions de romans de l‟anglais vers le français et vice versa, Klaudy et Károly ont émis l‟hypothèse suivante : « explicitations in the L1→L2 direction are not always counterbalanced by implicitations in the L2→L1 direction because translators Ŕ if they have a 104

Pour lui, cette hypothèse n‟est pas bien fondée car, au-delà de son inhérence au processus d‟interprétation cognitive du texte et de médiation linguistique du traducteur, elle n‟apporte pas d‟explication claire et étayée de la raison qui fait que les textes traduits sont plus explicites que les textes non-traduits. L‟explication fournie par BlumKulka concerne tout le processus de traduction et s‟applique ainsi à tous les procédés de traduction, et non seulement à l‟explicitation. Elle est superflue dans la mesure où elle suppose l‟existence d‟un type distinct d‟explicitation indépendant des systèmes linguistiques, alors qu‟elle n‟explique pas vraiment en quoi il se distingue des autres explicitations linguistiques optionnelles. Elle est enfin formulée de manière peu claire, ce qui a occasionné différents malentendus.

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choice Ŕ prefer to use operations involving explicitation, and often fail to perform optional implicitations » (Klaudy and Károly 2005 : 14).105 En somme, cette hypothèse consiste à dire qu‟il existe deux types d‟explicitations : les explicitations symétriques obligatoires et les explicitations asymétriques optionnelles. Les premières sont obligatoires parce qu‟elles sont motivées par les différences grammaticales, syntaxiques, textuelles, et sans lesquelles la traduction risque d‟être incorrecte. Les deuxièmes sont optionnelles parce qu‟elles sont motivées par les choix facultatifs et les préférences stratégiques des traducteurs qui ont plutôt tendance à expliciter qu‟à impliciter. Cette hypothèse est intéressante tant sur le plan conceptuel que méthodologique : Du point de vue conceptuel, elle considère l‟explicitation comme une tendance constatée chez les traducteurs et non plus comme une stratégie universelle. Elle dépend des choix et préférences des traducteurs et non pas (seulement) du processus même de la traduction. Le grand avantage de cette hypothèse provient du fait que l‟explicitation, ainsi conçue, concerne toutes les explicitations asymétriques optionnelles, même si elles sont de nature linguistique, culturelle, textuelle, etc. elle englobe ainsi tous les écarts inhérents au texte (text-based shifts) et au lecteur (reader-based shifts) que Blum-Kulka avaient exclus. Aussi, cette hypothèse nous fournit-elle un outil supplémentaire à même de prendre en charge toutes les explicitations relevées dans notre corpus du MD. Du point de vue méthodologique, en se basant sur le concept opératoire de l‟asymétrie, l‟hypothèse de Klaudy et Károly élabore une nouvelle méthode de recherche qui se libère des contraintes imposées par celle de Blum-Kulka. Laquelle exigeait d‟effectuer de multiples analyses contrastives linguistiques et comparatives afin de déterminer les normes stylistiques susceptibles de générer des explicitations systémiques. En revanche, la nouvelle méthode nécessite seulement une analyse comparative impliquant un corpus parallèle, à condition qu‟il soit bidirectionnel. En appliquant cette hypothèse sur l‟exemple nº 1, nous pourrions dire que les explicitations inhérentes aux noms propres (Joffrin, Delanoë, Libération, Humanité, etc.), aux allusions culturelles (reconnaître ses nains, il faut que ça pète, la mauvaise pomme), et aux syntagmes (les habituels fâcheux d‟Attac, les bienfaits du marché), sont des explicitations asymétriques optionnelles. En effet, elles relevent d‟un choix stratégique du traducteur qui a estimé que dans ce contexte, le lecteur arabe aurait besoin de tel ou tel supplément d‟information. En outre, sans ces explicitations, la traduction arabe sera correcte, linguistiquement parlant, même si elle ne sera pas facilement comprise de la majorité des lecteurs potentiels de ce numéro, ce qui confirme le caractère optionnel de ces explicitations. À cela s‟ajoute le fait que si l‟on devait traduire en 105

Cette hypothèse a été formulée initialement dans une conférence tenue en 2001, et sera légèrement modifiée dans la version publiée en 2009. Cette dernière préfère employer les termes « not always counterbalanced » par une formulation plus nuancée « tend to be more frequent ». Elle précise également la nature des explicitations concernées : obligatory, optional and pragmatic explicitations. Cette différence est soulignée par Becher (2011 : 59)

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français un texte arabe contenant des allusions puisées dans le fond culturel arabe106, le traducteur aurait, très probablement, procédé de la même manière, c'est-à-dire en privilégiant plutôt le choix de l‟explicitation et non l‟implicitation, ce qui confirme le caractère asymétrique. Notre propos ici est de dire schématiquement que ce type d‟éléments (en l‟occurrence des allusions culturelles) ayant suscité des explicitations dans le sens français-arabe ne sont pas toujours contrebalancées par des implicitations dans le sens inverse. Une telle assertion nécessite bien évidemment une démonstration scientifique basée sur une analyse de corpus bidirectionnelle comme le stipule l‟hypothèse de Klaudy et Károly. 2.8.2. L‟hypothèse de l‟explicitation de House En s‟inspirant du modèle de Halliday sur les fonctions du langage que nous avons déjà évoqué, House (2004) expose, dans un article intitulé « Explicitness in discourse across languages », les résultats de son analyse qualitative d‟un corpus parallèle bidirectionnel et d‟un corpus comparable, composés de textes traduits de l‟anglais et de l‟allemand et de textes originels dans les deux langues. Son analyse débouche sur un triple constat : d‟abord, les textes rédigés en allemand ont tendance à être plus explicites que ceux écrits en anglais : « they tend to (overtly) encode or verbalize propositional content rather than leave it to be inferred from the context » (House 2004 : 187) ; ensuite, les traductions de l‟anglais vers l‟allemand ont tendance à être plus explicites, ce qui reflète les préférences communicatives de l‟allemand à présenter l‟information de façon plus explicite ; enfin, les traductions de l‟allemand vers l‟anglais ont plutôt tendance à l‟implicitation. En se fondant sur ces observations, elle formule l‟hypothèse selon laquelle : « differences in linguistic-stylistic conventions between source language and target language texts account for translational explicitation rather than a universal tendency of translators to explicitate » (House 2004 : 193). Cela revient à dire que House conçoit l‟explicitation, non pas comme une stratégie universelle, mais comme une tendance de traduction, dont les motivations sont plutôt en rapport avec les conventions linguistiques et textuelles des langues impliquées en traduction, et non le processus de traduction en soi. Aussi, House considère-t-elle que son hypothèse est « “in stark opposition” to that postulated by Blum-Kulka, who argues that it is the constraints of the translation process which causes greater cohesive explicitness in the translation relative to its original » (House 2004 : 193).

Admettons par exemple que le traducteur fasse face au problème de la traduction d‟allusions du style "‫( "ٽَپبه عؾب‬le clou de Joha) »,"‫ضپبٿ‬٥ ُٔ‫ ) "ٱپ‬la robe d‟Othmane(, etc., dans un texte arabe où le contexte ne renseigne pas assez le lecteur francophone sur le sens pertinent de telles expressions. Le traducteur pourrait soit les rendre littéralement en laissant les lecteurs deviner leur sens, soit en expliciter le sens pertinent. Selon cette hypothèse, face à une telle situation, les traducteurs seront plus enclins à expliciter par de biais de brèves insertions, à savoir : « un prétexte d‟intervention » ou « un motif de visites intempestives et sempiternelles » ou simplement « prétextes fallacieux », pour la première allusion et « une revendication d‟apparence légitime mais qui cache une intention malhonnête », pour la deuxième expression, etc. Ils pourraient également donner plus de détails historiques sur l‟origine de ces expressions si cela s‟avère nécessaire pour la visée traductive. 106

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Néanmoins, certains chercheurs comme Saldanha (2008) tentent de concilier les deux hypothèses en les considérant comme complémentaires et non contradictoires: « It could be argued, however, that these two hypotheses are not necessarily mutually exclusive: cognitive constraints inherent in the translation process and textual-linguistic conventions can be seen as two of the probably many more factors that influence the translators‟s choice » (Saldanha 2008 : 29). Dans ce même ordre d‟idée, Pápai (2004) soutient qu‟il existe des explicitations qui peuvent être considérées comme inhérentes au processus de traduction, comme le suggère Blum-Kulka et d‟autres inhérentes aux conventions linguistiques et communicatives (Pápai 2004 : 156-160). Toujours fidèle à notre position en faveur de la complémentarité entre les différentes approches, nous adhérons à l'avis de Saldanha et Pápai, en voyant dans ces deux hypothèses des cadres conceptuels qui participent grandement à l'explication du phénomène de l‟explicitation dans toute sa globalité et diversité. L‟intérêt de l‟hypothèse de House ne s‟arrête pas là, car elle explique ensuite qu‟il existe, au-delà des facteurs linguistiques et textuels, trois facteurs situationnels qui influent sur les décisions des traducteurs concernant le choix ou le degré de l‟explicitation. House les appelle les trois variables traductionnelles : le traducteur (qui traduit ?), la situation de traduction (quand et où ?) et la visée traductive (pourquoi et pour qui traduit-on ?) : « If one wants to gain a complete picture of the many factors influencing what I have called “explicitness across discourse”, we must, however, also take non-linguistic factors into account, such as at least the following: translator variables, situational variables and translation-task-variables » (House 2004 : 203). En somme, l‟augmentation de l’explicitness dans les textes cible peut découler de facteurs internes linguistico-textuels liés à la situation communicative et de facteurs additionnels externes liés à la situation de la traduction et non au processus de la traduction. Cette conception communicative et fonctionnelle se confirme dans cette phrase de House : « translation is no more and no less than a practical activity. It can be described as an act of performance, of parole, not of langue or competence » (House 2008 : 11). Une telle conception devrait normalement permettre de pallier l'une des grandes insuffisances des recherches empiriques, qui est la focalisation extrême sur l‟analyse des explicitations linguistiques au détriment de l‟analyse de celles inhérentes aux éléments extralinguistiques ou motivées par les facteurs externes contextuels soulignés par House. En effet, l‟étude de l‟explicitation sous cette perspective globale proposée par House requiert une analyse contextuelle de chaque cas d‟explicitation et non seulement une étude quantitative de la récurrence des explicitations. En appliquant cette hypothèse sur la traduction de l‟exemple nº1, nous pouvons dire que certaines explicitations relevées dépendent des préférences communicatives concernant la structuration de l‟information, comme c‟est le cas lorsque le traducteur choisit d‟expliciter des « les vertus du marché » par « les bienfaits de l‟ouverture au marché ». Tandis que d‟autres sont motivées par la prise en considération des variables traductionnelles liées au à la compréhension/compétence du traducteur libanais de cet article du

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MD, au bagage cognitif du lectorat arabe en 2008 (pour qui traduire ?), à la visée traductive du MD dans le contexte de la crise financière mondiale. Ces trois variables traductionnelles proposées par House, qui sont en osmose parfaite avec nos conclusions tirées de l‟analyse de certaines approches théoriques, nous seront d‟une grande utilité pour élaborer une grille d‟analyse complète des motivations et du degré de l‟explicitation dans notre corpus MD 2001-2011.

2.9. Les différentes conceptions de l‟explicitation dans l‟optique des recherches empiriques A la lumière de ces hypothèses émises et développées dans le cadre des DTS dans le but de décrire le phénomène de l‟explicitation en traduction, nous allons proposer dans ce qui suit une synthèse générale des apports des recherches empiriques sur l‟explicitation que nous avons pu consultées. 2.9.1. L‟explicitness versus l‟explicitation Comme nous l‟avons constaté, l’explicitness est un concept central dans les recherches sur l‟explicitation. Il désigne en principe le résultat du processus de l‟explicitation qui se manifeste concrètement dans le texte traduit qui devient plus « clair » que le texte source, quelle que soit la motivation invoquée : le processus même de la traduction selon l‟hypothèse de Blum-Kulka, les choix facultatifs des traducteurs selon l‟hypothèse de l‟asymétrie de Klaudy et Károly, les conventions stylistiques et textuelles selon l‟hypothèse de House. Cependant, ce concept connaît des multiples applications qui varient selon l‟optique linguistique ou traductologique de la recherche sur l‟explicitation.  Sous l‟optique linguistique Dans une perspective purement linguistique, en dehors de tout acte de traduction, l’explicitness s‟entend comme un outil servant à mesurer les différences entre les systèmes linguistiques. Dans ce cas, il est perçu comme une propriété de l‟acte d‟expression linguistique de chaque langue et non comme une propriété de l‟acte communicatif contextualisé de chaque auteur/locuteur (Steiner 2005 : 11). Il est lié à la manière de s‟exprimer en général et non à la manière de traduire. Dans une perspective textuelle, l’explicitness est considéré également comme une mesure des différences entre les conventions communicatives et textuelles propres à chaque langue, reflétant ainsi les différentes manières de l‟organisation de l‟information. Plus précisément, ce concept revient à dire que certaines langues demandent d‟employer plus d‟éléments linguistiques pour exprimer un sens de façon « acceptable » selon leurs propres conventions textuelles ou communicatives, ou de façon « optimale », de sorte à ce que l‟information soit intelligible sans trop d‟efforts interprétatifs (processing effort) (Baumgarten 2008 : 178). C‟est le cas par exemple

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de l’explicitness élevé de la langue allemande par rapport à l'anglais, comme l‟a mentionné House (2004 : 187). Dans une perspective discursive reposant sur la conception du sens élaborée par les approches communicationnelles, notamment la théorie de la pertinence, l‟augmentation de l’explicitness dans un texte a pour fonction d‟assurer des conditions optimales pour le déroulement du processus de l‟inférence du sens de la communication. Cet explicitness permet ainsi d‟éviter d‟éventuelles mauvaises interprétations et de guider le lecteur vers la bonne interprétation voulue par le locuteur (Doherty 2002 ; Fabricius-Hansen 2005, 1998, 1999 ; Behrens 2004). En effet, dans une situation de communication écrite, l‟auteur ne peut que compter sur l’explicitness du texte pour éviter les risques d‟échec d‟inférence du sens. Ceci est d‟autant plus important lorsque le contexte de réception change et que les indices contextuels se raréfient. Dans ce cas, la seule référence qui reste à la disposition du lecteur est le document écrit avec sa part d’explicitness, qui doit être suffisante pour permettre une bonne réception.  Sous l‟optique traductologique Dans les recherches orientées vers la traduction, le terme explicitness désigne souvent le résultat des procédures d‟explicitation, c'est-à-dire les éléments lexicaux ajoutés dans le texte cible qui n‟existaient pas dans le texte source. Il est lié au traducteur en tant que l‟agent qui l‟introduit de façon consciente dans le texte/discours cible. Il est également considéré comme une sorte d‟assistance communicative ; le degré d’explicitness est donc révélateur des comportements communicatifs des traducteurs que l‟opération traduisante met au jour. En bref, l’explicitness dans ce contexte de recherche établit une relation entre le texte source et cible via la traduction et non entre les langues source et cible via les préférences communicatives ou les différences systémiques comme c‟était le cas de l’explicitness dans les recherches orientées vers la linguistique. Dans cette optique, l‟explicitation devient le processus à l'issu duquel se manifestent et se réalisent plusieurs écarts d‟explicitness dans le texte traduit. Le champ de conceptualisation de la nature de ces écarts s‟est considérablement élargi, grâce aux différents apports des chercheurs. 2.9.2. L‟extension du concept de l‟explicitation  L‟explicitation comme un concept vaste Séguinot (1988 : 108) considère l‟explicitation comme un concept plus vaste que ne l‟avaient conçu Blum-Kulka ou les traductologues avant elle comme Vinay et Darbelnet (1958) par exemple. Il va au-delà des écarts de cohésion et de cohérence ou du concept très spécifique de l‟addition d‟éléments grammaticaux ou syntaxiques. Selon elle, ce sont ces derniers qui doivent être désignés par le terme de l‟addition, tandis que le terme de l‟explicitation devrait être réservé aux ajouts résultant des choix des traducteurs qui ne sont pas motivés par des contraintes linguistiques ou stylistiques. Dans la même lignée, Leuven Zwart (1990 : 81) avance que l‟explicitation est un processus vaste qui peut résulter non seulement de l‟ajout d‟éléments

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linguistiques, mais aussi des remplacements de certains mots, ce qui pourrait générer des écarts de cohésion augmentant le degré d’explicitness des textes traduits, au plan du sens intégral du texte. Elle considère que le terme de l‟explicitation devrait être réservé aux explicitations qui reflètent le processus d‟interprétation du sens du texte ainsi que les choix conscients opérés par les traducteurs : « Only those shifts are determined and classified which may contain indications of interpretation or strategy. Such shifts result from a conscious or unconscious choice in the part of the translator, and may occur on any one of the levels - semantic, stylistic or pragmatic - which substantially affect meaning. Shifts with no effect on any of these levels are not taken into consideration » (Leuven Zwart 1989 : 155). De son côté, Klaudy (2003) décrit l‟explicitation et sa contrepartie l‟implicitation, « as a very wide processes »107. Pym (2005 : 8-9) propose, quant à lui, d‟élargir le concept de l‟explicitation pour inclure les explicitations motivées par les facteurs culturels, ou par l‟interprétation du sens du texte, et plus généralement toute sorte d‟explicitation qui relève de la volonté des traducteurs à produire un texte clair. L‟explicitation serait pour Pym, comme nous l‟avons déjà dit en début de ce chapitre, une des traces des efforts cognitifs de l‟interprétation du message et du texte. Sans definir précisément l‟explicitation, Kamenická (2007 : 55) a proposé de considérer l‟explicitation (et sa contrepartie l‟implicitation), comme un concept large sous forme d‟une catégorie prototypique avec un centre et une périphérie : « the explicitation, as well as its counterpart, implicitation, should be recognized as prototypical categories with a core and a periphery […] a prototype category, i.e. a category the membership of which cannot be defined by a single property shared by all of its members, but whose members are connected by family resemblances ». Murtisari (2010 : 22) soutient que le concept de l‟explicitation est « multinotional and complex ». Cette complexité provient de celle du concept de l’explicitness108 tel que conçu dans l‟analyse de discours. En somme, l‟explicitation n‟est plus seulement un écart lié à l'explicitness linguistique ou textuel, mais plutôt un concept vaste qui sous-tend tout un processus de traduction impliquant la mise en œuvre d‟une stratégie consciente (Klaudy et Károly 2005, Saldanha 2007). Il s‟agit à la fois d‟un produit, d‟une technique et d‟un processus : « The concept of explicitation can be interpreted both in terms of the translation process, as a technique, and the translation product, as a textual feature » (Pápai 2004 : 145). C‟est ce que nous désignons généralement, dans cette thèse, sous le terme manteau de « stratégie » ou de « phénomène » d‟explicitation qui recouvrent ces différents aspects. 107

En commentant cette position de Klaudy, Pym (2010 : 15) avance qu‟elle semble utiliser le terme « explicitation » dans un sens vaste « to cover everything that is « more », et le terme « implicitation » « to cover everything that is « less ». 108 En plus des définitions de l’explicitness que nous avons résumé plus haut, Murtisari considère que l’explicitness, du point de vue discursif, peut prendre trois formes : la première dépend du lecteur ; il se réfère plutôt à la clarté. La deuxième dépend de la traduction ; il est d‟ordre catégorial et renvoie à l'expression linguistique qui est soit explicite soit implicite. La troisième, basée sur l‟analyse de discours, est d‟ordre sémantique et protéiforme ; il renvoie à l'informativité, à la spécification, à l'emphase, à l'amplification du texte (Murtisari 2010 : 3-5)

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 L‟explicitation comme un concept protéiforme : l‟implicite et l‟explicite problématique Comme nous l‟avons dit au début, la conception de base de l‟explicitation était étroitement liée à l'implicite déductible du contexte. Cette conception fait presque consensus dans toutes les recherches empiriques sur l‟explicitation. Cependant, certains auteurs comme Vehmas-Lehto (2001), Steiner (2005), Konšalová (2007), Kamenická (2007)109, préconisent de limiter ce concept à l'implicite, tandis que d‟autres proposent de l‟élargir au-delà du rapport à l‟implicite. Séguinot (1988) était parmi les premiers chercheurs à proposer l‟élargissement du concept de l‟explicitation au-delà de la mise en lumière de l‟implicite. Selon elle, l‟explicitation peut prendre trois formes : l‟ajout d‟une information inexistante dans le texte source (l‟addition), l‟explicitation d‟éléments inférables du contexte (l‟explicitation de l‟implicite), l‟amplification d‟un élément du texte source (moyennant la spécification, l‟expression en plusieurs mots ou plusieurs phrases, etc.) : « Something is expressed in the translation which was not in the original, something which was implied or understood through presupposition in the source text is overtly expressed in the translation, or an element in the source text is given greater importance in the translation through focus, emphasis, or lexical choice » (Séguinot 1988 : 108). Le dictionnaire traductologique de Translation Studies de Shuttleworth et Cowie (1997) a participé à cette ouverture dans son entrée consacrée à l‟explicitation où celle-ci elle est définie comme un phénomène: « that frequently leads to TT [target text] stating ST [source text] information in a more explicit form than that of the original. Such a process is brought about by the translator elaborating on ST, for example by adding explanatory phrases, spelling out implicatures or inserting connectives to “help” the logical flow of the text and to increase readability » (Shuttleworth and Cowie 1997 : 55)110. Cette définition n‟impose pas l‟implicite comme point de référence, puisqu‟elle parle plutôt d‟une forme plus explicite que celle de l‟original. L‟explicitation de l‟implicature n‟est qu‟une forme des explicitations possibles, à laquelle pourrait s‟ajouter, par exemple, la possibilité de reformuler plus clairement ou plus précisément ce qui est déjà dit dans le texte dans le but d‟augmenter la lisibilité du texte traduit. Grâce à des recherches plus approfondies sur l‟explicitation, Klaudy et Károly (2003, 2005) ont démontré que celle-ci peut se manifester dans le texte traduit de cinq manières : le remplacement d‟un sens général par un sens spécifique, la distribution sémantique, l‟addition de nouveaux éléments informatifs, la réexpression d‟une phrase par deux ou plusieurs phrases, l‟amplification 109

En effet, Vehmas-Lehto (2001 : 221) définit l‟explicitation uniquement par rapport à l'implicite : « Explicitation makes the implicit explicit ». Il en va de même pour Steiner (2005) qui considère l‟explicitation comme un processus lié exclusivement à l'implicite : “Explicitation” is a process, or a relationship, which assumes that some meaning “is made explicit” in moving from one text or discourse to some other one. It also assumes that in some sense, whatever is “explicitated” must have been “implicit” in the other variant” (Steiner 2005 : 7). Dans cette lignée s‟inscrit également Konšalová (2007) qui définit l‟explicitation comme un « process that consists in expressing some elements, which are only implicit in the source text ». 110 Les crochets et les caractères gras sont de notre fait.

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moyennant l‟expression en propositions principales d‟éléments qui ne figuraient qu‟en filigrane d‟une phrase : «Explicitation takes place, for example, when a SL [source-language] unit of a more general meaning is replaced by a TL [target-language] unit of a more special meaning; the complex meaning of a SL word is distributed over several words in the TL; new meaningful elements appear in the TL text; one sentence in the SL is divided into two or several sentences in the TL; or, when SL phrases are extended or “elevated” into clauses in the TL, etc. ». Dans ce même ordre d‟idée, Saldanha (2008) soutient que l‟explicitation est une stratégie qui n‟est pas liée nécessairement à l‟implicite du texte source, mais aux présuppositions des traducteurs de leur lectorat cible et à la conception de leur rôle en tant que médiateurs littéraires et culturels : « Explicitation as a strategy that is not necessarily associated with implicitness in the source text, but with translators assumptions about their readership and about their role as literary and cultural mediators » (Saldanha 2008: 28). Enfin, Murtisari (2010) soutient que l‟explicitation peut porter sur la partie déjà explicite du texte en augmentant davantage son degré d’explicitness : « shifts of meaning from the implicit to the explicit or simply to higher degree of explicitness » (Murtisari 2010 : 22). Le degré élevé de l’explicitness provient de l‟explicitation de l‟ « implicature » et de l‟ « explicature » (Ibid. 2010 : 3-5, 21). L‟implicature renvoie en quelque sorte à l‟implicite ou à l‟intention de l‟auteur que le lecteur pourrait inférer des indices contextuels apportés par le texte selon le principe de la pertinence. L‟explicature, telle qu‟entendue par Murtisari, renvoie à l'inférence du sens, non pas à partir contexte par la voie pragmatique, mais à partir des formes linguistiques des énoncés. Elle consiste à dire qu‟il existe différentes formes linguistiques qui expriment le même sens, mais certaines formes sont plus explicites que d‟autres, dans la mesure où certaines tournures linguistiques nécessitent parfois un traitement plus coûteux en termes d‟efforts interprétatifs que le lecteur risque parfois de ne pas pouvoir fournir. Nulle forme ne peut prétendre atteindre le degré optimal et définitif de l’explicitness. Il s‟agit donc d‟éléments déjà présents dans le texte, mais qui gagnent à être plus clairs si l‟on les explicite davantage dans le texte traduit. Cela peut se réaliser par l‟emploi de termes plus précis ou plus généraux ou encore par des paraphrases explicatives. 2.9.3. Les différentes typologies d‟explicitation L‟approche taxinomique des explicitations recensées diverge d‟une étude à l'autre selon la perspective choisie pour la classification : la fonction, la localisation dans le texte, les techniques utilisées, le type d‟écarts choisi, etc. La classification la plus connue est celle proposée par Klaudy (1998 : 83) que nous avons déjà évoquée brièvement. Nous la rappelons ici en l‟illustrant en note en bas de page par les exemples fournis par Klaudy. Cette typologie comporte quatre catégories d‟explicitations : les explicitations obligatoires à cause des différences

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grammaticales111, syntaxiques112, sémantiques113 entre les langues ; les explicitations optionnelles114 motivées par les préférences stylistiques et textuelles ; les explicitations pragmatiques115 dictées par les différences culturelles et enfin les explicitations inhérentes à la traduction motivées par le processus même de la traduction selon l‟hypothèse de Blum-Kulka. Malgré son apparente simplicité, cette typologie a été critiquée à cause de la difficulté de distinction entre les différentes catégories évoquées : « the distinction between individual types of explicitation according to Klaudy (1998) is blurred » (Englund-Dimitrova 2005 : 38). En fait, la catégorie des explicitations obligatoires et optionnelles semblent subordonnées les unes aux autres, la catégorie des explicitations pragmatiques est en fait une sous-catégorie des explicitations optionnelles et la catégorie des explicitations inhérentes à la traduction reste vague. Sous la perspective de la nécessité d‟utilisation d‟explicitations, il n‟existe que deux catégories principales : les explicitations obligatoires et celles optionnelles, appelées aussi facultatives ou volontaires. Ainsi, Frankenburg-Garcia (2004) considère que l‟explicitation est obligatoire lorsque le traducteur se voit contraint d‟ajouter des informations à cause des différences linguistiques ; elle est, en revanche, volontaire quand le traducteur décide d‟ajouter des informations pour contribuer à la compréhension du texte chez le nouveau lecteur. Sur la base de son analyse de l’explicitness, House (2004) établit la même distinction : les explicitations obligatoires sont dictées par les contraintes linguistiques et celles optionnelles résultent des choix facultatif des traducteurs. Dans le même sens, mais en se basant sur l‟hypothèse de l‟asymetrie de Klaudy et Károly (2005), Pym (2005 : 4) pense que l‟explicitation obligatoire apparaît lorsqu‟elle correspond à une implicitation dans le texte original tandis que l‟explicitation optionnelle se manifeste lorsque la correspondance dans la langue cible n‟est pas exacte ou constante. La première relève d‟une nécessité linguistique tandis que la deuxième revient à la volonté du traducteur d‟ajouter des informations optionnelles dans le texte afin d‟éviter d‟éventuelles incompréhensions. Baumgarten et al. (2008) considèrent facultatives les explicitations motivées par des différences au niveau des

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C‟est le cas par exemple lors de la traduction à partir des langues ne possédant pas de prépositions, comme le hongrois par exemple, vers le russe ou l‟anglais qui emploient des prépositions. 112 C‟est ce qui se produit lors de la traduction entre les langues analytiques, comme l‟anglais et le russe qui emploient des constructions verbales analytiques, des prépositions, des pronoms possessifs, etc., et les langues synthétiques comme le hongrois qui emploient souvent des formes linguistiques condensées. 113 Il s‟agit de traduire un mot par un ou plusieurs mots spécifiques dans la langue cible, comme l‟exemple de la traduction des mots anglais « brother » et « sister » qui ne peuvent pas se traduire en hongrois sans explicitation. 114 Klaudy (1998 : 83) explique cette catégorie en disant : « Examples of optional explicitation include sentence or clause initial addition of connective elements to strengthen cohesive links, the use of relative clauses instead of long, left branching nominal constructions, and the addition of emphasizers for the clarification of sentence perspective, among others». 115 Ce genre d‟explicitation se produit lorsque le traducteur décide d‟apporter des explicitations sur des référents culturels spécifiques qui font défaut dans la culture cible afin d‟en faciliter la compréhension. C‟est le cas par exemple lors de la traduction des noms de villages, de rivières, de mets, de boissons et autres référents que le lecteur cible ignore.

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connaissances socioculturelles et des conventions langagières et communicatives entre les deux communautés. Sous la perspective du processus de prise de décision de l‟explicitation, Dimitrova (2005 : 36) distingue, à l'issue d‟une recherche psycholinguistique, deux types d‟explicitations : les explicitations stratégiques, c'est-à-dire décidées délibérément par les traducteurs pour contourner une difficulté de traduction et les explicitations gouvernées par les normes, c'est-à-dire conditionnées par les normes de traduction et de réception en vigueur dans le contexte d‟accueil. Sous la perspective de la fonction linguistique de l‟explicitation, House (2008) propose une autre typologie plus détaillée, axée principalement sur le modèle de Halliday concernant les fonctions du langage que nous avons évoqué au premier chapitre. Elle établit trois types d‟explicitations corrélées aux trois fonctions systémiques116: idéationnelle, interpersonnelle ou textuelle. La fonction idéationnelle ou propositionnelle de l‟explicitation concerne des cas comme l‟addition des compléments d‟informations, la spécification lexicale, l‟explicitation des métaphores et des termes spécifiques relevant d'un contexte ou d'une culture inconnus des lecteurs ; la fonction interpersonnelle porte sur l‟addition des marqueurs de modalisation et d‟autres marqueurs discursifs permettant à l'énonciateur de prendre position par rapport à ce qu'il dit et par rapport au destinataire ; la fonction textuelle se réalise par l‟addition des connecteurs modifiant la cohérence, la transposition des références pronominales en références lexicales, etc. En se basant sur le degré de l’explicitness, Murtisari (2010 : 19) classifie les explicitations en deux catégories : les explicitations catégorielles (categorical explicitation) et les explicitations scalaires ou graduelles (scalar explicitation). Les premières se réfèrent à l'explicitation dans le cadre de l‟implicature qui concerne le passage d‟un élément d‟un statut implicite à un statut explicite, dans le sens traditionnel de la dichotomie « encoded /inferred » (Sperber and Wilson 1986). Autrement dit, il s‟agit d‟exprimer par des moyens linguistiques ce qui est inférable par voie pragmatique. Le sens exprimé est le même, mais il a changé simplement de catégorie, d‟où cette appellation. Dans ce cas, ces explicitations n‟impliquent pas nécessairement une augmentation de l‟informativité, puisqu‟elles ne font que ressortir ce qui a été sous-entendu : « The categorical explicitation, on the other hand, covers those shifts resulting form deductive generalization and specification that are not necessarily linked to decrease/increase of informativity » (Murtisari 2010 : 31). Quant aux explicitations dites « scalaires », elles opèrent dans le cadre de l‟explicature. Soucieux de la clarté de sa traduction, le traducteur opte parfois pour des reformulations plus claires et plus

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Pour rappel, ces fonctions se réalisent par trois procédés: l‟élaboration, l‟extension et la valorisation : « elaboration, when the clause or part of it is elaborated upon by using other words, specifying, commenting or exemplifying ; extension, when there is expansion via the addition of new element, provision of an exception, or after of an alternative ; enhancement, when some circumstantial, temporal, local causal, or conditional element is used to embellish or qualify the clause. » (House 2004:203)

Partie I : Chapitre II : L’explicitation dans les approches descriptives de la traduction (DTS)

135

explicites que les formulations d‟origine. Le sens exprimé est le même, mais il s‟agit plutôt d‟une augmentation du degré d’explicitness. Sous la perspective positionnelle et fonctionnelle de l‟explicitation, Marays (2011) développe une approche typologique des explicitations dans la traduction littéraire basée sur ces deux critères : la position et la fonction. Selon le premier critère, il existe deux catégories : les explicitations internes, c'est-à-dire intégrées dans le co-texte ou distribuées dans le texte en entier, et les explicitations externes, en notes de bas de page ou en glossaire. Selon le critère de la fonction, elle distingue cinq catégories d‟explicitations : toponymique, anthroponymique, intertextuelle, factuelle et socioculturelle. Les explicitations toponymiques consistent à ajouter des informations ou des explications aux noms propres de lieux pour se situer dans un endroit et dans une époque. Les explicitations anthroponymiques apportent des informations sur les noms propres des personnages, celles intertextuelles, sur une intertextualité pour marquer son existence ; celles factuelles, sur les faits racontés pour compenser des pertes informationnelles et celles socioculturelles, sur des éléments propres à une société ou à une culture pour contribuer à l‟appréhension du sens. 2.9.4. Les types d‟indicateurs d‟explicitation Les indicateurs ou marqueurs d‟explicitation retenus dans la plupart des recherches empiriques restent majoritairement attachés aux aspects linguistiques, qui relèvent notamment de la cohésion textuelle. Sans être exhaustif, nous citons les marqueurs suivants : la corrélation entre le nombre de phrases et de mots dans les textes sources et dans les textes traduits (Fabricius Hansen 1998), les marqueurs syntaxiques optionnels comme « that » après les verbes « say, tell, promise » (Olohan et Baker 2001), les marqueurs syntaxiques en début des phrases (Doherty 2003), les conjonctions et les particules (Papai 2004), les marqueurs lexico-grammaticaux (E. Steiner 2005), les liens logiques implicites, les marqueurs de liens additifs, les éléments culturels (Dimitrova 2005), les mots culturels (Saldanha 2007), les expressions denses (Kamenická 2007), les expressions entre parenthèses (Baumgarten 2008), les déictiques (Becher 2010). 2.9.5. Les quatre modes d‟explicitation Les différentes recherches empiriques ont souligné différents modes d‟explicitations impliquant diverses formes linguistiques d‟explicitation. Ces modes peuvent être regroupés en quatre catégories principales : l‟addition, la substitution, la spécification, l‟amplification.  Les explicitations faites sur le mode de l‟addition concernent les cas suivants : -

L‟ajout de connecteurs (Vehmas-Lehto 1989, 2001, Puurtinen 2004, Øverås 1998, Klaudy 1996, Gumul 2006, House), de modificateurs et de qualificateurs (Gumul 2006, Klaudy and Károly 2005, Olohan 2000, 2001), de conjonctions (Olohan 2002), d‟ interjections (Vanderauwera), de liens de cohésion (Séguinot 1988, Gumul 2004, Dimitrova 1993,

Partie I : Chapitre II : L’explicitation dans les approches descriptives de la traduction (DTS)

-

-

136

2003), de mots explicatifs comme « to be more precise, in other words, etc., » (Olohan 2000), de phrases entières (Weissbrod), etc. L‟addition d‟informations supplémentaires linguistiques contextuelles ou extralinguistiques (Vanderauwera 1985, Baker 1996, 2005, Øverås 1998, Pápai 2004, House 2004, Murtisari 2010), l‟insertion d‟éléments explicatifs (Baker 1992, Klaudy 1996), d‟items lexicaux (Perego 2003, Klaudy and Károly 2005, Gumul 2006), de traductions de terminologies de langue étrangère (Baumgarten 2008) ; La répétition de certains détails déjà dits dans le texte (Øverås 1998, Vanderauwera 1985, Olohan 2000), la réitération des items lexicaux (Pápai 2004, Gumul 2006, etc.) La compensation en traduisant un mot par l‟ajout d‟éléments informatifs le concernant, non pas seulement dans son co-texte, mais aussi dans différents endroits du texte original (Doherty 2003).  Les explicitations faites sur le mode de la substitution concernent les cas suivants :

Le remplacement des syntagmes nominaux par des phrases verbales (Klaudy et Károly 2005, Gumul 2006) ; la transformation des pronoms et des formes elliptiques en mots et phrases lexicalisés (Weissbrod 1992, Øverås 1998, Doherty 2002-2003, Pápai 2004, Gumul 2004, 2006, Heltai 2005) ; la dépronominalisation, c'est-à-dire la désambiguïsation des pronoms avec plus de formes claires de personnalisation (Séguinot 1988, Vanderauwera 1985, Pápai 2004, Gumul 2006) ; l‟emploi de noms plus explicites pour les noms de lieux géographiques (Vanderauwera 1985, Øverås 1998, Gumul 2006, Kamenická 2007) ; le remplacement d‟une collocation inhabituelle par une collocation plus connue (Øverås 1998), la modification de la référence anaphorique en cohésion lexicale (Gumul 2006) ; l‟emploi d‟un terme plus clair (Murtisari 2010), etc.).  Les explicitations faites sur le mode de la spécification concernent les cas suivants : La spécification lexicale (Séguinot 1988, Gumul 2006, Perego 2003, Murtisari 2010), l‟apport d‟informations plus spécifiques ou d‟éléments lexicaux qui soient sémantiquement plus informatifs (Klaudy 1996, Øverås 1998), etc.  Les explicitations faites sur le mode de l‟amplification concernent les cas suivants : La décomposition des formes abrégées en mots séparés et complets (Doherty 2003, Klaudy 1993), l‟expression de certaines informations secondaires en propositions principales ou coordonnées (Séguinot 1988), la traduction d‟un référent par plusieurs mots (Séguinot 1988, Klaudy 1993, 2003), la distribution du sens d‟une unité du texte source ou d‟un sens abstrait dans plusieurs unités dans le texte cible (Gumul 2006, 2007), l‟expansion textuelle (Pym 1993), la décondensation selon laquelle le sens peut s‟extraire et s‟exprimer de façon plus explicite en

Partie I : Chapitre II : L’explicitation dans les approches descriptives de la traduction (DTS)

137

expressions moins denses (E. Steiner (2005), Konšalová), la désambiguïsation des expressions métaphoriques (Weissbrod 1992, Øverås 1998, Steiner 2001,Gumul 2006, etc.). Voici en guise de conclusion pour ce chapitre un tableau récapitulatif qui regroupe les informations essentielles que nous avons pu tirer de notre exploration de ces recherches systémiques, culturelles et empiriques sur l‟explicitation.

Partie I : Chapitre II : L’explicitation dans les approches descriptives de la traduction (DTS) Les langues et les textes étudiés

Type d‟indicateurs sélectionnés

anglais, arabe différents textes

/

marqueurs syntaxiques/ référents culturels/ écarts de cohésion

anglais, allemand vulgarisation scientifique

/

Baumgarten

Becher

anglais, allemand/ textes économiques

connecteurs, cohésifs interactionnels

BlumKulka

anglais, français, hébreu / textes littéraires

écarts de cohésion et de cohérence

Dimitrova

suédois, anglais, russe / textes

connecteurs, liens logiques implicites, ajout d‟information

Doherty

anglais, allemand vulgarisation scientifique

L‟auteur

Baker

Even-Zohar

différents

anglais, hébreu textes littéraires

/

/

expressions insérées entre parenthèses écarts et

formes elliptiques composées

et

Les écarts de traduction

FabriciusHansen

allemand, anglais, norvégien/ textes non littéraires

densité informationnelle, nombre des mots

Gumul

anglais, polonais interprétation simultanée

écarts de cohésion lexicale, syntaxique, sémantique, etc.

/

Type d‟analyse et de corpus écarts d‟explicitation et d‟implicitation/ analyse de discours/ l‟optionnel « that » / corpus parallèle (TEC) et comparable (BNC) analyse contrastive selon la méthodologie de Blum-Kulka / corpus parallèle et comparable analyse quantitative et qualitative de l‟explicitation et de l‟implicitation / corpus parallèle bidirectionnel analyse qualitative, appuyée par des recherches basées sur corpus comparables / corpus parallèle analyse qualitative et psycholinguistique orientée vers le produit et le processus/ analyse selon la méthode TAP‟s / corpus parallèle analyse orientée vers la linguistique/ degré d’explicitness / corpus parallèle

analyse des « canons » littéraires/ corpus parallèle analyse de l’explicitness orientée vers la linguistique/ corpus parallèle analyse du produit et des commentaires rétrospectives des interprètes / corpus parallèle (oral)

Cadre explicatif / objet de l‟étude

Conclusions sur l‟explicitation

hypothèse de l‟explicitation / universaux de traduction/ les DTS

L‟explicitation comme universel de traduction / comme stratégie subconsciente / subordonnée à l'implicite/ pouvant être employée pour remplir le vide culturel

conventions communicatives/analyse de l’explicitness dans le discours

L‟explicitation n‟est pas une stratégie universelle / des explicitations optionnelles motivées par les différences communicatives et culturelles

hypothèse asymétrique de Klaudy, concept de « risk aversion » de Pym

Abandon de l‟hypothèse de Blum-Kulka / on explicite pour s‟adapter aux préférences communicatives et optimiser la compréhension

processus de médiation linguistique et processus même de la traduction principe de la régularité, choix stratégique des traducteurs, normes de traduction, résolution de problèmes de traduction

Il y a des explicitations systémiques et des explicitations traductionnelles / les dernières visent à renforcer la cohésion et la cohérence textuelle et se manifestent dans toutes les traductions L‟explicitation comme stratégie de résolution de problème de traduction / le processus de reformulation implique souvent une augmentation nécessaire de la part d’explicitness/ les traducteurs professionnels explicitent avec méthode et rigueur

différences lexicales/ facilitation de la compréhension / rapport explicite/implicite

L‟explicitation des constructions elliptiques

théorie du Polysystème / théories formalistes russes / position de la traduction

La littérature comme phénomène social et la traduction comme enjeu culturel / l‟explicitation pourrait se manifester davantage en cas d‟une transmission culturelle d‟un système central à un système périphérique

différences systémiques

Une tendance à l‟explicitation des tournures syntaxiques composées et denses en plusieurs mots

hypothèse de l‟explicitation/ choix stratégiques des interprètes

Une typologie détaillée des écarts d‟explicitation au niveau syntaxique et lexical / l‟explicitation porte aussi sur la désambiguïsation des métaphores

138

Partie I : Chapitre II : L’explicitation dans les approches descriptives de la traduction (DTS)

allemand, tchèque / textes populaires et historiques

expressions denses

LaviosaBraithwaite

anglais, allemand, espagnol, italien / textes originaux écrits en ses langues

analyse comparative des écarts d‟explicitations

LeuvenZwart

espagnol, néerlandais / textes littéraires

écarts d‟explicitation et d‟implicitation

anglais, norvégien, allemand / textes littéraires anglais, danois / textes littéraires

écarts de cohésion, liens grammaticaux et lexicaux Écarts de cohésion et de cohérence

analyse du processus/ analyse contrastive de l’explicitness / corpus parallèle (oral) analyse contrastive de l’explicitness dans le discours / corpus parallèle et comparable analyse d‟écarts d‟explicitation et d‟implicitation/ analyse du style du traducteur / corpus parallèle et comparable analyse comparative des écarts d‟explicitation et d‟implicitation/ analyse du produit et du processus / corpus parallèle bidirectionnel analyse contrastive / analyse des écarts d‟explicitation et d‟implicitation / corpus parallèle bidirectionnel et comparable analyse des résultats des différents corpus et déduction des universaux / corpus comparable ECC élaborer un modèle comparatif détaillé de ces écarts / corpus parallèle les écarts d‟explicitation et d‟implicitation / corpus parallèle et bidirectionnel analyse des motivations des écarts / corpus parallèle

Murtisari

anglais, indonésien / romans

écarts d’explicitness, choix lexicaux

analyse qualitative de l’explicitness / corpus parallèle

principe de l‟explicature et de l‟implicature de la théorie de la pertinence

Olohan

anglais, allemand textes touristiques

marqueurs optionnels syntaxiques, ajouts lexicaux, formules introductives

analyse de l’explicitness/ corpus informatisés (TEC, BNC) parallèles et comparables

hypothèse de l‟explicitation

Heltai

anglais, hongrois interprétation

/

écarts d’explicitness

House

anglais, allemand différents textes

/

écarts de cohésion et d’explicitness

Kamenická

anglais, tchèque textes littéraires

/

référents culturels, significations abstraites

Klaudy

Konšalová

Øverås

Malmkjaer

russe, anglais, hongrois, allemand / romans et discours politique

/

implicite, emphase, choix lexical

différences systémiques/ optimisation de l‟inférence du sens / normes de réception différences de conventions communicatives et variables situationnelles de la traduction

L‟explicitation vise à augmenter l‟intelligibilité du discours

hypothèse de l‟explicitation/ simplification de la compréhension

L‟explicitation n‟est pas une stratégie universelle / elle propose d‟envisager ce concept dans le cadre d‟une hypothèse dynamique de l‟explicitation

différences linguistiques et culturelles / hypothèse asymétrique de l‟explicitation

Des motivations linguistiques et culturelles de l‟explicitation / deux typologies d‟explicitation/

hypothèse de l‟explicitation

Elle constate une fréquence élevée de l‟explicitation dans un sens de la traduction et une fréquence élevée de l‟implicitation dans l‟autre sens / l‟explicitation est liée à l'interprétation du sens

hypothèse de l‟explicitation / universaux de traduction

L‟explicitation comme la simplification sont des universaux de traduction

choix tactiques et interprétatifs des traducteurs

Il existe différents types d‟écarts qui se ressemblent à l'explicitation, mais qui n‟en font pas partie.

les normes de Toury / le concept de « third code » / la coopération interprétative de Grice / normes de traduction

L‟explicitation est tributaire des conventions communicatives et des facteurs extratextuels qui entourent la situation de traduction

L‟explicitation peut être une addition d‟information ou une spécification / difficulté de distinguer entre les différents types d‟explicitation Les traducteurs sont plus coopératifs avec leurs lecteurs, ce qui rend les textes plus explicites. L‟explicitation peut porter sur une information implicite déductible du contexte, mais il peut aussi s‟agir d‟une reformulation plus claire d‟une forme linguistique déjà présente. L‟explicitation comme universel de traduction / une stratégie subconsciente,

139

Partie I : Chapitre II : L’explicitation dans les approches descriptives de la traduction (DTS)

Pápai

Perego

anglais, hongrois / textes scientifiques et littéraires

écarts de cohésion, ajout d‟informations

analyse du produit, du processus et de la stratégie / corpus parallèle et comparable

hypothèse de l‟explicitation et normes de traduction

hongrois, italien, anglais / soustitrage

écarts lexicaux, référents culturels

analyse des formes d‟explicitations culturelles / corpus parallèle (audiovisuel)

les hypothèses d‟explicitation

Pym

anglais, espagnol/ différents textes

éléments linguistiques et culturels

analyse empirique / synthèses théoriques / corpus parallèle

le paradigme de l‟équivalence / analyse rétrospective des recherches empiriques sur l‟explicitation / communication interculturelle /

Puurtinen

anglais, finnois / littérature enfantine, / articles de magazine

connecteurs, causales

analyste quantitative/ écarts d‟explicitation et d‟implicitation / corpus parallèle et comparable

interférences avec la langue source

Saldanha

espagnol, anglais, portugais / différents textes

référents culturels

analyse qualitative et psycholinguistique du traducteur / corpus parallèle

hypothèse de Blum-Kulka et celle de House/ théorie de la pertinence / profil du traducteur

Séguinot

anglais, français / différents textes, traduction et interprétation

liens de cohésion, implicite, emphase, choix lexical

analyse orientée vers le processus d‟explicitation et le profil du traducteur / corpus parallèle

différences linguistiques/ choix délibérés opérés par les traducteurs/ stratégie d‟édition et de révision

Shlesinger

anglais, hébreu interprétation simultanée

écarts de cohésion, formes implicites

analyse quantitative parallèle (oral)

hypothèse de l‟explicitation

Steiner

anglais, allemand/ textes scientifiques et littéraires

densité lexicogrammaticale

analyse de l‟explicitness orientée vers le processus / corpus parallèle et comparable

différences de conventions communicatives/ hypothèse de House

Toury

anglais, hébreu textes littéraires

Les d‟explicitation d‟implicitation

analyse empirique des écarts de traduction / corpus parallèle et comparable

la théorie du Polysystème / les normes de traduction

/

/

relations

écarts et

/

corpus

L‟explicitation comme ajout d‟information extralinguistique / l‟augmentation de l‟explicitness dans les textes traduits / une médiation linguistique Les explicitations culturelles se manifestent sous forme d‟addition ou de spécification (choix d‟un hyponyme ou terme condensé). Elle consiste aussi à verbaliser l‟information visuelle L‟explicitation est un concept vaste, mais pas une stratégie universelle / elle aide à traverser le mur culturel, à entrer en contact avec le lectorat cible et surtout à minimiser les risques d‟incompréhension. L‟implicitation est parfois plus fréquente que l‟explicitation / l‟explicitation porte sur les relations causales et les syntagmes nominaux L‟explicitation est liée aux présuppositions des traducteurs quant à leur lectorat cible / stratégie consciente augmentant la lisibilité et l‟intelligibilité L‟explicitation est une notion vaste / la reformulation plus claire d‟une information encodée linguistiquement est aussi une forme d‟explicitation / il conviendrait de comparer entre plusieurs traductions correctes d‟un même élément pour déterminer si l‟une est plus explicite que l‟autre Augmentation de l’explicitness L‟explicitation contribue à une meilleure compréhension du sens / elle porte sur l‟implicite / elle se manifeste par la démétaphorisation des métaphores grammaticales L‟explicitation est une « loi » de traduction / il y a une corrélation claire entre l‟explicitness et la lisibilité : les textes traduits sont plus explicites que les textes sources ou comparables.

140

Partie I : Chapitre II : L’explicitation dans les approches descriptives de la traduction (DTS)

Vanderauwera

Vehmas Lehto Weissbrod

Whittaker

anglais, néerlandais/ textes littéraires russe, finnois / textes littéraires, journalistiques anglais, Hébreu / textes narratifs et littéraires français, norvégien / textes différents

marqueurs de cohésion, apport d‟information extralinguistique

analyse des techniques d‟explicitation / corpus parallèle

les DTS

Parmi les techniques relevées, l‟emploi d‟interjonctions pour consolider la progression de l‟argumentation et la désambiguïsation

connecteurs de cohésion

analyse contrastive d‟après la méthodologie de Blum-Kulka / corpus parelle et comparable

hypothèse de l‟explicitation

L‟explicitation semble être une stratégie liée au processus même de la traduction

normes de traduction et analyse des systèmes littéraires/ facilitation de la compréhension stratégies de traduction / hypothèse de Blum-Kulka

Explicitation imputables aux circonstances historiques, aux normes en vigueur, à la position de la littérature dans la culture cible L‟explicitation porte sur les séquences textuelles marquées par une grande complexité discursive

ajout de mots, naturalisation des métaphores Syntagmes nominaux démonstratifs

analyse qualitative parallèle

/

corpus

Analyse quantitative des écarts / corpus parallèle

Tableau 3: Récapitulatif des recherches menées sur l‟explicitation dans le cadre des DTS

141

Partie I : Chapitre II : L’explicitation dans les approches descriptives de la traduction (DTS)

142

3. Bilan d‟étape Ici s‟achève notre enquête consacrée à l‟étude des différentes conceptions de l‟explicitation dans toutes les recherches antérieures que nous avons pu consulter. Quel bilan pouvons-nous en tirer ? Qu‟est-ce qui a été fait et qu‟est-ce qui nous reste à faire ou à refaire dans la deuxième partie de la thèse ? Dans le premier chapitre, nous avons examiné cette question sous l‟optique des différentes approches théoriques de la traduction. Nous avons surtout cherché à analyser les stratégies de traduction décrites, parfois aussi prescrites, pouvant être favorables ou défavorables à la mise en œuvre de l‟explicitation, ainsi que les concepts opératoires susceptibles de nous rendre compte des multiples facettes du phénomène de l‟explicitation évoquées dans l‟introduction. Dans le chapitre II, ayant pour objet les recherches empiriques effectuées dans le cadre des DTS, nous avons mis l‟accent sur les différentes explications et applications du concept de l‟explicitation dans les nombreuses analyses des corpus parallèles et comparables, sous l‟optique des quelques hypothèses spécifiques de l‟explicitation. Ce tour d‟horizon nous a certes appris beaucoup de choses, mais la conception générale de l‟explicitation n‟est pas encore assez nette ; nos questions et hypothèses de recherches n‟ont pas encore reçu de réponses satisfaisantes. Et pour cause, nous nous sommes trouvé face à un maquis terminologique, à un cloisonnement de la recherche traductologique, à des cadres conceptuels diversifiés, à des avis partagés, à des conclusions contradictoires, à des typologies génériques qui manquent de précision, à une focalisation sur des indicateurs d‟explicitation qui restent étroitement liés aux aspects linguistiques, etc. Dans les approches théoriques et les études conduites sous leur égide, nous avons relevé une multitude de termes qui laissent entendre qu‟il s‟agit de techniques foncièrement différentes, alors qu‟au fond, elles renvoient au même concept de l‟explicitation. Dans les études empiriques, le terme de l‟explicitation connait une certaine stabilité, mais son acception reste mal définie. En fin de compte, devrait-on opter pour le terme « explicitation », pour désigner le phénomène d‟écarts qui augmentent l’explicitness (la clarté) du texte traduit, comme l‟ont fait les études empiriques, ou continuer à employer diverses dénominations désignant ce phénomène, à savoir : l‟explication ou la traduction explicative (G. Steiner, Grice, Sperber et Wilson, Harvey, Moretti), l‟addition ou l‟ajout (Nida, Newmark, Leppihalme, Newmark), la clarification (Berman), l‟amplification (Hurtado, Delport), l‟étoffement ou la dilution (Vinay et Darbelnet, Delisle, Tenchea, Ballard), l‟incrémentialisation (Ballard, Ladmiral, Gallèpe), la compensation (Vinay et Darbelnet, Hurtado, Delport, Henry), la périphrase et la paraphrase (Delisle, Margot, Nida, Leppihalme, Newmark), la spécification ou la particularisation (Hurtado, Ballard, Perego), la note du traducteur (Nida, Newmark, Delisle, Hurtado, Ballard, Henry), la dépronominalisation ou

Partie I : Chapitre II : L’explicitation dans les approches descriptives de la traduction (DTS)

143

la référentialisation (Tenchea, Ballard), l‟ajout de formule introductive (Henry, Leppihalme, Olohan), etc. Si l‟on opte pour le terme de l‟explicitation, qui est évidemment le choix que nous avons fait, à quoi renvoie alors exactement ce concept ? L‟explicitation devrait-elle être envisagée uniquement par rapport à sa contrepartie l‟implicitation, ou devrons-nous l‟étendre au-delà son rapport avec l‟implicite, comme l‟ont proposé plusieurs chercheurs cités dans les deux chapitres précédents. Afin d‟éviter une extension extrême de ce concept, il conviendrait d‟en définir les contours à l'aide de critères distinctifs qui permettent de préciser clairement en quoi tel ou tel écart de traduction relève de l‟explicitation et non d‟autres techniques comme l‟adaptation, l‟équivalence discursive ou fonctionnelle, l‟amplification, etc. Comme nous l‟avons vu, cette question a été effleurée par certaines recherches (Séguinot (1988), (House 2004), Pym (2005), Dimitrova (2005), Klaudy (2007)), mais n‟a jamais été suivie par une étude approfondie. Le fondement théorique de l‟explicitation reste aussi à définir. Faut-il concevoir l‟explicitation en se basant sur les considérations linguistiques et stylistiques (approches linguistiques, approches empiriques à vocation linguistique), sur la question de l‟interprétation du sens du texte (approches sociolinguistiques et communicationnelles) ou sur « l‟éthique » du traduire (approches philosophiques) ou encore sur « la politique » du traduire (approches fonctionnelles, systémiques, culturelles, etc.) ? Face aux longues listes énumérant les cas où les traducteurs ont fait usage de cette stratégie, nous ressentons vite le besoin de préciser clairement les motivations principales qui incitent les traducteurs à prendre la décision de l‟explicitation. Les motivations évoquées jusqu‟ici restent majoritairement liées aux problèmes linguistiques et limitées au niveau des phrases et non du texte dans sa totalité. Concernant la méthode de recherche à adopter, nous avons vu que la méthode empirique s‟appuyait souvent sur des méthodes de calcul des occurrences d‟explicitation dans tel ou tel corpus, afin d‟en tirer des conclusions générales. Cela permet certes d‟avoir une vision globale sur cette question et de révéler des phénomènes et des tendances que l‟on ne pourrait pas détecter en analysant séparément des textes traduits. Mais les exemples d‟explicitation sont rarement analysés en contexte, ce qui empêche d‟analyser les facteurs qui entrent en jeu avant que le traducteur ne prenne la décision d‟expliciter tel ou tel élément de telle ou telle manière. En revanche, l‟analyse discursive et contextuelle permet de cerner ce processus, mais elle nous prive de la vision panoramique que nous apporte la méthode empirique statistique. D‟où le besoin d‟élaborer une méthode d‟analyse qui combine, dans la mesure du possible, les bienfaits des deux approches méthodologiques. Bien qu‟il nous manque toujours une définition claire et précise de l‟explicitation, il ressort clairement des recherches précédentes qu‟il s‟agit d‟un concept protéiforme. Aucune approche, prise isolément, ne peut rendre compte de la complexité de ce phénomène. Chacune en éclaire un

Partie I : Chapitre II : L’explicitation dans les approches descriptives de la traduction (DTS)

144

pan et le portrait complet ne pourrait être dessiné qu‟en intégrant diverses approches dans une vision plus globale. Ainsi, au cours de notre enquête, nous avons appris que l‟explicitation dépend non seulement du processus de médiation linguistique, des différences linguistiques,des préférences stylistiques, mais aussi des normes de traduction, du skopos de la traduction, des variables situationnelles, de notre évaluation du bagage cognitif du lectorat, et surtout de la volonté de minimiser les risques d‟incompréhension, d‟optimiser l‟inférence du sens, de trouver des solutions rapides et efficaces à cause des contraintes de traduction, etc. Tous ces facteurs doivent être pris en compte si l‟on veut comprendre et analyser les variations du degré d‟explicitation d‟un texte à l'autre, d‟une année à l'autre, etc. A notre connaissance, un tel cadre global n‟a pas encore été élaboré. Fort de cet arrière-plan conceptuel et méthodologique, muni d‟un corpus pertinent et assez représentatif des différentes facettes de ce phénomène, conscient des erreurs méthodologiques et des faiblesses constatées lors de l‟analyse des recherches précédentes, nous allons proposer dans le chapitre suivant une conception globale de l‟explicitation susceptible d‟apporter des éléments de réponses satisfaisantes aux questions posées et aux hypothèses émises.

Partie I : Chapitre III : Vers une conception générale de l’explicitation

CHAPITRE III Vers une conception générale de l‟explicitation

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1. Mise au point sur le cadre théorique et méthodologique Nous avons vu que les recherches précédentes, théoriques et empiriques, traitaient de l‟explicitation sous plusieurs angles, tous intéressants, mais insuffisants pour rendre compte du phénomène dans sa globalité et complexité. Pour cerner au mieux la question de l‟explicitation en traduction en général et plus précisément dans notre corpus de traductions du MD, nous avons jugé utile de retenir la TIT comme cadre théorique principal. Mais pour l‟étayer, nous ferons appel à des concepts opératoires glanés dans les autres approches tout au long des deux chapitres précédents. Si notre choix s‟est porté sur la TIT, ce n‟est pas parce que nous avons été formé à l‟ESIT, lieu de fondation et d‟application du modèle interprétatif, mais bien plutôt par conviction profonde. En effet, sans nier la pertinence indéniable des autres approches traductives, la TIT représente, à nos yeux, une toile de fond conceptuelle adéquate pour cette étude. Elle présente l‟avantage d‟être fondée sur le concept du rapport explicite/implicite qui sous-tend toute l‟activité traduisante, quelles que soient les langues/cultures impliquées ou les conditions de traduction, et qui se situe en plein cœur de notre sujet de recherche. De plus, sans prescrire un procédé unique de traduction ni proscrire un autre, la TIT décrit, à l'aide d‟une terminologie claire et précise, une stratégie générale de traduction susceptible de transmettre le sens pertinent du texte, qui résulte de l‟interprétation simultanée de l‟ensemble des parties explicites et implicites du discours. Cette stratégie permet d‟arriver, au niveau textuel, à une équivalence de sens ad hoc qui tient compte aussi bien des facteurs linguistiques qu‟extralinguistiques ou purement traductologiques. Et c‟est d‟ailleurs dans le cadre de l‟analyse fouillée de tels facteurs que les autres concepts opératoires vont intervenir afin de combler les zones d‟ombre que le modèle interprétatif n‟a pas suffisamment éclairées. Parmi ces outils conceptuels complémentaires figurent notamment le concept d‟écart de traduction emprunté aux approches linguistiques et appliqué par les recherches empiriques, permettant de déceler les moindres modifications entre le texte source et le texte cible ; le principe de la pertinence et les maximes de Grice, inspirés du modèle inférentiel, susceptibles de nous apporter des indications précieuses sur la nature et le degré de l‟explicitation à fournir au lecteur cible ; le concept du skopos de la traduction et du type du texte, emprunté aux approches fonctionnelles, qui nous éclairera davantage sur la compréhension des choix traductifs opérés par les traducteurs du MD durant la décennie écoulée ; le concept de normes de traduction, inspiré par les approches systémiques, qui pourra nous permettre de déceler certaines régularités dans les choix traductifs concernant la manière d‟expliciter ou le type d‟éléments à expliciter ; le concept de « minimisation des risques » emprunté à Pym et à d‟autres chercheurs l‟ayant évoqué également, qui pourra nous apporter une explication plausible des motivations de certaines explicitations liées à la partie explicite du texte et à la cohérence textuelle ; le concept de « minimax » de Lévy, qui pourra nous aider à révéler comment procèdent les traducteurs du MD

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pour faire face aux contraintes de temps qui pèsent lourdement sur leurs choix traductifs. Chaque concept sollicité contribuera à l'élucidation d‟un aspect particulier de notre problématique, tout en s‟inscrivant dans le cadre général de la TIT, notre fil conducteur. Concernant le cadre méthodologique, nous avons constitué un corpus destiné à l'étude du phénomène de l‟explicitation dont les modalités de création et de sélection ont été spécifiées dans l‟Introduction Générale. Nous rappelons ici que ce corpus comprend 5000 exemples d‟explicitations contextualisés extraits des différents numéros traduits du MD de 2001 à 2011. Constatant que la plupart des corpus parallèles élaborés dans le cadre des recherches empiriques sont extrêmement focalisés sur les cas d‟explicitations purement linguistiques, nous avons veillé à ce que notre corpus reflète la réalité telle qu‟elle est en nous efforçant de relever toutes les autres explicitations motivées par les choix optionnels des traducteurs. Celles-ci peuvent s‟expliquer par les différences de culture, de lectorat, de visée traductive, de normes, etc., et non seulement par les différences systémiques ou stylistiques entre les langues. Les explicitations purement linguistiques sont bien sûr nombreuses dans tous les exemples sélectionnés, mais ne feront pas l‟objet de notre analyse. Constatant aussi que la plupart des exemples d‟explicitation analysés dans ce genre de corpus sont décontextualisés, nous avons veillé à ce que nos exemples soient étudiés en tenant compte de leur contexte de production. Il conviendrait cependant de souligner qu‟un seul exemple peut contenir plusieurs explicitations, ayant des motivations différentes et répondant à des techniques de mise en œuvre différentes, ce qui fait qu‟il n‟est pas toujours facile de traiter séparément chaque cas de figure ou chaque variante d‟explicitation. Face à cette multiplicité, nous nous concentrerons chaque fois sur le cas qui nous intéresse plus particulièrement et nous ne mentionnerons qu‟en passant les autres cas, avant d‟y revenir, dans les développements ultérieurs, en rappelant le numéro de l‟exemple où ils figurent. Quant à la méthode générale d‟analyse que nous avons adoptée pour le traitement de ces exemples, nous l‟avons déjà exposée dans l‟Introduction Générale. Nous tenons à préciser ici qu‟à la fin de ce chapitre, nous allons élaborer, à partir des axes développés ici, une grille d‟analyse discursive et de prise de décisions de l‟explicitation. Cette grille est une sorte de récapitulatif qui détermine les facteurs qui nous paraissent les plus importants dans la mise en place de cette stratégie, telle que nous la concevons. Et c‟est en tenant compte de ces facteurs que nous allons affiner notre analyse discursive des explicitations présentées dans les exemples principaux et secondaires et de la pertinence des décisions prises. Dès à présent, à la lumière des renseignements tirés de notre état des lieux, nous allons développer les différents axes de cette conception en traitant tour à tour, et exemples à l'appui, de la nature générique et stratégique de l‟explicitation, des deux volets explicite et implicite du concept de l‟explicitation, des caractéristiques distinctives d‟une explicitation et des fondements théoriques expliquant les mécanismes du phénomène de l‟explicitation. Ces derniers se déclinent en quatre volets qui s‟emboîtent les uns aux autres : l‟explicitation en tant que stratégie liée à

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l'interprétation du sens, l‟explicitation en tant que rétablissement du rapport explicite/implicite dans la phase de la réexpression, l‟explicitation en tant qu‟adaptation au lectorat de la traduction et enfin l‟explicitation en tant que décision traductive prise délibérément par le traducteur. À la fin de ce chapitre, nous allons exposer notre bilan d‟étape et nous présenterons notre proposition de définition de l‟explicitation, le récapitulatif de notre conception générale et la grille que nous avons évoquée plus haut. Aussi, pourrions-nous entamer, dans la deuxième partie de la thèse, l‟analyse approfondie des motivations et des techniques d‟explicitation dans notre corpus du MD, en toute connaissance de cause.

2. Notre conception générale de l‟explicitation 2.1. L‟explicitation en tant que terme générique Pour en finir avec le flou terminologique entourant la désignation du concept de l‟explicitation, notamment dans les recherches théoriques, nous proposons, à l'instar d‟autres chercheurs comme Séguinot (1988:108), Leuven Zwart (1990: 81), Klaudy (2003), Tenchea (2003), Dimitrova (2005:40), Kamenická (2007:55), Murtisari (2011), de considérer le terme « explicitation » comme un terme générique, de nature protéiforme, qui englobe sous son manteau les différentes étiquettes linguistiques désignant des concepts dont nous avons déjà identifié plusieurs aires de recouvrement avec l‟explicitation, à savoir : l‟ajout de classificateur de Nida (1964) ou l‟incrémentialisation de Ballard (2003, 2005), l‟addition et l‟amplification lexicale de Nida (1964, 1971) et Newmark (1988), la périphrase de Mounin (1963) et Delisle (1999), la paraphrase légitime de Margot (1979), l‟amplification de Molina et Hurtado (2002), la note du traducteur de Newmark (1988), Henry (2000), la particularisation ou la spécification de Delport (1989), Perego (2003), l‟explicature de Murtisari (2011), etc.117.

2.2. L‟explicitation en tant que stratégie générale Ce terme générique désigne une stratégie générale mise en œuvre à l'aide de plusieurs procédés spécifiques que nous appelons « les techniques d‟explicitation ». Ces techniques ainsi que leurs avantages et inconvénients sont étudiés, exemples à l'appui, dans le chapitre V. Nous nous contentons ici de préciser que la stratégie d‟explicitation peut, selon nous, se mettre en œuvre selon deux modes opératoires : soit la conservation de l‟élément problématique ayant nécessité une explicitation, sous forme d‟emprunt ou de report, accompagnée de l‟ajout d‟une information contextuelle ou sémantique pertinente précisant son sens dans le contexte discursif, soit la suppression de cet élément et puis son remplacement par un terme ou une expression précisant également son sens pertinent dans le contexte discursif. C‟est au traducteur de prendre la décision de recourir à l'un ou à l'autre mode. Dans tous les cas, il dispose d‟une palette de techniques d‟explicitation qui se subdivisent en plusieurs variantes plus spécifiques, que nous allons appeler 117

Cf. Tableau 2.

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« les procédés d‟explicitation ». Selon l‟analyse discursive qu‟effectue le traducteur du sens pertinent d‟un énoncé ou d‟une petite unité de sens, et en fonction de l‟analyse contextuelle du problème que représente effectivement sa traduction en arabe, le traducteur met en œuvre le procédé qu‟il juge le plus à même de résoudre ce problème, c'est-à-dire de transmettre le sens précisément et sans ambiguïté. En appliquant cette conception sur l‟exemple nº 1, nous pouvons dire que l‟ajout des mots « journal » et « communiste » avant et après le nom propre « L‟Humanité » est une explicitation selon le premier mode. La traduction de « mauvaise pomme » par « pomme empoisonnée » est également une explicitation, mais fonctionnant sur le mode du remplacement. Nous allons voir que le premier mode constitue la majorité absolue des explicitations effectuées par les traducteurs du MD. Nous y reviendrons. Une telle conception de la stratégie reflète avant tout le caractère rationnel et optionnel de la décision du traducteur quant au choix de la technique adaptée à chaque cas. Selon notre conception, l‟explicitation n‟est pas une stratégie universelle subconsciente intrinsèquement liée au processus même de la traduction et indépendante des autres facteurs linguistiques, culturels et traductologiques, comme le suggérait l‟hypothèse de Blum-Kulka. Elle est plutôt une stratégie raisonnée, intrinsèquement liée au processus d‟interprétation et de réexpression du sens et dont les techniques et le degré dépendent fortement de plusieurs facteurs discursifs (liés au texte) et contextuels ou situationnels (liés au projet de la traduction et au contexte de réception).

2.3. L‟explicitation en tant que notion vaste Partant des analyses et propositions de Nida (1964), Lederer (2004), Séguinot (1988), Shuttleworth et Cowie (1997), Klaudy (1998 : 80), Murtisari (2010 : 22), entre autres chercheurs, nous proposons de concevoir l‟explicitation comme un concept large qui se décline en deux volets complémentaires et interdépendants : d‟abord, l‟explicitation du sens pertinent de la partie implicite du texte, qui est a priori déductible grâce au contexte discursif ou au bagage cognitif des lecteurs, selon les termes de la TIT. Ensuite, l‟explicitation du sens pertinent de certaines formulations de la partie explicite du texte. Il s‟agit souvent de formulations linguistiques spécifiques comme certaines expressions tropiques, idiomatiques, elliptiques (sigles et acronymes), etc. Ces deux volets sont complémentaires et étroitement articulés. L‟explicitation fournie peut à la fois porter sur une information qui a été tue exprès par l‟auteur du texte d‟origine, en vertu du principe de la synecdoque, ou tout simplement sur l‟emploi d‟un terme ou expression qui, en principe, n‟a rien d‟implicite. Ceci est souvent dû au choix synecdoquien de la partie (censée être) explicite pour le lecteur natif, mais qui ne l‟est pas pour le lecteur cible. L‟intérêt théorique de cette distinction entre ces deux volets, généralement imbriqués l‟un dans l‟autre, réside dans le fait qu‟il constitue un cadre global capable de regrouper tous les cas de figures que nous allons traiter. Ainsi, l‟explicitation n‟est plus simplement et exclusivement réduite à la réexpression d‟une information dissimulée dans la partie implicite, invisible. Elle prend en charge également la réexpression de certaines informations encodées de manière

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abrégée ou spécifique, dans la partie explicite, visible. La prise en compte simultanée des deux parties contribue à l'émergence du sens pertinent ; elles forment ainsi les deux faces indissociables d‟une même pièce : le texte. Voyons de plus près, à l'aide de nouveaux exemples tirés du corpus du MD, la portée conceptuelle de la notion d‟explicitation telle que nous la voyons. 2.3.1. La partie implicite Le rapport entre l‟explicitation en tant que stratégie de traduction et le côté implicite contenu dans le message est souligné par les différentes recherches traductologiques. Néanmoins, nous insistons sur le fait que l‟explicitation du sens implicite pertinent implique la prise en compte de tous les éléments linguistiques susceptibles de véhiculer ce sens, qu‟ils soient des noms propres, des référents culturels, des termes relevant du lexiculturel, des citations tronquées ou altérées, etc. Nous ne nous limitons donc pas aux écarts de cohésion et de cohérence, ni aux liens logiques implicites ni aux explicitations relatives aux aspects purement lexicaux comme c‟était le cas de la plupart des recherches empiriques linguistiques. Nous parlons désormais de plusieurs « contenus implicites » pouvant découler de divers éléments linguistiques et textuels. En effet, si du point de vue terminologique, l‟implicite (du latin implicitus : plier dans, emmêler) est défini par le Petit Robert (1972 : 968) comme étant « ce qui est virtuellement contenu dans une proposition, un fait qui sans être formellement exprimé peut en être tiré par déduction, induction », du point de vue traductologique, il n‟est pas aisé de définir exactement tout ce que recouvre l‟implicite, comme le souligne Hurtado (1990 : 84-85) : « Il est difficile cependant de consigner tous les éléments qui composent cet implicite ou même de mesurer son ampleur. Il est fonction de la connaissance du contexte (linguistique et extra-linguistique), du savoir partagé entre le locuteur et le récepteur, de la connaissance du sujet. Les significations actualisées, l‟information, les connotations, interviennent dans sa formation ».  Les contenus implicites Ces « contenus implicites » peuvent recouvrir à la fois, ce qui n‟est pas dit car supposé déjà su par les lecteurs grâce à leurs connaissances collectives extralinguistiques, ce qui est déductible grâce au contexte, aux renvois intratextuels et intertextuels (Doherty 2002 : 171), ce qui « s‟actualise subrepticement, dans le discours, ce que les mots véhiculent comme significations et connotations implicites, en plus de leurs valeurs dénotatives (Henry 2000), ce qui « s‟actualise à la faveur des contenus explicites » (Orecchioni1986 : 98), ce qui est toujours présent en creux dans l‟épaisseur du langage tel un palimpseste (Ballard 2003), etc. L‟implicite peut se révéler aussi dans les manques, les confusions, les imprécisions de l‟énonciation des protagonistes de la communication, les insuffisances de la description de ce à quoi il est fait référence (Vermersch 1998 : 5). Et c‟est dans ce creuset multi-notionnel que se pose le véritable problème de cerner précisément le concept de l‟explicitation.

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Cependant, pour démêler cet écheveau, nous allons nous inspirer de la classification tripartite de l‟implicite qu‟a proposée Plassard (2002) : l‟implicite verbal, l‟implicite conceptuel et l‟implicite notionnel. Vu la nature foncièrement complexe de la production linguistique humaine, les frontières entre ces catégories ne sont pas non plus complètement étanches. Dans cette section, nous nous intéressons aux deux dernières catégories. Lesquelles seront également étayées par d‟autres témoignages concordants venant de différents horizons théoriques. L‟implicite conceptuel, c‟est « ce à quoi se réfère le discours, et qui, en ne le désignant que par certains traits, laisse au « récepteur », le soin d‟en reconstituer la totalité » (Plassard 2002 : 114). Ces référents restent en quelque sorte masqués, car désignés partiellement, allusivement. En principe, il s‟agit d‟un implicite discursif dont l‟appréhension nécessite la prise en compte du contexte et la coopération interprétative du lecteur. Il correspond au supposé déductible. Il peut être un présupposé ou un sous-entendu, c‟est-à-dire qu‟il peut désigner un dire ou un sous-dit que le locuteur veut exprimer sous les aspects verbaux explicites. Étendons-nous un peu plus sur ces deux aspects de ce type d‟implicite. Orecchioni considère comme présupposés « toutes les informations qui, sans être ouvertement posées (i.e. sans constituer en principe le véritable objet du message à transmettre), sont cependant automatiquement entraînées par la formulation de l‟énoncé, dans lequel elles se trouvent intrinsèquement inscrites, quelle que soit la spécificité du cadre énonciatif » (Orecchioni 1986 : 25). Ces implicites coïncident avec « des réalités déjà connues et admises par le destinataire, soit qu‟ils relèvent de son savoir encyclopédique spécifique, soit qu‟ils correspondent à des « évidences » supposées partagées par l‟ensemble de la communauté parlante : contenus donc « taken for granted », et qui ne sauraient être « matter of dispute » (Huntley 1976 : 71) ». Pour Eco, le recours à la présupposition est un moyen de hiérarchiser l‟information : « Les unités d‟information ne peuvent pas toutes avoir le même statut et la même importance [...]. Autrement dit, certaines informations sont placées sur le fond du discours, tandis que d‟autres sont mises particulièrement en relief. [...] Les présuppositions ne sont que l‟un de ces nombreux dispositifs linguistiques qui permettent cette distribution hiérarchique du signifié » (Eco 1992 : 311-312). Quant aux « sous-entendus », ils sont définis comme étant « toutes les informations qui sont susceptibles d‟être véhiculées par un énoncé donné, mais dont l‟actualisation reste tributaire de certaines particularités du contexte énonciatif » (Orecchioni 1986 : 39). Ils correspondent à des informations « nouvelles », donc éminemment « disputables » (Ibid. : 29-30). Pour Lederer, les sous-entendus sont « les intentions qui fournissent l‟impulsion nécessaire à la production du dire. Ils sont compréhensibles ou tout au moins supputables mais ne font pas partie du sens à transmettre en traduction» (Lederer 1994 : 34). Ces sous-entendus sont nécessaires à la compréhension du message, mais ils ne doivent pas être explicités. En tous cas, pas toujours.

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En résumé, nous pouvons dire que cet implicite conceptuel, avec ses présupposés et sousentendus, correspond au « sous-dit » du texte, lequel s‟interprète grâce aux indices contextuels apportés par le texte lui-même. L‟implicite notionnel englobe l‟ensemble des connaissances du « bagage cognitif ». Il correspond, non pas au « supposé déductible du contexte », mais plutôt au « supposé su » de l‟interlocuteur, c'est-à-dire la partie implicite contenue dans le cerveau de l‟interlocuteur : sa connaissance de la situation, du sujet, de ce qu‟il a déjà entendu et de ce qu‟il savait auparavant (Lederer 2001 [1976] : 16). Sous ce type d‟implicite s‟inscrit l‟implicite dit culturel qui « varie selon les cultures » (Cordonnier 1995 : 176) constituant souvent une source de malentendu dans la communication entre gens de cultures différentes. Cet implicite est souvent « inconscient », c'est-à-dire accidentel. L‟auteur ne cherche pas intentionnellement à dissimuler le sens des référents culturels et ne se rend même pas compte de l‟existence de cet implicite. Il provient seulement du fait que le texte source se voit exporter dans une autre langue-culture et pour d‟autres lecteurs auxquels il n‟était pas initialement destiné. C‟est le changement de lectorat qui met en évidence la nécessité d‟un traitement adaptatif, moyennant l‟explicitation. Néanmoins, une grande partie de cet implicite notionnel reste conscient et se décline généralement dans la connotation et l‟allusion. Celles-ci sont des valeurs « supplémentaires », périphériques, prégnantes en co(n)texte (Orecchioni 1985, 1986) toujours attachées à certains termes et références culturelles. Le locuteur cache à dessein ces informations, non pas pour rendre le texte ambigu, mais parce qu‟il sait pertinemment que son lecteur, appartenant à son univers socio-culturel, est en mesure de récupérer ce sens implicite. En bref, l‟implicite conceptuel correspond au « sous-dit », déductible du contexte ; l‟implicite notionnel correspond au « non-dit » du texte, qui s‟interprète grâce aux connaissances cognitives déjà emmagasinées dans le cerveau du lecteur, glanées tout au long de son vécu et de ses lectures. Ces deux types d‟implicite créent une sorte de palimpseste au sein du texte : une superposition du sens due à la stratification du langage, où le sens implicite se situe dans un rapport second à la communication, tout en étant l‟objet, le vouloir dire de cette communication. Qu‟il soit conceptuel ou notionnel, l‟implicite est normal et fréquent dans tout acte discursif. Il est effectivement constitutif du langage en général et du texte en particulier. A ce propos, Cordonnier affirme que le non-dit « n‟est pas un caractère inhérent à la traduction elle-même, en tant que telle, mais à tout le langage » Cordonnier (1995 : 176). Dans ce même ordre d‟idée, Eco considère même ce non-dit comme une composante principale de tout texte : « Le texte est une machine paresseuse qui exige du lecteur un gros travail de coopération afin de remplir les espaces de non-dit ou de déjà-dit demeurés pour ainsi dire en blanc […] le texte laisse ses contenus à l‟état virtuel dans l‟attente de leur actualisation définitive par le biais du travail de coopération du lecteur » (Eco 1985 : 27). Il trouve son explication dans le principe de « l‟économie du langage », en vertu duquel le langage tait autant, sinon plus, qu‟il ne dit et ce pour des raisons économiques. Grâce à ce mode de fonctionnement, la formulation d‟idées permet une gestion très économique

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du sens. Le texte produit ainsi un maximum de sens avec un minimum de signifiants : « s‟il n‟en était pas ainsi, il [le locuteur] ne pourrait ni parler, ni agir ; ces activités exigeraient trop de temps. Chaque fois qu‟il parle, en effet, il n‟énonce qu‟une partie du message. Le reste est complété par l‟auditeur » Cordonnier (1995 : 176). C‟est ce qui explique que « la parole est par essence elliptique, évoque plus qu‟elle ne dit et renvoie toujours à un ensemble plus vaste que le seul « dit » », précise Plassard (2002 : 115). Ce principe se trouve fortement corroboré par le « principe de la pertinence » que nous avons déjà évoqué118 et par ce qu‟Orecchioni (1986 : 218) appelle « la loi de l‟exhaustivité », consistant à dire que « non seulement on ne peut pas tout dire, mais il ne faut pas tout dire : bien des choses doivent demeurer « discrètes » ». Autrement dit, implicites. Ces implicites ne causent pourtant pas de dysfonctionnement de la communication, tant qu‟ils sont comblés par les connaissances extralinguistiques que possède le destinataire et par la capacité interprétative de ce dernier à déduire le vouloir dire à partir de l‟ensemble des indices contextuels parsemés ici et là dans le texte entier. Il n‟en demeure pas moins vrai que, transposés tels quels par la traduction dans une autre langue-culture, ces implicites communicatifs et référentiels peuvent être incompréhensibles pour un lecteur qui n‟est plus proche du lecteur modèle initial. D‟où le recours à l'explicitation. Avant d‟aborder le deuxième volet constitutif du concept de l‟explicitation, lisons cet exemple de traduction à la lumière de ce que nous avons expliqué plus haut.  Exemple nº 2 : le 16e arrondissement versus Aubervilliers ! L‟exemple ci-dessous est extrait d‟un article du MD septembre 2011 intitulé « Les urnes et le peuple » où l‟auteur traite du phénomène de l‟abstention : certaines catégories de Français déclarent ne pas vouloir voter aux présidentielles de 2012. Il nous explique que les médias multiplient les sondages sur les chances de chaque candidat, que les commentateurs politiques dissèquent les programmes et les petites phrases des candidats, alors qu‟ils sont moins diserts sur l‟abstention et les raisons qui font que certaines couches sociales dans certaines agglomérations s‟abstiennent de voter. Voyons comment le traducteur a introduit deux explicitations sur les particularités du « 16e » arrondissement à Paris et la commune d‟Aubervilliers.

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Pour rappel, ce principe consiste à dire que le langage est extrêmement économique, en vertu de la loi de « l‟effort minimal ». Le locuteur s‟exprime en fonction du contexte de la manière qui assure le maximum d‟information et de compréhension avec un minimum d‟effort.

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Lors de consultations aux enjeux particulièrement clivants, comme le référendum sur le traité constitutionnel européen (TCE) de 2005, les résultats épousent parfois les polarisations sociales de façon exemplaire : dans le 16e arrondissement de Paris, le «oui» a recueilli des scores de 80 %, contre 30 % à Aubervilliers. (MD septembre 2011)

‫ رْٶّٸ‬٤ُٙ‫ٺً ٽىا‬٥ ‫ يف ؽبٹخ رٖىَذ‬،‫ څٶنا‬Ainsi, lors des votes sur des thèmes

représentant des enjeux décisifs sur

ٍ‫ هڅبځبد ؽبشتخ َڂٲَټ اٹڂبً ؽىعتب ثْٶٸ‬lesquels les gens se divisent ‫بڅلح اٹلٍزىهَخ‬٦‫ٺً اظت‬٥ ‫ ٽضٸ االٍزٮزبء‬،‫ ؽبك‬fortement, comme le référendum sur

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traité

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‫ رإٌب اٹڂزبئظ‬،2005 ‫بٻ‬٦‫ األوهوثُخ يف اٹ‬européen en 2005, les résultats ‫بة‬ٞ‫ االٍزٲ‬٤‫ ٹززپبڅً يف ٵضًن ٽڀ األؽُبٿ ٽ‬viennent souvent corroborer les

‫ْوح ٽڀ‬٥ ‫ ٭ٮٍ اٹلائوح اٹَبكٍخ‬:ٍ٥‫ االعزپب‬polarisations sociales : dans le seizième arrondissement de Paris

‫ُذ‬٢‫بٕپخ) ؽ‬٦‫( ثبهٌَ (اضتٍّ اٹواٱٍ ٽڀ اٹ‬le quartier chic de la capitale) le ‫ ٽٲبثٸ‬،‫ټ" ثڂَجخ ذتبځٌن يف اظتئخ‬٦‫ « اٹـــ"ځ‬oui » a recueilli des scores de 80%, contre 30 % en banlieue

.‫جُخ‬٦ْ‫بؽُخ ؤوثو٭ُٺُُڄ اٹ‬ٙ ‫ يف اظتئخ يف‬30 populaire d‟Aubervilliers.

Il s‟agit d‟un implicite plutôt notionnel que l‟auteur a tu ici en comptant sur le bagage cognitif de son lecteur. En effet, l‟auteur a dû supposer que son lecteur natif connait le fait que le 16e arrondissement de Paris est un quartier parisien chic et riche, emblématique de la classe bourgeoise et des familles aisées, contrairement à Aubervilliers, banlieue de la proche couronne de Paris, un quartier pauvre où s‟est installée une majorité de Français issus de l‟immigration. Ces traits pertinents concernant ces deux toponymes permettent au lecteur natif, notamment les Parisiens, de comprendre le sens de la mise en opposition entre ces deux endroits qui représente la classe riche d‟un côté et la classe pauvre de l‟autre. Il existe aussi un implicite conceptuel lié à cet implicite. Il consiste à dire que le score réalisé dans ces deux quartiers (respectivement 80% contre 30%) au sujet du vote sur le traité constitutionnel européen montre que les riches y étaient plus favorables que les pauvres et que ce résultat n‟est pas tant déterminé par le contenu de ce traité par exemple, mais plutôt par l‟appartenance à une catégorie sociale en particulier. Cet implicite conceptuel, le « sous-dit », est déductible de cet énoncé et des énoncés précédents. Il s‟actualise et se précise davantage grâce à la connaissance de l‟implicite notionnel, le « non-dit » supposé connu des Français en général et des Parisiens en particulier. En revanche, le traducteur arabe sait bien que le lecteur arabophone ignore ces informations culturelles et décide donc de les lui apporter afin de l‟aider à inférer le sens de cet implicite notionnel et partant à saisir clairement le vouloir dire global de l‟énoncé. Nous allons revenir avec plus de détails sur ces types d‟implicites tout au long de nos analyses des motivations des explicitations dans le chapitre IV et sur les techniques d‟explicitations employées dans le chapitre V. Ce qui nous interesse particulièrement ici, c‟est d‟illustrer d‟abord notre conception théorique globale de l‟explicitation à l'aide d‟exemples réels puisés dans notre corpus. Chaque point sera detaillé et étayé au fur et à mesure que nous avancerons dans la mise au point de cette conception. 2.3.2. La partie explicite Le deuxième volet de l‟explicitation relatif aux difficultés que recèlent la partie explicite, linguistique et visible, complète le premier volet exposé ci-dessus relatif à la partie

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implicite du texte, avec toutes ses composantes. Il s‟agit donc d‟expliciter certaines formulations linguistiques qui risquent d‟être mal comprises des lecteurs cibles si elles sont rendues au moyen d‟une « traduction directe ». Il ne s‟agit pas d‟un « sous-dit » ou d‟un « non-dit », à proprement parler, mais d‟une « façon de dire » propre à la langue du texte source, aux sujets natifs ou aux conventions stylistiques de certains textes, en l‟occurrence les textes journalistiques. C‟est ce que Plassard appelle « l‟implicite verbal », considéré en quelque sorte comme le « non-dit » linguistique, un « implicite inconscient » qui apparaît comme la résultante du phénomène de synecdoque, étant donné que le choix, par les différentes langues, d‟une formulation à l‟exclusion d‟autres formulations possibles, crée de facto un implicite (Plassard 2002 : 114). Concrètement, il s‟agit, comme nous l‟avons déjà souligné, de certaines expressions tropiques, comme les métonymies sur des toponymes, ou les antonomases du nom propre, de dénominations spécifiques, des sigles et acronymes, etc. Ainsi, désigner la France métropolitaine par l‟ « Hexagone », l‟Italie par « la Péninsule », le Japon par l‟ « archipel », un plan de licenciement ou de reclassement par un « plan social », Dominique-Strauss-Kahn par « DSK », Bernard-Henry Lévy par « BHL », etc., ne pose pas a priori de problème d‟inférence du sens par le lecteur natif, mais qu‟en est-il du lecteur cible ? Serait-il capable de déchiffrer le sens de ces désignations tropiques ou elliptiques et d‟aboutir à la bonne interprétation du sens voulu si elles sont rendues avec une « traduction directe ». Ce mode de désignation synecdoquienne diverge sensiblement d‟une langue à l'autre, en vertu du principe du « Keyhole » de Seleskovitch ou de la « synecdoque » de Lederer. Ce même principe est corroboré par ce que Ballard (2004 : 90) appelle le « paradigme de désignation » dont le parcours peut changer lors du processus de reformulation interlinguistique. Il s‟agit, selon lui, du passage d‟un mode de représentation à un autre, comme le passage d‟un mot à sa définition, d‟un pronom à un nom ou d‟un hyponyme à un hyperonyme. Nous proposons de rattacher également à ce volet le cas des explicitations « lexicales », qui portent sur des mots désignant des objets ou des concepts bien connus dans la culture cible et supposés connus aussi des lecteurs cibles, mais ils ne disposent pas (encore) d‟équivalents linguistiques fixes pré-assignés et sanctionnés par l‟usage officiel de la langue cible. Les lecteurs les désignent souvent à l'aide d‟emprunts issus d‟autres langues ou avec des termes issus de leur dialecte national ou régional. Les traducteurs rechignent parfois à utiliser ces emprunts, qui risquent d‟ailleurs de ne pas être compris par tous les lecteurs visés par la traduction. Face à ce vide lexical, certains traducteurs préfèrent employer des désignations plus explicites ou multiplier les équivalents synonymiques, quitte à gonfler le volume de la partie explicite, afin de s‟assurer que la majorité des lecteurs pourront reconnaître exactement les référents désignés par ces synecdoques. La nécessité de prévoir un tel volet « explicite » dans la conceptualisation de l‟explicitation peut se justifier également si l‟on envisage la question sous la dimension temporelle : à supposer que l‟explicite ait été directement compréhensible par le lectorat d‟une époque donnée, il faudrait que la traduction soit elle aussi directement compréhensible par le

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lecteur actuel. Cela oblige parfois à expliciter ce qui était explicite, mais qui ne l‟est plus. L‟auteur à l‟époque ne s‟est pas cru obligé de préciser telle ou telle chose, car ces référents étaient à ce moment-là connus de tout un chacun, alors que le lecteur actuel doit faire un effort pour les reconstruire. Mais le phénomène inverse peut également se produire : le traducteur explicite des termes désignant des référents qui viennent de paraître pour les lecteurs à l'époque, mais quelques années plus tard, le traducteur ne juge plus nécessaire de les expliciter comme avant, car ils sont jugés connus des lecteurs actuels. Pour illustrer ces propos, lisons cet exemple sur l‟explicitation du mot « zapping ».  Exemple nº 3 : comment dire « zapping » en arabe ?

L‟exemple ci-dessous est extrait d‟un article du MD mars 2007, intitulé « Les facettes de l‟individu empêtré dans l‟individualisme » où l‟auteur parle des différentes manifestations de l‟individualisme de plus en plus apparent dans notre société. Pour étayer ses propos, il cite différents exemples de la vie quotidienne, comme le succès des émissions de télé-réalité, des livres sur l‟épanouissement de la personnalité, des sites de rencontres en ligne et de la banalisation du zapping. C‟est sur ce dernier terme que le traducteur a buté, en choisissant de pratiquer une longue explicitation visant à évoquer au lecteur l‟idée voulue. En déchiffrant dans le détail Ŕ du développement des sites Internet de rencontres à la fascination adolescente pour les marques, en passant par la banalisation du zapping Ŕ l‟exercice d‟un individualisme de plus en plus... individuel. c‟est en effet le lien entre la contemporaine conception du moi, de ses objectifs, de sa liberté, et les démocraties d‟économie libérale qui est analysé [...]. (MD mars 2007)

‫و ثبٹزٮُٖٸ يف ؽتبهٍبدٍ ٭وكاځُّخ‬٢‫ڂلٽب ځڂ‬٦‫ ٭‬Quand on examine en détail des pratiques

individualistes

qui

٤‫ىّه ٽىاٱ‬ٞ‫ اثزلاءً ٽڀ ر‬،ً‫ ٭وكَّخ‬...‫ ريكاك‬deviennent de plus en plus… ،‫ االځزوځذ اظتقّٖٖخ ٹٺّٲبءاد ثٌن األٕلٱبء‬individuelles, à commencer par le

développement des sites Internet

ً‫ ٽووها‬،‫ اظتواڅٲٌن ثبظتبهٵبد‬٬٪ّ ‫ بذل‬destinés aux rencontres entre les ‫" (اٹزڂٲّٸ ثٌن ؤٱڂُخ‬٨‫ اٹـ"ىاثُڂ‬٬ُ‫ ثزَق‬amis, jusqu‟à la fascination des

ّ‫ ٭ةٿ‬،)‫ل‬٦ُ‫ڀ ث‬٥ ‫وَٰ اٹزؾٶّټ‬ٝ ‫ڀ‬٥ ‫ اٹزٺٮيَىٿ‬adolescents pour les marques, en passant

par

la

banalisation

du

‫الٱخ ثٌن‬٦‫ څى اٹ‬٤‫ ٹٺزؾٺُٸ يف اٹىاٱ‬٤ٚ‫ « ٽب مت‬zapping » (se déplacer entre les ‫بٕو ٹٺـ"ؤځب" َأٌدافٍب َحرٓجٍب‬٦‫ اظتٮهىٻ اظت‬chaînes de télévision par le

contrôle à distance), ce qui se soumet à l‟analyse en réalité, c‟est le […] rapport entre l‟« ego », de ses objectifs, de sa liberté, et les démocraties d‟économie libérale [...].

.ْ‫َبٓو دٓهَقراطٓبث االقجصبد المٓبرال‬

Il va sans dire qu‟au moment de la publication de cette traduction en 2007, la majorité absolue des foyers, dans les métropoles arabes, sont équipés d‟un téléviseur et d‟une parabole proposant différentes bouquets satellitaires, comme le Nilesat, Arabsat, etc. Il n‟y aucun doute sur le fait que les lecteurs arabes savent pertinemment ce qu‟est le « zapping » à l‟aide d‟une télécommande. Il n‟y a donc pas d‟implicite notionnel ni conceptuel qui se cache derrière ce terme. Il n‟empêche qu‟une longue explicitation a été introduite. En effet, malgré la démocratisation de cette pratique, le problème de traduction découle de l‟absence d‟un terme spécifique en arabe désignant ce phénomène. Ceci ne doit pas nous surprendre, car la langue

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française, elle-même, a dû recourir à cet anglicisme « zapping » pour désigner ce concept, qui a d‟ailleurs été intégré dans le répertoire français et consacré par l‟usage, ce qui n‟a pas été le cas de l‟arabe. Pour contourner ce vide, le traducteur reporte le terme français (ou plutôt anglais) qu‟il explicite en aval par une longue phrase. Nous aurions préféré rendre le sens pertinent dans ce contexte par cette explicitation "‫خ‬َٕٛٚ‫ٍ انقُٕاد انزهفض‬ٛ‫( "ْٕط انزُقم ث‬l‟obsession de passer d‟une chaîne de télévsion à l'autre), sans préciser l‟outil utilisé (la télécommande) qui a d‟ailleurs nécessité une autre explicitation. En effet, aussi surprenant que cela puisse paraître, ce dispositif n‟a pas non plus d‟étiquette linguistique arabe. On emploie souvent l‟emprunt anglais (remote control), abrégé en "‫ًٕد‬ٚ‫( "انش‬remote) dans la plupart des pays arabes. Certains linguistes arabes ont proposé de le traduire par le mot "‫( "زبكٕو‬un dérivé du mot contrôle)119, mais ce terme, bien qu‟adopté par l‟Académie de langue arabe en Jordanie120 depuis 1991, n‟a pas rencontré de succès auprès du public arabe, ce qui a sans doute dû dissuader le traducteur de l‟utiliser, si toutefois il en connaissait l‟existence. Nous ne l‟aurions pas non plus retenu car ce mot « savant » ne permet pas d‟évoquer à coup sûr la représentation mentale de cet objet. Néanmoins, nous devons admettre qu‟il s‟agit là d‟une belle trouvaille linguistique forgée selon les règles de la dérivation en arabe. Nous reviendrons sur cette problématique dans le chapitre V avec plus de détails et d‟exemples. Après avoir défini les deux versants explicite et implicite composant la notion de l‟explicitation telle que nous la considérons dans cette thèse, nous allons nous pencher maintenant sur la question de la distinction de l‟explicitation des autres écarts de traductions résultant de la mise en œuvre d‟autres techniques de traduction.

3. Les caractéristiques distinctives de l‟explicitation Notre exploration des études précédentes nous a permis de constater que les critères censés permettre de discerner clairement les écarts d‟explicitation des autres écarts de traduction n‟ont pas été suffisamment définis, ce qui a remis en cause la validité de certaines études empiriques. Pour pallier cette insuffisance, nous allons définir, à la lumière de notre conception générale de l‟explicitation, les critères distinctifs d‟« un écart d‟explicitation ».

3.1. L‟explicitation est un écart par rapport à la traduction directe qui est le degré zéro de l‟explicitation Comme nous l‟avons déjà suggéré dans le premier chapitre, nous proposons de mesurer l‟écart d‟explicitation, comme l‟ont fait Delport (1989), Tenchea (2003) et tous les auteurs des Il importe de noter que l‟encyclopédie en ligne a consacré une page à cet outil sous le nom de "‫"ؽبٵىٻ‬, que l‟on peut consulter sur ce lien : http://ar.wikipedia.org/wiki/%D8%AD%D8%A7%D9%83%D9%88%D9%85 120 Voici la page Web où l‟Académie jordanienne de langue arabe publie le rapport de ces activités et décisions concernant l‟adoption ou la création de nouveaux termes en arabe. http://www.majma.org.jo/majma/index.php/200902-10-09-36-00/625-mag40-9.html. Dernière consultation en ligne : le 04/10/2014. 119

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recherches empiriques, par rapport à ce que Vinay et Darbelnet appelle la « traduction directe »121 : tout ce qui constitue un décalage par rapport à cette traduction peut être considéré comme un « écart de traduction ». Après exclusion des correspondances linguistiques consignées dans les dictionnaires bilingues, des emprunts, des reports, des calques sémantiques et syntaxiques, des écarts d‟omission ou de suppression122, tout écart impliquant des ajouts ou des substitutions pourrait être un éventuel « écart d‟explicitation ». En effet, la traduction directe est supposée constituer le point de comparaison par rapport à l'explicitation, autrement dit le degré zéro de l‟explicitation. Les traducteurs sont censés recourir à l'explicitation lorsqu‟ils estiment que la traduction directe ne peut pas assurer la transmission du sens pertinent de certains éléments problématiques du texte source. Dans ce cas, la « traduction oblique » comme l‟appellent Vinay et Darbelnet, ou la traduction par « équivalence dynamique » comme l‟appelle Nida, ou par « équivalence interprétative » comme l‟appellent Seleskovitch et Lederer s‟impose. L‟explicitation représente, en effet, l‟une des moyens de réaliser ces alternatives.

3.2. L‟écart d‟explicitation doit être motivé Chaque écart d‟explicitation doit être motivé par un problème de traduction en rapport avec la réexpression du sens. Il doit découler d‟un choix traductif conscient du traducteur. Ces choix se révèlent par les traces linguistiques que le traducteur a laissées, suite à son intervention. Ceci implique que l‟explicitation n‟est utilisée que quand quelque chose requiert cette action : Il s‟agit souvent d‟un problème de traduction auquel il n‟y a pas une solution pré-déterminée et valable une bonne fois pour toutes. C‟est au traducteur qu‟incombe la responsabilité de trouver une solution adéquate. Ainsi, la traduction par une expression plus longue ou plus claire ne suffit pas pour la considérer comme un cas d‟explicitation si elle n‟est pas motivée par un problème de traduction lié à la réexpression du sens de façon intelligible. Nous allons revenir en détails sur la nature spécifique de ces problèmes de traduction dans le chapitre IV consacré entièrement à l'étude des motivations des explicitations. Pour le moment, ce critère nous permet d‟exclure des « éventuels » écarts d‟explicitation, tout écart impliquant un ajout ou une substitution, mais qui est considéré comme un équivalent fonctionnel, une solution déjà trouvée, une reformulation toute faite, que tous les traducteurs peuvent utiliser pour rendre le sens de tel ou tel élément, dans n‟importe quel contexte.

3.3. L‟écart d‟explicitation doit être informatif ou éclaircissant Tout écart d‟explicitation doit comporter une information complémentaire, en rapport avec le sens pertinent du texte de départ. La transformation qu‟implique cet écart n‟a d‟autre objectif que 121

Pour rappel, par traduction directe, nous entendons précisément la traduction par correspondances linguistiques préétablies lorsqu‟elles existent, ou par emprunt ou report en cas d‟absence de correspondance directe. Elle se décline donc souvent en trois procédés : l‟emprunt, le report, le calque sémantique ou syntaxique. Ce dernier s‟appelle aussi la traduction littérale. 122 Les écarts de suppressions sont souvent attribués à la stratégie inverse qu‟est l‟implicitation.

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d‟assurer le transfert de l‟information, par le traducteur, pour le lecteur cible, chaque fois qu‟une traduction sans explicitation risquerait de déformer le sens ou de mal informer le lecteur. Dès lors, expliciter, c‟est introduire un écart informatif dont l‟objectif est de réduire un autre écart linguistique ou culturel, c'est-à-dire remplir un vide lexical dans la langue cible ou suppléer un manque de connaissances culturelles supposé chez le lecteur cible. Cet écart peut être quantitatif lorsqu‟il s‟agit d‟ajouter plus d‟éléments informationnels, sans pour autant se confondre avec les écarts purement syntaxiques ou stylistiques, comportant eux-aussi des étoffements linguistiques sous forme d‟ajouts. En effet, ces derniers ne sont pas motivés par le besoin d‟apporter des éléments informationnels. Il s‟agit souvent de mettre l‟emphase sur un élément textuel donné ou de se conformer au génie de la langue cible par rapport à un registre linguistique ou à certaines conventions communicatives de structuration de l‟information. Cependant, l‟écart d‟explicitation n‟est pas exclusivement quantitatif. Il peut être qualitatif, c'està-dire « éclaircissant » sans ajout de nouveaux aspects verbaux. Dans ce cas, il peut consister seulement à substituer un terme à un autre plus clair, plus précis et moins équivoque (les techniques de particularisation de Molina et Hurtado (2002), de spécification de Perego (2003), d‟hyponymisation de Ballard (2003, 2005), etc.). En effet, du moment que cette substitution123 comporte un éclaircissement d‟information, elle est considérée fonctionnellement et sémantiquement comme une explicitation, d‟où l‟importance de préciser que l‟analyse de l‟explicitation en contexte est une condition sine qua non pour décider s‟il s‟agit ou non d‟un véritable cas d‟explicitation.

3.4. L‟écart d‟explicitation doit être légitime Le traducteur n‟introduit pas des informations à sa guise et sans justification. . Nida et Taber (1971 : 145) insistent sur le fait que les explicitations doivent être justifiées par un besoin d‟aider le lecteur à comprendre le sens : « Ces renseignements, les premiers lecteurs les possédaient et s‟en servaient pour interpréter ce qu‟ils lisaient ; nos lecteurs ne les ont pas, et ne comprendront pas si on ne les leur fournit pas ». Par l‟explicitation, le traducteur cherche seulement « à mettre au jour des informations contenues dans la situation qu‟évoque la phrase à traduire » (Delport 1989 : 47), qui sont censées être parfaitement connues de la part des lecteurs d‟origine, puisque : « Ces éléments, le texte-source les laissait implicites, mais à tout lecteur, questionné à leur sujet, la réponse eût semblé évidente. Le traducteur les a déclarés explicitement » (Delport Ibid. : 47).

123

En effet, cette substitution peut se réaliser par des procédés, considérés comme opposés, tels que l‟emploi d‟un hyponyme ou d‟un hyperonyme. Ces deux procédés cessent de l‟être, une fois employés dans le cadre d‟une analyse sémantique, fonctionnelle et textuelle de l‟explicitation. Ils contribuent tous les deux à la clarification du sens. Ainsi, comme l‟avait proposé Kamenická (2007), traduire le toponyme « Heathrow » par « Londres » est bel et bien une explicitation, si, et seulement si cette traduction permet d‟éclaircir au mieux le sens pertinent voulu par l‟emploi du toponyme. Alors qu‟en vérité, ce procédé peut bien se décrire, en dehors de ce contexte, comme étant une traduction hyperonymique, qui n‟a rien à voir avec l‟explicitation.

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Tout écart impliquant une introduction d‟information jugée « illégitime »124 ou qui n‟est pas « nécessaire » pour la compréhension du vouloir dire du texte, sera exclu lui-aussi des écarts d‟explicitation.

3.5. L‟écart d‟explicitation doit être optionnel En plus d‟être motivé, informatif et légitime, l‟écart l‟explicitation doit relever d‟un choix facultatif. Ce critère nous permettrait de mettre en parallèle un cas d‟explicitation d‟un élément donné, avec d‟autres solutions de traduction du même élément, jugées correctes du point de vue linguistique, mais moins informatives ou moins claires du point de vue sémantique. Cette condition s‟inscrit dans le cadre de la remarque de Séguinot (1988 : 108) soulignant que : « to prove that there was explicitation, there must have been the possibility of a correct but less explicit or less precise version. This is the only way to distinguish between choices that can be accounted for in the language system, and choices that come about because of the nature of the translation process ». Dans le même sens, Dimitrova (2005) attire l‟attention sur le fait que les cas d‟explicitations sont rarement mis en parallèle avec d‟autres procédés de traduction pouvant ressembler à l'explicitation sans pour autant en faire partie. Ils ne sont pas non plus comparés avec des cas similaires où il n‟y a pas eu d‟explicitation : « Defintions and classifications of explicitation so far seem to be based on smaller or larger corpora of instances that are included in the category, but they are seldom contrasted with other translational solutions, which resemble explicitation in one or more respect, but that are not considered explicitation […] Nor are they contrasted with similar instances where the translator has chosen not to explicitate » (Dimitrova 2005 : 41). Klaudy (2007) s‟inscrit dans la même lignée lorsqu‟elle note que du point de vue de la stratégie traductionnelle, l‟explicitation apparaît lorsque le traducteur choisit sa formulation parmi d‟autres options possibles et acceptables dans la langue cible, et que ce choix est normalement le plus explicite et le plus élaboré : « explicitation occurs when the translator chooses from several opportunities, all acceptable in the target language (TL) and his choice is normally the more explicit, more elaborated version (Klaudy 2007 : 158) ». Compte tenu de ces critères, nous pouvons mieux préciser les contours du concept de l‟explicitation par rapport aux écarts d‟addition qui eux, ne relèvent pas de l‟explicitation.

4. L‟explicitation entre explicitness et explication Nous avons vu dans les chapitres précédents que les chercheurs comptaient des explicitations « linguistiques » parmi les explicitations « traductionnelles » alors qu‟il ne fallait pas si l‟on voulait confirmer ou infirmer l‟hypothèse de Blum-Kulka. En outre, certains chercheurs 124

Exit donc tous les écarts correspondants à la paraphrase illégitime de Margot, à l'amplification de Delport, à « l'ajout » considéré par Delisle (1999) comme une « faute de traduction ».

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considèrent certains ajouts comme des « paraphrases illégitimes » (Margot) ou comme des « amplifications » (Delport) qui ne doivent pas être comptées parmi les explicitations, alors que d‟autres considèrent sous les termes de « l‟amplification » (Hurtado) et la « paraphrase » (Tenchea) comme les véritables cas d‟explicitations, etc. Pour en finir avec de telles confusions, nous proposons de classer tous les écarts qui s‟apparentent à l‟explicitation, mais qui n‟en font pas partie, en deux catégories : l’explicitness et l‟explication, l‟explicitation étant située au milieu de ces deux pôles extrêmes.

4.1. Les écarts relevant de l’explicitness Sous cette catégorie, nous mettons les écarts grammaticaux, syntaxiques, stylistiques et fonctionnels. Les écarts grammaticaux relèvent des différences typologiques des systèmes linguistiques et peuvent comporter des ajouts, mais qui ne sont pas informatifs ni éclaircissants. Ces écarts ne relèvent pas non plus des choix des traducteurs, car ils sont obligatoires : sans eux, la traduction est grammaticalement incorrecte. Nous les attribuons donc, non pas à l‟explicitation en tant que stratégie de réexpression du sens, mais au phénomène de l’explicitness au sens linguistique du terme, c'est-à-dire aux spécificités du système grammatical et typologique de chaque langue. Exit également les écarts syntaxiques attribués aux préférences communicatives des langues car ils relèvent de la manière dont se spécifie chaque langue dans le découpage des phrases, la structuration de l‟information, ou la mise en exergue de certains éléments linguistiques. Ces écarts se présentent souvent sous forme d‟étoffements stylistiques ou syntaxiques consistant à ajouter des éléments linguistiques sous-entendus comme les termes de liaison, plus fréquents dans une langue que dans une autre, dont le but est « le renforcement d‟un mot qui ne se suffit pas à lui-même et qui a besoin d‟être épaulé par d‟autres » (Vinay et Darbelnet (1977 : 109). Il peut s‟agir aussi de mettre l‟emphase sur un élément du texte, comme l‟ont souligné Séguinot (1988 : 26), Tenchea (2003) et Klaudy (2007), en traduisant par exemple les informations secondaires par des propositions principales, etc. Ces écarts sont exclus de l‟explicitation parce que les éléments linguistiques qu‟ils introduisent sont d‟ordre syntaxique ou stylistique et non informationnels, d‟autant plus qu‟ils ne sont pas motivés par des problèmes de traduction et n‟ont aucune incidence directe sur la réexpression du sens pertinent du texte. Ils ne découlent pas des choix optionnels et stratégiques de traducteurs, mais plutôt d‟un style linguistique motivé par des conventions communicatives ou par le désir de conformité au génie de la langue cible. À cela s‟ajoute, les autres écarts résultant des choix d‟équivalents fonctionnels, ayant des formes linguistiques plus explicites. Rappelons-nous l‟exemple fourni par Delisle (1999 : 37) sur la traduction de « best before » par « à consommer de préférence avant le » qu‟il a considérée comme une explicitation puisqu‟il y a un étoffement linguistique, autrement dit une expression plus longue et plus claire. Pour nous, il s‟agit plutôt d‟une équivalence fonctionnelle prête à l'emploi, de ce que Seleskovitch aurait appelé une correspondance. Tandis que l‟explicitation,

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telle que nous la percevons, doit répondre à une contrainte de traduction et dépendre d‟un choix stratégique du traducteur visant à créer une équivalence de sens et d‟effet de façon inédite et ad hoc. Tous ces écarts relèvent donc désormais de l’explicitness, et non de l‟explicitation. La traduction de l‟ « Hexagone » par « la France » tombe également dans cette catégorie, bien qu‟elle corresponde à la plupart des critères définis, mais il manque à la condition d‟être optionnel. En effet, nous n‟avons trouvé dans tout le corpus du MD aucune traduction rendant « Hexagone » par un emprunt de ce terme, comme c‟est le cas pour « Pentagone », qui est parfaitement compris du lectorat arabe (ministère de la défense des Etats-Unis), parce que ce terme est souvent relayé par les médias et donc consacré par l‟usage. Quant à « Hexagone », il est toujours traduit par « la France » et jamais par la traduction de sa motivation linguistique, c'est-à-dire le polygone à six côtés, ni par l‟explication de cette désignation métonymique faisant allusion à la carte de France, ni par une périphrase du style « la France métropolitaine ». De telles traductions auraient été bel et bien considérées comme des explicitations. Il en va de même pour la traduction de « gare » par "‫( "يسطخ قطبس‬station de trains) (MD juillet 2011, décembre 2010, juin 2010, décembre 2009, mai 2009, janvier 2007,), du terme « urne » par "‫( "صُذٔق اَزخبثبد‬boîte électorale) (MD juin 2011, août 2011), la « pilule » par "‫"زجٕة يُغ انسًم‬ (pilule d‟empêchement de grossesse) (MD juin 2011, avril 2007), etc. Ces périphrases définitoires, au sens de Mounin (1964), Nida (1967) et Newmark (1988), ne sont pas des explicitations, selon notre conception, car elles sont devenues des traductions courantes de ces termes. Tant que tous les traducteurs s‟accordent à solliciter le même terme ou la même expression pour désigner tel ou tel référent, il s‟agit désormais d‟une correspondance fonctionnelle et non d‟une équivalence ad hoc, ni d‟un choix subjectif décidé par le traducteur en fonction du besoin discursif, comme devrait l‟être une véritable explicitation.

4.2. Les écarts relevant de l‟explication De l‟autre côté de l‟échelle, il y a des écarts que le traducteur ajoute, non pas seulement par souci de clarté ou pour mieux préciser le sens, mais pour donner de plus amples informations, souvent secondaires, sur un élément donné, notamment dans les traductions académiques, universitaires ou pédantes, moyennant les fameuses notes des traducteurs. Elles se manifestent également par l‟apport des commentaires subjectifs des traducteurs ou d‟autres informations qui ne sont pas parfaitement déductibles du texte source par le lecteur natif. Autrement dit, elles ne correspondent pas aux « contenus implicites » sur lesquels opèrent normalement une explicitation. Nous proposons d‟inclure tous ces cas dans la catégorie que nous appelons « l‟explication ». De prime abord, la limite peut paraître malaisée à définir selon l‟ancienne conception de l‟explicitation, mais pour nous, l‟explication n‟est pas à confondre avec l‟explicitation. C‟est le sens implicite pertinent ou certaines formes linguistiques complexes que

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le traducteur est tenu d‟expliciter, mais en aucun cas il ne peut s‟agir de faire l‟exégèse du texte source, ou de se lancer dans des supputations sur l‟éventuelle intention de dire des auteurs. Lorsque ces écarts dépassent le besoin communicatif pour la compréhension du sens, ils sont souvent perçus comme illégitimes ou superflus, comme l‟exprime Nida (1971 : 143) : « il existe certaines traductions où l‟on a ajouté toutes sortes d‟informations nouvelles étrangères au texte : ce genre d‟apport n‟est pas légitime car il déforme le message ». Dans la même lignée, Margot insiste sur le fait que le traducteur d‟un texte, en l‟occurrence biblique, « n‟a pas à le compléter par « des explications ou des opinions subjectives », ni à y introduire « des éléments dérivés d‟autres parties de la Bible ni, à plus forte raison, des éléments provenant des sources extrabibliques comme la traduction » (Margot 1979 : 129-130). Ces écarts peuvent en effet devenir le lieu d'un détournement de sens, au profit d'un besoin idéologique, philologique, ethnologique ou didactique particulier, répondant ainsi à des skopos spécifiques de traduction. Aussi, l‟explication est-elle plutôt un phénomène en traduction et non une stratégie de traduction à proprement parler. Les exemples suivants vont illustrer nos propos sur cette distinction tripartite (explicitness explicitation - explication). Revenons tout d‟abord à l'exemple nº 2 dont nous reproduisons la première partie de l‟énoncé en soulignant les écarts d’explicitness : Lors de consultations aux enjeux particulièrement clivants, comme le référendum sur le traité constitutionnel européen (TCE) de 2005, les résultats épousent parfois les polarisations sociales de façon exemplaire. (MD septembre 2011)

٤ُٙ‫ٺً ٽىا‬٥ ‫ يف ؽبٹخ رٖىَذ‬،‫ څٶنا‬Ainsi, en cas de vote sur des thèmes représentant des enjeux

‫ رْٶّٸ هڅبځبد ؽبشتخ َڂٲَټ اٹڂبً ؽىعتب‬décisifs sur lesquels les gens se ‫بڅلح‬٦‫ٺً اظت‬٥ ‫ ٽضٸ االٍزٮزبء‬،‫ ثْٶٸٍ ؽبك‬divisent fortement, comme le référendum

sur

le

traité

‫ رإٌب‬،2005 ‫بٻ‬٦‫ اٹلٍزىهَخ األوهوثُخ يف اٹ‬constitutionnel européen en 2005, ٤‫ اٹڂزبئظ ٹززپبڅً يف ٵضًن ٽڀ األؽُبٿ ٽ‬les résultats viennent souvent . ٍ٥‫بة االعزپب‬ٞ‫ االٍزٲ‬corroborer

les

polarisations

sociales.

Il est clair que la traduction de du syntagme « enjeux particulièrement clivants » par « des thèmes représentant des enjeux décisifs sur lesquels les gens se divisent fortement » comporte un écart d‟ajout. Mais cet écart n‟est pas motivé par un problème de traduction, mais plutôt par une différence de manière de la structuration de l‟information entre le français et l‟arabe. L‟auteur français a choisi une expression dense, alors le traducteur arabe a préféré employer une expression plus étoffée. Ce choix augmente certes l’explicitness du texte source, mais il n‟apporte pas une information contextuelle pertinente ou implicite, d‟où le fait de l‟exclure de l‟explicitation, tout en le gardant dans la catégorie de l’explicitness. Le traducteur aurait pu écrire "‫غ يخزهف زٕنٓب‬ٛ‫( "يٕاض‬des sujets conflictuels), pour rendre le même sens sans utiliser une expression diluée. L‟ajout du mot "‫ « "زبنخ‬cas » sert à introduire le mot "‫( "اَزخبة‬vote), le verbe "ٙ‫( "رأر‬venir) sert à renforcer le verbe "ْٗ‫( "رزًب‬ici dans le sens de corroborer, s‟identifier à) dans la version arabe et le mot "‫ « "ػبو‬an » introduit presque systématiquement le chiffre indiquant l‟année. Il s‟agit donc d‟écarts linguistiques dus à la manière qu‟a choisie le traducteur pour construire sa

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phrase. Au lieu de dire « en cas de vote », il pouvait dire "‫ذ‬ٕٚ‫( "ػُذ انزص‬lors du vote), sans utiliser cet écart. De même, au lieu d‟écrire « les résultats viennent corroborer » pour rendre le syntagme « les résultats épousent », il pouvait écrire tout simplement "‫( "رؤكذ انُزبئح‬les résultats confirment). Nous aurions donc pu reformuler cette partie de l‟énoncé comme suit : Lors de consultations aux enjeux particulièrement clivants, comme le référendum sur le traité constitutionnel européen (TCE) de 2005, les résultats épousent parfois les polarisations sociales de façon exemplaire. (MD septembre 2011)

٤ُٙ‫ٺً ٽىا‬٥ ‫ڂل اٹزٖىَذ‬٥ ‫ وڅٶنا‬Ainsi, lors du vote sur des sujets conflictuels, comme le référendum

‫بڅلح‬٦‫ٺً اظت‬٥ ‫ ٵبالٍزٮزبء‬،‫ ؽىعتب‬٬‫ ؼتزٺ‬sur le traité constitutionnel ‫ راٵل‬،2005 ‫ اٹلٍزىهَخ األوهوثُخ يف‬européen en 2005, les résultats ٍ‫فتىمع‬

‫ثْٶٸ‬

ً‫ؤؽُبځب‬

confirment

‫ اٹڂزبئظ‬exemplaire .ٍ٥‫بة االعزپب‬ٞ‫ االٍزٲ‬sociales.

parfois de façon les polarisations

Ce ne sont donc pas des explicitations liées à la réexpression du sens de cet énoncé, ni motivées par un problème de traduction. Nous avons pu rendre le même sens avec des équivalences interprétatives libres sans produire des écarts d’explicitness. Analysons un autre exemple sur un autre cas d’explicitness.  Exemple nº 4 : les différences typologiques

Il s‟agit d‟un extrait d‟un article du MD juin 2002, intitulé « La troisième génération ouvrière » où l‟auteur évoque un débat sur le « sort des salariés face aux restructurations des entreprises ». L‟un des intervenants a dû choquer les personnes présentes en donnant une image dévalorisée de la condition d‟ouvrier ce qui a fait réagir la salle. Ce qui nous intéresse dans cet exemple, c‟est l‟écart d’explicitness provoqué par la nécessité de préciser en arabe la référence au pluriel dans le complément d‟objet indirect et la référence au genre en parlant des ouvriers. Les « vieux » y voient une sorte d‟attaque contre la dignité qui était la leur au travail et dans l‟espace public. Ils tentent de lui (de leur) rappeler qu‟il ne peut pas ou ne doit pas parler comme ça, qu‟il y a toujours eu des ouvrier(e)s debout, une dignité ouvrière, etc. (MD Juin 2002)

‫ڀ يف‬٦ٞ‫بً ٽڀ اٹ‬٥‫ ٭ٲل هؤي "اٹٲلاٽً" ځى‬Les « vieux » y voient une sorte d‟attaque contre la dignité qui était

‫پٺهټ ويف‬٥ ‫ىا هبب يف‬٦‫ اٹٶواٽخ اٹيت دتز‬la leur au travail et dans l‟espace ‫ وؽبوٹىا ؤٿ َنٵّووڃ (ؤو‬.‫بٻ‬٦‫ اجملبٷ اٹ‬public. Ils tentent de lui rappeler (leur rappeler) qu‟il ne peut pas ou

‫ ؤو ال كتله ثڄ‬٤ُٞ‫ َنٵّووڅټ) ثإځڄ ال ََز‬ne doit pas parler comme ça, qu‟il y ‫ وؤځڄ ال َياٷ‬،‫وَٲخ‬ٞ‫ ؤٿ َزٶٺټ هبنڃ اٹ‬a toujours eu des ouvriers (des

،‫پبٷ (ٽڀ اصتڂٌَن) ٕبٽلوٿ‬٥ ‫ څڂبٳ‬deux sexes) résistants, et qu‟il y .‫ اخل‬،‫پبٹُخ‬٥ ‫وؤٿ څڂبٳ ٵواٽخ‬

une dignité ouvrière, etc.

Répéter en arabe le verbe « rappeler » en l‟accompagnant une fois du pronom personnel au singulier, une fois du pronom personnel au pluriel, et ajouter entre parenthèses les mots « de deux sexes » n‟est pas une explicitation, car ces ajouts sont motivées par les différences grammaticales et syntaxiques entre les deux langues et non par un problème spécifique de traduction liée à la réexpression du sens. Concernant l‟explication, voici un exemple montrant cette surtraduction « over translation » selon le terme de Lévy (1965).

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 Exemple nº 5 : Qui est Haussmann ? L‟information de trop ! Cet exemple est extrait de l‟article MD avril 2009, intitulé « Logement social, une pénurie entretenue » où l‟auteur évoque la question de la pénurie des logements sociaux, qui remonte souvent à la surface à la fin de la trêve hivernale des expulsions en mars. Il relate l‟histoire de l‟habitat social en France, depuis la Restauration et les plans du Baron Haussmann jusqu'à l‟époque de Nicolas Sarkozy et le projet de loi présenté par la ministre du logement Christine Boutin en 2009. Dans cet énoncé, l‟auteur explique comment la construction des logements chics sous le maire de Paris à l'époque a pris le dessus sur la construction des logements sociaux, participant ainsi à la pénurie actuelle de ces logements. Cet afflux de capitaux fait exploser le prix des terrains des quartiers populaires, les réservant à la construction des très chics logements haussmanniens. (MD avril 2009)

‫ وٱل ؤكّي رل٭ّٰ اٹوٍبٽُٸ څنا اذل رٮغّو‬Cet afflux de capitaux fait exploser

le prix des terrains des quartiers

،‫جُّخ‬٦ْ‫ٍ يف األؽُبء اٹ‬ٙ‫به األها‬٦ٍ‫ ؤ‬populaires, les réservant à la ٤‫ وختُٖٖهب ٹجڂبء ٽَبٵڀٍ ٭بفوح علاً ٽ‬construction des très chics logements

avec

les

plans

de

ٌَ‫ ثبه‬٠‫ ػتب٭‬،]7[ ‫بد څىشتبٿ‬ُٞٞ‫ خت‬Haussmann, le préfet de Paris à .‫ آځناٳ‬l'époque [7].

Il s‟agit ici d‟expliciter le sens de cet emploi métonymique du nom propre « Haussmann » dans le syntagme « logements haussmannien ». Le traducteur choisit de rendre cette expression par un ajout de compléments cognitifs qu‟il infiltre dans le co-texte en écrivant « des logements très chics conçus selon les plans de Haussmann, le préfet de Paris à l'époque ». Mais il ne s‟en est pas tenu là. Il fournit une longue explication dans une note sur Haussmann et sur son plan de rénovation de la ville de Paris, que voici : "‫خ "اٹٶىٽىځخ‬ٙ‫ٺً اځزٮب‬٥ ‫بء‬ٚ‫[ كٽّود ثبهٌَ ثْٶٸٍ ٵجًن بثّبٿ اٹٲ‬7] [7] Paris fut largement détruite lors de l‟Intifada

de la « Commune » en 1871, les quartiers étroits

‫ُټ‬٢‫لڅب بٱواه رڂ‬٦‫ وًبّ ث‬.٤‫ُّٲخ ثبظتلا٭‬ٚ‫ بم ٱٖٮذ اضتبهاد اٹ‬،1871 ‫ يف‬furent bombardés avec les canons. Plus tard, un ‫خ ٵبٿ ٽهڂلٍب څى اٹجبهوٿ څىشتبٿ‬٦ٍ‫ وا‬٣‫ٺً ّىاه‬٥ ّ‫ ٽلين علَل ٽجين‬vaste plan civil et architectural fût entériné, basé

sur la création de vastes avenues. L‟ingénieur de

.‫هب اضتبرل‬٦‫بث‬ٝ ٌَ‫ٺً ثبه‬٥ ً‫ٮ‬ٙ‫ اٹنٌ ؤ‬ce plan fût le baron Haussmann, qui a conféré à Paris son style architectural actuel.

Cette note ne fait que détourner le lecteur vers des détails relativement secondaires dans ce contexte en particulier. De surcroît, les informations données ne sont pas tout à fait exactes puisque les travaux haussmanniens se sont pour l‟essentiel déroulés de 1852 à 1870. S‟il fallait ajouter une note, il aurait pu écrire dans cette note quelques informations sur les traits pertinents des logements haussmanniens, comme « des immeubles homogènes de quelques étages, en pierre de taille, obéissants à des règles architecturales strictes, avec des façades esthétiques, une toiture mansardée ». L‟ajout d‟une note spécifique sur la nature de ces logements haussmanniens aurait été intéressant pour le lecteur, mais pas capitale dans ce contexte car l‟accent est mis dans le texte sur la pénurie de logements abordables pour les petites gens et non sur les différences architecturales entre HLM et immeubles haussmanniens, ou entre les rues médiévales et les tracés

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haussmanniens. En tout cas, la note adjointe fait plutôt partie de l‟explication que de l‟explicitation. En revanche, l‟ajout inséré au sein même du texte est bel et bien une explicitation, car il contribue à la compréhension du sens de l‟énoncé. Il est donc motivé par un problème de manque de connaissance culturelle à propos de ce personnage. Il est aussi légitime, car l‟ajout pratiqué permet d‟expliciter l‟implicite notionnel. Tout se joue donc dans l‟analyse discursive de chaque cas. En effet, cette même note que nous excluons de l‟explicitation, aurait peut-être sa place, après rectification, dans la traduction de l‟exemple suivant :  Exemple nº 6 : le moment haussmannien ! Cet exemple est extrait d‟un article du MD juillet 2011, intitulé « le mouvement des immobiles » où l‟auteur parle, dans le contexte des mouvements sociaux et des sit-in organisés dans les rues des grandes villes mondiales, du façonnement de la ville occidentale par deux forces historiques en tension : la démocratie et le capitalisme. Dans cet énoncé, il explique comment le plan d‟urbanisation de Paris élaboré par Haussmann à l'époque, dans le but d‟accélérer les flux et maximiser la mobilité, a largement changé la configuration de la capitale et influencé le modèle urbain occidental. Reflétant la stratégie d‟un régime autoritaire et libéral pour adapter la capitale française à la « compression de l’espace et du temps » dont se nourrit le capitalisme, le moment haussmannien apparaît comme un tournant dans l‟histoire de l‟urbanisation occidentale. (MD juillet 2011)

‫خ اٹجڂبء اعتبوشتبين (ځَجخ‬٢‫ٶَذ ضت‬٥ ‫ وٱل‬Le moment haussmannien (en référence au maire de Paris sous

)‫هل ځبثٺُىٿ اٹضبٹش‬٥ ‫ ثبهٌَ يف‬٠‫ اذل ػتب٭‬Napoléon III), reflète la stratégie ‫بٻ اٍزجلاكٌ وٹُجًنارل ٽڀ‬٢‫ اٍزوارُغُخ ځ‬d‟un régime autoritaire et libéral pour adapter la capitale française à

ٜ٪ٙ" ٤‫بٕپخ اٹٮوځَُخ ٽ‬٦‫ اٹ‬٬ُُ‫ ؤعٸ رٶ‬la « compression de l’espace et du ‫بٻ‬٢‫نّي ثڄ اٹڂ‬٪‫ اظتٶبٿ واٹيٽبٿ" ٹنٌ َز‬temps » dont se nourrit le régime ُٜٞ‫ ٹزجلو ربهمتبً ٽٮٖٺُّبً يف اٹزق‬،‫ اٹوؤشتبرل‬capitaliste, et apparaît donc comme

un moment historique charnière de

.‫ويب‬٪‫پواين اٹ‬٦‫ اٹ‬la planification urbaine occidentale.

La note de l‟exemple nº 5 aurait été acceptable ici dans la mesure où il révèle le contexte historique qui a précédé ce moment haussmannien et décrit brièvement la caractéristique principale des grands boulevards parisiens emblématiques de la ville, qui permet au lecteur de comprendre en quoi ce nouveau plan adapte la capitale à la compression du temps et de l‟espace. Comme nous l‟avons déjà dit, tout jugement sur la nécessité ou la motivation d‟une explicitation doit s‟appuyer sur une analyse contextuelle pour voir pourquoi tel ou tel écart est motivé et légitime, ou pourquoi pas. Cependant, il conviendrait de faire une distinction supplémentaire entre une explication d‟un part et une explicitation inintéressante ou superflue d‟autre part. La première apporte une information qui n‟est pas parfaitement déductible du contexte cognitif ou qui ne fait pas partie du bagage cognitif présumé des lecteurs natifs. La deuxième correspond plutôt à ce que nous appelons une « tentative d‟explicitation ». Nous entendons par là le fait que le traducteur décide, à juste titre, d‟opérer une explicitation dans tel ou tel énoncé, mais qu‟il ne réussit pas à doser correctement le

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contenu de son explicitation, en apportant des suppléments d‟informations non pertinents pour la compréhension du vouloir dire initial. En nous appuyant sur les maximes de Grice, nous allons développer dans le chapitre V une grille d‟évaluation de la pertinence des explicitations. Il importe de noter que la majorité des explicitations relevées dans le corpus du MD constituent pour nous des « tentatives » d‟explicitation, parce qu‟elles sont souvent limitées à la fonction dénotative des noms propres ou des concepts explicités au détriment de traits pertinents sur lesquels l‟accent devrait être mis. Nous allons découvrir tous ces aspects au fur et à mesure que nous analyserons les exemples de notre corpus dans les prochains développements.

5. La distinction entre l‟explicitation et les autres stratégies de traduction Après avoir distingué les écarts d‟explicitation des écarts appartenant plutôt aux catégories d’explicitness et d‟explication, nous allons préciser davantage les pourtours de notre concept en opérant une autre distinction complémentaire entre les écarts d‟explicitation et les autres écarts de traduction issus de l‟application d‟autres stratégies de traduction. Comme d‟habitude, les lignes de démarcation entre les catégories ont souvent tendance à se croiser dans des zones de contact, d‟où l‟importance de souligner les interactions éventuelles entre l‟explicitation et les autres techniques de traduction.

5.1. L‟explicitation versus la traduction directe La traduction directe est une stratégie de traduction qui se distingue facilement de l‟explicitation, pour la simple raison qu‟elle n‟est pas censée produire des écarts de traduction. Nous avons postulé que les procédés de traduction directe constituaient le point de référence à partir de laquelle nous distinguons les écarts. C‟est d‟ailleurs la stratégie que nous avons adoptée pour la retraduction linguistique des exemples exposés tout au long de cette thèse : elle permet d‟apprécier les spécificités structurelles et lexicales de la langue source. Il importe cependant de préciser le fonctionnement de cette stratégie et son rapport avec l‟explicitation au-delà du fait d‟être le seuil zéro de l‟explicitation. En effet, cette stratégie appelée aussi « l‟exotisation » par Berman (1984) et Venuti (1995), est mise en œuvre à travers les trois procédés que nous avons mentionnés à plusieurs reprises : le calque (sémantique ou syntaxique), appelé aussi la traduction littérale, le report et l‟emprunt. Nous tenons à préciser ici la différence entre les deux derniers procédés. Ballard explique ces différences dans ce passage : « Il convient de distinguer le report de l‟emprunt. L‟emprunt est l‟adoption par une communauté linguistico-culturelle d‟un terme appartenant à une autre communauté linguistico-culturelle, pour des raisons de nécessité (trou lexical ou/et culturel, néologie plus avancée) ou de mode. Le report est un acte de traduction consistant à reporter dans le texte d‟arrivée un élément du texte de départ pour des raisons de nécessité (trou lexical) ou par désir de préserver un élément d‟authenticité du TD ou de créer de

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la couleur locale. L‟emprunt est un acte communautaire qui dépasse la traduction, le report est un acte individuel du traducteur (qui peut recouper ou utiliser l‟emprunt) (Ballard 2005 : 131) ». La traduction directe consiste donc à traduire les éléments du texte source avec leurs correspondances linguistiques préassignées dans la langue source ou avec des emprunts et des reports en cas de manque de correspondances directes sans rien interpréter, rien ajouter ni retrancher. Elle restreint, ce faisant, la liberté du traducteur et entraîne parfois des pertes importantes au niveau de la transmission du sens. A cet égard, Margot confirme que « le littéralisme est une manière assurée de produire des distorsions de sens (ambiguïtés et contresens) et de style (lourdeurs, maladresses, barbarismes), en un mot de faire violence aux structures de la langue réceptrice » (Margot 1979 : 73). Grâce à ces trois procédés, la traduction directe (littérale) est toujours possible, pour peu que l‟on ne se soucie guère de la possibilité qu‟auront les lecteurs cibles de comprendre un texte ainsi traduit. Il n‟en demeure pas moins vrai que cette stratégie représente de facto un moyen de traduction, mais qui reste toutefois très limité dans son succès. Il arrive qu‟on traduise littéralement une phrase sans engendrer une entropie de sens, mais ceci constitue l‟exception plutôt que la règle. Dans la pratique réelle de traduction, la stratégie de la traduction directe et celle de l‟explicitation peuvent cependant concourir concomitamment à la transmission du sens de façon lisible et intelligible. En effet, le recours à l‟explicitation pourrait pallier les inconvénients des procédés de la traduction directe et inversement, la traduction directe peut permettre d‟alléger le texte traduit et dispenser le traducteur de réitérer les mêmes explicitations dans le même texte. Il ne s‟agit donc pas de préférer dans l‟absolu l‟explicitation et d‟incriminer la traduction directe, mais de montrer que l‟on pourrait user des deux stratégies pour réaliser l‟objectif de la traduction : transmettre le sens du texte source dans toute sa plénitude, son effet et sa teneur exotique. Ceci ne peut que réhabiliter la traduction directe aux cotés de l‟explicitation pour mieux diffuser les connaissances culturelles de part et d‟autres des langues/cultures impliquées dans le projet de traduction. Les exemples sont légions dans le corpus du MD, parce que les traducteurs donnent souvent la traduction directe avant de l‟éclaircir à l'aide d‟une petite explicitation précisant le sens qui risque d‟échapper au lecteur arabe ou d‟être difficilement inférable.  Exemple nº 7 : la « vague rose » et le sens vague !

Cet exemple est extrait de l‟article du MD octobre 2009, intitulé « Faire de la politique ou vivre de la politique ? » où l‟auteur critique l‟attitude des partis de gauche qui cherchent à se répartir des postes et à renforcer leurs réseaux d‟élus, grâce à des alliances politiques et des calculs savants de leurs intérêts politiques en composant les listes électorales, quitte à s‟éloigner des revendications et du vécu quotidien des groupes sociaux qui les soutenaient traditionnellement (ouvriers, employés, enseignants). Dans cet énoncé, l‟auteur parle des responsables socialistes qui ont multiplié les postes depuis leur élection il y a plus de 20 ans.

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Beaucoup de jeunes maires et/ou conseillers généraux élus à la fin des années 1970, ou de jeunes députés sans mandat antérieur portés par la vague rose de 1981, sont toujours en place, même s‟ils ont changé de mandat en cours de chemin. (MD octobre 2009)

‫لَل ٽڀ هئٍبء اٹجٺلَّبد ؤو اظتَزْبهَڀ‬٦‫ ٭بٹ‬Beaucoup de jeunes maires ou conseillers généraux, qui ont été

‫ اٹنَڀ اځزُقِجىا يف هنبَخ‬،‫بٽٌّن اٹْجبة‬٦‫ اٹ‬élus à la fin des années 70, ou de ‫ ؤو اٹڂىّاة اٹْجبة اٹنَڀ ځَُّٖجىا‬،‫ُڂبد‬٦‫ اٹَج‬jeunes députés investis pour la

première fois grâce à la vague

)‫ٸ اظتىعخ اٹىهكَّخ (االّزواٵُخ‬ٚ‫ ٹٺپوّح األوذل ثٮ‬rose (socialiste) de l‟an 1981, ‫ وبٿ‬،‫ ال َياٹىٿ يف ؤٽبٵڂهټ‬،1981 ‫بٻ‬٦‫ يف اٹ‬sont toujours en place, même s‟ils

.‫ُّووا ؤؽُبځبً ٽڂبٕجهټ ؤصڂبء اٹوؽٺخ‬٩ ont changé de poste en cours de voyage.

La traduction directe de « vague rose » ne pose aucun problème en arabe car il existe des correspondances linguistiques pour ces deux mots, mais c‟est l‟image de la vague pour désigner une victoire éléctorale écrasante et l‟association de la couleur rose au parti socialiste qui posent problème. Conscient du fait qu‟une telle traduction ne permettra pas de révéler à coup sûr le sens implicite de cette expression, le traducteur de ce MD décide d‟ajouter entre parenthèses le mot « socialiste ». Le lecteur comprend désormais qu‟il s‟agit d‟une victoire électorale réalisée par le parti socialiste et que ces députés, maires et conseillers généraux sont donc affiliés à ce parti. Il est vrai que le lecteur arabe ne dispose pas toujours d‟une visualisation du poing tenant une rose, qui symbolise cette formation politique française, mais cela n‟empêche pas la compréhension de l‟idée principale véhiculée dans cet énoncé. En revanche, se contenter d‟une traduction directe, par un calque sémantique, exigera de la part du lecteur beaucoup d‟efforts interprétatifs pour inférer le sens. Le moindre écueil d‟interprétation risque d‟entraîner une ambiguïté, voire une incohérence. Cette courte explicitation a donc permis à la traduction littérale de fonctionner ici. Plus tard, le traducteur traduit « peindre la maison rose par un vernis antilibéral » avec une traduction directe, car le lecteur aurait appris à faire le rapprochement entre « rose » et « socialiste ». Grâce au contexte, le lecteur arabe attentif comprendra cette fois la métaphore et saura qu‟il s‟agit de l‟idée de faire évoluer le dogme socialiste pour lui faire accepter l‟ouverture au libéralisme. En revanche, la seule traduction littérale de l‟expression « république bananière » dans l‟exemple suivant risque de semer le doute quant à sa signification.  Exemple nº 8 : Qu‟est-ce qu‟une république bananière ? Cet exemple est extrait d‟un article du MD mars 2007, intitulé «« Quand les lobbies (dé)font les lois », où l‟auteur parle de la pression qu‟exercent les lobbies sur les parlementaires pour tirer avantage de leurs votes en faveur de certaines lois. En décembre 2005, la loi sur les ،2005 ‫كََپرب‬/‫٭ٮٍ ٵبځىٿ األوٷ‬ droits d‟auteur dans l‟économie numérique avait mis au jour des ‫هو ٱبځىٿ ؽٲىٯ اظتاٹّٮٌن يف االٱزٖبك‬١‫ؤ‬ pratiques que l‟on croyait ‫زٲلځب ؤهنب فبٕخ‬٥‫اٹوٱپٍّ ؽتبهٍبد ا‬ réservées aux républiques .‫جبپهىهَبد اظتىى‬ bananières. (MD mars 2007)

En décembre (kanon 1er) 2005, la loi sur les droits d‟auteur dans l‟économie numérique avait révélé des pratiques que l‟on croyait réservées aux républiques bananières.

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Comme nous pouvons le constater, le lecteur arabe se demandera sans doute ce que veut dire une république « bananière ». Certains pourront le deviner, mais d‟autres seront sans doute interloqués par cette expression dont ils ignorent la signification, l‟origine ou la motivation. Cette désignation métonymique créant un lien de contiguïté logique entre une république et des bananes n‟évoque rien du tout pour le lecteur arabe. Il est vrai que le contexte fait allusion aux pratiques malhonnêtes de ces lobbies, notamment le fait que les missionnaires de la Fnac et de Virgin ont tenté d‟offrir des cartes prépayées de téléchargement musical aux députés, mais le sens reste à l'état hypothétique. On n‟atteint pas encore la clarté et l‟intelligibilité que l‟explicitation pourrait réaliser. Nous aurions gardé cette traduction littérale, mais en l‟explicitant entre parenthèses par un complément précisant le trait pertinent de signification de cette expression "‫( "انذٔل انفبعذح أٔ انًزغهطخ‬pays corrompus ou totalitaires) sans devoir expliquer l‟origine de cette expression, qui ne sera pas d‟une grande importance dans ce contexte. L‟intérêt de conserver cette expression est d‟introduire cette désignation métonymique dans les journaux arabes, fort utile pour décrire la situation politique et économique dans certains pays arabes.

5.2. L‟explicitation versus l‟adaptation L‟adaptation, dans le sens de la naturalisation ou la traduction ethnocentrique, s‟applique à « des cas où la situation à laquelle le message se réfère n‟existe pas dans LA 125, et doit être créée par rapport à une autre situation, que l‟on juge équivalente » (Vinay et Darbelnet 1972 : 53). En général, cette stratégie utilise des équivalents culturels fonctionnels renvoyant le lecteur à des mots ou faits de la langue cible dont la connotation correspond à ceux de la langue source. Leppihale résume cette méthode de traduction par cette phrase « the unfamiliar is replaced by the familiar » (Leppihalme 2001 : 142). Ces adaptations sont appelées différemment selon les auteurs : « cultural parallels» (Nedergaard-Larsen 1993 : 217), l‟équivalent le plus proche dans la langue cible selon Koller (1997 : 232), (Nida) ou encore le « filtre culturel »126 de House (2001 : 251). Cette forme d‟adaptation ethnocentrique, dénoncée entre autres par Berman (1984), peut conduire à un brouillage du repérage du texte traduit par rapport à sa culture d‟origine, de sorte à induire le lecteur en erreur d‟inférence ou d‟appréciation (Ballard 2001 : 218). En revanche, l‟explicitation conserve en général le trait exotique, en apportant ce qui manque à ce dernier ou à la langue cible afin d‟aider le lecteur à en percevoir le vouloir dire. Et lorsque le traducteur décide de substituer le terme, il le décrit à l'aide d‟une périphrase ou d‟une paraphrase de sorte à pouvoir évoquer son image mentale ou conceptuelle au lecteur et non à le remplacer par une image différente puisée dans la mémoire collective de la langue-culture cible. Voici quelques exemples illustrant les différences entre l‟explicitation et l‟adaptation.

125

Langue d‟arrivée Le filtre culturel, c‟est la considération des différences culturelles et le gommage de ces traits lors de la traduction invisible afin de créer des équivalences fonctionnelles. 126

Partie I : Chapitre III : Vers une conception générale de l’explicitation

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 Exemple nº 9 : La Palice et Joha !

Cet exemple est extrait d‟un article du MD novembre 2007, intitulé « Scanner les cerveaux pour mieux vendre » où l‟auteur explique les tentatives des publicitaires visant à exploiter les neurosciences afin d‟améliorer leurs techniques publicitaires auprès des clients cibles et promouvoir ainsi leurs ventes. Dans cet énoncé, l‟auteur commente, d‟une façon ironique, l‟une des conclusions d‟un test au scanner selon laquelle les médias obtiennent un meilleur score de mémorisation inconsciente des messages publicitaires en associant le son et l‟image. Ce qui est évident. Un test qu‟aurait pu réaliser La ‫ٵبٿ نتٶڀ صتؾب ؤٿ كتوٌ څنڃ اٹزغوثخ‬ Palice et qui prêterait à sourire s‟il n‟était assorti d‟un discours ‫ؾٴ ٹى دل‬ٚ‫ٺً اٹ‬٥ ‫اٹجلَهُّخ اٹيت حتپٸ‬ pseudoscientifique lourd de ‫ وفُټ‬٬ ٍ ‫ٺپٍٍّ ىائ‬٥ ٍ‫رُو٭َٰ ثٶالٻ‬ conséquences. (MD novembre .‫ىاٱت‬٦‫اٹ‬ 2007)

Joha pouvait bien réaliser cette expérience évidente, qui prêterait à sourire si elle n‟était pas accompagnée d‟un faux discours scientifique lourd de conséquences.

En fait, le traducteur remplace le nom propre « La Palice » par un nom de personnage mythique de la littérature arabe qui s‟appelle « Joha » réputé pour sa naïveté, et très souvent cité dans les anecdotes comiques arabes. Or les qualités essentielles de ces deux personnages ne sont pas toute à fait identiques : le premier affirme pompeusement des évidences, le deuxième dit des choses drôles. Cependant, avec le concours du contexte, le lecteur saisira le sens pertinent de cet énoncé et ressentira l‟effet ironique. Toujours est-il que le lecteur qui n‟est sans doute pas familier des techniques de traduction, trouvera surprenant qu‟un journaliste français connaisse Joha et le cite à propos d‟un test scientifique fait avec un scanner IRM sur une publicité sponsorisée par CocaCola. Ce choix traductif n‟était pas celui d‟un autre traducteur du MD ayant eu affaire à ce même référent.  Exemple nº 10 : Cet exemple est extrait de l‟article du MD novembre 2008, intitulé les « A contresens sur l‟autoroute des idées » où l‟auteur parle de l‟attitude absurde du parti socialiste qui, pris à contrepied, proclame les vertus du libéralisme dans un contexte où règne la crise financière, la baisse du pouvoir d‟achat, les mécontentements populaires, etc. Dans cet énoncé, l‟auteur adresse des critiques virulentes à l'encontre d‟un socialiste, M. Peillon qui, dans le cadre de son discours moderniste, ne fait qu‟énoncer des banalités, du style : « Ce n‟est pas capituler que de vouloir gouverner et agir, ce n‟est pas honteux que de chercher à comprendre le monde tel qu‟il est».

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Partie I : Chapitre III : Vers une conception générale de l’explicitation

Mais on voit mal pourquoi revêtir la toge de Sénèque pour énoncer de tels truismes. Notre courageux La Palice poursuit néanmoins : «Ce n‟est pas trahir que de vouloir faire tomber le mur de Berlin dans nos têtes». (MD novembre 2008)

٫‫ٺُڄ اهرلاء صىة اٹٮُٺَى‬٥ ‫ ٹٶڂّڂب ال ځٮهټ ظتبما‬Mais on ne comprend pas pourquoi

porter la robe du philosophe romain

‫ بم‬.‫] ٹُٲىٷ ثلَهُّبد ؽتبصٺخ‬7[ ‫ اٹووٽبين ٍُڂٶب‬Sénèque pour dire de telles évidences. :ً‫ ٱبئال‬٤‫ٺڂب اٹنٌ َٮَّو اظتبء ثبظتبء َزبث‬ٞ‫ څب څى ث‬Notre héros qui interprète l‟eau par l‟eau poursuit en disant : «le désir de

‫جخ ثزلٽًن علاه ثوٹٌن كافٸ هئوٍڂب ال‬٩‫ "بٿّ اٹو‬détruire le mur de Berlin dans nos têtes ."‫ين اطتُبځخ‬٦‫ ر‬n‟est pas une trahison». (novembre

‫ وهعٸ كوٹخ‬٫‫ ٭ُٺَى‬Sénèque ]7[ 2008) [7] Sénèque est un philosophe et un homme d‟état romain (4 A.J-

‫ ٽڀ اظتلهٍخ اٹٮٺَٮُخ‬،)65-‫ٻ‬.‫ ٯ‬4( ‫ هوٽبين‬C, -65), de l‟école philosophique ‫ وٵبٿ‬،ٌٍُ‫ى بذل اٹالٽجبالح ثبألؽب‬٥‫ اٹوواٱُخ َل‬stoïcienne. Il prône l‟indifférence vis-à-vis des sentiments et il était le

.‫ىه ځًنوٿ اٹنٌ ؽوٯ هوٽب‬ٝ‫ٺّټ االٽربا‬٦‫ ٽ‬précepteur de l‟empereur Néron qui incendié Rome.

Notons d‟abord que le traducteur introduit une explicitation discrète au sein du texte sur le personnage de Sénèque, défini comme un philosophe romain. Il adjoint en plus une longue note où il donne des informations générales qui, à notre avis, manquent de pertinence par rapport à ce contexte. Elles sont focalisées sur la valeur référentielle de ce personnage et non sur les traits pertinents de son caractère qui s‟actualisent dans cette expression. En présence de l‟explicitation interne, cette note relève, pour nous, de l‟ordre de l‟explication. Le traducteur semble se contenter de résumer les premières lignes consacrées à ce personnage dans Wikipédia, l‟encyclopédie en ligne127. Or l‟explicitation interne suffit largement pour mettre en exergue la contradiction entre le philosophe Sénèque censé dire des choses intéressantes et pleines de sens, et les banalités des propos M. Peillon. Ce qui nous intéresse ici, c‟est la suppression du nom de La Palice au profit d‟une paraphrase montrant la qualité essentielle de ce personnage « notre héros qui interprète l‟eau par l‟eau ». En fait, cette expression fait allusion à un hémistiche d‟un vers arabe "‫"ٔفغش انًبء ثؼذ اندٓذ ثبنًبء‬ 128 attribué au poète arabe "‫ش‬ٚ‫( "اثٍ انٕص‬al-Wazīr) à qui on a reproché d‟avoir comparé l‟eau à l'eau dans un concours de poésie. Depuis, on emploie cette expression, de façon satirique, pour dire que l‟explication fournie n‟a rien de nouveau. Nous pouvons bien considérer cette substitution comme une explicitation : elle éclaircit mieux le sens que l‟adaptation dans l‟exemple précédent. Si l‟auteur avait choisi de remplacer le nom de La Palice par celui d‟Ibn Alwazir, il aurait procédé à une adaptation culturelle et le sens n‟y aurait pas gagné en clarté car si les lecteurs arabes connaissent l‟expression « interpréter l‟eau par l‟eau », ils ne connaissent pas nécessairement le nom du poète arabe et l‟anecdote qui s‟y rattache. Cette explicitation est légitime dans la mesure où elle ne dépasse pas le besoin contextuel et motivée puisque la 127

En effet, il semble que les traducteurs arabes se réfèrent souvent à cette source d‟information pour combler leurs lacunes. Ceci comporte parfois un risque de désinformation car cette encyclopédie interactive et associative n‟est pas toujours fiable. Nous y reviendrons en détails dans le chapitre 6 où l‟on consacrera une partie à l'analyse des erreurs d‟explicitation. 128 Le vers complet est le suivant :"‫ل اصتهل ثبظتبء‬٦‫( "ؤٱبٻ جبهل ؤَبٽبً ٱولتزڄ *** و٭َو اظتبء ث‬Après de longues journées de réflexion, il interprète l‟eau, à grands renforts d‟explications, par l‟eau elle-même). C‟est notre traduction.

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Partie I : Chapitre III : Vers une conception générale de l’explicitation

traduction par report pur et simple du nom propre sans explicitation occasionne un problème d‟ambiguïté de sens. Pour mieux cerner la différence entre l‟adaptation et l‟explicitation au niveau de leur aptitude à transmettre de façon immédiatement intelligible le sens dans certains contextes, analysons cet exemple montrant ce que l‟on pourrait appeler une « tentative » ratée d‟adaptation.  Exemple nº 11 : l‟orthodoxie chrétienne et l‟école Hanbalite musulmane (le brouillage de pistes) ! Cet exemple est extrait d‟un article du MD janvier 2007, intitulé « La France hors du consensus européen », où l‟auteur parle de certaines déclarations d‟hommes politiques français qui remettent en cause les fondements idéologiques de certains traités européens. Ainsi, Sarkozy réclame que soit rediscuté le statut de la BCE, Dominique de Villepin, alors premier ministre fustige l‟euro fort, etc. Dans cet énoncé, le traducteur bute sur la traduction du mot « orthodoxe » qu‟il choisit de rendre par une traduction littérale et puis par une adaptation. Autant de bâtons de dynamite lancés en direction de Bruxelles, de Francfort (siège de la BCE) et de la quasitotalité des autres gouvernements des VingtSept, en premier lieu du plus orthodoxe d‟entre eux sur la question, celui de Berlin. (MD janvier 2007)

‫ يف اجتبڃ ثووٵَٸ‬٬ٖ‫ وَزٶبصو اٹٲ‬Le bombardement se multiplie en direction de Bruxelles et de Francfort

)ٌ‫( و٭وځٶٮىهد (ؽُش ٽٲو اٹجڂٴ اظتوٵي‬où se trouve le siège de la Banque ‫بٹجُخ ثبٱٍ اضتٶىٽبد يف‬٩ ‫ ويف اجتبڃ‬Centrale) et en direction de la plupart des autres gouvernements

،‫بء‬ٚ٥‫ْوَڀ األ‬٦‫ واٹ‬٤‫ اٹلوٷ اٹَج‬dans les Vingt-Sept États membres, ً‫ وثلهعخٍ ؤوذل ؤٵضوڅب ؽڂجٺُخ‬en premier lieu le plus hanbalite de ‫ (ؤهصىموٵَُخ يف اٹڂٔ اٹٮوځٍَ) ؽىٷ‬tous (orthodoxe dans le texte

français) autour cette question, c'est-

.‫ ؤٌ ؽٶىٽخ ثوٹٌن‬،‫ څنڃ اظتَإٹخ‬à-dire le gouvernement de Berlin.

Cette traduction est un cas exemplaire qui montre le sens de l‟adage « interpréter l‟eau par l‟eau ». Que comprend le lecteur arabe en lisant que le gouvernement de Berlin est le plus hanbalite (ou le plus orthodoxe) des autres pays de l‟Union. En fait, le mot hanbalite fait allusion à une des à quatre écoles religieuses de la Charia en Islam, considérée comme la plus stricte et rigoureuse en matière d‟application des règles et préceptes de la religion. Sauf que la plupart des pays arabes suivent d‟autres écoles de jurisprudence comme l‟école Shaféite et Hanafite en Orient, ou Malikite au Maghreb. L‟école hanbalite se fait aujourd‟hui appeler l‟école Salafiste voire Wahhabite. La connotation véhiculée par ce terme n‟est donc pas très connue de tous les lecteurs. De plus, le contexte politique et économique évoqué par l‟énoncé n‟est pas approprié à l'emploi du terme religieux, du moins pour le lecteur arabe qui n‟a pas l‟habitude d‟utiliser une métaphore religieuse (« l‟orthodoxie ») pour désigner un ensemble de principes de politique économique et financière. Le traducteur lui-même n‟était visiblement pas convaincu de son choix, d‟où l‟ajout du terme d‟origine entre parenthèses, comme s‟il tentait de justifier son choix, mais qui ne fait que jeter encore plus d‟ombre sur le sens voulu. Il aurait pu simplement traduire « orthodoxe » ici

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par « strict » en écrivant par exemple "‫خ رشذدا زٕل ْزِ انًغأنخ‬ٛ‫ انًقبو األٔل أكثش انسكٕيبد األٔسٔث‬ٙ‫( "ٔف‬en premier lieu le plus strict des gouvernements européens sur cette question). C‟est d‟ailleurs le choix traductif retenu par le traducteur du MD novembre 2011, dans un article intitulé « Enquête dans le temple de l‟euro », qui parle également de la politique économique allemande vis-à-vis de l‟euro et du rôle de la BCE. L‟énoncé arabe devient plus intelligible grâce à cette substitution explicitante. Le lendemain de cet échange, l‟Allemand Jürgen Stark, économiste en chef de la BCE et porte-parole des orthodoxes, annonçait sa démission du directoire. (MD novembre 2011)

‫ڀ‬٩‫لاح څنا اضتلَش ٱلّٻ األظتبين َىه‬٩ Le lendemain de cet échange, l‟Allemand

Jürgen

Stark,

‫ هئٌُ ٱَټ االٱزٖبك يف اٹجڂٴ‬،‫ ٍزبهٳ‬économiste en chef de la Banque ‫ٰ ثبٍټ‬ٝ‫ واٹڂب‬،‫ اظتوٵيٌ األوهويب‬Centrale Européenne et porte-

parole des économistes partisans

‫ االٱزٖبكٌَن موٌ اظتڂهظ اظتزْلّك اٍزٲبٹزڄ‬de la méthode stricte, annonçait sa .‫ بذل اإلكاهح‬démission à la direction.

Dans la section précédente, nous avons cherché à déterminer les caractéristiques générales distinctives entre, d‟une part l‟explicitation telle que nous la concevons et les autres écarts dus à l'explicitness ou à l'explication, et d‟autre part, l‟explicitation et les autres écarts résultant des procédés de la traduction exotisante ou ethnocentrique. Nous allons nous intéresser, maintenant, aux fondements théoriques sur lesquels repose notre conception de l‟explicitation, en mettant à profit les enseignements que nous avons tirés de notre analyse des diverses approches et recherches traductives, tous azimuts.

6. Les fondements théoriques de l‟explicitation Comme nous l‟avons signalé en début de ce chapitre, notre conception globale de l‟explicitation s‟articule autour de 4 axes fondamentaux que nous allons développer et étayer à l'aide d‟exemples de notre corpus. Le premier axe se rapporte au fait que l‟explicitation est intrinsèquement liée à la question de l‟interprétation du sens et que sa mise en œuvre en phase de réexpression est régie par la stratégie-cadre de l‟équivalence du sens élaborée par la TIT.

6.1. L‟explicitation en tant que stratégie de réexpression du vouloir dire du texte Dans une perspective résolument interprétative, nous considérons la réexpression du sens du texte source dans tous ses effets, comme l‟alpha et l‟oméga, de toute notre réflexion sur l‟explicitation. Éviter toute déperdition de sens par rapport au texte source et prévenir tout risque d‟ambiguïté dans le texte cible, telles sont les raisons d‟être qui sous-tendent toute la conceptualisation sur l‟explicitation. Peu importent les raisons spécifiques de cette entropie ou cette ambiguïté du sens : problème ou contrainte de traduction, vide lexical ou culturel, soumission à une norme ou à une visée traductive, etc. Ainsi, tout écart de traduction n‟ayant pas de rapport direct avec l‟interprétation du sens global du texte par le traducteur est exclu, de fait, de l‟explicitation.

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6.1.1. L‟explicitation comme moyen de produire l‟équivalence de sens et d‟effet S‟inscrivant dans le cadre de la stratégie d‟équivalence interprétative (parfois appelée discursive), l‟explicitation vise à recréer cette situation d‟équivalence, entre le texte source et le texte cible, en préservant le contenu conceptuel et la fonction communicative de l‟élément explicité. Cette équivalence recherchée se décline généralement en deux volets qui dépendent l‟un de l‟autre : l‟un sémantique, en rapport avec le sens pertinent inféré du texte et l‟autre fonctionnel ayant trait à l‟effet ressenti par le lecteur natif. Après avoir été lecteur du texte source, le traducteur devient auteur du texte cible ; sa traduction devrait permettre à ses futurs lecteurs d‟appréhender un sens et des émotions équivalents à ceux que le texte de départ avait eus sur lui. Pour ce faire, il est souvent nécessaire que le traducteur apporte quelques éléments subtils, qu‟on peut déduire du contexte ou de l‟expérience extralinguistique, susceptibles de déclencher le processus cognitif chez le lecteur et de l‟amener à penser, à réagir et à faire des associations d‟idées comme l‟aurait fait un lecteur natif. L‟explicitation peut ainsi contribuer à la transmission et de la valeur et de la saveur du texte original avec tous ses éléments constitutifs. Grâce à ces écarts informatifs ou éclaircissants, le lecteur de la traduction perçoit mieux le contenu notionnel de l‟élément explicité, et ressent les effets comique d‟un jeu de mot ou tragique d‟un détail, persuasif d‟un argument, ironique d‟une remarque, etc., et ce sans sacrifier complètement le support linguistique d‟origine. La sauvegarde de celui-ci n‟est pas systématique ni inconditionnelle, loin s‟en faut : elle est tributaire de sa pertinence pour la suite du texte ou pour le skopos général de la traduction dans le contexte d‟accueil. Dans les points suivants, nous allons tenter de cerner au plus près ce rapport subtil et intime qui définit la relation entre l‟explicitation et la réexpression du sens par l‟intermédiaire de l‟équivalence interprétative. 6.1.2. L‟explicitation entre plénitude et entropie du sens Par la mise en œuvre de l‟explicitation, le traducteur cherche à atteindre, dans la mesure du possible, la « plénitude de la traduction ». Cette plénitude est définie par Israël (1998 : 252) comme étant : « liée à la visée globale de l‟acte de traduction qui est de substituer au texte de départ un écrit doté de la même cohésion d‟ensemble et présentant la même adéquation entre le sens et la forme... ». Le traducteur offre ainsi au lecteur un accès facile et bien jalonné au sens pertinent du message, y compris l‟effet envisagé et certaines zones d‟ombre que l‟on pense moins claires : « quand on traduit, on manie la pensée d‟autrui et, de ce fait, on a tendance à être plus explicite. En effet, on découvre des phénomènes, des arguments et des relations entre les idées et on pense logiquement qu‟il faut expliciter l‟implicite qu‟on a perçu dans le texte original pour permettre au lecteur final d‟accéder à la totalité du message » (Durieux 1990 : 56). Cependant, cette plénitude constitue-t-elle un « gain d‟informativité » par rapport au lecteur natif ou une garantie contre toute déperdition du sens ?

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6.1.3. L‟explicitation est un gain d‟intelligibilité et non d‟informativité En introduisant des précisions déductibles du contexte discursif ou de la situation de traduction pour s‟adapter à la langue cible ou au savoir supposé chez les lecteurs cibles, l‟explicitation n‟ajoute pas du sens. Elle crée un gain d‟intelligibilité et non un gain d‟informativité par rapport à ce que comprend ou ressent le lecteur natif (Murtisari 2010 : 29). En effet, le traducteur ne fait que ressortir ou rappeler ce qui y est déjà, quoi que de façon implicite. Il évite simplement une déperdition de sens qui n‟aurait pas manqué de se produire si le texte avait été traduit littéralement sans ajouter certaines précisions contextuelles et informatives. Dans ce sens, Nida affirme qu‟« il faut insister sur le fait qu‟en rendant explicite une information qui est implicite dans l‟original, le traducteur n‟ajoute absolument rien qui ne soit pas dans le message original ; il ne fait que rendre l‟information sous une autre forme, ce qui est souvent absolument indispensable » (Nida 1971 : 143). Le traducteur pourrait toujours procéder autrement, en sollicitant d‟autres techniques de traduction, en décidant de ne pas fournir ces suppléments, mais il risque, en maintes occasions, de se heurter frontalement au problème de l‟incomplétude du sens. Toutefois, l‟explicitation ne garantit pas de réduire la perte de sens en traduction à zéro. Elle la limite au minimum possible et c‟est ce qui la démarque des autres stratégies de traduction, notamment celle de l‟exotisation et de la naturalisation. 6.1.4. L‟explicitation versus l'entropie du sens En fait, l‟entropie du sens est une réalité communicative. Toute action de communication, y compris la traduction, engendre inéluctablement une perte. Une communication totale n‟existe pas129 : « la traduction ne peut être qu‟approximative ; elle ne diffère en rien de l‟interprétation que nous faisons des différents messages dans la même langue : traduire, c‟est transférer une interprétation, son interprétation du texte avec tout ce que cela implique comme déperditions » (Mejri 2005 : 122). Dans ce même sens, Nida affirme que « même lorsqu‟il ne s‟agit que d‟une seule langue, la communication n‟est jamais absolue, car deux personnes ne comprennent jamais les mots d‟une façon identique. A plus forte raison, on ne doit pas s‟attendre à une équivalence parfaite entre deux langues » (Nida 1971 : 4). Steiner rappelle, de sa part, qu‟« il n‟est pas deux lectures, pas deux traductions identiques » ; et que « le travail de traduction est constant, toujours approximatif » Steiner (1978 : 39). Il est donc normal qu‟aucune stratégie de traduction ne puisse 129

Cette réalité est soulignée par plusieurs chercheurs dans différents disciplines. Lisons par exemple ce qu‟écrit l‟anthropologue Betson à cet égard : « Bien sûr, la totalité de l'esprit ne peut pas se transporter dans une partie de l'esprit. Cela découle logiquement de la relation entre le tout et la partie. L'écran de télévision ne vous donne pas la retransmission ou le compte rendu intégral de tous les évènements qui se déroulent dans l'ensemble des processus qui constituent la "télévision". Cette impossibilité ne vient pas de ce que les spectateurs ne seraient nullement intéressés par cette transmission, mais surtout de ce que, pour rendre compte de toute partie supplémentaire du processus global, il faudrait des circuits supplémentaires. Et rendre compte de ce qui se passe dans ces circuits supplémentaires demanderait encore d'autres circuits supplémentaires, et ainsi de suite. On voit, donc, que chaque nouvelle étape vers l'élargissement de la conscience éloigne d'avantage le système d'un état de conscience total. Ajouter un rapport sur les évènements qui se produisent dans une partie donnée de l'appareil ne fera, en fait, que diminuer le pourcentage des évènements rapportés dans leur totalité. » (Bateson 1996 : 223-224).

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prétendre éviter totalement la perte de certains aspects du sens qui, d‟un point de vue théorique, ne peut être nulle. Cette perte se révèle surtout au transfert culturel : « il est évident qu‟une part importante des pertes est liée aux connotations, aux allusions, au pouvoir d‟évocation de la langue pour ceux qui la parlent » Ballard (2005 : 8-9). Le contact qui se réalise, par la traduction, entre les cultures n‟est jamais total, « il passe toujours par un prisme conjoncturel et reste évidemment partiel » (Lungu-Badea 2007 : 699). Cette perte peut être liée aux aspects stylistiques du message traduit, à cause du changement, voire de l'abandon, de certains véhicules métaphoriques. Transposées comme tels, la plupart des désignations métaphoriques risquent d‟occasionner une perte aussi bien sémantique que stylistique pour le lecteur cible qui ne sera pas à même d‟apprécier la subtilité de ces désignations tropiques, venues d‟un autre monde, sollicitant d‟autres réseaux référentiels, autant linguistiques que culturels. Cependant, il ne faut pas se résigner à l‟inévitabilité d‟une telle perte, affirme Margot : « Qu‟il y ait un risque de perte dans toute traduction, c‟est certain. Mais il serait faux de le considérer avec fatalisme, ce qui serait un bon moyen de l‟accroître. L‟objectif d‟une bonne méthode de traduction est, entre autres, de réduire ce risque au minimum. Il consiste aussi à déterminer où réside réellement le danger de distorsion » (Margot 1979 : 214). Cette perte donne à l'explicitation son droit d‟être, car toute son action traductionnelle s‟articule autour de la récupération et de la compensation de cette perte. Dans ce sens, Harvey note ceci: « Given that the transfer of meanings from one language to another continually involves somme degree of loss, the translator must decide if and when compensation is warranted » Harvey (1998 : 38). Face à cette perte, le traducteur, précise Wecksteen, « doit décider s‟il désire laisser des zones d‟ombre, que le lecteur sera libre d‟essayer de lever, en se documentant ultérieurement, ou si, pour filer la métaphore, il veut faire la lumière sur le versant caché ou implicite que peut comporter le signe » (Wecksteen 2005 : 114). L‟incomplétude du sens est donc un problème duquel le traducteur doit s‟accommoder tout en cherchant à l‟amener à un niveau « tolérable » par l‟explicitation et par son habilité à recréer un texte équivalent, tout en admettant que le lecteur cible ne tirera jamais du texte traduit autant que le lecteur natif du texte source ; certaines informations secondaires lui échapperont certainement. De ce fait, nous ne considérons pas l‟explicitation comme une panacée à tous les problèmes de traduction, ni un pis-aller appliqué au cas par cas, mais plutôt comme une stratégie générale qui offre un compromis pour la transmission du sens, certes imparfait, mais qui permet d‟assurer une gestion efficace des risques d‟entropie et de porter la compréhension à un seuil satisfaisant. Tous ces aspects du rapport entre l‟explicitation et la question de la plénitude et de l‟entropie du sens se révèleront de plus en plus clairement, au fur et à mesure que nous exposons des exemples d‟explicitation du corpus. Contentons-nous ici, en guise d‟illustration sommaire, de cet exemple sur la traduction de la date « 11 novembre ».

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 Exemple nº 12 : les 11-novembre ?

Cet exemple est extrait d‟un article du MD avril 2008, intitulé « La figure imposée du dernier poilu », où l‟auteur parle des funérailles nationales organisées à l‟occasion du décès du dernier poilu de 14-18, Lazare Ponticelli. Il explique l‟intérêt d‟une telle cérémonie, mais aussi le phénomène de la pipolisation de la vie publique et de ces poilus en particulier. Dans cet énoncé il montre comment les médias se pressent autour d‟eux pour les photographier et les interroger à l'occasion des 11 novembre. On voyait les flashs crépiter devant eux lors de reportages télévisuels, les 11-Novembre ou pour le décès de l‟un des leurs. (MD avril 2008)

‫ يف‬٤‫ څٶنا هؤَڂب ٭الّبد اظتٖىّهَڀ رٺپ‬On voyait ainsi les flashs des

photographes crépiter devant leurs

‫ يف‬،‫ وعىڅهټ فالٷ اٹوَجىهربعبد اٹزٺٮيَىځُخ‬visages lors de reportages télévisuels, e ‫ْو ٽڀ ّهو رْوَڀ‬٥ ٌ‫ اضتبك‬le 11 du mois de novembre/Tichrine

[2] de chaque année, ou à l'occasion

‫بٻ ؤو مبڂبٍجخ و٭بح‬٥ ‫] ٵٸ‬2[ ‫ځى٭پرب‬/‫ اٹضبين‬du décès de l‟un d‟eux. [2] c‟est la fête ً‫ُل "اعتلځخ" اٹنٌ لتزٮ‬٥ ‫[وڅى‬2] .‫ ؤؽلڅټ‬de l‟« armistice » que l‟on célèbre à .1918 ‫بٻ‬٥ ‫بظتُخ األوذل‬٦‫ ٭ُڄ ثڂهبَخ اضتوة اٹ‬l'occasion de la fin de la première guerre mondiale en 1918.

Il est évident que la traduction directe de « 11 novembre » est tout à fait possible en arabe, ce qu‟a d‟ailleurs fait le traducteur au sein du texte. Mais c‟est là l‟aspect conceptuel le plus caractéristique de l‟explicitation, la traduction directe est possible, mais c‟est le sens qui risque de ne pas être compris des lecteurs cibles, les arabophones en l‟occurrence. Cet énoncé est situé en début d‟article, ce qui veut dire que les indices contextuels ne sont pas encore assez fournis, le sens global commence à peine se construire à partir de ces « unités de sens » qui se succèdent. Il manque donc un élément supplémentaire de contextualisation pour faire comprendre au lecteur arabe pourquoi les flashs crépitent sur les visages de ces combattants de la première guerre mondiale, en ce jour en particulier. Les Arabes n‟ont pas vécu directement cette guerre et la grande majorité ne connaissent pas l‟armistice signée le 11 novembre 1918, d‟où la pertinence de la note adjointe précisant la particularité de cette date. Au début de l‟article, le traducteur avait explicité le sens de « poilu » dans le texte par « combattant de la première guerre mondiale ». À cela s‟ajoute cette nouvelle explicitation, cette fois-ci externe, sur cette référence historique. Grâce à ces compléments contextuels, le lecteur arabe parviendrait à imaginer quelques détails de cette scène, à savoir des vieux messieurs, très probablement en uniforme militaires, en train de se faire mitrailler par les flashs des appareils photos des journalistes, le tout dans le cadre d‟une cérémonie grandiose. Ce sens notionnel et cet effet sont les composantes de ce qu‟on appelle la « plénitude du sens » que l‟explicitation cherche à atteindre. Sans ces suppléments, le lecteur saurait déduire qu‟il s‟agit d‟un événement important qui a eu lieu un 11 novembre, probablement en rapport avec la première guerre mondiale, mais au prix de longs efforts interprétatifs, et sans connaître avec précision le sens voulu. Néanmoins, est-ce que le lecteur arabe comprendra grâce à ces explicitations la même chose que le lecteur natif à la lecture de la phrase d‟origine ? La réponse est non. Le lecteur natif a acquis

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tout au long de sa vie de nombreuses informations sur cette guerre, sur ces poilus, sur le pourquoi de cette appellation bizarre. Il connaît parfaitement cette date puisque c‟est un jour férié. Il a même certainement déjà vu à la télévision des retransmissions de ces cérémonies du 11 novembre. Il connaît les bleuets qui rappellent l‟uniforme bleu de ces soldats, le cortège en fanfare, le dépôt de gerbes, l‟appel nominatif des morts dans les cérémonies de certaines communes, la minute de silence, il a même sans doute, dans de vieux albums de famille, des photos de jeunes soldats diparus dans cette guerre. Mais tout ce vécu du lecteur natif fait partie de ce que nous appelons la « perte tolérable » car son absence n‟affecte pas la compréhension du sens pertinent de cet énoncé. Le seuil de compréhension atteint grâce à l‟explicitation fournie par le traducteur reste satisfaisant. Si par contre l‟énoncé parlait d‟une cérémonie organisée le 11 septembre à New York, serait-il nécessaire d‟apporter une explicitation pareille ? La réponse est certainement non. Nous n‟avons trouvé aucune explicitation pour cette référence, pourtant très récurrente dans les textes du MD. Le lecteur arabe sait pertinemment ce qui s‟est passé ce jour-là à New-York, à savoir les attentats terroristes par des avions détournés contre les tours jumelles emblématiques de la ville. C‟est devenu une référence universelle qui dispense l‟auteur de rappeler cet événement, et le traducteur de l‟expliciter pour ses lecteurs. Une telle explicitation donnera l‟impression que le traducteur prend le lecteur pour un ignorant. Mais tel n‟est pas le cas pour le « 11 novembre ». L‟explicitation ne porte donc pas sur les mots, la langue elle-même, mais sur le sens qui s‟actualise dans l‟esprit du lecteur au-delà de ces mots. Il ressort de tout cela que l‟explicitation vise à établir un rapport adéquat entre l‟explicite et l‟implicite dans le texte traduit, déterminé par les connaissances du lecteur cible. C‟est ce sur quoi nous allons nous étendre dans le point suivant, en mettant à profit, dans un cadre homogène, les apports des différentes approches en la matière.

6.2. L‟explicitation en tant que rétablissement du rapport explicite/implicite Pour traduire, il faut comprendre, postule la TIT. Et pour comprendre, deux savoirs doivent s‟unir et se compléter : le savoir linguistique et le savoir extralinguistique. Ces deux savoirs correspondent au rapport explicite/implicite que Lederer appelle le principe de la synecdoque qui régit le fonctionnement de toute situation de communication, y compris la traduction. Pour rappel, Lederer explique ce fonctionnement comme suit : « En situation normale de communication, on est toujours en condition de savoir plus ou moins partagé : le locuteur n‟énonce jamais tout ce qu‟il veut faire comprendre, il ne dit que le non-connu, le récepteur complétant de lui-même à l‟aide de ce qu‟il sait déjà. Par rapport aux idées, le discours, compte tenu d‟une certaine redondance de sécurité, est animé d‟un mouvement de systole-diastole selon l‟écart des connaissances qui, en chaque occasion particulière, sépare le récepteur du locuteur» Lederer (2001 [1976] : 14). Cela crée donc un rapport explicite/implicite adapté au lecteur natif qui lui permet d‟optimiser l‟inférence du vouloir dire. Cette inférence se fait de façon naturelle et automatique chez le lecteur natif, mais tel n‟est pas toujours le cas pour le lecteur de la traduction

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auquel ce texte n‟était pas initialement destiné. Comptant sur le bagage cognitif des lecteurs, l‟auteur du texte source implicite souvent plus qu‟il n‟explicite. Inversement, lors du transfert de ce texte dans un autre contexte d‟accueil, pour un autre lectorat, le traducteur aura souvent tendance à expliciter plus qu‟il n‟implicite, afin de contrebalancer cette rupture de l‟équilibre communicationnel initial. Nous allons démonter, phase par phase, les mécanismes du processus du rétablissement de cet équilibre, moyennant la stratégie de l‟explicitation. 6.2.1. Le déséquilibre du rapport explicite/implicite S‟il arrive que ce rapport reste équilibré dans certains segments du texte, la traduction « directe » est alors possible, l‟inférence du sens par le lecteur se déroule sans encombre et la communication passe. Mais ceci n‟est que l‟exception. En règle générale, le rapport explicite/implicite subit, dans divers endroits du texte, des déséquilibres communicationnels. Le lien entre l‟explicite et l‟implicite, qui passe pour évident et naturel chez les locuteurs de la même culture, peut demeurer caché ou inconnu pour le lecteur cible qui n‟est pas imprégné des habitus de la langue-culture source et donc inapte à rétablir cet implicite notionnel. Si ce déséquilibre n‟est pas rétabli par le traducteur, le lecteur cible se résigne souvent à la compréhension des significations premières de la partie explicite, donc à une compréhension souvent lacunaire ou erronée. Lacunaire car il ne trouve pas dans son répertoire linguistique ni dans son bagage cognitif, la même liaison entre l‟explicite et l‟implicite que celle qu‟établit le lecteur natif. Erronée, parce qu‟il arrive qu‟il établisse, sous l‟effet de l‟interférence de sa langue/culture maternelle, une autre association d‟idées qui lui paraît vraisemblable, ce qui occasionne certains malentendus. Le coût interprétatif sera donc généralement élevé et l‟intelligibilité réduite. D‟où la nécessité de recréer, par l‟explicitation, un nouvel équilibre susceptible d‟évoquer aux lecteurs ces associations implicites afin de refaire naître le sens exact, celui voulu par l‟auteur. À ce propos, Plassard ([2002] 2007 : 122) confirme que « c‟est de la juste pondération de l‟implicite et de l‟explicite, de l‟anticipation des connaissances, de l‟interlocuteur ou du lecteur que dépend le « succès » de la communication, donc de la traduction ». 6.2.2. Le rééquilibrage du rapport explicite/implicite Pour transmettre le sens original en traduction, note Lederer, « le bon traducteur modifie avec doigté le rapport implicite/explicite de l‟original pour atteindre un nouvel équilibre implicite/explicite dans sa langue» Lederer (1994 : 126). Cet équilibre sera certes différent linguistiquement, mais équivalent dans son effet (Lederer 2004 : 127). Néanmoins, avant de procéder à ce rééquilibrage, le traducteur devrait au préalable s‟approprier le sens du texte source et analyser la stratégie d‟écriture mise en place par l‟auteur. En effet, comme nous l‟avons déjà expliqué, le point de départ de la réexpression du sens, selon la TIT, n‟est pas la langue du texte original ni le dire, mais le sens non-verbal qui correspond au vouloir

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dire initial. Pour y parvenir, le traducteur devrait se comporter comme un locuteur qui a quelque chose à dire, qui veut se faire comprendre, en trouvant l‟expression juste et admise par la communauté linguistique dans laquelle le texte est traduit : « Celui qui traduit ne traduit pas alors pour comprendre mais pour faire comprendre. Il a compris avant de traduire (Vinay et Darbelnet, 1977 : 24) ». Quant à l‟analyse de la stratégie d‟écriture du texte source, elle permet au traducteur d‟avoir une idée globale de la genèse du texte source: présentation, longueur, structuration, prise d‟indices, présence des notes de bas de page, etc. De cette autopsie se dégageront les subtilités ou les implicites « intersticiels » que recèle le texte source, ainsi que les autres informations injectées dans son sein, faisant que le texte s‟éclaircit lui-même. Le traducteur doit avoir la capacité de savoir apprécier, comme l‟avait fait l‟auteur du texte d‟origine, le degré d‟implicite du texte original et la juste pondération entre expression du vouloir dire et capacité de son propre lecteur à le saisir, comme l‟indique Lederer (1986 : 22) : « pour que le sens du dire soit celui que veut l‟auteur, il faut que celui-ci ait correctement jugé du savoir de ceux auxquels il s‟adresse et qu‟il ait proportionné en conséquence l‟explicite de sa formulation par rapport à ce qu‟il laisse non dit. Il faut aussi que le lecteur sache que l‟explicitation linguistique ne couvre qu‟une partie du message ». Sous cette perspective, le texte entier forme une seule unité de traduction ; l‟équivalence de sens ne se décide qu‟après une lecture intégrale et attentive de tout le texte et non par bouts séparés : « Il serait insuffisant de procéder à une analyse phrase par phrase, indépendamment du contexte. Elle doit être précédée de l‟analyse du discours, c'est-à-dire du paragraphe ou d‟une unité de texte plus étendue, dans lequel s‟insèrent les phrases considérées » (Margot 1979 : 77). Ce n‟est que grâce à cette analyse discursive minutieuse que le traducteur peut décider de ce qu‟il remontera vers la surface linguistique dans la partie explicite et de ce qu‟il laissera enfoui, caché, dans l‟épaisseur du texte, laissant au lecteur le soin de le déduire, grâce à sa lecture du texte entier et aux calculs inférentiels qui s‟en suivent : « L‟importance du fait culturel et la nécessité de son explicitation doivent toujours être pesées par rapport à l‟ensemble de l‟œuvre ; le traducteur ne doit pas se laisser cacher la forêt par les arbres ; certaines explicitations détournent le lecteur de l‟œuvre elle-même et de sa visée. En revanche, les faits culturels dont l‟ignorance empêcherait de comprendre le déroulement du récit devront nécessairement être explicités » (Lederer 1998 : 171). Un texte fonctionne, pour ainsi dire, comme un film : un spectateur comprendra mieux l‟intrigue et toute l‟histoire s‟il regarde le film dès le début. On ne peut pas faire abstraction du début du texte et commencer à expliciter des référents au milieu comme s‟il y avait rien avant ou comme s‟il n‟y a rien après. Voyons à présent de quelle manière et selon quels principes cet équilibrage peut se faire.

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6.2.3. Comment rééquilibrer le rapport explicite/implicite L‟explicitation implique généralement l‟augmentation de la partie explicite comme elle implique parfois le choix d‟autres moules linguistiques plus étoffés ou plus clairs, pour remplacer les synecdoques d‟origine. Cette augmentation ou cette substitution n‟empêchent pas que certaines informations peuvent être laissées dans la partie implicite du nouveau rapport créé par le traducteur car celui-ci sait pertinemment que son lecteur saura les récupérer sans son aide. Quelle est la nature des éléments qui vont paraître dans la partie explicite ? 6.2.3.1. L‟augmentation de la partie explicite du texte traduit Le traducteur peut gonfler la partie explicite pour faire apparaître un implicite que le lecteur cible n'aurait pas perçu. Dosée selon le besoin communicatif, cette augmentation peut se composer d‟un seul mot comme elle peut inclure une longue périphrase ou une note du traducteur. Concernant le volume de l‟explicitation ajoutée, rappelons-nous le commentaire de Lederer (2004) sur l‟explicitation du terme « niedorosl » par une longue périphrase de sept mots : Je vivais comme tout jeune noble campagnard, avant l'âge de servir …", (Lederer 2004 : 124) : « certains pourraient opposer que la première partie n'est pas fidèle car elle est beaucoup plus longue que l'original (un seul mot traduit par sept) [...],Une fois conscient de la présence constante de synecdoques dans la langue et dans le discours, on ne reprochera plus ses ajouts au traducteur, au contraire on le louera d'avoir conservé l'équilibre explicite/implicite qui désigne le sens dans chaque langue; ici, pour passer du russe au français, il a gonflé l'explicite français pour faire apparaître un implicite que le lecteur français n'aurait pas perçu » (Ibid. : 128). La référence est certes étoffée, mais ce n‟est qu‟au prix de cet étoffement que le lecteur peut saisir pleinement le sens implicite de cet élément culturel. Concernant la légitimité de cette augmentation, l‟on pourrait arguer qu‟elle tient au fait que le traducteur cherche à apporter dans la culture de l'Autre des éléments qui au départ n‟étaient pas conçus pour être "exportés". Cela est d‟autant plus important lorsque la distance linguistique et culturelle est grande. Nida et Taber 1971 : 142) soulignent ce fait en écrivant ceci : « une partie des informations pouvaient être laissées implicites par l‟auteur du texte original, car elles allaient de soi pour ses premiers lecteurs. Par contre, elles échappent souvent au lecteur d‟aujourd‟hui et il est nécessaire de les lui présenter de façon explicite pour qu‟il comprenne le message comme le lecteur d‟autrefois. Plus l‟éloignement linguistique et culturel est grand, plus la capacité de compréhension du récepteur est réduite. [...] plus il est nécessaire d‟allonger le message, particulièrement en rendant de façon explicite des informations restées implicites dans le texte original ». De plus, ces ajouts ne sont qu‟un juste retour des choses à l'origine, si la phrase explicitée s‟avère plus longue que celle du texte source, c‟est parce que le vouloir dire est en fait plus riche que l‟explicite du texte source. Et ce d‟après le principe de l‟économie du langage et de la

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synecdoque130. Le texte traduit présente plus d‟explicite, mais il véhicule le même sens. Par un tel surcroît d‟informations, le traducteur ne fait que suppléer le creux, le « non-dit », ce qui permet à son lecteur de saisir le sens qui a été tu dans le rapport explicite/implicite initial. Cependant, le traducteur n‟ajoute pas de son propre chef ce qu‟il veut ; la composition du rapport explicite/implicite devrait cependant se plier à cette règle d‟or que Lederer exprime en ces termes : « Tout texte est un compromis entre un explicite suffisamment court pour ne pas lasser par l'énoncé de choses sues et un implicite suffisamment évident pour ne pas laisser le lecteur dans l'ignorance du sens désigné par l'explicite» (Lederer 1994 : 58). Expliciter vise, somme toute, à mettre à la disposition des lecteurs des informations ponctuelles et surtout des repères subtils pour le guider, selon le principe de la pertinence, dans le bon parcours interprétatif jusqu'à l'émergence du sens. L‟explicitation est, de ce fait, perçue comme utile et salutaire : elle n‟est pas superfétatoire131, du moment qu‟elle « permet à l'énoncé, en modifiant le statut contenu en question, de gagner en clarté » (Orecchioni 1986 : 55).  L‟ajout de compléments cognitifs sur les traits pertinents Qu‟il s‟agisse d‟implicite notionnel, conceptuel, linguistique ou d‟ « implicite culturel inconscient », ou de tout autre forme de « contenus implicites », peu importe les désignations, le traducteur s‟autorise à injecter dans la nouvelle partie explicite de son expression des compléments contextuels indispensables à la conceptualisation de l‟énoncé et des informations pertinentes en rapport direct avec son sens pertinent en contexte. Expliciter devient ainsi une sorte d‟activité de contextualisation du texte cible, moyennant ces compléments informationnels sur la langue, la culture ou l‟environnement civilisationnel qui sont indispensables pour atteindre le seuil de compréhension requis du texte cible. Cependant, le choix de ces éléments n‟est pas anodin. Comme nous l‟avons vu dans les exemples précédents, les informations culturelles sur un événement ou un concept donné sont souvent très nombreuses : « dans cette immense réservoir d‟informations contextuelles, certaines sont pertinentes, et d‟autres moins, certaines sont inscrites dans le texte et d‟autres non » (Orecchioni 1996 : 47-48). Une explicitation totale et complète du sens est théoriquement impossible, car elle pourrait s‟allonger à l'infini. Il conviendrait donc de sélectionner seulement les éléments du contexte pertinent, c'est-à-dire ceux qui sont mobilisés, activés, exploités dans le discours, sans lesquels le lecteur ne saurait pas interpréter le message comme l‟ont fait les lecteurs natifs et le traducteur. 130

En effet, Lederer dit à cet égard que «tout énoncé, par l‟implicite culturel auquel il renvoie, est plus large que sa formulation ne l‟est en langue » (Lederer 1996 [1976] : 46-47)130. Dans la même lignée, Plassard (2007 : 67) affirme qu‟ « un énoncé, en ne désignant qu‟une partie d‟une chose, idée ou réalité, renvoie à quelque chose de nécessairement plus vaste que ce qui est dit et crée un implicite conceptuel ». Nida va même jusqu'à confirmer que : « si une traduction doit être plus explicite sur certains points que l‟original, elle sera inévitablement plus longue » (Nida 1971 : 142). 131 Comme nous l‟avons déjà expliqué dans les caractéristiques distinctives de l‟explicitation, le traducteur doit se garder de détourner l‟attention vers un détail relativement secondaire dans le fil du récit, qui ne provoquerait qu‟une perte de concentration. Tout ce qui dépasse le besoin communicatif relève de l‟explication et donc de la surtraduction et non de l‟explicitation.

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 Respecter le principe de la pertinence En vertu du principe de la pertinence132déjà expliqué dans le premier chapitre, le gonflement de la partie explicite fonctionne plutôt sur le mode de l‟évocation, et sur celui de l‟apport du strict nécessaire. Le mode de l‟évocation consiste à choisir un trait pertinent pour évoquer le référent en déclenchant les associations d‟idées nécessaires ou une image mentale supposée stockée dans les connaissances antérieures ou cognitives du futur lecteur pour lui permettre d‟inférer le sens voulu. Dans ce sens, la nouvelle synecdoque de la partie explicite, précise Laplace (1994 : 195), « va éveiller la même image mentale, bien que les signifiants n‟aient pas retenu le même trait saillant de la représentation mentale et que les significations diffèrent ». Aussi, les mots de l‟explicitation servent-elles « de tremplin pour la construction du sens de ce qu‟il [le locuteur] entend » (Seleskovitch et Lederer 2001 [1976] : 72), autrement dit, de stimuli infiltrés savamment dans le texte traduit, tel des points de repères indiquant le chemin interprétatif à emprunter pour aboutir à la bonne compréhension du sens. Cette connivence dans le choix des traits pertinents d‟un concept ou des traits de signification d‟une expression est tributaire de la capacité du traducteur à anticiper leur réaction et les processus d‟associations d‟idées qui s‟établissent à la lecture de ces indices. Il s‟agit donc d‟impliquer le lecteur dans son rôle interprétatif, de l‟aiguiller vers la bonne interprétation du sens, sans trop dévoiler le sens, ni le contraindre à s‟interrompre à chaque fois qu‟il bute sur un écueil linguistique ou culturel. Une telle démarche permet une inférence optimale du sens voulu, avec de moindres coûts linguistiques et cognitifs, respectant ainsi, à la fois, le principe de la pertinence, le principe de la synecdoque et la stratégie minimax de Lévy. Le mode de l‟apport du strict nécessaire, va de pair avec le premier, et consiste à choisir le bon dosage de compléments cognitifs qui sont des « éléments pertinents, notionnels et émotionnels, du bagage cognitif et du contexte cognitif qui s‟associent aux significations linguistiques des discours et des textes pour constituer le sens » (Lederer 1994 : 212). Loin d‟être une explication complète, ces ajouts minimaux mais suffisants, introduits dans la nouvelle partie explicite, fonctionnent comme des clés de la compréhension de l‟idée qui se dégage de tel ou tel contexte en particulier. Il suffit parfois d‟un mot pour saisir les propos en général et déclencher l‟effet souhaité, même si nous n‟en comprenons pas toutes les subtilités. D‟où l‟importance du choix pertinent des compléments apportés : « Traiter de la valeur d‟un complément cognitif consiste à évaluer son rôle dans la construction du sens. Cela permet de choisir la stratégie de traduction la

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Pour rappel, ce principe consiste à dire que tout acte de communication comporte une garantie de pertinence optimale. En d‟autres termes, le sens est « généralement implicité » ; il est donc nécessaire de faire un « calcul inférentiel » pour déduire quel est le sens ou quels sont les sens voulu(s). Le sens global le plus probable et pertinent est celui qui résulte du traitement de l‟information présentant le coût cognitif le plus faible.

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plus adéquate afin de rendre le sens de l‟original, mais aussi de produire un effet équivalent ou du moins comparable à celui que produit le texte de départ » El Qasem (2010 : 33). Sans ces clés, la compréhension du texte traduit reste hypothétique, voire hermétique. L‟esprit du lecteur risque de se perdre dans le déferlement des associations d‟idées et d‟images pour l‟amener à un sens erroné ou à un non-sens. De plus, si le traducteur n‟arrive pas à expliciter là où son lecteur en aura besoin, cela va sans doute saper la confiance en la compétence du traducteur, en lui donnant l‟impression d‟une œuvre inachevée ou bâclée. 6.2.3.2. Le choix de synecdoques linguistiques adaptées Après avoir compris le sens du texte d‟origine, décelé les éléments causant le déséquilibre du rapport explicite/implicite, sélectionné les traits pertinents et compléments contextuels à fournir aux lecteurs, le traducteur cristallise tous ses efforts sur un choix judicieux des ressources linguistiques de la langue cible qui seront comprises du lectorat cible. Ce rééquilibrage passe nécessairement par la création des synecdoques conformes aux habitudes de la langue d‟arrivée : « l‟explicite est marqué par des habitudes d‟expression propres a la langue, aussi le traducteur trouve-t-il dans la sienne des formes conformes aux habitudes d‟expression et reflétant néanmoins sa créativité » (Lederer 2001 [1973] : 21). Cette créativité découle du fait que le lecteur doit choisir des mots ou des expressions susceptibles de désigner, d‟une manière inédite et de façon immédiatement compréhensible, le référent en question indépendamment de sa désignation spécifique dans la langue source. En fin de compte, « ce qui varie d‟une langue à une autre, ce n‟est ni le concept ni le référent visé par le langage, mais seulement le moyen d‟y faire référence» Plassard (2002 : 113). La nouvelle synecdoque est certes différente, très probablement plus longue, du point de vue linguistique, mais équivalente du point de vue sémantique et fonctionnel. En procédant ainsi, le traducteur aura toute latitude de choisir des formulations linguistiques fidèles au vouloir dire du texte et génératrices des effets cognitifs nécessaires pour l‟inférence de son sens. Autrement, les déboires communicationnels guettent le processus de compréhension du sens du texte traduit. Une telle démarche permet de surmonter l‟abîme soi-disant « irrévocable » entre les langues, dans les thèses sur l‟intraduisibilité linguistique, et de résoudre de manière assez satisfaisante les problèmes dus aux différences lexicales, tout en libérant le traducteur des carcans du « mot à mot » absolu et souvent impossible. Ces nouvelles synecdoques ne sont pas cependant valables une fois pour toutes. Elles sont tributaires du contexte cognitif, de la pertinence de cet élément pour la compréhension du sens de l‟énoncé, du texte pris dans son intégralité, etc. Le traducteur ne pourra pas expliciter systématiquement le même concept ou la même expression de la même façon, car ce qu‟il cherche, ce n‟est pas une correspondance linguistique fixe - tel est le travail du terminologue -, mais plutôt une équivalence discursive ad hoc permettant d‟assurer la fonction du mot dans le texte qui change d‟un texte à l‟autre, voire même à l‟intérieur du même texte.

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Que ce soit par l‟ajout de compléments cognitifs pertinents ou par le choix de synecdoques adaptées à la langue cible, l‟augmentation de la partie explicite s‟arrête lorsque le traducteur estime que le niveau de l‟équivalence de sens est atteint et que l‟inférence du sens par le lecteur est au rendez-vous. Nous allons voir de plus près la nature de la partie implicite dans le nouveau rapport explicite/implicite créé par le traducteur, selon le mode de l‟explicitation. 6.2.3.3. Le contenu de la partie implicite : les éclaircissements progressifs du texte La partie implicite contient les informations présumées connues des lecteurs cibles grâce à leur bagage cognitif général ou au contexte cognitif. Ces deux types d‟informations peuvent être occultées dans le nouveau rapport explicite/implicite. Nous avons déjà traité de la question de l‟importance du contexte dans l‟analyse des approches communicationnelles, nous tenons à rappeler ici une synthèse de ce paramètre essentiel dont dépendra le rééquilibrage explicite/implicite. L‟explicitation s‟inscrit, comme nous l‟avons dit plus haut, dans le cadre d‟un « projet de réécriture », pour emprunter le terme de Meschonnic, qui tient compte du texte en entier comme une seule unité de traduction. Et qui dit texte, dit indubitablement contexte, que Newmark (1988:80) décrit comme étant « omniprésent, mais relatif ». La TIT nous fournit une explication claire en distinguant trois types de contextes impliqués dans l‟acte de traduire : le contexte verbal (appelé aussi-co-texte), le contexte cognitif, le contexte situationnel (ou extralinguistique). Le premier est représenté par les mots entourant tel ou tel élément textuel. Il est figé, statique. Il constitue une aide indéniable à l‟élaboration du sens grâce à ce que Orecchioni ([1986] 1998 : 16) appelle, de son côté « les indices cotextuels ». Le deuxième correspond au savoir accumulé tout au long de la lecture du texte et les idées qui ont basculé dans la mémoire cognitive depuis le début du discours (Lederer 2001 [1973] :18). Il représente la contrepartie de la partie verbalisée de l‟énoncé (Plassard 2002 : 123), et participe de l‟univocité des mots et des informations. Il est surtout évolutif : à chaque page, les lecteurs glaneront des renseignements qui rendent compte de façon de plus en plus précise du référent désigné par les mots étrangers. Le troisième renvoie à l'ensemble de « l‟entourage non linguistique dans lequel un énoncé est produit ou reçu » Lederer (1994 : 212), autrement dit l‟ensemble des conditions circonstancielles de production et de réception du texte. Il est également appelé « paramètres situationnels » par Pergnier, ou « situation » par Delisle (1993 : 44), ou « environnement cognitif » par Sperber et Wilson. Laplace (1994 : 242) résume le rôle de l‟ensemble de ces contextes dans la compréhension du sens comme suit : « il y a dans l‟assimilation du sens deux opérations qui sont emboîtées l‟une dans l‟autre : celle qui se fait grâce aux connaissances linguistiques et qui aboutit à la création d‟un contexte verbal et celle qui partant du contexte verbal lui applique les connaissances extra-linguistiques du bagage cognitif et du contexte cognitif. Nous avons vu que

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ces deux opérations n‟étaient pas indépendantes mais au contraire étroitement interdépendantes et que la compréhension s‟effectuait par un va-et-vient rapide entre ces deux opérations ». Le rééquilibrage du nouveau rapport explicite/implicite dépend donc de ce caractère contextuel qu‟implique l‟évolution des informations fournies par le contexte. Par principe, on n‟explicite pas tant que le contexte apporte progressivement des éclaircissements : « Il est de l‟intérêt du traducteur de ne jamais perdre de vue qu‟il traduit pour un lecteur qui réagit au texte et dont le bagage cognitif est sans cesse élargi et remanié par sa lecture » (Lederer 1998 : 171). Margot s‟étend un peu plus sur ce point en déclarant : « Avant d‟expliciter une information importante, il convient par conséquent de vérifier si cette information n‟est pas déjà exprimée clairement dans le contexte immédiat, afin que la traduction ne soit pas chargée de redondances inutiles […] avant de traduire le détail d‟un paragraphe, il faut procéder à l‟analyse de ce paragraphe, ou analyse de discours, afin d‟en connaître l‟orientation générale et ce que l‟on peut appeler les principales charnières. Cette analyse préalable est un bon moyen d‟éviter certains contresens et aussi la surévaluation du sens d‟un mot en particulier » (Margot 1979 : 160-161). En effet, au début de la traduction, l‟explicite gagne sur l‟implicite pour pouvoir exprimer le sens sans ambiguïté, mais ensuite, l‟implicite gagne sur l‟explicite à mesure que se développe le récit ou l‟argumentation (Lederer 1994 : 155), grâce au savoir fraîchement acquis au fil de la lecture du texte, ce qui dispense le traducteur de pratiquer des explicitations. Laplace confirme ce phénomène en déclarant ceci : « au fur et à mesure que le discours se déroule, la part de l‟implicite va croissant, puisque l‟orateur peut supposer que toute information communiquée à ses auditeurs a été comprise, a donc été engrammée dans sa mémoire cognitive à moyen terme, et sera automatiquement appelée pour permettre l‟émergence du sens dans la suite du discours » (Laplace 1995 : 220). Salama-Carr souligne ce rapport flottant entre l‟explicite et l‟implicite en écrivant que : « tout écart aura des répercussions sur le plan textuel et déterminera les décisions futures, c‟est ainsi qu‟une traduction qui pourrait basculer, à un moment donné, vers l‟explicitation pourra également présenter des instances d‟implicitation, de sorte à rééquilibrer le degré de redondance textuelle » (Salama-Carr 2003 : 104). Les témoignages corroborant ce fait sont très nombreux133. Comme le rappelait Gutt (1991 : 166), l‟explicitation, peut n‟être ni désirable, ni nécessaire ; en vertu du principe de la coopération interprétative et de la nonimbécilité du lecteur, celui-ci est en mesure de récupérer certaines informations à partir du contexte sans l‟aide du traducteur. 133

À ce propos, Seleskovitch confirme ce fait en disant que « chaque parole dit d‟emblée plus qu‟elle n‟exprime ; plus elle se déroule, plus l‟explicite diminue au profit de l‟implicite tandis que se crée chez l‟auditeur une masse cognitive qui subsiste alors même que les mots qui l‟ont matérialisée s‟évanouissent » (Seleskovitch et Lederer 1984 : 183). Rydning (2001 : 22) dit également qu‟avant de mettre en place la stratégie adéquate de la réexpression du sens, le traducteur doit tenir compte des «informations cumulatives fournies par l‟auteur, lesquelles précèdent l‟énoncé problématique ou lui succèdent » (Rydning 2001 : 22). Sous cette perspective, le texte s‟explicite parfois lui-même comme le dit Israël : « Le texte est un continuum et constitue un tout organique. Cela signifie que le trait culturel est rarement isolé, flottant, mais se trouve intégré à un ensemble discursif qui suffit bien souvent à l‟éclairer et à en faire ressortir la pertinence de sorte que l‟explicitation intervient dans l‟original même (Israël 2002 : 191).

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Cette variabilité des indices contextuels, des désignations synecdoquiennes, des connaissances présumées des lectorats, impliquent un ajustement constant du rapport explicite/implicite afin de s‟adapter à cet ensemble évolutif en permanente mutation. Aussi, ce rééquilibrage change-t-il d‟un endroit à l'autre dans le même texte, et d‟un texte à l'autre, même s‟il s‟agit du même élément linguistique et culturel explicité. C‟est ce que nous appelons, l‟explicitation ad hoc. 6.2.4. Les caractéristiques du nouveau rapport explicite/implicite Le rétablissement du rapport explicite/implicite s‟appuie sur ces explicitations ad hoc, qui ne sont autre chose qu‟une manière spécifique de réaliser l‟équivalence discursive élaborée par la TIT. Les explicitations, telles que nous les percevons ici, regroupent les caractéristiques d‟une équivalence discursive énoncées dans le chapitre I134 et celles d‟un écart explicitant que nous avons exposées en début de ce chapitre. Elles sont donc des équivalences discursives, qui n‟existent qu‟en contexte et par l‟activité de la traduction, et notamment par la présence d‟un risque de perte de sens, ce qui les distingue des équivalences interprétatives libres. Ces dernières sont souvent sollicitées par commodité ou par conformité au génie de la langue cible, et non pas forcément par un risque réel d‟ambiguïté ou d‟incompréhension du sens. Les explicitations ad hoc ne constituent pas non plus une équivalence arithmétique, c'est-à-dire une équivalence de quantité, une similarité parfaite et illusoire, mais plutôt une équivalence impliquant souvent un étoffement linguistique qui peut s‟allonger jusqu'à atteindre le nouveau rapport implicite/explicite nécessaire pour faire émerger le sens voulu chez le lecteur. Elles sont inédites car, par contrainte ou par choix, le traducteur qui explicite opte pour une équivalence non-donnée d‟avance, susceptible de restituer l‟idée perçue (Delisle 1993, Rydning 1991). Toutes ces caractéristiques font des explicitations des équivalences éphémères (Seleskovitch 1984 : 183), puisqu‟elles « ne sont valables que dans une situation de communication donnée, compte tenu d‟un certain contexte cognitif et d‟un certain savoir pertinent » (Laplace 1994 : 245). Chaque rapport explicite/implicite devient une convention, un lien temporaire d‟une négociation sans fin. Cette négociation du nouveau rapport explicite/implicite est liée à la notion de la gradation. En effet, ce réaménagement n‟est jamais ni total ni définitif ; il est toujours l‟objet de négociations multiples et de remises en question incessantes. L‟explicitation s‟accomplit par approximations successives, par un va-et-vient continu entre les ajouts injectés dans le corps du texte traduit et les informations déductibles du contexte verbal et cognitif. Ainsi, l‟explicitation s‟avère un moyen pratique de réaliser l‟équivalence interprétative qui, précise El Qasem, « permet grâce à un jeu de reprises et d‟explications, d‟organiser, de préciser des connaissances, de combler la distance sémantique existant entre le texte-source et le texte-cible » (El Qasem 2003 : 66). 134

Pour plus de détails, voir point 4-1-3-3.

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Cette nature foncièrement adaptative de l‟explicitation implique aussi un mouvement de systolediastole, selon les termes de Lederer de ce dosage. La fréquence de l‟explicitation peut être plus élevée, notamment en début du texte traduit, ou les indices contextuels sont encore rares, comme elle peut diminuer, notamment vers la fin du texte traduit où le contexte a déjà apporté suffisamment d‟éclaircissements sur le vouloir dire global. Nous allons maintenant illustrer toute cette conception à l'aide de nouveaux exemples de notre corpus.  Exemple nº 13 : Que sont les primaires socialistes ?

Cet exemple est extrait d‟un article du MD juin 2011, intitulé « Anatomie d‟une débâcle », où l‟auteur analyse le traitement réservé à l‟affaire DSK par les médias. Il insiste surtout sur la personnification extrême de la politique dont les effets sont à double tranchant. Dans cet énoncé, il explique comment les hommes politiques, en l‟occurrence les socialistes, font appel aux services des agences et des conseillers en communication, en l‟occurrence l‟Euro RSCG, pour embellir leur image, notamment dans la perspective des primaires socialistes. C‟est de dernier terme qui a suscité une explicitation dans la traduction arabe. Mais le coprésident d‟Euro Euro RSCG ‫ٹٶڀ اٹوئٌُ اظتْبهٳ ٹىٵبٹخ‬ RSCG, M. Fouks, conseille son vieil ami Manuel Valls, ‫ َٲلّٻ‬،ٌ‫ اٹَُل ٍزُٮبٿ ٭ىٵ‬،Worldwide député-maire d‟Evry et ٌُ‫ ځبئت وهئ‬،‫اٹڂٖؼ ٹٖلَٲڄ اٹٲلًن ٽبځىَٸ ٭بٹي‬ candidat potentiel aux ‫ثٺلَخ ب٭وٌ واظتوّّؼ احملزپٸ ٹالځزقبثبد اٹوئبٍُخ‬ primaires socialistes. (MD juin 2011) .ٍ‫اٹزپهُلَخ كافٸ اضتية االّزواٵ‬

Mais le coprésident de l‟agence Euro RSCG Worldwide, M. Stéphane Fouks, conseille son vieil ami Manuel Valls, député et maire de la municipalité d‟Evry et candidat potentiel aux élections présidentielles primaires au sein du parti socialiste.

Dans le texte d‟origine, la partie explicite composée de deux mots (primaires socialistes) suffit pour évoquer au lecteur natif qu‟il s‟agit d‟élections destinées à désigner un candidat socialiste pour se présenter aux élections présidentielles de 2012 au nom de ce parti et que ce sont uniquement les membres encartés qui sont appelés à choisir leur candidat. Pour le lecteur arabe, la notion d‟élections primaires n‟existe pas, la notion même d‟élections présidentielles est lourde de connotations péjoratives (manque d‟opposition, absence de programme, tricheries, abstention, etc.), ce qui fait que l‟interprétation de cette partie explicite s‟interrompt si la traduction fournie se limite à rendre le sens des acceptions premières de cette expression, à savoir "‫خ‬ٛ‫خ االشزشاك‬ٚ‫ذ‬ًٛٓ‫"انز‬ (les primaires socialistes). Conscient de ce déséquilibre, le traducteur tente un nouveau rapport explicite/implicite où il transforme certaines informations contextuelles implicites en forme explicite. Ainsi, il rend « primaires socialistes » par « élections présidentielles primaires au sein du parti socialiste ». La nouvelle partie explicite est plus étoffée, et le sens devient plus intelligible. De plus, cette explicitation s‟intègre parfaitement dans le texte, puisque le traducteur ne la déclare pas par aucun marqueur typographique, comme les guillemets, les italiques, les parenthèses, etc. Grâce à ce supplément d‟information, qui se greffe sur les informations acquises dans le co-texte, le

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lecteur comprendra l‟enjeu qui incite la plupart des potentiels candidats aux primaires socialistes - Hollande, Aubry, Montebourg Ŕ à recourir aux experts en communication et aux médias pour augmenter leur cote de popularité auprès des partisans et militants socialistes. Voyons maintenant le rééquilibrage explicite/implicite proposé par un autre traducteur du MD en traduisant un autre passage où il est également question de ces primaires socialistes.  Exemple nº 14 : Hollande/Montebourg (l‟alliance d‟intérêts) Cet exemple est extrait d‟un article du MD novembre 2011, intitulé « histoire d‟un label politique », où l‟auteur évoque les luttes politiques au sein des partis de gauche, notamment le parti socialiste. Ainsi, les militants et électeurs socialistes se perdent dans les joutes électorales, les alliances improbables, et les prises de position de certaines figures socialistes à l'issue des primaires. Dans cet énoncé, l‟auteur donne un exemple de ce désarroi, responsable en partie de la désaffection électorale des milieux populaires. Ainsi, lors des récentes primaires socialistes, il fallait une bonne dose de connaissances pour comprendre le ralliement de M. Arnaud Montebourg à M. François Hollande, avec lequel il était en désaccord sur presque tout, [...] (MD novembre 2011)

‫ ٭قالٷ االځزقبثبد اٹزپهُلَّخ األفًنح‬Ainsi, lors des récentes élections

primaires socialistes, il fallait une

‫ٺىة څى‬ٞ‫ ٵبٿ اظت‬،ٍ‫ ٹٺؾية االّزواٵ‬bonne dose de connaissances pour ‫ ٹٮهټ اٹزؾبٯ‬٣‫ّال‬ٝ‫خ ال ثإً هبب ٽڀ اإل‬٥‫ عو‬comprendre le ralliement de M.

Arnaud Montebourg ( représentant

‫ اٹَُل ؤهځى ٽىځزجىه (اجتبڃ ََبه اٹَُبه‬prétendument l‟aile gauche de la ‫ اظتٮزوٗ يف اضتية) ثبٹَُل ٭وځَىا څىالځل‬gauche) à M. François Hollande ‫پٺُّبً ؽىٷ‬٥ ‫ڄ‬٦‫ ٽ‬٬‫ل ؤٿ افزٺ‬٦‫ ث‬،)‫زلٷ‬٦‫( (اظت‬modéré), avec lequel il était pratiquement en désaccord sur tout,

[...] ‫؛‬ٛ‫[ ٵٸّ اٹڂٲب‬...]

Comme dans l‟exemple nº 13, le traducteur décide d‟augmenter la partie explicite concernant la traduction de « primaires socialistes » afin de permettre aux lecteurs arabes de saisir l‟idée essentielle d‟une telle pratique électorale. Cependant, le nouveau rapport explicite/implicite est moins étoffé linguistiquement. Le traducteur a dû juger que le contexte éclaircissait suffisamment le fait que le but de ces primaires était la désignation d‟un candidat aux présidentielles. Ce trait qui était pertinent dans l‟exemple précédent ne l‟est plus ici. Le contexte s‟en est chargé. En outre, cela fait quelques mois - au moins depuis juin 2011 si l‟on s‟en tient à l‟exemple précédent - que le lecteur arabe régulier du MD entend parler de ces primaires. Il n‟en demeure pas moins que d‟autres lecteurs arabes occasionnels viennent de découvrir ce concept. D‟où la nécessité de fournir malgré tout une légère explicitation plutôt que de miser sur la présence de cette information dans le bagage cognitif des lecteurs. En revanche, le traducteur a cru bon d‟ajouter d‟autres informations contextuelles sur les positions politiques de Montebourg et Hollande au sein de ce parti, afin de permettre au lecteur de comprendre en quoi le ralliement entre ces deux candidats était improbable. Le co-texte montre clairement que les deux hommes défendent des positions opposées. Cependant, grâce à sa connaissance de la situation extralinguistique, aux reportages et autres articles consacrés à ces

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primaires, le lecteur natif en sait un peu plus sur la nature des différences entre les programmes de deux personnes. Le traducteur semble vouloir insister sur cette différence en précisant que Hollande représente le courant modéré, tandis que Montebourg, « l‟outsider », est placé à la gauche de la gauche. Le lecteur arabe ne saura pas exactement ce que cela représente en vérité, sur le plan de l‟idéologie économique ou politique, mais il comprendra qu‟en réalité, et malgré les différences de position et de programmes politiques, ce ne sont pas les idées qui départagent les candidats, mais les intérêts et autres calculs politiques. Ces courts ajouts ne sont peut-être pas indispensables, mais cela montre encore une fois, que le rééquilibrage du rapport explicite/implicite peut intervenir dans n‟importe quel point du texte, et qu‟il change au gré du contexte et de l‟estimation propre du traducteur de la nécessité d‟ajouter tel ou tel complément cognitif. Dans l‟exemple suivant, nous allons voir un cas où le traducteur n‟ajoute pas d‟éléments pertinents, mais change carrément la synecdoque d‟origine au profit d‟une expression plus claire.  Exemple nº 15 : Matignon et Élysée (dire autrement la même chose) ! Cet exemple est extrait d‟un article du MD avril 2007, intitulé « Quand la gauche de gouvernement raconte son histoire », où l‟auteur évoque les nombreux ouvrages de Mémoires et d‟analyses rédigés, depuis 2002, par les hauts responsables socialistes sur les septennats de François Mitterrand ou le gouvernement de Lionel Jospin. Mais lorsque le parti socialiste se trouve au pouvoir, ces auteurs restent aphones. Voyons comment le traducteur a rendu les métonymies « Matignon » et « Élysée » dans le texte arabe. La gauche française, quand ‫ٺً حتٺُٸ ؽتبهٍزڄ‬٥ ً‫ب‬٥‫ى‬ٝ ‫َڂٶتّ اٹَُبه‬ elle n‟occupe ni Matignon ni l‟Elysée, analyse plus ‫ڂلٽب ال َٶىٿ يف هئبٍخ‬٥ ،‫خ‬ٞ‫ٹٺَٺ‬ volontiers son exercice du .‫اصتپهىهَخ وال يف هئبٍخ اضتٶىٽخ‬ pouvoir. (MD avril 2007)

La gauche française se penche sur l‟analyse de son exercice du pouvoir, quand elle n‟est pas à la présidence de la république ni au siège du gouvernement.

Fidèle au style journaliste, les écrivains optent souvent pour ce type de désignations métaphoriques afin d‟embellir le style ou tout simplement d‟éviter la répétition. L‟auteur compte sur la capacité interprétative des lecteurs natifs à saisir le sens de ces deux métonymies, souvent employées et relayées par les médias. En revanche, le lecteur arabe ne sait pas et n‟est pas censé savoir que Matignon désigne l‟hôtel de Matignon au 57 rue de Varenne et par métonymie le siège des services du Premier Ministre français. La métonymie de l‟Elysée lui est, par contre, plus familière, car ce terme est souvent employé dans les journaux arabes en parlant de la Présidence de la République française. Il a été introduit dans la langue/culture arabe grâce aux journalistes, aux médias, mais aussi aux tradcteurs et s‟y est implanté progressivement, d‟où d‟ailleurs l‟intérêt de sauvegrader certains emplois tropiques tout en en explicitant le sens. Le traducteur décide néanmoins d‟expliciter les deux métonymies (présidence de la république et siège du gouvernement) sans doute par un souci de symétrie et de régularité stylistique. Ce

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réaménagement diffère d‟un traducteur à l'autre et d‟un contexte à l'autre. Voyons par exemple comment un autre traducteur du MD a décidé de traduire « Matignon » dans l‟énoncé ci-dessous.  Exemple nº 16 : le 16e arrondissement, Matignon, Madame Fillon (les compléments contextuels) ! Cet exemple est extrait d‟un article du MD mars 2011, intitulé « Refaire le monde à coups de bistouri », où l‟auteur parle des journées appelé « Action relooking », organisées par Pole Emploi, en partenariat avec le fonds Ereel, pour des chômeuses de longue durée, dont le but est d‟augmenter la confiance en soi et de permettre aux chômeuses de se sentir plus féminines et plus belles. La marraine de ce projet est l‟épouse du premier ministre de l'époque, M. Fillon. Cette œuvre de charité compte parmi ses membres d‟honneur deux adjoints au maire du 16e arrondissement de Paris, le chef des cuisines de l‟hôtel Matignon ou encore la philosophe Cynthia Fleury ; elle a pour « marraine de cœur » Mme Penelope Fillon. (MD mars 2011)

‫بء‬ٚ٥‫ټّ څنا اٹٖڂلوٯ "اطتًنٌ" ثٌن ؤ‬َٚ‫ و‬Ce fonds de « charité » compte

parmi ses membres d‟honneur deux

‫پلح اٹلائوح‬٥ ٌ‫ل‬٥‫ بصڂبٿ ٽڀ ٽَب‬٫‫ اٹْو‬adjoints au maire du 16e ‫بثـ‬ٞ‫ وهئٌُ ٽ‬،ٌَ‫ْوح يف ثبه‬٥ ‫ اٹَبكٍخ‬arrondissement de Paris, le chef des

cuisines du siège du premier

،‫ ٽٲوّ هئبٍخ اٹىىهاء اٹٮوځَُخ يف ٽبرُڂُىٿ‬ministre français à Matignon ou ‫واثّزڄ‬٥"‫بً اٹٮُٺَى٭خ ٍُڂُب ٭ٺىهٌ؛ و‬َٚ‫ ؤو ؤ‬encore la philosophe Cynthia

‫ احملجّخ" څٍ اٹَُلح ثُڂُٺىة ٭ُّىٿ (ىوعخ‬Fleury ; il a pour « marraine

d‟amour » Mme Penelope Fillon

.)ٍَ‫( هئٌُ اٹىىهاء اٹٮوځ‬l‟épouse du premier ministre français).

En traduisant la métonymie « Hôtel Matignon », le traducteur décide de conserver la trace originale en reportant le mot « Matignon », et en l‟explicitant en amont par une périphrase révélant la nature de cette institution politique. Remarquons que le traducteur omet le mot « hôtel », car une traduction littérale risque de perturber le lecteur arabe qui aurait du mal à imaginer le fait que le gouvernement français siège dans un hôtel, d‟autant plus que le lecteur non averti risque de penser à un vrai hôtel puisqu‟on parle de chef de cuisine. Le choix fait par le traducteur empêche ces associations d‟idées de se produire, épargnant ainsi un éventuel quiproquo. À la fin de l‟énoncé, le traducteur révèle également un trait pertinent implicite sur le personnage de Pénélope Fillon en rapport avec ce contexte, qui est d‟être l‟épouse du premier ministre. Ces nouveaux rapports explicite/ implicite permettront aux lecteurs arabes d‟apprécier le soutien apporté par ces membres d‟honneur à cette œuvre de charité. En revanche, la conservation du rapport explicite/implicite dans la mention « 16e arrondissement de Paris » cache au lecteur un pan de connaissances contextuelles qu‟il aurait été préférable de révéler ici. Il s‟agit du fait que c‟est l‟arrondissement le plus huppé de Paris. Nous allons voir dans les prochains chapitres une dizaine d‟autres exemples qui montrent cette négociation permanente du rapport explicite/implicite afin de rendre le sens plus clair et précis.

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Au-delà de la prise en compte de la stratégie textuelle de l‟auteur et des indices contextuels dispersés dans le texte en entier, la question du rééquilibrage du rapport explicite/implicite est étroitement liée au lectorat cible visé par toute cette manœuvre.

6.3. L‟explicitation en tant qu‟adaptation au lecteur cible Nous considérons l‟explicitation comme « un procédé d‟adaptation au lecteur étranger » (Lederer 1998 : 161). Pour réussir cette adaptation, le traducteur devrait se poser ces questions : « pour qui je traduis ? Le lecteur cible détient-il déjà telle ou telle information ? Saurait-il la déduire seule ? Devrais-je la lui expliciter davantage ? Ce souci d‟adéquation au lecteur constitue le troisième axe fondamental de notre conceptualisation de l‟explicitation, qui est diamétralement opposée à ce que préconise la stratégie exotisante (sourcière), élaborée dans le cadre des approches linguistiques et philosophiques de la traduction. Nous avons vu que, d‟après cette conception, le lecteur n‟était qu‟un acteur de fond, parmi tant d‟autres, auquel on ne faisait pas attention, et dont le confort n‟intéressait ni la traduction elle-même, ni le traducteur. La traduction est la chose en soi ; elle n‟a pas de destinataire, elle ne se fait que pour elle-même. En revanche, notre conception s‟inscrit résolument dans celle des approches sociolinguistiques, communicationnelles et fonctionnelles de la traduction, qui prônent la prise en compte des connaissances et des besoins du destinataire de la traduction. Dans ce sens, Nida (1971 : 24) insiste sur le fait qu‟« il ne faut pas oublier que les lecteurs de la traduction sont bien moins à même de comprendre directement le message que les premiers lecteurs, et qu‟ils ont donc besoin de davantage d‟aide pour atteindre un niveau de compréhension équivalent ». En évoquant le problème de la traduction des mots culturels, Newmark soutient que la solution à prendre est fonction de l‟audience cible : « I suggest that here, more than in any other translation problems, the most appropriate solution depends not so much on the collocations or the linguistic or situational context (though these have their place) as on the readership (of whom the three types expert, educated generalise and uninformed - will usually require three different translations) and on the setting » (Newmark 1988 : 102). Les partisans des approches fonctionnelles s‟inscrivent dans cette même lignée : « Dans le cadre de la théorie du skopos de Vermeer, un des facteurs les plus importants dans la détermination de la finalité d‟un texte traduit est le destinataire, qui est celui visé par le texte cible, avec sa propre connaissance culturelle du monde, ainsi que ses attentes et ses besoins communicationnels » Nord (2008 : 24). Reiss et Vermeer (1984 : 101)135 soulignent que « toute information relative au destinataire du texte cible (son contexte socioculturel, ses attentes, sa sensibilité ou sa vision du monde) sera d‟une importance fondamentale pour le traducteur, qui doit exiger du donneur d‟ouvrage qu‟il lui fournisse autant de précisions que possible ». 135

Cité in Nord (2008 :35)

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De son côté, au nom de la TIT, Israël écrit ceci : « le premier facteur de changement est le destinataire visé, distinct du premier en fonction duquel le texte a été conçu non seulement par son origine linguistique mais aussi par sa formation et par son appartenance à un système socioculturel différent qui conditionnent la nature de son bagage cognitif, ses habitudes de pensée ou sa vision du monde. (…) dans tous les cas, il faut tenir compte du profil du lecteur second et de ses besoins, lui donner les moyens de comprendre » Israël (1994 : 111). Le dosage du nouveau rapport explicite/implicite ne pourrait être jaugé que par la prise en compte des lecteurs, partenaires dans cet acte de communication et responsables de l‟interprétation de ce sens : « le texte à écrire n‟acquiert de substance que par la prise en compte du lecteur auquel il est destiné, c'est-à-dire dans sa dimension communicative » (Durieux 1998 : 23). Après ce rappel de l‟importance de tenir compte du lectorat cible, nous allons tenter de cerner au mieux les mécanismes de ce processus d‟adaptation, tels qu‟ils se produisent lors de la mise en œuvre de la stratégie de l‟explicitation. 6.3.1. Lecteur Modèle natif versus Lecteur Modèle cible Dans le deuxième axe fondamental de l‟explicitation, l‟accent était mis sur les différences entre le rapport explicite/implicite initial décidé par l‟auteur et le nouveau rapport décidé par le traducteur. Dans cette section, nous allons faire une mise au point sur un troisième axe qui est etroitement lié au deuxième : les différences entre le Lecteur Modèle prévu par le texte source et son auteur et le Lecteur Second supposé par le texte traduit et son auteur. En effet, le traducteur décide du nouveau rapport implicite-explicite en fonction de l‟idée qu‟il se fait du lecteur cible136. Le texte source est fait, pensé, structuré, pour un « Lecteur Modèle », un lecteur implicite moyen postulé et construit, selon Eco (1979), par l‟auteur de l‟original. Celui-ci adopte une stratégie d‟écriture, fondé sur le principe de la pertinence, qui tient compte du savoir présumé du lecteur et de sa capacité d‟actualiser pleinement le sens de l‟auteur à partir de la partie explicite et des indices contextuels de son texte. Eco explique cette démarche comme suit : « Pour organiser sa stratégie textuelle, un auteur doit se référer à une série de compétences [...] qui confèrent un contenu aux expressions qu'il emploie. Il doit assumer que l'ensemble des compétences auquel il se réfère est le même que celui auquel se réfère son lecteur. C'est pourquoi il prévoira un Lecteur Modèle capable de coopérer à l'actualisation textuelle de la façon dont lui, l'auteur, le pensait et capable aussi d'agir interprétativement comme lui a agi générativernent» (Eco 1985 : 69). Aussi, cette stratégie d‟écriture est-elle une application du principe de l‟économie du langage et de celui de la pertinence : la formulation des idées permet une gestion très économique du sens, en produisant un maximum de sens avec un minimum de mots. 136

Nous avons cependant commencé par l‟étude du rapport explicite/implicite, car la connaissance exacte du lectorat cible ou de son étendue n‟est toujours pas possible, le texte à traduire reste parfois la seule donnée factuelle (en quelque sorte la valeur sûre) sur laquelle se fonde le traducteur lors de l‟éxecution de sa mission. En outre, nous avons voulu d‟abord présenter le substrat théorique à partir duquel nous pourrons mieux cerner le rôle du lecteur dans ce processus.

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Le traducteur devrait donc emboîter le pas à l'auteur de l‟original, non pas en adoptant le même résultat, c'est-à-dire le même rapport explicite/ implicite, mais plutôt la même démarche, autrement dit, « se projeter un lecteur qui appartient à son univers à lui, c‟est-à-dire à une langueculture 2 différente de celle de l‟auteur et de son lectorat initial » Henry (2000 : 237-238). Wecksteen confirme ces propos en écrivant ceci : « si l‟auteur de l‟œuvre originale postule toujours plus ou moins que son lectorat potentiel appartient à la même langue-culture que lui, il revient au traducteur, lui-même d‟abord lecteur, de se faire une représentation de ce que sera le lectorat de l‟œuvre traduite » (Wecksteen 2005 : 93). Il en va de même pour Hewson (1995 : 158), qui nous explique que le traducteur ne choisit pas son lecteur mais la façon de s‟exprimer à son intention : « le propre du traducteur est de choisir. Bien entendu, il ne choisit pas son lecteur, mais il choisit parmi une gamme de possibilités offertes par la langue d‟arrivée. C‟est par son choix que le traducteur nous éclaire sur son image du lecteur. Par son choix, il indique non seulement celui pour lequel il traduit, mais celui qu‟il exclut, celui qui n‟aura pas accès à son texte. On a tendance à croire, un peu naïvement peut-être, que toute traduction s‟adresse à l‟ensemble des lecteurs de la deuxième langue ; ou que la même classe de lecteurs sera attirée par le même type d‟ouvrage dans les deux langues. Or, le pouvoir du traducteur consiste à opérer un choix préalable, à trier parmi ses lecteurs potentiels ». Cependant, il n‟existe pas de règles absolues quant à la manière d‟estimer le profil du lecteur cible, ce qui implique que les choix faits par un traducteur pourraient être différents de ceux décidés par un autre traducteur qui voit son public autrement. Nous allons quand même creuser cette question à la recherche de critères généraux pouvant encadrer la mise en œuvre de la stratégie de l‟explicitation. 6.3.2. L‟estimation et l‟exploitation du bagage cognitif du Lecteur Modèle cible Le traducteur essaie d‟émettre des hypothèses sur les connaissances de ces lecteurs apprises à l‟école ou acquises grâce aux médias, au vécu quotidien : « il est essentiel, dès le départ, de cerner l‟étendue ou la non étendue des connaissances de celui-ci pour que la traduction réponde pleinement à ses besoins » Moretti (2002 : 65). Il y aura donc un traitement différencié, et donc différents degrés d‟explicitation selon les connaissances générales supposées de chaque type de lectorat appartenant à la culture cible. Plus le lectorat est averti ou éduqué, moins le traducteur est tenu d‟expliciter, et inversement, plus la traduction vise le grand public, ce qui présuppose un niveau culturel faible ou moyen, plus le traducteur devra expliciter, car ce qui peut être évident pour un lecteur avisé ne l‟est pas pour un lecteur profane. Lederer (1976 : 25) fait le même constat en mettant l‟accent sur le savoir partagé qui varie d‟un public à l'autre : « plus le savoir partagé est grand, moins il est nécessaire d‟être explicite. Plus les deux savoirs se confondent, plus l‟énoncé se fait elliptique ; au contraire, moins l‟auditeur en sait, plus le locuteur doit en dire pour faire passer une idée. Mais en tout état de cause, la parole est elliptique ; toujours elle évoque un non-dit en plus de son dire ».

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À partir de l‟analyse du tronc commun du bagage cognitif de la majorité des lecteurs cibles, il tente d‟évaluer la capacité de coopération interprétative et de réflexion, les motivations, les besoins et attentes de son lectorat en général. Si à l'issue de cette estimation sommaire, le traducteur suppose que le lecteur cible méconnait ou ne connait pas une information culturelle ou qu‟il ne peut pas saisir un sens implicite nécessaire pour la compréhension du texte, il serait plus judicieux alors de lui apporter les informations nécessaires par le bais de la stratégie de l‟explicitation. Celle-ci se présente donc comme une tentative de combler ces éventuelles « carences » du bagage cognitif, ou comme un coup de pouce permettant l‟inférence correcte du sens pertinent. Cette adaptation au lecteur cible ne doit pas se transformer en apport systématique de compléments informatifs ou contextuels. Elle doit tenir compte de deux éléments principaux : les connaissances passives des lecteurs, et leur capacité interprétative.  L‟exploitation des connaissances cognitives En effet, de nos jours, sous l‟effet du développement des médias et de la mondialisation, la méconnaissance de certains faits ou objets culturels va décroissant. Newmark (1998 : 97) l‟a fait remarquer en écrivant déjà dès 1988 que : « However, here, television will soon be a worldwide clarifying force ». Cela implique que les lecteurs cibles, même s‟ils ne connaissent pas parfaitement la culture source et ses références, peuvent en avoir une idée générale, car ils ont dû entendre parler de ces faits culturels dans les médias, à la presse, à l'école, etc. À l'instar de la démarche de l‟évocation suivie lors du choix des traits pertinents pour le dosage de la partie explicite, l‟explicitation procède de l‟exploitation de ces connaissances passives ou de réminiscences emmagasinées dans la mémoire, pour faire surgir dans l‟esprit du lecteur, l‟image de la chose désignée. Plus encore qu‟une vocation, cette réactivation des connaissances préalables plus ou moins passives du bagage cognitif fonctionne selon le mode de l‟anticipation. Le traducteur prévoit les réactions des lecteurs et les anticipent afin d‟optimiser l‟inférence du sens et réduire au minimum les risques d‟incompréhension : « Le traducteur ne se souciera pas de cette réaction seulement après achèvement de son travail, mais déjà à chaque étape de sa traduction. [...] en traduisant, il se demandera sans cesse comment le lecteur potentiel pourra comprendre ce qu‟il a écrit ; il cherchera donc à anticiper la réaction de ce lecteur, afin de choisir les termes, les expressions, les tournures qui prêteront le moins à malentendu » (Margot 1979 : 101). Cette prise en charge du lecteur et l‟anticipation de ses réactions ne doit pas laisser entendre que le lecteur cible est privilégié par rapport au lecteur natif. Celui-ci puise dans le texte indubitablement plus d‟indices contextuels et dispose de plus d‟informations dans son bagage cognitif qui lui permettent d‟acquérir une compréhension plus intime des éléments en question. En revanche, pour le lecteur cible, une incompréhension ponctuelle peut compromettre la compréhension correcte de tout un passage, le moindre écueil peut gêner le déroulement du processus interprétatif. Il déploie donc autant, voir plus d‟effort interprétatifs, que le lecteur natif,

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même avec les explicitations. L‟explicitation ne rend pas superflu le travail interprétatif du lecteur. Elle réunit les conditions optimales pour son bon déroulement.  L‟application du principe de la coopération interprétative Nous avons vu que l‟auteur prévoit son Lecteur Modèle, mais il prévoit aussi sa coopération interprétative en fonction de laquelle il dose les contenus implicites. Ce principe de coopération interprétative137 sous-tend la formulation linguistique dans tout texte. Le texte traduit ne doit pas déroger à cette règle. Pour interpréter correctement cette partie elliptique et/ou implicite dans le discours, les lecteurs, natifs ou cibles, doivent faire un effort particulier, à la fois linguistique et interprétatif : « L‟extraction d‟un contenu implicite exige du décodeur un surplus de travail interprétatif...» (Orecchioni 1986 : 5), car « un texte veut que quelqu‟un l‟aide à fonctionner » (Eco 1993 : 62). Avant d‟expliciter, le traducteur devrait considérer son lecteur, non pas comme un élément passif ou paresseux, mais comme un sujet interprétant et intelligent capable de mettre en relation l‟ensemble des connaissances tirées du contexte cognitif et d‟élaborer du sens. Il est simplement pris en charge par le traducteur qui tente de produire un texte intelligible ne devant en principe être ni plus facile ni plus difficile que le texte d‟origine. 6.3.3. La non-imbécilité du lecteur : l‟impression d‟une « traduction pour les nuls » ! Lederer insiste sur ce point en mettant en garde les traducteurs de prendre leurs lecteurs pour des imbéciles en leur explicitant tout, sans un véritable besoin : « Le lecteur de la traduction est peutêtre ignorant, il n‟est pas imbécile ; il complète très vite, grâce au texte même, certaines des connaissances qui lui manqueraient au départ. Le traducteur l‟aide en explicitant certains des implicites du texte original et en employant des moyens linguistiques suffisants pour désigner les référents pour lesquels il n‟existe pas de correspondance directe dans sa langue. Le lecteur de la traduction n‟en saura jamais autant que le lecteur autochtone, mais il ne restera pas non plus ignorant » (Lederer 1994 : 123). Grâce à sa réceptivité cognitive et sa capacité interprétative, le lecteur devient interprète et complète le travail du traducteur. Il apprend au fur et à mesure de la lecture et peut déduire le sens de certains éléments du texte sans qu‟il y ait besoin d‟explicitation systématique. Expliciter sans besoin, c‟est sous-estimer la capacité interprétative du lecteur : « bien souvent, les traducteurs ne font pas assez confiance à leur lecteur, dont ils veulent tenir la main à l‟excès » 137

Pour rappel, ce principe se trouve, avec le principe de la pertinence, à la base du modèle inférentiel que nous avons étudié au chapitre 1. L‟idée principale consiste à dire que la compréhension du sens d‟un texte exige une coopération interprétative de la part des lecteurs, comme l‟a souligné Eco en écrivant que : « le texte est une machine paresseuse qui exige du lecteur un gros travail de coopération afin de remplir les espaces de non-dit ou de déjà-dit demeurés pour ainsi dire en blanc […] le texte laisse ses contenus à l‟état virtuel dans l‟attente de leur actualisation définitive par le biais du travail de coopération du lecteur » (Eco [1979] 1985 : 29). Dans le même sens, De Beaugrande note qu‟« un texte, dans sa « surface », ne dit pas tout, rendant nécessaire la coopération du lecteur qui, par des opérations cognitives, rétablira, le cas échéant, les éléments non explicites pourtant indispensables à la compréhension (de Beaugrande 1984 : 358).

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(Henry 2000 : 69). Dans ce même ordre d‟idée, Claude et Jean Demanuelli déclarent que : « sous prétexte de faciliter la tâche du lecteur, on fait de lui, dans ce domaine comme dans d‟autres, un assisté et l‟on oublie que la traduction, en tant que produit fini, texte traduit, peut et même doit être au départ de réflexion et de recherches personnelles qui seront le fait du récepteur, devenu à son tour décodeur » (Demanuelli 1990 : 55). Cela ne doit cependant pas laisser croire qu‟on devrait éliminer toute possibilité d‟explicitation. Les auteurs précisent ensuite que : « le traducteur, quant à lui, ne saurait se dispenser du secours que lui offre la compensation, quitte à multiplier et à diversifier les moyens mis en œuvre » (Ibid. : 56). Tout le jeu réside donc dans la connaissance du lectorat ciblé par la traduction, et du besoin que ce lectorat peut avoir de disposer d‟informations complémentaires et du degré de son implication dans la tâche de coopération interprétative. S‟il arrive à cerner le degré de connaissances partagées des lecteurs potentiels, le traducteur peut ainsi repérer les référents culturels qui risquent de ne pas leur être familiers et suppléer les connaissances manquantes tout en faisant confiance à l‟intelligence du lecteur. Envisagée ainsi, l‟explicitation s‟avère être un compromis, un juste milieu entre deux positions extrêmes par rapport aux lecteurs : ne rien expliciter et leur déléguer la tâche de se documenter, d‟interpréter, ce qui rend paresseux le traducteur, ou trop leur tenir la main en leur explicitant tout, même parfois des choses qu‟ils connaissent déjà, quitte à rendre paresseux le lecteur. L‟explicitation vise principalement à éviter les ruptures dans le processus interprétatif du sens, à assurer la validation des bonnes hypothèses sans pour autant exempter le public cible de la version traduite de faire autant d‟efforts de compréhension et de déduction du sens que celui du texte source : « Le lecteur doit en outre savoir procéder à un travail inférentiel, être à même, à partir de signaux et indices, de mener un raisonnement qui se solde par la construction tant d‟un sens que d‟une figure d‟auteur, et enfin, avoir l‟aptitude non négligeable non seulement de percevoir l‟implicite, mais de combler les espaces blancs, de suppléer au non-dit du texte » (Plassard 2007 : 51). 6.3.4. La difficulté de cerner le public cible Cela dit, face à un corpus comme le nôtre, est-il toujours possible de cerner l‟étendue du lectorat cible et d‟estimer le bagage cognitif de ce public ? En effet, dans les traductions spécialisées, il est souvent facile de cerner le profil des lecteurs auxquels s‟adresse la traduction ainsi que leurs connaissances linguistiques et thématiques en la matière. En revanche, lorsqu‟il s‟agit de textes journalistiques, distribués, en partie, gratuitement à un public issu de différents pays, le traducteur ne saurait pas, évaluer, à coup sûr, la nature du bagage cognitif de ses lecteurs. L‟estimation faite reste toujours une supputation et l‟explicitation dépend du pari fait par le traducteur sur les capacités de déduction et d‟ouverture de son lecteur potentiel. Misant sur cette estimation générale, le traducteur prend la décision d‟expliciter : « aucune connaissance, aucune expérience n‟est strictement identique chez deux individus, mais elles doivent être suffisamment partagées

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pour que les éléments cognitifs qui s‟ajoutent chez le traducteur à l‟explicite du texte soient pertinents et pour que le sens n‟ait rien d‟hypothétique » Lederer (1994 : 35). Et c‟est là qu‟intervient le rôle du principe de la « minimisation des risques » (Pym 2005 : 41), en vertu duquel il est préférable de réduire au minimum les risques d‟ambiguïté et d‟incompréhension du sens. En effet, dans le doute sur la capacité des lecteurs à décrypter le sens implicite ou à comprendre pleinement le sens d‟une expression linguistique, les traducteurs tendent à être plus explicites afin d‟éviter de telles erreurs d‟appréciation à l'égard du savoir partagé et viser ainsi le maximum de lecteurs potentiels. Il faudrait rappeler qu‟une fois le texte publié, « il n‟appartient plus à son auteur : seul le lecteur le possède » Jolicoeur (1995 : 22). Coupé du contexte d‟origine, le lecteur cible se trouve seul face à ce texte, qui représente son seul recours, du moins dans l‟immédiat. Ceci incite les traducteurs à prévoir suffisamment d‟indices contextuels susceptibles de rendre le texte traduit accessible aux futurs lecteurs, sans heurts, malgré le changement du décor linguistico-culturel et par conséquent le bagage cognitif. Aussi, les futurs lecteurs parviennent-ils à se l‟approprier par la lecture et la compréhension. Toujours est-il qu‟en l‟absence de consignes claires ou d‟informations fournies par l‟éditeur ou le demandeur de la traduction sur le public visé, cette estimation reste une entreprise délicate durant laquelle le traducteur doit « choisir les moyens de négocier le décentrement qui s‟opère entre la langue-culture 1 et la langue-culture 2, en fonction de sa représentation de son lecteur » (Henry 2000 : 68). Dès lors, les décisions qui en émanent sont forcément subjectives et sujettes à discussion dans une large mesure (Vermes 2003 : 107). Pour clore cette section, nous allons donner quelques exemples du corpus en guise d‟illustration de ces propos.  Exemple nº 17 : la S-Bahn et le RER expliqués aux arabes !

Cet exemple est extrait d‟un article du MD décembre 2009, intitulé « Les usagers financent l‟entrée en Bourse des transports berlinois », où l‟auteur parle d‟une série de pannes qui ont bloqué partiellement ou totalement, de mi-juin à début octobre, le S-Bahn berlinois. C‟est ce dernier terme qui a suscite une explicitation tant dans l‟original que dans la traduction. Pour la foule des visiteurs et journalistes étrangers qui se pressaient à Berlin pour le vingtième anniversaire de la chute du Mur, le miracle est passé inaperçu : la S-Bahn, le métro à grande vitesse, équivalent allemand du réseau express régional (RER), n‟est pas tombée en panne. (MD décembre 2009)

‫هب رتهىه اٹيوّاه‬٢‫غيح دل َالؽ‬٦‫ اظت‬Le miracle n‟a pas été remarqué par

la foule des visiteurs et journalistes

‫ واٹٖؾب٭ُىٿ األعبځت اٹنَڀ اؽزْلوا‬étrangers qui se sont rassemblés à ‫ْوَڀ‬٦‫ يف ثوٹٌن مبڂبٍجخ اٹنٵوي اٹ‬Berlin à l'occasion du vingtième

anniversaire de la chute du Mur : la

،"S-Bahn"‫ ٭بٹـ‬:‫ اصتلاه‬ٛ‫ « ٹَٲى‬S-Bahn », le métro rapide de la ‫ اظتٶبيفء األظتبين‬،‫ ٹٺپلَڂخ‬٤َ‫ اظتزوو اٹَو‬ville, l‟équivalent allemand du ‫ اٹٮوځَُّخ ؽىٷ‬RER ‫ ٹْجٶخ‬réseau RER français autour de .‫ّٸ‬ٞ٦‫ دل َز‬،ٌَ‫ثبه‬

Paris, n‟est pas tombé en panne.

Bien que l‟Allemagne soit un pays voisin de la France et que les Français aient de nombreux contacts avec l‟Allemagne - qu‟il s‟agisse de jumelages, d‟activités économiques ou touristiques -

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l‟auteur a dû supposer que son Lecteur Modèle ne connaissait pas la S-Bahn, mais qu‟il connaissait le RER de l‟Île-de-France. Il a adapté sa formulation en fonction de ces connaissances présumées chez ce lecteur. Face à ce concept supposé inconnu (la S-Bahn), l‟auteur a usé du procédé de l‟évocation en puisant dans le monde culturel français une réalité équivalente susceptible de faire naître chez le lecteur l‟image mentale de la S-Bahn. Il l‟a définie par deux périphrases : la première révélant la caractéristique générale de ce moyen de transport public, le métro à grande vitesse de la ville, la deuxième précisant davantage sa particularité pertinente en la comparant au RER parisien. Comptant sur la coopération interprétative du lecteur, le traducteur laisse à ce dernier le soin de déduire l‟implicite conceptuel dans cet énoncé, en l‟occurrence, les conséquences fâcheuses des pannes d‟un moyen de transport public aussi vital. De son côté, le traducteur arabe doit évaluer la probabilité que les lecteurs arabes connaissent ce référent. La non connaissance d‟un référent ne relève évidemment pas de l‟ignorance des lecteurs arabes, mais plutôt de la distance culturelle qui séparent deux langues-cultures appartenant à des civilisations différentes. Il suppose, à juste titre, que ces lecteurs n‟avaient entendu parler ni de la S-Bahn ni du RER. Dans sa stratégie de réécriture, il adopte l‟explicitation de l‟original qu‟il précise davantage en écrivant que le RER est « le réseau français autour de Paris ». Cette formulation plus ou moins elliptique repose sur la compétence interprétative du lecteur arabe qui est censé compléter les blancs en comprenant, à l'aide des autres indices contextuels, qu‟il s‟agit d‟un réseau de trains qui dessert les banlieues de Paris, et que donc, la S-Bahn dessert également les banlieues berlinoises. Il ne manquera pas non plus d‟inférer que ce réseau doit être très fréquenté, que ces pannes étaient si nombreuses et se fréquentes par le passé qu‟il était impensable que la S-Bahn fonctionne correctement durant la période de la fête. Plus tard, dans le même article, l‟auteur a procédé de la même manière, en explicitant ce qu‟est un ICE (l‟équivalent allemand du TGV). Le traducteur arabe lui a emboité le pas et a précisé davantage ce que c‟est un TGV, à savoir un train français à grande vitesse138. En juillet 2008, un train Inter- ‫ڀ اٹَٶّخ‬٥ ‫ فوط‬2008 ‫َىٹُى‬/‫٭ٮٍ دتىى‬ City Express (ICE, équivalent allemand du TGV) déraille en ‫ "بځزو ٍُيت‬٣‫بهٌ ٽڀ ځى‬ٞ‫ّخ ٵىٹىځُب ٱ‬ٞ‫يف ػت‬ gare de Cologne (MD ‫به‬ٞ‫بكٷ ٹٺٲ‬٦‫" (وڅى اظت‬ICE ً‫بٵَرب‬ décembre 2009)

.)TGV ‫ يف ٭وځَب‬٤َ‫اٹَو‬

138

En juillet/Tamouz 2008, un train du type « Inter-City Express ICE », (c‟est l‟équivalent du train rapide TGV en France) déraille en gare de Cologne.

On pourrait objecter que dans ce cas le traducteur arabe devait chercher une réalité analogue dans les grandes métropoles arabes, comme le Caire, pour désigner, à l'aide d‟une comparaison, la S-Bahn et l‟ICE. En effet, en 2009, le MD était déjà lu dans les grands pays arabes, ce qui élargit considérablement le public visé. Le traducteur a dû supposer qu‟une réalité analogue connue dans un pays arabe comme l‟Çgypte par exemple, ne serait pas forcément comprise de tous les autres lecteurs arabes. Il faudrait savoir aussi que les Arabes ne circulent pas librement entre tous les pays du Monde Arabe, sans visa, et que, même s‟il existe le métro au Caire et certains réseaux ferroviaires dans d‟autres pays, il n‟y a pas d‟équivalent exact du TGV dans aucun de ces pays.

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La prise en charge du Lecteur Modèle natif et du Lecteur Modèle cible, respectivement par l‟auteur et le traducteur, se voit encore plus clairement dans l‟exemple suivant.  Exemple nº 18 : la logique des élections intermédiaires (expliciter le lien logique) Cet exemple est extrait d‟un article du MD décembre 2009, intitulé « Faire de la politique ou vivre de la politique ? », où l‟auteur explique comment le PCF, a réussi, malgré son score catastrophique aux présidentielles de 2007, à maintenir une présence parlementaire grâce à ses maires et à survivre grâce à ses réseaux d‟élus, mais aussi à la logique des élections intermédiaires. La « logique des élections "‫ٰ االځزقبثبد االځزٲبٹُّخ‬ٞ‫بم ؤٿّ "ٽڂ‬ intermédiaires » pénalise aujourd‟hui les gouvernements ‫خ ثٌن اٍزؾٲبٱٌَن ٵجًنََڀ واٹيت نتٶڀ‬٦‫(اٹىاٱ‬ de droite en place. (MD ‫ؤٿ َىعّڄ اٹڂبفجىٿ ٽڀ فالعتب بځناهًا بذل‬ octobre 2009)

En effet, la « logique des élections transitoires » (qui ont lieu entre des élections majeures et à travers lesquelles les électeurs peuvent envoyer un message ‫ اٹٮوَٰ اضتبٵټ) ٹٌُ اٹُىٻ يف ٽٖٺؾخ‬d‟alerte au parti gouverneur) ne .‫خ‬ٞ‫ ؽٶىٽبد اٹُپٌن اظتزىاعلح يف اٹَٺ‬joue pas aujourd‟hui en faveur des gouvernements de droite qui sont au pouvoir.

Le lecteur français de ce MD est aussi un électeur, donc concerné par ces élections et peut-être encarté politiquement. L‟auteur suppose que son lectorat saurait décrypter son vouloir dire exprimé de façon elliptique par l‟expression « logique des élections intermédiaires ». Tel n‟est pas le cas du lecteur arabe. Le traducteur a cru bon de lui expliciter en quoi consiste cette logique. Grâce à cet éclairage, il saurait décrypter l‟idée que l‟auteur veut transmettre, à savoir que ces bons résultats en faveur de l‟opposition ne reflètent pas forcément l‟adhésion des électeurs aux idées de ces partis, mais qu‟il s‟agit plutôt d‟un vote de sanction afin d‟inciter le gouvernement en place, en l‟occurrence de droite, à prendre des mesures plus concrètes ou à recadrer sa stratégie économique, etc. Une telle explicitation de la relation implicite de cause à effet renforce la cohésion interne de la phrase. Comptant sur la coopération interprétative et réalisant le principe de l‟économie du langage, le traducteur rend ce concept lors de sa deuxième occurrence par une traduction littérale « les élections transitoires » sans répéter l‟explicitation. C‟est aux lecteurs d‟en déchiffrer le sens à la lumière de l‟explicitation précédente et de s‟initier par la même occasion à une pratique démocratique intéressante. Ainsi, certaines explicitations peuvent jouer à la fois le rôle d‟informer et de former le lecteur. Celui-ci intègre désormais cette information dans son bagage cognitif qui sera éventuellement exploité par un autre traducteur dans un contexte similaire.

6.4. L‟explicitation en tant que processus de prise de décision Nous arrivons là à l'aboutissement de cette étude des quatre fondements théoriques de l‟explicitation. Ce dernier axe s‟inscrit dans la continuité des trois premiers. Nous avons

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considéré l‟explicitation comme une stratégie générale de résolution des problèmes de traduction liés à la réexpression du sens et comme une adaptation au lectorat cible par le rétablissement du rapport explicite/implicite dans le texte traduit. La mise en œuvre d‟une telle stratégie n‟est pas arbitraire, loin s‟en faut. Elle se fonde, en principe, sur un processus de prise de décisions qu‟effectue le traducteur sur chaque cas d‟explicitation après analyse des différents facteurs qui entrent en ligne de compte. Le recours à cette stratégie n‟est pas systématique, mais une option qui change au gré des contraintes linguistico-culturelles, des circonstances spatio-temporelles et des normes de traduction en vigueur dans le contexte d‟accueil, comme l‟avait souligné plusieurs chercheurs comme Weissbrod (1992 : 153), Pym (2010 : 81), Baumgarten et al. (2008 : 198), Becher (2011 : 75), etc. L‟explicitation peut paraître dans certaines traductions comme elle peut céder la place à d‟autres procédés de traduction dans d‟autres situations de traduction. Elle n‟est donc pas une stratégie universelle de traduction ni indépendante des différents facteurs internes et externes liés au texte et à la situation de traduction. Nous allons nous limiter ici à l'analyse des caractéristiques générales du processus de prise de décision de l‟explicitation, afin de préparer le terrain à l'analyse plus approfondie des motivations et des techniques et des facteurs dont dépend le degré d‟explicitation dans les chapitres suivants. 6.4.1. Chaque explicitation est une décision La traduction est considérée comme un processus de prise de décision (Lévy [1967]1989), où chaque décision détermine les autres ; certaines décisions ouvrent des voies et en ferment d‟autres. Ce processus vise à résoudre les problèmes de traduction, par la mise en place de ce que Lévy appelle la stratégie minimax, c'est-à-dire le choix parmi plusieurs options de la solution la plus efficace et la moins coûteuse en terme d‟efforts ou de temps. Étant toujours motivé par la présence d‟un problème de traduction, l‟explicitation suit le même cheminement. Le traducteur analyse le problème et tente de choisir parmi plusieurs techniques celle qui sera la plus apte à rendre le sens clairement et sans exiger trop d‟efforts interprétatifs du lecteur. Pour cerner au mieux ce processus, nous pouvons dire que la décision de l‟explicitation s‟inscrit également dans le cadre du parcours décrit par Wilss (1981 : 24) [cité par Mackenzie (1998 : 201)] concernant la résolution des problèmes de traduction. Lequel se décline en quatre étapes: la préparation, qui consiste à recueillir les informations pertinentes sur le problème, l‟incubation, c'est-à-dire la mise en œuvre d‟un type de travail mental inconscient ; l‟illumination pendant laquelle la solution émerge et la vérification par l‟élaboration des solutions. Ainsi, avant de prendre la décision d‟expliciter, le traducteur identifie le problème de traduction, évalue le risque éventuel d‟incompréhension ou d‟ambiguïté s‟il se limite à une traduction directe, rassemble les données linguistiques et textuelles en rapport avec ce problème, pose des hypothèses sur la capacité interprétative du lecteur, tient compte des données disponibles sur le lectorat cible et de la finalité de la traduction, examine plusieurs solutions possibles, pèse les avantages et les inconvénients des options de traduction qui s‟offrent à lui, prend la décision d‟expliciter, applique

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cette décision dans le texte traduit en fixant les caractéristiques quantitatives et qualitatives de l‟explicitation décidée et le mode appliqué. La décision de l‟explicitation se distingue des autres solutions de traduction par le fait qu‟il ne s‟agit pas d‟une solution déjà existante, mais plutôt d‟une solution inédite, ad hoc : le lecteur change, le savoir partagé change, le rapport explicite/implicite doit changer et donc l‟explicitation faite aussi. Seul demeure intact le sens du texte source. Cette série de changements ne s‟arrête pas là, notamment dans le contexte de la traduction du MD, car le traducteur change aussi d‟un numéro à l'autre, voire d‟un article à l'autre dans le même numéro, les normes de traductions sont également sujettes à modification d‟une période à l'autre, sans oublier la fonction de l‟action même de traduire le MD qui n‟est pas à l'abri d‟une telle mutation. Les choix des explicitations ne sont donc pas innocents, ni d‟ailleurs dépourvus de toute trace de subjectivité. Comme l‟avait proposé Toury, ces choix traductifs, se manifestant sous formes d‟écart de traduction, sont des clés pour comprendre le processus de prise de décision. Dans les trois axes précédents, nous avons expliqué la nécessité de recréer un dosage du rapport explicite/implicite adapté au lectorat de la traduction pour réexprimer de façon claire le vouloir dire d‟un énoncé et d‟un texte. Nous allons tenter de mettre la lumière ici sur l‟influence de trois facteurs supplémentaires dans la prise de décision de l‟explicitation : la compétence du traducteur, les normes et contraintes de traduction et le skopos de la traduction. 6.4.2. La compétence du traducteur : pour expliciter, il faut d‟abord comprendre ! L‟opération de traduction est une opération d‟intelligence, faite toujours par l‟homme et pour l‟homme (Dinh Hong Van 2010 : 146). Le traducteur est le responsable de cette opération et est surtout le preneur de décision de l‟explicitation. Avant de chercher à expliciter le sens au lectorat visé, le traducteur ou l‟interprète « doit tout d‟abord se l‟expliciter à lui-même en fonction du contexte, reconstituer ce que le langage recouvre d‟implicite et ce que l‟orateur n‟avait nul besoin de formuler plus clairement pour se faire comprendre des destinataires originaux de son discours : il lui faut ensuite rendre son message de manière intelligible dans l‟autre langue » Seleskovitch (1968 : 55). Cette auto explication lui permettra d‟avoir une compréhension totale du sens du texte et de « pouvoir apprécier à son tour les « clairs-obscurs » qu‟il peut se permettre d‟expliciter à l‟intention de son propre interlocuteur ou lecteur » Plassard (2002 : 118). Ce faisant, la décision de l‟explicitation pourrait refléter la volonté du traducteur à « capitaliser » (Plassard 2002 : 426) ou à rentabiliser ses efforts d‟interprétation et de compréhension du texte d‟origine. Opter pour l‟explicitation pourrait signifier que le traducteur compétent ou « omniscient » comme le décrit (Delport 1979), a compris le texte avec toutes ces références culturelles manifestes ou cachées. Aussi, les traducteurs ont-ils tendance à laisser dans les textes cibles, moyennant les explicitations insérées, des traces cognitives de leur compréhension, fruit d‟un travail sérieux et signe d‟une bonne implication du traducteur et d‟une maîtrise du sujet traduit.

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En revanche, ne pas expliciter une information implicite ou une expression problématique pourrait être interprétée de deux façons : soit le traducteur a jugé non pertinent d‟ajouter des compléments cognitifs parce le contexte suffisait pour éclairer le sens ou parce qu‟il a supposé que le lecteur possédait les informations nécessaires pour inférer le sens de l‟implicite du texte. Soit il n‟avait pas pris conscience de l‟implicite, faute de connaissances culturelles adéquates. Dans le premier cas, le traducteur aurait raison de faire confiance au lecteur. Dans le deuxième cas, c‟est le lecteur qui ne fera plus confiance au traducteur. En effet, par manque de connaissances encyclopédiques ou par manque de recherche documentaire, la compréhension du traducteur « ne dépassera pas le stade de l‟appréhension des significations linguistiques » (Laplace 1995 : 211). Il ne pourra pas apporter aux lecteurs ce qu‟il ne connaît pas lui-même. Face à une situation d‟ambiguïté ou d‟incompréhension du sens, le lecteur, attentif et motivé, remettra en cause la compétence du traducteur. En effet, de par sa nature, une traduction est suspecte, et toute étrangeté accentue cette suspicion. La moindre incompréhension suscite chez les lecteurs un sentiment d‟incompétence du traducteur et un jugement négatif à son égard, car il n‟a pas su assurer comme il se doit son travail de transmission de sens. Un texte inintelligible reflète soit l‟ignorance du traducteur ou soit sa paresse, qu‟il cherche à camoufler derrière ses choix traductifs sans efforts. L‟explicitation devient ainsi le miroir du profil du traducteur. Même si l‟on ne connait pas le traducteur en personne ou par son nom, il se profile néanmoins dans son travail, à travers l‟analyse de sa réaction face à une situation d‟explicitation et dans les deux activités qu‟il conjugue : celle de lecteur, qui comprend, ainsi que celle d‟auteur, qui permet à un destinataire de comprendre. Tous ses choix reflètent son profil, car ils passent par le prisme de la personne du traducteur. Dans ce sens, Salama. Carr avance que l‟explicitation peut être un indicateur de la subjectivité du traducteur : « la subjectivité des traducteurs intervient également et permet d‟expliquer des variations dans le souci d‟explicitation, dans le choix de correspondances plus marquées ou au contraire plus neutres » (Salama-Carr 2007 : 77). 6.4.3. L‟influence des normes et contraintes de traduction Le rapport entre les normes de traduction et le phénomène de l‟explicitation est souligné dans plusieurs études de traduction, comme celles de Weissbrod (1992), de Toury (1995), Malingret (2002), Molina (2006), etc. Lors du processus de traduction, les normes socio-linguistiques ou culturelles et les spécificités du monde de réception sont converties en normes traductologiques qui conditionnent les décisions traductionnelles, y compris celles de l‟explicitation. Qu‟elles soient initiales, préliminaires, opérationnelles (matricielles ou linguistico-textuelles) selon la classification de Toury (1995) ou culturelles, linguistiques et textuelles selon Malingret (2002 : 92), ces normes ont des répercussions sur la décision de l‟explicitation. Dans cette optique, il incombe au traducteur de connaître le contexte de réception du texte afin d‟être capable de modifier son comportement conformément à ces exigences, c‟est-à-dire en s‟adaptant aux normes

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de présentation, d‟acceptabilité et de conformité de la traduction. Sa traduction devrait être en accord avec le goût de l'époque, avec les normes en vigueur de l‟édition, avec l'horizon d‟attente des lecteurs, avec les formats acceptables ou souhaitables, avec le style escompté, etc. Si, par exemple, les emprunts linguistiques ne sont pas acceptables, le traducteur se tournera alors vers les périphrases, et ainsi de suite. Les normes politiques ou idéologiques à un moment donné peuvent également contraindre le traducteur à ne pas expliciter telle ou telle catégorie de référents et à opter pour une autre technique de traduction qui passera le sens sous silence, même si l‟analyse textuelle objective aurait exigé une intervention par l‟explicitation. La dimension diachronique est donc à prendre en considération dans l‟analyse des normes impliquées dans le processus de prise de décision de l‟explicitation. Ces normes changent avec le temps, ce qui implique de reconsidérer la question de l‟explicitation à chaque fois que le contexte temporel change. Dans la mesure où les décisions de traduction sont conditionnées par le contexte de l‟époque, nous nous gardons de porter des jugements de valeur sur les explicitations faites, tant au niveau de l‟adéquation des traductions proposées que des options possibles. L‟ouverture à l‟Autre et les nouvelles normes offrent de nouvelles perspectives qui n‟étaient pas forcément envisageables auparavant. Eu égard à cette dimension temporelle, la pertinence ou l‟adéquation de l‟explicitation constatée demeure une question très relative, qui va au-delà jugements hâtifs et infondés de bonnes ou de mauvaises explicitations. En dehors des cas où il y a eu vraiment erreur de traduction, toutes les explicitations fournies sont donc considérées, soit comme des explicitations pertinentes, soit comme des « tentatives d‟explicitation ». En outre, pour qualifier une explicitation de « pertinente », nous allons élaborer quelques principes généraux, en nous inspirant des maximes de Grice, afin que ce jugement soit aussi fondé, sur des critères objectifs. En plus de ces normes de traduction et de réception, il existe des contraintes qui agissent au niveau de la production même de la traduction et influent sur les décisions à prendre. Il s‟agit principalement de contraintes inhérentes à l‟espace consacré au texte traduit et au délai imparti à la réalisation de la traduction. Les contraintes d‟espace peuvent exclure l‟emploi de longues notes d‟explicitation, ce qui incite le traducteur à les raccourcir au maximum et à les intégrer au sein du texte139. Quant aux contraintes de temps, elles jouent un rôle décisif dans la détermination de la stratégie de traduction et du degré d‟explicitation. Lorsque le traducteur se voit imposer, en vertu de raisons commerciales ou autres, des délais courts pour traduire des textes aussi difficiles que ceux du MD, il n‟a peut-être pas toujours le temps de faire des recherches suffisamment approfondies (d‟où le recours systématique à Wikipédia) et de chercher, pour chaque point épineux, une reformulation subtile. Rappelons que, dans le cas du MD, les traducteurs disposent d‟à peine une 139

Dans le cas particulier du MD, il y certainement des contraintes de ce genre car il y a déjà les notes de l‟auteur, expliquant des faits ou fournissant des repères bibliographiques, ce qui charge déjà le paratexte.

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semaine pour délivrer la traduction à l'éditeur et au responsable de diffusion sur le site électronique. L‟explicitation se présente dès lors comme une solution pragmatique de rapidité et non de facilité : en vertu de la stratégie minimax, le traducteur fait appel à la solution qui offre le maximum de résultat avec le minimum d‟effort dans le cadre du laps de temps dédié à l'exécution de la tâche. Ceci est d‟autant plus important que dans le contexte actuel de la mondialisation où tout s‟accélère, le lecteur de la traduction, même s‟il a les moyens de se documenter plus rapidement et plus aisément grâce à internet, n‟a souvent pas le temps d‟aller chercher des informations supplémentaires au risque soit se voir détourner du thème principal de l‟article ou soit de tomber sur une information erronée. Le lecteur cherche souvent du « prêt à consommer » et attend du traducteur qu‟il lui apporte quelque chose de sûr et de fiable. Sans ces explicitations, le lecteur pourrait avoir l‟impression que le traducteur a manqué à son devoir envers lui. 6.4.4. Le skopos de la traduction : faire connaître le texte ou le monde du texte La fonction de la traduction et du texte traduit dans le contexte d‟accueil est un élément à prendre en compte lors du processus de prise de décision de l‟explicitation. La prise en compte de ce facteur n‟est pas uniquement l‟apanage des approches fonctionnelles, le modèle interprétatif souligne également la nécessité de s‟adapter à ce facteur pour atteindre la plénitude du sens. Ainsi, Israël (1998 : 252) dit que « si, en traduction, la plénitude se mesure d‟ordinaire à l‟aune de l‟original, on oublie trop souvent qu‟elle peut être également tributaire d‟une nouvelle finalité assignée au texte, de l‟adaptation au destinataire ou à une autre fonction de sorte que ce qui la définit vraiment, c‟est au bout du compte l‟autonomie du nouvel objet écrit, son intégration dans la langue-culture d‟arrivée et la prise en charge par le traducteur des différents niveaux de son élaboration : ponctuation, orthographe, lexique, syntaxe, organisation textuelle » (Ibid. : 252). Dans le même ordre d‟idées, Lederer (1998 : 168) souligne très justement que les méthodes appliquées au transfert du culturel dépendent de la finalité de la traduction: « dans le cas de traductions qui visent à faire connaître une œuvre ou un auteur à un public étranger, l'explicitation peut être minimale, ne comblant les lacunes du lecteur que lorsque celles-ci risquent de diminuer l'intelligibilité du texte, se gardant d'aller trop loin dans l'apport d'informations non pertinentes dans le cadre du récit. D'autres traductions ont des visées plus "ethnologiques". Elles tiennent autant à faire apprécier l'œuvre ou l'auteur qu'à fournir au lecteur le maximum d'informations sur la culture qui a engendré cette œuvre et sur la langue dans laquelle elle a été écrite ». Dans cette optique, les traductions sont souvent produites pour répondre aux demandes d‟une culture ou de divers groupes à l‟intérieur de cette culture : « Il faut donc d‟abord définir l‟utilisation qui sera faite de la traduction avant de décider de la démarche à adopter et de la quantité d‟explications et d‟informations à fournir, en prenant soin de définir précisément où doit s‟arrêter l‟adaptation » Moretti (2002 : 65). Contrairement donc à une première impression qui tendrait à opposer TIT (axée sur la fidélité au sens) et Théorie du Skopos (obnubilée par l‟importance de la prise en compte des attentes

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spécifiques du donneur d‟ordre), nous pensons quant à nous qu‟il est possible de concilier l‟équivalence interprétative de la TIT et la satisfaction du donneur d‟ordre. En effet l‟explicitation vise, avant tout, une réexpression du sens véhiculé par le texte original, mais elle peut aussi être en phase avec l‟objectif recherché et le résultat escompté par le donneur d‟ordre. Le skopos assigné à la traduction détermine donc le degré, la fréquence et la technique d‟explicitation, mais il n‟empêche pas, en règle générale, de rester fidèle au vouloir dire du texte source. Ainsi, un même fait culturel ou élément linguistique peut être explicité de différentes manières, voire pas du tout : « toutes les traductions ne peuvent pas être jugées selon les mêmes critères, car toutes ne sont pas faites dans la même optique. Différentes versions peuvent coexister, qui satisferont, pour des raisons différentes, des lecteurs différents » Lederer (1998 : 171).

7. En guise de conclusion À la lumière de tout ce qui précède, et afin de préciser le fil conducteur que nous allons suivre tout au long de la deuxième partie, nous présentons ici notre définition de l‟explicitation, un résumé de l‟essentiel de notre conception globale et la grille d‟analyse discursive et de prise de décisions d‟explicitation.  La définition

L‟explicitation est une stratégie de traduction par laquelle le traducteur procède, dans le texte traduit, à un ajustement de l‟équilibre implicite-explicite du texte de départ ; cet ajustement peut se faire, selon les besoins, aussi bien au niveau de micro-unités de sens que de macro-unités de sens. Cette stratégie qui se situe toujours au niveau discursif, dans une optique résolument communicationnelle, n‟a pas d‟autre fin que de permettre au lecteur de la traduction de disposer de manière explicite de tous les éléments nécessaires pour parvenir, au prix d‟un effort d‟interprétation raisonnable, à la compréhension du vouloir dire de l‟auteur. La stratégie d‟explicitation est mise en œuvre selon deux modes opératoires, l‟un consistant à conserver et à étoffer les éléments informatifs contenus dans l‟unité de sens traitée (l‟Humanité → Le journal communiste l‟Humanité), l‟autre à remplacer les éléments initiaux par une reformulation immédiatement intelligible et fidèle au sens voulu ( Bercy → ministère de l‟Economie, la mauvaise pomme → la pomme empoisonnée, la mauvaise saison → la saison de l‟hiver). Cette stratégie se décline en différentes techniques et procédés qui s‟adaptent au besoin communicatif et à la configuration textuelle (insertion dans le co-texte, la séquence textuelle, le paratexte).  La conception Nous considérons l‟explicitation comme une stratégie raisonnée de résolution des problèmes de traduction, d‟ordre linguistique, comme l‟absence d‟équivalent exact, les jeux de mots ; d‟ordre culturel, comme les noms propres et les allusions et connotations qu‟ils véhiculent, la traduction

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des référents et concepts inexistants dans la culture cible ; d‟ordre textuel comme l‟ambiguïté, la densité textuelle, l‟imprécision, etc. Quel que soit le genre du problème invoqué, il y a un dénominateur commun, à savoir : l‟existence d‟un risque d‟ambiguïté ou d‟incompréhension du sens de la part du lecteur cible, condition sine qua non pour qu‟intervienne une explicitation. Cette stratégie, ni exotisante ni ethnocentrique, est fondée sur le principe de création d‟équivalences interprétatives de sens et d‟effet entre le texte de départ et le texte d‟arrivée. Nous avons posé que la traduction, liée à des ensembles évolutifs, engendrait naturellement une modification de l‟équilibre préexistant. Par conséquent, le traducteur, par l‟explicitation savamment dosée et insérée, vise à rétablir l‟équilibre communicationnel du texte traduit qui risque d‟être rompu s‟il se contente de transposer le rapport explicite/implicite initial tel quel par l‟un des trois procédés de la traduction directe, à savoir : le report, l‟emprunt, le calque syntaxique ou sémantique. Par souci de clarté et d‟intelligibilité du texte traduit, le traducteur s‟emploie à rétablir ce nouvel équilibre textuel explicite/implicite soit, en ajoutant, de façon limitée et justifiée, dans le texte traduit ou dans son paratexte, des éléments d‟informations contextuelles implicites dans le texte source, mais qui en sont parfaitement inférables, ou des éléments pertinents précisant les traits de signification d‟une formulation linguistique spécifique, comme les expressions tropiques, elliptiques, les jeux de mots, etc. Le traducteur peut conserver l‟élément d‟origine ayant suscité l‟explicitation s‟il compte s‟en servir dans la suite du texte ou le faire connaître au lectorat cible, comme il peut ne pas le garder, et dans ce cas, il procède à son remplacement par une formulation linguistique différente adaptée à la langue-culture-lectorat cible, mais équivalente au niveau du sens. Avant de prendre une décision sur la nécessité d‟expliciter ou sur la technique à privilégier et surtout sur le degré de l‟explicitation à apporter, le traducteur devrait tenir compte de plusieurs facteurs relatifs au texte et à la situation de traduction, comme l‟étendue du lectorat cible, l‟estimation du bagage cognitif partagé chez les lecteurs, la pertinence de l‟élément explicité pour la compréhension du vouloir dire de l‟énoncé ou du texte, la visée traductive, les normes de la traduction, etc. Chaque explicitation devient ainsi une décision prise consciemment par le traducteur pour résoudre un problème de traduction lié à la réexpression du sens de façon claire et compréhensible. Elle est en quelque sorte une « convention d‟équivalence » négociée pour chaque « unité de sens » et une adaptation aux aléas du texte et au projet de traduction. La décision prise se concrétise au niveau du texte traduit par la mise en œuvre de plusieurs techniques spécifiques d‟explicitation, comme l‟incrémentialisation, la périphrase, la paraphrase, l‟insertion, la note du traducteur, etc.  La grille d‟analyse discursive et de prise de décisions d‟explicitation Cette décision qui se manifeste par le biais des écarts introduits, permet aux traductologues d‟accéder aux rouages internes du processus cognitif de prise de décision et de de trouver des explications plausibles aux motivations ayant conduit les traducteurs à accorder le primat à tel ou

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tel choix parmi les différentes options disponibles et à prendre cette décision finale. L‟analyse des décisions d‟explicitation nous permettra donc de comprendre les raisons et les circonstances qui ont conditionné ces choix, que ce soit au niveau local de chaque texte ou au niveau global de toute l‟entreprise de traduction sur le long terme, notamment dans un projet de longue durée comme celui du MD. Cependant, ces décisions appliqués peuvent être justifiées et d‟autres l‟être moins, voire pas du tout : « A shift may represent the solution to a problem (i.e. the result of a strategy), the result of a routine technique, or indeed the consequence of a misunderstanding, an unsuccessful strategy or a badly chosen technique. Some shifts are therefore justifiable (in a given task context), others are less so. As we know, all translations manifest shifts » (Chesterman 2005 : 27). En tous cas, ce qui nous intéresse dans le présent travail n‟est pas de distribuer de bonnes ou de mauvaises notes aux traducteurs, mais de déduire à travers ces choix les efforts de médiation et d‟interprétation du traducteur, ses tentatives heureuses ou malheureuses d‟explicitation, sa compétence linguistique et culturelle, son estimation du bagage cognitif du lecteur cible, son évaluation du risque d‟ambiguïté ou d‟incompréhension, le skopos de la traduction qui a dicté sa stratégie, les normes de traduction en vigueur, les contraintes de traduction qui rendent son travail plus ou moins laborieux, son analyse de la pertinence et de la fonction discursive des éléments explicités, la variation des modes d‟explicitation appliqués, etc. En nous appuyant sur les recherches précédentes dans les chapitres I et II et sur notre conception générale de l‟explicitation exposée dans le présent chapitre, nous avons élaboré, dans le tableau ci-dessous, une grille comportant l‟ensemble des facteurs qui entrent en ligne de compte dans l‟analyse discursive du sens et dans la prise de décision de l‟explicitation. Le facteur à prendre en considération

les cas de figures à prendre en compte

Recommandations particulières

La motivation de l‟explicitation par rapport à l'interprétation du sens

- Risque d‟ambiguïté

Evaluer à sa juste mesure le risque potentiel ;

La fonction discursive de l‟élément problématique

- Fonction référentielle

- Risque d‟incompréhension

- Fonction connotative ou allusive - Emploi tropique

Tout mettre en œuvre pour éviter tout risque d‟incompréhension. Choisir les informations pertinentes susceptibles d‟élucider la fonction en question ; Evaluer l‟importance de reproduire le véhicule métaphorique.

Partie I : Chapitre III : Vers une conception générale de l’explicitation La localisation de l‟élément problématique dans le texte source

- Dans le titre ou les sous-titres - Au début de l‟article, au milieu, - A la fin de l‟article - Dans une incise, - Entre parenthèses ou guillemets

Le nombre d‟occurrences de l‟élément problématique dans le même texte L‟importance de l‟élément problématique pour la compréhension du vouloir dire

Les indices disponibles

contextuels

- Une seule occurrence

- Plusieurs occurrences - Principale - Secondaire - Sans impact sur la compréhension

- Dans le co-texte

- Plus loin dans le texte

- Connaissances actives - Connaissances passives - Vague notion

Estimation de la coopération interprétative du lecteur

- Méconnaissance totale - Juste - Surestimée

L‟existence d‟une option de traduction

autre

Evaluer l‟apport du contexte cognitif jusqu'à cet endroit du texte ; Eviter les explicitations dans les titres et sous-titres pour ne pas aplatir l‟effet stylistique ; Eviter les explicitations des éléments figurant en filigrane dans le texte (entre parenthèses, en incise, etc.) pour ne pas trop charger le texte. Expliciter à la première occurence seulement.

- Deux occurrences

- Avant la séquence en question

Le degré de connaissance présumée de cet élément chez le lecteur cible

210

- Sous-estimée - Traduction directe - Adaptation - Equivalence fonctionnelle - Traduction libre

Expliciter l‟élément jouant un rôle primordial pour la construction du sens de l‟énoncé ; Evaluer la nécessité de l‟explicitation dans les autres cas selon le skopos de la traduction. Analyser l‟apport du contexte cognitif à l'égard d‟un élément problématique dans l‟ensemble du texte ; Evaluer l‟urgence d‟une intervention immédiate ou la possibilité de laisser le texte s‟expliquer lui-même. Expliciter en cas de méconnaissance ; Tenter d‟exploiter les connaissances passives par une explicitation évocatrice, quoique minime. Faire confiance au lecteur quant à sa capacité d‟inférer le sens à partir du contexte cognitif et de petites indications pertinentes. Evaluer les avantages et les inconvénients des différentes options de traduction en dehors de l‟explicitation ; Privilégier la stratégie qui fait courir le moins de risques interprétatifs au lecteur.

Partie I : Chapitre III : Vers une conception générale de l’explicitation La compétence du traducteur

- Son profil sociolinguistique - Sa recherche documentaire - Sa conception de l‟acte du traduire

Les normes et consignes de traduction

- Présence de normes bien définies - Présence de consignes précises - Absence de normes / consignes - Le traducteur, seul maître à bord.

Les contraintes de traduction

- Le délai imparti

- L‟anonymat du traducteur

L‟importance de la conservation de l‟élément original

La rigueur dans la méthode d‟explicitation

- Conservation des initiaux et étoffement

Combler ses carences encyclopédiques par des recherches approfondies ; Anticiper et penser à la réaction des lecteurs appartenant aux pays arabes, autre que celui dont est issu le traducteur. Respecter les normes en vigueur en mettant en œuvre les différentes techniques d‟explicitation ; Appliquer de façon rigoureuse les normes/consignes de traduction sur l‟ensemble du texte ; Appliquer son propre style, en cas d‟absence de normes/consignes, mais de façon rigoureuse et cohérente. Appliquer la stratégie minimax en opérant des explicitations minimes, mais pertinentes ;

- L‟espace disponible

Le mode d‟explicitation choisi

211

éléments

- Suppression des éléments initiaux et reformulation plus claire de leur sens - Introduire le concept ou l‟expression dans la langue-culture cible - L‟utiliser plus tard dans le texte sans devoir l‟expliciter à nouveau - Expliciter de manière ordonnée

Abréger les incises et les notes ajoutées ; Reconnaitre les efforts du traducteur et faire apparaitre son nom (ne seraitce que pour le responsabiliser davantage par rapport à l‟exigence de qualité de sa traduction). Peser le pour et le contre de la conservation ou de la suppression des désignations spécifiques, selon les besoins/attentes du lectorat et de la langue/culture cible. Les sauvgarder par le biais de la traduction directe en les insérant entre guillemets et en y juxtaposant ce qui explicite leur signification pertinente. Homogénéiser le mode d‟application de chaque procédé de traduction ;

- Sans méthode régulière - Méthode inappropriée

Penser la mise en œuvre de la stratégie sur le texte dans son intégralité.

Tableau 4: Grille des facteurs qui entrent en ligne de compte dans l'analyse discursive du sens et dans la prise de décision de l'explicitation

212

Partie I : Chapitre III : Vers une conception générale de l’explicitation

 Application de notre conception sur l‟exemple nº 1 À la lumière de tout ce que nous avons exposé jusqu‟ici, voici la traduction que nous proposons pour l‟exemple nº 1 qui illustre notre conception globale de l‟explicitation. Celui qui, telle la Belle au ٬ُٖ‫ ٭ٺى ؤٿ ؤؽلاً ٽب ٱل ځبٻ ٱجٸ اٹ‬Si quelqu‟un s‟était endormi avant l‟été

bois dormant, se serait endormi avant l'été pour se réveiller et lire ces lignes aujourd'hui croirait sans doute avoir affaire une fois de plus à ces habituels fâcheux d'Attac ou bien de L'Humanité [...]

" ‫ ٵپب يف ٱٖخ‬،)‫ (ؽلوس األىٽخ اظتبٹُخ‬financier), comme ce qui s‟est ً‫ٺ‬٥ ‫ اٹُىٻ‬٠‫ ٹَُزُٲ‬،"‫بثخ اٹڂبئپخ‬٪‫ ؽَڂبء اٹ‬passé dans le conte « la Belle au

(juste

avant

le

krach

d‟ores et déjà anticiper qu‟un sonnant « Il faut que ça pète ! » donnera bientôt son titre à un prochain éditorial d‟un Favilla déchaîné.

،‫[ واٽزلاكاً عتنڃ اٹزىعّهبد اضتبٹُخ‬...] quotidien communiste « l‟Humanité). [...] Prolongeant ces ً‫ڂىاځبً ٕبهفب‬٥ ّ‫نتٶڂڂب ٽڂن اِٿ اٹزڂجّىء ثإٿ‬

bois dormant », pour se réveiller et

‫ ٱواءح څنڃ اٹزٖولتبد ظتڀ ٵبځىا ؤځٖبه‬lire ces déclarations de ceux qui ‫ڀّ ؤځڄ ؤٽبٻ بؽلي‬١ ‫ ٭ٺومبب‬،‫ اٹٺُرباٹُخ‬étaient partisans du libéralisme, il "‫ُخ "ؤربٳ‬٦‫هىكح ألځٖبه رت‬٦‫ اظتٲبالد اظت‬se croirait sans doute face à l‟un des

habituels articles des militants de

‫ىظتخ اٹٺُرباٹُخ ؤو ٹٖؾٮٌُن ٽڀ‬٦‫خ ٹٺ‬ٚ‫ اظتڂبڅ‬l‟organisation « Attac » qui Prolongeant les tendances s‟oppose à la mondialisation présentes, on peut donc ."‫ُخ "ٹىٽبځُزُڄ‬٥‫اصتوَلح اٹُىٽُخ اٹُْى‬

libérale ou des journalistes du

tendances actuelles, on pourrait dès

"[1] ٤ٙ‫ ”كتت ؤٿ َزٮغو اٹى‬٣‫ ٽڀ ځى‬maintenant prédire qu‟un titre ‫بً ثٲٺټ‬ٞ‫ ٍُزٖلّه ٱوَجبً ٽٲبالً ا٭ززبؽُبً ٍبف‬sonnant du style « il faut que ça

explose [1] » annoncera bientôt un

.ٰ‫ٺ‬ٞ‫ ٭ب٭ُال اظتڂ‬éditorial virulent sous la plume ٌ‫[ بّبهح بذل رتٺخ ٽڂَىثخ بذل اٹَُبه‬1]

‫ اٹنٌ َزپىن ٱُبٻ‬،‫اظتزْلك ؤوٹُٮُخ ثيوځَىځى‬ .‫بٻ اٹوؤشتبرل‬٢‫ل اٹڂ‬ٙ ‫اٹٮوځٌَُن ثضىهح‬

Décidément Blanche-Neige aurait du mal à reconnaître ses nains. Laurent Joffrin, qui il y a quelques mois encore aidait Bertrand Delanoë à pousser son cri d'amour pour le libéralisme et fustigeait la « gauche Bécassine (7) », celle qui n'a pas compris les bienfaits du marché, a visiblement mangé de la mauvaise pomme - en fait la même que Favilla.

ً‫ٺ‬٥ ‫ت‬٦ٖ‫ ٍُٶىٿ ٽڀ اٹ‬،‫ويف څنا اٹَُبٯ‬

(7) Laurent Joffrin, La Gauche Bécassine, Robert Laffont, Paris, 2007.

‫ وٵنٹٴ ؽبٷ ىٽُٺڄ‬،“‫ثُبٗ اٹضٺظ "اظتَپىٽخ‬

،‫خ‬٦‫ٺً ؤٱياٽهب اٹَج‬٥ ٫‫و‬٦‫"ثُبٗ اٹضٺظ" ؤٿ رز‬

،‫٭ٺٶټ ثلّٷ څاالء اٹٶزبة ؤٱالٽهټ وٽىاٱٮهټ‬

"‫٭هبٵټ ٽضالً هئٌُ ٕؾُٮخ "ٹُجًناٍُىٿ‬

‫خ‬٦ٚ‫ ٽڂن ث‬٤‫اٹَُبهَخ ٹىهاٿ عى٭واٿ اٹنٌ ك٭‬ ‫پلح ثبهٌَ االّزواٵٍ ثورواٿ‬٥ ‫ّهىه ٭ؾَت‬

‫ڀ‬٥ ً‫ال‬ٚ‫ ٭‬،‫الٿ ؽجڄ ٹٺُرباٹُخ‬٥‫كوالځىٌ بذل ب‬

‫وَٲخ‬ٝ ً‫ٺ‬٥ ‫ڂىاٿ (اٹَُبه‬٦‫بٕلاهڃ ٵزبثًب ث‬

‫ اٹَُبه اٹَبمط‬٫‫ثُٶبٌٍن) َڂزٲل ٭ُڄ ؼتبو‬ ،‫ٺً اٹَىٯ‬٥ ‫ االځٮزبػ‬٤‫ڀ ظتڂب٭‬ٞ‫اٹنٌ دل َزٮ‬

‫ټ ٽڀ رٮبؽخ‬ٚ‫٭ُجلو ؤٿ عى٭واٿ څنا ٱل ٱ‬ .‫اٹٶبرت ٭ب٭ُال‬

déchainée de Favilla. [1] En référence à une phrase attribuée à Olivier Besancenot, de l‟extrême gauche, qui espère que les Français se révolteront contre le régime capitaliste. Dans ce contexte, « Blanche Neige » aurait du mal à reconnaître ses sept nains, tellement ces éditorialistes ont changé leurs plumes et leurs positions. Voyons par exemple Laurent Joffrin, le chef du journal de gauche « Libération » qui, il y a, à peine, quelques mois, poussait le maire socialiste de Paris Bertrand Delanoë à déclarer sa flamme pour le libéralisme, et qui a publié un livre intitulé « la gauche Bécassine » où il fustigeait la gauche niaise et craintive, celle qui n‟a pas su comprendre les bienfaits de l‟ouverture au marché, ce même Joffrin a apparemment croqué dans la « pomme empoisonnée » de Blanche Neige, tout comme son confère Favilla.

Partie I : Chapitre III : Vers une conception générale de l’explicitation

213

Avant de prendre les décisions d‟explicitations soulignées dans cet exemple, nous avons analysé au préalable le contexte discursif dans lequel s‟insère ce passage et la situation globale d traduction dans laquelle s‟inscrit toute la traduction de ce numéro du MD. Rappelons que ce passage figure en début de l‟article en question140 où les indices contextuels sont rares. Cependant, dans le projet d‟écriture de F. Lardon, il y a une volonté délibérée de faire la part belle à l‟implicite. Ce texte prévoit un Lecteur Modèle attentif, coopératif, et qui possède déjà dans son bagage cognitif les informations contextuelles nécessaires pour identifier les références culturelles et reconnaître les noms propres cités. De notre côté, après une lecture de tout le texte, nous avons pu estimer les informations apportées par le contexte cognitif que le lecteur aurait déjà intégrées avant d‟arriver à ce passage et celles qui seront fournies progressivement au fur et à mesure qu‟il lira tout l‟article. Encore faut-il savoir à qui s‟adresse cette traduction pour estimer le bagage cognitif commun des lecteurs visés et quel est le skopos de cette action traductionnelle afin de doser correctement l‟explicitation fournie. L‟analyse de la situation de la traduction nous révèle que les lecteurs potentiels de cette traduction sont, en plus des abonnés à l'édition en ligne dont on ne peut cerner précisément le nombre et le profil sociolinguistique, les lecteurs arabes des pays du Golfe, dont les Yéménites qui viennent de découvrir le supplément gratuit du MD avec le quotidien Alsiyyassia, les lecteurs égyptiens, palestiniens, etc. quant à l‟objectif plus ou moins déclaré de ce projet, nous partons du principe que cette traduction vise à faire connaître, en plus du style journalistique à la française, le point de vue de ce journal sur les sujets d‟actualité européenne et mondiale, en l‟occurrence cette crise dont les répercussions frappent le monde de la finance. Les pays arabes ne sont pas à l'abri de tels séismes. Sur la base de cette analyse globale, nous avons émis des hypothèses sur les connaissances présumées partagés de ce vaste lectorat concernant toutes les références culturelles faisant partie de l‟implicite notionnel. À part les contes « Blanche-Neige » et « la Belle au bois dormant », nous supposons que les autres références implicites sont inconnues du lectorat ciblé. Par ailleurs, les lecteurs arabes ne connaissent ces contes que par les adaptations de Walt Disney traduites en arabe sous plusieurs noms, en adaptant souvent les noms des personnages impliqués. Âgés généralement entre 24 ans et 50 ans, ces lecteurs ne connaissent pas tous les détails de ces contes pour enfants. Nous supposons qu‟ils les ont découverts accidentellement alors que les enfants à la maison les regardaient à la télévision, notamment depuis la multiplication des chaines satellitaires dédiées aux enfants depuis 2005. Il s‟agit donc de connaissances passives que l‟on cherchera à exploiter et à faire remonter de leur mémoire. Nous supposons également que ces lecteurs sont prêts à coopérer interprétativement. Cela n‟empêche que nous allons chercher à leur présenter une version lisible (sans trop de notes de fin d‟article) et intelligible (sans trop d‟efforts interprétatifs) afin de leur donner une expérience agréable de cette lecture, surtout pour les nouveaux venus. Concernant les normes en vigueur, 140

Pour l‟intitulé et la mise en contexte, voir l‟Introduction Générale.

Partie I : Chapitre III : Vers une conception générale de l’explicitation

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elles sont souvent difficiles à définir avec précision, mais l‟on émettra également quelques hypothèses sur les plus dominantes. Il s‟agit d‟abord de la localisation des notes de traducteur qu‟il faut mettre en fin d‟article et non en bas de page. Cela semble être une norme générale dans les traductions du MD, notamment après 2005. Avant cette date, la norme semblait exclure tout emploi de notes, puisqu‟elles sont quasi inexistantes. Les lecteurs arabes des pays du Golfe sont plus exigeants sur la qualité de l‟expression de l‟arabe et s‟accommodent mal des emprunts qui ne sont pas vraiment essentiels. Ce genre d‟ « intrus » ne met pas en valeur la beauté stylistique de l‟arabe. Et s‟il fallait emprunter des termes, ce sera à partir de l‟anglais pour ce public de lecteurs issus du polysystème « Moyen-Oriental et anglo-saxon » et non du français comme l‟aurait préféré le lectorat libanais ou maghrébin appartenant à un autre polysystème plutôt « Occidental et francophone». Et s‟il fallait vraiment recourir à des termes dialectaux, en cas de vide lexical au niveau de l‟arabe littéraire, il serait plus judicieux d‟emprunter aux dialectes égyptien ou libanais qui sont les plus connus au niveau des autres pays arabes, grâce aux émissions de télévision dans lesquels on les entend souvent. À partir de cette analyse et de ces suppositions, nous avons pris les décisions d‟explicitations suivantes : Tout d‟abord, nous avons adopté une stratégie d‟écriture du premier énoncé basée sur la mise en parallèle entre les évènements relatés dans les deux contes et les critiques adressées par l‟auteur concernant le retournement de la situation au niveau des prises de positions des éditorialistes. Ainsi, notre phrase commence par « admettons que » afin de mettre le lecteur dans ce contexte comparatif. Au lieu de traduire le syntagme « avant l‟été » par « avant la saison de l‟été » comme l‟a fait le traducteur de ce MD, nous l‟avons rendu par « avant l‟été (l‟avènement du krach financier) ». Ce qui importe ici, n‟est pas d‟introduire un écart d’explicitness montrant qu‟il s‟agit d‟une saison de l‟année, mais plutôt d‟ajouter une information contextuelle précisant ce qui s‟est passe avant cet été. Cette information est déductible du contexte pour ceux qui ont lu les anciens numéros du MD. Cependant, nous ne supposons pas que tous les lecteurs arabes soient censés lire régulièrement tous les numéros anciens pas plus que tous les articles du même numéro. Nous ne pouvons pas trop tabler sur ce réseau intertextuel, car nous n‟avons pas la certitude qu‟il s‟agisse de lecteurs réguliers et motivés et non de lecteurs occasionnels. Nous supposons également que le nombre d‟abonnés (lecteurs réguliers) reste largement inférieur au nombre de lecteurs potentiels de la version papier gratuite. C‟est la raison pour laquelle nous n‟avons pas voulu prendre ce risque, notamment lorsqu‟il s‟agit d‟un élément de contextualisation décisif pour la compréhension de tout le passage. En traduisant le syntagme « lire ces lignes », nous avons décidé d‟augmenter la partie explicite en écrivant « lire les déclarations de ceux qui étaient partisans du libéralisme » afin de révéler un implicite conceptuel faisant allusion aux déclarations précédentes de Favilla et Nicolas Baverez. Un lecteur attentif pourrait inférer ce sens implicite, mais, en voulant réduire le coût interprétatif et rendre plus intelligible cet énoncé, nous avons cru bon d‟éliminer d‟emblée tout risque d‟ambiguïté. Cette explicitation intégrée discrètement dans le texte, sans guillemets, ni parenthèses, nous dispensera de procéder à d‟autres explicitations similaires, car l‟auteur va

Partie I : Chapitre III : Vers une conception générale de l’explicitation

215

encore enchaîner ces critiques de la même manière à l'encontre de plusieurs éditorialistes et experts économiques qui ont changé leur fusil d‟épaule après la crise. Nous avons adopté les explicitations du traducteur de ce MD concernant « Attac » et « l‟Humanité » parce qu‟elles sont pertinentes et concises. Concernant l‟allusion dans la phrase « il faut que ca pète » qui a échappé, semble-t-il, au traducteur, nous avons décidé de l‟expliciter par une note de fin d‟article à laquelle pourrait se référer les lecteurs qui sentent qu‟il y a « anguille sous roche », en désignant cette phrase en particulier comme titre du prochain éditorial qui promet d‟être particulièrement virulent. Cette explicitation de l‟allusion renforce la cohésion notamment en ce qui concerne la comparaison implicite entre les idées communistes et la nouvelle position de Favilla, pourtant de tendance libérale. Nous avons révélé dans cette note les informations pertinentes en rapport direct avec le contexte, sans faire de digressions superflues sur le personnage de Besancenot et ses idées marxistes, etc. Une telle explicitation sera utile aux lecteurs réguliers du MD car le nom de Besancenot fait souvent l‟objet d‟allusion de ce genre, ce qui enrichira désormais le bagage cognitif des lecteurs du MD. Concernant le sens implicite, notionnel et conceptuel, dans la phrase « Blanche-Neige aurait du mal à reconnaître ses nains », nous avons décidé de mettre le nom du conte entre guillemets, une sorte de clin d‟œil à nos lecteurs pour leur dire qu‟il s‟agit d‟un nom de conte dont vous avez dû sans doute entendre parler. Après une recherche des différentes traductions en arabe de ce conte, nous avons vu que la traduction la plus célèbre et la plus diffusée aux chaînes arabes porte le nom que nous avons employé. Selon le mode de l‟évocation, nous avons ajouté le mot « sept » pour préciser le nombre des nains dans ce conte, ce qui permet de rafraîchir le mémoire du lecteur et surtout de le préparer au fait que les critiques ne s‟arrêtent pas au niveau de Favilla et Joffrin, car il y a d‟autres « nains » à qui l‟auteur réglera leur compte. L‟ajout du syntagme « tellement ces éditorialistes ont changé leurs plumes et leurs positions » que l‟on aurait pu aussi traduire par « retourner leur veste » vise à révéler l‟implicite conceptuel que le lecteur aurait dû inférer à partir de cette allusion. Si nous étions sûr que les lecteurs arabes connaissaient parfaitement l‟épisode où Blanche-Neige se réveillait et devinait les surnoms de chacun des nains à partir de leurs traits de caractère, nous nous serions passé de cette explicitation. Cela ne doit pas laisser entendre que nous ne faisons pas confiance à l'intelligence du lecteur. Il s‟agit seulement d‟éviter un risque réel d‟ambiguïté, sans exiger trop de « processing effort » du lecteur. Concernant les notes du traducteur sur Joffrin et Delanoë, nous avons décidé de les abréger, en supprimant les traits non pertinents pour la compréhension de l‟énoncé, et de les intégrer directement dans le texte afin d‟éviter au lecteur un aller-retour à la fin de l‟article pour comprendre de qui il s‟agit. Les traits pertinents que nous avons retenus et ajoutés dans la nouvelle partie explicite se limitent à décrire la fonction de ces deux personnages. En considérant le texte entier comme une seule unité de traduction, nous avons décidé d‟utiliser la note dans le texte original concernant la « gauche Bécassine » et l‟introduire directement dans le texte pour préciser au lecteur de quoi il s‟agit, en l‟occurrence un livre publié par Joffrin.

Partie I : Chapitre III : Vers une conception générale de l’explicitation

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Confronté au sens implicite de l‟emploi antonomasique de l‟héroïne des bandes dessinées « Bécassine », nous avons décidé de conserver, à titre exceptionnel, le nom de Bécassine et d‟en interpréter le sens pertinent dans ce contexte. C‟est ainsi que nous avons rendu le titre de l‟ouvrage entre guillemets par «la gauche à la manière de Bécassine », dont nous avons explicité ensuite le sens pertinent en écrivant « où il fustigeait la gauche niaise et craintive ». Dans un autre contexte, nous aurions préféré ne pas conserver le nom de Bécassine car cette vieille bande dessinée n‟est pas du tout connue des lecteurs arabes et cela ne leur servira pas à grand-chose de la connaître. Mais comme il s‟agit ici d‟un intitulé de livre censé être percutant et attirant, nous avons décidé de le garder. Le lecteur se demandera tout de suite « c‟est quoi une gauche à la Bécassine ». La réponse ne tardera pas car nous lui avons révélé les traits de caractères pertinents de ce personnage niais et craintif. Nous avons insisté en expliquant que la gauche avait toujours tellement peur d‟accepter le mode de gestion économique libérale. Mais par malchance, le jour où il a décidé de vaincre ses craintes, le système s‟écroule causant tout ce désarroi tant à gauche qu‟à droite. Nous avons adopté l‟explicitation du traducteur « les bienfaits de l‟ouverture au marché », car elle renforce la cohésion et évite un risque éventuel d‟ambiguïté pour ceux qui ne savent pas exactement à qui renvoie le libéralisme financier. Il en va de même pour la substitution explicitante « la pomme empoisonnée » que nous avons gardée en la rendant encore plus précise par l‟ajout du nom de l‟héroïne en question qui s‟est fait piégée par cette pomme. Il s‟agit d‟une sorte de clin d‟œil au conte et de remise en valeur de toute l‟analogie entre ces deux contes et les conséquences de la crise financières. Tous ces choix traductifs restent tributaires de nos estimations du lectorat, de la visée traductive, de notre compréhension du sens, de notre conception de la tâche du traducteur et de bien d‟autres facteurs. Ils peuvent être contestés par d‟autres traducteurs, qui feraient des estimations différentes, comme ils peuvent être validés et acceptés par d‟autres. Dans tous les cas, chaque traducteur doit pouvoir justifier ses choix et en défendre le bien-fondé. La seule norme à laquelle nous tentons de nous plier est de réaliser, du mieux que nous pouvons faire, une équivalence de sens et d‟effet entre le texte de l‟auteur lu par les lecteurs natifs et notre texte lu par les lecteurs arabes. En fonction de cette conception globale de l‟explicitation, sur la base de cette grille d‟analyse, et à l'instar de cet exemple, nous allons maintenant aller plus loin dans l‟étude de cette stratégie, à l'aide de notre corpus, pour déterminer plus précisément les différentes motivations de l‟explicitation dans le chapitre IV et les techniques d‟explicitation et leur mise en œuvre dans le texte traduit dans le chapitre V.

Partie II : Les motivations et les techniques de l’explicitation : analyse du corpus du MD 2001-2011

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DEUXIEME PARTIE LES MOTIVATIONS ET LES TECHNIQUES DE L‟EXPLICITATION : ANALYSE DU CORPUS DU MD 2001-2011

Partie II : Les motivations et les techniques de l’explicitation : analyse du corpus du MD 2001-2011

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Avant-propos Cette deuxième partie est entièrement consacrée à l'analyse de notre corpus du MD. Elle vise à apporter, exemples principaux et secondaires à l'appui, des éléments de réponse à ces questions principales : -

Pourquoi les traducteurs arabes du MD avaient jugé utile, voire nécessaire de recourir à l‟explicitation ? Quels sont les « éléments problématiques » ayant nécessité leur intervention ? Comment ont-ils procédé pour expliciter ces éléments ? Quelles tendances se dessinent à travers l‟analyse de la fréquence d‟emploi de certaines techniques d‟explicitation sur toute la période étudiée ? Est-ce que les explicitations fournies ont toujours été pertinentes ? Autrement dit, ontelles vraiment permis aux lecteurs arabes de saisir le vouloir dire pertinent des énoncés dans lesquels elles ont été pratiquées.

En nous fondant sur notre outillage élaboré dans la première partie, nous allons tenter de dégager l‟ensemble des problématiques et des techniques d‟explicitation et de décrire la mise en œuvre de cette stratégie tout au long du corpus. Nous allons d‟abord voir dans le chapitre IV les deux risques principaux que les traducteurs tentent d‟éluder par le biais de cette stratégie et les cinq grandes problématiques qui suscitent et justifient le recours à l'explicitation. Chacune de ces cinq problématiques englobe des dizaines de cas de figure et d‟éléments problématiques, reflétant le large spectre d‟application de cette stratégie. Dans le chapitre V, nous allons déterminer les six techniques principales d‟explicitation qui se subdivisent en 15 procédés secondaires. Grâce à cette palette, les traducteurs du MD ont diversifié les moyens d‟introduire les explicitations dans le texte ou dans le paratexte selon leur propre estimation du besoin discursif et de la nature du supplément fourni. A l'aide de cette typologie, nous avons pu classer tous les exemples d‟explicitations relevés dans le corpus du MD et réaliser des statistiques et des graphiques illustrant la fréquence et l‟évolution de l‟emploi de chaque technique de 2001 à 2011. Cette investigation faite, nous allons déterminer enfin cinq maximes traductionnelles qui nous permettent d‟évaluer, aussi objectivement que possible, la pertinence des explicitations fournies et la rigueur dans la mise en œuvre de cette stratégie. Nous espérons ainsi pouvoir tirer des enseignements importants de ces dix années de traduction du MD pour mieux réaliser d‟autres projets de traduction de grande envergure dans le Monde Arabe, qui ne tarderont à voir le jour, une fois la tempête passée.

Partie II : Chapitre IV : Les motivations des explicitations dans le corpus du MD 2001-2011

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CHAPITRE IV Les motivations des explicitations dans le corps du MD 2001-2011

Partie II : Chapitre IV : Les motivations des explicitations dans le corpus du MD 2001-2011

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Préambule À la lumière de notre conception générale de l‟explicitation, et en mettant à profit les recherches précédentes en matière de motivations de l‟explicitation, nous allons analyser, dans ce chapitre, les différentes motivations relevées dans notre corpus du MD. Composé d‟environ 5000 exemples d‟explicitations en contexte qui ont été recueillis sur une période de dix ans, traduits par environ une centaine de traducteurs depuis 2001, dans des conditions variées au niveau des normes, du lectorat, du mode de distribution, ce corpus peut prétendre à la représentativité du phénomène de l‟explicitation en traduction des textes pragmatiques, notamment journalistiques vers l‟arabe. Les analyses effectuées et les conclusions tirées demeurent néanmoins limitées à ce cadre-là. Après avoir défini ce que nous entendons par explicitation dans le présent travail, nous allons décortiquer la question spécifique des motivations à travers l‟analyse étayée des risques d‟incompréhension ou d‟ambiguïté du texte traduit qui pourraient fausser ou entraver la compréhension de lecteurs du produit final. Nous considérons ces risques comme la principale motivation de toute décision d‟explicitation, qu‟elle soit bonne et appropriée - et nous parlerons dans ce cas d‟ « une explicitation pertinente » - ou moins bonne - et il s‟agira alors d‟« une tentative d‟explicitation ». Il ne s‟agit pas de porter un jugement de valeur subjectif sur les décisions prises, mais d‟analyser leur adéquation au besoin communicatif et leur capacité à éliminer ces risques éventuels d‟incompréhension ou d‟ambiguïté qui guettent toute traduction. Nous postulons que ces risques découlent généralement de l‟inefficacité de la seule traduction directe et de l‟absence de démarche interprétative axée sur le sens pertinent actualisé en contexte. Nous postulons aussi que l‟émergence de ces risques est étroitement liée aux différents problèmes de traduction auxquels ont été confrontés les traducteurs du MD. Pour traiter convenablement les risques, il faut d‟abord cerner le mécanisme de production des problèmes qui en sont l‟origine. Dans une approche à la fois interprétative et étiologique, nous avons décidé de regrouper tous les problèmes générateurs des risques interprétatifs sous cinq problématiques principales, lesquelles correspondent aux motivations essentielles de l‟explicitation dans le MD : -

la problématique des lacunes culturelles, la problématique de la métaphorisation du langage, la problématique des allusions et des connotations, la problématique des constructions elliptiques, la problématique de volatilité des désignations linguistiques en langue cible.

Chaque problématique englobe elle-même plusieurs problèmes spécifiques que nous étudierons à l'aide de quelques exemples principaux, appuyés et étayés ensuite par de nombreux exemples secondaires.

Partie II : Chapitre IV : Les motivations des explicitations dans le corpus du MD 2001-2011

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Pour mieux cerner les aspects théoriques et pratiques de ces cinq motivations générales, nous allons nous baser sur les principes fondamentaux que nous avons développés dans le chapitre III, à savoir : le principe d‟économie du langage provoquant les ellipses ; le principe de la synecdoque et de la pertinence occasionnant l‟enfouissement de certains contenus dans la partie implicite et engendrant le changement du paradigme de désignation de la partie explicite ; le principe de la coopération interprétative et de l‟inférence supposant la récupération, par les lecteurs attentifs, des informations tues exprès, et donc la déduction du vouloir dire du texte ; le principe de la prise de décision de l‟explicitation en fonction d‟une analyse double : l‟analyse discursive de l‟élément en question dans le texte entier et l‟analyse situationnelle du projet de traduction et de son inscription dans le cadre « polysystémique » de réception. À la fin de ce chapitre, pour donner une vue panoramique sur la place et l‟importance qu‟occupe chacune de ces problématiques au sein de notre corpus du MD 2001-2011, nous allons exposer des données chiffrées141: nombre total d‟exemples d‟explicitations appartenant à chaque catégorie durant la décennie écoulée, répartition de ces exemples par année, courbe graphique montrant la tendance générale observée et évolution de la pratique réelle de l‟explicitation durant toute la période, et ce pour chacune des cinq problématiques générales. Ainsi, nous disposerons d‟une analyse quantitative donnant une vue d‟ensemble sur le phénomène de l‟explicitation dans ce corpus de 5013 exemples. Pour retracer l‟évolution de la mise en œuvre de cette stratégie et comprendre ses variations temporelles et contextuelles, nous allons nous baser sur l‟analyse des facteurs externes inhérents au skopos de la traduction, à l'étendue du lectorat, aux normes et conditions de traduction, etc., que nous avons dégagés et étudiés à la fin du chapitre III. Cette mise en perspective accompagnera l‟analyse discursive menée tout au long de ce chapitre impliquant une centaine d‟exemples d‟explicitations étudiés au cas par cas.

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La méthode de collecte et de dépouillement des données de notre corpus a été présentée dans l‟introduction générale de la thèse et elle sera rappelée et étayée à la fin de ce chapitre. Il importe de savoir ici que ces 5013 exemples en contexte ont été catégorisés selon les cinq problématiques générales. De l‟ensemble de ce corpus, nous avons choisi, comme nous venons de l‟évoquer, une soixantaine d‟exemples principaux, corroborés par quelques centaine d‟exemples secondaires démontrant les différents cas de figure au sein de chaque catégorie. Néanmoins, pour tirer le meilleur parti de toutes les données du corpus que nous avons compilées pendant cinq ans de recherche et de lecture, nous avons fait cette étude statistique basée sur un simple comptage manuel du nombre d‟exemples classés sous chaque catégorie. Il ne s‟agit donc pas d‟une approche empirique quantitative à proprement parler, c'està-dire effectuée directement à partir des textes traduits, par le biais de logiciel ou de procédés informatisés conçus spécialement à cet effet. Il s‟agit simplement d‟une vision globale sur les exemples existants déjà dans notre corpus, relevés à partir d‟une analyse comparative et discursive des textes traduits et des textes source.

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1. Les risques d‟ambiguïté et d‟incompréhension : gérer ou subir 1.1. De l‟ambiguïté à l'incompréhension : l'hypothétique et l‟hermétique S‟inscrivant dans une approche résolument interprétative axée sur la phase de la réexpression du sens, notre analyse se focalise sur le côté problématique et la portée sémantique de tous les éléments discursifs ayant suscité une explicitation. L‟étude de leurs significations ou correspondances linguistiques en langue cible n‟est pas une fin en soi ; elle représente uniquement une partie de l‟argumentation que nous avançons pour démontrer la nécessité et la pertinence du recours à l'explicitation si l‟on veut produire un texte pleinement intelligible et correspondant au vouloir dire du texte source. En effet, il arrive qu‟un énoncé ou un texte puisse être traduit littéralement et correctement du point de vue linguistique, mais c‟est le sens pertinent « what is meant » qui risque d‟être difficile à inférer, faute d‟analyse suffisante de l‟ancrage discursif de ces éléments. En sa qualité de médiateur linguistique et culturel, d‟expert en communication interculturelle, de preneur de décision, de rédacteur, le traducteur doit s‟atteler à la tâche de prévoir la réaction du lecteur, de l‟anticiper, d‟évaluer le degré d‟intelligibilité de sa traduction. En fonction de cette étude prospective, le traducteur met en œuvre les mesures adéquates pour éliminer ou limiter les risques liés à l'interprétation du sens pertinent de tout l‟énoncé contenant un ou plusieurs éléments problématiques. Comme nous l‟avons évoqué à plusieurs reprises, nous distinguons, grosso modo, deux types de risques : un risque d‟incompréhension où le sens devient hermétique et un risque d‟ambiguïté où le sens devient hypothétique142. Par risque d‟incompréhension, nous entendons un échec total de l‟inférence du sens ou une rupture de la chaîne interprétative compromettant l‟appréhension du sens de l‟énoncé, voire du passage entier, notamment lorsqu‟il s‟agit d‟une « unité de sens » charnière, d‟une pièce principale du « puzzle », ou pour filer la métaphore, d‟une pierre angulaire de la construction du sens du texte. Nous mettons sur le compte de l‟incompréhension, les cas de non-sens et ceux de contre-sens.

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Vu le caractère éminemment complexe des productions langagières qui résistent à toute catégorisation stricte et parfaitement cloisonnée, il va sans dire qu‟il existe certaines zones de recoupement entre ces deux catégories. Néanmoins, cette conception binaire nous aide à mieux évaluer la nécessité du recours à l'explicitation ainsi que la pertinence de l‟explicitation fournie. En effet, chaque situation implique un traitement traductif différent dans la mesure où la marge de manœuvre dont dispose le traducteur varie selon les cas. Un risque avéré d‟incompréhension requiert une intervention quasi obligatoire et immédiate. Un risque modéré d‟ambiguïté suscite diverses réactions de la part des traducteurs qui dépendent de plusieurs facteurs, tels que leur estimation générale du lectorat auquel s‟adresse la traduction, leur coopération interprétative, la pertinence de l‟élément problématique pour la compréhension du sens de l‟énoncé, etc. Tous ces facteurs ont été étudiés dans le chapitre III et nous y reviendrons dès que l‟occasion se présentera tout au long de l‟analyse discursive de nos exemples.

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Dans le premier cas, le lecteur ne comprend pas l‟idée voulue ou n‟identifie pas l‟objet ou le concept désigné. La chaîne interprétative s‟interrompt net. Le lecteur reprend la lecture sans avoir bien assimilé l‟idée précédente, en espérant que les choses vont s‟éclaircir par la suite. Sinon, les zones d‟ombres s‟accumulent et rendent la lecture désagréable et la compréhension difficile. Dans le deuxième cas, le lecteur fait fausse route en s‟écartant du bon parcours interprétatif prévu par le texte source. Ce fourvoiement résulte souvent d‟une mauvaise indication fournie par le traducteur qui perturbe le lecteur ou le détourne de l‟objet principal au lieu de le guider, mais il peut également survenir sous l‟effet d‟une mauvaise association d‟idées induite par des interférences sociolinguistiques avec la langue-culture cible que le traducteur n‟a pas su anticiper et éviter. L‟apport des compléments cognitifs savamment dosés au besoin communicatif ressenti permet d‟évincer ce risque, ou du moins, de le gérer efficacement. Par risque d‟ambiguïté, nous entendons la production d‟une expression vague donnant l‟impression que quelque chose échappe au lecteur ou qu‟un sens caché se dissimule derrière l‟originalité de cette formulation qui est pour le moins intrigante. Le processus interprétatif avance par à-coups, sans pour autant s‟interrompre complètement. Le lecteur tend souvent à marquer une courte pause de réflexion ou à effectuer des retours en arrière sur le texte, à la recherche d‟indices supplémentaires validant ou infirmant ses hypothèses de sens. Ces écueils interprétatifs font que l‟inférence du sens ne se déroule pas dans les conditions optimales prévues par le « principe de la pertinence ». Aussi, le texte manque-t-il de clarté et la lecture de fluidité. Les situations d‟ambiguïté génèrent souvent un manque de cohésion phrastique, pouvant créer un manque de cohérence affectant toute une séquence textuelle. Cependant, il existe deux types d‟ambiguïtés, selon Landheer (1989 : 35), qui différent par le traitement que le traducteur doit leur réserver : l‟ambiguïté non intentionnelle, c'est-à-dire involontaire et l‟ambiguïté intentionnelle, voulue par l‟auteur. Margot va dans le même sens, lorsqu‟il distingue, lui-aussi, deux sortes d‟ambiguïtés : la première réelle, voulue par l‟auteur, qui doit garder ce caractère en traduction, et la deuxième non-voulue, pour laquelle il est possible de trouver un sens satisfaisant (Margot 1979 : 150). La stratégie de l‟explicitation diffère donc selon le type d‟ambiguïté en question. Lorsqu‟un auteur souhaite formuler un message de manière délibérément équivoque, nous avons affaire à une ambiguïté intentionnelle, laquelle présente alors une valeur communicative. Elle est soit inscrite de façon visible dans le texte, soit de façon allusive (Ballard 1990 : 160). Landheer interdit au traducteur de désambiguïser ces énoncés ; il lui demande même de s‟efforcer de restituer l‟ambiguïté du texte-source en préservant le « potentiel d‟ambiguïté », c'est-à-dire la traduire sans dévoiler la dissimulation volontaire. En revanche, lorsqu‟il y a ambiguïté non intentionnelle, fortuite, on identifie ce que l‟émetteur a voulu dire, grâce à la situation de communication. Cette ambiguïté résulte souvent de certaines structures linguistiques laconiques ou complexes pouvant prêter à confusion. Elle est souvent

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d‟ordre discursif, lorsqu‟elle se produit au niveau sémantique ou syntaxique, et que la compréhension achoppe sur des déictiques, des anaphores, ou sur les coordinateurs des phrases complexes. Mais elle peut être aussi d‟ordre extralinguistique lorsqu‟elle est allusive, c'est-à-dire qu‟elle comporte des notions culturelles, présumées connues des lecteurs natifs, donc tues. Ce sont des ambiguïtés accidentelles dues au changement d‟environnement socio-culturel et de lectorat. Le traducteur intervient souvent par l‟explicitation de telles situations d‟ambiguïté, en complétant les formules abrégées, en reformulant plus clairement les tournures compliquées et en apportant les compléments contextuels nécessaires à l‟élucidation du sens. En d‟autres termes, « le traducteur aura soin de désambiguïser, dans la mesure du possible, les ambiguïtés non intentionnelles, car elles ne doivent jamais être traduites en tant que telles » (Landheer 1989 : 35). Notre intérêt s‟est porté sur ces derniers cas.

1.2. La gestion des risques Nous avons vu que l‟acte de traduction en général et la décision d‟explicitation en particulier comportent tout naturellement des risques, que ce soit au niveau de la perte sémantique ou stylistique jugée « inévitable, mais tolérable », ou au niveau des estimations faites par le traducteur lors de l‟analyse du texte et du projet de traduction. S‟agissant de la perte sémantique ou stylistique, il revient au traducteur de déterminer, au cas par cas, le seuil à partir duquel cette entropie est insignifiante ou tolérable. S‟agissant des suppositions à l'égard de l‟étendue du lectorat, de leur bagage cognitif, de leur capacité interprétative, des normes en vigueur, du skopos recherché, cela fait partie des risques naturels du métier auxquels les traducteurs doivent faire face pour accomplir leur mission. Il est vrai que les consignes de traduction et les indications fournies par le demandeur ou l‟éditeur de la traduction peuvent limiter le degré d‟acuité de ces risques, mais en l‟absence de telles informations précieuses, la prise de risque devient une réalité qu‟il faut bien affronter, tout en cherchant à en maîtriser les incidences sur la qualité et l‟intelligibilité du texte traduit. En effet, dans le contexte actuel de la mondialisation et du développement des TIC (technologies de l‟information et de la communication) où la demande de traduction interculturelle est de plus en plus forte, et dans un système économique qui récompense les « bonnes » traductions143 et pénalise les mauvaises, les traducteurs ne seraient pas tentés de prendre des risques. Ils tendent à être comme le dit Pym (2005) des « risk-averse », et non des « risk-takers », c‟est ce que nous avons appelé le concept de « minimisation des risques » dans le chapitre 1. Pym explique la manière de gérer les risques en général lors de la traduction comme suit : « We see the analysis of risk dynamics and of risk-management as a crucial link, leading to the formulation of relations that have a stronger human causation (e.g. translators will tend to take risk X in the presence of reward structure Y) » (Pym 2005 : 29-34). Cette gestion dépend du degré de complexité des

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Il faudrait comprendre que ces jugements de valeur sont portés, non pas sur simple appréciation subjective, mais plutôt par rapport à l'adéquation des traductions effectuées aux skopos et au cahier des charges assignés dès le départ.

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textes traduits et des risques encourus : « Others [texts] are clearly high-risk. In these terms, good translating would be the art of investing low effort in solving low-risk problems, and high effort in solving high-risk problems. Bad translating would be the reverse, on both counts ». Et l‟auteur de préciser ensuite que « The use of explicitation would then be a way of handling those problems so as to manage the risks» (Ibid. : 6). L‟objectif étant « to avoid the risk of leaving the reader entirely in the dark. If we lost the reader, we would lose the possibility of cooperation » (Ibid. : 7). Pour Pym, l‟explicitation s‟avère une stratégie efficace pour gérer les différents risques afférant à la traduction transculturelle, aux conditions du travail du traducteur dans ce contexte économique, mais aussi pour mettre en application les quatre maximes conversationnelles de Grice (quantité, qualité, relation, manière) que nous avons déjà expliquées au chapitre 1 : « The elements are there: prudence, Gricean cooperation, relevance to a new reception situation, the ethics of service (subservience), damage control or remedy. For all of these things, we could say that translators have reasons to be risk-averse; or they are given to minimizing risks; or they do not want to take risks in their own name. This hypothetical risk aversion would then be our general explanation for explicitation (and for quite a few other behavioral patterns as well) » (Ibid. : 10). Rappelons-nous, à cet égard, que la tendance générale soulignée par les recherches empiriques sur l‟explicitation, examinées dans le chapitre II, révèle que les traducteurs sont plus enclins à expliciter qu‟à impliciter ou à traduire littéralement. Cette conclusion est démontrée par le relevé systématique de plusieurs « écarts d‟explicitations » et justifiée par ce principe de « minimisation des risques ». Nous allons voir si cette conclusion est valable dans le cas des traducteurs du MD.

1.3. L‟explicitation : compromis versus compromission Face au caractère imprécis des supputations faites par les traducteurs concernant les facteurs situationnels et face à l'existence d‟un risque réel de mauvaise interprétation compromettant l‟intelligibilité ou l‟acceptabilité des traductions de la part des lecteurs cibles, l‟explicitation s‟avère être un compromis remédiant aux éventuelles incidences fâcheuses sur la saisie du sens en cas de non traitement préventif de ces risques. Mieux vaut donc être explicite que de ne pas l‟être144. Ce principe de base est exprimé différemment dans les conclusions des chercheurs sur l‟explicitation : « When in doubt, be explicit ! » Becher (2011 : 75), « Play it safe » Klaudy (1993 : 71), « les traducteurs s‟accommodent mal du non-dit, de l‟ellipse, de l‟imprécision » (Delport 1989 : 47). 144

Ceci ne doit pas laisser entendre une « dérégulation » de l‟explicitation. Nous avons posé des principes clairs dans le chapitre III régulant le recours à cette stratégie afin de ne pas produire de la redondance inutile ni sombrer dans « l‟explication » ou « l‟exégèse » qui ne sont plus perçues comme étant des techniques d‟ « explicitation », ni même de traduction. Les gloses dépassant le besoin communicatif font partie des commentaires pédants de la traduction ou, comme le dit Berman, de « l‟étayage de la traduction », et non de la traduction à proprement parler. Nous y reviendrons tout au long de notre analyse des cas d‟explicitation.

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Envisagée de la sorte, l‟explicitation permet d‟éviter les confusions, les ambiguïtés nonintentionnelles, les non-sens, les contre-sens, comme elle peut servir à renforcer la cohésion et la cohérence textuelle, et donc à améliorer la fluidité et la lisibilité du texte traduit. Et comme l‟explique Becher, les éventuels risques de redondance restent beaucoup moins graves que ceux d‟une rupture communicative « communicative breakdown » (Becher 2011 : 62). C‟est plutôt le manque d‟explicitation, quand cela s‟avère nécessaire, qui risque de compromettre sérieusement le travail du traducteur. Avant d‟aller plus loin dans notre enquête sur les différentes motivations des explicitations et en guise d‟illustration de nos propos sur les risques interprétatifs, lisons cet exemple tiré du corpus général du MD.  Exemple nº 19 : le Grand Corps Malade (l‟incompréhension plus l‟ambiguïté !) Cet exemple est extrait d‟un article du MD septembre 2008, intitulé « Rap domestiqué, rap révolté », où l‟auteur évoque deux conceptions du rap, la première est une version domestiquée, pasteurisée, comportant des poètes dits « faux révoltés », à l'instar d‟Abd Al Malik et Fabien Marsault, aux revendications indolores. Ces rappeurs ou slameurs représentent ce que l‟on appelle la minorité visible dont s‟accommodent les élites médiatiques. La deuxième conception du rap, représentée par Ekoué, Hamé, etc., est la version « coup de gueule », l‟expression d‟une rage, la voix de ceux qui n‟en ont pas, celle qui dérange en mettant en cause par exemple les violences policières, comme l‟a faite le groupe « la Rumeur ». Cet article est riche d‟allusions et de comparaisons implicites et nous y reviendrons souvent dans nos exemples. Dans l‟énoncé suivant, l‟auteur explique que le rappeur Hamé ne veut pas faire partie de la mouvance édulcorée que prêche le slameur Fabien Marsaud, né en Seine-Saint-Denis. Voici la traduction qu‟ont pu lire les lecteurs arabes. Comme Ekoué, il ne veut pas verser ‫ څى ال َوَل‬،ٌ‫واه بَٶى‬٩ ً‫ٺ‬٥‫و‬ dans les prêches bénioui- oui de Grand Corps Malade, autre figure ‫ ؽىٷ اصتَټ‬٠٥‫ ثبظتىا‬ٛ‫اإل٭وا‬ de rédemption quasi christique,... ‫اظتوَ٘؛ ٕىهحٌ ؤفوي ٹٺزىثخ ّجڄ‬ (MD septembre 2008)

Comme Ekoué, il ne veut pas abuser des prêches autour du corps malade, autre figure de repentance quasi christique, ...

... ‫اظتَُؾُّخ‬

En dépit des majuscules, le traducteur n‟a pas repéré que « Grand Corps Malade » était un nom propre, en l‟occurrence le nom de scène du slameur Fabien Marsaud. En l‟absence d‟une traduction interprétative, que ce soit avec des explicitations ou avec des équivalences discursives libres145, cette formulation calquée servilement sur l‟original provoque une ambiguïté certaine,

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Nos commentaires d‟exemples d‟explicitation ne doivent pas être perçus comme étant un plaidoyer en faveur de l‟emploi systématique de la stratégie d‟explicitation au détriment des autres. Il existe certainement plusieurs autres options de traductions susceptibles de rendre le sens clair et intelligible. La stratégie d‟explicitation est certes l‟objet principal de cette étude, mais elle n‟en est pas son « fond de commerce ». Nous avons même stipulé que la présence d‟autres choix de traduction constitue un critère essentiel pour valider un écart de traduction comme étant « explicitation ». En outre, il n‟y a « explicitation » que s‟il y a une démarche interprétative. Les équivalences

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voire une perte considérable de sens. En effet, l‟expression arabe "‫ض‬ٚ‫( "انًٕاػظ زٕل اندغى انًش‬des prêches sur le corps malade) induit le lecteur en erreur, car celui-ci se fie aux acceptions premières des termes employés en déduisant qu‟il s‟agit peut-être de paroles qu‟on prononce pour consoler les gens malades. Par ailleurs, le traducteur arabe ne connaît visiblement pas la différence entre les concepts chrétiens de repentance et de rédemption. Bien que cet énoncé figure au milieu de l‟article, ce qui suppose que le contexte cognitif est déjà enrichi d‟indices contextuels pertinents, le lecteur arabe ne peut pas profiter pleinement des éléments fournis par le contexte parce que le traducteur a passé sous silence, de façon quasi systématique, la plupart des contenus implicites, ce qui prive le lecteur de nombreuses ressources informatives. Afin d‟éviter ces risques d‟incompréhension et d‟ambiguïté, nous aurions procédé à quelques brèves explicitations en produisant une traduction telle que celle-ci : Comme Ekoué, il ne veut pas verser dans les prêches bénioui- oui de Grand Corps Malade, autre figure de rédemption quasi christique (MD septembre 2008)

‫ ٭ٲل ؤىب االؽزناء‬،ٌ‫واه بَٶى‬٩ ً‫ٺ‬٥‫ و‬À l'instar d‟Ekoué, il se refuse à ‫اٹٶجًن‬

‫ثـ"اصتَل‬

‫اظتُٺٲّت‬

imiter Marsaud, alias « Grand

،"‫ ثـ"ٽبهٍى‬Corps Malade », autre figure ‫ب ٽب ٹٮٶوح‬٥‫ اٹىعڄ اِفو اجملَل ځى‬،"َ٘‫ اظتو‬incarnant en quelque sorte la rédepmtion

à

caractère

‫ڂبء‬٩ ‫ ٽڀ فالٷ‬،‫خ اظتَُؾُخ‬٪‫ اظتقٺٔ مٌ اٹٖج‬christique, et à chanter un rap .٤ِ‫ اٹوَّاة اظتُهبكِٿ واطتبځ‬lénifiant et soumis.

Nous n‟avons pas réexplicité Ekoué et Marsaud, car le co-texte en amont donnait les informations nécessaires à la compréhension ; nous avons explicité Grand Corps Malade par la juxtaposition du nom de Marsaud et du surnom. Nous avons restructuré le tout en rendant les prêches beni-ouioui146 par les deux adjectifs lénifiant et soumis, qui indiquent qu‟il ne s‟agit pas d‟un rap révolutionnaire par une paraphrase plus aisément compris du lecteur cible. Nous avons essayé de faire sens brièvement avec « autre figure de rédemption quasi christique ». L‟intérêt est précisément de démontrer qu‟on peut être fidèle au sens sans suivre la structure syntaxique de l‟original pas à pas, en recomposant l‟information.

interprétatives libres forment une vaste catégorie de solutions de traduction, dont nous avons taillé une part spécifique aux « explicitations » telles que nous les avons définies et discernées dans le chapitre III. 146 Il s‟agit d‟une expression algérienne composée du mot arabe béni « fils » et d‟un double « oui » signifiant l‟accord systématique à toute proposition faite par une autorité supérieure, qu‟elle soit parentale ou gouvernementale. Malheureusement, cette expression n‟est pas facilement comprise des lecteurs arabes du Moyen-Orient et des pays du Golfe qui, en 2008, commencent à lire ces traductions distribuées gratuitement en supplément des grands quotidiens de leurs pays. C‟est la raison pour laquelle nous l‟avons sacrifiée, même si l‟on perd une certaine connotation liée aux chants de certains rappeurs d‟origine maghrébine. Néanmoins, cette connotation relève plutôt de l‟exégèse du sens et de l‟intention du dire. Le lecteur ne manquera pas de s‟en apercevoir, par ses propres moyens, en lisant attentivement l‟ensemble du texte.

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1.4. L‟explicitation comme stratégie raisonnée de résolution de problèmes de traduction Comme nous l‟avons annoncé dans l‟introduction de ce chapitre, les risques énoncés ci-dessus se prêtent à l'analyse à travers l‟étude des problèmes de traduction, ceux-là étant la conséquence de ceux-ci. Et pour résoudre ces problèmes il conviendrait d‟adopter une stratégie raisonnée de traduction147 et de l‟appliquer avec méthode. Il faudrait cependant faire une distinction entre les « problèmes de traduction » générateurs de ces risques et les « difficultés de traduction ». Nord explique cette différence comme suit : « les problèmes de traductions sont de nature objective ou du moins intersubjective ; ils doivent être distingués des « difficultés de traduction », qui sont les difficultés subjectives qu‟un traducteur ou apprenti traducteur, rencontre lors du processus à cause d‟un manque de compétence linguistique, culturelle, traductionnelle, ou bien par manque de documentation appropriée. Les problèmes de traduction resteront toujours des problèmes, même lorsque le traducteur aura appris comment les résoudre rapidement et efficacement » (Nord 2008 : 80). Nous reprenons donc cette distinction et nous considérerons désormais que les « difficultés de traduction » sont plutôt des problèmes de « traducteur » et non des problèmes de « traduction », à proprement parler148. Ces derniers sont des problèmes ouverts (Mackenzie 1998 : 201-206), c'est-à-dire qu‟ils ne possèdent pas de solution prédéterminée, ce qui nécessite 147

Il existe un lien étroit entre le concept de « stratégie » et la notion de « problème de traduction » qui se manifeste clairement dans la plupart des définitions de « stratégie de traduction ». Celle-ci est considerée par Lörscher comme « a potentially conscious procedure for the solution of a problem which an individual is faced with when translating a text segment from one language to another » (Lörscher 1991 : 76). La présence d‟un problème est la raison d‟être de toute stratégie comme le confirme Chesterman: « If the goal is the end-point of a strategy, what is the starting point? The simple answer is: a problem. A strategy offers a solution to a problem, and is thus problem-centered […] The translation process too starts with problems (Chesterman 1997 : 89) . Dans la même lignée, Hurtado considère les stratégies de traduction comme « the procedures (conscious or unconscious, verbal or nonverbal) used by the translator to solve problems that emerge when carrying out the translation process with a particular objective in mind » (Hurtado 2002 : 508) . 148 Les problèmes de « traducteur » sont généralement liés au manque de compétence linguistique. Ils génèrent souvent des « erreurs de traduction » et surviennent généralement dans les traductions adoptant une stratégie littérale, calquée abusivement sur le texte d‟origine. Si la stratégie de traduction « directe » peut parfois s‟avérer adéquate, force est néanmoins de constater que certains traducteurs s‟y réfugient pour camoufler leur incompétence ou leurs carences encyclopédiques. Ils y adhèrent donc par paresse ou maladresse et non par conviction ultime de son bienfondé comme c‟était le cas pour les partisans des approches philosophiques ou culturelles. En revanche, les « problèmes de traduction » ont fait couler beaucoup d‟encre en traductologie, notamment ces dernières années. De manière générale, les auteurs constituent des corpus de traduction spécifiques pour mener des analyses étayées sur un problème particulier de traduction, comme la traduction de l‟allusion (Leppihalme 1995), des noms propres (Ballard 2001), de la connotation (Wecksteen 2005), des jeux de mots (Henry 2003), etc. Ils font appel à plusieurs approches ou concepts théoriques pour analyser leurs données et valider leurs conclusions. Néanmoins, il faudrait préciser que le manque de connaissances culturelles est un problème naturel commun à tous les traducteurs, ce qui en fait aussi, à notre avis, un « problème de traduction », dans la mesure où le traducteur devrait faire appel au traductologue pour apprendre comment gérer et combler ces lacunes encyclopédiques. La recherche traductologie accorde une importance particulière aux démarches à adopter pour effectuer, dans un premier temps, une recherche documentaire ciblée, nécessaire à la compréhension du texte source, et dans un deuxième temps, une exploitation optimale de ces compléments nécessaires à la bonne réexpression du sens compris.

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l‟application de stratégies créatives, comme l‟explicitation. Il n‟en demeure pas moins vrai qu‟il n‟est pas une approche de la traduction qui puisse apporter des solutions à tous les problèmes de traduction et il serait vain de l‟espérer. Toute approche traductive ne peut qu‟« offrir les principes et les stratégies nécessaires pour les aborder » (de Beaugrande 1978 : 14). La stratégie de l‟explicitation devient ainsi un acte réfléchi qui implique des options délibérées, des choix adaptés, face à des problèmes à résoudre, dont le but ultime est de transmettre pleinement le sens du texte source aux lecteurs cibles sans ambiguïté aucune. Contrairement aux stratégies d‟évitement soulignées par Faerch et Kasper (1983), qui cherchent à changer ou à réduire le message, d‟une manière ou d‟une autre, afin d‟éviter le problème, comme l‟omission ou parfois la traduction littérale, le traducteur qui adopte la stratégie de l‟explicitation, affronte le problème, l‟analyse et tente d‟y apporter la solution qu‟il juge appropriée. L‟explicitation présente ainsi un double intérêt traductologique : elle est à la fois indicatrice de ces problèmes et révélatrice des solutions prises. Comme l‟avait évoqué Toury dans son approche polysystémique, l‟explicitation nous révèle certains aspects des structures linguistiques et culturelles du texte traduit, en ce qu‟elle représente la trace objective des écueils résultant de la rencontre de deux langues-cultures et du changement de destinataires des textes.

1.5. Approche typologique des problèmes de traduction Les problèmes de traduction sollicitant un traitement par l‟explicitation sont très nombreux et proviennent de plusieurs sources. Lamy (2007 : 592) en éclaire une partie en écrivant : « [on] rencontre incessamment des facteurs d‟opacité, des éléments litigieux, des énoncés conflictuels ou contrefactuels, sinon des configurations de sens elliptiques ou purement suggestives qui requièrent un supplément d‟information ». Ces problèmes peuvent donc être d‟ordre linguistique, en rapport avec le « vide lexical » ou les « emplois métaphoriques » du langage ; d‟ordre textuel, comme certains liens logiques et implicites exprimés vaguement dans des énoncés provoquant une éventuelle ambiguïté ; d‟ordre culturel comme les référents culturels (noms propres ou noms communs) que le lecteur ne connait pas ; d‟ordre traductologique, comme les délais serrés ou d‟autres contraintes inhérentes aux conditions de traduction, qui réduisent la marge de manœuvre des traducteurs, etc. Pour mieux cerner ces problèmes dans une approche interprétative orientée vers la réexpression du sens et focalisée sur la fonction communicative de ces éléments problématiques en discours et non sur les éléments eux-mêmes, nous avons élaboré notre propre typologie des problèmes générateurs de risques d‟ambiguïté ou d‟incompréhension et suscitant la mise en œuvre de la stratégie de l‟explicitation. Elle s‟articule autour de ces cinq problématiques : les lacunes culturelles, la métaphorisation du langage, les allusions et connotations, les constructions elliptiques, la volatilité des désignations en langue cible. La première correspond au manque de compléments cognitifs et contextuels nécessaires à la compréhension de la « valeur dénotative » dont se chargent les référents présumés inconnus des lecteurs cible, la deuxième à l‟emploi de

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procédés tropiques dont le sens pertinent en discours ne s‟actualise pas aisément pour le lecteur cible, la troisième à l‟intertextualité (allusions et connotations), la quatrième à l'emploi d‟expressions elliptiques, condensées dont la compréhension requiert une attention particulière et d‟importants efforts interprétatifs, la cinquième au flou terminologique du côté de la langue cible par rapport à la désignation de certains référents ou certaines nuances du sens.

2. Les cinq motivations principales de l‟explicitation 2.1. La problématique des lacunes culturelles : dire brièvement ce que c‟est ! Il s‟agit souvent d‟un manque de connaissances culturelles extralinguistiques sur un nom propre de personne, de lieu, d‟ouvrage, d‟institution, etc., ou sur un concept culturel, politique, économique, juridique, artistique, etc. ; ou sur un fait historique, religieux, social, etc. De telles connaissances pertinentes font partie de la partie implicite du texte, étant donné que le Lecteur Modèle est censé en disposer déjà grâce à son bagage cognitif. Sous une approche fonctionnelle du langage, nous pouvons dire qu‟il s‟agit dans le présent cas d‟expliciter la fonction «référentielle», parfois aussi appelée « dénotative », de ces éléments dans le discours. Cette fonction correspond en fait à ce que nous avons appelé l‟« implicite notionnel ». Ces lacunes s‟expliquent par la distance culturelle puisque ces référents (noms, objets, concepts) ne sont pas connus du lecteur cible de la traduction et entravent donc le bon déroulement de l‟inférence du sens pertinent. Ce manque de connaissances engendre des risques d‟ambiguïté ou d‟incompréhension, notamment lorsque le contexte cognitif n‟apporte pas suffisamment d‟éclairage là-dessus. Dès lors, la tâche du traducteur consiste à fournir à son lecteur les suppléments susceptibles de combler ces lacunes et donc d‟assurer l‟intelligibilité du texte traduit, en choisissant la technique et la dose informative les plus adaptées à chaque cas. Voyons de plus près les problèmes spécifiques s‟inscrivant dans le cadre de cette grande problématique. 2.1.1. Les référents culturels : l‟épreuve de l‟étranger ! A la base de cette problématique se trouve ce que Ballard appelle « les référents culturels ». Il les définit comme étant « des éléments ou traits dont l‟ensemble constitue une civilisation ou une culture » (Ballard 2003: 149). Autrement dit, tout ce qui renvoie à un environnement historique et littéraire, à un lieu, à un personnage connu, à un objet ou à un concept, etc., existant dans le monde réel ou fictif du texte source et qui n‟est pas partagé par les deux langues-cultures. Les mots de la langue servant à les dénommer sont appelés les désignateurs de référents culturels (DRC) ou « culturèmes » selon Ballard (2003 : 149), les « mots culturels »149 selon Newmark 149

Newmark distingue entre les « mots culturels » qui sont spécifiques à chaque culture, et « les référents culturels universels » qui couvrent des fonctions universelles. Les problèmes de traduction naissent avec les référents

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(1988 : 95-102) ou « les realia »150, c'est-à-dire les choses réelles, qui se réfèrent au monde extratextuel, selon différents auteurs tels que Leech (1974 : 238), Noble (1999 : 131), Osimo (2008 : 33). Quel que soit le terme utilisé pour désigner ces référents culturels, ce mélange d‟éléments hétéroclites du quotidien (le cassoulet toulousain), de l‟histoire d‟un peuple ou d‟un pays donné (le village gaulois), d‟un endroit qui n‟existe pas chez d‟autres peuples, dans d‟autres pays (le Panthéon), forme le paradigme culturel nécessitant le recours à l'explicitation. Les problèmes liés à sa traduction naissent de deux sources : le manque de connaissances extralinguistiques relatives aux référents en question, et l‟absence de termes ou expressions qui pourraient faire office de correspondances exactes dans les différentes langues. En effet, « les objets ou les notions appartenant exclusivement à une culture donnée ne possèdent pas de correspondances lexicales dans la civilisation d‟accueil » (Lederer 1994 : 122). Ballard (2005) appelle ce phénomène « la désignation asymétrique »151, c'est-à-dire que les languescultures ne découpent pas la réalité ou le champ sémantique selon les mêmes grilles d‟analyse. L‟une des deux civilisations n‟a pas généré de termes correspondant à certaines réalités de l‟autre, provoquant ce qu‟il appelle « un trou lexical » qu‟il faudrait savoir gérer (Ballard 2005: 130). Analysons de plus près la question du « vide lexical » pour distinguer, selon notre approche interprétative, le vrai du faux de ce problème souvent mis en avant lorsque l‟on évoque la fameuse question de l‟intraduisibilité ou celle de la traduction du culturel. 2.1.2. Le vide lexical versus l‟intraduisibilité : le « vrai-faux » problème de traduction ! Le problème du vide lexical, lié à la distance ou à l'irréductibilité culturelle, aboutit souvent à un constat d‟intraduisibilité linguistique. Celle-ci n‟existe, en effet, que si l‟on reste au niveau de la spécifiques: « mirror and table are «universals» - usually there is no translation problem there (…) steppe, tagliatelle are cultural words - there will be a translation problem unless there is cultural overlap between the source and the target language (…) » (Newmark 1988 : 94). 150 Leech les considère comme des traits spécifiques à chaque culture: « if a cultural reality remains unchanged from culture to culture, it is called cultural universalis, realia are the opposite » (Leech 1974 : 238). Quant à Noble (1999 : 131), il élargit un peu plus le champ des realia jusqu'à inclure les allusions également. En fait, cet auteur les définit comme étant « des allusions plus ou moins précises à des lieux, des types d‟habitat, des vêtements, des aliments (...) Mais aussi de multiples références à des institutions religieuses, sociales et politiques, des codes de comportement entre les groupes sociaux ou les sexes, des allusions à l‟histoire politique ou culturelle, etc. ». Nous nous bornons ici aux realia inscrits dans le cadre de la fonction référentielle, c'est-à-dire les dénominations des objets et concepts qui n‟existent pas dans la culture d‟accueil. Tout ce qui relève de l‟allusion et de la connotation, en tant qu‟exploitation de la fonction connotative des noms propres ou des autres noms communs, sera traité sous la problématique 3. 151 Ce problème de « désignation asymétrique » est bien distinct de la problématique de désignation linguistique dans la langue cible qui fait l‟objet de la problématique 5. Celle-ci a trait, non pas à la distance interculturelle comme c‟est le cas ici, mais à celle intraculturelle, c'est-à-dire entre les différentes nations arabes et les dialectes régionaux, qui forment le polysystème arabe d‟accueil. Les concepts et les objets sont généralement connus du lectorat cible, mais c‟est la façon de les nommer qui diffère d‟un sous-système à l'autre. Cette réalité socio-linguistique arabe contraint le traducteur à recourir à l'explicitation pour éviter d‟employer un terme qui ne soit pas aisément compris des tous les destinataires ciblés par le projet de traduction du MD.

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langue, comme nous l‟avons constaté dans les approches linguistiques dans le chapitre 1. Les difficultés paraissent alors insurmontables : la plupart des mots seront intraduisibles et la traduction impossible. En revanche, les approches socio-linguistique et communicationnelles, notamment le modèle interprétatif, réfutent cet argument spécieux : « Il existe des mots qui possèdent à coup sûr une correspondance dans une autre langue, comme il existe des mots “intraduisibles”. [...] Pour nous la quasi-totalité des mots est intraduisible, si l‟on entend par “traductibilité” la capacité qu‟aurait un mot de se substituer, sans risque d‟erreur et dans tous les contextes, à un mot d‟une autre langue » (Seleskovitch [1968] 1983 : 141). Mais telle n‟est pas la réalité de la traduction, car, en effet « si aucune contrainte de correspondance linguistique ne leur est imposée, les langues peuvent toutes exprimer toutes les idées. Vu sous cet angle, rien n‟est intraduisible » (Lederer [1984] 2001 : 69). Comme nous l‟avons déjà évoqué, la TIT, qui forme la toile de fond de notre cadre théorique, postule qu‟on ne traduit jamais la langue ou le système linguistique, mais le sens d‟un texte dont les mots ne sont que le vecteur : « aucun texte n‟est fait pour dire la langue mais pour dire quelque chose par son truchement, (…) celle-ci est donc essentiellement un vecteur et un moyen de produire l‟effet, jamais une fin en soi ». C‟est le sens pertinent des mots intégrés en contexte qui constitue l‟enjeu de la traduction et non les langues : le traducteur n‟a jamais à traduire une langue donnée, mais un discours particulier, unique, produit à partir de cette langue. C‟est sous cette perspective que nous allons traiter les éléments problématiques dont se constitue notre première catégorie. Tous ces éléments étrangers à la langue-culture cible sont parfaitement traduisibles, car « tout est dicible dans toutes les langues à condition de changer intégralement de langue, et de comprendre que la fidélité au texte original exige d‟autres moyens linguistiques que ceux de la langue première pour dire et faire comprendre la même chose » (Lederer 1978 : 394). C‟est ce que confirme également Delisle dans son approche textuelle de la traduction : « une fois le sens saisi, sa restitution, se fait en fonction des idées et non en fonction des mots » Delisle (1984 : 82). Ceci ne devrait pas laisser entendre que les mots n‟ont aucune importance pour la construction ou la réexpression du sens. Personne ne songerait à nier que les mots sont faits pour parler du monde et des choses, les fameux « realia et autres mots culturels », mais dans une communication monolingue le lecteur ordinaire oublie souvent les mots pour ne plus voir que les choses ou ressentir l‟effet de ces mots. A plus forte raison, lors de la traduction, le traducteur déverbalise le sens, oubliant ainsi ses habits linguistiques premiers, pour le rhabiller ensuite avec d‟autres atours conformes à la langue-culture cible, ce qui peut impliquer ici ou là des formes plus amples ou plus ajustées. Chaque langue a d‟emblée tous les moyens linguistiques nécessaires pour faire passer un message exprimé dans une autre langue, peu importe le nombre de mots ou les modalités qu‟il faut employer pour y parvenir. Sinon, cela serait considérer certaines langues inférieures à d‟autres, car incapables de rendre tous les détails ou les nuances que l'auteur a énoncés dans la sienne. Dans la même lignée, Jakobson avance que « les langues diffèrent essentiellement par ce qu‟elles

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doivent exprimer, et non par ce qu‟elles peuvent exprimer » (Jakobson 1961 : 84). Dans le même ordre d‟idées, Margot affirme qu‟« on ne saurait trop insister, par conséquent, sur le fait que toutes les langues sont adaptables à des situations nouvelles et aptes à exprimer, selon leur génie particulier, un message émis d‟abord dans une autre langue » (Margot 1979 : 39). Compte tenu de tout cela, le vide lexical devient un faux problème. La même conclusion est valable pour l‟intraduisibilité. L‟intraduisible, c‟est l‟inintelligible ; il n‟est pas « une donnée empirique, c‟est un effet de théorie » dit Meschonnic (1999 : 79). Et lorsque cette intraduisibilité existe vraiment, elle est attribuée en grande partie à l‟incompréhension ou à l'incompétence du traducteur, et non à la pauvreté présumée de la langue. En augmentant la partie explicite du texte (les formes linguistiques plus amples) dans le but de définir brièvement le référent inconnu ou étranger, l‟explicitation prouve que la traduction est faisable, voire fiable, en dépit du vide lexical, des différents découpages de la réalité, de l‟irréductibilité ou de la distance culturelles, etc. Elle représente, pour parodier les termes de Berman (1984 : 21), la traduction contre « Babel », contre le règne des différences. La pratique « réussie » de l‟explicitation confirme également que la traduction est une activité théoriquement compréhensible, et effectivement praticable selon les termes de Paul Ricœur (2004 : 26), tout en admettant qu‟elle demeure « une opération, relative dans son succès, variable dans les niveaux de la communication qu‟elle atteint » Mounin (1963 : 278). Après avoir identifié les principales sources de cette problématique, nous allons voir à présent l‟approche stratégique explicative que l‟on pourrait mettre en place en vue de surmonter ces problèmes. Comment procéder pour combler les lacunes ? Quel type de compléments cognitifs faudrait-il apporter et comment les sélectionner parmi les différentes informations associées à tel ou tel référent culturel? 2.1.3. L‟écart explicitant versus l‟écart culturel La question qui se pose d‟emblée : selon quels mécanismes la stratégie d‟explicitation prévoitelle de suppléer ces lacunes ? Pour répondre à cette interrogation, nous allons nous contenter ici de rappeler152, sans aucune vocation prescriptive, les principes généraux pouvant guider le travail du traducteur à propos du choix et du dosage appropriés des compléments manquants. La description détaillée des techniques d‟explicitation mises en œuvre pour atteindre cet objectif sera longuement traitée dans le chapitre suivant. Dans le contexte de la traduction du MD telle que nous l‟avons précédemment décrite, le traducteur est souvent livré à lui-même, faute de consignes précises de traduction ou d‟équivalents préétablis et homologués sur l‟ensemble de l‟aire linguistique arabe, d‟où la profusion des choix proposés et leur variabilité d‟un traducteur à l'autre. Néanmoins, un seul

152

Pour un développement théorique plus approfondi, il faudrait se reporter au point 6-2-3, Ch. III.

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objectif les réunit, du moins théoriquement : faire passer la signification du concept dénommé, faire naître l‟image de l‟objet désigné, mettre en valeur le trait pertinent du personnage en question. Pour y parvenir, la voie la plus rapide et la plus prisée153 est l‟apport d‟informations pertinentes. Chacun s‟y prend différemment et tente d‟atteindre ce but selon ses propres moyens et capacités. Grâce à ces compléments, le lecteur pourrait se représenter grossièrement ou schématiquement les référents culturels, de sorte qu‟ils ne restent pas dans l‟ombre ; l‟image deviendra de plus en plus nette au fur et à mesure de la lecture du texte ou d‟autres textes. En effet, l‟explicitation ne prétend pas annuler la distance culturelle ; elle la réduit : « cet apport ne comble pas intégralement la distance entre les deux mondes mais entr‟ouvre une fenêtre sur la culture originale. [...] Le rapprochement des cultures à travers la traduction ne s‟accomplit évidemment pas par l‟intermédiaire d‟un seul mot ni d‟un seul texte. Il faut une multitude de textes traduits pour que se crée progressivement une image qui parvienne à dissiper l‟ignorance et à rapprocher les civilisations » Lederer (1994 : 128). Ainsi, les représentations mentales déclenchées par ces apports vont s‟associer à des souvenirs antérieurs et s‟accumuler avec le temps, participant ainsi à l‟enrichissement du capital culturel et au développement du bagage cognitif général. Une fois ce principe admis, vient l‟étape du dosage de cette teneur informative. Celui-ci s‟effectue en tenant compte de deux paramètres généraux : l‟analyse componentielle de l‟élément en contexte en application du principe du rétablissement du rapport explicite/implicite et l‟analyse du cadre de la réception en application du principe de l‟adaptation au lecteur.154 Nous allons nous limiter ici à la présentation de ces deux règles générales, l‟application concrète de ces règles sera étudiée plus tard lors de l‟analyse des exemples en contexte. 2.1.3.1. L‟analyse componentielle : la recherche des traits pertinents ! Cette analyse consiste à définir les traits caractéristiques du référent en question que l‟on pourrait réexprimer à l'aide d‟autres mots simples de la langue cible pour évoquer ce référent à la communauté réceptrice. Nida explique le principe de l‟analyse componentielle comme suit : « [...] l‟important est de traduire non les mots en tant que tels, mais les composantes pertinentes, qui seront réparties dans une nouvelle série de mots dans le texte récepteur. Cinq mots d‟une langue A devront être rendus peut-être par dix mots de la langue B ou trois mots de la langue C » (Nida 1971 : 171). Dans cet ordre d‟idée, Newmark présente l'analyse componentielle, c'est-à-dire l‟explicitation de la signification pertinente par plusieurs mots dans le texte ou en note de bas de page, comme un argument réfutant toute allégation d‟intraduisibilité : « To write off as „untranslatable‟ a word 153

Nous allons voir dans le chapitre V des statistiques sur la fréquence des techniques d‟explicitation, y compris celles impliquant un apport de compléments cognitifs. 154 Ces deux principes ont été exposés dans notre conception générale de l‟explicitation, aux points 6-2 et 6-3 du chapitre III.

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whose meaning cannot be rendered literally and precisely by another word is absurd, particularly when it could at least be better delineated by componential analysis into four or five words, though as a footnote, not in the text of the play » (Newmark 1988 : 79). Il explique ensuite que l‟analyse componentielle n‟est pas aussi économique que l‟équivalent culturel par exemple (un mot culturellement équivalent à la place du mot d‟origine), mais elle garde bien le sens et l‟altérité de l‟élément explicité (Ibid. : 96). Elle sert ainsi à traduire les « mots culturels » : « The second use of a componential analysis is in translating cultural (and institutional) words that the readership is unlikely to understand […] but normally you should include at least one descriptive and one functional component; thus gites: 'rural lodgings in France let to tourists‟; Konditorei: 'coffee shop serving and selling cakes and pastries‟; …» (Ibid. : 119-120). Dans le même sens Jakobson suggère que l‟explicitation, évoquée sous le terme « circonlocution », peut s‟employer pour faire connaître toute sorte de référents étrangers : « Toute expérience cognitive peut être rendue et classée dans n‟importe quelle langue existante. Là où il y a des déficiences, la terminologie sera modifiée et amplifiée par des emprunts, des calques, des néologismes, des déplacements sémantiques, et, finalement, par des circonlocutions. C‟est ainsi que, dans la toute jeune langue littéraire des Chukchee du nord-est de la Sibérie, “écrou” est rendu par “clou tournant”, “acier” par “fer dur”, “étain” par “fer mince”, “craie” par “savon à écrire”, “montre” par “cœur martelant” » (Jakobson 1963 : 81-82) . Cette analyse componentielle implique la prise en compte de tout le contexte afin de saisir la signification pertinente à expliciter. En effet, l‟explicitation ne peut pas porter sur des mots isolés, car on ne peut comprendre le sens exact d‟un mot que déployé en autre chose que lui-même.155 Margot affirme également que « dans la traduction, un mot ne doit jamais être considéré isolément ; au contraire, il faut tenir compte d‟un double ensemble de relations : la relation qu‟il entretient avec le contexte dans lequel il apparait, contexte qui détermine l‟acception particulière dans laquelle il est pris ; la relation avec d‟autres termes appartenant à un même domaine sémantique, qui permet de découvrir sa composante distinctive » (Margot 1979 : 72)156. Le traducteur doit pousser aussi loin que possible son analyse componentielle et sa compréhension du texte, pour dégager les seuls aspects pertinents sur lesquels va porter son explicitation. En effet, le traducteur ne peut pas et ne doit pas tout expliciter. Lors de cette analyse, il retrouve l‟explicite et l‟implicite du texte original ainsi que les éléments culturels 155

Il faudrait rappeler à cet égard que selon la TIT la compréhension d‟un message n‟est pas la somme totale des significations des mots individuels dont il est formé, mais la saisie du sens dont l‟unité d‟appréhension n‟est guère réductible au mot. Dans ce sens, Lederer (1986 : 237) dit que: « il ne faut pas oublier qu‟un mot ne se rencontre jamais seul et que le contexte joue un rôle essentiel dans l‟opération de délimitation de la signification du mot : en effet, le dictionnaire donnera tous les sens du terme relevé, le texte étudié, lui, n‟en utilisera très probablement qu‟un seul et c‟est le contexte qui permettra de le préciser avec certitude ». 156 En se focalisant sur les significations pertinentes des mots dans le contexte, le traducteur cherche à atteindre la précision sémantique soulignée par Kußmaul (1985 : 14) dans le cadre de ce qu‟il appelle « necessary degree of précision », défini comme : « the reproduction of the semantic feature or features that are relevant in a given context in terms of the function of the translation ».

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divers qui le marquent. Il opère ensuite une certaine évaluation de cette part de culturel et de la pertinence des traits spécifiques à expliciter : quels éléments seront à rendre impérativement dans le texte d‟arrivée même si la langue et la culture d‟arrivée ne disposent pas d‟emblée de correspondants préétablis, et quels sont ceux que le traducteur n‟aura pas besoin d‟expliciter et pour lesquels il pourra se reposer sur la capacité d‟interprétation du lecteur. Le principe de base régissant ce dosage peut se résumer ainsi : « [Le traducteur] se doit alors de faire en sorte que ses lecteurs ne restent pas dans l'ignorance complète du référent, soit que le contexte les renseigne immédiatement ou un peu plus loin au fil de la lecture, soit qu'il faille ajouter une note explicative » (Lederer 2004 : 124). Dès lors, « il ne s‟agit pas seulement de savoir quel mot placer dans la langue d‟arrivée en correspondance à celui de la langue de départ, mais aussi et surtout de savoir comment faire passer au maximum le monde implicite que recouvre le langage de l‟autre » (Lederer 1994 : 122) »157. Une telle approche stratégique permet de surmonter l‟abîme soi-disant « irrévocable » entre les langues et tous les problèmes dus aux différences lexicales, tout en libérant le traducteur des carcans du « mot à mot » absolu et souvent impossible. Passons maintenant à l'autre critère de paramétrage de ce dosage informatif. 2.1.3.2. L‟analyse du cadre de la réception En vertu du principe de l‟adaptation au lectorat cible, la traduction des référents culturels jugés inconnus des lecteurs cibles demande un arbitrage de la part du traducteur, c'est-à-dire une analyse des écarts socioculturels, de l‟univers cognitif du lecteur et du cadre de la réception dont dépendra le degré d‟explicitation nécessaire. Aucune traduction ne peut être médiatrice entre des cultures dissemblables ou peu compatibles, dit Bensimon (1998 : 10) si « elle ne prend pas en compte l‟horizon d‟attente de son destinataire, les idées et pratiques Ŕ la doxa Ŕ en vigueur dans la société réceptrice. Le transfert en langue d‟arrivée nécessite, lui, une évaluation lucide du cadre de la réception, à savoir, le lecteur potentiel, la culture réceptrice, etc. En effet, traduire c‟est choisir et adapter le propos à l‟univers de référence du lecteur, lui donner un statut d‟intelligibilité sans pour autant gommer l‟altérité ». La solution à adopter dépend de chaque référent mis en avant, de chaque situation et de chaque texte : « Il ne peut y avoir de solution générale et unique pour le transfert culturel. La solution pertinente sera ad hoc, fonction du passage à traduire » Lederer (1994 : 124). En tant que médiateur culturel, en tant que constructeur de passerelles, le traducteur joue le rôle d‟un acrobate qui oscille continuellement entre deux mondes qui se rejoignent mais sans jamais totalement se confondre, en vue de rendre la culture étrangère accessible, sans créer de l‟étrange autour de l‟étranger. Ainsi, il informe suffisamment et pertinemment son lecteur en lui indiquant,

157

Ceci se fait comme nous l‟avons expliqué dans le chapitre 3 par le choix d‟une nouvelle synecdoque appropriée et surtout par « un dosage adéquat entre l‟implicite et l‟explicite, qui vise à faire passer autant du même tout de l‟original que possible » (Lederer 1998: 163). Peu importe les éléments lexicaux ajoutés ou les formes employées : « la traduction a pour objet de permettre au destinataire de pouvoir accéder au même référent, indépendamment de sa désignation spécifique dans chaque langue » (Plassard 2007 : 323).

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en bref, de quoi il est question. Le soin d‟obtenir plus de précisions est laissé à la suite du texte lui-même ou à la recherche documentaire du lecteur curieux d‟en savoir davantage. Mais l‟essentiel est fourni par le traducteur dans la partie explicite du texte traduit. En somme, l‟explicitation offre une solution pragmatique pour combler les lacunes relatives à l'identification et à la compréhension du sens de ces référents culturels insérés en discours, que ce soit des noms d‟objets, de concepts ou d‟événements, etc., qu‟ils soient totalement absents de la culture réceptrice ou relativement étrangers à de larges couches du public cible. Elle cherche à faciliter l‟accès au sens du texte et partant l‟accès à la culture, dans des conditions optimales de lisibilité et d‟intelligibilité, sans risque d‟exotisation ni d‟annexion. Au-delà de ces principes théoriques généraux, nous allons voir à présent, exemples à l'appui, sur quel genre de référents culturels les traducteurs du MD sont intervenus et quels types de compléments cognitifs ils ont décidé d‟apporter à leurs lecteurs durant les différentes périodes du MD. 2.1.4. Informer le lecteur sur un nom propre : de qui (quoi) s‟agit-il? Parmi les référents culturels impliqués dans cette problématique, figure la catégorie des noms propres158. Il importe de préciser à cet égard que le nom propre est une marque conventionnelle d‟identification qui désigne, de manière univoque, un référent extralinguistique spécifique et unique (individu, lieu, institution, etc.). Il se distingue du nom commun par le fait que celui-ci est un désignateur souple qui peut servir pour représenter n‟importe quel élément d‟une classe d‟objet : le mot « table » va servir à désigner ou à évoquer l‟image de toute sorte de tables. Mais « les Tables » sera un nom propre désignant les « Tables de la Loi » sur lesquelles, selon l‟Ancien Testament, Dieu a gravé le Décalogue. En outre, en tant que désignateur rigide et univoque, le nom propre ne représente pas de façon abstraite son référent : on ne peut pas (en principe) identifier un individu dans la réalité à partir de son nom159, tandis qu‟on peut se représenter l‟image d‟une table en entendant le nom commun « table ». Les noms propres sont en effet représentatifs de la culture d‟un pays et sont a priori inconnus des lecteurs cibles. Une fois intégrés dans le corps d‟un texte, ces noms propres véhiculent du sens et de l‟information160.

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Il s‟agit ici d‟analyser uniquement les explicitations portant sur la fonction référentielle (dénotative) des noms propres en discours ; la fonction connotative ainsi que les autres emplois métaphoriques ou allusifs seront étudiés ultérieurement dans les problématiques 2 et 3. 159 Ceci est différent des connotations que peut éveiller un nom propre ou de l‟idée que l‟on peut se faire d‟une personne à partir de son nom, sans l‟avoir vue, et qui relève de l‟imagination et de la subjectivité (Ballard 2003 :169). 160 Ceci va à l'encontre de certaines anciennes positions théoriques selon lesquelles le nom propre ne se traduit pas, car il s‟agit d‟une valeur invariable spécifique à la langue-culture source. A cet égard, John Stuart Mill a écrit : « Les seuls noms qui ne connotent rien sont les noms propres ; et ceux-ci n‟ont, à strictement parler, aucune signification» (John Stuart Mill 1988 [1866] : 35). Il est vrai que dans de nombreux cas, « on se contente de le reporter (en l‟état ou quelque peu acclimaté au niveau de la graphie) et que même certains entretiennent sa préservation au nom de la couleur locale ou du respect de l‟étrangéité du TD [texte de départ] (Ballard : 2004 : 106) ». Dès lors que les noms

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L‟identification de leurs référents suppose une connaissance de nature encyclopédique. En effet, pour les lecteurs éloignés culturellement de ces personnages ou réalités, il n‟y a que deux moyens pour découvrir ce à quoi ils renvoient : soit le texte source lui-même les identifie (l‟apport du contexte cognitif), soit il s‟agit de référents de renommée internationale (l‟apport du bagage cognitif général). En dehors de ces deux cas, le traducteur tente d‟identifier ces référents à l'aide de brèves explicitations révélant leurs traits pertinents de sorte à aider le lecteur à saisir leur fonction dénotative spécifique dans tel ou tel énoncé. Voici une première série d‟exemples tirés du corpus pour illustrer nos propos précédents.  Exemple nº 20 : Raffarin, Mattéi et Chirac (qui sont-ils ?) Cet exemple est extrait d‟un article du MD novembre 2006, intitulé « Un temps pour vivre, un temps pour mourir », où l‟auteur évoque les débats sur la question de l‟euthanasie en France et dans d‟autres pays qui peinent à légiférer clairement sur ce sujet. Dans cet énoncé, l‟auteur cite Madame Henriette Martinez, députée UMP et membre de l‟association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD), qui plaide pour accorder le droit de mettre fin à sa vie lorsque les conditions de vie sont devenues insupportables ou portent atteinte à la dignité de l‟être humain (tétraplégiques, multi-handicapés, comateux irréversibles, cancéreux au stade terminal, etc.). Elle précise que la majorité des responsables politiques n‟était pas favorable à l'euthanasie et que cette question est restée en suspens. Elle cite trois personnages. Le lecteur natif semble en connaitre deux, tandis que le lecteur arabe n‟en connait qu‟un. Autant l‟auteur que le traducteur vont chercher à combler les lacunes supposées de leurs lecteurs à l'égard de ces personnages. J‟en ai parlé à Raffarin, à ٌُ‫ ها٭بهاٿ (هئ‬٤‫ڂهب ٽ‬٥ ‫رٶٺّپذ‬ Mattéi [ministre de la santé de 2002 à 2004], à Chirac, tous ont ‫ ٽبرّبٍَ ( وىَو اٹّٖؾخ ٽڀ‬،)‫اٹىىهاء‬ refusé. » (MD novembre 2006) ‫ وٱل‬،‫ وًّناٳ‬،)2004 ‫ بذل‬2002

J‟en ai parlé à Raffarin (premier ministre), à Mattéi [ministre de la santé de 2002 à 2004], à Chirac, tous ont refusé. »

."‫ىا ٵٺّهټ‬ٚ‫ه٭‬

En effet, l‟auteur suppose que son Lecteur Modèle connaît Raffarin et Chirac, mais pas (ou plus) Mattéi, d‟où l‟insertion d‟une périphrase explicitante rappelant sa fonction au sein du gouvernement. Cette fonction est la facette du référent qui s‟actualise dans ce contexte et qui pourrait aider le lecteur francophone à saisir le sens de cet énoncé. De son côté, le traducteur arabe procède à l'analyse du cadre de la réception et estime que son Lecteur Modèle à lui ne connait pas Raffarin. Il procède à une analyse componentielle, suite à laquelle il estime que le contexte n‟a pas défini au préalable ce personnage et que le trait pertinent à expliciter sur

propres ne contiennent pas de significations ni de connotations, on ne cherche pas à les traduire ; ils sont reportés tels quels (Vermes 2003: 90). Or, en réalité, la traduction des noms propres n‟est pas une opération automatique, car dans la majorité des cas, ces noms propres renvoient à une facette bien particulière du référent qu‟il convient de faire visualiser au lecteur cible, ce qui en fait un des problèmes majeurs de la traduction: « La traduction onomastique peut constituer un casse-tête mais elle est également l‟un des points les plus intéressants du point de vue de la créativité » Kossov (2004). Les exemples dans notre corpus sont légion.

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Raffarin ici n‟est pas sa couleur politique, ni sa biographie, mais sa fonction au gouvernement au moment où cette députée lui soumet son projet de loi. D‟où l‟insertion entre parenthèses de la périphrase "‫ظ انٕصساء‬ٛ‫( "سئ‬le premier ministre), à l'instar de l‟auteur de l‟original. Le traducteur semble aussi estimer que le lecteur arabe connait le nom de Chirac et sa qualité de président de la république française, d‟où l‟inutilité d‟adjoindre une explicitation le concernant. Nous avons donc un nom propre identifié déjà par le co-texte (Mattei), un autre présumé connu grâce au bagage cognitif étant donnée sa célébrité (Chirac), et un troisième qui a suscité une explicitation précisant sa fonction dans le gouvernement. Doté de ces informations, le lecteur arabe saisira mieux l‟opposition du gouvernement à l'époque, représenté par ces trois hauts responsables, à un texte de loi autorisant l‟euthanasie. Cet exemple démontre bien nos propos sur les deux paramètres du dosage de l‟explicitation des noms propres. Voici un deuxième exemple où le traducteur choisit d‟apporter d‟autres compléments cognitifs sur quatre noms propres jugés inconnus du lectorat arabe en 2007.  Exemple nº 21 : Mmes Marie-George Buffet, Arlette Laguiller et Dominique Voynet, M. José Bové (qui sont-ils ?) Cet exemple est extrait d‟un article du MD mai 2008, intitulé « Que s‟est-il donc passé le 6 mai 2007 ? » où l‟auteur revient sur les présidentielles de 2007 opposant Ségolène-Royal (PS) à Nicolas Sarkozy (UMP) au second tour. Il cherche à comprendre pourquoi cette victoire nette de Sarkozy a été suivie, un an plus tard, par une victoire des partis de gauche aux élections municipales en mars 2008. Par cette analyse rétrospective, l‟auteur essaie d‟éclairer les dysfonctionnements d‟un système politique qui ne sait plus représenter la réalité de la société. Dans cet énoncé, l‟auteur revient sur le ralliement des candidats des partis de gauche à Ségolène Royal lors du second tour, ce qu‟il considère comme un signe de leur inutilité électorale. La plupart des candidats de gauche (Mmes MarieGeorge Buffet, Arlette Laguiller et Dominique Voynet, M. José Bové) avaient même pris soin de préciser qu‟ils se rallieraient à Mme Royal au second tour, effectuant ainsi une sorte de démonstration de leur inutilité électorale. (MD mai 2008)

‫بٹجُّخ ٽوّّؾٍ اٹَُبه (اٹَُلاد‬٩ ٓ‫ وٱل ؽو‬La plupart des candidats de gauche

(Mmes Marie-George

،)ٍ٥‫ ٽبهٌ عىهط ثى٭ٍّ (اضتية اٹُْى‬Buffet (Parti Communiste), Laguiller (Force ‫پّبٹُّخ) وكوٽُڂُٴ‬٦‫ُُڄ (اٹٲىّح اٹ‬٩‫ وآهٹُذ ال‬Arlette

Ouvrière) et Dominique Voynet

‫ واٹَُّل عىىَڄ ثى٭ُڄ‬،)‫و‬ٚ‫( ٭ىاځُڄ (اطت‬les Verts), M. José Bové ‫بػ ثإځّهټ‬َٚ‫ٺً اإل‬٥ ))ٍ‫ٸ اٹٮالّؽ‬ٙ‫( (اظتڂب‬militant paysan)) avaient même ‫ اٹَُلح هواَبٷ يف اٹلوهح‬٤‫ َزؾبٹٮىٿ ٽ‬pris soin de préciser qu‟ils se rallieraient à Mme Royal au

‫لٻ‬٦‫وٍٗ ٹ‬٥ ‫ٍ ٽڀ‬٣‫ ٹُٲىٽىا ثنٹٴ ثڂى‬،‫ اٹضبځُخ‬second tour, effectuant ainsi une .‫زهټ االځزقبثُخ‬٦‫ ٽڂٮ‬sorte de démonstration de leur inutilité électorale.

Il est clair que les lecteurs arabes ont intégré dans leur bagage cognitif, grâce à la couverture médiatique des élections présidentielles de 2007, des informations suffisantes pour savoir qui sont Mr. Sarkozy et Mme Royal. En revanche, le traducteur a dû estimer que les autres candidats n‟étaient pas aussi bien connus, d‟où l‟ajout entre parenthèses après le nom de chacun d‟eux de

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son étiquette politique, l‟information la plus pertinente dans ce contexte. À l'aide de ces brèves explicitations, le lecteur arabe ne manquera pas de déduire l‟implicite conceptuel, c‟est à dire que ces petits partis de gauche anticipent leur faibles scores électoraux au premier tour qu‟ils ont déjà précisé à qui ils se rallieraient au second tour. o D‟autres explicitations sur des noms propres de personnes Voici une série d‟exemples secondaires présentant d‟autres cas de noms propres où les traducteurs ont apporté différents compléments cognitifs adaptés au besoin contextuel de chaque texte : la fonction et la couleur politique, le militantisme écologique, la spécialité scientifique, la confession religieuse et l‟accusation politique. L‟anthroponyme concerné

L‟explicitation fournie

La traduction arabe

Ex. 1 Maxime Gremetz (MD novembre 2008)

un homme politique du parti communiste

‫ هعٸ ٍُبٍٍ ٽڀ اضتية‬Définir la fonction de ce personnage

Ex. 2 Nicolas Hulot (MD décembre 2010)

militant écologiste célèbre

Ex. 3 François Furet (MD mai 2009)

historien de Révolution française

Ex. 4 Dreyfus (MD novembre 2011)

un officier juif Dreyfus (accusé, à tort, de trahison)

la

en

Le but recherché par l‟explicitation

politique. Le sens pertinent à inférer grâce

ٍ٥‫ اٹُْى‬à ce complément est que ce parti était le

٫‫وو‬٦‫ځًٖن اٹجُئخ اظت‬

‫ٽاهِّؿ اٹضىهح اٹٮوځَُخ‬

seul à défendre vraiment les droits des ouvriers, ce que ne font pas les candidats socialistes. Définir le trait caractéristique de ce personnage. Ce complément devrait aider le lecteur à comprendre que les films de cette personne avaient pour but de sensibiliser le public aux risques écologiques. Définir la spécialité de cet auteur afin de situer ces déclarations sur la Révolution française.

ً‫ اٹُهىكٌ كهاَٮى‬ٜ‫بث‬ٚ‫ اٹ‬Dire au lecteur qui est ce Dreyfus, afin de

contextualiser l‟affaire éponyme. Malgré la

)‫ (اظتزّهټ ىوهاً ثبطتُبځخ‬notoriété de cette affaire dans l‟histoire et

la littérature françaises, la majorité des lecteurs arabes n‟en savent strictement rien.

Tableau 5: Des explicitations sur des noms propres

2.1.5. Informer le lecteur sur des noms de lieux : localisation ou particularité ! Lorsque les traducteurs arabes estiment que certaines villes ou quartiers ne sont pas connus des lecteurs cibles, ils ajoutent des compléments cognitifs d‟ordre géographique permettant de les localiser, ou d‟ordre culturel mettant l‟accent sur les traits pertinents de ces toponymes. Nous nous bornons ici à la valeur référentielle que véhiculent ces toponymes (noms de lieux). Les autres usages métonymiques, tropiques, allusifs, connotatifs, seront étudiés sous les problématiques nos 2 et 3. Commençons par cet exemple où le traducteur s‟est cru obligé d‟informer le lecteur arabe sur le quartier « Queens » dont est issu le financier Madoff.

241

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 Exemple nº 22 : Le « Queens » (quel est son trait pertinent ?) Cet exemple est extrait d‟un article du MD août 2009, intitulé « Bernard Madoff, à la barbe des régulateurs de la finance », où l‟auteur analyse les raisons et conséquences de l‟affaire « Madoff », tout en critiquant l‟aveuglement des autorités et la crédulité des victimes. Dans cet énoncé, il explique les débuts modestes de ce financier avant qu‟il ne se lance dans la « plus grande arnaque de tous les temps » en montant une gigantesque chaîne pyramidale. Le texte précise ensuite que ce financier a été mis en prison pour escroquerie. Avant sa chute, le financier apparaissait pourtant comme l‟incarnation du rêve américain : le jeune homme du Queens parti de rien qui fut maître-nageur à Long Island avant de créer son entreprise, à l‟âge de 22 ans, avec 5 000 dollars de mise initiale. (MD août 2009)

‫ڄ َجلو‬ٝ‫ ٹٶڀّ هعٸ اظتبٷ څنا ٵبٿ ٱجٸ ٍٲى‬Pourtant, cet homme des finances apparaissait,

avant

sa

chute,

‫ ٭هى ماٳ‬:ٍ‫ وٵإځّڄ جتَُلٌ ٹٺؾٺټ األٽًنٵ‬comme l‟incarnation du rêve )‫ اٹْبة ٽڀ ؽٍّ "ٵىَڂي" (اٹٮٲًن يف ځُىَىهٳ‬américain : il est ce jeune homme

du quartier Queens (le pauvre à

‫ٺّټ‬٦‫ل ؤٿ ٵبٿ ٽ‬٦‫ ث‬،‫ٺٰ ٽڀ ال ٍّء‬ٞ‫ اٹنٌ اځ‬New York) parti de rien, après ‫ ٹُاٌٍّ ّوٵزڄ‬،"‫ بَالځل‬٨‫ ٍجبؽخٍ يف "ٹىځ‬avoir été maître-nageur à « Long ‫پو‬٦‫ْوَڀ ٽڀ اٹ‬٦‫ اطتبّٕخ وڅى يف اٹضبځُخ واٹ‬Island » pour créer sa propre entreprise, à l‟âge de 22 ans, avec

.‫ كواله‬٫‫ آال‬5 ‫ ثوؤشتبٷٍ ؤورل ٱُپزڄ‬un capital initial de 5 000 dollars.

Conscient de son rôle dans le renforcement de la cohésion du sens, le traducteur apporte à son lecteur une information pertinente sur la localisation de ce quartier à new York et sa caractéristique principale (la pauvreté)161. Doté de ce bref supplément, le lecteur comprendra que ce grand financier a vécu dans un milieu pauvre, avant de créer sa propre « succès story » à l'américaine. L‟intérêt de ce supplément ne s‟arrête pas là. En effet, au fur et à mesure que le lecteur arabe lit le texte, il sentira de plus en plus de l‟aversion pour ce personnage qui a vécu parmi les pauvres et qui, au lieu de compatir avec eux, les arnaque aussi effrontément que les riches avec le système frauduleux qu‟il a monté. En revanche, bien qu‟il s‟agisse aussi d‟un toponyme que le lecteur arabe ignore, le traducteur choisit de ne pas expliciter « Long Island ». Il estime sans doute que sa fonction référentielle n‟est pas pertinente et se contente dès lors de l‟insérer entre guillemets pour préciser qu‟il s‟agit d‟un nom spécifique, probablement situé à New York aussi. Un traitement identique est réservé à tous les hydronymes (nom de fleuves), les noms d‟îles, les noms de départements ou de régions de France, qui ne sont pas forcément connus des lecteurs cibles ni explicités par le co-texte. Les traducteurs interviennent souvent par l‟ajout d‟un complément cognitif, limité souvent à un simple classificateur (Nida 1967)162.

161

L‟exemple nº 3 sur les quartiers « Aubervilliers », « le 16e arrondissement de Paris », s‟inscrit également dans cette lignée. 162 Comme exemples de la traduction de noms d‟îles, nous citons le nom des « Antilles françaises » qui se traduit par « les îles des Antilles françaises » (MD mars 2010), le nom de « Hokkaido » qui devient « l‟île Hokkaido » (MD avril 2009). L‟expression « les villas en Sardaigne » se traduit dans la version arabe par « les villas dans l‟île de Sardaigne » en parlant des propriétés de M. Berlusconi (MD septembre 2003). Les noms de fleuves et de rivières

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2.1.6. Informer le lecteur sur les noms de titres de presse : (spécificité et courant idéologique !) À part quelques grands journaux de renommée et de diffusions mondiales comme le Monde, le New York Times, etc., la traduction des titres de presse étrangers nécessite de la part des traducteurs l‟apport de quelques éléments cognitifs les identifiant. Ces compléments se limitent souvent à la simple précision qu‟il s‟agit d‟un journal ou à une brève indication sur sa sensibilité politique ou idéologique. La deuxième information s‟avère souvent décisive pour bien décoder le sens global des énoncés ou ces noms sont cités.  Exemple nº 23 : L‟Equipe et La Croix (quelle est leur spécialité ?) Cet exemple est extrait d‟un article du MD février 2010, intitulé « Qui veut encore financer la presse » où l‟auteur évoque la crise financière que subissent les éditeurs de presse à l'ère numérique. L‟information est devenue surabondante et les journaux sont désormais menacés par le phénomène des « gratuits » en ligne. Dans cet énoncé, l‟auteur précise que l‟ensemble des quotidiens nationaux sont durement touchés par la crise sauf deux journaux, l‟Çquipe et la Croix. Le lecteur arabe est en droit de se demander pourquoi ces deux exceptions et quelle est la particularité de ces deux quotidiens. La suite du texte apporte une réponse à la première interrogation tandis que le traducteur fournit un bref éclairage sur la deuxième. En France, L‟Equipe et La ‫ڂُخ‬ٝ‫ اٹى‬٬‫ ٍغّٺذ ٵب٭ّخ اٹٖؾ‬،‫ويف ٭وځَب‬ Croix exceptés, tous les ‫ ثبٍزضڂبء‬،‫اٹُىٽُخ فَبهاد‬ quotidiens nationaux ont ‫ٕؾُٮخ‬ perdu de l‟argent. (MD la Croix‫ُخ و‬ٙ‫ اٹوَب‬L’Equipe février 2010)

En France, tous les journaux quotidiens nationaux ont enregistré des pertes, à l'exception du journal sportif L‟Equipe et celui chrétien La .‫ اظتَُؾُّخ‬Croix.

Une fois informé de la spécificité de ces deux quotidiens, le lecteur arabe comprend que ces deux titres résistent mieux à la crise, grâce à leur lectorat particulier et à leurs modes de financement. o D‟autres explicitations sur des titres de presse Voici une série d‟exemples secondaires dans lesquels les traducteurs ont soit réussi à apporter la dose d‟information manquante soit n‟ont pas réussi à le faire, faute d‟analyse componentielle suffisante.

n‟échappent pas à la règle : le Tibre (MD mai 2005), l‟Apure (MD septembre 2003), la Volga (MD avril 2001), l‟Ardèche (MD août 2002), la Saône (MD décembre 2008), etc., sont tous explicités par incrémentialisation, en ajoutant simplement le mot « rivière » en amont. De la même manière, les noms de villes, de département et de régions sont toujours précédés, dans la version arabe, par les mots « ville, département, région » servant à révéler, de la manière la plus simple et la plus brève possible, la fonction référentielle de ces toponymes.

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L‟explicitation fournie

La traduction en arabe

Le but recherché par l‟explicitation

Ex. 1 « [...] de L‟Humanité au Figaro, le culte de la Grande Boucle dépasse les clivages partisans ». (MD juillet 2009)

« [...] du journal L‟Humanité (communiste) au Figaro (de droite), l‟enthousiasme pour la compétition des vélos de France dépasse les groupements politiques »

"‫"ٹىٽبځزُڄ‬

les différentes sensibilités politiques de ces journaux. Ceci permet d‟appuyer l‟argumentation de l‟auteur consistant à dire que tous les Français, de droite comme de gauche, se passionnent pour le Tour de France. Le contexte renseigne le lecteur sur ce fait, notamment à la fin de l‟énoncé, mais les lecteurs arabes apprennent plus d‟informations sur la couleur politique de ces deux quotidiens français.

Ex. 2 « le Canard enchaîné » (MD février 2008)

Le journal «le Canard Enchainé ».

Le Canard " ‫ ٕؾُٮخ‬Ici, le traducteur se contente de dire qu‟il

Ex. 3 L‟ancien rédacteur en chef de L‟Os à moelle, (MD juin 2010)

Le rédacteur en chef du journal L‟Os à moelle,

L’Os ‫ ٭وئٌُ حتوَو ٕؾُٮخ‬Le traducteur précise qu‟il s‟agit d‟un

Le nom journal

du

"‫بهو‬٪ُ‫"اٹٮ‬

‫ٕؾُٮخ‬

‫بذل‬

‫ وٽڀ‬Préciser

)‫ُخ‬٥‫(اٹُْى‬

‫ ٵبٿ اضتپبً ٹلوهح‬،)‫(اٹُپُڂُخ‬ ‫َزغبوى‬

‫٭وځَب‬

‫كهاعبد‬

.‫ٮب٭بد اٹَُبٍُخ‬ٕٞ‫اال‬

."Enchaîné

s‟agit d‟un journal, alors que c‟est plutôt un hebdomadaire satirique. Ce complément aurait été bienvenu dans un contexte où l‟auteur cite des critiques virulentes et ironiques adressées par ce journal à l'encontre du gouvernement.163 journal alors que cette information est

à moelle parfaitement déductible du co-texte. en revanche, il omet le fait qu‟il s‟agit d‟un journal humoristique. Comme dans l‟exemple précédent, ce complément aurait été utile, d‟autant plus que la suite de l‟énoncé comporte des blagues sur Hitler.164

Tableau 6: Des explicitations sur des titres de presse

2.1.7. Informer le lecteur sur des noms de personnages fictifs : (l‟œuvre littéraire et/ou le trait de caractère) Ces noms font partie des référents culturels propres à la littérature française ou étrangère. Comme pour les sous-catégories exposées ci-dessus, et exceptés quelques héros célèbres portés à la connaissance du grand public grâce aux adaptations cinématographiques ou aux best-sellers, la 163

Il s‟agit donc d‟un problème de dosage et d‟analyse componentielle des traits pertinents. Ainsi, cette explicitation ne remplit pas son objectif consistant à combler une ignorance ponctuelle du lecteur et à préciser la fonction dénotative de ce référent journalistique. Pour y remédier, nous aurions proposé d‟expliciter le nom « Canard Enchaîné » par "‫ُخ اٹَبفوح‬٥‫( "اٹٖؾُٮخ األٍجى‬le journal hebdomadaire satirique). Ce bref supplément renforce la cohésion interne dans la mesure où il permet au lecteur de comprendre la nature particulière du style selon lesquelles les critiques sont formulées. 164 Là-aussi, nous aurions proposé l‟explicitation "‫( "اٹٖؾُٮخ اعتيٹُخ‬le journal humoristique) qui comble les lacunes culturelles du lecteur arabe sur la particularité de ce titre de presse. Quant à sa date de parution, elle est indiquée dans le co-texte, ce qui permet au lecteur français et arabe de mettre ces critiques dans leur propre contexte temporel.

Partie II : Chapitre IV : Les motivations des explicitations dans le corpus du MD 2001-2011

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majorité de ces référents nécessitent quelques compléments supplémentaires pour en décliner l‟identité ou la particularité. Ces noms fictifs sont souvent le support idéal pour créer des antonomases et des métonymies qui requièrent également des explicitations, mais nous allons nous contenter ici de quelques exemples sur la valeur référentielle portée par ces noms fictifs. Pour ce faire, les traducteurs apportent deux types de compléments cognitifs : l‟œuvre dans lequel ce héros apparait et/ou sa caractéristique principale. A partir de ces suppléments, le lecteur arabe poursuit son interprétation du sens du texte, tout en intégrant dans son bagage cognitif de nouvelles informations culturelles et littéraires sur ces héros et personnages fictifs qu‟il ne connaissait pas auparavant. Le nom du personnage fictif

L‟explicitation fournie

La traduction arabe

Ex. 1 Calamity Jane (MD janvier 2011)

Calamity Jane (l‟héroïne des cowboys dans l‟Ouest américain) Des adolescentes en robes longues, qui rappellent Esméralda, (l‟héroïne du roman NotreDame de Paris de « Victor Hugo »)...

‫بح‬٥‫ٺخ ه‬ٞ‫ ٵبالٽُيت عبَڀ (ث‬Présenter brièvement au lecteur arabe

En quoi est-ce différent, s‟ils n‟avaient pas tous l‟éloquence de Rastignac (l‟un des héros ambitieux des romans de Balzac),...

‫ٽب اٹٮوٯ اما ٵبځىا ال‬

Ex. 2 Des adolescentes en robes longues, aux allures d‟Esmeralda,... (MD août 2011)

Ex. 3 Qu‟importe s‟ils n‟ont pas tous l‟entregent de Rastignac,... (MD juin 2005)

165

en

Le but recherché par l‟explicitation

cette héroïne. En plus du contexte, cet

)ٍ‫وة األٽًنٵ‬٪‫ اٹجٲو يف اٹ‬élément va aider le lecteur à comprendre

‫ىَٺخ‬ٝ ٍ‫ٽواڅٲبد ثإصىاة‬ ‫ٺخ‬ٞ‫ٹٺزنٵًن ثبشتًناٹلا (ث‬ ،‫ى‬٩‫څى‬

‫٭ُٶزىه‬

‫هواَخ‬

...)"‫"ؤؽلة ځىروكاٻ‬

‫ثٺجبٱخ‬

ً‫ب‬٦ُ‫رت‬

‫ىٿ‬٦ّ‫َزپز‬

‫بٷ‬ٞ‫هاٍزُڂُبٳ (ؤؽل اث‬ ‫ثٺياٳ‬

‫هواَبد‬

...،)‫پىؽٌن‬ٞ‫اٹ‬

son rôle dans la conquête de l‟Ouest et lors des guerres indiennes. Rappeler au lecteur qui est Esméralda, au cas où il aurait vu le film inspiré de ce roman. Ce supplément l‟aidera à mieux conceptualiser le point de ressemblance entre les mendiantes bosniaques sur le parvis de Notre-Dame et cette héroïne. L‟objet de la comparaison est déjà explicité par le co-texte, mais c‟est le personnage lui-même qui a suscité cette identification. Tenter de révéler deux traits caractéristiques de ce personnage de la Comédie humaine de Balzac, à savoir l‟éloquence et l‟ambition. Ce complément cognitif sur la valeur référentielle de ce héros sera exploité ensuite par le lecteur pour inférer le sens de la comparaison indirecte entre ce Rastignac et les intellectuels français qui s‟approchent des hommes puissants pour s‟attirer leurs faveurs et acquérir de l‟influence.165

L‟idée de l‟ambition et de l‟habileté à s‟incruster dans les milieux des gens importants est plus ou moins explicité par le début de l‟énoncé que voici : « Car le pouvoir fascine les intellectuels comme le miel attire les mouches. Ils pullulent autour des monarques et des présidents, assez habiles pour savoir les écouter, leur prodiguer des conseils, leur faire de fausses confidences, les recevoir à leur table ». Cependant, bien que le choix de trait saillant sur l‟ambition de ce héro soit judicieux, c‟est la traduction de la notion d‟ « entregent » par "‫( "ٹجبٱخ‬éloquence), qui ne rend pas le sens exact de ce terme dans ce contexte. Nous proposons d‟expliciter le syntagme « l‟entregent de Rastignac » par "‫ ألٕؾبة اٹڂٮىم‬٬‫ٸ هواَبد ثٺياٳ) وٽهبهرڄ يف اٹزيٹ‬ٞ‫پىػ هاٍزُڂُبٳ (ث‬ٝ" (l‟habileté de Rastignac (héros des romans de Balzac) à s‟insinuer auprès des personnes influentes). La périphrase est longue, mais elle comporte les compléments nécessaires à l'identification du personnage de Rastignac et à l'appréhension de son rôle dans la construction du sens global de l‟énoncé. S‟il fallait abréger cet apport informatif parce que l‟on estime que cette idée est quand même

Partie II : Chapitre IV : Les motivations des explicitations dans le corpus du MD 2001-2011 Ex. 4 Pour beaucoup de gens, la France est avant tout la patrie d‟Astérix. (octobre 2010)

Pour beaucoup de gens, la France est avant tout la patrie d‟Astérix (un personnage célèbre de bandes dessinées).

245

،ً‫لَل ٽڀ اٹڂب‬٦‫ ٭جبٹڂَجخ ٹٺ‬Identifier brièvement ce personnage fictif pour les lecteurs arabes qui ne le

‫ڀ‬ٝ‫ بٿّ ٭وځَب څٍ ٽى‬connaissent pas. Cette identification dans ce contexte, à comprendre ]4[ .]4[ "ٌ‫ "ؤٍزًنَٶ‬servira, les clichés touristiques sur certains pays, ‫ ّقُّٖخ ٱٖٔ ٽوٍىٽخ‬dont la France.166

.‫ّهًنح‬

Tableau 7: Des explicitations sur des noms de personnages littéraires

2.1.8. Informer le lecteur sur des noms de sociétés ou d‟institutions : (de quoi s‟agit-il ?) Comme pour tout nom propre présumé méconnu ou inconnu des lecteurs cibles, les traducteurs décident souvent d‟adjoindre quelques suppléments d‟information servant à identifier la dénotation des raisons commerciales ou des noms d‟institutions publiques, à moins qu‟il s‟agisse de multinationales ou d‟institutions célèbres dans le monde entier ou que le contexte renseigne suffisamment les lecteurs cibles. Voici un exemple montrant comment le traducteur a agi pour expliciter les noms d‟une dizaine de sociétés françaises.  Exemple nº 24 : chaines de télévision, société, banques : (classe d‟objet et type d‟activités !) Cet exemple est extrait d‟un encadré du MD juillet 2010, intitulé « En France aussi... », où l‟auteur évoque la question du financement des experts économiques sollicités par les médias, alors qu‟ils sont souvent employés par des institutions financières privées, d‟où un soupçon de manque d‟objectivité ou d‟un conflit d‟intérêt. Cet encadré accompagne un article intitulé « Qui paie les experts de la télévision américaine », où l‟auteur explique également comment les plateaux de télévision américaine font appel aux spécialistes économiques qui exposent leurs avis censés être objectifs et désintéressés, alors qu‟en vérité, ils défendent farouchement les préférences et orientations des grandes entreprises qui les appointent. Dans l‟énoncé produit cidessous, l‟auteur expose le cas du professeur Jean-Hervé Lorenzi, censé produire une expertise neutre sur les enjeux économiques alors qu‟il est employé par d‟importantes institutions financières dont il touche des jetons de présence. Le rôle du traducteur ici consiste à définir brièvement la particularité de chaque entreprise citée afin de donner au lecteur une idée de assez facilement déductible du contexte, nous aurions choisi de traduire « entregent » par "‫( "كڅبء‬ingéniosité ou malice). Ce terme arabe est souvent porteur d‟une connotation sur le machiavélisme des personnes qui sont prêtes à tout pour réaliser leurs ambitions. On pourrait également le rendre aussi par le terme "‫( "اځزهبىَخ‬arrivisme, opportunisme), qui est porteur d‟une connotation péjorative en arabe. 166 En effet, pour la majorité des Arabes, la France est plutôt célèbre pour la Tour Eiffel, les parfums, la beauté des femmes, mais rarement pour ce petit guerrier gaulois, moustachu, jovial et ripailleur, héros de la bande dessinée éponyme d‟Uderzo et de Goscinny. Cependant, vu son petit volume, nous aurions préféré inclure le contenu de la note au sein du texte, au lieu de la reléguer à la fin de l‟article. Dans ce cas en particulier, ce choix est tolérable, car cet énoncé figure à la fin de l‟article, donc pas loin de la note, ce qui ne provoque pas de rupture dû à un aller-retour entre l‟énoncé et la note en fin d‟article. Mais en règle générale, pour appliquer l‟explicitation avec méthode nous suggérons d‟intégrer les courtes notes dans le fil du texte, notamment lorsque l‟apport de l‟information pertinente est urgent. Nous y reviendrons dans le chapitre suivant.

Partie II : Chapitre IV : Les motivations des explicitations dans le corpus du MD 2001-2011

246

l‟impossibilité d‟être objectif quand on fait partie des conseils d‟administration de toutes ces importantes institutions économiques. M. Jean-Hervé Lorenzi, professeur d‟université et membre du CAE, lorsqu‟il est convoqué par TF1, LCI, Public Sénat et Europe 1 pour éclairer les enjeux économiques contemporains, oublie de préciser [...] qu‟il siège aux conseils de surveillance de la Compagnie financière Saint-Honoré et de la Fondation du risque (créée par AGF, AXA, Groupama et la Société générale), aux conseils d‟administration d‟Eramet, de GFI Informatique, de BNP Paribas Assurance, des Pages Jaunes, de Wanadoo et de l‟Association française des opérateurs mobiles ; (MD juillet 2010)

ٍ٦‫ ؤٍزبم عبٽ‬:ٌ‫څًن٭ُڄ ٹىهاځي‬-‫ اٹَُّل عبٿ‬M. ‫ّبد‬ٞ‫ُٮڄ ػت‬ٚ‫ڂلٽب رَز‬٥‫ ؛ و‬CAE ‫ىٌ يف‬ٚ٥‫و‬ ‫ و‬TF1, LCI, Public Sénat

‫ؼ‬ٙ‫ ٹٶٍ َى‬،‫الٽُّخ‬٥‫ اإل‬Europe 1

‫ ال كتل ٽڀ‬،‫بِٕوح‬٦‫اٹوڅبځبد االٱزٖبكَخ اظت‬

‫ى يف‬ٚ٥ ‫[ ؤځّڄ‬...] ‫ووهٌّ ؤٿ ًَْن بذل‬ٚ‫اٹ‬ Saint " ‫غتبٹٌ اٹوٱبثخ يف اٹْوٵخ اظتبٹُخ‬

‫و‬ٝ‫اظتقب‬

‫"ٽاٍَّخ‬

‫ويف‬

"Honoré

‫" (اٹيت‬Fondation du Risque AGF, AXA, ‫اځْإهتب ّوٵبد اٹزإٽٌن‬ Société

‫و‬

Groupama

"Eramet" ‫) ويف غتٺٌ بكاهح‬générale ‫" ويف ّوٵخ‬GFI Informatique"‫و‬

‫ ويف‬BNP Paribas ‫خ ٹـ‬٦‫اٹزإٽٌن اٹزبث‬

)٬‫"اٹٖٮؾبد اٹٖٮواء" (ّوٵخ كٹُٸ اعتبر‬ ‫ّٸ االځزوځُذ‬٪ْ‫" (ٽ‬Wanadoo" ‫وّوٵخ‬ ‫اٹٮوځَُّخ‬

‫االرٖبالد‬

‫ٹْوٵخ‬

٤‫اٹزبث‬

ٍ‫ّٺ‬٪ْ‫ُخ اٹٮوځَُخ ظت‬٦‫) واصتپ‬Orange‫و‬

Jean-Hervé Lorenzi, professeur d‟université et membre du CAE, lorsqu‟il est convoqué par les chaines de télévision TF1, LCI, Public Sénat et Europe 1 pour éclairer les enjeux économiques contemporains, oublie de préciser [...] qu‟il est membre des conseils de surveillance de la Compagnie financière Saint-Honoré et de la Fondation du risque (créée par les sociétés d‟assurance AGF, AXA, Groupama et la Société générale), des conseils d‟administration d‟Eramet, de GFI Informatique, de la société d‟assurance de BNP Paribas Assurance, des « Pages Jaunes » (la société de l‟annuaire téléphonique), de la société Wanadoo (l‟opérateur Internet de la société française de télécommunications et d‟Orange) et de l‟Association française des opérateurs mobiles ;

.،ٌ‫ اطتٺى‬٬‫اعتبر‬

Remarquons, bien au-delà des compléments cognitifs apportés, le manque de méthode dans l‟application de l‟explicitation. Le traducteur choisit, pour nous ne savons quelle raison, de ne pas expliciter les noms de sociétés « Eramet » et « GFI Informatique », alors qu‟il y en avait besoin et en même temps, il produit une longue explicitation sur « Wanadoo » dont il pouvait bien se passer. Pour être rigoureux, il aura fallu expliciter le « CAE » par "‫خ‬ٚ‫الد االقزصبد‬ٛ‫( "يدهظ انزسه‬le Conseil d‟Analyse économique), « Eramet » par "‫ٍ ٔانصٓش‬ٚ‫( "ششكخ انزؼذ‬entreprise minière et métallurgique) et « GFI Informatique » par "‫خ نهسبعٕة‬ٛ‫( "انًدًٕػخ انفشَغ‬Groupe Français d‟Informatique) et abréger l‟explicitation sur Wanadoo. o D‟autres explicitations sur des noms de sociétés ou d‟associations Voici quelques exemples secondaires sur d‟autres explicitations motivées par la nécessité d‟apporter un petit supplément d‟information sur l‟objet social, les produits phares de la société ou le domaine d‟activité de l‟association.

247

Partie II : Chapitre IV : Les motivations des explicitations dans le corpus du MD 2001-2011 Le nom de l‟institution Ex. 1 Des représentants de Lafarge, d‟Electricité de France (EDF), d‟Areva, de Total, de Veolia,... (MD décembre 2010)

L‟explicitation fournie

La traduction arabe

Des représentants des sociétés de « Lafarge (ciments), d‟« Electricité de France », d‟Areva (réacteurs nucléaires), de Total (pétrole), de Veolia (déchets),...

"‫"ال٭بهط‬

Ex. 2 Danone (MD juin 2010) Ex. 3 Sefafi (MD mars 2006)

La société Danone (produits laitiers)

des produits de )‫ ّوٵخ "كاځىٿ" (ٹالٹجبٿ‬Préciser le type 168

« l‟association Sefafi » « l‟observatoire de la vie publique »

‫ُخ ٍُٮبيف ("ٽوٱت اضتُبح‬٦‫ رت‬Montrer au-delà de l‟expression

‫ّوٵبد‬

en

ٍ‫ؽتضٺ‬

"‫(ٹالشتڂذ) و"ٵهوثبء ٭وځَب‬

)‫الد اٹڂىوَخ‬٥‫و"ؤهَٮب" (ٹٺپٮب‬ "‫) و"٭ُىٹُب‬ٜ‫و"رىربٷ" (ٹٺڂٮ‬ ...،)‫(ٹٺپقٺّٮبد‬

Le but recherché par l‟explicitation Préciser l‟objet social et le domaine d‟activité de chaque entreprise167. Ces compléments vont aider le lecteur à comprendre l‟importance de leur présence au colloque « «Business and Biodiversity », sur le développement durable. cette société.

complète des initiales de cet

)"‫بٽخ‬٦‫ اٹ‬acronyme le trait caractéristique de cet organisme Madagascar.

basé

à

Tableau 8: Des explicitations sur des noms de sociétés

2.1.9. Informer le lecteur sur un fait historique : (de quoi s‟agit-il ?) En plus des noms propres de personnes, de lieux, d‟institutions, etc., les noms propres d‟événements historiques ou les noms communs désignant des faits historiques font partie de ces éléments suscitant le recours à l'explicitation. En effet, l‟histoire de chaque pays est ponctuée d‟événements qui l‟ont fortement marquée et qui sont ancrés dans la mémoire collective de ses habitants. Une fois transmis vers d‟autres horizons culturels, de tels référents nécessitent un traitement explicatif spécial afin de révéler aux lecteurs cibles leurs caractéristiques essentielles que le lecteur natif reconnait spontanément. La question du choix du trait pertinent se pose ici avec plus d‟acuité, car il convient de sélectionner très attentivement et de façon concise les seules informations pertinentes nécessaires à l'appréhension de la fonction dénotative de ces référents. En effet, par manque de connaissances culturelles, les traducteurs vont souvent se documenter sur ces références historiques et découvrir certainement une masse importante d‟informations les concernant. Il faudrait résister à la boulimie informative qui risque de submerger le lecteur de détails secondaires le détournant du vif du sujet et du sens pertinent, ce qui dessert assurément le but de l‟explicitation. Voici un exemple d‟explicitation d‟un énoncé contenant plusieurs références historiques que les lecteurs arabes ignorent sans doute.

167

La société EDF est explicitée par le co-texte lui-même. Quant à Total, nul n‟ignore dans le monde arabe à quoi réfère ce nom, vu la présence de cette multinationale dans cette région. Le traducteur aurait pu se passer de cet ajout, comme il l‟a fait pour la société EDF. 168 Le traducteur pouvait bien se passer de cette indication car nous pensons que la marque « Danone » est assez bien connue des lecteurs arabes grâce aux publicités et spots télévisés sur ses produits, notamment pour le lait en poudre. La seule explication plausible dans ce cas est cette tendance observée chez certains traducteurs à éviter tout risque d‟imprécision ou d‟ambiguïté quoique minime, ou à sous-estimer le bagage cognitif des lecteurs cibles.

Partie II : Chapitre IV : Les motivations des explicitations dans le corpus du MD 2001-2011

248

 Exemple nº 25 : expliciter des faits historiques Cet exemple est extrait d‟un article publié dans le supplément du MD novembre 2008, intitulé « Olympes de Gouges, une femme du XXIe siècle », où l‟auteur relate la biographie de cette dramaturge et pamphlétaire, guillotinée pour avoir dénoncé les dérives de la révolution. C‟est une figure de proue des féministes, en avance sur son temps et peut-être même sur le nôtre, comme l‟affirme l‟auteur dans le chapeau de l‟article. Dans l‟énoncé suivant, l‟auteur explique comment De Gouges s‟est fait remarquer lors du procès de Louis XVI, où elle s‟est offerte de défendre le monarque déchu, faisant d‟ailleurs connaître son aversion pour la peine de mort. Elle a également attiré l‟attention, voire la haine sur elle, lorsqu‟elle a proposé de défendre les « Girondins », devant la « Convention », juste avant le début de la période appelée la « Terreur ». Autant de faits historiques qui rendent la traduction directe quasi impossible, à moins de produire un texte dépourvu de sa charge informative. Puis on lui [Marie-Olympe de Gouges] reprocha sa complicité avec les députés girondins, qu‟elle défendit crânement dans une lettre à la Convention, le 9 juin 1793, une semaine après leur proscription et leur arrestation. Le courant de pensée libéral et humaniste auquel se rattachaient comme elle les Amis des Noirs (5) mais aussi les amis des femmes fut, on le sait, emporté par la Terreur. (MD novembre 2008)

٤‫ئهب ٽ‬ٝ‫ذ ٹٺپالٽخ ثَجت رىا‬ّٙ‫و‬٦‫لڅب ر‬٦‫ ث‬Puis on lui a reproché sa complicité

avec les députés girondins [4],

‫ذ‬٦‫] اٹنَڀ كا٭‬4[ ‫ اٹڂىّاة اصتًنوځلٌَّن‬qu‟elle a défendus bravement dans ‫ڂهټ جبَبهح يف هٍبٹخٍ ؤهٍٺزهب بذل‬٥ une lettre qu‟elle a envoyée à La 9

(

‫يف‬

« l‟assemblée constituante » (La

"‫اٹزإٍَُُخ‬

‫ُخ‬٦‫ "اصتپ‬Convention) [5], le 9 juin/ ،]5[ )Convention Hozairan 1793, une semaine après

ً‫ٺ‬٥ ٍ٣‫ل ؤٍجى‬٦‫ ث‬،1793 ‫َىځُى‬/‫ ؽيَواٿ‬leur proscription et leur procès [6].

Comme nous le savons, la période

‫بؽذ‬ٝ‫ ؤ‬،‫ٺټ‬٦‫ وٵپب ځ‬. ‫ بٱٖبئهټ وػتبٵپزهټ‬du « terrorisme » (La Terreur) ]7[ La Terreur "‫[ ؽٲجخ "اإلهڅبة‬7] a emporté le courant de pensée

libéral et humaniste auquel se

ّ‫ټ‬ٚ‫ ثزُّبه اٹٮٶو اٹٺُربارل واإلځَبين اٹنٌ اځ‬rattachaient comme elle les « Amis ‫] وؤٕلٱبء‬8[ "‫بً "ؤٕلٱبء اٹَىك‬َٚ‫ بٹُڄ ؤ‬des Noirs » [8] et les amis des .‫اٹڂَبء‬

femmes.

Ce texte évoque plusieurs épisodes de l‟histoire de la Révolution française que les électeurs natifs ont dû lire et apprendre à l'école, mais dont les lecteurs arabes profanes en 2008 ignorent tout. Le traducteur se doit de rétablir l‟équilibre explicite/implicite en faisant évidemment pencher la balance en faveur de l‟augmentation de l‟explicite pour y inscrire les compléments manquants. Contrairement à la concision des ajouts constatés dans les exemples précédents, la fonction dénotative à expliciter ici ne peut pas se résumer en quelques mots. D‟où l‟adjonction dans le paratexte de plusieurs notes de traducteur. Voici les notes ajoutées :

Partie II : Chapitre IV : Les motivations des explicitations dans le corpus du MD 2001-2011

249

‫ رُّبه ٍُبٍٍ فالٷ اٹضىهح‬:Girondins ‫] اصتًنوځلَّىٿ‬4[ [4] Les Girondins : c‟est un courant politique apparu durant la Révolution française, dont la plupart des

‫بئالد اظتوايفء اٹٮوځَُّخ‬٥ ‫بئڄ ٽڀ‬ٚ٥‫ٺت ؤ‬٩‫ ؤرً ؤ‬،‫ اٹٮوځَُخ‬membres sont issus des familles des ports français « ‫زلاٷ ومبؾبوٹزهټ اؽزواٻ‬٥‫ دتُّيوا ثبال‬،)‫ٲخ اصتًنوځل‬ٞ‫ (ٽڂ‬la région de la Gironde ». Ils se sont démarqués par leur modération et leur respect de la légitimité

)‫ اظتىاځزبځُبه (اصتجٺٌُن‬٤‫ُّخ اٹلٍزىهَّخ ورىاعهىا ٽ‬٥‫ اٹْو‬constitutionnelle. Ils se sont affrontés avec les .ٌ‫ اٹزُّبه اصتنه‬،montagnards « Montagnards », le courant radical.

‫ اضتٶټ يف‬Convention ‫ُّخ اٹزإٍَُُّخ‬٦‫] رىٹّذ اصتپ‬5[ [5] L‟assemblée constituante (Convention) a pris le ‫ل بىاؽخ اظتٺٴ‬٦‫) ث‬1795-1792( ‫ ثلاَخ اصتپهىهَخ اٹٮوځَُخ‬pouvoir au début de la première République française (1795-1792) après la déchéance du roi Louis XVI et

.‫بء اظتٺٶُّخ‬٪‫ْو وبٹ‬٥ ً‫ ٹىٌَ اٹَبك‬l‟abrogation du régime royal.

‫ل اٹضىهح اٹٮوځَُخ‬٦‫جًن "اإلهڅبة"بذل ٭زوٌب ؽٶټ ث‬٦‫] َوٽي ر‬7[ [7] l‟expression « le terrorisme » symbolise deux ‫رب احملبٵټ‬٥ ‫ فبّٕخ‬،٤‫ُّخ واٹٲپ‬٥‫لٻ اٹْو‬٥‫ دتُّيد حبٶټ اٹٲىّح و‬périodes après la Révolution française caractérisées par le règne de la force, de l‟illégalité, de la

‫لاٻ‬٥‫ ب‬٤‫ َاهّؿ اځزهبئڅب ٽ‬.‫لاٽبد ثبظتٲٖٺخ‬٥‫ االٍزضڂبئُخ واإل‬répression, notamment par les tribunaux d‟exception, .Robespierre ‫ ٽٮٶوڅب اٹوئٍَُ هوثَجًُن‬les exécutions à la guillotine. Cette période a pris fin

à la date de l‟exécution de son principal penseur Robespierre.

Ces notes témoignent d‟une recherche documentaire appliquée que le traducteur a effectuée pour comprendre lui-même ce pan de l‟histoire de France et pour en faire bénéficier ses lecteurs. Grâce à ces suppléments, le lecteur comprendra l‟idée principale consistant à préciser que De Gouges défendait la légitimité constitutionnelle et s‟opposait à la peine capitale et à tout autre acte de barbarie quel que soit le motif. L‟ensemble de ces notes permet au lecteur d‟apprendre quelques épisodes sur l‟histoire de la Révolution française et de comprendre un peu mieux pourquoi cette femme courageuse voulait défendre le roi déchu et puis les révolutionnaires. Cependant, tout en conservant la note nº 7, nous aurions préféré substituer le terme "‫( "انشػت‬la Terreur) au terme "‫( "اإلسْبة‬le terrorisme) employé par le traducteur, car ce dernier a pris une autre connotation de nos jours. o D‟autres explicitations sur des faits historiques : Voici une série d‟exemples supplémentaires sur d‟autres cas d‟explicitation dont la motivation principale est le manque de compléments contextuels relatifs à un événement historique. La plupart des traducteurs choisissent de fournir des éléments de contextualisation temporel ou géographique selon les besoins ressentis. Ce qui est intéressant dans ces exemples, c‟est la concision des explicitations fournies.

250

Partie II : Chapitre IV : Les motivations des explicitations dans le corpus du MD 2001-2011 L‟explicitation fournie Dans le texte « la Commune » et puis en note : « la deuxième Révolution française qui rétablit le régime républicain dans le pays ». Dans le texte « la semaine sanglante », En note : « C‟est l‟appellation donnée à la dernière semaine du 22 au 28 mai 1871, durant laquelle la Commune fut écrasée définitivement et ses membres exécutés en masse ». La deuxième année de la Révolution française

La traduction en arabe

Ex. 4 [...] du pronunciamiento de Francisco Franco en 1936 au coup d‟Etat d‟Augusto Pinochet en 1973 (MD mai 2009)

[...] du pronunciamiento de Francisco Franco (en Espagne) en 1936 au coup d‟Etat d‟Augusto Pinochet (en Argentine) en

‫بٻ‬٦‫[ ٽڀ اځٲالة ٭واځٶى يف اٹ‬...]

Ex. 5 sous la Restauration (MD avril 2009)

Dans le texte « la période de retour de la monarchie » et puis en note : « la période allant de la chute du premier empire en 1814 à la révolution de 1830 ».

Le désignateur du référent Ex. 1 la Commune de Paris (MD novembre 2008)

Ex. 2 la Semaine sanglante (MD décembre 2011)

Ex. 3 l‟an II (MD mai 2009)

‫ ويف‬،"ٌَ‫يف اٹڂٔ "ٵىٽىځخ ثبه‬ : ‫اضتبُّخ‬ ‫"اٹضىهح اٹٮوځَُخ اٹضبځُخ اٹيت‬ "‫بٻ اصتپهىهٌ ٹٺجٺل‬٢‫بكد اٹڂ‬٥‫ؤ‬

Le but recherché par l‟explicitation Décrire en bref cet événement qui s‟est déroulé à Paris et ses conséquences sur l‟ensemble du pays, en le considérant comme une deuxième révolution censée corriger la trajectoire démocratique du pays.

،"ٍ‫ اٹلاٽ‬٣‫ "األٍجى‬: ٔ‫ يف اٹڂ‬Préciser le caractère horrible de cet épisode ultime de la Commune qui

‫ "وڅٍ اٹزَپُخ اٹيت‬: ‫ ويف اضتبُّخ‬tend à faire oublier, dans collectif, les 22 ‫ األفًن ثٌن‬٣‫ُذ ٹألٍجى‬ٞ٥‫ ؤ‬l‟imaginaire réalisations concrètes et les espoirs ‫ ؽُش‬1871 ‫ٽبَى‬/‫ آَبه‬28‫ و‬de l‟insurrection parisienne. ‫ذ اٹٶىٽىځخ هنبئُبً وٱزٸ‬٦‫ٱپ‬

."‫ُّخ‬٥‫لاٽبد رتب‬٥‫بءڅب يف ب‬ٚ٥‫ؤ‬

‫بٻ اٹضبين ٹٺضىهح اٹٮوځَُخ‬٦‫ اٹ‬Informer le lecteur sur le fait que la

‫ (يف بٍجبځُب) وٕىالً بذل‬1936 ‫ (يف‬1973 ‫بٻ‬٦‫ثُڂىُّڄ يف اٹ‬

[...]،)‫األهعڂزٌن‬

1973,[...]

Révolution française est devenue la date de référence pour le calendrier républicain. La traduction littérale aurait occulté cette information pertinente. Le lecteur l‟aurait interprétée par rapport au calendrier grégorien, ce qui serait contradictoire avec le co-texte, provoquant ainsi un risque d‟ambiguïté. Donner un élément de contextualisation géographique sur les pays concernés par ces coups d‟état. ces deux exemples sont cités pour montrer que la légitimité démocratique a été transgressée par le passé dans plusieurs pays, dont la France.

‫ىكح‬٥ ‫ "٭ؾزًّ يف ىٽڀ‬: ٔ‫ يف اٹڂ‬Contextualiser cet événement du point

de

vue

temporel.

Son

‫ يف‬Restauration ‫ اظتٺٶُّخ‬importance réside seulement dans le de montrer aux lecteurs que le ‫ " څٍ اٹٮزوح‬: ‫ ٭وځَب" ويف اضتبُّخ‬fait problème du logement à Paris ‫ىهَخ األوذل يف‬ٝ‫ اإلٽربا‬ٛ‫ ثٌن ٍٲى‬remonte déjà à cette époque. ."1830 ‫ وصىهح‬1814

Partie II : Chapitre IV : Les motivations des explicitations dans le corpus du MD 2001-2011 Ex. 6 la Belle Époque (MD février 2010, octobre 2010 et janvier 2011)

la Belle Époque (les débuts du XXe siècle)

251

‫ "اٹيٽڀ اصتپُٸ (ثلاَبد اٹٲوٿ‬Indiquer ")‫ْوَڀ‬٦‫اٹ‬

approximativement à quelle période renvoie cette désignation. Grâce à cet élément de contextualisation, le lecteur saura saisir le contraste entre cette belle époque et la première guerre mondiale qui l‟a suivie.

Tableau 9: Des explicitations sur des faits historiques

2.1.10. Informer le lecteur sur des dates importantes Comme dans les précédents cas, il s‟agit d‟apporter des éléments de contextualisation historique qui ont été tus car supposés connus du Lecteur Modèle du texte source. Ces compléments, souvent minimes, portent sur la dénotation des référents historiques. Voyons à l'aide de quelques exemples dans quelles conditions les traducteurs du MD ont décidé d‟intervenir pour expliciter ces dates.  Exemple nº 26 : l‟appel du 18 juin Cet exemple est extrait d‟un article du MD janvier 2003, intitulé « une Europe de moins en moins européenne », où l‟auteur analyse la possibilité d‟une création d‟une véritable Grande Europe après l‟élargissement de l‟Union de 15 à 23 membres, au lieu de se limiter à la création d‟un seule espace marchand, comme c‟était toujours le cas. Il retrace l‟évolution de l‟idée européenne et les différentes initiatives politiques et intellectuelles menées par le passé pour rapprocher les peuples européens. Dans l‟énoncé suivant, il évoque l‟une de ces initiatives consistant à unifier le Vieux continent (l‟axe franco-britannique) qui a failli se réaliser le 16 juin 1940 suite à la proposition de fusion des souverainetés française et britannique faite par Churchill au gouvernement français de Paul Reynaud, et acceptée par Charles de Gaulle. Sauf que le lendemain, le 17 juin 1940, le Maréchal Pétain remplace Reynaud, annonce la capitulation de la France et appelle les Français à cesser le combat contre l‟Allemagne nazie. Retournement de situation : le 18 juin, c‟est De Gaulle qui, dans son fameux discours de Londres, appelle les Français à la résistance et à prendre les armes. Le traducteur bute sur l‟allusion contenue dans la date (18 juin) auquel le co-texte n‟a pas donné suffisamment d‟éclairage.

Partie II : Chapitre IV : Les motivations des explicitations dans le corpus du MD 2001-2011

Le remplacement de Reynaud par le maréchal Pétain à la présidence du conseil, le même jour, rendra caduque cette initiative quelque peu surréaliste, mais qui avait comme principal objet de remonter le moral des Français. C‟était deux jours avant le 18 juin... (MD janvier 2003).

252

‫ ٹٶڀ اؽالٷ اظتبهَْبٷ ثُزبٿ ٽٶبٿ هَڂى يف‬La ‫ څنڃ اظتجبكهح‬ٜ‫هئبٍخ اجملٺٌ ؤٍٲ‬ ‫ وبفتب اٹيت څل٭ذ يف‬،‫اٹَىهَبٹُخ اذل ؽل ٽب‬

.‫ڂىَبد اٹٮوځٌَُن‬٦‫ ٽ‬٤‫ّٶٸ ؤٍبٍٍ اذل ه٭‬ 18 ‫وٵبٿ مٹٴ ٱجٸ َىٽٌن ٽڀ‬

)‫بظتُخ اٹضبځُخ‬٦‫َىځُى (ثلاَخ اضتوة اٹ‬/‫ؽيَواٿ‬ ...

substitution du maréchal Pétain à Reynaud à la présidence du conseil, a invalidé cette initiative quelque peu surréaliste, mais qui avait comme principal objet de remonter le moral des Français. C‟était deux jours avant le 18 juin (le début de la Seconde guerre mondiale)

Visiblement, le traducteur connaît mal l‟histoire de la seconde guerre mondiale, car celle-ci a commencé le 1er septembre 1939. C‟est un fait historique incontournable. D‟où le manque d‟exactitude et de précision de cette tentative ratée d‟explicitation.169 Nous pensons que cette date renvoie plutôt au célèbre discours du 18 juin du Général de Gaulle, discours qui a redonné courage à une France vaincue et occupée en l‟incitant à ne pas suivre Pétain sur la voix du défaitisme et de la collaboration mais à résister. Il aurait donc été plus judicieux d‟expliciter ainsi : "‫ٍ إنٗ انًقبٔيخ‬ٛٛ‫ّ دػب انفشَغ‬ٛ‫ ٔف‬،ٌ‫ نُذ‬ٙ‫ٕ ف‬َٕٛٚ 81 ٙ‫ش انز٘ أنقبِ دٔ خٕل ف‬ٛٓ‫ٍ يٍ انخطبة انش‬ٛ‫ٕي‬ٚ ‫"نقذ كبٌ رنك قجم‬ (C‟était deux jours avant le célèbre discours du 18 juin de de Gaulle, par lequel il appelait, de Londres, les Français à résister). o D‟autres explicitations sur des dates Le but ici est d‟évoquer brièvement au lecteur arabe ce que représentent ces dates importantes dans l‟histoire moderne de la France : « mai 68 » ou le « 10 mai 1981 », « 29 mai 2005 ». Le contexte complète ensuite en donnant d‟autres précisions. L‟allusion la date

dans

Ex. 1 Mai 68 (MD mai 2006, mars 2008, septembre 2008)

169

L‟explicitation fournie La révolte de mai 1968

La traduction en arabe

Le but recherché l‟explicitation

par

1968 ‫ صىهح ٽبَى‬Tenter de révéler l‟allusion aux

événements de mai 1968. Malheureusement, quel que soit l‟apport du contexte cognitif, les traducteurs du MD font toujours preuve de parcimonie saisissante à l'égard de ce référent. Il s‟en suit que le sens de beaucoup d‟allusions et comparaisons subtiles échappe aux lecteurs arabes.170

Il s‟agit en fait d‟une violation de la maxime de la qualité que nous allons étudier dans le chapitre suivant en analysant les risques accompagnant la mise en œuvre de la stratégie de l‟explicitation telle que nous révèlent les données de notre corpus. 170 En fait, cette date fait allusion aux mouvements et manifestations survenus en France, en mai - juin 1968, et qui ont marqué l‟histoire contemporaine de la France. Il s‟agit d‟une vaste révolte culturelle, sociale, politique, spontanée, déclenchée d‟abord par la jeunesse étudiante parisienne, réclamant entre autres la « libéralisation des

Partie II : Chapitre IV : Les motivations des explicitations dans le corpus du MD 2001-2011 Ex. 2 Des socialistes qui ancrent la Bourse au cœur du moteur économique ? Nul ou presque n‟imagine un tel scénario au soir du 10 mai 1981. (MD avril 2009)

Ex. 3 L‟accablement s‟empara des éditorialistes au soir du référendum du 29 mai 2005 : « tsunami », « catastrophe », « impasse », « fiasco », « crise majeure ».

Est-ce concevable que ce sont les socialistes qui ont ancré la Bourse au cœur du moteur économique ? Nul ou presque n‟imaginait un scénario de ce genre au soir du 10 mai de l‟an 1981 [5]. [5] Le jour de la victoire de François Mitterrand aux présidentielles de la République française. L‟accablement s‟empara des écrivains des éditoriaux des journaux français, au soir du référendum du 29 mai/Ayar 2005 (qui a rejeté la constitution européenne) : « tsunami », « catastrophe », « impasse », « échec cuisant », « crise majeure ».

253

‫ٲٸ ؤٿّ االّزواٵٌُن څټ اٹنَڀ‬٦َ‫ ؤ‬Préciser à quoi renvoie cette

date : la victoire de François

‫ صجّزىا اٹجىهٕخ يف ٕٺت احملوّٳ‬Mitterrand aux élections présidentielles ». Le co-texte se ،ً‫ رٲوَجب‬،‫ االٱزٖبكٌ؟ ٽب ٽڀ ؤؽل‬charge de fournir les ٣‫ ٵبٿ َزقُّٸ ٍُڂبهَى ٽڀ څنا اٹڂى‬informations ‫بٻ‬٥

‫ٽبَى‬/‫ؤَبه‬

10

‫ٽَبء‬

complémentaires171.

‫] َىٻ ٭ىى‬5[ .]5[ 1981 ‫٭وځَىا ٽُزواٿ ثوئبٍخ اصتپهىهَخ‬

.‫اٹٮوځَُخ‬

ً‫ٺ‬٥ ‫ود اٹٖلٽخ واالهنُبه‬ٍُٞ Apporter ‫اٹٖؾب٭خ‬

‫ا٭ززبؽُبد‬

‫ٵبريب‬

29 ‫ُْخ اٍزٮزبء‬٥ ‫اٹٮوځَُخ‬

٘‫ (اٹنٌ ه٭‬2005 ‫ٽبَى‬/‫ؤَبه‬ ،"ٍ‫ "رَىځبٽ‬:)‫اٹلٍزىه األوهويب‬

،"٤َ‫ "٭ْٸ مه‬،"‫ "ٽإىٯ‬،"‫"ٵبهصخ‬ ."‫"ؤىٽخ ٵربي‬

un complément d‟information simple sur l‟évènement auquel renvoie cette date : la victoire du « non » au traité constitutionnel de l‟Europe, et ce malgré la mobilisation médiatique en faveur du « oui ». Ce résultat inattendu explique cette avalanche de qualificatifs dénonçant l‟attitude des électeurs français172.

Tableau 10: Des explicitations sur des dates

mœurs », contestant « la vieille Université ». Cette révolte gagne plus tard le monde ouvrier sur l'ensemble du territoire. Les protestataires s‟élèvent contre les dérives du capitalisme, de l'impérialisme et contre le pouvoir gaulliste en place. Cette période est caractérisée par une frénésie de discussions, de débats, d'assemblées générales, de réunions informelles dans la rue, à l'intérieur des organismes, des entreprises, des administrations, des lycées et des universités, etc. Elle a donné lieu à des slogans célèbres comme « Sous les pavés, la plage », « Il est interdit d'interdire », « Jouissez sans entraves ». Certains personnages « les soixante-huitards » en sont devenus des emblèmes, comme Serge July, Daniel Cohn-Bendit. Voici donc, grosso modo, le contenu implicite qui pourrait se déclencher, à des degrés divers, chez le lecteur natif. Il incombe au lecteur d‟en sélectionner le trait pertinent actualisé dans chaque contexte. Il s‟agit parfois de mettre l‟accent sur l‟esprit libertaire de cette révolte, parfois le féminisme, l‟hédonisme, parfois même la révolution manquée, les idées contestataires, la promotion du dialogue, la remise en cause du modèle occidental de la société de la consommation, le refus de l‟autoritarisme, etc. Mais, « Mai 68 », cela peut être aussi la « chienlit » dénoncée par De Gaulle, l‟élément catalyseur de son voyage à Baden-Baden et à terme de son retrait du pouvoir. Malheureusement, les traducteurs arabes du MD se limitent presque toujours à l'incrémentialisation indiquant qu‟il s‟agit d‟une révolte ou d‟un soulèvement populaire. 171 A la lecture du texte en entier, le lecteur comprendra que les socialistes, après leur arrivée au pouvoir, ont entrepris de grandes réformes économiques et sociales, dont notamment les travaux de nationalisations des principales banques et la réglementation de la bourse de sorte que c‟était l‟état qui dirigeait les crédits, les prix, les taux de changes, etc. Cette déréglementation de la bourse avait pour but d‟aider l‟économie et de faire marcher les reformes socialistes, mais aujourd‟hui, elle est devenue la source des problèmes économiques au point de chercher maintenant à la réguler de nouveau. 172 En lisant la suite du texte, le lecteur arabe saisira le vouloir dire global de l‟article : en votant contre le traité, le peuple français affirme sa rébellion et sa méfiance à l'égard des faux savants, des éditorialistes et de la cohorte médiatique bien-pensante.

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Partie II : Chapitre IV : Les motivations des explicitations dans le corpus du MD 2001-2011

2.1.11. Informer le lecteur sur d‟autres concepts culturels (éducatifs, politiques, économiques, etc.) Comme pour les faits historiques, le mode d‟organisation politique, économique, social, etc., d‟un pays crée sans doute des concepts spécifiques inexistants dans la culture cible, ce qui nécessite l‟intervention du traducteur. Il est vrai que du fait de la mondialisation et grâce au développement des médias de masse, beaucoup de concepts culturels, politiques et économiques, sont de plus en plus partagés universellement. Néanmoins, chaque jour naissent de nouvelles notions qu‟il faut expliciter pendant un certain temps aux destinataires avant qu‟elles ne s‟imposent à l‟échelle de la planète. Il en va de même pour les concepts culturels anciens qui sont tombés en désuétude, mais qui apparaissent de temps en temps dans des textes traitant des modes d‟organisation culturelle du passé. Dans ce cas, l‟explicitation par l‟apport de compléments cognitifs reste d‟actualité. Voici quelques exemples en contexte sur plusieurs types de concepts, ayant trait au domaine scolaire, économique, politique, social, etc.  Exemple nº 27 : la carte scolaire (qu‟est-ce que c‟est ?) Cet exemple est extrait d‟un article du MD avril 2010, intitulé « Des milieux populaires entre déception et défection », où l‟auteur évoque la possibilité que la crise économique et financière puisse remettre sur le devant de la scène politique et intellectuelle la question de la désagrégation des couches sociales, notamment la distinction entre les milieux populaires et les milieux favorisés. Dans cet énoncé, il donne l‟exemple de l‟école républicaine, qui représente un autre grand front de la distinction sociale, ou certaines politiques et logiques contribuent à défavoriser davantage la mixité sociale, comme par exemple la suppression de la carte scolaire. La suppression de la carte scolaire a encore aggravé ces logiques ségrégatives, comme le montrent le sociologue Franck Poupeau et le géographe JeanChristophe François à partir d‟une enquête en région parisienne (12). (MD avril 2010)

‫] ٱل ٭بٱټ‬81[ ‫خ اظتلهٍُّخ‬َٞ‫بء اطتو‬٪‫ ٵپب ؤٿّ بٹ‬D‟autant plus que la suppression de la carte scolaire [13] a aggravé ces formes

‫ٰ اٹزپُُيٌ حبَت ٽب‬ٞ‫بً ٽڀ ؤّٶبٷ اظتڂ‬َٚ‫ ؤ‬de logiques ségrégatives, comme le ‫بدل‬٥‫ ٭واځٴ ثىثى و‬٣‫بدل االعزپب‬٥ ‫ٺُڄ‬٥ ‫ ثوڅڀ‬montrent le sociologue Franck Poupeau et

le

géographe

Jean-Christophe

‫الٱبً ٽڀ‬ٞ‫ ٭واځَىا اځ‬٫‫وا٭ُب عبٿ ٵوََزى‬٪‫ اصت‬François à partir d‟une enquête dans une . ‫ٰ اٹجبهََُّخ‬ٝ‫ حتٲٍُٰ يف بؽلي اظتڂب‬région parisienne (12). ً‫ب‬ٙ‫بٻٌ ٵبٿ ٽٮوو‬٢‫خ اظتلهٍُّخ ځ‬َٞ‫] اطتو‬13[ [13] La carte scolaire était un système

imposé en France qui consistait à

‫ يف ٭وځَب َٺيٻ األوالك ثبظتلاهً اٹٲوَجخ ٽڀ‬devoir inscrire les enfants dans les ‫پڀ بٽٶبځُّبد اطتُبه ثٌن‬ٙ ،‫ ٽٶبٿ بٱبٽزهټ‬écoles les plus proches de leurs lieux

de résidence, parmi les choix possibles

.‫ اظتلاهً اضتٶىٽُّخ‬entre les écoles publiques (sic).173

Contrairement au lecteur natif qui connait sans doute cette mesure, grâce à son bagage cognitif, le lecteur arabe l‟ignore complètement. Sans l‟explicitation, ce dernier pourrait peut-être déduire 173

La dernière partie de la phrase semble contredire le début. Nous l‟avons traduit comme telle. Ceci perturbe sans doute le lecteur, d‟où également notre proposition de modifier la note.

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l‟idée globale consistant à dire que cette suppression porte préjudice à la mixité sociale, selon les avis des chercheurs cités, mais il ne saurait pas deviner le fond de cette affaire. Par la note adjointe, le traducteur apporte des informations sur ladite mesure, en laissant au lecteur la tâche de faire le rapprochement nécessaire entre la suppression de la carte scolaire et la ségrégation sociale, ce qui n‟est pas évident. Raison pour laquelle, nous proposons de redéfinir ce concept de sorte à rendre l‟inférence du sens pertinent de l‟énoncé plus optimal. Ceci peut se faire en mettant davantage l‟accent sur le rapport entre cette mesure et la mixité sociale. ‫ٍ ثةضتبٯ اٹزالٽُن رٺٲبئُبً يف‬ٚ‫خ اظتلهٍُّخ بعواء َٲ‬ٝ‫] "اطتبه‬1[ [1] La carte scolaire désigne un système qui affecte automatiquement un élève à l‟école de son

‫ ٭هنڃ‬،‫ٺُټ‬٦‫ وثبٹڂَجخ ٹىىاهح اٹز‬.‫ٲهټ‬ٝ‫خ ضتبهاهتټ وٽڂب‬٦‫ اظتلاهً اٹزبث‬quartier ou de sa commune. Pour le ministère de ‫ٍ كافٸ اظتاٍَبد‬٥‫ االعزپب‬٣‫ ٭وٓ اظتَبواح واٹزڂى‬٤ُ‫ وٍُٺخ ٹزْغ‬l'éducation nationale, c'est une manière de favoriser l'égalité des chances et la diversité

٤ِٙ‫ ؽىٷ علوي څنڃ اٹَُبٍخ ال رياٷ ٽى‬٬‫ ثُل ؤٿ اظتىاٱ‬،‫ اٹزوثىَخ‬sociale au sein des établissements scolaires, mais .٫‫ فال‬les avis sont toujours partagés sur l‟utilité de cette mesure.

En outre, ce supplément d‟information aura l‟avantage de renforcer la cohérence des propos de l‟auteur, tout en laissant la porte ouverte aux différentes positions vis-à-vis de cette politique qui vont suivre après. Par ailleurs, ce concept a été explicité par le traducteur du MD octobre 2010 dans un article intitulé « Et si l‟école servait à apprendre...», où l‟auteur évoquait les différentes mesures législatives prise par l‟état depuis 2002 en ce qui concerne l‟Çducation nationale. L‟auteur énumère une longue liste de reformes, dont l‟assouplissement de la carte scolaire. Selon le gouvernement, ces mesures pourraient accroître l‟efficacité scolaire. Le traducteur juge utile d‟introduire une note visant à révéler la notion de la « carte scolaire », laissant au lecteur, contexte aidant, le soin d‟induire la compatibilité ou non de l‟assouplissement de la carte scolaire avec l‟objectif affiché qu‟est l‟efficacité scolaire. Voici la note ajoutée : ‫لح جترب ؤثڂبء‬٥‫ٺً ٱب‬٥ ‫جًن ََزقلٻ ٹٺلالٹخ‬٦‫خ اظتلهٍُّخ" ر‬ٝ‫] "اطتبه‬1[ [1] La carte scolaire est une expression qui

s‟emploie pour désigner une réglementation

‫ كوٿ‬،‫ٺً اٹنڅبة بذل ٽلهٍخ اٹڂبؽُخ اضتٶىٽُّخ‬٥ ‫ڂٌن يف ځبؽُخ‬ٝ‫ اٹٲب‬obligeant les enfants résidents dans une commune .‫ٸ‬ٚ‫ اځزٲبء ؤٌّ اظتلاهً اضتٶىٽُّخ ؤ٭‬donnée à s‟inscrire dans l‟école publique située dans cette commune, sans pouvoir choisir une autre école gouvernementale jugée meilleure.

Il est clair que la formulation en arabe de cette note est plus explicite que celle d‟avant. Comme dans l‟exemple précédent, le lecteur devrait déployer d‟importants efforts interprétatifs pour comprendre en quoi le fait de laisser certains élèves s‟inscrire dans d‟autres écoles en dehors de leur quartier pourrait améliorer l‟efficacité scolaire. Cependant, nous ne jugeons pas utile d‟intervenir en explicitant ce rapport de causalité et ce pour deux raisons : d‟abord, selon notre analyse du texte en entier, l‟auteur veut railler ces mesures, en insinuant qu‟elles ne peuvent en rien améliorer la situation éducative. Il serait donc contradictoire de tenter de prouver le contraire. De plus, l‟auteur est resté évasif sur ce point, sachant que le concept de la carte scolaire est un sujet polémique sur lequel les avis sont partagés. La deuxième raison en est que cette

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mesure est citée parmi une longue liste et n‟occupe donc pas une place prépondérante dans la construction du sens global de l‟énoncé. Un an plus tard, le traducteur du MD septembre 2011 bute sur même concept et décide de le définir de façon plus concise au sein du texte. Il s‟agit d‟un article intitulé « pourquoi veulent-ils casser l‟école ? » où l‟auteur critique, non sans ironie, les mesures successives prises sous Sarkozy comme la suppression de 16 mille postes d‟enseignants, la fermeture de 1500 classes du primaire à la rentrée 2011, etc. Selon l‟auteur, l‟égalité et la mixité, jugées contre-productives, ne constituent plus une finalité de la politique éducative de la droite. Ainsi, la suppression de la carte scolaire, censée réduire la mixité, va améliorer l‟enseignement dans l‟école publique, comme c‟est le cas pour la suppression des postes d‟enseignants, etc. Voici l‟énoncé en question : La suppression de la carte ‫خ اظتلهٍُخ (بعجبه‬ٝ‫بء اطتبه‬٪‫وٍَُپؼ بٹ‬ scolaire doit permettre la constitution d‟établissements ً‫ٺً اٹنڅبة بذل ٽلاه‬٥ ‫الة‬ٞ‫اٹ‬ d‟excellence qui draineront les ‫ت‬ٞ‫ؤؽُبئهټ) ثزٶىَڀ ٽلاهً ؽتزبىح رَزٲ‬ meilleurs. (MD septembre .‫ٸ‬ٚ‫األ٭‬ 2011)

La suppression de la carte scolaire (l‟obligation d‟inscrire les enfants dans les écoles de leurs quartiers) va permettre la création d‟excellentes écoles qui attirent les meilleurs.

Cette explicitation insérée définit certes l‟essentiel de la notion, mais ne permet pas de saisir l‟ironie de l‟auteur qui critique en fait l‟argumentation du gouvernement. Il manque en effet au lecteur arabe beaucoup d‟informations sur le phénomène de ghettoïsation en France, les ZEP et la baisse du niveau scolaire, etc., pour pouvoir comprendre cet argument spécieux avancé par le gouvernement. D‟après notre analyse du contexte et de la pertinence de ce concept dans cet article consacré aux problèmes que rencontre l'école en France, nous pensons qu‟il vaudrait mieux apporter plus de compléments cognitifs sur cette mesure de sorte à aider le lecteur à percevoir la vanité, voire la gravité de l‟argumentation du gouvernement qui considère l‟école publique comme une entreprise qui doit rapporter. Pour ne pas alourdir le texte, nous suggérons d‟introduire la note suivante : ‫ حبَت‬،ٌ‫خ اظتلهٍُّخ ٽڀ اظتٮزوٗ ؤٿ َاك‬ٝ‫بء اطتبه‬٪‫بٹ‬

‫الة اجملزهلَڀ بذل اظتلاهً اصتُلح وبٿ‬ٞ‫ بذل رىا٭ل اٹ‬،‫اضتٶىٽخ‬

‫پىٷ‬٦‫ٲهټ اٹَٶڂُخ فال٭ب ظتب ٵبٿ ٽ‬ٝ‫ٵبځذ فبهط ؽلوك ٽڂب‬ ‫الة اظتڂؾلهَڀ ٽڀ ؤٍو ٭ٲًنح‬ٞ‫ ثُڂپب َجٲً اٹ‬،‫بئهب‬٪‫ثڄ ٱجٸ بٹ‬ .‫يف اظتلاهً األٱوة بٹُهټ وبٿ ٵبځذ ؤٱٸ ٵٮبءح‬

la suppression de la carte scolaire est présumée drainer, selon le gouvernement, les bons élèves vers certaines écoles de qualité, même si elles sont situées en dehors de leurs lieux de résidence, contrairement à ce qui se faisait avant sa suppression, tandis que les élèves issus de familles défavorisés vont rester dans les écoles les proches d‟eux, même si elles sont de qualité moindre.

Avec ces compléments, le lecteur sera plus apte à saisir le point de vue du gouvernement, mais aussi le revers de la médaille, c'est-à-dire la constitution de foyers où l‟enseignement se portera mal et le renforcement de la ségrégation sociale, ce qui revient à casser l‟école comme l‟annonçait clairement le titre de l‟article. Nous avons orienté le lecteur vers cette voie interprétative tout en exposant les deux points de vue, exprimés implicitement dans le texte. Ce

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qui nous intéresse dans tout cela, c‟est que la dose informative diffère d‟un contexte à l'autre, selon le besoin communicatif et le sens implicite de l‟énoncé, bien que le concept soit le même dans les trois cas énoncés ci-dessus. D‟où notre conception de l‟explicitation comme un processus d‟adaptation au lecteur et à ses besoins et attentes. Voici un deuxième exemple sur l‟explicitation d‟un concept économique.  Exemple nº 28 : le RSA (qu‟est-ce que c‟est ?) Cet exemple est extrait du même article que l‟exemple nº24. Cet énoncé figure sous la rubrique (« Prolophobie » des élites françaises »), où l‟auteur évoque les déclarations des responsables des syndicats CGT et CFDT sur la précarisation des rapports sociaux parmi les milieux populaires et la partie basse des classes moyennes qui se battent désormais non pas pour garder leurs emplois, mais pour arracher des indemnités de départ décentes. Ce sentiment de désespoir et d‟insécurité génère des réflexes individualistes. Le RSA ne fait qu‟aggraver cette précarité et cette coupure entre les milieux populaires et les classes les plus favorisées. Certaines modifications du droit du travail, comme l‟instauration du revenu de solidarité active (RSA), ont aussi pour effet d‟« institutionnaliser la coupure entre la partie précaire du salariat, où les milieux populaires sont surreprésentés, et ce qu‟il y a au-dessus ».

‫ٺً ٱبځىٿ‬٥ ‫لَالد‬٦‫٘ اٹز‬٦‫ ٭پڀ ځزبئظ ث‬Parmi ‫بٽڀ‬ٚ‫بُ اٹز‬٦‫زپبك ٽجلؤ "ٽ‬٥‫ ٽضٸ ا‬،‫پٸ‬٦‫اٹ‬

ٌٍِ‫] ؤځّهب "رُپإ‬1[ "RSA ْٜ‫اٹڂ‬ ،‫ٮبً ثٌن األعواء‬٦ٙ ‫خ ثٌن اٹٮئخ األٵضو‬٦ُٞ‫اٹٲ‬

،٤ٍ‫جُّخ ؽتضّٺخ ثْٶٸٍ وا‬٦ْ‫ اٹ‬ٛ‫ؽُش األوٍب‬

."‫ٺً ٽڂهب‬٥‫وثٌن اٹٮئبد األ‬

les conséquences de certaines modifications du droit du travail, comme l‟instauration du principe du « revenu de solidarité active (RSA) », il y le fait d‟« institutionnaliser la coupure entre la partie la plus vulnérable parmi les salariés, où les milieux populaires sont représentés largement, et les catégories qui sont au-dessus ».

Le traducteur explicite les sigles désignant ce référent, sans s‟y limiter. Sachant que le concept du RSA n‟est pas connu de son lectorat et qu‟il joue un rôle crucial dans la construction du sens de cet énoncé, le traducteur décide d‟insérer une note où il définit plus clairement l‟idée de base. Voici la note adjointe : ً‫پٺىٿ وَجٲ‬٦َ ‫بځخ رٲلّٽهب اضتٶىٽخ اٹٮوځَُّخ ظتڀ‬٥‫] ب‬1[ ]1[ Il s‟agit d‟une aide consentie par le gouvernement

français à ceux qui travaillent, mais dont les revenus restent très faibles. elle remplace le « revenu minimum ‫پٸ‬٦‫ٺّت اٹ‬ٞ‫" اٹنٌ دل َٶڀ َز‬RMI ‫ األكىن ٹالځلٽبط‬d‟insertion », lequel n‟exigeait pas d‟être en activité ‫ ٽالٌَن‬3 ‫بځخ اٹُىٻ بذل‬٥‫ ورٲلّٻ څنڃ اإل‬.‫ىځخ‬٦‫ٺً اظت‬٥ ‫ ٹٺؾٖىٷ‬pour obtenir l‟aide. Cette subvention est accordée .‫بئٺخ ٭وځَُّخ‬٥ actuellement à trois millions de ménages français.

ّ‫كفٺهټ األٍوٌّ ػتلوكاً علّاً؛ وٱل ؽٸّ ػتٸّ "اإلَواك ثبضتل‬

Le contenu de la note est peut-être discutable, mais la tentative d‟explicitation reste louable. En tous cas, le texte apporte par la suite suffisamment d‟éclairage sur cette coupure entre les classes sociales en France. Après avoir lu tout l‟article, le lecteur arabe aura compris, en partie grâce à l'explicitation, ce que recouvre le concept d‟aide gouvernementale accordée aux faibles revenus,

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ainsi que l‟une des conséquences économiques et sociales de la mise en place de cette nouvelle forme d‟allocation, grâce au contexte cognitif. o D‟autres explicitations sur des concepts relatifs au domaine économique Voici une autre série d‟exemples complémentaires sur d‟autres concepts économiques dans lesquels le traducteur a apporté un éclairage sur leurs significations en contexte. Ces compléments visent essentiellement à définir la valeur dénotative du concept lui-même d‟une manière concise et pertinente. Étant conçue comme une clé de la compréhension du sens du texte, l‟explicitation ne cherche pas directement à faire ressortir le sens implicite. Elle donne seulement les moyens permettant son inférence. Suite à leur recherche documentaire et à leur analyse componentielle et contextuelle, les traducteurs décident de retenir, dans les exemples suivants, les aspects qui lui paraissent les plus significatifs et les plus utiles d‟abord à l‟identification de la notion économique en question et puis à l'inférence du sens global de l‟énoncé dont elle fait partie. Le désignateur du référent Ex. 1 Une grève sauvage (MD juin 2009)

Ex. 2 les délocalisations (MD janvier 2006, février 2008, mars 2009, décembre 2010

Ex. 3 les prud‟hommes (MD mars 2008)

L‟explicitation fournie

La traduction en arabe

Dans le texte « la grève sauvage » et puis en note : « L‟expression « grève sauvage » signifie une grève décidée à l'improviste et sans être annoncée auparavant, c'est-à-dire sans prévenir les autorités ou les entreprises concernées. Par conséquent, cette grève est illégale ».

‫واة وؽٍْ" ويف‬ٙ‫يف اٹڂٔ "ب‬

Respectivement : « le transfert des sites de travail », « les opérations de relocalisation des sociétés en dehors du pays », « le transfert des centres d‟affaires et des industries », « le transfert avantageux des usines vers d‟autres pays ». les tribunaux de l‟arbitration dans les litiges relatifs au travail

‫جبهح‬٥

‫"رَزقلٻ‬

grève

:

‫اضتبُّخ‬

"ٍّْ‫واة وؽ‬ٙ‫"ب‬

‫واة‬ٙ‫ٺً ب‬٥ ‫ ٹٺلالٹخ‬sauvage ً‫ڂڄ ٽَجٲب‬٥ ‫الٿ‬٥‫ٽٮبعٍء ال َزټّ اإل‬ ‫واٹْوٵخ‬

‫بد‬ٞ‫اٹَٺ‬

‫الٻ‬٥‫وب‬

‫ وثبٹزبرل ٭هنا‬.‫اظتَزقلِٽخ ثٲُبٽڄ‬

.ٍّ٥‫ًن ّو‬٩ ‫واة‬ٙ‫اإل‬

٤ٙ‫بكح دتى‬٥‫ ب‬،‫پٸ‬٦‫ اٹ‬٤‫اځزٲبٷ ٽىاٱ‬

‫ ځٲٸ‬،‫اٹْوٵبد فبهط اٹجالك‬ ،‫بد‬٥‫واٹٖڂب‬

‫پبٷ‬٥‫األ‬

‫ٽواٵي‬

‫ بذل كوٷ‬٤‫اٹڂٲٸ اظتوثؼ ٹٺپٖبځ‬

‫ؤفوي‬

Le but recherché par l‟explicitation Informer les lecteurs sur les caractéristiques de ce genre de grève. Laquelle se démarque des grèves traditionnelles par le fait qu‟elle se décide en dehors de toute consigne syndicale. Dans ce contexte, les travailleurs britanniques dans le secteur de l‟énergie ont déclenché cette grève pour dénoncer le dumping social, c'est-à-dire la concurrence faussée et déloyale avec les employés de l‟Europe de l‟Est. Chaque traducteur souligne, d‟après sa connaissance du concept, et le besoin contextuel, l‟aspect saillant à révéler au lecteur : Fabriquer à l'extérieur, faire baisser le coût du travail et donc le prix, maximiser le profit d‟entreprises, etc.

‫پٸ‬٦‫بد اٹ‬٥‫ ػتبٵټ اٹزؾٶُټ يف ځيا‬Montrer la particularité de cette

juridiction spécialisée dans les litiges liés au code du travail, comme la contestation d‟un licenciement, etc.

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Partie II : Chapitre IV : Les motivations des explicitations dans le corpus du MD 2001-2011 Ex. 4 CAC 40 (MD avril 2009), (MD septembre 2010),

Ex. 5 l‟écu (MD juillet 2005)

Ex.6 Le bouclier fiscal (MD avril 2008)

Ex.7 La gabelle (MD mai 2009)

Ex.8 Les régimes spéciaux (MD janvier 2008)

D‟abord « l‟indice CAC 40 » et puis Respectivement : « le fameux indice des premières grandes entreprises à Paris », « les sociétés de l‟indice de la bourse française CAC 40 ». l‟ancienne monnaie théorique européenne

Dans le texte « le bouclier fiscal » et puis en note : « Le bouclier fiscal est un paquet d‟exonérations fiscales que M. Sarkozy a accordé, en début de son mandat, aux gens ayant des revenus très hauts ». La taxe sur le sel

Dans le texte « les régimes spéciaux » et puis en note : « C‟est-àdire les régimes de la retraite dans certaines entreprises du secteur public qui acceptent le départ anticipé en retraite ».

"CAC 40 ‫ "ٽاّو‬: ٔ‫ يف اٹڂ‬Expliquer brièvement qu‟il s‟agit d‟un

indice

boursier

des

‫ "اظتاّو‬: ،‫ٺً اٹزىارل‬٥ ،‫ وٽڀ ٍب‬quarante plus grandes entreprises ‫ اٹْهًن ٹٺْوٵبد األوذل يف‬cotées à Paris ‫ ٵربَبد ّوٵبد ٽاّو‬،ٌَ‫ثبه‬

. "‫اٹجىهٕخ اٹٮوځَُخ‬

‫وَخ األوهوثُخ ٱجٸ‬٢‫پٺخ اٹڂ‬٦‫ اٹ‬Informer le lecteur du fait que

c‟est le nom de l‟unité de compte

‫( اٹُىهو‬panier de valeurs) de la CEE

‫ ويف‬،"‫وَجُخ‬ٚ‫ اٹ‬٣‫ "اٹله‬: ٔ‫يف اٹڂ‬ :

‫وَجُخ‬ٚ‫ اٹ‬٣‫ "اٹله‬: ‫اضتبُّخ‬

‫ٮبءاد اٹيت ٽڂؾهب‬٥‫ؽيٽخ ٽڀ اإل‬ ‫اٹَُل ٍبهٵىىٌ يف ثلاَخ والَزڄ‬ ‫بٹُخ‬٦‫بذل ؤٕؾبة اظتلافُٸ اٹ‬

avant que l‟UE ne passe à une véritable monnaie, l‟Euro. Définir l‟essentiel de cette mesure fiscale. Sachant qu‟elle profite aux riches, grâce au plafonnement de l‟imposition, le lecteur peut comprendre l‟attitude de l‟interlocuteur (un journaliste) qui nie avoir bénéficié d‟une telle mesure.

."‫علا‬

‫وَجخ اظتٺؼ‬ٙ Préciser l‟objet de cette taxe

،" ‫پخ اطتبٕخ‬٢‫ "األځ‬:ٔ‫يف اٹڂ‬

‫ل‬٥‫پخ اٹزٲب‬٢‫ "ؤٌ ؤځ‬:‫ويف اضتبُّخ‬ ،‫بٻ‬٦‫ اٹ‬٣‫ب‬ٞ‫٘ ّوٵبد اٹٲ‬٦‫يف ث‬ ً‫ثبٵوا‬

‫ثبإلؽبٹخ‬

‫رَپؼ‬

‫اٹيت‬

."‫ل‬٥‫ٹٺزٲب‬

ancienne qui a existé en France. Le contexte précise ensuite qu‟elle a fait l‟objet de l‟une des réformes proposées lors de la Révolution française. Montrer en quoi, dans le contexte d‟apparition de ce terme, ce régime suscite les critiques de certains de ses détracteurs qui le considèrent comme un « privilège intolérable », « une inégalité inacceptable », etc.

Tableau 11: Des explicitations sur des concepts économiques

Les concepts inhérents au domaine politique occupent une place de premier choix dans cette catégorie de référents culturels suscitant une explicitation sur leur dénotation en discours. Les traducteurs leur appliquent le même traitement qu‟aux concepts économiques ou éducatifs : apports de renseignements pertinents sur le référent en question en vue d‟une mise en perspective contextuelle. Voici un exemple d‟explicitation visant à informer le lecteur arabe sur un ancien mode électoral appelée le suffrage censitaire. Est-elle nécessaire ? Son dosage est-il utile ?  Exemple nº 29 : le suffrage censitaire (qu‟est-ce que c‟est ?) Cet exemple est extrait d‟un article du MD mai 2011, intitulé « 1848, le printemps des peuples », où l‟auteur évoque un sujet historique, mais qui est d‟actualité politique pour le lectorat arabe, en

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Partie II : Chapitre IV : Les motivations des explicitations dans le corpus du MD 2001-2011

pleine effervescence populaire. En fait, l‟auteur établit un parallèle implicite entre le « Printemps arabe » et ce qu‟il appelle le printemps français et européen, une sorte de message d‟encouragement, d‟éclairage sur les étapes à venir et de rappel des leçons que les peuples arabes peuvent tirer de l‟expérience française. Dans cet énoncé qui figure en début de l‟article, le traducteur bute sur le concept de « suffrage censitaire » qu‟il tente d‟expliciter au lectorat arabe, tout en le mettant en parallèle avec celui du « suffrage universel » qui fait partie des revendications populaires dans les pays en révolution. Voici la traduction effectuée : En 1848, le printemps commence le 22 février, à Paris. Pour contourner l‟interdiction de réunion et d‟association imposée par la monarchie de Juillet, les partisans d‟une réforme du suffrage censitaire organisent, depuis juillet 1847, une campagne de banquets où les toasts se transforment en discours politiques. (MD mai 2011)

‫٭رباَو‬/ٛ‫ ّجب‬22 ‫ يف ثبهٌَ يف‬٤ُ‫ اثزلؤ اٹوث‬Le printemps commence à Paris,

le 22 février 1848. Et pour

٤‫ٺً ٱبځىٿ ٽڂ‬٥ ‫ ٭ٺٺزؾبَٸ‬.1848 contourner la loi d‟interdiction ‫بٻ‬٢‫ڄ ځ‬ٙ‫ُبد اٹنٌ ٭و‬٦‫بد واصتپ‬٦ّ‫ اٹزغپ‬de réunion et d‟association imposée

par

le

régime

‫بٹجىٿ ثةٕالػ‬ٞ‫ّټ اظت‬٢‫ ځ‬،ٍّ‫َىٹُى اظتٺٶ‬/‫ دتىى‬monarchique de Juillet, les ‫ ٽڂن‬،[1]‫ىٽخ اٹزٖىَذ االځزٲبئُّخ‬٢‫ ٽڂ‬partisans d‟une réforme du

système du suffrage sélectif [1] organisent, depuis juillet 1847, .‫بثبد ٍُبٍُخ‬ٞ‫ ٭ُهب األـتبة بذل ف‬une « campagne de banquets » où les toasts se transforment en discours politiques.

‫ "زتٺخ ٽأكة" حتىّٹذ‬،1847 ‫َىٹُى‬/‫دتىى‬

Et puis, le traducteur ajoute la note suivante que nous avons mise à l'écart vu son volume : ‫ ال‬٣‫ىٽخ اٱزوا‬٢‫ ٽڂ‬: suffrage censitaire ]1[ [1] le suffrage censitaire : Il s‟agit d‟un système électoral qui autorise uniquement les contribuables, ayant payé

‫وائت‬ٚ‫ُّڂبً ٽڀ اٹ‬٦‫ىا ٱلهاً ٽ‬٦‫ رَپؼ ٍىي ٹڂبفجٌن ك٭‬un certain montant d‟impôts, à voter aux élections, ‫جٲخ‬ٞ‫ ٹألصوَبء واٹ‬ٜ‫ ؤٌ ٭ٲ‬،‫ ثبٹزٖىَذ يف االځزقبثبد‬autrement dit, le droit de vote est réservé aux riches et aux membres de la classe moyenne. Par opposition à ce

suffrage ‫بٻ‬٦‫ اٹ‬٣‫ وَٲبثٺهب االٱزوا‬.ًٍٞ‫ اٹى‬mode de scrutin, il y a le suffrage universel accessible à .‫ٌن‬٪‫ ٹٶٸّ اٹجبٹ‬universel tous les adultes. Au-delà de cette description du concept historico-politique du « suffrage censitaire », la déduction du message implicite de tout l‟énoncé et de tout l‟article est laissée à la compétence interprétative du lecteur arabe. Expliciter dans ces derniers numéros devient pour les traducteurs du MD un exercice périlleux. Ils doivent être vigilants en traitant des sujets évoquant les révoltes pour ne pas heurter la sensibilité de certains régimes monarchiques menacés également par la vague révolutionnaire. Bien que ce texte regorge de messages implicites subliminaux, les traducteurs se limitent à l'apport de compléments informatifs neutres sur les référents jugés inconnus, laissant la déduction de l‟intention de dire au lecteur. En ce qui concerne cette explicitation, elle contribue à l'élucidation du vouloir dire de l‟énoncé, à savoir revendiquer la réforme de ce système électoral qui accordait le droit de vote aux riches et aux privilégiés.

Partie II : Chapitre IV : Les motivations des explicitations dans le corpus du MD 2001-2011

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Quant à l'intention de dire, le lecteur arabe comprendra que le suffrage universel n‟a pas toujours été le mode électoral en vigueur par le passé, et qu‟il fallait se battre pour l‟acquérir. Les Français l‟ont fait au printemps de 1848 et ont réussi à instaurer la deuxième république, les Arabes peuvent le faire en ce printemps 2011 et passer également à leurs deuxièmes républiques. Par ailleurs, ce même concept a été explicité différemment dans un autre article du MD octobre 2007 lors de la traduction de l‟énoncé suivant : Après Thermidor (la ‫بٻ‬٦‫ هوثَجًُن يف اٹ‬ٛ‫ل "روٽُلوه" (ٍٲى‬٦‫وث‬ chute de Robespierre en 1794), le Directoire remet "‫بكد ؽٶىٽخ "اظتلَوَڀ‬٥‫ ؤ‬،)1794 en vigueur le suffrage ٤‫بٻ اٹڂبفت كا٭‬٢‫پٸ ثڂ‬٦‫ اٹ‬Directoire censitaire. (octobre 2007)

Après Thermidor (la chute de Robespierre en 1794), le gouvernement des « Administrateurs » (Directoire) a remis en vigueur le système .‫وَجخ‬ٚ‫ اٹ‬d‟électeur payeur d‟impôts.

Dans cet article intitulé « En France, retour aux privilèges fiscaux de l‟ancien régime », le vouloir dire principal du texte est axé sur la question de la fiscalité et des cadeaux que le gouvernement accorde actuellement aux patrons et aux grandes entreprises, au détriment du peuple. Ce concept n‟avait pas de connotation implicite particulière pour le lecteur arabe en 2007, ce qui a incité le traducteur à expliciter le trait pertinent concernant ce mode électoral autorisant les seuls contribuables à voter. En revanche, il revêtait une importance capitale pour le lecteur français au moment ou Sarkozy commençait à prendre des mesures fiscales que l‟auteur considère comme des cadeaux fiscaux accordés aux riches. Le contexte était suffisamment clair pour que le lecteur natif en comprenne le sens implicite. Le lecteur arabe réussit lui aussi à saisir le vouloir dire global du texte, grâce au contexte cognitif et aux explicitations fournies, mais sa perception de l‟effet voulu reste en deçà de celui que perçoit le lecteur natif du MD qui est souvent de gauche. Remarquons au passage que l‟auteur lui-même a explicité le fait historico-politique « Thermidor » en apportant l‟information manquante. Si l‟auteur ne l‟avait pas fait, le traducteur l‟aurait sans doute intégré dans sa traduction. À défaut, l‟énoncé ne serait pas bien compris. C‟est d‟ailleurs pour cette raison que le traducteur a également explicité le concept politique de « Directoire » pour s‟adapter au nouveau cadre de réception alors que l‟auteur l‟a tu étant supposé connu du lectorat natif. Notons enfin la difficulté de traduire le sens de ce court énoncé chargé de trois concepts culturels que le traducteur s‟est vu contraint d‟expliciter à ses lecteurs. Traduire cet énoncé sans opérer aucune explicitation engendra certainement une perte sémantique et un risque d‟incompréhension de la phrase ainsi produite. o D‟autres explicitations de concepts politiques Voici une série d‟exemples secondaires reflétant les différentes estimations de la teneur informative à apporter au lectorat arabe selon chaque concept et chaque contexte.

Partie II : Chapitre IV : Les motivations des explicitations dans le corpus du MD 2001-2011 Le désignateur du référent Ex. 1 La France– Afrique (MD janvier 2011), (MD septembre 2007)

Ex. 2 L‟ouverture à gauche? Voyez M. Bernard Kouchner. La parité? Regardez Mme Christine Lagarde. (MD juin 2008)

Ex. 3 Les états généraux de la presse (MD août 2008)

174

L‟explicitation fournie

La traduction arabe

Dans les textes « l‟Afrique française » et puis, respectivement, ces notes : « La FranceAfrique (les réseaux des intérêts inhérents à la France en Afrique) » et « les relations entre la France et ses anciennes colonies ». Qu‟en est-il de l‟ouverture à la gauche? Le voici M. Bernard Kouchner. Qu‟en est-il de la défense des droits de la femme et de l‟égalité des quotas? Regardez Mme Christine Lagarde.

‫ "ؤ٭وَٲُب‬:ٓ‫يف كافٸ اٹڂٖى‬

Dans le texte : « les rencontres générales de la presse », et puis en note : « Le gouvernement français organise des rencontres générales » où participent tous les acteurs dans un secteur donné, pour débattre de sujets déterminés. La dernière rencontre avait pour thème l‟écologie ».

en

‫ ويف اضتىاٍّ آفو‬،"‫اٹٮوځَُخ‬ ‫ "ّجٶخ‬:‫ٺً اٹزىارل‬٥ ‫اظتٲبالد‬ ‫خ ثٮوځَب يف‬ٞ‫اظتٖبحل اظتورج‬

262

Le but recherché par l‟explicitation Décrire en bref le contenu de ce concept désignant en fait les réseaux d‟influences et relations politiques et économiques qui lient la France à ses anciennes colonies en Afrique.

‫الٱبد ثٌن ٭وځَب‬٦‫ "اٹ‬،"‫ب٭وَٲُب‬

."‫پواهتب اٹَبثٲخ‬٦‫وٽَز‬

ً‫ٺ‬٥ ‫ڀ االځٮزبػ‬٥ ‫ "وٽبما‬Présenter ‫اٹَُبه؟ څب څى اٹَُل ثوځبه‬

‫ڀ‬٥ ٣‫ڀ اٹل٭ب‬٥ ‫ وٽب‬.‫ٵىّڂًن‬ ٌ‫واٹزَبو‬

‫اظتوؤح‬

‫ؽٲىٯ‬

‫ثبضتٖٔ"؟ څب څٍ اٹَُلح‬

.‫بهك‬٩‫ٵوََزٌن ال‬

‫بٽخ‬٦‫ "اٹٺٲبءاد اٹ‬: ٔ‫يف اٹڂ‬ ‫ وٽڀ ٍب يف اضتبُّخ‬،"‫ٹٺٖؾب٭خ‬

‫ّټ اضتٶىٽخ‬٢‫ " رڂ‬: ‫آفو اظتٲبٷ‬

‫بٽّخ" رْبهٳ‬٥ ‫اٹٮوځَُّخ "ٹٲبءاد‬

avec une longue périphrase l‟idée essentielle véhiculée par ce terme. Le traducteur opte pour cette définition pour aider le lecteur à saisir le sens pertinent de la phrase, à savoir que la politique menée par le président Sarkozy favorise l‟ouverture au camp politique de la gauche et l‟ouverture aux valeurs d‟égalité et aux réclamations des féministes, en attribuant des postes ministériels clés à des femmes.174 Souligner le trait principal de ce grand rassemblement de réflexion et de concertation organisée sous Sarkozy pour discuter des affaires concernant la presse française.

٣‫ّب‬ٞ‫بٹُّبد يف ٱ‬٦‫ اٹٮ‬٤ُ‫٭ُهب رت‬

٤ُٙ‫ ٹٺڂٲبُ ؽىٷ ٽىا‬،‫ُّڀ‬٦‫ٽ‬

."‫ ٵبٿ آفوڅب ؽىٷ اٹجُئخ‬.‫ُّڂخ‬٦‫ٽ‬

La traduction du concept de parité en arabe a toujours posé problème dans les traductions du MD. Ainsi, dans le MD septembre 2001, le traducteur a proposé de le rendre par "‫بكٷ يف اظتڂبٕت‬٦‫( "اٹز‬l‟égalité aux postes). On peut dès lors comprendre que ce concept venait de paraître et que la langue arabe n‟a pas encore forgé le mot équivalent. Or, dix ans plus tard, le traducteur du MD janvier 2011 bute sur l‟expression « la parité politique » qu‟il propose de traduire par une cette explicitation "‫( "اٹزٶب٭ا اٹَُبٍٍ ثٌن اصتڂٌَن‬l‟équité entre les sexes dans le domaine politique). Le traducteur du MD août 2011 s‟en est sorti moins bien en traduisant l‟expression « la parité hommes/femmes » dans un texte parlant des dénominations données aux noms de rue qui doivent respecter cette parité selon les réclamations des Grünen, par "‫ ثٌن اٹوعٸ واظتوؤح‬ٛ‫( "اؽزواٻ االفزال‬le respect de la mixité entre l‟homme et la femme). L‟expression arabe employée suggère plutôt au lecteur qu‟hommes et femmes peuvent se côtoyer dans les mêmes rues ou endroits publics ce qui, dans certains pays arabes, nécessite des autorisations, et cela n‟a rien à voir avec le sens de l‟énoncé.

Partie II : Chapitre IV : Les motivations des explicitations dans le corpus du MD 2001-2011 Ex. 4 La nomenklatura (MD août 2011), (MD juin 2005), (MD septembre 2002) Ex. 5 Goulag (MD décembre 2001), (MD août 2007)

D‟abord le report « nomenklatura » et puis respectivement « la bureaucratie gouvernante », « l‟élite gouvernante », « la classe dominante ». Respectivement : « un camp de prisonniers politiques », « les prisonniers politiques dans les camps de travaux forcés ».

263

‫ وٽڀ‬،"‫ يف اٹجلء "اٹڂىٽڂٶالرىها‬Tenter de définir l‟aspect essentiel

de ce terme politique. Le contexte

‫ُخ‬ٝ‫"اٹجًنوٱوا‬: ‫ٺً اٹزىارل‬٥ ‫ ٍب‬permet ensuite de préciser qu‟il ،"‫ "اٹڂقجخ اضتبٵپخ‬،"‫ اضتبٵپخ‬s‟agit de l'élite du parti communiste

."‫وح‬َُٞ‫جٲخ اظت‬ٞ‫"اٹ‬

،"‫زٲٺٌن اٹَُبٌٍُن‬٦‫َٶو اظت‬٦‫"ٽ‬

‫يف‬

‫اٹَُبٌٍُن‬

‫"اظتَبعٌن‬

"ٌ‫پٸ اإلعجبه‬٦‫َٶواد اٹ‬٦‫ٽ‬

de l'Union soviétique qui a la mainmise sur les principales institutions de l‟état. Présenter les traits définitoires de ce terme caractéristique du régime soviétique, à savoir : incarcération des dissidents et des opposants au régime totalitaire, travaux forcés.

Tableau 12: Des explicitations sur des concepts politiques

2.1.12. Informer le lecteur sur d‟autres objets et concepts culturels inconnus A tous ces faits historiques et concepts politiques, économiques, éducatifs etc., s‟ajoutent parfois des objets de la vie quotidienne ou des concepts sociaux d‟une culture donnée qui ne sont pas forcément connus ou médiatisés, ce qui nécessite l‟apport de compléments cognitifs les décrivant. Voyons d‟abord cet exemple sur l‟explicitation d‟un habit traditionnel écossais.  Exemple nº 30 : le kilt (qu‟est-ce que c‟est ?) Cet exemple est extrait d‟un article du MD février 2011, intitulé « Depuis une chambre à Glasgow », où l‟auteur relate sa rencontre avec l‟un des plus influents écrivains écossais, James Kelman, lauréat du prix le Booker Prize. Il analyse ses idées philosophiques sur l‟enseignement, l‟antiparlementarisme, etc. Dans cet énoncé, l‟auteur évoque en particulier son attitude abstentionniste, qui est apparemment ancrée dans l‟histoire populaire écossaise. C‟est le terme « kilt » qui a suscité l‟explicitation. Cependant, son intérêt ne se limite pas à la seule description de l‟objet, mais plutôt à l'élucidation du sens global de l‟énoncé. L‟histoire populaire a une nette préférence pour les guerriers en kilt qui idolâtrent des chefs de clan et condamnent leurs enfants et les enfants de leurs enfants à une éternelle soumission. (MD février 2011)

‫ىػ ؤوٹئٴ‬ٙ‫يبّ ثى‬٦ْ‫ّٸ اٹزبهَـ اٹ‬ٚ‫ بم َٮ‬L‟histoire ‫احملبهثٌن اٹنَڀ َورلوٿ "اٹٶُٺذ" (اٹزڂّىهح‬ ‫پبء‬٥‫ڂُخ االٍٶزٺڂلَخ) اٹنَڀ َاٹّهىٿ ى‬ٝ‫اٹى‬ ‫ٺً ؤوالكڅټ وؤؽٮبكڅټ‬٥ ‫ ولتٶپىٿ‬،‫اٹٲجبئٸ‬

.ٌ‫ األثل‬٣‫ثبالځُٖب‬

populaire préfère nettement les guerriers habillés en « kilt » (la jupe nationale écossaise) qui idolâtrent des chefs de clan et condamnent leurs enfants et les petits-enfants à une éternelle soumission.

Confronté au problème de la méconnaissance du lectorat arabe de cet habit traditionnel écossais, le traducteur se contente d‟emprunter le terme, en guise de correspondance d‟office et il ajoute entre parenthèses une brève définition imagée, dans laquelle le mot « jupe » acquiert un pouvoir évocateur. En fait, ce mot pourra éventuellement stimuler dans les connaissances passives des lecteurs arabes des images stockées dans la mémoire cognitive, vues lors d‟un documentaire sur

Partie II : Chapitre IV : Les motivations des explicitations dans le corpus du MD 2001-2011

264

l‟Ecosse par exemple, ce qui suffirait à faire naître l‟image de l‟habit ainsi décrit175. Au-delà de cette description de l‟habit, les lecteurs arabes vont pouvoir déduire, contexte aidant, que la culture populaire est plutôt défavorable aux nouvelles pratiques parlementaires. Elle préfère les guerriers en kilt aux parlementaires en costume-cravate, d‟où son anti-parlementarisme. o D‟autres explicitations sur différents référents « realia » Sur le même exemple, nous avons relevé d‟autres cas d‟explicitation sur d‟autres noms d‟habits, de mets, de moyens de transport, etc., mais aussi d‟autres concepts relatifs au domaine de la santé, dont le dénominateur commun est leur absence dans la langue-culture du lectorat cible. Chaque traducteur s‟ingénie à apporter les compléments cognitifs susceptibles d‟évoquer l‟image mentale de l‟objet ou du concept en question. Ceci prouve la possibilité de la traduction malgré le vide lexical et la distance culturelle. 

Des explicitations sur des noms de vêtements

Il s‟agit de désigner cet habit à l'aide d‟une synecdoque révélant son aspect physique ou fonctionnel, sa particularité sociale ou populaire ou tout autre trait saillant susceptible d‟en donner une représentation visuelle chez le lecteur cible. Le désignateur du référent Ex. 1 Le poncho (MD mars 2008) Ex. 2 La Parka (MD août 2010)

L‟explicitation fournie

La traduction en arabe

L‟habit traditionnel indien au Pérou

ٌ‫اٹزٲٺُل‬

Sa veste épaisse

Le but recherché par l‟explicitation

ً‫ اٹٺجب‬Montrer le trait caractéristique de cet objet, décrit par le contexte comme étant l‟une des

‫ اعتڂلٌ يف اٹجًنو‬curiosités touristiques de certains pays de ‫ٍزورڄ اٹَپُٶخ‬

l‟Amérique du Sud. Décrire cet habit d‟hiver russe de façon à évoquer au lecteur son image mentale et sa nature.

Tableau 13: Des explicitations sur des noms de vêtements



Des explicitations sur des noms de mets

Il s‟agit souvent de décrire ces plats en précisant leurs principaux ingrédients pour aider le lecteur à se les représenter grossièrement. La valeur symbolique de ces plats que véhiculent certains plats typiques, régionaux ou nationaux, est souvent exprimée sous forme de métonymie au motif gastronomique que nous allons étudier dans la prochaine section sous la problématique nº 2.

175

Ceux auxquels cette « jupe » ne parle pas, parviendront néanmoins à conceptualiser l‟objet ainsi désigné. Et là intervient la forte disparité intraculturelle dans la perception des lecteurs arabes. En effet, un lecteur yéménite n‟aura aucun mal à imaginer cet habit et déduire le sens, car les guerriers tribaux chez nous s‟habillent presque de la même façon, à une différence près, le port de sous-vêtement est nécessaire. En revanche, cette explicitation ne manquera pas de susciter l‟étonnement du lecteur profane égyptien ou libanais, choqué d‟apprendre que les guerriers portent des jupes, cet accessoire étant réservé uniquement aux femmes.

Partie II : Chapitre IV : Les motivations des explicitations dans le corpus du MD 2001-2011

265

Le désignateur du référent Ex. 1 Le gratin de christophine (MD novembre 2008) Ex. 2 Le pot-au-feu (MD janvier 2011)

L‟explicitation fournie Une purée de courgette dont le goût est proche des pommes de terre

La traduction en arabe

Un plat à base de viande et de légumes

‫به‬ٚ‫ وعجخ ٽڀ اٹٺؾټ واطت‬Décrire les ingrédients pour évoquer

Ex. 3 La blanquette de veau (MD janvier 2011)

Du veau avec du riz et de la soupe du lait

‫ اٹوى وٽوٱخ‬٤‫غٸ ٽ‬٦‫اٹ‬

Le but recherché par l‟explicitation

‫ ٽڀ اٹٶىٍبء‬٣‫ څى ځى‬Décrire ce plat en évoquant au lecteur arabe ‫ب‬ٝ‫ب‬ٞ‫پڄ ٱوَت ٽڀ اٹج‬٦ٝ

‫اٹٺنب‬

son goût et son ingrédient principal.

grossièrement au lecteur à quoi ressemble le plat. Le traducteur n‟a pas jugé utile, à juste titre, d‟expliciter le côté emblématique de ce plat dans la gastronomie française, car ce n‟était pas un trait pertinent dans le contexte d‟apparition de ce terme. Il s‟agissait d‟une simple énumération de certains plats servis, sans connotation particulière. Tenter de décrire ce plat en précisant les ingrédients dont il se compose.176

Tableau 14: Des explicitations sur des noms de mets



Des explicitations sur des concepts relatifs au domaine de la santé

Ce sont souvent des noms de produits pharmaceutiques, d‟actes médicaux ou de concepts culturels inhérents au domaine de la santé, de l‟assurance maladie (franchise, mutuelle, etc.), que le traducteur cherche à décrire brièvement au lecteur, selon le mode de l‟évocation, en usant d‟une synecdoque assez parlante ou en recourant à une note explicative lorsque le concept exige de plus amples informations. Le désignateur du référent Ex. 1 Les médicaments génériques (MD juin 2009)

176

L‟explicitation fournie

La traduction en arabe

Dans le texte « les médicaments génériques », et puis en note « Il s‟agit de médicaments dont les brevets sont expirés et qui peuvent être désormais produits librement et à bas coût. La plupart des médicaments disponibles sur le marché sont des médicaments génériques ».

‫ ويف‬،"‫ "األكوَخ اصتڂَُخ‬: ٔ‫ يف اٹڂ‬Montrer la particularité de ces

Le but recherché l‟explicitation

par

médicaments par rapport à ceux

ٍ‫ څ‬: ‫ آفو اظتٲبٷ "األكوَخ اصتڂَُخ‬dits « de marque ». A partir de là, sens global de l‟énoncé ‫ األكوَخ اٹيت اځزهذ ٽلّح ؽٖوَّخ‬le s‟éclaircit : il existe un problème

‫ وؤٕجؼ نتٶڀ‬،‫هب‬٥‫ ثواءاد افزوا‬de ‫به‬٦ٍ‫هب ثْٶٸٍ ؽوّ وثإ‬٦ُ‫رٖڂ‬

‫ټ األكوَخ اظتزلاوٹخ‬٢٦‫ ٽ‬.‫هفُٖخ‬ ".‫څٍ ؤكوَخ عڂَُخ‬

brevetage excessif, responsable, selon le rapport de la commission européenne, d‟un « déclin de l‟innovation » et de « retards dans la mise sur le marché de médicaments génériques ».

Par l‟expression « le bouillon de lait », le traducteur semble vouloir décrire le fait que la viande de veau est cuite à l‟eau avec des légumes (des carottes), et qu‟on ajoute ensuite dans le bouillon de la farine, un jaune d‟œuf et de la crème fraîche pour faire une sauce blanche qui viendra napper les morceaux de viande. En tous cas, cette expression n‟évoque rien pour nous. Nous aurions proposée simplement "‫به واظتوٱخ‬ٚ‫غٸ ثبطت‬٥ ‫( "ضتټ‬viande de veau bouillie avec légumes). Dans la cuisine yéménite, il existe un plat qui lui ressemble beaucoup, mais désigné avec un terme dialectal („qdat laḥm ‫ٲلَح ضتټ‬٥َ ) que les autres arabophones risquent de ne pas comprendre, ce qui nous empêche de l‟utiliser.

Partie II : Chapitre IV : Les motivations des explicitations dans le corpus du MD 2001-2011 Ex. 2 L‟euthanasie (MD mai 2005), (MD mars 2010)

La mort douce

266

‫ اظتىد اٹوؽُټ‬Tenter

par cette périphrase définitoire de souligner un aspect positif de ce type de mort provoquée par les médecins, à savoir alléger les souffrances de certains malades incurables ou permettre aux vieillards en fin de vie de mourir dans la dignité au lieu de subir la détérioration de leurs conditions de vie, etc.177

Tableau 15: Des explicitations sur des concepts liés au domaine de la santé

2.2. La problématique de la métaphorisation du langage Cette problématique constitue l‟une des cinq motivations principales178 de l‟explicitation en traduction en général et dans le MD en particulier. À l'origine de cette problématique générale se trouve l‟idée d‟une comparaison implicite, faisant référence à une information extralinguistique souvent inconnue du lecteur cible, et présentée sous forme de raccourci linguistique nécessitant des connaissances linguistiques et culturelles approfondies et un effort interprétatif du texte. Basés sur la connivence entre l‟auteur et son Lecteur Modèle, sur la confiance en la capacité de ce dernier à déduire le message subrepticement caché, ces raccourcis linguistiques s‟expriment par le biais de plusieurs procédés tropiques (métaphores, métonymies, antonomases, éponymes) que nous allons étudier, exemples à l'appui, dans cette section. Les risques liés à cette problématique sont souvent des risques d‟incompréhension, notamment en cas de traduction directe, car il y a souvent un échec de la communication. Sous cette problématique générale, nous allons analyser plusieurs problèmes spécifiques relatifs aux emplois métonymiques, antonomasiques, éponymiques des noms propres, mais aussi les problèmes de traduction des expressions métaphoriques, des désignations symboliques et des jeux de mots. Toutes ces constructions complexes sous-tendent une sorte de comparaison implicite entre deux éléments, de « clin d‟œil de complicité » (Henry 2003 : 38), qu‟il conviendrait d‟expliciter au lecteur cible pour en saisir et le sens pertinent et la touche stylistique. A la lumière de notre conception de l‟explicitation, nous allons tenter de cerner de plus près les aspects théoriques de cette problématique et analyser leur mécanisme de fonctionnement en discours. Cet exposé nous permettra de mieux concevoir le traitement adapté aux problèmes 177

Le choix du traducteur du MD mai 2005 est justifié car l‟énoncé où figurait ce terme exposait les arguments en faveur de la légalisation de cette pratique. Néanmoins, le traducteur du MD mars 2010 aurait mieux fait d‟adopter une explicitation plus étoffée et précise comme la périphrase "‫جُخ‬ٝ ‫لح‬٥‫( "االځزؾبه مبَب‬le suicide médicalement assisté) : une telle explicitation aurait l'avantage de souligner d‟une part le côté polémique de ce concept en évoquant clairement l‟idée de suicide, qui fait l‟objet de controverse, et d‟autre part, l‟aspect humain et positif en signalent l‟intervention médicale qui sous-entend une mort rapide et sans souffrance. 178 Quant à son classement par ordre d‟importance et de fréquence dans le corpus du MD, nous allons le présenter à la fin de chapitre dans la section dédiée à l'étude statistique du nombre total d‟explicitations figurant sous chaque catégorie.

Partie II : Chapitre IV : Les motivations des explicitations dans le corpus du MD 2001-2011

267

spécifiques que soulèvent tous ces emplois métaphoriques. Viendra ensuite une série d‟une quarantaine d‟exemples principaux et secondaires étayant nos propos et détaillant les différents cas de figures observés dans notre corpus. 2.2.1. Les procédés tropiques : métonymie, métaphore, antonomase, éponyme Sans vouloir nous arrêter sur les aspects purement rhétoriques de ces figures de style, nous allons nous limiter à la présentation des aspects conceptuels liés directement à leurs emplois discursifs et à leur explicitation. La métonymie est une figure très courante, notamment dans le discours journalistique, qui consiste à remplacer le terme propre par un autre qui en représente une qualité ou qui entretient avec lui un rapport logique ou une relation nécessaire. Elle implique nécessaire un changement de désignation et de ce fait, le sens pertinent se retrouve caché dans la partie implicite. Cette relation de contiguïté peut être multiple : la cause pour l‟effet, le signe pour la chose signifiée, le lieu pour l‟événement, l‟instrument pour l‟action, le producteur pour le produit, le contenant pour le contenu, etc. La métonymie peut figurer « dans des mots, comme « l‟Hexagone », qui désigne la France ; des expressions figées comme, par exemple, « aspirer à la couronne », qui signifie aspirer à devenir le souverain d‟un pays, « l‟électricien tricolore », qui sert à désigner l‟EDF (Électricité de France) ; ou encore « Les Trente Glorieuses » qui renvoient à la période de croissance économique allant de 1945 à 1975 » (Lijnen 2005 : 34). En traduction, si cette relation n‟est pas évidente pour le lecteur cible, il conviendrait alors de lui expliciter la signification implicite qui s‟actualise en discours. Quant à la métaphore, Salah Mejri (2005 : 124) précise qu‟elle est « fondée sur une structure implicative, et que son emploi dans le discours impose que l‟implication qu‟elle comporte soit prise en compte ; autrement, une partie de la signification risquerait d‟être marginalisée sinon complètement escamotée ». Le sens de la métaphore, dit Jamet (2003 : 130 ), « réside justement dans cet implicite, cet indicible ». Là encore, nous retrouvons le même mécanisme de production d‟implicite, de non-dit, et il importe que le lecteur s‟en aperçoive et en ressente l‟effet. La métaphore et la métonymie sont souvent confondues du fait que toutes les deux établissent une relation d‟identité entre deux entités conceptuelles : « Metonymy and metaphor are sometimes confused because each is a connection between two things » (Lakoff et Turner 1989 : 103). Une métaphore est souvent issue d‟une métonymie ou se fonde sur elle. Dans d‟autres cas, la métonymie se superpose à la métaphore. Quoi qu‟il en soit, les métaphores et les métonymies sont fortement tributaires de la culture. Elles apparaissent comme des marqueurs de visions culturelles et de points de vue idéologiques, marqueurs qui forment un réseau de significations dont l‟appréhension est indispensable lors de la traduction. Car il ne s‟agit pas simplement de procédés décoratifs du texte, mais de véritables déclencheurs d‟effets chez le récepteur.

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268

S‟agissant de l‟antonomase179, Dumarsais (1988) le définit comme « une espèce de synecdoque, par laquelle on met un nom commun pour un nom propre ou bien un nom propre pour un nom commun. Dans le premier cas, on veut faire entendre que la personne ou la chose dont on parle excelle sur toutes celles qui peuvent être comprises sous le nom commun ; et dans le second cas, on fait entendre que celui dont on parle, ressemble à ceux dont le nom propre est célèbre par quelque vice ou quelque vertu » (Dumarsais 1988 : 123-124). Il s‟agit donc de désigner un individu par l‟espèce à laquelle il appartient, ou le nom d‟un individu par celui d‟un autre individu appartenant à la même espèce, à la même classe, au même type. Pour Leroy (2001), le terme d‟antonomase s‟emploie pour désigner « un individu, non par son nom propre mais par un appellatif qui exprime la quintessence de son individualité » (Leroy 2001 : 25). Elle implique l‟évocation d‟une ressemblance, de comparaison implicite, « ce qui permet d‟avancer vers une interprétation métaphorique de l‟antonomase » (Ibid. : 50). Là aussi, la ligne de démarcation entre antonomase, synecdoque et métaphore n‟est pas toujours évidente. Définir l‟antonomase comme une sorte de synecdoque, la rapproche du procédé sœur de la synecdoque qu‟est la métonymie, laquelle se confond, comme nous l‟avons dit plus haut, avec la métaphore. Leroy souligne ce recoupement en avançant que l‟antonomase est « aisément perçue, de façon intuitive, comme une comparaison implicite, ce qui correspond à une définition grossière de la métaphore » (Ibid. : 128). Ainsi, le sens produit par l‟antonomase, ajoute-t-elle, « apparaît « à michemin », entre nom propre et nom commun, entre métaphore et synecdoque, entre désignation et figuration et surtout entre énonciateur et énonciataire » (Ibid. :17). La traduction de l‟antonomase pose problème dans la mesure où il faudrait permettre au lecteur de retrouver aisément le nom d‟origine ou la qualité pertinente qui se dissimule derrière cette nouvelle appellation métaphorique. Quant à l‟éponyme, Newmark le définit comme étant: « any word that is identical with or derived from a proper name which gives it a related sense » (Newmark 1988 : 198). Les éponymes peuvent être dérivés de noms de personnes ou de noms de lieux. Ils s‟emploient pour désigner des objets, des produits en leur donnant le nom de leur inventeur, ou le nom de l‟endroit de leur fabrication, ou pour désigner des concepts et des politiques en leur donnant le nom de leurs créateurs ou instigateurs. C‟est en quelque sorte un cas spécifique de l‟antonomase : le nom propre devient un nom commun. Le résultat de cette opération conduit souvent au changement de statut du nom propre, caractérisé essentiellement par l‟absence d‟article, l‟invariabilité morphologique et l‟unicité du référent, qui devient un nom commun, c'est-à-dire, il s‟emploie avec un article ou un autre déterminant ; il peut avoir un pluriel et il ne désigne plus un référent unique, mais bien un spécimen d‟une classe d‟objets ayant en commun les mêmes

179

Selon le Trésor de la langue française, l‟antonomase est une « figure qui consiste à remplacer, en vue d‟une expression plus spécifiante ou plus suggestive, un nom propre par un nom commun (Le Sauveur pour Jésus Christ) ou un nom commun par un nom propre (un Tartuffe pour un hypocrite) » (cité in Leroy 2006 : 28).

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caractéristiques. Sa traduction pose également problème du fait de la dissimulation de la nature fonctionnelle ou conceptuelle de l‟objet ou de la notion qui se cache sous le nom propre. Après cette présentation rapide des figures tropiques qui nous intéressent dans cette première section, nous allons analyser un peu plus les mécanismes de production et de réexpression du sens de ces tropes à la lumière de notre conception de l‟explicitation et des avis de différents traductologues. 2.2.2. Les mécanismes de compréhension et de réexpression des tournures tropiques Selon notre conception interprétative de l‟explicitation, nous pouvons avancer que le processus de métaphorisation du langage se fonde sur le principe de l‟économie du langage, du fait de l‟existence de ces « raccourcis linguistiques », sur le principe de la synecdoque, du fait du changement du contenu de la partie explicite désignant le référent visé ou l‟idée voulue, et sur le principe de la pertinence étant donné que l‟auteur suppose disponibles chez le lecteur les compléments cognitifs pertinents nécessaires à la récupération de son vouloir dire. Du point de vue pragmatique et stylistique, le recours à ces procédés tropiques embellit le style et aide l‟auteur à exprimer ses idées d‟une façon à la fois intelligible et percutante. En plus de leur portée sémantique, il existe donc un effet stylistique qui revêt une importance capitale. Conçue comme un compromis, la stratégie d‟explicitation doit trouver un juste milieu entre la transmission du sens pertinent de ces emplois discursifs et la sauvegarde de l‟effet stylistique. Ce compromis devrait également veiller à faciliter la tâche de la réexpression pour le traducteur, vu les délais raccourcis, et la tâche de l‟inférence du sens pour le lecteur pour assurer l‟intelligibilité et la lisibilité escomptées. Pour résoudre cette équation difficile, il conviendrait de déterminer les éléments pertinents que le traducteur devrait faire ressortir dans la partie explicite de son texte traduit et ceux qu‟il peut laisser enfouis dans la partie implicite. C‟est sur le fonctionnement de cette dernière partie que nous allons nous pencher ici avant de voir comment l‟on pourrait rétablir le rapport explicite/implicite correspondant au compromis recherché. En fait, dans ce genre d‟expressions tropiques, l‟on a souvent affaire aux trois types principaux de « contenus implicites » que nous rappelons rapidement ici. Il y a d‟abord l‟implicite verbal, découlant du choix spécifique de la partie explicite selon les normes stylistiques de chaque langue, ensuite l‟implicite notionnel résultant des renvois référentiels au monde externe et à la culture avec toutes ses composantes historique, sociale, politique, économique, religieuse, artistique, littéraire, etc., et enfin l‟implicite conceptuel qui requiert des efforts accentués de déduction du sens implicite qui s‟actualise spontanément chez les natifs dans tel ou tel contexte. Selon Orecchioni, le trope commence à partir du moment où « le sujet décodeur non seulement focalise sur le contenu présupposé son activité interprétative, mais encore fait l‟hypothèse que c‟est justement ce contenu-là (le contenu dérivé) qui constitue le vrai sens de la séquence, celui qu‟elle a pour finalité de transmettre » (Orecchioni 1986 : 116). Autrement dit, « un énoncé est à

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prendre topiquement si pris littéralement, il apparait comme défectueux. Mais il peut l‟être de bien des façons, souvent d‟ailleurs cumulées : fonctionnement rhétorico-pragmatique aberrant, mais aussi, absurdité sémantique interne, et/ou invraisemblance référentielle » (Ibid. : 273). La compréhension des tropes tels que les métonymies et des métaphores « se fait pratiquement à notre insu et relève de notre capacité de déduction usuelle » (Rydning 2008 : 754). Néanmoins, lorsqu‟on change de langue et de culture, leur compréhension n‟est plus aussi spontanée qu‟elle devrait l‟être. Face à cette difficulté d‟inférence du sens voulu, le traducteur devrait donc tourner le regard vers des choix traductifs susceptibles de réunir les conditions optimales pour la déduction de leurs traits de signification pertinente et partant le vouloir dire de l‟énoncé où figurent ces tropes. Quelle que soit la solution adoptée, la traduction directe demeure la stratégie la plus inadaptée à cette problématique parce qu‟elle provoque une double perte : sémantique et stylistique. A cet égard, Margot soutient que traduire systématiquement de façon littérale les expressions métaphoriques est « non seulement une solution de facilité (démontrant l‟incompétence du traducteur), mais encore le bon moyen de multiplier les risques d‟incompréhension et d‟ambiguïté ou de contresens » Margot (1979 : 286). Dans le même ordre d‟idée, Orecchioni suggère que le traducteur explicite un trope « dès lors qu‟il estime avoir de bonnes raisons de supposer que le contenu apparemment implicite, mais constituant le véritable objet du message à transmettre, ne serait pas appréhendé correctement ou complètement par le lecteur cible » (Ibid. : 117). Pour expliciter le sens de ce message caché, il conviendrait d‟abord d‟interpréter le sens en contexte de l‟expression métaphorique et puis d‟analyser son importance dans le texte et la nécessité de sauvegarder son véhicule métaphorique. Newmark évoque ces différents choix en écrivant ceci: « the translation of any metaphor is the epitome of all translation, in that it always offers choices in the direction either of sense or of an image, or a modification of one, or a combination of both, as I have shown, and depending, as always, on the contextual factors, not least on the importance of the metaphor within the text » (Newmark 1988 : 113). Dans la même veine, Jamet (2003) propose d‟interpréter le sens caché de la métaphore (ou le trope en général) et de considérer la fonction qu‟elle joue dans le texte et la capacité du lecteur cible à l'interpréter correctement : « la traduction des métaphores est multiple, et la meilleure traduction dépendra du type de texte traduit, du lectorat, de la nature et de la fonction jouée par la métaphore dans ce texte ; le traducteur mettra donc l‟accent sur la restitution métaphorique ou sur la restitution sémantique » (Jamet 2003 : 140) . Tant que le traducteur se concentre sur l‟interprétation du sens des métaphores, celles-ci ne posent aucun problème majeur de traduction, précise-t- il : « une fois le problème interprétatif résolu, la traduction de la métaphore ne présente pas plus de problème que la traduction d‟un quelconque segment linguistique, qu‟il faut replacer dans son contexte discursif » (Ibid. : 133). Compte tenu de tout cela, nous pouvons dire que l‟explicitation de ces éléments tropiques peut se faire de deux manières : le traducteur peut décider de conserver la trace de l‟expression d‟origine,

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tout en veillant à apporter des compléments cognitifs qui facilitent le processus de déduction de leurs significations pertinentes dans le texte. Ces compléments peuvent porter sur les éléments de comparaison, de qualité, de contexte, de situation, de ressemblance, etc., furtivement implicités. Cette démarche devrait poursuivre deux objectifs : renforcer la cohérence et la plausibilité du sens global du texte et initier en même temps les récepteurs de la traduction à ces expressions tropiques pouvant être recyclés et réemployés dans le contexte de la production linguistique journalistique arabe. Rappelons-nous notre postulat sur le fait que la traduction par explicitation, dans le contexte du MD, forme et informe à la fois. Cette première solution constitue donc un compromis acceptable, dans la mesure où elle révèle le sens voulu, tout en conservant la trace du trope original suggérant ainsi aux lecteurs avertis l‟effet stylistique de base. La deuxième approche consiste à procéder à la restitution du contenu sémantique de ces expressions en sacrifiant le véhicule métaphorique. Ceci peut se faire par la désignation directe du référent visé ou la formulation claire de l‟idée voulue à l'aide d‟une paraphrase simple et non tropique. Le traducteur pourrait recourir à ce genre d‟explicitations lorsqu‟il estime que la substitution du véhicule métaphorique n‟engendre pas forcément une perte stylistique ou rhétorique ou que ce trope ne revêt pas un intérêt particulier pour le lectorat arabe. À cet égard, Israël confirme qu‟« il existe certaines formes métaphoriques lexicalisées dont la motivation est très faible pour un locuteur natif qui les emploiera par souci d‟expressivité ou pour situer son propos dans un certain registre » (Israël 2002 : 192). Dans ces cas, la démétaphorisation est possible, car « son maintien en traduisant sa motivation ou sa traduction littérale peuvent plonger le locuteur dans la perplexité » Israël (Ibid. : 189). En revanche, dans les autres cas où ces emplois tropiques sont porteurs de sens spécifique en discours, leur démétaphorisation comporte « un aplatissement certain du style, un appauvrissement de « l‟impact » du message, en particulier dans les textes poétiques » (Margot 1979 : 286). Malheureusement, dans la réalité de la traduction, cette perte du côté stylistique, ludique est souvent inévitable, mais elle reste tolérable et contrebalancée par un gain d‟intelligibilité du sens métaphorique, quoiqu‟avec des mots neutres. Dans tous les cas, il revient au traducteur de peser le pour et le contre de ces choix traductifs avant de trancher définitivement pour la conservation de la trace originale ou son gommage par la démétaphorisation. Dans cette lignée, Margot (Ibid. : 283) propose au traducteur de toujours se poser ces questions avant d‟expliciter : 1. S‟agit-il réellement d‟une métaphore vivante, c'est-àdire d‟une image originale, ou s‟agit-il d‟une expression stéréotypée, faisant partie de l‟usage courant des locuteurs de la langue source ? 2. Quel est le sens de l‟expression ? 3. Quel en est le meilleur équivalent dans la langue réceptrice ?». Après cet exposé théorique, nous allons à présent affiner notre analyse de cette problématique, à l'aide de quelques exemples tirés du corpus du MD, pour voir quels sont les choix décidés par les traducteurs du MD.

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2.2.3. L‟explicitation des emplois tropiques des noms propres dans le MD : à quoi réfère le trope ? En plus de la simple valeur référentielle ou dénotative que nous avons pu examiner sous la problématique nº 1, les noms propres sont un lieu privilégié d‟inscription d‟un sens implicite pertinent grâce aux usages métonymiques, antonomasiques et éponymiques, qui en sont fait. Ils sont donc « investis et réinvestis de sens dans la production discursive, sens étroitement lié aux différents ancrages des discours (historique, géographique, sociologique, littéraire, etc.) » (Lecolle 2009 : 9)180. C‟est ce sens implicite qui a suscité l‟intervention des traducteurs du MD. Cette variété d‟emplois discursifs s‟applique sur une large « diversité des « -onymes», dont les anthroponymes (Napoléon, Che Guevara, Marylin), les toponymes (Tchernobyl, Byzance, Bir Hakeim) mais aussi des noms propres moins « prototypiques », que ce soit d‟un point de vue ontologique ou formel, comme les ergonymes (noms de marques, titres d‟œuvres, noms d‟institutions), les praxonymes (noms de réalisations humaines non matérielles et de faits historiques, Mai 68, la Terreur), les chrononymes (« noms propres de temps » comme Le Moyen Âge), les phénonymes (noms de phénomènes naturels, El Nino), les « polémonymes » (noms de bataille, [...] et, enfin les pseudonymes (Ibid. : 12). Dans cette section, nous allons nous limiter à l'analyse des emplois métonymiques, antonomasiques et éponymiques des noms propres figurant dans les articles du MD de 2001 à 2011, ayant fait l‟objet d‟une explicitation « pertinente » ou d‟une « tentative » d‟explicitation. En outre, pour éviter les confusions constatées entre les dénominations des procédés tropiques et celles des différents types de noms propres, nous allons réserver le terme « emploi métonymique » aux noms de lieux désignant des institutions publiques et à certains noms communs porteurs de valeur symbolique , le terme « emploi antonomasique » aux noms propres de personnes réelles ou fictives, et à certains surnoms, le terme « emploi éponymique » aux objets et concepts qui prennent le nom de leur inventeur. Les autres types d‟emplois tropiques, qui ne rentrent pas dans ces trois catégories principales, seront regroupés sous la catégorie dite « les comparaisons ».

180

En effet, ce phénomène, qui a reçu différentes dénominations, est finement analysé dans un numéro spécifique des Carnets du Cediscor de Paris III, dédié à l'étude des différentes fonctions discursives que peuvent avoir les noms propres une fois insérés dans le discours : « l‟idée de la valeur sémantique discursive du Np [nom propre] est également présente, comme une sorte de tradition souterraine ou parallèle chez différents chercheurs sous des termes variés : « épaisseur sémantique » ou « feuilleté » pour Roland Barthes (1972 [1967]) à propos de M. Proust ; « connotation associative » pour C. Kerbrat-Orecchioni dans La connotation en 1977 ; « potentialités signifiantes » pour P. Siblot (1987) ; « évocations symboliques » mentionnées par P. Charaudeau dans sa Grammaire du sens et de l‟expression en 1992 ; « halos positifs et négatifs » pour M. Wilmet dans sa Grammaire critique du français en 1997 ; signifiance du Np, abordée dans le cadre d‟une approche discursive et dialogique de l‟antonomase du Np chez S. Leroy (2004a) ; « polysignifiance » chez M. Lecolle (2006 et ici même), terme qui renvoie au caractère composite du sens du Np de lieu habité ; enfin, tout récemment, « omnisignifiance » pour G. Cislaru dans sa thèse sur les noms de pays (2005) et ici même, ... » (Ibid. : 10).

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2.2.4. Les emplois métonymiques 2.2.4.1. Les métonymies désignant des institutions politiques ou publiques Les métonymies sur les noms des lieux sont très fréquemment utilisées dans les médias, notamment la presse écrite. Ainsi, on désigne l‟institution par le nom de la rue ou du palais où elle siège. Un phénomène que Newmark présente ainsi : « Lastly you should note the increasing metonymic practice, mainly in the media, of referring to governments by the name of their respective capitals or locations and institutions or ministers by their residences or streets ('Whitehall' - the British government; 'the Pentagon' -US military leadership; 'Fleet Street' - the British press)” […] Some ministries and other political institutions and parties may also be referred to by their familiar alternative terms, i.e., the name of the building - Elysée, Hôtel Matignon, Palais Bourbon, 'Pentagon', 'White House', Momecitorio, 'Westminster' -or the streets'Whitehall', 'Via delle Borteghe Oscure (Italian Communist Party), '(10) Downing Street' - where they are housed » Newmark (1988 : 100). Concernant l‟explicitation de ces emplois métonymiques181, Newmark précise qu‟ils peuvent soit être traduits littéralement pour les lecteurs avertis soit explicités par une traduction officielle et complète ou par l‟ajout de précisions sur leur nature ou fonction, pour le lectorat plus étendu : « Where the name of a parliament is not 'readily' translatable (Bundestag; Storting (Norway); Sejm (Poland); Riksdag (Sweden); Eduskunta (Finland); Knesset (Israel), it has a recognised official translation for administrative documents (e.g, 'German Federal Parliament' for Bundestag, 'Council of Constituent States' for Bundesrat) but is often transferred for an educated readership (e.g, Bundestag) and glossed for a general readership ('West German Parliament') » Newmark (1988 : 99). Ainsi, il est rare de faire une explicitation sur la traduction de « Wall Street », « l‟Çlysée », « le Pentagone », « la Maison blanche », étant donné que les lecteurs arabes sont habitués à entendre souvent employer ces métonymies pour désigner respectivement « la bourse de NewYork », « la présidence de la république française », « le quartier général du département de la défense des États-Unis », « la présidence des États-Unis ». Preuve, s‟il en fallait une, que la traduction journalistique permet d‟intégrer dans le langage courant arabe des métonymies de ce genre. Toujours est-il que leur explicitation s‟impose d‟abord, pendant un certain temps, avant d‟espérer une implantation définitive dans le style journalistique arabe et dans le langage courant des arabophones. 181

Laplace (2011) analyse, sous la perspective de la TIT, la traduction des noms propres, dans un roman traduit de l‟allemand. La difficulté principale posée par ces noms découle souvent de l‟emploi métonymique des anthroponymes (noms de personne) et des toponymes (noms de lieu). Elle établit une longue liste de procédés de traduction, à savoir : l‟explicitation, l‟incrémentialisation, la note du traducteur, l‟équivalence discursive, l‟anaphore, la lexicalisation de l‟anthroponyme, l‟entropie, l‟omission, l‟adaptation libre, etc. Les trois premiers procédés renvoient à la stratégie de l‟explicitation, dans le sen où ils consistent à ajouter, soit dans le corps du texte soit en dehors du texte, des éléments informatifs concernant le sens des noms propres en question.

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Il est également d‟autres emplois métonymiques forgés à partir de noms de fleuves et de mers pour désigner des pays. C‟est le cas par exemple lorsqu‟un Français désigne la Grande Bretagne par « l‟outre-Manche » ou l‟Allemagne par « l‟outre-Rhin », les Etats-Unis par « l‟outreAtlantique ». Ces métonymies ne sont pas a priori très transparentes pour un lecteur arabophone, qui ne possède pas les mêmes repères géographiques182, ni les mêmes connaissances culturelles sur les pays traversés par ces fleuves ou sur les frontières maritimes. 183 Voici quelques exemples pour illustrer les propos précédents :  Exemple nº 31 : la rue Solferino (qu‟est-ce qu‟elle désigne exactement ?) Cet exemple est extrait d‟un article du MD février 2010, intitulé « Terra Nova, la boîte à idée qui se prend pour un think tank », où l‟auteur explique le contexte de marasme politique des partis de gauche en Europe qui favorise la création d‟entreprises de « refondation intellectuelle » comme Terra Nova. Ces think tanks sont censés redorer l‟image des partis concernés et rajeunir leurs acteurs. Dans l‟énoncé suivant, l‟auteur explique les confrontations entre ce qu‟on appelle les caciques, en poste au PS grâce à la vague « rose » de 1981 et ceux appelés les « blancs-becs », auxquels le parti cherche à accorder des mandats au nom du « renouvellement générationnel ». C‟est le cas, dans cet exemple, de la candidature du jeune M. Ferrand, soutenue par la direction du parti en lieu et place du vieux P. Aylagas. C‟est la métonymie sur le nom de la rue Solferino qui a suscité l‟explicitation. Malgré les mises en garde de ‫ټ ٽڀ حتنَواد ٱُبكح اضتية‬٩‫وثبٹو‬ la Rue de Solférino, ce dernier [Pierre Aylagas] refusa ،)ٌَ‫ ٍىٹٮًنَڂى يف ثبه‬٣‫ يف ّبه‬٤ٙ‫(اظتزپى‬ de se retirer et se présenta sous ‫ه٭٘ څنا األفًن ؤٿ َڂَؾِت وروّّؼ‬ l‟étiquette divers gauche. (MD ".٬‫ثبٍټ "ََبهٍ ؼتزٺ‬ février 2010)

Malgré les mises en garde de la Direction du parti (sise rue Solférino à Paris), ce dernier a refusé de se retirer et s‟est présenté sous le nom « une gauche différente ».

Conscient que le rapport de contiguïté entre le nom de la rue et le siège du parti ne s‟actualise pas aisément pour le lecteur arabe, le traducteur procède à une double explicitation : la substitution indiquant sans ambages le sens voulu et l‟apport du complément cognitif explicitant ce lien logique (la rue pour le siège). A notre avis, dans ce contexte en particulier, la première explicitation par substitution était suffisante, car cette désignation métonymique n‟a pas été réitérée au cours de l‟article, et elle a peu de chance de s‟implanter en arabe. 184 Remarquons au 182

Ainsi l‟Allemagne est le pays qui s‟étend « Outre-Rhin » pour les Français, mais « Outre-Oder » pour les Polonais. 183 À cela s‟ajoutent certaines métonymies qui font passer un nom propre de la signification-lieu à la significationproduit fait dans ce lieu. C‟est le cas par exemple pour « le camembert », « le cantal », désignant deux types de fromages fabriqués dans ces deux lieux. Il en va de même pour « le bordeaux », « le bourgogne » désignant deux sortes de vins produits dans ces deux régions. Les traducteurs arabes rendent toujours ces métonymies par une incrémentialisation précisant la classe d‟objet auxquels appartiennent ces référents. 184 Au demeurant, le complément contextuel apporté permet d‟initier le lecteur arabe, non pas à cette désignation spécifique propre au siège du parti socialiste, mais plutôt à cette norme stylistique largement répandue dans les textes du MD. L‟exemple en lui-même n‟intéresse guère le lecteur arabe, mais l‟idée de désigner le siège par le nom de la

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passage qu‟il n‟a pas précisé, à juste titre, qu‟il s‟agissait de la direction du parti « socialiste », car cette information est parfaitement déductible du contexte. L‟introduire serait créer une redondance inutile et sous-estimer la compétence interprétative du lecteur. o D‟autres explicitations sur des emplois métonymiques de noms de rue L‟information essentielle véhiculée par la métonymie est bien le nom de l‟institution. L‟information secondaire est le nom de la rue, de la place, du quai, etc., où siège cette institution. Certains traducteurs choisissent de fournir les deux informations, tandis que d‟autres préfèrent se contenter de la première. Dans le premier cas, le sens pertinent est transmis et l‟effet stylistique plus ou moins suggéré. Dans le deuxième, le sens est transmis, mais l‟effet stylistique est gommé. Les problèmes naissent si l‟on opte pour une traduction directe qui se borne à l'apport de la seule information secondaire : le nom de la rue qui peut désigner différents référents ou rien du tout. Le désignateur du référent Ex. 1 Place Beauvau (MD septembre 2006)

L‟explicitation fournie Le ministère l‟Intérieur

Ex. 2 Quai d‟Orsay (MD juin 2009, juin 2006, mai 2004, juin et novembre 2001) Ex. 3 Bercy (MD juin 2001, septembre 2006 septembre 2007

Le ministère des Affaires étrangères

‫ وىاهح اطتبهعُخ‬Préciser le ministère auquel se réfère ce

،"‫ "وىاهح اظتبٷ اٹٮوځَُخ‬Préciser le ministère auquel se réfère ce

Ex. 4 10 Downing Street (MD mai 2005), (MD juin 2010)

« le ministère des finances français », « le ministère des Finances », « le ministère des Finances, de l‟Économie et de l‟Industrie » « le siège du gouvernement », « 10 Downing Street) siège du premier ministre) »

Ex. 5 Rue d‟Ulm (MD juillet 2011)

La rue Ulm « le siège de l‟école normale »185

‫(ٽوٵي‬

La traduction en arabe

Le but recherché par l‟explicitation

‫ وىاهح اٹلافٺُخ‬Préciser le ministère auquel réfère ce

de

toponyme.

toponyme

toponyme en déclinant de manière plus ou

‫ "وىاهح‬،"‫ "وىاهح اظتبٹُخ‬moins complète le nom du ministère ‫واالٱزٖبك‬ ‫اظتبٷ‬ "‫خ‬٥‫واٹٖڂب‬

،"‫ "ٽوٵي هئبٍخ اضتٶىٽخ‬Préciser que ce toponyme renvoie au siège ‫ كوځُڂظ ٍزوَذ‬10"

du gouvernement

)‫(ٽٲو هئٌُ اٹىىهاء‬ "‫"اودل‬

٣‫ ّبه‬Révéler l‟établissement désigné par cette

rue. Ainsi, le lecteur saurait où devait se

)‫ٺپٌن‬٦‫هل اظت‬٦‫ ٽ‬tenir le colloque-débat, avec Stéphane

Hessel, sur le conflit israélo-palestinien, avant qu‟il ne soit interdit, suite à une intervention supposée du CRIF186.

rue peut lui paraitre intéressante et originale. À notre connaissance, ce procédé est rarement employé en discours journalistique arabe.

Partie II : Chapitre IV : Les motivations des explicitations dans le corpus du MD 2001-2011 Ex. 6 De l‟or coulait rue Quincampoix (MD avril 2009)

De l‟or coulait de la rue de la spéculation

Ex. 7 Les titres de Fleet Street (MD octobre 2011)

Explicitation dans l‟original : Dans le texte « les journaux de Fleet Street », et puis en note « il s‟agit d‟une métonymie qui désigne l‟ensemble de la presse britannique (provenant du nom de la rue ou siégeaient les principaux titres avant de la quitter progressivement) »

276

‫ ٵبٿ اٹنڅت ََُٸ ٽڀ‬Il s‟agit d‟un sous-titre dont le traducteur a

interprété le sens, grâce à sa lecture du

‫بهثخ‬ٚ‫ اظت‬٣‫ ّبه‬texte entier. Le contexte précise que c‟est

ٔ‫اٹڂ‬

‫يف‬

‫ُؼ‬ٙ‫رى‬

:ٔ‫ يف كافٸ اٹڂ‬.ٍ‫األٕٺ‬ ‫"٭ٺُذ‬

٬‫"ٕؾ‬

:‫ ويف اضتبُّخ‬،"‫ٍزوَذ‬

ً‫ٺ‬٥ ٰ‫ٺ‬ٞ‫"څٍ ٵڂُخ ر‬ ‫بځُخ‬َٞ‫اٹرب‬

la rue où siégeait la compagnie des Indes dirigée par John Law. Des centaines de commerçants y faisaient monter les cours en flèche, grâce au reflux des investissements. D‟où le choix de cette explicitation. Cette explicitation n‟est pas le fait du traducteur, mais un ajout prévu par l‟auteur de l‟original187. Celui-ci a jugé nécessaire d‟expliquer ce rapport métonymique à ses lecteurs, qui n‟étaient pas familiers avec cette métonymie désignant la presse britannique ou parce qu‟elle n‟est plus utilisée.

‫اٹٖؾب٭خ‬

‫الٱبً ٽڀ اٍټ‬ٞ‫ثبإلرتبٷ (اځ‬ ‫ اٹنٌ ؤٱبٽذ ٭ُڄ‬٣‫اٹْبه‬

‫ اٹوئَُخ ٱجٸ‬٬‫اٹٖؾ‬ .")ً‫اځزٲبعتب ٽڂڄ رلهكتُّب‬

Tableau 16: Des explicitations sur des emplois métonymiques de noms de rue

2.2.4.2. Des explicitations sur des emplois métonymiques de noms de bâtiments La relation implicite à expliciter ici, c‟est celle qui existe entre l‟institution politique ou publique et le bâtiment qui lui sert de siège ou de résidence. Le désignateur du référent Ex. 1 Le palais du Luxembourg (MD décembre 2010)

L‟explicitation fournie Le siège du conseil des sénateurs

La traduction en arabe

Le but recherché par l‟explicitation

‫ ٽٲو غتٺٌ اٹُْىؿ‬Expliciter

le rapport métonymique endroit/institution, qui risque de passer inaperçu avec une simple traduction littérale.

Il aurait cependant fallu écrire "‫ٺُب ٹزإڅُٸ األٍبرنح‬٦‫( "األٵبكنتُخ اٹ‬L‟académie supérieure de la formation des enseignants) pour éviter la confusion avec les écoles normales qui formaient les instituteurs, mais aussi pour mettre l‟accent sur le caractère prestigieux et académique de cette institution parisienne. 187 L‟explicitation d‟origine en français est la suivante : « Désignation métonymique de la presse britannique dans son ensemble (à partir du nom de la rue où étaient installés les principaux titres avant leurs déménagements) ». C‟est un exemple probant qui montre le type et le contenu d‟explicitation que le traducteur peut se permettre d‟introduire pour aider ses lecteurs à comprendre la signification de la métonymie employée. Si l‟auteur de l‟original a le droit de le faire, l‟auteur du texte traduit peut, a fortiori, recourir à cette méthode tant que l‟objectif poursuivi est le même. 186

Partie II : Chapitre IV : Les motivations des explicitations dans le corpus du MD 2001-2011 Ex. 2 Palais Brongniart (MD avril 2009) Ex. 3 L‟hôtel Matignon (MD juin 2007) Ex. 4 Le Miraflores (MD mai 2002)

La salle Bourse

de

‫خ اٹجىهٕخ‬٥‫ ٱب‬Préciser qu‟il ne s‟agit pas d‟un palais

la

Matignon « le siège du gouvernement »188 Explicitation dans l‟original le Miraflores (le palais présidentiel)

277

‫(هئبٍخ‬

‫"ٽبرُڂُىٿ‬

")‫اضتٶىٽخ‬

ٍ‫ُؼ يف اٹڂٔ األٕٺ‬ٙ‫رى‬

‫ اظتًنا٭ٺىهٌَ "اٹٲٖو‬: "ٍٍ‫اٹوئب‬

normal, mais plutôt du bâtiment qui accueillait la Bourse de Paris. Là aussi, montrer au lecteur que ce n‟est pas un hôtel classique, mais un bâtiment officiel où siège le gouvernement. L‟auteur estime que cette métonymie ne sera pas aisément perçue des lecteurs natifs, vu la distance culturelle, d‟où l‟apport de compléments manquants. Cette explicitation est opérationnelle également pour le lecteur arabe.

Tableau 17: Des explicitations sur des emplois métonymiques de noms de bâtiments

2.2.4.3. Des explicitations sur des emplois métonymiques de noms de villes Il s‟agit ici de désigner des institutions, non pas par le nom de la rue ou du bâtiment où elles siègent, mais par le nom de la ville où elles se trouvent. Sans cette explicitation, le lecteur risque de se méprendre sur le sens voulu, en se fiant à la première acception qui s‟actualise pour lui, à savoir le nom de la ville elle-même (la fonction dénotative). Le désignateur du référent Ex. 1 Bruxelles (MD mai 2009)

L‟explicitation fournie La Commission européenne à Bruxelles

La traduction arabe

en

Le but recherché par l‟explicitation

‫ُخ األوهوثُخ يف‬ٙ‫ "اظتٮى‬Montrer qu‟il ne s‟agit pas simplement de la capitale de la Belgique, mais

"‫ ثووٵَٸ‬plutôt du siège de l‟une des principales institutions de l‟Union Européenne.

Ex. 2 La City (Octobre 2010)

La bourse Londres

de

Ex. 3 Vichy (MD mai 2009)

Le gouvernement de Vichy

"‫ "ثىهٕخ ٹڂلٿ‬Montrer qu‟il ne s‟agit pas ici de la

ville de Londres, pas plus que de New York, parfois aussi désigné ainsi, mais de la place financière londonienne.

"ٍُْ‫ "ؽٶىٽخ ٭‬Montrer qu‟il s‟agit du gouvernement 189 qui fut installé dans cette ville.

Tableau 18 : Des explicitations sur des emplois métonymiques de noms de villes

188

En arabe : littéralement « la présidence du gouvernement », ce qui est une expression maladroite. Nous aurions préféré écrire "‫( "ٽٲو هئٌُ اٹىىهاء‬le siège du premier ministre). 189 Nous aurions préféré ajouté une note en bas de page pour préciser qu‟il s‟agit d‟une ville située dans la région l‟Auvergne, où le gouvernement français, considéré comme collaborateur avec l‟occupation allemande, fut installé après la signature de l‟armistice le 22 juin 1940. Cette information aurait mieux contribué à l'élucidation du sens de cette métonymie dans son contexte de parution.

Partie II : Chapitre IV : Les motivations des explicitations dans le corpus du MD 2001-2011

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2.2.4.4. Les métonymies créatrices de symboles En dehors des emplois métonymiques de noms propres, la métonymie peut consister à désigner une chose par un terme ou un nom commun qui lui sert de symbole. Cette désignation métonymique à valeur symbolique diffère d‟une langue et d‟une culture à l'autre. On confère parfois à certaines couleurs ou à certains noms d‟animaux une valeur symbolique qui s‟actualise dans des situations de communication pour renvoyer à des partis politiques, des courants idéologiques, ou à des groupes de personnes ou encore à des qualités notoires qui les caractérisent. Ces valeurs sémantiques implicites nécessitent souvent d‟être remontées à la surface du texte afin que le lecteur cible en puisse saisir la signification pertinente. À défaut, la traduction reste hermétique, voire énigmatique. Voici quelques exemples :  Exemple nº 32 : la Russie « brune », « rouge », « noire » ? Cet exemple est extrait d‟un article du MD mars 2008, intitulé « Cette Russie qu‟occultent les clichés», où l‟auteur évoque les livres et les analyses sur la Russie, à l'occasion des présidentielles russes de mars 2008, et sur les dérives autoritaires de l‟ex-futur président russe Poutine. À travers ce passage en revue des publications sorties, l‟auteur cherche à comprendre la nature du régime politique russe, sa stratégie socio-économique ainsi que son rapport au monde. Dans cet énoncé, il se réfère à un ouvrage dirigé par Marlène Laruelle analysant le « nationalisme russe », où le traducteur a buté sur les désignations métonymiques de la politique russe par différentes couleurs. Une Russie « rouge et noire ‫ وڅٸ ؿتڀ ؤٽبٻ هوٍُب "زتواء وٍىكاء" بٿ‬Avons-nous affaire à une Russie « », sinon « rouge-brune » ? Certains opposants russes la ٘٦‫ ٭ج‬.]11[ ‫دل ځٲٸ "زتواء وثڂُّخ"؟‬ qualifient déjà de « fasciste ‫ٌن اٹووً ثبرىا َٖٮىهنب‬ٙ‫به‬٦‫اظت‬ », voire de « nazie ». (MD ً‫ب‬٦‫] رج‬88[ ."‫ثبٹـ"٭بُّخ" وؽىت ثبٹـ"ځبىَخ‬ mars 2008) .‫ٹٺٲپٖبٿ اٹجڂُّخ ٹٺپُٺُُْب اٹڂبىَّخ‬

rouge et noire », si ce n‟est « rouge et brune »? (11). Certains opposants russes la qualifient déjà de « fasciste », voire de « nazie ». (11) En référence à la couleur brune des chemises de milices nazies.

Face à ces symboles porteurs de sens spécifique, le traducteur a explicité ceux qu‟il a pu comprendre, comme celui de la couleur brune, désignant les soldats nazis190, qui défilaient avec leur uniforme brun. Il a laissé tels quels les autres symboles, ce qui entrave la saisie du vouloir dire de l‟auteur dans cet énoncé. Pour y remédier, nous avons cherché à interpréter, selon le contexte, le sens de ces métonymies. Au-delà de l‟explicitation faite sur le référent désigné par la couleur brune, une « Russie brune » soulève, à notre avis, une interrogation sur le poids politique des courants néo-nazis et fascistes. Le co-texte corrobore cette hypothèse. Quant à la couleur rouge, elle désigne généralement par voie métonymique le communisme. Une « Russie rouge » voudrait donc dire une Russie « communiste » ; le co-texte apporte ensuite

190

Les SA (section d‟assaut).

Partie II : Chapitre IV : Les motivations des explicitations dans le corpus du MD 2001-2011

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quelques indices sur l'influence du parti communiste de M. Guennadi Ziouganov, qui forme, selon l‟auteur, le deuxième cercle concentrique du champ politique nationaliste. Il reste le symbole du noir qui diffère d‟un contexte à l'autre. Cette couleur peut être le symbole de l‟anarchisme, comme il peut être le symbole de l‟influence renaissante de l‟église, des partis chrétiens-démocrates en Allemagne et en Autriche. En examinant le contexte large, nous avons vu que l‟auteur évoquait plutôt le nationalisme ethnique et raciste, la montée des partis de l‟Unité nationale russe et le parti national-bolchevique, tous deux ayant des passerelles avec l‟extrême gauche et l‟anarchisme. Le noir symbolise donc ici, à notre avis, l‟extrême gauche et l‟anarchie. Somme toute, nous aurions préféré expliciter ces métonymies dans cet énoncé de la manière suivante : Une Russie « rouge et noire )‫ُخ‬٥‫ ٭هٸ ؿتڀ بىاء هوٍُب "زتواء (ُّى‬Avons-nous affaire à une Russie « », sinon « rouge-brune » ? Certains opposants russes la ")ٌ‫ى‬ٙ‫ واٹٮى‬٫‫و‬ٞ‫وٍىكاء (اٹَُبه اظتز‬ qualifient déjà de « fasciste ٘٦‫بٿ دل ځٲٸ "زتواء وثڂُّخ (ځبىَخ)"؟ ٭ج‬ », voire de « nazie ». (MD ‫ٌن اٹووً ثبرىا َٖٮىهنب‬ٙ‫به‬٦‫اظت‬ mars 2008)

rouge (communiste) et noire (extrême gauche et anarchiste) », voire même « rouge et brune (nazie) »? Certains opposants russes la qualifient déjà de « fasciste », voire ."‫ ثبٹـ"٭بُّخ" وؽىت ثبٹـ"ځبىَخ‬de « nazie ».

2.2.4.5. D‟autres explicitations d‟emplois métonymiques de noms de couleurs Voici une série d‟exemples où les traducteurs cherchaient à révéler l‟idée pertinente exprimée métonymiquement par une couleur chargée d‟une portée symbolique. La désignation claire du référent visé (parti politique, drapeau, métier) est le dénominateur commun de toutes ces explicitations. En revanche, la conservation du nom de la couleur est un choix qui dépend de l‟estimation de la pertinence de cette valeur symbolique dans chaque contexte.

191

Le symbole retenu Ex. 1 La vague rose de 1981

L‟explicitation fournie La vague rose (socialiste) de l‟an 1981

La traduction en arabe

Ex. 2 Le sponsor du maillot jaune (MD juillet 2009)

Le sponsor du maillot jaune (que porte le champion du concours)

‫ٍ اٹٲپُٔ األٕٮو‬٥‫ ها‬Le traducteur a voulu expliciter l‟expression

‫اٹىهكَّخ‬

Le but recherché par l‟explicitation

le rose symbolise ici le parti ‫ اظتىعخ‬Montrer que 191 socialiste . Le contexte précise ensuite

‫بٻ‬٦‫ (االّزواٵُخ) يف اٹ‬qu‟il s‟agit de la vague d‟affiliations au socialiste qui a eu lieu après la victoire .1981 parti de Mitterrand aux présidentielles de 1981. « maillot jaune », car elle recouvre une

،)‫ٸ اٹلوهح‬ٞ‫ (َٺجَڄ ث‬réalité mal connue du lecteur arabophone.

Ainsi, le lecteur arabe comprendra que la couleur jaune192 de ce maillot désigne en fin de compte le leader du classement général et que la banque LCL est le partenaire officiel du maillot jaune.

Il est vrai que le lecteur arabe ne dispose pas toujours d‟une visualisation du « poing tenant une rose », le logo officiel de ce parti, mais cela n‟empêche pas la compréhension de l‟idée principale véhiculée dans cet énoncé. 192 En fait, le jaune ici faisait initialement référence au quotidien l‟Auto, de couverture jaune dont le Directeur Henri Desgrange était le créateur du Tour de France. Mais ce quotidien ayant été interdit en 1944 pour ses positions favorables à l‟occupant allemand, rares sont ceux qui font aujourd‟hui le lien entre le jaune et l‟Auto. En tout cas, ce

Partie II : Chapitre IV : Les motivations des explicitations dans le corpus du MD 2001-2011 Ex. 3 Le drapeau tricolore (MD juin 2006, mars 2011).

Respectivement « le drapeau français », « Le drapeau tricolore (français) ».

Ex. 4 Les cols bleus (MD mars 2011)

Les manuels

ouvriers

280

‫ٺټ‬٦‫ "اٹ‬،"ٍَ‫ٺټ اٹٮوځ‬٦‫ "اٹ‬Montrer que ce drapeau est le symbole ‫األٹىاٿ‬

national de la France. Sans l‟aide du

ٍ‫ اٹضالص‬contexte, un drapeau tricolore peut désigner dizaine de pays, mais l‟ajout de .")ٍَ‫ (اٹٮوځ‬une « français » ne laisse planer aucun doute sur

‫پبٷ اٹُلوٌَن‬٦‫اٹ‬

le pays dont ce drapeau est le symbole. Montrer de quelle catégorie d‟employés s‟agit-il, en l‟occurrence, les ouvriers, par opposition à une autre métonymie symbolique « les cols blancs » désignant les cadres et les postes à responsabilité.193

Tableau 19: Des explicitations sur des emplois métonymiques de noms de couleurs

 Exemple nº 33 : les éléphants et les ânes (de quels référents ces noms sont le symbole ?) Comme les noms de couleurs, les noms d‟animaux peuvent désigner par voie métonymique des référents politiques et culturels, différents d‟un pays à l'autre. En l‟absence d‟indices contextuels suffisants pour comprendre leurs significations pertinentes, il est impératif de procéder à une explicitation de la valeur symbolique implicite. Faute de quoi, le lecteur se contente de la compréhension de la valeur référentielle et le sens reste ambigu. Ce type d‟explicitation n‟est pas exclusivement lié à la traduction. Les auteurs des textes d‟origine en font également, le cas échéant, à l'adresse de leur lectorat. C‟est le cas de cet exemple extrait d‟un article du MD septembre 2010, intitulé « Ces militants qui jouent avec "Avatar" », où l‟auteur évoque le nouveau militantisme qui détournent à des fins politiques, des références de la culture de masse, comme les films et les bandes dessinées. Dans cet énoncé, l‟auteur donne un dernier exemple sur ce phénomène qui se manifeste même au niveau des logos et emblèmes de grands partis politiques.

qui compte ici, c‟est de révéler au lecteur que ce maillot jaune symbolise le vainqueur de la Grande Boucle. L‟origine de cette expression n‟a pas d‟intérêt pour le lecteur arabe. 193 Il s‟agit de deux métonymies au motif vestimentaire, c'est-à-dire basées sur le rapport fonction exercée/tenue vestimentaire. Si le rapport métonymique dans « cols bleus » peut être plus ou moins bien compris des lecteurs arabes, celui de « cols blancs » n‟est pas évident pour le lecteur profane, notamment que la chemise blanche qui a donné l‟expression « col blanc » a dû renoncer à son exclusivité au profit de chemises de couleur que portent les cadres et les hauts responsables. Pour des lecteurs avertis, la traduction directe est envisageable, d‟autant plus qu‟elle est employée dans certains textes économiques arabes. Pour les autres lecteurs, la traduction par "‫( "ٵىاكه‬cadres) est plus aisément compréhensible.

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Partie II : Chapitre IV : Les motivations des explicitations dans le corpus du MD 2001-2011

De telles analogies ne rendent évidemment pas compte des subtilités de ces débats politiques, de même que l‟on ne saurait réduire les différences entre le Parti républicain et le Parti démocrate à celles qui séparent les éléphants des ânes – leurs emblèmes respectifs, héritage des bandes dessinées politiques d‟une autre époque. (MD septembre 2010)

‫ يف‬٤‫ج‬ٞ‫ ال رلفٸ رٺٴ اٹزْجُهبد ثبٹ‬De telles analogies ne rentrent

évidemment pas dans les détails

‫ ٵپب ال‬،‫ رٮبُٕٸ اٹڂٲبّبد اٹَُبٍُخ‬des débats politiques, de même ‫ نتٶڀ افزٖبه االفزال٭بد ثٌن اضتية‬que l‟on ne saurait résumer les différences

entre

le

Parti

‫ٍ مبب‬ٝ‫ اصتپهىهٌ واضتية اٹلنتىٱوا‬républicain et le Parti démocrate à ٌَ‫به‬٦ّ( ‫ َٮوّٯ ثٌن اٹٮُٺَخ واضتپًن‬ce qui sépare les éléphants des

‫ٍ ٽٖىّهح‬ٜ‫ اضتيثٌَن اظتىهوصٌَن ٽڀ ّوائ‬ânes (leurs emblèmes hérités des

bandes dessinées. appartenant à

.)ًٚ‫ رڂزپٍ بذل ىٽڀ ٽ‬une époque révolue).

Grâce à cette explicitation interne prévue par le texte d‟origine, le traducteur arabe n‟a plus besoin d‟ajouter quoi que ce soit pour transmettre pleinement le sens de cet énoncé. 2.2.4.6. D‟autres explicitations sur des emplois métonymiques de noms d‟animaux Voici d‟autres exemples ou les traducteurs du MD ont décidé, à l'instar de l‟exemple précédent, d‟expliciter une autre valeur symbolique exprimée métonymiquement par le même nom d‟animal (éléphant) ou par d‟autres (le coq). Le symbole retenu Ex. 1 [...] Mme Ségolène Royal avait largement contourné le parti, disqualifiant son « appareil » et ses « éléphants », [...]

L‟explicitation fournie [...] Mme Ségolène Royal avait largement contourné le parti, disqualifiant son « appareil » et ses « éléphants (les notables du parti) » [...]

La traduction en arabe

‫ اٹيت‬،‫ىٹٌن هوَبٷ‬٪ٍُ ‫[ اٹَُلح‬...] ‫الٻ ثـ"اظتوّّؾخ‬٥‫ٕڂّٮزهب وٍبئٸ اإل‬

‫ذ‬ٙ‫ب‬٪‫ ٱل ر‬،"‫احملزپٺخ ظتڂٖت اٹوئبٍخ‬

‫ وؤځٶود‬٤ٍ‫بٯٍ وا‬ٞ‫ڀ اضتية يف ځ‬٥

‫ؤڅٺُّخ "عهبىڃ" و"ؤ٭ُبٹڄ" (وعهبء‬ [...]،)‫اضتية‬

Ex. 2 La grandeur du coq gaulois, (MD mai 2010)

La grandeur du coq gaulois « un des symboles nationaux français »

‫برلّ (هٽيٌ ٽڀ هٽىى‬٪‫پخ اٹلَٴ اٹ‬٢٦‫ث‬ )‫ڂُّخ اٹٮوځَُخ‬ٝ‫اٹى‬

Le but recherché par l‟explicitation Montrer le référent auquel renvoie ce symbole dont la signification n‟est pas aisément déchiffrable pour le lecteur arabe194. Grâce à l'explicitation et au contexte ensuite, le lecteur comprendra qu‟il s‟agit de vieux cadres, meneurs d‟opinions et de politiques au sein de ce parti, que Ségolène n‟a pas respectés en se présentant aux présidentielles. Montrer à quoi renvoie le coq dans l‟énoncé en question195.

Tableau 20: Des explicitations sur des emplois métonymiques de noms d‟animaux 194

Un éléphant symbolise normalement la bonne mémoire, l‟obésité, etc., ce qui comporte un risque d‟interférence menant à une ambiguïté. 195 En effet, le coq gaulois est souvent considéré comme un symbole national de la France, sans que cela ait un caractère officiel. Ce symbole acquiert une popularité importante lors les compétitions sportives ; on utilise souvent l‟onomatopée « cocorico » désignant le chant du coq, pour représenter la France ou ses équipes. Suite à son analyse de la fonction discursive de ce symbole dans le contexte, le traducteur se contente de dire que c‟est un symbole national de la France. Ce complément est largement suffisant pour comprendre le sens global de l‟énoncé : à savoir que le cycle des célébrations officielles tenues en 2010 à Paris s‟est distingué du cycle précédent des célébrations (relatives au domaine des arts et des lettres), par le fait qu‟il ne fête plus uniquement les événements glorieux de la nation française (la grandeur du coq gaulois), mais aussi ses échecs, comme la commémoration de l‟accord inique du traité de Brétigny en 1360. Une telle célébration revient à considérer que l‟esprit de la nation s‟exprime aussi dans l‟échec.

Partie II : Chapitre IV : Les motivations des explicitations dans le corpus du MD 2001-2011

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2.2.4.7. Des explicitations sur des emplois métonymiques de noms de mets Ici, il s‟agit de désigner des événements ou des partis politiques, des pays ou des sports, non pas par le nom de couleur ou d‟animaux, mais par le nom de mets ou de plat qui leur servent de symboles. Les traducteurs s‟emploient souvent à expliciter la valeur sémantique actualisée dans le contexte et à conserver le support linguistique symbolique. La première les aide à saisir le sens de l‟énoncé, le deuxième à apprendre une nouvelle information culturelle sur les spécificités culinaires ou gastronomiques de certains pays. Cette infirmation fera désormais partie du bagage cognitif du lectorat arabe et les aidera par la suite à déchiffrer plus aisément et plus rapidement le sens de ces emplois métonymiques même s‟ils sont peu ou prou explicités.

196

L‟antonomase retenue Ex. 1 La « crise de la tortilla », l‟aliment de base de la population, a ravivé la polémique sur la dépendance du pays vis-à-vis du maïs américain. (MD mars 2008)

L‟explicitation fournie La « crise de la tortilla », l‟aliment de base de la population (le pain fait de maïs), a ravivé la polémique sur la dépendance du pays vis-à-vis du maïs des EtatsUnis.

La traduction arabe

Ex. 2 On ne peut plus réduire le rugby à cette simple image folklorique rugbycassoulet... (MD mars 2010)

On ne peut plus limiter le sport du rugby à cette simple image folklorique qui sent l‟odeur des haricots

‫ُل ٽڀ اظتپٶڀ ؽٖو‬٦َ ‫ "دل‬Tenter d‟élucider l‟élément implicite de

en

Le but recherché par l‟explicitation

،"‫بكد "ؤىٽخ اٹزىهرُّب‬٥‫ ؤ‬Révéler ‫ت‬٦ْ‫ناء األٍبٍٍّ ٹٺ‬٪‫اٹ‬

،)‫ ٽڀ اٹنهح‬٣‫(اطتجي اظتٖڂى‬ ‫ؽىٷ‬

‫اٹَغبٷ‬

‫حتوَٴ‬

‫اههتبٿ اٹجالك ٹنهح اٹىالَبد‬

.‫اظتزؾلح‬

un élément pertinent et supplémentaire sur cette métonymie, afin d‟aider le lecteur à comprendre l‟ampleur de cette crise, vu qu‟elle concerne le pain quotidien comme le précise le traducteur. Grâce à cette précision, le lecteur comprend mieux le sens global de l‟énoncé, à savoir que les industriels tentent de priver le peuple de son pain en utilisant les récoltes du maïs pour produire l‟éthanol, ce qui fait monter en flèche les prix. cette métonymie liant le rugby au cassoulet.

‫يب هبنڃ اٹٖىهح‬٩ّ‫خ اٹو‬ٙ‫ هَب‬L‟explicitation proposée n‟est pas car elle occulte toujours le lien ‫خ اٹيت‬َُٞ‫ اٹٮىٹٶٺىهَخ اٹج‬pertinente, entre le rugby, sport populaire de la région ‫هائؾخ‬

‫ٽڂهب‬

‫ رٮىػ‬du Sud-ouest de la France, et le plat typique

de cette région, un ragoût de haricots blancs

...‫ اٹٮبٕىٹُبء‬longtemps mijotés avec de la viande.196.

Pour mieux préciser le sens de cette métonymie, nous l‟aurions explicité ainsi : « on ne peut plus réduire le sport rugby à la seule région du Sud-ouest de la France et à son traditionnel repas le cassoulet, c'est-à-dire, la viande cuite avec des haricots blancs "cassoulet" » ‫ اٹْهًن ثىعجزڄ اٹزٲٺُلَخ "اٹٶبٍىٹُڄ" ؤٌ اٹٺؾټ‬،‫وة ٭وځَب‬٩ ‫ٺً بٱٺُټ عڂىة‬٥ ‫يب‬٩‫خ اٹو‬ٙ‫ل ؽتٶڂبً افزياٷ هَب‬٦َ ‫"دل‬ ."‫بء‬ُٚ‫ اٹٮبٕىٹُب اٹج‬٤‫جىؿ ٽ‬ٞ‫ اظت‬Il importe également de savoir que cette désignation s‟emploie par opposition à une autre métonymie « le Rugby de strass et de paillettes », désignant le Rugby parisien, le sport des affaires et des riches, d‟où d‟ailleurs le titre de l‟article « Du Rugby-cassoulet à l'argent-roi ». Il revient au traducteur d‟infiltrer toutes ces informations, non pas uniquement lors d‟une explicitation des rapports métonymiques, mais dans le projet même de la réécriture du texte arabe, de sorte à faire acquérir au lecteur une compréhension spontanée de cette dichotomie Rugby populaire du Sud-ouest/Rugby parisiens des affaires.

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Ex. 3 « Je craignais d‟avoir en face de moi la droite camembert, ...» (MD août 2009)

« Je craignais que mon public soit seulement de celui qui mange du fromage camembert,... »

‫ ٵڂذ ؤفًْ ؤٿ َٶىٿ‬Tenter d‟élucider le rapport métonymique

Ex. 4 Comme si le goût pour les moulesfrites excluait le plaisir du couscous ! (MD février 2006)

Comme si le goût pour les moulesfrites (le plat belge préféré) excluait le plaisir du couscous (un plat typiquement marocain) !

‫ٵپب ٹى ؤٿّ اٹزٺنّم يف ؤٵٸ‬

entre d‟une part le fromage comme étant un

‫ ٽڀ اٹُپٌن‬ٜ‫ رتهىهٌ ٭ٲ‬aliment de base pour la population, et part les partis politiques de droite, ce "...‫ اظتزنوّٯ صتجڂخ اٹٶبؽتجًن‬d‟autre qui permet d‟interpréter cette expression

‫ب‬ٝ‫ب‬ٞ‫ اٹج‬٤‫ثٺؼ اٹجؾو ٽ‬

ٍ‫اظتٲٺُخ (اٹٖؾڀ اٹجٺغُٶ‬

comme désignant « la droite populiste », par opposition à la métonymie « la gauche caviar », c'est-à-dire la « gauche bourgeoise et élitiste ». L‟explicitation porte sur les deux éléments impliqués dans ce rapport, sans éclaircir la logique qui le sous-tend.197 Expliciter cette métonymie au motif gastronomique. Ces plats représentent respectivement ici le Maroc et la Belgique.198

‫ اٹزٺنّم ثإٵٸ‬٤‫ٸ) نتڂ‬ٚ‫اظتٮ‬ ‫ويب‬٪‫(اظت‬

ً‫اٹٶىٍٶى‬ !)‫ثبٽزُبى‬

Tableau 21: Des explicitations sur des emplois métonymiques de noms de mets

2.2.4.8. Des explicitations sur des emplois métonymiques d‟autres noms communs En dehors des noms de couleurs, d‟animaux, de mets, d‟autres noms communs, comme les danses, les dessins, la tenue vestimentaire, etc., peuvent véhiculer une valeur symbolique grâce à ce procédé de désignation métonymique. Quel que soit le terme utilisé, il incombe au traducteur d‟élucider le référent exact désigné par ce symbole, à moins que le contexte ne le précise déjà ou que le lecteur puisse l‟inférer seul grâce à son propre bagage cognitif.

197

Nous l‟aurions explicité ainsi : « je craignais d‟avoir en face de moi uniquement des auditeurs de sensibilité droite populiste »."ٌ‫جى‬٦ْ‫ ٽڀ ؤٕؾبة اٹزىعڄ اٹُپين اٹ‬ٜ‫ٍَّ ٭ٲ‬٦‫فُْذ ؤٿ َٶىٿ ٽَزپ‬. Il faudrait savoir que cette phrase est prononcée par le philosophe Luc Ferry à un de ses admirateurs, de sensibilité à gauche, lors d‟une séance de dédicace de ses livres, organisé à bord d‟une croisière en paquebot affrété par le Figaro pour ses lecteurs désirant allier détente à la réflexion. Remarquons également que le nom même du fromage « camembert » est un exemple d‟une désignation métonymique puisque ce nom désigne la ville où est produit ce type de fromage. Il s‟agit donc d‟une double relation métonymique dans cet énoncé. Celle qui nous intéresse dans ce contexte est la deuxième désignant les lecteurs du Figaro, censés être de droite, mais qui ne sont pas forcément des riches ou des bourgeois, mais plutôt des gens issus des couches populaires moyennes. 198 L‟idée globale de l‟énoncé en question, évoquant la communauté belgo-marocaine, consiste à dire que l‟on peut être belge et marocain à la fois, et que la question de l‟identité n‟a rien à avoir avec le fait de soutenir son pays d‟origine lors des compétitions sportives s‟il vient à être confronté à la Belgique. Le co-texte explicite même cette métonymie à la fin de la phrase où l‟on peut lire « Devenir belge ne signifie pas ne plus être marocain ». Cependant, le traducteur a jugé bon d‟élucider ce lien entre les plats et les peuples et d‟éviter ainsi tout risque d‟ambiguïté. Cette explicitation est peut-être redondante, mais elle a le mérite d‟apporter clairement une information que le lecteur natif connait, mais que le lecteur arabe, autres que les maghrébins, ignore, concernant les préférences culinaires des marocains et des belges.

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 Exemple nº 34 : les va nu-pieds et sans-culottes Cet exemple est extrait d‟un article du MD mai 2009, intitulé « éloge des révolutions », où l‟auteur analyse finement le parcours révolutionnaire depuis la Révolution française et dans d‟autres pays européens. Il essaie de démontrer que l‟esprit révolutionnaire est toujours là, même en Europe, et que la récente crise du capitalisme risque de raviver cet esprit et d‟ébranler la légitimité des oligarchies qui se sont emparées du pouvoir grâce à la démocratie. Cette dernière se présente comme l‟héritière des révolutions, mais en version « décaféinée ». Dans l‟énoncé suivant, l‟auteur expose le modèle révolutionnaire britannique où l‟aristocratie s‟est révoltée contre le régime en place, en décapitant le roi, et ce sans avoir besoin de s‟allier avec le peuple, comme ce fut le cas en France. Le traducteur se heurte à la traduction des désignations « va nupieds » et « sans-culottes » qu‟il rend d‟abord littéralement et puis par une courte note explicative. Dans les milieux favorisés, un tel modèle, sans va-nupieds ni sans-culottes, apparaissait plus distingué et moins périlleux que l‟autre. (MD mai 2009)

،‫ ثلا څنا اٹڂپىمط‬،‫ اظتَُىهح‬ٛ‫ ٭ٮٍ األوٍب‬Dans les milieux favorisés, ce modèle, sans les nu- pieds ni les sans-culottes

‫ ؤٵضو‬،]4[ ‫[ اطتبرل ٽڀ اضتٮبح واٹالّٽزَووٹٌن‬4], apparaissait plus distingué et ‫] رَپُخ‬4[ .‫ىهحً ٽڀ اِفو‬ٞ‫ ؤځبٱخً وؤٱٸّ ف‬moins périlleux que l‟autre. [4] il

s‟agit de la dénomination donnée

٣‫ب‬ٙ‫واً ألو‬٢‫ت ځ‬٦ْ‫ اٹضىاه اٹٮوځٌَُن ٽڀ اٹ‬aux révolutionnaires français issus nu-pieds, sans- :‫ ٹجبٍهټ‬du peuple, selon leur façon de 199 .culottes s‟habiller : nu-pieds , sans-culotte.

Cette explicitation rend bien le sens de la métonymie désignant deux catégories de révolutionnaires populaires par leurs tenues vestimentaires respectives. Elle aide également le lecteur à comprendre la différence entre le modèle britannique aristocratique, distingué, moins périlleux, et le modèle révolutionnaire français qui manque de « classe », vu la participation massive de la « populace ». Le modèle britannique a réussi sa révolution avec beaucoup moins de dégâts que le modèle français. Il est clair que cette courte explicitation passe sous silence beaucoup d‟aspects historiques sur l‟origine de ces deux appellations, mais cela n‟a pas d‟incidence directe sur la saisie du sens pertinent dans ce contexte en particulier. En effet, on pourrait ajouter une note plus développée pour fournir plus d‟informations sur ce surnom du genre : « le terme « sans-culottes » désigne les révolutionnaires issus du petit peuple de la ville de Paris, lors de la Commune, qui portaient des bonnets phrygiens rouges et des pantalons à rayures bleues et blanches, symbole de leur opposition à l'aristocratie, et non des culottes, portés à l'époque par les nobles et les bourgeois, symbole de l'ancien régime ». Cette note enrichira certes le bagage cognitif du lecteur sur cet épisode historique, mais n‟est pas indispensable pour la compréhension du sens pertinent de cet énoncé. Il en va de même pour le 199

Le traducteur arabe n‟a pas conscience qu‟en tronquant l‟expression va-nu-pieds pour en faire nu-pieds, il introduit une nouvelle ambiguïté. Si les va-nu-pieds sont les pauvres qui ne possédaient ni sabots ni chaussures, les nu-pieds sont aujourd‟hui encore des sandales légères.

Partie II : Chapitre IV : Les motivations des explicitations dans le corpus du MD 2001-2011

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terme « va nu-pied ». S‟il jouait un rôle crucial dans la construction de l‟énoncé, on l‟aurait explicité plus longuement en écrivant par exemple qu‟il renvoyait à une révolte populaire qui a eu lieu en Normandie en 1639 contre des mesures fiscales prises à l'époque par le roi Louis XIII. Mais tel n‟est pas le cas. o D‟autres explicitations d‟emplois métonymiques sur des noms communs Le surnom retenu Ex. 1 Les barbudos de la Sierra Maestra (MD mai 2009)

L‟explicitation fournie Les barbudos (les cubains) dans les montagnes de la Sierra Maestra

La traduction en arabe

Ex. 2 Les bleus (MD décembre 2010, mars 2010, août 2007, juillet 2006)

Respectivement : « ceux portant des uniformes bleus » (la police anti-émeute), « les joueurs français », « les républicains », « les casques bleus des Nations-Unies »

‫حبَت‬

Ex. 3 Les conflits ne se règlent plus au rythme du quadrille… mais de la samba. (MD octobre 2010)

Les conflits ne se règlent plus au rythme de la danse carrée (canadienne)... mais de la samba (brésilienne)».

Le but recherché par l‟explicitation

)‫ اٹجبهثىكوً (اٹٶىثُىٿ‬Donner un début d‟indication sur les gens

portant ce surnom, à savoir des cubains. Le

‫ يف عجبٷ ًٍُنا ٽبََزوا‬contexte montre par la suite qu‟il s‟agit des ‫اٹزىارل‬

ً‫ٺ‬٥

‫ "ؤٕؾبة‬: ٓ‫اٹڂٖى‬ ‫خ‬ٝ‫اٹجلالد اٹيهٱبء"(ّو‬ ،")‫ت‬٪ْ‫اٹ‬

،"‫اٹٮوځٌَُن‬

‫ٽٶب٭ؾخ‬

‫جٌن‬٥‫"اٹال‬

‫بد‬٦‫"اٹٲج‬،"‫"اصتپهىهٌَن‬

")‫اٹيهٯ (األٽټ اظتزؾلح‬ ‫ُل رُؾ ّٸ‬٦‫بد دل ر‬٥‫٭ةٿّ اٹڂيا‬

‫خ‬٦ّ‫ٺً ورًنح اٹوٱٖخ اظتوث‬٥

‫ ثٸ اٹَبٽجب‬...)‫(اٹٶڂلَخ‬ .)‫(اٹرباىَٺُخ‬

compagnons de Fidele Castro et de Che Guevara lors de la révolution cubaine.200 Expliciter selon chaque contexte la signification de ces surnoms. Ceux-ci peuvent désigner les CRS en France, les soldats républicains à l'époque de la révolution en raison de leur uniforme bleu, les soldats onusiens portant des casques bleus, ainsi que les différentes équipes sportives de France, notamment l‟équipe de foot et de Rugby. Se contenter d‟une traduction littérale risque fort d‟engendrer des ambiguïtés, notamment lorsque le contexte n‟explicite pas suffisamment les référents ainsi surnommés. Montrer aux lecteurs le sens implicite consistant à désigner chaque pays par la danse qui y est populaire. Au-delà de cette désignation métonymique, le lecteur est censé comprendre, contexte aidant, que le rachat de la compagnie canadienne Inco par la multinationale brésilienne Vale ne va pas jouer en faveur des mineurs canadiens en grève depuis quelques mois. Ce sont les brésiliens qui décident maintenant.201

Tableau 22: Des explicitations sur des emplois métonymiques de noms communs

2.2.5. Les emplois antonomasiques des noms propres Comme nous l‟avons déjà expliqué, un emploi antonomasique consiste à désigner un nom commun ou un adjectif par un nom propre auquel il est lié par une relation de ressemblance ou de lien logique. C‟est ainsi que, dans le langage courant, certains noms propres de personnages 200

Remarquons ici que le traducteur n‟a pas voulu traduire littéralement le sens du mot « barbudos », c'est-à-dire "‫( "اظتٺزؾىٿ‬les barbus), ce qui serait certes juste, mais un peu troublant, car certains Français appellent « barbus » les intégristes musulmans. 201 Par ailleurs, dans cet exemple, la conservation des références aux deux danses traditionnelles n‟est pas primordiale. Le traducteur aurait pu rendre tout simplement cet énoncé par une traduction libre en éliminant ces traits exotiques et dire clairement : « les conflits ne se règlent plus par un consensus social à la canadienne, mais sont tranchés par la direction brésilienne ».

286

Partie II : Chapitre IV : Les motivations des explicitations dans le corpus du MD 2001-2011

littéraires et romanesques se sont lexicalisés et désignent aujourd‟hui toute personne présentant leur trait de caractère dominant : un « harpagon » pour une personne avare, un « gavroche » pour un enfant rebelle, un « tartuffe » pour un religieux hypocrite, une « pénélope »pour une épouse fidèle, un « Michel-Ange », pour un grand peintre ou un artiste de talent exceptionnel, etc. Il peut s‟agir aussi d‟exploiter la célébrité d‟un nom propre pour préciser la désignation d‟un nom commun : « la langue de Molière » pour le français, la « langue de Dante » pour l‟italien, celle de Goethe pour l‟allemand, celle de Shakespeare, pour l‟anglais, etc. Comme nous l‟avons vu ci-dessus, le nom propre qui se lexicalise perd en général sa majuscule et se plie aux règles d‟emploi des noms communs. En traduction, c‟est la question de leurs significations pertinentes en texte qui importe et non leur statut grammatical. En effet, un emploi antonomasique suppose une connaissance partagée des qualités essentielles des personnages évoqués. Faute de quoi, le lecteur se repose sur le contexte cognitif pour y glaner suffisamment d‟indices permettant de deviner la signification voulue. En l‟absence de ces compléments, le sens de l‟antonomase devient inintelligible. Dès lors, l‟intervention du traducteur devient nécessaire. 2.2.5.1. Des explicitations sur des emplois antonomasiques de noms propres de personnes L‟explicitation peut porter sur la qualité essentielle associée à un personnage célèbre ; on parle alors d‟antonomase du nom propre. Elle peut porter également sur la personne désignée par un surnom ; on parle alors d‟antonomase du nom commun. Voici d‟abord une série d‟exemples tirés du MD sur des cas d‟explicitations d‟antonomase du nom propre de personne.  Exemple nº 35 : le prix Goebbels (Quel est le trait pertinent du personnage qui est ici évoqué ?) Cet exemple est extrait d‟un article du MD décembre 2002, intitulé « Au nom du combat contre l‟antisémitisme », où l‟auteur dénonce la campagne de harcèlement contre les médias, menée par les inconditionnels d‟Ariel Sharon et soutenue par quelques intellectuels français, après la révélation par le correspondant de France 2, Charles Enderlin, de l‟affaire de l‟enfant palestinien tué dans les bras de son père. Dans cet énoncé, l‟auteur explique comment certains manifestants juifs accusent ce journaliste de mensonge et d‟antisémitisme en le comparant à Goebbels. Et voilà qu‟à Paris des centaines de manifestants se sont rassemblés devant le siège de France Télévision pour lui remettre le « prix Goebbels ». Son crime ? Avoir témoigné de la mort du petit Mohamed Al-Doura dans les bras de son père. (MD décembre 2002) 202

‫ ٽئبد‬٤‫ ٹٶڀ يف ثبهٌَ جتپ‬Cependant, c‟est à Paris que des centaines

de

manifestants

se

sont

ٌ‫بڅوَڀ اٽبٻ ٽجىن "٭واځ‬٢‫ اظتز‬rassemblés devant le siège de « France ‫الٻ‬٥‫ رٺٮيَىٿ" ٹَُٺپىڃ "عبئيح "اال‬Télévision » pour lui remettre le « prix des médias mensongers » ou « le prix

‫ اٽب‬.”‫ىثٺي‬٩ ‫ اٹٶبمة" او "عبئيح‬Goebbels ». Son crime n‟est autre que ‫ٮٸ‬ٞ‫ عونتزڄ ٭هٍ اٹْهبكح ظتىد اٹ‬d‟avoir témoigné de la mort de l‟enfant

Littéralement : dans le giron de son père

202 .‫ڀ واٹلڃ‬ٚ‫ ػتپل اٹلهّح يف ؽ‬Mohammed Al-Doura dans les bras

de son père.

Partie II : Chapitre IV : Les motivations des explicitations dans le corpus du MD 2001-2011

287

L‟emploi antonomasique dans « le prix Goebbels » évoque un personnage historique de sinistre mémoire puisqu‟il fut le Ministre de la propagande d‟Hitler et le plénipotentiaire de la guerre totale. Or, ce personnage n‟est guère connu de la plupart des lecteurs arabes. Le traducteur s‟est cru obligé de signaler le trait pertinent de la personnalité de Joseph Goebbels qui s‟actualise dans cette expression en particulier : « le prix des médias mensongers ». Brève et pertinente, cette explicitation ne dit pas tout, mais elle constitue bien une clé de la compréhension du sens global de tout l‟énoncé. Grâce au concours du contexte cognitif, le lecteur parviendra à déduire qu‟il s‟agit d‟un personnage réputé pour sa haine envers les juifs, et qu‟il ressemble en ceci à ce journaliste qui, par sa révélation de cette affaire, inciterait à l'antisémitisme. Nous aurions préféré adjoindre le mot « nazi » en aval du nom de Goebbels pour mieux recontextualiser ce personnage, comme l‟a fait d‟ailleurs le traducteur du MD octobre 2009, en traduisant le sens implicite dans l‟expression « les services de Goebbels » dans cet énoncé : Pareille affabulation, ٍ‫ت‬٥‫ٺً رال‬٥ ٣‫ؽُش رٲىٻ فوا٭خٌ ٽڀ څنا اٹڂى‬ construite sur un trucage, sort vraisemblablement des ‫ٺً األهعؼ ٽڀ ؤعهيح‬٥ ‫ثبٹٖىه ختوط‬ services de Joseph Goebbels ٌ‫بَخ اٹڂبىٌ) اٹن‬٥‫ىثٺي (وىَو اٹل‬٩ ٬َ‫عىى‬ pour railler l‟état retardataire .]4[ ‫ؤهاك ؤٿ ََقو ٽڀ رإفّو ثىٹىځُب‬ de la Pologne. (MD octobre 2009)

Pareille affabulation se base sur un trucage d‟images, sort vraisemblablement des services de Joseph Goebbels (ministre de la Propagande nazi) pour railler l‟état retardataire de la Pologne.

Il ne s‟agit pas ici d‟un emploi antonomasique, mais plutôt d‟une comparaison implicite avec la propagande nazie orchestrée jadis par le ministre de la Propagande du Parti national-socialiste, Joseph Goebbels. Grâce à ce supplément, le lecteur saisira le vouloir dire de cet énoncé, à savoir que la série documentaire « Apocalypse », sur la seconde guerre mondiale, comportait bon nombre de trucages et de commentaires donnant une image biaisée de la réalité. L‟un des mensonges soulevés par l‟auteur consiste à railler l‟état retardataire de la Pologne en alléguant que les Polonais attaquaient, en 1939, à la lance, les chars de l‟Allemagne nazie, et qu‟ils se sont donc fait massacrés en masse par les tanks allemands. Une telle désinformation est plutôt digne de Goebbels et non de cette série. o D‟autres explicitations sur des emplois antonomasiques de noms propres de personnes Voici quelques exemples supplémentaires sur d‟autres cas d‟emplois antonomasiques explicités par les traducteurs du MD. Dans ces énoncés, les noms propres sont employés, non pas pour référer uniquement aux personnes dénommées ainsi, mais plutôt renvoyer à leurs œuvres artistiques (films, romans). Or le lecteur français est en général capable d‟associer ces œuvres à un contenu thématique ou idéologique (militantisme écologique, conditions de travail, mode de vie social), mais ce n‟est souvent pas le cas du lecteur arabe. Au fond, il s‟agit d‟une comparaison implicite entre une réalité extralinguistique qui fait l‟objet principal du message à transmettre et une autre réalité référentielle, extérieure au sujet de l‟énoncé, mais ayant un point de ressemblance avec elle. La deuxième réalité sert à éclaircir, par voie métaphorique, la première.

Partie II : Chapitre IV : Les motivations des explicitations dans le corpus du MD 2001-2011

288

Le nom propre sert juste de détonateur à cette association d‟idée. Et c‟est pour faire marcher ce lien logique que les traducteurs interviennent par l‟ajout des compléments contextuels appropriés. Malheureusement, les traducteurs n‟ont pas souvent su déclencher ce processus cognitif, à cause d‟un mauvais choix des traits pertinents soulignés. L‟antonomase retenue Ex. 1 Depuis plusieurs années déjà, l‟ours blanc amaigri et peutêtre phtisique se traîne de banquise en banquise, de film en film, et d‟ArthusBertrand en Nicolas Hulot. (MD décembre 2011)

L‟explicitation fournie Depuis plusieurs années, l‟ours blanc amaigri et peut-être phtisique se traîne de banquise en banquise, de film en film, et d‟ArthusBertrand (photographe) en Nicolas Hulot (militant écologiste connu).

Ex. 2 L‟univers est plus proche de Robocop que de Zola. (MD janvier 2006)

C‟est un univers plus proche des films de « Robocop » que du monde des romans d‟Émile Zola.

La traduction arabe

en

Le but recherché par l‟explicitation

ُ٘‫ وٽڂن ٍڂىادٍ واٹلةّ األث‬Ces deux anthroponymes sont ici ‫وهمبب‬

utilisées comme antonomases. Elles ne

‫ثبعتياٷ‬

‫ اظتٖبة‬réfèrent plus uniquement aux deux 203 mais à leurs productions ‫ كتوعو ځٮَڄ ٽڀ‬، ‫ ثبٹزٲپٸ‬personnes médiatiques respectives. Le traducteur

‫ وٽڀ‬،‫ٍ عٺُلٌّ بذل آفو‬٫‫ى‬ٝ semble opter pour l‟explicitation de la

fonction du personnage pour rendre clair

،‫ٍ ٍُڂپبئٍ بذل آفو‬َٜ‫ ّو‬le sens de l‟antonomase. Grâce au co‫ وٽڀ َبٿ ؤهرىً ثورواٿ‬texte, le lecteur saura déduire qu‟il s‟agit de films réalisés par ces écologistes afin

‫وايف) بذل‬٩‫ (اظتٖىّه اٹٮىرى‬de sensibiliser le public aux dangers de la ‫ ځُٶىال څىٹى (ځًٖن اٹجُئخ‬fonte accrue des glaces au pôle nord.

.(٫‫وو‬٦‫اظت‬

‫بدلٌ ؤٱوة بذل ؤ٭الٻ‬٥ ‫بځڄ‬ ‫بدل‬٥ ‫"هوثىٵىة" ٽڂڄ بذل‬ .‫هواَبد ؤٽُٸ ىوال‬

Tenter de décrire l‟ambiance qui règne désormais dans les zones de développement économique et technologique bâties dans certaines provinces en Chine pour attirer les capitaux étrangers. L‟auteur veut évoquer les unités de production de très haute technologie, proches des films de science-fiction comme Robocop et non de l‟enfer des mines décrit dans Germinal de Zola.204

Ce terme employé par le traducteur ne nous est pas connu. Nous préférons le traduire par "ٌ‫( "اٹَٸ اٹوئى‬tuberculose pulmonaire). 204 Se contenter des incrémentialisations « films » et « romans » devant les noms « Robocop » et « Zola », ne suffit pas à expliciter le sens pertinent de ces antonomases dans ce contexte en particulier. Pour y remédier, nous proposons la traduction suivante :"‫پبٷ اظتڂبعټ اٹُلوٌَن ٹٺووائٍ بنتُٸ ىوال‬٥ ‫بدل‬٥ ‫بدل آرل ؤٱوة بذل ؤ٭الٻ "هوثىٵىة" ٽڂڄ بذل‬٥ ‫( "بځڄ‬C‟est un univers robotisé plus proche des films de « Robocop » que de celui des mineurs du romancier Émile Zola). 203

289

Partie II : Chapitre IV : Les motivations des explicitations dans le corpus du MD 2001-2011 Ex. 3 « Certains de nos logements, c‟était vraiment Zola, c‟était terrible ». (MD janvier 2007)

« Certains de nos appartements ressemblaient à ceux décrits par Zola. c‟est terrible » .

‫٘ ّٲٲڂب ٵبځذ ّجُهخ‬٦‫ "ث‬Montrer au lecteur qu‟il existe un point de

ressemblance

entre

l‟ambiance

،‫ ثزٺٴ اٹيت َٖٮهب ؤٽُٸ ىوال‬régnant dans ces appartements et celle dans les romans de Zola, sans en ."٤َ‫ األٽو ٽو‬décrite dire un peu plus. Heureusement, le contexte précise que c‟est quelque chose d‟horrible. Le sens à inférer du contexte consiste à dire que, grâce à la gentrification en cours, les quartiers où vivaient des gens très pauvres, dans une ambiance misérable proche de celle que décrit Zola, ont radicalement changé, sans pour autant porter atteinte à la mixité sociale.

Tableau 23: Des explicitations sur des emplois antonomasiques de noms de personnes

2.2.5.2. Des explicitations sur des emplois antonomasiques des noms de lieu ou de société Il s‟agit d‟expression antonomasiques qui consistent à décrire un établissement ou un endroit par le nom d‟un autre établissement ou d‟un autre endroit, avec qui il partage la même qualité caractéristique (la nature du débat, la richesse du quartier, l‟influence sur le marché, la splendeur architecturale, etc.). Pour élucider ce sens antonomasique véhiculé par l‟emploi du nom propre de lieu ou d‟établissement public, il conviendrait de faire ressortir le trait saillant qui s‟actualise spontanément chez les lecteurs avertis, mais pas chez la majorité des lecteurs arabes. Il est clair que cette explicitation devient superflue si le contexte se charge déjà de révéler le point de ressemblance en question. L‟antonomase retenue Ex. 1 Pour répondre à l‟attente de l‟immense majorité des populations des banlieues, [...] un « Grenelle des banlieues » (MD décembre 2005)

205

L‟explicitation fournie Pour répondre à l‟attente de l‟immense majorité des populations des banlieues, [...] « Organiser un congrès qui traite des questions des problèmes de banlieues, à l'instar du congrès de Grenelle ».

La traduction en arabe

‫به‬٢‫اځز‬

ً‫ٺ‬٥

Le but recherché par l‟explicitation

ً‫ هكا‬Rendre le sens pertinent de cette antonomase

contenue dans cette expression attribuée à un

‫ٺجُخ اٹَبؽٲخ ٽڀ‬٩‫ األ‬député communiste de Seine-Saint-Denis. cette consiste à dire qu‟il faudrait [...] ٍ‫ىاؽ‬ٚ‫ ٍٶبٿ اٹ‬proposition organiser un débat public et général sur les ‫ىن‬٦َُ ‫ُټ ٽادتو‬٢‫ثٸ رڂ‬

ً‫ٺ‬٥ ٍ‫ىاؽ‬ٚ‫مبْٶٺخ اٹ‬ ."‫وَڂُٸ‬٩ ‫واه ٽادتو‬٩

problèmes des banlieues, notamment après les émeutes de 2005, au lieu de se contenter de prendre des mesures partielles insuffisantes. Le lecteur n‟en saura pas plus sur le « congrès de Grenelle » d‟origine, mais cette information historique n‟a pas d‟incidence directe sur la compréhension du sens global de l‟énoncé. 205

En effet, le terme « Grenelle » renvoie aux accords de Grenelle de mai 68, annonçant la fin de la crise après de longues négociations entre les représentants syndicaux et le gouvernement Pompidou. Cet accord tire son nom du lieu où se sont déroulées ces réunions, à savoir la rue Grenelle où siège le ministère du Travail. Depuis, le terme « Grenelle » désigne, dans le langage journalistique, un débat ou une table ronde réunissant des représentants du gouvernement, d'associations professionnelles et d'ONG, autour d‟une question d‟intérêt public, comme l‟écologie, où l‟on parle alors de « Grenelle de l‟environnement », ou les problèmes des banlieues, donc « un Grenelle des banlieues ». Comme nous l‟avons évoqué plus haut, il n‟est pas nécessaire d‟apporter ces informations au lecteur. Le but étant de lui faire comprendre le sens de la proposition du député de Seine-Saint-Denis, à savoir la tenue d‟une conférence, ou d‟assises, réunissant différentes parties, pour discuter du fond de ces problèmes, au lieu de riposter

Partie II : Chapitre IV : Les motivations des explicitations dans le corpus du MD 2001-2011 La ville de Rudersdal, qui s‟apparente au Danemark à la banlieue française et riche de Neuilly, [...]

،‫هوكهٍلاٷ‬

Ex. 3 Le « modèle HBO » [...] devait être le «Wal-Mart de l‟âge de l‟information » (MD juin 2011)

Le modèle HBO [...] devait être « le groupe Wal-Mart (une chaine de magasin d‟alimentation très influente) de l‟âge des médias »

"‫ "واٷ ٽبهد‬٤‫غتپ‬

Ex. 4 « Une Sagrada Familia de l‟Est » (MD octobre 2010)

C‟est la cathédrale de "la famille sainte" dans l‟est européen » [1].

‫بئٺخ‬٦‫"بهنب ٵبرلهائُخ " اٹ‬

[1] « en référence à la cathédrale conçue par Gaudi à Barcelone »

‫بذل‬

Ex. 2 Rudersdal, le Neuilly danois [...] (MD octobre 2009)

290

‫ ٽلَڂخ‬Révéler le sens de l‟antonomase : ces banlieues

de Copenhague et de Paris (Rudersdal et

‫ وڅٍ ؤّجڄ يف اٹلافتبهٳ‬Neuilly) ont un point commun, qui est la de leurs habitants. Grâce à ce "ٍَ‫"ځى‬ ‫بؽُخ‬ٚ‫ ث‬richesse supplément d‟information, le lecteur saura […]،‫ اٹٮوځَُخ اٹضوَّخ‬inférer le sens global de l‟énoncé : cette

‫اظتزبعو‬

‫(ّجٶخ‬

)‫االٍزهالٵُخ اظتهُپڂخ‬

."‫الٻ‬٥‫ٖو اإل‬٦‫ٹ‬

‫اظتٲلٍخ" يف اٹْوٯ‬

‫اٹيت‬

[1]"‫األوهويب‬

‫["ځَجخ‬1]

‫اٹٶبرلهائُخ‬

‫بوكٌ يف‬٩ ‫ٕپپهب‬

.‫ثوّٺىځخ‬

commune danoise riche conteste la péréquation fiscale qui l‟amène indirectement à financer les communes pauvres. Préciser le trait pertinent de cette entreprise de grande distribution (Wal-Mart) pour faire comprendre le sens implicite de l‟antonomase désignant le modèle HBO de la compagnie de production médiatique Time Warner. Par association d‟idées, le lecteur déduira que la réussite du modèle HBO et sa place prépondérante dans le monde de l‟information ressemble à celle de Wal-Mart et sa position dominante au sein du marché de la grande distribution. Tenter de décrire l‟architecture grandiose et resplendissante de Lichen, le plus grand édifice religieux de Pologne, comparée à celle de la Cathédrale Sagrada Familia, conçue par Gaudi à Barcelone. L‟explicitation se limite à établir ce parallèle entre les deux œuvres architecturales, la description détaillée de sa beauté est largement commentée dans le texte. Cette explicitation fait ainsi découvrir aux lecteurs arabes les deux églises à la fois.206

Tableau 24: Des explicitations sur des emplois antonomasiques de noms de lieux ou de sociétés

2.2.5.3. L‟antonomase créatrice de surnoms : A qui, à quoi renvoie le surnom ? En plus de la désignation d‟un nom propre par un autre nom propre, l‟antonomase peut aussi consister à désigner un nom propre par un nom commun, souvent une périphrase, qui lui sert de surnom. En effet, ce dernier est défini selon le Petit Robert comme étant « une désignation caractéristique que l‟on substitue au véritable nom d‟une personne ; un sobriquet ». En d‟autres

par des mesures policières ou coercitives. Ce sens est assez déductible de l‟explicitation fournie et du contexte général. 206 En effet, si la fonction de l‟antonomase désignant Lichen par la Sagrada Familia sert à faire connaître celle-là par celle-ci, c‟est l‟effet inverse qui se produit pour le lecteur arabe qui va découvrir, grâce au contexte d‟abord et à l'explicitation ensuite, que Lichen s‟apparente à une autre église de l‟Ouest européen, à Barcelone, dite « la Sagrada Familia » et qui est visiblement un chef d‟œuvre de Gaudi. En revanche, dans ce même article, le traducteur avait d‟abord comparé Lichen à Taj Mahal en écrivant « c‟est notre Taj Mahal slave », sans que cette autre antonomase n‟ait sollicité aucune explicitation en arabe, puisque le lectorat arabe est censé avoir vu ou entendu parler de cette œuvre emblématique en Inde et déduire aisément la comparaison établie.

Partie II : Chapitre IV : Les motivations des explicitations dans le corpus du MD 2001-2011

291

termes, le surnom est une substitution qui vient mettre l‟emphase sur un trait particulier constitutif d‟une personne, ce qui coïncide avec le fonctionnement de l‟antonomase207. Ce procédé est fréquemment utilisé dans le discours journalistique, souvent pour des effets stylistiques : éviter la répétition, mettre en valeur un aspect pertinent du référent désigné, etc. Ces surnoms sont souvent attribués à des pays ou à des personnages célèbres. Ainsi, le « premier consul » signifie Bonaparte, le « maréchal » renvoie à Philippe Pétain, le « grand timonier » désigne Mao Tsé Toung. Voici quelques exemples sur des surnoms créés, par voie antonomasiques, données à des villes, pays ou des célébrités. 2.2.5.4. Des explicitations d‟emplois antonomasiques servant de surnoms pour des pays ou des villes Le surnom retenu Ex. 1 L‟Archipel octobre 2010)

(MD

Ex. 2 Devant l‟édifice, on a peint une immense main rouge, symbole de l‟Ulster loyal à la Couronne. (MD juin 2006)

207

L‟explicitation fournie L‟archipel japonais

La traduction arabe

Devant le parvis de l‟église, on a peint une immense main rouge, symbole de l‟Irlande du Nord, loyale au Royaume-Uni.

‫وٱل هُشتذ ؤٽبٻ ٕوػ‬

en

Le but recherché par l‟explicitation

‫ األهفجُٸ اٹُبثبين‬Préciser

‫اٹٶڂَُخ َلٌ زتواءٌ ٵجًنح روٽي‬

‫بذل ؤَوٹڂلا اٹْپبٹُخ اٹى٭ُّخ‬ .‫اظتىاٹُخ ٹٺپپٺٶخ اظتزؾلح‬

le nom du pays, en l‟occurrence le Japon. Il n‟y avait pas de risque d‟incompréhension à proprement parler, mais plutôt un risque d‟ambiguïté, parce que l‟auteur multiplie les désignations du Japon en parlant tantôt de Tokyo, tantôt de l‟Çtat et de l‟archipel, risque d‟autant plus grand que les lecteurs arabes ne sont pas habitués à désigner ce pays par ce trait géographique. Employer des noms plus aisément compréhensibles pour le lecteur arabe. l‟Ulster devient l‟Irlande du Nord, et la Couronne, le Royaume-Uni. Le traducteur s‟est contenté de cette substitution sans s‟attarder sur le concept de la Couronne, désignant le pouvoir royal, incarné par le monarque, ni sur la constitution particulière du Royaume-Uni (Angleterre, Écosse, Pays de Galles, Irlande du Nord, etc.). Le contexte donnait quelques éclaircissements au fil du texte.208

A vrai dire, ce fonctionnement correspond également à celui de la métonymie, les zones de recoupement entre ces deux tropes étant très nombreuses. Nonobstant cette similitude, nous avons préféré classer ces emplois sous la catégorie de l‟antonomase car il s‟agit de procédé de dénomination d‟un nom propre, en l‟occurrence de pays, à l'aide d‟un nom commun, ce qu‟on appelle souvent l‟antonomase inverse ou l‟antonomase du nom commun. Cela peut aussi s‟appeler une périphrase. Ce n‟est pas tant la dénomination qui nous importe, mais la façon de procéder pour en ressortir le sens caché et l‟exprimer aux destinataires de la traduction. 208 Remarquons également que le traducteur a préféré traduire « édifice » par « le parvis de l‟église », sur la base de son interprétation du sens du texte, ce qui est aussi une autre explicitation par substitution. Ces trois explicitations dans le même énoncé témoignent du souci du traducteur de produire un énoncé arabe intelligible, en évitant la traduction littérale des termes d‟origine qui risquent d‟alourdir le style au lieu de l‟embellir.

Partie II : Chapitre IV : Les motivations des explicitations dans le corpus du MD 2001-2011 Ex. 3 La Gaule (MD avril 2007)

« la France antique »209

Ex. 4 La cité des Doges (MD décembre 2010)

Venise

292

‫ ٭وځَب اٹٲلنتخ‬Montrer qu‟il s‟agit du nom ancien de

‫اٹجڂلٱُخ‬

la France actuelle, sans donner d‟autres détails historiques sur cette appellation. Le contexte fournissait quelques indications supplémentaires sur l‟histoire de la France. Substituer le nom « Venise », sûrement bien connu des lecteurs arabes, à la périphrase employée dans le texte qui n‟évoque rien pour les Arabes.210

Tableau 25: Des explicitations sur des emplois antonomasiques de surnoms de villes ou de pays

2.2.5.5. Des explicitations d‟emplois antonomasiques servant de surnoms pour des personnages célèbres Comme ne l‟avons signalé en début de cette section, l‟antonomase du nom commun peut être un procédé créateur de surnom, dans la mesure où l‟on peut désigner la personne par ce nom commun qui fait désormais office de nom propre. Le surnom retenu Ex. 1 Le Grand Timonier prônait pourtant un tout autre rapport à l‟altérité (MD mai 2005)

L‟explicitation fournie Le « Grand Timonier » (Mao Zedong) prônait à la base un autre type de rapport à l‟Autre.

La traduction arabe

en

Le but recherché par l‟explicitation

‫ ؤٿّ "اٹوثّبٿ األٵرب" (ٽبو‬Identifier la personne désignée par cette antonomase. Grâce à son bagage cognitif et à

‫ب ؤٍبٍبً بذل‬٥‫) ك‬٨‫ رٍَ رىځ‬l'apport du co-texte, le lecteur saura qu‟il du fondateur de la République populaire ٤‫بٽٸ ٽ‬٦‫ٍ آفو ٽڀ اٹز‬٣‫ ځى‬s‟agit de Chine. Le lecteur averti saisira mieux le ‫ اِفو‬sens symbolique de l‟antonomase, à savoir l‟image de ce leader aux commandes de la Chine, telle le marin gouvernant le navire avec la barre.211

Par ailleurs, ce terme n‟a pas toujours été explicité. Il a été reporté littéralement par "‫بٷ‬٪‫( "ثالك اٹ‬MD juin 2011), dans un contexte où le lecteur arabe risquait fort de ne pas identifier le pays désigné par ce nom, car l‟on a tendance à confondre cette appellation avec celle de « pays de Galles » au Royaume-Uni. Cette substitution explicitante évince tout risque d‟ambiguïté, sans provoquer ni redondance ni perte stylistique intolérable. 210 Vers la fin du même article, le traducteur rend littéralement la même périphrase d‟origine en y ajoutant des guillemets "‫"ٽلَڂخ اٹلوط‬, mais le contexte était suffisamment explicite pour ne permettre aucune interprétation autre que celle de Venise. Il s‟agit peut-être d‟une tentative de récupérer la perte stylistique engendrée par la substitution opérée en début d‟article. Cependant, il aurait été plus judicieux de reporter ce surnom dès la première occurrence à côté du mot « Venise » et l‟employer par la suite, au lieu de procéder à l'inverse. Par ailleurs, le surnom « la cité phocéenne » a été rendu dans le MD (décembre 2008) par "‫( "ثٺلَخ ٽوٍُٺُب‬la municipalité de Marseille), dans un contexte parlant du lieu de tournage de la série « Plus belle la vie ». Cependant, nous ne pouvons pas considérer cette traduction comme explicitation, car elle ne remplit pas le critère d‟ « option de traduction ». En effet, cette périphrase a toujours été traduite par « Marseille ». Il en va de même pour la traduction de l‟ « Hexagone » (MD février 2009, juin 2006, avril 2011) par la « France », « l‟état helvétique » (MD février 2011, mars 2007) par « la Suisse » auxquels nous n‟avons pas trouvé, dans tout le corpus, aucune traduction alternative. 211 Dans cet énoncé, l‟auteur citait l‟avis de ce leader chinois sur le racisme comme étant une « problème de classe » existant dans différents pays du monde, auquel il faudrait adopter une attitude appropriée selon sa philosophie maoïste. 209

Partie II : Chapitre IV : Les motivations des explicitations dans le corpus du MD 2001-2011 Ex. 2 Les évêques devaient résider dans leur diocèse et ne pouvaient en sortir qu‟avec la permission du premier consul (MD août 2003)

Les évêques devaient résider dans leurs diocèses et ne jamais les quitter qu‟avec une permission du Napoléon lui-même.

293

‫ٺً األٍبٱٮخ ؤٿ‬٥ ‫ وثبد‬Identifier, là aussi, le nom de cette personne ‫وال‬

‫ؤثوُّبهتټ‬

qui se cache derrière cette antonomase et qui

‫ َالىٽىا‬s‟attribue cette autorité sur les déplacements évêques dans leurs secteurs ‫بكهوڅب اال ثبمٿ ٽڀ‬٪َ des ecclésiastiques. Il n‟en demeure pas moins

.‫ ځبثىٹُىٿ ځٮَڄ‬vrai que le contexte éclaircissait assez bien ce point, car le texte parlait des mesures prises par Bonaparte visant à contrôler les activités de l‟Çglise catholique en France. Un lecteur attentif aurait déchiffré sans peine le sens de ce surnom, mais le traducteur a préféré ne prendre aucun risque. 212

Tableau 26: Des explicitations sur des emplois antonomasiques de surnoms de personnages célèbres

2.2.6. Les emplois éponymiques des noms propres Il s‟agit de substantifs ou d‟adjectifs forgés à partir de noms propres comme « 'Audenesque', 'Keynesian', 'Laurentian', 'Hallidayan‟, „Joycean‟ 'Leavisite' » (Newmark [1988] 2005 : 146). Ces éponymes servent souvent à désigner des concepts, des doctrines, des courants d‟idées, des styles. Ils véhiculent donc des significations pertinentes que le lecteur natif parvient à décoder plus ou moins aisément, grâce à son bagage cognitif. En revanche, pour le lecteur cible, l‟extraction du sens implicite n‟est pas toujours évidente, à moins que le traducteur ne lui tende une perche pour l‟aider à saisir le sens voulu. En effet, dans des expressions telles que « l‟esprit cartésien », « une atmosphère kafkaïenne », « un style proustien », « des idées rousseauistes », « une scène moliéresque »213, les lecteurs arabes pourraient reconnaître, grâce à une simple traduction littérale, les noms des auteurs concernés, respectivement « Descartes, Kafka, Proust, Rousseau, Molière ». Mais cela ne suffira pas pour autant à déceler les significations précises dont se charge chacun de ces syntagmes. Ainsi, un esprit « cartésien », signifie un esprit rationnel, clair, méthodique, digne des qualités de Descartes, l‟atmosphère « kafkaïenne » dépeint une situation absurde et étrange, mais transposée dans la réalité, digne des romans de Kafka, un style « proustien » est un style qui se complaît dans la digression et les phrases longues. Ces emplois éponymiques recèlent donc une charge implicite importante, dont l‟appréhension immédiate n‟est pas à la portée de tous les lecteurs arabes. 212

Remarquons d‟ailleurs que le traducteur s‟adapte aux connaissances des lecteurs arabes en explicitant cette antonomase par le prénom « Napoléon » et non par le nom de famille « Bonaparte », étant ce prénom qui est la plus usitée dans les écrits arabes. Par ailleurs, bien que « Premier Consul » dût être considéré, sous le Consulat, issu du coup d‟Etat du 18 Brumaire, comme un titre officiel, comme par exemple « Président de la République » aujourd‟hui, nous l‟avons rattaché ici aux cas d‟antonomases car ce surnom désigne en fait, le seul Premier Consul à vie Napoléon Bonaparte. 213 Ce procédé que nous appelons éponymique peut également être considéré comme antonomasique puisqu‟il implique la désignation d‟un nom commun à l'aide d‟un nom propre. L‟éponyme est en fait une sorte d‟antonomase. Cependant, par commodité, nous préférons les considérer comme éponymiques parce qu‟ils consistent à donner aux concepts et aux objets les noms de leurs auteurs, ce qui nous facilite grandement la distinction entre cette catégorie et les autres emplois antonomasiques.

Partie II : Chapitre IV : Les motivations des explicitations dans le corpus du MD 2001-2011

294

Dès lors, le traducteur prend la décision d‟expliciter leur sens en contexte en donnant, au besoin, deux types d‟informations : le nom d‟origine dont le concept ou l‟objet tire son nom et/ou le trait de signification pertinent de ce concept. Le degré d‟explicitation dépend souvent du contexte cognitif et de la pertinence de cet élément discursif pour la construction du sens global : « [...] you have to decide whether it is worth transferring the name as well as the sense, depending on its cultural interest and its likelihood of recurrence or permanence in the TL » (Newmark 1988 : 199). Voyons de plus près les différents cas de figure relevés dans notre corpus du MD sur ces emplois éponymiques.  Exemple nº 36 : le poujadisme fiscal (qu‟est-ce que c‟est ?) Cet exemple est extrait d‟un article du MD juin 2011, intitulé « Un raisonnement de fou », où l‟auteur explique qu‟en cette période de crise, celui qui ose critiquer les privilèges des classes dirigeantes, le libre-échange, le laminage des salaires, se voit tout de suite taxé de populiste et de poujadiste. Une sorte de camisole intellectuelle a été installée afin de verrouiller le jeu politique et de rabaisser les voix discordantes au rang de fascistes et de réactionnaires. Dans l‟énoncé suivant, l‟auteur explique aussi comment, dans une démarche inverse, le front national cherche à récupérer des thèmes progressistes, et d‟autres concepts politiques qui appartenaient à la gauche afin de mettre à jour son substrat idéologique, tout en conservant sa sauce xénophobe. Le traducteur se heurte à la traduction du sens du concept « poujadisme fiscal ». Car l‟extrême droite française a mesuré que sa vieille idéologie thatchérienne, sa haine des fonctionnaires et son poujadisme fiscal ont été disqualifiés par le creusement des inégalités sociales et par la dégradation des services publics. (MD juin 2011)

‫ اٹٮوځٍَ ٱل ؤكهٳ‬٫ّ‫و‬ٞ‫ بم ؤٿّ اٹُپٌن اظتز‬Car l‟extrême droite française a réalisé que sa vieille idéologie thatchérienne,

‫ وٵوڅڄ‬،‫ ثإٿّ بَلَىٹىعُزڄ اٹزبرْوَخ اٹٲلنتخ‬sa haine des fonctionnaires " [4] ‫ و"اٹجىعبكَخ‬،‫ّٮٌن اضتٶىٽٌُن‬١‫ ٹٺپى‬gouvernementaux et son poujadisme fiscal [4] n‟ont plus aucun intérêt,

٤ٍّ‫ل رى‬٦‫ً ثإٌّ اڅزپبٻ ث‬٢‫ل حت‬٦‫وَجُّخ دل ر‬ٚ‫ اٹ‬après le creusement des inégalités ‫ُخ ورلڅىه اطتلٽبد‬٥‫ اٹٮووٱبد االعزپب‬sociales et la dégradation des services

‫جىَخ‬٦ّ :‫[ ځَجخ بذل ثُبه ثىعبك‬4] .‫بٽخ‬٦‫ اٹ‬publics. [4] en référence à Pierre Poujade : il s‟agit d‟un courant

‫ مبب ٭ُڄ‬،‫وائت‬ٚ‫ٮبء ٽڀ اٹ‬٥‫ڀ اإل‬٥ ٤‫ رلا٭‬populiste qui consiste à défendre .‫ڂُبء‬٩‫ ٹأل‬l‟idée de l‟exonération d‟impôts, y compris pour les riches.

Estimant que le nom de Pierre Poujade a trop peu de chances d‟être connu de la majorité des lecteurs arabes, et a fortiori le concept économique éponyme, le traducteur décide de l‟expliciter en précisant le nom de l‟initiateur de ce mouvement politique et syndical, et en soulignant deux traits idéologique et économique pertinents de ce concept, à savoir le populisme et la suppression des taxes. Ainsi, le lecteur comprend que le front national prend conscience des évolutions sociales et économiques et s‟éloigne peu à peu de ses vieux dogmes qui l‟ont servi dans le passé, mais qui ne lui sont plus utiles aujourd‟hui. Dans un autre texte du MD septembre 2009, évoquant la question de la protection des métiers de libraires et éditeurs, qui subissent l‟hégémonie des grands géants de l‟Internet (Google, Amazon,

Partie II : Chapitre IV : Les motivations des explicitations dans le corpus du MD 2001-2011

295

etc.), le traducteur explicite le concept « politique poujadiste » par la désignation explicite du nom du fondateur Pierre Poujade, qualifié d‟ailleurs de populiste, et puis par un ajout du trait caractéristique actualisé dans ce contexte qui est « la politique corporatiste ». En fait, il a écrit ceci : "‫ انشؼجٕ٘ ثٕخبد) نهذفبع ػٍ انًُٓخ‬ٙ‫ى انفشَغ‬ٛ‫خ (أ٘ َغجخ نهضػ‬ٚ‫بعخ انجٕخبد‬ٛ‫( "انغ‬la politique poujadiste (c'est-àdire celle attribuée au leader français populiste Poujade) consistant à défendre les métiers). Ce même concept figure dans d‟autres textes du MD, sans susciter d‟explicitation sur le concept luimême, parce qu‟il est souvent éclairci par le contexte. C‟est le cas par exemple de l‟énoncé suivant : Toute une propagande mièvre qui rend les mots « frontières », « régulations », « protectionnisme », « barrières douanières » poujadistes, synonymes de repli sur soi, d‟égoïsme, de nationalisme, interdits aux hommes de progrès. (MD mars 2009)

‫ٺذ‬٦‫ ع‬،‫ىن اٹٶٺپخ‬٦‫بَخ ٽزٶٺّٮخ ثٶٸ ٽ‬٥‫ ك‬Toute une propagande affectée dans tous les sens du terme, qui fait des

"‫ ٽڀ ٵٺپبدٍ ٽضٸ "اضتلوك" واٹٲىځڂخ‬termes « frontières », « régulations », « ‫ واضتپبئُخ" و"اضتىاعي اصتپوٵُخ" ٵٺپبد‬protectionnisme », « barrières

douanières » des notions214 poujadistes

،)‫جىٌّ ثىعبك‬٦ْ‫( ثىعبكَخ (ځَجخ بذل اٹ‬en référence au populiste Poujade), ،‫ىاء واألځبځُخ واٹٲىٽُخ‬ٞ‫ وٽواك٭خ ٹالځ‬synonymes de repli sur soi, d‟égoïsme, .‫ٺً اٹزٲلّٽٌُن‬٥ ‫ ػتوّٽخ‬de nationalisme et interdits aux hommes de progrès.

Le co-texte s‟est chargé d‟éclaircir le contenu de la pensée poujadiste, l‟intervention du traducteur s‟est limitée à révéler le nom exact du fondateur de cette politique. Il revient au lecteur de déduire ensuite l‟idée principale de l‟énoncé, à savoir endiguer toute pensée contraire aux tendances économiques actuelles et ringardiser toutes les voix dissonantes, en les accusant d‟être des poujadistes réactionnaires anti-européennes, etc. Voici à présent une série d‟exemples illustrant les différents cas de figure d‟explicitations éponymiques relevées dans les traductions du MD. 2.2.6.1. Des explicitations sur des emplois éponymiques relatifs au domaine économique Dans ces exemples complémentaires, nous allons voir comment les traducteurs du MD s‟y sont pris pour expliquer aux lecteurs arabes le sens des expressions éponymiques telles que « le tournant keynésien », « la taylorisation du métier de l‟édition », « les pratiques malthusiennes ». Faut-il expliciter le nom des créateurs de ces concepts ou leurs significations pertinentes dans le contexte, ou les deux à la fois ?

214

Littéralement : des mots poujadistes.

Partie II : Chapitre IV : Les motivations des explicitations dans le corpus du MD 2001-2011 L‟emploi éponymique Ex. 1 En définitive, le mécanisme a fait déchanter ceux qui croyaient à un improbable tournant keynésien. (MD mai 2011)

L‟explicitation fournie En définitive, le mécanisme a réduit l‟enthousiasme de ceux qui croyaient à un improbable tournant vers une politique keynésienne (de relance de l‟économie)

La traduction en arabe

Ex. 2 Cette taylorisation du métier débouche sur une dilution des responsabilités dans la fabrication des sujets, que symbolise l‟empilement des signatures. (MD décembre 2005)

Ce système de concurrence (taylorienne) du métier, conduit à une dilution des responsabilités dans la fabrication des informations, que symbolise la multiplication des signatures sur le même sujet.

‫اظتڂب٭َخ‬

Ex. 3 Il faut renverser la vapeur et « extirper de notre économie, dans tous les domaines, les pratiques malthusiennes, causes de la limitation de nos facultés et de la médiocrité de nos niveaux de vie ». (MD novembre 2007)

Ce qu‟il fallait faire, c‟était de changer la direction des courants d‟airs et « d‟éliminer de notre économie, dans tous les domaines, les pratiques malthusiennes [7], causes de la limitation de nos facultés et de la médiocrité de nos niveaux de vie ». [7] c'est-à-dire, éliminer les politiques de l‟expansion économique.

‫ًُن‬٪‫ٺىة څى ر‬ٞ‫٭ٶبٿ اظت‬

296

Le but recherché par l‟explicitation

‫ عبءد‬،‫ ٭ٮٍ هنبَخ األٽو‬Se focaliser non pas sur le nom du concepteur de cette politique (Keynes),

ً‫ ٽڀ زتب‬٬ّ‫ اِٹُخ ٹزقٮ‬mais plutôt sur l‟une des principales de cette ‫ڂّىا ؤٿ‬١ ‫ ؤوٹئٴ اٹنَڀ‬caractéristiques politique, en l‟occurrence, la relance de

‫ څڂبٳ بٽٶبځُخ ؽلوس‬l‟économie par une augmentation ‫حتىٷٍ ؿتى ٍُبٍخ ٵُڂيَّخ‬

ciblée des dépenses publiques.

.)‫(حتٮُيَخ ٹالٱزٖبك‬ ‫بٻ‬٢‫ځ‬

ٌّ‫ َاك‬Tenter de révéler le sens de ce concept économique (forgé à partir du nom de

‫ (اٹزُٺىهَخ) ٹٺپهڂخ اذل‬son inventeur Frederick Taylor). Le semble se méprendre sur la ‫ رنوَت اظتَاوٹُبد يف‬traducteur signification pertinente ici en orientant ‫خ االفجبه واظتزپضّٸ‬٥‫ ٕڂب‬le lecteur vers une fausse piste qu‟est la concurrence. Or, ce concept consiste à

ً‫ٺ‬٥ ‫بد‬٦ُ‫لّك اٹزىٱ‬٦‫ يف ر‬proposer un modèle scientifique de .‫ اٹىاؽل‬٣‫ى‬ٙ‫ اظتى‬rationalisation de travail pour optimiser

‫غتوي اٹوَبػ "ورڂٲُخ‬

ّ‫ٵٸ‬

‫يف‬

،‫اٱزٖبكځب‬

‫ ٽڀ اٹَُبٍبد‬،‫اجملبالد‬ ‫اٹيت‬

]7[

‫اظتبٹزىٍُخ‬

‫رَجّجذ ثزٲُُل ٽاڅّالرڂب‬ ‫ٽَزىَبد‬

‫وثوكاءح‬

."‫ُْزڂب‬٦‫ٽ‬

‫] ؤٌ ٽڀ ٍُبٍبد‬7[ .ٌ‫ االٱزٖبك‬٤ٍّ‫اٹزى‬

le rendement. Et c‟est le cas dans ce contexte évoquant le métier de l‟édition des journaux télévisés, où les missions et les responsabilités sont partagées entre éditeurs, journalistes, pigistes, etc. 215 Tenter de révéler le trait pertinent de ces pratiques malthusiennes, qui visent à freiner la croissance démographique et le développement économique qu‟elle rendrait nécessaire. Or, dans ce contexte évoquant le rapport ArmandRuef, demandé par De Gaulle, il y a 50 ans, sur la libéralisation de l‟économie française, l‟explicitation proposée par le traducteur en note induit le lecteur en erreur. Eliminer les pratiques malthusiennes, ce n‟est pas « éliminer les politiques d‟expansion économique » mais au contraire laisser se développer la croissance démographique et économique.

Tableau 27: Des explicitations sur des emplois éponymiques de concepts économiques

215

Pour rétablir l‟équilibre implicite/explicite et élucider le sens, nous proposons de traduire le début de l‟énoncé comme suit : "...‫ىًن اظتَاوٹُبد يف بځزبط ځْواد األفجبه‬٦‫بدل االٱزٖبك ربَٺىه بذل ر‬٥ ‫بٻ رٲَُټ اظتهبٻ و٭ٲبً ظتب ؤّٕٸ ٹڄ‬٢‫( " َاكٌ ځ‬Le système de rationalisation des tâches, proposé par l‟économiste Taylor, débouche en fait sur la dilution des responsabilités dans la production des journaux télévisés...». Ce faisant, nous apportons au lecteur deux informations pertinentes, bien intégrées dans le texte, la première sur l‟auteur et la deuxième sur le trait saillant de ce concept.

Partie II : Chapitre IV : Les motivations des explicitations dans le corpus du MD 2001-2011

297

2.2.6.2. Des emplois éponymiques relatifs au domaine philosophique et littéraire Comme dans le domaine économique, le domaine philosophique et littéraire à son lot de concepts éponymiques qui figurent assez souvent dans les articles du MD. Ils font souvent référence à une caractéristique essentielle de l‟un des chefs-d‟œuvre des écrivains ou aux dogmes principaux qu‟ont élaborés les philosophes. Dans ces exemples, ce sont les expressions « une haine racinienne », « une mission dantesque » que les traducteurs du MD ont jugé nécessaire d‟expliciter aux lecteurs arabes. L‟emploi éponymique Ex. 1 La crainte de la « nomination » entretient dans le huis clos du loft une haine toute racinienne. (MD juin 2001)

L‟explicitation fournie La crainte de la « nomination » nourrit dans le huis clos une haine digne du théâtre de Racine.

La traduction en arabe

Ex. 2 Mais pour accomplir quelle mission dantesque se sont-ils donné rendez-vous ? (MD juin 2011)

Mais se sont-ils donné rendezvous pour accomplir cette mission digne de la descente aux enfers de Dante?

‫لوا‬٥‫رىا‬

Le but recherché par l‟explicitation

ٌ‫ن‬٪َ "‫و "اٹزَپُخ‬ٞ‫ ف‬Décrire le point commun entre la haine qui

règne dans les émissions de télé-réalité, en

ٰ‫ٺ‬٪‫ يف څنا اصتى اظت‬l‟occurrence « Loft story », et la tragédie de ‫ ٵوڅبً علَواً مبَوػ‬Racine. bien que l‟explicitation ce limite sur l‟aspect éponymique de l‟expression, c‟est le

.‫ هاٌٍن‬contexte qui explicite le sens voulu. Le lecteur

‫څٸ‬

‫ٹٶڀ‬

‫ٵٺّهټ إلؾتبى څنڃ اظتهپخ‬ ‫اصتلَوح ثڂيوٷ كاځيت‬

‫بذل اصتؾُټ؟‬

en apprend que lors de l‟épreuve de nomination, les candidats expriment leur vindicte les uns envers les autres, en confessions, avant de donner le verdict de l‟exclusion de l‟un deux. Le sens pertinent de cette expression consiste donc à comparer cette haine implacable à celle développée dans la tragédie de Racine. Ainsi, celui qui connait cette émission connaitra une caractéristique essentielle de l‟œuvre de Racine et celui qui a lu Racine découvrira une caractéristique essentielle de cette émission, même sans l‟avoir vue. Tenter de décrire l‟ambiance terrifiante, infernale qui règne dans les prisons en France. Des centaines de prisonniers et de criminels s‟entassent dans les locaux pénitenciers, ce qui rappelle l‟univers infernal décrit dans la Divine Comédie de Dante.216

Tableau 28: Des explicitations sur des emplois éponymiques de concepts philosophiques et littéraires

2.2.6.3. Des emplois éponymiques relatifs à des lois ou des méthodes Il s‟agit de noms propres donnés à des lois, des projets, des méthodes, etc. Le sens de ces désignations ne se révèle au lecteur cible qu‟au prix d‟une explicitation sur l‟objet des lois ou méthodes ou sur la personne dont elles ont le nom, ou les deux à la fois. Il revient au traducteur de déterminer la dose appropriée selon son analyse du besoin communicatif et de la situation de traduction. Voici quelques exemples sur ces cas éponymiques. 216

Comme dans l‟exemple précédent sur la haine racinienne, cette comparaison fonctionne dans les deux sens : ceux qui connaissent l‟œuvre de Dante percevront l‟ambiance apocalyptique qui règne en prisons françaises, et ceux qui connaissent ces dernières auront une idée générale de l‟univers apocalyptique décrit dans l‟œuvre dantesque.

Partie II : Chapitre IV : Les motivations des explicitations dans le corpus du MD 2001-2011

298

 Exemple nº 37 : la taxe Tobin (de quoi s‟agit-il?) Cet exemple est extrait d‟un article du MD mars 2010, intitulé « l‟urgence du contre-choc », ou l‟auteur dresse un bilan général des problèmes successifs qu‟a subi l‟économie mondiale en 2009 et 2010. La mauvaise gestion de ces crises a placé certains gouvernements sous la coupe des banques, alors que ce sont ces dernières qui ont déclenché toute la crise. Ainsi, la crise de la finance privée a muté en crise des finances publiques. Dans cet énoncé, l‟auteur analyse l‟intérêt de la mise en place de la taxe Tobin comme l‟une des mesures urgentes du « contre-choc » pour limiter les spéculations financières. Le traducteur cherche à expliciter au lectorat arabe le sens pertinent de cette désignation éponymique. S‟il est permis de douter des mérites de la taxe Tobin comme instrument de transformation radicale des « données » de la spéculation financière internationale, [...] il est cependant utile de se souvenir que, précisément en tant que taxe, elle ne perd rien de ses robustes propriétés fiscales : elle rapporte ! (MD mars 2010)

‫ وبما ٵبٿ ٽڀ اظتَپىػ ثڄ اٹْٴّ يف‬S‟il est permis de douter des avantages de la taxe Tobin [7] comme instrument

ٍ‫] ٵىٍُٺخ‬7["‫وَجخ "رىثبٿ‬ٙ ٤‫ ٽڂب٭‬de transformation radicale des « ‫بهثبد‬ٚ‫ُبد" اظت‬ٞ٦‫ًُنٍ عنهٌّ يف "ٽ‬٪‫ ٹز‬données » de la spéculation financière

internationale, [...] il est cependant

‫[ ٭ةځّڄ ٽڀ اظتٮُل‬...] ،‫بظتُخ‬٦‫ اظتبٹُخ اٹ‬utile de se souvenir que, précisément ،‫وَجخ‬ٚ‫ وحتلَلاً ٵ‬،‫بً ؤٿ ځزنٵّو ؤځّهب‬َٚ‫ ؤ‬en tant que taxe, elle ne perd rien de

‫ ال ختَو ُّئبً ٽڀ فٖبئٖهب اظتبٹُّخ‬ses robustes propriétés financières : au contraire, elle rapporte des vraies

! ‫ٺُّخ‬٦‫ ثٸ بځّهب جتٺت بَواكاد ٭‬:‫ اظتزُڂخ‬recettes! [7] Elle consiste à procéder ً‫ٺ‬٥ ‫ هٍىٻ‬٤ٙ‫ٍ ثى‬ٚ‫] اٹيت رٲ‬7[ à des taxations sur les transactions financières transcontinentales, afin

‫بثوح ٹٺٲبهاد‬٦‫پٺُبد اظتبٹُّخ اٹ‬٦‫ اٹ‬de lutter contre la spéculation. .‫بهثبد‬ٚ‫ظتٶب٭ؾخ اظت‬

Après analyse du contexte cognitif, le traducteur choisit de révéler l‟objectif de cette taxe, à savoir limiter les dégâts de la spéculation financière, à défaut de pouvoir l‟endiguer totalement, et renflouer les caisses des états grâce à ses recettes. Le lecteur arabe ignore toujours qui est Tobin le lauréat du prix Nobel de l‟économie James Tobin - mais il appréhende mieux le sens de l‟énoncé. Sans cette explicitation, le sens risque de lui échapper. o D‟autres explicitations sur des emplois éponymiques de noms de loi et méthodes Voici une série d‟exemples complémentaires qui illustrent les différents traitements qu‟ont réservés les traducteurs du MD à ces désignations éponymiques. Certaines explicitations sont pertinentes, d‟autres le sont moins parce qu‟elles se limitent à spécifier le nom du concepteur sans préciser leur contenu dont dépend la compréhension du sens de l‟énoncé, et d‟autres enfin sont superflues car le co-texte apportait suffisamment d‟éclairage sur le sens pertinent de l‟éponyme évoqué.

Partie II : Chapitre IV : Les motivations des explicitations dans le corpus du MD 2001-2011 L‟emploi éponymique Ex. 1 Certains étudiants et enseignants s‟opposent à la loi Pécresse. (MD janvier 2008)

Ex. 2 Alors même que depuis 1976 l‟amendement Hyde lui interdit de financer l‟interruption volontaire de grossesse. (MD mai 2010) Ex. 3 En effet, réduire l‟idéal de progrès humain à un manuel actualisé de bonne conduite n‟est pas seulement un exemple égayant de méthode Coué. (MD août 2011)

L‟explicitation fournie Tout a commencé avec la loi de Madame la ministre Pécresse, relative à la réforme des universités. Certains étudiants et enseignants se sont opposés à cette loi. Alors même que depuis 1976 l‟amendement Hyde (sur la constitution) lui interdit de financer les actes d‟avortement de grossesse.

La traduction en arabe

En effet, réduire l‟idéal de progrès humain à un manuel actualisé de bonne conduite ne représente pas seulement une expression égayante des méthodes « d‟autosuggestion et d‟auto persuasion » (méthode Coué).

‫ بٿّ افزياٷ‬،٤‫ويف اٹىاٱ‬

299

Le but recherché par l‟explicitation

‫ ٱبځىٿ‬٤‫ ثلؤ ٵٸ ٍّء ٽ‬Préciser la fonction du personnage (ministre)

et la nature de la loi (réforme des

‫ اٹىىَوح ثُٶوٌَ إلٕالػ‬Universités), ce qui explique aux lecteurs ce sont les étudiants qui sont ‫الة‬ٞ‫٘ اٹ‬٦‫ ث‬.‫بد‬٦‫ اصتبٽ‬pourquoi descendus dans la rue pour manifester contre

ً‫ٺ‬٥ ‫ىا‬ٙ‫زو‬٥‫ واألٍبرنح ا‬cette loi. Le co-texte précise ensuite les raisons spécifiques du mécontentement de

‫ څنا اٹٲبځىٿ‬ces étudiants.

‫ يف ؽٌن ؤٿّ څڂبٳ ٽڂن‬Tenter

‫لَٸ‬٦‫ر‬

1976

‫بٻ‬٦‫اٹ‬

)‫ٺً اٹلٍزىه‬٥( "‫"څبَل‬

‫ٺُهب دتىَٸ‬٥ ‫ّو‬٢‫اٹنٌ لت‬

.‫پٺُبد بعهبٗ اضتپٸ‬٥

‫ٽضبٹُّخ اٹزٲلٻ اٹجْوٌ يف‬

‫ٵزُّت ػتلس ٹٺَٺىٳ‬ ٜ‫اضتَڀ ال َْٶّٸ ٭ٲ‬

‫وٯ‬ٞ‫ؾٶبً ٹ‬ٚ‫جًناً ٽ‬٦‫ر‬ ٣‫واالٱزڂب‬

‫"االٱزواػ‬

" ( méthode ‫اٹناٌب‬ .Coué)

de préciser la caractéristique essentielle de cet amendement, sans expliciter davantage le nom du sénateur républicain de l‟Illinois à l'origine de la réforme. Cependant, le trait souligné (« sur la constitution ») n‟est pas correctement choisi, car il s‟agit d‟une loi interdisant l‟utilisation des fonds fédéraux pour financer les avortements, exception faite pour les cas de viols, comme le dit du reste le co-texte, ce qui rendait l‟explicitation superflue. Définir brièvement l‟aspect conceptuel de cette méthode, sans s‟arrêter sur les détails concernant son concepteur. Cette explicitation met le lecteur sur la bonne voie d‟interprétation du sens philosophique de l‟énoncé. Celui-ci consiste à dire que la vision simpliste de la notion du progrès reste passablement conservatrice parce qu‟elle suppose que nos vilains penchants sont innés et que l‟on devrait, selon l‟auteur, se prémunir, se dominer, afin d‟éliminer le négatif en nous. Cette démarche ne serait qu‟une application cocasse de la méthode Coué.

Tableau 29: Des explicitations sur des emplois éponymiques de noms de loi ou de méthode

2.2.7. Les comparaisons Il s‟agit d‟emplois métaphoriques qui consistent à établir une comparaison entre deux réalités, l‟une est consignée dans le texte et l‟autre est issue du réseau référentiel extralinguistique. Les comparaisons étudiées sous cette section sont clairement indiquées par l‟emploi de termes tels que « comme, comparé à, etc.»217, même si l‟objet de la comparaison, qui fait le véritable objet du vouloir dire de l‟auteur, reste implicite. Ce genre de comparaison est souvent subjectif car l‟auteur l‟invente ou l‟investit au gré de sa créativité, pour mieux conceptualiser la réalité comparée, ce qui exige un travail d‟interprétation conséquent de la part du lecteur. L‟inférence du 217

Et c‟est en cela que ces comparaisons diffèrent de celles implicites, sous-jacentes contenues dans certains emplois métonymiques et antonomasiques.

300

Partie II : Chapitre IV : Les motivations des explicitations dans le corpus du MD 2001-2011

sens voulu dépend autant des indices contextuels disséminés dans le texte que du bagage cognitif de ces lecteurs. Comme d‟habitude, si le traducteur estime que le lecteur cible n‟y arriverait pas seul, avec une traduction directe conservant l‟équilibre initial du rapport explicite/implicite du texte source, il décide d‟intervenir pour apporter plus d‟éléments dans la partie explicite aidant à la saisie de la partie implicite. Voici une série d‟exemples illustrant les différentes solutions proposées par les traducteurs du MD pour transmettre le sens pertinent de ces comparaisons.  Exemple nº 38 : Arturo Ui (quel est le rapport entre lui et Sarkozy ?) Cet exemple est extrait d‟un article du MD mai 2008, intitulé « Que s‟est-il donc passé le 6 mai 2007 », que nous avons déjà présenté sous l‟exemple nº 22. Dans cet énoncé, l‟auteur souligne le fait que les lecteurs ont voté massivement pour Sarkozy, malgré la campagne menée contre lui, dénonçant ses idées dangereuses, xénophobes et outrepassant même les valeurs républicaines. Parmi ces déclarations alarmistes à l'encontre de Sarkozy figure celle qui le compare à Arturo Ui. Comme le lecteur arabe ne connait sans doute pas ce personnage du théâtre brechtien, mi Hitler, mi Al Capone, le sens de la comparaison lui reste ambigu. Bien qu‟il puisse inférer l‟idée globale grâce au contexte, le lecteur ne manquera pas de se poser la question, en quoi est-ce alarmant de comparer ce candidat à ce personnage ? Durant la campagne, les textes les plus alarmistes ne circulaient-ils pas sur Internet, comparant le candidat de l‟Union pour un mouvement populaire (UMP) à... Arturo Ui? (MD mai 2008)

‫ رلاوٷ‬،‫ فالٷ اضتپٺخ‬،‫ څٶنا ؤدل َزټ‬Ainsi, n‟a-t-on pas fait circuler, durant la campagne, les textes les

‫رب‬٥ ،ٰ‫ اٹڂٖىٓ األٵضو بصبهحً ٹٺٲٺ‬plus inquiétants, sur Internet, qui ‫ واٹيت ٵبځذ رْجّڄ ٽوّّؼ ؽية‬،‫ اإلځزوځذ‬comparaient le candidat de l‟Union pour

un

mouvement

populaire

)UMP( ‫جُخ‬٦ْ‫( اإلحتبك ٽڀ ؤعٸ اضتوٵخ اٹ‬UMP) au personnage de ... ‫]؟‬1[ ٌ‫ؤهرىهو ؤو‬...‫ ثْقُّٖخ‬Arturo Ui ?

Pour y répondre et donner du sens à l'énoncé, le traducteur ajoute cette note : [1] C‟est le nom du dictateur dans une pièce ‫] اٍټ ّقُّٖخ اٹلٵزبرىه يف ٽَوؽُّخ ّهًنح ٹٺٶبرت ثورىٹذ‬1[ célèbre de l‟écrivain Bertolt Brecht : « la résistible ascension d‟Arturo Ui » où il a critiqué le régime ‫ اځزٲل ٭ُهب‬،"ٌ‫ىك اٹنٌ نتٶڀ ٽٲبوٽزڄ ألهرىهو ؤو‬٦ٖ‫ثومتذ "اٹ‬ nazi en Allemagne, en relatant l‟histoire de ‫ىك اٹلَٶزبرىه بذل ٽلَڂخ‬٦ٕ ‫ ځبٱالً ٱّٖخ‬،‫اضتٶټ اٹڂبىٌ يف ؤظتبځُب‬ l‟ascension du dictateur dans la ville de Chicago .‫ى يف ؤٽوَٶب‬٩‫ُّٶب‬ en Amérique.

Par un tel supplément d‟information, le traducteur oriente le lecteur vers l‟idée consistant à comparer l‟élection de Sarkozy en 2007 à l‟arrivée au pouvoir d‟Hitler. Aussi, élire Sarkozy s‟avère-t-il un choix lourd de conséquences et dangereux pour l‟Europe. Sans nier le fait que la pièce de Brecht est certes une parodie de l‟ascension d‟Hitler, nous pensons que cette comparaison sous-entend aussi que Sarkozy, à l'instar d‟Arturo Ui, le chef de gang sur le modèle d‟Al Capone qui cherche à prendre le pouvoir dans le trust du chou-fleur de la ville de Chicago, serait un être sans scrupule qui essaierait de mettre la main sur un appareil politique pour servir ses ambitions et qui, à terme, pourrait se révéler dangereux. C‟est ce dernier point qui constitue,

Partie II : Chapitre IV : Les motivations des explicitations dans le corpus du MD 2001-2011

301

d‟après nous, l‟élément pertinent de la comparaison. Nous aurions donc modifié la note en écrivant juste après le nom de la pièce la phrase suivante ٗ‫ أزذ صػًبء انؼصبثبد نهسصٕل ػه‬ٙ‫ٓب عؼ‬ٛ‫ظٓش ف‬ٚ " "ًٍ‫( انغهطخ ثأ٘ ث‬où il explique la tentative d‟un chef de gang de s‟emparer du pouvoir à tout prix). À l'aide de cette information, le lecteur comprendra le sens de la comparaison, à savoir que la montée en puissance de Sarkozy, perçu comme un être arrogant et sans scrupule, risque de coûter cher à la France. Et à partir de là, le lecteur saisira le sens pertinent de toute la séquence textuelle dont est extrait cet énoncé, à savoir que l‟élection de Sarkozy prouve que le système électoral est à bout de souffle et que les électeurs se voient contraints de choisir le moindre mal, bien que cette solution soit potentiellement dangereuse. o D‟autres explicitations de comparaisons métaphoriques Voici d‟autres exemples où les traducteurs ont décidé d‟expliciter les traits pertinents relatifs aux autres éléments de la comparaison (le village gaulois, le gruyère, le samovar), afin d‟éclaircir le sens voulu de la comparaison (la résistance, la fuite, l‟absence de danger) et partant le vouloir dire de l‟énoncé. La comparaison implicite Ex. 1 « Avec notre espace d‟autonomie, on était un peu comme le village gaulois » (MD décembre 2009)

218

L‟explicitation fournie « Avec l‟espace d‟autonomie dont nous bénéficions, notre situation ressemblait en quelque sorte au village gaulois, la dernière résistance »

La traduction en arabe

Le but recherché par l‟explicitation

‫ ؽُّي االٍزٲالٹُخ‬٤‫ ٭پ‬Aider les lecteurs à saisir le sens de l‟objet

de la comparaison qui s‟actualise dans ce

‫ ٵبٿ‬،‫ ثڄ‬٤‫ اٹنٌ ٵڂّب ځزپز‬contexte, à savoir : la résistance des salariés certains magasins de la Fnac pour garder ‫ڂب َْجڄ بذل ؽلٍّ ٽب‬٦ٙ‫ و‬de leur indépendance face aux fournisseurs,

‫بٹُخ اظتٲبوٽخ‬٪‫ اٹٲوَخ اٹ‬ressemble à celle du village d‟Astérix face ."‫األفًنح‬

aux troupes romaines de Jules César. 218

Cette même expression « village gaulois » était chargée d‟une autre signification dans un autre énoncé extrait du MD août 2011, dont voici un court extrait : « un bataillon de nettoyeurs [...] passent au peigne fin le village gaulois». Il s‟agit ici de décrire les travaux de nettoyage du quartier latin, tous les matins, avant l‟arrivée des touristes. Le sens pertinent ici n‟a plus de rapport avec l‟idée de la résistance. Il s‟agit simplement d‟une métonymie sur ce toponyme consistant à remplacer le nom du quartier latin par le nom évocateur et symbolique du village gaulois, cette fois sous son aspect de lieu où l‟on ripaille et festoie. Le traducteur s‟est contenté d‟expliciter ce à quoi renvoie le mot gaulois, en écrivant ceci "‫بٷ‬٪‫ ؤوٍبؿ ؤؽٮبك ٱوَخ ثالك اٹ‬٬ُ٢‫( "رڂ‬nettoyer toutes les saletés du village des petits-enfants du pays de la Gaule). Cette formulation en arabe ne fait qu‟obscurcir le sens. Nous aurions préféré dire ‫ اضتٍ اٹالرُين ٽڀ ؼتٺَّٮبد‬٬ُ٢‫"رڂ‬ "‫( االؽزٮبالد اٹٺُٺُخ‬nettoyer le quartier latin des traces des fêtes de la nuit).

302

Partie II : Chapitre IV : Les motivations des explicitations dans le corpus du MD 2001-2011 Ex. 2 « Gauche et droite, successivement, ont creusé ces fameuses «niches» qui font de notre système de prélèvement un gruyère, ...» (MD mars 2011) Ex. 3 « Le réacteur nucléaire, c‟est comme un samovar » (MD septembre 2009)

« Gauche et droite, successivement, ont creusé « ces fameuses «niches» qui font de notre système de prélèvement fiscal un fromage de gruyère avec des trous ».

ً‫ٺ‬٥ ‫ ٭بٹُپٌن واٹَُبه‬Le traducteur s‟est obstiné à garder l‟image du fromage gruyère plein de trous, en

‫ اٹزىارل ٱل ځجْىا څنڃ‬espérant faire comprendre au lecteur le sens : la politique fiscale de réduction des ‫ٸ ٽڀ‬٦‫ "األوٵبه" اٹيت جت‬voulu prélèvements sur le capital et ses revenus et ّ‫وائيب‬ٚ‫ اٹ‬٣‫ب‬ٞ‫بٻ االٱز‬٢‫ ځ‬les exonérations et autres cadeaux fiscaux

ont transformé le système de prélèvement en

‫ووَبه ماد‬٩ ‫ڂلځب عجڂخ‬٥ une véritable passoire. Par manque de ." ‫ صٲىة‬connaissance de cet élément clé de la comparaison, cette métaphore n‟est pas parlante ; le risque d‟ambiguïté subsiste. 219

« Le réacteur nucléaire ressemble à un samovar (la bouilloire à thé russe) »

‫ٸ اٹڂىوٌّ َْجڄ‬٥‫ "بٿّ اظتٮب‬Préciser la nature de l‟autre élément de comparaison

qu‟est

le

«

samovar

»

ٌ‫الَخ اٹْب‬٩( "‫( اٹَپبوه‬bouilloire à thé) afin d‟aider le lecteur à le sens de l‟objet de cette comparaison . )‫ اٹووٍُخ‬saisir faite par le directeur de Tchernobyl. Du point de vue de ce dernier, un réacteur nucléaire est aussi inoffensif qu‟un samovar.

Tableau 30: Des explicitations sur des comparaisons métaphoriques

2.2.8. Les expressions métaphoriques et idiomatiques En plus des emplois antonomasiques, métonymiques, éponymiques, et des comparaisons, nous abordons ici la question des expressions métaphoriques, à proprement parler. Ces expressions charrient une part d‟implicite qui se dissimule derrière la synecdoque ou l‟image allusive employée. Comme nous l‟avons évoqué au début de ce chapitre, l‟idée véhiculée par ces expressions peut être réexprimée de façon différente grâce à une synecdoque plus parlante, ce qui éclaire immédiatement le lecteur, quitte à sacrifier le support stylistique de l‟expression originale. Mais il arrive parfois que le traducteur veuille conserver le véhicule métaphorique pour plusieurs raisons : souci de fidélité au texte source, volonté de faire découvrir cette expression aux lecteurs arabes, possibilité de parodier cette expression dans la langue cible, etc. Dans ces cas, le traducteur conserve sa trace originale, en la traduisant littéralement, puis en explicitant son trait pertinent de signification actualisée dans le discours. Voici quelques exemples illustrant ces propos.  Exemple nº 39 : La roche Tarpéienne/ le rocher de Sisyphe Cet exemple est extrait d‟un article du MD avril 2004, intitulé « Espagne », où l‟auteur évoque les attentats terroristes perpétrés le 11 mars en Espagne et analyse la détérioration de la sécurité mondiale après l‟invasion de l‟Irak. Il analyse surtout la guerre médiatique à laquelle s‟est livré le parti populaire d‟Aznar pour tromper l‟opinion publique afin de limiter les dégâts d‟un tel événement sur le déroulement des élections qui approchaient. Une fois la vérité révélée, Aznar 219

Pour y remédier, nous proposons d‟expliciter directement le sens de la comparaison en sacrifiant l‟image de « gruyère » et en la remplaçant par une image équivalente et plus explicite au lecteur arabe, comme la « passoire ». Ainsi, nous aurions préféré écrire "‫ڂلځب ٵبظتْڀ‬٥ ‫وائيب‬ٚ‫ اٹ‬٣‫ب‬ٞ‫بٻ االٱز‬٢‫ٸ ٽڀ ځ‬٦‫( "جت‬qui font de notre système de prélèvement fiscal une passoire ».

Partie II : Chapitre IV : Les motivations des explicitations dans le corpus du MD 2001-2011

303

perd les élections. Dans cet énoncé, l‟auteur tente de tirer de cet événement une leçon qui pourrait servir à Sarkozy qui abuserait selon lui de l‟appareil médiatique pour servir ses propres fins. Quant à la déconvenue de M. Aznar - que certains en France, à la veille même du 11 mars, n‟hésitaient pas à présenter, en lorgnant vers « Sarkozy le neuf », comme « un modèle pour la droite » -, son infortune devrait rappeler le sage conseil que les Anciens avaient coutume de donner aux dirigeants politiques, surtout lorsqu‟ils étaient arrogants : « La roche Tarpéienne est près du Capitole ». (MD avril 2004)

٘٦‫ اٽب څينتخ اٹَُل اٍڂبه ـ اٹنٌ ؽبوٷ اٹج‬Quant à la défaite de M. Aznar - que

certains, à la veille du 11 mars/Adar,

‫ٽبهً ٵڂپىمط‬/‫ آماه‬11 ‫ُْخ‬٥ ‫ رٲلنتڄ‬avaient essayé de présenter comme « ٌ‫ لتزني ٹٺُپٌن يف اّبهح اذل اٹىىَو "ٍبهٵىى‬un modèle pour la droite », en faisant allusion à « Sarkozy le renouvelable

‫بكد اذل االمڅبٿ اٹڂُٖؾخ‬٥‫ » اظتزغلك" ـ ٭ٲل ا‬-, elle rappelle le sage conseil que ‫ اٹيت ٵبٿ ََلَهب االٱلٽىٿ اذل هعبٷ‬les anciens donnaient aux hommes ‫غو٭ٌن ٽڂهټ اٿ‬٦‫ اٹَُبٍخ وفٖىٕب اظتز‬politiques, surtout aux plus arrogants

‫عبځت‬

‫اذل‬

٤‫رٲ‬

‫اعتبوَخ‬

: « La roche Tarpéienne est près du

‫ "ٕقوح‬Capitole » [2]. ‫] رٺخ اٹٶبثُزىٷ او‬2[ .]2[ "‫[ اٹٶبثُزىٷ‬2] « Il s‟agit de la colline du ‫ اظتوٵي اٹلَين ٹووٽب وؽُش ٵبٿ اظتڂزٖووٿ‬Capitole ou du centre religieux de

‫ َٺٲىٿ اٹزوؽُت واالؽزٮبٷ ويف اؽلي ٱپټ‬Rome où les victorieux étaient

ovationnés et célébrés. Près des

‫ اٹٖقوح اٹيت ٵبٿ َوٽً ٽڀ‬٤‫ اٹٶبثُزىٷ رٲ‬sommets du capitole se dresse la .‫لاٻ‬٥‫الڅب احملٶىٽىٿ ثبال‬٥‫ ا‬roche du haut de laquelle on précipitait les condamnés à mort ».

Le lecteur arabe suit sans peine la traduction proposée jusqu'à la fin de cet énoncé ou figure ce conseil résumant la morale de l‟histoire sous forme d‟expression métaphorique et proverbiale. Le traducteur a cru bon de consacrer une note à l‟élucidation des éléments métaphoriques de l‟expression en délégant au lecteur la tâche de la compréhension du sens de l‟expression. Celle-ci consiste en fait à dire que l‟on peut rapidement sombrer dans la déchéance - être précipité du haut de la roche tarpéienne -, après avoir connu les plus grands honneurs sur la colline du Capitole, centre religieux et centre du pouvoir de Rome. Le sens global de l‟énoncé consistera donc à dire que ce qui est arrivé à Aznar suite à sa défaite électorale, provoquée par cet attentat tragique et les dérives tricheuses des médias concernant sa couverture, peut se reproduire dans le cas de Sarkozy. o D‟autres explicitations sur des expressions métaphoriques Voici une série d‟exemples complémentaires où certains traducteurs choisissent d‟expliciter directement le sens pertinent de l‟expression dans l‟énoncé, tandis que d‟autres optent pour l‟explicitation des aspects métaphoriques de l‟expression en laissant les lecteurs déduire ensuite le vouloir dire de l‟énoncé. La dose informative apportée varie également de quelques mots intégrés dans le fils du texte à quelques lignes sous forme de note de fin d‟article.

304

Partie II : Chapitre IV : Les motivations des explicitations dans le corpus du MD 2001-2011 L‟expression employée Ex. 1 Ce jour, Louis Bonaparte [...] avait franchi le Rubicon,... (MD février 2008)

L‟explicitation fournie Ce jour-là, Louis Bonaparte [...] avait bravé l‟interdit, le fleuve Rubicon,...

Ex. 2 Peu, parmi les leaders, songent à sortir du cadre, à refuser un jeu institutionnel qui fonctionne comme un lit de Procuste, ... (MD mai 2009)

Peu nombreux sont les leaders qui tentent de sortir des cadres posés, en refusant un jeu constitutionnel qui fonctionne selon le modèle du « lit de Procuste » [4]

Ex. 3 La guerre contre ce flux de stupéfiants représente une épreuve aussi lourde que le rocher de Sisyphe. (MD mars 2002)

220

La traduction arabe

en

Le but recherché par l‟explicitation

ٌ‫ دتٶّڀ ٹى‬،‫ ٭ٮٍ ماٳ اٹُىٻ‬Expliciter le sens de l‟expression et puis la traduire

littéralement.

Grâce

à

cette

‫[ ؤٿ َزغبوى‬...] ،‫ ثىځبثود‬explicitation, le lecteur déduira qu‟il ne pas ici de franchir un simple cours "‫ هنو "اٹووثُٶىٿ‬،‫ىه‬٢‫ احمل‬s‟agit d‟eau, appelé le Rubicon, mais plutôt de ...،)Rubicon transgresser une limite, de faire un pas

[4] « Réduire la taille de celui qui dort sur un lit pour qu‟il corresponde à sa taille, et non l‟inverse ». La guerre contre ce flux de stupéfiants représente une épreuve aussi pénible que la mission de Sisyphe et son rocher mythologique.

‫٭ٲٺّخ څټ اٹٲبكح اٹنَڀ‬ ‫و‬ٝ‫لتبوٹىٿ اطتووط ٽڀ األ‬ ٍ‫جخ‬٦‫رب ه٭٘ ٹ‬٥ ،‫خ‬٥‫ى‬ٙ‫اظتى‬

‫ٺً فتىمط‬٥ ‫پٸ‬٦‫كٍزىهَّخٍ ر‬ ]4[ "‫"ٍوَو ثووٵىٍذ‬

‫] رٲًٖن ؽغټ ٽڀ َڂبٻ‬4]

ً‫ٺ‬٥ ‫ٺً اٹَوَو ٹُٶىٿ‬٥

.ٌ‫ٶ‬٦‫ٱُبٍڄ وٹٌُ اٹ‬

décisif, irréversible et pouvant être lourd de conséquences. Cette signification s‟éclaircira et se confirmera davantage par le co-texte qui précise que cette expression même était le nom du code du coup d‟état qui a changé le cours des événements de la république française. Expliciter le sens de l‟expression à partir duquel le lecteur construira le sens de l‟énoncé, à savoir que le jeu politique tend à travers la manipulation du jeu institutionnel (scrutin, vote utile, alliances, etc.) à asphyxier les mouvements sociaux et à étouffer les débats, pour mieux épouser les intérêts des partis politiques, au lieu d‟être l‟expression du peule et de ses mécontentements. Rares sont les leaders qui refusent de participer à ce jeu réduisant le champ du débat et générant conformisme et uniformisation220.

ٰ‫ٺً رل٭‬٥ ‫ دتضٸ اضتوة‬Tenter d‟expliquer au lecteur ce que représente le « rocher de Sisyphe » dans la

‫ اظتقلهاد ٽهپخ ّبٱخ اٱوة‬mythologie grecque. Le sens global de la gagne en clarté, non pas ‫ وٕقورڄ‬٬َ‫ بذل ٽهپخ ٍُي‬comparaison grâce à l'explicitation faite, mais au .‫ اظتُزىٹىعُخ‬contexte précisant qu‟il s‟agit d‟une mission pénible et lourde.221

On pourrait également démétaphoriser cette expression en effectuant une simple traduction interprétative libre, comme par exemple :"‫ً ٹٮوٗ ٽَبه افزيارل‬٦َ‫جخ ٽاٍَبرُخ ر‬٦‫خ وه٭٘ ٹ‬٥‫ى‬ٙ‫و اظتى‬ٝ‫ڀ األ‬٥ ‫( " ٭ٲٺُٸ ٽڀ اٹٲبكح َٮٶووٿ يف اطتووط‬Rares sont les leaders qui songent a sortir du cadre, à refuser un jeu institutionnel qui tend pourtant à imposer un schéma réducteur). 221 L‟expression « rocher mythologique » est maladroite, car ce n‟est pas le rocher qui est mythologique. De plus, il manque surtout à cette explicitation la notion de « tâche répétitive, sans fin ». Nous aurions donc préféré expliciter tout l‟énoncé comme suit : ""٬َ‫واه كؽوعخ "ٕقوح ٍُي‬٩ ً‫ٺ‬٥ ‫ىَٺخ األٽل وّبٱخ‬ٝ ‫ٺً رل٭ٰ اظتقلهاد ٽهپخ‬٥ ‫( "رْٶٸ اضتوة‬la guerre contre le flux de stupéfiants représente une tâche interminable et fastidieuse à l'instar de la remontée « du rocher de Sisyphe »). Nous avons ainsi gardé une trace de l‟expression, tout en évoquant le trait de signification actualisé. Par ailleurs, le traducteur du MD septembre 2010 a proposé une explicitation pertinente lors de la traduction de l‟expression « travail de Sisyphe » dans un contexte comparant la lutte de la police et des institutions judicaires contre la délinquance, au travail de Sisyphe. Il l‟a rendue par ")‫ (اٹىاعت رٶواهڃ ٹألثل‬٬َ‫پٸ ٍُي‬٥" (le travail de Sisyphe (qu‟il faut répéter éternellement).

Partie II : Chapitre IV : Les motivations des explicitations dans le corpus du MD 2001-2011 Ex. 4 Victoire à la Pyrrhus (MD septembre 2010)

Une victoire qui se retourne contre le champion allemand de l‟exportation.

305

‫ٸ‬ٞ‫ٺً "ث‬٥ ّ‫ اځزٖبه َورل‬Préciser le sens de ce sous-titre, consistant à dire que la robustesse de l‟économie

. ّ‫ اٹزٖلَو" األظتبين‬allemande a provoqué malheureusement le recul de l‟Etat-providence, le creusement de l‟inégalité, la stagnation des salaires, etc.222

Tableau 31: Des explicitations sur des expressions métaphoriques

2.2.9. Les jeux de mots Mejri définit le jeu de mot comme une «création discursive à visée ludique qui implique le système linguistique dans ce qu‟il a de pré-construit »223 (Mejri 2003 : 3). Ces éléments linguistiques et discursifs, à valeur sémantique et stylistique à la fois, font partie de la problématique de métaphorisation du langage, en ce sens qu‟ils sont une forme de raccourci du langage (Henry 2003 : 36), un « clin d‟œil » (Ibid. : 38), un investissement linguistique de la duplicité et de la plurivalence de la partie explicite et une métaphore impliquant une comparaison implicite et allusive. Vu leur caractère complexe, les jeux de mots sont parfois perçus comme étant des cas-limite de la traduction : « cet a priori d‟intraduisibilité dénoterait la persistance d‟une définition de la traduction comme simple recherche d‟équivalents » écrit Buzelin (2004 : 388). Dans sa thèse consacrée à la problématique de la traduction des jeux de mots, Henry (2003) démontre la possibilité de traduire les jeux de mots, si l‟on envisage cette question sous une approche interprétative du sens en discours et présente, multiples exemples à l'appui, les différentes stratégies de traduction de ces tournures spécifiques, à savoir : les traductions isomorphes (jeu de mots identique), homomorphes (jeu de mots différent mais reposant sur un même procédé), « hétéromorphes » (jeu de mots reposant sur un procédé différent) et la traduction libre, par l‟explicitation ou les gloses paraphrastiques. Ils constituent donc l‟une des motivations du recours 222

Conscient de la perte stylistique due au gommage de l‟expression d‟origine, le traducteur a tenté de la rattraper en ajoutant une longue note où il explique en détails l‟origine de l‟expression « victoire à la Pyrrhus ». Vu la longueur de la note, nous allons exceptionnellement la produire ici et non dans le tableau pour ne pas trop l‟encombrer : ‫ٲخ‬ٞ‫"ٽڂ‬ .‫ىڅب ثَهىٹخ‬ّٙ‫ى‬٦َ ‫ اٹووٽبٿ ؤٿ‬٣‫ب‬ٞ‫ ٭ٲل ٭ُهب اٹٶضًن ٽڀ عڂىكڃ ٽٲبثٸ فَبهاد اٍز‬،‫بهٳ ّهًنح‬٦‫ٺُهټ يف ٽ‬٥ ‫ ٭ٲل اځزٖو‬،َ‫ ٱبوٻ ٽٺٶهب ثًنوًُ اٹووٽبٿ‬.‫ثٌن اٹُىځبٿ وؤٹجبځُب اضتبٹُخ‬ "‫ اٹضپڀ‬٠‫ ؤٌ اځزٖبه ثبڅ‬،"ً‫وَٲخ ثًنو‬ٝ ً‫ٺ‬٥ ‫جًن اٹواٍـ "اځزٖبه‬٦‫( وٽڂهب اٹز‬Il s‟agit d‟un endroit situé entre la Grèce et l‟Albanie actuelle. Le roi de ce pays, nommé Pyrrhus, a défié les Romains et les a battus lors de batailles célèbres, au cours desquelles il a perdu un grand nombre d‟hommes, alors que les Romains pouvaient aisément recruter de nouveaux soldats. D‟où l‟expression « une victoire à la Pyrrhus », c‟est-à-dire une victoire avec un coût dévastateur). En effet, nous ne partageons pas l‟estimation du traducteur sur la nécessité de conserver et d‟expliciter l‟expression d‟origine. À notre avis, cette note est superflue ; la traduction faite dans le texte même est largement suffisante. Néanmoins, s‟il fallait absolument ajouter une note sur cette expression, selon une demande expresse de l‟éditeur par exemple, nous aurions préféré l‟abréger en écrivant « une victoire qui coûte très cher en vies humaines, telle celle du roi d‟Çpire Pyrrhus ». Ce qui importe dans ce contexte, c‟est de mettre l‟accent sur l‟effet dévastateur du modèle d‟exportation allemand sur les conditions de travail et de services publics. Les informations historiques sur la guerre opposant le roi Pyrrhus aux Romains n‟intéressent guère le lecteur arabe dans ce contexte. 223 Par pré-construit, l‟auteur entend la fixation du conceptuel dans la langue. Autrement dit, « le signe linguistique dans ses deux dimensions signifiante et signifiée ». Il y a donc un sens pertinent véhiculé par ces signes linguistiques, qu‟il conviendrait de déchiffrer.

Partie II : Chapitre IV : Les motivations des explicitations dans le corpus du MD 2001-2011

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à l'explicitation, notamment lorsque les traducteurs ne disposent pas de suffisamment de temps pour mettre en œuvre les autres techniques, plus coûteuses en termes de temps et d‟efforts. Après avoir interprété leur sens pertinent en contexte, le traducteur apporte les compléments cognitifs linguistiques ou culturels susceptibles de permettre au lecteur d‟inférer le sens caché derrière cette tournure. Une telle démarche traductive à l'avantage d‟élucider le sens tout en conservant le support linguistique initial, mais a aussi l‟inconvénient d‟enfreindre son statut de raccourci et de neutraliser son ambivalence. Voici un exemple illustrant l‟explicitation d‟un jeu de mots sur l‟altération des mots « armes » et « arbre » dans le refrain de la Marseillaise « aux armes citoyens !» et sur la sonorité « arbre, arabe » dans le dicton « l‟arbre qui cache la forêt ».  Exemple nº 40 : l‟arbre, l‟arme et l‟Arabe ! Cet exemple est extrait d‟un article du MD septembre 2008, intitulé « Rap domestiqué, rap révolté », présenté déjà dans l‟exemple nº 19. Dans cet énoncé, l‟auteur cite le cas du rappeur « D‟ de Kabal », qui a été censuré sur les ondes, surtout après la sortie de son album provocateur « la théorie du K.-O. ! ». Il incarne le rap révolté et l‟artiste mal aimé des médias. L‟auteur le compare ensuite à Yanick Noah, représentant du rap domestiqué, dont la chanson intitulée « aux arbres citoyens », a été largement diffusé par les grands médias et occupe même le numéro 1 dans le classement des meilleurs titres musicaux. L‟auteur opère un jeu de mots sur l‟intitulé de la chanson pour souligner cet esprit de domestication des idées révoltées et de retournement des paroles révolutionnaires, puisque cette chanson n‟est qu‟une parodie édulcorée de la Marseillaise, symbole et hymne de la révolution. « Le fait qu‟Aux arbres ‫ڂىاٿ "بذل اٹْغو ؤَهب‬٦‫ڂُخ َبځُٴ ځىا ث‬٩‫"ؤٿ حتزٸّ ؤ‬ citoyens de [Yannick] Noah soit numéro un et " Aux Arbres, Citoyens ‫ڂىٿ‬ٝ‫اظتىا‬ que Sarkozy soit élu dit ‫ وؤٿ‬،‫ين) اظتورجخ األوذل‬ٝ‫ٺً اٹڂُْل اٹى‬٥ ً‫(هتٶپب‬ un peu la même chose. » ."ً‫ڀ األٽو ځٮَڄ رٲوَجب‬٥ ‫جّواٿ‬٦َ ٌ‫َُڂزقت ٍبهٵىى‬ (MD septembre 2008)

« Le fait que la chanson de Yannick Noah intitulée « Aux arbres citoyens » (en raillant l‟hymne national) occupe la première place et que Sarkozy soit élu expriment à peu près la même chose».

Le traducteur a perçu le sens ce jeu de mot en retrouvant la trame originale. Il a voulu expliciter le sens de cette altération à ses lecteurs en évoquant d‟abord le lien entre ce titre et l‟hymne national et en indiquant plus clairement la touche d‟ironie que l‟on doit y percevoir. Ceci dit, nous pensons que son explicitation gagnerait plus en clarté s‟il avait reproduit le refrain d‟origine dans l‟hymne national disant « Aux armes, citoyens ». Aussi, le lecteur serait plus apte à percevoir lui-même ce parallèle subtil entre d‟une part les armes, la révolution et le souci politique que représente l‟expression d‟origine, et les arbres, le souci écologique et les revendications indolores que représente l‟expression de l‟auteur (aux arbres, citoyens !). Nous aurions proposé donc de garder la même traduction en remplaçant le contenu inséré entre parenthèses par ceci "ٌُٕ‫ٓب انًٕاط‬ٚ‫ انقبئم "إنٗ انغالذ أ‬ُٙ‫ذ انٕط‬ٛ‫ انُش‬ٙ‫م انًقطغ ف‬ٚ‫( "ثزجذ‬en jouant sur le refrain de l‟hymne national "aux armes citoyens !). Quant au sens de la comparaison entre la victoire de

Partie II : Chapitre IV : Les motivations des explicitations dans le corpus du MD 2001-2011

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Sarkozy aux présidentielles de 2007 et celle de la chanson de Yannick, le contexte l‟élucide clairement dans la phrase suivante où « D‟de Kabale » parle de « démocratie mourante ». Autrement dit, les médias faussent l‟enjeu démocratique qui se transforme en jeu électoral où l‟on pourrait soutenir ce que l‟on veut et exclure ce que l‟on ne veut pas. Ainsi, l‟exposition médiatique de la chanson de Noah l‟a fait élire premier titre musical préféré des français, comme l‟exposition médiatique sur Sarkozy l‟a fait élire président de la république. Dans cet esprit, l‟auteur poursuit son argumentation en faisant un autre jeu de mot sur le mot « arabe », en évoquant cette fois-ci le volet de la minorité visible, un autre alibi politique pour calmer les ardeurs des jeunes révoltés contre le racisme. Dans cet énoncé, l‟auteur montre l‟échec de cette politique, car ni la nomination de Rachida Dati au gouvernement, figure emblématique de la minorité visible arabe, ni les albums soufis et pacifiques d‟Abd Al-Malik, figure emblématique de la minorité audible africaine, ne peuvent apaiser les tensions entre les jeunes et la police dès que l‟on sort de l‟autoroute du côté des quartiers sensibles comme Villiers-le-Bel, par exemple. Comme Mme Rachida Dati est « l‟Arabe qui cache la forêt », pour reprendre un jeu de mots du précurseur Azouz Begag, l‟extrême prévisibilité du verbe d‟Abd Al Malik ne saurait faire taire l‟orage qui menace au-delà du périphérique. (MD septembre 2008)

‫ ٵپب ؤٿّ اٹَُّلح هُّلح كاٌب څٍ "اٹْغوح‬Comme Mme Rachida Dati est « l‟Arbre (l‟Arabe) qui cache la forêt

ٍ‫ت‬٥‫بكح ٹزال‬٦‫ بٍز‬،"‫بثخ‬٪‫وثُخ) اٹيت ختٮٍ اٹ‬٦‫» (اٹ‬, pour reprendre un jeu de mots de ّ‫ ٭ةٿ‬،٧‫ب‬٪‫يوى ث‬٥ ٰ‫ ٹٺىىَو اٹَبث‬ٟ‫ ثبألٹٮب‬l‟ancien ministre Azouz Begag, le ton

conciliateur

extrêmement

‫خ اٹيت رزَِّټ هبب‬٦ّ‫پخ اٹزٖبضتُّخ اصتلّ ٽزىٱ‬٪‫ اٹڂ‬prévisible qui caractérise les mots ‫جل اظتٺٴ ال نتٶڂهب بٍٶبد‬٥ ‫ ٵٺپبد‬d‟Abd Al Malik ne saurait faire taire .‫ ثبهٌَ اٹٲوَت‬ُٜ‫بٕٮخ اٹيت رزهُّإ يف ػت‬٦‫ اٹ‬l‟orage qui se prépare dans les

proches environs de Paris. Il suffit

‫وَٰ صتهخ‬ٞ‫ڀ اٹ‬٥ ٍّٙ‫و‬٥ ٌ٫‫ وَٶٮٍ بؿتوا‬de sortir de la route, du côté de la .‫ إلصجبد مٹٴ‬،‫بؽُخ ٭ُٺُُڄ ٹى ثُٸ‬ٙ banlieue de Villiers-le-Bel, pour le prouver.

Le traducteur tente de traduire littéralement cette expression tout en soulignant son sens pertinent dans ce contexte, à savoir que le régime politique s‟accommode des figures comme Rachida Dati, alors ministre de la Justice, qui représente cet arbre destiné à détourner les regards de la forêt où réside le vrai problème du racisme et de la marginalisation dont pâtissent les citoyens français d‟origine arabe. Cette intervention est justifiée, car l‟auteur signale dans le co-texte la présence d‟un jeu de mots. Dès lors, il incombe au traducteur de montrer ce jeu de mot et d‟en expliquer le sens pour renforcer la cohésion de l‟énoncé. Cependant, la démarche du traducteur comporte une perte stylistique engendrée par l‟omission de la proximité orthographique entre les mots « Arabes » et « arbre », qui ne ressort aucunement dans les correspondances arabes "‫خ‬ٛ‫ "انؼشث‬et "‫"انشدشح‬. Il aurait été préférable d‟ajouter une brève note signalant l‟altération produite dans la déclaration du ministre, tout en reportant les deux mots « Arabe », « arbre », côte à côte. Ainsi, le lecteur ne manquera pas de s‟apercevoir de leur ressemblance graphique et phonique. Remarquons enfin que le traducteur a explicité le mot « précurseur », d‟après sa connaissance culturelle de la fonction ministérielle d‟Azouz Begag, par

308

Partie II : Chapitre IV : Les motivations des explicitations dans le corpus du MD 2001-2011

« l‟ex-ministre ». Il a également explicité le sens du syntagme « au-delà du périphérique », selon son interprétation du sens en contexte, par l‟ajout du nom du quartier Villiers-le-Bel, dont il était question. Ces deux explicitations participent de la cohésion textuelle de l‟énoncé. o D‟autres explicitations de jeux de mots Nous allons exposer à présent différents types de jeux de mots qui ont suscité des explicitations : des jeux sur la sonorité (frères monuments), ou sur la contraction des mots (democrazy, Bankfurt), etc.

224

Le jeu de mot employé Ex. 1 Surnommant les islamoconservateurs les « Frères monuments », il appelait à l‟émancipation des femmes, pour lui actrices et porteuses de l‟histoire. (MD novembre 2009)

L‟explicitation fournie Il a surnommé les fanatiques musulmans, les « Frères monuments (y a un jeu de mot sur la prononciation en français des mots monuments et musulmans) ; il appelait aussi à l‟émancipation des femmes, actrices et porteuses de l‟histoire.224

La traduction arabe

Ex. 2 Après quatre ans de démocratie, ou plutôt de democrazy, comme il aime à surnommer son régime civil avec une ironie teintée de fatalisme, ... (MD juin 2003)

Après quatre ans de démocratie ou plutôt de "democrazy" (c'est-à-dire la démocratie folle) comme il aime à surnommer son régime civil avec une ironie teintée de fatalisme,...225

‫ ٍڂىاد ٽڀ‬٤‫ل ؤهث‬٦‫ وث‬Faire comprendre le sens du nouveau

‫ّٖجٌن‬٦‫اظتز‬

ً‫ٺ‬٥

en

Le but recherché par l‟explicitation

ٰ‫ٺ‬ٝ‫ وؤ‬Tenter d‟expliciter ce jeu de mots sur la

sonorité dans le texte français, et

‫ اإلٍالٽٌُن رَپُخ "بفىاٿ‬partant la signification de ce surnom l‟écrivain algérien Kateb Yacine a ٍ‫ت‬٦‫ اٹڂٖت اٹزنٵبهَخ" (يف ٹ‬que donné aux frères musulmans d‟Algérie.

‫ٵٺپيت‬

٠‫ٹٮ‬

ً‫ٺ‬٥ le sens pertinent de ce jeu de mots consiste à critiquer l‟attitude des frères

musulmans musulmans s‟attachant aux valeurs monuments ‫ و‬surannées, démodées et refusant de reconsidérer positivement le rôle de la

‫بٹت ثزؾوَو‬ٝ‫ و‬،)‫ ثبٹٮوځَُّخ‬femme dans la société. ‫ٺخ يف اٹزبهَـ‬٥‫ اٹٮب‬،‫اظتوؤح‬

.‫واضتبٽٺخ ٹڄ‬

terme

forgé

au

Nigéria,

pays

‫ُخ ؤو ثبألؽوي ٽڀ‬ٝ‫ اٹلنتىٱوا‬anglophone, à partir de « democracy » de « crazy » pour désigner un régime ٌ‫ " (ؤ‬democrazy " et politique corrompu et imprévisible. ‫ُخ اٹجٺهبء) ٵپب‬ٝ‫ اٹلنتىٱوا‬Cette indication renforce la cohésion textuelle de l‟énoncé décrivant le

‫ لتٺى ٹڄ ؤٿ ََپٍّ ؽٶپڄ‬sentiment de déception et de frustration ‫ اظتلين مبيَظ ٽڀ اظتواهح‬du peuple haoussa face à un régime qui

..،‫واٹٲلهَخ‬

se prétend démocratique.

Remarquons le registre dialectal, dans son explicitation du jeu de mots, comme s‟il s‟adressait oralement à ses interlocuteurs arabes. En tout cas, pour le lecteur ne sachant prononcer les deux mots en français, cette résonance phonétique reste implicite, d‟autant plus que le lecteur sera enclin à les prononcer en anglais, ce qui l‟éloigne encore de la perception du l‟effet sonore recherché. 225 Notons que le report du terme anglais pourrait servir à l‟élucidation de jeu de sonorité phonique et d‟altérité orthographique, pour les lecteurs arabes qu‟on estime majoritairement capables de s‟apercevoir de telles différences, contrairement au jeu de mots dans l‟exemple précédent, où la prononciation en anglais dessert le jeu de mots.

Partie II : Chapitre IV : Les motivations des explicitations dans le corpus du MD 2001-2011

309

Ex. 3 « L‟Afghanistan, c‟est le Nothingstan ». (MD mars 2002)

« L‟Afghanistan, c‟est le pays du rien « le Nothingstan ».

‫بځَزبٿ څٍ ثالك اٹالٍّء‬٪‫ "ا٭‬Préciser d‟abords le sens du jeu de mot

Ex. 4 La «cité des banques», aussi surnommée «Bankfurt ». (MD novembre 2011)

« La "cité des banques", aussi surnommé « Bankfurt » (au lieu de Francfort).

‫ اٹيت رٺٲت‬٫‫"ٽلَڂخ اظتٖبه‬

.")‫(الُّئَزبٿ‬

‫"ثبځٶٮىهد"(ثلٷ‬

‫ب‬َٚ‫ؤ‬

.")‫٭واځٶٮىهد‬

avant de proposer un jeu de mot arabe parfaitement équivalent, qui suffisait seul à transmettre le sens et l‟effet du jeu de mot d‟origine. De plus, le cotexte éclaircissait bien l‟idée que dans ce pays, il n‟y avait rien, hormis l‟opium. Préciser le nom de cette ville, capitale du capital allemand, Francfort (Frankfurt en allemand), afin de rendre plus percutant la pertinence de ce jeu de mot. Comme dans l‟exemple cidessus, la traduction littérale, ou la création d‟un jeu de mot homomorphe, était possible et suffisante, mais les traducteurs ont préféré éviter d‟éventuels risques d‟ambiguïté.

Tableau 32: Des explicitations sur des jeux de mots

2.3. La problématique des allusions et des connotations Les allusions et les connotations font partie des « contenus implicites » dont les traducteurs cherchent d‟abord à saisir pleinement le message avant de songer à les expliciter aux nouveaux destinataires. Le phénomène des allusions et connotations s‟inscrit dans la suite logique de la problématique de la métaphorisation du langage. En effet, ce phénomène était déjà omniprésent dans les emplois métonymiques, antonomasiques, éponymiques et dans les comparaisons et les expressions métaphoriques que nous avons étudiés226. La raison en est simple : tous ces emplois tropiques ne sont que l‟expression de la fonction allusive des noms propres et noms communs en discours. Dans cette section, nous allons nous pencher sur toutes les autres formes d‟allusions et de connotations qui ne relèvent pas des emplois tropiques déjà examinés. Elles se cachent dans les noms propres, les dates, les expressions cultes, les citations tronquées, etc., et font partie du vouloir dire du texte. Les lacunes culturelles supposées chez le lecteur cible et la difficulté de la perception du sens implicite de ces allusions et connotations obligent assez souvent les traducteurs à les expliciter. Elles constituent donc l‟une des principales motivations de l‟explicitation. Pour mieux cerner cette problématique, nous allons scinder cette section en deux parties complémentaires : la première est dédiée à l'analyse des problèmes spécifiques de l‟allusion, la deuxième à ceux de la connotation. Dans la première sous-section dédiée à la question des allusions, nous allons mener une analyse rapide des aspects théoriques de cette problématique, en nous basant sur notre cadre théorique et notre conception de l‟explicitation.

226

En outre, l‟allusion est définit comme «un type de métaphore énigmatique, dans lequel le comparant doit faire deviner le comparé en raison d‟un ou de plusieurs éléments communs» (Morier 1961 : 86).

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310

Nous allons ensuite étayer notre analyse à l'aide d‟exemples tirés du corpus du MD. Nous allons procéder de la même façon dans la deuxième sous-section consacrée à l'étude des connotations. 2.3.1. L‟explicitations des allusions En traductologie, l‟allusion se définit comme « un énoncé dont la pleine intelligence suppose la perception d‟un rapport entre lui et un autre auquel renvoie nécessairement telle ou telle de ses inflexions » (Genette 1982 : 8). Elle représente une « forme d‟intertextualité », car il s‟agit de deux textes qui sont présents simultanément et sont « superposés » l‟un sur l‟autre, tels un palimpseste (pour reprendre l‟image employée par Ballard (2003), mais dont « l‟un n‟est pas présent matériellement » (Ballard 2003 : 102). Et l‟auteur de préciser : « Elles [les allusions] sont dans un rapport second à la situation d‟énonciation du texte traité [...] une sorte de message pour les connaisseurs ; elles donnent de la profondeur au sens ou à la portée du message » (Ibid. : 173). Dans cet ordre d‟idée, Wecksteen considère que « les allusions culturelles sont une façon détournée pour l‟auteur d‟instaurer une forme de rapport avec le lecteur, en jalonnant le texte de sous-entendus qui établiront une certaine connivence, par le sentiment d‟appartenance à un groupe privilégié ayant les mêmes références socio-culturelles » (Wecksteen 2005 : 564). Antoine abonde dans ce sens lorsqu‟il dit que l‟allusion culturelle est « une référence à des éléments aussi divers que des titres ou citations d‟œuvres littéraires, des titres de films, d‟émissions de télévision, de chansons, de slogans publicitaires connus, des dictons et proverbes, des événements historiques, des locutions figées employées dans des contextes divers, etc. » (Antoine 1998 : 48)227. En nous inspirant de l‟ouvrage de Leppihalme (1997), intitulé « Cultural Bumps » dédiée à l'étude de la question des allusions, nous proposons de classer les allusions relevées dans le MD en deux catégories principales : les allusions dans les noms propres (propernoun allusion) et celles dans les phrases (Key-phrase allusions)228. 2.3.1.1. Les allusions dans les noms propres Comme nous l‟avons évoqué à plusieurs reprises, l'emploi de ces noms propres connaît deux fonctions : référentielle, donc objective, c'est-à-dire, indiquer sans aucun préjugé ; et connotative, donc subjective qui s‟actualise dans le texte. Dans certaines situations, « le nom propre peut perdre sa valeur dénominative pour prendre une valeur qualificative » (Charolles 2002 : 69). Le sens profond de ces noms réside souvent dans leur pouvoir d‟évocation en dehors de leur fonction dénominative. C‟est la pratique de la traduction qui met en évidence les valeurs prégnantes attachées aux noms propres, à l'égard desquels le traducteur doit se montrer vigilant. Le recours 227

Sous cet angle, l‟étude de cette question s‟inscrit également dans la suite logique de la première problématique concernant le manque de compléments cognitifs, étant donné que le décryptage de l‟allusion requiert souvent l‟apport de compléments contextuels sur ces références socio-culturelles diverses et variées. 228 Les noms et phrases qui véhiculent ces allusions sont appelés les « cultural bumps », c'est-à-dire les mots à spécificité culturelle posant problème à la traduction (Leppihalme 1997 : 10-11).

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311

aux ouvrages encyclopédiques, aux dictionnaires des noms propres s‟avère souvent nécessaire pour comprendre leurs significations. 2.3.1.2. Les allusions dans les phrases Il peut s‟agir d‟une allusion véhiculée par une date, une tournure spécifique, un slogan, un titre d‟ouvrage, ou une quelconque citation non déclarée. Elles abondent surtout dans les slogans considérés comme une « vitrine qui marque une présence intertextuelle, et revendique un arrièreplan culturel » (Roux-Faucard 2006 : 109), et dans les titres et sous-titres des articles considérés comme « une synthèse hyper-concentrée du contenu du texte qui suit » (Codleanu 2011 : 10). S‟agissant des allusions dans les titres, Vinay et Darbelnet déclarent ceci : « En général, les titres de romans et de pièces de théâtre ne sont pleinement intelligibles que pour ceux qui ont lu le livre ou vu la pièce. C‟est d‟ailleurs là-dessus que comptent les auteurs, qui piquent la curiosité du public avec un titre parfaitement sibyllin vu de l‟extérieur, et qui pourtant a des rapports secrets avec le message. La traduction de ces titres n‟est donc possible que si l‟on connaît le contexte, et il faut l‟aborder en dernier lieu » (Vinay 1977 : 168). Toutes ces formes d‟allusions représentent des dires cachés qui jouent sur la langue et sur la mémoire, ce qui rend parfois difficile leur repérage par le lecteur natif peu cultivé ou le traducteur peu versé dans la culture du texte d‟origine. 2.3.1.3. Le repérage des allusions Quant au repérage des allusions, Antoine (1998 : 48) évoque deux types d‟allusions : les allusions directes et indirectes : « L‟allusion directe donne l‟élément culturel dans son intégralité, sous sa forme canonique peut-on dire, sans autre modification qu‟un éventuel ajout d‟adjectif, de complément de nom ou d‟une éventuelle substitution de déterminant. [...] L‟allusion indirecte ou secondaire, elle, est opaque car travaillée ; elle ne reprend pas l‟élément culturel sous sa forme canonique car elle est croisée avec les divers procédés récurrents décrits précédemment [inclusion, enchaînement, substitution] » (Antoine 1998 : 48-49). Les allusions directes sont aisément identifiables et repérables comme les titres de films, les phrases cultes ou les slogans. Les allusions indirectes s‟avèrent plus subtiles puisqu‟elles se faufilent dans le tissu narratif du texte, comme une ombre entre les lignes, sans se cristalliser sur un élément linguistique repérable comme un mot ou un énoncé. Ces éléments recourent souvent à une altération de la forme verbale en jouant sur certains mots. Ce dernier type d‟allusions ne s‟appréhende donc pas facilement et pas forcément d‟emblée. Il peut même échapper au repérage (Wecksteen 2005 : 94). Il n‟en demeure pas moins que des indices ou signaux contextuels, plus ou moins facilement interprétables, mettent la puce à l‟oreille du traducteur, trahissant la présence de ces allusions et aiguillant le traducteur (Ibid. : 104). Pour nous, le plus grand indice de présence d‟allusion, est l‟incongruité de la traduction littérale. Le traducteur sent qu‟il y a quelque chose qui lui échappe et que l‟auteur insinue sûrement autre chose derrière l‟utilisation d‟un tel nom propre ou d‟une telle formulation linguistique.

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312

2.3.1.4. Le fonctionnement des allusions dans le texte Pour mieux comprendre la question de l‟explicitation des allusions, il conviendrait d‟abord de cerner le fonctionnement les allusions dans le texte. Moirand explique ce mécanisme à travers l‟analyse du fonctionnement cognitif de la mémoire. Celle-ci sert « autant à la faculté d‟acquérir et de stocker des souvenirs qu‟à l‟opération de restitution des souvenirs ainsi qu‟à l‟ensemble des données que l‟on a justement stockées « en mémoire » (Moirand 2007 : 9) ». Certains éléments textuels renfermant des allusions fonctionnent comme « des indices de contextualisation déclenchant des associations avec des dires, des savoirs, des événements et des représentations tels qu‟ils sont reconstruits dans la mémoire de l‟auteur du texte et de ceux qui le lisent » (Ibid. :10). Ce mécanisme cognitif de l‟allusion en fait un moyen linguistique très économique pour l‟auteur, ce qui corrobore les principes de l‟économie du langage, de la synecdoque et de la pertinence. En effet, l‟actualisation des significations pertinentes de ces allusions se fait naturellement chez le lecteur natif ayant les connaissances cognitives nécessaires à leur interprétation. Ces connaissances puisent généralement dans un fonds national, culturellement spécifique, que nous avons appelé le bagage cognitif. Mais le fonctionnement de l‟allusion devient plus problématique lorsque ces textes sont lus par des personnes qui ne sont pas leurs destinataires initiaux. Ce qui est le cas en traduction. Avec le changement de lecteurs, et donc de bagage cognitif et de mémoire collective, les traits afférents activés par ces allusions font souvent défaut chez les lecteurs cibles, ce qui requiert une prise en charge appropriée de ces éléments discursifs. Une simple traduction littérale ne déclenchera pas dans la mémoire de ces lecteurs les réminiscences, les représentations ou les associations que susciterait le texte de départ dans la mémoire de ses lecteurs natifs. Dans ce sens, Codleanu (2008) affirme que « le mécanisme de l'allusion socioculturelle spécifique qui est censé se déclencher dans le texte original pour son destinataire, ne fonctionne pour le lecteur du texte traduit que dans la mesure où l'allusion fait partie d'un savoir partagé. La récupération sémantique, si elle est décidée par le traducteur, se fait par des explications supplémentaires, comme dans le cas des emprunts ». 2.3.1.5. Comment expliciter les allusions ? Comme nous l‟avons vu, comprendre une allusion dans un nom propre ou dans une phrase, implique la mobilisation d‟un éventail presque infini de connaissances. Pour pouvoir rendre compte, à son tour, et à sa façon, du sens pertinent de ces « métaphores énigmatiques », ou de cette « forme d‟intertextualité », le traducteur doit d‟abord voir si le contexte verbal ou cognitif fournir déjà au lecteur assez d‟éléments pour en déchiffrer la signification actualisée dans le contexte. Il devrait également évaluer le degré de pertinence de l‟allusion pour la construction du sens de l‟énoncé : « De même, le traducteur sera attentif à la fonction de l‟allusion ou du terme dans le texte qui le poussera à expliciter ou non. Si la teneur de certaines allusions conditionne la compréhension même du texte, elles doivent être transmises mais nous avons vu que les allusions

Partie II : Chapitre IV : Les motivations des explicitations dans le corpus du MD 2001-2011

313

n'exigent pas toujours une traduction » (Lederer 2004 : 129). Si l‟allusion joue un rôle important dans la saisie du vouloir dire de l‟énoncé et que le contexte cognitif n‟apporte pas suffisamment d‟éclairage là-dessus, le traducteur décide d‟expliciter le sens de l‟allusion. Pour y parvenir, plusieurs possibilités s‟offrent à lui. Dans son ouvrage précité, Leppihalme (1997) dresse une longue liste des techniques de traduction des allusions dans laquelle nous ne retiendrons que celles qui cadrent avec notre conception de l‟explicitation. S‟agissant d‟allusions contenues dans les noms propres, elle propose - en plus des techniques de report et de la traduction attestée qui ne nous intéresse pas ici - l‟utilisation du nom propre avec l‟ajout de quelques éléments informatifs, ou d‟une explication en note en bas de page (Leppihalme 1997 : 79). Pour la traduction des allusions contenues dans les phrases clés, elle propose l‟ajout dans le texte traduit d‟informations supplémentaires, l‟emploi d‟une note de traducteur et la paraphrase explicative. Selon elle, le traducteur se permet d‟introduire ces éléments, là où l‟auteur de l‟original ne l‟avait pas fait, parce qu‟il sait que l‟auteur a omis ces informations non pas parce qu‟il les considérait comme non nécessaires, mais plutôt parce qu‟il estimait qu‟elles étaient partagées avec ses lecteurs cibles. Cet ajout peut parfois se borner à l‟utilisation de marqueurs typographiques pour signaler la présence d‟une allusion (Leppihalme 1997 : 84). Quant à l‟ajout par le traducteur d‟explications, il pourra se faire sous forme de notes de bas de page, ou en préface de la traduction ou encore en fin d‟ouvrage. Ces notes comportent des informations ou des explications développées que le traducteur ne peut pas, pour une raison ou pour une autre, insérer dans le corps du texte traduit (Ibid. : 84). La traduction du sens de l‟allusion par une paraphrase explicative comporte souvent une perte de la forme allusive et stylistique. Dans tous les cas, lorsque le traducteur décide d‟expliciter, il conviendrait de se limiter à l‟apport d‟éléments clés sur lesquels peut se fonder et s‟orienter l‟interprétation de ces messages codés au deuxième degré chez les lecteurs natifs. Expliciter une allusion, c‟est suggérer, susurrer sa signification au lecteur, car il faudrait se prémunir du risque d‟apport excessif d‟informations extralinguistiques. Selon notre analyse du fonctionnement des allusions, un nom propre, une notion culturelle, ou n‟importe quelle séquence renfermant une allusion, se dote d‟un pouvoir d‟évocation incomparable étant donné que ces éléments éveillent à l'esprit de l'interlocuteur une série de connotations, d‟associations d‟idées et d‟informations culturelles relatives à ces référents. Dans la traduction, ce système de connexion est neutralisé, et quoi qu‟on ajoute, ce processus d‟évocation ne se déroulera pas de la même manière. Le lecteur cible saura et ressentira toujours moins que le lecteur natif, mais il obtiendra une compréhension satisfaisante au niveau du sens pertinent. C‟est la notion de « perte tolérable » que nous avons déjà évoquée dans le chapitre 3. En revanche, il se peut que le traducteur ne procède pas à l'explicitation d‟une allusion, et ce pour des raisons très différentes :

Partie II : Chapitre IV : Les motivations des explicitations dans le corpus du MD 2001-2011

-

-

-

314

Soit l‟allusion n‟est pas pertinente pour la compréhension du texte parce qu‟elle occupe une place très secondaire ou qu‟elle n‟est pas reprise dans la suite du texte. À cet égard, Lederer (2004 : 125) approuve le choix de certains traducteurs qui n‟ont pas explicité une allusion culturelle en écrivant ceci : « les traducteurs ont bien fait de ne pas essayer de transmettre l'allusion aux lecteurs français, car cette allusion [...] n'est en quelque sorte qu'un clin d'œil passager au lecteur de l'original, qui détournerait plus de la narration le lecteur français actuel, qu'elle ne lui apporterait de connaissances utiles à la suite du texte ».Soit le traducteur n‟a pas perçu ou saisi l‟allusion, par manque de connaissances extralinguistiques ou d‟ancrage culturel. Il ne pourra donc pas expliquer ce dont il n‟a pas eu conscience. Soit le contexte verbal et cognitif suffit pour éclairer le lecteur, même de façon globale, sur la nature de l‟allusion. Le traducteur table alors sur la coopération interprétative du lecteur. Soit enfin, la majorité des lecteurs natifs, eux-mêmes, ne peuvent pas percevoir cette allusion. Dès lors, il n‟y a pas de raison pour que le lecteur cible en sache plus que le lecteur natif.

Il ressort de tout cela que les choix traductifs concernant les allusions sont toujours différents suivant le texte, la situation, la fonction de l‟allusion, le savoir partagé, les destinataires, le traducteur, etc. La marge de manœuvre du traducteur demeure assez vaste grâce à ce réseau de facteurs qui entrent en jeu. Nous allons à présent examiner différents exemples pour illustrer les propos précédents. 2.3.1.6. Les allusions dans les noms propres En dehors de la valeur référentielle du nom propre et de ses emplois métonymiques, antonomasiques, éponymiques, comparatifs que nous avons déjà examinés, il arrive parfois que les auteurs produisent des phrases dans lesquelles les noms propres véhiculent une charge allusive, souvent ironique ou critique, dont le décryptage dépend de la connaissance du trait pertinent auquel se réfère l‟énoncé. En voici quelques exemples.  Exemple nº 42 : MM. Dominique Strauss-Kahn et Jean-Claude Trichet (gentils financiers !) Cet exemple est extrait d‟un article du MD mars 2010, intitulé « Un pays peut-il faire faillite ? », où l‟auteur évoque les manifestations et les grèves qui se succèdent en Grèce pour protester contre les plans d‟austérité. Il analyse surtout les injonctions du FMI (Fonds monétaire international) adressées aux pays européens menacés par un défaut de paiement, injonctions qui leur enjoignent de prendre des mesures draconiennes pour augmenter leurs recettes et comprimer leurs dépenses. Le peuple est perdant sur toute la ligne. Dans l‟énoncé suivant, l‟auteur évoque la crainte de M. DSK et de M. Trichet de voir se transformer la crise financière en crise politique à cause de ces plans d‟austérité et d‟assainissement de l‟économie. Or, l‟auteur présente ce fait d‟une manière ironique pour dire que le pire est encore à craindre et que la gravité de la situation

315

Partie II : Chapitre IV : Les motivations des explicitations dans le corpus du MD 2001-2011

est telle que ces deux dirigeants commencent à prévoir la réaction violente des corps sociaux déjà épuisés et meurtris par la crise actuelle, à l'idée d‟une nouvelle crise. Quelques-uns dans le « système » commencent à sentir monter en eux une sainte trouille, et l‟on tiendra pour une indication très significative que de notoires ennemis de la finance comme MM. Dominique StraussKahn et Jean- Claude Trichet se soient publiquement inquiétés de ce que les corps sociaux prendraient probablement très mal qu‟on leur demandât de venir éponger une nouvelle crise financière. (MD mars 2010)

‫ووٿ‬٦َْ "‫ىٽخ‬٢‫٘ يف "اظتڂ‬٦‫ وٱل ثلؤ اٹج‬Quelques-uns dans le « système »

commencent à sentir monter en eux

‫ اٹٖبكٯ ٹلَهټ؛ ونتٶڀ‬٫‫ ثزياَل ؽبٹخ اطتى‬une véritable crainte, et l‟on tiendra une indication très ّ‫ ؤفن ٽاّّو ٹڄ كالٹزڄ اٹٲىَّخ ٹنٹٴ ٽڀ ؤٿ‬pour

significative que de notoires «

‫بدل اظتبٷ ٽضٸ‬٦‫بكَڀ" (!) ٹ‬٦ُ‫٘ اٹىعهبء "اظت‬٦‫ ث‬ennemis » (!) du monde de la ‫ٵبٿ وعبٿ‬-ً‫ اٹَُلَڀ كوٽُڂُٴ ّزووا‬finance comme MM. Dominique

‫ٺڂبً ختىّ٭هپب‬٥ ‫] ٱل ؤثلَب‬11[ ‫ ٵٺىك روَُْڄ‬Strauss-Kahn et Jean- Claude Trichet

[11]

se

soient

ٍ٥‫ ٽڀ اؽزپبٷ ؤٿ ََزبء اصتَټ االعزپب‬publiquement inquiétés de ce que le ‫ٺت ٽڂڄ ؤٿ نتزّٔ ؤىٽخ ٽبٹُّخ‬ٝ ‫ علّاً بم ٽب‬corps social prendrait probablement très mal le fait qu‟on lui demande

ٌُ‫ هئ‬:‫ٺً اٹزىارل‬٥ ]11[ .‫ علَلح‬de venir éponger une nouvelle crise ٫‫ اظتٖو‬٠‫ ٕڂلوٯ اٹڂٲل اٹلورل وػتب٭‬financière. [11] Respectivement : le chef

du

fonds

monétaire

.‫ اظتوٵيٌ األوهويب‬international et le chef de la banque centrale européenne.

Le traducteur a bien perçu l‟ironie du style et compris l‟allusion aux hautes fonctions de ces deux personnages. Pour expliciter l‟allusion, il a précisé en note que ces deux messieurs dirigent deux des plus grandes institutions financières de la planète, le FMI, la BCE. Pour expliciter l‟ironie, il a ajouté un point d‟exclamation, une sorte de clin d‟œil aux lecteurs comme quoi il ne faudrait pas l‟interpréter au premier degré. Au lecteur ensuite de saisir le vouloir dire de l‟énoncé grâce à ces compléments cognitifs. 2.3.1.6.1. Des explicitations d‟allusions dans les noms propres de personnes ou de lieux Là aussi, il est question d‟apporter des compléments contextuels, non pas pour présenter ces personnages aux lecteurs cibles, mais plutôt pour expliciter la charge allusive que véhiculent leurs noms dans ces énoncés en particulier. Voyons comment les traducteurs du MD ont agi pour expliciter l‟allusion qui est contenue dans les anthroponymes Arnault et Bolloré et dans le toponyme Alsace. L‟allusion dans le nom propre Ex. 1 Une société où l‟on nous présente messieurs Arnault et Bolloré comme des modèles, je ne m‟y sens pas très à l‟aise», confesse Julliard. (MD août 2009)

L‟explicitation fournie Julliard a confessé : « je ne me sens pas très à l‟aise dans une société où l‟on nous présente messieurs Arnault et Bolloré (des grands capitalistes) comme des modèles à suivre».

La traduction en arabe

Le but recherché par l‟explicitation

‫و‬٦ّ‫ "ال ؤ‬:‫ عىٹُبه‬٫‫زو‬٥‫ ا‬Révéler le sens de l‟allusion à ces deux milliardaires capitalistes, à savoir que

ٍ٤‫ ثبهرُبػٍ ٵجًن يف غتزپ‬c‟est le culte de l‟argent et de la fortune rend mal à l'aise le philosophe ‫زرب اٹَبكح ؤهځى‬٦َ qui Julliard. cette phrase était prononcée lors ‫(هؤشتبٹٌُن‬ ‫فتىمعٌن‬

ٌ‫ وثىٹىه‬de l‟une de ses conférences sur la crise )‫ٵجًنَڀ‬

.‫َُؾزنَبٿ‬

économique.

Partie II : Chapitre IV : Les motivations des explicitations dans le corpus du MD 2001-2011 Ex. 2 Dans le contexte des rivalités francoallemandes, les nationalistes avaient fait de Dreyfus, juif d‟origine alsacienne, le coupable idéal. (MD octobre 2010)

Dans le contexte de la rivalité francoallemande, les nationalistes français avaient fait de Dreyfus, le juif originaire de la région d‟Alsace (objet d‟un conflit avec l‟Allemagne) le coupable idéal.

316

ٌ‫ اٹزڂب٭‬٫‫وو‬١ ٍ‫ ٭ٮ‬Aider le lecteur à percevoir le sens de l‟allusion contenue dans le nom de la

‫ ؽىّٷ‬،ٍَ‫ األظتبين اٹٮوځ‬région dont est issu l‟officier juif l‟idée pertinente consiste à dire ‫اٹٮوځَُّىٿ‬ ‫ اٹٲىٽُىٿ‬Dreyfus. qu‟il existait un conflit entre la France et ‫ اٹُهىكٌّ ٽڀ‬،ً‫ كهَٮى‬l‟Allemagne sur cette région frontalière

et que Dreyfus était le prétexte pour que

٣‫خ األٹياً (اظتزڂبى‬٦ٝ‫ ٽٲب‬s‟exprime cette rivalité, mais aussi le ّ‫ بذل غتوٻ‬،)‫ ؤظتبځُب‬٤‫ٺُهب ٽ‬٥ coupable idéal pour laisser s‟exprimer la

haine contre les juifs à l'époque. Le

.ّ‫ ٽضبرل‬lecteur comprend mieux pourquoi cette

affaire a pris une telle ampleur à l'époque.

Tableau 33: Des explicitations sur des allusions contenues dans des noms de personnes ou de lieux

2.3.1.6.2. Des explicitations d‟allusions contenues dans des noms de société ou de marques Il en va de même ici, à une différence près : l‟allusion est contenue dans le nom d‟une société ou d‟une marque. Les traducteurs cherchent souvent à rappeler un événement particulier qui a eu lieu dans ces entreprises ou à fournir toute autre information relative à la fonction allusive et non à celle dénotative. Sans ces explicitations, le lecteur devine l‟idée générale exprimée dans l‟énoncé, mais perçoit mal l‟allusion. Il risque également d‟éprouver un sentiment de déception vis-à-vis du traducteur qui lui laisse cette vague impression que quelque chose d‟important lui échappe. L‟allusion dans la dénomination propre Ex. 1 [...] Une mobilité imposée, des déménagements renouvelés aboutissent à une perte des repères professionnels, à des désapprentissages successifs. France Télécom en est l‟exemple le plus médiatisé. (MD novembre 2010)

229

L‟explicitation fournie

La traduction arabe

[...] Une mobilité imposée, des déménagements renouvelés aboutissent à une perte des critères professionnels, à des cas successifs de perte de professionnalisme. la société France Télécom (où ont eu lieu des suicides en série) en est le meilleur exemple que les médias ont mis en avant.

‫خ‬ٙ‫اظتٮوو‬

en

‫بًَن اظتهڂُّخ‬٦‫ٍ بذل ٭ٲلاٿ اظت‬ٚ‫رٮ‬

٣‫ُب‬ٙ ‫وبذل ؽبالد ٽززبٹُخ ٽڀ‬ ‫ذ‬٦‫وٱ‬

par

‫[اضتوٵُّخ‬...] Révéler

‫ ٵٺّهب‬،‫واٹزڂٲّالد اظتزٶوّهح‬

ٌ‫"٭واځ‬

Le but recherché l‟explicitation

‫وّوٵخ‬

‫(ؽُش‬

.‫اظتهڂُّخ‬

les évènements très médiatisés en France auxquels renvoie le nom de « France Telecom ». Le traducteur apporte l‟information sur la série de suicides d‟employés de cette société par une brève incise entre parenthèses.229

"‫رٺٶىٻ‬

ٍ‫پٺُبد اځزؾبه ٽزىاٹُخ) څ‬٥

ً‫ٺ‬٥ ‫الٻ‬٥‫فًن فتىمطٍ ؤثوىڃ اإل‬

.‫مٹٴ‬

Cette même allusion était explicitée par le traducteur du MD septembre 2010 lors de la traduction de l‟expression « une sorte de syndrome France Telecom » par ")‫بٽٺٌن بذل االځزؾبه‬٦‫لك ٽڀ اٹ‬٥ ‫بهِٗ ٭واځٌ رٺٶىٻ (ؽُش وٕٸ‬٥" (le syndrome France Telecom (où plusieurs employés en sont venus à se suicider).

Partie II : Chapitre IV : Les motivations des explicitations dans le corpus du MD 2001-2011 Ex. 2 « Certains ont eu l‟impression d‟assister à une offre publique d‟achat (OPA) du clan du Fouquet‟s (16) sur l‟atome ».

Explicitation en note dans l‟original. « Certains ont eu l‟impression d‟assister à une offre publique d‟achat (OPA) du clan du Fouquet‟s (16) sur l‟atome ».

(16) D‟après le nom du restaurant parisien où M. Sarkozy a célébré sa victoire à la présidentielle, en 2007 (MD octobre 2011)

(16) D‟après le nom du restaurant parisien où M. Sarkozy a célébré sa victoire à la présidentielle, en 2007.

317

ٔ‫بػ يف ؽبُّخ اٹڂ‬َٚ‫ ا‬Montrer ٘٦‫ "وٱل ؤؽٌّ اٹج‬: ٍ‫األٕٺ‬ ٣‫ؤځّڂب ؤٽبٻ ٽْهل ٽڀ ځى‬

OPA " ‫ٺين‬٥ ٍ٤ُ‫وٗ ث‬٥"

‫ٹٖبحل‬

ٌ‫اٹڂىو‬

٣‫ب‬ٞ‫ٹٺٲ‬

‫ؤٕلٱبء اٹوئٌُ اٹنَڀ اٹزپّىا‬

ً‫ؽىٹڄ ٭ىه اځزقبثڄ يف ٽٲه‬

ٌ‫٭ىٵُز‬

Fouquet’s [16] ‫ټ‬٦ٞ‫اظت‬

‫اٍټ‬

ً‫ٺ‬٥[16]

‫اٹجبهٍََ اٹْهًن ؽُش اؽزٮٸ‬

‫اٹَُل ٍبهٵىىٌ ثٮىىڃ يف‬ ‫بٻ‬٦‫االځزقبثبد اٹوئبٍُّخ يف اٹ‬

.2007

comment Sarkozy encourageait ses amis d‟Alstom (Patrick Kron) et de Bouygues (Martin Bouygues) à fusionner avec Areva pour contrôler la filière nucléaire. L‟auteur rappelle surtout pour ceux qui ne le savent pas que ces grands chefs d‟entreprise étaient invité à fêter la victoire de Sarkozy aux présidentielles de 2007, dans la célèbre brasserie parisienne de luxe le Fouquet‟s. Cette explicitation de l‟allusion, déjà présente dans l‟original, démontre bien que cette pratique est tout à fait légitime dès lors que les lecteurs cibles ont besoin de l‟information pour saisir pleinement le sens du texte. Le co-texte se charge par ailleurs de fournir les informations nécessaires sur les personnes membres du « clan ».

Tableau 34: Des explicitations sur des allusions contenues dans des noms de sociétés

2.3.1.7. Les allusions dans les titres d‟ouvrage et slogans Reprendre un titre d‟ouvrage ou un slogan, sans le citer ouvertement, voire en altérant sa forme initiale, est un procédé très fréquemment employé dans les textes du MD. Il s‟adresse aux lecteurs avertis supposés capables de comprendre ce « clin d‟œil » et percevoir le sens voulu. Ce procédé est régi par le principe de l‟économie du langage en ce qui concerne sa production langagière et celui de pertinence en ce qui concerne la restitution de sa signification pertinente en discours. Autrement dit, il consiste à dire beaucoup de choses en très peu de mots. Sa traduction donne du fil à retordre aux traducteurs qui doivent d‟abord le déceler et puis trouver les moyens adéquats pour réexprimer en peu de mots le maximum de sens. Voyons comment les traducteurs du MD s‟y sont pris.  Exemple nº 43 : il faut sauver le soldat DSK Cet exemple est extrait d‟un article du MD juin 2011, intitulé « Anatomie d‟une débâcle » où l‟auteur analyse la couverture médiatique de l‟affaire DSK après sa mise en examen à New York pour viol. Il analyse surtout la personnification extrême de la politique dans les médias français, ainsi que les « réflexes de classe » qui conduisent les commentateurs perchés en haut de l‟échelle sociale à s‟émouvoir de la chute d‟un puissant, alors que le malheur du citoyen lambda ne constitue pas « une information ». Dans l‟énoncé suivant, il précise comme réagissait les éditorialistes à propos de cette affaire. Le traducteur perçoit l‟allusion dans le titre « il faut sauver le soldat DSK » et essaie à son tour de la faire comprendre à ses lecteurs.

318

Partie II : Chapitre IV : Les motivations des explicitations dans le corpus du MD 2001-2011

Pendant que Le Journal du dimanche titre « Il faut sauver le soldat DSK » (19 octobre 2008), celui-ci dément avoir tiré avantage de son ascendant hiérarchique, et l‟hebdomadaire Elle publie un portrait de Mme Sinclair en épouse admirable dans l‟épreuve. (MD juin 2011)

‫ وثُڂپب ٵبځذ ٕؾُٮخ "ٹى عىځبٷ كو‬Pendant que le journal « Le Journal ‫رْوَڀ‬

19

‫يف‬

‫ڂىٿ‬٦‫ر‬

du

dimanche

»

titre

le

19

"ِ‫ كنتبځ‬octobre/Tichrine 2008 « Il faut ٌ‫ "كتت بځٲبم اصتڂل‬2008 ‫ؤٵزىثو‬/‫ األوٷ‬sauver le soldat Dominique ‫ڂىاٿ‬٦‫ٵبڅڀ" (رُپّڂبً ث‬-ً‫كوٽُڂُٴ ٍزوو‬ ‫ اځٶو‬،)"‫ "بځٲبم اصتڂلٌ هَبٿ‬٫‫وو‬٦‫اٹٮُٺټ اظت‬ ‫ٸّ ٽوٵيڃ؛ ٵپب ځْود‬٪‫څنا األفًن ؤځّڄ اٍز‬

‫ ثىهروَڄ ٹٺَُلح آٿ‬Elle ‫ُخ‬٥‫ؤٍجى‬ .‫خ يف اظتٺپّبد‬٦‫ ىوعزڄ اٹوائ‬،‫ٍڂٶٺًن‬

Strauss-Kahn » (en imitant le titre du film bien connu "le sauvetage du soldat Ryan"), ce dernier dément avoir tiré avantage de son poste, et l‟hebdomadaire Elle a publié un portrait de Mme Anne Sinclair, son épouse admirable dans les épreuves.

Le traducteur explicite l‟allusion au titre du film américain « Saving private Ryan », traduit en français par « Il faut sauver le soldat Ryan » et en arabe par "ٌ‫ب‬ٚ‫"إَقبر اندُذ٘ س‬. Ceci devrait permettre aux lecteurs avertis, ayant vu ce film, d‟appréhender tout l‟humour du titre, puisqu‟il est assez cocasse de voir le tout-puissant Directeur du FMI placé, en cette triste affaire, sur un pied d‟égalité avec le simple soldat de 2e classe Ryan et de comparer mentalement les enjeux du sauvetage dans chacune des deux affaires. Si dans le cas de Ryan, il s‟agissait de conserver un fils sur quatre à une mère éplorée, quel est au juste l‟enjeu du sauvetage de DSK ? Eviter à la France de perdre un des postes les plus importants du monde de la finance ? A quel prix ? En revanche, pour le lecteur arabe ne connaissant pas ce film, cette simple explicitation l‟aidera à comprendre grossièrement qu‟il faudrait tout faire pour sauver DSK ; le sens se précisera au fur et à mesure de sa lecture du texte. Dans un autre article, le traducteur du MD mai 2008 a traduit l‟expression « il faut sauver le soldat Royal » par "‫بل‬ٚٔ‫( "كبٌ انًطهٕة إَقبر اندُذ٘ س‬il fallait sauver le soldat Royal). En effet, dans ce contexte, l‟auteur commentait une pétition signée par des intellectuels français, parue dans Libération, conjurant les électeurs d‟assumer leur responsabilité historique, et ce suite à des rumeurs donnant Le Pen gagnant au premier tour des présidentielles de 2007 devant Mme Royal. Cette allusion consiste donc à dire qu‟il faudrait se mobiliser pour que Ségolène Royal soit élue, afin de ne pas avoir à choisir au second tour entre Le Pen et Sarkozy. D‟où notre proposition d‟explicitation "ٍٛ‫بل يقبثم خٌٕ يبس٘ نٕث‬ٚٔ‫ٍ س‬ٛ‫دٕن‬ٛ‫دت إَقبر "انًششسخ" ع‬ٚ" (il faut sauver la « candidate » Ségolène Royal face à Jean Marie Le Pen. Nous n‟avons pas explicité l‟origine de l‟allusion, mais nous en avons rendu le sens pertinent en contexte. Remarquons toutefois que nous avons substitué le terme « candidate » au terme « soldat » pour garder une certaine cohésion textuelle, tout en mettant cette traduction entre guillemets, une sorte de clin d‟œil adressé au lecteur pour lui dire que cette expression à quelque chose de particulier, mais que nous ne jugeons pas nécessaire de le dévoiler ici. En revanche, dans l‟exemple précédent, nous aurions préféré expliciter l‟origine de l‟allusion, car il s‟agit d‟un film américain, ce qui coïncidait plus ou moins avec le contexte de détention de DSK à New York.

Partie II : Chapitre IV : Les motivations des explicitations dans le corpus du MD 2001-2011

319

o D‟autres explicitations d‟allusions à des slogans Voici une série d‟exemples supplémentaires ou les traducteurs avaient affaire à des allusions à des citations plus ou moins indirectes, notamment des slogans, qu‟ils ont explicités. Faudrait-il révéler le slogan d‟origine et en expliciter le sens, ou seulement en expliciter le sens sans le mentionner ? Les traducteurs du MD semblent majoritairement choisir la première option, bien que la saisie exacte du sens de l‟allusion ne soit pas toujours au rendez-vous, à cause d‟une mauvaise sélection des traits saillants à apporter au lecteur.

230

L‟allusion dans le slogan Ex. 1 « Liberté, égalité, fraternité. Mais quelle égalité ? (MD janvier 2009)

L‟explicitation fournie « Liberté, égalité, fraternité (la devise française). Mais quelle égalité ?

La traduction arabe

Ex. 2 « [...] le slogan aurait été tout trouvé : «En France, on a des idées, du pétrole et du gaz ! » Mais le gouvernement a préféré la discrétion. (MD juin 2011)

« [...] le slogan aurait été là : «En France, on a des idées, du pétrole et du gaz ! » (alors qu‟on disait avant : « on a des idées, mais on n‟a pas de pétrole »). Mais le gouvernement a préféré la discrétion sur le sujet.

‫به ٱل ؤٕجؼ‬٦ْ‫[ َٶىٿ اٹ‬...]

en

Le but recherché par l‟explicitation

‫به‬٦ْ‫ رأفٍ (اٹ‬،‫ ٽَبواح‬،‫ ؽوَّخ‬Montrer l‟allusion à la devise de

république française, pour donner plus

‫ ٹٶڀ ؤَّخ ٽَبواح؟‬.)ٍَّ‫ اٹٮوځ‬de poids aux propos suivants que

‫ "يف ٭وځَب ؿتڀ ٹلَڂب‬:ً‫وا‬ٙ‫ؽب‬ ‫ل ؤٿ‬٦‫بى!" (ث‬٩‫ و‬ٜ‫ؤ٭ٶبه وځٮ‬

‫ "ٹلَڂب ؤ٭ٶبه ٹٶڀ‬:‫ٵبٿ َٲبٷ‬ ‫ بالّ ؤٿ‬.)"ٜ‫ٹٌُ ٹلَڂب ځٮ‬ ‫ّٺذ اٹزٶزټ‬ٚ‫اضتٶىٽخ ٱل ٭‬

.٣‫ى‬ٙ‫ٺً اظتى‬٥

Mikhaïl Aleksandrovitch Bakounine (1871) a prononcés lors d‟une conférence devant des ouvriers. En remettant en cause ces trois principes, le lecteur comprendra que la République n‟a pas su tenir sa promesse230. Révéler l‟allusion au slogan d‟un spot publicitaire du gouvernement français suite au premier choc pétrolier en 1973 : « En France, on n‟a pas de pétrole mais on a des idées ». Aujourd‟hui, avec les projets de forage de gaz de schiste et la découverte gisements de milliards de barils d‟or noir dans le bassin parisien, on aurait pu adapter ce slogan, mais le gouvernement préfère rester discret sur ces nouvelles perspectives.

En effet, pour nous convaincre de la pertinence de cette courte explicitation, nous citons cet autre exemple de la même allusion consistant à dire presque la même chose dans cet énoncé : « la République n‟ayant pas tenu toutes ses promesses, « liberté, égalité, fraternité », ces engagements magnifiques, désignant davantage un horizon qu‟une réalité partagée, comment faire pour qu‟ils ne soient plus seulement des droits, mais des données concrètes, effectives ? ». Le traducteur s‟est contenté de traduire mot à mot cette phrase figurant en début d‟article, sans expliciter l‟allusion à la devise de la république. Il est vrai que certains lecteurs attentifs feront le rapprochement, mais ce ne sera pas le cas pour tous les lecteurs. Il s‟agit donc d‟une prise de risque que l‟on aurait pu éviter avec l‟ajout de deux seuls mots comme l‟avait fait le traducteur du MD janvier 2009.

Partie II : Chapitre IV : Les motivations des explicitations dans le corpus du MD 2001-2011 Ex. 3 « La fougue des orateurs contraste avec la quiétude des auditeurs [...] Sous les pavés, la plage : l‟imagerie d‟Epinal rouge barbote et s‟arrose gaiement ». (MD août 2007)

« La fougue des orateurs contraste avec la quiétude des auditeurs [...] « Sous les pavés, la plage » [17] : ainsi, les symboles des révoltes rouge barbotent dans l‟eau et s‟arrosent gaiement ». [17] une note de l‟édition arabe : « Sous les pavés, la plage » est l‟un des plus célèbres slogans de le révolte « rouge » de l‟année 1968 en France ».

320

٤‫جبء ٽ‬ٞ‫ "ورزڂبٱ٘ زتبٍخ اطت‬Permettre ‫ و"حتذ‬.‫ٌن‬٦‫څلوء اظتَزپ‬ :]87[ "‫ئ‬ٝ‫ اٹْب‬،‫األهٕٮخ‬ ‫هٽىى‬

‫ت‬٥‫رزال‬

‫څٶنا‬

‫بد اضتپواء يف اظتبء‬ٙ‫االځزٮب‬

".ً‫جب‬٦‫وروّّڄ ٹ‬

‫خ ٽڀ څُئخ حتوَو‬٢‫] ٽالؽ‬87[ ‫"حتذ‬

:‫وثُخ‬٦‫اٹ‬

‫اٹڂْوح‬

‫ئ" څى ؤؽل‬ٝ‫ اٹْب‬،‫األهٕٮخ‬ ‫خ ٍڂخ‬ٙ‫بهاد اځزٮب‬٦ّ ‫ؤّهو‬

".‫ "اضتپواء" يف ٭وځَب‬1968

au lecteur d‟identifier l‟expression « sous les pavés, la plage » comme l‟un des slogans de Mai 68 en France. Le but est de faire comprendre, aux lecteurs arabes, au-delà de ce slogan, la comparaison ironique entre l‟ambiance « électrique » de cette révolte parisienne à l'époque et l‟ambiance « bon enfant » qui règne actuellement sur la place Maïdan, en Ukraine, où les partis communistes de l‟opposition se rassemblent pour dénoncer les dérives du président. En effet, face aux orateurs qui s‟évertuent à galvaniser les foules, celles-ci s‟amusent gaiment à se rafraichir les pieds dans l‟eau des fontaines en ce printemps chaud. L‟auteur insiste sur ce flagrant contraste.231

Tableau 35: Des explicitations sur des allusions à des slogans

2.3.2. L‟explicitations des connotations Tout comme l‟allusion, la connotation concerne un aspect majeur du fonctionnement du langage. Elle désigne « l‟ensemble des caractères qu‟évoque un terme dans un esprit ou chez la plupart des membres d‟un groupe » (Mounin 1963 : 144). Les connotations sont souvent inhérentes aux émotions et réactions des gens qui les expriment à travers les mots au-delà de leur sens dénotatif (Leech 1974 : 14). Elles reflètent différentes associations ou perceptions des lecteurs de leur monde : « Rather than being a matter of referential meaning, that is, denotative meaning, connotations are associational, subjective, and affective » (Bell 1991 : 99). Pour comprendre les connotations en contexte, il conviendrait de tenir compte de trois éléments principaux : « 1. Les personnes qui s‟en servent ; 2. Les circonstances qui entourent leur usage habituel ; 3. Les contextes linguistiques dans lesquels on les trouve » (Nida 1971 : 84). Ainsi, leur sens se présente plutôt comme un continuum, « contraignant souvent le traducteur à être un véritable exégète, dont la tâche est de trouver le ton juste dans le camaïeu des significations » (Wecksteen 2005 : 122-123). Le fonctionnement des connotations en discours est quasi identique à celui des allusions que nous avons déjà expliquées. Leur particularité réside dans les supports linguistiques qui véhiculent ces connotations et dans le halo de signification que les connotations forment 231

Bien que cette note révèle l‟origine du slogan, elle n‟en explicite pas sa signification pertinente, à savoir : sous les pavés qui représentent l‟ordre établi, les rues carrossables - mais aussi la révolution lorsqu‟on les arrache pour en faire des projectiles -, il y a le sable, synonyme de plage, de liberté retrouvée, de nature et d‟hédonisme. Les auditeurs ukrainiens de la place Maïdan sont plus enclins à la douceur de vivre qu‟à la révolution. Ils préfèrent barboter dans les fontaines que de faire une révolution rouge dans la tradition de l‟imagerie populaire naïve. Peutêtre pourrait-on proposer la reformulation suivante : ً‫ٺ‬٥ ‫ت يف ٽُبڃ اٹڂىا٭ًن‬٦‫ٺىٿ اٹٺ‬ٚ‫) بم َٮ‬...( ‫ٌن‬٦‫ څلوء اظتَزپ‬٤‫جبء ٽ‬ٞ‫"ورزڂبٱ٘ زتبٍخ اطت‬ "!‫ئ‬ٝ‫ ذتخ ّب‬٬ُٕ‫ ٭زَؾِذَ ؤؽغبه اٹو‬: 1968 ‫بٻ‬٥ ٌَ‫ٺً ّبٵٺخ ّجبة اعتُجُي بثبٿ صىهح ثبه‬٥ ،‫ « اٹزپزوً وهاء اضتىاعي‬La fougue des orateurs contraste avec la quiétude des auditeurs [...] ; tout comme les jeunes hippies lors de la révolte de mai 1968 à Paris, ils préfèrent se baigner dans les fontaines plutôt que de faire des barricades : sous les pavés, la plage ! ».

Partie II : Chapitre IV : Les motivations des explicitations dans le corpus du MD 2001-2011

321

autour de ces éléments discursifs. Pour mieux cerner cet aspect particulier, il conviendrait d‟évoquer la question du lexiculturel, qui sert souvent de support de ces « valeurs ajoutées ». 2.3.2.1. Les connotations dans le lexiculturel Le « lexiculturel » est souvent le lieu d‟inscription des connotations dans le texte. Il se compose de mots qui sont « des lieux de pénétration privilégiés où se fixent en priorité certaines formes de culture » (Galisson 1984 : 58). Antoine (1999) définit ce phénomène comme « une sorte de nimbe, d‟auréole de sens supplémentaire, qui se situe au-delà du sens strict de la lexie. Il génère des associations mentales indépendantes de la chaîne syntagmatique dans laquelle il est inséré, au sens où son appréhension entraîne l‟actualisation d‟images et de valeurs particulières » Antoine (Ibid. : 12-14). Son halo de significations connexes, porteur d‟implicite ou de savoir culturel partagé, s‟inscrit en filigrane par rapport à la dénotation. Les problèmes ayant trait au lexiculturel se situent à mi-chemin entre les problèmes culturels de la traduction du fait qu‟il s‟agit d‟une charge culturelle implicite véhiculée par ces mots, et les problèmes linguistiques car il s‟agit avant tout d‟éléments lexicaux, chargés de significations dénotatives pertinentes 232. Cette consubstantialité du lexique et de la culture est effectivement l‟origine de certains problèmes de traduction nécessitant un traitement adapté par l‟explicitation : « l‟imbrication, voire l‟indissociabilité, du linguistique et du culturel doit retenir notre attention car elle est en fait au cœur de la problématique de l‟opération traduisante » Israël (2003 : 188). 2.3.2.2. Comment expliciter la connotation ? Mounin considère que les connotations font partie du langage, et « qu‟il faut les traduire, aussi bien que les dénotations » (Mounin 1963 : 166). Ladmiral (1994 [1979] : 218 sq.) indique qu‟il est parfois nécessaire de recourir à des incrémentialisations, qui sont des « ajouts-cible au plan du signifiant et/ou du signifié », ou des périparaphrases incrémentielles, afin de rendre les connotations du terme de la langue-source (Ladmiral (1994 [1979] : 218 sq.) Cela s‟inscrit dans « un choix de traduction » que le traducteur doit faire, car l‟auteur ajoute ensuite ceci : « A contrario, il y a des cas où les connotations sémantiques véhiculées par le mot-source sont moins importantes, voire inessentielles : le traducteur pourra alors, et devra même dans certains cas, renoncer à les traduire » (Ibid. : 219). Dans sa thèse consacrée à l'étude de la question de la connotation en traduction, Wecksteen (2005) soutient que « la tâche du traducteur sera donc de transmettre le mieux possible les énoncés chargés connotativement et susceptibles d‟être perçus comme tels par ceux qui sont impliqués dans un acte d‟énonciation (Wecksteen 2005 : 157) ».

232

Pour les éléments de type lexiculturel, un dictionnaire bilingue les recensent souvent, ce qui confirme leur nature purement linguistique, mais il ne suffit pourtant pas de comprendre leurs valeurs secondes ou ajoutées constituant la signification pertinente de ces mots. Le seul moyen de les connaître, c‟est l‟analyse de leur ancrage discursif plus une connaissance culturelle des connotations que ces éléments suscitent chez les lecteurs natifs.

Partie II : Chapitre IV : Les motivations des explicitations dans le corpus du MD 2001-2011

322

Suivant notre conception de l‟explicitation, la règle générale est d‟expliciter tout ce qui s‟avère nécessaire à la compréhension du sens pertinent du texte notamment lorsque la traduction directe ne permet au lecteur d‟inférer aisément le sens de la connotation. Ainsi, les présupposés de la langue, les sous-entendus du discours, les connotations sous-jacentes peuvent être explicités sous cette condition : « lorsque le report semble faire obstacle à la perception des connotations, le traducteur recourt à l‟explicitation » Wecksteen (2008 : 118-119). Il incombe au traducteur d‟évaluer la nécessité d‟introduire des éléments dans le texte cible susceptibles d‟évoquer les mêmes images mentales et les mêmes représentations sociales ou culturelles que produit le lexiculturel sur le lecteur indigène. Ceci peut se faire « par le recours à la note, à l‟incrémentialisation, ou à la substitution sémantique, qui permettent à des degrés divers le transfert des connotations culturelles au-delà des barrières des langues » (El Kaladi (2005 : 589). Nous allons à présent fournir une dizaine exemples extraits du MD pour illustrer les différents aspects de cette problématique.  Exemple nº 44 : bronzer (est-ce agréable, utile ?) Cet exemple est extrait d‟un article du MD août 2009, intitulé « Sur un grand paquebot, mais « à contre-courant », que nous avons déjà présenté sous l‟exemple nº 15. Dans cet énoncé, l‟auteur explique comment les lecteurs du Figaro, invités au bord du paquebot, savourent les croisières « philosophiques », en compagnie des intellectuels qui enchainent des conférences sur des sujets philosophiques, économiques, sociaux, etc. En profitant des conférences et du soleil, ces lecteurs allient donc la réflexion à la détente. Ils ne passent pas leur temps à bronzer bêtement. Le traducteur se heurte à la traduction de la connotation véhiculée par le verbe « bronzer » dans l‟expression « bronzer idiot ». Parce qu‟elle mêle l‟utile des ‫واد‬ٙ‫ اإل٭بكح ٽڀ احملب‬٤‫"وٵىٿ اٹوؽٺخ جتپ‬ séminaires à l‟agréable des excursions et des repas ‫بٻ‬٦ٞ‫خ اٹوؽالد االٍزٶْب٭ُّخ ووعجبد اٹ‬٦‫مبز‬ opulents, chacun se trouve ‫ً ٵىځڄ ال‬ٙ‫و ٵٸّ واؽلٍ ثبٹو‬٦َْ ،‫ڂُّخ‬٪‫اٹ‬ conforté dans le sentiment de ".ٌ‫جبء حتذ اٹْپ‬٪‫ٍ وٱزڄ يف اٹزَپّو ث‬ٚ‫نت‬ ne pas bronzer idiot. (MD août 2009)

Parce que le voyage réunit l‟utile des séminaires et l‟agréable des voyages d‟excursions et des repas opulents, chacun éprouve une satisfaction du fait qu‟il ne passe pas son temps à brunir bêtement sous le soleil.

Le traducteur tente de révéler le fait culturel exprimé implicitement par ce verbe lexiculturel, à savoir s‟exposer au soleil pour avoir une couleur mate, censée être plus agréable à voir pour des Français. Cette connotation est difficile à saisir pour la plupart des lecteurs arabes qui comprennent mal que l‟on puisse prendre plaisir à cuire au soleil. Au-delà de cette signification, le lecteur devrait pourvoir comprendre qu‟assister aux conférences de Julliard-Ferry à bord du paquebot tout en bronzant rend ce voyage pleinement intéressante et agréable. La traduction faite suggère ce sens, sans éliminer complètement cette impression de « vague » : « en quoi est-ce intelligent ou agréable de bronzer» ?

Partie II : Chapitre IV : Les motivations des explicitations dans le corpus du MD 2001-2011

323

Pour mieux expliciter le sens de la fin de l‟énoncé ainsi que la connotation qu‟il charrie, nous proposons de rendre le syntagme « ne pas bronzer idiot » par ّ‫م إثش رؼشض‬ًٛ‫كزغت انهٌٕ األعًش اند‬ٚٔ ‫زثقف‬ٚ" "‫( نهشًظ‬se cultiver tout en prenant la belle couleur mate, du fait de son exposition au soleil). Cette formulation révèle le sens pertinent en contexte tout en s‟intégrant discrètement dans le fil du texte. Il est vrai que le lecteur attentif peut inférer du contexte ce sens, mais l‟explicitation à l'avantage de présenter au public arabe une information culturelle pertinente (bronzer, c‟est beau) tout en renforçant la cohésion textuelle de l‟énoncé. Elle peut donc être utile dans ce contexte, mais pas indispensable, car en fin de compte, l‟idée essentielle à faire passer consiste à dire que chacun se trouve conforté dans le sentiment de ne pas perdre son temps dans une chaise longue au bord de la piscine ou sur le pont de ce paquebot. Par ailleurs, cette connotation s‟impose dans certains contextes pour éviter un risque d‟ambiguïté dû à une ingérence d‟une autre connotation culturelle arabe liée au fait d‟avoir un corps bronzé. En effet, dans beaucoup de pays arabes, comme dans beaucoup de pays asiatiques, un corps bronzé est plutôt un corps d‟ouvrier, de paysan, d‟homme de peine, qui exercent des métiers durs en plein soleil ; la connotation est donc péjorative. C‟est plutôt la peau blanche qui est recherchée et convoitée, tant par les hommes que les femmes. Il n‟en demeure pas moins vrai que si le contexte est suffisamment clair pour éliminer ce risque de confusion, le traducteur pourra se contenter d‟une courte explicitation précisant uniquement le fait de s‟exposer au soleil. Ainsi, dans un énoncé du MD septembre 2001, parlant des nantis qui se réunissent dans l‟île de SaintBarthélemy, le traducteur rend la description « corps bronzés, droits et redressés » tout simplement par "‫قخ‬ٛ‫ًخ سش‬ٛ‫ يغزق‬،‫( "أخغبد عًشرٓب انشًظ‬des corps matifiés par le soleil, droits et sveltes). Ici, il n‟y a pas de risque de mésentente sur le sens de ce verbe car dans cette « île des milliardaires », il n‟y a que des riches. Le lecteur comprend donc aisément qu‟avoir un corps bronze est une qualité, même s‟il n‟en est pas persuadé. Voici à présent une série d‟exemples complémentaires sur différents cas de figure relevés dans le corpus du MD. 2.3.2.3. Des explicitations de connotations liées à des noms d‟établissements Il s‟agit souvent d‟une information culturelle implicite, communément admise et connue, chez les lecteurs natifs, sur la réputation d‟une école, d‟une université, d‟une boutique de luxe, d‟un produit, etc. A priori, le lecteur arabe ignore cette valeur sémantique supplémentaire, d‟où l‟intérêt de la lui expliciter si toutefois c‟est nécessaire pour la saisie du vouloir dire de l‟énoncé. Autrement dit, ce n‟est pas l‟information culturelle qui nous intéresse en elle-même, quoique d‟un intérêt culturel certain, mais plutôt le rôle qu‟elle joue dans la construction du sens.

Partie II : Chapitre IV : Les motivations des explicitations dans le corpus du MD 2001-2011

324

La connotation dans le nom Ex. 1 « Ouvrier devenu professeur à Louis-le- Grand puis écrivain à force d‟étudier, ce résistant conçoit sa mission comme un sacerdoce» (MD mai 2009)

L‟explicitation fournie

La traduction arabe

Ce résistant à l'occupation, l‟ouvrier qui est devenu professeur au lycée Louis-leGrand (célèbre à Paris), puis écrivain à force d‟étudier, conçoit sa mission comme une sorte de « catéchisme »233.

،‫ "٭هنا اظتٲبوٻ ٹالؽزالٷ‬Faire comprendre au lecteur que Jean

Ex. 2 Si Goyet peine désormais à se contenir face à « une dame chic et mal élevée dans un rayon du Bon Marché », (MD septembre 2008)

« Si Goyet peine désormais à se contrôler quand elle voit « une dame chic et impolie devant l‟un des rayons de la boutique de luxe « Bon Marché », ... »

Ex. 3 Explicitation dans l‟original : « Ancien responsable de la communication de l‟agence de relations presse Carlton, éduqué à Eton (l‟une des écoles les plus prestigieuses du pays),... » (MD juin 2010)

Retraduction littérale de la traduction arabe cicontre : « cet ancien responsable des relations publiques de l‟agence de la communication de presse « Carlton », a été éduqué à l‟école Eton (l‟une des écoles prestigieuses et distinguées du pays),... ».

en

Le but recherché par l‟explicitation Guéhenno n‟est pas simplement passé

ً‫ٺّپب‬٦‫بٽٸ اٹنٌ ؤٕجؼ ٽ‬٦‫ اٹ‬du statut d‟ouvrier à celui mais qu‟il est devenu "‫واٿ‬٩-‫ٹى‬-ٌ‫ يف صبځىَخ "ٹى‬d‟enseignant, professeur dans l‟un des lycées les ‫ ٍب‬،)ٌَ‫ (اٹْهًنح يف ثبه‬plus élitistes de Paris. Le lecteur natif connait cette connotation attachée à

‫ ٱل‬،ً‫ ٵبرجبً ٹٶضوح ٽب كه‬Louis-le-Grand, mais pas le lecteur ‫بً ٽڀ‬٥‫ هؤي يف ٽهپّزڄ ځى‬arabe.

."‫ىح اإلهّبكَّخ‬٥‫"اٹل‬

ً‫ىثخ‬٦ٕ ‫ىَُڄ جتل‬٩ ‫ بٿ ثبرذ‬Montrer la connotation qui s‟actualise dans ce contexte : le Bon marché,

‫ڂل هئَزهب‬٥ ‫ يف دتبٹٴ ځٮَهب‬contrairement à ce que le nom laisser supposer est un grand ‫ "اٽوؤحً ؤځُٲخ وٱٺُٺخ األكة‬pourrait magasin fréquenté par une clientèle ٫‫ه٭ى‬

‫ؤؽل‬

Bon

‫ ؤٽبٻ‬aisée.

‫اظتزغواٹٮبفو‬

."marché

‫ڀ‬٥

ٰ‫اٹَبث‬

Ce supplément aide à comprendre la suite de la phrase évoquant l‟envie du professeur Goyet, qui enseigne depuis dix ans dans une ZEP, de crier sa haine envers les riches et les fils à papa, à force de vivre au milieu des personnes déshéritées dans des écoles stigmatisées.

‫ اظتَاوٷ‬Révéler l‟avantage d‟être formé à Eton, dans cet énoncé précisant le fait

‫بٽّخ يف وٵبٹخ‬٦‫الٱبد اٹ‬٦‫ اٹ‬que David Cameron, y a été éduqué. connotation sur la réputation de ‫اٹٖؾب٭ُخ‬ ‫ االرٖبالد‬La cette prestigieuse école risque ًّ‫رٺٲ‬

‫وٱل‬

‫ "ٵبهٹزىٿ"؛‬d‟échapper au lecteur natif, d‟où cette

"‫ٺُپڄ يف ٽلهٍخ "بَزىٿ‬٦‫ر‬

explicitation dans l‟original.234

‫خ‬٦ُ‫(بؽلي اظتلاهً اٹو٭‬ "...‫اظتزپُّيح يف اٹجالك)؛‬

Tableau 36: Des explicitations sur des connotations liées à des noms d‟établissements

233

Littéralement, « le prosélytisme guidant les gens ». Ce faisant, l‟auteur facilite le travail du traducteur qui se contente d‟ajouter les incrémentialisations classiques comme « école » devant Eton, ou les étoffements linguistiques renforçant le sens comme l‟ajout de l‟adjectif « distingué » pour insister sur le caractère prestigieux d‟Eton. 234

Partie II : Chapitre IV : Les motivations des explicitations dans le corpus du MD 2001-2011

325

2.3.2.4. Des explicitations de connotations liées à des noms de formations politiques Le but ici est de montrer au lecteur le halo de signification qui s‟actualise chez le lecteur natif quand il entend ou lit ces noms de partis. Il s‟agit souvent d‟une connotation péjorative que l‟auteur n‟explicite pas dans le texte d‟origine, parce qu‟il est tenu de respecter le « politiquement correct » ou parce qu‟il table sur la capacité de ses lecteurs, en l‟occurrence des gens cultivés de gauche, des universitaires, des « bobos », etc., à percevoir le sens voulu. Le lecteur arabe risque de passer à côté ces connotations importantes si le traducteur ne les lui révèle. Quelle perception ont les lecteurs natifs du MD du parti national-socialiste allemand ou du Front national français ? La connotation dans le nom Ex. 1 Le Parti nationalsocialiste (MD mai 2005)

L‟explicitation fournie Le Parti national socialiste (nazi)

Ex. 2 Actuellement, les fondamentalistes peuvent être considérés comme la version musulmane du Front national français. (MD septembre 2001)

On peut considérer aujourd‟hui les fondamentalistes comme la version islamique du Front national français (droite et extrémiste).

La traduction en arabe

ٍ‫االّزواٵ‬

Le but recherché par l‟explicitation

‫ اضتية‬Montrer clairement la réalité qui se cache

derrière la banalité du nom de parti. Les mots

)ٌ‫ « اٹٲىٽٍ (اٹڂبى‬national » et « socialiste » traduits avec leurs

‫زجبه‬٥‫ا‬

‫اٹُىٻ‬

‫نتٶڀ‬

‫خ‬٪ُٖ‫األٕىٹٌُن ؤهنټ اٹ‬ ‫ٹٺغجهخ‬

‫اٹٮوځَُخ‬

‫اإلٍالٽُخ‬ ‫ڂُخ‬ٝ‫اٹى‬

.)‫و٭خ‬ٞ‫(اٹُپُڂُخ اظتز‬

correspondances linguistiques en arabe ne révèlent pas le caractère raciste, xénophobe de ce parti. Le mot nazi )ٌ‫ )اٹڂبى‬s‟associera plus aisément au bagage cognitif pertinent du lecteur arabe. Révéler la connotation liée à ce parti français, que le lecteur arabe ne connaissait pas forcément en 2001, et auquel l‟auteur compare les intégristes islamistes accusés d‟avoir perpétré ou approuvé les actes terroristes du 11 septembre 2001. Grâce au co-texte et à l'explicitation, le lecteur arabe saisira le vouloir dire de l‟auteur, à savoir que les fondamentalistes et fanatiques sont partout et qu‟ils se cachent sous le manteau religieux ou politique.

Tableau 37: Des explicitations sur des connotations liées à des noms de partis politiques

2.3.2.5. Des explicitations de connotations liées à des surnoms Qu‟entend-on par « Paki » en Angleterre ou par « bobo » ou « bougnats » en France ? Et plus généralement, quelle perception, positive ou négative, déclenchent certains surnoms chez les lecteurs natifs que les lecteurs cibles doivent reconnaître également pour saisir pleinement le sens des messages implicites ?

326

Partie II : Chapitre IV : Les motivations des explicitations dans le corpus du MD 2001-2011 La connotation dans des surnoms Ex. 1 En tant que « Paki » au Royaume-Uni ? (MD juin 2009)

Ex. 2 Clientèle bobo (MD janvier 2007), les bobos (MD juin 2007), la catégorie des bobos (MD avril 2010)

L‟explicitation fournie

La traduction en arabe

Comme « Paki » (c'est-à-dire pakistanais en dialecte) en Grande Bretagne ? »

ٌ‫(ؤ‬

Respectivement : « une clientèle aisée et cultivée », « quelqu‟un d‟aisé et de cultivé », la catégorie des « bobos » (contraction de « bourgeois bohèmes »)

‫ثبٹٺهغخ‬

Le but recherché par l‟explicitation

"ٍ‫ ٵـ"ثبٵ‬Révéler d‟abord le référent désigné par cette appellation,

c'est-à-dire

la

communauté

‫ ثبٵَزبين‬pakistanaise musulmane installée en GrandePréciser ensuite sa particularité ‫بځُب؟‬َٞ‫ اٹلاهعخ) يف ثو‬Bretagne. linguistique, le registre familier, pour dire

‫ "ىثبئڀ‬: ‫ٺً اٹزىارل‬٥ ،"‫ٽضٲٮٌن‬

‫ٽَُىهَڀ‬

٤‫ "رت‬،"٬‫"اظتَُىه اظتضٲ‬ ٌ‫ثىهعىاى‬

‫ٹٶٺپُيت‬

."ٍ‫وثىڅُپ‬

que c‟est un terme employé par le peuple britannique lui-même pour se démarquer des étrangers. Le contexte précise ensuite que ce phénomène touche également les « Beurs » en France, les « Rom » en Europe, les « Noirs, en Suisse, etc. Ces communautés pointées du doigt se sentent désormais menacées et rejetées.235 Dans les deux premières traductions, les traducteurs cherchent à souligner deux caractères spécifiques à cette catégorie sociale, du moins telle qu‟elle est généralement perçue par les Français, à savoir : quelqu‟un doté d‟un bon niveau culturel et d‟une situation financière aisée. Ces « bobos » forment la clientèle principale des produits culturels vendus à la Fnac. La troisième explicitation était prévue dans le texte d‟origine et portait uniquement sur l‟étymologie du terme et non sur sa signification, celle-ci étant supposée connue du lecteur natif.236

Quant à l‟explicitation fournie, nous aurions préféré la modifier légèrement en écrivant ٤‫ٺؼ اٹْبئ‬ٖٞ‫"ؤٌ ثبٵَزبين و٭ٲبً ٹٺپ‬ .‫بځُب‬َٞ‫( اظتَزقلٻ" يف ثو‬c'est-à-dire pakistanais selon le terme familier employé) en Grande Bretagne. Car « pakistanais en dialecte » n‟est pas clair, étant donné qu‟il n‟y a pas de dialecte au Royaume-Uni. 236 Cette explicitation dans l‟original nécessite une autre explicitation dans le texte traduit. En effet, le mot « bourgeois » est entré dans le lexique arabe pour désigner une personne aisée, ayant un bon standing social, s‟adonnant aux activités et pratiques mondaines, etc. Mais le terme « bohème » ne signifie rien pour beaucoup de lecteurs arabes, ce qui rend difficile de comprendre à quoi cette contraction renvoie exactement. Afin de mieux dévoiler la connotation véhiculée par ce terme dans ce contexte parlant de la « gentrification » des quartiers parisiens, nous aurions proposé de le traduire par "ٌ‫( "اٹربعىاىٌَن موٌ اٹزىعڄ اٹَُبه‬les bourgeois de gauche). Cette explicitation permet d‟une part de distinguer les « bobos » des « bourgeois » classiques tels que perçus par les lecteurs arabes, et d‟autre part, révéler une de leur caractéristiques principales qui est leur mixité avec les milieux populaires et leur tendance à se saisir des questions sociétales de ces milieux défavorisés. 235

Partie II : Chapitre IV : Les motivations des explicitations dans le corpus du MD 2001-2011 Ex. 3 Il s'agit pour beaucoup de dérives sémantiques dénigrantes que les classes aisées et branchées ne cessent d'infliger aux lieux de vie des classes populaires d'origine lointaine (comme autrefois on se défiait des quartiers de «bougnats» dans Paris) (MD août 2006)

Ces expressions sont, pour beaucoup, des dérives sémantiques dénigrantes que les classes aisées et élitistes ne cessent d'infliger aux lieux de vie des classes populaires issues d'origine lointaine (comme autrefois on se défiait les quartiers « bougnats », (c'est-à-dire les pauvres dans Paris).

‫َٓرُ الكثٓرَو أو ٌذي‬ ‫الجعببٓر ٌْ اىحرافبث‬ ‫داللٓت إزدرائٓت فْ هب‬ ‫الطبقبث‬

ً‫ب‬

‫جىعث‬

ِ‫الهٓشَرة َالىخبَٓت عم‬

‫الدَان األهبكو الجْ جعٓص‬

‫الضعبٓت‬ ٍ‫أصَل‬ ّ‫ٓجن‬

‫كبو‬

‫الطبقبث‬

‫فٍٓب‬

‫(كهب‬

‫بعٓدة‬

‫هو‬

‫الهجحدّرة‬

‫االحجراس فٓهب هضِ هو‬ ّ‫أ‬

"‫الـ"بَىٓب‬

‫أحٓبء‬

.)‫الفقراء داخل ببرٓس‬

327

Révéler la connotation liée à ce terme désignant les quartiers des pauvres et surtout des gens qui sont venus de loin pour s‟installer à Paris. Historiquement, les bougnats étaient des immigrants venus du Massif Central et qui, poussés par la pauvreté, se sont installés à Paris au XIXe siècle. Mais comme cet élément occupe une place marginale dans l‟énoncé, puisqu‟il figure à la fin entre parenthèses, en guise d‟exemple, le traducteur n‟a pas voulu trop insister dessus en l‟explicitant avec plus de détails historiques. Grâce à ce bref supplément et au contexte, le lecteur comprendra que les Français nantis se sont toujours défiés des immigrés pauvres qu‟ils soient Français (bougnats) ou étrangers (bougnoules, ritals, etc…), installés dans Paris intra muros ou en banlieue.

Tableau 38: Des explicitations sur des connotations liées à des surnoms

2.3.2.6. Des explicitations de connotations véhiculées par l‟emploi de certains verbes Il s‟agit de verbes « lexiculturels », c'est-à-dire des verbes de la langue française dotés de différentes significations qui s‟actualisent selon le contexte, mais véhiculant également une connotation à valeur culturelle qui fait souvent partie du vouloir dire des énoncés où ils s‟emploient. Voyons comment les traducteurs ont ressorti cette valeur sémantique ajoutée aux verbes classiques comme « poser, tutoyer » ou à des verbes forgés ad hoc comme « embastiller ». La connotation dans les verbes Ex. 1 D‟autres ont été priés de quitter le club car ils ne voulaient plus poser.» (MD mars 2010)

237

L‟explicitation fournie D‟autres ont été priés de quitter le club car ils ne voulaient plus être pris en photos en étant nus.

La traduction arabe

en

Le but recherché par l‟explicitation

‫بكهح‬٪‫ُٺت ٽڀ آفوَڀ ٽ‬ٝ ‫ وٱل‬Expliciter le sens de ce verbe lexiculturel

dans ce contexte parlant du calendrier

‫ىكوا‬٦َ ‫ « اٹڂبكٌ ألځّهټ دل‬dieux du stade ». Cependant, le lecteur toujours du mal à comprendre ‫ ٽيَلٍ ٽڀ‬ٛ‫جىٿ ثبٹزٲب‬٩‫ َو‬aura pourquoi les joueurs de l‟équipe XV de ."‫بهَخ عتټ‬٦‫ اٹٖىه اٹ‬France doivent poser nu, au point de risquer l‟exclusion s‟ils refusent. 237

Pour rendre cette connotation plus claire et initier en même temps le lecteur arabe au concept du nu artistique et du calendrier « dieux du stade », nous aurions plutôt traduit la fin de l‟énoncé comme suit ‫واح ألعٸ‬٥ ‫جىٿ ثزٖىَوڅټ‬٩‫ىكوا َو‬٦َ ‫"دل‬ "‫( هوىځبٽخ اٹٮوَٰ اٹٮڂُخ‬parce qu‟ils ne voulaient plus être photographiés nus pour le calendrier de cette équipe). À la rigueur, nous aurions ajouté une note selon la disponibilité de l‟espace rédactionnel expliquant cette pratique de calendrier, à savoir que les joueurs ou autres célébrités se font photographier dans leur plus simple appareil afin de promouvoir l‟image d‟une équipe, de défendre une cause, de soutenir une action, ou simplement de se servir des fonds collectés grâce à la vente de ces calendriers pour financer un projet caritatif, etc.

Partie II : Chapitre IV : Les motivations des explicitations dans le corpus du MD 2001-2011 Ex. 2 Tutoyer septembre avril 2008)

(MD 2006,

Ex. 3 [...] M. StraussKahn a été «embastillé» à New York [...] (MD juin 2011)

328

Respectivement : « adresser la parole sans formalités », « parler avec arrogance ».

‫ "َىعڄ بٹُڄ‬: ‫ٺً اٹزىارل‬٥ Montrer la connotation véhiculée par

[il pense que] Strauss-Kahn est emprisonné dans la « Bastille » new yorkaise, [...]

-ً‫زرب ؤٿ ٍزوو‬٥‫اٹنٌ ا‬

l‟emploi de ce verbe dans deux contextes

" ، "‫ اٹٶٺٮخ‬٤‫ اٹٶالٻ ثو٭‬différents : le premier explique comment parle avec certains journalistes ."‫ َزؾلس ثٖال٭خ‬Sarkozy qu‟il connaît bien. Il s‟agit en fait

"‫ٵبڅڀ ٽَغىٿ يف "اٹجبٍزُٸ‬ [...] ٍ‫اٹڂُىَىهٵ‬

d‟établir une pseudo-complicité. Le deuxième décrit comment les policiers s‟adressaient aux professeurs et étudiants manifestants à la Sorbonne en 2006 en tentant de les en déloger238. Tenter de faire comprendre au lecteur la nature politique et arbitraire de cette détention, en comparant l‟incarcération de DSK à celle des prisonniers politiques de la Bastille, d‟autant plus que le contexte fait allusion à un éventuel coup fomenté par le président russe Vladimir Poutine, selon la déclaration d‟un député de Seine-Saint-Denis239.

Tableau 39: Des explicitations sur des connotations véhiculées par certains verbes

2.3.2.7. Des explicitations de connotations véhiculées dans certaines expressions Il s‟agit ici, non pas d‟un nom de groupe de personnes, ou de sociétés ou d‟écoles ni d‟un verbe, mais plutôt d‟une expression à connotation particulière que l‟auteur n‟explicite pas bien qu‟il la sous-entende dans son discours. Après avoir effectué l‟analyse de la pertinence de cette connotation, le traducteur tente de révéler ce sous-entendu nécessaire à la réalisation de la « plénitude du sens ». Voici une série d‟exemples sur cette catégorie de connotations infiltrées dans les phrases et les expressions.  Exemple nº 45 : « vigne qui pisse », « vin qui tache » Cet exemple est extrait d‟un compte rendu du MD août 2009, intitulé « Dans le train de la révolution œnologique » sur un livre intitulé « le Marché de l‟excellence, les grands crus à l'épreuve de la mondialisation ». Dans ce compte rendu, l‟auteur résume l‟idée générale de cette enquête menée sur la production de vins dans des terroirs comme l‟Anjou et le Languedoc. Le Languedoc est aujourd‟hui une terre pionnière de l‟économie viticole après avoir été secoué par des crises économiques et sociales violentes. Dans l‟énoncé suivant, l‟auteur parle de la mauvaise 238

Il faut savoir qu‟en langue arabe, on peut tutoyer les autres sans que cela ne choque personne. On peut également vouvoyer certaines personnes qui sont hiérarchiquement supérieures, mais ce n‟est pas une règle générale. Le tutoiement et le vouvoiement n‟ont pas la même résonance sociale qu‟en français. De plus, dans le deuxième cas de figure, quand la police tutoie des manifestants, il s‟agit plutôt de faire sentir que le rapport de force est en faveur de la police et que les manifestants n‟ont qu‟à bien se tenir. 239 La prise de la Bastille en tant qu‟événement emblématique de la révolution française est une référence culturelle suffisamment connue des électeurs arabes. Le traducteur semble tabler sur cette connaissance pour déduire la connotation politique implicite dans l‟emploi de ce verbe dans ce contexte. Pour évincer tout doute, nous serions enclins à écrire ceci :"ٍَ‫ ٵؾبٷ اٹَغڂبء ٍبثٲبً يف اٹجبٍزُٸ اٹٮوځ‬،ٍ‫ٵبٿ ٹٌُ بال ٍغُڂبً ٍُبٍُبً يف "هاَٶوى" األٽوَٶ‬-ً‫"ٍزوو‬, (Strauss-Kahn n‟est qu‟un prisonnier politique dans le « Rikers » américain, à l'instar d‟autres prisonnier jadis enfermés à la Bastille française).

Partie II : Chapitre IV : Les motivations des explicitations dans le corpus du MD 2001-2011

329

réputation qui était liée jadis aux vins produits dans cette région. Il utilise deux expressions populaires qui véhiculent cette connotation péjorative. Le traducteur tente de révéler tant bien que mal ce sens implicite à ses lecteurs. Or le Languedoc dévalorisé ‫لوٳ" اٹيت رجقٌ ؤقتُزهب‬٪‫واضتبٷ ؤٿّ "اٹالځ‬ de la « vigne qui pisse » et du « vin qui tache » a pris le ‫ڀ‬٥‫ڀ "اٹٶوٽخ اٹيت رجىّٷ" و‬٥ ‫ثبضتلَش‬ train de la révolution َٰ‫و‬ٝ ‫ ٱل ٍٺٶذ‬،"٤ّ‫"اطتپوح اٹيت رجٲ‬ œnologique. (MD août 2009)

Or, le Languedoc dont l‟importance est dévalorisée en parlant de la « vigne qu‟on fait pisser » et du « vin qui laisse des taches », a emprunté le chemin de la révolution .‫بدل اطتپىه‬٥ ‫ اٹضىهح يف‬dans le monde des vins.

Le traducteur semble avoir compris le sens de ces deux expressions, mais reste néanmoins très attaché à la formulation d‟origine qui, traduite littéralement ou presque, n‟évoque pas grandchose à la majorité des lecteurs arabes, ignorant de fait beaucoup de choses sur le monde œnologique. Si l‟on peut comprendre qu‟un vin laisse des taches, sans voir toutefois quel est l‟intérêt de la précision, on ne peut pas comprendre aisément ce que représente « une vigne qui pisse ». La tentative d‟explicitation du traducteur reste largement en deçà du besoin communicatif, puisqu‟elle ne révèle pas le « sous-entendu » qui se déclenche chez le lecteur natif. En effet, ces deux expressions consistent à critiquer un mode de culture en surproduction où la quantité du vin porte préjudice à la qualité. Tel était le cas des vins produits en Languedoc dans la deuxième moitié du 20e siècle, mais aujourd‟hui les vignobles languedociens produisent d‟excellents crus et vins AOC. Quant au vin qui tache, c‟est un raccourci du « gros rouge qui tache », expression très courante en français pour désigner un vin de table de qualité inférieure. Pour mieux élucider le sens connoté, nous proposons de démétaphoriser purement et simplement ces expressions, qui ne présentent aucun intérêt pour le lecteur arabe. Voici une traduction interprétative libre : Or le Languedoc dévalorisé de ‫ٍ اٹڂجُن يف بٱٺُټ الؾتىكوٳ‬٦‫ًن ؤٿ ٕبځ‬٩ la « vigne qui pisse » et du « vin qui tache » a pris le train ‫قټ‬ٚ‫ً ثةځزبعهټ اٹ‬ٚ‫و٭ىا ٭ُپب ٽ‬٥ ‫اٹنَڀ‬ de la révolution œnologique. ‫ٺً ؽَبة اصتىكح ٱل افزبهوا‬٥ ‫ٹٺڂجُن‬ (MD août 2009)

Or les viticulteurs du Languedoc, connus jusqu‟ici pour leur production en masse de vin au détriment de la qualité, ont choisi de profiter des progrès de ‫خ‬٥‫پٺُخ ٕڂب‬٥ ‫ىه يف‬ٞ‫ االٍزٮبكح ٽڀ اٹز‬l‟œnologie pour proposer .‫بٹُخ‬٥ ‫ اٹڂجُن ٹُٲلٽىا ستىهاً ماد عىكح‬aujourd‟hui des vins de qualité.

o D‟autres explicitations de connotations véhiculées dans des phrases Voici d‟autres exemples supplémentaires qui illustrent le souci des lecteurs du MD d‟expliciter les « sous-entendus » discursifs et culturels qui se dissimulent dans des expressions comme « le délit de faciès », « nettoyer les banlieues au Kärcher » ou dans des critiques implicites comme « les clients pigeons ».

Partie II : Chapitre IV : Les motivations des explicitations dans le corpus du MD 2001-2011 La connotation dans les expressions Ex. 1 « les chasses au faciès » (MD août 2006), « délit de faciès » (MD juillet 2001), (MD septembre 2008)

Ex. 2 « Je suis d‟accord pour nettoyer les banlieues au Kärcher. Mais je n‟oublie tout de même pas que je suis arabe. » (septembre 2007)

L‟explicitation fournie

La traduction en arabe

Respectivement : « toutes les chasses240 selon les traits des visages et la physionomie », « le contrôle répété de l‟identité selon les traits du visage », « adresser une accusation par avance à tout visage étranger ». « Je suis d‟accord pour nettoyer les banlieues au Kärcher [4], mais je n‟oublie pourtant pas que je suis arabe ». [4] Une note de l‟édition arabe : « Une sorte de nettoyeur à haute pression, du nom de son inventeur allemand ».

‫بهكاد‬ٞ‫ "ٍبئو اظت‬: ‫ٺً اٹزىارل‬٥ Expliciter ُٰ‫ "اٹزلٱ‬،"‫ٺً احملُب واٹْٶٸ‬٥ ‫بً ٹٲَپبد‬٦‫اظتزٶوه ٹٺهىَخ رج‬

‫ "رىعُڄ اٹزهپخ ٍٺٮبً ٹٶٸ‬،"‫اٹىعڄ‬

."‫وَت‬٩ ‫وعڄ‬

Le but recherché l‟explicitation

330 par

la connotation véhiculée par cette expression faisant souvent référence aux pratiques policières consistant à contrôler systématiquement les gens « de couleur » ou ceux d‟origine étrangère, sur la base de leur physique ou leur tenue vestimentaire. 241

٬ُ٢‫ٺً رڂ‬٥ ٰ‫ " ٭إځب ؤوا٭‬En explicitant ce qu‟est un

Kärcher, le traducteur espérait

‫خ‬ٍٞ‫ثىا‬

ٍ‫ىاؽ‬ٚ‫ اٹ‬donner au lecteur la clé de la de la ‫ مٹٴ‬٤‫ ٹٶڂٍّ ٽ‬،]4[ "‫ "اٹٶبهّو‬compréhension connotation implicite dans cet

."‫وثُخ‬٥ ‫ ال ؤځًَ ؤځّين‬énoncé. Or, celui-ci gagnerait en

:‫وثُخ‬٦‫خ ٽڀ اٹڂْوح اٹ‬٢‫[ ٽالؽ‬4] ‫ اٹيت‬٬ُ٢‫ٌ ٽڀ ؤعهيح اٹزڂ‬٣‫ځى‬

،‫برل‬٦‫ اٹ‬ٜ٪ٚ‫خ اٹ‬ٍٞ‫پٸ ثىا‬٦‫ر‬

clarté si le traducteur avait mis l‟accent sur la connotation ellemême, à savoir débarrasser les quartiers des banlieues des voyous et malfaiteurs qui y sévissent.242

.‫هب األظتبين‬٥‫ٍُپُذ ثبٍټ ؼتزو‬

240

le traducteur voudrait dire « la chasse aux visages suspects », comme les africains, les arabes, les rom, etc. ». En effet, la connotation véhiculée par cette expression n‟est pas toujours liée aux contrôles policiers. Elle se réfère généralement à toute sorte de discrimination au niveau des embauches, de la fréquentation de certains endroits branchés, etc. Pour traduire pleinement l‟expression « délit de faciès » en dehors des contextes spécifiques, nous proposons : "‫هټ ثَجت څُئزهټ ؤو ٽالثَهټ‬ٚ‫( "االّزجبڃ يف األّقبٓ ؤو ه٭‬suspecter ou rejeter des gens à cause de leurs traits physiques ou vestimentaires). De cette explicitation générale, on pourrait choisir le trait pertinent correspondant au besoin communicatif de chaque contexte pour la réduire au strict nécessaire. 242 Dans cet énoncé, toutes les problématiques précédentes sont représentées. Il y a un emploi éponymique, une comparaison implicite, une allusion et une connotation. Pour rendre le sens plus clair, nous l‟aurions traduit ainsi « je suis d‟accord avec Sarkozy pour nettoyer les cités des banlieues de leurs délinquants au Kärcher s‟il le faut, mais je n‟oublie cependant pas que je suis arabe » "‫وثُخ‬٥ ‫ ٹٶين ال ؤځًَ ؤين‬،‫ٖبثبد ثبٹٶبهًّن‬٦‫ىاؽٍ ٽڀ اٹ‬ٚ‫ ٽلٿ اٹ‬٬ُ٢‫ٺً رڂ‬٥ ٌ ‫ ٍبهٵىى‬٤‫"ؤرٮٰ ٽ‬. Nous reportons ensuite la même note du traducteur sur l‟appellation Kärcher, laissant le lecteur faire le parallèle entre les saletés qu‟on nettoie avec un Kärcher et ces bandes de délinquants qui créent l‟insécurité dans les cités. Dans le discours journalistique, l‟expression « nettoyer au Kärcher », employé par Sarkozy en 2005 quand il était ministre de l‟Intérieur lors d‟une visite en banlieue parisienne, a acquis une connotation brutale et méprisante. Depuis, d‟autres expressions sont apparues : « l‟école Kärcher » (MD septembre 2008) qui a été traduite par cette paraphrase explicitante "‫بٻ‬٢‫( "ٽلهٍخ دتبهً ٭ُهب اٹٲىح ٹٮوٗ اٹڂ‬l‟école où l‟on exerce la force pour imposer les règlements). 241

Partie II : Chapitre IV : Les motivations des explicitations dans le corpus du MD 2001-2011 Ex. 3 Sans le mentionner aux « pigeons » qui, eux, misaient sur la hausse de ces titres. (juillet 2010)

Sans informer « les pigeons » (les clients naïfs) qui misaient sur la hausse de la valeur de ces titres

331

‫الٻ "اضتپبئټ" (اٹيثبئڀ‬٥‫ وكوٿ ب‬Préciser ‫اٹَنّط) اٹنَڀ هاؽىا َواڅڂىٿ‬ .‫ ٱُپخ څنڃ اٹَڂلاد‬٣‫ٺً اهرٮب‬٥

la signification péjorative de ce terme, à savoir les clients dupes qui se sont fait escroqués par le financier Madoff. Une telle précision s‟impose car la connotation liée au terme « pigeon » en arabe évoque plutôt la valeur de la paix, tout comme la colombe en français243.

Tableau 40: Des explicitations sur des connotations véhiculées par des expressions

2.4. La problématique des constructions elliptiques En vertu du principe d‟économie du langage et de coopération interprétative du Lecteur Modèle, l‟expression linguistique se fait souvent elliptique, concise, sans rien perdre de sa pertinence ni de sa teneur informative. Concrètement, les constructions elliptiques, telles que nous les entendons dans le présent travail, prennent diverses formes, à savoir : les mots condensés, les sigles et acronymes, les ellipses, les relations anaphoriques, les liens logiques de causalité, de subordination sous-tendant une argumentation sans être exprimés linguistiquement de façon assez développée, etc. À la base de cette problématique réside le concept de la cohésion et de la cohérence244 qui a fait couler beaucoup d‟encre dans la littérature traductologique et dont nous avons longuement traité dans le chapitre II. Le point focal de toutes ces études consistait à dire que l‟explicitation permettait de renforcer la cohésion d‟un syntagme, d‟un énoncé et partant, la cohérence de tout le texte. Cela est rendu possible grâce au travail interprétatif du traducteur qui complète ces ellipses et éclaircit les implicites textuels, les « interstices blancs », ce qui rend la compréhension aisée et la lecture fluide. Pour ce faire, le traducteur est souvent amené à préciser l‟objet d‟un renvoi textuel, à 243

Cependant, en français, dans un contexte pareil, un pigeon, c‟est une dupe. On ne pense plus à l'oiseau qu‟on ne pense à une souris dans chauve-souris ! Le traducteur aurait pu effectuer une traduction interprétative qui ferait passer efficacement le sens sans traduire littéralement le terme « pigeon » et devoir par conséquent l‟expliciter pour éviter la confusion. Nous mentionnons cependant cet exemple ici car nous pensons que cette connotation était la motivation de cette explicitation. 244 Baker estime que la cohésion porte sur les relations textuelles ; elle est étroitement liée à l‟interprétation que le lecteur en donne (Baker 1992 : 218). Pour Delisle, la cohésion se situe au plan linguistique de l‟expression et est perçu comme une : « qualité linguistique d‟un « texte » ou d‟un « énoncé » assuré par les liens grammaticaux et lexicaux unissant les mots d‟une phrase ou les phrases entre elles » (Delisle et al., 1999 : 19) . Cette qualité fait qu‟un texte n‟est pas une simple suite ou juxtaposition d‟énoncés, mais « un réseau où s‟établissent des rapports fonctionnels assurant le cheminement de la communication et de la pensée dans une direction donnée » (Brunette 1995 : 153). Cette cohésion crée ce qu‟Adam (1987 : 58) appelle « l‟effet de texte ». En revanche, Delisle considère la cohérence comme « une propriété textuelle liée à l‟articulation, à l‟enchainement logique des idées ou notions véhiculées par le texte, généralement appréhendée à l‟échelle globale, macrotextuelle où elle est qualifiée d‟organicité textuelle (Delisle 1984 : 198-203). Elle porte donc sur les relations conceptuelles (Baker 1992) et sur la liaison voire la subordination des idées ou représentations sous-jacentes à toute formulation, et dépend de l‟interprétation du lecteur. Ces deux concepts contribuent à l‟émergence du sens du texte et il faut donc en tenir compte pour traduire et avant d‟expliciter.

Partie II : Chapitre IV : Les motivations des explicitations dans le corpus du MD 2001-2011

332

décliner les référents déictiques dans le texte en rétablissant par exemple le nom à la place du pronom, à verbaliser un rapport de causalité, à compléter un qualificatif sous-entendu, etc. Derrière la banalité apparente de ces éléments textuels, leur traitement par l‟explicitation fait apparaître toute l'importance de la prise en compte du contexte verbal et la capacité d‟anticipation que doit avoir le traducteur des moindres risques interprétatifs. Ainsi, le traducteur assure la cohésion interne et la cohérence générale du sens en dénouant l‟équivoque et en comblant les lacunes. En plus de ces relations anaphoriques et liens logiques implicites qui se faufilent plus ou moins dans le texte, on rattache à la problématique des constructions elliptiques certains sigles et acronymes, dont il faut presque toujours expliciter les initiales. Le sigle est la réduction d‟une unité complexe aux initiales de ses éléments constituants (Ballard 2004 : 95). L‟acronyme est une variété de sigle. Il s‟en distingue par le fait qu‟il est prononcé comme un mot ordinaire (le Petit Robert), et non lettre par lettre comme le sigle. L‟importance des sigles dans la langue contemporaine est considérable et va croissant. Un locuteur natif utilise spontanément des mots créés par un processus de siglaison, tels que H.L.M ou un R.S.A, qui reflètent souvent des réalités culturelles. On constate parfois qu‟ils peuvent donner lieu à des dérivations ultérieures, ce qui ne facilite guère leur traduction pour le public cible. La catégorie des sigles et acronymes se compose d‟éléments disparates, renvoyant à des noms propres, à des concepts culturels, à des jeux de mots, à des expressions linguistiques spécifiques, ce qui en fait une catégorie fourre-tout. Nous avons traité certains de ces éléments sous les problématiques précédentes, mais ce qui nous intéresse ici, c‟est de soulever l‟aspect quasi systématique de l‟explicitation de ces constructions elliptiques, peu importe la fonction qu‟elles assurent dans le texte. En effet, l‟explicitation des sigles et des autres formes d‟abréviation, comme les syncopes et les ellipses, est souvent une nécessité en arabe car les normes de cette langue ne supporte pas les abréviations : « Arabic resists most acronyms and explicates them (Newmark 1988 : 148) ». L‟explicitation ne porte donc pas exclusivement sur la réexpression complète des initiales des sigles ou des acronymes, mais aussi sur la fonction ou la particularité du référent désigné par ce sigle. À présent, nous allons fournir différents exemples illustrant les cas de figures énoncés cidessus. Commençons par cet exemple sur l‟explicitation d‟un lien logique, basée sur l‟interprétation contextuelle d‟un renvoi textuel, qui s‟avère nécessaire pour dissiper un éventuel risque d‟ambiguïté.  Exemple nº 46 : les arabes des banlieues Cet exemple est extrait d‟un article du MD septembre 2007, intitulé « A bord du « Marrakech Express », les Marocains rentrent au bled », où l‟auteur raconte les discussions qui se déroulent entre les voyageurs maghrébins empruntant la ligne maritime Sète-Tanger pour rentrer dans leur pays. Il cherche à montrer la grande diversité que dessinent les différentes couches d‟immigrés, loin de toute image généralisante d‟une prétendue « communauté magrébine ». Dans cet énoncé,

Partie II : Chapitre IV : Les motivations des explicitations dans le corpus du MD 2001-2011

333

l‟auteur explique l‟avis de l‟une des personnes voyageant à bord du navire en direction de Tanger sur les Arabes du Maroc et ceux des cités en France. La formulation de la phrase comporte un risque de confusion que le traducteur tente d‟éluder dans le texte arabe, moyennant une explicitation interne. Il chuchote : « Vous savez, les ‫وة‬٥ ّ‫ ٭ةٿ‬،‫ٺټ‬٦‫ "ٵپب ر‬:ٌ‫وَهپ‬ Arabes du Maroc n‟ont rien à voir avec les Arabes des ٍ‫ىاؽ‬ٚ‫وة اٹ‬٦‫الٱخ عتټ ث‬٥ ‫وة ال‬٪‫اظت‬ banlieues. Ils sont respectueux. ."‫ ٭هټ ػتزوٽىٿ‬.)‫(يف ٭وځَب‬ » (MD septembre 2007)

Il chuchote : « comme vous le savez, les Arabes du Maroc n‟ont rien à avoir avec les Arabes des banlieues (en France). Ils sont respectueux. »

L‟ambiguïté découle du fait de mentionner les arabes du Maroc et ceux de banlieues dans la même phrase, sans préciser clairement que ces derniers sont installés dans les banlieues des grandes villes françaises. L‟ajout de la mention « en France » résout le problème et la comparaison établie entre ces deux catégories d‟Arabes gagne davantage en clarté. Il est vrai que les lecteurs arabophones connaissent un peu plus les problèmes des banlieues, notamment après les émeutes de 2005, ce qui permet de saisir le sens pertinent de l‟énoncé sans se méprendre sur les deux types d‟Arabes qui y sont désignés. Cependant, la présence de cette explicitation atteste de l‟estimation faite par le traducteur de l‟existence d‟un risque éventuel de confusion. Tout est question d‟évaluation du risque. Dès lors, tous les choix sont défendables et envisageables. En tous cas, cet ajout économe renforce la cohésion, d‟autant plus qu‟il permet aux lecteurs arabes du MD de ne pas se sentir visés ou insultés par cette réflexion désobligeante sur les Arabes. 2.4.1. Des explicitations de sigles et acronymes Comme nous l‟avons évoqué plus haut, l‟explicitation des initiales de ces abréviations est une norme linguistique et une nécessité traductive. Mais elle ne se limite pas seulement à cela. Sur la base de leur interprétation de la fonction discursive de ces sigles et acronymes, les traducteurs n‟hésitent pas à injecter un supplément précisant le sens voulu, même s‟il ne fait pas partie des initiales officielles. Voyons comment indiquer aux lecteurs arabophones le sens pertinent des sigles comme « CSP+ », « des RTT », ou d‟appellation forgées à base d‟acronymes comme « des normaliens » et énarques».

334

Partie II : Chapitre IV : Les motivations des explicitations dans le corpus du MD 2001-2011 Les sigles et acronymes Ex. 1 Avec cette course aux « CSP + » (MD janvier 2007)

L‟explicitation fournie Avec cette course aux professions libérales supérieures

Ex. 2 Les salariés peuvent « racheter » les jours de RTT (MD juin 2008)

Les salariés peuvent acheter les jours de travail excédent le seuil maximum (les jours de réduction du temps de travail), RTT ». Les habitations sociales à bas loyers

Ex. 3 Les HLM (MD décembre 2008)

245

La traduction en arabe

Le but recherché par l‟explicitation

ً‫ٺ‬٥ ‫ څنا اٹَجبٯ‬٤‫ وٽ‬Donner une indication plus pertinente sur la catégorie

à

laquelle

s‟intéressent

les

‫بٹُخ‬٦‫ اظتهڀ اضتوح اٹ‬publicitaires, à savoir les cadres, les avocats,

‫بٽٺىٿ‬٦‫ اٹ‬٤ُٞ‫"بم ََز‬

‫خ‬ٚ‫پٸ اٹٮبئ‬٦‫ّواء ؤَبٻ اٹ‬ ‫ٺً اضتل األٱًٖ (ؤَبٻ‬٥

.")‫پٸ‬٦‫رٲٺُٔ ٽلح اٹ‬

‫ُخ‬٥‫االعزپب‬

‫اظتڂبىٷ‬

‫خ اإلكتبه‬ٚ‫اظتڂقٮ‬

les médecins, les informaticiens, les professions intellectuelles supérieures, les commerçants, etc. Une simple explicitation des initiales du sigle n‟éclaircit pas assez le sens voulu.245 Rendre le sens de l‟énoncé plus intelligible et plus cohérent en précisant qu‟il s‟agit d‟échanger les heures effectuées au-delà de la durée légale du travail (les 35h par semaine) contre des jours de repos ou une prime, comme le précise ensuite le cotexte.246 Révéler un aspect caractéristique de ce type de logements, en plus de loyers bas, à savoir que ce sont des logements sociaux, c'est-àdire attribués selon des critères sociaux pour aider ceux qui sont dans le besoin, et non pas de simples logements à loyers modérés. La traduction des initiales HLM ne révèlent pas ce trait pertinent.

Il est à noter que la plupart des traducteurs du MD se sont contentés de traduire littéralement les mots dont se compose ce sigle : « catégories socio-professionnelles supérieures » "‫ٺُب‬٦‫ُخ اظتهڂُخ اٹ‬٥‫( "اٹٮئبد االعزپب‬MD décembre 2010) ou "‫بٹُخ وٽب ٭ىٯ‬٦‫ُخ اظتهڂُخ اٹ‬٥‫( "اٹٮئبد االعزپب‬MD mars 2010), ou encore "‫ٺُب‬٦‫ُخ اٹ‬٥‫( "اٹْوائؼ االٱزٖبكَخ االعزپب‬les tranches économiques et sociales supérieures) (MD juin 2007). Du point de vue de la forme, toutes ces traductions sont des explicitations, vu qu‟elles comportent une partie explicite plus développée et qu‟il n‟existe pas en arabe une traduction attestée ou consacrée par l‟usage, ce qui explique d‟ailleurs la différence de reformulation d‟un traducteur à l'autre. Néanmoins, du point de vue de la pertinence sémantique, ces choix traductifs restent moins évocateurs que celui précisant qu‟il s‟agit de professions libérales supérieures. Cette dernière traduction révèle plus ou moins le trait pertinent qui se cache derrière cette appellation. Le but ultime de chaque explicitation étant de révéler le sens voulu de façon claire et non seulement d‟expliciter les initiales des sigles. 246 Ce choix n‟a pas été toujours privilégié par les autres traducteurs du MD. Indépendamment de l‟apport cognitif du contexte, ce sigle a toujours été rendu par une traduction des mots dont il se compose "‫پٸ‬٦‫( "ختٮُ٘ وٱذ اٹ‬réduction du temps de travail) (MD avril 2007, novembre 2008). Cette traduction peut bien permettre l‟inférence du sens voulu pour le lecteur attentif, mais au prix d‟un effort important d‟interprétation. Car il faudrait disposer de suffisamment d‟informations extralinguistiques sur l‟organisation du travail en France, la semaine de 35h, la conversion des heures supplémentaires, etc. L‟explicitation faite dans le MD juin 2008 réduit ces efforts et canalise mieux la pensée du lecteur, ce qui consolide la cohérence des propos.

Partie II : Chapitre IV : Les motivations des explicitations dans le corpus du MD 2001-2011 Ex. 4 Tous les normaliens ne deviennent pas journalistes. Tous les énarques ne rachètent pas Le Monde avec la fortune accumulée dans les affaires. (MD août 2011)

Tous les diplômés de l‟école normale supérieure ne deviennent pas journalistes et tous les diplômés de l‟école nationale de l‟administration n‟achètent pas des actions dans le journal Le Monde avec la fortune qu‟ils ont accumulé dans le domaine des affaires.

Ex. 5 « [...] plan B » aurait été établi par Bruxelles... (MD mars 2010)

[...] Il existe un plan alternatif (le plan B) qui est en cours à Bruxelles,...

335

‫ ال َزؾىّٷ ٵب٭خ اظتزقوّعٌن‬Identifier clairement les référents désignés

par ces deux acronymes. grâce a cette

‫ٺُب بذل‬٦‫ٺّپٌن اٹ‬٦‫ ٽڀ كاه اظت‬explicitation et au contexte, le lecteur à comprendre qu‟ils s‟agit de ٌ‫ وال َْزو‬.‫ اٹٖؾب٭خ‬parvient personnes hautement qualifiés et destinés à ‫ٽڀ‬

‫اظتزقوّعٌن‬

‫ ٵب٭خ‬occuper

‫ڂُخ ٹإلكاهح‬ٝ‫اظتلهٍخ اٹى‬

‫يف‬

،Monde

ً‫ؤٍهپب‬

‫ٕؾُٮخ‬

‫ثبٹضووح اٹيت ؽٲّٲىڅب يف‬

.‫پبٷ‬٥‫غتبٷ األ‬ ‫ثلَٺخ‬

‫خ‬ٞ‫ف‬

des hautes fonction dans l‟administration et dans l‟enseignement. Il déduira également le sens ironique implicite, à savoir que certaines personnes de cette élite tentent de se frayer un chemin dans le domaine des affaires (journalisme, actions) pour servir leurs intérêts et aspirations au lieu de servir l‟état. 247

‫ "وعىك‬Révéler le sens de cette expression siglée pour aider le lecteur à capter le sens global

‫خ ة) رَوٌ يف‬ٞ‫ (اطت‬de l‟énoncé : le sommet européen a déjà un éventuel échec des négociations ...،"‫ ثووٵَٸ‬prévu avec les pays en crise en élaborant un autre plan de sortie qui pourrait mieux convaincre les Européens. 248

Tableau 41: Des explicitations sur des sigles et acronymes

2.4.2. Des explicitations de liens anaphoriques Il ne s‟agit pas d‟apporter une information extralinguistique jugée inconnue des lecteurs cibles, mais plutôt de préciser un lien anaphorique que le lecteur risque de ne pas pouvoir identifier aisément. Pour éviter un risque d‟ambiguïté et réduire les efforts interprétatifs que cette déduction exige du lecteur arabe, le traducteur précise le référent visé. Voici une série d‟exemples illustrant les différents cas de figures relevées dans le corpus du MD.  Exemple nº 47 : Qui dit quoi ? Cet exemple est extrait d‟un article du MD avril 2008, intitulé « L‟Université féodale de demain » où l‟auteur critique les reforme hâtives entreprises par la nouvelle ministre de l‟Enseignement Supérieur Mme Pécresse. Celle-ci a tendance à interpréter l‟opposition de certains universitaires à ses reformes comme un refus du changement, sans se rendre compte que ses propositions manquent de profondeur et ne font qu‟aggraver la situation. Dans cet énoncé, l‟auteur fait parler la ministre en imaginant ses réponses hâtives sur des questions importantes et 247

Si le contexte ne favorisait pas l‟inférence de ce sens, il aurait été judicieux d‟ajouter une note révélant la connotation liée à ces deux catégories, à savoir qu‟elles désignent les diplômés d‟écoles prestigieuses destinés à former des élites qui intègrent les hauts postes dans la fonction publique. Ce halo de signification s‟actualise souvent chez le lecteur natif à la lecture de ces deux acronymes. 248 Il faudrait noter que la traduction littérale du « plan B » peut être comprise chez la plupart des lecteurs arabes, mais le traducteur a voulu s‟assurer que le sens exact soit bien compris de tout le monde. Néanmoins, la traduction de l‟expression siglée « Système D » par l‟équivalent linguistique "‫بٻ ك‬٢‫"اٹڂ‬, n‟a pas de chance d‟être comprise sans explicitation ou sans une indication claire par le contexte. D‟où le recours des traducteurs à d‟autres explicitations comme « le système D, de la débrouillardise »" ‫بهح‬ْٞ‫ اٹ‬،‫بٻ ك‬٢‫( "ځ‬MD janvier 2006, octobre 2010).

Partie II : Chapitre IV : Les motivations des explicitations dans le corpus du MD 2001-2011

336

son insistance à faire porter le chapeau aux dirigeants de ces institutions poussiéreuses qui ne veulent rien changer à la situation. Mais l‟université est pleine de ‫خ ٽٺُئخ‬٦‫ وٹٶڀّ (حبَت اٹىىَوح) اصتبٽ‬Mais (selon la ministre) l‟université conservateurs ennemis du est pleine de conservateurs ennemis . ‫ًُن‬٪‫ٹٺز‬ ‫بكَڀ‬٦ُ ‫ظت‬ ‫ا‬ ‫ٌن‬٢‫ثبحملب٭‬ changement. (MD avril 2008) du changement.

Pour bien préciser cette idée, le traducteur rappelle qu‟il s‟agit là des propos de la Ministre. En effet, sans cette explicitation de la relation anaphorique, le lecteur se serait éventuellement mépris sur l‟auteur de cette assertion en croyant par exemple qu‟elle émane de l‟auteur du texte. En outre, l‟absence de guillemets pour indiquer qu‟il s‟agit d‟une citation est justifiée, car il ne s‟agit que d‟un scénario imaginaire. Néanmoins, le lecteur averti aurait pu déduire cette relation anaphorique, mais au prix d‟une relecture intégrale de tout le passage précédent et cela lui aurait été d‟autant plus difficile que le traducteur n‟a pas pris le soin dès le début de préciser qu‟il s‟agissait d‟un dialogue inventé par l‟auteur pour railler la position de la ministre. o D‟autres explicitations de liens anaphoriques Pour des raisons différentes, parfois justifiées, parfois moins défendables, les traducteurs du MD ont été amenés à préciser des liens anaphoriques ou de renvois textuels dans leurs textes traduits alors même qu‟ils étaient déjà assez explicites dans les textes d‟origine. Voyons ce qu‟il en est. Les liens anaphoriques Ex. 1 [...] l‟Etat met à la disposition des Eglises, et notamment de la catholique, un immense parc immobilier, qui sera de plus entretenu par lui (MD août 2003)

L‟explicitation fournie [...] l‟Etat met à la disposition des Eglises, et notamment celles catholiques, d‟immenses propriétés immobilières, dont elle(l‟état) assure, de plus, l‟entretien.

La traduction en arabe

‫ يف‬٤ٚ‫٭بٿ اٹلوٹخ ر‬ ،ٌ‫اٹٶڂبئ‬

٫‫رٖو‬

٣‫واٹٶبصىٹُٶُخ ٽڂهب ثڂى‬

‫ٲبهَخ‬٥ ‫ ؽتزٺٶبد‬،ٓ‫فب‬

)‫ څٍ (اٹلوٹخ‬،‫قپخ‬ٙ .‫راٽڀ ُٕبځزهب ٭ىٯ مٹٴ‬

Le but recherché par l‟explicitation Préciser que c‟est l‟Çtat qui accorde aux églises un parc immobilier et que c‟est également l‟Çtat qui s‟occupe de son entretien. Le mot « état » étant féminin en arabe, ceci permet d‟éviter une éventuelle ambiguïté due à la référence déictique dans l‟emploi du pronom féminin « elle » en arabe.249

En fait, il n‟est pas exclu que certains lecteurs croient que le pronom arabe "ٍ‫( "څ‬elle) se rapporte aux églises, car ce pronom peut désigner, dans le langage courant, aussi bien le singulier du féminin que son pluriel (l‟état, les églises ٌ‫ اٹٶڂبئ‬، ‫)اٹلوٹخ‬. Néanmoins, le traducteur aurait pu écrire simplement le mot « état » sans répéter le pronom "ٍ‫"څ‬, à l'origine de cette confusion. Décidément, l‟attachement du traducteur au calque syntaxique s‟est avéré contreproductif. 249

337

Partie II : Chapitre IV : Les motivations des explicitations dans le corpus du MD 2001-2011 Ex. 2 « A la Libération, le conseil municipal socialocommuniste donna à plusieurs voies importantes les noms de morts de la Résistance » (MD juin 2011)

« A la Libération de l‟occupation allemande, le conseil municipal socialocommuniste a donné les noms de morts de la Résistance à plusieurs rues importantes »

‫ٽڀ‬

‫اٹزؾوَو‬

‫ڂل‬٥" Rappeler au lecteur qu‟il s‟agit de la

libération

de

l‟occupation

‫ذ‬ٞ٥‫ ؤ‬،‫ االؽزالٷ األظتبين‬allemande. Les voies importantes Paris ont donc pris les noms des -‫االّزواٵُخ‬ ‫ اٹجٺلَخ‬de martyrs tombés lors de la résistance ‫ُخ ؤشتبء ّهلاء‬٥‫ اٹُْى‬face à cette occupation. Cette information

est

déductible

du

‫لَل ٽڀ‬٦‫ اظتٲبوٽخ بذل اٹ‬contexte, mais il fallait remonter ."‫ اعتبٽخ‬٣‫ اٹْىاه‬trois paragraphes plus haut pour

s‟en rendre compte. Il existe donc un risque d‟ambiguïté que le traducteur a voulu d‟emblée éviter.250

Tableau 42 : Des explicitations sur des liens anaphoriques

2.4.3. Des explicitations d‟ellipses Il s‟agit des cas où les auteurs mentionnent certains concepts ou termes sans préciser le qualificatif ou le complément qui va avec, en comptant sur les informations présentes dans le cotexte. Ces épithètes manquantes sont souvent déductibles du contexte, mais par souci de conformité aux normes stylistiques arabes et pour faciliter l‟intelligibilité du discours, les traducteurs arabes tendent souvent à compléter ces énoncés. Ainsi, la phrase arabe gagne en clarté et le lecteur gagne du temps puisque le traducteur, lui, a déjà rempli les blancs qui pouvaient entraver son processus interprétatif. Voici une série d‟exemples qui le confirment.  Exemple nº 48 : le veto à toute audience (quelle audience ?) Cet exemple est extrait d‟un article du MD octobre 2009, intitulé « Les parts d‟ombre du paradis danois » où l‟auteur analyse l‟efficacité et la viabilité du modèle politique et social nordique. En effet, les Danois commencent à douter de leur système : la fameuse « flexisécurité » se mue en mobilité plus grande et en sécurité plus réduite, les classes moyennes réclament une baisse des impôts, et ne veulent plus payer pour les pauvres, et enfin l‟extrême droite pousse à prendre des mesures restrictives à l'égard des immigrés. Dans l‟énoncé suivant, l‟auteur révèle les coulisses politiques en rapport avec la gestion de la crise des caricatures blasphématoires qui montre le poids de l‟extrême droite au Danemark. Pour l‟auteur, le refus de Rasmussen d‟interdire la publication de ces caricatures n‟était pas seulement motivé par la défense de la liberté d‟expression, mais aussi et surtout par le refus de la dirigeante du parti populaire danois, le DF de toute discussion avec les ambassadeurs des pays musulmans à propos de cette affaire. Le traducteur se heurte ici à une ellipse dont le sens risque de ne pas être très bien compris des lecteurs arabes s‟il n‟est pas explicité.

250

Pour le lecteur natif connaissant cet épisode de l‟histoire de France, il dispose de suffisamment d‟informations contextuelles pour orienter son interprétation dans le bon sens. Mais pour un lecteur arabe, peu versé dans l‟histoire moderne, le risque de confusion le guette dès que la formulation se fait elliptique, comme c‟est le cas ici. Grâce à l'ajout de deux mots, le sens devient très clair.

Partie II : Chapitre IV : Les motivations des explicitations dans le corpus du MD 2001-2011

Mme Pia Kjærsgaard [...] ‫[ واٹٲبئلح‬...] ،‫بهك‬٪ٍ‫اٹَُلح ثُب ٵغبه‬ toute puissante dirigeante du DF, avait mis son veto à ‫ ٱل‬،"ٍ‫ت اٹلفتبهٵ‬٦ْ‫اٹٲىَّخ علاً ضتية "اٹ‬ toute audience. (MD ‫ٷ ٹٺَٮواء‬ ٍ ‫ٺً ؤٌّ اٍزٲجب‬٥ ‫ذ ٭ُزى‬٦ٙ‫و‬ octobre 2009)

.‫اظتَٺپٌن‬

338

Mme Pia Kjærsgaard [...] toute puissante dirigeante du parti « le peuple danois », avait mis son veto à toute réception des ambassadeurs musulmans.

Le traducteur rétablit dans le nouveau rapport explicite/implicite de la phrase en arabe ce que l‟auteur avait pensé pouvoir laisser dans l‟implicite. Cette explicitation se base sur l‟interprétation du sens de l‟énoncé et de tout le contexte. Comme pour toutes les explicitations textuelles, ces ajouts visent à réduire les efforts interprétatifs des lecteurs et par conséquent rendre le texte plus intelligible et plus fluide. Remarquons également que cet ajout s‟intègre parfaitement dans le fil du texte, sans être inséré entre parenthèses ou guillemets, parce que le traducteur est persuadé qu‟il n‟ajoute rien de son propre chef ou suite à une recherche documentaire sur des référents étrangers au lecteur cible. Il ne fait qu‟énoncer clairement ce qui a été dit de façon très succincte dans l‟énoncé. o D‟autres explicitations d‟ellipses textuelles Voici encore d‟autres exemples relevés dans les différents articles du MD illustrant les tentatives des traducteurs pour rétablir un bon rapport explicite/implicite apte à faire surgir le sous-dit du texte, sans redondance ni prise de risque d‟ambiguïté. Par l‟ajout d‟un simple adjectif ou un court syntagme qualificatif, la lisibilité s‟accroît et l‟inférence se déroule dans des conditions optimales. L‟épithète manquant Ex. 1 « [...] autant d‟occasions de cultiver les réseaux et de parler business sans en avoir l‟air » (MD mars 2010)

L‟explicitation fournie « [...] autant d‟occasions de consolider les relations sociales et de conclure des marchés sans que personne ne s‟en rende compte ».

La traduction en arabe

Ex. 2 Les deux jeunes traders sont au centre de scandales qui symbolisent les dérives de la finance. (MD juin 2010).

Les voilà, les deux jeunes intermédiaires financiers au cœur des scandales qui symbolisent les dérives du système financier mondial

‫اٹْبثّبٿ‬

‫يَي‬٦‫ٹز‬

‫ُخ‬٥‫االعزپب‬

Le but recherché par l‟explicitation

‫ "ٽڂبٍجبد‬Préciser d‟après le contexte quels types

de réseaux se nouent à l'occasion des

‫الٱبد‬٦‫ اٹ‬rencontres dans les loges VIP, lors des importants du XV de France. ‫ وإلعواء اٹٖٮٲبد كوٿ‬matchs Ce genre de rencontre fait désormais ."‫ مٹٴ ؤؽل‬٠‫ ؤٿ َالؽ‬partie de l‟esprit mercantile qui prime sur l‟esprit sportif.

‫قتب‬

‫ وڅب‬Préciser que ces dérives touchent tout

le système mondial et non celui de

‫بٿ اظتبٹُّبٿ يف ٱٺت‬ٍُٞ‫ اٹى‬certains pays. le sens global consiste à que, vu la fragilité de ce système, ‫بئؼٍ روٽي ٹزغبوىاد‬ٚ‫ ٭‬dire il suffit de peu de chose pour .ٍّ‫بظت‬٦‫بٻ اظتبرل اٹ‬٢‫ اٹڂ‬provoquer une crise planétaire. Les

activités frauduleuses de ces deux jeunes traders en sont un exemple « probant ».

339

Partie II : Chapitre IV : Les motivations des explicitations dans le corpus du MD 2001-2011 Ex. 3 « [des labels] se mettent en réseau comme Tribe Records, fondé en 1971 par des musiciens de Detroit, dont l‟objectif est de fédérer les énergies de la communauté ». (MD septembre 2011)

« [des marques commerciales] se mettent dans le réseau Tribe Records, fondé en 1971 par des musiciens de Detroit qui cherchent à fédérer les énergies de la communauté noire ».

‫پٺذ‬٥ [‫ ]ٽبهٵبد جتبهَخ‬Préciser de quelle communauté il s‟agit dans ce contexte. En effet, l‟initiative

Tribe ‫پڀ ّجٶخ‬ٙ menée par des chanteurs de jazz libre, de certains collectifs créés dans ‫اٹيت‬ Records issus les ghettos, vise à réunir les efforts de

1971 ‫بٻ‬٥ ‫ رإٍَّذ‬la communauté noire aux États-Unis. Ce rappel intertextuel ne fait que

‫ٺً َل ٽىٍُٲٌُن ٽڀ‬٥ renforcer la cohésion de l‟énoncé et ‫ىا بذل‬٦ٍ ‫ كَزووَذ‬remettre le lecteur sur la bonne voie

d‟interprétation après avoir été un peu

‫خ‬٥‫بٱبد اصتپب‬ٝ ‫ رىؽُل‬détourné de l‟objet principal par des .‫ اٹَىكاء‬détails secondaires. Tableau 43: Des explicitations sur des ellipses

2.4.4. Des explicitations de liens logiques Dans ce cas de figure, il ne s‟agit pas d‟apporter une information extralinguistique jugée inconnue des lecteurs cibles, mais plutôt de préciser une information contenue dans le texte même, mais jugée plus ou moins difficile à déduire. Cette information joue souvent un rôle crucial pour élucider un rapport de cause à effet ou un argument sous-entendu. Pour éviter un risque d‟ambiguïté, un manque de cohésion et réduire les efforts interprétatifs que la déduction du rapport de causalité aurait exigés du lecteur arabe, le traducteur explicite le lien logique, assurant ainsi la bonne entente et la fluidité de la lecture. Voici une série d‟exemples illustrant les différents liens logiques explicités. Les liens logiques Ex. 1 « Il est vrai qu‟un chômeur qui rentre en formation sort des statistiques, ce qui n‟incite pas l‟Etat au contrôle » (MD février 2008)

L‟explicitation fournie « Il va sans dire qu‟un chômeur qui commence un acte de formation sort des statistiques (en tant que chômeur), « ce qui n‟incite pas le gouvernement à faire sa mission de contrôle ».

La traduction arabe

Ex. 2 [il] allait jusqu‟à s‟en prendre aux conservateurs d‟outreRhin, incapables selon lui d‟éviter un « dérapage salarial en Allemagne. (MD avril 2007)

[il] allait jusqu‟à critiquer les « conservateurs » en Allemagne, incapables, à son avis, d‟éviter un « dérapage des salaires là-bas (vers le haut).

"‫ٌن‬٢‫ بذل ؽلّ اځزٲبك “احملب٭‬Préciser dans quel sens s‟effectue ce

en

Le but recherché par l‟explicitation

‫ٸ‬ٝ‫ب‬٦‫ وٽڀ ځب٭ٸ اٹٲىٷ ؤٿ اٹ‬Insister sur le fait que les chiffres du chômage publiés par l‟Çtat donnent une

‫پٺُخ‬٥ ‫پٸ اٹنٌ َجلؤ‬٦‫ڀ اٹ‬٥ image biaisée de la réalité. En effet, cette déclaration de l‟ancien ‫ٽڀ‬ ‫متوط‬ ‫ رلهَت‬selon directeur de l‟ANPE, les chômeurs en ،)‫ٸ‬ٝ‫ب‬٦‫(ٵ‬

‫ اإلؽٖبئُبد‬cours de formation ne sont plus pris en

compte dans les statistiques alors qu‟ils

٤‫ "األٽو اٹنٌ ال َل٭‬devraient l‟être. Grâce à ce bref ajout, le ‫ اضتٶىٽخ بذل اٹٲُبٻ مبهپّزهب‬sens de l‟énoncé gagne en clarté et

."‫يف اظتواٱجخ‬

cohérence.

dérapage

salarial,

en

l‟occurrence

‫بعيَڀ ثوؤَڄ‬٦‫ اٹ‬،‫ يف ؤظتبځُب‬l‟augmentation des salaires en Une hausse que Pierre "‫ڀ رٮبكٌ "اځيالٯ األعىه‬٥ Allemagne. Bérégovoy, alors ministre mitterrandiste

.)ً‫ٺ‬٥‫ څڂبٳ (ؿتى األ‬de l‟économie et des finances, critiquait sévèrement.

Partie II : Chapitre IV : Les motivations des explicitations dans le corpus du MD 2001-2011 Ex. 3 Sur l‟ensemble de l‟académie, 10 % des élèves bénéficient chaque année d‟une dérogation. C‟est peu. (MD décembre 2005)

Ex. 4 M. Daniel CohnBendit s‟est présenté en France parce qu‟il était soumis en Allemagne à une règle de limitation de la durée des mandats. (MD octobre 2009)

Sur l‟ensemble de l‟académie de Bordeaux, 10 % des élèves bénéficient chaque année d‟une demande de dérogation (s‟inscrire dans une école autre que celle de son quartier). Le taux est bas.

M. Daniel CohnBendit s‟est présenté en France parce qu‟il était soumis en Allemagne à une règle de limitation de la durée des mandats (car il possède les deux nationalités).

340

،‫ٺً غتپٸ ؤٵبكنتُخ ثىهكو‬٥ Renforcer la cohésion de cet énoncé, en

montrant aux lecteurs arabes ce que

‫الة‬ٞ‫ ثبظتئخ ٽڀ اٹ‬10 signifie une « demande de dérogation ». effet, ce supplément d‟information ‫ ََزٮُلوٿ ٵٸّ ٍڂخ ٽڀ‬En constitue la clé de la compréhension de

‫ٺجبد بٍزضڂبء (االٹزؾبٯ‬ٝ tout le passage suivant, à savoir : ce taux

bas de dérogations accordées à Bordeaux

ٍّ‫ًن ٽلهٍخ ؽ‬٩ ‫ مبلهٍخ‬est moins inquiétant que le taux très .‫ بهنب ځَجخ ٱٺُٺخ‬.)‫ اٹَٶڀ‬élevé de dérogations demandées dans les

quartiers plus défavorisés. D‟autant plus qu‟il n‟y avait pas en amont dans le texte des informations sur le système de la carte scolaire permettant de comprendre de quoi il retournait.

-‫ ٭بٹَُّل كاځُُٸ ٵىڅڀ‬Rappeler au lecteur arabe que D. CohnBendit a une double nationalité. Cette

‫ ثبځلَذ ٱل روّّؼ يف‬information est à peine déductible du Grâce à cette information, le ً‫ ألځّڄ ٵبٿ ػتٶىٽب‬،‫ ٭وځَب‬contexte. lecteur comprend mieux que ce député ‫ يف ؤظتبځُب ثٲبځىٿ حتلَل‬vert européen a déjà été plusieurs fois élu ‫ٹٺىالَخ‬

‫اٹيٽڂُخ‬

‫نتٺٴ‬

‫څى‬

en Allemagne et qu‟il devait se présenter

‫ اٹٮزوح‬en France pour briguer un nouveau 251 ‫ (ؽُش‬mandat au parlement européen .

.)‫اصتڂَُّزٌن‬

Tableau 44: Des explicitations sur des liens logiques

2.5. La problématique de la volatilité des désignations dans la langue cible Contrairement à la problématique nº 1 concernant le manque présumé de compléments cognitifs nécessaires à l'appréhension du sens des référents culturels, il est question ici d‟un problème de dénomination linguistique de ces référents. En effet, ces derniers sont supposés connus des lecteurs cibles, puisque ils sont présents sous une forme ou une autre dans leur environnement socio-culturel. Plus qu‟un vide lexical, il est plutôt question d‟un flou terminologique autour de leur dénomination et d‟un manque de reconnaissance officielle d‟une correspondance linguistique qui serait valable pour toute la communauté arabophone. À la base de cette problématique se trouve donc, non pas un problème de distance interculturelle entre lectorat natif et cible, mais plutôt de distance intraculturelle entre différents lectorats arabes, comme nous l‟avons expliqué dans la présentation du corpus. Cette distance intraculturelle est parfois sous-estimée, alors qu‟elle peut constituer de facto l‟une des principales motivations de certaines explicitations. Jean-Pierre Richard (1998 : 151) soutient cette idée en écrivant que : « si la distance culturelle du texte source au texte cible est parfois surévaluée, voire imaginaire, la D‟ailleurs, il aurait été préférable d‟intégrer l‟explicitation dans la réécriture arabe de la phrase : -‫"٭بٹَُل كرڂُُٸ ٵىڅڀ‬ " ... ‫ ٱل روّؼ‬،‫( ثبځلَذ اٹنٌ لتپٸ اصتڂَُزٌن اٹٮوځَُخ واألظتبځُخ‬M. Daniel Cohn-Bendit, qui possède la double nationalité française et allemande, s‟est présenté [...]). 251

Partie II : Chapitre IV : Les motivations des explicitations dans le corpus du MD 2001-2011

341

distance culturelle interne qui peut structurer le texte original est souvent sous-estimée, voire ignorée ». Pour désigner ces référents, les traducteurs ont souvent recours à plusieurs solutions telles que : les emprunts interlinguistiques (de l‟anglais, du français, de l‟italien, etc.), les emprunts intralinguistiques (de plusieurs dialectes régionaux comme le parler égyptien, syrien) ou du lexique arabe littéraire (mais ce sont plutôt des termes anciens tombés en désuétude), ou l‟explicitation. Les deux premières solutions présentent un risque d‟ambiguïté car les emprunts et les termes dialectaux ne sont pas souvent reconnus, voire compris de l‟ensemble du lectorat arabe visé par le MD, notamment après l‟élargissement de sa diffusion dans le monde arabe. C‟est pourquoi les traducteurs tendent souvent à privilégier le recours à l'explicitation afin de s‟assurer qu‟une vaste tranche du public visé sera capable de reconnaître l‟objet ou l‟idée ainsi désignés. Il n‟en demeure pas moins vrai que l‟explicitation est perçue, dans ce cas de figure, comme un pis-aller, une solution temporaire, répondant à un besoin communicatif immédiat, en attendant que la langue arabe officielle, celle des médias et de l‟enseignement scolaire, actualise et enrichisse son répertoire lexical. Ceci pourra se faire par l‟intégration d‟emprunts importés d‟autres langues dominantes ou par l‟arabisation dont devraient se charger les académies de langues arabes, certes très nombreuses, mais peu efficaces. Face à la réalité sur le terrain et en attendant que ce problème chronique trouve un traitement radical et adapté, les traducteurs exploitent au maximum les ressources linguistiques mises à leur disposition (emprunts, termes dialectaux, anciens termes arabes), pour proposer à leurs différents lecteurs des désignations susceptibles d‟évoquer clairement les objets ou les idées en question. Voici une série d‟exemples illustrant les différents cas de figures que nous avons relevés dans le corpus du MD. 2.5.1. Des explicitations sur des concepts connus mais sans termes précis Comme nous l‟avons déjà indiqué, certains concepts culturels existent dans les deux cultures, mais, dans la langue cible, ils sont restés dans un flou terminologique. Les journaux arabes et les lecteurs les appellent de différentes manières. Il s‟agit souvent de sujets « sensibles », voire « tabous » que l‟on connait bien, mais dont on ne parle pas beaucoup officiellement comme « le racolage », « le gender », « le concubinage ». Comme il peut s‟agir de simples concepts culturels et sociaux, sans aucune connotation particulière, comme « le grignotage », « le bricolage », « le zapping », etc.  Exemple nº 49 : le racolage (comment le dire en arabe ?) Cet exemple est extrait d‟un article du MD novembre 2001, intitulé « L‟Europe de l‟Ouest, proxénète des femmes de l‟Est » où l‟auteur parle du démantèlement en France de deux filières de prostitution de jeunes femmes originaires de Bulgarie. Il explique que la plupart de ces réseaux émanent des nations de l‟ancien bloc de l‟Est. Dans l‟énoncé suivant, il évoque le cas de l‟une de ces femmes poussées à se prostituer par la misère. Le traducteur bute sur le terme

Partie II : Chapitre IV : Les motivations des explicitations dans le corpus du MD 2001-2011

342

« racoler » qui n‟a pas de correspondant fixe dans la langue arabe. Il essaie d‟en expliciter le sens à l'aide d‟une périphrase pour que les lecteurs arabes conçoivent le concept désigné par ce mot. Refusant de racoler dans la ٣‫ يف اٹْبه‬٫‫ذ اٹىٱى‬ٚ‫وبم ه٭‬ rue, elle est battue et revendue à un autre souteneur albanais ‫وة‬ٚ‫ذ ٹٺ‬ٙ‫و‬٦‫ُبك اٹوعبٷ ر‬ٕٞ‫ال‬ qui, à son tour, la brutalise et ‫بٽٺهب څى ثلوهڃ‬٥ ‫ذ ٽڀ ٱىاك آفو‬٦ُ‫وث‬ la viole. (MD novembre 2001)

.‫زٖجهب‬٩‫ وا‬٬‫ڂ‬٦‫ث‬

Refusant de se tenir dans la rue pour séduire les hommes, elle est battue et revendue à un autre souteneur qui, à son tour, la traite avec violence et la viole.

Il révèle deux aspects pertinents susceptibles d‟évoquer l‟image mentale de ce concept à l'esprit du lectorat arabe : le fait de se tenir debout dans la rue, et le fait de séduire les passants. Il est vrai que ce phénomène n‟est pas très visible dans tous les pays arabes, mais nul n‟ignore son existence dans certains endroits ou quartiers. Reste seulement à réactiver ces connaissances cognitives passives dans la mémoire du lecteur pour susciter la représentation visuelle reliée. Une fois le référent identifié, le lecteur lui attribuera le nom qu‟il emploie d‟habitude dans son dialecte ou dans son environnement social. Ce problème de désignation n‟est pas un cas isolé ou occasionnel. De tels référents peuvent rester dans l‟anonymat pendant des années, contraignant les traducteurs à multiplier les périphrases définissant ce fait ou à prendre le risque d‟adopter une désignation dialectale propre à un pays arabe, sans aucune garantie d‟être compris de tous les autres lecteurs visés. Et pour preuve, dix ans plus tard, le traducteur du MD juillet 2011 ressent toujours la nécessité d‟expliciter ce terme, en rendant « racolage » par "ٍ‫( "إغشاء انًٕيغبد نهضثبئ‬les gestes de séduction des prostituées pour attirer les clients). Sans vouloir allonger la liste des périphrases, nous aurions proposé cette traduction : "‫( "دػبسح انشٕاسع‬la prostitution de rue). Cette périphrase définitoire a l'avantage de souligner concomitamment les deux aspects pertinents du phénomène : la nature de cette pratique, c'est-à-dire une forme de prostitution, et le lieu où se font aborder les clients potentiels par les prostituées, c'est-à-dire la rue, et non les boîtes de nuit ou les maisons closes par exemple. 2.5.1.1. Des exemples d‟explicitation sur la désignation de faits socio-culturels Voyons comment les traducteurs gonflent la partie explicite par l‟introduction de périphrases servant à préciser des concepts pourtant bien connus du lecteur arabe. Les concepts sans termes fixes Ex. 1 Le bricolage (MD septembre 2001), (MD août 2009)

L‟explicitation fournie

La traduction en arabe

Respectivement : « les travaux manuels », « la fabrication des objets par leurs mains ».

:‫اٹزىارل‬

Le but recherché par l‟explicitation

ً‫ٺ‬٥ Bien que le concept en lui-même soit parfaitement connu de tout un chacun, sa désignation diffère

،"‫بٷ اٹُلوَخ‬٪ّ‫ "األ‬largement. Les traducteurs cherchent à l'exprimer de ‫األُّبء‬ ‫ "٭ربٵخ‬la manière la plus claire possible.

."‫ثإَلَهټ‬

Partie II : Chapitre IV : Les motivations des explicitations dans le corpus du MD 2001-2011

343

ٍ‫ څنا اظتيَظ اٹنٵ‬Tenter de trouver une formulation assez claire pour

Ex. 2 Ce savant mélange de vie privée et de voyeurisme,... (MD décembre 2010)

Ce mélange intelligent de vie privée et de regards dérobés sur les autres,...

Ex. 3 Le grignotage (MD décembre 2004)

Manger en dehors des repas principaux

‫فبهط‬

Ex. 4 Ils seraient à 54 % favorables à l‟avortement et à 60 % au concubinage. (MD septembre 2008)

54 % sont favorables à l‟avortement et 60 % à la cohabitation sans mariage.

‫ يف اظتئخ ٽڂهټ‬54 Le concept de concubinage n‟existe pas en tant que

évoquer le concept de voyeurisme que personne

‫ ٽڀ اضتُبح اطتبٕخ‬n‟ignore. Cependant, cette formulation doit s‟adapter son sens pertinent dans ce contexte décrivant ً‫ٺ‬٥ ‫و‬٢‫ واٍزواٯ اٹڂ‬àl‟attitude de certains gens inscrits sur Facebook. ...‫ اِفوَڀ‬Celui-ci se présente donc parfois comme un subtil mélange d‟exhibitionnisme et de voyeurisme252.

‫ األٵٸ‬Ici aussi, le concept de « grignotage » est resté dans l‟anonymat linguistique en arabe. Chaque traducteur

‫ اٹىعجبد اٹوئَُُخ‬doit trouver une synecdoque linguistique qui

l‟évoque clairement et qui soit adaptée au sujet traité ici, en l‟occurrence, le problème de l‟obésité due au grignotage et aux plats industrialisés. fait social avoué ou autorisé dans la plupart de pays

‫ َاَلوٿ اإلعهبٗ و‬arabes. Il n‟en demeure pas moins vrai que le lectorat en a souvent entendu parler. Cette formulation ‫ يف اظتئخ اظتَبٵڂخ‬60 arabe cherche à évoquer clairement cette notion. Une fois le

."‫كوٿ ىواط‬

concept identifié, le lecteur saisit le sens pertinent de cet énoncé, à savoir que les jeunes Polonais se détournent des coutumes chrétiennes millénaires et acceptent désormais de vivre en couple en dehors des liens du mariage253.

Tableau 45: Des explicitations sur des désignations de faits socio-culturels

Le traducteur du MD juin 2011 a choisi de rendre ce concept par un terme dialectal "‫( "اٹجٖجٖخ‬prononcer : al-baṣba ṣah), mais qui tend souvent à désigner le seul fait de regarder discrètement les gens par les fenêtres ou les trous des portes à leurs insu. Pour éviter le registre dialectal de ce terme, et pour inclure le fait d‟épier les autres ou de se mêler de leur vie privée, nous aurions préféré rendre le sens général du concept de « voyeurisme » par la périphrase ٣‫ال‬ٝ‫"اال‬ "‫ٺً فٖىُٕبد اِفوَڀ‬٥ (épier l‟intimité des autres). Facebook permet donc à certains usagers de satisfaire leurs instincts de voyeurs qui aiment se repaître des photos dénudées que certains exhibent d‟eux-mêmes. 253 Cette traduction a le mérite d‟être neutre, dans le sens où elle ne porte pas de jugement de valeur sur cette pratique. C‟est au lecteur de se faire une opinion. La tâche du traducteur consiste à l‟orienter vers le sens objectif qui s‟actualise dans l‟énoncé et non de donner son avis sur la question. Mais lorsque ce terme véhicule une connotation péjorative, le traducteur devra en rendre compte dans son explicitation. C‟est d‟ailleurs ce qu‟a fait le traducteur du MD septembre 2001 en explicitant « concubinage » par "‫ُخ‬٥‫ًن اٹْو‬٩ ‫( "اظتَبٵڂخ‬la cohabitation illégale), révélant ainsi une connotation péjorative qui faisait partie du sens pertinent du texte évoquant le refus des familles nobles et bourgeoises de cette pratique. Mais ce faisant, il introduit dans un contexte européen, où le concubinage est reconnu et accepté une notion d‟illégalité qui répond à une réalité du monde arabe. Pour exprimer le désaccord des familles conservatrices, il aurait fallu dire : "‫ اٹيوعُخ‬ٜ‫ « "اظتَبٵڂخ كوٿ هاث‬la cohabitation en dehors des liens du mariage ». 252

Partie II : Chapitre IV : Les motivations des explicitations dans le corpus du MD 2001-2011

344

2.5.1.2. Des exemples d‟explicitation sur la désignation de concepts généraux Là encore, il s‟agit de concepts plus ou moins connus de tous pour lesquels les traducteurs peinent néanmoins à trouver une désignation optimale et multiplient les choix traductifs. Les concepts sans termes fixes Ex. 1 L‟espérance de vie (MD juin 2011)

Ex. 2 En même temps, le concept de genre, forgé aux Etats-Unis, est repris par les théologiennes musulmanes... (MD janvier 2011)

L‟explicitation fournie Lors de la première occurrence « l‟espérance moyenne de rester en vie (la longévité) » et lors de la deuxième occurrence « les probabilités de rester en vie ». En même temps, le concept de genre (l‟égalité entre les deux sexes), qui a été forgé aux EtatsUnis, est repris par les théologiens musulmans...

La traduction arabe

en

Le but recherché par l‟explicitation

‫لٷ‬٦‫"ٽ‬: ٔ‫ يف ثلاَخ اٹڂ‬Tenter de trouver les mots adéquats pour préciser le sens de ce concept, assez connu

‫ٺً ٱُل اضتُبح‬٥ ‫ اٹجٲبء‬du lectorat arabe plus ou moins cultivé. deux tentatives d‟explicitation ‫ وٽڀ ٍب يف‬،")‫پبه‬٥‫ (اإل‬Les montrent le souci du traducteur à employer ‫ اظتوح اٹزبٹُخ "اؽزپبالد‬la synecdoque la plus évocatrice.254

."‫ٺً ٱُل اضتُبح‬٥ ‫اٹجٲبء‬

‫ُل‬٦ُ‫ اٍز‬،‫ "يف اٹىٱذ ځٮَڄ‬Définir en termes clairs ce concept, dont on a souvent entendu parler depuis 2007

‫ ٽٮهىٻ اصتڂله (اظتَبواح ثٌن‬sous l‟emprunt anglais « gender ». Le choisit d‟employer cet emprunt ‫ اصتڂٌَن) اٹنٌ ُٕٲٸ يف‬traducteur et de l‟expliciter pour ceux qui ne le

‫ ٽڀ ٱجٸ‬،‫ اٹىالَبد اظتزؾلح‬connaissent peut-être pas en révélant l‟un

de ses traits pertinents : l‟égalité entre les

"‫ اٹٮٲهبء اظتَٺپٌن‬deux sexes. Au fur et à mesure de la

lecture du texte entier, le lecteur glanera des informations plus précises sur ce concept, à savoir que les différences entre les deux sexes sont uniquement biologiques, mais que pour le reste, les deux se valent.255

Tableau 46: Des explicitations sur des désignations de concepts généraux

Remarquons tout d‟abord que le traducteur voulait proposer le terme "‫پبه‬٥‫( "ب‬longévité) comme correspondance linguistique, mais ce terme prête à confusion puisqu‟il peut se comprendre comme signifiant « construction », d‟autant plus que les termes « longévité » et « espérance de vie » ne sont pas équivalents du point de vue sémantique. Les traductions officielles ou connues de ce concept sont différentes : on trouve "‫لٷ اضتُبح‬٦‫ « "ٽ‬la moyenne de la vie » dans certains manuels scolaires arabes. La page de Wikipédia dédiée à cette entrée propose dès la première ligne quatre expressions différentes, ce qui dénote un flou terminologique concernant ce concept. Ces expressions sont : "‫پو‬٦‫( "ٽإٽىٷ اٹ‬l‟espérance d‟âge), "‫( "ٽإٽىٷ اضتُبح‬l‟espérance de vie), "‫پو اظتإٽىٷ‬٦‫ اٹ‬ٍٜ‫( "ٽزى‬la moyenne de l‟espérance d‟âge), "‫ٺً ٱُل اضتُبح‬٥ ‫ اٹجٲبء‬٤‫( "رىٱ‬l‟espérance de rester en vie). Et c‟est cette dernière expression qui a été retenue par le traducteur lors de la première occurrence, étant apparemment la plus explicite. 255 Cependant, le traducteur aurait mieux fait d‟expliciter ce terme dès le départ, comme il l‟a fait lors de la troisième occurrence "‫لٻ اٹزپُُي ثٌن اصتڂٌَن‬٥" (la non-discrimination entre les deux sexes). Par cette reformulation, le traducteur insiste davantage sur le fait qu‟il ne s‟agit pas seulement de traiter les deux sexes avec égalité et équité, mais surtout de ne tolérer aucune différence réelle de traitement au niveau social, économique, intellectuel, etc., ce qui correspond mieux au contenu conceptuel véhiculé par le mot « genre ». Il est à noter enfin que la traduction faite par le traducteur est un exemple frappant du rejet du concept du « genre » dans le monde arabe. En effet, le traducteur a évité exprès de traduire « les théologiennes musulmanes » par "‫ "اٹٮٲُهبد اظتَٺپبد‬au féminin, étant donné que cette fonction est prétendument réservée aux hommes et que les femmes ne sont pas habilitées à se prononcer sur les questions religieuses. 254

Partie II : Chapitre IV : Les motivations des explicitations dans le corpus du MD 2001-2011

345

2.5.2. Des explicitations de concepts connus mais avec quelques nuances Il s‟agit d‟un cas particulier où le problème de désignation linguistique se double d‟un problème de différence intraculturelle. Autrement dit, les différents systèmes administratifs, éducatifs, juridiques des pays arabes découpent la réalité autrement et leur attribuent différentes dénominations. Ainsi, les classes scolaires, les perceptions différentes du lexiculturel arabe sur le divorce, l‟administration, requièrent l‟intervention du traducteur pour dissiper d‟éventuelles confusions. Voici quelques exemples.  Exemple nº 50 : les classes de 4e et 6e en France et dans les pays arabes Cet exemple est extrait d‟un article du MD septembre 2008, intitulé « Rentrée scolaire et nouveaux rapports de classe », où l‟auteur analyse la situation éducative dans les collèges français. Pour lui, la majorité des élèves ne poussent pas la porte des collèges français par envie de savoir. Ils ne ressentent pas non plus de la reconnaissance envers l‟école publique, car ils en aperçoivent plus « le côté inique que le versant civique ». Il se base dans ses analyses sur le dernier film « Entre les murs » qui décrit bien les rapports de force entre un professeur de français du collège Françoise Dolto avec une classe « multiculturelle » de 4e. Le traducteur tente d‟expliquer au lecteur arabe à quelle classe correspond la 4e française dans le système scolaire arabe. La consécration cannoise d‟Entre les murs, chronique d‟un professeur de français aux prises avec une classe de quatrième « tchatcheuse » et frondeuse, turbulente et attachante, en témoigne : l‟école devient la chambre d‟écho de nos problèmes sociaux,... (MD septembre 2008)

‫ٺً مٹٴ رٶوًن ٽهوعبٿ ٵبٿ‬٥ ‫ َْهل‬En témoigne la consécration du film

« Entre les murs » au festival de Cannes,

‫ اٹنٌ َووٌ ٱّٖخ‬،"‫ ٹٮُٺټ "ثٌن اصتلهاٿ‬qui relate l‟histoire d‟un professeur de ّ٬ٕ ‫خ اٹٮوځَُخ ؤًٍن‬٪‫ ؤٍزبمٍ ٹٺ‬langue française, aux prises avec une classe de quatrième » [2] « bruyante »,

‫ت‬٩‫ اظتْب‬،ٗ‫به‬٦‫ظّ" واظت‬ٚ‫]"اظت‬2[ ٤‫ اٹواث‬protestataire, turbulente et attachante : ٍ‫ ٭ٲل حتىّٹذ اظتلهٍخ بذل ٽٶبٿ‬:‫ واصتنّاة‬l‟école devient un lieu qui reflète nos ]2[… ، ‫ُخ‬٥‫ٶٌ ٽْبٵٺڂب االعزپب‬٦َ problèmes sociaux,...

‫لاكَّخ يف‬٥‫ّ اٹضبٽڀ يف اظتوؽٺخ اإل‬٬ٖ‫[ اٹ‬2] Il s‟agit de la classe de huitième de

l‟école préparatoire dans la plupart

.‫وثُّخ‬٦‫پخ اٹلهاٍُّخ اٹ‬٢‫ټ األځ‬٢٦‫ ٽ‬des systèmes scolaires arabes.

La note du traducteur explique la différence d‟appellation de classes entre l‟école française d‟une part et la plupart des écoles arabes d‟autre part. En effet, une classe de 4e renvoie à la quatrième année de l‟école primaire dans la plupart des systèmes scolaires arabes, tandis que la classe désignée dans l‟énoncé coïncide plutôt avec la classe de 8e, donc l‟école préparatoire, l‟équivalent du collège en français. En fait, le système scolaire français adopte un classement par ordre descendant, lors que c‟est l‟inverse dans la plupart des pays arabes. Par cette note, le traducteur tente d‟indiquer avec précision le nom de la classe selon deux grands systèmes éducatifs en vigueur dans les pays arabes : celui qui dénomme les classes par ordre numérique de 1 à 10, et puis les deux dernières années du lycée, celui qui compose l‟école entre trois étapes : l‟école primaire de 1 à 6, l‟école préparatoire en trois années (premier préparatoire, deuxième

Partie II : Chapitre IV : Les motivations des explicitations dans le corpus du MD 2001-2011

346

préparatoire, troisième secondaire), l‟école secondaire de trois années (premier secondaire, deuxième secondaire, troisième secondaire). Il s‟agit donc de la classe de 8e qui fait partie de l‟école préparatoire. Malgré cette tentative de précision, il explique à certains lecteurs que cette classe s‟appellera autrement chez eux, mais c‟est à eux maintenant d‟identifier la classe concernée. Néanmoins, le traducteur aurait peut-être dû simplement dire qu‟il s‟agit d‟enfants de 13-14 ans. Cette indication a le mérite d‟être plus claire, même si l‟école n‟est pas obligatoire dans la plupart des pays arabes et que certains élèves commencent l‟école à un âge tardif. Au-delà de cette explicitation du nom de la classe, les lecteurs arabes devront situer les propos de l‟auteur du texte et du film en imaginant la difficulté de gérer cette classe remplie d‟adolescents issus de différents pays et qui, de plus, détestent l‟école. Par ailleurs, ces différences entre les désignations de classes et leur répartition en école primaire, collège et lycée ont souvent posé problème dans les traductions du MD. Le traducteur du MD septembre 2011 s‟est heurté lui-aussi à la traduction en arabe de la classe de 6e dans cet énoncé : Les effectifs en sixième vont ‫ اٹزٶپُٺٍ األوٷ‬٬ٖ‫الة يف اٹ‬ٞ‫لَل اٹ‬٦‫"٭‬ monter en flèche dans beaucoup de collèges dès la ‫بٻ‬٦‫ اٹ‬٤‫ٺ‬ٞ‫ ثٲىح ٽڂن ٽ‬٤‫(اٹَبكً) ٍزورٮ‬ rentrée 2011 (MD septembre "‫اٹلهاٍٍ اظتٲجٸ‬ 2011)

Le nombre d‟élèves en première classe complémentaire (sixième) va augmenter fortement dès le début de la prochaine année scolaire.

Il a choisi d‟expliciter cette nuance au sein du texte en apportant d‟abord l‟équivalent de la classe de sixième dans le « système » arabe, à savoir la première classe du collège, et puis la désignation d‟origine entre parenthèses. Remarquons toutefois qu‟il adopte une désignation en arabe qui n‟est pas connue dans la plupart des pays arabes. Nous appelons généralement cette classe ‫"صف أٔل‬ "٘‫( إػذاد‬la première classe de l‟école préparatoire) ou "‫( "انصف انغبثغ‬la classe de 7e), mais rarement "‫ األٔل‬ٙ‫ه‬ًٛ‫"انصف انزك‬. Ceci montre à quel point il est parfois difficile de trouver la désignation qui sera comprise de tous les lecteurs arabes. En outre, en voulant éviter la confusion engendrée par la traduction littérale, et par manque de recherches documentaires sur le système scolaire français d‟une part et les différents systèmes scolaires arabes d‟autre part, certains traducteurs ont commis des erreurs de traduction en voulant expliciter ces nuances. Nous mentionnons par exemple le cas de la traduction de la classe CM2, qui a été traduite par "ٙ‫ه‬ًٛ‫( "انصف األٔل انزك‬la première classe du collège) (MD décembre 2010), et par "‫ انشاثغ‬ٙ‫( "انصف االثزذائ‬la quatrième classe du primaire) (MD octobre 2010). Cces deux explicitations sont incorrectes : le CM2 (cour moyen 2e année) correspond au dernier niveau avant l‟entrée au collège soit à la cinquième année de l‟école primaire française, l‟équivalent de la sixième année de l‟école primaire arabe "‫"انصف انغبدط‬.

Partie II : Chapitre IV : Les motivations des explicitations dans le corpus du MD 2001-2011

347

o D‟autres explicitations de nuances intralinguistiques et intraculturelles Les concepts avec nuances Ex.1 [...] des droits acquis à l‟étranger sans fraude, comme la polygamie ou la répudiation [...] (MD novembre 2005).

L‟explicitation fournie [...] des droits acquis par la loi dans d‟autres pays, comme la pluralité des épouses ou le divorce de la part de l‟homme [...]

Ex. 2 Dans une académie comme celle de Bordeaux [..] (MD décembre 2005)

Dans une académie (circonscription éducative) comme celle de Bordeaux [...]

La traduction en arabe

Le but recherché par l‟explicitation

‫[ ؽٲىٱب اٵزَجذ‬...] Préciser la nuance qui existe entre le concept de

divorce selon le système juridique occidental

‫ ٱبځىځب يف ثٺلاٿ ؤفوي‬exigeant en principe l‟accord des deux et celui de la répudiation donnant le ‫اٹيوعبد‬ ‫لك‬٦‫ ٵز‬conjoints, droit à l'époux de prendre unilatéralement la

٫‫و‬ٝ ‫ٺُٰ ٽڀ‬ٞ‫ واٹز‬décision de la dissolution du mariage. Dans

certains pays maghrébins, cette nuance est

[...]‫ اٹوعٸ‬connue, tandis que les autres pays arabes

‫ٲخ‬ٞ‫يف ؤٵبكنتُخ (ٽڂ‬

‫روثىَخ) ٽضٸ ثىهكو‬ [...]ً‫ٽضال‬

l‟ignorent. De plus, cette précision s‟impose dans un contexte évoquant les réclamations d‟application des droits étrangers en contradiction avec lois des pays occidentaux, dont le droit à la polygamie ou à la répudiation. Éviter une éventuelle confusion entre le sens habituel de ce terme emprunté souvent en arabe pour désigner une « grande école » "‫"ؤٵبكنتُخ‬, comme l‟académie de la Police ou celles des Beaux-Arts, et le sens dans ce contexte renvoyant à une circonscription administrative du ministère de l‟Çducation nationale, dirigée par un recteur.256

Tableau 47: Des explicitations sur des nuances de significations de certaines désignations linguistiques

2.5.3. Des explicitations de noms d‟objets connus Il ne s‟agit pas ici de dénommer des concepts culturels, mais plutôt des objets de la vie quotidienne que personne n‟ignore. Les traducteurs du MD, maghrébins avant 2005 ou libanais après 2005, connaissent ces objets, mais ne savent pas comment les autres arabes les appellent. Pour ne pas prendre le risque d‟employer un terme méconnu, ils optent pour la multiplication des choix linguistiques pour satisfaire tout le monde ou pour la périphrase censée être un compromis efficace. Voici un exemple qui démontre bien cette problématique.  Exemple nº 51 : décodeur télé, chariot, logiciel (comment les dire en arabe ?) Cet exemple est extrait d‟un article du MD juin 2011 intitulé « Consommateur au labeur », où l‟auteur explique que les plages de repos dont dispose le travailleur moderne en dehors de ses heures de travail ne sont plus qu‟une illusion. En effet, les gens continuent à travailler en s‟adonnant à des activités de consommation et assument ainsi de facto une partie du travail qui incombait jadis aux entreprises ou aux administrations. Dans cet énoncé, l‟auteur cite quelquesunes de ces activités quotidiennes auxquelles s‟adonnent régulièrement ou occasionnellement les 256

Mais de facto, le recours à l‟explicitation ne se justifie pas. Le terme académie en français a plusieurs significations potentielles. Le traducteur arabe n‟avait aucune raison de garder le terme « académie » et aurait dû sélectionner la signification pertinente du terme et traduire directement par circonscription éducative.

Partie II : Chapitre IV : Les motivations des explicitations dans le corpus du MD 2001-2011

348

consommateurs. Bien qu‟il s‟agisse d‟une phrase assez banale, sa traduction a donné du fil à retordre au traducteur, à cause des noms d‟objets utilitaires qui y figurent. Il lit les magazines de consommateurs, fait du repérage sur Internet, organise ses projets, réserve ses billets de train ; il se rend au supermarché, remplit son chariot, fait la queue à la caisse ; il monte des meubles en kit, installe son décodeur télé, active sa connexion Internet ; il cherche la référence du joint du robinet de la salle de bains ; il apprend le maniement des logiciels,... (MD juin 2011)

‫ وَجؾش يف‬،‫ غتالّد اظتَزهٺٶٌن‬٤‫بٹ‬َٞ Il ‫ ولتغي‬،‫ڄ‬٦َ‫ّو ٽْبه‬ٚ‫ ولت‬،‫ّجٶخ االځزوځُذ‬ ،‫ َلفٸ بذل اظتزبعو اٹٶربي‬،‫به‬ٞ‫بٱبد اٹٲ‬ٞ‫ث‬

٬‫ وَٲ‬،)"ٌ‫وثخ اٹزَىَٰ ("اٹٶبك‬٥ ‫ونتأل‬

‫ ؤصبصڄ‬٤ٞ‫ وَوٵّت ٱ‬،‫ّ ؤٽبٻ اٹٖڂلوٯ‬٬ٖ‫ثبٹ‬

،‫ وَىّٕٸ آٹخ ٭ٴّ اٹوٽىى اٹزٺٮبىَخ‬،‫اجمليّؤح‬

‫ ٍب‬،‫ ّجٶخ االځزوځُذ‬٤‫ّٸ ارٖبٹڄ ٽ‬٪َْ‫و‬

،‫ُبه ٹٖڂجىه اضتپّبٻ‬٩ ‫خ‬٦ٞ‫ً وهاء ٱ‬٦ََ ‫ اٹرباٽظ‬٤‫ٍ ٽ‬ٝ‫ب‬٦‫ٺّټ ٵُٮُخ اٹز‬٦‫وَز‬

...،‫االٹٶزووځُخ‬

parcourt les magazines de consommateurs, fait des recherches sur le réseau Internet, prépare ses projets, réserve des billets de train ; il entre dans les grands magasins, remplit son panier de courses à roulettes (caddie), fait la queue devant la caisse ; il monte des pièces séparées de ses meubles, raccorde sa machine de décodage des signaux télévisuels, met en route sa connexion avec le réseau d‟Internet ; il cherche une pièce de rechange pour le joint du robinet de la salle de bains ; il apprend comment manier les programmes électroniques...

Ainsi, l‟expression « il se rend au supermarché » est traduite par "ٖ‫ذخم إنٗ انًزبخش انكجش‬ٚ" (il entre dans les grands magasins) alors que le traducteur pouvait utiliser l‟emprunt connu partout qu‟est le « supermarket » "‫ "انغٕثش يبسكذ‬ou le « mall » "‫ "انًٕل‬dans les pays du Golfe. Cependant, il a utilisé un autre emprunt lorsqu‟il a traduit le mot « chariot » par ")٘‫( "ػشثخ انزغٕق (انكبد‬le panier de courses à roulettes (le caddie)). L‟emprunt anglais « caddie » est très connu dans les grandes villes où il y a des supermarchés, ce qui a poussé le traducteur à employer ce mot à l'adresse des citadins, auquel il ajoute la périphrase « panier de course à roulettes » pour ceux qui ne connaissent pas soit l‟éponyme « caddy », soit l‟objet lui-même. Quant au « décodeur télé », le traducteur s‟est vraiment enlisé dans une tentative d‟explicitation qui n‟a fait que rendre le sens plus ambigu et l‟objet plus mystérieux. Il propose de le traduire par "‫خ‬َٛٔ‫) "آنخ فك انشيٕص االنكزش‬la machine qui décode les signaux électroniques(, pour éviter de dire simplement "‫فش‬ٛ‫غ‬ٚ‫( "انش‬receiver), qui est un emprunt anglais fréquemment utilisé dans plusieurs pays arabes. Deux constats peuvent être tirés de cet exemple : premièrement, le manque de méthode dans l‟explicitation ; tantôt le traducteur recourt à l'emprunt là où il n‟y a vraiment pas besoin, tantôt il exclut cette option là où il fallait. Deuxièmement, le besoin de contourner le flou lexical par le biais de périphrases qui sont parfois heureuses, mais qui desservent parfois aussi le but de leur emploi, c'est-à-dire désigner sans ambiguïté un objet souvent connu, mais restant dans l‟anonymat. Le même traducteur récidive lors de la traduction de « télécommande » dans un énoncé où figure le terme « télécommande ». Le terme « télécommande » devient ‫"يجذل انًٕخبد‬ "‫خ‬َٕٛٚ‫( انزهفض‬commutateur des ondes télévisuelles). En fait, le traducteur avait trois choix : soit le mot arabisé proposé par les travaux très peu connus de certaines académies arabes qu‟est "‫"انسبكٕو‬, soit l‟emprunt anglais "‫ًٕد كَٕزشٔل‬ٚ‫( "انش‬remote control) ou plus simplement "‫ًٕد‬ٚ‫( "انش‬remote), qui

Partie II : Chapitre IV : Les motivations des explicitations dans le corpus du MD 2001-2011

349

est très connu, et souvent utilisé dans plusieurs pays arabes. Soit enfin, une périphrase explicitante calquée sur la motivation du terme original, à savoir le dispositif de contrôle à distance "‫"خٓبص انزسكى ػٍ ثؼذ‬. Le traducteur semble ne pas être convaincu par toutes ces possibilités. Il a préféré fournir sa propre explicitation de cet objet, en insistant sur le fait qu‟il s‟agit de la télécommande de la télévision en particulier, et non de n‟importe quelle télécommande. o D‟autres exemples d‟explicitations de noms d‟objets connus Il s‟agit d‟objets dont la désignation claire s‟avère nécessaire pour comprendre le sens des énoncés où ils figurent. Les traducteurs s‟emploient tant bien que mal à les désigner à l'aide de synecdoques plus évocatrices révélant leurs aspects formels ou fonctionnels, en espérant faire surgir leur image mentale chez tous les lecteurs arabes, afin de faire jaillir le sens pertinent de tout l‟énoncé.

257

Les objets connus, mais sans termes fixes Ex. 1 Un badge (MD novembre 2009), (MD novembre 2011)

L‟explicitation fournie

La traduction en arabe

Respectivement : « carte magnétisée », « l‟insigne du travail »

‫بٱخ‬ٞ‫ "ث‬:‫ٺً اٹزىارل‬٥ Dans le premier contexte, il est question d‟un badge

Ex. 2 Les tags (MD décembre 2008), (décembre 2010)

Respectivement : « les inscriptions murales », « les dessins muraux »

que la machine avale pour déclencher l‟ouverture

‫"ّبهح‬

:

Le but recherché par l‟explicitation

،"‫خ‬ٞ‫ڂ‬٪‫ ؽت‬d‟un portillon automatique. Le traducteur choisit une décrivant cet objet en retenant les traits "‫پٸ‬٦‫ اٹ‬synecdoque de forme (carte), de format (magnétisé). Dans le

‫اٹزىارل‬

ً‫ٺ‬٥

،"‫ُخ‬ٞ‫"اٹٶزبثبد اضتبئ‬ ‫"اٹوٍىٽبد‬ "‫اصتلاهَخ‬

deuxième contexte, il est question d‟une carte identificatoire que les employés accrochent sur leurs vêtements. Le traducteur adapte la synecdoque choisie pour décrire cet objet en écrivant « l‟insigne du travail ».257 Décrire à l'aide de mots arabes simples à quoi renvoie ce terme. Le phénomène des « tags » est bel et bien présent dans les rues du monde arabe, mais la tâche de désignation linguistique est laissée à chaque dialecte régional, d‟où le besoin de créer une nouvelle synecdoque susceptible de les évoquer clairement selon la particularité de chaque contexte.

Bien que ce soit un objet assez familier porté par les agents dans les établissements publics, il n‟existe pas une dénomination arabe qui soit consacré par l‟usage officiel dans tous les pays. Il ne faudrait cependant pas s‟étonner du fait que l‟arabe n‟a pas « encore » créé de terme pour désigner cet objet. Le français emploie l‟anglicisme « badge » pour le désigner. S‟il fallait traduire ce terme hors contexte, nous l‟aurions appelé "‫وَٮُخ‬٦‫ « "ّبهح ر‬insigne identificatoire ». A cette périphrase, on pourrait juxtaposer une épithète précisant sa nature ou sa fonction selon le besoin de chaque contexte "‫وَٮُخ بٹٶزووځُخ‬٦‫( "ّبهح ر‬insigne identificatoire électronique) en parlant des badges sous forme de carte d‟accès magnétisée, ou "‫پبٷ‬٦‫وَٮُخ ثبٹ‬٦‫( "ّبهح ر‬insigne identificatoire d‟employés), en parlant du badge nominatif des agents travaillant dans les établissements publics, etc. Si le contexte est suffisamment clair pour évoquer au lecteur l‟image mentale de cet objet, on pourrait alors se contenter de mot "‫( "ّبهح‬insigne) ou "‫بٱخ‬ٞ‫( "ث‬carte).

Partie II : Chapitre IV : Les motivations des explicitations dans le corpus du MD 2001-2011 Ex. 3 Souvent qualifié de « couteau suisse », Twitter doit sa popularité à l‟extrême diversité de ses utilisateurs et des usages qu‟il permet... (MD octobre 2011)

Ex. 4 Troisième hub mondial (MD novembre 2010)

350

La popularité du réseau de Twitter, (souvent qualifié de «couteau suisse », multifonction), découle de l‟extrême diversité de ses utilisateurs et des possibles usages qu‟il permet...

‫جُخ ّجٶخ‬٦ّ ‫ىك‬٦‫ ر‬Préciser le trait pertinent de cet objet fort connu dans

Troisième aéroport international de transit

‫به رواځيَذ‬ٞ‫صبٹش ٽ‬

le monde arabe, mais pas sous le nom de « couteau

‫بٹجبً ٽب‬٩ ‫ "رىَزو" (اٹيت‬suisse », mais sous plusieurs autres termes qui varient société à l'autre. Or, sa désignation de façon ‫ رٺٲّت ثبٹـ"ٍٶٌّن‬d‟une claire revêt une importance capitale ici pour mieux

‫لّك‬٦‫ اظتز‬،"ٌ‫ اٹَىََو‬élucider le point de ressemblance entre cet objet et le réseau Twitter. Le traducteur opte pour un ajout

٣ّ‫) بذل اٹزڂى‬٬‫بئ‬١‫ اٹى‬précisant qu‟il s‟agit d‟un couteau à multi-usages, ce ‫ اٹٶجًن ظتَزقلٽُڄ‬qui pourrait éventuellement permettre au lecteur de visualiser ce couteau de poche comprenant plusieurs

‫ وٹىعهبد اٍزقلاٽڄ‬outils dépliables. Une fois cette image mentale dans l‟esprit du lecteur, le sens pertinent …،‫ اظتپٶڂخ‬convoquée de la comparaison s‟éclaircit. Twitter est un outil de

ٍ‫بظت‬٥

petit format, mais dont les fonctions sont diverses et variées. Décrire ce que c‟est un hub, dans cet article parlant de l‟aéroport de Dubaï. Paradoxalement, le traducteur peine à trouver le mot arabe adéquat pour rendre décrire l‟une des grandes particularités de cet aéroport.258

Tableau 48: Des explicitations sur des noms d‟objets connus

2.5.4. Des explicitations d‟emprunts linguistiques jugés méconnus Dans ce cas de figure, le traducteur fait d‟abord appel à un emprunt en guise de correspondance linguistique, mais sachant que cet emprunt n‟est pas forcément employé dans tous les pays arabes, il en explicite la signification pertinente en contexte par un autre terme générique ou une périphrase définitoire. Ce faisant, il crée un nouveau rapport explicite/implicite adapté aux différents profils socio-linguistiques des lecteurs cibles. Voyons pourquoi les traducteurs ont estimé nécessaire d‟expliciter des emprunts plus ou moins connus comme « l‟apartheid », « lobby », « quota », « ketchup ». Les emprunts méconnus Ex. 1 « A la question sociale s‟ajoute celle des séquences de l‟apartheid, ... » (MD septembre 2006)

L‟explicitation fournie « A la question sociale s‟ajoute celle des conséquences du système de la ségrégation raciale (l‟apartheid), ... »

La traduction en arabe

Le but recherché par l‟explicitation

la signification du terme ‫ُخ‬٥‫ وبذل اظتْٶٺخ االعزپب‬Définir d‟abord 259

‫بٻ‬٢‫ځ‬

‫بد‬٦‫رج‬

ٌ‫ڂٖو‬٦‫اٹ‬

« apartheid » , pour qu‟ensuite le lecteur

٫‫ب‬ٚ‫ ر‬puisse comprendre les mesures que le congrès africain ANC a mises en œuvre pour َٰ‫ اٹزٮو‬national lutter contre ce fléau. Visiblement, le

...، )‫ (األثبهربَل‬traducteur ne pouvait pas compter sur l‟emprunt seul de ce terme.

Après l‟avoir explicité, à la première occurrence, par "‫به رواځيَذ‬ٞ‫( "ٽ‬un aéroport de transit), le traducteur semble être peu convaincu de cette courte description qui peut s‟appliquer à de nombreux aéroports. Il cherche à récupérer cette éventuelle perte de sens en l‟explicitant lors de la deuxième occurrence par "ٌ‫به ػتىه‬ٞ‫( "ٽ‬un aéroport axial), et lors de la troisième occurrence par "‫( "ّجٶخ ػتىهَخ‬un réseau axial). Chaque explicitation révèle un aspect pertinent de ce que c‟est un « hub », de sorte que le lecteur comprenne de tout cela que cet aéroport constitue le point focal d‟un réseau aéroportuaire par lequel transitent des centaines d‟avions du monde entier. 259 En effet, on rencontre assez souvent ce terme dans le discours politique et journalistique notamment en parlant du « Mur d‟apartheid » que l‟état hébreu a fait construire pour séparer les deux peuples. Il semble que le traducteur ait 258

Partie II : Chapitre IV : Les motivations des explicitations dans le corpus du MD 2001-2011 Ex. 2 Le lobby (MD mars 2011, février 2011, janvier 2011, juin 2010, mars 2010, décembre 2009, juin 2009, mars 2007, février 2006, juin 2004) Ex. 3 Il a donc aussitôt fixé à vingt-six mille le quota de reconduites à la frontière pour 2008 (MD juin 2008)

Ex. 4 Premiers producteurs de ketchup au monde (MD août 2009)

Le lobby groupe pression)

(le de

‫خ‬٥‫(غتپى‬

351

"‫ "اٹٺىيب‬Bien que260ce terme soit assez souvent employé en arabe , la plupart des traducteurs du MD

)ٜ٪ٚ‫ اٹ‬ont cherché à le définir en optant souvent pour cette périphrase. Laquelle a l'avantage de préciser aux lecteurs arabes qu‟il s‟agit de groupes de pression qui exercent une influence politique, économique, etc., sur les gouvernements ou les organisations.

Il a donc aussitôt fixé le seuil minimal (quota) des cas d‟expulsion des étrangers à l'extérieur des frontières, pour l‟an 2008, à vingtsix mille. Il est même considéré comme le premier producteur du concentré de tomate (ketchup) au monde.

‫بٿ ٽب ؽلّك‬٥‫ ٹنا ٍو‬Préciser le sens de l‟emprunt « quota » notamment dans ce contexte parlant du

)"‫ اضتّٖخ اٹلځُب ("ٵىرب‬nombre des cas d‟expulsion des sans-papiers le ministère de l‟intérieur doit atteindre ‫وك‬ٝ ‫پٺُّبد‬٥ ‫لك‬٦‫ ٹ‬que chaque année.261 Bien qu‟employé dans ‫ األعبځت فبهط اضتلوك‬certains textes économiques arabes, le ‫ثَزخ‬

2008

traducteur voulait s‟assurer que ses lecteurs

‫بٻ‬٦‫ ٹٺ‬saisissent bien sa signification pertinente ici, .‫ْوَڀ ؤٹٮب‬٥‫ و‬vu son rôle important dans la construction du

‫زرب اظتڂزظ‬٦‫ؽىت ؤهنب ر‬ ‫األوٷ ظتوٵي اٹجڂلوهح‬

."‫بدل‬٦‫(اٹٶبرْت) يف اٹ‬

sens global de l‟énoncé. Dire aux lecteurs arabes ce que c‟est le « ketchup ». Contrairement aux cas précédents, le traducteur exagère ici l‟évaluation du risque d‟incompréhension de cet emprunt de la part des lecteurs arabes de ce MD publié en 2009. Pis encore, la périphrase employée identifie le ketchup au « concentré de tomates » et non à la sauce tomate sucrée, servant de condiment pour les frites ou accompagnant les sandwichs et autres plats de fast-foods.

Tableau 49: Des explicitations sur des emprunts jugés méconnus

2.5.5. Des explicitations d‟anciens termes arabes Comme nous l‟avons déjà évoqué, les traducteurs peuvent parfois être amenés à employer des termes arabes savants ou anciens que les dictionnaires bilingues proposent, pour traduire des noms d‟animaux, d‟oiseaux, et plus généralement tout ce qui concerne la faune et la flore.

un doute sur la compréhension de cet emprunt de la part de l‟ensemble du lectorat visé. Nous aurions préféré employer directement la périphrase "ٌ‫ڂٖو‬٦‫( "اٹزٮوَٰ اٹ‬la ségrégation raciale) qui explicite en deux mots le sens de ce concept et sa connotation péjorative. 260 Comme pour le terme de l‟apartheid, celui du « lobby » est connu généralement en arabe dans l‟expression ‫"اٹٺىيب‬ "‫( اٹٖهُىين‬le lobby sioniste) fréquemment entendue à la télévision arabe. Conscients de cette connotation qui se déclenche spontanément chez leurs lecteurs, les traducteurs du MD ont estimé que cet emprunt employé seul comportait une part d‟ambiguïté qu‟une explicitation juxtaposée permettrait de lever. Ainsi, le lecteur comprendra le sens général du mot « lobby », sans le limiter uniquement aux activités sionistes. 261 En général, le terme « quota » est reporté tel quel en arabe "‫ "ٵىرب‬et juxtaposé d‟une périphrase précisant sa signification selon le contexte. Ainsi, il se traduit par "‫بٻ اضتٖٔ اٹزغبهَخ‬٢‫( "ځ‬le système des ratios commerciaux) (MD mars 2009), "ٖٔ‫بٻ اضت‬٢‫( "ځ‬le système de proportions) (MD juin 2008), etc.

Partie II : Chapitre IV : Les motivations des explicitations dans le corpus du MD 2001-2011

352

Il y a donc des correspondances linguistiques plus ou moins « officielles » parce qu‟elles sont consignées dans les dictionnaires bilingues. Néanmoins, les traducteurs estiment que la majorité des lecteurs arabes ne comprendront pas ces vieux termes, peu usités. Ils décident alors de les expliciter par de courtes descriptions avec des mots simples. L‟exemple suivant démontre bien ce cas de figure.  Exemple nº 52 : mégacéros, mammouth, aurochs (comment les appeler clairement ?) Cet exemple est extrait d‟un article du MD août 2002, intitulé «Première visite à la grotte Chauvet », où l‟auteur reporte le témoignage de l‟un des grands critiques d‟art contemporain, John Berger, qui a pu pénétrer dans la grotte Chauvet. Les espèces d‟arbres se limitaient au bouleau, au pin sylvestre et au genièvre. La faune comprenait de nombreuses espèces qui ont maintenant disparu : mammouths, mégacéros, lions des grottes qui n‟avaient pas de crinière, aurochs et ours de 3 mètres de haut, mais aussi des élans, bouquetins, bisons, rhinocéros et chevaux sauvages. (MD août 2002)

‫وٵبځذ اٹْغوَبد څڂب ػتلوكح ثبٹجزىالد‬ ‫ اٽب‬،‫و‬٥‫و‬٦‫ اٹٖڂىثو اٹربٌ واٹ‬٣‫ٽڀ ځى‬ ‫لَل ٽڀ اٹٮٖبئٸ‬٦‫اضتُىاځبد ٭ٲل مشٺذ اٹ‬

٣‫ وٽڂهب اظتبٽىس (ځى‬،ً‫ذ ؽبٹُب‬ٙ‫اٹيت اځٲو‬ ‫بًٍنوً (ٽڀ‬٪ُ‫قپخ) واظت‬ٚ‫ٽڀ األ٭ُبٷ اٹ‬

،‫بوه اٹيت ال ٹجلح عتب‬٪‫اظتزواد) وؤٍىك اظت‬

‫واألهفٔ (صىه ثوٌ ٽڂٲوٗ) واٹلثجخ اٹيت‬ ً‫ب‬َٚ‫ واذل عبځجهب ؤ‬،‫ ؤٽزبه‬3 ‫ىعتب‬ٝ ٨‫َجٺ‬

‫ىٷ واٹجُبٌٍن‬٥‫قپخ) واٹى‬ٙ ‫جبء‬١( ‫الځل‬٦‫اٹ‬

‫(صًناٿ ماد ٍڂبٻ) ووؽُل اٹٲوٿ واصتُبك‬ .‫اٹربَخ‬

Les espèces d‟arbres se limitaient au bouleau, du type pin sauvage et genièvre. Quant aux animaux, il y avait de nombreux espèces qui ont actuellement disparu, parmi lesquels les mammouths (une sorte de grands éléphants), les mégacéros (une sorte de cervidés), les lions des grottes qui n‟avaient pas de crinière, les aurochs (un taureau sauvage disparu) et les ours de 3 mètres de haut, mais aussi des élans (de gros cerfs), des bouquetins, des bisons (des taureaux avec une seule bosse), des rhinocéros et des chevaux sauvages.

Comme ces animaux ou ces plantes ne sont pas très présents dans l‟environnent cognitif des lecteurs d‟aujourd‟hui, faute de musées, de serres, etc., les termes arabes les désignant paraissent pour le moins bizarres et parfois incompréhensibles. En dehors des emprunts « mammouths, mégacéros, bisons », explicités par des courtes périphrases entre parenthèses, ce qui nous intéresse ici, ce sont les termes arabes "‫"انؼالَذ‬، "‫"األسخص‬, explicités respectivement par « un taureau sauvage disparu » et « de gros cerfs ». Remarquons d‟ailleurs en début de la traduction que le traducteur n‟a pas traduit le terme « les bouleaux » auquel nous avons trouvé trois traductions différentes "‫ٕال‬ٛ‫ "انجبر‬،"‫ "انزبيٕل‬،"ٌ‫"انقضجب‬. Les trois termes sont presque inconnus des lecteurs arabes d‟aujourd‟hui. De la même manière, le terme « lichens » est traduit dans le MD septembre 2004 par le correspondant arabe "‫"انسضاصاد‬, mais explicité entre parenthèses par « une plante poussant sur les rochers » "‫ؼهٕ انصخش‬ٚ ‫"َجبد‬.

Partie II : Chapitre IV : Les motivations des explicitations dans le corpus du MD 2001-2011

353

3. L‟analyse statistique des motivations d‟explicitations sur l‟ensemble du corpus du MD 2001-2011 Après avoir analysé en contexte, à grand renfort d‟exemples principaux et secondaires, les différents cas de figure illustrant les différentes motivations des explicitations relevées dans le corpus du MD, nous allons analyser, dans cette dernière section, de façon qualitative, toutes les données collectées dans notre corpus, afin de disposer d‟une vue d‟ensemble sur l‟historique et l‟évolution de chacune des problématiques énoncées. Nous pourrions ainsi par exemple déterminer en quelle année il y avait plus ou moins d‟explicitations par rapport à telle ou à telle problématique. Dans l‟analyse discursive, nous nous basions sur le sens en discours des éléments explicités, sur les indices contextuels, les problèmes de traduction observés, etc., pour déterminer la motivation et la pertinence des explicitations analysées. Dans cette analyse quantitative, nous allons nous baser sur les facteurs situationnels, comme l‟étendue du lectorat, les normes de traduction dans le contexte d‟accueil, le skopos de la traduction, etc., pour analyser les courbes et les tendances constatées par rapport à chaque problématique. Avant d‟entreprendre cette analyse, nous voudrions d‟abord rappeler la méthode de collecte de ces données et puis présenter les statistiques générales concernant les cinq problématiques.

3.1. La méthode de collecte des données statistiques sur les explicitations dans le MD Dans l‟introduction générale de la thèse, nous avons expliqué la méthode suivie pour la constitution du corpus d‟explicitation. En effet, nous avons compilé, dans un premier temps, toutes les traductions de tous les articles du MD français traduits en arabe de 2001 à 2011, créant ainsi un corpus numérique parallèle aligné de plus 18 000 pages. Nous avons effectivement commencé la création de ce corpus en 2009 en téléchargeant tous les articles précédemment publiés. Nous l‟avons ensuite mis à jour au fur et à mesure de la parution de nouveaux numéros. La constitution de ce corpus a pris fin en décembre 2011. Dès le début de nos travaux de thèse en 2009, et après une lecture exploratrice des textes de notre corpus, nous avons vu que les explicitations étaient plus nombreuses dans les articles traitant des questions politiques, sociales, culturelles, économiques, etc., en Europe ou aux États-Unis et qu‟elles sont beaucoup moins nombreuses dans les articles traitant des questions relatives au monde arabe, aux pays asiatiques et aux pays d‟Amérique latine. Comme nous l‟avons expliqué dans notre méthodologie de la recherche, l‟explication de ce premier constat réside dans le fait que les auteurs des articles français s‟adaptaient aux connaissances culturelles supposées de leur lectorat, ce qui fait que leurs textes sont très clairs et explicites quand ils traitent des sujets que leurs lecteurs ignorent ou connaissent peu. Les traducteurs arabes se contentent alors de traduire les textes, en employant différentes techniques

354

Partie II : Chapitre IV : Les motivations des explicitations dans le corpus du MD 2001-2011

de traduction, mais sans ajouter d‟autres explicitations. Cette catégorie d‟articles n‟était donc pas intéressante pour l‟analyse du phénomène de l‟explicitation. En revanche, lorsque les auteurs estiment que leurs lecteurs disposent de suffisamment de connaissances extralinguistiques sur les sujets abordés, ils produisent des textes qui regorgent d‟implicite, de non-dit, de sous-entendus, de procédés métaphoriques et d‟ellipses. Face à tous ces « contenus implicites », les traducteurs arabes se trouvent contraints de recourir à diverses techniques d‟explicitation pour produire des textes lisibles et intelligibles en arabe. Nous avons donc commencé à chercher les explicitations dans cette catégorie de textes en particulier. Après avoir défini les critères distinctifs des explicitations, nous avons constitué un corpus de 5013 exemples d‟explicitation en contexte, issus de ces articles publiés entre 2001 et 2011. C‟est dans ce corpus que nous avons puisé tous les exemples présentés dans les chapitres précédents. Après avoir défini les cinq problématiques générales qui constituent les principales motivations des explicitations, nous avons trié manuellement les exemples selon leur motivation, sous chacune des cinq problématiques générales. Une fois ce tri effectué, nous avons compté le nombre total d‟explicitations correspondant à chaque problématique et les avons repartis selon les années. Ainsi, cette étude statistique vise essentiellement à donner une idée générale des différentes tendances observées. Elle constitue un volet complémentaire permettant d‟exploiter les autres exemples que nous n‟avons pas pu présenter dans la thèse pour avoir une vue d‟ensemble selon un ordre typologique (les cinq problématiques) et chronologique (les onze années). Le tableau suivant montre cette répartition par problématique et par année :

Année 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 Total

Nombre d’exemples relevés 278 251 227 212 279 381 375 578 1110 765 557 5013

Lacunes culturelles 72 62 75 53 90 132 147 227 456 297 213 1824

Métaphorisation du langage

Allusions et connotations

Construction elliptique

44 52 39 48 37 67 49 97 170 67 62 732

60 55 45 34 48 37 26 44 89 40 39 517

47 37 46 51 54 71 67 98 181 189 119 960

Tableau 50: Le nombre total des exemples par problématique et par année

Volatilité des désignations en langue cible

55 45 22 26 50 74 86 112 214 172 124 980

355

Partie II : Chapitre IV : Les motivations des explicitations dans le corpus du MD 2001-2011

Volatilité des désignations en langue cible 25%

Constructions elliptiques 22%

Lacunes culturelles 29%

Métaphorisation du langage 15% Allusions et connotations 9%

Figure 3: La répartition des exemples par problématique générale

1200 1110 1000 800

765

600

578

400

381 278

200

251

227

557

375

279 212

0 2001

2002

2003

2004

2005

2006

2007

2008

2009

2010

2011

Figure 4: L‟évolution du nombre totale d‟exemples d‟explicitation sur toute la période 2001-2011, toutes catégories confondues

356

Partie II : Chapitre IV : Les motivations des explicitations dans le corpus du MD 2001-2011

3.2. L‟analyse des statistiques de chaque problématique Nous allons à présent analyser une par une les problématiques générales qui constituent les principales motivations de explicitations. Les données statistiques seront présentées sous forme de graphique montrant la courbe que dessine l‟évolution de chaque problématique. À l'aide de ces courbes, et à la lumière de notre conception générale de l‟explicitation, nous allons analyser les fluctuations constatées et apporter les explications contextuelles des tendances observées. 3.2.1. La problématique nº 1 : Les lacunes culturelles 1200 1110 1000 800

765

600

578

400

381 278

200

251

227

212

557

375

279

0 2001

2002

2003

2004

2005

2006

2007

2008

2009

2010

2011

Figure 5: La répartition par année du nombre total d‟exemples inclus sous la problématique des lacunes culturelles

Constat général Nous avons regroupé sous cette catégorie toutes les explicitations consistant à apporter des compléments cognitifs définissant la valeur « référentielle » des éléments jugés inconnus des lecteurs arabe. Parmi ces éléments ayant suscité ce genre d‟explicitations, nous avons étudié les cas des noms propres de personne ou de lieu, les dénominations propres d‟institutions politiques et d‟établissements publics, les concepts politiques, économiques, sociaux, culturels, etc. Cette catégorie compte à elle seule 1824 exemples sur les 5013, soit 29% de l‟ensemble du corpus. Elle constitue de ce fait la première motivation principale des explicitations recensées. Cette catégorie atteint son seuil maximum en 2009, avec un pic de 456 exemples, et un seuil minimum de 43 exemples seulement en 2004. Cependant, entre 2001 et 2004, le nombre de cas appartenant à cette catégorie diminuait chaque année avant d‟augmenter successivement dans la période 2004 2009, pour retomber ensuite en 2010 et puis en 2011.

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Nous allons à présent proposer notre explication de ces résultats. Mais avant d‟aller plus loin dans les détails, nous tenons à rappeler une information d‟ordre général concernant l‟augmentation constante du nombre d‟explicitations dans les années 2004-2011. En effet, il faudrait se rappeler que de 2001 à 2005, on ne traduisait que 70 % des articles du MD français. Ce taux a augmenté sans cesse jusqu'à atteindre 95% en 2011262. Il est donc logique que le nombre d‟explicitations augmente chaque année, toutes catégories confondues. Discussion des résultats Comme il s‟agit d‟expliciter des référents culturels (noms propres, concepts) qui ne font pas partie du bagage cognitif supposé du lectorat arabe, cette problématique est étroitement liée à la thématique des articles traduits. En effet, plus les articles du MD abordent des sujets inconnus du lectorat arabe, plus il y aura des explicitations de ce type. Pour comprendre l‟évolution de cette courbe, il conviendrait donc d‟analyser les thématiques générales qui ont dominé les articles du MD durant toutes ces années. Voici un survol chronologique et thématique général qui nous aidera à comprendre les différentes tendances aux niveaux des autres problématiques aussi : En 2001, les articles sélectionnés traitaient des sujets généraux sur la mondialisation, l‟essor de l‟internet, les attaques terroristes du 11 septembre, les réactions des pays arabes face à ces événements, le terrorisme, etc. Malgré le nombre restreint d‟articles traduits et une thématique générale qui ne présentait pas de difficulté culturelle particulière, nous remarquons qu‟il y avait plus d‟explicitations par rapport aux années 2002, 2003 et 2004. En effet, cette année marque le vrai début du projet de traduction du MD en arabe ; les traducteurs recrutés étaient souvent d‟origine maghrébine (des algériens, des tunisiens, des marocains) et on ne savait pas encore l‟étendue du public qui serait effectivement intéressé par cette traduction. Par précaution et par volonté de toucher un grand public, on explicitait la majorité des référents culturels contenus dans ces textes, d‟où l‟augmentation du nombre d‟explicitations, pas seulement dans cette catégorie, mais également dans toutes les autres problématiques, comme nous allons voir ultérieurement. De 2001 à 2004, la plupart des articles traduits portaient sur des thématiques généralement connues pour le lectorat arabe, comme la guerre en Afghanistan, l‟axe du mal, des rappels historiques sur l‟enlisement de la Russie en Afghanistan et en Tchétchénie, sur Al-Qaïda, la guerre en Irak, la politique israélienne, le choc des civilisations, la liberté et l‟impartialité de la presse américaine lors de la guerre d‟Afghanistan et d‟Irak, le retour de la Lybie et de la Syrie sur la scène internationale après avoir entamé des réformes politiques, par crainte de représailles américaine, etc. Autant de sujets très fréquemment débattus par les médias et la presse arabes, ce qui réduit considérablement la distance thématique culturelle. La plupart des référents cités (noms d‟acteurs politiques et militaires, concepts politiques, juridiques, etc.) sont en général connus des lecteurs arabophones. En outre, le profil du lectorat de la traduction du MD commence à se préciser peu à peu, grâce aux abonnements nominatifs à la version papier et à la version 262

Seule la rubrique « courrier des lecteurs » n‟était pas traduite.

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électronique ainsi qu‟aux informations sur la clientèle transmises par les cercles de distribution de cette traduction (certaines librairies parisiennes, l‟Institut du Monde Arabe, les services consulaires, les universités arabes, etc.). Il s‟avère que les lecteurs réguliers du MD sont des gens cultivés, intéressés par les analyses et enquêtes du MD. Face à ce profil, les traducteurs effectuent de moins de moins d‟explicitations, puisqu‟ils pouvaient tabler sur le bagage cognitif de leurs lecteurs. Cette baisse du nombre d‟explicitations se produit alors que le taux d‟articles traduits augmente progressivement durant cette période (2002-2004). De 2004 à 2007, les thématiques abordées, le lectorat visé, le skopos de la traduction recherché changent ; l‟équipe des traducteurs aussi. Le nombre d‟article traduits continue à augmenter. Les articles sont de plus en plus axés sur l‟actualité française et européenne, telle que les émeutes des banlieues en France en 2005, le référendum sur le traité européen, les élections présidentielles de mai 2007, les réformes économiques, les aides sociales, la délocalisation, etc.263 Ces articles abondent en références culturelles de toutes sortes que les traducteurs ont cherché à éclaircir pour les lecteurs arabes (noms de personnage politiques, de chef de partis, de ministres, de concepts électoraux, sociaux, historiques, etc.). Du côté du lectorat, le MD arabe attire de plus en plus de lecteurs à travers le monde arabe. Le profil change et le cercle restreint et élitiste tend à se distendre. En effet, en 2005, la filiale « le Monde diplomatique les éditions arabes » (dorénavant la filiale) fut créée à Paris en collaboration avec une société anonyme « Concept Mafhoum ». Elle s‟est chargée de la responsabilité de la traduction et de la distribution du MD arabe. Cette société commence à élargir le cercle de distribution du MD en France et dans les pays arabes, notamment dans les universités et les centres de recherches. Elle s‟évertue également à signer des accords de partenariat avec les grands quotidiens arabes. Le premier accord était signé en 2007264. L‟équipe de traduction engagée par cette filiale est constituée de traducteurs libanais. Nous avons exposé les modalités de travail de cette équipe dans l‟introduction de la thèse. Vu l‟élargissement progressif du lectorat, les traducteurs commencent à expliciter de plus en plus pour s‟adapter aux différentes connaissances culturelles des lecteurs arabes. Le nombre d‟explicitations augmente constamment. Cette filiale tente de profiter de l‟ouverture politique et démocratique qu‟affichent les pays arabes à cette époque pour élargir encore le cercle de diffusion du MD dans le monde arabe. Désormais, cette filiale cherche à s‟adresser à toute la population arabe, à leur présenter le modèle journalistique et intellectuel français, autrement dit à former les lecteurs et les informer en même temps. De 2008 à 2010, la crise des subprimes aux Etats-Unis et la crise financière et bancaire en Europe se taillent la part du lion des textes du MD. Les pluparts des articles traduits évoquent des sujets 263

À cela s‟ajoute aussi d‟autres thématiques générales comme l‟antisémitisme, le féminisme, le nationalisme, les percées démocratiques dans certains pays arabes, etc., ou plus spécifiques comme la balkanisation, les coups d‟états en Afriques, le trafic de drogues. 264 Pour plus d‟informations sur la distribution du MD dans les pays arabes, voir le tableau reproduit à la page 7 dans l‟introduction générale de la thèse.

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économiques liés à la crise et à ses conséquences : les dérives de la Finance, le libéralisme, le protectionnisme, le chômage, les grèves, les plans de rigueur et d‟austérité, les sommets européens, etc. À cela s‟ajoutent d‟autres sujets politiques et sociaux sur les élections, le Sarkozysme, les réformes universitaires, les réformes de l‟hôpital public, la montée en puissance des partis d‟extrême droite, les impôts aux Çtats-Unis, le système de retraite, etc. Les comptesrendus de lecture traitent également des livres sur l‟économie, la philosophie, la littérature, etc. Tous ces articles regorgent de noms et de concepts qui nécessitent des explicitations pour un lectorat arabe de plus en plus vaste. En effet, à partir de 2008, la filiale réussit à signer des accords de partenariat avec les grands quotidiens arabes. Ces accords prévoient que la version arabe du MD sera distribuée sous forme de supplément gratuit de ces grands quotidiens. Tous les articles sont désormais traduits en arabe. Les délais de traductions étant de plus en plus serrés, les traducteurs n‟ont plus le temps de peser le pour et le contre des diverses solutions possibles. Ils optent quasi systématiquement pour l'apport de compléments cognitifs afin d‟aider les lecteurs à identifier les référents culturels étrangers et à en comprendre la signification dans les textes. En outre, fin 2008, la filiale signe un accord avec l‟éditeur Koweitien Al-Qabas pour imprimer la traduction sous forme de magazine, ce qui élargit encore davantage l‟espace rédactionnel et par conséquent la possibilité d‟adjoindre des explicitations et des notes de traducteurs. Ceci explique en grande partie le pic de 2009. De 2010 à 2011, le monde arabe est secoué par toute une série de révoltes, qu‟on a appelées « le Printemps arabe ». Une grande partie des articles du MD traite de cette question, ce qui implique naturellement une diminution importante du nombre d‟explicitations. Celles-ci apparaissent désormais essentiellement dans les articles encore consacrés aux sujets politiques, économiques et sociaux français, mais aussi et surtout dans les sujets historiques évoquant la Révolution française et la Commune de Paris. Ces articles servent de sources d‟inspiration pour les « communards » arabes. Or, la situation politique et sécuritaire se détériore dans le monde arabe, notamment en Lybie et en Syrie. Les plupart de journaux n‟éditent plus le MD arabe. Les pays du Golfe commencent à les censurer indirectement. La filiale rencontre des problèmes financiers, les traducteurs ne sont plus payés. Pour toutes ces considérations, le nombre d‟explicitations régresse fortement en 2011. En 2012, après avoir résisté aux problèmes de censure et aux problèmes financiers, la filiale a arrêté la traduction en juin 2012 et a annoncé sa liquidation judiciaire en février 2013. C‟est donc la fin de ce projet. Néanmoins, l‟interruption de la traduction a créé un vide informatif dans le paysage linguistique arabe, notamment en Égypte. Les lecteurs arabes voulaient savoir ce que pensaient les journalistes et les intellectuels français d‟événements qui ont secoué la région en 2012. Certains journaux tentaient de traduire de temps en temps les articles du MD sur les pays arabes, mais la traduction était très tendancieuse, voire malhonnête : on supprimait certains passages et on prêtait aux journalistes du MD des opinions favorables à tel ou tel régime.

360

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3.2.2. La problématique nº 2 : La métaphorisation du langage 180

170

160 140 120 100

97

80 67

60 40

44

52 39

48

67

62

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37

20 0 2001

2002

2003

2004

2005

2006

2007

2008

2009

2010

2011

Figure 6: La répartition par année du nombre total d‟exemples inclus sous la problématique de la métaphorisation du langage

Constat général Nous avons regroupé sous cette catégorie toutes les explicitations ayant pour but d‟expliciter le sens en discours des emplois tropiques des noms propres (métonymie, antonomase, éponyme), des comparaisons implicites, des expressions métaphoriques et idiomatiques et des jeux de mots. Tous ces procédés métaphoriques participent du style journalistique et créent un effet de raccourci sémantique dont le lecteur arabe n‟est pas souvent en mesure de percevoir le sens implicite. Pour déchiffrer ce sens, il faudrait disposer de suppléments informatifs sur les traits de significations de ces emplois tropiques. Cette catégorie compte 732 exemples sur les 5013, soit 15 % de l‟ensemble du corpus. Elle constitue de ce fait la quatrième motivation principale des explicitations recensées. Cette catégorie atteint son seuil maximum en 2009, avec un pic de 170 exemples, et un seuil minimum de 39 exemples seulement en 2003. Sa courbe affiche une stabilité relative entre 2001 et 2007, avec une légère augmentation en 2006, avant de doubler en 2008 et puis encore en 2009. Elle baisse ensuite les deux dernières années pour revenir à la moyenne normale du palier 2001-2007. Discussions des résultats Il importe d‟abord de noter que le recours à l'explicitation pour résoudre ce genre de problème est, à l'instar de la problématique des lacunes culturelles, étroitement liée à la thématique des articles traduits. Ces procédés métaphoriques sont souvent employés dans les textes évoquant des sujets relatifs à l‟actualité française et européenne. En effet, pour déchiffrer le sens d‟un emploi métonymique, antonomasique ou éponymique en discours ou d‟un jeu de mots, il faudrait que le lecteur natif dispose déjà d‟un bagage cognitif fourni sur les endroits, les personnes, les événements auxquels il est fait implicitement référence. C‟est pour cette raison que ces emplois

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tropiques sont très peu fréquents dans les textes traitant de sujets sur les pays arabes, asiatiques ou d‟Amérique latine. Par conséquent, le nombre d‟explicitation est généralement bas, notamment dans les années 2001 à 2005. Les explicitations relevées durant cette période concernent souvent des jeux de mots sur la sonorité, des emplois métonymiques désignant des institutions gouvernementales ainsi que des expressions métaphoriques et idiomatiques qui font souvent partie du bagage linguistique du lectorat natif. Dès lors que ces expressions figurent dans les textes d‟origine, les traducteurs arabes se trouvent souvent obligés de les expliciter. En effet, lorsque les traducteurs se heurtent à des problèmes de compréhension de certains énoncés en français, par manque de connaissances linguistiques ou culturelles, ils se réfugient souvent derrière la traduction directe (par calque ou emprunt) laissant au lecteur la tâche d‟inférer le sens voulu. Mais lorsqu‟il s‟agit de traduire ces emplois tropiques en particulier, la traduction directe échoue complètement et produit des phrases totalement inintelligibles265. Face à ces incongruités, les lecteurs avertis et profanes ne manqueront pas de s‟apercevoir de l‟incompétence du traducteur qui, de toute évidence, n‟a pas bien compris le texte d‟origine, ou du moins, n‟a pas su le rendre convenablement en arabe. Néanmoins, ceci ne doit pas laisser entendre que la traduction directe est une méthode de traduction à proscrire en toutes circonstances ou que ceux qui optent pour cette stratégie sont nécessairement de mauvais traducteurs. Nous voudrions seulement faire remarquer que cette catégorie d‟emplois tropiques a été presque toujours explicitée. Le petit pourcentage observé dans ces années s‟explique, comme nous l‟avons dit, par le petit nombre de ces emplois dans les textes d‟origine traduits en arabe à cette époque. En 2005-2006, on constate une nette augmentation de ces explicitations, car bon nombre des textes traduits ces deux années portaient sur la France, sur certaines réformes engagées par le premier ministre de l'époque Dominique De Villepin, sur les manifestations et les grèves qui les ont suivies. Il y avait également un lot d‟articles consacrés à l'étude des problèmes sociaux en France, comme les émeutes des banlieues, l‟éducation, le chômage, les mesures policières, etc. Ces textes étaient propices à l'emploi de jeux de mots, d‟antonomase et de métonymie sur des références littéraires et historiques. Ces expressions tropiques servaient par exemple à critiquer avec humour les agissements de Sarkozy à la Place Beauvau. Après une légère baisse en début de l‟année 2007 due au changement thématique où l‟on parlait plus de l‟évolution économique de la Chine, des crises répétitives dans les pays d‟Amérique Latine, le nombre des emplois tropiques augmente progressivement durant cette année, après la victoire de Sarkozy aux présidentielles de 2007. Cette hausse se poursuit entre 2009 et 2010, où la majorité des articles du MD analysaient les actions du gouvernement sous Sarkozy et évoquaient de la crise financière. En parlant de l‟ouverture à gauche, en comparant le 265

Que pourrait comprendre un lecteur arabe, égyptien, saoudien ou yéménite, si l‟on lui traduit mot à mot une phrase comme « la rue Solferino a décidé de s‟allier avec les verts et les rouges » par ‫و‬ٚ‫ اطت‬٤‫ ٽ‬٬‫ ٍىٹٮًنَڂى اٹزؾبٹ‬٣‫"ٱوه ّبه‬ ‫"?واضتپو‬

362

Partie II : Chapitre IV : Les motivations des explicitations dans le corpus du MD 2001-2011

Sarkozysme au Bonapartisme, en évoquant les questions polémiques de l‟identité nationale et l‟immigration, les textes politiques abondaient en expressions métonymiques et en comparaisons de toutes sortes. En analysant le krach boursier de 2008, la crise des subprimes aux États-Unis et puis la crise financière mondiale, les textes économiques regorgeaient d‟emplois de concepts éponymiques expliquant les tenants et les aboutissants de la crise. Les jeux de mots et les expressions métaphoriques étaient également un support linguistique idéal pour critiquer les dérives de la finance et les mesures prises par l‟Union européenne pour endiguer cette crise. Parallèlement, les traducteurs du MD devaient faire face à un lectorat arabe de plus en plus vaste, après la distribution gratuite du MD dans la plupart des pays arabes dès la fin 2007, mais surtout de plus en plus exigeant. Il fallait donc s‟adapter et proposer des textes intelligibles. Faute de quoi, les lecteurs et les journaux arabes risquaient de se désintéresser de cette traduction et ne plus la publier. Les traducteurs explicitaient donc quasi systématiquement les emplois tropiques, ce qui explique la nette augmentation du nombre d‟explicitation durant cette période. A partir de la fin 2010, les textes du MD commencent à parler plus du « Printemps arabe », des autres pays étrangers, ce qui fait que le nombre de ces emplois diminue encore, et donc les explicitations. Il reste cependant quelques expressions tropiques liées généralement à la situation économique ou sociale en France et dans les pays européens. La chute du nombre des explicitations en 2011 est commune à toutes les problématiques, car, comme nous l‟avons déjà évoqué, la situation politique et sécuritaire n‟était plus favorable à la distribution du MD. Il y avait donc de moins en moins de lecteurs. D‟autant plus que la filiale traversait une crise financière au point de ne plus pouvoir payer les traducteurs. Ce manque de motivation peut aussi expliquer en partie cette baisse des explicitations. 3.2.3. Problématique nº 3 : Les allusions et connotations 100 90

89

80 70 60

60

50

55 48

45

40

34

30

44

40

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26

20 10 0 2001

2002

2003

2004

2005

2006

2007

2008

2009

2010

2011

Figure 7: La répartition par année du nombre total d‟exemples inclus sous la problématique des allusions et des connotations

Partie II : Chapitre IV : Les motivations des explicitations dans le corpus du MD 2001-2011

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Constat général Nous avons regroupé sous cette catégorie toutes les explicitations ayant pour but d‟expliciter le sens en discours de toute sorte d‟allusions et de connotations contenues dans les noms propres, dans les mots lexiculturels ou sous forme de citations non déclarées, comme les slogans et les titres d‟œuvre, etc. Cette catégorie s‟inscrit dans la continuité logique de la problématique précédente dans la mesure où les allusions et les connotations peuvent être perçues également comme des procédés métaphoriques du langage. Pour les repérer d‟abord et puis décrypter leur sens en discours, il faut posséder les informations extralinguistiques pertinentes et tenir compte de tout le contexte. Elles créent une sorte de halo de signification dont seul le lecteur attentif et averti peut avoir conscience. Cette catégorie compte 517 exemples sur les 5013, soit 9 % de l‟ensemble du corpus. Elle constitue de ce fait la cinquième motivation principale des explicitations recensées. Cette catégorie atteint son seuil maximum en 2009, avec un pic de 89 exemples, et un seuil minimum de 26 exemples seulement en 2007. A l'exception de deux pics soulignés et d‟une légère augmentation en 2001, sa courbe affiche une stabilité relative sur toute la période 2001-2011. La discussion des résultats Hormis une nette augmentation en 2009 qui s‟explique, comme dans tous les autres cas, par une thématique politique et économique axée sur la France et propice à l'emploi de ce genre d‟allusions, la courbe affiche une relative stabilité avec un nombre généralement faible. A partir de notre analyse du corpus en général et en nous basant sur les exemples d‟explicitations d‟allusions et de connotations en particulier, nous pouvons invoquer plusieurs raisons qui expliquent ce taux bas. Il s‟agit tout d‟abord de la difficulté pour les traducteurs de détecter la présence de ces allusions notamment lorsqu‟il s‟agit de références à des titres d‟ouvrage, à des phrases cultes , à des slogans ou à des citations non déclarées, à des termes d‟une connotation culturelle particulière, etc. Ces références allusives se dissimulent subtilement dans la trame discursive ; seul un lecteur attentif et versé dans la culture du texte source peut les déceler. Étant généralement installés au Liban, notamment depuis 2005, et peu rodés à l'exercice de traduction de tels textes, caractérisés par un style soutenu et un ancrage marqué dans la culture occidentale, les traducteurs du MD n‟ont pas toujours la compétence et la sensibilité culturelles suffisantes pour s‟en apercevoir. Ils traduisent les textes en passant sous silence ces allusions et connotations. Contrairement aux emplois tropiques dont la traduction littérale engendre généralement une rupture nette de la communication, la traduction directe d‟une phrase chargée d‟une allusion ou d‟une connotation provoque certes une perte de sens, mais elle reste généralement lisible et globalement intelligible. La deuxième explication que nous pouvons avancer est en rapport avec le skopos de la traduction. En effet, comme nous l‟avons remarqué, les traducteurs s‟intéressent presque toujours à la fonction dénotative des éléments linguistiques et culturels en discours. Leur souci principal est de définir en quelques mots ces objets et concepts, déléguant au lecteur la tâche d‟inférer le

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Partie II : Chapitre IV : Les motivations des explicitations dans le corpus du MD 2001-2011

sens à partir de ces compléments ajoutés. La fonction allusive ou connotative retient rarement leur attention. Il y a rarement des explicitations portant directement sur cette fonction. Il semble que les traducteurs se contentent généralement de l‟ajout de ces compléments cognitifs culturels ou des rappels contextuels, en négligeant intentionnellement tout ce qui concerne les subtilités culturelles qui peuvent même échapper aux lecteurs natifs. Autrement dit, les lecteurs arabes devraient s‟estimer déjà chanceux d‟avoir ce lot d‟explicitations et ils ne devraient pas en exiger davantage. À cela s‟ajoute une troisième explication qui se fonde sur l‟analyse des conditions contraignantes de la traduction du MD. En effet, la compression des délais, les rémunérations généralement basses, le manque de reconnaissance compte tenu de l‟anonymat des traductions, sont autant de facteurs qui n‟incitent pas vraiment les traducteurs à chercher à saisir toutes ces subtilités discursives et à tenter de les faire comprendre aux lecteurs cibles. N‟oublions pas non plus que même si les traducteurs trouvent le temps de faire des recherches documentaires pour appréhender toute la charge allusive des textes du MD, l‟explicitation de ces allusions cachées comporte toujours une prise de risque important. Les traducteurs risquent fort de se méprendre sur le sens voulu, de verser dans l‟intention de dire, de se perdre dans les différentes perceptions subjectives des connotations véhiculées par certains termes, de se documenter à partir de sources non fiables, etc. Le principe de l‟aversion des risques s‟applique également dans ces cas. Plus qu‟un choix de la facilité, la traduction directe s‟avère être dans ce cas le choix de la sécurité. 3.2.4. Problématique nº 4 : Les constructions elliptiques 200 181

180

189

160 140 120

119

100

98

80

71

60 40

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72

54

20 0 2001

2002

2003

2004

2005

2006

2007

2008

2009

2010

2011

Figure 8: La répartition par année du nombre total d‟exemples inclus sous la problématique des constructions elliptiques

Partie II : Chapitre IV : Les motivations des explicitations dans le corpus du MD 2001-2011

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Constat général Nous avons regroupé sous cette catégorie toutes les explicitations qui consistent à reformuler plus complètement des ellipses et plus clairement des liens anaphoriques et logiques. Cette reformulation se base généralement sur l‟analyse du co-texte et l‟interprétation du sens des indices contextuels parsemés dans le texte en entier. Les lecteurs avertis peuvent généralement inférer le sens de ces constructions elliptiques sans l‟aide du traducteur, mais au prix d‟un réel effort interprétatif et de la relecture de certains passages du texte. Pour assurer la cohérence de l‟ensemble et la fluidité du texte traduit, les traducteurs se chargent souvent de les élucider. Cette catégorie compte 960 exemples sur les 5013, soit 22 % de l‟ensemble du corpus. Elle constitue de ce fait la troisième motivation principale des explicitations recensées. Cette catégorie atteint son seuil maximum en 2010, avec un pic de 189 exemples, et un seuil minimum de 37 exemples en 2002. Entre 2001 et 2010, la courbe affiche une augmentation constante. Elle marque une légère baisse entre 2001 et 2002 et une forte régression entre 2010 et 2011. Discussion des résultats La tendance qui ressort du tracé de la courbe représentant cette catégorie d‟explicitations est on ne peut plus clair : une augmentation constante de 2002 à 2010. La première baisse observée entre 2001 et 2002 s‟explique en grande partie, comme nous l‟avons déjà évoqué, par le fait que la première année de la traduction du MD était plutôt une période d‟essai et d‟exploration. Les traducteurs faisaient attention à tous les détails et cherchaient à être les plus explicites possibles pour attirer l‟attention et conquérir l‟estime du nouveau public du MD. La deuxième baisse observée entre 2009 et 2011 est un phénomène commun à toutes les problématiques. Elle s‟explique par un recul d‟intérêt pour le MD dans les pays arabes, par la crise financière du MD et le changement thématique. Il faudrait cependant remarquer que cette une fausse baisse provoquée par un pic extraordinaire enregistré en 2009. Le nombre d‟explicitations recensées en 2010 et 2011 reste nettement supérieur à celui réalisé dans les années précédentes, ce qui confirme cette tendance à l‟augmentation. Quant aux raisons de cette tendance, nous pouvons avancer deux explications plausibles. La première se rapporte à la méthode générale de traduction, la deuxième à l'adaptation au lectorat. Pour comprendre la première raison, il faudrait rappeler que les explicitations des constructions elliptiques n‟impliquent pas généralement l‟ajout de compléments cognitifs extralinguistiques, mais plutôt l‟expression plus claire d‟informations déductibles du co-texte ou du contexte en général. Ces éléments ajoutés sont puisés dans le texte lui-même et non pas dans le monde extralinguistique auquel il fait référence. L‟augmentation de ces explicitations reflètent donc une démarche interprétative visant à interpréter le sens des liens logiques, anaphoriques et des implicites textuels pour les réexprimer clairement aux lecteurs cibles. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, la traduction directe a également joué un rôle dans l‟augmentation de ces explicitations, notamment dès 2007. En effet, l‟augmentation du nombre des textes traduits ainsi que la réduction des délais impartis à la traduction ont conduit la filiale à recruter de plus en plus

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Partie II : Chapitre IV : Les motivations des explicitations dans le corpus du MD 2001-2011

de traducteurs. Ces derniers ne sont pas tous des traducteurs professionnels et ne partagent pas tous la même conception de l‟acte de traduire et de la tâche du traducteur. Nous avons remarqué que les traducteurs avant 2007 prenaient plus de liberté dans la formulation en arabe, tandis que les traducteurs après 2007 collaient de plus en plus au texte d‟origine, tout en pratiquant des explicitations là où ils en ressentaient le besoin. Mais ils tendaient généralement au calque syntaxique. Cette tendance les amène parfois à construire des phrases en arabe qui restent ambiguës, ce qui les oblige ensuite à opérer des explicitations pour repréciser le sens. La deuxième explication se base sur la nécessité déjà mentionnée de s‟adapter à un lectorat cible de plus en plus vaste et exigeant. Les traducteurs devaient produire des textes lisibles et intelligibles adaptés aux différentes connaissances linguistiques et culturelles des lecteurs arabes. Ce skopos assigné à la traduction avait pour conséquence directe l‟augmentation des explicitations des constructions elliptiques qui risquaient de rendre la lecture peu fluide, voire désagréable, si elles n‟étaient pas prises en charge par les traducteurs. 3.2.5. Problématique nº 5 : La volatilité des désignations linguistiques en arabe 250 214

200

172 150

100 74 50

124

112

55

86

50

45 22

26

0 2001

2002

2003

2004

2005

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2008

2009

2010

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Figure 9: La répartition par année du nombre total d‟exemples inclus sous la problématique de la volatilité de désignations en langue cible

Constat général Nous avons regroupé sous cette catégorie toutes les explicitations qui consistent à proposer des formulations linguistiques susceptibles d‟évoquer aux lecteurs cibles des objets et des concepts qu‟ils connaissent, mais sous différentes dénominations. L‟étendue du lectorat, les variétés régionales, les nuances dans le découpage de la réalité, les problèmes chroniques du lexique arabe, sont autant de facteurs qui poussent les traducteurs à opérer ce genre d‟explicitations. Les

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lecteurs confirmés peuvent généralement s‟en passer et se contenter des emprunts les désignant, mais pour les lecteurs occasionnels et profanes du MD, ces reformulations plus explicites leur permettent de saisir plus aisément le sens voulu. Elles représentent donc une sorte d‟adaptation au lectorat cible, mais aussi à leurs connaissances linguistiques. Cette catégorie compte 980 exemples sur les 5013, soit 25 % de l‟ensemble du corpus. Elle constitue de ce fait la deuxième motivation principale des explicitations recensées. Cette catégorie atteint son seuil maximal en 2009, avec un pic de 214 exemples, et un seuil minimal de 22 exemples en 2003. Entre 2001 et 2003, la courbe affiche une légère baisse, avant de marquer une augmentation constante entre 2003 et 2009, pour chuter de nouveau en 2010 et 2011. Discussion des résultats La courbe représentant l‟évolution du nombre d‟explicitations de cette catégorie ressemble largement à celle de la problématique précédente. Elle appelle les mêmes explications. L‟application d‟une démarche interprétative pousse les traducteurs à anticiper la réaction des lecteurs, à s‟adapter à leurs connaissances linguistiques et à s‟assurer de leur capacité à inférer le sens voulu et à identifier les concepts désignés. Aussi, les traducteurs tentaient-ils par tous les moyens linguistiques mis à leur disposition de transmettre l‟idée voulue, quitte à multiplier les solutions de traduction pour un même problème rencontré. L‟expansion du public visé par le MD devait s‟accompagner d‟une prise en charge adaptée aux variétés régionales des dialectes arabes et à la différence des compétences linguistiques des lecteurs potentiels. C‟est la raison pour laquelle, on proposait des équivalents synonymiques, on explicitait quasi systématiquement les emprunts et on apportait des précisions sur certaines nuances linguistiques et culturelles. Il reste cependant une interrogation légitime sur la raison de l‟existence d‟un grand nombre d‟explicitations dans la période 2001-2004 où le cercle des lecteurs du MD était assez restreint. Pour y répondre, nous pensons que cela est dû au fait que la plupart des traducteurs du MD à l'époque était d‟origine maghrébine. Les différences lexicales entre les pays du Maghreb et les autres pays arabes de l‟Orient sont telles qu‟il y a souvent des difficultés de communication. Conscients de cette disparité lexicale et du fait que le lectorat du MD reste majoritairement des arabes non-maghrébins (ces derniers sont souvent bilingues), les traducteurs prenaient soin d‟être aussi explicites que possible concernant le choix des désignations linguistiques. A cela s‟ajoute le fait que les problèmes de désignation de certains objets et concepts en arabe ne datent pas d‟aujourd‟hui et ne sont pas limités à une aire géographique particulière. Il s‟agit d‟un problème chronique dû à cette situation diglossique entre trois registres de la langue arabe (le littéraire, le standard officiel et le dialectal) qui évoluent à des vitesses différentes et qui sont souvent utilisés en même temps. Le répertoire lexical de chaque registre évolue différemment, les disparités terminologiques ne cessent de se creuser. Vu l‟échec et le manque de coordination des travaux d‟arabisation, les cases vides de l‟arabe littéraire n‟ont d‟autres choix que de se remplir par l‟emprunt externe à d‟autres langues ou l‟emprunt interne à des dialectes régionaux.

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4. En guise de conclusion Ici s‟achève un long périple durant lequel nous avons examiné à la loupe les différentes motivations des explicitations relevées dans un corpus de dix ans de traductions du MD en arabe. En nous basant sur notre cadre théorique et notre conception de l‟explicitation, nous avons dégagé cinq problématiques générales qui constituent les principales motivations des explicitations à savoir : les lacunes culturelles, la métaphorisation du langage, les allusions et les connotations, les constructions elliptiques et la volatilité des désignations en langue cible. Le but ultime de toutes les explicitations relevées consiste à éviter tout risque d‟ambiguïté ou d‟incompréhension du sens pertinent des textes traduits. En nous basant sur une approche interprétative, nous avons analysé les différents éléments problématiques en contexte afin de déterminer la nature du problème de traduction qu‟ils soulèvent, leurs fonctions discursives dans le texte, leur pertinence pour la construction globale du sens des énoncés où ils figurent, les éventuels éclairages apportés par le contexte cognitif sur leurs significations pertinentes. Quel que soit le problème rencontré (lacune culturelle, procédé tropique, allusion, ellipse, flou terminologique), nous avons vu les traducteurs du MD établir un nouveau rapport explicite/implicite adapté au besoin communicatif ressenti, au bagage cognitif supposé du lecteur arabe, au profil sociolinguistique du lectorat arabe ciblé, à la visée traductive recherché par la filiale. Ce nouveau rapport explicite/implicite est ad hoc ; il change d‟un contexte à l'autre, d‟un élément à l'autre, d‟un traducteur à l'autre, mais il est un dénominateur commun à tous ces rapports créés par les traducteurs : La partie explicite devient toujours plus importante pour inclure les compléments cognitifs que le traducteur juge pertinents afin de permette au lecteur de saisir pleinement le sens de l‟élément en question et de déduire le sens global de l‟énoncé. Tout le jeu réside donc dans le choix des traits pertinents fournis par le traducteur. Lorsque ce choix est judicieux et savamment dosé, l‟inférence du sens se déroule sans encombre, l‟intelligibilité et la lisibilité sont au rendez-vous. Lorsque ce choix est périlleux, hasardeux, les risques d‟ambiguïtés et d‟incompréhensions subsistent. Le lecteur apprend certes de nouvelles choses, mais il n‟appréhende pas le sens dans toute sa plénitude. En analysant les différents cas de figures de toutes les problématiques suscitant des explicitations, nous avons pu dégager une caractéristique commune : il y a toujours un dire caché derrière chaque phrase, chaque mot, voire chaque guillemet. Les mots ne disent pas tout. Ils suggèrent. D‟où l‟intérêt d‟étudier les problèmes de traduction sous la perspective de la TIT qui met le principe de la synecdoque (le rapport explicite/implicite dans le paradigme de désignation) au cœur de sa réflexion théorique et pratique. Qu‟il s‟agisse d‟un nom propre, d‟un nom commun, d‟un référent culturel, sollicités pour leur fonction dénotative ou employés dans une fonction allusive (métonymique, antonomasique, éponymique, comparative, métaphorique, ludique, symbolique, connotative), le traducteur doit toujours, au-delà de ses compétences purement

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linguistiques, mobiliser ou compléter ses connaissances extralinguistiques et faire jouer ses compétences d‟analyse, pour interpréter le sens pertinent de ces éléments, un sens qui est toujours fonction d‟un auteur, d‟une situation d‟énonciation et de réception. Autrement dit, sous la plume de chaque auteur, chaque texte manipule les éléments discursifs à sa guise et les charge d‟un sens nouveau qui dépasse souvent les acceptions premières des termes employés. Ainsi, des noms propres peuvent désigner des idées, des objets, des œuvres ; des noms communs, des noms de couleurs et d‟animaux peuvent désigner des personnages, des idées, grâce aux différents emplois tropiques ; des dates et des sigles peuvent désigner tout un pan de connaissances extralinguistiques, historiques, économiques, etc., grâce à leurs valeurs référentielles ; les mots se fondent pour former un sens pertinent grâce aux jeux de mots ; les dimensions spatio-temporelles disparaissent lorsque l‟on compare le passé avec le présent et vice versa, avec une simple mise en parallèle entre deux personnages, deux événements ou deux entités, grâce aux allusions et aux comparaisons ; les ellipses cachent toujours plus qu‟elles ne manifestent grâce à leur entourage textuel, et ainsi de suite. Dans toute cette stratification du langage et du sens, la traduction littérale ne réussit bien souvent qu‟à faire passer ad minima la partie explicite du texte, mais la part implicite reste cachée voire plus obscure encore. En revanche, lorsque l‟on a affaire à un lectorat qui désire découvrir les textes du MD et le monde des textes du MD, la stratégie de l‟explicitation se présente comme l‟option la plus appropriée et la plus apte à transmettre tous ces sens cachés et improbables. Nous avons vu que les traducteurs du MD faisait souvent appel à cette solution, même si parfois leurs choix interprétatifs ou leurs efforts de réexpression n‟étaient pas toujours heureux. Les chiffres et les graphiques montrant le nombre d‟explicitations sollicitées sous chaque problématique en témoigne. En nous basant sur le nombre d‟explicitations recensées, nous avons trouvé que l‟explicitation était sollicitée premièrement pour apporter des compléments sur la valeur dénotative des éléments discursifs inconnus des lecteurs, deuxièmement pour désigner plus clairement des objets et concepts n‟ayant pas reçu d‟étiquettes linguistiques fixes en langue arabe, troisièmement pour renforcer la cohésion et la cohérence textuelles en complétant les ellipses et dénouant les équivoques, quatrièmement pour décrypter le sens des emplois tropiques impliquant une comparaison ou un rapport logique implicites entre deux entités ou réalités, et enfin pour décoder le sens des allusions et des connotations qui se cachent dans le maillage textuel. Nous allons à présent nous pencher sur la description détaillée des techniques d‟explicitations mises en œuvre pour résoudre tous ces problèmes et sur les risques contre lesquels nous voudrions mettre en garde les traducteurs afin qu‟ils puissent produire des explicitations pertinentes et efficaces.

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CHAPITRE V Les techniques d‟explicitation et leur mise en œuvre dans le corpus du MD 2001-2011

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Préambule Suite au chapitre précédent consacré à l'analyse du corpus du MD selon les cinq principales motivations d‟explicitation, nous allons dédier ce chapitre à une analyse fouillée de la mise en œuvre de la stratégie d‟explicitation dans le corpus du MD 2001-2011. Cette analyse s‟effectue selon deux volets : le premier se penche sur la description des techniques d‟explicitation sollicitées par les différents traducteurs arabes, le deuxième met en avant les conditions optimales de la mise en œuvre de la stratégie générale d‟explicitation. S‟agissant des techniques d‟explicitation, nous avons pu dégager six techniques principales, comportant chacune plusieurs procédés opératoires. Ces techniques sont : l‟incrémentialisation, la périphrase, la paraphrase, l‟équivalent synonymique, l‟insertion, la note du traducteur. Cette première section se donne également pour objectif de mettre en relief les différentes implications entre ces techniques d‟explicitation et les cinq motivations étudiées dans le chapitre IV. En outre, à la suite de l‟analyse de chaque technique, nous allons présenter un graphique illustrant la fréquence d‟emploi de chaque technique de 2001 à 2011, ce qui nous permettra de retracer et de comparer l‟évolution de l‟utilisation de ces techniques durant toute cette période. S‟agissant des conditions de mise en œuvre de la stratégie, nous nous sommes inspiré des maximes conversationnelles de Grice pour élaborer cinq maximes qui régissent, selon notre conception globale de l‟explicitation, le recours à cette stratégie. Ces maximes sont : la pertinence, la qualité, la quantité, la sureté et la manière. Le respect de ces maximes dans le processus de prise de décision de l‟explicitation devrait assurer une pertinence optimale des explicitations fournies sur le fond et une rigueur dans la méthode de leur insertion dans le texte traduit sur la forme. En revanche, la violation de ces maximes est souvent à la base de ce que nous avons appelé les « tentatives d‟explicitation », autrement dit, des explicitations qui manquent de pertinence, d‟exactitude, de cohérence, de rigueur, etc. C‟est ainsi que nous allons étudier, plusieurs exemples à l'appui, les risques liés à la mauvaise application de cette stratégie comme la sur-explicitation, la sous-explicitation, la redondance, l‟incohérence. Pour éluder ces risques et produire des « explicitations pertinentes », nous allons avancer quelques propositions fondées sur l‟application de la démarche interprétative préconisée par la TIT, l‟élaboration de certaines normes d‟insertion des explicitations dans le texte traduit et la revalorisation de certaines techniques comme la paraphrase explicitante qui a été très peu sollicitée.

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1. La stratégie d‟explicitation : macro-stratégie, techniques et procédés Notre analyse des techniques d‟explicitation s‟inscrit dans le cadre de l‟analyse du processus de prise de décision de l‟explicitation, lequel fait partie à son tour d‟un processus interprétatif de compréhension et de réexpression du sens en contexte. L‟accès au processus de prise de décision est rendu possible à travers le relevé minutieux des « écarts d‟explicitation », dont les critères définitoires et distinctifs ont été préalablement déterminés dans le chapitre III. De même, l‟accès au processus d‟interprétation du sens est rendu possible grâce à l'analyse des cinq problématiques représentant les principales motivations du recours à la stratégie d‟explicitation. Il nous reste ici à établir une typologie précise des différentes techniques sollicitées par les traducteurs pour mettre en œuvre leurs décisions d‟explicitation. Comme nous l‟avons déjà évoqué, nous analysons ces techniques selon une structure hiérarchique composée d‟un volet stratégique général « la macrostratégie »266, appliqué par le biais de plusieurs « techniques », qui se déclinent dans le texte traduit sous diverses formes procédurales « les procédés », correspondant à ce que l‟on a convenu d‟appeler « les écarts d‟explicitation », l‟alpha et l‟oméga de tout ce processus d‟analyse traductive267. Cette conception des techniques d‟explicitation s‟appuie sur les travaux de Hurtado sur les stratégies et techniques de traduction. En effet, Hurtado réserve le terme stratégie au processus général de la recherche de solution de traduction et appelle techniques, les stratégies locales, concrétisant cette solution et affectant ainsi le résultat obtenu : « strategies are part of the process, techniques affect the result » (Hurtado 2002 : 509). Elle précise ensuite plusieurs caractéristiques des techniques d‟explicitation, à savoir : elles affectent le résultat de la traduction, au niveau des 266

Hönig (1991 : 80) parle de macrostratégie qui serait liée à la compétence du traducteur ou à une analyse approfondie des données textuelles, et de microstratégie qui consistent à mettre en œuvre les macrostratégies ou les processus cognitifs effectués lors de cette phase. Jääskeläinen (1993 : 116)266 propose les termes de stratégies globales et stratégies locales à la place de microstratégie et macrostratégie : « global strategies Ŕ refer to the translator‟s general principles and modes of action ; local strategies Ŕ refer to specific activities in relation to the translator‟s problem-solving and decision making ». 267 En fait, la traduction produit inévitablement des écarts puisqu‟il est difficile de parvenir à une identité absolue entre l‟original et la traduction. Israël (2006 : 19) confirme cette idée en ces termes : « Je dirais simplement que la traduction n‟est pas, ne peut pas être le double exact de l‟original pour de multiples raisons dont la plus évidente est le changement de langue et celui du contexte de réception qui sont la cause d‟inéluctables glissements ». C‟est pourquoi le traducteur se trouve souvent contraint d‟apporter à son propre lecteur des informations complémentaires facilitant son accès au vouloir dire de l‟auteur de l‟œuvre. Dans ce sens, Jakobsen (1993 : 68) considère que les écarts d‟explicitation sont un phénomène normal faisant partie de chaque traduction « whenever a translator defines the purpose of the translation and who it is for, reformulation, paraphrase, explication, etc, become a natural part of the process of translating, as cultures express ideas and shape concepts and texts in different ways ». Nous avons considéré l‟explicitation comme un « écart » de traduction qui n‟implique pas forcément un jugement de valeur, mais qui reflète plutôt une prise de conscience de la part des traducteurs des enjeux variés de l‟opération de traduction. Autrement dit, il est un indice du processus cognitif d‟interprétation du sens et de médiation interlinguistique et interculturel.

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micro-unités textuelles ; elles sont de nature fonctionnelle, discursive et contextuelle ; elles ressortent d‟une comparaison de la traduction avec le texte original. Force est de constater que ces caractéristiques constituent un cadre propice à l'analyse de l‟explicitation sous la perspective interprétative ou discursive du sens qui est la nôtre. Nous allons donc fournir plusieurs énoncés traduits en arabe où l‟on relèvera les écarts d‟explicitation introduits reflétant le choix de telle ou telle technique. A l'aide de ces exemples, et sous une perspective interprétative du sens en contexte, nous allons décrire les différents cas de figures détectés et les classer par procédés.

1.1. La stratégie d‟explicitation : deux manières de faire Avant d‟affiner l‟analyse de notre typologie des techniques d‟explicitation, il convient d‟indiquer dès le départ que l‟ensemble de ces techniques s‟inscrivent dans deux modes stratégiques généraux : l‟ajout et le remplacement. 1.1.1. Le mode de l‟ajout : le choix conservateur Ce mode consiste à introduire des compléments cognitifs pertinents après avoir effectué un report, un emprunt ou un calque sémantique de l‟expression d‟origine. Dès lors, c‟est un compromis entre la traduction directe exotisante et la traduction adaptative ethnocentrique. Le sens en contexte est préservé, la tonalité exotique également : un pas vers l‟auteur en conservant sa façon de dire et un autre vers le lecteur en lui exprimant clairement le contenu du dire. Ce mode opératoire implique l‟existence d‟un écart informatif, si minime soit-il, produisant un gain de clarté et évitant surtout une entropie de sens. L‟explicitation est, de ce fait, une aide à l‟interprétation du texte, un catalyseur du processus inférentiel et non une explication complète détaillée des réalités culturelles ou des référents linguistiques. Par ses ajouts, le traducteur cherche à amener le lecteur à la bonne appréhension du sens pertinent, à un moindre coût cognitif (processing effort), textuel (économie du langage), temporel (minimum de temps), pour un maximum d‟effet (optimisation de l‟inférence), sans pour autant lui expliquer la totalité des traits de signification des éléments en question. La plupart de ces ajouts s‟explique, selon Delisle (1999), Delport (1995) par une quête de précision du sens, ou parce qu‟il y a parfois « une association d‟idées moins évidentes que le traducteur a jugé bon d‟expliquer » (Malingret 2002 : 95)268. En tous cas, ces ajouts ne sont pas arbitraires, mais doivent être justifiés « the translator has to be able to justify his or her choices (Vehmas-Lehto 1999 : 26)269 ». L‟explicitation par ajout constitue « un acte de liberté, 268

Ces ajouts s‟expliquent généralement, selon Malingret, dans le cadre du processus de résolution de problèmes de traduction : « l‟ajout par rapport au texte original est une stratégie commune face à certains problèmes de traduction (principalement culturels mais aussi textuels) Malingret (2002 : 91-92). Investi d‟un rôle d‟intermédiaire, le traducteur tend à procéder à l'explicitation pour éviter l‟ambiguïté, amplifier l‟information et rendre accessible le texte traduit à un nouveau public (Ibid. : 189). Cette approche explicative corrobore notre conception des motivations des explicitations basées sur la résolution de problèmes de traduction et sur la gestion des risques d‟ambiguïté et d‟incompréhension. 269 Cité par Marianne Ranua (2009 : 3).

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d‟assurance et d‟autorité du traducteur plus flagrant que la suppression » (Malingret 2002 : 91) ou la traduction littérale d‟ailleurs, car elle laisse entrevoir le profil du traducteur et met sa compétence linguistico-culturelle et ses recherches documentaires à rude épreuve. En effet, en ajoutant des informations, le traducteur s‟expose à plus de risques de critique si jamais il avance des informations incorrectes, empiétant ainsi sur les droits d‟auteur, ou superflues encombrant le lecteur et le texte de détails futiles. Ces ajouts prennent deux formes dans le texte traduit selon le type de la technique d‟explicitation utilisée : d‟un côté il y a des ajouts internes, c'est-à-dire incorporés dans le texte, de l‟autre côté il y a des ajouts externes, c'est-à-dire adjoints dans le paratexte sous forme de note du traducteur. L‟explicitation par ajout interne consiste à additionner des suppléments informationnels qui peuvent être intégrés au sein du texte traduit de deux façons : discrète ou déclarée. Dans le premier cas, il s‟agit d‟ajouts qui se faufilent dans le co-texte ou de subtils commentaires fragmentés dans le fil du texte sous forme d‟éléments lexicaux censés être imperceptibles pour le lecteur (Malingret 2002 : 92), surtout lorsqu‟ils sont brefs et concis (Nida 1971 : 106). Dans le deuxième cas, il s‟agit également de quelques insertions d‟informations, mais qui ressortent typographiquement par leur mise entre guillemets ou entre parenthèses. Ces ajouts déclarés peuvent se limiter eux-mêmes aux simples marqueurs typographiques comme les guillemets, les parenthèses, les points d‟exclamation, etc. Dès lors, ils fonctionnent comme des clins d‟œil, des repères pour marquer la séquence connotée et indiquer la voie interprétative à suivre. L‟explicitation par ajout externe consiste à introduire en notes de bas de page ou de fin de documents des compléments cognitifs nécessaires à la compréhension du sens d‟une notion culturelle ou d‟une tournure spécifique donnée. Cette localisation externe vise souvent à contourner certaines contraintes textuelles ou à ne pas affecter la fluidité du texte traduit. Ces compléments correspondent à tous les critères des explicitations, mais ils ont la particularité d‟être souvent assez développés, ce qui justifie leur mise en paratexte. Ils restent néanmoins régis par le principe du strict nécessaire qu‟impliquent les concepts de l‟équivalence interprétative et de la pertinence. Enfin, la répartition de toutes ces formes d‟ajouts injectés dans la partie explicite du texte traduit procède selon un continuum qui va de beaucoup (la note du traducteur) à peu (l‟insertion de marqueurs typographiques). Nous y reviendrons. 1.1.2. Le mode du remplacement : le choix pragmatique Il consiste à substituer une expression plus claire à la formulation d‟origine, sans en garder la trace ni la note exotique. Selon une analyse discursive de la pertinence de l‟élément linguistique ou culturel d‟origine et par souci de pragmatisme, le traducteur opte pour l‟emploi d‟un terme plus clair, parfois même générique, ou d‟une paraphrase réexprimant le même contenu sémantique que l‟expression d‟origine, mais en d‟autres mots. Comme dans le premier mode, la priorité est accordée au sens pertinent qui se dégage de l‟analyse discursive. C‟est la question de la perte stylistique ou de l‟exportation de l‟expression d‟origine dans la langue-culture cible qui se pose avec acuité en procédant selon ce mode. Il incombe au traducteur de peser le pour et le

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contre avant d‟opter pour le gommage de la tonalité exotique au profit d‟un terme ou d‟une paraphrase neutre. Sa décision doit être motivée par des considérations inhérentes au skopos de la traduction, aux normes d‟acceptabilité dans le contexte d‟accueil, aux consignes de l‟éditeur, à la récurrence de l‟expression en question dans le même article ou dans plusieurs articles du MD, etc. Ce mode s‟exprime à travers plusieurs techniques et procédés de traduction sur lesquels nous allons faire toute la lumière, exemples à l'appui, dès qu‟il en sera question.

2. Les techniques d‟explicitation du MD Après avoir évoqué à plusieurs reprises que nous avons pu établir, en analysant les précédentes typologies dans le chapitre II et notre corpus du MD, une palette de six techniques générales d‟explicitation, nous allons à présent étudier avec plus de détails les différentes caractéristiques distinctives de ses techniques : leur définition, leurs procédés secondaires, leurs cas de figure étayés par des exemples puisés dans le corpus, leurs avantages et inconvénients, et l‟évolution de leur utilisation au cours de la période étudiée.

2.1. La technique de l‟incrémentialisation L‟incrémentialisation consiste à « introduire dans le texte, à côté du référent culturel reporté ou traduit littéralement, le contenu d'une note, description ou indice, qui explicite le sens ou la valeur du réfèrent culturel » (Ballard 2003 : 156). Elle est une sorte d‟ajout d‟élément de contextualisation accompagnant souvent les toponymes (Ballard 2005 : 135) ou une forme d‟ « étoffement sémantique »270 lié à la traduction des noms propres et des référents culturels en indiquant à quelle classe d‟objets ils appartiennent. Elle vise à éclairer le lecteur ignorant la réalité culturelle ou le sens de certains termes pouvant prêter à confusion. Dans la même lignée, Gallèpe271 définit la technique de l‟incrémentialisation comme un « procédé de traduction courant qui consiste à faire suivre le nom propre non traduit d‟une explication en langue cible » (Gallèpe 2008 : 86). Ce procédé explicatif, écrit-il, permet de « combler le retard cognitif des lecteurs réputés non pourvus du savoir encyclopédique lié à une certaine lexiculture dans la langue source ».272 Pour mieux identifier et délimiter les contours de cette technique, nous l‟envisageons 270

Pour illustrer ce procédé, Ballard (2004 : 91) donne l‟exemple de la traduction de « in the spring of twenty-two” par «au printemps de l‟an 1922 » où le traducteur explicite la date en termes complets. 271 Gallèpe (2009) analyse les procédés de la traduction des noms propres à partir d‟un corpus de textes narratifs (fiction théâtrale ou romanesque) entre l‟allemand et l‟anglais. Il classe les techniques de traductions utilisées en trois catégories principales : ITQ (Importation Telle Quelle), la traduction, IAA (Importation Avec Adaptation), auxquelles il ajoute deux procédés spécifiques : l‟incrémentialisation et l‟adaptation-non traduction. 272 Néanmoins, l‟auteur pense que ces ajouts explicatifs qui apparaissent naturellement à côté des ITQ, « nous éloignent encore un peu de la traduction authentique » et représentent ainsi « une manière d‟échec de la traduction » (Ibid.: 87). Il se réjouit du fait que, d‟après son analyse de corpus, le recours à ce procédé de traduction reste relativement rare, ce qui reflète, précise-t-il, une forme d‟hommage aux efforts et aux performances accomplis par les traducteurs qui ne cèdent pas à cette solution de facilité. Ceci va à l'encontre de la conception de Ballard de l‟incrémentialisation qui y voit une solution efficace et pragmatique favorisant le contact entre langues et cultures.

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comme une sorte de réponse en un mot ou deux au maximum à la question : de qui ou de quoi s‟agit-il dans la monde réel ou dans le monde du texte? Ainsi, le traducteur anticipe les questions légitimes de ses lecteurs sur ces objets et référents en y apportant une réponse brève et concise, limitée à la valeur référentielle de l‟objet désigné. En ce sens, l‟incrémentialisation coïncide avec la technique d‟addition de classificateurs proposée par Newmark ([1988] 2005 :103) ou de Nida (1964 : 227-228), qui la définit comme étant l‟emploi « d‟un terme général qui se met à côté du terme inconnu pour orienter le lecteur dans la bonne direction». Il s‟agit en général de l‟ajout d‟un terme classificateur comme « la ville de Mukayria », « le fleuve du Jourdain », « un arbre appelé sycomore », « un animal appelé chameau » (Margot 1979 : 92-93). Cette technique est également l‟équivalent de ce que Baccheretti (1993 : 210) appelle le commentaire explicatif inclus qui « doit être le plus bref possible et se fondre dans le mouvement du texte, le fil du récit ne devant être interrompu à aucun prix ». Elle est également appelée traduction explicative ou « importation avec adaptation » par Plassard, qui l‟évoque, en commentant un exemple de Laplace (2011), dans le cadre de son commentaire de l‟explicitation du toponyme dans « die Wilhelmstrasse », traduit en français par « La chancellerie de la Wilhelmstrasse» (Plassard 2011 : 151-152). De telles précisions ne font que rendre explicitement ce qui allait de soi pour les premiers lecteurs ; elles n‟ajoutent donc rien à ces textes. Néanmoins, il n‟y a pas qu‟une seule procédure d‟incrémentialisation. Cette technique comporte plusieurs procédés auxquels les traducteurs peuvent recourir afin de s‟adapter aux différents besoins informatifs qui ressortent de l‟analyse discursive. Nous avons pu en distinguer trois : le procédé d‟ajout de terme classificateur en amont, le procédé d‟ajout de qualificatif en aval, le procédé d‟ajout de complément adjectival en aval. 2.1.1. L‟ajout d‟un classificateur en amont Ce procédé consiste à ajouter un terme générique servant à préciser à quelle classe d‟objet ou de concept appartient le référent désigné. Ce terme classificateur ou présentateur est souvent antéposé de façon discrète. C‟est le cas par exemple de l‟ajout du mot "‫( "َٓش‬fleuve) pour préciser au lecteur arabe ce qu‟est "‫( "َٓش انفهٕغب‬la Volga) (MD avril 2001), "٘‫( "َٓش أثٕس‬l‟Apure) (MD octobre 2003). De la même manière, une « Patek Philippe » devient "‫ت‬ٛ‫ه‬ٛ‫ك ف‬ٛ‫( "عبػخ يٍ طشاص ثبر‬une montre de la marque Patek Philippe) (MD mars 2010), une « Eurogold » devient ‫"عبػخ يٍ َٕع‬ "‫( أسٔخٕنذ‬une montre du type Eurogold) (MD novembre 2009). Le contexte précise ensuite qu‟il s‟agit d‟articles de luxe que seuls les gens aisés peuvent acquérir. Ce procédé se limite uniquement, comme nous l‟avons déjà dit, à la valeur référentielle de l‟élément en question sans apporter aucune autre indication sur ses particularités sémantiques ou spécificités culturelles. Comptant sur le bagage cognitif de ses lecteurs, et en application du principe de l‟économie du langage, l‟auteur du texte d‟origine implicite cette information présumée connue d‟avance. Vu la distance culturelle et les lacunes supposées du nouveau lectorat

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cible, le traducteur la fait remonter à la surface textuelle. Conscient d‟ajouter une information juste et nécessaire, le traducteur n‟a aucunement besoin de mettre ce terme présentateur entre guillemets ou parenthèses. Nul ne songerait à reprocher au traducteur d‟avoir inséré ces classificateurs notamment lorsqu‟il s‟agit d‟objets ou de noms de marques qui ne sont pas forcément connus de tous les lecteurs cibles. Le risque d‟erreur avoisine souvent le zéro et pourtant il n‟est pas nul et le traducteur serait bien inspiré de ne pas relâcher sa vigilance (voir exemples ci-dessous). Par ailleurs, cet ajout du classificateur en amont correspond à une norme stylistique tacite en langue arabe qui consiste à faire précéder tout mot étranger d‟un terme présentateur qui permet de l‟intégrer syntaxiquement dans la phrase et de signaler son caractère exotique par rapport aux autres vocables arabes entourant cet « intrus ». L‟absence de majuscules dans le système graphique arabe ne permet pas d‟identifier aisément les noms propres étrangers. L‟utilisation des italiques ou des caractères gras en arabe n‟est pas assez répandue, ce qui ne fait pas ressortir typographiquement le caractère étranger de ces noms. Le recours aux termes classificateurs facilite donc la tâche, d‟autant plus qu‟ils s‟intègrent parfaitement et discrètement dans la structure syntaxique de l‟arabe. Peuvent déroger à cette norme stylistique générale, les noms célèbres (nom de présidents mondialement connus, noms de villes célèbres, etc.) ou les emprunts consacrés par l‟usage officiel (i.e. télévision, radio, internet, etc.) où l‟on pourrait se permettre de les insérer dans le texte arabe sans un aucun terme présentateur ou classificateur. Cependant, la mise en application de ce procédé exige souvent une recherche documentaire préalable pour connaître l‟ordre générique auquel appartient le référent dans la réalité du monde extérieur au texte. Le traducteur n‟est pas omniscient et ne peut pas connaître tous les noms de fleuves, de villes, de produits, etc. Pour suppléer ses lacunes ponctuelles, il fait généralement une première recherche sur Internet. Ce dernier s‟avère un outil particulièrement efficace et rapide pour obtenir une information générale : les premiers résultats de recherches qu‟affichent les célèbres moteurs de recherche (notamment Google) suffisent en général largement pour apporter une réponse fiable à la question « qu‟est-ce que c‟est ? » ou « qui est-ce ? ». Voici quelques exemples supplémentaires illustrant différents cas de figures, à savoir l‟incrémentialisation en amont d‟un nom de voiture (Lada), d‟un conte (Petit Prince), d‟un parti politique (Vlaams Blok), de ministre (Borloo), d‟un nom de poète (Prévert), d‟un type d‟avion (Rafale, Airbus), d‟engin spatial (fusée Ariane), et ainsi de suite. Toutes les caractéristiques spécifiques de ces référents sont soient déductibles du contexte, soient passées sous silence parce qu‟elles ne font pas partie de l‟objet du dire.

Partie II : Chapitre V : Les techniques d’explicitation et leur mise en œuvre dans le corpus du MD 2001-2011

273

Ajout de classificateur Ex.1 Sa vieille Lada (MD avril 2001, août 2010)

L‟explicitation fournie La vieille voiture Lada

La traduction en arabe

Ex.2 Cette région qui servit de décor à Terre des hommes et au Petit Prince (MD août 2002)

Cette région qui a servi de décor aux deux contes « Terre des hommes » et «le Petit Prince »

‫ٲخ اٹيت‬ٞ‫يف څنڃ اظتڂ‬

Ex.3 Le Vlaams Blok (MD février 2006) Ex.4 Le plan Borloo (MD avril 2007)

Le parti Vlaams Blok

‫ؽية ٭الٽي ثٺىٳ‬

Le plan du ministre Borloo

"‫خ اٹىىَو "ثىهٹى‬ٞ‫ف‬

Ex.5 Un long inventaire à la Prévert (MD décembre 2004)

Une longue liste à l'instar des listes du poète Prévert

378

Le but recherché par l‟explicitation

‫ ٍُبهح اٹالكا اٹٲلنتخ‬Préciser le type du référent auquel renvoie ce nom

‫به‬ٝ‫ب‬

‫ٹٲٖيت‬

‫ّٶٺذ‬

"‫اٹجْو‬

‫اٹلَٶىه‬

ٗ‫"ؤه‬

”‫ًن‬٪ٖ‫و"األٽًن اٹ‬

‫ٽڀ‬

‫ىَٺخ‬ٝ ‫ٱبئپخ‬

‫و‬٥‫واى ٱىائټ اٹْب‬ٝ

‫ثوَٮًن‬

de marque, peu connu de nos jours des lecteurs arabes. Encore faut-il que le traducteur soit vigilant et si une Lada est en général une voiture, Lada peut aussi désigner la SA française, filiale à 100% du constructeur automobile Russe AvtoVAZ. Mais le contexte où figure ce terme fait référence à la voiture et non à la société. Quid du possessif « sa » qui excluait toute ambiguïté avec la SA. Tenter de préciser que ces deux dénominations propres se rapportent à des oeuvres littéraires. Sauf que « Terre des hommes » n‟est pas un conte, à la différence du Petit Prince. Il s‟agit plutôt un recueil d‟essais autobiographiques d‟Antoine de SaintExupéry273. L‟ajout de guillemets permet également de signaler la particularité de ces deux titres. L‟auteur avait omis ces guillemets car il supposait que ces deux références littéraires étaient parfaitement bien connues de ses lecteurs. Le traducteur ne partageait pas cette même estimation par rapport à ses lecteurs arabes en 2002. Préciser le type de formation politique (un parti), la connotation raciste et xénophobe associée à ce parti néerlandais transparaitra par le contexte. Le lecteur est censé s‟en apercevoir aisément. Préciser la fonction du personnage cité pour expliciter cet emploi éponymique. La nature de ce plan (le développement des services à la personne) sera traitée par la suite. L‟incrémentialisation se limite ici au fait de préciser que Prévert est un poète. Le sens exact de l‟expression « à la Prévert » n‟a pas été pas explicité, à savoir : un long inventaire composé d‟éléments hétéroclites, tel le célèbre poème « inventaire » de Prévert, mais l‟idée globale reste néanmoins assez claire.274

Notons que « Terre des hommes » peut désigner également une ONG suisse d‟aide à l‟enfance, mais le contexte lève immédiatement cette éventuelle ambiguïté, d‟où l‟incrémentialisation, d‟ailleurs pas assez précise, par « conte » et non « une ONG ». 274 Face à cet exemple, il y deux autres possibilités : soit, gommer cette référence littéraire et nous contenter d‟une paraphrase plus explicite « un long inventaire d‟éléments divers et variés » "‫ڂبٕو ؼتزٺٮخ‬٥ ‫لح‬٥ ‫ ٽڀ‬٬‫ىَٸ ٽاٹ‬ٝ ‫"عوك‬, soit garder la trace de cette comparaison en explicitant la référence au comparé « à l'instar du poème de Prévert qui égrène une longue liste d‟éléments disparates sans lien apparent entre eux » ‫ ّىت ال‬٫‫ىَٺخ ٽڀ ؤٕڂب‬ٝ ‫وَٲخ ٱُٖلح ثوَٮًن اٹيت َنٵو ٭ُهب ٱبئپخ‬ٝ ً‫ٺ‬٥" ."‫ؼ ثُڂهب‬ٙ‫ وا‬ٛ‫اهرجب‬. Çtant donné le volume important de cet ajout, nous l‟aurions mis en note de fin d‟article. En considérant la pertinence de cette comparaison dans le contexte et l‟intérêt de la connaissance de ce trait exotique pour le lectorat arabe, nous opterons pour le premier choix : la paraphrase.

Partie II : Chapitre V : Les techniques d’explicitation et leur mise en œuvre dans le corpus du MD 2001-2011 Ex.6 Les Rafales, matrice d‟Airbus, d‟Ariane, (MD août 2010)

Les avions « Rafale », le pilier principal des avions d‟Airbus et des missiles d‟Ariane.

379

،"‫بئواد اٹـ"ها٭بٷ‬ٞ‫ ٭‬Tenter de préciser à quoi renvoient dans la réalité

ً‫األٍب‬

ces trois noms. Le traducteur se contente de termes

‫ اٹوٵڀ‬classificateurs (avions, missiles). Il compte sur le Airbus ‫بئواد‬ٞ‫ ٹ‬lecteur pour déduire du contexte et de son bagage

cognitif qu‟il s‟agit d‟avion militaire (Rafale), civil

Ariane ‫( وٹٖىاهَـ‬Airbus) et d‟engin spatial (Ariane) 275.

Tableau 51: Des incrémentialisations par ajout de classificateurs en amont de l‟élément problématique

2.1.2. L‟ajout d‟un qualificatif en aval Ce procédé consiste à donner une précision supplémentaire sur une qualité essentielle du référent ou du concept en question faisant partie de sa valeur référentielle. Souvent postposé, ce supplément se borne à révéler un aspect objectif, consensuel, et non subjectif ou polémique, du référent désigné. Il participe donc, avec le classificateur antéposé, à informer davantage le lecteur, de manière concise et certaine, sur la valeur référentielle276 de tel ou tel élément présumé méconnu du lectorat cible. Ce procédé s‟emploie souvent dans le cadre de la résolution de la problématique nº 1 (les lacunes culturelles), notamment en ce qui concerne l‟information du lecteur sur un titre de presse, des noms de sociétés ou d‟institutions. Il se distingue également du premier procédé par le fait que l‟ajout est souvent entre parenthèses, une sorte de mise à distance entre les paroles de l‟auteur et la voix du traducteur, ce qui dénote le souci de ce dernier de ne pas empiéter sur les droits de l‟auteur en lui faisant dire des choses qu‟il n‟a pas dites expressément. Par cette déclaration, le traducteur engage sa responsabilité quant à l‟exactitude et à la pertinence de l‟information ajoutée et fait montre de sa volonté d‟aider le lecteur à mieux identifier la réalité désignée. Aussi, les traducteurs du MD s‟estiment-ils fidèles, d‟une part, aux auteurs du texte d‟origine en déclarant clairement leurs ajouts, et d‟autre part aux lecteurs arabes auxquels ils doivent s‟adapter (en vertu du principe de l‟adaptation au lecteur) en leur fournissant ce qui leur manquaient pour reconstituer le vouloir dire de l‟auteur.

275

Là-aussi, le traducteur effectue une incrémentialisation imprécise lorsqu‟il emploi le terme « missile » devant « Ariane », alors que ce dernier est un lanceur civil européen de satellites et non une arme de guerre comme le laisse entendre ce classificateur. Néanmoins, à la décharge du traducteur, il nous semble que le traducteur s‟est fié à l'appellation courante en arabe de ce genre d‟engins spatiaux : "‫بء‬ٚ‫( "ٕىاهَـ اٹٮ‬les missiles de l‟espace) et "‫بء‬ٚ‫( "ٽٶىٳ اٹٮ‬la navette spatiale). Sauf que ce dernier terme est souvent employé pour désigner les navettes que la Nasa envoie à l'ISS (Station spatiale internationale). De plus, l‟article arabe dédié par Wikipédia à la fusée « Ariane » décrit celle-ci, dans le titre, par le mot "‫( "ٕبهوؿ‬missile). C‟est au lecteur arabe de comprendre, sur la base de son bagage cognitif, que missile ici est à prendre au sens de « fusée », de lanceur, et non d‟un missile de guerre. En l‟absence d‟un mot spécifique pour dire « fusée », nous aurions employé l‟incrémentialisation "‫بء‬ٚ‫( "ٕبهوؿ اٹٮ‬missile spatial). 276 Tout ce qui relève de la valeur connotative sera considéré comme une insertion de compléments contextuels, même s‟il s‟agit de l‟introduction d‟un seul mot en aval. C‟est le cas par exemple de l‟explicitation de « Front national » par « le Front national (extrémiste). Il s‟agit plutôt d‟une connotation liée à ce parti, partagé certes par un bon nombre de Français, mais il est d‟autres personnes, militants ou sympathisants, qui y voient un parti national de droite, sans aucune connotation péjorative. Le caractère polémique ou controversé à l‟égard de la perception d‟un référent donné fait plutôt pencher la balance du côté de la valeur connotative et non référentielle. Cette précision d‟information se justifie d‟ailleurs dans la traduction du MD car ce journal considère toujours le FN comme un parti d‟extrême droite, xénophobe et anti-européen.

Partie II : Chapitre V : Les techniques d’explicitation et leur mise en œuvre dans le corpus du MD 2001-2011

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En revanche, le choix de cette information exige une connaissance culturelle plus étendue et une recherche documentaire plus poussée. Contrairement au premier procédé, le traducteur ne peut pas se fier au premier lien qu‟affichent les résultats de recherche sur Google ou la première ligne de présentation que propose Wikipédia. Il est souvent obligé de consulter plusieurs sites, de croiser les données, de lire plusieurs paragraphes pour s‟assurer par exemple que le Figaro est un journal de droite, que Veolia travaille dans le secteur du traitement des déchets ou des eaux usées, etc. Cependant, plus il fait des recherches, plus il découvre différentes activités et caractéristiques des personnalités, des villes ou des entreprises citées, ce qui l‟incite à faire le tri en privilégiant le trait le plus caractéristique et le plus directement visé par le contexte. Les « tentatives » d‟explicitation naissent lorsque cette recherche a été hâtive ou que le choix du trait saillant n‟a pas été judicieux. Nous y reviendrons avec plus de détails dans notre analyse des autres techniques où ce problème se pose avec plus d‟acuité. Voici quelques exemples supplémentaires d‟incrémentialisation illustrant les différents procédés et motifs de cette technique. L‟ajout d‟un qualificatif Ex.1 Sur FranceCulture (MD janvier 2006)

L‟explicitation fournie Sur la radio France-Culture (culturelle)

La traduction en arabe

Ex.2 L‟île de Mayotte (MD novembre 2005)

L‟ile Mayotte (française)

‫ٽبَىد‬

de

Le but recherché par l‟explicitation

- ٌ‫خ "٭واځ‬٥‫ بما‬Préciser le type de média en question (une radio) ،)‫ ٵىٹزىه" (اٹضٲب٭ُخ‬et sa particularité (des émissions culturelles). Le

‫عيَوح‬ )‫(اٹٮوځَُخ‬

report du mot « culture » "‫"كىلتىر‬, sans le traduire occulte cette spécificité. Le traducteur se rattrape en le traduisant entre parenthèse. Ici, on combine le procédé 1 et 2. Préciser une particularité de cette île : son appartenance officielle aux territoires français (d‟outre-mer), bien qu‟elle soit située dans l‟océan indien.

Tableau 52: Des incrémentialisations par ajout de qualificateurs en aval de l‟élément problématique

2.1.3. L‟ajout d‟un complément étoffant un terme Ce procédé consiste à étoffer un qualificatif ou tout autre terme afin d‟en préciser le sens en contexte. Le texte d‟origine implicite ce sens pour des raisons d‟économie, tout en pariant sur l‟aptitude du lecteur modèle à récupérer cette information manquante. Cependant, pour des raisons de clarté et de fluidité du style arabe, le traducteur décide de réexprimer cette information dans la partie explicite. Il s‟aide en cela, non pas d‟une recherche documentaire sur le référent en question, mais plutôt de l‟interprétation de son sens en contexte, en examinant attentivement le co-texte qui l‟entoure. Il ne s‟agit donc pas d‟apporter une information puisée dans la réalité extralinguistique, mais plutôt dans la réalité du monde du texte lui-même. Et c‟est en cela que nous distinguons ce procédé des deux précédents. En analysant les cas de recours à ce procédé dans notre corpus, nous pouvons affirmer qu‟il s‟emploie presque exclusivement pour résoudre la problématique nº 4 (les constructions elliptiques) et plus précisément pour expliciter les ellipses textuelles. Pour comprendre l‟intérêt du recours à ce procédé, il conviendrait de rappeler quelques faits liés à la traduction du MD. Il faudrait d‟abord savoir qu‟on ne lit pas un journal comme on lit un roman ou un écrit scientifique. La lecture s‟effectue assez souvent pendant qu‟on fait une autre activité (télévision,

Partie II : Chapitre V : Les techniques d’explicitation et leur mise en œuvre dans le corpus du MD 2001-2011

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transport, etc.). Dans ces conditions, le lecteur est sujet à quelques pertes de concentration, provoquant un doute sur le sous-dit que comporte l‟ellipse. N‟oublions pas non plus que la plupart des lecteurs du MD après la distribution gratuite du journal dès 2007 ne sont pas spécialement intéressés par ce journal, notamment à ses débuts. Et enfin, l‟extension du cercle du lectorat impose aux traducteurs de s‟adapter aux capacités présumées de déduction qui varient selon les différents profils de lecteurs. Pour s‟adresser au plus grand nombre de lecteurs, il conviendrait d‟être le plus explicite possible. Les traducteurs s‟y adaptent, en obéissant ainsi au skopos de la traduction du MD ainsi qu‟à la loi du moindre effort qu‟implique le recours à l'explicitation. Il ne demeure pas moins vrai que ces explicitations ne sont pas indispensables. Sans elles, la lecture progresse, mais d‟un mouvement saccadé, et c‟est ce à quoi ce procédé tente de remédier. Que nous soyons convaincus ou pas de la nécessité ou de la pertinence de ces explicitations, nous décrivons ici ce qui se pratique ipso facto, tout en cherchant à comprendre pour quels motifs les traducteurs agissent de la sorte. Sans être exhaustif, voici quelques exemples illustrant différents cas de figure, à savoir l‟ajout d‟une épithète pour préciser un concept (la flexibilité), un terme (confrère, films), un référent textuel (les achats), un nom d‟institution (le Conseil), une expression (l‟acquis communautaire), et ainsi de suite. L‟étoffement d‟un terme Ex.1 La flexibilité (MD février 2001, 2009)

L‟explicitation fournie La flexibilité au travail

La traduction en arabe

Ex.2 N‟est-il pas d‟ailleurs une sorte de confrère, lui qui rêva un temps de devenir présentateur du « 20 heures » ? (MD septembre 2006) Ex.3 […] la nécessité d‟une aide accrue aux scénarios pour pallier la baisse de qualité des films. (MD février 2009)

N‟est-il pas une sorte de confrère journaliste, lui qui a rêvé un jour d‟être le présentateur du journal télévisé de huit heures ?

‫بً ٽڀ‬٥‫ؤٹٌُ څى ځى‬

[…] la nécessité de consentir plus d‟aides aux rédacteurs de scénarios, pour pallier la baisse constatée dans la qualité des films français.

ُٖٔ‫ووهح خت‬ٙ[…]

‫پٸ‬٦‫اظتووځخ يف اٹ‬

‫ څى‬،‫ىٽُٸٍ ٹٺٖؾٮٌُن‬ ‫اٹنٌ ؽٺټ ماد َىٻ‬

‫ثإٿ َٶىٿ ٽٲلِّٽبً ٹڂْوح‬ ‫خ اٹضبٽڂخ‬٥‫ؤفجبه اٹَب‬

‫اظتزٺٮيح؟‬ ‫لاد‬٥‫اظتيَل ٽڀ اظتَب‬

ٍ٦ٙ‫ٹىا‬

،‫اٹَُڂبهَىڅبد‬ ٤‫ڀ اٹزواع‬٥ َ٘‫ى‬٦‫ٹٺز‬ ‫ُّخ‬٥‫ځى‬

‫يف‬

٠‫اظتالؽ‬

.‫األ٭الٻ اٹٮوځَُخ‬

Le but recherché par l‟explicitation Préciser le sens en contexte : la flexibilité du temps de travail. L‟ajout par le traducteur aurait dû être plus précis pour éviter l‟ambiguïté de l‟expression flexibilité au travail qui peut laisser croire qu‟il s‟agit pour le salarié de s‟adapter constamment au bon vouloir de ses supérieurs. Rappeler dans ce contexte de quelle confrérie il s‟agit, en l‟occurrence de celle des journalistes. En effet, l‟auteur fait allusion dans cette phrase à Sarkozy qui s‟intéresse tellement aux médias et aux nouvelles recrues. Il a l'habitude de tutoyer les journalistes et de se faire inviter sur les plateaux de télévision, au point d‟avoir l‟impression d‟être une sorte de collègue. Cette précision explicite mieux le rapport que l‟auteur veut souligner entre Sarkozy et les journalistes. Rappeler au lecteur qu‟il s‟agit de films français qui sont en perte de vitesse face à la concurrence rude des productions hollywoodiennes qui envahissent le marché hexagonal. Cette précision dissipe une éventuelle confusion entre les films français et américains. Un lecteur attentif ne pourra pas se méprendre sur le sens voulu, mais c‟est par précaution vis-à-vis des lecteurs pas très coopératifs.

Partie II : Chapitre V : Les techniques d’explicitation et leur mise en œuvre dans le corpus du MD 2001-2011 Ex.4 « Si les résultats ne correspondent pas aux achats, les mastaans identifient les contrevenants et les punissent. (MD août 2005) Ex.5 Les conclusions du Conseil (MD mars 2003) Ex.6 L‟« acquis communautaire » (MD février 2007)

382

« Si les résultats ne correspondent pas aux achats des votes, on identifie ceux qui n‟ont pas tenu leurs promesses pour les punir ». Les conclusions du Conseil (européen)

‫ "اما دل رزىا٭ٰ اٹڂزبئظ‬Cette incrémentialisation rappelle au lecteur qu‟il

Les acquis (européens) communs

)‫ اظتٶزَجبد (األوهوثُخ‬Préciser par rapport à quels pays ces acquis ont

s‟agit de punir les électeurs qui ont pris de

،‫ ّواء االٕىاد‬٤‫ ٽ‬l‟argent pour voter en faveur de tel ou tel candidat que les mastaans277 punissent chaque ‫ اذل ٽڀ‬٫ّ‫و‬٦‫ َزټّ اٹز‬et contrevenant dans les circonscriptions où le ‫لڅټ‬٥‫ثى‬

‫ ؤفٺٮىا‬nombre de votes n‟est pas compatible avec le

"‫بٱجزهټ‬٦‫ظت‬

nombre d‟électeurs soudoyés.

‫ اطتالٕبد اٹيت رىٕٸ‬Préciser selon le contexte de quel conseil il est )‫اٹُهب اجملٺٌ (االوهويب‬

question, en l‟occurrence le Conseil européen.

été réalisés, en l‟occurrence, les pays de l‟Union.

‫ اظتْزوٵخ‬Omettre cet adjectif comporte un risque

d‟ambiguïté sur le sens voulu, notamment parce que le terme «communautaire » n‟est pas employé aussi fréquemment en arabe qu‟ en français.278

Tableau 53: Des incrémentialisations par ajout de compléments étoffant un terme

2.1.4 Les avantages et inconvénients de cette technique L‟avantage de cette technique est qu‟elle passe plus inaperçue que la classique note du traducteur souvent critiquée pour la rupture qu‟elle provoque dans la lecture. Grâce à un léger étoffement comportant un élément informationnel, l‟incrémentialisation assure la fluidité de la traduction en tentant même de faire oublier au lecteur qu‟il lit une traduction (Ballard 2001 : 118). Cet ajout succinct incorporé avant ou après l‟élément nécessitant l‟explicitation, vise à révéler les valeurs pertinentes évocatrices attachées au référent sans rallonger exagérément la traduction en donnant trop de précisions au lecteur. Ce dernier, peu versé dans la culture cible, a ensuite toute liberté, une fois mis sur la voie par l‟explicitation, d‟aller chercher des renseignements complémentaires s‟il le désire, pour saisir toutes les connotations associées au référent. Quant au deuxième avantage de cette technique, notamment son premier procédé, nous laissons à Ballard le soin de l‟exprimer dans ces citations : « l‟utilisation de l‟incrémentialisation permet une sorte de texte hybride où le signifiant étranger est préservé accompagné d‟un signifié 277

Bizarrement, le traducteur n‟a pas explicité le sens du mot « mastaans » nulle part dans le texte. Il a complètement omis ce terme, mais cela n‟a pas d‟impact important sur la compréhension du sens de l‟énoncé. Le lecteur déduira, grâce au contexte, qu‟il s‟agit de « voyous », voire de milices qui travaillent à la solde des autorités ou des hommes d‟influence pour intimider les gens, à l'instar des "‫( "اظتوريِٱخ‬mercenaires) qu‟on appelle dans certains pays arabes "‫غُخ‬ٞ‫"اٹجٺ‬ (prononcer : al-balṭaǧīyyah). Nous aurions quand même préféré le traduire simplement par "‫ "اظتوريِٱخ‬en le mettant entre guillemets. La connotation liée à ce terme arabe suffit pour élucider le sens voulu. 278 En réalité, cette explicitation minimale suffit dans ce contexte, car il s‟agit d‟une information secondaire présente en marge d‟un énoncé. s‟il fallait s‟attarder un peu sur ce terme, le traducteur aurait eu sans doute intérêt à expliquer qu‟il s‟agit du « socle commun de droits et d'obligations qui lie l'ensemble des États membres au titre de l'Union européenne » "‫بء يف االحتبك األوهويب‬ٚ٥‫ اٹلوٷ األ‬٤ُ‫ ثٌن رت‬ٜ‫خ اضتٲىٯ واٹىاعجبد اظتْزوٵخ اٹيت روث‬٥‫"غتپى‬. Pour ce faire, il aurait fallu effectuer une note ou incorporer une incise au sein du texte. Le procédé n° 3 n‟aurait donc pas été adapté à cette longue insertion.

Partie II : Chapitre V : Les techniques d’explicitation et leur mise en œuvre dans le corpus du MD 2001-2011

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français, le signe étalé sur la page est le témoin d‟une rencontre linguistico-culturelle, une manière de traduire qui est à rapprocher du sous-titrage au cinéma. On peut lui préférer le doublage » (Ballard 2005 : 139). Les incrémentialisations sont ainsi une « négociation linguistico-culturelle » (Ballard 2001 : 110) car elles « permettent, (en attendant une intégration plus naturelle ? Mais il n‟est pas nécessaire, ni même possible de tout intégrer), un contact de langues et de cultures où soient préservés l‟identité, l‟étrangeté et le sens » (Ballard 2001 : 147148). Du côté des inconvénients, on pourrait objecter que dans le cas d‟une note, le lecteur, averti par le sigle note du traducteur (N.d.T.), comprend qu‟il s‟agit d‟une explicitation ajoutée par le traducteur, alors que dans l‟incrémentialisation et en particulier dans les deux derniers procédés, il peut penser qu‟il s‟agit d‟une précision apportée par l‟auteur : « However, its disadvantage is that it blurs the distinction between the text and the translator‟s contribution, and it cannot be used for lengthy additions » (Newmark 1988 : 92). Ce manque de visibilité est pressenti comme un empiétement sur le droit de l‟auteur. Néanmoins, nous avons vu que la plupart des traducteurs du MD veillaient à signaler toute intervention en usant principalement des parenthèses et parfois des guillemets, afin de remédier à cet inconvénient. Exception faite pour les incrémentialisations évidentes révélant l‟ordre générique des référents. 2.1.5. La fréquence d‟emploi de cette technique dans le MD Sur toute la période étudiée, cette technique a été régulièrement employée par les traducteurs. Dans chaque article traduit, il y a des termes renvoyant à des référents inconnus et des noms propres qui ont besoin d‟être étoffés et présentés. Dans notre corpus contenant un échantillon de 5013 exemples d‟explicitation, nous avons recensé 1284 cas d‟incrémentialisation, tous procédés confondus, soit 24 % de l‟ensemble du corpus. Le graphique suivant illustre la répartition des cas d‟incrémentialisation par année et l‟évolution de l‟utilisation de cette technique sur la période de la recherche.

Incrémentialisation 300 272

250 200

188

150 100

134 80

50

94 65

63

55

64

120

76

0 2001

2002

2003

2004

2005

2006

2007

2008

2009

2010

2011

Partie II : Chapitre V : Les techniques d’explicitation et leur mise en œuvre dans le corpus du MD 2001-2011

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Figure 10: La répartition par année du nombre total des exemples d‟explicitation par incrémentialisation

La tendance générale qui ressort de ce graphique est l‟augmentation constante du nombre d‟incrémentialisation de 2005 à 2010. Cette augmentation s‟explique, d‟une part par l‟augmentation du nombre d‟articles traduits à partir de 2005 et par les thématiques abordées279 comportant de plus en plus de référents étrangers, et d‟autre part le souci d‟adaptation au bagage cognitif et à la coopération interprétative d‟un lectorat arabe de plus en plus vaste, comportant de plus en plus de lecteurs occasionnels et moins versés dans la culture des pays occidentaux. Le souci de fluidité du style arabe joue également dans cette hausse. En revanche, la légère baisse constatée entre 2001 et 2005 s‟explique d‟une part, par un lectorat restreint à cette époque, et d‟autre part, par une thématique qui n‟était pas spécialement chargée de référents inconnus. La régression observée en 2011 s‟inscrit dans une tendance générale de lassitude des traducteurs, de baisse de diffusion du MD dans beaucoup de pays arabes, de crise financière, qui préfigure l‟arrêt total de ce projet de traduction. Néanmoins, le nombre d‟incrémentialisations recensées reste relativement élevé par rapport à la moyenne générale et aux années 2001-2008. Le pic de 2009 est une constante dans toutes les motivations des explicitations, comme nous l‟avons vu et expliqué à la fin du chapitre 4280 et le restera également dans toutes les statistiques sur les techniques d‟explicitations que nous allons présenter tout au long de ce chapitre.

2.2 La technique de la périphrase L‟explicitation peut également prendre la forme d‟une périphrase, fonctionnant comme un équivalent descriptif, comme l‟appelle Newmark (1988 : 81), ou comme un syntagme-définition (Tenchea 2003). Cette brève définition se plie au principe synecdoquien de Lederer, c'est-à-dire qu‟elle vise à désigner le référent ou le concept en question par ses traits sémantiques pertinents susceptibles d‟évoquer au lecteur son image physique ou mentale et sa signification en contexte. Il peut donc s‟agir d‟une description de la forme, de la nature ou de la fonction de ce référent. La périphrase est un mécanisme linguistique à l'œuvre dans la désignation des réalités ou des objets nouveaux ; c‟est d‟ailleurs pour cette raison que Delisle (1999 : 62) considère les courtes définitions des mots fournies dans les dictionnaires comme des cas de périphrases. Et c‟est effectivement ce que propose la majorité des dictionnaires bilingues français arabe lorsqu‟il s‟agit de définir des néologismes ou d‟autres référents culturels (realia) plutôt caractéristiques de l‟environnement socioculturel du texte source. Il suffit de consulter n‟importe quel dictionnaire bilingue pour se convaincre de la véracité de ce constat. Pour mieux identifier une périphrase explicitante en traduction et délimiter son périmètre par rapport aux autres techniques d‟explicitation, nous la considérons comme une réponse en trois mots en général

279 280

Cf. pages 140-143. Cf. pages 340 et sqq.

Partie II : Chapitre V : Les techniques d’explicitation et leur mise en œuvre dans le corpus du MD 2001-2011

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(pouvant aller parfois jusqu'à cinq mots) aux questions : « comment décrire tel ou tel objet ? » et « comment définir tel ou tel concept ? » Cette caractéristique rend cette technique particulièrement prisée autant par les traducteurs que par les auteurs du texte d‟origine, lorsqu‟il s‟agit d‟expliciter des référents culturels inconnus des lecteurs cibles ou des termes dépourvus de correspondances linguistiques fixes. C‟est ainsi qu‟en analysant plusieurs traductions d‟un roman russe, Lederer donne l‟exemple de la traduction d‟un type de vêtement (touloupe) que le traducteur a décidé de décrire par une brève explicitation interne ("une courte pelisse de lièvre") (Lederer 2004 : 127). C‟est le cas aussi quand on explicite « concubinage », par « vivre ensemble sans être mariés » selon l‟exemple donné par Yoda (2005 : 244). Les journalistes du MD recourent souvent eux-mêmes à cette technique lorsqu‟ils veulent conserver un terme étranger, tout en explicitant sa signification pertinente à leurs lecteurs. Ainsi, l‟auteur d‟un article du MD décembre 2003 définit le terme « siloviki » par la périphrase juxtaposée "ٍ‫( "سخبل األي‬les hommes de la sécurité) en parlant de l‟influence politique en Géorgie de ce clan politique proche du Kremlin et de la Russie face aux démocrates libéraux plus proches de l‟Occident et des Çtats-Unis. De même, l‟auteur d‟un article du MD juin 2004, explicite le terme « liberta », après l‟avoir reporté tel quel "‫جشرب‬ٛ‫"ن‬, par une périphrase insérée entre parenthèses "‫خ‬ٚ‫( "ثطبقخ انزغز‬carnet d‟alimentation), en parlant de ce système de rations alimentaires en vigueur à Cuba, ce qui lui a permis d‟employer par la suite le terme espagnol sans autre forme d‟explicitation. Soulignons au passage que cette technique est la plus sollicitée par les journalistes du MD lorsqu‟ils traitent de sujets relatifs aux pays d‟Asie ou d‟Amérique latine. Comme nous l‟avons expliqué lors de la constitution du corpus du MD, l‟emploi récurrent de cette technique, entre autres281, dispense souvent les traducteurs arabes du MD d‟opérer des explicitations supplémentaires, d‟où l‟exclusion de cette catégorie de textes de notre sous-corpus spécialement dédié au phénomène de l‟explicitation. Mais il arrive aussi parfois que les journalistes du MD recourent à la périphrase pour expliciter un terme nouveau au lectorat français sur un sujet qui concerne leur société ou leur quotidien. Pour faire comprendre aux lecteurs français ce qu‟est un Taser ou un flash-ball, un journaliste du MD décembre 2005 a dû recourir à une périphrase définitoire, insérée entre parenthèses : « (armes non létales à décharge électrique) ». L‟emploi relativement récent de ces gadgets par la police nationale française a incité l‟auteur à insérer une explication qui enrichit le bagage cognitif du lecteur, rendant à terme toute nouvelle explicitation inutile. Compte tenu de cette brève présentation et de nos observations sur l‟emploi de cette technique dans notre corpus du MD, nous avons pu distinguer deux procédés de mise en œuvre différents : la périphrase définitoire peut soit se substituer au terme d‟origine soit être simplement juxtaposée.

281

La note en fin d‟article, l‟insertion de compléments contextuels, etc. Nous en donnerons quelques exemples, à titre indicatif, lors de notre analyse de ces techniques en particulier dans les pages qui suivront.

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2.2.1. La périphrase définitoire qui se substitue au terme d‟origine Ce premier procédé consiste à recourir à une courte périphrase qui définit en substance le terme ou le concept d‟origine, encore largement inconnu dans la langue-culture d‟arrivée, sans en conserver la trace ni par le report ni par l‟emprunt ni par le calque. A priori, l‟auteur du texte d‟origine emploie ce terme ou concept sans vouloir impliciter quoi que ce soit, et n‟a aucune idée de la difficulté que peut poser la traduction de ce terme dans d‟autres langues. Le traducteur qui connaît l‟environnement socioculturel et sociolinguistique de ses lecteurs doit éviter que ne se produise chez eux une rupture de la compréhension. En tant que médiateur linguistique et culturel, le traducteur va décider de la préservation ou de la suppression du terme d‟origine. S‟il estime que ce terme ne présente pas en lui-même une importance spécifique pour la construction du sens de l‟énoncé où il figure ni pour la suite du texte, il procède généralement à son remplacement par une périphrase, certes plus étoffée linguistiquement, mais équivalente quant à sa signification pertinente dans le contexte. Ce genre de périphrase est sollicité en dernier recours dans deux cas de figure : lorsque les tentatives pour trouver un équivalent linguistique fixe et consacré par l‟usage de la communauté cible échouent ou lorsque le traducteur estime que la traduction directe (emprunt, report, calque) comporte un risque d‟ambiguïté ou d‟incompréhension. Ce procédé s‟emploie donc généralement dans le cadre de la solution de la problématique nº 1 (les lacunes culturelles), notamment pour certains faits historiques282, concepts économiques283, objets culturels inconnus (exemple nº 30), les noms de mets284, des concepts socioculturels285, etc. Il est également fréquemment employé pour résoudre les problèmes classés sous la problématique nº 5 (les difficultés de désignation dans la langue cible), notamment pour désigner les concepts connus sans terme précis (exemple nº 49), des objets connus sans terme fixe (exemple nº 51). En plus du gommage du terme d‟origine, ce procédé est caractérisé par le fait que la périphrase ainsi décidée s‟intègre parfaitement dans le fils du texte sans être déclarée typographiquement. Du point de vue éthique, cette dernière caractéristique implique une prise de responsabilité de la part du traducteur dans la mesure où son expression se confond avec celle de l‟auteur. D‟où l‟exigence d‟une exactitude sans faille sous peine d‟attribuer à l'auteur des descriptions ou des définitions qu‟il n‟a ni tenues ni sous-entendues. Du point de vue traductologique, le traducteur doit faire preuve d‟une grande capacité de synthèse en créant une courte périphrase susceptible de couvrir les aspects pertinents du référent d‟origine et d‟évoquer dans l‟esprit du lecteur l‟image

282

Cf. les exemples secondaires sur la traduction la traduction de « la Belle Époque » et « l‟an II » (Tab. 9, Ex.3 et 6, Ch. IV). 283 Cf. les exemples secondaires sur la traduction de «prud‟hommes » et « l‟écu » (Tab. 11, Ex. 3 et 5, Ch. IV). 284 Cf. les exemples secondaires sur la traduction de « pot au feu », « blanquette de veau » (Tab. 14, Ex. 2 et 3, Ch. IV) 285 Cf. l‟exemple secondaire de la traduction de « l‟euthanasie » (Tab. 15, Ex. 2, Ch. IV).

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ou la représentation mentale de l‟objet ou du concept ainsi désigné. Du point de vue du volume de la périphrase, nous distinguons deux cas de figure : les courtes périphrases et les périphrases plus développées. 2.2.1.1. Les courtes périphrases définitoires Le premier cas de figure consiste à remplacer le terme d‟origine par une périphrase composée de deux ou trois mots arabes au maximum pouvant servir d‟équivalence interprétative ad hoc. Ces deux mots correspondent aux traits les plus distinctifs et les plus aptes à évoquer la valeur référentielle véhiculée par ce terme. La particularité d‟une telle périphrase réside dans le fait qu‟elle peut servir potentiellement de correspondance fonctionnelle valable dans d‟autres contextes. Autrement dit, elle cesse d‟être une équivalence discursive ou une solution éphémère valable hic et nunc, pour constituer un équivalent linguistique fixe, voire une solution plus pérenne que l‟on cherchera à faire connaitre et à employer systématiquement pour traduire ces mêmes termes jusqu'à leur implantation définitive dans le langage courant. Le caractère concis et pertinent de cette brève définition rend son utilisation plus pragmatique et acceptable, ce qui accélère son adoption par la presse et le grand public. Elle ressemble en ceci que ce que décrivait Delisle en parlant des définitions fournies par les dictionnaires et à ce que Harvey appelle la traduction descriptive, qui consiste à « expliquer les spécificités culturelles en utilisant des termes génériques [assortis] d‟une glose suffisamment concise pour fonctionner en autonomie » (Harvey 2002 : 46)286. Pour illustrer ce procédé, il donne l‟exemple de la traduction des termes spécifiques de la trilogie juridique « contraventions, délits, crimes » respectivement par « minor offences, major offences and serious crimes » d‟après la proposition de Weston (1991 :19) ou par « minor infringements, intermediate offences and serious crimes » selon Cairns et McKeon (1995 : 147). Il s‟agit donc de trouver une traduction concise et claire permettant d‟allier la précision à la facilité de la lecture. Cette technique descriptive peut ainsi convenir aussi bien au néophyte qu‟au spécialiste (Harvey 2002 : 46). Voici quelques exemples sélectionnés dans notre corpus illustrant le procédé des courtes périphrases arabes pouvant définir le sens de termes et concepts tels que « un cartel », « une mutuelle », « un brûlot », « une oligarchie », « le concubinage », « la gérontocratie », « la déréglementation », « le négationnisme ». Remarquons que les périphrases fournies sont souvent courtes, mais elles ne sont pas pour autant toujours opérationnelles. Pour celles qui ne nous ont pas convaincu, nous allons proposer d‟autres périphrases relativement courtes (trois mots au maximum), mais qui seront, à notre avis, plus pertinentes.

286

Harvey place la traduction descriptive au milieu d‟un pôle où se situe, à une extrémité, le procédé de l‟équivalence formelle orientée vers la langue source, et à l'autre extrémité le procédé de l‟équivalence fonctionnelle orientée vers la langue cible : « Du point de vue idéologique, elle constitue un compromis entre la traduction « sourcière », qui privilégie la culture de la langue de départ, et l‟équivalence fonctionnelle, qui met l‟accent sur la culture de la langue d‟arrivée » (Ibid. : 46).

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La courte périphrase substituante Ex.1 Les cartels (MD décembre 2009)

L‟explicitation fournie

Ex.2 Une mutuelle (MD novembre 2010)

Une assurance complémentaire

Ex.3 Brûlots (MD octobre 2010)

Les tracts d‟un ton violent

Ex.4 L‟oligarchie (MD janvier 2011)

Le groupuscule gouvernant

Les fédérations monopolisantes

La traduction en arabe

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Le but recherché par l‟explicitation

‫ االرّؾبكاد االؽزٶبهَّخ‬Définir ce qu‟est un « cartel » à l'aide de mots

ً‫رإٽُڂبً رٶپُٺُّب‬

‫ڂُٮخ‬٦‫اٹ‬

‫اظتڂْىهاد‬

‫اٹٺهغخ‬

‫پخ اضتبٵپخ‬٪ٞ‫اٹ‬

simples résumant ses traits caractéristiques. Ce procédé s‟avère plus rentable en termes d‟intelligibilité qu‟un pur emprunt qui ne fait qu‟occulter le sens.287 Dans ce contexte évoquant un sujet économique, le lecteur arabe comprendra qu‟il s‟agit d‟ententes entre certaines grandes entreprises pour imposer leurs prix. Définir simplement ce fait relatif à ce système d‟assurance de sécurité sociale. Doté de cette définition, le lecteur comprendra ensuite la difficulté d‟accès aux soins à cause des prix élevés de ces mutuelles. Nous aurions préféré ajouter le mot "‫ "صحي‬: une « assurance maladie complémentaire » pour préciser qu‟il ne s‟agit pas, par exemple, d‟une assurance complémentaire responsabilité civile ou habitation. Recourir à cette périphrase pour suppléer le manque de correspondance hyponymique exacte en arabe. Dans le contexte où figure ce terme, le lecteur saisira mieux pourquoi la distribution de ces « brûlots » par les organes de la CGT a pu déclencher jadis l‟affaire du Havre. Définir ce concept politique étranger, en mettant l‟accent sur deux traits le distinguant : un groupe minoritaire, mais qui tient les rennes du pouvoir. Doté de cette brève information, le lecteur continue la reconstitution du dire de l‟énoncé où figure ce terme, en l‟occurrence expliquer l‟enrichissement des oligarques en Russie et la création de nouvelles fortunes grâce au régime au pouvoir. Partout ailleurs, ce terme a été rendu par l‟emprunt "‫ "أوليغارشية‬peu connu de la majorité des lecteurs arabes, provoquant un risque interprétatif d‟ambiguïté.

En effet, ce terme fut traduit à plusieurs reprises par un emprunt qui reste totalement inconnu et inusité des lecteurs arabes. C‟est le cas du MD juin 2002 où l‟on rend l‟expression « les cartels du crime » par "‫"ٵبهرُالد اإلعواٻ‬, en parlant de la corruption politique et celui du monde des affaires et du football. S‟il etait question de drogues, ce terme pourrait alors désigner une "‫پخ ٽب٭ُىَخ ٹالجتبه ثبظتقلهاد‬٢‫( "ٽڂ‬organisation mafieuse du trafic de drogue), comme l‟a fait le traducteur du MD avril 2009 en traduisant « le cartel de Medellin », dans un contexte parlant du trafic de drogue en Colombie. En revanche, dans le MD juin 2002, le traducteur n‟a eu nullement besoin d‟expliciter ce terme car l‟auteur l‟a défini lui-même de plusieurs manières en explicitant ses différents aspects économiques, plitiques, militaires, etc. Le traducteur s‟est contenté d‟emprunter le terme "‫"ٵبهرُٸ‬.

Partie II : Chapitre V : Les techniques d’explicitation et leur mise en œuvre dans le corpus du MD 2001-2011 Ex.5 La gérontocratie (MD juin 2005)

Le règne des ceux qui sont en âge avancée

Ex.6 (Loi Gayssot sur le négationnism e du 13 juillet 1990, ...) (MD juillet 2011)

La loi Gayssot relative289 à la négation de la Shoah, promulguée le 13 juillet 2001, ...)

Ex.7 Sarah critique sans ciller les prises de position du pape sur la contraception, l‟abstinence face au sida ou l‟homosexuali té (MD mai 2005)

Sarah critique sans ciller des paupières, les prises de position du pape sur les moyens d‟empêchement de grossesse, sur le fait de s‟interdire les rapports sexuels pour lutter contre le sida ou sur la sexualité au sein du même genre.

‫يف‬

‫اظتزٲلٽٌن‬

‫ ؽٶټ‬Définir ce concept dont le rôle en contexte consiste

à expliquer l‟une des caractéristiques du régime

‫ اٹَڀ‬brejnévien en Russie, en plus de celles de son

ّٓ‫بََى اطتب‬٩ ‫(ٱبځىٿ‬ ‫احملوٱخ‬ 13

ٍ‫ځٮ‬

‫يف‬

389

‫خ‬٥‫ثڂي‬

‫اٹٖبكه‬

‫َىٹُى‬/‫دتىى‬

)...،1990 ‫ كوٿ ؤٿ‬،‫رڂزٲل ٍبهڃ‬

٬‫ ٽىاٱ‬،‫ّ عتب عٮڀ‬٫‫َو‬ ٤‫اٹجبثب ٽڀ وٍبئٸ ٽڂ‬

‫ڀ‬٥ ٣‫اضتپٸ واالٽزڂب‬

‫ؽتبهٍخ اصتڂٌ يف ػتبهثخ‬ ‫ ؤو ٽىٱٮڄ ٽڀ‬،‫اٹَُلا‬

.‫اظتُضٺُخ اصتڂَُخ‬

conservatisme, sa corruption, son aventurisme militaire, etc. Nous proposons de modifier cette périphrase comme suit : "‫( "حكم كبار السه‬le règne des personnes âgées).288 Définir brièvement ce qu‟est le négationnisme et ce que stipule la loi Gayssot du 13 juillet 1990. On qualifiera de « négationniste » tout discours niant la réalité du génocide des Juifs par le pouvoir nazi. La loi Gayssot considère désormais le négationnisme comme un délit passible de poursuites pénales .Nous proposons de traduire « négationnisme » par l‟expression"‫( "إوكار وقىع المحرقة‬la négation de l‟existence de la Shoah ». Définir ce concept d‟abstinence que le Pape présente comme une mesure destinée à lutter contre le sida.290 Notons que les termes « contraception » et « homosexualité » se traduisent actuellement à l'aide de ces courtes périphrases, ce qui nous empêche de les considérer comme des explicitations. Elles sont devenues des correspondances fonctionnelles consacrées par l‟usage. Ce qui n‟est pas encore le cas pour le terme « abstinence ». Pour ce dernier, nous proposons de le traduire par la périphrase "‫( "العزوف عه الجىس‬se détourner du sexe), qui aura, à notre avis, plus de chance d‟être adoptée, vu sa concision et précision conceptuelle.

Tableau 54: Des périphrases définitoires courtes

2.2.1.2. Les périphrases définitoires plus développées Ce deuxième cas se démarque du premier par le fait que la périphrase explicitante proposée est plus étoffée linguistiquement - plus de cinq mots - ce qui limite son usage au seul besoin contextuel pour lequel elle a été forgée. La périphrase fournie se présente souvent sous forme de syntagme nominal décrivant l‟objet ou le concept en question. Il va sans dire qu‟il n‟est pas pratique de substituer toujours un long syntagme à un seul terme. En effet, faute de disposer d‟un équivalent linguistique consensuel, les traducteurs continuent à créer des périphrases plus ou 288

Cette périphrase n‟est qu‟un moyen de désignation synecdoquienne qui en dit plus que la somme des significations des mots dont elle se compose. Selon le contexte, le lecteur comprendra que ce ne sont pas toutes les personnes âgées qui règnent, mais seulement une classe dirigeante qui se cramponne au pouvoir et à ses privilèges bien au-delà de l‟âge normal auquel on se retire habituellement des responsabilités publiques. 289 Littéralement : la Loi Gayssot relative à la tendance de négation de la Shoah. 290 Dans un autre texte du MD mai 2010, mais dans un contexte semblable évoquant les mesures conseillées pour endiguer la propagation du sida, ce concept est traduit dans par "‫ٮخ‬٥", (chasteté), ce qui n‟est pas le terme exact, puisque le terme arabe s‟applique aussi sur les gens mariés, qui s‟interdisent toute relation extraconjugale, ce qui n‟est pas tout à fait le même sens ici. Néanmoins, ce choix linguistique montre bien le degré d‟explicitation dans certains choix comparés à d‟autres techniques non explicitantes.

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moins longues dont le contenu et le volume sont adaptés aux besoins discursifs ressentis dans chaque contexte. Vu le volume important de la périphrase, cette procédure est à utiliser avec parcimonie. Voici une autre série d‟exemples illustrant des termes et concepts pour lesquels les traducteurs ont proposé de longues périphrases. Il n‟en demeure pas moins vrai qu‟il y a toujours un moyen de les abréger si l‟on veut les utiliser ultérieurement ou régulièrement.

291

La périphrase étayée Ex.1 Le « podomètre gratuit » (MD décembre 2004)

L‟explicitation fournie

La traduction en arabe

Le but recherché par l‟explicitation

Un dispositif de mesure de la vitesse de course et de la distance parcourue291 offert gratuitement

‫خ‬٥‫ٍو‬

Ex.2 Payer un loyer pour un appartement qui ressemble à un squat (MD août 2010)

Payer un loyer pour un appartement qui ressemble aux logements abandonnés et occupés dans les villes.

‫ بكتبهاً ٹْٲخٍ ؤّجڄ‬٤‫ؤك٭‬

Ex.3 Les franciliens (MD novembre 2008)

Les habitants des banlieues de la ville de Paris

‫ىاؽٍ ٽلَڂخ‬ٙ ‫ٍٶبٿ‬

d‟abord cet objet pour mieux comprendre la nature de ce cadeau que les McDonald's offrent avec leur repas. Le but étant d‟inciter les clients à faire du sport, notamment la course, pour lutter contre l‟obésité et les effets néfastes de la malbouffe. Nous aurions cependant proposé cette formule abrégée ‫"عذاد‬ "‫( الخطىات‬le compteur de foulées). Définir ce qu‟est un squat pour donner sens à la comparaison évoquée. Il est intéressant de noter qu‟un squat désigne normalement un appartement occupé illégalement sans l‟autorisation du propriétaire légal des lieux. Dans la pratique les squats correspondent en général à des appartements insalubres et qui en tant que tels ne doivent plus être occupés Ŕ ni gratuitement, ni clandestinement, ni en échange d‟un loyer. Connaissant désormais les traits caractéristiques des « squats », le lecteur pourra en déduire que le loyer demandé est abusif. Bien que l‟expression en arabe soit un peu bancale, l‟idée reste intelligible. Nous proposons de rendre « squat » par "‫"أماكه بالية غير صالحة للسكه‬ (logements vétustes et insalubres).292 Tenter de définir ce gentilé avec des mots simples. Le but étant de transmettre l‟idée que le syndicat des eaux d‟Ile-de-France (Sedif) approvisionne quatre millions de franciliens bénéficiaires Néanmoins, le gentilé « francilien » ne désigne pas seulement les habitants des banlieues de Paris, mais plutôt les Parisiens et tous les habitants des cinq départements dont se compose la région Île- deFrance. Nous aurions préféré modifier un seul mot dans l‟expression de ce traducteur en écrivant "‫( "سكان باريس وضىاحيها‬les habitants de Paris et de ses banlieues).

ً‫ٹٲُب‬

‫ ثأٹخ‬Définir

‫لو واظتَب٭خ رٲلٽهب‬٦‫اٹ‬

.ً‫غتبځب‬

‫اظتهغىهح‬

‫ثبظتَبٵڀ‬

.‫احملزٺّخ يف اظتلٿ‬

ٌَ‫ثبه‬

Littéralement : un dispositif de mesure de la vitesse de course et de la distance offert gratuitement. En revanche, on peut également renoncer à faire passer tous les aspects juridiques de la notion de squat et réexprimer l‟idée par un terme imagé en arabe, en rendant par exemple « squat » par "‫ُْخ‬٥" ‫( "كنتخ" ؤو‬taudis, gourbi). 292

Partie II : Chapitre V : Les techniques d’explicitation et leur mise en œuvre dans le corpus du MD 2001-2011 Ex.4 [les femmes ont] organisé des sit-in [...] (MD mars 2005)

Organiser des rassemblements pacifiques dans les rues et les places publiques [...]

Ex.5 Le parti de M. Silvio Berlusconi réclame l‟abolition de la redevance qui finance la RAI. (MD juillet 2008)

Le parti de Silvio Berlusconi réclame la suppression de la taxe due sur la possession d‟un téléviseur qui contribue au financement du budget de la télévision publique.

‫بڅواد‬٢‫ر‬

391

‫ُټ‬٢‫ ثزڂ‬Définir avec une longue périphrase ce que c‟est

un « sit-in », pour faire comprendre au lecteur la

٣‫ ٍٺپُّخ يف اٹْىاه‬particularité de ce genre de manifestations que font les femmes des tribus de Plachimada, en .[...] ‫بٽّخ‬٦‫واألٽبٵڀ اٹ‬ Inde, afin de protester contre l‟assèchement des ‫بٹت ؽية ٍُٺٮُى‬َٞ ‫بء‬٪‫ثةٹ‬

‫ثًنٹَٶىين‬

ً‫ٺ‬٥ ‫اٹوٍټ اظتزورّت‬

ٌ‫اٱزڂبء اٹزٺٮيَىٿ واٹن‬ ‫ََهټ يف دتىَٸ ٽىاىځخ‬ .ٍ‫اٹزٺٮيَىٿ اضتٶىٽ‬

nappes phréatiques par l‟entreprise CocaCola.293 Définir avec des mots connus de tout un chacun un concept inconnu et surprenant pour le lectorat arabe. En effet, on a du mal à imaginer que l‟état puisse imposer une taxe sur cet objet indispensable. Au-delà de cette information nouvelle, le lecteur saurait déduire en quoi l‟abolition de la redevance risquerait de nuire gravement à la RAI, la télévision publique en Italie, financée justement grâce à cette taxe.

Tableau 55: Des périphrases définitoires plus étayées

2.2.2. La périphrase explicitante en plus du terme d‟origine Le deuxième procédé consiste à sauvegarder le terme d‟origine par le biais de l‟emprunt ou du report, et de l‟assortir d‟une périphrase définitoire comme dans le premier procédé. La conservation du terme d‟origine s‟explique, par un besoin de réemploi de ce terme ultérieurement dans le texte sans le réexpliciter, ou par une volonté de mettre en exergue le trait exotique ou technique de ce terme. Ce procédé engage moins la responsabilité du traducteur dans la mesure où ce dernier ne se substitue pas complètement à l'auteur et souligne clairement son intervention. En agissant ainsi, il initie le lecteur au terme étranger, tout en lui explicitant sa signification, ce qui enrichit son bagage cognitif et facilite l‟inférence du sens global de l‟énoncé dans lequel figure ce concept. Ce procédé se distingue donc du premier par la visibilité de deux protagonistes : l‟auteur du texte source et le traducteur du texte cible. Par le report du terme d‟origine, le lecteur entend l‟écho de l‟auteur et par l‟explicitation associée, il entend la voix off du traducteur. Comme le premier procédé, celui-ci s‟emploie souvent dans le cadre de la résolution de la problématique nº 1 et nº 5 comme nous l‟avons déjà expliqué. Voici une série d‟exemples supplémentaires illustrant quelques définitions suggérées aux termes « sitcom », « beur », « morisque », « ghetto ». Notons toutefois que la périphrase explicitante est souvent placée entre parenthèses en aval du terme d‟origine, mais il arrive parfois que le traducteur commence d‟abord par l‟explicitation et c‟est la

Après le Printemps arabe, les médias arabes désignaient ce genre de manifestations par le mot "‫زٖبٽبد‬٥‫"ا‬ (rassemblements sur place) qui correspondait parfaitement au sens voulu et dispensait donc les traducteurs du MD 2011 d‟opérer de telles circonlocutions pour rendre la signification de cette pratique située au cœur même des révoltes populaires dans les régions. Ce mot existait bel et bien avant le Printemps arabe, mais la grande couverture médiatique de ces événements et la récurrence d‟emploi de ce terme a contribué à son implantation rapide dans le langage quotidien et celui de la presse. Ce qui n‟est pas le cas pour d‟autres termes que nous avons abordés sous la problématique nº 4 ou ceux qui continuent à susciter des périphrases explicitantes comme dans les présents tableaux. 293

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trace du terme initial qui figure ensuite entre parenthèses, comme dans le dernier exemple du tableau ci-dessous.

294

La périphrase accompagnant l‟emprunt Ex.1 La série a tout pour être une sitcom (MD novembre 2007)

L‟explicitation fournie

La traduction arabe

Le but recherché de l‟explicitation

Les caractéristiques de la « sitcom » (la série des épisodes indépendants).

"‫اٹـ"ٍُزٶىٻ‬

lecteur à comprendre la nature de la série

Ex.2 Refusant d‟être des “beurs”, ils deviennent des musulmans. (MD septembre 2001) Ex.3 [...] la municipalité de San Carlos de la Rapita [...] érigeait un monument en mémoire des « 41 992 morisques, ...) (MD novembre 2002)

Refusant d‟être catalogués295 comme des « beurs » (la deuxième génération des immigrés arabes) [...] la municipalité de San Carlos de la Rapita [...] érigeait un monument en mémoire des « 41 992 morisques (les musulmans qui sont restés en Espagne avant d‟être expulsés au 17e siècle)

‫ٌن ؤٿ َٶىځىا ٽڀ‬ٚ‫ها٭‬

‫ ٽىإٮبد‬Définir ce qu‟est un « sitcom », pour aider le

)‫ « (ٽَٺَٸ اضتٺٲبد اظتَزٲٺّخ‬les Soprano » diffusée aux USA en 1999.

‫"اٹجىه" (اصتُٸ اٹضبين ٽڀ‬ ‫وة اظتهبعوَڀ) ٹُزؾىٹىا‬٦‫اٹ‬

.‫ٽَٺپٌن‬

ٌ‫اٱبٽذ ثٺلَخ ٍبٿ ٵبهٹ‬

‫[ ځٖجب‬...] ‫ال هاثُزب‬ ‫ ٽڀ‬41992‫رنٵبهَب ٹٺـ‬ ‫(اظتَٺپىٿ‬

ً‫اظتىهََٶى‬

‫اٹنَڀ ثٲىا يف اٍجبځُب‬

Mais le traducteur n‟a pas fait passer la caractéristique première de la sitcom : être une « comédie de situation » ‫(مسلسل كىميذيا‬ )‫المىاقف‬. La conservation de ce terme s‟avère peu utile car ce terme n‟a pas été réemployé dans la suite de l‟article.294 Définir d‟abord ce qu‟est un « beur » pour que le lecteur puisse comprenne la réaction des jeunes fils d‟immigrés maghrébins face à la discrimination qu‟ils subissent, en assumant l‟identité religieuse en tant que musulman au détriment de l‟identité d‟origine « les beurs » tant stigmatisée.296 Définir la communauté désignée par ce nom. Grâce à cette longue périphrase, le lecteur comprendra la signification symbolique du monument érigé en leur mémoire, dans le cadre des actions de certains mouvements politiques et syndicaux, lancés depuis la fin du régime franquiste, en vue de raviver la mémoire d‟Al-Andalus (l‟Andalousie).

٤‫وكوا يف اٹٲوٿ اٹَبث‬ٝ‫و‬

...)‫ْو‬٥

Cela n‟empêche néanmoins d‟espérer introduire ce terme dans le langage médiatique arabe comme cela a été le cas pour d‟autres types de productions télévisuelles ou cinématographiques, telles que les « films d‟action » qu‟on peut traduire par l‟emprunt "‫ "ؤ٭الٻ األٵْڀ‬ou par une traduction arabisée "‫"ؤ٭الٻ اضتوٵخ‬, les « films romantiques » rendus par l‟emprunt "‫ "األ٭الٻ اٹووٽبځَُخ‬ou par la traduction arabisée "‫ٮُخ‬ٝ‫ب‬٦‫"األ٭الٻ اٹ‬. Il suffirait que les chaînes satellitaires arabes spécialisées dans la diffusion de ce genre de séries se mettent à parler de « sitcoms » pour faire connaitre le terme et répandre son emploi, comme c‟est le cas actuellement pour les films dit « à suspense » ou « thriller » qu‟on appelle souvent dans le langage quotidien "ٌ‫ "ؤ٭الٻ ٍىٍجڂ‬ou en arabe plus standard "‫ "ؤ٭الٻ اإلصبهح‬ou bien"‫ "األ٭الٻ اٹزْىَٲُخ‬. 295 Littéralement : refusant d‟être des « beurs »... 296 Ce même terme fut explicité presque de la même manière dans le MD juillet 2005, pour traduire l‟expression «la victoire de l‟équipe de France « black-blancs-beurs » rendue par « la victoire de l‟équipe de France de football (black, blanc, et « Beur » c'est-à-dire les fils d‟immigrés arabes) ‫"بٿّ ٭ىى اظتڂزقت اٹٮوځٍَ يف ٵوح اٹٲلٻ ("األٍىك واألثُ٘ و"اٹجىه" ؤٌ ؤثڂبء‬ ")‫وة‬٦‫اظتهبعوَڀ اٹ‬, dans un contexte où l‟auteur cherche à démontrer comment cette victoire à la coupe du monde a servi de support à l'apologie de la réussite de certaines figures d‟immigrés et par conséquent à évincer tout soupçon de discrimination raciale, etc.

Partie II : Chapitre V : Les techniques d’explicitation et leur mise en œuvre dans le corpus du MD 2001-2011 Ex.4 Sans en faire des ghettos (MD décembre 2005)

Sans les transformer en concentrations de minorités marginalisées (ghettos)

393

‫ ٽڀ كوٿ ؤٿ حتىعتب بذل‬Définir ce qu‟un « ghetto » pour permettre au lecteur de mieux percevoir l‟effet de

‫بد ٹألٱٺُّبد اظتڂجىمح‬٦ّ‫ غتپ‬certaines politiques urbaines qui ont à la concentration des familles ...)‫ُزىاد‬٩( participé nombreuses dans des quartiers périphériques des villes, institutionnalisant ségrégation sociale.

ainsi

la

Tableau 56: Des périphrases définitoires accompagnant un emprunt

2.2.3. Les avantages et inconvénients de la périphrase L‟un des grands avantages de cette technique est de dispenser le traducteur d‟inclure une note externe pouvant interrompre le fil de la lecture, notamment si la note figure un peu plus loin, en fin d‟article, par exemple et non en bas de page. Par l‟adjonction d‟un syntagme-définition ou d‟un syntagme descriptif, le traducteur consent à son lecteur une aide immédiate, qui plus est, concentrée sur les seuls traits pertinents actualisés dans le contexte d‟apparition de l‟élément en question. Par contrainte d‟espace et pour produire une phrase correcte tant sur le plan syntaxique que sémantique, le traducteur évite d‟alourdir subsidiairement le texte en esquivant les traits définitoires inutiles, ce qui participe du respect du principe de la pertinence et de l‟économie du langage. La périphrase s‟intègre souvent parfaitement dans le tissu textuel quand elle est concise et peut s‟y insérer également sous forme d‟incise, séparée de la proposition principale par des virgules, ou entre parenthèses comme le font souvent les traducteurs du MD, si elle s‟emploie en compagnie d‟un report ou d‟un emprunt. Dans tous les cas, le syntagme introduit doit faire corps avec l‟énoncé traduit pour rendre fluide la lecture du texte. Comme nous l‟avons déjà évoqué, cette technique jouit d‟une bonne acceptabilité dans le contexte d‟accueil arabe puisque les dictionnaires bilingues en font souvent usage pour définir les nouveaux concepts étrangers. En outre, la récurrence d‟emploi de cette technique dans les textes d‟origine à l'endroit des lecteurs natifs accrédite davantage la pertinence de cette démarche économe, pragmatique et acceptable. Par ailleurs, cette technique se recoupe avec l‟incrémentialisation de par le fait que les deux visent à définir un élément inconnu ou méconnu du lectorat cible et se focalisent sur la fonction référentielle de l‟objet désigné. Cependant, elles différent par le fait que l‟incrémentialisation apporte uniquement une information d‟ordre générique ou un seul trait pertinent lié intrinsèquement au référent en question, tandis que la périphrase tente de résumer l‟essentiel du sens véhiculé par ce terme. Aussi, la périphrase comporte-elle un degré plus élevé d‟explicitation par rapport à l'incrémentialisation. Paradoxalement, le revers de la médaille de cette technique réside dans la caractéristique qui fait son succès : la concision. En effet, cette exigence de brièveté oblige le traducteur à réfléchir longuement afin de pouvoir sélectionner soigneusement les mots les plus aptes à évoquer le sens voulu, ce qui requiert plus de temps et d‟efforts. Il s‟agit donc d‟un choix économe en termes linguistiques, mais coûteux en termes de processus cognitif. Une telle contrainte temporelle pèse

Partie II : Chapitre V : Les techniques d’explicitation et leur mise en œuvre dans le corpus du MD 2001-2011

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lourd sur le travail des traducteurs du MD qui ne disposent que d‟un délai d‟une semaine pour tout traduire. Ce problème est d‟autant plus important lorsqu‟il s‟agit de résumer, à l'aide de cette technique, des concepts spécifiques ou techniques relevant de domaines dans lesquels les traducteurs n‟ont aucune formation spécifique. Le choix des traits essentiels des concepts économiques par exemple s‟avère souvent très compliqué. Vu les carences encyclopédiques dont pâtit inéluctablement tout traducteur, le risque de mal résumer le concept, voire mal le comprendre reste conséquent, ce qui l‟expose à commettre de nombreuses erreurs et à subir des critiques. En outre, le traducteur doit faire preuve d‟une bonne capacité de synthèse, consulter plusieurs ouvrages terminologiques et/ou thématiques et tenter plusieurs périphrases avant d‟arrêter son choix définitif. D‟où le besoin d‟une recherche documentaire approfondie comme un préalable indispensable à la bonne mise en œuvre de cette technique. Nous allons donner des exemples de « tentative » d‟explicitation dans la deuxième section de ce chapitre en analysant plus finement la question du respect de la maxime de la pertinence. Pour pallier à cet inconvénient et appliquer le principe du minimax, le traducteur ne doit pas attendre de traduire le texte pour se mettre à chercher des solutions aux problèmes les plus récurrents. Il conviendrait d‟anticiper ces problèmes en effectuant au préalable des recherches encyclopédiques sur ces thématiques récurrentes. De telles lectures ciblées vont, d‟une part, enrichir son bagage cognitif, et d‟autre part, accélérer le processus qui lui permettra de trouver une solution efficace dans un laps de temps relativement court. Le contexte de la crise économique devrait par exemple inciter les traducteurs à se plonger davantage dans les ouvrages économiques expliquant les notions essentielles, sachant que la plupart des textes du MD vont traiter des sujets relevant de ce domaine. Ils pourraient faire le même travail préparatoire à l'approche des événements majeurs comme les élections présidentielles en France ou tout autre sujet d‟actualité que l‟on peut anticiper comme le font les vrais journalistes. 2.2.4. La fréquence d‟emploi de cette technique dans le MD Vu ses utilisations susmentionnés liées à deux grandes problématiques (nº 1 et nº 5), cette technique a été assez souvent sollicitée sur toute la période étudiée. Dans notre corpus composé de 5013 exemples d‟explicitation, nous avons recensé 789 cas de périphrases définitoires, tous procédés confondus, soit 16 % de l‟ensemble du corpus. Ceci dit, la première remarque qu‟appellent ces chiffres, c‟est que, malgré l‟importance de cette technique, il semble qu‟elle n‟a pas été particulièrement prisée des traducteurs. En effet, la technique de la périphrase n‟a pas été le seul choix face à ces problématiques. Elle était concurrencée sur son champ d‟application par la technique de l‟équivalent synonymique que nous allons présenter plus tard. Le graphique suivant illustre la répartition des cas de périphrases explicitantes par année et l‟évolution de l‟utilisation de cette technique sur la période de la recherche.

Partie II : Chapitre V : Les techniques d’explicitation et leur mise en œuvre dans le corpus du MD 2001-2011

395

Figure 11: La répartition par année du nombre total des exemples d‟explicitation par périphrase

Hormis le pic extraordinaire de 2009 et les deux baisses habituelles entre 2001 et 2002 et en 2011, enregistrées dans tous les graphiques, la tendance générale que ressort de cette courbe est l‟augmentation quasi constante de l‟utilisation de cette technique de 2002 à 2010. Les textes du MD regorgent de concepts culturels, économiques, politiques, sociaux, jugés méconnus ou présentant des difficultés particulières de traduction en arabe. Les traducteurs ont cherché à les expliciter brièvement à un lectorat arabe dont le profil est de plus en plus difficile à cerner. Cette difficulté les a d‟ailleurs incités à expliciter même des concepts présents dans l‟environnement socio-culturel du lectorat arabe, mais sous plusieurs appellations linguistiques. La périphrase se présente dès lors comme un compromis linguistique capable d‟évoquer clairement le concept voulu de sorte à ce que tous les lecteurs puissent le reconnaître, sous sa désignation dialectale ou régionale, peu importe. En somme, on peut résumer l‟évolution de l‟utilisation de cette technique comme suit : Plus le lectorat s‟élargissait et plus les textes traitaient des sujets socioculturels, plus on sollicitait cette technique.

2.3. La technique de la paraphrase Sous l‟optique interprétative qui est la nôtre dans le présent travail, nous avons vu que le traducteur devait trouver dans la langue cible une synecdoque suffisamment explicite pour restituer le sens pertinent de l‟énoncé en général. En effet, il serait inopportun de se crisper frileusement sur les formes originales ou les désignations choisies par l‟auteur, quitte à produire des équivalents inopérants dans la langue cible et des passages incongrus. Le traducteur appréhende le sens global et lui imprime une forme nouvelle, à l'aide d‟autres synecdoques claires et intelligibles, sans s‟arrêter aux mots employés ou aux expressions initiales. La paraphrase, telle que nous l‟entendons, est l‟un des moyens que nous proposons pour parvenir à cette fin. Il n‟est pas un commentaire diffus d‟un texte qui ne fait qu‟en répéter et en délayer le contenu, ni une glose expliquant les mots. Elle est une expression impliquant une expansion

Partie II : Chapitre V : Les techniques d’explicitation et leur mise en œuvre dans le corpus du MD 2001-2011

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linguistique ou un changement lexical, dont le sens est équivalent à celui de l‟expression première : « elle n‟est plus alors inutile redite, pale imitation, mais explicitation éclairante » (Fuchs 1994 : 15). Ladmiral (1994 : 19) parle de la paraphrase synonymique consistant à exprimer la même idée différemment en langue-source et en langue-cible. L‟intérêt de cette paraphrase synonymique est de contourner les difficultés linguistiques imposées par la partie explicite du message original et d‟exprimer cette même partie avec un autre explicite linguistique équivalent au niveau de sens, quoi que différent au niveau des correspondants linguistiques. Cette technique est même un trait caractéristique de toute l‟activité de traduction, comme le souligne Frankel (2005 : 51) en écrivant ceci : « l‟explicitation de ce sens n‟est possible qu‟à travers l‟activité de paraphrase et de reformulation. Il s'agit d'une activité métalinguistique, spécifique du langage humain, qui n'appréhende le sens qu'en le faisant circuler à travers des formes différentes, dans la fluidité d‟ajustements jamais définitifs ». Pour mieux identifier cette technique en traduction et tracer sa ligne de démarcation par rapport aux autres techniques d‟explicitation du MD, nous la concevons comme une réponse à la question : comment redire cette expression autrement et plus clairement ? Ainsi, la paraphrase se distingue de la périphrase par le fait qu‟elle remplace toujours l‟expression originale et qu‟elle comporte une reformulation du sens pertinent en contexte et non seulement une description de chaque référent à part. Il s‟agit donc d‟une équivalence discursive portant sur une expression spécifique dont la traduction directe risque d‟engendrer une ambiguïté ou une incompréhension. Elle se rapproche en cela de l‟équivalence interprétative libre. En effet, les frontières entre les deux techniques sont souvent brouillées. Pour les discerner, nous rappelons que la stratégie de l‟explicitation, dans toutes ces techniques, n‟est qu‟un cas particulier de la stratégie-mère de l‟équivalence discursive préconisée par la TIT. La particularité de l‟explicitation tient au fait qu‟elle est toujours motivée par un problème de traduction (qui fait partie des cinq problématiques principales que nous avons déjà déterminées). Tandis que le recours à l‟équivalence discursive est plutôt un choix traductif subjectif qui n‟est pas nécessairement motivé par un problème de traduction. Le traducteur interprète le sens, le déverbalise de ses formes originelles et décide de choisir une autre expression équivalente dans la langue cible. Ainsi, il peut traduire un énoncé de plusieurs manières, toutes différentes les unes des autres, mais qui expriment néanmoins le même sens actualisé en contexte. Notre paraphrase explicitante constitue dès lors un moyen de contourner un problème de traduction dont la particularité est de gommer la trace de l‟expression problématique initiale au profit d‟une expression plus claire du sens voulu. Cette caractéristique accorde plus de latitude aux traducteurs qui estiment, suite à leur analyse contextuelle, que la conservation de la forme d‟origine n‟est pas indispensable et que sa suppression ne provoque aucune perte sémantique. Fort de cette qualité, cette technique trouve son application dans le cadre de la problématique nº 2 (la métaphorisation du langage), notamment les cas des expressions métaphoriques et des tournures spécifiques, ainsi que la problématique nº 4 (les constructions elliptiques), notamment

Partie II : Chapitre V : Les techniques d’explicitation et leur mise en œuvre dans le corpus du MD 2001-2011

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les cas des expressions denses. À partir de notre analyse de corpus, nous avons pu distinguer trois procédés locaux opérant dans le cadre de cette technique, selon la nature de l‟élément ayant suscité cette procédure : la reformulation plus claire et étoffée (d‟une expression dense), la démétaphorisation (d‟une expression métaphorique), la substitution lexicale (d‟un terme spécifique). 2.3.1. La reformulation plus claire et étoffée Ce procédé consiste à réexprimer de façon plus explicite le sens d‟un énoncé ou d‟une « unité de sens » contenant une expression dense ou une formulation elliptique. Ces formulations relèvent, non pas d‟une expression toute faite ou d‟un emploi figuré, mais plutôt d‟une façon de dire, plus ou moins dense, caractéristique du style journalistique, ou des conventions communicatives du français. En optant pour ce procédé, le traducteur effectue une analyse componentielle du contenu sémantique de l‟expression ou de l‟énoncé et décide de privilégier une synecdoque plus étoffée, adaptée à la langue d‟arrivée et aisément compréhensible du lecteur cible. Le remplacement de la forme originale condensée se justifie par deux raisons : d‟abord, elle ne présente aucune particularité stylistique qui mérite sa conservation par le report, l‟emprunt ou le calque ; ensuite, sa traduction directe par une expression elliptique ou condensée semblable génère un risque d‟ambiguïté ou d‟incompréhension. Ce faisant, le traducteur choisit de transmettre le sens de la manière la plus simple et la plus lisible, quitte à diluer un peu plus la partie explicite. C‟est ce procédé qui se recouvre le plus avec l‟équivalence discursive libre. Voici une série d‟exemples illustrant les cas ayant suscité l‟emploi de ce type de procédé. La paraphrase plus claire Ex.1 [...] l‟entreprise se vante de pouvoir pister nominativement les visites sur la Toile de cent cinquante millions de personnes chaque mois, affinant ainsi leur profilage (MD décembre 2010) Ex.2 L‟exigence de réalisme requise pour s‟assurer cette fameuse proximité identificatoire (MD décembre 2008)

L‟explicitation fournie Facebook se vante de pouvoir pister nominativement les 150 millions de personnes qui « visitent » chaque mois la Toile, pour améliorer la connaissance de leurs goûts. Avec les exigences de réalisme requis pour refléter les événements d‟une vie qui ressemblent au quotidien des téléspectateurs.

La traduction en arabe

Le but recherché par l‟explicitation

‫ َٮبفو ٭بََجىٳ ثٲلهرڄ‬Reformuler le dernier syntagme pour

mieux en ressortir l‟idée pertinente, à

ٍ‫ٲّت االشت‬٦‫ٺً اٹز‬٥ savoir que la fonction « j‟aime » intégrée site de Facebook permet de connaître ‫ٽٺُىٿ‬ 150‫ ٹـ‬au les préférences et goûts des internautes. La ً‫ّهوَب‬

،‫اٹْجٶخ‬ ‫و٭خ‬٦‫اظت‬

ٍٔ‫ ّق‬synecdoque d‟origine très concise cache

cette idée si elle est rendue mot à mot, d‟où

"‫ "َيوهوٿ‬le choix de cette reformulation plus ‫ُخ حتٌَن‬٪‫ ث‬intelligible. .‫ثإمواٱهټ‬

‫ُخ‬٦‫ٺّجبد اٹىاٱ‬ٞ‫ ٽز‬٤‫ ٽ‬Expliciter la critique formulée à l'encontre

de la fameuse série « plus belle la vie »,

٤‫ٺىثخ ٹٺزپبڅٍ ٽ‬ٞ‫ اظت‬qui multiplie les actes rocambolesques et s‟éloignant ainsi de son objectif ‫ ؤؽلاس ؽُبحٍ رْجڄ‬exagérés affiché de fiction de proximité, autrement .‫ َىٽُبد اظتْبڅل‬dit mettre en scène les soucis quotidiens

des gens ordinaires. Et c‟est ce dernier aspect que le traducteur a tenté de réexprimer plus clairement par le biais de cette paraphrase.

Partie II : Chapitre V : Les techniques d’explicitation et leur mise en œuvre dans le corpus du MD 2001-2011 Ex.3 Sur les innombrables forums consacrés à la série (MD décembre 2008)

Ex.4 Ce qui a été fait au moment de Maastricht, ... (MD mai 2005)

Dans les nombreux sites de discussion dédiés à cette série sur le réseau Internet

Ce qui a été fait lors de la signature du traité de Masstricht,...

٤‫ٽىاٱ‬

‫اٹٶضًنح‬

‫ٹٺپَٺَٸ‬

‫يف‬

398

‫ ومٹٴ‬Là aussi, en parlant de la même série, le traducteur essaie d‟être le plus clair

‫ اظتڂبٱْخ‬possible en comblant les blancs laissés dans l‟expression d‟origine, ce ‫ اظتقّٖٖخ‬implicites qui était d‟autant plus important qu‟à

.‫ٺً ّجٶخ االځزوځُذ‬٥ l‟époque, les concepts de forum et de Web

٤ُ‫ٽب ؽٖٸ ىٽڀ رىٱ‬ ... ،‫بڅلح ٽبٍزومتذ‬٦‫ٽ‬

2.0 participatif, n‟étaient pas encore bien connus du lectorat arabe. Sur la base de son interprétation du sens en contexte, le traducteur reformule plus clairement cette phrase. Grâce aux indices contextuels qui suivent, le lecteur saura que la signature de ce traité a donné naissance à l'Union européenne et à sa monnaie unique, l‟euro.

Tableau 57: Des paraphrases impliquant une reformulation plus claire

2.3.2. Le procédé de la démétaphorisation Ce procédé consiste à traduire le sens d‟une expression tropique ou figurée (et non seulement métaphorique comme l‟aurait laissé entendre son nom) par une expression neutre et directement compréhensible du lecteur cible. Comme dans le procédé précédent, le traducteur analyse la portée sémantique de l‟expression en contexte ainsi que la portée stylistique du véhicule métaphorique. Si la substitution de ce dernier n‟engendre aucune perte stylistique, le traducteur opte alors pour une équivalence discursive qui réexprime fidèlement le sens de cette expression. Ce procédé s‟emploie souvent lorsque le véhicule tropique ou imagé ne peut plus servir par la suite du texte ou lorsque le traducteur estime que faire connaître la motivation ou l‟origine de cette expression n‟intéresse guère le lectorat arabe. Il n‟en demeure pas moins vrai que cette estimation diffère d‟un traducteur à l'autre. Autrement dit, il arrive qu‟un traducteur décide d‟expliciter le sens d‟une expression tropique par le biais de la démétaphorisation, tandis qu‟un autre traducteur choisit d‟expliciter la même expression par un autre procédé qui conserve néanmoins la trace de l‟expression originale. De toute façon, ce procédé s‟emploie fréquemment dans le cadre de la résolution de la problématique nº 2 (la métaphorisation du langage). Voici une série d‟exemples illustrant différents cas de figure, à savoir la démétaphorisation d‟une expression proverbiale (Une hirondelle ne fait pas le printemps), d‟une expression métonymique (le Quai d‟Orsay), d‟une expression antonomasique (Bangalore, la Silicone Valley de l‟Inde), d‟une comparaison implicite (le dernier des Mohicans), d‟une expression spécifique (un homme-sandwich).

Partie II : Chapitre V : Les techniques d’explicitation et leur mise en œuvre dans le corpus du MD 2001-2011 La démétaphorisation Ex.1 Une hirondelle ne fait toutefois pas le printemps. (MD juillet 2011)

297

L‟explicitation fournie En tous cas, on ne peut pas se baser sur un seul argument.

La traduction en arabe

399

Le but recherché par l‟explicitation

‫ يف ٵٸ األؽىاٷ ال‬Expliciter le sens de cette expression ً‫ٺ‬٥

proverbiale, voulant dire qu‟on ne peut tirer

‫اٹجڂبء‬

‫ نتٶڀ‬une conclusion générale à partir d‟un seul isolé. Ainsi, dans ce contexte, le lecteur .‫ ؽغّخ واؽلح‬fait comprendra que la manœuvre du président

Ex.2 Le Quai d‟Orsay aussi (MD juin 2001)

Le ministère des Affaires étrangères l‟a fait aussi...

‫ٺذ وىاهح‬٦‫وٵنا ٭‬

Ex.3 La ville de Bangalore, la « Silicon Valley » de l‟Inde,... (MD mai 2001)

La ville de Bangalore, l‟une des villes indiennes les plus prospères sur le plan technologique, ...

‫بٹىه ؤٵضو‬٪‫ٽلَڂخ ثبځ‬

Ex.4 Sartre ne serait pas le dernier des Mohicans (MD mai 2006)

Sartre ne serait pas le dernier symbole,...

‫ٹڀ َٶىٿ ٍبهرو‬

...‫اطتبهعُخ‬

ً‫اظتلٿ اعتڂلَخ اىكڅبها‬ ‫اٹڂبؽُخ‬

‫ٽڀ‬

.‫اٹزٶڂىٹىعُخ‬

...،" ‫آفو هٽىىڃ‬

du Crif visant à dissiper les soupçons quant à son éventuelle collusion avec l‟extrême droite ne peut pas marcher, étant donné que ses autres actes le démentent. Démétaphoriser l‟emploi métonymique. Cette précision est importante dans ce contexte parlant de l‟abandon de la France depuis 2000 de ces programmes de coopération culturelle avec l‟étranger, faute d‟argent, car la politique culturelle menée par le quai d‟Orsay se décide désormais à Bercy, comme l‟explique l‟auteur. Démétaphoriser l‟emploi antonomasique dans « Silicon Valley » en révélant son sens implicite : endroit où se sont rassemblées des industries de technologie de pointe, sans préciser la référence aux complexes industriels implantés en Californie. Ainsi, la comparaison implicite dans l‟énoncé devient intelligible.297 Le choix retenu ici est de paraphraser le sens de l‟expression, en écrivant que Sartre ne sera pas le dernier représentant de cette génération de penseurs et d‟intellectuels qui se font de plus en plus rares, si l‟on croit l‟édition 2002 du dictionnaire des intellectuels français, de Jacques Julliard et Michel Winock (Seuil), qui en dénombrent seulement 140 encore en vie.298

Cependant, il est dommage de gommer le trace de l‟expression d‟origine, car ceci aurait initié le lecteur arabe à une nouvelle expression métonymique qui revient assez souvent dans les articles du MD, de sorte à lui permettre de faire le rapprochement entre « Silicon Valley » et les clusters d‟entreprises de technologies de pointe, quelles que soient les villes ou les régions désignées par ce surnom. Pour nous en convaincre, regardons comment les autres traducteurs s‟y sont pris pour rendre sa signification en contexte : le traducteur du MD mars 2010 reporte cette expression telle quelle en arabe en l‟insérant entre guillemet "‫"ٍُٺُٶىٿ ٭برل‬, comptant peut-être sur le fait que le contexte évoque l‟industrie des ordinateurs portables, ce qui est un indice contextuel important, mais insuffisant pour saisir la portée sémantique de cette antonomase ; les traducteurs des MD décembre 2009, juillet 2009, mai 2009, février 2001 l‟ont rendue par un calque sémantique « la vallée du silicium » "‫"واكٌ اٹَُٺُٶىٿ‬, laissant la tâche de l‟inférence du sens voulu au lecteur et à son analyse des indices contextuels. Il est vrai que le lecteur pourrait parvenir seul à comprendre la signification pertinente, mais au prix de gros efforts interprétatifs, rendant la lecture du texte traduit moins fluide, plus forcée, voire entrecoupée de moments d‟hésitations et de supputations. 298 Un autre traducteur a essayé de faire comprendre cette même expression en l‟accompagnant d‟une brève explication définitoire. Dans le MD mars 2009, le traducteur l‟a rendu par )ٗ‫ ٽڂٲو‬٬‫( "آفو اظتىڅُٶبٿ" (ؤٌ اٹزؾىٷ بذل ٕڂ‬le dernier des Mohicans « c‟est à dire devenir une espèce disparue »), dans un contexte parlant de la crise des vocations à la prêtrise en France. L‟expression n‟est pas heureuse, car on ne devient pas une espèce disparue. Il aurait pu dire simplement "‫ڄ‬٥‫ « "األفًن ٽڀ ځى‬le dernier de son espèce ».

Partie II : Chapitre V : Les techniques d’explicitation et leur mise en œuvre dans le corpus du MD 2001-2011 Ex.5 Avant de s‟interroger sur la pertinence pour des sportifs de se transformer en hommes-sandwichs (MD juillet 2009)

Avant de s‟interroger sur la pertinence de transformer les sportifs en porteurs de publicités sur leurs dos et poitrines.

400

‫ ٱجٸ ؤٿ رزَبءٷ ؽىٷ‬Démétaphoriser cette expression désignant

‫حتىّٷ‬

le métier de porteur ambulant de publicité.

ً‫ٺ‬٥

‫الځبد‬٥‫ ب‬constater que tout était commercialisé dans

‫ علوي‬Le lecteur comprend mieux le sens de ou plutôt de l‟indignation de ٍ‫ٌُن بذل ؽبٽٺ‬ٙ‫ اٹوَب‬l‟interrogation la nouvelle ministre du sport, choquée de ‫هىهڅټ وٕلوهڅټ؛‬١

le Tour de France. 299

Tableau 58: Des paraphrases par démétaphorisation

2.3.3. La substitution lexicale Ce procédé consiste à remplacer un terme donné du texte d‟origine, dans un contexte donné, par un autre terme jugé plus clair, et plus aisément intelligible. Comme dans les procédés précédents, le traducteur se heurte à un terme dont la traduction directe pose problème. Il interprète sa signification pertinente et la réexprime de façon plus appropriée en langue cible. Ce procédé se distingue cependant des procédés précédents par le fait qu‟il n‟implique aucun étoffement linguistique. Autrement dit, il se limite à substituer un terme plus clair, quoi d‟ordre générique, au terme problématique. Cette technique est parfois appelée la simplification (Baker 1992) ou la généralisation (Kamenická 2007)300. Notre corpus abonde en exemples illustrant cette technique. Par souci d‟explicitation, les traducteurs du MD ont préféré traduire « la mauvaise saison », en parlant de la culture des tomates, par "‫( "يٕعى انشزبء‬la saison de l‟hiver) (MD mars 2010), les « partenaires », en parlant des difficultés que rencontrent les chinois à se marier, par "‫( "انضٔخبد‬les épouses), le terme « entrées », en parlant du nombre de billets vendus aux guichets des cinémas à l'occasion d‟une sortie d‟un film, par "ٍٚ‫( "انًشبْذ‬les spectateurs) (MD février 2008 et mai 2006). À l'instar de la technique générale de la paraphrase, ce procédé privilégie la piste interprétative à toute considération linguistique. Le traducteur ne se soucie guère de la préservation du terme d‟origine tant que ce choix dessert l‟optimisation de l‟inférence du sens. Cependant, lorsque ce terme est doté d‟une certaine spécificité technique ou métaphorique, il incombe toujours au traducteur d‟apprécier à sa juste mesure la pertinence du support linguistique préalablement à la prise de la décision de ce procédé. Si la substitution n‟engendre aucune perte sémantique ni stylistique, il emploie ce procédé, sinon, le traducteur tendra plutôt à l‟emploi d‟une autre technique susceptible de conserver la trace du terme d‟origine tout en explicitant sa signification en contexte, comme l‟équivalent synonymique par exemple.

299

En revanche, dans le texte du MD juin 2006, le traducteur nous surprend désagréablement par cette traduction : "‫لَڀ ٹالٍزهالٳ‬٦ُ‫( "هعبٷ ٽ‬des hommes prêts à la consommation). Non seulement, elle est inintelligible, mais elle produit un effet saugrenu. Le lecteur se trouve éclairé par le co-texte précisant qu‟il s‟agit de gens qui commercialisent leurs jambes en affichant sur leurs maillots des publicités de certains sponsors, etc. Cependant, le traducteur aurait mieux fait de donner une traduction moins cocasse en évitant la traduction littérale d‟une motivation en l‟occurrence nonpertinente de l‟expression française. 300 C‟est le cas par exemple de la traduction de « Heathrow » par « Londres » (Kamenická 2007 : 48) ou de « city » par « New York » (Ballard 2004 : 92)

Partie II : Chapitre V : Les techniques d’explicitation et leur mise en œuvre dans le corpus du MD 2001-2011

401

Par ailleurs, il existe un cas particulier de la substitution lexicale qui consiste à employer un hyponyme à la place d‟un terme générique ou hyperonymique. Cette technique est parfois appelée l‟hyponymisation (Ballard 2004, Tenchea 2003) ou la particularisation (Hurtado 2002). Ballard (2003 : 136) donne l‟exemple de traduire « say » par « affirmer/ajouter/accuser » et Delport celui de l‟explicitation de « wind » par « brise », « hablar » par « bafouiller » dans certains contextes de traduction (Delport [1989] 1995 : 53). Ce procédé peut aussi consister à employer une expression dense à la place d‟une expression plus étoffée, mais dont le sens est plus clair et précis Perego (2003 : 84). Nous ne disposons d‟aucun exemple dans notre corpus illustrant ce procédé. Ceci s‟explique en grande partie par le fait que la langue arabe actuelle, manque cruellement d‟hyponymes, notamment par rapport au registre des termes culturels, qu‟il emprunte souvent à l‟anglais ou au français. Les traducteurs ont donc souvent tendance à expliciter les hyponymes en français par des périphrases en arabe, composées d‟un terme générique et d‟un complément spécifiant le référent en question. C‟est le cas de l‟exemple, que nous avons déjà mentionné, de la traduction des mots comme « urne, gare, terminal, etc. » par des spécifications formulées sur le mode de la périphrase et non l‟hyponymisation, telles que ‫"صُذٔق‬ "ٙ‫( اَزخبث‬une boîte électorale), "‫( "يسطخ قطبساد‬une station de trains), "‫( "صبنخ يطبس‬une salle d‟aéroport), etc.. Voici une série d‟exemples illustrant certains cas de figure de substitution lexicale de termes spécifiques (titre, sujet, disques), d‟adjectifs (teintée, dominical), d‟adverbe (physiquement), etc., par un terme générique de plus grande clarté, sans pour autant provoquer aucune perte stylistique. Notons d‟ailleurs que c‟est ce procédé en particulier qui se recouvre en grande partie avec la stratégie de l‟équivalence libre. Il marque ainsi la zone de contact, une sorte de no man’s land, entre la stratégie de l‟explicitation telle que nous l‟entendons ici et la stratégie de l‟équivalence discursive libre telle que conçue par la TIT. Nous le rattachons cependant à l'explicitation parce que la traduction directe est à la fois possible et génératrice de risque d‟ambiguïté, ce qui nécessite l‟emploi de termes désambiguïsateurs et plus clairs, donc plus explicites. La substitution Ex.1 Pour résister à cette concurrence, certains titres, [...] proposent chaque jour, pour un petit supplément de prix, des DVD, ... » (MD janvier 2005)

L‟explicitation fournie Pour résister à ces formes de concurrence, certains grands journaux [...] proposent avec leurs éditions, chaque jour, pour un petit supplément de prix, des disques compacts « DVD »... »

La traduction arabe

en

Le but recherché par l‟explicitation

‫ وٽڀ ؤعٸ ٽٲبوٽخ ؤّٶبٷ‬Choisir un terme qui évoque directement

et sans ambiguïté que ce sont les

٘٦‫پلد ث‬٥ ‫ اظتڂب٭َخ څنڃ‬journaux en papier, notamment en qui sont menacés par la [...] ،‫ اٹٶربي‬٬‫ اٹٖؾ‬Europe, concurrence de la presse en ligne, d‟où ‫زهب ٽٲبثٸ‬٦‫ج‬ٝ ‫ بذل به٭بٯ‬cette politique de présentation d‟offres ‫ ىڅُل څلاَب ٽضٸ‬٨‫ٽجٺ‬ ‫اظتلغتخ‬

ٓ‫األٱوا‬

... ،"ٌ‫ك‬.‫يف‬.ٌ‫"ك‬

intéressantes pour fidéliser leur clientèle.

Partie II : Chapitre V : Les techniques d’explicitation et leur mise en œuvre dans le corpus du MD 2001-2011

402

‫ ٭هٸ ٍُؾل څنا االٕالػ‬Remplacer le terme sujet, ayant un

Ex.2 Cette réforme réduirait-elle l‟exode des sujets les plus brillants [...] ? (MD avril 2002)

Cette réforme réduirait-elle l‟émigration des médecins les plus brillants [...] ?

Ex.3 La sono de l‟union départementale CGT n‟a pas signalé le blocage Ŕ préférant diffuser des disques. (MD décembre 2010) Ex.4 ([...] la nouvelle loi sur les médias (octobre 2009), qui [...] attribue un tiers du spectre hertzien aux organisations à but non lucratif,...) (MD octobre 2011) Ex.5 [...] de rutilantes 4x4 climatisées aux vitres teintées (MD janvier 2011)

Les amplificateurs de sons de l‟Union générale des travailleurs n‟ont pas signalé la présence de blocage Ŕ préférant diffuser des chansons. [...] la nouvelle loi sur les médias (octobre 2009), qui [...] attribue un tiers des ondes radio aux organisations qui ne cherchent pas à faire des profits,...)

‫دل رُِْو ٽٶجّواد اٹٖىد‬

[...] des voitures à propulsion quadruple, bien climatisées et munies de vitres noires.

ٍ٥‫هثب‬

Ex.6 L‟apéritif dominical... (MD septembre 2001)

Prendre les apéritifs du dimanche...

‫ٹزڂبوٷ ٽٲجالد َىٻ األؽل‬

équivalent linguistique fixe en arabe, par

‫جبء األٵضو‬ٝ‫ ٽڀ څغوح األ‬un terme plus explicite qui exprime le sens voulu : médecins. Le sens ‫[ ؟‬...]ً‫ ؾتبؽب‬mieux en contexte pourra être exprimé ainsi :

‫بٻ‬٦‫پبرل اٹ‬٦‫خ ٹالحتبك اٹ‬٦‫اٹزبث‬

،‫زٖبٻ څنڃ‬٥‫پٺُخ اال‬٥ ‫بذل‬

est-ce que les réformes sur l‟équivalence des qualifications professionnelles ne rendra pas plus problématique l‟émigration des médecins étrangers, maghrébins ou autres, en France ? Remplacer le terme « disque » par un terme plus explicite « chansons », en expliquant le déroulement d‟une manifestation de la CGT, etc.

.‫بين‬٩‫ّٺخً ثشّ األ‬ٚ‫ٽٮ‬

‫الٻ‬٥‫اإل‬

‫وٍبئٸ‬

‫(رْوَڀ‬

parlant du spectre hertzien. Ainsi, le

‫ اصتلَل‬lecteur sera en mesure de comprendre cette loi vise à combattre la ‫ؤٵزىثو‬/‫ األوٷ‬que formation des monopoles médiatiques en

)2009 ‫نتڂؼ صٺش‬ ‫بذل‬

‫ ٱبځىٿ‬Mieux préciser de quoi il s‟agit en

[...] ٌ‫ اٹن‬accordant

‫ُخ‬٥‫اإلما‬

‫اظتىعبد‬

٤‫ك٭‬

‫ٍُبهاد‬

..‫ّپبد ال رزىفًّ اٹوثؼ‬٢‫ٽڂ‬

‫ٽيوّكح‬

،‫علَلح‬

‫ٽٶُّٮخ‬

.‫ثيعبطٍ ؤٍىك‬

...

le tiers de l‟espace radiophonique aux organisations non commerciales301.

Remplacer les chiffres par le nom plus usité dans les pays arabes, doté de la même connotation : voiture haut de gamme, à quatre roues motrices. Le traducteur remplace également l‟adjectif « teinté » par « noir » qui évoque mieux le sens voulu. Préciser de quel jour il s‟agit, dans le cadre d‟explication du quotidien des habitants de l‟île de Saint Barthélemy : bavardage sur le parvis à la sortie de la messe, rendez-vous à la terrasse d‟un café, etc. Cependant, la notion d‟apéritif risque de ne pas être claire, mais cela n‟a pas d‟incidence directe sur la compréhension de l‟idée générale transmise par l‟énoncé.

Dans le MD novembre 2010, le terme « chaine hertzienne » fut traduit littéralement par "‫"ٱڂبح څوريَخ‬, sans aucune explicitation ni par le cotexte ni par le traducteur. 301

Partie II : Chapitre V : Les techniques d’explicitation et leur mise en œuvre dans le corpus du MD 2001-2011 Ex.7 [l‟Arabie saoudite et la Chine] sont éloignées non seulement physiquement, mais aussi idéologiquement. (MD janvier 2011)

Les deux pays [l‟Arabie saoudite et la Chine] sont éloignés géographiquement et idéologiquement.

‫اٹجٺلاٿ ]اظتپٺٶخ‬

403

‫ل‬٦‫ َجز‬Remplacer le terme « physiquement », bien que facilement traduisible par son

[‫ىكَخ واٹٌٖن‬٦َ‫وثُخ اٹ‬٦‫ اٹ‬emprunt reconnu en arabe, par géographiquement », un autre emprunt ‫وٵنٹٴ‬ ً‫وا٭ُّب‬٪‫« ع‬arabe, mais qui exprime plus clairement

.‫ بَلَىٹىعُّب‬l‟idée de la distance géographique. Audelà de ce choix terminologique, le sens à inférer de cet énoncé dans son contexte consiste à dire que la distance physique et idéologique entre l‟Arabie saoudite et la Chine, n‟empêche pas ces deux pays de développer de fortes relations de coopération commerciale, etc.

Tableau 59: Des paraphrases par substitution lexicale

2.3.4. Les avantages et inconvénients de la paraphrase Le point fort de cette technique réside dans son pragmatisme et son efficacité. En optant pour cette technique, le traducteur livre le sens pertinent de l‟expression ou de l‟énoncé en question à son lecteur de la façon la plus naturelle et la plus directe possible. Cette solution s‟avère économe en termes d‟efforts interprétatifs pour le lecteur cible qui accède aisément au sens, mais aussi et surtout en termes d‟efforts de réflexion et de recherche pour le traducteur. Celui-ci se voit libéré des carcans linguistiques. Les synecdoques d‟origine ne l‟intéressent guère, tant que leur remplacement par une reformulation plus explicite assure une meilleure intelligibilité et une lisibilité accrue. Il ne doit pas s‟acharner à sauvegarder une expression dont le lecteur ne tirera pas spécialement profit, ni pour son bagage cognitif ni pour l‟appréhension du sens voulu. L‟on pourrait cependant objecter à l'encontre de cette technique sa proximité avec l'adaptation dans le sens où elle privilégie souvent l‟emploi de synecdoques adaptées à la langue-culture cible au détriment des synecdoques d‟origine. Néanmoins, ceci n‟est valable que lorsque la nouvelle formulation engendre réellement une perte stylistique. Dans ce cas, le traducteur pourrait récupérer cette perte stylistique par l‟emploi d‟une autre technique plus adaptée à cette finalité. 2.3.5. La fréquence d‟emploi de cette technique dans le MD Malgré sa facilité d‟utilisation et son efficacité, les traducteurs étaient souvent réticents à l'emploi de cette technique, en dehors des cas que nous avons précisés. Dans notre corpus composé de 5013 exemples d‟explicitations, nous avons recensé seulement 564 cas de paraphrases explicitantes, tous procédés confondus, soit 11 % de l‟ensemble du corpus. Le graphique suivant illustre la répartition des cas de paraphrase par année et retrace l‟évolution de son utilisation sur l‟ensemble de la période étudiée.

Partie II : Chapitre V : Les techniques d’explicitation et leur mise en œuvre dans le corpus du MD 2001-2011

404

Figure 12: La répartition par année du nombre total des exemples d‟explicitation par paraphrase

Hormis le pic habituel de 2009 et la régression classique enregistrée en 2011, l‟examen de la courbe représentant cette technique révèle une baisse constante de 2002 à 2006 et une légère augmentation en 2007 jusqu'à atteindre la moyenne générale en 2008. Contrairement aux tendances à l'augmentation du nombre d‟explicitations que nous avons observées lors de l‟analyse des précédentes techniques, nous constatons ici que l‟augmentation du nombre d‟articles traduits et l‟extension du lectorat n‟ont pas été accompagnées par une hausse significative du nombre de paraphrases. Cette tendance à la baisse s‟explique, à notre avis, en grande partie par le changement d‟équipe de traducteurs à partir de 2005 et par l‟étendue du lectorat qui a commencé à s‟élargir et à devenir de plus en plus éclectique à partir des années 2006-2007. En effet, en analysant le corpus général du MD, nous avons pu constater que les traducteurs avant 2005 étaient plus enclins à prendre plus de liberté dans la formulation linguistique en arabe. Leur méthode générale de traduction se fondait plutôt sur une démarche interprétative, ce qui les incitait à l'emploi des paraphrases. Après la création de la filiale du MD en 2005, l‟équipe des traducteurs est désormais entièrement composée de traducteurs libanais, qui sont généralement formés dans des écoles de traduction (ou parfois en cours de formation), dans des universités libanaises. Comme nous l‟avons déjà expliqué dans l‟introduction générale, ces traducteurs, recrutés sur place, ne sont pas liés par un contrat de travail fixe et changent d‟un numéro à l'autre. En lisant les textes traduits depuis cette époque, nous observons une tendance générale à l'attachement au texte d‟origine, qui se manifeste par le calque sémantique. Certes ils recourent également à de très nombreuses explicitations, mais celles-ci accompagnent souvent une traduction littérale, comme il ressort clairement de l‟ensemble des exemples exposés ici et de ceux qui vont suivre.

Partie II : Chapitre V : Les techniques d’explicitation et leur mise en œuvre dans le corpus du MD 2001-2011

405

Ce penchant littéraliste s‟explique en grande partie par une certaine vision de la tâche du traducteur et de la fidélité en traduction. Plus on respecte les formes d‟expressions originales, plus on se sent fidèle au texte source. Quant aux problèmes de compréhension qui résultent de l‟application de la traduction directe (report, emprunt et calque), les traducteurs tentent de les surmonter en adjoignant des explicitations aux correspondances linguistiques des expressions du texte original. De cette manière, ils pensent reproduire aussi fidèlement que possible le texte source, tout en transmettant son sens. En supplantant le support linguistique et/ou métaphorique, la technique de la paraphrase constitue un acte osé et opposé à cette conception de la traduction. D‟autant plus que, dans le contexte de la traduction du MD, ce gommage des traits exotiques empêche le lecteur arabe de s‟apercevoir des subtilités linguistiques et stylistiques du discours journalistique français. Ceci va à l'encontre des objectifs plus ou moins tacites du projet de traduction du MD : former et informer. C‟est ainsi que nous expliquons ces résultats, même si nous ne partageons pas cette vision réductrice de l‟activité traductrice. Nous soutenons que le traducteur devrait s‟émanciper de l‟emprise linguistique du texte source, de sorte à pouvoir réexprimer clairement en arabe l‟intégralité du sens compris. Pour nous, l‟attachement aux formes linguistiques d‟origine n‟est justifié que dans deux cas de figure : d‟abord, la volonté d‟employer cette forme par la suite du texte sous forme d‟emprunt ou de calque par nécessité lexicale, ensuite la volonté d‟initier le lectorat arabe à telle ou telle manière de dire, revêtant une spécificité stylistique importante, pouvant même être adoptée dans le style journalistique arabe, ce qui enrichira progressivement le vocabulaire linguistique et culturel arabe. En dehors de ces deux cas, il est souhaitable et plus judicieux de recourir à la stratégie de l‟équivalence interprétative, y compris la technique de la paraphrase explicitante lorsqu‟elle se présente comme la meilleure solution face aux problèmes rencontrés, ou tout simplement la stratégie des équivalences discursives libres dont l‟application n‟est pas conditionnée par l‟existence d‟un problème de traduction.

2.4. La technique de l‟équivalent synonymique Cette technique consiste à adjoindre à un emprunt ou à un calque sémantique, un autre alternatif synonymique qui l‟explicite davantage. C‟est en quelque sorte l‟explicitation de la traduction directe : les deux stratégies se superposent et agissent concomitamment pour produire le sens voulu, mais avec plusieurs choix linguistiques. Elle s‟emploie pour multiplier les chances de proposer une traduction plus compréhensible ou pour toucher un public plus vaste. Cela se produit généralement lorsque le traducteur hésite à prendre une décision définitive en sélectionnant dans la chaîne de choix (Lévy 1969) la solution appropriée. Il ne s‟agit donc pas d‟apporter un complément cognitif ou contextuel sur le référent en question, mais plutôt de proposer deux solutions de traduction : la première, littérale, s‟adresse aux lecteurs attentifs, affirmés et cultivés, l‟autre, explicitante, aux lecteurs profanes, occasionnels, peu versés dans la culture étrangère ou dans le sujet de l‟article. Cette démarche double témoigne du souci du traducteur de s‟adapter à son lectorat dans le but de faire naître dans son esprit une image mentale

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aussi nette que possible de l‟objet ou du concept ainsi désigné et de lui épargner les éventuelles ambiguïtés corrélées à la simple traduction directe. Aussi, un terme explicite-t-il l‟autre. Pour cette raison, cette technique est particulièrement prisée des traducteurs du MD. Elle trouve son application dans tous les cas où les traducteurs ont un doute sur la capacité de la majorité des lecteurs ciblés à comprendre le sens pertinent de certains éléments problématiques si l‟on se borne à l‟emprunt ou au calque. Elle participe donc largement à la résolution de la problématique nº 5 (la difficulté de désignation dans la langue cible). Elle peut aussi contribuer à l‟élucidation du sens implicite de certains lexiculturels dans le cadre de la résolution de la problématique nº 3 (les allusions et les connotations). Dans ce cas en particulier, le traducteur ajoute un équivalent synonymique connoté en arabe afin de récupérer une éventuelle perte sémantique due à l'utilisation de l‟emprunt ou du calque. Nous en donnerons quelques exemples dans les tableaux ci-dessous. Il importe également de noter que les auteurs du texte d‟origine sont parfois amenés à faire appel à cette technique pour expliciter un trait de signification d‟un terme dont la compréhension peut poser problème pour certains lecteurs. C‟est ainsi par exemple que l‟auteur du MD juin 2006 a explicité le terme « les Bleus » par un équivalent synonymique plus clair inséré en aval entre parenthèses (l‟équipe de France), en parlant de la victoire des Bleus au Mondial 1998. Suite à notre analyse du corpus, nous avons pu déterminer deux procédés opérant dans le cadre de cette technique. L‟équivalent synonymique accompagnant un terme ou une expression calquée et l‟équivalent synonymique accompagnant un emprunt. 2.4.1. L‟équivalent synonymique explicitant un calque Comme son nom l‟indique, ce procédé consiste à expliciter un calque lexical ou sémantique par un autre équivalent synonymique, sous forme de mot ou de syntagme, placé en aval du calque initial pour préciser au lecteur son trait de signification pertinente qui s‟actualise dans le contexte de son apparition. Nous distinguons donc sous ce procédé deux cas de figure : l‟explicitation du calque lexical d‟un terme et l‟explicitation du calque sémantique d‟une désignation spécifique. 2.4.1.1. L‟équivalent synonymique explicitant un calque lexical Il s‟agit de traduire un terme par sa correspondance linguistique directe en arabe, mais qui présente néanmoins un risque d‟ambiguïté, voire d‟incompréhension pour certains lecteurs. Pour évincer ce risque, le traducteur propose un autre choix linguistique censé être plus explicite que la traduction calquée sur l‟original. Ceci démontre à quel point les traducteurs s‟attachent aux formes initiales, quitte à multiplier les choix traductifs et alourdir inutilement le texte. En effet, les traducteurs pouvaient employer directement la traduction censée être plus explicite sans employer le calque lexical présumé ambigu ou méconnu.

Partie II : Chapitre V : Les techniques d’explicitation et leur mise en œuvre dans le corpus du MD 2001-2011

407

Voici d‟abord une première série d‟exemples illustrant ce cas de figure. Dans ces quatre exemples, nous allons voir comment les traducteurs hésitaient entre deux calques prêtant à confusion et deux syntagmes nominaux plus explicites (l‟urbanisation, hispanique), un terme générique et un autre relevant d‟un registre dialectal, mais plus connu de tous les lecteurs arabes (le courtier), un terme lexiculturel arabe dépourvu de la connotation voulue pour certains lecteurs arabes et un équivalent synonymique qui évoque mieux cette connotation "‫ص‬ًٛ‫( "ق‬qamīṣ).

302

L‟équivalent synonymique d‟un calque lexical Ex.1 L‟urbanisation apparaît comme un autre phénomène majeur [...] (MD juin 2011)

L‟explicitation fournie

La traduction en arabe

L‟urbanisation (la résidence en villes) apparait comme un autre phénomène majeur [...].

‫ّو‬ٚ‫اٹزؾ‬

Ex.2 La population issue de l‟immigration hispanique rajeunit [...] (MD novembre 2010)

Tandis que le nombre de jeunes d‟origine espagnole (Amérique latine) [...] augmente.

‫ثُڂپب ريكاك ځَجخ‬

Le but recherché par l‟explicitation

‫ َجلو‬Dissiper un doute sur le terme employé "‫ُّو‬ٚ‫ "اٹزؾ‬qui pourrait signifier, par proximité sémantique et

)‫ (اإلٱبٽخ يف اظتلٿ‬graphique, pour la majorité des lecteurs « la ‫بڅوح هئَُُخ ؤفوي‬١ modernisation ». Faute d‟avoir un autre [...]

‫اٹْجبة ٽڀ ؤٕؾبة‬ ‫اإلٍجبځُخ‬

)‫اٹالرُڂُخ‬

‫األٕىٷ‬

‫(ؤٽًنٵب‬ [...]

équivalent lexical plus approprié, le traducteur cherche à éviter le risque interprétatif en insérant une périphrase entre parenthèses précisant l‟acception du terme initial. Contexte aidant, le lecteur saura qu‟il s‟agit de chiffres publiés par les Nations-Unies, confirmant qu‟en 2008 la population urbaine a dépassé en nombre pour la première fois la population rurale. Dissiper un malentendu provoqué par une traduction littérale du mot « hispanique » qui pourrait induire en erreur le lecteur arabe en lui faisant croire que cette population d‟immigrés vient du royaume d‟Espagne en Europe. Le contexte parlait du Texas, principale destination des migrants venus du Mexique et d‟Amérique latine. Le lecteur pouvait donc se rendre compte qu‟il s‟agit de migrants latinos et non espagnols. En tout cas, l‟équivalent interprétatif introduit entre parenthèses montre surtout l‟attachement servile à la conception linguistique de la traduction et à une certaine vision biaisée de la fidélité.302

Malgré cette emprise injustifiée de la lettre au détriment de l‟esprit, ce traducteur a eu le mérite de corriger sa propre erreur, ce que les autres n‟ont pas toujours fait. Ainsi le traducteur du MD novembre 2010 a rendu l‟expression « le vote hispanique » par « les électeurs espagnols » "‫ "اٹڂبفجٌن اإلٍجبځٌُن‬dans un énoncé évoquant le vote des électeurs originaires des pays hispanophones d‟Amérique latine résidents au Texas. Le traducteur du MD décembre 2008 a préféré, quant à lui, traduire « la population hispanique » par "‫( "اٹَٶبٿ موٌ األٕىٷ اٹالرُڂُخ‬la population d‟origine latine). Cette traduction permet d‟éviter la confusion avec l‟Espagne, mais elle provoque une autre confusion avec les pays européens d‟origine latine. Nous préférons l‟expliciter par "‫( "اٹَٶبٿ اظتڂؾلهَڀ ٽڀ ؤٽوَٶب اٹالرُڂُخ‬la population issue d‟Amérique latine). Nous pourrions également emprunter le terme d‟origine, mais sous une forme distincte du correspondant renvoyant aux nationaux d‟Espagne. Il s‟agit du terme "‫( "څَُجبين‬hispanique) que l‟on commence à entendre dans certains médias. Encore faut-il que le contexte soit suffisamment explicite pour en révéler le sens exact.

Partie II : Chapitre V : Les techniques d’explicitation et leur mise en œuvre dans le corpus du MD 2001-2011 Ex.3 Le métier du courtier est de réunir l‟acheteur, le vendeur, le transporteur, le bailleur de fonds, [...] (MD janvier 2001) Ex.4 la barbe et le qamis pour les hommes, le voile intégral pour les femmes [...] (MD janvier 2010)

Le métier d‟intermédiaire (commissionnai re) consiste à réunir l‟acheteur, le vendeur, le transporteur et le bailleur de fonds, [...] La barbe et le « qamis » (la robe blanche) et le voile intégral pour les femmes [...]

408

ٍُٜ‫ رٲىٻ ٽهڂخ اٹى‬Tenter de trouver le terme le plus adéquat pour désigner ce métier. Le traducteur emploie d‟abord

ً‫ٺ‬٥

)‫ (اٹَپَبه‬un terme générique auquel il ajoute entre un terme dialectal plus fréquemment ٤‫ ثٌن اٹجبئ‬٤‫ اصتپ‬parenthèses utilisé dans le langage quotidien, qui sert à

‫واٹڂبٱٸ‬

ٌ‫ واٹْبه‬préciser la première désignation. Or, ce procédé

[...] ‫واظتپىٷ‬

"ُٔ‫اٹٺّؾُخ و"اٹٲپ‬

)ُ٘‫األث‬

‫(اٹضىة‬

‫ واضتغبة‬،‫ٹٺوعبٷ‬ [...] ‫اٹْبٽٸ ٹٺڂَبء‬

s‟avère inutile ici car le co-texte se charge de définir ce métier très clairement. Peu importe le terme employé, le sens est parfaitement déductible.303 C‟est un cas particulier où l‟auteur utilise un terme arabe que le traducteur explicite encore par une autre périphrase arabe. Le traducteur a reporté le terme arabe « qamis » employé dans le texte d‟origine en l‟explicitant, à juste titre, par « robe blanche » qui évoque mieux l‟image voulue dans un contexte parlant des nouveaux convertis qui adoptent le style vestimentaire des musulmans pratiquants304.

Tableau 60: Des équivalents synonymiques explicitant un calque lexical

Voyons à présent un cas particulier qui a souvent donné du fil à retordre aux traducteurs du MD. À l'origine de cette difficulté le calque lexical du terme « social » par "ٙ‫"اخزًبػ‬, qui causait souvent une perte sémantique notamment lorsqu‟il figurait dans certaines expressions spécifiques telles que « plans sociaux », « accords sociaux », « habitat social ». Voici comment les traducteurs ont employé ce procédé pour mieux expliciter le sens voulu.

303

Dans d‟autres contextes, ce nom de profession est traduit souvent par une périphrase définitoire « l‟intermédiaire financier » "‫ اظتبرل‬ٍُٜ‫( "اٹى‬MD mars 2010, décembre 2009, mai 2009). Il importe néanmoins de différencier ce métier de celui de trader très connu depuis la crise financière, vu le rôle déterminant qu‟y ont joué les traders. La plupart des traducteurs du MD confondent les deux. C‟est ainsi que « trader » est souvent traduit pas « un intermédiaire financier » "‫ ٽبرل‬ٍُٜ‫("و‬MD juillet 2010, mars 2010, décembre 2009, mai 2009) ou « commissionnaire financier » ‫"شتبٍوح‬ "‫( ٽبٹُىٿ‬MD octobre 2010, mars 2010). Dans tous les articles du MD publiés après 2009, le contexte aide souvent le lecteur à comprendre la particularité de ce métier, à savoir que c‟est un agent qui achète et vend des devises, des actions, etc., en bourse ou dans les marchés financiers, tandis que le courtier met en relation un acheteur et un vendeur contre une rémunération fixée d‟avance, sans prendre aucun risque comme le fait généralement le trader. 304 En effet, bien que « qamis » soit un mot arabe connu de tout le monde, sa signification diffère dans certains pays. Ce mot est employé souvent au Proche Orient comme une correspondance linguistique du mot chemise, alors que les maghrébins l‟emploient pour désigner la longue robe que mettent les hommes pour aller prier par exemple. Par ailleurs, il est étonnant que le traducteur n‟ait pas utilisé le terme « le Niqab » "‫"اٹڂٲبة‬. À la place de la périphrase « le voile intégral » pour être plus précis.

Partie II : Chapitre V : Les techniques d’explicitation et leur mise en œuvre dans le corpus du MD 2001-2011

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L‟équivalent synonymique d‟un calque lexical Ex.1 Les conditions dans lesquelles se déroulent et se concluent les accords sociaux [...]. (MD janvier 2007)

L‟explicitation fournie

La traduction arabe

Les conditions qui accompagnent le déroulement et la conclusion des accords sociaux (les contrats sociaux entre les employés et les patrons)

‫ اٹيت روا٭ٰ بعواء‬٫‫وو‬٢‫اٹ‬

Ex.2 Une nouvelle politique publique s‟est mise en place dans cinq cents quartiers d‟habitat social (MD octobre 2007) Ex.3 [...] avec obligation pour chaque hôpital et chaque pôle de maintenir l‟équilibre financier entre les recettes et les dépenses, et si besoin de développer des « plans sociaux ». (MD septembre 2006)

Une nouvelle politique officielle a été mise en place dans cinq cents quartiers de logements sociaux (populaires).

‫ٱبٽذ ٍُبٍخ هشتُخ علَلح‬

[...] imposer un engagement à chaque hôpital et à chaque pôle de maintenir l‟équilibre financier entre les recettes et les dépenses, et de développer, le cas échéant, des « plans sociaux » (c'est-à-dire expulser des employés selon l‟expression française).

ً‫ٺ‬٥ ‫هل‬٦‫ ٭وٗ ر‬٤‫[ ٽ‬...] Apporter une information précisant la

‫االرٮبٱبد‬ ‫ٲىك‬٦‫(اٹ‬

‫األعواء‬

en

‫وبٱواه‬

‫ثٌن‬

‫ُخ‬٥‫االعزپب‬ ‫ُخ‬٥‫اصتپب‬

.)‫پٸ‬٦‫وؤٕؾبة اٹ‬

‫ ٽڀ ؤؽُبء‬500 ‫رڂبوٹذ‬ ‫ُخ‬٥‫االعزپب‬

‫اظتَبٵڀ‬

.)‫جُخ‬٦ْ‫(اٹ‬

Le but recherché par l‟explicitation

Préciser le sens en contexte de cette expression vague "‫"االتفاقات االجتماعية‬ calquée sur l‟expression française. Grâce à ce complément, le lecteur arabe apprend qu‟il s‟agit d‟accords conclus entre les syndicats des employés d‟une part et les patrons d‟autre part, et non d‟accords sur des questions sociétales, comme l‟aurait laissé penser la traduction directe. L‟expression « habitat social » n‟évoque pas grand-chose aux lecteurs arabes, d‟où l‟ajout du terme « populaire ». Cette traduction n‟informe pas le lecteur arabe sur l‟existence des HLM, habitations à loyer modéré, réservés aux plus défavorisés. 305

signification de la traduction littérale, ce

‫ت‬ٞ‫ ٵٸ ٽَزْٮً وٵٸ ٱ‬qui aide le lecteur à comprendre à quel ces mesures draconiennes, prévues ‫ٺً اٹزىاىٿ اظتبرل‬٥ ٟ‫ ثبضتٮب‬point par la réforme des hôpitaux, peuvent

‫ وبما‬،‫ ثٌن اظتلفىٷ واالځٮبٯ‬nuire au personnel. Les hôpitaux sont désormais,

comme

des

entreprises,

٤ٙ‫ ٽب اؽزبط األٽو بذل و‬régies par la logique du marché et de la ٌ‫ُخ" (ؤ‬٥‫ اعزپب‬٤َ‫ "ٽْبه‬rentabilité. Ils peuvent désormais ‫جًن‬٦‫ثبٹز‬

‫ّٮٌن‬١‫ٽى‬

procéder à des réductions d‟effectifs s‟ils

‫وك‬ٝ ne réalisent pas assez de bénéfices, en toutefois - et c‟est là .)ٍَ‫ اٹٮوځ‬s‟efforçant l‟objectif du « plan social » - d‟éviter les licenciements secs par des reclassements, mises à la retraite anticipées et autres mesures.306

Tableau 61: Des équivalents synonymiques explicitant une expression spécifique

305

Il en va de même pour la traduction de l‟expression « un vaste complexe de logements sociaux » rendu par « un vaste complexe de logements « sociaux » (populaires) »")‫جُخ‬٦ْ‫ُخ" (اٹ‬٥‫ ٹٺپَبٵڀ "االعزپب‬٤ٍ‫ وا‬٤‫( "جتپ‬MD octobre 2007). Remarquons que le traducteur a mis le terme « sociaux » entre guillemets, comme s‟il tentait de dire aux lecteurs arabes que c‟est ainsi qu‟on les appelle en français, et que cela signifiait simplement (populaire). 306 L‟explicitation fournie par le traducteur arabe est maladroite car le mot « expulser » en arabe est très connoté et évoque un licenciement par faute professionnelle, et non un reclassement du personnel en surnombre avec évidemment les indemnités prévues par la loi, comme c‟est le cas dans ce contexte. Tentant d‟éviter un risque d‟ambiguïté engendrée par la traduction littérale, ce qui est louable, le traducteur tombe dans un autre risque d‟ambiguïté sur le sens voulu, ce qui n‟est pas dû à l'explicitation comme technique, mais au choix du complément informatif. La conservation de l‟expression d‟origine est un choix judicieux, à notre avis, car ce terme revient souvent dans les autres textes du MD depuis 2009, et parce qu‟il montre cette particularité et subtilité du « politiquement correct », qui camoufle la réalité derrière la banalité de l‟expression. Le lecteur arabe ne manquera pas d‟être choqué de découvrir qu‟un « plan social » n‟est qu‟une manière de réduire les effectifs hospitaliers, ce qui n‟a rien de « social », ni pour les employés ni pour les patients.

Partie II : Chapitre V : Les techniques d’explicitation et leur mise en œuvre dans le corpus du MD 2001-2011

410

2.4.1.2. L‟équivalent synonymique explicitant un calque sémantique Ce cas de figure constitue le prolongement logique du cas présenté ci-dessus. Il concerne différentes désignations dont la traduction directe par calque sémantique était jugée insatisfaisante, voire incompréhensible. Les traducteurs ont choisi de conserver la trace de l‟expression originale et de l‟expliciter ensuite par un équivalent linguistique qui sert de désambiguïsateur. Voici une série d‟exemples illustrant le recours à ce procédé pour rendre la signification pertinente de surnoms (les immortels, le noble art), de concepts (le secteur tertiaire, les jeux de grattage), etc. L‟équivalent synonymique d‟un calque sémantique Ex.1 Pour les Immortels, « les emprunts à l’anglais sont un phénomène ancien »,... » (MD décembre 2010)

Ex.2 Les détracteurs du noble art [...] (MD juin 2001)

Ex.3 Deux tiers des salariés appartiennent au secteur tertiaire [...] (MD novembre 2010) 307

L‟explicitation fournie

La traduction en arabe

Le but recherché par l‟explicitation

Du point de vue de ces immortels « comme on appelle les membres de l‟Académie », « le phénomène des emprunts à l‟anglais est ancien,... ». Les pourfendeurs du noble art (la boxe) [...]

‫څاالء‬

surnom surprenant, sans donner des détails

Deux tiers des employés travaillent dans le troisième secteur (les services) [...]

‫و‬٢‫ځ‬

ٍ‫ ٭ٮ‬Préciser le trait de signification de ce

ًّ‫ "اطتبٹلوٿ" (ٵپب ََپ‬sur l‟origine de cette expression, à savoir référence à la devise de l‟Académie ،)‫األٵبكنتُخ‬ ‫بء‬ٚ٥‫ ؤ‬la française « À l'immortalité » (de la langue ‫بهح ٽڀ‬٦‫بڅوح االٍز‬١" française) donnée à cette institution par ."‫اإلځٶٺُيَخ ٱلنتخ‬

son fondateur, Richelieu.

‫ٺً اٹٮڀ اٹڂجُٸ‬٥ ‫ىٿ‬٦‫ اظتْڂ‬Préciser le type de sport désigné par cette périphrase lui servant de surnom, que le

[...])‫ (اظتالٵپخ‬traducteur a jugé méconnue de la part de

‫ٺىٿ‬٪‫بٽٺٌن َْز‬٦‫صٺضٍ اٹ‬ ‫اٹضبٹش‬

٣‫ب‬ٞ‫اٹٲ‬

‫يف‬

[...]،)‫(اطتلٽبد‬

son lectorat. Il existe des désignations semblables employées couramment dans les journaux arabes comme le septième art (le cinéma), le quatrième pouvoir (la presse), mais le noble art, n‟en fait pas partie. D‟où la pertinence du choix de ce procédé qui introduit cette nouvelle périphrase pour un sport de plus en plus admiré par les spectateurs arabes.307 Exprimer plus clairement le sens pertinent qui se cache derrière l‟expression « troisième secteur », à savoir le secteur qui produit des services. Le lecteur déduira du contexte que c‟est notamment le domaine des services informatiques qui est concerné308.

Il aurait été préférable de préciser le sens exact en écrivant « la boxe anglaise » car c‟est d‟elle qu‟il est question dans ce contexte. Ainsi, cette précision vise à éviter une éventuelle confusion avec le catch américain "‫خ اضتوح‬٥‫ "اظتٖبه‬qui est plutôt un sport de combat sportif théâtral et très présent dans les chaînes de télévision arabes ces dernières années. 308 Cette même expression fut traduite exactement de la même manière dix ans plutôt, dans le MD février 2001, ce qui confirme le caractère problématique de la traduction de cette expression et la lenteur de l‟implantation de nouveaux termes arabes susceptibles d‟éviter ce recours aux doubles traductions. Il n‟en demeure pas moins vrai que certains traducteurs dans d‟autres articles du MD ont préféré rendre « secteur tertiaire » directement par «le secteur des services » "‫ اطتلٽبد‬٣‫ب‬ٞ‫( "ٱ‬MD janvier 2007) sans devoir recourir à cette explicitation, ce qui est un choix judicieux

Partie II : Chapitre V : Les techniques d’explicitation et leur mise en œuvre dans le corpus du MD 2001-2011 Ex.4 On s‟engouffre dans le PMU Chez Jackie, parmi les abonnés aux jeux de grattage [...] (MD janvier 2011)

On entre chez le vendeur de loterie « Chez Jackie » parmi les abonnés aux jeux de grattage (les coupons loterie) [...]

٤‫ثبئ‬

‫ڂل‬٦‫ٹ‬

411

‫ ځلفٸ‬Renforcer le calque sémantique par un

autre équivalent linguistique plus fréquent

"ٍ‫ اٹُبځُٖت "ٍّ عبٵ‬en langage quotidien qui évoque ce type de de hasard dont parle l‟énoncé. ‫بة‬٦‫ ثٌن اظتْزوٵٌن يف ؤٹ‬jeux Néanmoins, le co-texte montre déjà qu‟il )‫ اضتٴّ (ؤوهاٯ اٹُبځُٖت‬s‟agit de jeux de loterie, ce qui aurait [...]

dispensé le traducteur d‟opérer cette explicitation créant une redondance. L‟un des deux choix aurait suffit309.

Tableau 62: Des équivalents synonymiques explicitant un calque sémantique

2.4.2. L‟équivalent synonymique accompagnant un emprunt Ce procédé consiste à employer un équivalent linguistique pour expliciter le sens d‟un emprunt que les traducteurs estiment plus ou moins méconnu du grand public. Ce souci de préservation de l‟emprunt peut s‟expliquer par trois raisons : la première réside dans le fait de vouloir répandre l‟emploi de l‟emprunt et donc de participer à son implantation dans le langage, en le faisant connaitre au plus grand nombre de lecteurs, sans pour autant prendre le risque éventuel d‟ambiguïté si l‟on présente l‟emprunt sans son équivalent synonymique. La deuxième reflète une tendance opposée à la première, dans la mesure où les traducteurs cherchent, par « puritanisme linguistique » ou par conviction personnelle, à proposer un équivalent arabe susceptible de se substituer à l'emprunt que certains tendent à utiliser alors qu‟une expression en arabe existe. La troisième, située au juste milieu, consiste à employer l‟expression arabe lorsque l‟énoncé comporte déjà plusieurs emprunts, ce qui alourdit considérablement le style arabe et nuit à la lisibilité de l‟énoncé. Son emploi sert donc à amortir l‟effet de l‟enchainement d‟emprunts dans le même syntagme. Dans tous les cas, les traducteurs semblent estimer que les emprunts employés en arabe renvoient désormais à un référent clair et sont donc plus aptes à rendre le sens pertinent. Sauf que ces emprunts ne sont pas forcément connus de tous les lecteurs, d‟où le besoin de garder les deux solutions. Les emprunts s‟adressent aux lecteurs connaisseurs, les autres équivalents linguistiques aux lecteurs qui doivent s‟initier. En revanche, ce qui renforce davantage l‟hypothèse du primat accordé au terme arabe, c‟est sa localisation souvent en amont de l‟emprunt. Celui-ci marque alors simplement la connaissance d‟un technolecte connu des lecteurs avertis. Mais cela ne suffit pas pour autant à confirmer définitivement cette hypothèse ou à exclure les autres, car il existe aussi certains équivalents linguistiques placés en aval de l‟emprunt. Remarquons toutefois que beaucoup d‟emprunts placés en aval figurent dans des traductions du MD avant l‟élargissement de son lectorat entamé dans les années 2006-2007, à une époque où les lecteurs étaient censés être plus instruits.

à notre avis. L‟explicitation par équivalent synonymique peut être utile lorsqu‟il faudrait distinguer ce secteur des secteurs primaire et secondaire et déterminer ses particularités, pour peu que le contexte cognitif ne le fasse pas. 309 D‟ailleurs, nous aurions préféré cette traduction interprétative qui explicite plutôt ce qu‟est le PMU : ً‫"ځلفٸ بذل ٽٲه‬ "‫بة اٹُبځُٖت‬٦‫ٺً ٍجبٯ اطتُىٷ وؤٹ‬٥ ‫( "ُّڄ عبٵٍ" ؽُش َٺزٲٍ څىاح اٹوڅبځبد‬On entre au café « chez Jackie » où se retrouvent les amateurs de paris sur les courses de chevaux et de jeux de loterie).

Partie II : Chapitre V : Les techniques d’explicitation et leur mise en œuvre dans le corpus du MD 2001-2011

412

Voici une série d‟exemples illustrant les différents cas de figure, à savoir expliciter l‟emprunt « fédéral » dans le syntagme « utopie fédéraliste », l‟emprunt « pragmatisme » dans un énoncé contenant trois emprunts successifs « pragmatisme diplomatique et idéologie », l‟emprunt « chips et corn-flakes », l‟emprunt « théocratique » qualifiant un gouvernement régi par une idéologie religieuse.

310

L‟équivalent synonymique d‟un emprunt Ex.1 Mais l‟utopie fédéraliste suscite beaucoup moins d‟enthousiasm e dans les urnes. (MD juin 2011)

L‟explicitation fournie

La traduction en arabe

Le but recherché par l‟explicitation

Mais l‟utopie fédéraliste (fédéraliste) ne suscite pas autant d‟enthousiasme dans les boîtes du scrutin.

‫ىثبوَخ‬ٞ‫بال ؤٿّ اٹ‬

Ex.2 Pékin parvint à établir un équilibre délicat entre pragmatisme diplomatique et idéologie révolutionnair e. (MD mars 2003) Traduction libre :

Pékin a donc réussi à établir l‟équilibre entre le réalisme (pragmatisme) diplomatique et l‟idéologie révolutionnaire.

Le traducteur se heurte ici au problème de la juxtaposition de deux emprunts qui existent en arabe, mais qui ne sont pas forcément connus de tous les lecteurs ciblés par ce numéro de 2011. S‟il adopte les deux emprunts "‫"اليىتىبيا الفيذرالية‬, les chances de se faire comprendre du grand public sont minces. Pour limiter ce risque et pour ne pas alourdir le style, il adopte l‟emprunt plus ou moins arabisé « utopie » et traduit « fédéraliste » par un équivalent linguistique générique "‫"االتحادية‬, auquel il adjoint entre parenthèses l‟emprunt correspondant au terme d‟origine. La manœuvre paraît certes compliquée, mais cela démontre bien la peine que se donnent les traducteurs du MD, tiraillés entre un penchant linguistique et le besoin de se faire comprendre malgré tout.310 Ici, le traducteur bute sur trois emprunts successifs qui rendent le style lourd et la phrase totalement hermétique pour celui qui ne connait pas le sens de ces termes « pragmatisme, diplomatie, idéologie ». Heureusement, la majorité des lecteurs connaissent les deux derniers termes, d‟où l‟explicitation du premier seulement par un équivalent linguistique générique, renforcé par l‟emprunt plus connoté pour les connaisseurs. L‟emploi du mot « réalisme » atténue d‟ailleurs cet effet d‟enchainement de termes non arabes, qui donne l‟impression que notre langue est incapable de forger ses propres mots pour exprimer des notions simples. Certains lecteurs vont rejeter la responsabilité, non pas sur la langue arabe, mais sur le traducteur ayant opté pour la facilité, quitte à défigurer la phrase arabe311.

‫االحتبكَخ‬

‫(اٹٮُلهاٹُخ) ال رضًن‬ ‫څنا اٹٲله ٽڀ‬ ‫يف‬

ً‫اضتپب‬

.٣‫ٕڂبكَٰ االٱزوا‬

،‫بمٿ ؾتؾذ ثٶٌن‬ ‫يف بٱبٽخ اٹزىاىٿ ٽب‬ ‫ُخ‬٦‫اٹىاٱ‬

‫ثٌن‬

)‫پبرُخ‬٩‫(اٹربا‬ ‫اٹلَجٺىٽبٍُخ‬

‫واالَلَىٹىعُخ‬ .‫اٹضىهَخ‬

Quant au vouloir dire de cet énoncé, le lecteur réussira à l'inférer assez aisément s‟il comprend vraiment le sens des deux mots « utopie » et « fédéraliste » qui jouent un rôle primordial dans la construction du sens pertinent. L‟auteur voudrait dire par là que, malgré l‟enthousiasme des européistes et leur discours présentant l‟Europe Unie comme synonyme de la paix, du bel avenir, de la jeunesse, les résultats des urnes jouent en leur défaveur, notamment lorsque les électeurs pensent à l'idée que le parlement européen risque de se substituer aux assemblées nationales. Ce qui renforce la position des eurosceptiques, taxés d‟ailleurs par les européistes de souverainistes, d‟archaïques et d‟antieuropéens. En tout cas, le traducteur pouvait faire plus simple en éliminant tous ces emprunts au profit d‟une traduction libre comme : "‫بٻ االحتبكٌ اظتضبرل‬٢‫( "ٹٶڀ صٺخ ٱٺُٺخ ٽڀ اٹڂبفجٌن ََزهىَهټ ؽٺټ اٹڂ‬Mais rares sont les électeurs qui se laissent séduire par le rêve d‟un système fédéral idéal). 311 Là-aussi, le traducteur pouvait effectuer une traduction interprétative libre sans recourir aux emprunts, en écrivant par exemple ceci : "‫ٺُخ وثٌن ؤ٭ٶبهڅب اٹضىهَخ‬٦‫زجبه ظتىاىَڀ اٹٲىي اٹٮ‬٥‫ ؾتؾذ ثٶٌن يف حتٲُٰ رىاىٿ مٵٍ ثٌن األفن يف اال‬،‫ُل اٹَُبٍخ اطتبهعُخ‬٦ٕ ً‫ٺ‬٥‫( " و‬En politique étrangère, Pékin a réussi à trouver un équilibre subtil entre la prise en compte des rapports de forces réels et ses idées révolutionnaires).

Partie II : Chapitre V : Les techniques d’explicitation et leur mise en œuvre dans le corpus du MD 2001-2011

‫ذ‬٪‫ؤٹ‬

‫ وٱل‬Nous avons encore affaire à trois emprunts figurant dans

Ex.3 Les sociétés démocratiques ont banni de leur langue commune ce mot de « propagande », assigné aux seuls régimes totalitaires. (MD novembre 2007)

Les sociétés démocratiques ont supprimé de leur dictionnaire commun ce mot de « propagande », accolé seulement aux autorités totalitaires (totalitaires312)

Ex.4 Ce maïs s‟était massivement retrouvé dans les chips et les corn-flakes des

Ce mais était découvert massivement dans les tranches de pommes frites (chips) et les pâtes de maïs (corn-flakes) que consomment les américains.

‫اٵزْٮذ‬

Le président avait évoqué ouvertement l‟idée d‟un gouvernement « théocratique » (religieux).

ٌُ‫ٱل حتلّس اٹوئ‬

consommateurs

américains. (MD juillet 2001)

Ex.5 Il avait ouvertement évoqué l‟idée d‟une « théocratie » (MD mars 2006)

‫ٽڀ‬

413

un seul énoncé : le premier « démocratique » est bien

‫بد‬٦‫ اجملزپ‬intégré en arabe, les deux autres « propagande » et ‫ُخ‬ٝ‫ « اٹلنتٲوا‬totalitaire», nécessitent des explicitations. Le traducteur a décidé d‟expliciter le dernier, laissant le mot

‫ « ٱبٽىٍهب اظتْزوٳ‬propagande » tel quel pour la simple et bonne raison ‫بځلا‬٩‫ ٵٺپخ اٹربوثب‬qu‟il l‟a déjà explicité plus tôt dans le texte par

« publicité politique »"‫"دعاية سياسية‬. En somme, ce que

ٜ‫ اظتٺٖٲخ ٭ٲ‬،‫ څنڃ‬devrait déduire le lecteur de cet énoncé, c‟est que les ‫بد‬ٞ‫ ثبٹَٺ‬techniques de publicité n‟hésitent pas à manipuler les cerveaux et les perceptions des consommateurs pour

‫ اٹْپىٹُّخ‬faire vendre les produits, comme le faisaient les .)‫ (اٹزىربٹُزبهَخ‬idéologues, les politologues, les dictateurs et les gourous ‫٭ٲل‬

ٰ‫ثٶضب٭خ يف هٱبئ‬ ‫اظتٲٺُخ‬ ‫ويف‬

‫اٹنهح‬

‫ب‬ٝ‫ب‬ٞ‫اٹج‬

)ٌ‫(اٹزُْج‬ ‫غڂبد‬٦‫ٽ‬

)ٌ‫(اٹٶىهٿ ٭الٵ‬ ‫ََزهٺٶهب‬

‫اٹيت‬

.‫األٽًنٵُىٿ‬

‫ڀ ٭ٶوح‬٥ ً‫ٺڂب‬٥

‫ؽٶىٽخ‬

"‫ُخ‬ٝ‫"رُىٱوا‬

.)‫(كَڂُخ‬

pour vendre leurs idées, etc. Une telle pratique publicitaire est a priori contraire aux valeurs démocratiques des sociétés occidentales. Comme dans les autres exemples, les traducteurs se sentent insatisfaits d‟un seul choix linguistique, car il est jugé inapte à évoquer l‟image mentale de l‟objet désigné, ce qui les pousse à multiplier les équivalents synonymiques. Dans ce cas de figure, nous avons plutôt affaire à une sous-estimation des connaissances des lecteurs, car ceux-ci savent sans doute ce que sont « les chips » et « les corn-flakes ». Beaucoup de produits portent ce nom dans plusieurs pays arabes. De plus, la périphrase définitoire de ce dernier terme est plus incompréhensible que l‟emprunt lui-même. Au-delà de ces écueils linguistiques, le but principal de l‟énoncé est de dire au lecteur que le maïs transgénique destiné initialement à l'alimentation animale, s‟est retrouvé dans bien des produits de grande consommation. Le terme « théocratie » est assez souvent utilisé dans les journaux arabes, mais le traducteur semble vouloir évincer tout doute d‟ambiguïté en l‟explicitant par « religieux ». Ainsi, il estime toucher le plus grand public. Dans ce contexte, l‟idée principale consiste à dire que le président malgache élu compte mettre en place un régime théocratique alors que la constitution proclame la laïcité de l‟état malgache.

Tableau 63: Des équivalents synonymiques explicitant un emprunt linguistique

2.4.3. Les avantages et inconvénients de l‟équivalent synonymique L‟emploi de cette technique en ce qui concerne l‟accompagnement des emprunts peut constituer un avantage important. En effet, cette technique permet d‟enrichir, d‟une part le bagage cognitif du lecteur grâce à l'explicitation fournie, et d‟autre part la langue cible grâce à l'emprunt employé. Cet usage correspond à ce que Seleskovitch (1968) proposait pour la traduction des nouveaux concepts ou des néologismes : « il ne s‟agit plus de traduire ou de réexprimer mais 312

Le premier terme est la traduction linguistique en arabe du terme « totalitaire », le deuxième terne est l‟emprunt du même terme français, adapaté à la phonetique arabe (prononcer : altotalitariyah).

Partie II : Chapitre V : Les techniques d’explicitation et leur mise en œuvre dans le corpus du MD 2001-2011

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d‟introduire une notion nouvelle dans un patrimoine culturel existant, d‟enrichir les concepts en fournissant des explications, et d‟enrichir la langue en apportant un mot, que ce soit par l‟emprunt ou la création néologique (Seleskovitch 1968 : 145). C‟est ce que confirme également Laplace (1994 : 234) lorsqu‟elle traite de la question de la traduction des référents culturels inexistants dans la langue-culture cible : « la solution est simple et appliquée avec succès depuis des millénaires dans toutes les traductions : on recourt à l‟emprunt ou à la création néologique […] Et l‟introduction du terme nouveau doit nécessairement s‟accompagner d‟une explication». En effet, la technique de l‟explicitation accompagnant l‟emprunt prend toute son importance dans le contexte de la traduction en arabe et notamment de la mondialisation culturelle. Vu l‟intensité des contacts interculturels, les cases vides dans la langue arabe se multiplient, notamment en ce qui concerne la désignation des référents culturels. La double stratégie (emprunt + explicitation) résout de façon pragmatique le problème de la lenteur de l‟implantation des nouvelles désignations linguistiques. En fait, cette implantation devrait a priori se faire à la fois par la voie académique, c'est-à-dire les travaux des « académies de langue arabe » ou les propositions terminologiques des dictionnaires bilingues, souvent commerciaux, par la voie publique grâce aux médias de masse (les grandes chaînes satellitaires) et à la presse écrite (les célèbres quotidiens panarabes). La voie académique, seule, permet la création d‟un terme équivalent en arabe, mais qui reste inusité en dehors des cercles académiques et universitaires. La voie publique, seule, répand l‟usage du terme, mais celui-ci reste « bâtard » en attendant une reconnaissance officielle. Et c‟est souvent à cause de cette dissociation dans le processus d‟adoption des nouveaux termes et du manque de coordination entre les instances responsables que les traducteurs arabes se trouvent contraints de multiplier les choix linguistiques, reflétant cette « schizo-glossie » selon le terme d‟El Kaladi (2005 : 157), que nous avons pu constater au travers de l‟analyse des exemples précédents et de ceux étudiés sous la problématique nº 5 au chapitre IV. Nous proposons donc d‟employer cette technique pour introduire un nouvel emprunt qu‟on accompagne impérativement de son explicitation lors de la première occurrence et de continuer à utiliser l‟emprunt seul dans la suite du texte. Il n‟en demeure pas moins vrai que cette technique peut être aussi utilisée plus largement comme l‟ont fait les traducteurs du MD, mais seulement dans le cas où l‟emprunt est tout récent et qu‟il n‟a pas encore été assez connu du grand public. Pour les autres cas, il conviendrait de trancher en employant soit l‟emprunt seul, soit l‟équivalent arabe seul. Toute perte stylistique ou connotative peut être récupérée dans le co-texte par l‟insertion dans le tissu textuel des compléments cognitifs révélant l‟aspect pertinent qui manquait. Nous en venons ainsi au grand inconvénient que présente cette technique si tant est qu‟elle continue à être utilisée comme c‟est le cas actuellement dans le MD : la redondance. Multiplier les choix traductifs dénote l‟hésitation du traducteur quant à la traduction appropriée et crée une redondance inutile, notamment lorsqu‟il s‟agit de calquer la motivation d‟une désignation

Partie II : Chapitre V : Les techniques d’explicitation et leur mise en œuvre dans le corpus du MD 2001-2011

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linguistique. Il en va de même pour l‟emploi d‟un emprunt et de son équivalant en arabe : le style s‟en trouve alourdi, voire parasité par ces intrus. En outre, cette démarche donne l‟impression qu‟il y a deux catégories de lecteurs : les « cultivés » qui sont censés comprendre directement les emprunts et les « ignorants » à qui on doit tendre excessivement la main pour les aider à combler leur ignorance ponctuelle linguistique et culturelle. C‟est d‟ailleurs pour cette raison que nous déconseillons le recours à cette technique en dehors des cas de figures relatifs à l‟introduction de nouveaux emprunts. 2.4.4. La fréquence d‟emploi de cette technique dans le MD Dotée de ses caractéristiques présumées plus ou moins compatibles avec le style de traduction de la plupart des traducteurs (qui alternent traduction littérale et traduction interprétative), cette technique du recours à l‟équivalent synonymique a assez souvent été sollicitée par les traducteurs du MD. Dans notre corpus composé de 5013 exemples d‟explicitations, nous avons recensé 698 cas d‟équivalents synonymiques, tous procédés confondus, soit 14 % de l‟ensemble du corpus (plus que la paraphrase présumée incompatible avec leur style de traduction). Le graphique suivant illustre la répartition de ces cas par année et retrace l‟évolution de l‟utilisation de la technique sur l‟ensemble de la période étudiée.

Figure 13: La répartition par année du nombre total des exemples d‟explicitation par équivalent synonymique

Cette courbe montre une tendance nette à l'augmentation de l‟emploi de cette technique depuis 2004 jusqu'à 2010. Cette hausse constante s‟explique, comme nous l‟avons évoqué, par une propension de plus en plus forte à la traduction littérale, tout en injectant des explicitations là où la traduction par emprunt ou calque risque d‟être inintelligible. L‟augmentation du lectorat arabe, la multiplicité de leurs profils sociolinguistiques et culturels et la nécessité de produire un texte lisible et intelligible pour tout le monde, sont autant de facteurs qui incitent souvent les traducteurs à recourir à cette technique à chaque fois qu‟ils ont un doute sur l‟efficacité de la traduction directe. En dehors du pic classique de 2009, l‟augmentation du nombre d‟équivalents

Partie II : Chapitre V : Les techniques d’explicitation et leur mise en œuvre dans le corpus du MD 2001-2011

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synonymiques entre 2007 et 2011, au-dessus de la moyenne générale confirme l‟hypothèse de la volonté de s‟adapter au lectorat de plus en plus vaste. La hausse entamée en 2005 confirme également que le changement d‟équipe de traducteurs et partant le style de traduction, avait quelque chose à voir avec la récurrence accrue de cette technique, une tendance qui n‟a pas tardé à s‟affirmer dans les années suivantes.

2.5. La technique de l‟insertion Cette technique consiste à insérer entre parenthèses ou guillemets différents compléments cognitifs, sous forme de courts syntagmes nominaux ou verbaux, nécessaires à l‟inférence du sens d‟un référent ou de tout un segment du texte. Ces suppléments injectés au sein du texte sont distincts des termes classificateurs (l‟incrémentialisation), des traits définitoires d‟un référent (la périphrase), de la reformulation plus explicite remplaçant une expression métaphorique ou spécifique (la paraphrase), des alternatifs linguistiques plus clairs élucidant un calque ou un emprunt (l‟équivalent synonymique)313. Il s‟agit donc de compléments informatifs et discursifs que le traducteur décide d‟apporter dans le cadre d‟une mise en perspective contextuelle orientée vers la compréhension et la cohérence du sens global de l‟énoncé. Elle conserve la teneur exotique de l‟expression originale qu‟il soit un nom propre ou un référent culturel ou un emploi tropique, tout en renseignant le lecteur sur le sens pertinent véhiculé par une telle désignation. Du point de vue syntaxique, cette technique se présente généralement sous forme d‟incises placées entre parenthèses et formulées en toute liberté syntaxique. Autrement dit, ces ajouts se détachent le plus souvent de la trame syntaxique, tout en restant intrinsèquement liés à la construction sémantique du sens de l‟énoncé. Ils sont souvent postposés par rapport aux éléments contenant une charge implicite. Du point de vue traductologique, leur dosage se plie au principe de la pertinence dans la mesure où ces insertions greffées au texte cherchent à apporter un maximum d‟informations par un minimum d‟écrit, dans le but d‟aiguiller le lecteur et de provoquer sa libre adhésion au processus de lecture et d‟interprétation. Dotée de ces caractéristiques, la technique de l‟insertion s‟avère un outil extrêmement efficace et pragmatique pour adjoindre toutes sortes d‟éléments informatifs pouvant apporter le maillon manquant dans la chaîne interprétative. Ses utilisations sont donc multiples et variées. Elle est souvent sollicitée dans le cadre de la résolution de la problématique nº 2 (la métaphorisation du langage) en apportant des suppléments contextuels précisant les traits de significations que sousentendent les emplois tropiques ou les comparaisons implicites. Elle trouve également son

313

Ce qui la différencie de l‟incrémentialisation, est qu‟elle ne se limite pas aux informations génériques ayant trait à la valeur référentielle. Ce qui la différencie de la périphrase, c‟est qu‟elle ne se limite pas aux traits saillants susceptibles de constituer une désignation autonome du référent en question. Ce qui la différencie de la paraphrase est bien le fait de préserver la trace de l‟original. Ce qui la différencie de l‟équivalent synonymique qui semble, de prime abord, s‟y ressembler, c‟est que cet apport d‟information est souvent nécessaire pour saisir le vouloir dire de l‟énoncé et non seulement motivé par des considérations de choix linguistiques.

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application dans le cadre de la résolution de la problématique nº 3 (les allusions et les connotations) en apportant les compléments contextuels nécessaires à l'appréhension du sens des différentes allusions et connotations. Les traducteurs y font également appel pour résoudre la problématique nº 4 (les constructions elliptiques) notamment lorsqu‟il s‟agit de préciser une référence déictique ou un lien logique implicite. Il importe également de noter que cette technique a été souvent utilisée par les auteurs des textes d‟origine du MD pour le même effet. Ainsi, l‟auteur du MD septembre 2003 décide d‟insérer à la fin de l‟énoncé suivant, un complément contextuel décryptant le sens de l‟allusion contenue dans les couleurs de « salade caprese » : « Jouant de la fierté nationale, M. Berlusconi y voit le moyen de valoriser le rôle de l‟Italie et le sien. La « salade caprese » doit figurer obligatoirement recommande-t-il aux ambassadeurs italiens - au menu de leurs réceptions. Rouge des tomates, blanc de la mozzarella, vert du basilic : les couleurs du drapeau italien... ». Il est clair que cette insertion aide à déchiffrer l‟allusion au drapeau italien rouge, blanc, vert, même si certains lecteurs avertis pouvaient bien s‟en passer. Le traducteur arabe s‟est contenté de traduire cet énoncé sans rien ajouter. Sans cette insertion dans l‟original, il aurait peut-être dû le faire pour mieux expliciter le rapport logique entre la salade « caprese » et la fierté nationale dont joue Berlusconi dans cette recommandation. De la même manière, l‟auteur du MD décembre 2006 décide d‟ajouter entre parenthèses le mot « laxiste » après l‟expression « les politiques monétaires keynésiennes » afin de préciser aux lecteurs qui ne connaissent pas la particularité de ces politiques, le trait principal sur lequel il veut mettre l‟accent. En effet, l‟auteur parlait dans ce contexte de l‟inflation perçue comme résultat de l‟application de ces politiques monétaires qui créent l‟illusion d‟entretenir le plein-emploi, alors qu‟elles cachent un chômage structurel. Cette pratique est également répandue dans la presse quotidienne lorsque l‟éditeur ou le rédacteur d‟un article ajoutent entre parenthèses un complément informationnel que l‟auteur principal ou l‟interlocuteur n‟a pas jugé nécessaire d‟apporter. Ce supplément informatif est souvent signalé par le sigle NDLR (note de la rédaction). La technique de l‟insertion fonctionne selon ce même principe. Son but ultime est de s‟adapter au bagage cognitif du lecteur en jouant les intermédiaires. En nous basant sur notre analyse de corpus, nous avons pu dégager trois procédés opérant dans le cadre de cette technique : le procédé de l‟insertion de compléments contextuels, le procédé de l‟insertion de marqueurs typographiques, le procédé de la référentialisation. 2.5.1. L‟insertion de complément contextuel Ce procédé se taille la part la plus importante de cette technique. Il consiste à apporter toutes sortes d‟informations complémentaires, mais indispensables pour comprendre pleinement le sens pertinent d‟un énoncé. Cette information a été tue dans le texte d‟origine car l‟auteur supposait que son lecteur modèle en disposait déjà dans son bagage cognitif. Le traducteur la ressort de la partie implicite grâce à son interprétation du sens voulu et la réintroduit dans la partie explicite de

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son texte traduit grâce à ce procédé. Il s‟emploie tout particulièrement avec les emplois métonymiques, antonomasiques, éponymiques, les jeux de mots, les allusions et les connotations. Nous en avons donné de nombreux exemples dans le chapitre IV sous la problématique nº 2 et nº 3 (exemples nos 31, 32, Tabs. 19, 20, 21). Il est également fréquemment sollicité pour expliciter les liens logiques dans le cadre de la résolution de la problématique nº 4 (les constructions elliptiques, i.e. Tab. 44). Voici une série d‟exemples supplémentaires illustrant d‟autres cas de figure où les traducteurs apportent divers éléments de contextualisation historique (la résistance française face à l'occupation allemande et sur l‟affaire « Outreau »), politique (la sensibilité du parti démocrate allemand et la cohabitation de 1997-2002), géographique (l‟île de la cité), philosophique (le cogito cartésien et le pacte faustien) et ainsi de suite. L‟insertion de compléments contextuels Ex.1 [...] un gouvernement qui s‟emploie à « défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance ». (MD novembre 2007) Ex.2 [...] crise avec les marchés financiers, [...] Crise de cohabitation enfin. » (MD avril 2007)

314

L‟explicitation fournie

La arabe

[...] un gouvernement qui s‟emploie à « défaire méthodiquement le programme du « Conseil national de la résistance (française contre le nazisme).

‫ ]…[ ؽٶىٽخ جتهل‬L‟insertion de ce dernier syntagme sert à

[…] crise avec les marchés financiers, [...] Crise de cohabitation politique (entre la droite et la gauche au pouvoir) enfin ».

‫ ]…[ وؤىٽخ يف األٍىاٯ‬Le syntagme inséré à la fin apporte un

traduction

Le but recherché par l‟explicitation

contextualiser

l‟époque

à

laquelle

ً‫ "ٹٶٍ رٮٶّٴ ٽڂهغُب‬remonte ce programme et préciser de résistance il s‟agissait (l‟époque ‫ين‬ٝ‫ ثوځبٽظ "اجملٺٌ اٹى‬quelle nazie, la Seconde guerre, etc.). Ce

‫ل‬ٙ ‫ ٹٺپٲبوٽخ (اٹٮوځَُخ‬syntagme est intégré syntaxiquement avec la phrase, mais néanmoins signalé

.")‫ اٹڂبىَخ‬entre parenthèses pour marquer la voix du traducteur. 314

élément de contextualisation politique sur

‫ وؤىٽخ ٽَبٵڂخ‬،‫ اظتبٹُخ‬la cohabitation évoquée. Doté de cet le lecteur arabe saurait ‫ ٍُبٍُّخ (ثٌن اٹُپٌن‬élément, interpréter les difficultés qu‟a affrontées )‫اضتٶټ‬

‫يف‬

‫ واٹَُبه‬la gauche en 1997-2002, en proie à trois crises, dont celle de la cohabitation avec

."ً‫ ؤفًنا‬le Président Chirac à l'Élysée315.

Cependant, cette information est loin d‟être celle qui aide le lecteur à saisir le sens pertinent de cette déclaration d‟un vice-président du Medef, critiquant la politique libérale de Sarkozy, diamétralement opposée aux acquis de ce Conseil. Il aurait donc fallu préciser le type d‟acquis sociaux émanent de ce Conseil (sécurité sociale, nationalisation des banques, etc.) que le politique de droite, soutenue par une gauche de plus en plus libérale, tente de défaire, ce qui nuit considérablement à la société en général et aux classes populaires en particulier. Nous aurions donc préféré écrire ceci « "ٌ‫ين ٹٺپٲبوٽخ "بثبٿ االؽزالٷ اٹڂبى‬ٝ‫ڀ "ثوځبٽظ اجملٺٌ اٹى‬٥ ‫ُخ اٹڂبجتخ‬٥‫( » رٮٶُٴ "اظتٶزَجبد االعزپب‬démanteler "les acquis sociaux résultant du programme du Conseil national de la résistance "sous l‟occupation nazie"). L‟insertion des guillemets est obligatoire dans ce cas, puisqu‟il s‟agit d‟une citation, ce qui implique cette prise à distance de la voix du traducteur de celle de l‟auteur. Le lecteur s‟en rend compte et l‟accepte volontiers, puisque c‟est fait pour son intérêt. 315 Cependant, dans ce contexte en particulier, il eût été plus clair de dire "‫( "ثٌن هئٌُ وىهاء ََبهٌ وهئٌُ رتهىهَخ نتُين‬entre un Premier Ministre de gauche et un Président de droite)

Partie II : Chapitre V : Les techniques d’explicitation et leur mise en œuvre dans le corpus du MD 2001-2011 Ex.3 [La construction d‟un parti de droite] à même paradoxalement d‟assumer des positions parfois plus « progressistes » que le Parti démocrate (PD) en matière de droits civils, ... » (MD janvier 2011) Ex.4 Mon guide fait les présentations : « C‟est le mec de l‟affaire d‟Outreau. » (MD juin 2011)

Ex.5 Mes interlocuteurs, alors, auraient beau jeu de me rappeler que le fait d‟habiter l‟île de la Cité constitue un privilège dont il faut accepter les inconvénients. (MD août 2011)

316

[La construction d‟un parti de droite] à même paradoxalement d‟assumer des positions parfois plus « progressistes » que le Parti démocrate (PD, de sensibilité de gauche) en matière de droits civils, ... »

Mon guide me le présente : « C‟est le héros316 de l‟affaire d‟Outreau (le harcèlement sexuel contre mineurs, une affaire connue en France) »

Il sera alors plus facile à mes interlocuteurs de me rappeler que le fait d‟habiter l‟île de « la Cité parisienne » (entourée par la Seine et où se trouve la cathédrale NotreDame) constitue un privilège dont il conviendrait d‟accepter certains inconvénients.

419

[‫ ]ربٌٍُ ؽيٌ نتُين‬L‟insertion de l‟information sur la

couleur politique du PD éclaircit mieux

‫خ‬ٚ‫ ٱبكهٌ ثٖىهح ٽزڂبٱ‬le paradoxe évoqué dans la prise de du nouveau parti de droite italien ‫ٍ ؤٵضو‬٬‫ٺً ارّقبم ٽىاٱ‬٥ position capable de défendre des idées bien plus ‫ٽڀ‬

ً‫ؤؽُبځب‬

"‫ "رٲلّٽُخ‬progressistes

"ٍٝ‫اٹلنتىٱوا‬

‫"اضتية‬

)‫ اٹَُبهٌ اعتىي‬،PD(

.‫يف غتبٷ اضتٲىٯ اظتلځُخ‬

que celles du parti démocrate italien de centre gauche, notamment en ce qui concerne les droits à la fécondation assistée, à la reconnaissance des couples de fait, et le droit de vote des immigrés en situation régulière.

‫ "بځّڄ‬:‫ٺُڄ‬٥ ٍ‫وّ٭ين كٹُٺ‬٦َ Apporter un élément de contextualisation "‫ؤوروو‬

ٍَ‫اصتڂ‬

sur cette affaire très médiatisée à

‫ُخ‬ٚ‫ٱ‬

‫ٸ‬ٞ‫ ث‬l‟époque, qui est devenue même le du dysfonctionnement judiciaire ُ‫ (اٹزؾو‬symbole en France. Cependant, le trait pertinent

‫وو٭خ يف‬٦‫ ثبٹٲبٕوَڀ اظت‬retenu ici concerne les faits initiaux

présumés de cette affaire, c'est-à-dire des

.)‫ ٭وځَب‬agressions sexuelles contre des mineurs.

ٍّ‫ٺً ػتلّص‬٥ ‫بم ٍَُهٸ‬ ‫رنٵًنٌ ثإٿّ اٹَٶڀ يف‬

‫عيَوح "اظتلَڂخ" اٹجبهََُخ‬

ٜ‫( اٹيت لتج‬La Cité

٤‫ وؽُش رٲ‬،‫هبب هنو اٹٌَن‬

‫ٵبرلهائُخ ځىروكاٻ) څى‬ ٘٦‫اٽزُبى كتله رٲجّٸ ث‬

A l'aide de ce complément, le lecteur comprend l‟allusion dans l‟énoncé, présentant un prisonnier mis en examen pour agressions sexuelles sur mineurs comme étant l‟un des protagonistes de l‟affaire d‟Outreau. Par ce complément d‟information sur le toponyme cité, le traducteur précise aux lecteurs arabes ne connaissant pas a priori l‟île de la cité, en quoi y habiter représente un avantage. Il a jugé utile de souligner le fait que dans ce quartier il y a la Seine et la fameuse cathédrale. Il aurait pu aussi se contenter d‟une indication d‟ordre général telle que « beau quartier en plein cœur de Paris ». 317

.‫ٽَبوئڄ‬

C‟est ainsi que le traducteur arabe a traduit le mot « mec » du texte français, ce qui est certainement une traduction malheureuse. Le terme « héros » se dote en français, comme en arabe, d‟une connotation extrêmement positive, ce qui le rend inapproprié pour désigner une personne impliquée dans des affaires de viols et d‟agressions sexuelles sur mineurs. L‟emploi même du mot « harcèlement » est un doux euphémisme. Le traducteur aurait pu dire "‫ُخ ؤوروو‬ٚ‫( "ؤؽل اظتزهپٌن يف ٱ‬un des inculpés de l‟affaire d‟Outreau). Cependant, pour tenter de comprendre ce choix curieux, nous pensons que le traducteur savait que les accusés dans cette affaire étaient innocentés et étaient même victimes d‟une erreur judiciaire, ce qui l‟a peut-être incité à les décrire avec ce terme. En tout cas, cela va au-delà de la traduction interprétative et relève de l‟interprétation très personnelle et biaisée d‟un texte. 317 Nous proposons de reformuler la phrase ainsi « [...] le fait d‟habiter dans ce beau quartier « île de la cité », situé en plein cœur de Paris, constitue un privilège [...] » "... ‫لُّ ٽُيح‬٦َُ ٌَ‫ يف ٱٺت ثبه‬٤‫"بٿ اٹَٶڀ يف څنا اضتٍ اصتپُٸ اٹىاٱ‬.

Partie II : Chapitre V : Les techniques d’explicitation et leur mise en œuvre dans le corpus du MD 2001-2011 Ex.6 [...] de la construction du cogito cartésien au thème de la mort de Dieu de Nietzsche... (MD avril 2005) Ex.7 un pacte “faustien” avec les multinationales,... (MD juin 2010)

[...] de la construction du « cogito » (je pense donc je suis) cartésien au thème de la mort d‟Allah318 chez Nietzche...

‫رْٶُٸ‬

‫ٽڀ‬

‫اٹـ"ٵىعُزى" (اځب ؤُ٭ٶّو‬ )‫ٽىعىك‬

‫اځب‬

‫امٿ‬

٣‫ى‬ٙ‫ اذل ٽى‬،‫اٹلَٶبهٌب‬

420

Insérer cette phrase « culte » en arabe permet d‟élucider le sens général du cogito cartésien, même si la démarche logique et scientifique cartésienne reste peu connue pour certains lecteurs arabes.

...‫ٽىد اهلل ٹلي ځُزْڄ‬

Un pacte faustien (en référence à Faust qui a vendu son âme au diable) avec les sociétés multinationales,...

‫ ٽُضبٱبً ٭بوٍزُبً (ځَجخ‬Cette ‫ هوؽڄ‬٣‫ٹٮبوٍذ اٹنٌ ثب‬

‫ اٹْوٵبد‬٤‫بٿ) ٽ‬ُْٞ‫ٹٺ‬

..."‫لّكح اصتڂَُبد‬٦‫اظتز‬

insertion comporte un renseignement contextuel explicitant le sens sous-jacent à cette métaphore. Grâce à ce complément et au contexte, le lecteur déduira qu‟il s‟agit de critiquer l‟accord conclu entre la fédération internationale du football et les multinationales, qui se retournera inévitablement in fine contre la Fifa.319

Tableau 64: Des insertions de compléments contextuels

2.5.2. Le procédé de la référentialisation Ce procédé consiste à décliner clairement le référent auquel renvoie un pronom, un surnom, un complément d‟objet ou toute autre relation anaphorique, sous forme d‟insertion déclarée entre parenthèses ou intégrée discrètement dans le fil de l‟énoncé. Perçus comme des désambiguïsateurs, ces brefs ajouts visent à renforcer la cohésion interne de l‟énoncé et à éviter un éventuel risque de confusion. Il se recoupe avec la technique de la dépronominalisation de Ballard qu‟il définit ainsi : « lorsque le pronom est traduit par le terme qu‟il remplace […] on dit qu‟il y a dépronominalisation, ou explicitation du référent (la raison étant de mieux en faire paraître le sens, généralement pour lever un risque d‟ambiguïté,… » (Ballard 2004 : 38). Et l‟auteur de préciser également que cette technique s‟applique surtout « pour expliciter les déictiques et toute sorte de relations anaphoriques » (Ibid. : 318-319). Ce procédé correspond également à la technique de la référentialisation de Tenchea (2003 : 116), dont nous avons emprunté le nom. Doté de cette caractéristique, ce procédé est censé accroitre la lisibilité, dans la mesure où il évite au lecteur les interruptions intempestives et le retour en arrière pour déterminer les renvois référentiels. Rappelons que les conditions de la lecture des journaux en marge d‟autres activités quotidiennes et la difficulté de cerner le profil sociolinguistique des lecteurs potentiels du MD font que la lecture du texte traduit doit être rendue la plus aisée possible. En outre, les disparités grammaticales et syntaxiques entre l‟arabe et le français, ainsi que la longueur habituelle de Nous l‟aurions traduit plus simplement par la "‫( "ٽىد اإلٹڄ‬mort de Dieu), qui correspond mieux à l‟idéologie de Nietzche, qui ne parlait pas seulement du « Dieu des Musulmans » comme le laisse penser la traduction, mais de l‟idée forgée par les gens sur l‟existence ou la nécessité de l‟existence d‟un « Dieu ». 319 Cette même expression avait été traduite de la même manière dans le MD mars 2005 par « une sorte de" pacte faustien" (un pacte avec le diable) » ))‫بٿ‬ُْٞ‫ اٹ‬٤‫ٲل ٽ‬٥( "‫ٲل اٹٮبوٍيت‬٦‫بً ٽڀ "اٹ‬٥‫)ځى‬, dans un contexte critiquant également les accords signés entre les majors et les collectivités locales, jouant en défaveur de ces dernières, causant même leur propre perte. 318

Partie II : Chapitre V : Les techniques d’explicitation et leur mise en œuvre dans le corpus du MD 2001-2011

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phrases arabes surchargées d‟un lot important de conjonctions et de coordinateurs de toute sorte, accentuent le besoin d‟être explicite. Ainsi, le lecteur pourra déterminer plus facilement quel élément renvoie à quelle personne ou à quel fait dans le texte sans se perdre dans le maquis des renvois divers. Cependant, comme pour toutes les autres techniques, le risque qui guette l‟emploi du procédé de référentialisation vient des abus d‟insertions inutiles, se soldant souvent par un constat de redondance. Si le traducteur évalue mal le risque d‟ambiguïté engendrée par ces relations anaphoriques implicites, son explicitation ne fera qu‟alourdir le texte au lieu de le rendre fluide. Ces ajouts superflus peuvent même saper la confiance du lecteur dans le traducteur, en donnant l‟impression que le traducteur hésite à trancher et qu‟il n‟arrive pas à produire une phrase lisible en arabe sans la ponctuer d‟insertions dont il pouvait, voire devait, se passer. Cette réaction n‟est d‟ailleurs qu‟un simple retour de chose, tel un effet boomerang : en explicitant là où il conviendrait de ne pas expliciter, en raison du manque de besoin effectif, le traducteur fait preuve de manque de confiance à l'égard de la capacité interprétative de son lecteur qu‟il sous-estime visiblement en agissant de la sorte. Cependant, nous pensons que l‟emploi de ce procédé apporte une confirmation supplémentaire de l‟assujettissement de certains traducteurs du MD à une certaine conception linguistique de la traduction. En effet, ils préfèrent suivre au pied de la lettre la formulation de l‟auteur du texte source, gage d‟une fausse fidélité, quitte à devoir expliciter leur propre traduction et à semer ainsi la confusion dans l‟esprit du lecteur. Ce procédé s‟applique souvent dans le cadre de la résolution de la problématique nº 4 (les constructions elliptiques), comme dans l‟exemple nº 47. Voici une série d‟exemples supplémentaires illustrant différents cas de figures, à savoir : l‟explicitation du pronom personnel « en » dans un titre d‟article, le rappel du nom propre de la personne dont on cite les propos, le rappel d‟un fait développé précédemment dans le texte, l‟explicitation des anthroponymes désignés dans le texte par le « père » et la « fille », l‟explicitation du lien anaphorique rappelant le lien entre Martin Bouygues et la chaîne LCI. La référentialisation Ex.1 Les patrons américains en rêvent. (MD juillet 2004)

L‟explicitation fournie Les patrons américains rêvent de l‟assurance de santé.

La traduction arabe

en

‫پٸ األٽًنٵُىٿ‬٦‫ؤهثبة اٹ‬

.ٍ‫پبٿ اٹٖؾ‬ٚ‫لتٺپىٿ ثبٹ‬

Le but recherché par l‟explicitation Il s‟agit d‟un intitulé d‟article qui a pour objectif d‟accrocher les lecteurs en titillant leur curiosité sur ce dont rêvent ces patrons. Par souci de clarté, le traducteur décide d‟expliciter cette référence intentionnellement implicitée dans « en ». Cependant, ce lien anaphorique ne sera explicité par le texte que trois paragraphes plus tard, lorsque l‟auteur commence à parler clairement du système d‟assurance maladie aux USA. C‟est peut-être pour cela que le traducteur a voulu l‟expliciter dès le départ afin de retenir l‟attention de son lectorat arabe.

Partie II : Chapitre V : Les techniques d’explicitation et leur mise en œuvre dans le corpus du MD 2001-2011

320

Ex.2 D‟ailleurs, le directeur délégué du Nouvel Observateur l‟avait écrit dixhuit mois plus tôt...

D‟ailleurs, le directeur délégué (Jacques Julliard) du Nouvel Observateur avait écrit sur ce sujet un an et demi plus tôt,...

‫ ٵبٿ اظتلَو‬،ّ‫ٺً ٵٸ‬٥

Ex.3 Même si les philosophes de la religion comme Debray donnent souvent l‟impression de ne pas faire une différence très importante entre ces deux choses,... (MD février 2007) Ex.4 Alors que, le 22 avril 2002, M. Cukierman se félicitait dans Haaretz du score du père à l‟élection présidentielle, [...]», M. Prasquier met en garde, le 18 mars 2011 dans Le Monde, contre la fille.

Même si les philosophes de la religion comme Debray donnent l‟impression de ne pas faire une différence très importante entre ces deux choses (la nécessité de la religion et le type de la religion)...

‫ً ٭الٍٮخ‬ٞ٥‫وؽىت ٹى ؤ‬

Alors que M. Cukierman se félicitait, le 22 avril 2002, dans le journal Haaretz du nombre faible de voix que son père (fondateur du Front national) a obtenu aux élections présidentielles [...] M. Prasquier met en garde, le 18 mars de l‟an 2011, dans le journal Le Monde, contre la fille (l‟actuelle présidente Marine Le Pen).

‫اٹَُّل‬

‫اظتڂزلة (عبٳ عىٹُبه) جملٺخ‬

‫ ٱل‬،"‫"ځى٭ُٸ ؤوثوٍو٭برىه‬

‫ڀ مٹٴ ٱجٸ ٍڂخ‬٥ ‫ٵزت‬

...٬ٖ‫وځ‬

،‫كوثوَڄ‬

‫ؤٽضبٷ‬

،‫اٹلَڀ‬

‫ ثإهنټ ال َٲُپىٿ‬٣‫جب‬ٞ‫االځ‬

‫٭وٱبً ٵجًناً ثٌن األٽوَِڀ‬ ٣‫وځى‬

‫ٹٺلَڀ‬

‫ٵبٿ‬

‫(اضتبعخ‬

...،)‫اٹلَڀ‬

‫ؽٌن‬

ٍ‫٭ٮ‬

22 ‫ٵىٵًنٽبٿ َزجبڅً يف‬

‫ يف‬2002 ‫بٻ‬٦‫ؤثوَٸ اٹ‬/‫ځَُبٿ‬ ‫لك‬٦‫ث‬

ٌ‫اٹن‬

ٌٍ‫(ٽا‬

ٌ‫څأهر‬

‫ئُٸ‬ٚ‫اٹ‬

‫واٹلڅب‬

‫ٕؾُٮخ‬

‫األٕىاد‬

‫ؽٖلڃ‬

ٌ‫ڂُخ" عبٿ ٽبه‬ٝ‫"اصتجهخ اٹى‬ ‫االځزقبثبد‬

‫يف‬

)‫ٹىثبٿ‬

‫[ بما ثبٹَُّل‬...] ،‫اٹوئبٍُخ‬ 18 ‫ثواٍٶُُڄ لتنّه يف‬

422

Dans cet énoncé, l‟auteur de l‟original a fourni deux citations de Jacques Julliard à propos du référendum sur la Constitution européenne, en présentant cette personne lors de la première citation par sa fonction de directeur délégué du Nouvel Observateur et par son nom lors de la deuxième citation. Le traducteur a jugé nécessaire d‟expliciter le nom de ce directeur dès la première citation afin que le lecteur arabe comprenne qu‟il s‟agit de la même personne.320 Le traducteur interprète le sens du lien anaphorique dans « ces deux choses », qui renvoie à tout un développement présenté dans les paragraphes précédents. Cependant, vu le caractère philosophique plus ou moins compliqué de ces propos, le traducteur a cru bon de rappeler aux lecteurs l‟objet exact de ce renvoi pour qu‟ils ne perdent pas le fil des idées.

Le lecteur attentif pourrait déduire du contexte à quoi renvoient exactement les mots « père » et « fille », et leur fonctions respectives, mais le traducteur voulait être plus explicite en les déclinant clairement. Au-delà de la réexpression explicite des noms concernés, le lecteur arabe devrait saisir plus aisément l‟idée de la montée en puissance du Front National depuis 2002 et de l‟inquiétude grandissante du Crif face à ce parti soupçonné de soutenir des idées antisémites, même sous la présidence de Marine Le Pen.

‫ يف‬2011 ‫بٻ‬٦‫ٽبهً اٹ‬/‫آماه‬

‫ٕؾُٮخ ٹىٽىځل ٽڀ اإلثڂخ‬ .)‫(اٹوئَُخ اضتبٹُخ ٽبهَڀ ٹىثبٿ‬

Ce lien anaphorique est explicite dans l‟original par l‟emploi de l‟expression « et Julliard ajoutait », mais le traducteur a dû surestimer la présence d‟un risque d‟ambiguïté. Ceci revient à sous-estimer la compétence interprétative du lecteur arabe à faire le lien entre le nom « Jacques Julliard » et sa fonction « directeur délégué » que sous-tend le verbe « ajoutait ».

Partie II : Chapitre V : Les techniques d’explicitation et leur mise en œuvre dans le corpus du MD 2001-2011 Ex.5 M. Christian Dutoit a expliqué un jour sans détour l‟intérêt qu‟une chaîne comme LCI avait représenté pour M. Martin Bouygues. (MD juin 2007)

M. Christian Dutoit a expliqué un jour sans détour l‟intérêt qu‟accorde Monsieur Martin Bouygues (le propriétaire de la chaîne) à une chaîne d‟info comme LCI.

‫٭بٹَُل ٵوََزُبٿ كورىا‬

‫ؼ ماد َىٻ كوٿ‬ٙ‫ٱل ؤو‬ ‫ٺّٲهب‬٦َ ‫ٽىاهثخ األقتُخ اٹيت‬

‫ (ٽبٹٴ‬٨َ‫اٹَُل ٽبهربٿ ثى‬ ‫خ بفجبهَخ‬ٞ‫ٺً ػت‬٥ )‫خ‬ٞ‫احمل‬ .LCI ‫ٽضٸ‬

423

Rappeler un élément contextuel qui permet au lecteur de faire le lien entre ce personnage et l‟importance que revêt pour lui l‟acquisition de cette chaîne d‟info suivi par des millions de français. L‟information sur l‟appartenance de LCI à M. Bouygues est déductible du contexte pour tout lecteur attentif, mais le traducteur a jugé nécessaire de le rappeler. Malheureusement, il l‟exprime maladroitement321.

Tableau 65: Des insertions explicitant des liens anaphoriques

2.5.3. L‟insertion de marqueurs typographiques Ce procédé, un peu moins fréquent, consiste à insérer des marqueurs typographiques telles que les guillemets, les parenthèses, les points d‟exclamation, les italiques, etc., autour d‟une séquence connotée ou d‟une « unité de sens » sur laquelle le traducteur voudrait attirer l‟attention de son lecteur. Par la connivence qu‟ils créent entre le traducteur et le lecteur, ces marqueurs servent de clins d‟œil rappelant au lecteur que la séquence guillemetée se dote d‟une signification spécifique déjà évoquée dans le contexte ou qui renvoie à quelque chose d‟implicite. Ils servent donc de jalon pour rappeler au lecteur la bonne voie à suivre pour parvenir au vouloir dire de l‟énoncé. En effet, en plus des renseignements supplémentaires insérés entre parenthèses ou guillemets, la typographie elle-même peut servir de points de repère aux lecteurs et donc de marqueurs d‟explicitation pour certains chercheurs (Leppihalme 1994 : 101)322. Ainsi, les italiques peuvent s‟employer pour indiquer le statut spécial d‟un nom (Ibid. : 101), les guillemets pour montrer qu‟il s‟agit d‟une citation, parfois les parenthèses pour souligner un lien ou un renvoi intratextuel : « In translations, parentheticals can be used as a means of explicitation » (Baumgarten 2008: 190). Quel que soit le type de marqueur et l‟utilisation que l‟on puisse en faire, ces éléments typographiques visuels dispensent d‟un commentaire métalinguistique. Ils permettent la mise en relief d‟un élément vecteur d‟ironie, de sous-entendu, en ce qu‟ils véhiculent des connotations porteuses de sens. Ils constituent un moyen d‟expression très puissant et très flexible, capable de modifier le statut sémantique initial des paroles qui tombent sous leur portée, car ils peuvent faire vouloir dire au segment connoté un sens tout à fait contraire à celui qui émerge d‟une lecture au premier degré. Grâce à ces clins d‟œil, ces marqueurs créent une sorte de connivence avec le lecteur en lui montrant subrepticement qu‟il faut effectuer un travail de lecture particulier pour décoder le sens réel du terme ainsi souligné. En effet, le sens de cet énoncé peut été réexprimé ainsi : "‫" األقتُخ اٹيت ّٶَّٺهب اٽزالٳ ٱڂبح بفجبهَخ ٵهنڃ "بٷ ٍٍ ؤٌ" ثبٹڂَجخ ٹٺَُل ثىَظ‬ ([...] l‟intérêt qu‟avait représenté pour Bouygues l‟acquisition d‟une chaîne d‟info comme LCI), ce qui est autre chose que de dire qu‟il accordait de l‟intérêt à une chaîne d‟infos comme LCI. 322 Néanmoins, d‟autres chercheurs ne prennent en compte que les mots comme indicateurs d‟explicitation (Ädel 2002:28). 321

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Dans ce sens, Laufer (1979) souligne qu‟ils « ajoutent au sens dénotatif du mot une mise en question connotative de son bien-fondé à l‟adresse du lecteur » (cité par Demanuelli (1987 :91). Doté de cette caractéristique, ce procédé constitue le seuil minimal de l‟explicitation. Il montre clairement que l‟explicitation n‟a pas vocation à être une explication complète et étayée qui dispense le lecteur de tout effort interprétatif, mais au contraire une aide à l'inférence de sens, une clé interprétative. Par ces explicitations à peine perceptibles, le traducteur met la puce à l‟oreille du lecteur, l‟aiguille vers la bonne voie pour accomplir sa tâche coopérative interprétative. Ce faisant, il implique davantage le lecteur en sollicitant son attention, en lui conférant plus d‟assurance en sa capacité interprétative. Le lecteur se voit contraint de s‟y arrêter pour déchiffrer le sens implicite qui s‟y dissimule. Ce procédé s‟emploie généralement dans le cadre de la résolution de la problématique nº 3 (les allusions et connotations), notamment lorsqu‟il s‟agit d‟expliciter la tonalité ironique dans certaines allusions contenues dans des noms propres ou dans certains segments textuels (exemple nº 26). Voici une série d‟exemples supplémentaires illustrant différents cas de figures, à savoir l‟emploi de guillemets pour souligner l‟aspect technique de l‟expression « stock-options », ou la particularité sémantique du mot « hispana », l‟emploi du point d‟exclamation pour signaler la particularité de l‟emploi métonymique dans l‟expression « la bible interne de la firme », et l‟ironie dans le fait de prétendre terrasser le chômage par quelques mesurettes économiques sans aucune importance. L‟insertion de marqueurs typographiques Ex.1 Quant à la distribution des stock-options, elle a soudain flambé. (MD novembre 2007) Ex.2 La caution éclairée des préjugés de classe n‟a pas disparu. (MD janvier 2006)

323

L‟explicitation fournie

La traduction en arabe

Le but recherché par l‟explicitation

Quant à la distribution des « options d‟acti ons », elle a soudain flambé.

‫ "فُبهاد‬٤َ‫ ؤٽّب رىى‬Employer la traduction littérale souvent utilisée

Ces justifications éclairantes (!) qui n‟ont pas disparu jusqu'à nos jours, continuent à nourrir le conflit de classes.

‫ بم دل ريوٷ ؽىت اٹُىٻ‬Dans un contexte commentant les résultats du

dans les textes économiques arabes en l‟insérant

‫ٸ‬٦‫ ٭ٲل اّز‬،"‫ األٍهټ‬entre guillemets afin d‟insister sur le caractère de ce terme qui peut paraître bizarre pour .ً‫ ٭غإح‬technique le lecteur profane.

‫اظتربّهاد‬

scrutin du 29 mai 2005 sur le traité de la

‫ څنڃ‬constitution européenne, l‟auteur commente avec la position de certains politologues opposant ‫ اٹزڂىَوَخ (!) اٹيت‬ironie une France d‟en haut323 en faveur du « oui » et une ٣‫ٕوا‬

ٌّ‫ن‬٪‫ ر‬France en bas en faveur du « non ». Le traducteur a perçu cette touche d‟ironie et tente d‟en transmettre

.‫جٲبد‬ٞ‫ اٹ‬l‟effet par l‟insertion de point d‟exclamation, en guise d‟étonnement par rapport à ce préjugé qui n‟a rien d‟éclairant, notamment en ce qui concerne cette problématique.

L‟auteur a pris le soin d‟expliciter le sens de l‟expression « la France d‟en haut » par une incise où il a écrit « cadres aisés et diplômés », et celle « d‟en bas » par « ouvriers et employés, pauvres et peu instruits », ce qui

Partie II : Chapitre V : Les techniques d’explicitation et leur mise en œuvre dans le corpus du MD 2001-2011 Ex.3 La jeunesse hispana des quartiers populaires délaisse la salsa et la cumbia traditionnelles,... (MD décembre 2005) Ex.4 « Our business principles » (« Nos principes en affaires »), la bible interne de « la firme », comporte quatorze commandements (MD juillet 2010) Ex.5 Autre disposition censée terrasser le chômage. (MD juin 2008)

La jeunesse « espagnole » qui habite les quartiers populaires a délaissé la musique de la Salsa et de la Cumbia traditionnelle,... Le Livre sacré (!) de l‟entreprise, intitulé « nos principes en affaires », comporte 14 commandement s. Quant à l‟autre mesure censée en finir avec le chômage (!)

‫اٹْجبة‬ ٌ‫اٹن‬

‫األؽُبء‬

425

ّ‫ بٿ‬La mise en guillemets du terme « espagnole » agit comme une sorte de mise en garde adressée au

"‫ "اإلٍجبين‬lecteur les invitant à ne pas prendre le terme » à son acception première (un national ‫« ََٶڀ‬duespagnol royaume d‟Espagne), mais à se fier plutôt au co-

‫ڀ‬٥ ًّ‫جُخ ختٺ‬٦ْ‫ اٹ‬texte parlant des jeunes issus des pays d‟Amérique latine.324

‫اٹَبٹَب‬

ً‫ٽىٍُٲ‬

‫اٹٶزبة‬

‫پّڀ‬ٚ‫ َز‬Par cette insertion, le traducteur cherche à attirer

..‫واٹٶىٽجُب اٹزٲٺُلَخ‬

l‟attention du lectorat sur le fait qu‟il s‟agit d‟une

،‫ اظتٲلًّ (!) ٹٺْوٵخ‬expression métaphorique ou d‟une comparaison entre ce livre édictant les 14 principes de ‫ڂىاٿ "ٽجبكئڂب‬٥ ‫ حتذ‬implicite la firme et la Bible et ses fameux dix 14 ،"‫پبٷ‬٥‫ يف األ‬commandements. .ً‫وُّٕخ‬

Or, l‟insertion de point d‟exclamation dessert cet objectif car elle fait croire au lecteur que l‟auteur de l‟article a voulu marquer là une touche d‟ironie. L‟emploi des guillemets aurait été plus approprié. 325

‫ ؤٽّب اإلعواء اِفو‬L‟auteur se moque de certaines mesures farfelues prises par le gouvernement et présentées comme

‫ اٹنٌ َُٮزوَٗ ثڄ‬des solutions aux problèmes du chômage, dont par la suppression de la dispense de recherche ‫بٹخ‬ٞ‫ٺً اٹج‬٥ ‫بء‬ٚ‫ اٹٲ‬exemple d‟emploi accordée aux salariés de plus de 57 ans et )!( demie. Le traducteur semble vouloir insister sur le

côté ridicule de cette disposition en ajoutant un point d‟exclamation, comme une sorte de mise en garde du lectorat arabe contre une lecture au premier degré de la phrase arabe. On parle d‟insistance de la part du traducteur car on peut considérer que ce n‟est pas indispensable : le mot « censée » en disant déjà suffisamment long.

Tableau 66: Des insertions de marqueurs typographiques

dispense le traducteur d‟opérer une explicitation supplémentaire. Cette insertion dans l‟original confirme également la pertinence de la technique de l‟insertion et son aptitude à expliciter le sens de certaines expressions qui peuvent paraître étranges pour certains lecteurs natifs ou cibles. 324 A notre avis, ce procédé n‟a pas sa place ici car le risque de confusion subsiste malgré cette tentative. Pour convenir au principe de l‟explicitation, et comme nous l‟avons déjà signalé à la note nº 30, le traducteur aurait mieux fait d‟employer l‟expression « issus d‟Amérique latine » "‫ "اظتڂؾلهَڀ ٽڀ ثٺلاٿ ؤٽوَٶب اٹالرُڂُخ‬ou l‟emprunt "‫"څَُجبين‬, laissant au co-texte d‟en préciser la juste valeur sémantique. 325 Néanmoins, le traducteur semble avoir un doute sur l‟efficacité de son choix et traduit plus tard dans le même texte l‟expression « la bible de l‟entrepreneur » par "‫پبٷ‬٥‫( "رىهاح هعبٷ األ‬la Torah de l‟homme d‟affaire), ce qui risque de perturber le lecteur peu habitué à lire cette expression, qui frôle le blasphème, la Torah comme le Coran étant considérés chez la plupart des lecteurs musulmans des « livres de la Révélation ». La solution médiane et la plus explicite pour traduire cette image métaphorique est celle proposée par le traducteur du MD mars 2010, dans un contexte qualifiant le journal « Midi olympique » de « bible du ballon ovale », où il a écrit ‫"غتٺخ ٽُلٌ ؤوٹىٽجُٴ وڅٍ مبضبثخ‬ "‫يب‬٩‫خ اٹو‬ٙ‫( اٹٶزبة اظتٲلً ٹوَب‬le journal Midi Olympique qui est considéré comme le livre sacré du sport du rugby). L‟ajout de la formule introductive « considéré comme » explicite mieux la comparaison et évite tout emploi métonymique direct instaurant un rapport de ressemblance jugé souvent blasphématoire entre un quotidien sportif et un Livre sacré. L‟acceptabilité de la traduction fournie est selon les normes de Toury un critère essentiel à prendre en compte dans la phase de la réexpression.

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2.5.4. Les avantages et inconvénients de l‟insertion L‟intérêt de cette technique réside dans son pragmatisme et sa facilité d‟utilisation. Comme nous l‟avons vu, en optant pour cette technique, le traducteur peut insérer différents types d‟informations, sans devoir les intégrer syntaxiquement dans le texte traduit. Elle accorde également au traducteur une plus grande liberté quant au contenu de l‟insertion. Il n‟est plus limité à un seul mot d‟ordre générique ou à une caractéristique essentielle comme dans le cas de l‟incrémentialisation, ni aux traits caractéristiques pouvant constituer une définition du référent inconnu comme dans le cas de la périphrase. Elle ne vise pas à tout substituer comme dans le cas de la paraphrase, ni à chercher différents équivalents linguistiques alternatifs comme dans le cas de l‟équivalent synonymique. Le traducteur interprète le sens de l‟énoncé, décèle l‟élément discursif ou contextuel manquant que le texte source a tu pour une raison ou pour une autre et décide d‟apporter cet élément (supplément informationnel, trait de signification) de la manière la plus lisible (souvent aussi visible) et la plus directe. Doté de ce complément discursif, le lecteur procède à l'inférence du sens dans des conditions optimales, selon le principe de la pertinence déjà énoncé. En revanche, cette stratification du discours de l‟auteur et les interventions en voix-off du traducteur est la brèche qui pourrait donner lieu à des critiques à l'égard de cette technique. Lorsque ces syntagmes ajoutés ne s‟intègrent pas parfaitement dans le fil du texte, le texte traduit révèle une sorte d‟intrus qui ponctue la trame discursive de ses commentaires, parasitant la voix de l‟auteur. Néanmoins, en considérant la traduction elle-même sous l‟optique de la négociation et du compromis, ce désagrément peut être tolérable, car on ne peut pas toujours avoir la solution idéale qui satisfasse tous les goûts. Le traducteur se trouve souvent devant un dilemme : s‟il ajoute les informations nécessaires en les intégrant parfaitement dans le texte, on lui reprochera sa violation des droits de l‟auteur et son manque de recul et s‟il les déclare entre parenthèses ou guillemets, on lui reprochera son manque de tact et son intrusion. Ne rien ajouter est un choix de la facilité et ajouter quelque chose l‟expose aux critiques les plus contradictoires. Ceci dit, les ajouts prévus par le procédé de la référentialisation concernant l‟explicitation des liens anaphoriques peuvent être traités différemment, en les intégrant discrètement dans le texte dans le cadre de la paraphrase ou plus généralement d‟un projet de réécriture qui évite même de se trouver dans une situation ou le traducteur devrait expliciter ce qu‟il a écrit lui-même. Nous y reviendrons à la fin de ce chapitre dans nos recommandations visant à améliorer la fonctionnalité et l‟acceptabilité des explicitations fournies. 2.5.5. La fréquence d‟emploi de cette technique dans le MD Dotée de ses caractéristiques, cette technique a été particulièrement prisée par les traducteurs du MD. Dans notre corpus composé de 5013 exemples d‟explicitations, nous avons recensé 1284 cas d‟insertion, tous procédés confondus, soit 26 % de l‟ensemble du corpus. Le graphique suivant illustre la répartition des cas d‟insertion par année et retrace l‟évolution de son utilisation sur l‟ensemble de la période étudiée.

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Figure 14: La répartition par année du nombre total des exemples d‟explicitation par insertion de compléments cognitifs

A l'exception d‟une légère baisse en 2007, la courbe que dessine cette technique révèle une croissance constante de son emploi entre 2004 et 2010. Nous pouvons dire que plus les textes portaient sur des sujets ancrés dans la culture occidentale, plus il y a avait des emplois tropiques et des allusions, parce que les auteurs pouvaient se permettre de recourir à ces raccourcis, plus il y avait donc lieu d‟employer ce procédé pour insérer les compléments interprétatifs manquants. Parallèlement, l‟étendue du lectorat incitait les traducteurs à s‟adapter aux nouveaux venus depuis 2008 en leur livrant plus d‟éléments informatifs complémentaires et en leur facilitant la tâche de lecture. Quant aux baisses observées dans cette courbe, voici les explications que nous pouvons avancer à leur égard. La baisse enregistrée en 2011 est relative car le nombre de cas recensés demeure au-dessus de la moyenne générale, d‟autant plus que cette baisse est un trait caractéristique de tous les graphiques que nous avons déjà analysés. La raison en est, comme nous l‟avons dit à plusieurs reprises, la chute de la diffusion du MD dans les pays arabes à cause des problèmes survenus suite au Printemps arabe et à la crise financière qu‟a subie la filiale du MD, responsable de la traduction et l‟édition de ces textes. Quant à la baisse de 2004 enregistrée pour la deuxième fois ici, nous sommes plus enclins à l'attribuer au fait que la thématique traitée à cette époque, souvent axée sur des questions du Moyen-Orient, des pays de l‟Afrique et de l‟Amérique latine, n‟était pas tout à fait propice à l'emploi de cette technique. Il n‟en demeure pas moins que le changement de l‟équipe de traducteurs et de l‟organisme responsable de la traduction du MD a pu avoir des répercussions sur l‟implication des traducteurs et la baisse générale du nombre d‟explicitations en cette année de transition. Ce même phénomène est apparu en 2011 où le nombre d‟explicitations a fortement baissé par rapport aux années 2009 et 2010, dans toutes les statistiques sur les cinq motivations des explicitations et les six techniques d‟explicitation. Sauf que cette baisse est due à la situation politique dans la région

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et à la situation financière de la filiale du MD, et non seulement à la thématique abordée ou à la période transitoire comme c‟était le cas en 2004. La baisse graduelle observée entre 2001 et 2004 est également commune à tous les graphiques. Elle s‟explique par les mêmes raisons déjà invoquées, à savoir, la thématique focalisée sur des sujets que le lectorat arabe maitrisait, la définition du public visé (un lectorat souvent cultivé et motivé) qui incitait les traducteurs à miser davantage sur son bagage cognitif et sur sa coopération interprétative.

2.6. La technique de la note du traducteur Cette technique consiste à insérer des éléments d‟informations jugés nécessaires pour saisir le sens d‟un concept ou d‟une « unité de sens » donnée, non pas au sein du texte, mais dans le paratexte, c'est-à-dire en bas de page, en fin d‟article ou en glossaire. La note du traducteur est de ce fait un élément de paratexte. Ce dernier se définit selon Genette comme étant « tous les passages ajoutés au texte pour le présenter, l‟accompagner et l‟expliciter. Il est aussi important que le texte lui-même, parce qu‟il constitue un «vestibule» qui offre à chacun la possibilité d‟entrer dans le texte ou de rebrousser chemin » (Genette 1987 : 7-8). Le paratexte rentre dans la catégorie appelé par Berman (1995) « l‟étayage de la traduction » et conçue comme étant une des manifestations de la transformation de l‟œuvre traduite. Il existe deux types de notes dans les textes du MD et dans tout texte en général : les notes auctoriales et les notes allographes. Les premières sont introduites par l‟auteur du texte source qui ajoute quelques données supplémentaires dans un espace décroché, pour expliciter certains éléments ou rappeler certaines références intertextuelles (Henry 2000 : 229). Ces compléments explicitants peuvent contenir une précision sur un point non développé dans le texte, une mention d‟une motivation de l‟auteur, un apport d‟informations biographiques, une digression pure et simple, ou encore un véritable commentaire, par exemple en réponse aux critiques des éditions antérieures (Ibid. : 230). Malingret (2002 : 101-102) propose de classer ces notes en fonction de leur contenu et distingue alors plusieurs types de notes sociologiques ou ethnologiques, encyclopédiques, temporelles ou géographiques, institutionnelles (conventions en vigueur), intertextuelles (références à un texte antérieur) ou métalinguistiques (explications de jeux de mots, commentaires philologiques). Toutes ces notes font partie du texte source. Étant donné leur part importante dans la construction du sens global du texte, ces notes sont souvent traduites telles quelles en arabe. Seules sont exclues de la traduction, celles qui citent des références bibliographiques, puisque les lecteurs arabes ne peuvent pas a priori les consulter en langues étrangères. D‟autant plus que les contraintes d‟espace poussent les traducteurs à exploiter cet espace libéré pour insérer leurs propres notes, en d‟autres mots, les notes allographes. Ces dernières ressemblent par leur forme et leur fonction aux premières, mais ce sont des notes rédigées par un tiers, un éditeur (au sens anglais du terme, c‟est-à dire de celui qui publie et/ou de celui qui relit et révise le texte), un traducteur, ou encore un glossateur ou critique (Henry 2000 :

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229). Les notes du traducteur que nous considérons comme l‟une des techniques principales d‟explicitation, rentrent dans cette catégorie. L‟emploi de cette technique est justifié, entre autres considérations traductologiques, par le fait que l‟auteur du texte d‟origine lui-même (les notes auctoriales) peut y faire appel pour fournir des compléments cognitifs à propos d‟un référent qu‟il suppose inconnu de la part de son lectorat. La note du traducteur est toujours explicative. Elle intervient lorsqu‟une lacune contextuelle, marque d‟une différence culturelle ou civilisationnelle, se fait sentir, et permet de suppléer au manque, de façon visible, par l‟appel en bas de page ou le renvoi en fin de volume. Elle est aussi compensatoire de par le besoin sérieux de combler une déficience d‟expression dans le texte ou une éventuelle perte de sens. Si tel n‟était pas le cas, les notes n‟existeraient guère et les éditeurs ne les autoriseraient pas (Marays 2012 : 125). Les traducteurs ont souvent recours aux notes lorsque l‟explicitation décidée est trop importante pour l‟intégrer dans le texte sans perturber la fluidité du texte traduit. Une explicitation volumineuse a sa place dans la note, peu importe qu‟elle soit motivée par une information structurellement implicite ou venue d‟ailleurs326, c'est-à-dire des connaissances extralinguistiques. En revanche, une explicitation brève et pertinente pour la compréhension du sens s‟incorpore dans le texte. Néanmoins, les notes du traducteur ne doivent pas être exagérées ni en nombre ni en volume. Elles se limitent au strict nécessaire, comme nous l‟avons dit, sans verser dans l‟explication ou outrepasser le besoin communicatif urgent. Autrement, elles dépassent la finalité de la traduction et deviennent commentaires (Cordonnier 1995 : 182-183). La note du traducteur est d‟ailleurs moins controversée lorsqu‟elle est ce « bref éclaircissement nécessaire à l‟intelligence d‟un texte » que définit le Petit Robert. Dans ce sens, Margot confirme que : « Les notes devraient être rédigées de façon concise et n‟occuper qu‟une faible proportion de la page par rapport au texte traduit ; ce texte n‟a pas à être morcelé par des appels de notes multiples qui lassent le lecteur moyen et l‟empêchent d‟avoir une vue globale d‟une unité de texte... » (Margot 1979 : 98). Par cette technique, le traducteur devient plus visible. Il apparaît soudain en surplomb du texte traduit et s‟adresse au public avec ce que cela peut comporter de connivence. Par son intervention, il préfère apporter des précisions plutôt que de laisser s‟immiscer un doute ou une question dans l‟esprit de son lecteur, devançant ainsi ses interrogations sur les zones d‟ombre du texte ou sur les ambiguïtés générées par la complexité référentielle. Les notes sont parfois aussi le reflet des propres hésitations du traducteur, de son estimation des connaissances que ses 326

A cet égard, Margot (1979 : 131) cite ce passage d‟un texte de Nida (1972 : 142) où ce dernier propose que « les informations communes, qui échappent au lecteur d‟un autre temps et d‟une autre culture, ont leur place dans les notes, dans la mesure où elles sont nécessaires à la compréhension du texte ; par contre, les informations structurellement implicites peuvent être explicitées dans le texte lui-même, pour autant que le passage de la langue source à la langue réceptrice exige ce genre d‟explicitations ». Margot ne partage pas cet avis, car, pour lui, il est souvent difficile de « faire la distinction entre l‟information implicite dans le texte et celle qui leur vient en réalité d‟ailleurs » (Margot 1979 : 131).

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destinataires sont supposés détenir et de sa perception de la fonction de la traduction dans le contexte d‟accueil. En outre, elles sont la trace du « parcours herméneutique » (Steiner 1978 : 277-281) du traducteur et des « détours que doit faire le sens pour parvenir au lecteur » (Sardin 2007 : 6). Dotées de ces caractéristiques, les notes de traducteurs s‟emploient dans le cadre de la résolution des cinq problématiques d‟explicitation. Elles peuvent donc porter sur la valeur référentielle d‟un nom propre, d‟un concept ou de tout autre référent culturel, comme elles peuvent porter sur la signification pertinente d‟une comparaison implicite, d‟une expression métaphorique, d‟une allusion contenue dans le nom ou dans une phrase, dans la connotation de certains termes lexiculturels ou segments connotés, dans l‟explicitation de nuances dans la désignation de certaines réalités sociolinguistiques pour faciliter l‟intercompréhension entre les lecteurs arabophones du MD, etc. Le dénominateur commun à toutes ces utilisations réside dans le volume important de l‟information fournie. Comme nous venons de l‟évoquer, cette caractéristique fait que leur insertion dans le fil du discours provoque une rupture de la trame textuelle, ce qui occasionne une gêne importante au niveau de la fluidité du style et du suivi du fil du récit ou de l‟argumentation. À partir de notre analyse de corpus, nous avons constaté que les notes du traducteur prennent toujours la forme de notes de fin d‟article. Comme dans les textes d‟origine, il n‟y a ni glossaire ni notes en bas de page. Ces notes sont souvent signalées par un numéro de renvoi inséré à l'endroit concerné dans le texte et reproduit sans mention particulière dans la note correspondante en fin d‟article. Mais il arrive parfois que ces notes soient précédées de la mention ‫"يالزظخ يٍ انُششح‬ "‫خ‬ٛ‫( انؼشث‬une note de l‟édition arabe) qui figure en début de la note de fin d‟article, ce qui dénote l‟absence de normes de présentation de cette note. Chaque traducteur choisit à sa guise le mode qu‟il préfère. Cependant, nous avons pu définir deux procédés de mise en œuvre de cette technique : les notes courtes et les notes développées. 2.6.1. Les notes courtes Bien que les notes doivent généralement être pertinentes et concises, en vertu du principe de la pertinence et du strict nécessaire, sous peine d‟être considérées comme des explications pédantes qui n‟ont leur place que dans une traduction académique ou pédagogique, les notes extrêmement courtes, n‟ont pas non plus leur place, dans le paratexte. Elles peuvent tout simplement être insérées au sein du texte, notamment lorsqu‟elles présentent des informations qui doivent être mises immédiatement à la disposition du lecteur pour pouvoir poursuivre sa lecture sans entraves. Ce procédé est donc à exclure. Voici une série d‟exemples où les traducteurs fournissent des notes brèves et importantes, mais en fin d‟article.

Partie II : Chapitre V : Les techniques d’explicitation et leur mise en œuvre dans le corpus du MD 2001-2011 La note courte

L‟explicitation fournie

La traduction en arabe

Ex.1 Parcours classique que celui de cet ancien apparatchik du Komsomol (MD décembre 2004) Ex.2 Les mineurs étaient des zeks (2) du goulag. (MD août 2007)

Cet ancien militant zélé du Komsomol [1] a suivi un parcours classique. [1] la jeunesse communiste.

‫ٸ اظتزؾپٌ اٹَبثٰ يف‬ٙ‫وڅنا اظتڂب‬

Les ouvriers des mines étaient des zeks [2] du « camps de travaux forcés (goulag) ». [2] des prisonniers politiques.

‫ٽڀ‬

‫ ٽًَنح‬٤‫] ارج‬1[ ‫اٹٶىٽَىٽىٷ‬

،‫ٵالٍُٶُخ‬

.‫ُخ‬٥‫] اٹْجُجخ اٹُْى‬1[ ‫اظتڂبعټ‬

‫پّبٷ‬٥

431

Le but recherché par l‟explicitation Préciser le sens de ce nom propre. Le traducteur aurait pu insérer l‟explicitation dans le texte : « du Komsomol, organisation de la jeunesse communiste ».

‫ ٵبٿ‬Préciser ce que signifie « un zek ». Or, le traducteur aurait pu

‫َٶواد‬٦‫] يف "ٽ‬2[ "‫ اٹـ"ىَٴ‬l‟insérer au fil du texte en amont ce terme, comme l‟a ]2[ .")٧‫ىال‬٪‫پٸ اإلعجبهٌ (اٹ‬٦‫ اٹ‬de justement fait pour le terme du .‫ « اظتَبعٌن اٹَُبٌٍُن‬goulag ».

Tableau 67: Des explicitations par courtes notes du traducteur

2.6.2. Les notes développées en fin d‟article Ce procédé représente le principal mode opératoire de cette technique. Il correspond à tous les critères que nous avons précédemment décrits. Nous en avons déjà donné de nombreux exemples tout au long du chapitre précédent et nous apportons ici une autre série d‟exemples illustrant d‟autres cas de figure, à savoir l‟explicitation sur un programme télévisuel « Téléthon », un référent symbolique de la République française « Marianne », une allusion historique contenue dans la désignation « le programme commun ». On y trouve également deux cas d‟explicitations moins justifiés, mais qui ont été faites, telles que l‟explicitation de la signification d‟un emprunt dialectal arabe pour les autres arabes qui ne le connaissent pas (les zmigris), l‟explicitation d‟un calque sémantique fait lors de la traduction de l‟expression « marché aux puces » dont le traducteur aurait dû se passer. La note dévelopée Ex.1 En France, avec ses 100 millions d‟euros annuels, le Téléthon pèse lourd. (MD juin 2009)

L‟explicitation fournie En France, le « Téléthon » [7] procure de grosses sommes d‟argent, avec les 100 millions d‟euros annuels. [7] Il s‟agit d‟un programme télévisuel durant lequel des fonds sont recueillis grâce aux dons des téléspectateurs destinés à soutenir les recherches médicales.

Le but recherché par l‟explicitation

La traduction arabe

en

‫َإٌب‬

ٍ‫ ٭ٮ‬La note vise à présenter la spécificité

‫٭وځَب‬

de ce programme qui n‟a pas

‫] ثإٽىاٷ‬7[ "‫ اٹـ"رُٺُزىٿ‬d‟équivalent dans le paysage arabe. Bien que le choix de ‫ ٽٺُىٿ‬100‫ اٹـ‬٤‫ ٽ‬،‫ ٵجًنح‬télévisuel la technique soit justifié, le contenu

.ً‫ َىهو ٍڂىَب‬de la note n‟est pas assez précis. Nous aurions préféré préciser par

‫] څى ثوځبٽظ رٺٮيَىين‬7[ exemple qu‟il s‟agit non pas de dons ‫ األٽىاٷ ٽڀ‬٤‫ربڃ رت‬٥ ّ‫ َزټ‬mais de promesses de dons collectés via un standard téléphonique, dont le

‫ټ اٹجؾىس‬٥‫ اظتْبڅلَڀ ٹل‬montant total s‟affiche à l‟écran tout .‫جُّخ‬ٞ‫ اٹ‬au long de l‟émission.

Partie II : Chapitre V : Les techniques d’explicitation et leur mise en œuvre dans le corpus du MD 2001-2011 Ex.2 Les fantasmes d‟une union réconciliée et résignée. Un «programme commun»? (MD mai 2008)

Des fantasmes d‟une alliance réconciliée et docile, c'est-à-dire « le projet commun » ? [7] [7] C‟est une allusion au « projet commun » entre les socialistes et les communistes, qui a amené François Mitterrand à la présidence en France.

432

ٍ‫ٍ ٽزٖبحل‬٬‫ ؤوڅبٽبً ثزؾبٹ‬La note vise à apporter une ٣‫"اظتْوو‬

information

ٌ‫ؤ‬

contextuelle

implicite

.‫ وٽڂٲبك‬dans le texte sur ce projet de réforme n‟a pas abouti et sur l‟alliance .]7[ ‫ اظتْزوٳ"؟‬qui PS-PCF, qui a contribué à la victoire

‫بّبهح‬

‫څنڃ‬

]7[ de Mitterrand aux présidentielles de

‫ اظتْزوٳ" ثٌن‬٣‫"ٹٺپْوو‬ ‫ٌُن‬٥‫واٹُْى‬

1981.

‫االّزواٵٌُن‬

‫اٹنٌ ٱبك ٭واځَىا ٽُزواٿ‬ .‫بذل ٍلّح اٹوئبٍخ يف ٭وځَب‬

Ex.3 Bien qu‟idéalisées sous les traits de Marianne ou glorifiées en figures allégoriques de la Nation ou de la République, les femmes sont considérées comme d‟éternelles mineures. (MD septembre 2010)

327

Bien que leurs images idéalisées soient exprimées sous le personnage de Marianne [4] ou les figures symboliques de la Nation ou de la République, les femmes sont considérées comme d‟éternelles mineures. [4] Marianne : la figure allégorique de la République française, représentée par le buste d‟une femme portant le bonnet des révolutionnaires327 créée d‟abord par le poète Alphonse de Lamartine328. Son profil se trouve dans toutes les institutions officielles en France à côté du portrait du président de la république.

‫ټ ٽڀ ٕىههتڀ اظتضبٹُخ‬٩‫ ٭جبٹو‬La note vise à présenter ce symbole

féminin hautement culturel de la

‫ڂهب يف ّقُٖخ‬٥ ‫جّو‬٦‫ اظت‬France dont la majorité des lecteurs ignorent l‟existence. En plus ‫] ؤو يف‬4[ "‫ "ٽبهَبٿ‬arabes de la valeur culturelle de ce ‫ اٹْقىٓ اٹوٽيَّخ ٹألٽّخ ؤو‬supplément d‟information, le lecteur

comprendra le sens pertinent de

‫زرب اٹڂَبء‬٦‫ ر‬،‫ اصتپهىهَخ‬l‟énoncé, à savoir : la femme occupe .‫ ٱبٕواد ؤثلَّبد‬au niveau symbolique une place ‫اٹٖىهح‬

‫ٹٺغپهىهَّخ‬

:‫ٽبهَبٿ‬

privilégiée, mais dans la réalité, elle

]4[ est loin d‟avoir conquis les mêmes ‫ اٹوٽيَّخ‬droits que l‟homme.

ٍ‫ اظتپضّٺخ ثزپضبٷ‬،‫اٹٮوځَُّخ‬

‫خ‬٦‫ځٖٮٍّ ٹَُّلح حتپٸ ٱج‬ ‫ٺٲهب ؤوّٷ ٽوّح‬ٝ‫ ؤ‬،‫اٹضىّاه‬ .‫و ؤٹٮىځٌ الٽبهرٌن‬٥‫اٹْب‬

ّ‫ورزىاعل يف ٭وځَب يف ٵٸ‬ ‫بذل‬

ٌُ‫هئ‬

‫اٹوشتُخ‬

‫ٕىهح‬

‫اظتاٍَّبد‬ ‫عبځت‬

.‫اصتپهىهَّخ‬

Le bonnet phrygien. L‟information donnée par le traducteur n‟est pas exacte. Le buste n‟a pas été créé par le poète Lamartine. Mais en tout cas, nous pouvons supprimer cette partie de la note car cette indication n‟est pas vraiment importante. 328

Partie II : Chapitre V : Les techniques d’explicitation et leur mise en œuvre dans le corpus du MD 2001-2011 Ex.4 Et, au Maroc, quand ils reviennent pour les vacances, ils se font traiter de “zmigris”, ce qui veut dire “immigrés” aussi ! » (MD septembre 2007)

Ex.5 « Des frigidaires, des vélos, des machines à laver, des échelles, des brouettes, plein d‟ustensiles achetés aux puces que les Français jettent dès qu‟ils ne marchent plus, (MD septembre 2007)

Et au Maroc, quand ils reviennent pour passer les vacances, ils sont traités comme des « zmigris » [7], c'est-àdire des immigrés aussi. [7] une note de l‟édition arabe : il s‟agit d‟une arabisation en dialecte marocain du mot immigré. « Des frigidaires, des vélos, des machines à laver, des échelles, des brouettes plein d‟outils achetés au marché aux puces [1] que les Français jettent dès qu‟ils ne marchent plus. [1] une note de l‟édition arabe : c'està-dire le marché des objets d‟occasion, selon l‟expression française.

433

‫ىكوٿ‬٦َ ‫ڂلٽب‬٥ ،‫وة‬٪‫ ويف اظت‬Dans cet énoncé, l‟auteur cite l‟avis ‫ألهنټ‬

‫ؤهنټ‬ ٌ‫ؤ‬

،‫ٸ‬ٞ٦‫اٹ‬ ً‫ٺ‬٥

d‟un employé travaillant à bord d‟un

‫بء‬ٚ‫ ٹٲ‬navire sur la ligne maritime Sèteselon lequel les marocains ‫بٽٺىٿ‬٦َ Tanger, nés et installés en France se font

]7[ "‫وَخ‬٪ُ‫ "ىٽ‬traiter comme des immigrés tant en France qu‟au Maroc. Le traducteur a

"!ً‫ب‬َٚ‫ ٽهبعوَڀ ؤ‬explicité, en note, aux autres lecteurs ‫خ ٽڀ اٹڂْوح‬٢‫] ٽالؽ‬7[ arabes du MD le sens du mot

dialectal que l‟on utilise au Maroc

‫بٽُخ‬٦‫وَت ثبٹ‬٦‫ ر‬:‫وثُخ‬٦‫ اٹ‬pour désigner les marocains nés en 329 ‫وثُخ ٹٶٺپخ ٽهبعو‬٪‫ اظت‬France.

.immigré

،‫ كهّاعبد څىائُخ‬،‫ "ثوّاكاد‬Expliciter l‟expression originale dont la traduction par calque sémantique

‫ ٵوّاعبد‬،‫ ٍالدل‬،‫َّبالد‬٩ est certainement incompréhensible du arabe. Cette note est censée ‫ ٽٺُئخ ثإكواد اّزُوَذ ٽڀ‬lecteur faire comprendre au lecteur le sens de

‫] َوٽُهب‬1[ ‫ُش‬٩‫ ٍىٯ اٹربا‬tout l‟énoncé : les maghrébins partant

‫ؤٿ‬

‫مبغوّك‬

de Sète pour passer les vacances au

‫ اٹٮوځَُىٿ‬bled achètent des produits d‟occasion .‫ّٸ‬ٞ٦‫ رز‬à prix dérisoire qui, une fois réparés au bled, peuvent être de nouveau

‫خ ٽڀ اٹڂْوح‬٢‫] ٽالؽ‬1[ opérationnels, d‟où le secret de toutes cargaisons. Il aurait été plus ٗ‫وا‬٩‫ ؤٌ ٍىٯ األ‬:‫وثُخ‬٦‫ اٹ‬ces judicieux d‟omettre l‟expression ‫جًن‬٦‫پٺخ ؽَت اٹز‬٦‫ اظتَز‬d‟origine au profit d‟une expression

neutre, insérée au sein du texte, « le marché d‟objets d‟occasion ».

.ٍَ‫ اٹٮوځ‬comme

Tableau 68: Des explicitations par des notes du traducteur plus développées

2.6.3. Les avantages et inconvénients de la technique de la note du traducteur Nonobstant son importance et la récurrence de son emploi en traduction, la question de la note du traducteur demeure hantée par une controverse sur le droit d‟y recourir ou la nécessité de les proscrire. Voici d‟abord un passage qui récapitule le débat sur les avantages et inconvénients de cette technique : « […] si l‟on n‟en fait pas un usage immodéré, la note en bas de page (ou ailleurs) n‟est pas considérée par nous comme la défaite du traducteur. Elle se situe dans la complémentation. Elle montre le non-dit et l‟inconnu de l‟Autre. Le rapport de la note au texte n‟est pas le même dans l‟écriture et dans le traduire. Dans le traduire, son rôle est d‟informer sur la culture de l‟Etranger. Elle doit se limiter à cela, et si elle va au-delà, elle dépasse la traduction et devient commentaire. La note n‟est donc pas, comme on l‟entend parfois, « la honte du traducteur » (voir la Préface de D. Aury, in Mounin 1963 : VII-XII). Elle répond à l‟incomplétude du langage et à l‟insuffisance des échanges culturels. […] » (Cordonnier 1995 : 329

Cependant, pour plus de facilité de lecture, le traducteur aurait pu abréger le contenu de la note et l‟inclure directement au sein du texte en écrivant par exemple ")‫بٽُخ‬٦‫( "ىٽُغوٌ (ؤٌ ٽهبعو ثبٹ‬zmigris, c'est-à-dire immigré en dialectal).

Partie II : Chapitre V : Les techniques d’explicitation et leur mise en œuvre dans le corpus du MD 2001-2011

434

182-183). Nous allons exposer en ce qui suit l‟ensemble des critiques faites par les pourfendeurs de cette technique et les réponses avancées par ses partisans. Le principal reproche formulé à l'encontre de la note du traducteur consiste à dire qu‟elle peut provoquer une interruption de la fluidité : « la note du traducteur oblige, comme toute note en bas de page d‟ailleurs, le lecteur à s‟interrompre et à porter son regard vers le bas de la page, souvent au prix de perdre le fil du raisonnement principal » (Henry 2000 : 228-240). Malingret (2002 : 100) parle même de l‟effet de « modification fictionnelle » générée par l‟introduction des notes. En outre, la note est perçue comme une transgression de la règle de la transparence puisqu‟elle dévoile la voix du traducteur, ce qui pose un problème de « contrat moral » entre le traducteur et l‟auteur. Henry cite à ce propos Albert Bensoussan, traducteur de nombreux romans sudaméricains, qui a écrit : « Rien ne doit faire écran entre l‟œuvre originale et la version donnée dans la langue d‟arrivée. D‟où le bannissement de la note en bas de page […] » (Henry 2000 : 239). La note est également décriée pour le fait d‟être un signe de non confiance de la part du traducteur envers son lecteur, dans le sens où les traducteurs ne font pas assez confiance à leur lecteur dont ils veulent tenir la main à l‟excès. De plus, c‟est un signe d‟incompétence du traducteur, voire la honte du traducteur comme l‟a décrite Dominique Aury, précité, car elle représente une « solution paresseuse » (Cary 1956 : 69). Ainsi, dans la pratique traductive, les traducteurs se montrent parfois réticents à l'égard de l‟emploi des notes parce qu‟elles sont perçues comme symptomatiques d‟un point faible dans leurs compétences. Autrement dit, elles « cristallisent en quelque sorte in fine ce qui devrait être une impossibilité de traduire » (Ricoeur 2005 : 56). Face à ces critiques, plusieurs autres auteurs soulignent les avantages de ce mode de traduction, que nous avons placé sous le signe de l‟explicitation. Ballard soutient que, pratiquée à bon escient, la note fait partie de la traduction conçue comme « une négociation linguisticoculturelle », et par conséquent, elle n‟est pas un aveu d‟impuissance, mais « le traitement réaliste et honnête d‟un contact avec la spécificité d‟une culture étrangère » (Ballard 2001 : 110-111). Un traitement réaliste, car la note, surtout dans le cas du transfert culturel, permet à la traduction d‟assumer pleinement sa fonction : « [la] préservation de l‟identité et de l‟étrangéité dans le texte et le transfert des effets de sens en note» (Ballard (2001 : 180), (2004 : 147-148)). Elles sont donc salutaires pour le traducteur et utiles pour le lecteur, mais elles doivent rester, comme le précise Galisson (1988), « une description, une précision, un commentaire minima ». L‟explicitation par la note ressemble dans une large mesure à celle par l‟incrémentialisation. L‟objectif des deux techniques est « [d]‟éclairer le lecteur, mais de façon très différente, l‟une en tentant de faire oublier qu‟on lit une traduction, l‟autre en affichant le contact avec la culture étrangère et en les éclairant explicitement» (Ballard 2001 : 118). Si l‟on accepte les incrémentialisations, pourquoi ne pas accepter également les notes ? La seule différence est que

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les notes sautent aux yeux (Henry 2000 : 239). Et si les notes brisent le fil de l‟énoncé, on est en droit de se demander alors pourquoi les auteurs rajoutent des incises et des mots entre parenthèses et même des notes de l‟auteur en bas de page, puisque cela nuit à la fluidité du texte. Par ailleurs, la note du traducteur est révélatrice des enjeux de la traduction, et de l‟intégrité du traducteur, comme le soutient Sardin pour qui, la note devrait être considérée comme « un signe de la connaissance que le traducteur a des différences implicites de l‟information dans les deux cultures, du risque éventuel d‟une perte et de sa volonté de la limiter » (Osimo 2008). Elle est plutôt une déclaration d‟intégrité (Genin 2000 : 31). 2.6.4. La fréquence d‟emploi de cette technique dans le MD Dotée de ses caractéristiques, cette technique a été particulièrement prisée par les traducteurs du MD à partir de 2005. Dans notre corpus composé de 5013 exemples d‟explicitations, nous avons recensé 467 cas de notes de traducteur, tous procédés confondus, soit 9 % de l‟ensemble du corpus. Cependant si l‟on exclut la période 2001-2004 de ces calculs au cours de laquelle cette technique n‟avait pas droit de cité, la moyenne générale sera de 66 notes par an, et de 6 notes par numéro. Le graphique suivant illustre la répartition des cas de notes par année et retrace l‟évolution de son utilisation sur l‟ensemble de la période étudiée.

Figure 15: La répartition par année du nombre total des exemples d‟explicitation par notes de fin d‟article

Hormis une note orpheline décelée en 2004, du type « courte note », la courbe représentant la fréquence d‟utilisation de cette technique affiche une absence totale entre 2001 et 2004. Ce mode d‟explicitation ne faisait pas partie des normes traductives à l'époque. Cette absence peut également être expliquée par la dominance de l‟« approche interprétative » privilégiée par les traducteurs en cette période. En effet, les traducteurs s‟employaient à reformuler les phrases de sorte à éviter d‟adjoindre des notes dans le paratexte. Il semble aussi que les contraintes d‟espace rédactionnel jouaient beaucoup dans l‟exclusion de cette technique. En revanche, depuis 2005, avec la création de la filiale du MD et l‟élargissement progressif de l‟espace rédactionnel et du

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lectorat visé, les notes ont désormais voix au chapitre. Elles augmentent graduellement de 2005 à 2010, la baisse de 2011 étant chronique et très relative. Nous pouvons donc dire que plus les traducteurs ont affaire à des concepts culturels ou économiques importants, plus ils font des recherches encyclopédiques, plus ils cherchent à en faire bénéficier leur lectorat en fournissant des notes de fin d‟article. Ces notes sont le signe d‟une bonne implication du traducteur et de la vocation générale de la filiale plus ou moins déclarée du MD à enrichir le bagage cognitif du lectorat arabe tout en leur permettant de saisir pleinement le sens des énoncés où il y avait lieu de prévoir de telles notes.

2.7. Une vue panoramique sur les techniques d‟explicitation Après avoir analysé chacune des techniques mises en œuvre par les traducteurs du MD, nous proposons plusieurs tableaux récapitulatifs des techniques et procédés utilisés. Nous allons également avancer quelques propositions sur les procédés que nous considérons comme les plus appropriés dans le contexte de la traduction du MD vers l‟arabe et ceux que dont nous souhaiterions limiter l‟usage. Voici d‟abord un tableau récapitulatif des techniques d‟explicitation relevées et de leurs procédés secondaires, tels qu‟ils ressortent de notre analyse du corpus. ajout de classificateur Incrémentialisation

ajout de qualificatif ajout de complément étoffant un terme

périphrase

périphrase définitoire substituante périphrase définitoire plus emprunt reformulation plus claire et étoffée

paraphrase les techniques et procédés d'explicitation

démétaphorisation substitution lexicale

équivalent synonymique

équivalent explicitant un calque équivalent accompagnant un emprunt insertion de complément contextuel

insertion

référentialisation insertion de marqueurs typographiques

note du traducteur

note courte note longue

Figure 16: L‟ensemble des techniques et procédés d‟explicitation mis en œuvre dans les textes traduits du MD

Partie II : Chapitre V : Les techniques d’explicitation et leur mise en œuvre dans le corpus du MD 2001-2011

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Dans le tableau suivant, nous présentons l‟ensemble des données statistiques recueillies à partir de notre corpus indiquant la répartition des exemples d‟explicitation par année et par technique. Incrémentialisation

100% 0 90%

70

Périphrase

Paraphrase

0

0

1

61

55

45

4

47

34

31

41

64

150

96

82

105

92

155

283

201

143

78

149

92

51

95

63

96

161

125

76

134

272

188

120

2007

2008

2009

2010

2011

42

64

50

55

44

33

63

27

37

40% 30%

32

Note du traducteur

29

29

60% 50% 49

Insertion

74

80% 70%

Equivalent synonymique

27

28

38

62

71 66

78 51 83

20% 10%

80

0% 2001

65

63

55

64

94

2002

2003

2004

2005

2006

Figure 17: La répartition des cas relevés d‟explicitation par année et par technique

Pour faciliter la lecture de ces données et le classement par ordre de fréquence, nous proposons la figure suivante illustrant les parts qu‟occupent respectivement les six techniques d‟explicitation dans la palette que comporte la stratégie de l‟explicitation. Répartition par technique Equivalent synonymique 14%

Incrémentialisation 24%

Note 9%

Insertion 26%

Périphrase 16%

Paraphrase 11%

Figure 18: La répartition de l'ensemble des exemples d'explicitation par technique

De ces statistiques, il ressort clairement que la technique la plus sollicitée sur l‟ensemble de la période de la recherche est la technique de l‟insertion, suivie ensuite par ordre décroissant par la

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technique de l‟incrémentialisation, la technique de la périphrase, la technique de l‟équivalent synonymique, la technique de la paraphrase et enfin la technique de la note du traducteur. Ce classement appelle quelques remarques importantes. Comme nous l‟avons déjà expliqué plus haut, la technique de l‟insertion, telle que nous l‟avons présentée, est dotée de certaines qualités qui font qu‟elle est particulièrement prisée des traducteurs du MD. Parmi ses qualités, nous rappelons la facilité de son utilisation et la liberté du choix de l‟information à insérer. Cette information n‟est pas liée au référent lui-même (sa définition, ses caractéristiques distinctives), mais à son rôle dans la construction du sens de l‟énoncé. Les traducteurs se plient ainsi à une seule règle : le supplément apporté doit aider à l'inférence optimale du sens global de l‟énoncé. En plus de son caractère pragmatique, la fréquence élevée d‟usage de cette technique s‟explique en grande partie par les différentes problématiques pour lesquelles elle est sollicitée, notamment les problématiques nº 2, nº 3 et nº 4. Sans surprise, la technique de l‟incrémentialisation occupe la deuxième place dans ce classement, puisqu‟elle est systématiquement utilisée pour présenter brièvement presque tous les noms propres (noms de personnes, noms de lieux, noms d‟institutions, de monuments, d‟œuvres, etc.), ce qui représente déjà une part très importante des référents nécessitant souvent le recours à une explicitation, fut-elle minimale. En revanche, la technique de l‟équivalent synonymique que l‟on tend souvent à considérer comme un pis-aller dans les écrits traductologiques, vu qu‟elle n‟est que rarement mentionnée dans les typologies des techniques d‟explicitation (Newmark 1988), occupe néanmoins la troisième place dans notre classement. La raison réside, à notre avis, non pas dans sa pertinence ou dans son pragmatisme, mais plutôt dans le caractère complexe de la langue arabe telle qu‟elle est pratiquée aujourd‟hui, dans la nécessité de s‟adapter à l‟étendue du public du MD de plus en plus difficile à cerner depuis 2007, et surtout dans la fâcheuse tendance des traducteurs à vouloir conserver, coûte que coûte, la trace de l‟expression originale par souci de fidélité au texte source et par respect de l'auteur. Cette dernière tendance se confirme dans l‟usage limité de la technique de la paraphrase, étant donné qu‟elle implique une reformulation plus libre et une capacité de dépasser la formulation d‟origine au profit d‟équivalences discursives plus explicites. Enfin, bien qu‟elle occupe la dernière place dans notre classement, la technique de la note du traducteur a été récemment très sollicitée des traducteurs du MD. Son taux bas s‟explique plutôt par son absence des statistiques durant les quatre premières années de la vie du MD, étant donné qu‟elle était visiblement exclue des normes traductives à l'époque. Son utilisation reflète l‟élargissement de l‟espace rédactionnel et l‟approfondissement des recherches encyclopédiques qu‟effectuent les traducteurs pour expliciter tout un pan de connaissance que leurs lecteurs ignorent. Concernant le degré d‟explicitation en termes de volume de l‟explicitation fournie, nous avons vu que chaque technique se démarquait de l‟autre par son propre mode opératoire, ses usages fréquents liés aux motivations des explicitations et par sa teneur informative. S‟agissant de ce

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dernier critère, nous allons classer, du point de vue quantitatif, les procédés d‟explicitation sur un continuum allant de trop peu à beaucoup. Ainsi, nous pouvons dire que le procédé de la substitution lexicale représente le degré le moins invasif et le plus discret de l‟explicitation, puisqu‟il n‟implique aucun étoffement de la partie explicite. Il est suivi par le procédé de l‟insertion de marqueurs typographiques qui représente également un seuil minimal de l‟explicitation, l‟ajout étant limité à quelques signes de ponctuation. Viendra ensuite le procédé de l‟incrémentialisation par ajout d‟un classificateur impliquant l‟ajout d‟un seul mot, suivi par le procédé de l‟équivalent synonymique accompagnant un calque lexical (un mot) et puis les procédés d‟ajout de qualificateur et de complément adjectival (deux mots tout au plus). À l'autre extrémité de l‟échelle se trouve le procédé de la note de traducteur (la note volumineuse) qui implique un développement conséquent. Tous les autres procédés agissent dans cet espace intermédiaire en gonflant la partie explicite de quelques syntagmes nominaux ou verbaux allant de deux mots à quatre, voire cinq mots : La périphrase peut se présenter sous un syntagme-définition allant de deux à cinq mots ; Idem pour les procédés d‟insertion de compléments contextuels, le procédé de l‟équivalent synonymique accompagnant une désignation spécifique, le procédé de la reformulation plus claire, le procédé de la démétaphorisation. Pour clore cette première section du présent chapitre, nous tenons à formuler rapidement quelques propositions générales sur les procédés que nous venons de décrire et qui vont nous aider à mieux affiner l‟analyse de la méthode d‟explicitation dans la deuxième section. Les propositions plus étayées seront fournies dans la deuxième section du présent chapitre. Nous proposons d‟abord d‟éviter l‟emploi des procédés de référentialisation, d‟équivalent synonymique, et de notes courtes. Pour renforcer la cohésion interne et la fluidité de la lecture qui justifient le recours au procédé de la référentialisation, nous préconisons d‟anticiper ces éventuelles confusions dus à la multiplicité ou à la complexité des référents textuels par une stratégie d‟écriture basée sur l‟interprétation du sens qui donne au traducteur plus de latitude dans le choix de ses formules. Ainsi, le traducteur devra s‟émanciper de la structure syntaxique des phrases du texte source et employer d‟autres constructions syntaxiques suffisamment explicites sans devoir expliciter sa propre traduction, comme le font généralement les traducteurs par le biais de ce procédé. Il en va de même pour l‟ensemble des procédés de l‟équivalent synonymique. Comme nous l‟avons déjà expliqué lors de l‟analyse des inconvénients de cette technique, le traducteur doit savoir trancher entre une traduction interprétative explicitant le sens, sans pour autant garder la trace de l‟expression initiale ou l‟emploi de la traduction directe seule, laissant au contexte le soin de clarifier le sens voulu. Le mariage de ces deux procédés n‟est possible, à notre avis, que lorsqu‟il s‟agit d‟expliciter le sens de l‟emprunt lors de la première occurrence dans le but de l‟intégrer dans le texte lors de ses occurrences ultérieures. Utiliser concomitamment un emprunt

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et son équivalent linguistique arabe crée une lourdeur de style et une redondance inutile. Le traducteur devra trancher entre l‟emprunt ou l‟équivalent arabe, mais pas les deux à la fois. Quant aux notes très courtes, il conviendrait de les insérer dans le fil du texte. Leur localisation en externe ne fait que perturber la lecture. Concernant le procédé de l‟insertion de marqueurs typographiques, nous proposons de supprimer l‟emploi des points d‟exclamation, qui reflètent une prise de parole trop subjective. Il serait plus judicieux d‟employer uniquement les guillemets pour souligner les termes ou les segments connotés. Le traducteur fournit les clés nécessaires à la perception de l‟ironie ou du sous-entendu que recèle l‟énoncé, mais c‟est au lecteur qu‟il revient de faire preuve de perspicacité et de faire le parcours interprétatif qui aboutira dans sa tête à ce même point d‟exclamation que le traducteur aurait pu être tenté d‟ajouter. En revanche, nous préconisons l‟emploi de la technique de la paraphrase pour l‟explicitation des emplois tropiques lorsque la sauvegarde du véhicule métaphorique initial s‟avère inintéressante pour la suite du texte ou pour le lectorat arabe à qui il n‟apportera rien de spécial. Nous proposons également de permettre un repérage des longues insertions de compléments contextuels par une mise entre parenthèses, et d‟insérer les courts suppléments dans le fil du texte, sans les déclarer, tant que le traducteur est sûr et certain de la véracité de l‟information ajoutée. Au moindre doute, il vaut mieux les déclarer entre parenthèses afin de ne pas attribuer à l'auteur de fausses informations.

3. La mise en œuvre des techniques d‟explicitation 3.1. Vers une méthode rigoureuse d‟explicitation À ce stade de la recherche, nous connaissons les cinq motivations principales de l‟explicitation ainsi que tous les problèmes de traduction qui en découlent ; l‟analyse de notre corpus et des décisions prises par les traducteurs du MD nous ont permis de repérer six techniques principales et une large palette de procédés secondaires. Mais elle nous a également permis de prendre conscience des nombreuses difficultés rencontrées par les traducteurs et des faiblesses que présentent certains choix traductifs. Notre objectif n‟est pas d‟adopter maintenant une approche qualitative et d‟attribuer de bonnes notes aux explicitations qui nous ont convaincu et de mauvaises notes à celles qui ne correspondent pas à notre conception de l‟acte de traduire ou à notre style de traduction. Il ne s‟agit pas non plus de suivre une approche prescriptive en dictant la voie à suivre, celle que nous jugeons la seule à même de produire de « bonnes » explicitations. Il s‟agit, après avoir observé minutieusement, selon une approche descriptive, les traducteurs du MD à l'œuvre pendant dix ans, de dégager des règles fondamentales qui pourraient permettre de transformer les « tentatives d‟explicitation » en « explicitations pertinentes ». Ces règles sont, selon nous, au nombre de cinq, et nous ramènent à notre conception générale de l‟explicitation

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exposée au chapitre 3 et plus précisément aux quatre maximes conversationnelles de Grice330, auxquelles nous allons ajouter une nouvelle maxime que nous appelons « la maxime de la sûreté ».331 Mais avant d‟analyser ces maximes et leur portée sur la mise en œuvre de la stratégie de l‟explicitation, nous aimerions d‟abord exposer brièvement notre démarche à l'égard de l‟évaluation d‟une décision d‟explicitation. 3.1.1. L‟évaluation de la décision d‟explicitation Rappelons pour commencer que nous souscrivons complètement à l'approche systémique de Toury, que nous avons développée dans le chapitre II, selon laquelle la décision d‟explicitation est en quelque sorte le miroir du profil du traducteur. En effet, même si l‟on ne connait pas le nom du traducteur du MD (ces traductions étant anonymes), ni sa formation professionnelle ou son expérience, (l‟équipe de traduction recrutée par la filiale du MD depuis 2005 étant fermée et imperméable à toute intrusion), on le voit quand même se profiler à travers l‟analyse de sa réaction face à une situation d‟explicitation, et dans les deux activités qu‟il conjugue : celle de lecteur, qui comprend, et celle d‟auteur, qui permet à un destinataire de comprendre. Son estimation du bagage cognitif de son lectorat, sa compétence linguistique et culturelle, sa subjectivité et sa conception de sa tâche traductive participent largement à la prise de décision de l‟explicitation. Tous ses choix reflètent son profil professionnel et sociolinguistique, car ils passent par le prisme de la personne du traducteur. Ainsi, l‟évaluation de la décision d‟une explicitation doit tenir compte de cet acteur humain, qui représente le facteur le plus décisif dans le processus de prise de décision. Nos propositions s‟adressent à lui et doivent donc prendre en considération les conditions de l‟exercice de son métier et comprendre pourquoi il a agi de la sorte en optant pour telle ou telle manière de faire, tel ou tel contenu informatif. Il est souvent périlleux de porter un jugement de valeur aujourd‟hui sur des explicitations qui ont été faites il y a 3 ans pour les plus récentes ou 13 ans pour les plus anciennes, sans se mettre dans la peau du traducteur et tenir compte de tous les facteurs qui influaient sur ses décisions. Du point de vue traductologique, la question de l‟évaluation d‟une décision d‟explicitation s‟inscrit dans le cadre plus global du renvoi à une certaine conception de la traduction. Nous avons vu au chapitre premier que chaque approche reposait sur des critères spécifiques fondés sur 330

Comme nous l‟avons déjà expliqué dans le chapitre premier, le modèle inférentiel stipule que tout échange conversationnel entre un locuteur et un destinataire suppose un minimum d'entente, un minimum d'effort coopératif. Cet échange ne suit pas n'importe quelle voie ; il implique le respect de règles communes, les maximes de quantité, qualité, relation, manière. Lesquelles permettent d‟assurer une inférence optimale du vouloir dire du texte, que ce soit dans le cadre d‟une communication monolingue auteur/lecteur natif ou bilingue traducteur/lecteur cible. Nous postulons que le respect de ces maximes assure une pertinence optimale des explicitations décidées et donc de bonnes conditions de compréhension et de lecture des textes traduits. 331 Nous avons inspiré cette maxime du principe de « minimisation des risques » de Pym (2005), ainsi que des travaux de Klaudy (2005) et de Becher (2011). Nous y reviendrons dans la section consacrée à l'étude de cette maxime.

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une conception générale de la traduction : la fonctionnalité (skopos), la fidélité et l‟équivalence de sens (la TIT), l‟adéquation et l‟acceptabilité (le polysystème), le respect de la langue et du texte source (les approches linguistiques), l‟adéquation au récepteur et à la culture cible (les approches ciblistes), etc. Suivant notre conception globale de l‟explicitation, nous avons retenu des critères qui s‟inspirent des apports de différentes approches. En plus du critère de l‟équivalence de sens sur lequel se fonde toute notre entreprise, nous considérons également comme essentiels les critères de l‟intelligibilité et de l‟acceptabilité. Nous apprécions donc la qualité d‟une traduction d‟une part en fonction de son degré d‟équivalence au sens du texte source, et d‟autre part en fonction de son adéquation à la situation de communication. En principe, une traduction de bonne qualité serait donc, pour nous, celle qui serait efficace au niveau de la transmission du sens, intelligible, fonctionnelle et acceptable dans le contexte de réception de la traduction, c'est-à-dire au niveau de la forme linguistique. Pour ce faire, le traducteur devrait analyser le contexte d‟accueil, se mettre à la place du lecteur cible, anticiper sa réaction, et lui livrer un texte à la fois intelligible et lisible : « However, the concept of acceptability during the translation process is an assumption of the translator who is tentatively assuming the role of a member of the target culture while translating, since it is impossible to predict, if the end product will indeed be accepted into the target culture or not (Toury 1993 : 16) ». La question n‟est pas donc de savoir si la traduction nous plaît ou pas, mais de savoir si elle est adéquate ou non dans une situation ou un contexte donné : « When we make selections between various possible translations, we should realize we are mostly dealing with problems that are more complex than « right » versus « wrong». (Pym 2010 : 114). Considérée comme une stratégie de traduction qui vise la transmission du sens dans toute sa plénitude, l‟explicitation obéit à ces mêmes critères généraux. Lesquels sont détaillés dans la grille d‟analyse que nous avons d‟abord élaborée et exposée à la fin du chapitre III et puis appliquée en commentant les exemples principaux et secondaires d‟explicitation. Nous allons l‟étayer plus finement en analysant les cinq maximes régulant la bonne mise en œuvre de l‟explicitation. Il nous importe de rappeler à cet égard que le processus d‟évaluation de la traduction en général et de l‟explicitation du MD en particulier est lié à des facteurs variés et variables : les traducteurs du MD changent en permanence (une équipe avant 2005, une équipe après, en perpétuelle mutation), les lecteurs changent (d‟abord un lectorat élitiste 2001-2004 et puis un lectorat de plus en plus diversifié, à partir de 2005 et plus particulièrement dès la fin 2007), les normes linguistiques et traductives changent selon les différents polysystèmes arabes (Moyen-Orient, Proche-Orient, Maghreb, pays du Golfe, etc.), et ainsi de suite. À cela s‟ajoutent les conditions de travail, l‟accessibilité des ressources encyclopédiques, la situation sociopolitique dans la région, les conditions de travail des traducteurs et tant d‟autres facteurs qui interviennent directement ou indirectement dans le processus de prise de décision d‟explicitation. S‟agissant des deux derniers facteurs, il convient de préciser que les décisions prises sont souvent conditionnées par le contexte de l‟époque, et que donc toute tentative d‟évaluation nous amène à réviser les jugements, tant au niveau de l‟adéquation des traductions

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proposées que des options possibles. L‟ouverture à l‟Autre et les nouvelles normes offrent de nouvelles perspectives qui n‟étaient pas forcément envisageables auparavant, comme ce fut le cas par exemple pour l‟emploi des notes de traducteur à partir de 2005. Peuvent donc coexister différentes possibilités de traduction comportant différents degrés d‟explicitation. La décision d‟expliciter est tributaire de tous ces paramètres en constante évolution. Eu égard à toutes ces considérations, la pertinence ou l‟adéquation de l‟explicitation constatée demeure une question très relative, et il faut se garder de se laisser aller à une évaluation purement subjective. C‟est d‟ailleurs ce que nous nous sommes appliqués à faire en présentant des centaines d‟exemples d‟explicitations tout au long des chapitres précédents et dans le présent chapitre. Hormis les erreurs flagrantes de traduction, les explicitations qui ne nous ont pas convaincu ont été classées sous la catégorie « tentative d‟explicitation », sans pour autant tirer à boulets rouges sur les traducteurs. Nous avons toujours tenté de comprendre le but recherché par l‟explicitation fournie, tout en faisant notre propre commentaire sur l‟adéquation de chaque cas à la finalité discursive visée, et en proposant, le cas échéant, une autre explicitation qui nous paraît plus « pertinente » dans un contexte donné. 3.1.2. Explicitation pertinente versus tentative d‟explicitation Compte tenu de ce qui précède, nous tenons à rappeler qu‟une « tentative d‟explicitation » est une décision qui n‟a pas respecté scrupuleusement les trois critères généraux : l‟équivalence de sens, l‟intelligibilité et l‟acceptabilité. Autrement dit, c‟est une explicitation qui, sur le fond, n‟a pas réussi à réduire au maximum le risque d‟ambiguïté ou d‟incompréhension qu‟aurait provoqué la traduction directe, et sur la forme, a manqué à l'une des cinq maximes de pertinence, de quantité, de qualité, de sûreté et de manière. En revanche, une explicitation « pertinente » est celle qui permet la pleine compréhension du sens de l‟énoncé qui la contient, et qui a été effectué en bonne et due forme, c'est-à-dire en respectant les cinq maximes. Sa pertinence est donc à juger à l'aune de l‟intelligibilité et de la lisibilité qu‟elle procure à l‟énoncé où elle figure. Si on estime que le lecteur moyen présumé (lecteur occasionnel de culture générale relativement modeste) comprend aisément le texte traduit grâce à cette explicitation, c‟est qu‟elle a été pertinemment dosée et savamment appliquée. Si en revanche, on a des raisons de croire qu‟il subsiste un doute ou une difficulté au niveau de l‟inférence du sens pertinent malgré l‟explicitation, ceci indique clairement que sa mission n‟a pas été dûment remplie. Et comme on ne peut pas comparer deux versions traduites du même texte du MD, selon la recommandation de Séguinot (1998) et Leuven-Zwart (1989), puisqu‟il n‟existe qu‟une seule traduction disponible, il suffit pour se convaincre globalement de la pertinence des explicitations fournies, avant de rentrer dans des analyses contextuelles plus fouillées, de relire le même énoncé ou le même texte sans elles : si le lecteur modèle présumé, ou le traductologue (en l‟occurrence nous et les éventuels lecteurs de cette thèse), s‟aperçoivent que les zones d‟ombre et les risques

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d‟ambiguïté tendent à s‟accroître en leur absence, ceci prouve a fortiori que le sens du texte est rendu plus intelligible grâce à ces explicitations qui peuvent dès lors être considérées comme « pertinentes ». Après cette mise en perspective générale, nous allons décortiquer la question de la mise en œuvre optimale de la stratégie d‟explicitation au travers de l‟application, exemples à l'appui, de nos cinq maximes que nous rebaptisons traductionnelles (à la place de conversationnelles). Lesquelles sont censés être gage d‟une bonne prise de décision aboutissant à des « explicitations pertinentes ». Nous allons étudier chaque maxime traductionnelle en articulant notre analyse autour de quatre axes principaux : l‟exposé théorique de la maxime, les difficultés réelles qui entravent sa mise en place en traduction, nos propositions de solutions, les risques liés à sa violation. Les exemples tirés du corpus interviennent au besoin tout au long de ces développements. Commençons par la maxime de la « relation » selon les termes de Grice, mais que nous préférons rebaptiser la maxime de la pertinence.

3.2. La maxime de la pertinence : Be relevant ! En vertu de cette maxime, le contenu informatif de l‟explicitation fournie doit être pertinent. Comme nous l‟avons expliqué au chapitre 3 sur le rétablissement du rapport explicite/implicite par le choix des traits pertinents (point 6-2-3-1, Ch. III), cette maxime est la cristallisation du principe de la pertinence. Elle consiste à choisir, dans la masse d‟informations contextuelles et extralinguistiques que peut recéler un quelconque nom propre, ou objet, ou référent culturel, les seuls traits saillants actualisés dans le contexte où apparait cet élément. Tous ses autres traits caractéristiques, principaux ou secondaires, ne doivent pas figurer dans l‟explicitation fournie tant qu‟ils ne sont pas visés directement par le texte dans sa partie implicite. La compréhension du sens implicite de l‟énoncé est donc la condition sine qua non de la bonne sélection du contenu pertinent. Si le traducteur ne saisit pas pleinement ou correctement le vouloir dire de l‟énoncé, il ne sera pas en mesure de déterminer les éléments contextuels et informationnels manquant à la reconstitution de ce sens, d‟où la confusion dans le choix des traits explicités. Cette confusion se manifeste généralement de deux manières : soit le traducteur apporte des informations d‟ordre générique ayant trait à la seule fonction référentielle de l‟objet, faute d‟avoir bien compris la portée sémantique de tel ou tel élément inséré dans sa trame discursive, soit il embrouille le lecteur en donnant différentes informations qui « tournent autour du pot », mais sans donner à comprendre directement le sens voulu. Ceci pourrait légitimement porter à croire que le traducteur n‟avait pas pris conscience de l‟implicite, faute de disposer de connaissances culturelles solides et adéquates. En effet, « le traducteur devra donc être sensible à tout ce qui entre dans le cadre du paradigme culturel,... », affirme Wecksteen (2005 : 209) ; il n‟en demeure pas moins vrai qu‟il risque parfois d‟être pris en défaut, par manque de maitrise du sujet traité, ou par manque d‟imprégnation de la culture étrangère dont le texte source est l‟expression, voire même par manque de temps ou de ressources documentaires. En tout cas, le mauvais choix de

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traits pertinents constitue un signe d‟une compréhension incomplète, voire même d‟une incompréhension. Pour remédier à cette situation, le traducteur devrait consacrer plus de temps à la recherche documentaire pour comprendre d‟abord les contenus implicites du texte source (les sous-dits, les non-dits et les sous-entendus) et puis déterminer avec justesse et précision les seuls éléments pertinents qu‟il conviendrait de porter explicitement à la connaissance du lecteur cible. Fournir une information ayant trait à la valeur référentielle d‟un concept donné, par l‟incrémentialisation ou la périphrase par exemple, alors que l‟information clé relève plutôt de la fonction allusive ou connotative risque de s‟avérer inutile pour la saisie du vouloir dire, créant ainsi de la redondance qui détourne encore plus le lecteur de la voie interprétative à suivre. Le risque d‟ambiguïté persiste. Déçu ou perturbé, le lecteur se résigne en poursuivant quand même la lecture dans l‟espoir de glaner au fur et à mesure d‟autres informations susceptibles d‟éclaircir cette zone d‟ombre. Si par chance, le cotexte apporte suffisamment d‟éclairage sur le point que le traducteur a laissé dans l‟ombre, exprès ou par inadvertance, le lecteur récupère l‟information perdue et va de l‟avant. Si en revanche, ni le contexte ni le traducteur n‟ont anticipé le besoin du lecteur en lui consentant, au moment et à l'endroit opportuns, cette aide communicative, la lecture se poursuit malgré tout, mais les zones d‟ombre s‟accumulent : chaque implicite non déchiffré jette de l‟ombre sur l‟énoncé suivant et ainsi de suite. Par un effet boule de neige, les « pannes » interprétatives surviennent, le lecteur s‟arrête, fait un retour en arrière pour relire la phrase en espérant mieux comprendre, puis reprend la lecture qui avance dès lors par à-coups et devient de plus en plus difficile et désagréable. Plus l‟information implicite manquante joue un rôle crucial dans la construction du sens global de l‟énoncé, plus le risque d‟ambiguïté s‟accentue. Plus les ambiguïtés se succèdent et s‟agglomèrent, plus le risque d‟incompréhension est grand. Au bout de quelques phrases incomprises, le lecteur se sent démotivé, délaissé, voire trahi par le traducteur et abandonne la lecture. Pourquoi donc les traducteurs du MD se retrouvent-ils parfois dans cette impasse ? En sont-ils conscients ? Pour répondre à ces interrogations et faute d‟avoir pu poser ses questions aux protagonistes concernés, nous nous limitons à l'analyse de la situation générale de la traduction et à la nature complexe des textes du MD, pour formuler quelques hypothèses et apporter ainsi quelques éléments de réponse. Nous sommes enclin à supposer que le manque de pertinence de l‟information donnée s‟explique en grande partie par les délais serrés impartis à la traduction qui ne laissent pas suffisamment de temps à la recherche documentaire. Notons que dans chaque article du MD, il existe au moins une dizaine d‟explicitations, toutes catégories confondues, sans compter les autres référents qui

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ont été traités par le truchement d‟autres stratégies332. La hâte avec laquelle travaillent les traducteurs du MD les pousse parfois à se contenter des informations principales générales sur les éléments culturels problématiques, laissant au lecteur le soin de déduire le sens voulu. On ne peut pas non plus exclure que les traducteurs eux-mêmes n‟aient pas compris le sens exact, et donc l‟information implicite, même après la recherche documentaire. Dans ce cas, ils partagent ce qu‟ils ont trouvé avec le lecteur en espérant que cela pourrait aider certains lecteurs attentifs à mieux comprendre le texte. C‟est toujours mieux que rien. Et lorsqu‟ils ne savent pas exactement quel trait pertinent choisir, ils se rabattent sur ce qu‟ils considéraient comme le choix de la sûreté : l‟information d‟ordre général et les faits avérés, d‟où la focalisation extrême sur les informations relevant de la valeur référentielle, la plus facile à déterminer et à obtenir. La deuxième hypothèse que l‟on pourrait émettre sur l‟explication des écarts constatés vis-à-vis de cette maxime se rapporte bien à la difficulté de textes du MD. Bien que fortement ancrés dans la culture française et occidentale, la compréhension des implicites que recèlent ces textes présentent parfois de sérieuses difficultés aux lecteurs natifs visés par le MD. Conscients de ce fait, les traducteurs du MD ne peuvent pas s‟empêcher de penser qu‟après tout, le lecteur arabe ne peut (doit) pas être plus privilégié que le lecteur natif. Si ce dernier, bien que doté d‟un bagage culturel extrêmement fourni, n‟arrive pas toujours à saisir immédiatement certains implicites et doit lui-même faire quelques recherches s‟il veut tout comprendre, le traducteur peut s‟autoriser ces petites « esquives ». Au contraire, les lecteurs arabes peuvent déjà s‟estimer chanceux de bénéficier, grâce aux explicitations, d‟informations qui font parfois défaut dans le bagage cognitif d‟un lecteur natif de même profil socioprofessionnel (étudiants ou diplômé d‟université, employés, etc.), qui n‟appartient pas au cercle restreint du lectorat du MD : élitiste, « bobo », et cultivé. En poussant l‟analyse plus loin, nous avons constaté que le problème du manque de pertinence se manifestait avec plus d‟acuité lorsqu‟il s‟agissait d‟expliciter une allusion à des faits historiques, à des personnages fictifs littéraires, à des emplois antonomasiques basés sur la relation de ressemblance entre un trait caractéristique d‟un personnage actuel et celui d‟un personnage d‟une œuvre littéraire très connue, à des emplois métonymiques basés sur la valeur symbolique d‟un référent toponymique, et à d‟autres emplois tropiques. Les exemples sont légion dans le chapitre 4, notamment ceux inclus sous les problématiques nos 2 et 3. Dans ce cas de figure, le traducteur se voit contraint d‟effectuer de longues recherches encyclopédiques afin de retrouver l‟élément contextuel auquel le texte fait précisément allusion. Cette pièce manquante s‟avère cruciale pour compléter le fameux « puzzle » du sens. Si le traducteur ne connait pas l‟histoire de France (l‟ancien Régime, la Révolution française, la Commune, les sans-culottes, les deux guerres), ni les œuvres littéraires (les romans de Zola, de Hugo, de Balzac, de Flaubert, les tragédies de Racine, les comédies de Molière, etc.), il ne pourra pas déterminer facilement ni rapidement les trait caractéristiques qui s‟actualisent dans des expressions comme « les véritables Maîtres 332

Il s‟agit surtout de la traduction directe comme stratégie principale, et puis, mais dans une moindre mesure la traduction libre et l‟adaptation.

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Jacques de l‟Etat-providence » en parlant des maires des communes danoises, « les Gavroches jouant aux Robins des bois » en parlant des jeunes rebelles des banlieues, les « appartements Zola » en parlant des appartements insalubres dans des quartiers de pauvres transformés sous l‟effet de la gentrification, etc. En effet, la recherche documentaire sur ces faits historiques ou ces personnages littéraires va révéler une foule d‟informations diverses, toutes nouvelles pour les traducteurs, mais peu sont vraiment pertinentes pour la compréhension du texte et rares sont celles que le traducteur peut insérer dans le texte, vu l‟exigence de concision de l‟explicitation. Le choix est certes difficile, notamment lorsque le traducteur les découvre pour la première fois, contrairement au traducteur cultivé et rodé à cet exercice ou au lecteur modèle natif chez qui la sélection de l‟information pertinente se fait presque spontanément à la lecture de telles références. Lire c‟est un préalable à la bonne compréhension du sens, mais élire c‟est un impératif à la bonne réexpression du sens. Dans le doute, et pour ne pas mettre en exergue une information qui pourrait être hors propos ou sans rapport direct avec le sens voulu, les traducteurs, qui détestent la prise de risque, préfèrent souvent opter pour ce qu‟ils considèrent comme une valeur sûre : une explicitation du sens référentiel par l‟ajout une information d‟ordre général. Et comprenne qui pourra ! Ce problème s‟accentue également lorsqu‟il s‟agit d‟expliciter par une périphrase substituante ou par une insertion de complément contextuel, un concept économique ou politique, que le traducteur ne connaissait pas auparavant (une politique malthusienne, keynésienne, fordiste, etc.). Il n‟est pas toujours aisé de résumer l‟essentiel de tels concepts en deux mots, notamment lorsque le traducteur lui-même ignore tout ou presque de ces notions. Nous en venons maintenant aux solutions que nous pourrions suggérer pour mieux appliquer la maxime de la pertinence. Comme nous l‟avons déjà énoncé, toute solution doit passer par une recherche encyclopédique fouillée destinée à combler les carences ponctuelles des traducteurs. Compte tenu des contraintes de délai d‟exécution de la traduction, nous pensons que l‟Internet représente un outil efficace pour trouver rapidement les informations manquantes. Sauf que la recherche doit être bien ciblée pour ne pas perdre du temps et que les sites consultés doivent être fiables pour ne pas se méprendre sur le sens voulu. Pour les petits besoins de vérification, si l‟on a déjà une hypothèse de sens, une recherche rapide sur Google ou un autre moteur de recherche, en entrant le terme ou le syntagme en question (placé entre guillemets) donne en général une réponse immédiate. Mais nous insistons sur la nécessité de croiser, malgré tout, les données de plusieurs sites. Il n‟est pas judicieux de se fier aux informations qu‟apportent un seul site, même s‟il jouit d‟une notoriété mondiale comme l‟encyclopédie en ligne Wikipédia. Pour tout ce qui a trait à la culture ou à l‟histoire de France, les traducteurs devraient privilégier la version française de Wikipédia et non la version arabe. Nous avons souvent eu l‟impression qu‟ils se fiaient à Wikipédia en arabe et que les informations n‟étaient pas toujours complètes ou

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exactes. Le recoupement des sources permet de mieux faire le tri des informations. Le traducteur devra cependant maîtriser la lecture en diagonale pour pouvoir repérer rapidement les passages intéressants. Pour les recherches les plus fouillées, nous proposons de se créer une liste de sites fiables spécialisés dans les différents domaines (dictionnaire des noms propres, glossaires spécialisés (comme le glossaire Vernimmen) pour les concepts économiques, financiers, politiques, juridiques, recueil de citations, de phrases cultes, d‟expressions métaphoriques) et de l‟enrichir au fur et mesure la recherche et la pratique de la traduction. Ce genre de sites ne s‟affiche pas toujours dans la premier page de résultats de Google ou des autres moteurs de recherche. Ainsi, selon le type du référent en question, le traducteur lance la recherche dans sa propre base de données et dans son répertoire de sites préférés. Ceci lui fait gagner un temps précieux en termes de recherche et de lecture et accroît considérablement la chance de tomber sur l‟information clé. Nous allons à présent fournir une série d‟exemples qui vont illustrer les propos précédents sur cette maxime. Ces exemples seront accompagnés de nos propositions de retraduction qui sont faites selon la démarche interprétative préconisée par la TIT et qui prennent en considération les éléments exposés dans la grille d‟analyse discursive et de prise de décision de l‟explicitation.  Exemple nº 53 : l‟allusion à des propos tenus jadis par Georges Marchais Cet exemple est extrait de l‟article du MD novembre 2008, intitulé « Les disqualifiés » dont nous avons tiré également l‟exemple nº 1. Dans cet énoncé, l‟auteur critique la position de Nicolas Baverez, un éditorialiste économique, énarque et libéral, qui persiste à dire que « la mondialisation conserve des aspects positifs », à un moment où le monde de la finance subit un échec cuisant et traverse une crise systémique sans précédent. Selon l‟auteur, une telle affirmation dans un tel contexte ne manque pas de nous rappeler Georges Marchais. Voici l‟énoncé contenant cette allusion intertextuelle que le traducteur a tenté d‟expliciter en vain, car il n‟a pas su respecter la maxime de la pertinence. « La mondialisation conserve ‫٘ اٹىعىڃ‬٦‫ ثج‬٠‫ىظتخ ٽب رياٷ حتزٮ‬٦‫"بٿّ اٹ‬ des aspects positifs», maintient-il contre vents et ‫اإلكتبثُخ" حبُش َنٵّوځب ثبظتوؽىٻ عىهط‬ marée, non sans faire penser ‫ اٹوئٌُ اٹَبثٰ ٹٺؾية‬.]2[ ‫ٽبهُّڄ‬ à Georges Marchais. (MD .ٍَ‫ٍ اٹٮوځ‬٥‫اٹُْى‬ novembre 2008)

La mondialisation conserve toujours des aspects positifs » ce qui nous rappelle le défunt Georges Marchais [2]. [2] l‟ancien président du parti communiste français.

Bien que cette note ajoutée permette bien d‟identifier ce personnage politique en répondant à une question éventuelle que se serait posée tout lecteur arabe « Qui est-ce ce Georges Marchais ? », elle ne permet pas d‟élucider le sens implicite que charrie ce nom dans l‟énoncé, autrement dit, la fonction connotative et allusive, et non celle référentielle. Nous approuvons la décision du traducteur quant à la nécessité d‟opérer une explicitation sur cette allusion, mais nous proposons

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de réajuster le contenu de la note333 pour y inclure le supplément d‟information nécessaire à la compréhension de cette allusion et non seulement à la simple identification du référent. Voici notre proposition de retraduction qui adopte la démarche interprétative dans la mesure où nous tentons d‟intégrer des indices contextuels de façon furtive, mais pas fortuite, dans le texte tout en reformulant complètement les phrases en arabe sans coller à la construction syntaxique de départ. « La mondialisation conserve des aspects positifs », maintient-il contre vents et marée, non sans faire penser à Georges Marchais. (MD novembre 2008)

ّ‫ټ څنڃ األىٽخ ٱبئالً "بٿ‬ٚ‫ بم َٖوػ يف ف‬Il déclare en pleine crise que « La

mondialisation conserve toujours des

"‫٘ اٹىعىڃ اإلكتبثُخ‬٦‫ ثج‬٠‫ىظتخ ٽب رياٷ حتزٮ‬٦‫ اٹ‬aspects positifs » ; un tel paradoxe ne ٌُ‫ ٭زنٵّوځب څنڃ اظتٮبهٱخ مبٲىٹخ ؽتبصٺخ ٹٺوئ‬manque pas de nous rappeler des propos semblables tenus par l‟ancien

‫ٍ اٹٮوځٍَ عىهط‬٥‫ اٹَبثٰ ٹٺؾية اٹُْى‬président du parti communiste ‫ يف‬:‫خ ٽڀ اظتزوعټ‬٢‫] ٽالؽ‬2[ .]2[ ‫ ٽبهُّڄ‬français Georges Marchais [2]. [2] Note ‫ بّبهح بذل رٖوَؼ ٹٺَُل عىهط ٽبهُّڄ يف‬du traducteur : en référence à une déclaration

faite

par

Georges

‫ ؤٵل ٭ُڄ ؤٿ االحتبك اٹَى٭ُيت " ال‬1979 ‫بٻ‬٥ Marchais en 1979, où il affirmait que ‫ټ‬٩‫ ه‬،"‫٘ اٹىعىڃ اإلكتبثُخ‬٦‫ ثج‬٠‫ َياٷ لتزٮ‬l‟Union soviétique conservait des aspects positifs, et ce malgré l‟échec

.‫بٻ اٹْپىرل آځناٳ‬٢‫ ٭ْٸ څنا اٹڂ‬de ce régime totalitaire à l'époque.

Pour mieux percevoir le sens de cette allusion, nous avons été amené à effectuer des recherches poussées dans les ressources disponibles en ligne. Après avoir recoupé plusieurs sources d‟informations, nous avons compris le parallèle implicite. Ensuite, nous avons essayé de synthétiser les informations recueillies de sorte à n‟exposer au lecteur arabe que ce qui l‟intéresse dans ce contexte communicatif en particulier. Grâce à l‟insertion d‟information ciblées dans le fil du discours, nous estimons que le lecteur arabe sera en mesure de percevoir, lui-aussi, le parallèle entre Nicolas Baverez et Georges Marchais, à savoir persister dans l‟erreur de jugement et faire preuve du même entêtement ou déni de réalité : le premier défend le libéralisme comme le deuxième défendait l‟Union Soviétique, malgré l‟échec patent de ces deux modèles. Ceci permet ainsi au lecteur de saisir l‟ironie du propos qui rapproche un néo-libéral d‟un communiste pur et dur. En revanche, nous n‟avons pas jugé pertinent de préciser que Georges Marchais était décédé, ni que cette phrase était tirée d‟un article publié dans « l‟Humanité » en 1979, en pleine préparation du XXIIIe congrès du parti communiste que cette phrase. Ces informations n‟auraient été d‟aucune utilité au lecteur arabe. Remarquons enfin que notre proposition de retraduction en arabe est certes plus longue que la traduction initiale en arabe, sans pour autant être excessivement longue. Il suffit de comparer le nombre des mots dans les deux versions arabes : celle faite initialement par le traducteur du MD et notre proposition. La longueur apparente de la retraduction linguistique en français est plutôt due au phénomène de l’explicitness : pour traduire en français, par exemple, le verbe arabe (dire) 333

Remarquons toutefois que cette explicitation est faite selon le procédé de la courte note du traducteur que nous déconseillons. En effet, cette courte note, si d‟ailleurs elle était suffisante, sera mieux placée au sein du texte. En plus du manque de pertinence du contenu, le choix de la technique n‟est pas approprié. Nous y reviendrons dans la maxime nº 5 (la maxime de la manière).

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conjugué au passé "‫"قبل‬, il faut écrire « il a dit », ce qui est compté comme trois mots dans sa retraduction linguistique en français, alors que ce verbe forme un seul mot dans la version arabe. Voici un autre exemple d‟une « tentative d‟explicitation », illustrant le manque de pertinence du contenu de l‟explicitation décidée, dans un contexte évoquant une autre personnalité politique, ce qui ne facilite pas l‟inférence du sens voulu dans des conditions optimales.  Exemple nº 54 : « un Jaurès de bronze souriant et vengeur » Cet exemple est extrait d‟un article du MD novembre 2008, intitulé « A contresens sur l‟autoroute des idées », que nous avons déjà présenté sous l‟exemple nº 10, Ch. III. Dans cet énoncé, l‟auteur donne un exemple du virage idéologique entrepris par le parti socialiste, mais qui joue en sa défaveur à cause de la conjoncture économique, notamment l‟effondrement du système financier. Pour appuyer ses propos, l‟auteur analyse les déclarations de l‟une de ses figures, M. Peillon, ancien porte-parole du PS, qui vient d‟être battu aux législatives dans son département de la Somme. Cependant, en commentant cette défaite électorale, motivée, entre autres raisons, par une mauvaise mutation idéologique, l‟auteur évoque l‟image d‟un Jaurès souriant et vengeur, une allusion que le traducteur a tenté d‟expliciter, mais sans y parvenir comme il se devait. Voyons pourquoi ! Un Jaurès de bronze, souriant et vengeur, se dresse sur la place de FrivilleEscarbotin. C‟était pendant l‟été 2007. M. Vincent Peillon venait d‟être battu, une nouvelle fois, aux législatives dans la Somme. (MD novembre 2008)

،]1[ ٌَ‫ َڂزٖت دتضبٷٌ ثووځيٌ صتبٿ عىه‬Une statue de bronze de Jean Jaurès ]8[, ‫٭وَٮُٸ‬

‫ٍبؽخ‬

‫يف‬

،‫وٽڂزٲټ‬

se dresse, souriant et vengeur, sur la

ٌ‫بؽٴ‬ٙ place de Friville-Escarbotin. C‟était ‫بٻ‬٦‫ اٹ‬٬ُٕ ‫ ٵبٿ مٹٴ فالٷ‬.‫ بََٶبهثىربٿ‬pendant l‟été 2007, où M. Vincent Peillon venait d‟être battu, une autre

‫ وٵبٿ اٹَُّل ٭ڂَبٿ ثُىٿ ٱل اهنيٻ‬،2007 fois, aux élections législatives dans le ‫ُخ‬٦َ‫ يف االځزقبثبد اٹزْو‬،‫ ٽوّح ؤفوي‬،‫ ٹزىّڃ‬département de « la Somme ». [1]

."ّ‫خ "اٹَىٻ‬٦ٝ‫[ ظتٲب‬1] Jean Jaurès est un homme

politique socialiste français (1859-

ٍٍ‫ هعٸ ٍُب‬Jean Jaurès ]1[ 1914), fondateur du journal L‟Humanité. Il fut assassiné à cause ،)1914-1859( ٍَ‫اّزواٵٍ ٭وځ‬ de

son

opposition

farouche

au

‫زُٸ‬٩‫ ا‬L’Humanité ‫ ٽاٌٍّ ٕؾُٮخ‬déclenchement de la première guerre .‫بظتُخ األوذل‬٦‫زڄ اٹْلَلح ٹٲُبٻ اضتوة اٹ‬ٙ‫به‬٦‫ ظت‬mondiale

La note présente des informations générales sur l‟homme politique Jean Jaurès qui ne contribuent pas vraiment à l'élucidation du sens de l‟allusion. A sa lecture, nous ne pensons pas que le lecteur arabe puisse comprendre pourquoi cet homme socialiste affiche un sourire de vengeance alors que l‟un des membres de son courant politique vient d‟être battu par un communiste. Le traducteur a sans doute mené une recherche sur ce personnage, mais il a eu visiblement du mal à trouver l‟élément informationnel pertinent. Pour ne pas laisser le lecteur sans aucun éclairage et pour « capitaliser » en quelque sorte ses efforts de recherche, il décide de partager avec le lecteur arabe les quelques informations qui lui paraissent plus ou moins significatives. Or, il est clair que l‟information sur l‟assassinat de Jean

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Jaurès et son opposition à la première guerre334 n‟explique en rien le motif de ce sourire vengeur face à la défaite électorale de Peillon. Pour trouver le maillon manquant, il nous a fallu d‟abord relire tout le texte à la recherche du sens pertinent, avant d‟entamer des recherches plus poussées. En effet, l‟auteur présente ce fiasco comme un symbole du divorce entre le PS et les classes populaires, majoritaires dans cette circonscription ouvrière. En s‟adaptant aux nouvelles tendances libérales du PS, le discours de ce socialiste est émaillé en mots comme « refondation », « modernisation », « libéralisme », alors que les mots « populaire », « classe », n‟y apparaissait pas, ce qui explique cette rupture et partant cet échec. Cette rupture ne s‟est pas opérée uniquement avec les classes populaires, mais aussi avec les idées que défendait l‟un des fondateurs socialistes, Jean Jaurès, et qui sont désormais soutenues par les communistes. Rappelons que Jean Jaurès était aussi le fondateur du journal « l‟Humanité », devenu porte-parole du parti communiste français par la suite, ce qui explique à la fois le sourire et le sentiment de revanche. La suite du texte corrobore cette analyse. Compte tenu de ces éléments, nous avons décidé d‟expliciter l‟allusion, comme l‟a fait le traducteur par une note du traducteur, mais en modulant son contenu pour convenir à la maxime de la pertinence. Voici notre proposition : Un Jaurès de bronze, souriant et vengeur, se dresse sur la place de Friville-Escarbotin. C‟était pendant l‟été 2007. M. Vincent Peillon venait d‟être battu, une nouvelle fois, aux législatives dans la Somme.

‫ َڂزٖت دتضبٷٌ ثووځيٌ ٹٺپٮٶو االّزواٵٍ عىٿ‬Une statue de bronze du penseur socialiste Jean Jaurès ]1[, se dresse,

‫ يف ٍبؽخ ثٺلح‬،‫بؽٴٌ وٽڂزٲټ‬ٙ ،]1[ ٌَ‫ عىه‬souriante et vengeresse, sur la place ‫ ؽُش ُڅيِٻ‬،‫خ اٹَىٻ‬٦ٝ‫ ٭وَٮُٸ بََٶبهثىربٿ يف ٽٲب‬de la commune Friville-Escarbotin, dans le département la Somme, où

‫ اظتُوّؼ االّزواٵٍ اٹَُّل ٭ڂَبٿ ثُىٿ ٹزىّڃ ٽوح‬M. Vincent Peillon venait d‟être .2007 ٬ُٖ‫ُخ ٹ‬٦َ‫ يف االځزقبثبد اٹزْو‬،‫ ؤفوي‬battu une autre fois, aux élections ٌَ‫ عىٿ عىه‬:‫خ ٽڀ اظتزوعټ‬٢‫] ٽالؽ‬1[ législatives de l‟été 2007.

‫ٕؾُٮخ‬

ٌٍّ‫ٽا‬

[1] Note du traducteur : Jean

،)1914-1859( Jaurès (1859-1914), fondateur du ‫ وهائل‬،(‫ُخ اٹُىٻ‬٥‫ )اٹُْى‬L’Humanité quotidien L‟Humanité (devenu aujourd‟hui communiste) et père

ً‫ وٵبٿ ٽڂبٕوا‬،‫پبٹُخ اٹٮوځَُخ‬٦‫ االّزواٵُخ اٹ‬du socialisme ouvrier français. Il ‫ڂڄ اٹَُل‬٥ ٌ٥‫ وڅنا ٽب رٲب‬،‫بٽٺخ‬٦‫جٲخ اٹ‬ٞ‫بَب اٹ‬ٚ‫ ٹٲ‬défendait les droits de la classe ouvrière, et c‟est ce que Peillon a

.‫ ثُىٿ‬manqué de faire.

L‟élément pertinent à apporter, c‟est donc la défense des droits de la classe ouvrière que soutenait Jean Jaurès et non son opposition à la première guerre. De la traduction fournie dans le texte et de la note en paratexte, le lecteur pourra comprendre que la statue du socialiste Jean Jaurès, qui fut aussi le fondateur du quotidien communiste l‟Humanité, semble se réjouir de la défaite électorale

334

Il est à noter également que cette information figure dans les premières lignes de l‟article consacré par Wikipédia à ce personnage. L‟information sur sa fondation du journal « L‟humanité » figure au milieu de ce même article, ce qui montre que le traducteur a quand même lu plusieurs passages de ce long article, à la recherche des renseignements contextuels pertinents.

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d‟un socialiste qui a pris un tournant néolibéral face à un candidat communiste, d‟où le sourire narquois de cette statue, selon les propos du journaliste. Remarquons également que nous avons explicité le toponyme « place de Friville-Escarbotin » en précisant que ce nom renvoie à une commune située dans le département de la Somme, afin de contextualiser géographiquement cet endroit qui reviendra assez souvent dans la suite du texte. En effet, c‟est dans cette commune où il y avait la bataille ouvrière de la Perche après la fermeture de la plus grande serrurerie du secteur métallurgique dans ce département. Cette explicitation en début d‟article nous dispensera de la répéter ultérieurement. Nous avons également rompu avec la pratique courante des traducteurs consistant à ajouter toujours le mot « année » avec le chiffre, qui engendre, à notre avis, une redondance inutile. Cette suppression n‟altère en rien ni la syntaxe ni l’explicitness de la phrase arabe. Examinons à présent un autre exemple où la recherche de l‟élément informationnel pertinent est beaucoup plus complexe.  Exemple nº 55 : les maitres Jacques de l‟État-providence Cet exemple est extrait d‟un article du MD octobre 2009, intitulé « Les parts d‟ombre du paradis danois», que nous avons déjà évoqué sous l‟exemple nº 30. Dans cet énoncé, l‟auteur évoque une autre brèche dans le système social danois qui risque de défigurer cet idéal nordiste. Il s‟agit du refus des maires des communes riches de payer certaines taxes, dont les recettes vont bénéficier aux communes les moins aisées. L‟auteur décrits les 98 maires du Danemark comme étant les véritables maîtres Jacques du pays. Et c‟est cet emploi antonomasique que le traducteur a tenté d‟expliciter par le biais du procédé de la substitution lexicale. Fin mai, les quatre-vingt-dix-huit maires du pays, véritables maîtres Jacques de l‟Etatprovidence, qui leur a délégué l‟exécution de nombreuses missions (crèches, écoles, soins aux personnes âgées, emploi, culture…), se sont déchirés sur la péréquation fiscale imposée aux communes les plus riches au profit de celles qui le sont moins. (MD octobre 2009)

‫ اځٲَټ هوئٍبء‬،‫ٽبَى‬/‫ ٭ٮٍ هنبَخ ّهو ؤَبه‬Fin mai /(ayar), les quatre vingtdix-huit maires, les gardiens de

ً‫ ؽوّا‬،‫ىٿ‬٦َ‫ اٹجٺلَّبد اٹضپبځُخ واٹز‬l‟Etat protecteur, à qui on a l‟exécution de ‫بَخ اٹيت ؤوٵٺذ بٹُهټ رڂٮُن‬٥‫ كوٹخ اٹو‬confié nombreuses missions (crèches,

،ً‫ ٽلاه‬،‫بځخ‬ٚ‫لَلح (كوه ؽ‬٥ ‫ ٽهپّبد‬écoles, services aux vieux, ‫) ؽىٷ‬...‫ صٲب٭خ‬،‫پٸ‬٥ ،‫ فلٽبد ٹٺپَڂٌّن‬emploi, culture…) se sont ً‫ٺ‬٥ َٗ‫وَيب اٹنٌ ُ٭ ِو‬ٚ‫لَٸ اٹ‬٦‫ اٹز‬divisés sur l‟amendement fiscal

imposé aux communes les plus

ّ‫ اٹجٺلَّبد األٵضو ََُواً ظتٖٺؾخ األٱٸ‬aisées au profit de celles moins .‫ ََواً ٽڂهب‬aisées.

Le traducteur a sans doute effectué des recherches encyclopédiques sur la signification pertinente de cette expression dans ce contexte. Il en a conclu que le sens implicite portait sur le caractère éminemment économique de la mission de ces maires consistant à gérer parfaitement et sans aucun gaspillage le budget de l‟Etat danois, d‟où la substitution du terme « gardiens » à l'antonomase « maitres- Jacques ». A partir de nos propres recherches sur ce nom, nous avons appris qu‟il s‟agissait d‟un personnage célèbre dans l‟Avare de Molière, qui était en même temps le cuisinier et le cocher d‟Harpagon et à qui celui-ci avait confié la tâche de limiter les dépenses au strict minimum. Au sens figuré, cette expression désigne également une personne qui occupe

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plusieurs emplois à la fois. En relisant le texte, nous avons estimé pertinent de préciser ces deux caractéristiques pour rendre le sens de l‟antonomase en question, c'est-à-dire être responsable de plusieurs choses (les missions confiées aux maires danois), dont notamment la gestion économique des ressources en limitant les dépenses publiques. La lecture du texte entier corrobore cette analyse, notamment la question de la limitation des dépenses. Voici notre proposition de traduction où l‟on a introduit d‟autres explicitations sur d‟autres concepts afin de rendre plus lisible le sens de ce passage, dans le respect de la maxime de la pertinence, mais aussi des autres maximes que nous allons aborder ultérieurement. Fin mai, les quatre-vingt- dixhuit maires du pays, véritables maîtres Jacques de l‟Etat-providence, qui leur a délégué l‟exécution de nombreuses missions (crèches, écoles, soins aux personnes âgées, emploi, culture…), se sont déchirés sur la péréquation fiscale imposée aux communes les plus riches au profit de celles qui le sont moins. (MD octobre 2009)

‫ ؽلس اځٲَبٻ ؽبك ثٌن‬،‫ ٭ٮٍ هنبَخ ّهو ٽبَى‬Fin mai, il y a eu une forte ‫ٌن‬٦َ‫واٹز‬

‫اٹضپبځُخ‬

‫اٹجٺلَّبد‬

division entre les quatre-vingt-

‫ هئٍبء‬dix-huit maires du Danemark, ‫ٺٌُن‬٦‫ ثٖٮزهټ اظتلثوَڀ اٹٮ‬،‫ ٹٺلفتبهٳ‬considérés comme étant les véritables

intendants

des

،‫ُخ‬٥‫بَخ االعزپب‬٥‫بٽخ ٹلوٹخ اٹو‬٦‫ ٹٺڂٮٲبد اٹ‬dépenses publiques de cet État ‫لَلح (كوه‬٥ ‫ بم ؤوٵِٸ بٹُهټ رڂٮُن ٽهپّبد‬de la protection sociale», vu les ،‫پٸ‬٦‫ اٹ‬،‫بَخ ثبظتَڂٌّن‬٥‫ اٹو‬،ً‫ ٽلاه‬،‫بځخ‬ٚ‫ ؽ‬nombreuses tâches qu‟on leur a

confiées (crèches, écoles, soins

‫لَٸ‬٦‫ اٹز‬٣‫ واٹَجت ٽْوو‬.)...‫ اٹضٲب٭خ‬aux vieux, emploi, culture …). Le ‫ڂُخ‬٪‫ٺً اٹجٺلَّبد اٹ‬٥ ٗ‫وَيب اٹنٌ َٮو‬ٚ‫ اٹ‬motif fut le projet d‟amendement fiscal qui impose aux communes

‫ بربواد رٖت يف ٽٖٺؾخ اٹجٺلَبد األٱٸ‬riches des taxes qui vont au profit .ً‫ ََُوا‬des communes moins riches.

Nous avons donc décidé de rendre le sens antonomasique par le biais du procédé de la démétaphorisation qui dépend de la technique de la paraphrase. Cette reformulation nous semble plus apte à élucider le vouloir dire de l‟auteur : gérer les nombreuses missions sociales sans gaspiller les ressources de l‟état, à travers la répartition équitable des recettes fiscales. Nous n‟avons pas cherché à préserver le véhicule métaphorique car cette expression n‟est pas utilisée par la suite du texte, ni d‟ailleurs dans les autres articles de ce numéro du MD. A vrai dire, en analysant le corpus, nous n‟avons trouvé aucune autre occurrence de cette expression, ce qui confirme l‟inutilité d‟introduire l‟usage d‟une telle expression en arabe. Remarquons d‟ailleurs que nous avons cherché à rendre plus explicite le concept politique de « l‟Çtat-providence », afin que le sens global soit entièrement compréhensible. En effet, à la lecture de tout l‟article, nous avons vu que ce concept jouait un rôle crucial et qu‟il valait mieux l‟expliciter dès la première occurrence. La proposition initiale du traducteur « l‟état protecteur » ou « l‟état des soins » "‫خ‬ٚ‫ "دٔنخ انشػب‬est davantage explicité par l‟ajout de l‟adjectif "‫خ‬ٛ‫"االخزًبػ‬ « sociale » afin de mieux rendre compte de la particularité de ce système. Quoique minimale, cette explicitation reflète la conception de base de cet État, consistant à renforcer la cohésion et la solidarité sociales. Ceci se fait par la gestion efficace des besoins essentiels de la population, comme la maladie, la vieillesse, l‟emploi, la famille, etc., laquelle se fait moyennant la

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redistribution des richesses, ce qui coïncide exactement avec le sens de l‟énoncé, évoquant cette polémique entre les maires. En comparant notre traduction avec celle du traducteur du MD, il ressort clairement que nous construisons les phrases arabes selon l‟idée que nous avons comprise et que nous voudrions transmettre à nos lecteurs et non en respectant la structure syntaxique des énoncés d‟origine. Le dire est différent, mais le vouloir dire est le même. Pour mieux illustrer la difficulté de la recherche et du choix des traits pertinents, nous allons analyser en ce qui suit une série de quatre exemples où l‟élément problématique ayant suscité une explicitation était un emploi tropique du nom de « Gavroche ».  Exemple nº 56 : Gavroche (le paria et le rebelle) Cet exemple est extrait d‟un article du MD juin 2007 intitulé « Les recettes idéologiques du président Sarkozy » où l‟auteur expose les premières mesures prises par le nouveau président Sarkozy dans le cadre de son programme politique ayant pour vocation de rompre avec les anciennes politiques du Chiraquisme. Il évoque surtout le désarroi que Sarkozy a réussi à provoquer dans les rangs de la gauche suite au ralliement à son programme de plusieurs anciens responsables du centre et du Parti socialiste. Ce faisant, Sarkozy, le président décomplexé, cherche à modifier profondément l‟équilibre politique du pays en ralliant la gauche à sa cause tout en continuant à afficher ses convictions de droite. Dans l‟énoncé suivant figurant sous le sous-titre « Maire de Neuilly et porte-parole du peuple », l‟auteur évoque les complexes de la personnalité de Sarkozy. En comparant Sarkozy à Gavroche, l‟auteur veut surtout railler l‟attitude de Sarkozy qui se définit malgré sa success-story comme un éternel paria, rejeté par son propre parti politique. « Depuis 2002, précisa il y a quelques semaines M. Sarkozy, je me suis construit en marge d‟un système qui ne voulait pas de moi comme président de l‟UMP, qui récusait mes idées comme ministre de l‟intérieur et qui contestait mes propositions » Et cette fois Gavroche a triomphé. (MD juin 2007)

‫ "ٽڂن‬: ٌ‫ؼ ٍبهٵىى‬ٙ‫ ؤو‬،٤ُ‫ ٭ٲجٸ ؤٍبث‬Il y a quelques semaines, M.

Sarkozy a précisé ceci : « Depuis

ِ‫ٺً څبٽ‬٥ ٍَ‫ ثڂُذ ځٮ‬،2002 ‫بٻ‬٦‫ اٹ‬2002, je me suis construit en marge ‫بٻٍ ال َوَلين هئَُبً ضتية االحتبك ٽڀ‬٢‫ ځ‬d‟un système qui ne voulait pas de

moi comme président de l‟Union

ٌ‫ وَو٭٘ ؤ٭ٶبه‬،‫جُخ‬٦ْ‫ ؤعٸ اضتوٵخ اٹ‬pour le Mouvement Populaire, qui ً‫ٺ‬٥ ٗ‫زو‬٦َ‫ ٵىىَوٍ ٹٺلافٺُخ و‬récusait mes idées comme ministre ‫ ٹٲل اځزٖو‬،‫ ٹٶڀ څنڃ اظتوح‬."‫ اٱزواؽبٌب‬de l‟Intérieur et qui contestait mes propositions

»

Et

cette

fois

‫ًن يف هواَخ‬٪ٕ ‫ب٭ووُ (ٽزپوّك‬٩ Gavroche a triomphé (un jeune .)‫ى‬٩‫ "اٹجاٍبء" ٹٮٶزىه څى‬rebelle dans le roman « les Misérables » de Victor Hugo).

La question ici est de savoir quel est le trait pertinent du personnage de Gavroche qui est actualisé et visé dans ce contexte. Le traducteur a fourni une explicitation sobre, d‟ordre général, axée principalement sur la fonction référentielle de ce nom propre. Elle contient néanmoins le mot « rebelle » qui est à notre avis l‟un des traits pertinents actualisés dans ce contexte.

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Or, nous avons cherché à mieux comprendre cette comparaison entre Gavroche et Sarkozy audelà du fait que les deux sont rebelles, le premier contre la monarchie de Juillet et le deuxième contre l‟establishment de son camp politique, l‟UMP. Après analyse du contexte, nous avons conclu que l‟auteur cherchait à se moquer des contradictions tant dans les déclarations que dans les actes de Sarkozy. Celui-ci se présente comme le porte-parole du peuple qui s‟insurge pour revendiquer ses droits, alors qu‟en réalité il réclame la réduction brutale de l‟impôt sur les hauts revenus, la suppression des droits de succession, etc., ce qui lui a valu le soutien infaillible du patronat du Medef et donc d‟être le porte-parole des riches et non du peuple. En outre, en commentant le fait que Sarkozy se sent rejeté par la société et le système politique, l‟auteur le compare ironiquement à « Gavroche », le titi parisien, frondeur, le verbe haut, petit et agile, symbole de la révolution, qui fut lui-aussi un paria de la société, à une différence près : le Gavroche de Neuilly a gagné la bataille car il a toujours occupé des postes élevés dans le gouvernement, depuis la mairie de Neuilly, l‟une des plus riches commune de France, jusqu'à la présidence de la République en passant par la place Beauvau, tandis que le vrai Gavroche s‟est fait tuer sur les barricades en revendiquant la liberté et l‟égalité. Pour toutes ces considérations, nous avons proposé la retraduction suivante : « Depuis 2002, précisa il y a quelques semaines M. Sarkozy, je me suis construit en marge d‟un système qui ne voulait pas de moi comme président de l‟UMP, qui récusait mes idées comme ministre de l‟intérieur et qui contestait mes propositions». Et cette fois Gavroche a triomphé. (MD juin 2007)

ٌ‫ دل َزىاٿ ٍبهٵىى‬،٤ُ‫خ ؤٍبث‬٦ٚ‫ "٭ٲجٸ ث‬Il y a quelques semaines, M. Sarkozy

n‟a pas manqué de rappeler ce désir de

‫جخ اځزجبمڃ ٱبئالً ٽڂن‬٩‫ڀ اٹزنٵًن ثو‬٥ le mettre à l'écart en déclarant ceci : « ‫بٻٍ ال‬٢‫ٺً څبٽِ ځ‬٥ ٍَ‫ ثڂُذ ځٮ‬،2002 Depuis 2002, je me suis construit en marge d‟un système qui ne voulait pas

‫ َوَلين هئَُبً ضتية "االحتبك ٽڀ ؤعٸ‬de moi comme président de « l‟Union ٍ‫ وَو٭٘ ؤ٭ٶبهٌ ٵىىَو‬،"‫جُخ‬٦ْ‫ اضتوٵخ اٹ‬pour le Mouvement Populaire », qui ‫ ٹٶڀ‬. "‫ٺً اٱزواؽبٌب‬٥ ٗ‫زو‬٦َ‫ ٹٺلافٺُخ و‬récusait mes idées comme ministre de l‟Intérieur

et

qui

contestait

mes

" ‫ٸ اظتزپوك‬ٞ‫ ٹٲل اځزٖو اٹج‬،‫ څنڃ اظتوح‬propositions » Mais cette fois, c‟est le [1]. "ُ‫ عب٭وو‬héros rebel « Gavroche » qui a triomphé. [1]

ُ‫ عب٭وو‬: ‫خ ٽڀ اظتزوعټ‬٢‫[ ٽالؽ‬1] [1] Note du traducteur : Gavroche est ‫ ّقُٖخ ٽْهىهح يف هواَخ اٹجاٍبء ٹٮُٶزىه‬un célèbre personnage du roman « les Misérables

de Victor Hugo ». Il

‫زرب هٽياً ٹٺٮىت اٹجبهٍََ اظتڂزٲل‬٦‫ ر‬،‫ څُغى‬représente le symbole du gamin ‫ ٵپب ؤهنب روٽي ٹٺضىهح اٹجبهََُخ‬،‫ اظتڂجىم‬parisien frondeur, mal aimé, mais aussi celui de la révolution parisienne

.‫ُخ‬٥‫لاٹخ االعزپب‬٦‫بٹجخ ثبٹ‬ٞ‫ واظت‬et de la revendication de la justice sociale.

Après une brève incrémentialisation interne identifiant les qualités principales de Gavroche (héros et rebel), nous avons retenu dans cette note deux traits pertinents supplémentaires : son côté frondeur et mal aimé. Remarquons toutefois que nous n‟avons pas laissé attendre le lecteur jusqu'à la fin de sa lecture du texte traduit pour lui apprendre cette information sur Gavroche. Fidèle à notre démarche interprétative, nous avons déjà incorporé dans le texte quelques mots qui

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tracent au lecteur arabophone la voie à suivre pour saisir l‟idée globale de l‟énoncé avant même de lire la note qui se trouve à la fin de l‟article, en l‟occurrence trois pages plus loin. Ainsi, nous avons choisi une formulation linguistique en début de l‟énoncé qui exprime déjà l‟idée de base que sous-tend tout l‟énoncé : « rappeler ce désir de le mettre à l'écart ». Il ne s‟agit pas d‟un ajout extralinguistique, mais d‟une reformulation basée sur l‟interprétation du sens discursif et la contextualisation de l‟énoncé, de sorte à renforcer sa cohésion avec l‟énoncé qui le précède et à préparer le lecteur à la déduction du sens de l‟allusion à la fin de cet énoncé. Il convient également de rappeler que le personnage de Gavroche recèle d‟autres traits de caractère que nous n‟avons pas jugé utile d‟expliciter dans ce contexte. C‟est ainsi que nous n‟avons pas fait ressortir une éventuelle allusion perfide à la petite taille de Sarkozy, ni le symbolisme de la Révolution française avec la politique d‟ouverture et de rupture de Sarkozy, ce qui nécessité une lecture au deuxième ou au troisième degré. En lisant le texte en entier, nous avons également perçu dans cette désignation une allusion au fait que Sarkozy revendique, dans ses discours, des figures de proue de la gauche (comme Jean Jaurès, Léon Blum), ce qui dénote une certaine une manipulation de l‟histoire de France. Mais tout cela relève de l‟exégèse et du halo de signification que chaque sujet interprétant pourrait percevoir en plus du vouloir dire objectif du texte. Notre explicitation s‟en tient à ce dernier exclusivement. Examinons à présent un autre contexte où l‟explicitation faite sur le nom de Gavroche portait sur un autre trait saillant : le mépris du danger sur les barricades.  Exemple nº 57 : Gavroche (le mépris du danger) Cet exemple est extrait d‟un article du MD novembre 2006 intitulé « La révolte des banlieues à travers les livres », où l‟auteur analyse les différentes positions des chercheurs et analystes sur les émeutes de 2005 qui ont secoué la France tout entière. Ceux-ci dénoncent un gouvernement sourd, une opposition aphone et une république daltonienne qui se voile la face lorsqu‟il s‟agit de traiter la question de la jeunesse issue des flux migratoires postcoloniaux. L‟auteur soutient, pour sa part, que cette révolte, bien qu‟elle n‟ait pas produit de slogans mémorables comme ceux de mai 68, a un message important à transmettre concernant le vrai respect des valeurs républicaines. Dans l‟énoncé suivant, il souligne cette fracture sociale et compare la hardiesse des jeunes révoltés au personnage de Gavroche dans les « Misérables » de Victor Hugo. C‟est ce fossé qui aurait été mis à nu par la révolte de 2005 : « Avec une inconscience totale, un mépris du danger qui n‟est pas sans rappeler Gavroche et qui honore la véritable République, celle de 1848, la “racaille” a crié rageusement : “La République est nue”, “Le racisme est quotidien”» (MD novembre 2006)

:‫ؼ څنا اٹْوؿ‬ٚ‫ ٱل ٭‬2005 ‫ دتوّك‬La révolte de 2005 a mis à nu cette

cassure

:

avec

une

ٍ‫لٻ بكهاٳٍ ٵبٽٸ واٍزهياء‬٥ ٍٜ‫ "و‬inconscience totale et un mépris dangers qui rappelle ‫ب٭ووُ (ؤؽل‬٪‫به َنٵّو ث‬ٞ‫ ثبألف‬des

Gavroche (un des personnages du roman « les Misérables » de ‫ ٭ٲل‬،‫ اضتٲُٲُّخ‬1848 ‫ رتهىهَّخ‬٫ّ‫ وَْو‬Victor Hugo) et qui honore la ‫ "اصتپهىهَّخ‬:‫ت‬ٚ٪‫" ث‬٣‫ب‬٥‫ ٕوؿ "اٹو‬véritable république de 1848, la « populace » a crié avec colère : « la . "‫ڂٖوَّخ څٍ ٱىد ٵٸ َىٻ‬٦‫ "واٹ‬،"‫بهَخ‬٥ république est nue », « le racisme est le pain quotidien ».

)‫ى‬٩‫ّقُّٖبد "ثاٍبء" ٭ٶزىه څى‬

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Comme dans l‟exemple précédent, par manque de recherche documentaire ou par souci de faire court, le traducteur se borne à expliciter la fonction référentielle du nom propre en faisant abstraction du sens pertinent actualisé dans ce contexte. Notre analyse de la portée sémantique de l‟allusion contenue dans le nom de Gavroche nous pousse à considérer qu‟elle joue, dans ce passage, un rôle essentiel : « l‟inconscience et le mépris du danger ». Nous y voyons une allusion au jeune Gavroche, sur les barricades, en train de récupérer des cartouches non brûlées pour ses camarades insurgés, se moquant des gardes nationaux qui le visaient. Il meurt sous les balles sans pouvoir achever sa chanson. À notre avis, c‟est cette image qui s‟active spontanément chez le lecteur natif ayant lu ce roman ou vu l‟une de ces adaptations cinématographiques. En 2005, les jeunes rebelles des banlieues n‟étaient pas plus que Gavroche intimidés par l‟énorme dispositif policier déployé pour réprimer les émeutiers ni par les menaces de faire intervenir l‟armée. Les scènes de pneus brûlés et de voitures incendiées dans les quartiers dits « chauds » rappellent plus ou moins les barricades lors de l‟insurrection républicaine de 1832. A l'instar de Gavroche, ces jeunes sont motivés par la recherche de la justice sociale et la dénonciation du racisme, du délit de faciès, des ghettos, etc., qui sont des pratiques antirépublicaines. Compte tenu de tout cela, nous proposons la traduction suivante qui nous paraît plus compatible avec la maxime de la pertinence en particulier et la démarche interprétative en général : C‟est ce fossé qui aurait été mis à nu par la révolte de 2005 : « Avec une inconscience totale, un mépris du danger qui n‟est pas sans rappeler Gavroche et qui honore la véritable République, celle de 1848, la “racaille” a crié rageusement : “La République est nue”, “Le racisme est quotidien” (13). » (MD novembre 2006)

‫ىاؽٍ يف‬ٚ‫هو دتوك ّجبة اٹ‬١‫ ٹٲل ؤ‬La révolte des jeunes de banlieues

en 2005 a révélé la fracture sociale

ِّ‫ ”٭جٶٸ‬: ٍ٥‫ اٹْوؿ االعزپب‬2005 : « avec une spontanéité totale et un ‫ رنٵوځب‬،‫به‬ٞ‫ ثبألف‬٫‫ رٺٲبئُخ واٍزقٮب‬mépris des dangers, qui nous rappelle

«

le

courage

et

la

‫ڂل اضتىاعي‬٥ ‫خ عب٭ووُ وعوؤرڄ‬٥‫ ”ثْغب‬hardiesse de Gavroche sur les ،)‫“ (يف هواَخ اٹجاٍبء‬1832 ‫بٻ‬٥ barricades en 1832 » (dans le ‫ هبب اصتپهىهَخ اضتٲُٲُخ اٹيت‬٫‫ ورزْو‬roman « les Misérables »), et qui

honore la véritable République,

“٣‫ب‬٥‫ ٭ٲل ٕوؿ ”اٹو‬،1848 ‫ ٱبٽذ يف‬celle de 1848, cette « populace » a " ،“‫وَّد اصتپهىهَخ ٽڀ ٱُپهب‬٦‫ ”ر‬: ٠ُ٪‫ ث‬crié rageusement : « la République est dénudée de ses valeurs », «Le est notre souffrance quotidienne».

.“‫بځبرڂب اٹُىٽُخ‬٦‫ڂٖوَخ ٽ‬٦‫ اٹ‬racisme

Il est clair que l‟explicitation fournie sur le nom de Gavroche n‟est qu‟un élément textuel parmi d‟autres, un maillon dans une longue chaîne interprétative qui devrait amener le lecteur à l'appréhension du vouloir dire de l‟auteur. Grâce aux différentes explicitations injectées dans le tissu textuel, notre proposition s‟inscrit ainsi dans le cadre d‟un projet de réécriture du texte, du début jusqu'à la fin, où le primat est toujours accordé à l'intelligibilité du sens et à la fluidité de la lecture. Dans l‟exemple suivant, nous allons voir comment appliquer cette maxime sur la traduction de deux références littéraires citées dans le même énoncé (les gavroches jouant aux robins des bois).

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 Exemple nº 58 : Gavroche versus Robin des bois (le rebelle et le justicier) Cet exemple est extrait d‟un article du MD août 2006 intitulé « Retour sur la grande révolte des banlieues françaises » où l‟auteur critique l‟action gouvernementale par rapport à la révolte de l‟automne 2005. Pour l‟auteur, il s‟agit avant tout d‟un problème d‟intégration. Il soutient également que les discours musclés du gouvernent et la militarisation de l‟encadrement familial ne peuvent en aucune façon être considérés comme des réponses appropriées à cette problématique. Tout ce lot de mesures policières, judiciaires et disciplinaires entretient le feu et risque de donner la fâcheuse image d‟un « État incendiaire ». Dans l‟énoncé suivant, le traducteur bute sur la traduction de l‟antonomase lexicalisée « les gavroches » qu‟il propose de rendre par « les courageux », le courage étant, selon son analyse discursive, le trait pertinent du caractère de Gavroche actualisé dans ce contexte. La réussite d‟une véritable politique publique intégrative Ŕ seule susceptible d‟effets rapides et à long terme sur les gavroches jouant aux Robin des bois avec les policiers ou les pompiers Ŕ dépend toutefois de deux conditions. (MD août 2006)

‫ بٿّ ؾتبػ اٹَُبٍخ‬،‫ ويف ٵٸ األؽىاٷ‬Dans tous les cas, la réussite de la véritable politique officielle,

‫بء‬ٞ٥‫ ووؽلڅب اٹٶٮُٺخ ثة‬،‫ٺُخ‬٦‫ اٹوشتُخ اٹٮ‬seule susceptible de produire des ً‫ٺ‬٥ ‫ىَٸ‬ٞ‫ٺً اظتلي اٹ‬٥‫خ و‬٦َ‫ ځزبئظٍ ٍو‬résultats rapides et à long terme

sur ces « courageux » qui

‫جخ "هوثڀ‬٦‫جىٿ ٹ‬٦‫بٿ" اٹنَڀ َٺ‬٦‫ "اٹْغ‬jouent le jeu de « Robin ‫خ ؤو هعبٷ‬ٝ‫ هعبٷ اٹْو‬٤‫ څىك" ٽ‬Hood » avec les policiers et les . ‫ٌن اصڂٌن‬ٝ‫ څى هڅڀ ّو‬،‫ٮبء‬ٝ‫ اإل‬pompiers,

dépend

de

deux

conditions.

Traduire les « gavroches » par « les courageux » est un jugement de valeur qui ne peut avoir sa place ici. Le traducteur semble se baser sur les scènes d‟affrontement entre les jeunes des banlieues et les forces de l‟ordre lors des émeutes. Il y voit, semble-t-il, un acte de courage qui rappelle l‟action de Gavroche face à la garde royale. Néanmoins, nous préférons mettre l‟accent sur le côté « rébellion de jeunes défavorisés » que représente le personnage de Gavroche. Cet aspect correspond mieux, à notre avis, au sens voulu. En fait, l‟auteur dénonce la stratégie répressive du gouvernement qui n‟aurait aucune retombée positive sur ces jeunes révoltés. Il ne cherche pas vraiment à vanter ni à justifier les agitations et troubles perpétrés par ces jeunes, comme le laisserait penser l‟emploi de l‟adjectif « courageux ». Il s‟agit donc d‟une révolte contre l‟oppression sociale, le racisme, la pauvreté. En s‟attaquant aux forces de l‟ordre, ces jeunes adolescents croient agir comme Robin des bois et pouvoir s‟arroger comme lui un rôle de justicier. Pour plus d‟intelligibilité et de fluidité, nous avons décidé de reformuler toute la phrase de la manière suivante :

Partie II : Chapitre V : Les techniques d’explicitation et leur mise en œuvre dans le corpus du MD 2001-2011

La réussite d‟une véritable politique publique intégrative Ŕ seule susceptible d‟effets rapides et à long terme sur les gavroches jouant aux Robin des bois avec les policiers ou les pompiers Ŕ dépend toutefois de deux conditions. (MD août 2006)

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‫بٿ اصڂبٿ ٹڂغبػ ٍُبٍخ ؽٶىٽُخ‬ٝ‫ ذتخ ّو‬Deux conditions doivent être réunies pour

assurer

la

réussite

d‟une

‫ حبُش‬،ٍ‫ىاؽ‬ٚ‫ٺُخ إلكٽبط ّجبة اٹ‬٦‫ ٭‬véritable politique gouvernementale ‫خ‬٦َ‫بء ځزبئظ ٍو‬ٞ٥‫ رٶىٿ علَوح ثة‬d‟intégration des jeunes des banlieues, qui sera en mesure de

"‫ٺً څاالء "اٹٮزُخ اظتزپوكَڀ‬٥ ،‫ وكائپخ‬produire des résultats rapides et ٤‫بٽٺهټ ٽ‬٦‫وَٲخ "هوثڀ څىك" يف ر‬ٝ ً‫ٺ‬٥ pérennes, sur ces « jeunes révoltés » .‫ٮبء‬ٝ‫خ ؤو هعبٷ اإل‬ٝ‫ هعبٷ اٹْو‬qui jouent à Robin Hood avec les policiers ou les pompiers.

Nous avons employé le procédé de la périphrase substituante « jeunes révoltés » pour rendre le sens de l‟antonomase lexicalisée « les gavroches ». La conservation du nom de « Gavroche » ne nous paraît pas indispensable pour la compréhension de la suite du texte. Nous avons également fait ressortir plus clairement l‟objectif ultime des mesures proposées par l‟auteur, à savoir la promotion de l‟intégration des jeunes des banlieues. Ceci étant l‟idée clé sur laquelle se fonde toute l‟argumentation de l‟auteur. Concernant le nom propre « Robin des bois », nous avons adopté la même proposition du traducteur, étant donné que ce personnage est plus connu en arabe sous le nom anglais que sous le nom français. Nous supposons que nos lecteurs savent bien à qui renvoie ce nom, ce qui nous dispense d‟adjoindre une explicitation supplémentaire sur cet élément. La structure syntaxique de la phrase d‟origine a été inversée pour rendre la phrase arabe plus lisible. Après cette mise en parallèle entre Gavroche et Robin des bois, le traducteur du MD 2007 a eu affaire, dans l‟exemple suivant, à une autre comparaison implicite entre Gavroche et Georges Soros, qui exploite, bien évidemment, d‟autres relations de contiguïté ou d‟opposition.  Exemple nº 59 : Georges Soros versus Gavroche Cet exemple est extrait d‟un article du MD novembre 2007, intitulé « L‟oligarchie, le parti socialiste et Bernard-Henry Lévy » où l‟auteur analyse la place importante qu‟occupe l‟intellectuel Bernard-Henry Lévy (BHL) sur la scène politique et médiatique, et notamment son influence sur l‟ouverture de la gauche au libéralisme, à l'individualisme, etc. Décrit comme étant une figure montante de l‟oligarchie naissante en France, BHL essuie des critiques virulentes de la part de l‟auteur de cet article qui pointe du doigt ses nombreuses contradictions en termes de prises de positions politiques ou de connaissances culturelles. À cet égard, l‟auteur cite l‟historien Pierre Vidal-Naquel qui écrivait ceci sur BHL dès 1979: « Qu‟il s‟agisse d‟histoire biblique, d‟histoire grecque ou d‟histoire contemporaine, M. Bernard-Henri Lévy affiche, dans tous les domaines, la même consternante ignorance, la même stupéfiante outrecuidance». Cette citation joue un rôle primordial dans la constitution du sens des énoncés suivants et du texte entier. En effet, l‟auteur va enchaîner les exemples révélateurs du phénomène BHL et du manque de connaissances historiques de ce dernier. Mais pour faire comprendre les éléments historiques cités à charge contre BHL, le traducteur devrait adopter une stratégie explicative permettant de souligner les « énormités » historiques en question, ce qui n‟a visiblement pas été fait. Analysons

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d‟abord le cas de l‟allusion à Gavroche et le contenu de l‟explicitation censé révéler ses traits pertinents dans ce contexte. Bernard-Henri Lévy estime que nous ignorons ce que nous devons au capitalisme. « On croit s‟en prendre à George Soros, avertit-il, et c‟est Gavroche qu‟on assassine. » Pas seulement Gavroche, d‟ailleurs, car le « libéralisme », ce serait aussi « les Ateliers nationaux de 1848 », « l‟appel à une presse émancipée », « le libéral Guizot faisant voter, avant la Commune, l‟abolition du travail des enfants dans les usines ». (MD novembre 2007)

‫څڂوٌ ٹُٮٍ ؤځڂب ؾتهٸ ٽب‬-‫ وَوي ثوځبه‬Bernard-Henry Lévy estime que nous ignorons ce que nous devons

:ً‫ وڅى لتنّه ٱبئال‬.‫ ځلَڀ ثڄ ٹٺوؤشتبٹُخ‬au capitalisme. Il avertit en disant : ‫ يف‬،ً‫ڀّ ؤځڂب ځڂزٲټ ٽڀ عىهط ٍىهو‬٢‫ « "ځ‬on croit s‟en prendre à George

Soros, alors que nous assassinons (symbole de la parisienne). Pas seulement Gavroche, et c‟est parce que le « libéralisme » est aussi « les Ateliers nationaux en 1848 », « l‟appel à une presse émancipée », « le libéral Guizot qui a imposé, avant la Commune de Paris, l‟abolition du travail des enfants dans les usines ».

‫ب٭ووُ (هٽي اٹضىهح‬٩ ‫زبٷ‬٪‫ ؽٌن ؤځڂب ځ‬Gavroche ُ‫ب٭وو‬٩ ٌُ‫ٺً ٵٸٍّ ٹ‬٥‫ و‬.")‫ اٹجبهََُخ‬révolution ً‫ب‬َٚ‫ ماٳ ألٿّ "اٹٺُرباٹُخ" څٍ ؤ‬،‫وؽَت‬

"1848 ‫بٻ‬٦‫ڂُخ يف اٹ‬ٝ‫پبٷ اٹىهُ اٹى‬٥‫"ؤ‬

،"‫ىح بذل ٱُبٻ ٕؾب٭خ ٽزؾوّهح‬٥‫و"اٹل‬ ‫ وٱجٸ‬،ٗ‫ُيو اٹٺُربارل اٹنٌ ٭و‬٩"‫و‬ ‫پبٹخ‬٥ ‫بء‬٪‫ بٱواه بٹ‬،ٌَ‫ٵىٽىځخ ثبه‬ ."٤‫األوالك يف اظتٖبځ‬

Il est vrai que, grâce aux œuvres de Victor Hugo, Gavroche représente désormais le symbole du gamin parisien frondeur et de la révolution parisienne. Mais cette information n‟est pas tout à fait pertinente pour saisir le rapport souligné dans cet énoncé entre le libéralisme et l‟assassinat de Gavroche. On peut comprendre globalement que Georges Soros, malgré l‟absence d‟explicitation sur ce personnage, représente le libéralisme, le monde de la finance, mais que représente vraiment Gavroche et en quoi le fait de s‟en prendre à Georges Soros ou au libéralisme, porte atteinte au symbole de la révolution parisienne. Il y a donc un manque d‟explicitation par rapport au premier personnage et un manque de pertinence par rapport à l'explicitation faite sur le deuxième. Le premier manque représente une violation de la maxime de la sûreté (nº 3) que nous allons étudions plus tard, le deuxième une violation de la maxime de la pertinence (nº 1), les deux manquements dénotent un manque de rigueur dans la manière d‟expliciter et donc une violation de la maxime de la manière (nº 5) que nous allons étudier à la fin de cette section. Pour pallier ces manques et rendre intelligible le sens des critiques de l‟auteur, nous avons décidé d‟intégrer plusieurs explicitations de façon concise dans le co-texte, dans le cadre d‟une nouvelle reformulation syntaxique de nos phrases visant à faire ressortir plus clairement les liens de causalité et les renvois anaphoriques. Voici la traduction que nous proposons :

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Bernard-Henri Lévy estime que nous ignorons ce que nous devons au capitalisme. « On croit s‟en prendre à Georges Soros, avertit-il, et c‟est Gavroche qu‟on assassine. » Pas seulement Gavroche, d‟ailleurs, car le « libéralisme », ce serait aussi « les Ateliers nationaux de 1848 », « l‟appel à une presse émancipée », « le libéral Guizot faisant voter, avant la Commune, l‟abolition du travail des enfants dans les usines ». (MD novembre 2007)

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‫څڂوٌ ٹُٮٍ ؤځڂب ؾتهٸ ٽب ځلَڀ‬-‫ وَوي ثوځبه‬Bernard-Henri Lévy estime que nous ignorons ce que nous devons au

‫ ٭ُنٵوځب ؤځڄ مبؾبهثزڂب عتب " ٱل‬،‫ ثڄ ٹٺوؤشتبٹُخ‬capitalisme, rappelant qu‟en luttant ‫ڀ ؤځڂب ځڂزٲټ ٽڀ عىهط ٍىهوً (هعٸ‬٢‫ ځ‬contre lui, « on croit s‟en prendre à Georges

Soros

(financier

et

‫ يف ؽٌن ؤځڂب‬،)ٍ‫بهثبد األٽوَٶ‬ٚ‫ اظتبٷ واظت‬spéculateur américain), alors que ‫زبٷ عب٭ووُ (هٽي ؽوَخ اٹٲىٷ‬٪‫ ځ‬nous assassinons Gavroche ‫ ماٳ‬،‫ وٹٌُ "عب٭ووُ" ٭ؾَت‬.")‫ٸ‬٦‫( واٹٮ‬symbole de la liberté de parole et

d‟action). Et c‟est aussi grâce au «

،‫ و٭ٰ هؤَڄ‬،ً‫ب‬َٚ‫ٸ ؤ‬ٚ‫ ألٿّ "اٹٺُرباٹُخ" عتب اٹٮ‬libéralisme », selon lui, que ‫ُخ ٵجًنح ٽضٸ‬٥‫ىهاد اعزپب‬ٞ‫ يف حتٲُٰ ر‬d‟importantes avancées sociales ont été possibles : «les Ateliers nationaux

‫بٻ‬٥ ‫پٸ‬٦‫ڂُخ ٹزى٭ًن اٹ‬ٝ‫پبٷ اٹىهُ اٹى‬٥‫ "ؤ‬pour l‟emploi en 1848 », « l‟appel à "‫ و‬،"‫ىح بذل ٕؾب٭خ ؽوح‬٥‫" و"اٹل‬1848 une presse libre», «l‟abolition du travail des enfants dans les usines

ٌ‫ اٹن‬٤‫ٮبٷ يف اظتٖبځ‬ٝ‫پبٹخ األ‬٥ ‫بء‬٪‫ ٱواه بٹ‬que le Ministre libéral Guizot a fait ‫ُيو" ٱجٸ ٱُبٻ‬٩" ‫ب بٹُڄ اٹىىَو اٹٺُربارل‬٥‫ ك‬voter, avant même la révolution ." 1871 ‫صىهح ثبهٌَ يف‬

parisienne de 1871».

L‟explicitation des traits pertinents du personnage « Georges Soros » dans ce contexte démontre bien la difficulté du choix des informations à fournir au lecteur. En faisant des recherches plus poussées, nous avons découvert plusieurs informations sur ce milliardaire américain d‟origine hongroise, sur ses activités de philanthropie et de spéculations sur les devises. C‟est ce dernier élément qui nous parait le plus en phase avec le contexte, son origine étant une information sans importance dans ce contexte. Ses activités philanthropiques nous mettraient plutôt sur la piste d‟un contre-sens ou d‟un contre-exemple car cela ôterait toute connotation péjorative associée à ce personnage, ce qui ne correspond pas au vouloir dire de BHL. Nous avons donc décidé d‟expliciter uniquement la facette du personnage qui sert l‟argumentation de BHL. De même, pour rester dans la pensée de BHL, il n‟est pas question ici d‟expliciter le côté révolutionnaire et « communiste » avant l‟heure de Gavroche. Au contraire, il faut mettre en exergue son goût de la liberté…En révélant les traits pertinents respectifs de deux noms propres, nous espérons apporter au lecteur des compléments contextuels qui l‟aident à percevoir le rapport improbable qu‟établit BHL entre le capitalisme représenté à juste titre par l‟une de ses figures de proue, Georges Soros et le personnage de Gavroche qui représente l‟aspiration à la liberté de parole, de pensée et d‟action. Mais, la confusion ne s‟arrête pas là, car la conception de BHL du libéralisme pose également problème. En effet, selon l‟auteur, BHL établit une relation improbable entre le libéralisme et des événements historiques qui n‟ont rien à voir ce concept. En effet, pour ce qui est des ateliers nationaux de 1848, BHL tord encore une fois le bras à l‟histoire en feignant de croire que les ateliers mis en place en 1848 correspondaient au projet de Louis Blanc (L’organisation du travail, 1939), grand défenseur du droit au travail, qui souhaitait la mise en place de coopératives de production d'ouvriers de la même profession, sans patron. Et BHL veut bien sûr voir dans ce

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projet non pas l‟expression d‟une pensée communiste et libertaire, mais l‟expression de la libre entreprise libérale. La réalité était beaucoup plus prosaïque puisqu‟il s‟est agi après la révolution de 1848 de faire face tant bien que mal au nombre considérable de chômeurs. Mais faute de capitaux et de réelle volonté politique, les ateliers nationaux n‟ont existé que six mois, sans réaliser de près ou de loin le rêve de Louis Blanc. Mais que faire maintenant pour que le lecteur arabophone comprenne que cette présentation des faits est biaisée ? Faut-il rajouter une note après l‟explicitation portant sur Gavroche pour préciser au lecteur arabophone que BHL « récupère » le personnage de Gavroche pour servir son argumentation ou peut-on compter sur la suite du texte pour l‟éclairer ? En lisant le texte dans son intégralité, nous avons décidé de laisser au texte le soin d‟expliciter cette idée, car l‟auteur multipliera les exemples sur la manipulation, voire l‟ignorance de BHL de certains faits historiques. Nous nous sommes contenté de petites injections d‟informations contextuelles sur les événements et personnages cités, comme « Gavroche », « Georges Soros », « les ateliers de 1848 », « Guizot », « la Commune ». Ces brèves explicitations devraient aider le lecteur à comprendre qu‟il s‟agit d‟une argumentation « tirée par les cheveux ». Nous allons clore cette section par cet autre exemple puisé dans le même article parlant du BHL, afin de montrer comment l‟approche interprétative permet de gérer l‟explicitation non pas ponctuellement mais sur l‟ensemble du texte.  Exemple nº 60 : Heinrich Himmler et le procès de Nuremberg Passons maintenant à la séquence textuelle suivante où l‟auteur enchaîne ses critiques acrimonieuses à l'encontre de BHL, en explicitant lui-même, les contre-vérités énoncées par ce dernier. Néanmoins, son explicitation s‟adresse au lectorat français et s‟adapte donc au bagage cognitif que celui-ci est présumé détenir. Elle comporte dès lors quelques zones d‟ombre pour le lectorat arabe, dont le bagage cognitif est évidemment moins fourni, notamment sur les sujets historiques tels que la Commune et l‟Allemagne nazie. A l‟époque, Bernard-Henri Lévy écrivait que Heinrich Himmler, qui s‟est suicidé en mai 1945, avait témoigné six mois plus tard au procès de Nuremberg... Là, il voit en François Guizot Ŕ un penseur conservateur et libéral de la Restauration Ŕ un des précurseurs de la Commune de Paris (dont, naturellement, Guizot appuya la sanglante répression). (MD novembre 2007)

ٍ‫څڂوٌ ٹُٮ‬-‫ ٵبٿ ثوځبه‬،‫ ٭ٮٍ رٺٴ اضتٲجخ‬A l‟époque, Bernard-Henri Lévy

écrivait que Heinrich Himmler

‫ ٱل ٵزت ؤٿّ څبَڂوَِ قتٺو ٱل ؤكذل‬avait témoigné au tribunal de ‫ ؤٿّ څنا‬٤‫ ٽ‬،٧‫ ثْهبكرڄ يف ػتٶپخ ځىهٽرب‬Nuremberg, alors que ce dernier

s‟était suicidé six mois plus tôt, en

‫ األفًن ٵبٿ ٱل اځزؾو ٱجٸ مٹٴ ثَزخ‬mai (ayar) 1945... dans un autre ‫ ويف‬...1945 ‫بٻ‬٥ ‫ٽبَى‬/‫ يف ؤَبه‬،‫ ؤّهو‬contexte, il voit en « Guizot », le

٠‫ اظتٮٶّو احملب٭‬،"‫ُيو‬٩" ‫ ٽٶبٿٍ آفو َوي يف‬penseur conservateur et libéral de l‟époque

du

retour

de

la

‫ىكح اظتٺٶُّخ‬٥ ‫ واٹٺُربارل يف ٽوؽٺخ‬Monarchie (Restauration), et la ،‫َىٹُى‬/‫ وٽٺٶُّخ دتىى‬restauration monarchie de juillet, un des pionniers de la Commune de Paris

‫ ؤَّل‬٤‫ج‬ٞ‫( ؤؽل هوّاك ٵىٽىځخ ثبهٌَ (اٹيت ثبٹ‬dont évidemment, Guizot a .)‫هب اٹلٽىَخ‬٦‫پٺُخ ٱپ‬٥ ‫ُيو‬٩ appuyé la sanglante répression).

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Force est de constater que l‟auteur s‟est chargé d‟expliciter pour son lecteur natif le trait pertinent concernant « Guizot » et le sens de l‟ironie dans le soi-disant soutien de ce personnage à la Commune. En revanche, en tablant sur le bagage cognitif de son lecteur, l‟auteur n‟a pas jugé nécessaire de donner aucune explicitation sur « Heinrich Himmler » ni sur le procès de Nuremberg. De son côté, le traducteur arabe devrait procéder à une réévaluation de la nécessité de telles références historiques, distance culturelle oblige. Bien que l‟idée générale reste déductible du contexte, le lecteur sent que quelque chose lui échappe puisqu‟il ignore tout ou presque sur ce personnage et sur ce procès. Afin de conjurer ces éventuels risques d‟ambiguïté, nous proposons d‟expliciter les traits pertinents sur ces références, tout en tenant compte des explicitations précédentes apportées dans notre proposition de retraduction. A l‟époque, Bernard-Henri Lévy écrivait que Heinrich Himmler, qui s‟est suicidé en mai 1945, avait témoigné six mois plus tard au procès de Nuremberg... Là, il voit en François Guizot Ŕ un penseur conservateur et libéral de la Restauration Ŕ un des précurseurs de la Commune de Paris (dont, naturellement, Guizot appuya la sanglante répression). (MD novembre 2007)

ٍ‫څڂوٌ ٹُٮ‬-‫ ٵبٿ ثوځبه‬،‫ ٭ٮٍ رٺٴ اضتٲجخ‬A l‟époque, Bernard-Henri Lévy

écrivait que Heinrich Himmler,

٣‫ اٹنها‬،‫ ٱل ٵزت ؤٿّ څبَڂوَِ قتٺو‬bras droit de Hitler, avait ‫ُخ‬ٚ‫ ٱل ؤكذل ثْهبكرڄ يف ٱ‬،‫ األنتڀ عتزٺو‬témoigné au procès de « Nuremberg »

contre

les

،‫ل ٵجبه اظتَاٹٌن اٹڂبىٌَن‬ٙ ،"‫ "ځىهٽربط‬principaux responsables nazis, ‫ يف‬،‫ ؤځّڄ اځزؾو ٱجٸ مٹٴ ثَزخ ؤّهو‬٤‫ ٽ‬alors qu‟il s‟était suicidé six mois ‫ واِٿ َوَل ؤٿ َوي‬...1945 ‫بٻ‬٥ ‫ ٽبَى‬plus tôt, en mai 1945... Maintenant,

il veut voir en François Guizot -

‫ اٹٺُربارل‬٠‫ اظتٮٶّو احملب٭‬،‫ يف ٭واځَىا عُيو‬penseur conservateur et libéral de ‫ ؤؽل هوّاك صىهح‬،"‫ىكح اظتٺٶُّخ‬٥" ‫ يف ٭زوح‬l‟époque du « retour de la

Monarchie » - un pionnier de la

‫هب‬٦‫پٺُخ ٱپ‬٥ ‫ ؤٿ عُيو ؤََّل‬٤‫ ثبهٌَ (ٽ‬révolution parisienne (alors même .)ٌ‫ اٹلٽى‬que Guizot en approuva la sanglante répression).

Remarquons que nous avons supprimé le point d‟exclamation qu‟avait introduit le traducteur du MD à la fin de l‟énoncé car nous estimons que le lecteur attentif est à même de percevoir l‟ironie dans cette assertion : Guizot ne peut pas être à la fois un pionnier de la Commune et un partisan de sa répression. Ce même Guizot décrit dans le paragraphe précédent comme le précurseur de la Commune. Le lecteur se rendra compte que BHL présente une lecture tendancieuse et biaisée de ces événements pour redorer l‟image du libéralisme. Par ailleurs, nous avons traduit la Commune par la périphrase « la révolution parisienne » comme dans l‟exemple précédent, mais sans préciser la date de cet événement. Ainsi, plus le contexte cognitif évolue, plus l‟explicitation régresse, car le lecteur a déjà assimilé dans son bagage cognitif pertinent les informations fournies sur tel ou tel référent. Enfin, Les guillemets pratiquées autour de "‫ « "َٕسيجشج‬Nuremberg » et de "‫خ‬ٛ‫ « "ػٕدح انًهك‬Retour de la Monarchie » servent à indiquer aux lecteurs arabes qu‟il s‟agit de dénominations propres, la première désignant le procès et la deuxième le régime politique en place à l'époque. C‟est notre propre manière de souligner ces traductions directes par report ou par calque. Pour plus de lisibilité et par certitude que les informations ajoutées sont des faits avérés, nous avons inséré la

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périphrase sur Heinrich Himmler, le complément contextuel sur le procès de Nuremberg dans le fil du texte, entre deux virgules, sans guillemets ni parenthèses.335. Nous allons nous pencher à présent sur l‟analyse de la maxime de la qualité qui consiste justement à s‟assurer de la véracité de l‟information fournie et à l'incorporer dans le texte reformulé plus librement du point de vue syntaxique, mais tout à fait fidèlement au texte source du point de vue sémantique.

3.3. La maxime de la qualité En vertu de la maxime de la qualité, l‟explicitation fournie doit être correcte. Le traducteur lit le texte, interprète le sens, effectue des recherches documentaires pour combler quelques lacunes culturelles ou vérifier quelques hypothèses de sens, analyse le contexte d‟accueil, le bagage cognitif supposé du lectorat cible, le co-texte entourant l‟élément problématique à expliciter, émet des hypothèses sur la coopération interprétative du lecteur par rapport à l'inférence du sens à partir des indices contextuels disponibles, sur les risques éventuels s‟il n‟explicite pas, et prend ensuite la décision finale de l‟explicitation adéquate à fournir dans ce contexte. Ce mécanisme est commun à toutes les prises de décisions d‟explicitation, mais ce qui nous intéresse particulièrement ici, c‟est que le contenu de l‟explicitation doit impérativement être correct du point de vue informationnel et compatible du point du vue discursif. En tant que médiateur interculturel, le traducteur doit se garder de fournir, en opérant une quelconque explicitation, des éléments inexacts ou non vérifiés, induisant le lecteur en erreur au lieu de l‟aiguiller vers la bonne interprétation du sens. Pour bien veiller au respect de cette maxime, le traducteur devrait posséder des connaissances solides et suffisantes sur le sujet dont traite le texte à traduire et sur le référent concerné par l‟explicitation. Dans ce sens, Margot insiste sur la compétence du traducteur à assurer cette prestation, puisque pour lui l‟explicitation est un « procédé de développement explicatif d‟un texte par une personne compétente pour rendre de grands services, en aidant le lecteur moyen à tirer un meilleur parti des richesses de ce texte» Margot (1979 : 107). Vu la grande variété des domaines abordés dans les textes du MD, et à défaut de pouvoir se spécialiser dans toutes les disciplines, l‟étape de la recherche documentaire représente un préalable indispensable à toute traduction pour supplémenter les carences encyclopédiques. Comme nous l‟avons souligné sous la maxime de la pertinence, cette recherche permet aux traducteurs du MD de se documenter davantage sur les référents culturels ou les concepts en question, en se fondant sur plusieurs sources fiables et concordantes, afin de bien comprendre le sens pertinent et de fournir ensuite une explicitation exacte.

335

Nous y reviendrons avec plus de détails sur la manière d‟insérer l‟information sans déclaration sous la maxime de la manière (nº 5). En effet, nous commençons par traiter tout ce qui relève du fond et du contenu de l‟explicitation sous les quatre premières maximes, en consacrant la dernière à tout ce qui concerne la forme et la présentation de l‟explicitation.

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Et il arrive que cela ne soit pas chose facile lorsqu‟il s‟agit de personnages historiques. Aussi bien les traducteurs arabes que leurs lecteurs (hormis ceux, de deux bords, qui sont versés dans la culture française) ignorent tout ou presque de personnages comme Adolph Thiers (Ex. nº 64, Ch. V), Jean Jaurès (Ex. nº 54, Ch. V), ou d‟événements comme « mai 68 » (Ex. Tab. 10, Ch. IV), etc. Les écrits historiques reflètent souvent des avis assez différents sur certains personnages ou événements historiques controversés. Le traducteur risque de tomber par hasard sur un article qui s‟affiche en début de la liste des résultats de recherche et qui met en avant un aspect bien particulier d‟un personnage ou d‟un fait historiques, ce qui influe sur sa compréhension du sens pertinent du texte en question. Si le traducteur adopte ce point de vue sans affiner sa recherche ni recouper les informations recueillies, il risque de se tromper336. Il arrive parfois que la ressemblance de noms ou de désignations induise le lecteur en erreur et le mette sur une mauvaise piste (voir ci-dessous, les exemples nos 61, 62, 63, 64, Ch. V). Il en va de même pour certains concepts économiques (la politique malthusienne, keynésienne, les RTT, la semaine de 35h, etc.) où l‟on peut tomber sur des articles vantant les mérites de ces mesures, mais aussi sur d‟autres articles soutenant des avis opposés. La couleur politique (de droite ou de gauche) et le courant idéologique (communiste, frontiste, etc.) conditionnent souvent les partis pris en (dé)faveur de telle ou telle politique. La meilleure parade à ce risque réside, comme nous l‟avons souligné plus haut, dans le croisement des données collectées et la consultation des sources spécialisées et non les sites amateurs ou les blogs. D‟où la nécessité impérieuse pour chaque professionnel de la traduction de se constituer sa propre liste de références en ligne. Il va sans dire que les dictionnaires linguistiques bilingues sont totalement inopérants pour ce genre de besoins informatifs, étant donné que la problématique qui se pose ici se situe dans un cadre extralinguistique et non terminologique. Une explicitation correcte apporte ainsi la preuve de la bonne compréhension que le traducteur a du sens de l‟énoncé ou du texte, de sa compétence culturelle et du degré de son sérieux et de son implication dans la recherche documentaire. En revanche, une explicitation erronée ou inexacte sape la confiance du lecteur, défigure le sens du texte au lieu de le transmettre fidèlement et 336

Ainsi, en faisant des recherches sur Adolphe Thiers, on peut apprendre qu‟il a ordonné l‟écrasement de la Commune, comme on peut lire qu‟il a contribué aux trois glorieuses et à l'instauration de l‟ordre institutionnel après l‟effondrement de la Restauration, et que même une des rue du 16 e arrondissement de Paris porte son nom. Nous avons vu également que Jean Jaurès était un homme politique qui représente une sorte de socialisme mêlé de marxisme, que le PC le considère comme une figure emblématique de son parti tandis que Sarkozy le cite aussi dans ses discours d‟homme politique de droite. Les traducteurs tentent dans ce cas de se réfugier dans les informations générales qui ne sont pas controversées. Dans d‟autres cas, comme pour l‟événement historique désigné habituellement par « mai 68 », les traducteurs renoncent à l'expliciter. En effet, en faisant des recherches sur ce fait sociopolitique, on découvre que certains le considèrent comme le symbole de l‟esprit libertaire, de l‟hédonisme, du féminisme, etc., tandis que d‟autres y voit le symbole du désordre, de la pagaille, de la « chienlit » dénoncée par De Gaulle, etc. Ces éléments contrastés dissuadent parfois le traducteur d‟expliciter davantage ces référents de crainte de se tromper.

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pleinement et porte atteinte à l‟image de l'auteur en lui prêtant des propos erronés, notamment lorsque cette explicitation incorrecte n‟est pas déclarée dans le texte entre parenthèses ou guillemets. Prévue au départ comme une solution pour combattre le risque d‟ambiguïté et d‟incompréhension, l‟explicitation mal documentée peut se muer rapidement en risque d‟ambiguïté et d‟incompréhension bien plus grave que le risque initial. Contrairement à la maxime de la pertinence dont la violation constitue un des travers récurrents dans la traduction du MD, la transgression de la maxime de qualité constitue plutôt une erreur grave de traduction et non seulement une brèche dans la qualité de l‟explicitation rendue. Selon le degré de gravité de l‟erreur commise, une « énormité » historique ou politique peut être lourde de conséquences, tant pour la réputation professionnelle du traducteur que pour l‟éditeur qui doit rectifier cette erreur dans les éditions ultérieures. Ceci dénote le manque de professionnalisme du traducteur et de l‟éditeur qui n‟ont pas su effectuer les travaux de révision nécessaires avant la publication. C‟est sur ce point que nous voudrions mettre davantage l‟accent, dans la mesure où il constitue l‟une des solutions qu‟on pourrait envisager pour éviter de contrevenir à cette maxime. Il est vrai que les traducteurs du MD ne courent aucun risque, puisqu‟ils ne signent pas leurs traductions tout comme d‟ailleurs l‟éditeur qui n‟a jamais fait l‟objet de critiques traductologiques ou journalistiques, mais ce manque de responsabilisation ne doit pas cependant justifier de tels écarts fortement réprimandés du point de vue éthique et moral. 3.3.1. Le manque de révision Afin de s‟assurer de l‟exactitude de l‟explicitation apportée en particulier et la qualité de la traduction produite en général, le traducteur devrait relire le texte traduit en entier dans le cadre d‟un processus d‟auto-évaluation. Selon Fayol (1992 : 113) : « cette lecture-évaluation conduit à la décision soit de laisser le texte en l‟état, soit de le modifier. Dans ce dernier cas, les modifications peuvent consister soit en révision (editing) soit en réécriture. Il peut s‟ensuivre ou non une amélioration du produit initial ». De son côté, Hurtado (1990 : 70) qualifie ce travail de révision comme une deuxième étape interprétative, nécessaire pour s‟assurer de la création des justes équivalences de sens337 : « le traducteur après avoir reformulé, peut toujours vérifier si sa réécriture rend bien le sens de l‟original. Ainsi, il existe en réalité deux phases interprétatives dans la traduction écrite : dans la première, on interprète l‟original pour le comprendre, dans la deuxième on interprète la réécriture pour vérifier si elle rend bien l‟original ». 337

Par ailleurs, le processus de prise de décision de l‟explicitation dépend de la relation bilatérale entre le texte source et le texte cible dans un mouvement de va et vient continu entre les deux à la recherche de l‟équivalence de sens et d‟effet. Le texte source n‟est pas, comme le considère Vermeer, une simple « offre d‟information » qui sera transformée, partiellement ou entièrement, en une « offre d‟information » à l‟intention du public cible (Vermeer 1982) [cité in Nord 2008 : 24]. Pour nous, la version finale ne vaut que si elle reste gagée sur le sens du texte d‟origine. En d‟autres termes, c‟est le texte source qui servira de mesure et de jauge de l‟équivalence, tandis qu‟on évalue le degré de l‟explicitation et son contenu à partir de la finalité accordée au texte d‟arrivée.

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Dans le même sillage, Delport conseille au traducteur de « soumettre au contrôle le texte qu‟il vient de produire, de soupeser qualitativement et quantitativement les informations fournies par l‟un et l‟autre texte, de vérifier si les effets sont du même ordre pour les lecteurs des deux versions» (Delport 1989 : 55). Cette confrontation permet de vérifier la juste pondération de l‟explicite et de l‟implicite ainsi que l‟équivalence de sens et d‟effet, autrement dit, assurer la pertinence de l‟explicitation sur le fond et relever une quelconque contradiction entre l‟explicitation fournie et les autres indices contextuels disponibles dans le texte. C‟est d‟ailleurs ce que préconisait Israël : « une fois le transfert achevé, il convient non seulement de jauger la qualité du nouveau texte en soi mais aussi de le confronter à l‟original pour considérer leur degré d‟équivalence et rectifier tout glissement éventuel survenu pendant la déverbalisation ou la reformulation. Étape peut-être la plus délicate car, dans l‟un et l‟autre cas, le traducteur est conduit à exercer son sens critique vis-à-vis de sa propre production » (Israël 1999 : 27-28). Une fois cette étape passée, il revient à l'éditeur de faire une dernière révision du texte traduit, peut-être pas au niveau du sens, l‟éditeur étant souvent monolingue, mais plutôt au niveau des normes de présentation, des normes traductives en vigueur sur les noms propres par exemple, les notes du traducteur, etc. Comme nous l‟avons déjà dit, de telles normes déterminent aussi bien l‟acceptabilité que la fonctionnalité du texte traduit dans son nouveau monde d‟accueil. Et c‟est surtout aux éditeurs de veilleur à leur respect pour pouvoir vendre leur produit, si la traduction s‟inscrit dans le cadre d‟un projet à but lucratif, ou pour concrétiser l‟objectif assignée à ce projet, si celui-ci est animé par une vocation politique ou culturelle (tourisme, découverte, propagande, etc.). Nous allons dès à présent fournir une série d‟exemples contextualisés illustrant différents cas de figure du manque de respect de cette maxime, ainsi que nos propositions pour y remédier.  Exemple nº 61 : le jaune et le gréviste Cet exemple est extrait d‟un article du MD octobre 2009, intitulé « Ils n‟ont plus leur portrait sur les murs de nos villes » où l‟auteur commente l‟ouvrage-album de Delport, intitulé « le monde ouvrier s‟affiche ». L‟auteur de l‟article analyse le phénomène de disparition des images des ouvriers ordinaires des écrans de télévision, des murs des villes, depuis les années 90. La personnalisation de la vie publique a raréfié la représentation des sans-voix, les portraits de groupes qui étaient omniprésents dans les tracts syndicaux et les journaux. Dans l‟énoncé suivant, l‟auteur décrit ce genre de portrait qu‟on avait l‟habitude de voir en guise de représentation des activités quotidiennes auxquelles se livraient ces ouvriers dans leurs usines. Le traducteur a buté sur la compréhension du sens de l‟expression « un cocard infligé par un jaune ». Il a dû faire des recherches pour combler ses lacunes, mais il s‟est engagé dans une mauvaise piste, engendrant une erreur de compréhension et donc d‟explicitation. Voyons ce qu‟il a écrit :

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Les organisations politiques et syndicales donnaient à voir les travailleurs ordinaires ; elle suggéraient au passant de s‟identifier à ces hommes et femmes inconnus saisis dans l‟action, à leur regard tourné vers l‟avenir, penché sur la machine, assombri par la fureur, noirci par le charbon ou lesté d‟un cocard infligé par un « jaune ». (MD octobre 2009)

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‫ّپبد اٹَُبٍُّخ واٹڂٲبثُّخ ٵبځذ رُربِى‬٢‫ ٭بظتڂ‬Les organisations politiques et syndicales

montraient

des en de s‟identifier à ces hommes et femmes inconnus, pris en photos lors de l‟exercice de leurs activités, le regard tourné vers l‟avenir ; ou penchés sur leurs machines, les traits assombris par la fureur ou noircis par le charbon ou portant l‟insigne jaune imposé aux juifs lors de l‟occupation nazie.

‫ ٽىؽُخً ٹٺپبهّح ؤٿ َزپبڅىا‬،‫بكٌَن‬٦‫پّبٷ اٹ‬٦‫ اٹ‬travailleurs ordinaires, suggérant aux passants ‫ اٹنَڀ‬،‫ څاالء اٹوعبٷ واٹڂَبء اجملهىٹٌن‬٤‫ٽ‬ ‫پٺهټ‬٥ ‫بد‬ٝ‫ ځْب‬ٍٜ‫ذ ٕىهڅټ و‬ٞ‫اٹزٲ‬ ‫ َڂؾڂىٿ ٭ىٯ‬،‫ بذل اظتَزٲجٸ‬٤ّ‫ٺ‬ٞ‫واهتټ رز‬٢‫وځ‬

‫ت ؤو‬ٚ٪‫ وشتبهتټ ٱبرِپخ ٽڀ اٹ‬،‫آالهتټ‬

‫ٍىكاء ٽڀ اٹٮؾټ ؤو ؽبٽٺخً اٹْبهح اٹٖٮواء‬ ‫اٹيت ٵبٿ َٺيٻ هبب اٹُهىك بثّبٿ االؽزالٷ‬

.ٌ‫اٹڂبى‬

Il n‟est évidemment pas question ici de l‟étoile jaune dont les nazis avaient imposé le port aux Juifs. Le cocard est tout simplement un œil au beurre noir, provoqué par un coup de poing décroché par un ouvrier opposé à la grève à un gréviste. Et le nom de « jaunes » pour désigner les briseurs de grève, toujours employé aujourd‟hui, remonte aux ouvriers embauchés pour briser les grandes grèves de 1870 dans les teintureries d'Izieux, dont la tenue de travail était imprégnée de soufre jaune, ce qui les révélait immédiatement comme traîtres à la cause syndicale. Cette information sur l‟origine de l‟expression n‟intéresse a priori pas le lecteur arabe : la lui fournir serait une entorse à la maxime de la pertinence. Pour rectifier cette « tentative » d‟explicitation, nous avons reformulé tout le texte afin d‟y insérer l‟information correcte nécessaire à l‟évocation de l‟image voulue. Les organisations politiques et syndicales donnaient à voir les travailleurs ordinaires ; elles suggéraient au passant de s‟identifier à ces hommes et femmes inconnus saisis dans l‟action, à leur regard tourné vers l‟avenir, penché sur la machine, assombri par la fureur, noirci par le charbon ou lesté d‟un cocard infligé par un « jaune ». (MD octobre 2009)

‫اٹَُبٍُّخ‬

‫ّپبد‬٢‫اظتڂ‬

‫ٵبځذ‬

‫بظتب‬ٞ‫ ٭ٺ‬Les

‫بكٌَن يف‬٦‫پّبٷ اٹ‬٦‫هو ٕىه اٹ‬٢‫واٹڂٲبثُّخ ر‬ ‫و اظتبهح وٵإهنټ َزپضٺىٿ‬٦ُْ‫ ٭‬،‫ٵٸ ٽٶبٿ‬ ‫يف څاالء اٹوعبٷ واٹڂَبء اجملهىٹٌن‬ ‫ ٽڀ فالٷ‬،‫پبعتټ‬٥‫ٺٌن يف ؤكاء ؤ‬٪ْ‫اظتڂ‬ ‫ ؤو اظتزىعهخ‬،‫خ ٹٺپَزٲجٸ‬٦‫ٺ‬ٞ‫وهتټ اظتز‬٢‫ځ‬

‫ت ؤو‬ٚ٪‫ اظتٶٮهوح ٽڀ اٹ‬، ‫ؿتى اِٹخ‬

‫اظتَىكح ٽڀ اٹٮؾټ ؤو اظتيهٱخ عواء ٵلٽخ‬ .‫واة‬ٙ‫رَجت هبب ؤؽل ٵبٍوٌ اإل‬

organisations politiques et syndicales cherchaient toujours à montrer partout des photos de travailleurs ordinaires ; les passants ont le sentiment de s‟identifier à ces hommes et femmes inconnus, plongés dans leurs activités, à travers leur regard tourné vers l‟avenir ou penché sur leur machine, assombri par la fureur ou noirci par le charbon ou bleuâtre à cause d‟un coup de poing infligé par un briseur de grève.

Nous avons donc opté pour le procédé de la démétaphorisation en gommant la trace de l‟expression originale au profit d‟une périphrase définissant le sens voulu. Pour compenser la perte stylistique de la phrase d‟origine en ce qui concerne l‟emploi des adjectifs des couleurs (assombri, noirci, jaune), nous avons ajouté une nouvelle couleur en parlant du bleu autour de l‟œil dû au coup infligé, à la place de la couleur « jaune » désignant les briseurs de grèves. Ainsi, par cette reformulation plus explicite, nous espérons réduire au minimum possible tant la perte sémantique que stylistique. En revanche, l‟explicitation fournie par ce traducteur sur le terme

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« jaune » avait bien sa place dans la traduction de l‟expression « l‟insigne jaune » figurant dans le passage suivant.  Exemple nº 62 : l‟insigne jaune Cet exemple est extrait d‟un article du MD avril 2005, intitulé « Ainsi Hitler acheta les Allemands », où l‟auteur parle de la politique mise en place par Hitler visant à piller les biens des juifs en particulier et des pays de l‟Europe attaqués, pour s‟assurer la loyauté de ses troupes. Dans cet énoncé, l‟auteur défend l‟acteur Wolf Goette, accusé à tort d‟avoir cautionné et soutenu les activités des pilleurs nazis. Pour ce faire, il le compare d‟abord à Heinrich Böll et explique ensuite son dégout vis-à-vis de la stigmatisation des juifs à l'époque nazie. Cependant, le traducteur n‟a pas explicité ces éléments invoqués à la décharge dudit acteur, ce qui occulte plus ou moins le sens global de l‟énoncé. Voici l‟extrait d‟origine : L‟acteur Wolf Goette, cité dans le chapitre sur les pillards satisfaits de Hitler, était aussi éloigné de l‟idéologie nazie que Heinrich Böll. Il trouvait toujours la politique allemande « à vomir » et éprouvait un « sentiment de honte épouvantable » quand il croisait une personne portant « l‟insigne jaune ». (MD avril 2005)

‫ اظتنٵىه يف اٹٮٖٸ‬،‫ىٌب‬٩ ٬‫ بٿ اظتپضٸ ووٹ‬L‟acteur Wolf Goette, cité dans le chapitre consacré aux pillards

‫ٌن عتزٺو اٹنَڀ‬٦‫ اظتقّٖٔ ٹٺڂبڅجٌن اٹزبث‬appartenant à Hitler qui ont ‫ٲُلح‬٦‫ڀ اٹ‬٥ ً‫ُلا‬٦‫ ٵبٿ ث‬،‫جبهتټ‬٩‫ىا ه‬٦‫ ؤّج‬assouvi leurs désirs, était aussi

éloigné du dogme nazi que

.‫ڂهب‬٥ ‫ُلًا‬٦‫ اٹڂبىَخ ثٲلهٽب ٵبٿ څڂوَٴ ثىٷ ث‬Heinrich Böll. Il trouvait ‫ ٵبٿ كائپبً كتل اٹَُبٍخ األظتبځُخ "ٽضًنح‬toujours la politique allemande « "‫به‬٦‫ىه هڅُت ثبٹ‬٦ّ" ‫ وٵبٿ َڂزبثڄ‬،"‫ ٹٺزٲُّا‬à vomir » et éprouvait un « sentiment horrible de honte » à

‫ ٵٺّپب اٹزٲً ثْقٔ لتپٸ "االّبهح‬chaque fois qu‟il croisait une ."‫ اٹٖٮواء‬personne portant « le signe jaune ».

Bien que l‟idée générale reste déductible du contexte, cette traduction laisse le lecteur arabe perplexe concernant le nom de Heinrich Böll qu‟il ignore sans doute et le dégout de l‟acteur provoqué par cet « insigne jaune ». Nous avons cherché dans le contexte immédiat et dans le macrocontexte d‟éventuels indices contextuels pouvant venir à la rescousse du lecteur, mais nous n‟en avons pas trouvé. Pour pallier ces insuffisances et éluder le risque d‟ambiguïté, nous proposons de retraduire cette séquence de la manière suivante :

Partie II : Chapitre V : Les techniques d’explicitation et leur mise en œuvre dans le corpus du MD 2001-2011

L‟acteur Wolf Goette, cité dans le chapitre sur les pillards satisfaits de Hitler, était aussi éloigné de l‟idéologie nazie que Heinrich Böll. Il trouvait toujours la politique allemande « à vomir » et éprouvait un « sentiment de honte épouvantable » quand il croisait une personne portant « l‟insigne jaune ». (MD avril 2005)

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‫ اٹنٌ وهك اشتڄ‬،‫ىٌب‬٩ ٬‫ بٿ اظتپضٸ ووٹ‬L‟acteur Wolf Goette, dont le nom est cité, à tort, dans le chapitre

‫ٌن‬ٙ‫ ٭وَخ يف اٹٮٖٸ اظتقّٖٔ ٹٺڂبڅجٌن اٹوا‬consacré aux pillards satisfaits de ‫ڀ اٹٮٶو‬٥ ‫ل‬٦‫ُلاً ٵٸ اٹج‬٦‫ ٵبٿ ث‬،‫ڀ څزٺو‬٥ Hitler, était aussi éloigné de ٌ‫اٹڂبىٌ دتبٽبً ٵبٹٶبرت څبَڂوَِ ثىٷ اٹن‬

‫زرب څنا‬٥‫بظتب ا‬ٞ‫ ٭ٺ‬.‫وڃ‬٪ٕ ‫بهٗ اٹڂبىَخ ٽڂن‬٥

،"‫اظتپضٸ اٹَُبٍخ األظتبځُخ "ٽضًنح ٹٺزٲُّا‬

ً‫به" ٵٺّپب اٹزٲ‬٦‫ىه هڅُت ثبٹ‬٦ْ‫وؤؽٌَّ "ث‬ ‫ٺً ٽالثَڄ "اٹْبهح‬٥ ٤َٚ ٌ‫ثُهىك‬ ."‫اٹٖٮواء اٹيت ؤٹيٽهټ هبب اٹڂبىَىٿ‬

l‟idéologie nazie que l‟écrivain Heinrich Böll qui fut dès sa jeunesse un opposant au nazisme. Cet acteur trouvait toujours la politique allemande « à vomir » et éprouvait un « sentiment horrible de honte » à chaque fois qu‟il croisait un Juif portant sur ses vêtements « l‟insigne jaune imposé par les nazis ».

Doté de ces suppléments d‟informations sur l‟opposition de l‟écrivain Heinrich Böll au nazisme et sur cette insigne discriminatoire des Juifs, le lecteur arabe pourrait saisir pleinement le sens de ce passage, à savoir que cet acteur ne partageait aucunement l‟idéologie nazie, pas plus qu‟il n‟a profité des activités de pillages comme l‟en accusait injustement le livre en question. Par ces deux explicitations, nous estimons avoir appliqué les maximes de la pertinence et de la qualité. De plus, la traduction de tout le passage nous semble conforme aux autres maximes (sûreté, quantité et manière) que nous allons traiter ultérieurement. Nous allons fournir à présent un autre exemple illustrant un autre cas de figure où le traducteur apporte une explicitation sur un nom de rue qui n‟est pas vraiment visé par l‟énoncé.  Exemple nº 63 : la rue des Rosiers Cet exemple est extrait d‟un article du MD juin 2010, intitulé « De Mac-Mahon aux Lavandières », où l‟auteur étudie la question des appellations des noms des rues de Paris, qui n‟avaient rien de politique au départ, mais qui ont été employés plus tard pour honorer des personnages politiques, militaires, littéraires, etc. En racontant l‟histoire des origines de certains noms de rue, l‟auteur évoque dans cet énoncé celle de la rue des Rosiers. Bien que le contexte éclaire suffisamment le lecteur sur la localisation de cette rue, le traducteur semble vouloir apporter une information supplémentaire au lecteur arabe sur une spécificité liée à cet endroit. Sauf que cette information est fausse.

Partie II : Chapitre V : Les techniques d’explicitation et leur mise en œuvre dans le corpus du MD 2001-2011

Anticléricaux et dreyfusards réussirent à donner à la rue des Rosiers, qui montait vers le Sacré-Cœur en cours de construction, le nom du chevalier de La Barre, roué en 1766 pour blasphème et irrespect envers une procession. (MD juin 2010)

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‫ى اإلٵٺًنوً وؤځٖبه‬ٚ‫ وٱل ؾتؼ ٽڂبڅ‬Anticléricaux des ٣‫ كهاَٮىً يف رَپُخ ّبه‬ٜ‫بث‬ٚ‫اٹ‬

‫ل ؿتى ٵبرلهائُخ‬٥‫] اٹٖب‬3[ Rosiers

ً‫ اٍټ اٹٮبه‬،‫اٹٲٺت األٱلً ٱُل االځْبء‬

ٌ‫ اٹن‬،"de La Barre ‫"كو ال ثبه‬ ‫ الهتبٽڄ ثبٹٶٮو‬1766 ‫بٻ‬٥ ً‫وثب‬ٙ ٤‫ؤّج‬ .‫بڅواد اٹٶڂَُّخ‬٢‫لٻ اؽزواٻ بؽلي اظت‬٥‫و‬

‫ٺجُّخ َهىكَّخ‬٩‫ڀ ؤ‬ٞ‫] ؽُش رٲ‬3[

et partisans de l‟officier Dreyfus ont réussit à donner à la rue des Rosiers [3], qui montait vers la cathédrale SacréCœur en cours de construction, le nom du chevalier « de La Barre », roué de coups en l‟an 1766 pour mécréance et irrespect envers une des manifestations ecclésiastiques. [3] où habite une communauté majoritairement juive.

Ce faisant, le traducteur transgresse la règle de la qualité puisqu‟il apporte une information erronée en confondant la rue des Rosiers de l‟ancienne Commune de Montmartre - qui fut rebaptisée rue du Chevalier de la Barre - et la rue de Rosiers du 4e arrondissement, emblématique de la communauté juive. De plus, il enfreint la maxime de la quantité (nº 4) que nous allons étudier puisqu‟il décide d‟expliciter un élément alors que le contexte s‟en charge déjà. Raison pour laquelle, nous ne proposons donc aucune explicitation supplémentaire. Il faudrait seulement supprimer cette explicitation inexacte et superflue338.  Exemple nº 64 : la Rue Thiers Dans le même article, le traducteur récidive en fournissant une explicitation plus ou moins erronée sur le nom de la rue Thiers à Paris, lors de sa traduction du passage suivant : Pourquoi ne pas débaptiser des voies dont le nom est comme un déshonneur urbain : la place Napoléon-III devant la gare du Nord ; l‟avenue Mac-Mahon Ŕ général capitulard, président factieux, crétin notoire ; la rue Thiers, dont on pourrait penser qu‟elle n‟est pas possible à Paris ; la rue Alexis-Carrel, faux savant, eugéniste et vichyste ? (MD juin 2010)

‫ ٽضٸ‬،‫ ؤشتبءٌ رْٶّٸ بڅبځخً ٽلَڂُخ‬٣َ‫ ٭ٺپب ال رُڂي‬Pourquoi ne pas enlever des noms qui

représentent

une

offense

‫خ اٹْپبٷ‬ٞ‫ ٍبؽخ ځبثٺُىٿ اٹضبٹش ؤٽبٻ ػت‬urbaine, comme la place ‫؛ وعبكح‬Gare du Nord ‫بهاد‬ٞ‫ ٹٺٲ‬Napoléon-III devant la gare du

Nord des trains ; l‟avenue Mac-

‫ وڅى اصتڂواٷ اظتَزَٺټ‬- ‫ ٽبٵپبڅىٿ‬Mahon Ŕ ce général capitulard, ‫؛‬- ٫‫وو‬٦‫يب اظت‬٪‫ واٹوئٌُ ٕبؽت اٹٮزڂخ واٹ‬président factieux et crétin connu

‫ٲٸ‬٦َُ ‫" اٹنٌ ال‬Thiers ‫ "رًُن‬٣‫ ; وّبه‬la rue Thiers, dont on ne

pourrait pas penser qu‟elle se

ٍَ‫ ؤٹٶ‬٣‫]؛ ّبه‬5[ ٌَ‫ وعىكڃ يف ثبه‬trouve à Paris [5] ; la rue Alexis‫بدل اٹٶبمة‬٦‫ اٹ‬،Alexis-Carrel ‫ ٵبهَٸ‬Carrel, faux savant, adepte de l‟amélioration de la progéniture

‫ واظتاَّل ٹزؾٌَن اٹڂَٸ واظتڂبٕو ضتٶىٽخ‬et partisan du gouvernement de ٌَ‫] وڅى ٵبٿ ٱل ٍٺّټ ثبه‬5[ ‫ ٭ٍُْ ؟‬Vichy ? [5] Thiers avait capitulé Paris à l'occupation allemande

.ٌَ‫ُخ ثبه‬٥‫ ٹالؽزالٷ األظتبين وڅوة بثّبٿ ٽْب‬et a pris la fuite durant la Commune de Paris.

338

Nous pouvons également noter au passage que l‟article du MD comporte une inexactitude car le chevalier de la Barre ne fut pas « roué » en 1766 Ŕ ce qui signifierait « soumis au supplice de la roue » et non « roué de coups » comme le croit le traducteur - mais soumis à la question ordinaire, avant d‟être décapité et brûlé. Mais a priori, le traducteur n‟a pas vocation à corriger les erreurs historiques du journaliste. Cela ne fait pas partie de son ressort.

Partie II : Chapitre V : Les techniques d’explicitation et leur mise en œuvre dans le corpus du MD 2001-2011

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L‟idée générale est aisément déductible du contexte, à savoir pourquoi ne pas débaptiser les rues portant de noms de « grands hommes » qui ont été aussi de grands criminels. A priori, le traducteur a bien fait d‟ajouter une explicitation au nom de Thiers, peu connu des lecteurs arabes. Cependant, le traducteur n‟a visiblement effectué que des recherches hâtives pour comprendre lui-même le sens implicite de ce passage. La teneur informative de la note 5 n‟est pas aussi pertinente et adéquate qu‟on pourrait l‟espérer. S‟il peut sembler inadmissible qu‟une rue de Paris porte le nom de Louis Adolphe Thiers, c‟est parce qu‟en sa qualité de chef du pouvoir exécutif, il avait accepté que les armées allemandes, après le siège de Paris en 1870, occupent symboliquement les Champs-Elysées du 1er au 3 mars 1871 et qu‟il fit ensuite réprimer impitoyablement, au cours de ce qu‟il est convenu d‟appeler « la semaine sanglante » du 21 au 28 mai 1871, la Commune de Paris, avant de devenir Président de la 3e République le 31 août 1871. Pour rectifier cette explicitation, nous proposons d‟abord de changer de technique en insérant l‟information dans le fils du texte à l'instar des explicitations fournies par l‟auteur lui-même, pour les autres noms de rue, respectant ainsi la règle de la rigueur dans la méthode d‟explicitation. Par conséquent, il conviendrait d‟abréger le contenu afin de ne pas alourdir le texte. Sur la base de notre analyse discursive du sens du texte et en appliquant les maximes traductionnelles d‟explicitation, nous avons effectué cette traduction alternative. Pourquoi ne pas débaptiser des voies dont le nom est comme un déshonneur urbain : la place Napoléon-III devant la gare du Nord ; l‟avenue Mac-Mahon Ŕ général capitulard, président factieux, crétin notoire ; la rue Thiers, dont on pourrait penser qu‟elle n‟est pas possible à Paris ; la rue Alexis-Carrel, faux savant, eugéniste et vichyste ? (MD juin 2010)

‫ اٹيت دتضٸ‬٣‫ ٭ٺِ َټ ال رَزجلٷ ؤشتبءُ اٹْىاه‬Pourquoi ne pas changer les noms de

rues qui offensent les Parisiens,

‫ ٽضٸ ٍبؽخ ځبثٺُىٿ اٹضبٹش‬،‫ بڅبځخ ٹٺجبهٌََُن‬comme la place Napoléon-III devant ‫ وڅى ؤفى‬،‫بهاد‬ٞ‫خ اٹْپبٷ" ٹٺٲ‬ٞ‫ ؤٽبٻ "ػت‬la gare du Nord des trains, du nom du frère de Napoléon I, auteur du

‫؛‬1851 ‫بٻ‬٥ ‫ ځبثٺُىٿ األوٷ ٽُلثِّو االځٲالة‬coup d‟Etat de 1851 ; l‟avenue Mac‫ وڅى اصتڂواٷ‬،"‫ "ٽبٵپبڅىٿ‬٣‫ وّبه‬Mahon, ce général capitulard, ‫ اظتَزَٺټ واٹوئٌُ اظتضًن ٹالځٲَبٽبد‬président semeur de zizanies et crétin

connu ; la rue Thiers, comme s‟il

‫ٲٸ‬٦َُ ‫ رًُن بم ال‬٣‫ ؛ وّبه‬٫‫وو‬٦‫يب اظت‬٪‫ واٹ‬n‟était pas inimaginable à Paris de ٤‫ ؤٿ دتغِّل ثبهٌَ مٵوي ٽڀ ّبهٳ يف اٹٲپ‬célébrer la mémoire de celui qui a réprimé dans le sang la Commune de

،‫ ؤٹٶٍَ ٵبهَٸ‬٣‫ اٹلٽىٌ ٹضىههتب ؛ وّبه‬Paris ; la rue Alexis-Carrel, faux ‫پٺُخ االځزٲبء اصتُين‬٦‫بدل اٹٶبمة واظتاَّل ٹ‬٦‫ اٹ‬savant, partisan de la sélection

génétique de l‟espèce humaine et

ٍُْ‫ واظتڂبٕو ضتٶىٽخ ٭‬،ٌ‫ اٹجْو‬٣‫ ٹٺڂى‬du gouvernement de Vichy, qui ‫بوځخ ٽڀ اٹڂبىٌَن؟‬٦‫ اظتز‬acceptait de collaborer avec les nazis ?

Nous allons à présent clore l‟analyse de la maxime de la qualité sur un dernier exemple où le traducteur comprend mal une comparaison implicite, ce qui l‟induit, bien évidemment, à tenter une explicitation erronée.

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 Exemple nº 65 : une « Lorraine » puissance 10 Cet exemple est extrait d‟un article du MD janvier 2006, intitulé « la Chine aux deux visages », où l‟auteur évoque la croissance de l‟économie chinoise en passe de devenir la quatrième puissance mondiale, la montée du poids du secteur tertiaire et les conditions du travail des ouvriers chinois dans les régions récemment industrialisées. Dans cet énoncé, l‟auteur analyse quelques entretiens effectués avec certains ouvriers journaliers dans une région en pleine restructuration. Décrits comme étant les exclus du miracle chinois, ces ouvriers travaillent dans des conditions difficiles et sans aucune protection sociale. Pour mieux mettre en relief la gravité de la situation, l‟auteur reproduit une expression métonymique employée par le sociologue Antoine Kernen « une Lorraine puissance 10 », qui s‟avère très parlante au lectorat français, connaissant les problèmes des ouvriers en Lorraine. Conscient de l‟importance de cette comparaison pour la reconstitution du vouloir dire de l‟énoncé, le traducteur a tenté d‟expliciter cette expression, à l'adresse de son lectorat, mais en commettant une erreur de compréhension et une donc une violation de la maxime de la qualité. Ce chômeur reflète parfaitement ce que ressentent les exclus du miracle chinois, nombreux dans cette région en pleine restructuration, une « Lorraine puissance 10 », selon l‟expression du sociologue Antoine Kernen. (MD janvier 2006)

‫ڀ‬٥ ً‫جّو دتبٽب‬٦َ ‫پٸ‬٦‫ڀ اٹ‬٥ ‫ٸ‬ٝ‫ب‬٦‫ څنا اٹ‬Ce ،‫غيح اٹُٖڂُخ‬٦‫ىه اٹنَڀ اٍزُضڂىا ٽڀ اظت‬٦ّ

‫بك‬٦َُ ‫ٲخ اٹيت‬ٞ‫وڅټ ٵُضُو يف څنڃ اظتڂ‬

٣‫بدل االعزپب‬٥ ‫ واٹيت َُْجههب‬،‫پبهڅب‬٥‫ب‬

‫ٲخ‬ٞ‫ ٽڂ‬٫‫ب‬٦ٙ‫ْوح ؤ‬٦‫ىاٿ ٵًنځڀ ث‬ٞ‫ؤځ‬

.‫اٹٺىهَڀ اٹٮوځَُخ‬

chômeur est l‟expression parfaite de ce que ressentent les exclus du miracle chinois, qui sont d‟ailleurs nombreux dans cette région en pleine restructuration, qui ressemble, selon le sociologue Antoine Kernen, à dix fois la région française de la Lorraine ».

En effet, « Lorraine puissance 10 » ne veut pas dire ici l‟équivalent de la superficie de la Lorraine multipliée par dix, comme le laisse entendre cette formulation. Cette explicitation induit le lecteur en erreur car elle met l‟accent sur la dimension territoriale, en y ajoutant une grossière confusion entre « multiplié par 10 » et « puissance 10 ». L‟idée implicite consiste à dire que, compte tenu de l‟absence de système de protection sociale, la situation que connaissent les chômeurs chinois est infiniment pire que celle qu‟ont connue les ouvriers de Lorraine lors de l‟effondrement de la sidérurgie française et que connaissent encore les exclus du redémarrage de cette région dans laquelle s‟implantent de nouvelles sociétés dans le domaine technologique. Pour mieux élucider cette comparaison, nous avons proposé la traduction suivante :

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Ce chômeur reflète parfaitement ce que ressentent les exclus du miracle chinois, nombreux dans cette région en pleine restructuration, une « Lorraine puissance 10 », selon l‟expression du sociologue Antoine Kernen. (MD janvier 2006)

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ً‫ربا‬٦‫پٸ ٽضبالً ٽ‬٦‫ڀ اٹ‬٥ ‫ٸ‬ٝ‫ب‬٦‫لُّ څنا اٹ‬٦َُ Ce chômeur est un exemple probant

qui reflète ce que ressentent les

‫غيح‬٦‫لَڀ ٽڀ اظت‬٦‫ىه اظتَزج‬٦ّ ‫ڀ‬٥ exclus du miracle chinois, ‫ٲخ‬ٞ‫ وڅټ ٵُضُو يف څنڃ اظتڂ‬،‫ اٹُٖڂُخ‬nombreux dans cette région industrielle

en

pleine

،‫ُْىٿ‬٦َ ،‫پبهڅب‬٥‫بك ب‬٦َُ ‫ُخ اٹيت‬٥‫ اٹٖڂب‬restructuration, et qui vivent, selon ،‫ىاٿ ٵًنځڀ‬ٞ‫ ؤځ‬٣‫بدل االعزپب‬٦‫ و٭ٲبً ٹ‬le sociologue Antoine Kernen, une ‫بً ؤٍىؤ بذل ؽلّ ال َُزٖىَّه ٽڀ ؤؽىاٷ‬٦ٙ‫ و‬situation infiniment pire que celles des chômeurs de la région

ٍَ‫ٺٌن يف بٱٺُټ "اٹٺىهَڀ" اٹٮوځ‬ٝ‫ب‬٦‫ اٹ‬française de la « Lorraine », qui .‫ُخ ؽتبصٺخ‬٥‫ اٹنٌ َْهل حتىالد ٕڂب‬connait une mutation industrielle semblable ».

Nous avons laissé l‟idée d‟absence du système de protection sociale implicite dans notre traduction car elle est parfaitement déductible des phrases qui suivent cet énoncé. Néanmoins, l‟explicitation pratiquée permet déjà de canaliser la pensée du lecteur arabe dans cette voie d‟interprétation, d‟autant plus que nous parions sur la compétence interprétative du lecteur arabe pour y arriver sans encombre. Si le contexte n‟apportait pas cet éclaircissement, nous aurions pu ajouter simplement l‟expression « vu l‟absence de sécurité sociale » "ٙ‫بة َظبو انضًبٌ االخزًبػ‬ٛ‫"َظشا نغ‬ après l‟insertion « infiniment pire ».

3.4. La maxime de la quantité : le strict nécessaire En vertu de la maxime de la quantité, l‟explicitation doit être aussi informative que possible en restant dans les limites du nécessaire. En d‟autres termes, le degré de l‟explicitation doit être proportionnel au besoin de la création de l'équivalence du sens au niveau des « unités de sens » discursives, tout en tenant compte du macrotexte, c'est-à-dire le texte dans son intégralité, du titre et du chapeau jusqu‟à la chute en passant par les sous-titres et les développements dans le corps du texte. Suivant notre conception globale de l‟explicitation, nous avons postulé que cette équivalence de sens agit comme une sorte de garde-fou interprétatif qui doit éviter au traducteur les débordements et les dérives comme les explications, les commentaires, les exégèses (l‟intention de dire), etc. Lesquels font partie de l‟explication ou de « l‟étayage de la traduction » comme l‟appelle Berman (1995) et non de l‟explicitation telle que nous l‟entendons (cf. point 42, Ch. III). L‟explicitation fournie est de ce fait limitée au strict nécessaire, et employée seulement quand l‟intelligibilité du sens du texte le requiert. En respectant cette maxime, le traducteur éclaire sobrement son lecteur à l'aide d‟une torche au lieu de le laisser chercher à tâtons son chemin dans la pénombre d‟une traduction littérale. Mais il ne peut pas non plus se permettre de tout expliciter car il risquerait alors de produire un texte parallèle : « un excès de lumière peut provoquer le fâcheux éblouissement », confirme Arsaye (2004 : 359). La liberté dans le choix de la synecdoque linguistique de l‟explicitation demeure certes grande, mais la concision est fortement recommandée, tout comme la précision (la maxime de la pertinence).

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Or, dans la réalité, les choses sont plus complexes qu‟elles n‟en ont l‟air. Ce dosage savant nécessite de la part du traducteur un grand professionnalisme afin de trouver des ajouts lexicaux succincts qui ne perturbent pas le cours du récit ou le fil de l‟argumentation du texte, tout en explicitant suffisamment le sens de ces éléments. Il est souvent difficile de trouver la juste pondération entre le « trop » et le « pas assez », d‟où les risques de « sur-explicitation », de « redondance » ou de « sous-explicitation ». Nous allons traiter dans ce qui suit les deux premiers aspects, tandis que le troisième sera analysé sous la maxime suivante de la « sûreté ». 3.4.1. La « sur-explicitation » : abondance de biens peut parfois nuire ! S‟écarter de la maxime de la quantité conduit à une sorte de « sur-traduction » qui nuit à la clarté des propos, ce qui dessert l‟objectif ultime du concept même de l‟explicitation. Vinay (1977 :9) considère cet abus comme « un vice de traduction ». De son côté, Lévy (1965) l‟appelle « overuse of explicitation » qu‟il reproche à certains traducteurs qui exagèrent le recours injustifié à l'explicitation, affectant ainsi la qualité de la traduction : « the tendency to explicitate characteristic of average or mediocre translation » (Lévy 1965 : 80). Dans le même sens, Delport avance que le traducteur risque parfois de « piocher dans le contexte de quoi gonfler à l‟excès tel ou tel passage ». Elle résume ce problème de « sur-explicitation » en disant que « l‟abondance de bien nuit parfois » (Delport 1989 : 57). Pour comprendre le fond de ce problème, il conviendrait de voir de plus près la conception que le traducteur a de sa tâche et de la fonction que joue la traduction dans le contexte d‟accueil. Ces considérations ont des répercussions importantes sur le degré de l‟explicitation apportée. En effet, lorsque le traducteur se voit attribuer comme mission la « montre » du discours de l‟Autre (Malingret 2002 : 102), le texte traduit comportera des explicitations plus nombreuses, mais parfois aussi plus étoffées, sous forme de notes du traducteur (en dehors du texte) ou d‟incises plus ou moins longues (dans le corps du texte). En revanche, si la fonction d‟information et d‟ouverture au monde est secondaire dans le projet de traduction, l‟explicitation s‟y adapte et se pratique de façon ponctuelle, au compte-gouttes, selon le besoin estimé par le traducteur. La traduction du MD s‟inscrit généralement dans le cadre du premier objectif, notamment depuis la création de la filiale du MD en 2005. Il n‟en demeure pas moins que la démarche traductive de certains traducteurs dans certains textes semble ne pas convenir à cette finalité. Mus par cette volonté de « monstration » de l‟Autre, mais aussi, de soi-même, les traducteurs du MD ont bien souvent tendance à laisser dans les textes cibles, par les explicitations pratiquées, des traces cognitives de leur compréhension et de leurs recherches documentaires, fruit d‟un travail sérieux et signe d‟une bonne implication du traducteur et d‟une maitrise du sujet traduit. Et c‟est là qu‟émerge le problème de « sur-explicitation ». Les traducteurs apportent l‟information essentielle actualisée dans le contexte et y ajoutent d‟autres informations secondaires. Mais il peut s‟agir également d‟expliciter, par excès de zèle ou par volonté d‟étalage de ses recherches encyclopédiques, des référents ou des faits inconnus des lecteurs natifs, cités à titre

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secondaire, en filigrane d‟une idée importante et sans réelle importance pour la saisie générale du vouloir dire. Dans ce cas, il n‟est pas essentiel qu‟on les explicite. L‟explicitation n‟a pas à pallier une méconnaissance présupposée d‟un élément de la part du lecteur, si elle n‟est pas essentiellement différente de celle du lecteur auquel est destiné l‟original, et qu‟elle n‟est pas, répétons-le, nécessaire à l'appréhension du vouloir dire de l‟énoncé. Le lecteur cible n‟a pas à connaître du texte traduit plus que ce que comprend un lecteur natif du texte d‟origine. Parmi les cas de figure résultant de la violation de cette maxime, nous intégrons également le fait d‟expliciter des ambiguïtés intentionnelles (Landheer 1989 : 35) alors qu‟il faudrait les entretenir en l‟état (cf. point 1-1, chapitre IV) ou de révéler des sous-entendus subjectifs résultant de la propre interprétation du traducteur. Une telle manœuvre dépasse les attributions du traducteur et constitue un éventuel dérapage de l‟explicitation vers l‟exégèse. Pour éviter ce risque, nous nous souscrivons totalement à la conception de Seleskovitch (1986 : 269-270) qui délimite la marge d‟intervention du traducteur en déclarant ceci : « le sens d‟une phrase c‟est ce qu‟un auteur veut délibérément exprimer, ce n‟est pas la raison pour laquelle il parle, les causes ou les conséquences de ce qu‟il dit. Le sens ne se confond pas avec des mobiles ou des intentions. Le traducteur qui se fait exégète, l‟interprète qui se fait herméneute transgresserait les limites de ses fonctions. (…) Toutes les exégèses sont permises, mais elles vont au-delà du sens alors que la paraphrase du sens se doit de toujours produire le même sens. Le traducteur tient souvent compte des implicites pour mieux cerner le sens, mais sa traduction ne reflète que ce dernier ». En bref, même si le traducteur a compris l‟intention du dire de l‟auteur ou le but d‟une ambiguïté intentionnelle, il devrait rester discret, tout en donnant aux lecteurs les clés interprétatives qui le conduisent à la déduction de cette intention ou de cette ambiguïté, sans pour autant les décliner expressément. En plus de ce risque de « sur-explicitation », nous avons pu déceler un autre risque encore plus fréquent et généralement issu du dépassement de cette maxime : la redondance. 3.4.2. La redondance : l‟explicitation qui fait double emploi ! Ce risque résulte de l‟apport d‟une explicitation dans le texte sans qu‟elle soit nécessaire, parce que le contexte apporte progressivement assez de renseignements pour éclaircir le sens de l‟élément sur lequel porte l‟explicitation fournie. Et c‟est ainsi que le risque de la redondance se distingue du risque de la « sur-explicitation » où l‟explicitation fournie n‟est pas non plus nécessaire mais pour d‟autres raisons : elle porte soit sur un élément secondaire dans le texte, soit sur un « sous-entendu » subjectif, soit sur des amplifications inutiles qui viennent s‟ajouter à l'information essentielle. Pour mieux comprendre le mécanisme d‟émergence du risque de la redondance, rappelons-nous le fonctionnement discursif de l‟explicitation : Dans chaque texte traduit, il existe souvent deux sources d‟explicitation : D‟abord, l‟auto-explicitation grâce au contexte verbal entourant l‟élément problématique et au contexte cognitif qui se construit à la lecture du texte traduit. Le texte s‟explicite donc lui-même au fur et à mesure qu‟on le lit attentivement. Ensuite,

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l‟explicitation adjointe par le traducteur, résultat d‟un processus de prise de décision où plusieurs facteurs entrent en jeu. Si la première source s‟avère insuffisante, la deuxième devient souhaitable, voire recommandée. Sa dose dépend, entre autres facteurs, de l‟estimation que fait le traducteur du bagage cognitif de son lectorat moyen et du besoin communicatif qui se fait sentir à un endroit donné du texte (le début, le milieu, la fin de l‟article). Si en revanche, la première source suffit, la deuxième devient superflue. Et c‟est là que surgit l‟effet néfaste de redondance, soupçonnée même d‟être un corollaire de l‟explicitation par certaines recherches empiriques (cf. point. 2-6-2, chapitre II : le postulat sur la redondance). Dans ce cas, l‟une d‟elles suffit, et l‟autre fait double emploi. Et comme on ne peut pas supprimer l‟explicitation apportée par le contexte, sauf à couper des passages du texte source, c‟est celle que le traducteur apporte qui est « de trop ». Margot constate ce fait en disant que « le risque consiste […] à vouloir rendre explicite à propos d‟un terme ce qui est déjà explicite dans le contexte immédiat, ou à expliciter sans nécessité ce qui est plus ou moins implicite dans le texte, ou encore à expliciter ce qui n‟est même pas implicite dans le texte source » (Margot 1979 : 149). Le recours à explicitation doit donc produire un texte cohérent, exempt de redondances et de détails inutiles qui ne feraient qu‟allonger le texte et alourdir le style. Pour éviter ce risque, il faudrait tenir compte de l‟ensemble des indices contextuels parsemés dans le texte source pouvant influer sur le degré d‟explicitation fournie. Celui-ci est donc proportionnel à l'analyse contextuelle concernant ses indices pertinents. Voyons de plus près dans quel sens évolue le degré d‟explicitation à mesure que la traduction va de l‟avant ! 3.4.3. L‟explicitation graduelle : expliciter de moins en moins ! Nous avons vu que le traducteur devait s‟adapter au lecteur en lui apportant des compléments cognitifs absents de son bagage cognitif initial, mais à la lecture du texte, c‟est le lecteur qui doit s‟adapter au texte en coopérant activement avec les données cognitives qui s‟accumulent au fur et à mesure de la lecture. Ce rapport explicite/implicite connaît un mouvement de systole-diastole (condensation/expansion) (Lederer 1984 : 52), tout au long du discours, c'est-à-dire il subit des modifications constantes suivant la progression du savoir partagé, qui réduit la partie explicite au profit de la partie implicite. En effet, « au fur et à mesure que le discours se déroule, la part de l‟implicite va croissant, puisque l‟orateur peut supposer que toute information communiquée à ses auditeurs a été comprise, a donc été engrammée dans sa mémoire cognitive à moyen terme, et sera automatiquement appelée pour permettre l‟émergence du sens dans la suite du discours » (Laplace 1995 : 220). L‟analyse globale des indices contextuels assimilés qui se construisent et s‟amassent à la lecture de l‟œuvre permet au traducteur de jauger pertinemment le contenu de l‟explicitation en termes de quantité et de qualité. Chaque décision sur la quantité de l‟explicitation fournie prend donc appui sur l‟évolution des données contextuelles à chaque point du texte ; elle sera influencée par les décisions d‟explicitations précédentes et influera sur les décisions à venir.

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Ce faisant, le traducteur est généralement amené à expliciter de moins en moins dans sa traduction. Cela est d‟autant plus important lorsqu‟une notion culturelle ou un élément problématique quelconque revient à plusieurs reprises au cours d‟un même texte. Il est dès lors plus judicieux de l‟expliciter à la première apparition, si le besoin se fait sentir, et de ne pas l‟expliciter lors des autres occurrences, ou alors de n‟expliciter, le cas échéant, qu‟un élément sémantique ou un autre trait saillant que l‟on n‟avait pas pu faire passer lors de la première occurrence. En outre, la localisation de l‟élément problématique dans le texte constitue de ce fait un facteur déterminant dans le choix du degré de l‟explicitation. Un élément qui figure en début de l‟article peut susciter une explicitation importante si le traducteur juge que la compréhension de cet énoncé conditionne celle des passages suivants ou que l‟apport contextuel vient un peu trop tardivement. En revanche, un élément qui figure au milieu de l‟article ou vers la fin nécessite naturellement une explicitation moins importante, car le lecteur profite de tout l‟apport du contexte. Un élément situé à la conclusion ou à la chute d‟un article est rarement explicité, vu que cette clôture représente souvent une reprise de l‟objet central de l‟article. A moins qu‟elle contienne une allusion nouvelle ou un autre élément nouveau sur lequel le traducteur devrait jeter un éclairage in fine. Le degré d‟explicitation en termes de quantité se décide donc en fonction des aléas du contexte et de la courbe systole/diastole que dessine le rapport explicite/implicite à chaque point du texte traduit, pour que l‟assimilation du message se fasse sans peine et que la machine interprétative du lecteur continue à tourner sans provoquer des « hiatus ». Et pour dépister les éventuelles redondances qui ont pu échapper à la vigilance du traducteur, nous suggérons de procéder à un dernier test : la contre-épreuve (Margot 1979 : 144). Laquelle consiste à vérifier si certains éléments de l‟explicitation apportée ne sont pas déjà exprimés dans le contexte immédiat, voire un peu plus loin. Si tel est le cas, le traducteur devra les supprimer. S‟il s‟avère pertinent d‟en garder quelques-uns, le traducteur devrait également envisager la possibilité de disséminer plus discrètement ces éléments dans le texte par anticipation de sorte à alimenter l‟apport du contexte cognitif du texte traduit avant qu‟il n‟arrive à ce point où se trouve l‟élément problématique. Il n‟en demeure pas moins que chaque analyse contextuelle comporte un pari de la part du traducteur quant au devenir de la compréhension du texte. Les lecteurs seront-ils assez attentifs et coopératifs pour déduire le sens pertinent à partir de l‟ensemble des indices contextuels disponibles ? Selon le principe de « risk aversion » de Pym, la plupart des traducteurs tendent à expliciter pour ne pas faire courir à leurs lecteurs le moindre risque d‟incompréhension : expliciter plus nuirait, en tout état de cause, moins que de ne pas expliciter du tout. La décision de l‟explicitation doit donc considérer les deux possibilités : d‟une part prendre des risques non calculés ou mal calculés, en explicitant trop peu, quitte à laisser des situations d‟ambiguïté dans le texte, et d‟autre part, ne prendre aucun risque, en explicitant tout, quitte à aboutir à des redondances superflues dont il n‟y avait aucun besoin réel.

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Et c‟est d‟ailleurs la raison que nous invoquons pour expliquer la récurrence de la technique de l‟équivalent synonymique dans les textes du MD, qui constitue, comme nous l‟avons déjà évoqué, une source de redondance. Les traducteurs préfèrent ajouter un mot ou une expression « de trop » plutôt que de risquer de voir une part importante des lecteurs du MD « décrocher », faute de comprendre la traduction directe de telle ou telle expression (i.e exemples, Tabs. 60, 61, 62, 63, Ch. IV). Pour remédier à cette situation, nous avons proposé de gommer la trace de l‟expression originale en employant le terme arabe ou la périphrase la plus apte à évoquer le concept ou l‟emprunt méconnu. Il n‟est alors aucun besoin de multiplier les choix linguistiques. Nous avons également suggéré de ne pas trop coller à la construction syntaxique de l‟énoncé d‟origine puisque cela s‟avère souvent contre-productif et générateur de redondance. Il vaudra mieux privilégier une paraphrase plus explicite, mais sans circonvolutions lexicales. En définitive, trop expliciter ou expliciter inutilement risque non seulement d‟alourdir le texte, mais aussi et surtout de donner au lecteur l‟impression qu‟on le traite comme un ignorant, ou comme un « assisté » selon le terme des Demanuelli (1990 :55). Une sorte de « traduction pour les nuls » qui risque d‟offenser le lecteur comme le dit Leppihalme : « The use of this strategy, however, may irritate readers, if they feel it is unnecessary and it also usually lengthens the text and may not decrease the flattening of the text » (Leppihalme 2001:143). Voyons maintenant quelques exemples illustrant les propos précédents.  Exemple nº 66 : les « scandales personnels » de Berlusconi Cet exemple est extrait d‟un article du MD septembre 2009, intitulé « M. Berlusconi, théoricien de la « débrouille », où l‟auteur tente d‟expliquer les raisons de la longévité politique de Berlusconi, malgré les scandales successifs qui l‟éclaboussent et les poursuites judiciaires dont il est l‟objet. Dans cet énoncé figurant dans le chapeau de l‟article, l‟auteur évoque les scandales personnels sans rentrer dans les détails car il va développer ce point tout au long du texte, notamment à la fin. Cependant, sans tenir compte de l‟intégralité de l‟article, le traducteur s‟est précipité pour expliciter cette allusion, sans qu‟il n‟y ait vraiment urgence ou nécessité. Lisons d‟abord la traduction publiée ! Inoxydable, tel apparaît le chef du gouvernement italien. Les scandales personnels et financiers qui se succèdent ne semblent pas l‟atteindre, attribués à la malveillance de la magistrature, de la presse ou d‟une opposition pourtant en déconfiture. (MD septembre 2009)

ٌُ‫هو هئ‬٢َ ‫ څٶنا‬،‫ ٽٲبوٻ ٹٺٖلؤ‬Résistant à la rouille, tel apparaît le premier

ministre

italien.

Les

ّ‫ بم ال َجلو ؤٿ‬.‫برل‬َٞ‫ اٹىىهاء اإل‬scandales personnels (la tenue de ‫بئؼ اٹْقُٖخ (بٱبٽخ ؽٮالد يف‬ٚ‫ اٹٮ‬parties dans sa résidence en compagnie de prostituées et avec

‫بڅواد وؼتلّهاد) ٱل‬٥ ‫ڄ ثٖؾجخ‬٦‫ ٽڂزغ‬des drogues) ne semblent pas ‫بء‬ٚ‫ ځبٹذ ٽڂڄ بم هكّڅب بذل فجش اٹٲ‬l‟atteindre. Il les a attribués à la ‫ ؤٿّ األفًنح‬٤‫ ٽ‬،‫خ‬ٙ‫به‬٦‫ واٹٖؾب٭خ ؤو اظت‬malveillance de la magistrature, de la

presse ou de l‟opposition alors que

.‫ ٽٮٶّٶخ ثْٶٸٍ ٵبٽٸ‬cette dernière est complètement désintégrée.

Voici un passage extrait du texte d‟origine où l‟auteur explique lui-même ces scandales : « Reste qu‟en juin dernier le « Cavaliere » a traversé la crise la plus grave de sa carrière, qui aurait détruit

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tout autre homme politique occidental : le scandale des fêtes dans ses résidences privées de Rome et de Sardaigne, la participation de prostituées de luxe, le transport de celles-ci par des vols affrétés par l‟Etat... ». En tenant compte de ce passage explicatif, il ressort clairement que taire les détails sur le sens de ces « scandales personnels » en début d‟article n‟a pas d‟incidence sur la compréhension du sens global du chapeau de l‟article et que l‟explicitation fournie crée une redondance inutile. Pour respecter la maxime de la quantité, nous proposons la suppression pure et simple de cette insertion de complément contextuel. Par ailleurs, nous proposons de traduire « inoxydable » par un autre équivalent discursif libre adapté au contexte comme « résistant aux coups » "‫ "يقبٔو نهصذيبد‬ou « inaltérable » "‫ش‬ٛ‫زغ‬ٚ ‫ "ثبثذ ال‬en reformulant autrement le début de la phrase339. Dans l‟exemple suivant, nous allons exposer un autre cas où le traducteur a effectué une explicitation sur une ambiguïté intentionnelle, mettant ainsi en échec la stratégie d‟écriture de l‟auteur.  Exemple nº 67 : le plan zéro emploi Dans cet exemple, il ne s‟agit pas d‟un énoncé traduit dans le chapeau ou le corps d‟un article comme à l'accoutumé, mais plutôt de l‟intitulé d‟un article du MD février 2009 : « Plan « zéro emploi » dans les Ardennes ». Voulant expliciter une formulation qui paraît énigmatique ou ambiguë, le traducteur décide de traduire ce titre par )‫خ‬ٛ‫ٍ انفشَغ‬ٚ‫ يقبطؼخ األسد‬ٙ‫ٍ ػٍ انؼًم" ف‬ٛ‫(يششٔع "ال ػبطه‬ « le projet "pas de chômeurs" dans la région française les Ardennes ». En effet, en lisant tout l‟article, nous nous sommes rendu compte qu‟il s‟agissait d‟un plan appelé « zéro chômeur » signé entre le gouvernement de Villepin et les salariés des ateliers Thomé-Génot dans ce département. Selon cet accord, l‟Çtat s‟engage formellement à parvenir à l‟objectif « zéro chômeur » en procédant au reclassement de ces métallos, sous douze mois. Devenus officiellement adhérents au CTP (contrat de transition professionnelle) et donc effacés des statistiques du chômage, les 320 ouvriers victimes de la liquidation judiciaire de l‟équipementier automobile implanté dans ce département n‟ont jamais été reclassés contrairement à la promesse qui leur avait été faite. En novembre 2006, le quotidien régional l‟Union avait rebaptisé ces mesures gouvernementales, dans un lapsus, « le plan "zéro emploi" » et ce lapsus s‟est révélé prémonitoire et très proche de la vérité. Nous pensons que le traducteur avait compris cette histoire de lapsus et a donc cru bien faire en revenant à « plan zéro chômeur ». Ce faisant, il passe complètement à côté du sens et ne voit pas que le journaliste du MD critique par la formule « zéro emploi » l‟effet d‟annonce du gouvernement Villepin qui n‟a été suivi d‟aucune mesure concrète. Compte tenu de l‟analyse

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Si l‟éditeur nous autorisait à adapter un peu plus le texte de sorte à le rendre plus attrayant pour le lecteur arabe, nous aurions aimé traduire « inoxydable » ici par "‫وَخ‬٦‫ىاٽٸ اٹز‬٦‫( "ٽٲبوٻ ٹ‬résistant aux facteurs d'érosion), mais qui signifie littéralement « qui résiste aux facteurs de la nudité ». En fait, cette expression comporte un jeu de mots faisant allusion à la fois à l‟opération d‟implantation des cheveux qu‟a subi « il Cavaliere » pour cacher sa calvitie, aux soirées nudistes Bunga bunga dont il est question ici et aux tentatives des juges de le mettre à nu politiquement en révélant ses affaires et autres magouilles, etc. Mais une telle traduction relève plutôt de la stratégie d‟adaptation et nullement de la stratégie de l‟explicitation telle que nous l‟entendons.

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textuelle globale, nous proposons de supprimer cette explicitation, en gardant l‟allusion au lapsus dans le titre telle quelle. C‟est au lecteur de comprendre ensuite cette histoire et toute la vérité sur le plan fallacieux du gouvernement. Expliciter une ambiguïté voulue dans le titre ou dans les intertitres constitue une infraction à la maxime de la quantité, dans la mesure où ces éléments sont censés « annoncer la couleur » et produire un effet d‟accroche auprès du lecteur. Le contexte, voire le texte entier, se charge ensuite d‟expliciter leur sens. Un tel ajout dessert le vouloir dire du texte et court-circuite la stratégie de l‟auteur. Il en va de même pour toute forme d‟ambiguïté intentionnelle, peu importe sa localisation dans le texte. Passons maintenant à l'étude d‟autres exemples illustrant des cas de redondances dus au recours abusif à la technique de l‟équivalent synonymique.  Exemple nº 68 : Sida, AIDS, HIV Cet exemple est extrait d‟un article du MD septembre 2009, intitulé « Psychose de la grippe, miroir des sociétés », où l‟auteur analyse la question de l‟anxiété qui fait le fonds de commerce des services de sécurité et de l‟industrie pharmaceutique. Les grandes peurs sont parfois attisées par qui y trouve leur compte, explique-t-il. La grippe A (H1N1) et le sida font partie de ce marché de la peur. Dans cet énoncé, le traducteur s‟est heurté, contre toute attente, à la traduction en arabe du terme sida, qui ne devrait a priori poser aucun problème. Voyons ce qu‟il a proposé : Il y a vingt-six ans se dé ployait une pandémie nouvelle pour l‟homme : le sida. Depuis, au moins quatre grandes alertes ont été lancées, la dernière concernant la grippe dite « A » (H1N1) (MD septembre 2009).

ٌ‫ رٮًّْ وثبء‬،‫ْوَڀ ٍڂخ‬٥‫ ٽڂن ٍذّ و‬Il y a vingt-six ans, une nouvelle épidémie s‟est répandue entre les

‫خ اظتٶزَجخ‬٥‫ ٭ٲلاٿ اظتڂب‬:‫ علَل ثٌن اٹجْو‬humains : l‟immunodéficience acquise (sida ou Aids). Depuis ّ‫ ًب‬،‫ وٽڂن مٹٴ اضتٌن‬.)‫(اٹَُلا ؤو اإلَلى‬ lors, on a annoncé quatre cas

‫ىاهيء‬ٝ ‫ ؽبالد‬٤‫ڀ ؤهث‬٥ ‫الٿ‬٥‫ اإل‬d‟urgences majeures, dont la ‫ٺّٰ ثبإلځٮٺىاځيا ٽڀ‬٦‫ آفوڅب َز‬،‫ ٵربي‬dernière concernait la grippe de la .)H1N1( "‫ اٹٮئخ "ؤ‬catégorie « A » (H1N1).

Le sida a été d‟abord traduit par un syntagme définitoire explicitant les initiales de cet acronyme, et puis par deux emprunts de l‟acronyme, le premier du français et le deuxième de l‟anglais. Il s‟agit bien d‟un cas avéré d‟infraction à la maxime de la quantité, vu la redondance engendrée par cette triple traduction. Une telle procédure s‟explique en partie, comme nous l‟avons déjà évoqué dans le chapitre III, par une volonté de s‟adapter à un public vaste et pour répondre à un problème de flou terminologique chronique en arabe. Néanmoins, cette position aurait été défendable s‟il avait été question d‟un concept totalement inconnu, mais pour ce qui est du sida, il aurait été largement suffisant d‟employer la périphrase ou l'emprunt de l‟anglais que tous les lecteurs de ce MD 2009 connaissent sans aucun doute. Il s‟agit donc d‟une double erreur d‟appréciation : une surévaluation du risque d‟ambiguïté, accouplée à une sous-estimation du bagage culturel du lecteur arabe. Voici un dernier exemple sur la surexplicitation motivée par une sous-estimation du bagage cognitif du lecteur arabe.

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 Exemple nº 69 : Majnoun Leila (le fou amoureux de Leila) Cet exemple est extrait d‟un article du MD août 2004, intitulé « en Inde, la religion du cinéma », où l‟auteur analyse la fonction sociale majeure que remplit le cinéma dans la vie des Indiens. Chaque film est vécu comme un voyage au long cours (de plus de deux heures) où l‟on s‟embarque avec délices dans des fictions qui mélangent des récits, des danses et des chansons, mais qui s‟inspire aussi du fonds mythologique et légendaire mondial. Dans cet énoncé, l‟auteur donne un exemple de certains scénarios de films romantiques mettant en scène des histoires d‟amour composées sur le modèle du fameux couple arabe « Majnoun et Leila »340. Par une insertion de complément contextuel entre parenthèses, l‟auteur explicite à l'adresse du lectorat français cette célèbre référence puisée dans le fonds littéraire arabe. De même, le duo récurrent (la jeune fille inébranlable dans sa dévotion à un amant romantique, passif et puéril) s‟inspire autant de Majnoun et Leila (le couple le plus célèbre de la littérature arabe) que de la culture indopersane ou de la poésie viraha (en sanskrit et en tamoul). (MD Août 2004)

‫ وٵنٹٴ ٭بٿ ٕىهح اٹضڂبئٍ اٹوائغخ‬De même, l‟image récurrente du duo (la jeune fille inébranlable

‫ (اٹْبثخ اٹضبثزخ يف بفالٕهب ضتجُت‬dans sa dévotion à un amant ‫ٮىرل) څٍ ٽَزىؽبح‬ٝ‫ و‬٣‫بو‬ٞ‫ُٲٍ ٽ‬ٞ‫ هوٽڂ‬romantique, passif et puéril)

s‟inspire plus de « Majnoun

‫ُْٲبٿ األٵضو ّهوح‬٦‫ ٽڀ "غتڂىٿ ٹُٺً" (اٹ‬Leila » (le couple le plus ‫بهح‬ٚ‫ويب) ؤٵضو ٽڂڄ ٽڀ اضت‬٦‫ يف األكة اٹ‬célèbre dans la littérature

‫و اٹٮًناڅب‬٦ّ ‫ اعتڂلَخ اٹٮبهٍُخ ؤو ٽڀ‬arabe) que de la culture indopersane ou de la poésie viraha

.)‫زٌن اٹَڂَٶوَزُخ واٹزبٽُٺُخ‬٪‫( (ثبٹٺ‬en langues sanskrit et tamoul).

Traduire en arabe cette explicitation interne n‟est pas une nécessité, car elle produit une redondance inutile, d‟autant plus qu‟elle risque de choquer le lecteur arabe de ce MD 2004 en insinuant qu‟il ignore cette référence littéraire bien connue. Le lecteur arabe ne peut pas savoir que cette explicitation est le fait de l‟auteur et non du traducteur. Pour respecter la maxime de la quantité, nous proposons de supprimer l‟explicitation entre parenthèses, d‟ajouter seulement le mot « histoire » avant le nom du couple « Majnoun Leila » et d‟insérer ce nom entre guillemets pour mieux le souligner. Le co-texte suffit ensuite à expliciter qu‟il s‟agit d‟une grande histoire d‟amour dont s‟est inspiré le cinéma indien. Remarquons d‟ailleurs que le traducteur a changé le rapport autant… que en plus… que, ce qui constitue un écart injustifié vis-à-vis du sens de ce énoncé.

3.5. La maxime de la sûreté : « In doubt, be explicit »! Nous avons cru bon d‟ajouter cette maxime afin d‟intégrer, dans notre conception de la méthode d‟explicitation, le concept de minimisation des risques de Pym (2005) et les conclusions des recherches de Klaudy (2005, 2007) et de Becher (2011) sur l‟explicitation. Si le traducteur présume que son lectorat cible ignore un élément linguistique ou culturel, il ferait mieux de 340

L‟auteur semble se méprendre sur la désignation exacte de cette référence littéraire en arabe. On parle plutôt de « Majnūn Laylā », et non « Majnoun et Leila », c'est-à-dire le fou amoureux de Leila, qui est un célèbre poète dénommé Qays Ibn al-Mulawwaḥ. Raison de plus pour ne pas s‟en tenir à l'explicitation de l‟auteur et de se fier plutôt au bagage cognitif du lecteur arabe.

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l‟expliciter afin d‟éviter tout risque d‟ambiguïté ou d‟incompréhension. Klaudy (2005) exprime cette maxime par sa formule « play it safe !» ; Becher (2011) préfère dire « in doubt, be explicite ! ». Lorsque le lecteur lit le texte en arabe, il s‟attend à ce que le traducteur ait bien fait son travail en produisant un texte lisible et intelligible. Il s‟agit d‟une sorte de contrat de confiance conclu tacitement entre le traducteur et ses lecteurs. Cependant, bien qu‟il ne sache pas juger de la fidélité de la traduction qu‟il a sous les yeux par rapport au texte source, faute de compétence linguistique ou traductologique, le lecteur a quand même une opinion sur la qualité de la traduction : s‟il lit un texte confus avec des séquences ambiguës, des passages incongrus ou hermétiques devant lesquels il se trouve démuni et perplexe, il est probable qu‟il aura l‟impression de lire une traduction « à la Google » comme on dit souvent en pareil cas dans le monde arabe ou il se dira que le traducteur a fait le choix de la solution de facilité qui ne manque pas d‟ailleurs de trahir son ignorance ou son incompétence au lieu de la camoufler. Contrairement à la maxime précédente, le risque lié au non-respect de cette maxime est la sous-explicitation. 3.5.1. Le risque de sous-explicitation Ce risque émerge donc lorsque le traducteur préfère, par paresse ou par manque de temps, se réfugier derrière des choix traductifs sans efforts, mais aussi et surtout lorsqu‟il ne comprend pas lui-même le sens voulu. En dehors de ces deux cas extrêmes produisant une traduction directe, souvent génératrice de risques d‟ambiguïté et d‟incompréhension, le traducteur enfreint cette maxime lorsqu‟il sous-estime l‟importance que revêt un référent culturel ou un segment textuel pour la constitution du sens global de l‟énoncé ou lorsqu‟il surestime le bagage cognitif de son lectorat cible. Il s‟agit dans ces deux cas d‟une erreur d‟appréciation qui aboutit le plus souvent à un manque d‟explicitation là où le contexte le requérait. Les risques interprétatifs subsistent et on constate dès lors, non pas une tentative plus ou moins manquée d‟explicitation, mais une absence totale d‟explicitation. Un tel manquement compromet la cohésion textuelle d‟un énoncé dans la mesure où certains éléments sont explicités tandis que d‟autres, pas moins importants, sont laissés dans l‟ombre. Il constitue également une faille dans l‟application de la stratégie d‟explicitation censée tenir compte de l‟ensemble du texte, perçu comme une seule « unité de sens », « un puzzle » dont la forme reste défigurée s‟il lui manque une de ses pièces maitresses. C‟est le cas dans l‟exemple nº 47 où le traducteur n‟a pas explicité le nom « Heinrich Böll » ni le « procès de Nuremberg », créant une certaine ambiguïté autour de ces faits historiques qu‟une part importante des lecteurs arabes ignorent sans doute, contrairement au lectorat natif. Voyons de plus près les deux cas de figure responsables de cette prise de risque qui transgresse la maxime de la sûreté.

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3.5.2. La sous-estimation de l‟importance de certains éléments discursifs Commençons d‟abord par analyser le problème de l‟omission d‟explicitation de certains éléments discursifs malgré leur pertinence pour la constitution du vouloir dire du texte. En effet, à force de se focaliser sur certains détails linguistiques ou référents culturels qui retiennent spécialement son attention, le traducteur perd la vue d‟ensemble et néglige d‟autres référents plus importants que ceux sur lesquels il s‟est attardé. N‟oublions pas non plus la pression du temps qui l‟empêche de revenir sur le texte qu‟il a traduit ou de refaire d‟autres recherches documentaires complémentaires. La traduction du MD depuis 2005 s‟apparente plus à une course contre la montre. Lecture, recherche documentaire, réalisation du premier jet, révision, envoi du texte traduit au responsable de l‟équipe au Liban et puis transmission de la traduction au rédacteur en chef à Paris qui la fait parvenir à son tour aux responsables de la publication en ligne et de l‟édition papiers à Paris ou à l'éditeur Al-Qabas au Koweït (depuis 2009), tout cela doit être fait dans un délai maximum de 12 à 14 jours et dans ces conditions, le traducteur n‟a guère le temps de relire attentivement son travail, l‟éditeur non plus. Pour remédier à cette situation, nous suggérons d‟effectuer d‟abord une lecture attentive et intégrale de l‟article à traduire dans le but de déterminer d‟emblée les énoncés difficiles à comprendre et ceux contenant des éléments problématiques jouant un rôle crucial dans la saisie du vouloir dire de l‟auteur. Après avoir comblé ses lacunes et assimilé le sens du texte, le traducteur devrait se concentrer sur ces éléments clés en priorité afin de décider de quelle manière il pourra les expliciter. Lorsqu‟il commence la rédaction de sa traduction, le traducteur doit déjà avoir bien assimilé les idées essentielles développées dans le texte et avoir pratiquement résolues les difficultés rencontrées. Le traducteur adoptera ensuite une stratégie d‟écriture qui, tout en prêtant attention aux petites « unités de sens », ne perdra pas de vue le fil de l‟argumentation ni les idées principales du texte ni les écueils qu‟il doit contourner par anticipation. Au moment où il arrive à la traduction des énoncés contenant les éléments problématiques, il aura déjà suffisamment préparé le terrain en alimentant le contexte cognitif du lecteur par de petites injections qui aident à optimiser l‟inférence du sens général du texte et le sens de ces éléments en particulier. Il dose ensuite le contenu de l‟explicitation en fonction de l‟apport global du contexte cognitif et du besoin communicatif qui se fait encore sentir à tel ou tel endroit précis. Le but étant de garantir une compréhension maximale du sens de cet énoncé, dont dépendra la compréhension des énoncés suivants ou l‟idée globale du texte en entier. Ainsi, grâce à la bonne évaluation, dès le départ, des énoncés clés et des référents nécessitant un traitement prioritaire par le biais de l‟explicitation, et grâce à la bonne anticipation de tous ces écueils, le traducteur sera en mesure de s‟acquitter dûment de sa tâche « en explicitant dans le texte même, certaines notions opaques dont la compréhension est nécessaire pour suivre le récit » (Lederer 1998 : 165). Shveitser (1992 : 61) partage la même position en écrivant que: « The process of decision-making requires that the translator should determine the elements of the original that reflect its functional dominants and should therefore be preserved, and those which may be sacrificed ». Dans ce même ordre d‟idée, Nedergaard-Larsen (1993 : 222-223) soutient

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que: « when encountering specific translation problems, the translator needs to think about the function of the element, its connotations and the audience in order to decide, if the element is crucial to the plot, if it must be made explicit either because of its associated meaning is vital for comprehension or the audience is not likely to understand the element without further explanations ». En revanche, lorsque cette analyse globale de la pertinence des énoncés et des référents révèle des passages où les référents cités véhiculent des détails non pertinents ou dont le contenu implicite allusif ou connotatif est inessentiel, le traducteur se garde, dans ce cas, «d‟aller trop loin dans l‟apport d‟informations non pertinentes dans le cadre du récit » (Ibid. : 168). Margot partage la même position lorsqu‟il écrit ceci : « il est inutile d‟expliciter une information secondaire, c'est-à-dire ne jouant pas de rôle dans le contexte immédiat, ou, pire encore, d‟introduire dans la traduction une information complètement absente de ce contexte particulier » Margot (1979 : 160). Le traducteur pourrait dès lors se contenter de donner la correspondance la plus proche pour ce terme sans chercher à traduire toutes ses caractéristiques ou ses valeurs. Il pourra profiter de ce gain de temps pour expliciter par ailleurs les éléments les plus importants ou pour peaufiner la rédaction de son texte. Nous allons à présent nous intéresser à la deuxième raison dont découle le risque de sous-traduction : la difficulté de cerner précisément le public cible et l‟étendue de son savoir partagé. 3.5.3. La sur-estimation du bagage cognitif public cible La définition du public visé par la traduction est un facteur crucial dont dépend la stratégie de traduction en général et la décision de l‟explicitation en particulier. Le traducteur a tout intérêt à définir sa cible dans la culture d‟arrivée, car il ne peut élaborer efficacement sa stratégie sans connaître le niveau culturel et, partant, le niveau de compétence et d‟exigence des lecteurs auxquels la traduction sera destinée. Cette tâche revient également à l'éditeur qui devrait renseigner le traducteur sur la nature du public visé et les objectifs assignés. Dans ce sens, Reiss et Vermeer (1984 : 101) soulignent que « toute information relative au destinataire du texte cible (son contexte socioculturel, ses attentes, sa sensibilité ou sa vision du monde) sera d‟une importance fondamentale pour le traducteur, qui doit exiger du donneur d‟ouvrage qu‟il lui fournisse autant de précisons que possible » [cité in Nord 2008 : 35]. En effet, comme nous l‟avons expliqué au chapitre III, le degré de l‟explicitation fournie est proportionnel au savoir présumé du lectorat cible. Dans cet esprit, Newmark soutient que la solution de traduction à privilégier est fonction de l‟audience cible : « I suggest that here, more than in any other translation problems, the most appropriate solution depends not so much on the collocations or the linguistic or situational context (though these have their place) as on the readership (of whom the three types - expert, educated generalise and uninformed - will usually require three different translations) and on the setting » (Newmark 1988 : 102).

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Il y aura donc un traitement différencié et divers degrés d‟explicitation de ces référents culturels selon les connaissances générales supposées de chaque type de lectorat appartenant à la culture cible. Plus le lectorat est averti ou éduqué, moins le traducteur est tenu d‟expliciter, et inversement, plus la traduction vise le grand public, ce qui présuppose un niveau culturel faible ou moyen, plus le traducteur devra expliciter, car ce qui peut être évident pour l‟un ne l‟est pas pour l‟autre. Et c‟est de là que surgit le risque de sous-traduction. En effet, avec le changement constant du lectorat du MD, l‟adhésion des pays arabes au projet de publication gratuite du MD arabe s‟étant réalisée progressivement, les traducteurs avaient du mal à cerner les nouveaux profils des lecteurs arabes. Ils continuaient parfois à les traiter sur un pied d‟égalité avec le profil classique d‟un lecteur modèle du Liban, d‟où ils sont issus, ce qui impliquait d‟expliciter moins, vu que ce type de lectorat est supposé être cultivé. Néanmoins, ce risque de sur-estimation s‟accentue lorsqu‟il s‟agit de recruter de nouveaux traducteurs occasionnels pour suppléer un traducteur principal absent ou occupé, etc. En l‟absence de consignes claires de traduction, ces traducteurs, peu expérimentés ou peu informés de la particularité du public du MD, se fient à leur estimation personnelle de l‟étendue des connaissances dont dispose ce lectorat. Dans tous les cas, le choix des éléments à expliciter et du degré de l‟explicitation reflète l‟estimation qui a présidé à la prise de décision de l‟explicitation. Dans cette lignée, Malingret conclut suite à son analyse du corpus de traduction de littérature hispanique que : « les éléments ponctuels d‟explication de la culture hispanique, ou les exemples faisant office d‟explication, réfléchissent l‟estimation subjective que fait le traducteur de son public » (Malingret 2002 : 94). Pour éviter ce genre d‟erreur d‟appréciation et les tracas qui en découlent, nous proposons de miser toujours sur un bagage cognitif relativement faible, notamment à partir du moment où le public du MD s‟est considérablement diversifié, et de miser aussi et surtout sur un niveau de coopération interprétative relativement élevée, afin de ne pas tomber dans les travers de la redondance. Ainsi, lorsque le traducteur aura un doute sur la connaissance du lectorat arabe de telle ou telle réalité culturelle ou subtilité linguistique, il tranchera en faveur de l‟explicitation. Mais lorsqu‟il aura un doute sur la coopération interprétative du lectorat face à tel ou tel indice contextuel, il ferait mieux de trancher en faveur de la non-explicitation, pour éviter la redondance. Le lecteur est peut-être ignorant, mais il n‟est pas imbécile. Il saura déduire le vouloir dire tant qu‟on lui donne les moyens nécessaires pour y parvenir.  Exemple nº 70 : un char estampillé Bob Marley Cet exemple est extrait d‟un article du MD juin 2006 intitulé « Protester avec l‟électrochoc de la musique », où l‟auteur évoque le phénomène dit « protest song », c'est-à-dire la vague des chansons qui contestent les activités militaires américaines dans le monde et partant le nouvel ordre mondial. Dans cet énoncé, l‟auteur exprime son étonnement de voir un char américain en Irak estampillé Bob Marley. Le traducteur n‟a pas explicité la référence à Bob Marley et le lecteur arabe risque donc de passer à côté du sens.

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On a même aperçu en Irak un char estampillé Bob Marley. L‟anecdote a valeur de symbole ; elle raconte l‟époque. Les âmes charitables ont depuis belle lurette fait fructifier ce fonds de commerce. (MD juin 2006)

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‫واٯ كثّبثخ‬٦‫ ؽىت ؤځڂب ّبڅلځب يف اٹ‬On a même vu en Irak un char militaire

portant

Bob

Marley

.‫بهاً عتب‬٦ّ ‫َٶوَخ حتپٸ ثىة ٽبهرل‬٥ comme symbole. L‟anecdote a une ‫ بم ؤهنب‬،‫ وعتنا اٹڂٶزخ ٱُپزهب اٹوٽيَّخ‬valeur symbolique ; elle raconte l‟époque. Les âmes nobles ont

‫ ٭بٹڂٮىً اٹٶونتخ‬.‫ حتٶٍ ًٍنح ىٽڀ‬depuis belle lurette fait fructifier .٤‫ىَٸ څنڃ اٹَٺ‬ٝ ٍ‫ ذتوّد ٽڂن هكػ‬ces marchandises.

Dans ce contexte, il s‟agit vraisemblablement d‟une sous-estimation de la part du traducteur de l‟importance de cette allusion. Il ne peut pas s‟agir d‟une sur-estimation du bagage cognitif car nous sommes plus enclins à croire que la majorité des lecteurs arabes ne connaissent pas « Bob Marley », y compris le traducteur lui-même, qui ne dispose pas de cette information et qui n‟a visiblement pas cherché à comprendre le sens implicite de cette anecdote. Pour éviter le fiasco interprétatif, nous avons décidé d‟expliciter cette allusion par une note de fin d‟article, et de reformuler toute la phrase de la manière suivante. On a même aperçu en Irak un char estampillé Bob Marley. L‟anecdote a valeur de symbole ; elle raconte l‟époque. Les âmes charitables ont depuis belle lurette fait fructifier ce fonds de commerce. (MD juin 2006)

‫َٶوَخ حتپٸ‬٥ ‫واٯ كثّبثخ‬٦‫ ثٸ ّبڅلځب يف اٹ‬On a même vu en Irak un tank

militaire portant le nom du chanteur

‫ وعتنڃ‬. [1] ‫ين ثىة ٽبهرل‬٪‫ اٍټ اظت‬Bob Marley [1]. L‟anecdote a une ‫ بم حتٶٍ ًٍنح څنا‬،‫و٭خ كالٹزهب اٹوٽيَّخ‬ٞ‫ اٹ‬valeur symbolique ; elle raconte cette

époque. Les « âmes charitables »

ً‫بظتب اٍزضپود څنڃ "اٹڂٮى‬ٞ‫ ٭ٺ‬،‫ٖو‬٦‫ اٹ‬ont exploité, depuis de longues ‫ىَٺخ څنڃ اضتُٺخ‬ٝ ‫ٺخ ٹٺقًن" ٹَڂىاد‬٥‫ اٹٮب‬années, cette technique pour arriver à .‫ ٹڂُٸ ٽأههبټ‬leurs fins. [1]

Note

du

traducteur :

un

‫ ٍّڀ ٽڀ ؤٕٸ‬٪‫ ٽ‬: ‫خ ٽڀ اظتزوعټ‬٢‫[ ٽالؽ‬1] chanteur d‟origine jamaïcaine “one love”‫ڂُزڄ‬٩‫ عبٽُٶٍ اّزهو ثإ‬connu pour sa chanson « one love » qui appelle à la paix, à l‟entente et

‫ى ٹٺَالٻ واٹىئبٻ واٹىؽلح ثٌن‬٥‫ اٹيت رل‬à l‟unité de tous les hommes. .ً‫ٵب٭خ اٹڂب‬

Grâce à cette note, le lecteur saisira le paradoxe entre la colonisation illégitime de l‟Irak par la force, représentée par le char américain, et l‟image de la paix et de la lutte contre la colonisation symbolisées par Bob Marley. A partir de là, et avec le concours du contexte, le sens de l‟anecdote devient plus clair : l‟administration militaire américaine tente d‟embellir ses actes barbares en les associant à des personnes ou à des idées perçues par le plus grand nombre comme nobles et généreuses. Et c‟est aussi ce que font les autres « bienfaiteurs de l‟humanité » pour arriver à leurs fins, aussi peu louables soient-elles, à grand renfort de propagande, et en détournant les symboles de leur sens d‟origine.  Exemple nº 71 : Cela s‟appelle l‟aurore ! Cet exemple est extrait d‟un article du MD avril 2005, intitulé « Bandung ou la fin de l‟ère coloniale », où l‟auteur parle de la conférence planétaire tenue à Bandung en 1955, en Indonésie, réunissant pour la première fois les représentants de 29 pays africains et asiatiques dont la plupart venait d‟obtenir l‟indépendance des empires coloniaux. Comparée dans le texte à une sorte de

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1789 de l‟humanité, vu la présence des états généraux de la planète, cette conférence marque l‟entrée sur la scène internationale de ce que l‟on va communément appeler les pays du « tiersmonde ». Dans cet énoncé, l‟auteur cite une autre image descriptive de ce que représente Bandung à travers l‟allusion à une phrase prononcée à la fin de l‟Électre de Giraudoux « Cela s‟appelle l‟aurore ». Le traducteur s‟est contenté de traduire la fonction dénotative du nom propre « Electre » par une incrémentialisation spécifiant qu‟il s‟agit d‟une pièce de théâtre, en laissant dans l‟ombre le sens implicite de l‟allusion. Léopold Sédar Senghor parla à son propos d‟une gigantesque « levée d‟écrou ». Citant Electre, de Jean Giraudoux, le géographe Yves Lacoste assure que Bandung, « cela s‟appelle l‟Aurore ». (MD avril 2005)

‫ڀ‬٥ ‫ىه‬٪‫ حتلّس ٹُىثىٹل ٍُلاه ٍڂ‬Léopold Sédar Senghor a parlé d‟une gigantesque opération de

،‫قپخ ٹٺزؾوّه ٽڀ اٹَغڀ‬ٙ ‫پٺُّخ‬٥ libération de prison, tandis que le ‫ الٵىٍذ‬٬َ‫وا٭ُب ؤ‬٪‫بدل اصت‬٥ ‫ ثُڂپب ؤٵّل‬géographe Yves Lacoste assure, en

se référant à la pièce Electre, de

‫ يف اّبهح اذل ٽَوؽُخ "اٹٶزو" صتبٿ‬Jean Giraudoux, que Bandung, « ."‫ "اشتهب اٹٮغو‬٨‫ عًنوكو اٿ ثبځلوځ‬s‟appelle l‟Aurore ».

Il s‟agit ici d‟une sous-estimation de la pertinence de cette allusion, si ce n‟est un manque de compréhension du sens implicite. Dans les deux cas, le traducteur a enfreint la maxime de la sûreté car il fait encourir à son lecteur un risque d‟incompréhension. En faisant une recherche sur cette pièce de Jean Giraudoux, nous avons compris que cette phrase signifiait la nécessité de garder l‟espoir quoiqu‟il arrive et même si tout va mal en vérité. Le jour (l‟aurore) finit par se lever et l‟espoir par revenir. Et c‟est ce que représente Bandung pour ces pays ayant fraichement acquis l‟indépendance et pour les autres qui combattent encore pour l‟obtenir. Compte tenu de tout cela et pour rendre le sens plus explicite, nous proposons de retraduire cet énoncé de la manière suivante : Léopold Sédar Senghor parla à son propos d‟une gigantesque « levée d‟écrou ». Citant Electre, de Jean Giraudoux, le géographe Yves Lacoste assure que Bandung, « cela s‟appelle l‟Aurore ». (MD avril 2005)

‫ىه څنا‬٪‫ وٱل ّجڄ ٹُىثىٹل ٍُلاه ٍڂ‬Léopold Sédar Senghor a comparé cette assemblée à une « gigantesque

‫قپخ ٹٺزؾوّه ٽڀ‬ٙ ‫پٺُّخ‬٥"‫ ثـ‬٣‫ االعزپب‬libération des carcans », tandis que le ‫وا٭ُب‬٪‫بدل اصت‬٥ ‫ ثُڂپب ََزْهل‬،"‫الٷ‬٩‫ األ‬géographe Yves Lacoste cite la

formule « cela s‟appelle l‟Aurore »,

‫ الٵىٍذ مبٲىٹخ "څى اٹٮغو" يف فزبٻ‬٬َ‫ ؤ‬prononcée à la fin de la pièce ‫ هبب‬٬ُٖ‫ ٹ‬،‫ ٽَوؽُخ "بٹٶزو" صتبٿ عًنوكو‬Electre, de Jean Giraudoux, pour ‫ىح ٹألٽٸ ٹَٶبٿ‬٥‫زجبهڅب ك‬٥‫ ثب‬،"‫ "ثبځلوځظ‬décrire Bandung comme étant une

invitation à l'espoir adressée aux

‫ٲجبد اٹيت ال رياٷ‬٦‫ټ اٹ‬٩‫بدل اٹضبٹش" ه‬٦‫ "اٹ‬habitants du « tiers monde », .‫وَٲهټ‬ٝ ٗ‫زو‬٦‫ ر‬malgré tous les écueils qui jonchent encore leur parcours.

Remarquons également que nous avons reformulé complètement tout l‟énoncé pour accroître son intelligibilité et sa lisibilité. Cette formulation nous a permis d‟insérer à la fin le trait de signification pertinent de la citation à Çlectre, de sorte à donner sens à tout l‟énoncé. Cette explicitation revêt une importance capitale pour la construction du sens global du texte qui consiste à dire que Bandung n‟est que le premier pas d‟un long parcours vers le progrès humain et que l‟humanité se porte encore bien, malgré les effets destructeurs du colonialisme.

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 Exemple nº 72 : le lion et le dragon (de quels pays parle-t-on ?) Cet exemple est extrait d‟un article du MD mai 2010, intitulé « L‟improbable saga des Africains en Chine », où l‟auteur analyse le phénomène de départ en grand nombre de travailleurs africains en Chine, notamment après l‟adhésion de cette dernière à l‟OMC. Dans cet énoncé, l‟auteur explique l‟intérêt croissant que peut tirer l‟économie chinoise de ces immigrés venus d‟Afrique, en citant l‟avis d‟un gérant d‟une entreprise électronique qui déclare malicieusement à ce propos que l‟argent n‟a pas de couleur. L‟auteur désigne respectivement l‟Afrique et la Chine par deux symboles : le lion et le dragon. Le traducteur décide de prendre le risque de confier à son lecteur la tâche d‟identifier le référent désigné par ce symbole, ce qui va à l'encontre de la maxime de la sûreté. Si le lion vient chevaucher le ‫ٍ اٹزڂٌّن‬ٞ‫ وبما ٽب عبء األٍل نتز‬Si le lion vient chevaucher le dragon, c‟est pour profiter de sa dragon, c‟est pour profiter de son ‫زڄ‬٥‫ ٭نٹٴ ٹٶٍ ََزٮُل ٽڀ اځل٭ب‬impulsion exportatrice fièvre exportatrice (MD mai 2010)

.‫اٹزٖلَوَّخ‬

Si le rapport entre le dragon et la Chine est facilement déductible, car fréquemment utilisé en arabe, c‟est le symbolisme du lion qui risque de perturber le lecteur arabe. Il est vrai que le lecteur attentif ne manquera pas d‟identifier les deux pays concernés, mais pour évincer tout doute d‟ambiguïté, nous préférons expliciter ces deux métonymies créatrices de symboles comme suit : Si le lion vient chevaucher le ٍٞ‫وبما ٽب عبء األٍل اإل٭وَٲٍ نتز‬ dragon, c‟est pour profiter de sa fièvre exportatrice (MD mai ‫اٹزڂٌّن اٹُٖين ٭نٹٴ ٹٶٍ ََزٮُل ٽڀ‬ 2010) .‫زڄ اٹزٖلَوَّخ‬٥‫اځل٭ب‬

Si le lion africain vient chevaucher le dragon chinois, c‟est pour profiter de son impulsion exportatrice.

Remarquons d‟ailleurs que nous avons préservé les deux symboles tout en les explicitant, alors que nous pouvions simplement les remplacer par les termes l‟Afrique et la Chine. Nous avons agi de la sorte pour porter à la connaissance du lectorat arabe une autre métonymie désignant l‟Afrique qui viendra enrichir son bagage cognitif. Le discours journalistique arabe en est friand : l‟ours russe, le tigre asiatique, le dragon chinois, etc. Notre choix est également motivé par une volonté de rendre le style plus fluide et direct, d‟autant plus que l‟auteur a multiplié les références symboliques dans le passage précédent pour désigner la Chine (le thé vert, Confucius, Jackie Chan), et l‟Amérique (McDonald‟s, Hollywood et le discours de Gettysburg), en parlant de deux modèles économiques et culturels concurrents.

3.6. La maxime de la manière : la rigueur est de mise ! En vertu de la maxime de la manière de Grice, le locuteur doit s‟exprimer de manière claire et ordonnée. Nous adaptons cette maxime à notre conception de l‟explicitation en la définissant comme suit : l‟explicitation doit être pratiquée de manière rigoureuse et cohérente sur l‟ensemble du texte traduit et acceptable dans le contexte de réception. Le traducteur n‟explicite pas à sa

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guise. Après avoir déterminé le contenu pertinent d‟une explicitation correcte, bien dosée et nécessaire à la compréhension d‟un énoncé donné, grâce au respect des quatre maximes précédentes, il incombe au traducteur de choisir la manière appropriée de présenter et de coordonner les explicitations dans le texte. Ceci doit se faire de sorte à ce qu‟elles assurent au mieux leur fonction dans le texte traduit et à ce qu‟elles soient conformes aux normes de réception en vigueur dans le contexte d‟accueil. Autrement dit, si le traducteur a toute latitude de prendre la décision d‟explicitation qu‟il juge adéquate à la situation communicative quant à son contenu informatif, il doit cependant s‟astreindre, quant à son application dans le texte, à une méthode ordonnée et rigoureuse. Cette maxime se prête donc à l'analyse à travers deux volets principaux : la manière de choisir la technique adéquate dont dépend la fonctionnalité de l‟explicitation, le respect des normes linguistiques et traductives en vigueur qui déterminent son acceptabilité. 3.6.1. Le choix de la technique appropriée Pour appliquer une décision d‟explicitation, il conviendrait d‟employer la technique qui met en valeur cette décision. Le choix de la technique adéquate dépend, selon nous, de trois facteurs importants : la fonction de l‟explicitation, son volume et son mode d‟insertion textuelle. 3.6.1.1. Le choix de la technique selon la fonction de l‟explicitation Force est de constater que face à certains référents culturels ou expressions tropiques, les traducteurs adoptent généralement deux techniques : la sauvegarde de la trace de l‟expression originale, accompagnée d‟une brève mention explicitant sa signification, et le gommage de cette trace au profit d‟une formulation discursive jugée plus claire que la traduction directe de la motivation de cette expression. Le premier mode cherche à informer le lecteur arabe et du sens de l‟énoncé et de la particularité de l‟expression employée ; le deuxième à transmettre le sens directement sans se soucier de l‟expression d‟origine. Le choix de la technique d‟explicitation dépend donc du mode privilégié. En effet, si le traducteur décide de préserver la trace de la formulation d‟origine, il dispose donc de plusieurs techniques et procédés tels que la technique de l‟incrémentialisation avec ses trois procédés, le procédé de la périphrase accompagnant un emprunt, la technique de l‟insertion avec ses trois procédés, et la note du traducteur. Si en revanche, il décide de gommer la trace de l‟expression car elle ne revêt pas d‟intérêt spécial pour la suite du texte ou pour le lectorat arabe, il dispose alors du procédé de la périphrase définitoire substituante et de la technique de la paraphrase avec ses trois procédés. Ainsi, le traducteur pourra traduire l‟emploi métonymique dans « Bercy » à l'aide de plusieurs techniques : la démétaphorisation "‫خ‬ٛ‫( "ٔصاسح انًبن‬le ministère des Finances) si cette information sur la localisation du ministère de l‟économie (à Bercy) n‟a guère d‟importance pour le lecteur arabe ou si ce nom n‟occupe vraiment qu‟une place très secondaire. Une telle focalisation risque alors

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de détourner l‟attention du lecteur de l‟objet principal de l‟énoncé. Dans le cas inverse, il peut choisir l‟emprunt accompagné d‟une périphrase )‫خ‬ٛ‫" (ٔصاسح انًبن‬ٙ‫شع‬ٛ‫( "ث‬Bercy « ministère des Finances) Le deuxième mode (sauvegarde du terme d‟origine) a l'avantage de permettre au lecteur d‟employer l‟emprunt seul dans la suite du texte "ٙ‫شع‬ٛ‫( "ث‬Bercy) s‟il vient à réapparaître dans le texte d‟origine, ce que le premier mode (gommage du terme d‟origine) ne permet pas de faire. Le traducteur détermine donc la technique la plus adéquate selon la fonction qu‟il assigne à son explicitation dans le texte et l‟usage qu‟il compte en faire ultérieurement. En revanche, expliciter « Bercy » par une paraphrase (ce qui implique la suppression du terme d‟origine) en début du texte et puis l‟expliciter à la deuxième occurrence, vers le milieu par exemple, par le report du terme accompagné d‟une périphrase définitoire, constitue une transgression de la maxime de la manière. La raison en est le manque de rigueur dans le choix de la technique appropriée, ce qui nuit à la fonctionnalité de l‟explicitation décidée. 3.6.1.2. Le volume de l‟explicitation : une question de taille ! Le volume de l‟explicitation décidée détermine tout naturellement le choix de la technique adéquate. Une courte explicitation doit s‟incorporer dans le fil du texte, tandis qu‟une longue explicitation serait mieux positionnée dans le paratexte. Une explicitation composée de deux ou trois mots peut s‟insérer entre parenthèses ou guillemets dans le corps du texte, tandis qu‟une explicitation de quatre à six mots gagnera plus en lisibilité si elle est intégrée directement et syntaxiquement dans le texte. Pour ce faire, elle pourrait être incrustée sous forme d‟incise entre deux virgules, en tant que subordonnée, ou sous toute autre forme syntaxique de sorte à ce que la lecture soit fluide. Une longue explicitation insérée entre parenthèses sans être intégrée syntaxiquement à la phrase en question, risque de détourner l‟attention du lecteur, de désintégrer la phrase et par conséquent d‟alourdir le texte. En revanche, une courte explicitation reléguée dans le paratexte, que ce soit en note de bas de page ou en fin d‟article, constitue une transgression de cette maxime. En procédant de la sorte, le traducteur provoque un hiatus dans la lecture et l‟interprétation du texte, puisqu‟il oblige le lecteur à s‟interrompre pour aller voir ce qu‟il a à lui dire (cf. exemple nº 40). En somme, selon les caractéristiques déjà énoncées des différentes techniques d‟explicitation, le traducteur pourrait privilégier la technique de l‟incrémentialisation pour les explicitations brèves, la périphrase, la paraphrase et l‟insertion pour les explicitations de taille moyenne et la note pour les plus volumineuses.341 Mais nous avons vu que parfois (cf. Ex. nº 64), pour des raisons de symétrie, l‟auteur ayant déjà lui-même inséré dans le texte une ou des explicitations assez longues, le traducteur pouvait être amené à introduire également ses explicitations dans le texte, malgré leur longueur.

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Pour plus de précision, voir notre classification du degré d‟explicitation selon les différents procédés, page ??

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3.6.1.3. La manière d‟insérer l‟explicitation A partir de notre analyse du corpus en général et des exemples exposés tout au long de cette thèse, nous avons observé un manque de méthode au niveau des normes d‟insertion de l‟explicitation tant dans le corps du texte que dans le paratexte. En effet, certains traducteurs déclaraient les ajouts entre parenthèses, tandis que d‟autres préféraient employer les guillemets, sans qu‟il y ait une règle précise qui détermine ces choix. Il en va de même pour les notes de traducteurs, parfois précédées de la mention « note de l‟édition arabe », parfois du numéro de renvoi inséré dans le texte. Pour remettre de l‟ordre dans tout cela, il conviendrait d‟élaborer des règles précises auxquelles l‟ensemble des traducteurs travaillant dans le cadre de la même équipe seraient tenus de se conformer. Voici quelques règles que nous appliquons nous-mêmes lors de notre pratique de l‟explicitation (cf. toutes nos propositions de retraductions) et que nous soumettons à l'approbation des autres traducteurs. La première règle consiste à dire que toute information ajoutée dont l‟évidence ou l‟exactitude est incontestable peut être intégrée dans la trame discursive sans être déclarée par aucun marqueur typographique, que ce soit en amont ou en aval de l‟élément problématique concerné ou encore plus loin dans le tissu textuel. Cette règle s‟applique notamment à certains procédés relevant de l‟incrémentialisation et de la périphrase. Ainsi une incrémentialisation spécifiant que la « Seine » est un « fleuve », peut se placer en amont de ce nom sans qu‟il soit nécessaire de la faire ressortir par l‟emploi de guillemets ou de parenthèses. En revanche, lorsque le complément apporté est sujet à caution, non pas à cause d‟un doute sur son exactitude, mais plutôt en raison du caractère plus ou moins subjectif des traits saillants retenus par le traducteur, il vaudrait mieux marquer cette mise à distance entre les propos originaux de l‟auteur et les ajouts revendiqués par le traducteur, en insérant ces derniers entre parenthèses. Ce détachement ne doit pas être perçu comme une manière de décliner la responsabilité du traducteur par rapport à l'information additionnée, mais plutôt comme une signature assumant sa contribution à la réexpression fournie. La deuxième règle consiste à réserver l‟usage des parenthèses uniquement aux interventions du traducteur, tandis que l‟emploi des guillemets servira uniquement à souligner les formes portant la trace de l‟expression originale que le traducteur a tenu à sauvegarder : l‟emprunt pour les nouveaux termes, le report pour les noms propres inconnus, le calque d‟une désignation spécifique connotée. Cette répartition de rôles servira à rendre à l'auteur et au texte d‟origine ce qui leur appartient comme spécificités culturelles ou subtilités linguistiques et au traducteur ce qui vient de lui et qui n‟engage que lui. Rappelons que le traducteur pourra insérer des explicitations discrètes dans le texte tant qu‟elles n‟apportent que des compléments cognitifs évidents et indiscutables. La troisième règle consiste à employer la mention « Note du traducteur ou NdT» ٍ‫انًزشخى" "يالزظخ ي‬ au début de chaque note insérée par le traducteur, afin de les distinguer des notes auctoriales,

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c'est-à-dire des notes déjà présentes dans le texte d‟origine et qui sont également traduites en arabe. Nous allons à présent étudier le rapport entre notre maxime de la manière et le respect des normes linguistiques et traductives en vigueur dans le contexte d‟accueil arabe. 3.6.2. Les normes linguistiques : quel registre linguistique privilégier ? Nous nous intéressons ici aux normes linguistiques qui déterminent le choix du registre de langage employé, gage d‟acceptabilité et d‟intelligibilité de la traduction dans le contexte d‟accueil. La situation actuelle de la langue arabe ainsi que les connaissances linguistiques supposées du lectorat cible sont à prendre en compte en choisissant la manière d‟expliciter. Ceci est d‟autant plus impératif lorsque l‟on s‟adresse à un public vaste, difficile à cerner et parlant certes une même langue mais qui présente toutefois de fortes disparités lexicales d‟une région à l‟autre. Après avoir décidé du choix de la technique appropriée et du procédé adéquat selon les critères énoncés ci-dessus, il conviendrait de se demander quel registre linguistique privilégier et avec quels mots il serait souhaitable de s‟adresser à ce public disparate pour que la formulation proposée soit pleinement intelligible et acceptable? En analysant le paysage linguistique arabe actuel, nous pouvons avancer quelques éléments de réponse. Il convient d‟indiquer dès le départ que la première langue acquise par la majorité des Arabes au sein de la famille est l‟« arabe dialectal » qui connaît des variétés régionales différenciées, sans que ce phénomène n‟entrave réellement la compréhension au sein du monde arabe. Le dialecte est donc la langue du dialogue quotidien familier, et celle de l‟affectivité (Garmadi-Le Cloirec 1977 : 86). Cet arabe dialectal, appelée communément "‫( "انذاسخخ‬dariǧa) ou "‫خ‬ٛ‫„( "انؼبي‬āmīyya) est resté sans code écrit. Hormis quelque cas particuliers comme dans les caricatures et les bandes dessinées, il est difficile d‟écrire avec ce registre, d‟autant plus que son emploi dans les écrits officiels est formellement proscrit. Vu l‟utilisation quotidienne de ce registre, son répertoire lexical est extrêmement fourni. Les traducteurs peuvent donc y trouver des désignations linguistiques consacrées par l‟usage régional ou national à la plupart des objets et concepts pour lesquels l‟« arabe officiel » n‟a pas (encore) proposé d‟équivalents linguistiques fixes. Malheureusement, ils ne peuvent pas les utiliser lors de l‟explicitation de l‟un de ces termes (Cf. la problématique nº 5), pour ne pas affecter l‟acceptabilité de la traduction ni son intelligibilité pour le grand public arabe issu d‟une dizaine de pays différents. Quoique parfois tentant et économe, le recours au registre dialectal pour désigner certains référents constitue, d‟après notre estimation, un écart par rapport aux normes linguistiques et donc une infraction à la maxime de la manière. Il n‟en demeure pas moins que certains traducteurs ne résistent pas à cette tentation en employant quelques mots appartenant aux dialectes de certains pays dans le but de garantir une intelligibilité optimale pour les lecteurs parlant ou connaissant ce registre dialectal (Cf. note 254), ce qui leur évite de procéder à

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l'explicitation. De tels emplois reflètent l‟idiolecte du traducteur et confère souvent à la traduction une impression d‟étrangeté, d‟intrus, de sous-valorisation du style arabe. Il existe en plus de ces dialectes distinctifs de chaque pays arabe, l‟arabe officiel que l‟on peut diviser en deux formes plus ou moins distinctes: l‟arabe littéral et l‟arabe moderne. Le premier registre, appelé "ٗ‫( "انفصس‬Fuṣḥā) en arabe, dit aussi « classique » ou « standard » ou « littéraire » en français, est un langage millénaire dont l‟usage s‟est largement répandu et intensifié après l‟avènement de l‟Islam au VIIe de notre ère. Il a acquis le statut de la forme ancienne, archaïque, pure, originelle de l‟arabe moderne. Employé dans la littérature ancienne, et dans toutes les sciences du Moyen-âge, il est aussi la langue du Coran et du discours religieux. Le deuxième registre, situé entre l‟arabe littéral et les dialectes régionaux, est l'arabe moderne dont l‟usage s‟est développé depuis la renaissance arabe au XIXème siècle (Baccouche 2009 : 18). Il représente une forme simplifiée et mise à jour de l‟arabe classique. C‟est la langue officielle des pays arabes, celle de l‟enseignement, des médias de masse et de tous les domaines professionnels écrits. Cette forme moderne est « le fruit d‟une évolution qui a duré plus d‟un millénaire, avec une interaction entre l‟arabe littéral et ses divers dialectes » (Ibid. : 19). Des milliers de vocables de l‟arabe classique sont tombés en désuétude, car « l‟usage moderne n‟a plus besoin de centaines de mots et de nuances pour le chameau ou le cheval. Des milliers de mots nouveaux ont vu le jour, forgés, calqués ou empruntés » (Ibid. 21). Baccouche (2009) explique la dynamique de l‟évolution lexicale de cet arabe moderne en écrivant ceci : « L‟enrichissement du lexique général se fait par l‟usage, exprimant des besoins nouveaux. Quant aux lexiques spécialisés, la terminologie s‟enrichit par l‟apport des chercheurs et des traducteurs, mais également par celui des académies. Malgré l‟effort important, les besoins ne cessent de grandir, car le rythme du progrès dans les domaines scientifiques, dépasse celui de la traduction » (Ibid. : 22). Grâce aux médias, cet arabe moderne tend de plus en plus à s‟uniformiser en intégrant certaines variantes dialectales, certaines créations néologiques et en ressuscitant certains termes classiques. À cet égard, Baccouche déclare également que « ceci nous autorise à penser que l‟arabe moderne, qui est en pleine gestation, observable dans les médias écrits et audiovisuels de tous les pays arabes, serait vectoriellement la synthèse panarabe des synthèses nationales qui prendraient la forme d‟un continuum englobant le littéral et le dialectal avec toutes leurs variantes » (Baccouche 2009 : 23). C‟est donc tout naturellement dans les ressources de ce registre de l‟arabe moderne que les traducteurs peuvent puiser les formes linguistiques des explicitations fournies si l‟on veut toucher le grand public, tout en se conformant aux normes linguistiques. Par ailleurs, l‟emploi de l‟arabe littéral n‟est pas exclu en traduction. Au contraire, ce registre confère au texte traduit une impression de solennité, une pureté stylistique, une « AOC » linguistique selon le terme de Buckley (2005 : 63) (le vrai, le produit de qualité supérieure). Cela pourrait rentrer dans les normes de réception dans certains pays arabes, comme le Yémen et les pays du Golfe, ou dans les normes de traduction de certains éditeurs.

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En définitive, pour traduire un texte qui soit parfaitement fonctionnel et acceptable dans le contexte d‟accueil arabe, il conviendrait de coller à la langue arabe moderne, puisque celle-ci est à présent le dénominateur commun permettant la communication et l‟intercompréhension entre tous les arabophones. La légitimation d‟une traduction arabe passe impérativement par ce socle commun, qui peut être néanmoins agrémenté de quelques notes du registre de l‟arabe littéral pour embellir le style. Mais dans tous les cas, nous préférons exclure l‟emploi de termes dialectaux bien qu‟ils puissent parfois jouir d‟un pouvoir d‟évocation important pour certains objets et concepts. Accepter un emprunt dialectal serait reconnaître la supériorité d‟un dialecte en particulier au détriment des autres et serait la marque d‟une certaine partialité du traducteur qui pourrait heurter des sensibilités nationalistes. De telles explicitations risqueraient d‟être rejetées par une partie des lecteurs. Dans ce sens, Margot dit « La préoccupation qui détermine le choix d‟un langage approprié est d‟un tout autre ordre : l‟on s‟efforce de recourir constamment au niveau du langage fonctionnellement le mieux adapté au public visé, c'est-à-dire le langage offrant les meilleures chances de bonne communication et de communication intégrale du message » (Margot 1979 : 302). Et l‟auteur de préciser aussi que ce choix permet surtout « d‟éviter des erreurs telles que l‟emploi de régionalismes incompréhensibles pour une partie du public visé, ou le recours à des tournures caractéristiques de milieux soit très cultivés, soit peu cultivés, qui entraineraient le rejet de la version par telle ou telle catégorie sociale » (Ibid. : 298). 3.6.3. Les normes traductives en rapport avec l‟explicitation Autant les normes linguistiques et les spécificités terminologiques sont diverses et variées dans l‟aire linguistique arabe, autant les normes traductives sont souvent floues et instables dans ce vaste polysystème politique et institutionnel. Les éditeurs gouvernementaux comme les ministres de la Culture dans les États arabes ou les éditeurs privés implantés traditionnellement au Liban et en Égypte ont toute latitude dans la détermination des normes et des cahiers de charges de la traduction. Leur objectifs sont également variés : de la propagande politico-culturelle lorsque les traductions sont subventionnées par les organes publics aux buts simplement lucratifs et commerciaux lorsque les traductions sont produites par les maisons d‟édition. Comme nous l‟avons vu en analysant les approches fonctionnelles (chapitre I) qui se penchent plus particulièrement sur l‟étude des conditions et modalités de la pratique réelle de la traduction, le changement de skopos de la traduction implique un changement de la méthode de traduction et donc des « normes » présidant à la réalisation de cette entreprise. La prise en compte de ces « normes », si l‟on peut les appeler ainsi, participe de l‟acceptabilité du texte traduit dans le contexte accueil arabe, dans la mesure où elles permettent d‟anticiper la réaction des lecteurs et de s‟adapter à leurs goûts et attentes : « However, the concept of acceptability during the translation process is an assumption of the translator who is tentatively assuming the role of a member of the target culture while translating, since it is impossible to

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predict, if the end product will indeed be accepted into the target culture or not (Toury 1993 : 16) ». Dans cette optique, il incombe au traducteur de connaître le contexte de réception de son texte afin d‟être capable de modifier son comportement conformément à ces exigences, c‟est-à-dire produire une traduction qui devrait être en accord avec le goût de l'époque, les normes en vigueur de l‟édition, l'horizon d‟attente des lecteurs, les formats acceptables ou souhaitables, le « style de traduction » apprécié, etc. Tout cela a sans doute des répercussions sur la manière d‟appliquer les décisions d‟explicitation. Le traducteur devient, comme le décrit Salama-Carr (2007), un acteur social et non seulement un simple observateur : « […] the time may have come to accept that the mediaition of translators and interpreters, who themselves are social actors, is not always that of detached oberveres) (Salama-Carr 2007 : 7). La conjoncture politique peut également imposer certaines normes plus ou moins tacites à un moment donné, concernant un traitement particulier accordé à une certaine catégorie de référents culturels. L‟on pourrait par exemple supposer que les référents et allusions politiques ayant trait à la révolte populaire (la Commune, la Révolution française, les révolutions européennes et d‟Amérique latine) seraient vus d‟un mauvais œil par certains Çtats arabes menacés par la vague révolutionnaire de 2011. Les traducteurs seront donc plus réticents et moins bavards à l'égard de l‟explicitation de ce type de faits historiques ou culturels. Or, nous n‟avons remarqué aucun changement dans la méthode d‟explicitation de ces référents en particulier dans les textes du MD durant l‟époque du « Printemps arabe ». Les traducteurs continuaient à expliciter ce qu‟ils estimaient nécessaires à la compréhension du sens des textes en question. Cela a cependant causé très vraisemblablement l‟arrêt définitif du projet en juin 2012, vu que le MD n‟était presque plus distribué dans la plupart des pays arabes à la fin de 2011. Nonobstant la multiplicité et le flou des normes de traductions dans le monde arabe, nous allons tenter de dégager, à partir de nos constatations de l‟analyse de notre corpus 2001-2011, les normes qui nous paraissent les plus significatives et les plus influentes en qui concerne notre sujet d‟étude. 3.6.3.1. Les normes inhérentes à l'explicitation des sigles et acronymes Force est de constater que les sigles et acronymes sont extrêmement fréquents dans les textes du MD. Ils peuvent renvoyer à des noms propres et à des concepts culturels tous azimuts. Une fois insérés dans le texte, ils peuvent remplir une ou plusieurs fonctions discursives : référentielle en désignant simplement des personnes, des objets, des concepts, ou connotative en faisant allusion à certains qualités ou caractéristiques implicites, ou les deux en même temps. Ils figurent de ce fait dans les cinq problématiques nécessitant le recours à l'explicitation. Or, cette catégorie d‟éléments abrégés reçoit un traitement spécifique en langue arabe. De par ses particularités

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typologiques et stylistiques, l‟arabe moderne342 s‟accommode mal des abréviations, ce qui incite les traducteurs à expliciter régulièrement et quasi systématiquement les sigles et les acronymes. Cependant pour ne pas tomber dans les travers de la généralisation, il conviendrait de distinguer entre les sigles et les acronymes. L‟emploi de sigles à l'écrit en arabe moderne reste peu fréquent, mais les acronymes, prononcés comme un mot, sont de plus en plus présents, grâce à leur capacité d‟intégration phonétique et graphique343. Or, en traduction, le report des sigles et acronymes tels quels, sans explicitation n‟est pas envisageable, pas plus que la création d‟un sigle ou d‟un acronyme équivalent à partir d‟initiales des correspondants linguistiques arabes. Et pour cause, dans les deux cas, le référent désigné demeure non identifié, et le sens obscur. Ces siglaisons sont en quelque sorte une dénomination propre, qu‟on peut bien expliciter, sans lui inventer une forme équivalente en arabe. La réexpression complète des initiales des sigles et des acronymes est donc la règle générale. Seules échappent à cette règle les sigles et acronymes qui ont reçu une traduction officielle consacrée par l‟usage comme « Opep » rendu par "‫ك‬ٛ‫"أٔث‬, « Otan » rendu par "ٕ‫"انُبر‬. Ces exceptions se limitent généralement à quelques acronymes de notoriété mondiale et traduits souvent de l‟anglais. Il est rare de trouver dans les écrits officiels des sigles en arabe. Il faut toujours exprimer le nom en toutes lettres. C‟est la norme. Tout ce qui peut s‟en écarter est l‟exception. Vu la charge sémantique que véhiculent ces sigles dans le discours et leur caractère fortement ancré dans la culture source, nous croyons que l‟explicitation des sigles et acronymes renforce l‟acceptabilité et la fonctionnalité de la traduction en arabe. Nous suggérons cependant de ne pas trop nous attacher à la traduction littérale des initiales de certaines abréviations, car cette forme de traduction comporte toujours un risque d‟ambiguïté ou d‟incompréhension de la réalité désignée. Nous estimons dès lors qu‟il faut rechercher l‟équivalent paraphrastique ou discursif le plus proche du sens littéral du sigle initial, et le plus évocateur possible, avec bien sûr le report du sigle d‟origine entre guillemets, celui-ci étant une dénomination propre dont la préservation

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Personnellement, nous considérons ce fait comme étant plutôt une norme traductive propre à l‟arabe moderne et non une norme stylistique caractérisant le système linguistique arabe. Et pour cause, la langue arabe, comme toute autre langue, peut très bien supporter ce genre de siglaisons. Le style arabe classique en est extrêmement friand, allant même jusqu'à créer des abréviations pour des phrases et des syntagmes nominaux. Nul n‟est choqué d‟entendre en arabe littéral des acronymes phrastiques comme « al-basmallah » ")‫( "اٹجَپٺخ (ثَټ اهلل اٹوزتڀ اٹوؽُټ‬au nom de Dieu le Clément et le très Miséricordieux ), « al-ḥay„alah » ")‫ٺً اٹٮالػ‬٥ ٍ‫ٺً اٹٖالح ؤو ؽ‬٥ ٍ‫ٺخ (ؽ‬٦ُ‫ « "اضت‬Venez à la prière/Venez au bien », qui désigne cette formule qu‟on scande du haut des minarets cinq fois par jour lors de l‟appel à la prière. Il est également commun d‟écrire "ٓ" «ṣ » ou "‫ټ‬٦‫ « "ٕٺ‬ṣ-l-„-m » lorsque l‟on mentionne le nom du prophète pour dire « Paix et Salut soit sur lui », même si cet usage est contesté par certains religieux. Par ailleurs, le fait même d‟utiliser des combinaisons de lettres pour signifier quelque chose est même utilisé dans le Coran dans les débuts de certaines sourates, dont le mystère n‟est pas encore percé : "ٔ٦ُ‫( "ٵه‬kāf. hā. yā.„īn. ṣād), en début de la sourate 19 « Maryam (Marie) ». Le point ici est de dire que l‟arabe littéral en tant que forme originelle de la langue arabe ne s‟oppose pas en principe à ce moyen économique de production linguistique, mais l‟usage actuel semble s‟y opposer, à l'exception de quelques acronymes qui ont pu s‟imposer comme (Hamas) "ً‫"زتب‬, et plus récemment le sinistre (Daesh) "ِ٥‫"كا‬, c'est-à-dire l‟Etat Islamique en Irak et Sham (Syrie). Mais pour ces deux derniers exemples, il ne s‟agit que d‟acronymes et non de sigles à proprement parler. 343 Pour plus de détails sur la distinction entre ces deux catégories, voir point 2-4, Ch. IV.

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s‟impose au même titre que les noms de personnes, etc. Ainsi, l‟on pourrait par exemple traduire « HLM » par "HLM ‫دبس‬ٚ‫خ يُخفضخ اإل‬ٛ‫( "انًغبكٍ انشؼج‬les logements populaires à loyers bas), « les CSP» par "CSP ‫ب‬ٛ‫خ انؼه‬ًُٛٓ‫( "انفئبد ان‬les catégories professionnelles supérieures). 3.6.3.2. Les normes inhérentes à l'explicitation des noms propres Comme nous l‟avons souligné à plusieurs reprises, l‟absence de lettres majuscules en langue arabe contraint presque toujours les traducteurs du MD à expliciter systématiquement les noms propres en procédant à leur incrémentialisation afin qu‟ils soient facilement reconnaissables et compréhensibles. Ces ajouts succincts portent souvent sur la fonction ou les autres traits distinctifs d‟un personnage lorsqu‟il s‟agit d‟un anthroponyme, la localisation ou la classe d‟objet (commune, département, région, etc.) s‟il s‟agit d‟un toponyme, le domaine d‟activité s‟il s‟agit d‟un nom d‟institution ou de société, etc. Concernant les anthroponymes, les traducteurs se contentent souvent d‟ajouter le terme présentateur « Monsieur » ou « Madame » pour préciser d‟emblée qu‟il s‟agit d‟un nom de personne, masculin ou féminin. Contrairement aux normes appliquées dans d‟autres traductions en dehors du MD, nous avons constaté que les traducteurs du MD transcrivent presque toujours ces noms en arabe, sans reporter l‟orthographe latine d‟origine, ce qui fait perdre au lecteur l‟avantage de reconnaître l‟orthographe du vrai nom pour d‟éventuelles recherches supplémentaires. Qui plus est, la transcription en arabe se fait souvent de façon arbitraire, ce qui rend difficile la reconnaissance de ces noms transcrits et prononcés différemment d‟un texte à l'autre. Seuls dérogent à ces normes, les noms propres célèbres dont les référents sont connus et dont la transcription en arabe s‟est peu à peu uniformisée grâce aux médias de masse et à la presse, comme les noms des présidents d‟Çtats, des acteurs célèbres, etc. A l'instar des sigles et acronymes, les noms propres relèvent de toutes les problématiques suscitant le recours à l‟explicitation, étant donné qu‟ils forment un lieu privilégié d‟inscription du sens discursif de différentes valeurs référentielles et connotatives. De ce fait, leur explicitation, par les techniques appropriées selon les doses adéquates, constitue une norme traductive dont dépendent la fonctionnalité et l‟acceptabilité des textes traduits. Cependant, pour améliorer cette acceptabilité, il aurait par exemple été souhaitable de mettre toujours les noms propres en arabe entre guillemets (sauf pour ceux qui sont célèbres), indiquant ainsi au lecteur qu‟il s‟agit d‟une sorte de report qui rappelle la trace du terme d‟origine, et de veiller au respect de la même orthographe dans tout le texte traduit et plus largement dans toutes les traductions du MD344. Cela aurait nécessité une meilleure coordination entre les équipes de traducteurs pour établir ces règles et uniformiser leurs transcriptions. A cet égard, nous aimerions rappeler que nous avons rendu le nom de « Gavroche » en arabe par "ُ‫ "عب٭وو‬et non "ُ‫ب٭وو‬٩" comme le font la plupart des traducteurs du MD. Malgré la différence de prononciation de la lettre "‫ "ط‬dans certains pays arabes (J comme dans « je » dans la plupart des pays arabes, G comme dans « gants » en Égypte et au Yémen), nous pensons que l‟utilisation de cette lettre reste plus proche du son français que l‟autre alternatif, c'est-à344

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3.6.3.3. Les normes concernant le recours aux notes de traducteur À partir de notre analyse des techniques d‟explicitation du MD (Cf. point 2-6, Ch. V, la technique de la note), nous avons remarqué que les normes traductives du MD avaient évolué depuis 2005 en ce qui concerne à l'emploi des notes du traducteur. En effet, celles-ci ne faisaient pas partie de la palette des techniques dont disposaient les traducteurs avant la création de la filiale du MD. Pour pallier ce manque, les traducteurs devaient privilégier les techniques d‟explicitation interne, comme l‟incrémentialisation, la périphrase, l‟insertion. Par conséquent, ils se trouvaient souvent contraints d‟être aussi concis que possible pour ne pas diluer plus que nécessaire les explicitations internes. Il leur fallait donc adopter une méthode de traduction de plus en plus orientée vers les approches interprétatives et ciblistes. En effet, pour intégrer discrètement ses ajouts explicitants au sein du texte traduit, le traducteur devait faire preuve de plus créativité et de détachement par rapport aux constructions syntaxiques du texte source, ce qui lui conférait une liberté accrue dans le choix de ses reformulations. C‟est ce que nous avons d‟ailleurs constaté dans les traductions effectuées avant 2005 ; la récurrence de l‟emploi de la paraphrase explicative à cette époque en est une preuve tangible. Après 2005, l‟espace rédactionnel s‟est élargi, le lectorat aussi. Les traducteurs pouvaient donc insérer dans le paratexte des notes plus ou moins développées pour expliciter certains référents ou éléments problématiques dans le texte. Salama-Carr (2001) considère que cette réorganisation des éléments des explicitations fournis par le traducteur relève d‟« une contrainte d‟ordre textuel et éditorial, et donc de normes » (Salama-Carr 2001 : 219). Or, les notes étaient toujours placées en fin d‟article et non en bas de page. Cette norme a été respectée tout au long de la période de traduction du MD. Nous préférons largement les notes de bas de page puisqu‟elles assurent plus de proximité entre les éléments problématiques et les explicitations fournies. Pour mieux comprendre le sens de ces éléments, il suffit au lecteur de baisser ses yeux pour obtenir le supplément informationnel prévu à cet effet. Les notes de fin d‟article l‟obligent souvent à tourner plusieurs pages à la recherche de l‟explicitation, ce qui dissuade certains lecteurs d‟aller les consulter au moment opportun. Néanmoins, il faut respecter les règles imposées par l‟éditeur et les contraintes techniques qui exigent parfois une telle présentation. 3.6.3.4. Les normes concernant l‟emploi des emprunts Le recours aux emprunts dans la langue arabe en général et en traduction en particulier fait partie des normes qui ont semblé prévaloir dans les années 1870-80, à l'époque de la Renaissance arabe. Cette période a connu un regain d‟intérêt pour la traduction. En effet, pour nourrir les mouvements culturels à l'époque, on traduisait beaucoup et par conséquent on avait besoin de remplir de façon urgente les cases vides du répertoire lexical de l‟arabe littéral. L‟origine de ces dire le "٧" (R grasseyé, comme dans « rire »). Personnellement, nous utilisons souvent cette forme de transcription, sans que cela n‟ait été contesté par les éditeurs ou les lecteurs, à ce que nous sachions.

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emprunts dépend du polysystème arabe en question : au Maghreb, au Moyen-Orient (Égypte, Liban, Syrie), on empruntait souvent du français, et à l'Orient (pays du Golfe, Irak, Yémen), on empruntait de l‟anglais, du turc ou du farsi. Cependant, l‟idéologie nationaliste, qui se développait en même temps, préconisait l‟arabisation, c'est-à-dire la création de néologismes arabes pour contrecarrer la tendance très forte à l'emploi des emprunts issus des langues étrangères. Depuis, les normes traductives oscillaient entre les deux tendances. Certains traducteurs ou éditeurs ont une prédilection pour l'emploi des termes arabisés proposés par les Académies de langue arabe ou forgés par les traducteurs eux-mêmes. Cependant, il y a un hic : ces termes ne sont pas généralement connus du grand public à cause d‟un manque de coordination entre les Académies elles-mêmes ou à cause du manque cruel de diffusion et de publication de leurs travaux. D‟autres éditeurs préfèrent employer les emprunts qui s‟installent plus rapidement dans la presse et les médias qui les font connaître à leur tour au grand public. Il suffit de lire n‟importe quel texte arabe pour se rendre compte de la masse lexicale importée d‟autres langues et qui a été intégrée parfaitement dans le registre de la langue arabe moderne (i.e démocratie, idéologie, dynamique, téléphone, télévision, radio, internet, etc.). Sauf que l‟abus d‟emploi des emprunts dénature la langue arabe et rend le texte parfois hermétique, notamment lorsque plusieurs emprunts se trouvent juxtaposés dans une même phrase ou présents dans la même séquence textuelle. Quid du cas du MD ? À partir de notre analyse du corpus, notamment les exemples concernant la technique de l‟équivalent synonymique, nous avons constaté le même flottement que nous avons décrit cidessus. Par volonté d‟être le plus clair possible ou par propension à l‟arabisation, la plupart des traducteurs recourent à l‟emprunt mais le doublent d‟une expression arabe synonyme. D‟une part, ils pensent ainsi être compris d‟un plus grand nombre de lecteurs, et d‟autre part, ils se positionnent au milieu de deux tendances opposées, sans prendre parti ni pour l‟une ni pour l‟autre. Comme nous l‟avons expliqué lors de l‟analyse de ce procédé, nous proposons d‟employer les emprunts qui sont jugés connus de la majorité des lecteurs cibles, sans leurs adjoindre d‟équivalents synonymiques. Et lorsqu‟il existe un doute sur la méconnaissance de ces emprunts de la part de ce lectorat, il faudrait alors employer le terme arabisé seul, et s‟il n‟en existe pas, recourir à une périphrase ou à une paraphrase transmettant la même charge sémantique. Nous proposons de réserver l‟emploi de l‟emprunt aux néologismes que l‟on souhaiterait introduire dans la langue-culture arabe et dans ce cas, le traducteur pourrait, voire devrait mettre l‟emprunt entre guillemets et y adjoindre une explicitation par périphrase ou par insertion révélant sa signification pertinente dans le contexte ou sa valeur référentielle en général.

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3.6.3.5. Les normes quant au « style de traduction » du MD A défaut de pouvoir parler d‟une méthode particulière de traduction appliquée systématiquement dans le MD et qui se fonderait sur une conception théorique bien définie, nous préférons parler de « style de traduction », caractérisé par une certaine singularité, vu les différents habitus des traducteurs, mais aussi d‟une certaine régularité, vu la récurrence d‟un même mode opératoire dans les différents textes traduits. Nous allons tenter de dégager ces caractéristiques les plus prégnantes qui font le style de la traduction du MD. De l‟analyse de notre corpus, il ressort clairement que la « tendance interprétative » est plus dominante entre 2001 et 2005, tandis que les textes traduits entre 2005 et 2011 affichent généralement une « tendance linguistique ». Par tendance interprétative, nous entendons un style de traduction où les traducteurs tendent, par volonté d‟apposer leur empreinte stylistique ou par conviction de la nécessité de l‟émancipation des formes initiales, à privilégier des équivalences discursives donnant lieu à une reformulation linguistique plus fluide qui ne suit pas forcément la construction syntaxique du texte source « au pied de la lettre ». Par tendance linguistique, nous entendons le style où les traducteurs tendent, par sécurité, par précaution, ou peut-être par paresse, à privilégier la fidélité à l'expression originale en respectant au maximum la syntaxe de la phrase, les motivations sémantiques des expressions, et en usant de beaucoup d‟emprunts et de reports en cas de vide lexical. Il n‟en demeure pas moins vrai que certains traducteurs avant 2005 réalisaient des traductions qui s‟approchaient plus de la tendance linguistique, tandis que d‟autres traducteurs après 2005 effectuaient des traductions de plus en plus proches de la tendance interprétative. On ne peut donc pas parler d‟une application stricte et rigoureuse de la conception linguistique d‟un côté, ou de la conception communicationnelle de l‟autre, mais d‟une vocation orientée vers l‟une ou vers l‟autre. En effet, il arrive parfois que le traducteur effectue, dans la même séquence textuelle, une traduction plus ou moins littérale d‟un énoncé et une traduction plus ou moins interprétative de l‟énoncé suivant. Nous sommes parfois porté à croire que, pour certains traducteurs, il est plutôt question d‟inspiration que de conviction théorique intime. Lorsque le traducteur se sent inspiré, il adopte un style usant de plus en plus de paraphrases, d‟adaptations, etc., mais quand il ne l‟est pas, il suit le texte source mot à mot. Qu‟en est-il de l‟application de la stratégie de l‟explicitation ?

Les statistiques recueillies sur le nombre d‟explicitations entre 2001 et 2011 montrent bien que le recours à l‟explicitation est de plus en plus fréquent, notamment après 2005, où l‟on constate une orientation générale vers la tendance linguistique345. Ce phénomène s‟explique par le fait que la 345

Il va sans dire ici que l‟explicitation accompagne également et naturellement la tendance interprétative qui est par définition plus propice à l'emploi de la stratégie de l‟explicitation, comme nous l‟avons expliqué au chapitre I, sous les approches communicationnelles. Si le nombre d‟explicitations recensées entre 2001 et 2005 était relativement

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stratégie de l‟explicitation constitue, pour la majorité des traducteurs (leurs traductions en témoignent), un compromis susceptible de réconcilier leur propension à la préservation de la trace de l‟expression originale (par emprunt, report et calque) et la nécessité d‟expliciter les significations pertinentes dont se chargent ces expressions. Ainsi, le lecteur arabe est censé disposer d‟un texte à la fois fidèle au texte source et doté des éléments contextuels nécessaires à la compréhension de son vouloir dire. Or, dans la réalité, les choses sont plus complexes. La saisie de ce sens discursif reste largement tributaire de la capacité d‟inférence du lecteur cible et de la pertinence des explicitations apportées. 3.6.4. Le manque de rigueur dans l‟explicitation Nous espérons avoir démontré tout au long de cette section consacrée à l'étude de la maxime de la manière, que pour nous l‟explicitation devrait être une décision raisonnée, réfléchie et appliquée avec méthode. Sur le fond, cette décision doit participer à la réalisation de l‟équivalence de sens recherchée par le nouveau rapport explicite/implicite du texte traduit. La transmission du sens en contexte étant sa raison d‟être et son but ultime. Sur la forme, cette décision doit être opérationnelle et acceptable. Pour ce faire, elle doit être appliquée avec rigueur dans le texte traduit grâce au choix judicieux et cohérent de la technique appropriée. Elle doit surtout être en conformité avec les normes linguistiques et traductives en vigueur dans le contexte d‟accueil. Tout manquement à ces normes compromet l‟intelligibilité et l‟acceptabilité de l‟explicitation fournie et donc sa pertinence. En outre, l‟ensemble des décisions d‟explicitation doivent être appliquées avec la même rigueur sur l‟ensemble du texte traduit. Ce dernier doit former une seule entité autonome et cohérente. Pour assurer cette cohérence, les cinq maximes sur lesquelles se fonde la mise en œuvre de la stratégie de l‟explicitation doivent être respectées du début jusqu‟à la fin. Les techniques et les procédés différent, certes, en s‟adaptant aux besoins contextuels, mais la logique sous-jacente à la manière d‟expliciter est la même. Faute de quoi, le texte traduit risque de comporter des incohérences et des redites inutiles : « Le traductologue, lui, constate parfois un manque de méthode dans l‟explicitation ; dans un même texte, peuvent coexister des explicitations superflues et certaines obscurités qui auraient pu être éclaircies » (Lederer 1998 : 164). Voici à présent une série d‟exemples illustrant quelques cas de manque de rigueur dans la manière d‟expliciter.

bas, ce n‟est pas parce que le style de traduction dominant à cette époque n‟y était pas favorable, mais parce que la thématique traitée dans ces textes ne nécessitait pas de recourir particulièrement à cette stratégie. Sans oublier que l‟on ne traduisait pas tous les textes à l'époque. Pour plus de détails, voir l‟analyse de la thématique sous le point 2-62, Ch. IV, consacré à l'étude statistique des cinq motivations des explicitations.

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 Exemple nº 73 : les céfrancs et jambon-beurre Cet exemple est extrait d‟un article du MD septembre 2008, intitulé « Rentrée scolaire et nouveaux rapports... de classes », où l‟auteur analyse le film « Entre les murs », récompensé de la Palme d‟or au festival de Cannes. Ce long métrage raconte la vie au quotidien d‟un professeur dans un collège du 20e arrondissement à Paris et jette un coup de projecteur sur la situation éducative dans ce genre d‟établissements. Dans l‟article du MD, le journaliste explique que les élèves ont souvent des problèmes de maîtrise de la langue française et d‟intégration. En effet, la plupart d‟entre eux sont issus de parents immigrés et se moquent même des jeunes Français de souche. Le traducteur se heurte à la traduction du mot « céfrancs », désignant les Français en verlan et décide, après une tentative d‟explicitation interne, d‟ajouter une note à la fin de l‟article alors qu‟il aurait pu intégrer le contenu de la note au sein du texte. Ces jeunes Français, dont la plupart des parents sont venus d‟ailleurs, ne sont « pas fiers de l‟être », comme le dit Esméralda, et raillent même les « céfrancs » et autres « jambon-beurre ». (MD septembre 2008)

‫بٹجُّخ‬٩ ً‫ اٹنَڀ ؤر‬،‫ ٭هاالء اٹٮوځَُّىٿ اٹْجبة‬Ces jeunes Français, dont la plupart des parents sont venus

‫ ٹَُىا "٭قىهَڀ‬،‫ ؤڅٺهټ ٽڀ ٽٶبٿٍ آفو‬d‟ailleurs, ne sont pas « fiers de ‫ ؽىت‬،‫ ٵپب رٲىٷ بَيٽًناٹلا‬،"‫ ثٶىهنټ ٵنٹٴ‬l‟être », comme le dit Esméralda,

et ils se moquent même des «

"céfrancs"‫ ؤځّهټ َهيئوٿ ٽڀ اٹـ‬céfrancs » et autres amateurs de ‫بئو ضتټ اطتڂيَو‬ّٞ" ٍّ‫ًنڅټ ٽڀ ػتج‬٩‫ « و‬sandwichs à la viande de porc

‫ىد ٹٺٮوځٌَُن‬٦‫] ځ‬3[ .]3[ "‫ واٹيثلح‬et au beurre» [3]. [3] des .‫األٕٺٌُن‬

surnoms des français de souche.

Pour appliquer avec rigueur la maxime de la manière selon nos recommandations, nous proposons de retraduire tout ce passage de la manière suivante : Ces jeunes Français, dont la plupart des parents sont venus d‟ailleurs, ne sont « pas fiers de l‟être », comme le dit Esméralda, et raillent même les « céfrancs » et autres « jambon-beurre ». (MD septembre 2008)

‫بٹجُّخ‬٩ ً‫ اٹنَڀ ؤر‬،‫ ٭هاالء اٹٮزُخ اٹٮوځَُىٿ‬Ces jeunes Français, dont la plupart des parents sont venus

‫ ٹَُىا "٭قىهَڀ‬،‫ ؤڅٺهټ ٽڀ ثٺلاٿ ؤفوي‬d‟autres pays, ne sont pas «fiers ‫ ثٸ‬،"‫ ٵپب رٲىٷ "بَيٽًناٹلا‬،"‫ ثٶىهنټ ٭وځٌَُن‬d‟être français», comme le dit « Esméralda ». Ils vont même

‫ بهنټ ٹُهيئوٿ ٽڀ اٹٮوځٌَُن األٕٺٌُن اٹنَڀ‬jusqu'à railler les Français de ‫ل‬٦‫ َٺٲجىهنټ ثـ"اٹَُٮواٿ" (ؤٌ اٹٮوځٌَُن ث‬souche qu‟ils surnomment «

‫بئو‬ّٞ ٍ‫ اٹٖىرُخ) ؤو "آٵٺ‬٤ٝ‫ رجلَٸ اظتٲب‬céfrancs

» (français après inversement des syllabes) ou ."‫ « اطتڂيَو واٹيثلح‬mangeurs de sandwichs au porc et au beurre ».

Nous avons jugé plus pertinent d‟insérer le contenu de la note au sein du texte au lieu d‟obliger le lecteur à faire un détour par la fin de l‟article pour trouver une note de trois mots. Ainsi, nous avons explicité chaque surnom dans le fil du texte avec concision et précision, afin d‟aider le lecteur à mieux saisir le sens du commentaire d‟Esméralda. Il incombe ensuite au lecteur arabe de faire sa part de la tâche interprétative en déduisant d‟autres informations implicites comme, par exemple, le fait que les élèves concernés sont majoritairement d‟origine arabe ou musulmane car

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ils ne mangent pas de porc à la différence des Français de souche, le problème de crise d‟identité de ces fils d‟immigrés, etc. Après avoir choisi la technique adaptée au contenu de l‟explicitation, nous avons également soigné la manière d‟insérer les informations ajoutées et la présentation des noms propres et des autres termes reportés. En effet, nous avons mis le nom propre d‟Esméralda entre guillemets. Comme nous l‟avons dit, nous consacrons l‟emploi des guillemets aux noms propres qui ne sont pas précédés d‟une incrémentialisation ou d‟un terme présentateur afin de les distinguer des autres noms communs et termes de la phrase. Nous utilisons également les guillemets pour souligner tous les termes étrangers traduits par report « les céfrancs » ainsi que pour souligner un terme calqué ou un segment connoté « mangeurs de sandwich de porc et de beurre ». La connotation de ce dernier surnom était explicitée en amont dans le co-texte lorsque nous avons précisé qu‟il s‟agissait de railler les Français de souche.  Exemple nº 74 : les Beurs ! Cet exemple est extrait d‟un article du MD septembre 2001, intitulé « l‟armée s‟ouvre timidement aux Beurs », où l‟auteur évoque la question du recrutement des jeunes d‟origine maghrébine dans l‟armée française. Il explique surtout que malgré le recul du racisme dans l‟armée, celle-ci est encore loin d‟être à l'image de la société française dans sa diversité. Dans l‟énoncé suivant, situé au début du chapeau de l‟article, le traducteur semble hésiter sur le meilleur moyen d‟expliciter le terme « Beur » figurant d‟ailleurs dans le titre de l‟article traduit ainsi en arabe ‫ُفزر ثال‬ٚ ٙ‫ش انفشَغ‬ٛ‫"اند‬ "‫( زًبعخ ػهٗ أثُبء انًغبسثخ‬l‟armée française s‟ouvre sans enthousiasme aux fils des maghrébins). Voyons comment il a traduit la deuxième occurrence de ce terme. Les Beurs dans l‟armée ? La question étonne, suscite la prudence ou choque. Rien de particulier à observer ! Chef des ressources humaines de la gendarmerie, le général HenriCharles Puyou assure que « les jeunes issus de l‟immigration sont bien intégrés dans l‟armée », et nombre de militaires d‟origine maghrébine le confirment. (MD septembre 2001)

"‫ڂبٕو ٽڀ "اٹجىه‬٥ ُِ‫ څٸ يف اصت‬Y-t-il dans l‟armée des gens des « Beurs » (Beurs = la deuxième

‫ = اصتُٸ اٹضبين ٽڀ اٹٮوځٌَُن‬BEURS( génération des Français ‫بهيب)؟ څنا اٹَااٷ َٮبعئ او‬٪‫ ٽڀ إٸ ٽ‬d‟origine maghrébine)? La question

étonne,

suscite

la

‫ وٹٌُ ٭ُڄ ٽب‬.‫ٍ اضتنه ؤو َٖلٻ‬٥‫ ََزل‬prudence ou choque. Rien de -ٌ‫ٍ االځزجبڃ! َاٵل اصتڂواٷ څڂو‬٥‫ ََزو‬particulier à observer ! le général

‫ هئٌُ ٱَټ اظتىاهك اٹجْوَخ يف‬،‫ ّبهٷ ثىَُى‬Henri-Charles Puyou, chef des ressources

humaines

de

la

‫ اٹلهٳ "ؤٿ ٹٺْجبة اظتزؾلهَڀ ٽڀ‬gendarmerie, assure que « les ‫ٍ يف اصتُِ" وڅنا‬٦ُ‫ج‬ٞ‫ اظتهبعوَڀ ٽٶبهنټ اٹ‬jeunes issus des immigrés ont leur place naturelle dans l‟armée », et

‫َٶوٌَن ٽڀ ؤٕٸ‬٦‫لك ٽڀ اٹ‬٥ ‫ ٽب َاَلڃ‬nombre de militaires d‟origine .‫بهيب‬٪‫ ٽ‬maghrébine le confirment aussi.

L‟explicitation faite pour traduire le sens de la première question constitue pour nous un écart à la maxime de la manière. Dans la même phrase, il emploi le procédé de l‟emprunt "‫"انجٕس‬, du report

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« Beurs », d‟insertion de marqueur typographique « = »346 et d‟un syntagme définitoire « la deuxième génération des Français d‟origine maghrébine ». Tout cela après l‟avoir explicité dans le titre par "‫ « "أثُبء انًغبسثخ‬les fils des maghrébins ». Et qui plus est, le co-texte explicite bien à deux reprises dans la même phrase qu‟il s‟agit de jeunes issus de l‟immigration, et de personnes d‟origine maghrébine. En effet, le texte entier explicite en divers endroits le sens de cet acronyme et le problème de leur intégration dans l‟armée française. En revanche, après cet imbroglio de désignations, le traducteur a eu raison d‟employer systématiquement l‟emprunt « beur » par la suite du texte. Pour mieux convenir à la maxime de la manière, nous proposons de retraduire le début de la phrase comme suit "‫ش؟‬ٛ‫ اند‬ٙ‫ "انجٕس" يكبٌ ف‬ٙ‫ٍ يٍ أصم يغبسث‬ٛٛ‫( "ْم نهفشَغ‬Les Français d‟origine maghrébine « les Beurs » ont-ils une place dans l‟armée ? ». Cette explicitation coïncide avec celle faite dans le titre, avec le co-texte, ce qui garde une certaine cohérence d‟ensemble. L‟emploi de l‟emprunt entre guillemets après l‟avoir explicité par la périphrase définitoire rend cet emprunt opérationnel par la suite car compréhensible sans besoin de réitérer l‟explicitation. Examinons à présent le cas de la traduction du concept de « blog » qui illustre la complexité des normes linguistiques et traductives arabes et la difficulté de choisir la manière d‟expliciter.  Exemple nº 75 : les blogs La première apparition de ce terme dans notre corpus remonte à l'article du MD août 2003, intitulé « Internet saisi par la folie des weblogs », traduit en arabe par ‫ت‬ٚٔ( ‫خ‬َٛٔ‫"خٌُٕ انًفكشاد اإلنكزش‬ "‫( نٕغض) ػهٗ شجكخ االَزشَذ‬la folie des mémos347 électroniques (weblogs) sur le réseau Internet). Dans cet article, l‟auteur explique le phénomène naissant de création de blogs auxquels peuvent se référer les internautes pour chercher des informations en dehors des cercles médiatiques, notamment après l‟invasion américaine de l‟Irak. Face à ce concept nouveau pour le lectorat arabe, le traducteur semble hésiter quant à la manière la plus acceptable de le traduire : est-ce qu‟il ferait mieux d‟employer l‟emprunt « weblogs » après l‟avoir explicité dans le titre de l‟article par la périphrase définitoire « les mémos électroniques », ou bien employer d‟autres périphrases explicitantes, quitte à être redondant ? Il finit par choisir la deuxième méthode. À la première occurrence, le traducteur réemploie, sans l‟emprunt, la courte périphrase définitoire « les mémos électroniques "‫خ‬َٛٔ‫ "انًفكشاد اإلنكزش‬. Cependant, à la deuxième occurrence, vers le milieu de l‟article, le traducteur semble avoir un doute sur la clarté de sa première traduction et choisit de l‟étoffer en écrivant "‫بد خبصخ ػهٗ انشجكخ‬ٛ‫ٕي‬ٚ " « des journaux personnels sur le Net», avant de décider lors de la dernière occurrence, vers la fin de l‟article, d‟employer une forme abrégée de la

346

L‟introduction du signe « = » marque davantage la présence de la voix du traducteur qui explique à son lecteur, comme un maitre à ses élèves, que cette périphrase est l‟équivalent de ce terme, comme si le lecteur ne l‟aurait pas compris tout seul ou comme s‟il aurait imaginé autre chose. 347 Littéralement : le rappel électronique. Nous pensons que le mot « mémo » est le plus proche de la signification du terme employé par le traducteur.

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première explicitation, "‫ « " انًفكشاد‬des mémos », en comptant sur le fait que le lecteur a déjà assimilé du contexte cognitif et de tout l‟article la signification exacte de ce terme. Pour respecter la maxime de la manière et garantir une meilleure acceptabilité, nous aurions choisi de traduire ce terme lors de la première occurrence par ")‫خ انًغًبح (ثهٕج‬ٛ‫خ انشخص‬َٛٔ‫"انًٕاقغ اإلنكزش‬ (les sites électroniques personnels appelés « blogs ») et d‟employer ensuite l‟emprunt seulement, laissant au contexte cognitif le soin d‟apporter différents éclaircissements sur les aspects saillant de ce concept. En effet, en l‟absence de consignes de traduction de la part de l‟éditeur, le traducteur doit « se débrouiller » pour trouver la meilleure expression évoquant de tels néologismes, ainsi que la meilleure manière de l‟expliciter, tout en tentant d‟émettre des hypothèses sur les normes à suivre pour que sa traduction soit fonctionnelle et acceptable. Il ne faut pas oublier que le traducteur manque souvent de recul, de vue d‟ensemble, ou tout simplement de formation traductologique, pour pouvoir décider en toute connaissance de cause de la meilleure manière d‟expliciter. Trois ans plus tard, dans un article du MD août 2006, intitulé « l‟émergence des "médias de masse individuels" », le même concept réapparait et pose toujours le même problème : comment dire « blog » en arabe ? Lors de la première occurrence de ce terme, le traducteur omet le terme d‟origine au profit d‟une périphrase « une page privée sur le réseau internet » ‫"صفسخ خبصخ ػهٗ شجكخ‬ "‫اإلَزشَذ‬. Lors de la deuxième occurrence dans l‟énoncé suivant, le traducteur réitère presque exactement la même périphrase « une page personnelle sur le réseau internet » ٗ‫خ ػه‬ٛ‫"صفسخ شخص‬ "‫شجكخ اإلَزشَذ‬. Paradoxalement, alors que le contexte cognitif s‟enrichit grâce aux explicitations précédentes et aux autres indices contextuels disséminés dans le texte, le traducteur apporte, lors de la troisième occurrence, une périphrase plus longue qui n‟ajoute rien de nouveau au sens du terme, si ce n‟est une redondance inutile : « les pages électroniques privées sur le réseau internet »"‫خ انخبصخ ػهٗ شجكخ اإلَزشَذ‬َٛٔ‫"انصفسبد اإلنكزش‬. Cette procédure dénote un manque de rigueur dans la manière d‟expliciter, mais aussi l‟hésitation du traducteur à choisir une expression évoquant suffisamment aux lecteurs arabes le sens voulu. Exceptionnellement, cette hésitation n‟a pas duré longtemps car la presse arabe a réussi à trouver une correspondance linguistique à ce terme. En effet, grâce à la démocratisation de l‟ADSL dans la plupart des pays arabes, le phénomène du « blog » s‟est considérablement répandu, notamment parmi les jeunes. Plusieurs articles publiés dans les grands quotidiens panarabes se sont penchés sur ce phénomène, en proposant le terme "‫ "يذَٔخ‬comme équivalent à « blog ». Ce nom s‟est implanté peu à peu depuis 2007 et nous l‟utilisons désormais presque régulièrement tant dans la presse que dans les traductions (janvier 2007, septembre 2008, avril 2009, décembre 2010, octobre 2011). Hormis cet exemple et celui de la traduction de « sit-in » par "‫( "اػزصبيبد‬Cf. note 294), nous n‟avons trouvé dans notre corpus aucun autre exemple illustrant ce phénomène d‟implantation de terme arabe de sorte de rendre l‟utilisation de l‟explicitation inutile ou désuète. Pour tous les autres néologismes ou concepts nouveaux, les traducteurs emploient, en l‟absence de termes consacrés par l‟usage médiatique, soit la technique de la périphrase, soit celle de

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l‟équivalent synonymique (accompagnant un emprunt ou un calque). Pour mieux convenir à la maxime de la manière, nous proposons, comme nous l‟avons déjà expliqué plus haut, d‟emprunter le terme nouveau et de l‟expliciter à la première occurrence par une périphrase définitoire, et de continuer à employer l‟emprunt seul par la suite du texte, jusqu'à ce que les instances médiatiques ou académiques arabes parviennent à proposer un terme qui soit véritablement consacré par l‟usage. Voici enfin un dernier exemple illustrant un cas où le traducteur fait preuve de manque de rigueur en explicitant un référent culturel important, mais en laissant dans l‟ombre une autre allusion pas moins importante pour la compréhension du sens du texte.  Exemple nº 76 : Le Pen/Reagan Cet exemple est extrait d‟un article du MD intitulé « Un raisonnement de fou », où l‟auteur évoque l‟évolution de l‟idéologie de l‟extrême droite au gré des circonstances et notamment sous la direction de la fille Le Pen. Cette dernière a infléchi la position que défendait son père dans les années 70 et 80 en empruntant parfois d‟autres voies qui vont à l'encontre des convictions du fondateur du parti. Elle n‟hésite pas, par exemple, à citer le général de Gaulle, à évoquer la résistance ou à proposer la renationalisation de l‟énergie et des télécommunications. La sauce xénophobe demeure néanmoins présente chez le père et la fille. Dans cet énoncé, l‟auteur donne des exemples de l‟attachement de Le Pen, le père, aux idéaux qui faisaient jadis son fonds de commerce. Il y a vingt-cinq ans, M. JeanMarie Le Pen célébrait le régime de Vichy, les généraux félons de l‟Algérie française, et il jouait des coudes pour se faire photographier en compagnie de Ronald Reagan. (MD juin 2011)

‫ ٵبٿ عبٿ ٽبهٌ ٹىثبٿ‬،ً‫بٽب‬٥ 25 ‫ ٱجٸ‬Il y a 25 ans, Jean-Marie Le Pen célébrait le régime de Vichy

‫ االؽزالٷ‬٤‫بوٿ ٽ‬٦‫بٻ ٭ٍُْ (اظتز‬٢‫( لتزٮٸ ثڂ‬collaborateur avec l‟occupation ‫ اٹڂبىٌ) وثبصتڂواالد اإلځٲالثٌُن ٹٺغيائو‬nazie), les généraux putschistes de

l‟Algérie française, et il s‟évertuait en

‫ ٕىهح‬ٛ‫ً عبڅلاً الٹزٲب‬٦ََ‫ و‬،‫ اٹٮوځَُخ‬à se faire photographier .‫بٿ‬٪َ‫ ٹڄ جببځت هوځبٹل ه‬compagnie de Ronald Reagan.

Dans ce passage, le traducteur explicite la nature du régime de Vichy, ce qui aide le lecteur à comprendre la tendance idéologique de ce parti, par contre, il n‟ajoute aucune explicitation au nom de Ronald Reagan. Le lecteur est pourtant en droit de s‟interroger sur le rapport entre Le Pen, fondateur du Front national, et Reagan, le président des États-Unis à l'époque. Après une lecture attentive de tout l‟article et une recherche encyclopédique sur le secret de l‟admiration de Le Pen pour Reagan, nous avons compris que l‟auteur faisait allusion au fait que le candidat « poujadiste » aux présidentielles de 1986 partageait avec Reagan, entre autre choses, une même aversion pour l‟Çtat-Providence. En outre, Le Pen fut surnommé dans les années 80 « le Reagan Français », grâce au célèbre slogan de Reagan « America, love it or leave it », devenu pour Le Pen « la France, tu l‟aimes ou tu la quittes ». Et c‟est ce supplément que nous avons décidé d‟apporter au lecteur sous forme de note du traducteur pour l‟aider à percevoir pleinement le sens de cet énoncé. Nous proposons donc la traduction suivante :

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Il y a vingt-cinq ans, M. Jean-Marie Le Pen célébrait le régime de Vichy, les généraux félons de l‟Algérie française, et il jouait des coudes pour se faire photographier en compagnie de Ronald Reagan. (MD juin 2011)

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‫ ٵبٿ عبٿ ٽبهٌ ٹىثبٿ لتزٮٸ‬،ً‫بٽب‬٥ 25 ‫ ٱجٸ‬Il y a 25 ans, M. Jean-Marie Le Pen célébrait

le

régime

qu‟on

appelait

de

Vichy

)ٌ‫ االؽزالٷ اٹڂبى‬٤‫بوٿ ٽ‬٦‫بٻ ٭ٍُْ (اظتز‬٢‫( ثڂ‬collaborateur avec l‟occupation ‫ وثبصتڂواالد االځٲالثٌُن ظتب ََپً ثـ"اصتيائو‬nazie), les généraux putschistes de ce

« l‟Algérie

‫ ٕىهح ٹڄ‬ٛ‫ً عبڅلاً الٹزٲب‬٦ََ‫ و‬، "‫ اٹٮوځَُخ‬française », et il s‟évertuait à se faire .[1]‫بٿ‬٪َ‫ جببځت اٹوئٌُ هوځبٹل ه‬photographier en compagnie du ‫ وٱل ٵبٿ َٺٲت‬: ‫خ ٽڀ اظتزوعټ‬٢‫[ ٽالؽ‬1] président Ronald Reagan [1].

[1] Note du traducteur : Le Pen fut

‫بهڃ‬٦ّ ‫بٿ ٭وځَب" وٽڂڄ اٍزٺهټ‬٪َ‫ ٹىثٌن ثـ"ه‬surnommé le « Reagan français ». ‫ اٹْهًن "بٽب ؤٿ حتت ٭وځَب ؤو رزوٵهب" ٵپب‬Il s‟est inspiré de Reagan pour son fameux slogan « la France, tu

‫بَخ‬٥‫زڄ ٹٮٶوح كوٹخ اٹو‬ٙ‫به‬٦‫ڄ يف ٽ‬٦‫ َْزوٳ ٽ‬l‟aimes ou tu la quittes ». Comme .‫ُخ‬٥‫ االعزپب‬lui, il était opposé à l‟Etat de la protection sociale.

Notre traduction comporte ainsi plusieurs explicitations qui concourent toutes à l'élucidation du sens voulu de tout l‟énoncé, à savoir l‟idéologie nationaliste, xénophobe et poujadhiste de M. Le Pen. Expliciter l‟allusion à Vichy, sans expliciter celle à Reagan, crée, à notre avis, une incohérence et un manque de rigueur dans la manière d‟expliciter, sachant que le lectorat arabe ignore sans doute les deux références. Quant à la référence à l‟« Algérie française », nous nous sommes contenté de calquer la même expression, introduite toutefois par « comme on l‟appelait » afin d‟attirer l‟attention sur la particularité de cette désignation et en la mettant entre guillemets pour laisser entendre qu‟il s‟agit d‟un segment connoté. Le lecteur ne manquera pas de déduire que c‟est ainsi que Le Pen considérait l‟Algérie à l'époque de l‟occupation française. Quoiqu‟incomplète, cette information nous paraît suffisante dans ce contexte ou l‟accent n‟est pas spécialement mis sur cet épisode historique du colonialisme, que d‟ailleurs le lectorat arabe connaît sans doute. En renforçant l‟intelligibilité de cet énoncé sur le fond, nous avons respecté la maxime de la sûreté, et en améliorant son acceptabilité sur la forme, nous avons mis en application la maxime de la manière.

4. En guise de conclusion Après avoir analysé au chapitre précédent les cinq problématiques principales suscitant le recours à la stratégie d‟explicitation, nous nous sommes penché dans ce chapitre sur l‟analyse des techniques et procédés par lesquels cette stratégie est mise effectivement en œuvre dans les textes du MD de 2001 à 2011. Au terme de cette longue investigation, nous avons pu dégager six techniques principales, subdivisées en quatorze procédés secondaires. Du point de vue statistique, nous avons vu que la technique de l‟insertion était la plus fréquemment sollicitée par les traducteurs du MD depuis 2001 jusqu'à 2011 (26%), suivie de près par la technique de l‟incrémentialisation (24%), et puis la technique de la périphrase (16%) qui devance à peine la technique de l‟équivalent synonymique (14%). La technique de la paraphrase occupe l‟avant

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dernière place en se taillant une part estimée de (11%) tandis que la technique de la note était la moins sollicitée sur l‟ensemble de la période de l‟analyse (9%). Ces techniques se distinguent les unes des autres par différents aspects fonctionnels, à savoir : le degré d‟explicitation qu‟elles apportent (de l‟ajout de simples marqueurs typographique aux longs développements de la fameuse note du traducteur en passant par les syntagmes de deux à cinq mots), la manière d‟intégrer l‟information dans le texte (en interne avec des ajouts déclarés ou discrets ou en externe), le traitement réservé à la trace d‟expression d‟origine (sa préservation par le biais du report, de l‟emprunt ou du calque, ou son remplacement par un autre équivalent discursif ou définitoire), la motivation de son emploi (l‟identification des référents culturels étrangers, l‟apport de compléments contextuels, l‟adaptation aux différents profils sociolinguistiques des lecteurs). Les techniques sont donc différentes, mais l‟objectif est le même : aider le lecteur à comprendre le sens de l‟énoncé où figure l‟un des éléments problématiques que nous avons étudiés au chapitre IV. Néanmoins, l‟analyse en contexte de la pertinence de ces décisions d‟explicitation telles qu‟elles sont prises et appliquées par les traducteurs du MD nous a révélé un défaut majeur : la majorité de ces explicitations recensées sont plutôt des « tentatives d‟explicitation » et non des « explicitations pertinentes ». La différence entre les deux est que les deuxièmes parviennent, contrairement aux premières, à éliminer les risques d‟ambiguïté et d‟incompréhension et permettent donc au lecteur cible d‟inférer le vouloir dire des énoncés et le sens du texte entier dans des conditions optimales d‟intelligibilité et de lisibilité. En nous basant sur notre conception globale de l‟explicitation et sur la grille d‟analyse de la prise et de l‟application des décisions d‟explicitation, nous avons pu déterminer cinq raisons principales de ces dysfonctionnements discursifs. Nous les avons traitées dans le cadre de ce que nous appelé « les maximes traductionnelles de l‟explicitation ». La maxime de la pertinence consiste à choisir seulement l‟information nécessaire à la compréhension du sens de l‟élément problématique en contexte. Sa violation entraîne une explicitation hors propos, donc futile. La maxime de la quantité consiste à doser le contenu informatif selon la règle du strict nécessaire. La quantité adéquate est fonction du besoin communicatif, de l‟évolution du contexte cognitif, de la localisation de l‟élément en question dans le texte et de ses différentes occurrences. Sa transgression aboutit à la « sur-explicitation » lorsque le traducteur développe excessivement ses informations, et à « la redondance », lorsqu‟il s‟agit d‟expliciter un élément sur lequel le contexte apporte des éclaircissements au fil de l‟article. La maxime de la qualité consiste à vérifier l‟exactitude et la véracité de toute information apportée par le traducteur. Le non-respect de cette maxime engendre souvent des erreurs de traduction ou des ambiguïtés qui compromettent la compréhension du sens. La maxime de la sûreté consiste à expliciter tous les éléments problématiques jouant un rôle crucial dans la construction du sens pertinent. Le risque lié au non-respect de cette maxime est la « sousexplicitation » qui engendre souvent un manque de cohésion au niveau textuel. Le traducteur peut

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avoir insuffisamment explicité soit parce qu‟il n‟a pas compris le vouloir dire de l‟auteur, soit parce qu‟il a surestimé le bagage cognitif de son lectorat. Enfin, la maxime de la manière consiste à appliquer les décisions d‟explicitation de façon cohérente et ordonnée sur l‟ensemble du texte, en respectant les normes linguistiques et traductives en vigueur dans le contexte d‟accueil, ainsi que les quatre maximes précédentes. La violation de cette maxime provoque un manque de rigueur dans la manière d‟expliciter, qui affecte la qualité de la présentation et de la rédaction du texte traduit. L‟application de ces cinq maximes devrait donc optimiser la pertinence de l‟explicitation, son acceptabilité dans le contexte d‟accueil et sa cohérence au niveau de son ancrage textuel. En analysant le processus de mise en œuvre des techniques de l‟explicitation, nous avons tenté de comprendre les difficultés auxquelles se heurtent les traducteurs, et qui les empêchent de produire des « explicitations pertinentes », tant sur le fond que sur la forme. Parmi ses difficultés, nous avons étudié les contraintes de temps, les recherches encyclopédiques hâtives dans des sources non fiables, l‟absence de révision, le manque de consignes et de normes précises de traduction établies par les responsables de ce projet, la multiplicité des normes linguistiques et stylistiques dans le polysystème d‟accueil, etc. Cependant, au-delà de tous ces écueils, il existe un élément important que nous avons pu observer dans presque toutes les traductions du MD et qui affecte la mise en œuvre de toute la stratégie d‟explicitation : le style hybride de la traduction du MD. Force est de constater que la plupart des traducteurs tendent à privilégier une démarche traductive littéraliste ayant pour vocation la préservation des traits exotiques du texte source (référents culturels étrangers, expressions tropiques) et le calque quasi systématique de ses structures syntaxiques de ce texte. A cela se superpose, une démarche interprétative visant à insérer en amont ou en aval des éléments problématiques quelques suppléments d‟informations explicitant leurs traits de significations ou leurs traits caractéristiques. Ces percées interprétatives ne sont donc qu‟une démarche secondaire qui sert à appuyer la traduction directe et à pallier ses insuffisances. En bref, l‟explicitation intervient comme un expédient local, épisodique et symptomatique, là où les traducteurs estiment qu‟il existe des risques d‟ambiguïté ou d‟incompréhension. Le nombre élevé d‟explicitations effectuées par l‟entremise de la technique de l‟insertion et le nombre bas d‟explicitations faites par la paraphrase suffisent pour confirmer cette tendance. Ce qui aggrave la situation, c‟est que, malgré ces timides tentatives interprétatives, les explicitations fournies manquent, comme nous l‟avons dit, soit de pertinence sur le fond, soit de rigueur dans la forme et la présentation. Pour pallier les différents risques liés au manque de respect de nos cinq maximes et pour que la démarche interprétative soit réhabilitée en devenant la règle de base et non l‟exception, nous avons proposé quelques solutions concernant l‟optimisation de la mise en œuvre des techniques d‟explicitation, dont par exemple l‟abandon de la technique de l‟équivalent synonymique qui reflète l‟attachement servile aux formes du texte source et qui génère souvent beaucoup de

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redondance. Nous avons également instauré quelques principes généraux pouvant réguler, non pas le choix du contenu de l‟explicitation, celui-ci étant tributaire d‟une analyse contextuelle et discursive étayée, mais la manière d‟insérer ces explicitations décidées dans le texte de façon ordonnée et cohérente. Cependant, la mesure phare qui pourrait améliorer considérablement la pertinence des explicitations fournies et la rigueur dans la manière d‟expliciter, c‟est la promotion de l‟emploi de la technique de la paraphrase telle que nous l‟avons conçue et appliquée dans nos propositions de retraductions. Nous recommandons donc un emploi plus fréquent de cette technique dans le cadre d‟un projet de réécriture du texte traduit dans son intégralité. En plus des procédés opérant dans le cadre de cette technique que nous avons décrits précédemment, il conviendrait d‟apporter discrètement de petites explicitations dans le tissu textuel, qui permettraient en quelque sorte de préparer la résolution du problème et donc de ne pas se limiter à l‟apport massif de suppléments informatifs uniquement en amont ou en aval de l‟élément problématique, comme cela a été presque toujours le cas. Ces injections informatives qui se faufilent dans le corps des nouvelles phrases arabes, du début jusqu'à la fin, visent à doter le contexte cognitif de plus d‟indices contextuels susceptibles d‟éluder par anticipation les risques d‟ambiguïté et d‟incompréhension et d‟optimiser l‟inférence du vouloir dire de tout l‟énoncé et non seulement le sens des éléments problématiques. Ceux-ci ne sont, en fin de compte, que des petites pièces du puzzle, des « incidents de parcours », mais pas l‟objectif ultime de la traduction. Ce paraphrasage explicitant s‟émancipe, par définition, de la construction syntaxique des énoncés d‟origine, tout en se conformant au sens pertinent véhiculé par le texte. En résumé, il s‟agit de dire exactement la même chose, mais autrement. Ainsi conçue, et grâce à sa capacité d‟optimiser la cohérence globale et la fluidité du style, cette technique accroît tant l‟intelligibilité que la lisibilité du texte traduit en arabe, ce qui assure davantage son acceptabilité dans le contexte de réception, Il n‟en demeure pas moins vrai que le traducteur peut toujours opérer des insertions locales et préserver les traits exotiques du texte source, par le biais des autres techniques, à la condition que l‟analyse discursive (le sens en contexte) et fonctionnelle (le skopos de la traduction) du texte traduit exige de telles interventions où le traducteur devient plus visible et sa voix-off plus audible. Dans toutes nos propositions de retraduction des exemples principaux et secondaires, nous avons tenté d‟appliquer cette démarche où l‟approche interprétative devient la règle et la traduction littérale l‟exception. Nous espérons avoir chaque fois proposé une version plus pertinente et plus lisible que la version initiale. Enfin, nous allons proposer dans la conclusion générale de la présente thèse, d‟autres solutions de portée plus générale sur l‟ensemble du projet de la traduction du MD, qui pourraient également être applicables à d‟autres projets semblables à l'avenir.

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CONCLUSION GÉNÉRALE Ici s‟achève notre périple traductologique durant lequel nous avons tenté d‟apporter des éléments de réponses aux différentes questions théoriques et pratiques liées à la problématique générale de l‟explicitation. Nous avons étudié de nombreux exemples illustrant les différents aspects de la question : 5013 exemples d‟explicitation en contexte, tirés de différents articles du Monde Diplomatique (MD) traduits entre 2001 et 2011, dont plusieurs centaines ont été fournis avec une contextualisation plus ou moins étayée. Les autres exemples non reproduits dans le présent travail ont été comptabilisés manuellement et représentés graphiquement pour refléter, à titre purement indicatif, une vue d‟ensemble ainsi que les tendances qu‟a pu dessiner la pratique réelle de l‟explicitation dans notre corpus durant les dix années étudiées. Nous avons abordé de nombreuses thématiques, analysé un large éventail de problématiques et de principes ou maximes théoriques, mis en place une grille d‟analyse que nous avons appliquée à toute une palette de techniques d‟explicitation. Il nous faut maintenant dresser un bilan définitif de nos résultats de recherche et des conclusions, voire des convictions auxquelles nous nous sommes parvenu au terme de cette investigation.

Sur les recherches antérieures Nous avons vu que les recherches précédentes, théoriques et empiriques, traitaient de l‟explicitation sous plusieurs angles, tous intéressants, mais insuffisants pour rendre compte du phénomène dans sa globalité et sa complexité. Certaines recherches théoriques linguistiques, sociolinguistiques, philosophiques et culturelles ont adopté une perspective plutôt normative en préconisant, comme méthode de traduction, soit l’exotisation, en donnant la priorité à la langue, à la culture et au texte source, soit la naturalisation en privilégiant la langue, la culture et le texte cible. Les approches fonctionnelles et descriptives ont enrichi la discussion sur l‟explicitation en soulignant le rôle de facteurs externes au texte comme la fonction (le skopos) et les normes de la traduction dans la détermination de la stratégie du traduire et des solutions aux problèmes rencontrés. La théorie de la pertinence et la théorie interprétative de la traduction (TIT) nous ont fourni un éclairage précieux sur le concept de l‟explicitation. Grâce à leurs modèles inférentiels et interprétatifs de la traduction, ces approches communicationnelles analysent la question de la production et de l‟inférence du sens, sous l‟optique de plusieurs rapports complémentaires et interdépendants, à savoir : le rapport texte/contexte, le rapport explicite/implicite (implicature/explicature ou explication), le rapport auteur/lecteur natif et traducteur/lecteur cible, le rapport langue/culture, etc. A cela s‟ajoutent enfin d‟autres recherches basées sur des corpus de traductions qui ont traité la question de l‟explicitation en passant, dans le cadre d‟études

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fragmentées, en marge d‟analyses d‟exemples ou de problèmes de traduction, sans définir le concept ni expliquer clairement la démarche de l‟explicitation relevée. Néanmoins, malgré l‟intérêt indéniable de tous ces travaux, nous avons constaté que cet ensemble était loin de constituer un axe de recherche homogène sur ce phénomène, inscrit dans un cadre commun et cohérent. Par conséquent, il existait toujours une grande confusion conceptuelle et terminologique autour de cette question. Par ailleurs, bon nombre d‟études empiriques linguistiques ont tenté d‟explorer le phénomène de l‟explicitation sous un autre jour : la perspective linguistique et textuelle empirique fondée sur l‟analyse généralement quantitative des occurrences d‟explicitations dans une large variété de corpus parallèles et comparables. Ces études avaient un cadre conceptuel cohérent, forgé à partir de plusieurs hypothèses formulées spécifiquement pour l'étude de l‟explicitation. Cependant, leurs résultats, bien que forts intéressants, restent très attachés aux aspects purement linguistiques de l‟explicitation, et délaissent l‟analyse de certaines explicitations pragmatiques culturelles - qui ne peuvent être traitées que dans la dynamique du discours et non au seul plan de la langue - et des facteurs humains impliqués dans l‟acte de traduire comme le lecteur et le traducteur.

Sur les questions et hypothèses de la recherche Ayant intégré les contributions intéressantes de ces recherches, tout en restant conscient de leurs points faibles, nous avons élaboré un outillage conceptuel de l‟explicitation qui vise à approfondir l‟analyse des questions jusque-là effleurées. Cette conceptualisation synoptique nous semble plus adéquate pour répondre aux besoins des traducteurs et pourra peut-être faire avancer la réflexion scientifique en la matière. Toute notre enquête a donc dès lors été articulée autour de six questions essentielles, qui renferment naturellement d‟autres interrogations plus spécifiques : Qu‟est-ce que l‟explicitation ? Comment la distinguer nettement des autres stratégies de traduction ? Comment justifier son bien-fondé ? Qu‟est-ce qu‟on explicite dans un texte ? Pourquoi ? Et comment ? Parallèlement à ces questions, et à partir de l‟exploration générale de notre corpus, nous avons émis plusieurs hypothèses de recherche sur l‟évolution de la pratique de cette stratégie dans le MD, les tendances constatées, la variation du degré d‟explicitation d‟un contexte à l'autre, les motivations de ces explicitations et le manque de rigueur dans sa mise en œuvre.

Sur la conception globale de l‟explicitation Comme nous l‟avons expliqué tout au long de ce travail, l‟explicitation est considérée par les approches linguistiques comme un simple écart linguistique dû aux différences systémiques entre les différentes langues tandis que certaines approches philosophiques de la traduction y voient une « déviation » d‟une certaine norme voulant conserver intact à tout prix la prétendue pureté du texte source ou préserver telles quelles les aspérités de la culture source contre toute tentative de rabotage, voire de domestication. Certaines approches communicationnelles la considèrent tantôt

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comme un simple ajout sémantique destiné à mieux faire ressortir les liens logiques implicites et par voie de conséquence, à renforcer la cohésion interne et la cohérence générale de tout le texte, tantôt comme une insertion ponctuelle et furtive de compléments cognitifs aidant à l'inférence du vouloir dire d‟une « unité de sens » ou d‟un segment textuel plus large. Quant aux approches descriptives de la traduction, certaines d‟entre elles érigent l‟explicitation au statut d‟universel de traduction, tandis que d‟autres la perçoivent comme un écart de traduction reflétant de manière objective une décision de traduction subjective ayant été prise et formulée dans un contexte spécifique pour des fins précises. L‟explicitation, telle que nous l‟avons conçue, devient une stratégie générale de traduction donnant lieu à une décision d‟explicitation. Loin d‟être arbitraire, la prise de cette décision découle de tout un processus d‟analyse discursive du sens pertinent du texte, selon une grille élaborée spécifiquement à cet effet. Son application dans le texte traduit peut revêtir plusieurs formes selon la technique privilégiée et le dosage estimé. De nature protéiforme, cette stratégie pourrait être liée à l‟explicitation pour le lecteur de la traduction de contenus sémantiques implicites, non formulés dans le texte source, mais néanmoins déductibles du contexte ou de la situation, pourvu que le lecteur dispose du bagage cognitif approprié ou veuille bien investir de gros efforts interprétatifs. Mais cette stratégie est parfois également liée à l‟explicitation de certains termes et tournures présents sur la surface textuelle du texte source qui resteraient peu clairs pour le lecteur de la traduction s‟ils étaient simplement transcodés, sans que le traducteur fasse un effort pour les rendre plus immédiatement intelligibles, par une prise en compte des besoins de la langue-culture cible. Quelles que soient les motivations invoquées, les techniques mises en œuvre ou les décisions prises, cette stratégie a pour but ultime de permettre au lecteur d‟accéder au sens pertinent du texte traduit dans toute sa plénitude et d‟éluder ainsi les éventuels risques d‟ambiguïté, voire d‟incompréhension.

Sur les critères distinctifs d‟une explicitation Parmi les différents écarts que l‟on peut repérer par une analyse comparative entre texte source et texte traduit, seuls relèvent de la stratégie d‟explicitation les écarts intrinsèquement liés à l'interprétation du vouloir dire du texte, motivés par un problème de traduction, limités au strict nécessaire quant à leur teneur informative. L‟explicitation doit y apparaître comme la solution la plus à même d‟optimiser la compréhension pleine et immédiate du sens voulu. Autrement dit, réaliser le maximum d‟effet avec le minimum d‟efforts et le minimum de risques d‟ambiguïté. Ainsi conçue, l‟explicitation tend à se positionner au juste milieu entre deux pôles : l’explicitness d‟une part et l‟explication d‟autre part. Le pôle de l‟explicitness englobe tous les ajouts quasi obligatoires dus aux contraintes grammaticales, syntaxiques et stylistiques, sans rapport direct avec le sens pertinent ou l‟apport de compléments cognitifs nécessaires à l'appréhension du vouloir dire d‟un énoncé. Le pôle de l‟explication comporte toutes les amplifications supplémentaires dépassant le besoin communicationnel et relevant de l‟exégèse ou de la glose. Cette voie médiane caractérise également la place de cette stratégie par rapport aux autres stratégies de traduction.

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Sur la démarcation de l‟explicitation par rapport aux autres stratégies de traduction L‟explicitation telle que nous la percevons revêt une importance accrue dans le contexte actuel de la mondialisation. Les différentes communautés sont plus que jamais mises à l‟épreuve du contact linguistique et culturel. Elles doivent à la fois savoir échanger et préserver leur identité. L‟explicitation aide simultanément à l‟enrichissement mutuel des langues et des cultures et à la compréhension de leurs différences. Elle crée un effet de rapprochement entre les deux languescultures d‟une part et entre l‟auteur et son lecteur d‟autre part. Elle se démarque ainsi nettement de la traduction directe, également appelée stratégie de l‟exotisation, qui crée un effet de distance et laisse le lecteur désorienté, face à des éléments linguistiques et/ou culturels qui lui sont a priori étrangers. La stratégie d‟exotisation peut même aller jusqu'à perturber le bon déroulement de l‟opération de compréhension et, partant, la lecture. De par ces mêmes caractéristiques, l‟explicitation se distingue également de la stratégie de la naturalisation qui tend à favoriser, contrairement à celle de l‟exotisation, un effet d‟annexion ou de proximité qui empêche le lecteur de prendre conscience des réalités culturelles et linguistiques du texte source. En apportant dans la culture de l'Autre ce qui au départ n'est pas conçu pour être "exporté", le traducteur introduit intelligemment et discrètement, par le truchement de l‟explicitation, des éléments d‟informations sur la langue-culture du texte source, que le lecteur s‟approprie petit à petit et qui l‟aident à mieux saisir l‟ensemble du message. L‟explicitation fonctionne ainsi comme une sorte de dévoilement de l‟Autre en recourant aux moyens de la langue et de la culture propres et permet ainsi, nonobstant la distance spatio-temporelle ou culturelle, de préserver les traits exotiques jugés pertinents. Par ailleurs, bien que foncièrement inscrite dans le cadre de l‟équivalence discursive, l‟explicitation diverge de l‟équivalence interprétative « libre » qui tend souvent à accorder le primat à la clarté des propos, à aller directement au fond de la pensée de l‟auteur, quitte à lui ôter ses effets stylistiques ou ses subtilités culturelles, enfermant ainsi sur elle-même la langue-culture cible. En tant que stratégie particulière opérant dans le même cadre de l‟équivalence interprétative, l‟explicitation vise au contraire à sauvegarder ces repères exotiques, si tant est qu‟ils revêtent un intérêt spécifique dans le contexte de réception, sans sacrifier ni le sens ni le style. Ce faisant, elle incite d‟une part la langue cible à accueillir en son sein de nouvelles formes d‟expressions venues d‟ailleurs, pour éventuellement s‟en enrichir, et d‟autre part, elle incite le lecteur cible à se livrer à un exercice plus exigeant d‟inférence du sens, afin d‟accéder par ses propres efforts interprétatifs au vouloir dire initial. Elle l‟invite en somme à se cultiver. Décidée à bon escient, l‟explicitation se présente dès lors comme un compromis pragmatique et raisonnable qui évite à la fois la déperdition du sens, l‟aplatissement excessif du style, le gommage systématique des notations exotiques, les risques réels d‟ambiguïté et d‟incompréhension, la simplification extrême du texte traduit, le dépaysement total du lecteur ou

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la complication inutile de la tâche d‟inférence du sens. Elle s‟accorde en cela avec les objectifs plus ou moins affichés de la traduction du MD dans le monde arabe.

Sur le skopos de la traduction du MD Comme nous l‟avons constaté et expliqué tout au long de la thèse, la traduction du MD en arabe s‟inscrit dans le cadre d‟un volontarisme politique qui vise à faire découvrir au public arabe une « nouvelle » approche journalistique « à la française », teintée d‟un militantisme plutôt orienté à gauche, parfois altermondialiste, en tout cas à l‟écoute d‟ un « autre » monde : ses réussites et ses échecs, ses us et coutumes, ses vérités et ses contradictions, son histoire qui affleure dans son actualité, etc. En analysant près de 300 exemples principaux et secondaires, nous avons été témoin d‟un souci constant d‟expliciter la plupart des faits socio-culturels, tout en conservant la trace des éléments linguistiques de l‟original par l‟une des techniques de la traduction directe : l‟emprunt, le calque, le report. Quoique pas toujours bien conduite, de notre propre point de vue, cette démarche dénote cependant cet engouement des traducteurs du MD pour l‟explicitation et la sauvegarde des aspects saillants de la langue-culture cible. Au-delà de leur valeur purement informative ou de leur ancrage discursif, ceux-ci représentent pour le public arabe des points de repères d‟un modèle réussi, malgré ses revers et travers, orienté vers un monde libre, en partie rêvé, en tout cas un monde meilleur que le monde arabe actuel, malmené par les guerres intestines et les « républiques bananières ». Comme nous l‟avons déjà indiqué, le but de ce projet de traduction se résume dans cette formule succincte : former et informer le lectorat arabe. De ce fait, l‟explicitation nous parait la mieux placée pour atteindre cet objectif double, d‟autant plus qu‟elle est parfaitement modulable et malléable pour s‟adapter aux contraintes de traduction, à l'éclectisme des profils des lecteurs destinataires et aux normes fluctuantes de traduction dans le contexte de réception. Mais d‟où vient cette capacité d‟adaptation qui caractérise cette stratégie ?

Sur les prémisses de l‟explicitation Bien qu‟elle se présente majoritairement sous forme d‟ajouts insérés dans le texte ou, le cas échéant, dans le paratexte, l‟explicitation ne constitue pas véritablement un gain d‟informativité, mais plutôt un gain d‟intelligibilité. Quel que soit leur volume ou leur mode d‟intégration dans le texte, les informations complémentaires apportées sont déjà inscrites tacitement dans la profondeur sémantique du texte source. Cette inscription dans la partie implicite s‟effectue en vertu des principes régissant les actes de communication : le principe de l‟économie du langage, le principe de la synecdoque, le principe de la pertinence, les maximes conversationnelles, etc. Dans le texte d‟origine, le lecteur natif (Lecteur Modèle) récupère les compléments manquants, grâce à son bagage cognitif et à sa coopération interprétative, par un processus cognitif de tri sélectif des informations pertinentes. Il réussit de la sorte à saisir le vouloir dire. Aussi, l‟auteur du texte source anticipe-t-il, en phase de rédaction de son texte, la réaction de son lecteur en

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estimant sa capacité de coopération interprétative et en dosant par conséquent la formulation adéquate de sa pensée. Lors de la traduction, le même mécanisme se produit à une différence près : C‟est le traducteur, en tant qu‟expert en communication interlinguistique et médiateur culturel, qui se charge plutôt d‟apporter les suppléments nécessaires pour optimiser l‟interprétation du sens et contourner d‟emblée les obstacles qui pourraient éventuellement entraver le bon déroulement de ce processus. Le traducteur n‟ajoute ainsi rien de son propre cru, il ne fait que réexprimer dans la partie explicite du texte ce que l‟auteur a jugé possible de dissimuler dans la partie implicite, en tablant sur des connaissances présumées partagées avec son lectorat. L‟objectif ultime du traducteur est de créer une équivalence de sens et d‟effet au niveau textuel, qui n‟a rien d‟une équivalence numérique, c'est-à-dire la réalisation d‟un nombre égal de mots ou de phrases dans les deux textes, ou d‟une équivalence formelle, c'est-à-dire la reproduction des mêmes structures phrastiques, en faisant abstraction des préférences stylistiques et communicatives de la langue cible. Si le traducteur manque de pallier certaines lacunes culturelles, l‟interprétation du sens devient laborieuse et les risques d‟ambiguïté et d‟incompréhension s‟accroissent. Si en revanche, le traducteur outrepasse la limite de l‟explicitation en ajoutant de façon injustifiée ou étayées des détails qui ne sont pas forcément déductibles du contexte et de la partie implicite, nous parlons dès lors d‟une exégèse ou d‟une explication, lesquelles dépassent les frontières de la stratégie de l‟explicitation, voire même la notion de traduction tout court. L‟explicitation constitue donc une juste pondération du rapport explicite/implicite initial du texte source, rompu naturellement par l‟activité traduisante, qui implique inéluctablement un changement de langue, de lectorat, de fonds culturel partagé, de normes et de bien d‟autres paramètres. Le corollaire de ce rétablissement du rapport explicite/implicite dans le texte cible est l‟adaptation au lectorat visé, c'est-à-dire à leurs connaissances cognitives présumées assimilées à travers la lecture du texte traduit ou acquises antérieurement dans leur vécu ou leur culture générale. Cela implique également une adaptation à l'évolution du contexte cognitif au fur et à mesure de la lecture du texte traduit, à la pertinence du rôle que joue les « éléments problématiques » dans la trame discursive et à l'importance qu‟ils revêtent pour la saisie du vouloir dire global du texte. Loin d‟être un processus spontané ou arbitraire, cette pondération et cette adaptation devraient se mesurer à l'aune des facteurs contextuels et discursifs évoqués, aussi aux éventuelles normes, consignes et contraintes de traduction. C‟est ce que nous avons appelé le processus de prise de décision de l‟explicitation. Les occurrences de l‟explicitation reflètent donc l‟ensemble de ces mécanismes, y compris les diverses suppositions que les traducteurs ont dû faire à l'égard de leur lectorat, leur bagage cognitif, leur capacité interprétative, etc., mais aussi et surtout la compétence des traducteurs eux-mêmes, leur compréhension du sens du texte source et éventuellement les modalités dans lesquelles s‟est déroulé l‟acte de traduire. Qu‟avons-nous donc appris de l‟analyse des décisions d‟explicitation, relevées sur l‟ensemble de notre corpus du MD ?

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Sur les motivations des explicitations Les raisons qui ont suscité les explicitations détectées sont bien sûr très variées, mais nous avons pu les regrouper sous cinq motivations principales, appelées « les cinq problématiques ». En effet, il s‟agit de problèmes de traduction que les traducteurs ont tenté de résoudre par le biais de l‟explicitation. Ces solutions ont toujours un caractère ad hoc, momentané. Le même élément problématique suscitant une explicitation dans un contexte X peut être traité différemment par un autre traducteur dans un contexte Y. En tout cas, il est rare que ces problèmes reçoivent une solution fixe et valable dans toutes les situations. Du reste, si tel était le cas, la solution adoptée ne serait plus une explicitation à proprement parler, mais plutôt une équivalence fonctionnelle préétablie et consacrée par l‟usage. La problématique la plus fréquente est celle du manque de compléments cognitifs nécessaires à l'identification d‟un personnage réel ou fictif, d‟un lieu, d‟une institution, d‟un produit quelconque, ou encore à la compréhension de la valeur référentielle d‟un concept politique, économique, ou de tout autre fait historique ou socio-culturel. Ces carences encyclopédiques sont tout à fait normales puisque le lecteur arabe n‟est pas censé disposer dans son bagage cognitif de connaissances solides de tous ces référents étrangers. Ces éléments ont été souvent explicités, notamment lorsque le texte source ne renseigne pas suffisamment le lecteur sur ces référents. Ici on touche au problème du choix et du dosage de l‟information pertinente parmi la masse informative importante que peut recéler chaque référent explicité. La deuxième problématique en terme de fréquence dans notre corpus d‟étude concerne la volatilité des équivalences lexicales : certains objets et concepts peuvent être connus du lectorat arabe, mais sous diverses appellations, majoritairement dialectales. Il n‟est donc pas question de distance culturelle, mais plutôt de variétés intralinguistiques et intraculturelles dans le vaste polysystème arabe de réception. La diversité dialectale caractérisant la langue arabe, l‟étendue des aires sociolinguistiques qui évoluent à des vitesses variées, la forte disparité des systèmes éducatifs, politiques, sociologiques des pays arabes, sont autant de facteurs parmi d‟autres qui expliquent en partie cette complexité linguistique à laquelle sont confrontés systématiquement les traducteurs arabes. Comment choisir entre un emprunt étranger, un terme dialectal ou un calque lexical, options qui présentent toutes un risque plus ou moins élevé d‟ambiguïté pour une large couche de la population arabe ? Les traducteurs choisissent souvent la sécurité en optant pour des périphrases définitoires, susceptibles de faire surgir dans l‟esprit de tous les lecteurs la représentation mentale de l‟objet ou du concept ainsi désigné. Aux lecteurs ensuite d‟y incorporer toutes les connotations afférentes et d‟y coller la désignation employée couramment dans leurs milieux socio-culturels respectifs. Ici, toute la difficulté est de savoir comment cerner avec précision l‟étendue du public cible et le bagage cognitif du lecteur modèle arabe, dans le camaïeu de cette diversité intralinguistique et intraculturelle. Vient ensuite une troisième problématique étroitement liée à la capacité interprétative du lecteur, et non à son bagage cognitif culturel ou linguistique. Elle concerne l‟explicitation des liens

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logiques implicites dans les phrases, les ellipses, les structures denses, les déictiques, etc., afin de renforcer la cohérence textuelle en faisant ressortir plus clairement les rapports de causalité. Le traducteur est ainsi amené à réexprimer pleinement une construction elliptique, pour la clarifier et éviter certains amalgames concernant les référents de certains pronoms. Ces problèmes se poseront d‟autant moins que le lecteur se montrera plus attentif et coopératif dans sa lecture du texte traduit, et que le traducteur adoptera un style d‟écriture qui se garde de coller de trop près à la construction syntaxique de l‟original, pour éviter la création d‟énoncés équivoques ou ambigus. Mais bien souvent, ce ne fut, hélas, pas le cas. Ici on touche au problème de la confiance que devrait avoir le traducteur en la capacité interprétative de son lecteur. Le texte traduit ne devrait pas donner l‟impression qu‟il s‟agit d‟une « traduction pour les nuls ». La quatrième problématique englobe tous les problèmes de traduction engendrés par les emplois tropiques de certains noms propres, comme les antonomases, les métonymies, les éponymes, ainsi que par les autres expressions métaphoriques et comparaisons implicites. Pour décrypter le sens implicite qui se cache derrière ces tournures spécifiques, il faut posséder différentes connaissances culturelles et linguistiques, qui font souvent défaut aux lecteurs cibles, d‟où la nécessité impérieuse d‟une intervention de la part du traducteur. L‟explicitation a effectivement été sollicitée pour élucider le sens de ces raccourcis stylistiques. Ici, on touche au problème de la nécessité de sauvegarder le véhicule métaphorique ou de le gommer. C‟est au traducteur de peser le pour et le contre, en fonction du skopos de la traduction et de l‟intérêt que peut revêtir la reproduction de ce procédé métaphorique dans le contexte sociolinguistique arabe. La dernière problématique, qui s‟inscrit dans le sillage de la quatrième, touche aux allusions et connotations véhiculées dans les noms propres, des termes lexiculturels, ou dans des formules spécifiques comme les slogans, les devises, etc. Selon l‟importance de la valeur allusive ou connotative dans la construction du sens de l‟énoncé d‟origine, les traducteurs ont fait appel à l'explicitation pour réexprimer plus clairement cette charge sémantique implicite. Mais cette fois, ce sont les traducteurs qui manquaient parfois de connaissances culturelles suffisamment étayées, si bien que beaucoup d‟allusions et de connotations échappaient à leur vigilance. D‟où le nombre relativement faible d‟exemples représentant cette problématique. Ici on touche au problème de la traduction parfaite : le traducteur idéal n‟existe pas, ni le traductologue. Il y a toujours des manques à suppléer par des retraductions ou par des rééditions de la même traduction. De tels manques peuvent être tolérables si le skopos de la traduction se contente de fournir aux lecteurs cible une vue d‟ensemble, sans rentrer dans les détails culturels spécifiques. Dans le cas du MD arabe, il nous semble que ce qui est important, par-delà les explicitations ponctuelles et superficielles, c‟est de faire connaître au lectorat arabe, comment réagissent les opinions étrangères vis-à-vis de tel ou tel sujet d‟actualité. Les allusions et connotations subtiles peuvent donc parfois être sacrifiées. Chacun de ces problèmes de traduction a suscité une décision d‟explicitation, laquelle a été appliquée par l‟intermédiaire d‟une technique spécifique d‟explicitation, qui diffère d‟un cas à

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l'autre. Nous avons cherché à décrire plus méthodiquement l‟ensemble des techniques mises en œuvre ainsi que leurs caractéristiques respectives.

Sur les techniques d‟explicitation Grâce à notre survol des études théoriques et empiriques dans les deux premiers chapitres de la thèse, nous avons découvert une multitude d‟appellations, désignant des techniques qui se recoupent plus ou moins largement avec notre conception globale de l‟explicitation. Pour mettre fin à cette confusion terminologique et conceptuelle, nous avons considéré la dénomination « explicitation » comme un terme générique désignant la stratégie générale. Celle-ci peut ensuite être mise en œuvre dans le texte traduit à travers six techniques qui se subdivisent à leur tour en quinze procédés locaux plus spécifiques. Mais indépendamment de cette typologie, si l‟on se focalise sur le traitement réservé à l'élément problématique, nous distinguons deux modes opératoires de l‟explicitation : le premier, le plus fréquent, s‟attache à conserver cet élément par l‟une des trois techniques de la traduction directe (report, emprunt, calque), en y juxtaposant une explicitation ; le deuxième tend au contraire à lui substituer directement l‟explicitation. Dans le premier cas, l‟élément culturel ou linguistique est jugé nécessaire de par son effet stylistique, ou intéressant pour la langue-culture cible si l‟on veut l‟y introduire, ou simplement pour la suite du texte si l‟on veut le réutiliser ultérieurement sans réitérer l‟explicitation. Dans le deuxième cas, cet élément est jugé parfaitement remplaçable sans que cela ne provoque de perte stylistique ou sémantique. La technique de l‟insertion consiste, comme son nom l‟indique, à insérer dans le co-texte de l‟élément problématique un supplément d‟information qui en révèle la signification pertinente dans ce contexte. Cette insertion peut commencer par l‟ajout d‟un simple signe typographique comme les guillemets ou le point d‟exclamation (procédé 1) fonctionnant comme un « clin d‟œil » furtif adressé au lecteur pour attirer son attention sur une désignation ou une signification spécifique. Mais l‟insertion peut aussi aller jusqu'à l'ajout de toute une phrase sous forme d‟incise expliquant un fait contextuel (procédé 2). Entre ces deux cas extrêmes, on trouve l‟ajout d‟un court syntagme nominal, servant à décliner clairement le référent désigné par un pronom ou un surnom ou à désambiguïser un référent anaphorique prêtant à confusion (procédé 3). Les applications multiples et variées de l‟insertion en font la technique la plus sollicitée dans la traduction du MD, selon les données chiffrées de notre corpus. Venons-en maintenant à la technique de l‟incrémentialisation, qui consiste à ajouter au sein du texte un terme présentateur en amont d‟un nom propre (procédé 1), ou un qualificatif en aval de ce nom (procédé 2), ou encore un complément étoffant le sens d‟un terme condensé ou elliptique (procédé 3). Facile d‟utilisation et économe, cette technique très utile permet de combler les lacunes essentielles sans encombrer le texte de détails superflus. La technique de la périphrase occupe la troisième place dans cette palette de techniques d‟explicitation. Elle consiste soit à introduire à côté de l‟élément problématique une courte définition révélant sa valeur dénotative (procédé 1), soit à lui substituer directement le syntagme définitoire (procédé 2). C‟est au

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traducteur de peser le pour et le contre des deux procédés. Cette technique sert à introduire certains emprunts méconnus, certains néologismes ou concepts spécifiques. Le défi de cette technique réside dans le choix des traits les plus évocateurs du concept, tout en étant précis et concis dans la mesure du possible. En pratique, le résultat obtenu est souvent mitigé à cause du manque de pertinence des traits définitoires retenus par les traducteurs. En quatrième place, il y a la technique de l‟équivalent synonymique, qui consiste à juxtaposer à un calque lexical un autre terme moins équivoque (procédé 1) ou à accompagner un emprunt par un autre terme jugé mieux connu et donc plus compréhensible (procédé 2). Bien que cette technique provoque une redondance inutile, elle révèle néanmoins clairement le souci des traducteurs, poussé parfois à l'extrême, de la préservation des expressions d‟origine par leur emprunt ou calque abusif. Certains traducteurs ont du mal à se détacher de cette propension au mimétisme syntaxique et lexical, expression d‟une fidélité factice au texte source. Cette fâcheuse tendance au calque syntaxique et lexical aux dépens de la fluidité du texte est confirmée par le nombre faible d‟explicitations par paraphrase. Cette cinquième technique consiste à accorder au traducteur la latitude de reformuler librement en d‟autres mots le sens pertinent d‟un élément ou d‟une expression problématique, sans s‟astreindre à reproduire fidèlement la même structure syntaxique. Elle fonctionne toujours selon le deuxième mode opératoire, celui de la substitution. En suivant cette technique, le traducteur peut : recourir à une formulation plus claire et plus étoffée s‟il s‟agit d‟une construction elliptique ou condensée (procédé 1) ; opérer une démétaphorisation pure et simple, lorsqu‟il s‟agit d‟une expression tropique dont le véhicule métaphorique peut être sacrifié sans affecter le sens pertinent ou l‟effet stylistique (procédé 2) ; substituer au terme d‟origine un autre terme, peut-être d‟un ordre plus générique ou plus spécifique (procédé 3), mais en tous cas plus clair et aisément intelligible. En bas de cette liste se trouve la fameuse note du traducteur. Cette technique consiste à adjoindre en note infrapaginale ou en fin d‟article un supplément d‟information plus ou moins développé sur le sens d‟une allusion, d‟un fait historique ou d‟un quelconque fait socio-culturel. Elle a été souvent sollicitée par les traducteurs du MD ; sa sous-représentation dans notre corpus est due au simple fait que cette technique n‟avait pas droit de cité dans toutes les traductions effectuées avant 2005. Cette absence peut s‟expliquer en partie par les normes de traduction ayant prévalu à l'époque ou par les contraintes éditoriales relatives à l'espace de la rédaction. Quoi qu‟il en soit, cette technique a acquis ses lettres de noblesse à partir de 2005, suite à l'élargissement progressif du lectorat arabe. Objet de controverse entre ses partisans et ses détracteurs, elle s‟est taillée une place de plus en plus importante dans le corpus du MD et continue d‟être sollicitée par différents traducteurs dans certains domaines de traduction. L‟emploi abusif de cette technique court le risque d‟une certaine imprécision dans le contenu informatif des notes, et dans le dosage de leur volume. Malgré la grande marge de manœuvre que cette technique offre, elle ne doit en aucun cas se transformer en une explication dépassant le strict besoin discursif. Le traducteur ne doit pas non plus relâcher sa vigilance concernant la pertinence des informations fournies en notes.

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Sur les difficultés rencontrées lors de la pratique de l‟explicitation Très nombreux sont les obstacles auxquels se heurtent les traducteurs lors de l‟exercice de la traduction en arabe et plus particulièrement lors de la pratique de l‟explicitation. Nous en rappelons ici les plus significatifs et les plus sérieux : les contraintes de temps et la spécificité de la langue arabe. Comme nous l‟avons expliqué au cours de cette thèse, les traducteurs du MD disposent d‟un délai maximum de dix jours pour traduire une cinquantaine de pages en arabe. Vu le délai imparti, plusieurs traducteurs se partagent les textes et se mettent à travailler chacun de leur côté. Les textes traduits sont envoyés à la rédaction, qui les renvoie à l'éditeur, puis à l‟imprimerie, pour arriver aux mains des lecteurs arabes au plus tard le 14 e jour. Cette contrainte se répercute sur la qualité des traductions opérées. D‟abord, les traducteurs, souvent mal rémunérés, n‟ont pas le temps d‟effectuer patiemment de longues recherches documentaires pour mieux assimiler le sens du texte et puis mieux parfaire les explicitations pertinentes. Les recherches sont souvent hâtives et les explicitations bâclées. Ensuite, la cadence accélérée de cette opération oblige souvent la rédaction à comprimer le temps pour parer les éventuels retards et imprévus, en sacrifiant une étape cruciale, celle de la révision. On fait confiance aux traducteurs, ou plutôt on ne peut que leur faire confiance. En effet, le simple fait de relire les textes arabes sans voir le texte français va permettre sans doute de relever les phrases ambiguës ou inintelligibles et les erreurs de grammaire ou les maladresses stylistiques. Une révision efficace impliquerait une vérification, en comparant le texte traduit avec l‟original, puis un retour vers le traducteur et une rectification, ce qui est presque impossible dans ce laps de temps extrêmement serré. On se limite donc à recommander aux traducteurs la plus grande vigilance. Mais quel que soit le soin apporté par le traducteur à son travail, certaines « erreurs » de compréhension ou de réexpression se glissent dans le texte traduit, d‟où l‟important appauvrissement du sens, les nombreuses approximations et traductions malheureuses que nous avons pu relever dans nos analyses. Les traducteurs butent sur un deuxième écueil, d‟ordre linguistique. Il faut d‟abord savoir que les textes français du MD sont rédigés dans un langage soutenu, riche en allusions et en effets stylistiques. Les traduire en arabe est une tâche particulièrement ardue. Cependant, la complexité vient non seulement de la langue française, mais aussi de la langue arabe elle-même. En effet, cette dernière telle qu‟elle se pratique aujourd‟hui au niveau officiel est plutôt une forme qui se veut moderne et simplifiée de la langue arabe classique. Elle représente un registre situé à michemin entre l‟arabe classique médiéval, qui n‟est plus utilisé que dans certains types de discours solennels ou hautement littéraires, et une multitude de parlers régionaux sans code écrit, qui sont le langage quotidien des arabophones. Le répertoire lexical de cette langue moderne affiche encore des milliers de cases vides, notamment en hyponymes et en désignations des objets et concepts importés de l‟étranger. Les traducteurs se trouvent contraints de composer avec la diversité sociolinguistique d‟une grande mosaïque de communautés arabophones.

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L‟emprunt dialectal ou d‟une langue tierce est le choix de la facilité, mais il présente un risque élevé d‟ambiguïté ou d‟incompréhension. Il reste aux traducteurs soucieux de la clarté des propos le choix de la difficulté : remplir par leurs propres soins ces cases vides temporairement en exploitant judicieusement les ressources linguistiques communes de la langue arabe. Pour ce faire, ils recourent aux périphrases et autres circonlocutions définitoires ou explicatives. Ainsi, les traducteurs travaillent avec la langue arabe et la travaillent en même temps. Ils doivent jongler habilement entre ses différents registres et ses dialectes, pour trouver l‟expression linguistique la plus appropriée et la plus compréhensible de tous. Journalistes et traducteurs sont les fantassins de la langue arabe. Les premiers sont des avant-gardistes qui font progresser la langue arabe en y introduisant de nouveaux termes et en propageant leur utilisation dans le secteur audio-visuel et puis dans l‟espace public, les deuxièmes, notamment ceux du MD, arborent une double casquette : ils sont à la fois traducteurs et porte-parole des journalistes français de haut niveau. Par l‟explicitation, ils se donnent les moyens de jouer le rôle de médiateurs culturels, de terminologues, de sociologues, de journalistes, de porte-parole de la presse libre et sérieuse, et tant d‟autres « nobles » missions. D‟où l‟intérêt de procéder à l'explicitation des éléments linguistiques et culturels pour initier le public arabe. Cela étant, nous avons réfléchi aux moyens qui devraient être mis en place pour parvenir à cette finalité, puisque la pratique actuelle de l‟explicitation laisse fortement à désirer.

Sur la mise en œuvre des techniques et procédés d‟explicitation Concevoir l‟explicitation comme une stratégie de traduction implique l‟existence d‟une vision tactique globale des objectifs à atteindre, et donc de principes généraux susceptibles de guider les traducteurs dans la mise en œuvre de cette stratégie, et la concrétisation de ses objectifs. Comme nous l‟avons vu, l‟objectif ultime de cette stratégie est d‟amener le lecteur à un seuil satisfaisant de compréhension du sens global du texte, dans toute sa plénitude. Par conséquent, l‟une des tâches principales des traducteurs est de minimiser, voire d‟éliminer les risques d‟ambiguïté ou d‟incompréhension qui jonchent le parcours interprétatif conduisant à cet objectif. Pour mieux tracer cette feuille de route stratégique, nous avons développé le concept d‟explicitation « pertinente » et celui de « tentative » d‟explicitation. La première est celle qui procure effectivement au lecteur la compréhension souhaitée, la deuxième est celle qui tente de le faire, mais n‟y parvient que partiellement, voire pas du tout. En tirant le meilleur parti des recherches antérieures et de notre grille d‟analyse, nous avons élaboré cinq maximes qui aideront le traducteur à concevoir l‟explicitation pertinente. La maxime de la pertinence consiste à apporter les suppléments d‟information précis, qui aident effectivement le lecteur à percevoir le sens implicite de l‟énoncé en question telle que le fait un lecteur natif. Pour ce faire, le traducteur doit veiller à sélectionner les traits les plus saillants des objets et concepts en question, ainsi que les termes les plus évocateurs, sans se perdre dans les détails secondaires. Toute information apportée, quelle que soit son exactitude, ne peut être pertinente que si elle est étroitement liée au contexte de l‟énoncé en question. Bien qu‟il faille

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respecter scrupuleusement cette maxime, elle ne suffit guère pour produire une explicitation pertinente. La maxime de la quantité a aussi son mot à dire. Elle consiste à fournir une explicitation concise formulée avec les mots les plus évocateurs, sans se perdre dans des circonlocutions redondantes. Le traducteur doit garder un œil sur le contexte immédiat, voire toute la séquence textuelle, en n‟y injectant que ce qui lui paraît indispensable. Les mots insérés ne constituent pas une offre d‟information à part entière, car il ne s‟agit pas de faire un texte dans le texte. La voix du traducteur se superpose à celle de l‟auteur, mais sans se confondre avec elle ou la parasiter. Elle ne s‟exprime que dans les moments de silence de l‟auteur, lors des interstices blancs qu‟il a laissés exprès. Ces mots ajoutés sont censés s‟intégrer en parfaite osmose dans le tissage textuel, et servir de déclencheurs aux associations d‟idées voulues et prévues par le texte, qui se précisent encore grâce au contexte cognitif. L‟explicitation est à consommer avec modération, sans prolixité. Cette exigence de concision n‟empêche d‟ailleurs pas l‟insertion, de façon ponctuelle, d‟une longue incise dans le texte ou l‟adjonction d‟une note en fin d‟article. Nous ne voyons aucun mal à le faire, si tant est que le besoin communicationnel requiert un tel étoffement. Jusqu‟ici, le complément fourni doit être bien jaugé du point de vue informationnel, et bien dosé de point de vue quantitatif. La maxime de la qualité exige que cette information soit exacte et vérifiée. N‟étant pas omniscient, le traducteur se trouve souvent contraint d‟effectuer des recherches encyclopédiques pour combler ses lacunes. Dans la diversité foisonnante des thématiques abordées dans le MD et des ressources documentaires mises à sa disposition grâce à l'internet, le traducteur court souvent le risque de se fier à la première source révélant ce qui lui paraît l‟élément manquant. Il reproduit cette information à sa façon dans le texte traduit et induit parfois son lecteur en erreur en croyant bien faire. En général, une révision attentive peut détecter ces contradictions ou contre-sens, mais il arrive parfois que ces inexactitudes ne se révèlent qu‟aux regards scrupuleux de lecteurs natifs bilingues ou des traducteurs chevronnés. Pour contourner cette difficulté, il faut redoubler de vigilance lors de la recherche documentaire en consultant les sources fiables et spécialisées, en croisant les informations puisées dans les différents sites et en soumettant ces résultats à un contrôle de cohérence avec le contexte de l‟énoncé. S‟il subsiste le moindre doute d‟incohérence ou de « flou », il va falloir affiner la recherche jusqu'à l‟obtention de l‟élément clé avec lequel on accède au sens voulu. Cependant, il importe de veiller à l'homogénéité du traitement explicitant à l'échelle du texte. Il ne suffit pas de fournir une explicitation exacte et pertinemment dosée sur un élément problématique du texte, alors qu‟il existe dans les autres énoncés d‟autres éléments tout aussi problématiques et tout aussi importants pour la saisie de vouloir dire global, mais qui n‟ont pas reçu le même traitement. Rappelons-nous que même si l‟on a tendance à corréler les explicitations aux micro-« unités de sens », il ne faut pas oublier qu‟elles ne sont que des pièces qui s‟imbriquent les unes dans les autres pour former un puzzle. Le texte entier constitue une

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macro-« unité de sens ». A quoi bon de comprendre pleinement le sens de certaines parties de l‟énoncé, si le lecteur doit se heurter ensuite à d‟autres énoncés équivoques et ambigus. L‟image globale que dessine le puzzle devient moins nette, voire déformée. D‟où l‟importance que revêt la maxime de la sûreté. Celle-ci consiste à expliciter tous les éléments du texte qui remplissent trois conditions : (1) ils jouent un rôle crucial dans la construction du sens pertinent d‟un énoncé ou du texte entier, (2) ils sont présumés méconnus de la majorité des lecteurs cibles, (3) le contexte cognitif n‟y apporte pas suffisamment d‟éclairage. Chaque fois que ces trois critères sont réunis, le traducteur sera plus enclin à expliciter, à moins qu‟il décide de résoudre le problème par le biais d‟une autre technique en dehors du spectre de l‟explicitation. Dans tous les cas, le traducteur a intérêt à éviter au lecteur le risque gratuit d‟une ambiguïté ou d‟une incompréhension, pour peu qu‟il puisse l‟évincer moyennant une brève explicitation. Le respect de cette maxime vise à assurer la cohérence générale du texte dans son intégralité. Et c‟est également dans ce souci de cohérence textuelle que s‟inscrit la dernière maxime, celle de la manière. Elle consiste en effet à appliquer les décisions d‟explicitation de manière coordonnée et rigoureuse dans l‟ensemble du texte. Ainsi, une explicitation succincte s‟incorpore au texte, tandis qu‟une explicitation plus développée se place dans le paratexte. Et si l‟élément culturel problématique figure à plusieurs reprises dans le texte source, le traducteur se contente de l‟expliciter à la première occurrence seulement. En outre, cette maxime vise à proposer des règles précises concernant le mode d‟insertion des compléments informatifs, entre guillemets pour certains noms propres, entre parenthèses pour certaines insertions, ou entre deux virgules pour certaines longues incises ou syntagmes définitoires, etc. Quoi qu‟il en soit, le point cardinal sur lequel cette maxime veut mettre l‟accent, est celui du respect des normes de traduction concernant le registre linguistique à employer et les normes en vigueur de présentation, pour tout ce qui est du fait du traducteur. Pour rendre l‟explicitation plus pertinente, il vaut mieux qu‟elle soit acceptable et conforme aux exigences et aux préférences du public destinataire, ou du moins à celles du donneur d‟ordre de la traduction.

Sur les tendances constatées sur la pratique de l‟explicitation durant toute la période étudiée Au terme de notre long travail d‟approfondissement théorique et d‟analyse du corpus du MD, nous pouvons dire que les hypothèses que nous avions émises au départ de ce projet sont validées. En effet, nous avons constaté une augmentation quasi constante du nombre des explicitations entre 2001 et 2011. Or, comme nous l‟avons vu (Fig. 4, Ch. IV), la courbe que dessine l‟emploi de cette stratégie durant toute cette période affiche une caractéristique principale : Mise à part un pic extraordinaire enregistré en 2009, nous remarquons une croissance nette initiée à partir de 2005 jusqu'à 2011. Ce constat confirme l‟hypothèse selon laquelle plus le lectorat arabe s‟élargit et se diversifie, notamment grâce à la distribution gratuite de la traduction

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du MD en supplément avec les grands titres arabes, plus les traducteurs tendent à expliciter pour toucher ce vaste public. Nous avons constaté également qu‟il y avait beaucoup d‟explicitations (24 % représentés par la problématique nº 5) qui reflétaient la diversité sociolinguistique du public arabe. Grâce aux nombreux exemples d‟explicitations cités et analysés, nous pouvons valider également notre hypothèse sur la variation, d‟un contexte à l'autre, du degré d‟explicitation d‟un même élément problématique. Cela prouve le caractère ad hoc et optionnel de l‟explicitation. Chaque traducteur est libre de traiter le même problème de la manière qui lui paraît la plus adaptée, en fonction de son analyse du contexte, de ses propres estimations du lectorat et de la pertinence de cet élément, mais aussi du degré de son implication dans la traduction. Ce qui nous a sans doute le plus marqué, bien que nous l‟ayons pressenti dès le départ, c‟est le manque de pertinence de la majorité des explicitations fournies. Nous avons tenté de fonder ce constat, au-delà d‟une évaluation subjective et d‟une impression personnelle, sur des données factuelles, en prenant appui sur des exemples analysés en contexte. Nous avons abouti à la conclusion que ces explicitations représentaient plutôt des tentatives d‟explicitation, parce qu‟elles transgressaient souvent l‟une de nos cinq maximes, notamment celle de la pertinence. En effet, nous avons constaté chez la plupart des traducteurs, une tendance quasi constante à se contenter d‟un renseignement sommaire, reflétant plus ou moins un aspect général de la valeur référentielle que véhiculaient les éléments culturels, jugés méconnus par le lectorat cible. Ce supplément apporté ne renseigne que rarement le lecteur sur le sens implicite qui s‟actualise dans tel ou tel contexte. En s‟appuyant sur le contexte cognitif, le lecteur identifie plus ou moins bien le référent en question, sans pour autant en acquérir une compréhension précise et complète. Nous sommes plutôt porté à croire que les traducteurs se contentent exprès de ce seuil de compréhension superficielle, dont ils pensent qu‟il devrait convenir à leurs lecteurs. Ces explicitations incomplètes et non pertinentes contiennent néanmoins des informations culturelles générales qui intéressent ces lecteurs, même si elles restent en deçà du besoin discursif qui se fait souvent sentir si l‟on veut vraiment assimiler pleinement le sens du texte. Ces « tentatives » d‟explicitation servent donc d‟occasions pour renseigner plus ou moins sommairement les lecteurs sur le monde qui transparait à travers le texte (les référents culturels) et non sur le monde du texte lui-même (son vouloir dire). Mais l‟on pourrait légitimement se demander si les traducteurs eux-mêmes, avaient bien compris le sens du texte en question. La dernière tendance observée, c‟est l‟attachement quasi systématique à la structure linguistique du texte de départ, quitte à produire des phrases arabes plus ou moins ambiguës. Le lecteur profane risque parfois de découvrir une série de mots arabes juxtaposés les uns à côté des autres, sans vraiment saisir le sens global de l‟énoncé. Gage de fidélité vis-à-vis du texte source, ce style est censé imprimer au texte arabe la « marque » du texte français qui devrait faire « belle figure » dans le contexte d‟accueil. Dans notre expérience de la traduction, nous avons eu l‟occasion de constater que certains traducteurs arabes revendiquent ce style qui est, selon eux, le seul

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susceptible de faire évoluer les normes et les formes de la langue arabe. Ainsi, cette « ambiguïté » critiquée par les pourfendeurs de ce style fait la richesse du texte traduit car elle le laisse ouvert aux efforts interprétatifs des lecteurs. Le texte traduit peut ne pas être immédiatement intelligible aux lecteurs non avertis, mais il n‟est pas pour autant hermétique. Une traduction particulièrement claire ferme, au contraire, le texte et nuit à son potentiel sémantique. Quoi qu‟on pense de ce style calqué sur la trame syntaxique et discursive du français, c‟est dans son sein que les traducteurs injectent, le cas échéant, les compléments informationnels toujours en amont ou en aval des éléments problématiques. Les explicitations ainsi greffées ressortent clairement, et souvent typographiquement, dans le texte traduit, telle des motifs brodés sur le tissu textuel. Néanmoins, nous avons remarqué que bon nombre de traductions effectuées avant 2005 adoptaient un style d‟écriture plutôt orienté vers le génie de la langue arabe et donc un peu plus détaché des moules linguistiques et stylistiques du texte d‟origine. Mais là aussi, il semble que ces exceptions dépendent plus de la sensibilité subjective de chaque traducteur que d‟une convention stylistique dominante. Après avoir dressé ces constats, nous avons cherché à comprendre les motifs qui incitent les traducteurs à agir de la sorte en prenant ces décisions d‟explicitation. Nous avons également mené une réflexion autour des solutions pouvant aider les traducteurs à contourner les difficultés fondamentales de l‟exercice de ce métier, notamment dans les conditions de traduction du MD.

Sur nos propositions pour améliorer la mise en œuvre de cette stratégie Pour nous, le premier facteur de réussite de l‟explicitation réside dans le respect rigoureux des cinq maximes régulant sa mise en œuvre dans le texte traduit. La décision de l‟explicitation doit être murement réfléchie, même si le traducteur doit la prendre dans un laps de temps relativement court. Le point focal sur lequel nous voudrions insister, c‟est la nécessité de mener à bien la recherche encyclopédique dont dépend la bonne compréhension du sens et sa réexpression par le traducteur. Dans le cas spécifique du MD, pour économiser le temps, le traducteur devrait s‟équiper de sa propre base de données contenant des références livresques ou électroniques fiables relatives aux domaines qui reviennent souvent dans ses activités de traduction. Ils peuvent également se préparer en faisant une lecture intensive et attentive d‟autres articles du MD traitant de la même thématique, qu‟ils soient rédigés en arabe ou en français. Dans l‟organisation interne des équipes du MD, les traducteurs pouvaient, s‟ils en faisaient la demande, obtenir quelques jours à l‟avance les titres des articles et les grandes idées qui y seront développées. Cette anticipation pouvait permettre au traducteur de se préparer en amont, d‟enrichir ses connaissances thématiques et linguistiques et lui épargner beaucoup d‟efforts de recherche lors de la traduction, lui faisant ainsi gagner un temps précieux. L‟intérêt de cette préparation préalable est valable pour tout autre projet de traduction qui pâtit de contraintes liées

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à des délais serrés d‟exécution. Cela peut bien faciliter la bonne compréhension du texte source qui est une condition sine qua non de la mise en œuvre d‟explicitations pertinentes. Le deuxième facteur pouvant améliorer nettement l‟intelligibilité du texte traduit en arabe réside dans la créativité du traducteur. Celle-ci se concrétise avant tout par la liberté de (ré)expression en arabe. Nous plaidons en effet pour l‟émancipation des ornières linguistiques et syntaxiques, gage d‟une fausse fidélité au texte source, car, à notre avis, cette pseudo fidélité au texte source ne fait que produire un texte de « contrefaçon » qui regorge de non-sens et de contre-sens : nos exemples analysés en sont la preuve. Pour jouir de cette latitude, nous avons, dès le départ, conçu l‟explicitation comme une création interprétative discursive ad hoc, qui libère le traducteur des carcans classiques de la fidélité à la lettre ou à l'esprit, mais aussi des partis pris idéologiques, tel l‟attachement à la langue-culture source, ou l‟orientation vers la langue-culture cible. Tout en respectant les deux langues-cultures, cette stratégie encourage le traducteur à être créatif en prenant les décisions qui lui semblent bonnes et adéquates. Néanmoins, la créativité n‟est pas la porte ouverte à tous les abus. Elle relève plus du savoir-faire que du hasard. Nous avons cherché à poser quelques jalons qui pourraient optimiser la mise en œuvre de cette créativité dans le texte traduit. Guidée par la recherche des conditions et des solutions optimales, cette créativité s‟exprime à travers la gestion des contraintes linguistiques, textuelles, formelles, etc., et dans leur dépassement. La pratique de l‟explicitation constitue donc « un acte de liberté, d‟assurance et d‟autorité du traducteur » (Malingret 2002 : 91). Le traducteur adopte une stratégie d‟écriture qui prévoit et anticipe les réactions de son lecteur modèle, comme l‟avait fait avant lui l‟auteur du texte source. Au lieu de se focaliser uniquement sur les éléments problématiques qui font saillie, le traducteur peut intégrer dans son texte tous les compléments informationnels nécessaires, sans se restreindre au co-texte de ces éléments problématiques pour y greffer les suppléments informationnels. Si ce travail n‟est pas correctement mené à l‟échelle du texte global, les éléments problématiques continueront de faire saillie malgré les efforts du traducteur, car ce bricolage ponctuel sera toujours imparfait. Le texte entier devient une seule unité de sens, que le traducteur agence ingénieusement et construit patiemment dès le titre de l‟article jusqu'à la chute finale. Dans ces conditions, l‟explicitation devient un lieu privilégié pour observer les efforts des traducteurs pour établir le contact entre les cultures (Ballard 2003 : 147-148). En explicitant, le traducteur remanie sans cesse la langue-culture cible en dévoilant ses manques et en exploitant ses ressources pour combler ses lacunes qu‟elles soient lexicales ou culturelles. Cette stratégie permet ainsi d‟enrichir le répertoire linguistique du lecteur et même parfois celui de la langue d‟accueil. Elle présente les référents et concepts inconnus et les explique, succinctement certes mais pertinemment, tout en veillant à la fluidité du texte arabe et à sa conformité aux normes de réception présumées. Bien que le lecteur cible ne soit pas souvent en mesure de détecter les explicitations opérées par le traducteur, le texte ainsi tourné devient une source d‟information par lui-même, de par son contenu initial, et par la traduction, de par les éléments ajoutés. Cette

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lecture devrait être agréable et instructive, faute de quoi le lecteur risque de s‟en lasser, voire de « décrocher ». L‟explicitation n‟est, certes, pas la solution parfaite ou idéale, mais un catalyseur de ce processus d‟échange et de compréhension interlinguistique et interculturelle.

Sur l‟intérêt général de l‟explicitation Ainsi conçue et pratiquée, l‟explicitation favorise, comme nous l‟avons dit plus haut, le contact linguistico-cultuel en créant cet effet de rapprochement, tant réclamé et convoité, et non un effet d‟annexion souvent décrié ou un effet d‟exotisme aujourd‟hui démodé. Ce rapprochement induit par l‟explicitation telle que nous la concevons, se fait d‟ailleurs graduellement et par approximations. Le transfert culturel consiste, comme l‟explique Lederer (1994 : 128), à « apporter au lecteur étranger des connaissances sur un monde qui n‟est pas le sien. Cet apport ne comble pas intégralement la distance entre les deux mondes mais entr‟ouvre une fenêtre sur la culture originale. Pour ce faire, le traducteur conserve le référent étranger en le transmettant sous des formes compréhensibles. Le rapprochement des cultures à travers la traduction ne s‟accomplit évidemment pas par l‟intermédiaire d‟un seul mot ni d‟un seul texte. Il faut une multitude de textes traduits pour que se crée progressivement une image qui parvienne à dissiper l‟ignorance et à rapprocher les civilisations » Lederer (1994 : 128). Le traducteur peut ainsi proposer à son lecteur un texte à la fois intelligible et lisible. Ce faisant, il se montre fidèle au sens du texte source, à la pensée de son auteur, au style rédactionnel de la langue cible, et aux besoins/attentes du lectorat. L‟explicitation continue à frapper les esprits des lecteurs et à éveiller leur curiosité par les notions et les tournures qu‟elle introduit dans le texte cible. Elle contribue également à faire évoluer les normes de la langue arabe et à l'enrichir, sans pour autant la contraindre à se formater à la façon dont chaque phrase du texte source est rédigée et structurée. En sus de cet effet bénéfique pour le dialogue des cultures et des civilisations, l‟explicitation, en tant que concept traductologique et linguistique, se voit investie, dans le présent travail, d‟un rôle crucial dans la lecture et la compréhension d‟un texte traduit ou d‟un texte à traduire. Aussi, l‟explicitation vise-t-elle à revaloriser le rôle du contexte dans la compréhension du sens global, à l‟explication du texte d‟abord par le texte lui-même, puis par l‟apport de compléments extralinguistiques. C‟est une invitation à une lecture approfondie du texte, une incitation à la quête du sens profond dans toute sa quintessence, un appel à l'ouverture d‟esprit longtemps bafouée et bâillonnée par la lecture linéaire, superficielle et linguistique des textes, notamment des textes sacrés. Par définition, l‟explicitation, porteuse de lumière, est là pour éclairer les zones d‟ombres. Dans le contexte arabe, si l‟ambiguïté tait la vérité, l‟incompréhension la tue. Elle tue au sens figuré comme au sens propre. L‟actualité affreuse nous donne malheureusement raison. A défaut d‟une lecture intégrale, d‟une compréhension intime de certains textes fondateurs, mais aussi et surtout d‟une traduction qui se libère des écrous linguistiques, on finit par tuer le sens de ces

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textes et les âmes qui contredisent cette lecture. De ce fait, l‟explicitation est salvatrice : elle sauve le sens, l‟intelligence du texte, mais elle peut aussi sauver des vies. Par le combat stratégique qu‟elle mène contre le contre-sens, le non-sens, les quiproquos, l‟explicitation s‟avère être, plus qu‟un simple débat scientifique et traductologique, un besoin vital. Cependant, elle ne doit en aucun cas servir de prétexte pour imposer une lecture tendancieuse ; elle ne fait que révéler les non-dits et les sous-entendus du texte dissimulés par économie du langage ou pour produire un effet stylistique particulier. Par l‟explicitation, le traducteur ne fait que réexprimer tout haut ce que le texte pense tout bas. Expliciter, c‟est solliciter l‟attention du lecteur pour faciliter l‟accès au sens en contournant la multiplicité dialectale en arabe, éclaircissant la duplicité de certains emplois métaphoriques, comblant les lacunes culturelles ou les ellipses linguistiques. Tout le jeu réside dans l‟apport de ces compléments nécessaires afin que le lecteur puisse accéder de façon consciente et autonome au vouloir dire du texte, sans imposer une lecture spécifique ou guidée à outrance.

Sur les autres pistes connexes de recherche Nous avons construit la présente thèse en nous basant sur les travaux antérieurs, mais aussi en repérant leurs points faibles et en tentant d‟y remédier. Cependant, cette thèse n‟est qu‟une pierre dans l‟édifice traductologique, et il faudrait peut-être encore mieux la tailler et la polir pour qu‟elle prenne sa place dans cette structure scientifique et permettre à d‟autres pierres de venir s‟emboîter. Pour ce faire, nous proposons quelques pistes de recherche en rapport avec ce sujet sur lesquels nous voudrions approfondir la recherche à l'avenir. Nous aimerions pouvoir réaliser une étude empirique basée sur une analyse statistique des cas d’explicitness en arabe dans notre corpus du MD. Comme méthodologie de recherche, nous pourrions adopter les outils de traitement analytique des langue (TAL) qu‟on appliquera sur les articles du MD traitant des thèmes en relation avec des pays lointains ou méconnus de l‟ensemble des lectorats natif et cible, comme les pays d‟Asie, d‟Amérique latine ou d‟Afrique noire. Comme nous l‟avons déjà dit, dans ce genre de textes, il existe peu d‟explicitations à proprement parler, car les journalistes français savent que leurs lecteurs francophones n‟auront pas toutes les connaissances culturelles requises et ils rendent donc leur texte aussi explicite que possible. Ceci permet de mieux étudier la question de l’explicitness très présent dans les traductions arabes à cause des différences linguistiques et stylistiques. Après avoir tracé les contours de l‟explicitation dans cette thèse, l‟analyse de l’explicitness pourra jeter un éclairage intéressant sur la nécessité de faire la part entre ce qui est dû au changement des systèmes linguistiques et ce qui est dû aux différentes conceptions des traducteurs et des lecteurs. Une fois que les choses seront claires, les traducteurs auront la possibilité d‟assumer et de justifier leur choix de solutions traductives. Après avoir clarifié notre conception de l‟explicitation, nous voudrions également consacrer une étude spécifique à la question de l‟implicitation, sa stratégie sœur, à l'aide d‟une méthodologie proche de celle que nous avons adoptée dans le présent travail. Les articles du MD traitant des

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questions relatives au monde arabe, que nous n‟avons pas retenus dans l‟analyse de l‟explicitation, constituent le corpus idéal pour étudier le phénomène de l‟implicitation. Il va falloir redéfinir le concept de l‟implicitation et relever les écarts qui peuvent être imputés à la mise en œuvre de cette stratégie. Il peut s‟agir d‟omission d‟explicitations prévues dans les textes source, mais inutiles dans les textes traduits ou d‟implicitations de certaines informations présumées déjà connues des lecteurs arabes. Nous voudrions également affiner la recherche sur l‟explicitation en analysant un texte intégral et non des énoncés puisés dans différents articles. Cette étude détaillée nous permettra de mieux analyser les mécanismes de la prise de décision de l‟explicitation que nous avons esquissés par le présent travail. Pour ce faire, nous nous proposons de choisir un article entier du MD 2009 dans lequel nous avons constaté beaucoup d‟explicitations et de le retraduire intégralement. Ensuite nous pourrons comparer notre traduction et celle effectuée en 2009 et observer l‟apport de notre approche stratégique dans les choix opérés et vérifier si elle apporte réellement un plus en termes de lisibilité et d‟intelligibilité du texte dans son ensemble. Pour mener à bien ce travail, la méthodologie que nous proposerons sera axée sur l‟analyse discursive guidée par le cadre théorique que nous avons élaboré dans cette thèse. Nous avons déjà appliqué cette conception sur des dizaines d‟exemples tirés du corpus présentés dans les différents chapitres, pour montrer à nos lecteurs que l‟explicitation constitue une solution pragmatique et facile à mettre en œuvre. Mais nous sommes resté à l'échelle d‟énoncés relativement courts afin de préparer d‟abord le terrain à l'acceptation de cette conception, avant de passer à la vitesse supérieure qui risque de heurter certaines normes bien ancrées dans les mentalités qui font que certains traducteurs et donneurs d‟ordre restent sceptiques face à cette « liberté de réexpression ». Sans vouloir jeter l‟anathème sur l‟approche littéraliste de la traduction que nous avons observée en analysant les exemples d‟explicitation, nous aimerions démontrer que notre stratégie d‟explicitation, mise en œuvre au niveau du discours, permet une meilleure communication du sens. Libre aux traducteurs ensuite de choisir la méthode qui leur convient et l‟échelle d‟application de la stratégie qu‟ils jugent la plus adaptée aux missions qui leur sont confiées. Cette étude n‟est qu‟une initiation à cette stratégie et une tentative de présenter une autre manière de voir et de faire. Nous espérons avoir réussi à expliciter notre point de vue sur l‟explicitation.

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Glossaire Allusion L‟allusion est un procédé discursif qui consiste à évoquer tacitement un personnage, un fait, un événement ou un autre élément intertextuel à l'aide d‟un élément linguistique qui lui sert de déclencheur. Cette allusion peut être véhiculée par un nom propre, une phrase célèbre ou une citation tronquée. Il peut s‟agir d‟une simple information culturelle objective, que le lecteur modèle récupère grâce à son bagage cognitif pertinent, ou d‟une ironie que ce lecteur perçoit grâce au contexte cognitif. Dans le dernier cas, le sens déductible du contexte peut être tout à fait différent de ce que produit une lecture littérale au premier degré. Le traducteur devra se montrer attentif à toutes ces subtilités linguistiques et discursives afin de transmettre à son lecteur le sens voulu par l‟auteur. Antonomase Par antonomase, nous entendons un mode de désignation qui consiste à utiliser un nom propre (par ex. d‟un personnage réel ou fictif) comme un nom commun dans le but d‟associer à ce dernier la qualité essentielle et largement connue du premier (par ex. : quel Tartuffe !). Inversement, l‟antonomase peut se présenter sous la forme d‟un groupe nominal qui désigne spécifiquement un personnage (le petit caporal pour Napoléon). Dans les deux cas, ce rapport logique de ressemblance ou de contiguïté devra être explicité au lecteur cible pour l‟aider à décrypter le sens pertinent et discursif de l‟antonomase. Le traducteur s‟en trouve dispensé lorsque le contexte cognitif est suffisamment clair, ou lorsque le traducteur suppose que son lecteur cible peut le déduire par ses propres moyens et connaissances. Connotation La connotation est un procédé discursif qui consiste à employer un terme lexiculturel ou une expression chargée, outre sa valeur référentielle objective, d‟une valeur sémantique plus ou moins subjective et particulière, mais qui sera perçue et interprétée correctement par la communauté des lecteurs du texte source. Le traducteur se met à la place du lecteur modèle natif et tente de percevoir cette valeur sémantique ajoutée, puis d‟évaluer l‟importance qu‟elle revêt pour la constitution du vouloir dire de l‟énoncé en question. En fonction de cette analyse, le traducteur décide de l‟expliciter ou de la taire. Construction elliptique Par construction elliptique, nous entendons toute formulation linguistique condensée ou abrégée, telle que les ellipses, les sigles et acronymes, les formules denses, etc. Ces structures linguistiques nécessitent deux traitements explicatifs : d‟abord la réexpression complète de l‟élément tronqué, abrégé ou condensé, ensuite l‟explicitation de sa signification implicite

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notionnelle ou conceptuelle. Le deuxième traitement s‟avère souvent nécessaire lorsqu‟il s‟agit de sigles et acronymes désignant des référents culturels et des noms propres. Décision d‟explicitation Une décision d‟explicitation est l‟aboutissement du processus cognitif de l‟analyse contextuelle que le traducteur déploie en vue de résoudre un problème de traduction. Elle révèle la solution retenue par le traducteur, mais permet aussi bien souvent de comprendre l‟interprétation que le traducteur a faite du sens de l‟élément problématique dans le texte, de sa pertinence pour le vouloir dire global. Elle laisse entrevoir l‟évaluation par le traducteur du bagage cognitif du lecteur cible et bien d‟autres facteurs que nous avons regroupés dans ce que nous avons appelé « la grille d‟analyse discursive et de prise de décision de l‟explicitation ». Ecart d‟explicitation Un écart d‟explicitation est toute modification au niveau de la partie explicite du texte traduit qui est du fait du traducteur. Il se révèle en comparant l‟énoncé d‟origine avec ce qui doit en être la traduction directe. Cependant, cette analyse comparative révélera plusieurs écarts traductifs qui n‟appartiennent pas tous à l'explicitation. Pour être perçu comme un écart d‟explicitation, cet écart doit, selon nous, être informatif, concis, motivé par un problème de traduction, déductible du contexte cognitif ou de la situation de communication, limité au besoin discursif et facultatif. Le dernier critère implique que cet écart constitue une option de traduction jugée mieux à même de permettre l‟élucidation du sens. L‟écart est le produit final du processus de prise de décision de l‟explicitation. Eléments problématiques Il s‟agit de différents éléments lexicaux et culturels dont la « traduction directe » risque d‟être ambiguë ou incompréhensible des lecteurs cibles. Cela est dû généralement à un manque de correspondances linguistiques fixes en langues cible ou d‟équivalents culturels dans le contexte d‟accueil. Les traducteurs tentent plusieurs solutions pour révéler les significations pertinentes qui s‟actualisent en contexte. Parmi ces solutions figure la stratégie de l‟explicitation. Pour mieux analyser la portée sémantique et la difficulté traductologique que représentent ces éléments, nous les avons regroupés par affinités dans cinq ensembles que nous appelons « les problématiques ». Celles-ci correspondent aux « motivations principales d‟explicitation ». Emploi tropique Un emploi tropique est une tournure linguistique particulière basée sur l‟exploitation discursive d‟une figure de style (l‟antonomase, la métonymie, l‟éponymie, etc.) et dont la traduction mot à mot génère le plus souvent un risque d‟ambiguïté ou d‟incompréhension. Cette tournure charrie souvent une signification implicite pertinente qui ne s‟actualise que chez le lecteur modèle natif et attentif, grâce à des connaissances linguistiques et extralinguistiques étayées. La déduction de ce sens implicite se fonde souvent sur la saisie d‟une comparaison subtile, linguistique ou

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culturelle, entre deux termes, deux noms ou deux faits socioculturels. L‟élément de comparaison qui sert de clé pour déchiffrer le sens voulu est suggéré tacitement. Il incombe au traducteur de le rendre plus explicite, tant que le contexte discursif le requiert, afin que le lecteur cible puisse interpréter correctement et aisément cette expression et partant le vouloir dire de l‟énoncé. Ce mode de désignation représente un raccourci linguistique doté d‟un effet stylistique frappant, dans la mesure où il évoque le maximum de sens avec le minimum de mots. Parmi les emplois tropiques multiples et variés, nous avons mis l‟accent sur les cas de l‟antonomase, de la métonymie, de l‟éponymie et des jeux de mots, qui reviennent le plus fréquemment dans notre corpus. Les lignes de démarcation entre ces différentes figures de style ne sont pas toujours très tranchées mais notre but est avant tout de faciliter l‟étude des emplois discursifs dans les textes à traduire et non de catégoriser ces différentes figures. Eponyme Par éponyme, nous entendons un mode de désignation qui consiste à attribuer à un objet ou à un concept le nom propre de la personne qui en est l‟inventeur ou le concepteur. Le changement de désignation opéré par l‟éponyme suscite souvent une explicitation pour aider le lecteur cible à identifier clairement l‟objet ou le concept ainsi désigné, ou au moins l‟un de ses traits saillants qui s‟actualisent dans le contexte d‟énonciation. Si le lecteur cible y parvient aisément, grâce à l'apport du contexte cognitif ou à son bagage cognitif général, le traducteur peut se contenter d‟une traduction directe, ou l‟accompagner, le cas échéant, d‟une brève incrémentialisation. Equivalent synonymique L‟équivalent synonymique est une technique d‟explicitation qui consiste à accompagner l‟élément problématique reproduit d‟abord littéralement par un autre équivalent linguistique qui aide à révéler son sens pertinent. Cette technique s‟emploie souvent pour lever l‟ambiguïté d‟un emprunt, d‟un calque lexical et de toute autre désignation prêtant à confusion. Elle peut être considérée comme une variante de la technique de l‟insertion ; mais elle s‟en démarque par le fait qu‟elle implique souvent une redondance lexicale (par ex. « plan B » explicité par « ‫[ انخطخ ة‬plan B] + ‫هخ‬ٚ‫[ انخطخ انجذ‬le plan alternatif]). Son emploi témoigne néanmoins de la diversité des profils sociolinguistiques des lecteurs arabes, qui contraint certains traducteurs à multiplier les alternatives linguistiques pour toucher le plus large panel de lecteurs possible. Exemple principal d‟explicitation Un exemple principal d‟explicitation est un exemple en contexte tiré de l‟un des articles du MD inclus dans le corpus de l‟explicitation. Il est présenté sous forme de tableau particulier composé de trois colonnes : la première contient l‟énoncé ou une partie de l‟énoncé du texte d‟origine, la deuxième sa traduction en arabe faite par le traducteur du MD, la troisième notre retraduction linguistique en français de la traduction arabe, destinée aux lecteurs non arabophones afin de leur permettre de se faire une idée de la traduction, de la construction syntaxique de la phrase arabe,

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de la fidélité au sens du texte arabe, etc. Chaque exemple principal est précédé par une mise en contexte de l‟énoncé où l‟on présente l‟intitulé de l‟article, son objet principal ainsi que l‟idée générale de la séquence dans laquelle figure cet énoncé. Il est suivi d‟un commentaire sur la traduction faite par le traducteur du MD et sur notre analyse de l‟explicitation effectuée. Chaque exemple porte un numéro par ordre croissant commençant par l‟exemple nº 1 exposé dans l‟introduction jusqu'à l‟exemple nº 76 figurant dans la conclusion. Exemple secondaire d‟explicitation Un exemple secondaire est un exemple d‟explicitation moins contextualisé que l‟exemple principal, dans la mesure où l‟on ne cite pas le titre de l‟article, ni son objet principal, ni l‟énoncé tout entier dans lequel est puisé le passage contenant l‟explicitation. Il se présente sous forme d‟un tableau collectif contenant plusieurs autres exemples secondaires, composé de quatre colonnes. Dans la première, nous reproduisons l‟unité de sens ou la partie de l‟énoncé contenant l‟élément ayant suscité une explicitation ; dans la deuxième la traduction arabe faite par le traducteur du MD ; dans la troisième notre retraduction linguistique du texte arabe ; et dans la quatrième notre commentaire sur le contexte d‟énonciation de cet exemple et sur l‟explicitation proposée. Notre proposition d‟une explicitation plus adéquate que celle effectuée par le traducteur du MD figure souvent dans une note en bas de page pour ne pas trop encombrer le tableau. Dans ce genre de notes, nous présentons également les autres explicitations proposées dans d‟autres textes du MD du même élément problématique mentionné dans l‟exemple secondaire. Chaque exemple de ce type est numéroté par un chiffre romain ascendant qui recommence à chaque nouveau tableau. Chaque tableau collectif d‟exemples et les autres tableaux créés pour le besoin de cette étude, sont numérotés par ordre croissant. Explication Dans notre triptyque explicitness-explicitation-explication, où l‟explicitation occupe une place médiane, l‟explication constitue la limite au delà de laquelle on ne peut plus parler d‟une explicitation telle que nous l‟avons conçue dans le présent travail. Il s‟agit de glose que le traducteur ajoute, non pas seulement par souci de clarté ou pour mieux préciser le sens pertinent, mais pour donner de plus amples informations, souvent secondaires, sur un élément donné. Ce genre d‟apports supplémentaires d‟information se manifeste notamment dans les traductions académiques, universitaires ou pédantes, moyennant les fameuses notes des traducteurs. Il peut s‟agir parfois de commentaires subjectifs fournis par les traducteurs ou d‟exégèses qui ne sont pas parfaitement déductibles du texte source par le lecteur natif. Lorsque ces écarts dépassent le besoin communicatif pour la saisie du vouloir dire du texte, ils sont souvent perçus comme illégitimes ou superflus. Aussi, l‟explication est-elle plutôt un phénomène observable en traduction et non une stratégie de traduction à proprement parler.

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Explicitation L‟explicitation est une stratégie générale de résolution de problèmes de traduction. Elle consiste à prendre des « décisions d‟explicitation » dont la mise en œuvre permettra aux lecteurs de la traduction de mieux saisir le sens implicite du texte source, d‟identifier clairement les objets et concepts qui leur sont méconnus ou inconnus. Dans la pratique, l‟explicitation regroupe plusieurs techniques comme l‟incrémentialisation, la périphrase, la paraphrase, l‟insertion, l‟équivalent synonymique, la note du traducteur. Ces techniques contribuent toutes, selon un dosage discursif savamment calculé entre l‟explicite et l‟implicite, à éluder tout risque d‟ambiguïté ou d‟incompréhension du sens pertinent d‟un énoncé ou du texte en entier. Explicitation pertinente Une explicitation pertinente résulte d‟une décision judicieuse par laquelle le traducteur ne se contente pas d‟élucider un élément problématique mais révèle au lecteur le sens discursif pertinent de l‟énoncé. L‟explicitation pertinente ne s‟inscrit donc pas dans le cadre d‟un traitement symptomatique et localisé, mais plutôt dans le cadre d‟une stratégie générale d‟écriture élaborée spécifiquement pour s‟adapter au lecteur modèle cible et au contexte d‟accueil. Ainsi, les explicitations pertinentes sont interdépendantes tout au long du texte traduit. Explicitness L‟explicitness est un phénomène linguistique qui consiste à exprimer une même information contenue dans un énoncé à l'aide de ressources linguistiques plus ou moins variées et étoffées qui diffèrent d‟un système linguistique à l'autre. Ce phénomène doit son existence aux différences grammaticales, lexicales, syntaxiques entre les langues et aux préférences stylistiques qui caractérisent ces systèmes linguistiques. Il n‟est pas intrinsèquement lié à l'acte du traduire, même si celui-ci le révèle mieux grâce à une analyse comparative entre le nombre et le type des mots exprimant la même idée dans le texte source et dans le texte cible. Il diffère ainsi de l‟explicitation qui est d‟une part intrinsèquement liée à l'interprétation du sens pertinent du texte source - donc au niveau discursif et non simplement au niveau linguistique - et d‟autre part motivée par un problème de traduction en rapport avec la distance culturelle, le changement de lectorat et le rétablissement du rapport explicite/implicite. Grille d‟analyse discursive et de prise de décision de l‟explicitation La grille d‟analyse discursive et de prise de décision de l‟explicitation est un effort d‟analyse systématique des facteurs qui entrent en jeu lors de l‟analyse contextuelle d‟un élément problématique et la prise de décision de son explicitation. Elle tient compte d‟une série de facteurs liés à l'ancrage discursif de cet élément dans le texte comme sa localisation dans le texte, le nombre de ses occurrences, son co-texte, sa pertinence pour la construction du sens global de l‟énoncé et du texte en entier, etc. A cela s‟ajoute un jeu de facteurs liés au contexte de la production et de la réception du texte traduit, comme les modalités de traduction et d‟édition, les

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normes de traduction et de réception en vigueur dans le contexte d‟accueil, le skopos du projet de la traduction, la compétence du traducteur, etc. L‟analyse de l‟ensemble de ces facteurs guide le choix du traducteur de la solution la plus appropriée dans le cadre de ce que Lévy appelle « la chaîne de choix ». Autrement dit, chaque facteur interfère avec l‟autre et chaque décision d‟explicitation influe sur les autres décisions à venir. Tous ces choix s‟inscrivent dans le cadre d‟une stratégie de réécriture du texte traduit qui vise à réexprimer le vouloir-dire du texte source d‟une manière lisible et intelligible. Implicite Il s‟agit d‟une notion complexe que nous avons tenté de cerner en parlant plutôt de « contenus implicites » ; lesquels se basent sur la classification tripartite proposée par Plassard (2002) : l‟implicite verbal, l‟implicite conceptuel et l‟implicite notionnel. L‟implicite verbal correspond au « non-dit linguistique », un « implicite inconscient » qui apparaît comme la résultante du phénomène de synecdoque selon lequel chaque langue ne nomme, par le signe linguistique, qu‟un aspect du référent et crée de facto un implicite. L‟implicite conceptuel est « ce à quoi se réfère le discours, et qui, en ne le désignant que par certains traits, laisse au « récepteur », le soin d‟en reconstituer la totalité » (Plassard 2002 : 114). Il correspond au « non-dit discursif », supposé déductible du contexte. L‟implicite notionnel renvoie au « supposé su » de l‟interlocuteur, c'est-àdire la partie implicite qui s‟interprète grâce aux connaissances cognitives déjà emmagasinées dans le cerveau du lecteur, glanées tout au long de son vécu et de ses lectures. Incrémentialisation L‟incrémentialisation est une technique d‟explicitation qui consiste à insérer, en amont ou en aval d‟un élément problématique, quelques mots précisant sa nature. Elle s‟emploie souvent avec les noms propres de personne, de lieu, d‟institution, d‟ouvrage, de marque, etc., mais aussi pour mieux préciser le sens de certains termes ou concepts condensés. Insertion L‟insertion est une technique d‟explicitation qui consiste à intégrer au sein du texte, que ce soit dans le co-texte de l‟élément problématique ou dans la séquence textuelle dont cet élément fait partie, un supplément d‟information. Celui-ci est souvent mis entre guillemets, parenthèses ou virgules. Son but est d‟élucider le sens pertinent de l‟élément problématique en contexte, et son volume est fonction du besoin communicationnel. Dans tous les cas, ce supplément ne doit pas provoquer une rupture de la trame discursive. Néanmoins, si le traducteur est amené à opérer une insertion plus étayée, il vaudra mieux placer ce complément volumineux en note du traducteur afin de ne pas interrompre le fil de la lecture. Lecteur modèle Le lecteur modèle désigne dans les approches communicationnelles, notamment dans la conception d‟Eco, le lecteur supposé du texte source, tel que se le représente l‟auteur dans sa

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stratégie d‟écriture. Autrement dit, l‟auteur formule ses pensées en fonction de son estimation du degré de coopération interprétative et dialogique du lecteur modèle, et de sa capacité présupposée à saisir l‟implicite du discours. Nous employons cette expression pour désigner le lecteur natif visé par le texte source, ainsi que le lecteur cible visé par le texte traduit, mais dans ce dernier cas nous précisons qu‟il s‟agit du lecteur modèle arabe, à moins que le contexte ne le précise suffisamment. Et puisque la stratégie d‟écriture du texte source s‟adapte a priori au lecteur modèle natif, la stratégie de traduction mise en œuvre dans le texte traduit devra elle-aussi s‟adapter au lecteur modèle cible, c'est-à-dire adopter une stratégie d‟écriture qui convienne à ses besoins et attentes, à son bagage cognitif et à sa compétence interprétative. C‟est dans cette optique que nous concevons la mise en œuvre de la stratégie d‟explicitation. Marqueurs typographiques Les marqueurs typographiques sont les signes de ponctuation qui prennent dans le texte une valeur significative, et qui sont parfois ajoutés par le traducteur. Il peut s‟agir de guillemets utilisés pour souligner un élément linguistique reproduit littéralement dans le texte traduit, de parenthèses signalant une insertion de compléments informatifs ou contextuels, de virgules délimitant le début et la fin d‟une incise introduite par le traducteur, d‟un point d‟exclamation marquant l‟étonnement ou l‟ironie, etc.. Maximes traductionnelles d‟explicitation Les maximes d‟explicitation sont des principes généraux qui régissent l‟application de la stratégie d‟explicitation de façon raisonnée et rigoureuse sur l‟ensemble du texte. Elles sont, selon nous, au nombre de cinq, liées les unes aux autres : la pertinence, la quantité, la qualité, la sûreté, la manière. Le respect de ces principes régulateurs lors du processus de prise de décision devra permettre au traducteur de créer des explicitations dites « pertinentes ». Ces maximes sont inspirées de l‟ensemble de notre conception globale de la traduction, notamment des approches communicationnelles (celles de Grice, de Lederer et de Pym), et de la grille d‟analyse discursive et de prise de décision de l‟explicitation. Maxime de manière La maxime de la manière agit au niveau du texte en général : elle consiste à appliquer la stratégie de l‟explicitation de façon coordonnée et rigoureuse sur l‟ensemble du texte traduit. Il peut s‟agir de : 1) choisir le procédé le plus approprié selon le besoin contextuel, le mode d‟insertion la plus adapté à la trame discursive, 2) respecter une certaine norme de présentation des compléments ajoutées (l‟emploi des marqueurs typographiques comme les guillemets, des parenthèses, des virgules, des formules introductives des notes du traducteurs, etc.), 3) éviter les explicitations répétitives lors des différentes occurrences d‟un même élément, 4) respecter les normes linguistiques en vigueur dans le contexte d‟accueil concernant le choix du registre approprié, l‟emploi des emprunts, des noms propres, etc., et 5) se conformer aux normes de traduction instaurées par l‟éditeur ou le sponsor de la traduction. Tout le jeu réside dans le respect rigoureux

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de toutes ces normes dans l‟ensemble du texte traduit s‟il s‟agit d‟un projet individuel, et dans tous les textes traduits lorsqu‟il s‟agit d‟un projet collectif de grande envergure comme c‟est le cas de la traduction du MD. Maxime de pertinence La maxime de la pertinence consiste à n‟expliciter au lecteur cible que les seuls traits pertinents susceptibles d‟illustrer le sens d‟un élément problématique. Le traducteur choisira ces traits au terme d‟une recherche documentaire visant à élucider la valeur référentielle et connotative véhiculées par cet élément et d‟une analyse discursive du rôle de cet élément dans le texte, compte tenu du co-texte et du contexte. Enfreindre cette maxime peut donner lieu à des explicitations superflues qui peuvent informer le lecteur sur la valeur référentielle de cet élément, mais pas sur le sens pertinent de l‟énoncé. Maxime de qualité La maxime de qualité consiste à fournir au lecteur des informations exactes et vérifiées, en plus du fait qu‟elles doivent être précises et concises. Cela exige du traducteur une recherche documentaire poussée pour combler les lacunes éventuelles de son bagage cognitif. Il importe également de procéder à une révision attentive du texte traduit pour corriger les erreurs et rectifier les approximations qui ont pu échapper aux traducteurs. Maxime de quantité La maxime de la quantité consiste à ne fournir au lecteur que le strict nécessaire en termes d‟informations complémentaires. Ces informations viennent simplement compléter les autres apports du contexte cognitif, et ne servent que de déclencheur des « bonnes » associations d‟idées, de jalons traçant le bon parcours interprétatif, capable d‟amener le lecteur sans encombres à la compréhension escomptée. La concision de ces suppléments est la règle, le développement étayé en incises ou en note en est l‟exception. Maxime de sûreté La maxime de sûreté concerne l‟ensemble du texte et non seulement les éléments problématiques pris isolément. Elle consiste à appliquer la stratégie de l‟explicitation sur l‟ensemble des éléments pouvant prêtant à confusion, ou engendrer des risques d‟ambiguïté s‟ils sont traduits littéralement, sans aucun éclaircissement ni par le contexte lui-même ni par le traducteur. Il vaut mieux donc éviter tous ces risques d‟emblée en les explicitant, d‟une façon minimale, mais suffisante. Et si jamais le traducteur devait choisir entre d‟une part le risque de redondance, dû au fait d‟expliciter un élément que le traducteur suppose plus ou moins connu de certains lecteurs, et d‟autre part le risque d‟ambiguïté dû au fait que certains autres lecteurs ne connaissent pas cet élément, c‟est alors le premier risque que l‟on propose de prendre.

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Métonymie Par métonymie, nous entendons un mode de désignation qui consiste à employer un nom propre de lieu ou un nom commun (mets, couleur, etc.) pour désigner un autre nom propre ou un autre nom commun. L‟un désigne l‟autre sans pour autant lui attribuer, comme l‟antonomase, une de ses qualités particulières et notoires. Si le lecteur parvient à identifier clairement le référent dissimulé derrière le changement de désignation opérée, l‟explicitation n‟a pas lieu d‟être. Sinon, le traducteur intervient pour en faciliter l‟identification. Il peut choisir soit de garder cette façon de la désigner en l‟explicitant, soit d‟y substituer la désignation linguistique commune et neutre, déparée et dépourvue de cet effet stylistique. Libre au traducteur de privilégier l‟un ou l‟autre mode, selon la visée traductive et son analyse contextuelle de la pertinence de cette désignation spécifique. Motivations principales d‟explicitation Les motivations principales d‟explicitation sont l‟ensemble des raisons qui incitent les traducteurs à ne pas se contenter d‟une traduction directe et à ajouter des éléments contextuels discursifs susceptibles de mieux illustrer le vouloir dire d‟un énoncé ou du texte entier. Nous avons classé l‟ensemble de ces motivations en cinq grandes problématiques, à savoir : le manque de connaissances culturelles, la métaphorisation du langage, les allusions et connotations, les constructions elliptiques, la volatilité des désignations en langue cible. Normes de traduction Les normes de traduction désignent en général un concept clé des approches descriptives, notamment la théorie du Polysystème, appliquée par Toury dans ses travaux sur l‟influence des normes dans les différents contextes de traduction. Dans le cadre de notre analyse du corpus, nous employons ce terme pour désigner les règles plus ou moins communes appliquées dans différentes périodes de la traduction du MD, concernant le mode d‟insertion des explicitations, le registre linguistique privilégié, le style de traduction orienté vers la langue-culture source ou la langue-culture cible, ou recherchant une voie médiane. Note du traducteur La note du traducteur est une technique d‟explicitation analogue à la technique de l‟insertion, à une différence près : le complément apporté est d‟une taille importante qui empêche son intégration parfaite au sein du texte. Dans le cas du corpus du MD, la note du traducteur est toujours une note placée en fin d‟article et non une note infrapaginale. Paraphrase La paraphrase est une technique d‟explicitation qui consiste à reformuler de façon plus claire le sens d‟un élément problématique ou d‟un énoncé, en faisant abstraction de l‟expression linguistique d‟origine. Elle s‟emploie souvent pour élucider le sens de certaines expressions tropiques en les démétaphorisant.

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Périphrase La périphrase est une technique d‟explicitation qui consiste à traduire les termes et concepts n‟ayant pas de correspondances linguistiques dans la langue/culture cible, par un court syntagme définitoire révélant leurs traits caractéristiques qui s‟actualisent dans le contexte. Cette technique se présente comme une alternative à l'emploi des emprunts, des reports ou des désignations linguistiques dialectales, qui risquent de ne pas être bien compris de la majorité du lectorat cible. Problème de traduction Les problèmes de traduction sont les difficultés de traduction récurrentes auxquelles se heurtent les traducteurs, quelles que soient les langues ou les cultures impliquées dans l‟acte du traduire. Ils appellent une analyse discursive dont découle une solution créative ad hoc. Cette solution varie d‟un contexte à l'autre et d‟un traducteur à l'autre, mais le problème de traduction est un phénomène général, qui se pose indépendamment du traducteur et de son éventuel manque de compétences linguistiques et/ou culturelles. Nous appelons généralement « éléments problématiques » ces éléments linguistiques, discursifs, culturels spécifiques qui posent des problèmes de traduction. Procédé d‟explicitation Un procédé d‟explicitation est l‟option finale que privilégie le traducteur pour donner forme à l'explicitation décidée. Il produit un écart d‟explicitation au niveau d‟une « unité de sens ». Il peut s‟agir d‟une insertion de complément informationnel dans le co-texte de l‟élément problématique ou d‟un remplacement de ce dernier par un élément linguistique jugé moins équivoque. La palette traductive de la stratégie d‟explicitation englobe seize procédés, toutes techniques confondues. Plusieurs procédés peuvent être combinés et employés simultanément pour résoudre un seul problème de traduction. Les résultats de l‟application de ces procédés reflètent objectivement les décisions d‟explicitation prises. Risque d‟ambiguïté Par risque d‟ambiguïté, nous entendons la situation communicationnelle où le sens pertinent d‟un énoncé risque d‟être mal ou difficilement compris du lecteur cible. Du point de vue de la stratégie de traduction appliquée, nous attribuons souvent ce risque à l‟emploi d‟une traduction directe qui ne révèle pas le sens de la partie implicite du texte ou à toute autre technique de traduction qui ne rend pas suffisamment compte du sens pertinent de l‟énoncé. Il arrive souvent que le contexte cognitif apporte un éclaircissement susceptible de lever cette ambiguïté et dans ce cas, le traducteur peut se fier à la capacité interprétative du lecteur. Mais si tel n‟est pas le cas, ce risque va croissant jusqu‟au point d‟engendrer un risque d‟incompréhension.

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Risque d‟incompréhension Par risque d‟incompréhension, nous entendons la situation communicationnelle où le lecteur ne parvient pas à inférer le sens pertinent d‟un énoncé donné. Il résulte de l‟accumulation de plusieurs ambiguïtés précédentes ou de l‟incapacité du lecteur à déduire le sens d‟un élément discursif qui joue un rôle central pour la compréhension de l‟énoncé. Dans certains cas, ce risque découle d‟un manque de compréhension de la part du traducteur lui-même, ce qui se reflète par une formulation hermétique, cherchant simplement à camoufler son incompréhension. Redondance La redondance est le fait d‟expliciter un élément de sens déjà élucidé dans le texte ou aisément déductible du contexte. Il peut s‟agir aussi de répéter le même contenu de l‟explicitation en différents endroits du texte, ou d‟employer des solutions « doubles » sans besoin réel. Skopos de la traduction Le skopos de la traduction désigne généralement un concept clé des approches fonctionnalistes de la traduction. Ces approches donnent la priorité à la fonction assignée à la traduction et au texte traduit dans le contexte d‟accueil. Cette fonction est déterminée par le donneur d‟ordre de la traduction et détermine à son tour la stratégie de traduction à mettre en place pour atteindre cette finalité. Lorsqu‟il s‟agit d‟analyse du corpus du MD, cette expression renvoie à l'objectif que nous supposons être celui de la traduction du MD en arabe : Informer le public arabe de ce qui se passe autour d‟eux en Occident ou dans les autres continents, sur tous les plans (économiques, politiques, sociaux, culturels, etc.), et former le lectorat arabe au style journalistique français dans toutes ses subtilités linguistiques et culturelles, à la liberté d‟expression et au professionnalisme des enquêtes effectuées, etc. Stratégie de traduction Une stratégie de traduction est la démarche globale qu‟adopte sciemment le traducteur pour résoudre une problématique de traduction. Le traducteur coordonne ses actions et ses décisions en fonction d‟une réflexion théorique qui l‟a amené à mettre en place cette démarche. Appliquée à notre problématique d‟explicitation, la stratégie de traduction est donc un ensemble de principes généraux que le traducteur va appliquer tout en ayant une certaine latitude quant au choix de la technique appropriée et quant aux suppléments adjoints. Elle s‟applique au texte dans sa globalité. Synecdoque La synecdoque désigne, en dehors de son acception première renvoyant à la figure de style, un mode économe et pertinent de désignation des objets, des concepts et des idées. Elle consiste à révéler quelques-uns des aspects saillants d‟un quelconque référent, de sorte à pouvoir convoquer chez le lecteur des associations d‟idées liées à cet élément. Le rapport explicite/implicite de tout

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texte est régi par ce principe. Le texte évoque et dit plus que ce qui est simplement écrit et encodé linguistiquement. La partie explicite n‟est que la partie visible de l‟iceberg, la partie implicite correspond à celle de la partie immergée, toujours plus importante et plus ancrée dans la profondeur sémantique du texte. L‟explicitation n‟est qu‟une pondération constante de ce rapport explicite/implicite à chaque point du texte afin d‟éviter au lecteur de se heurter à des écueils rendant la compréhension du sens difficile, voire inaccessible. Technique d‟explicitation Une technique d‟explicitation est l‟une des méthodes par lesquelles se met en œuvre la stratégie d‟explicitation dans le texte. A partir de l‟analyse du corpus du MD, nous avons pu dégager six techniques distinctes : l‟incrémentialisation, la périphrase, la paraphrase, l‟insertion, l‟équivalent synonymique, la note du traducteur. Chaque technique agit au niveau de l‟énoncé par le biais de plusieurs procédés spécifiques. Tentative d‟explicitation Il s‟agit d‟une explicitation fournie par les traducteurs du MD, mais qui déroge à l'une des cinq maximes traductionnelles de l‟explicitation. Autrement dit, c‟est une explicitation qui n‟aide pas le lecteur à saisir le sens exact voulu par l‟auteur ou qui n‟a pas sa juste place dans le texte traduit. La plupart des explicitations relevées dans notre corpus du MD appartiennent plutôt à cette catégorie. Traduction directe La traduction directe est une stratégie de traduction qui consiste à traduire mot à mot le texte source par le biais de trois techniques : le report pur et simple de certains termes et noms propres pour lesquels la langue cible n‟a pas de correspondances linguistiques et culturelles, ce qui est le degré zéro de la traduction ; l‟emprunt pour les termes et concepts auxquels la langue/culture n‟a pas encore attribué de désignations spécifiques et qui sont souvent intégrés phonétiquement et syntaxiquement dans la langue cible ; le calque pour les structures phrastiques et autres tournures linguistiques spécifiques comme les expressions métaphoriques ou idiomatiques par exemple. Elle correspond à la stratégie de l‟exotisation préconisée par les approches purement linguistiques, philosophiques et culturelles de la traduction. Cette stratégie est le point de référence sur lequel se basent de nombreux chercheurs pour repérer des écarts de traduction. Bien que diamétralement opposée à la stratégie de l‟explicitation, la stratégie de la traduction directe peut souvent coexister et coopérer avec l‟explicitation, de telle sorte que leur mise en œuvre simultanée permet souvent la préservation des traits exotiques des éléments culturels inconnus et de leurs significations pertinentes en contexte. L‟une complète l‟autre. Traduction ethnocentrique La traduction ethnocentrique est une stratégie de traduction qui consiste à gommer les traits culturels exotiques du texte source au profit d‟autres traits caractéristiques de la culture cible et

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de la clarté des propos. Elle crée ce que Mounin appelle « les belles infidèles », c'est-à-dire des textes aisément lisibles et intelligibles, mais qui donnent au lecteur cible une perception faussée des réalités culturelles du monde du texte source. En effet, cette stratégie induit que ses références soient neutralisées ou naturalisées pour convenir à celles du monde cible. Elle correspond à la stratégie de la naturalisation de Venuti et à celle de l‟adaptation culturelle. Traduction par équivalence interprétative libre La traduction par équivalence interprétative libre est une stratégie de traduction basée sur le modèle interprétatif de la TIT et située entre l‟explicitation et l‟adaptation culturelle ou la traduction ethnocentrique. Elle consiste à reformuler plus librement le sens des énoncés du texte source sans s‟astreindre formellement au respect de leurs structures syntaxiques, et c‟est en cela qu‟elle se recoupe avec l‟explicitation. Elle ne contraint pas non plus le traducteur à veiller à la sauvegarde des images métaphoriques ou des référents d‟origine, et c‟est en cela qu‟elle se recoupe avec l‟adaptation. Elle diffère cependant de notre conception de la stratégie de l‟explicitation par le fait que ses choix linguistiques ne sont pas toujours motivés par un problème de traduction et ne sont pas forcément plus explicites. Elle produit ainsi des équivalences discursives libres censées véhiculer le même sens pertinent que les énoncés du texte source. Grâce à la déverbalisation, le sens d‟un énoncé quelconque peut être traduit de différentes manières, toutes correctes et fidèles au sens pertinent de cet énoncé. En outre, elle diffère de la stratégie de l‟adaptation par le fait qu‟elle ne cherche pas systématiquement à gommer les traits exotiques ni à trouver des équivalences culturelles adaptées à la culture cible ; elle tend plutôt à les simplifier au lecteur en exprimant directement et sans détours linguistiques leur sens qui s‟actualise en contexte. La sauvegarde ou la substitution des véhicules métaphoriques ou culturels d‟origine n‟est pas le point focal de cette stratégie qui privilégie la notion de production d‟un « effet comparable ». Tous les choix de reformulation sont permis tant qu‟ils contribuent efficacement à transmettre le vouloir dire du texte. Unité de sens Nous souscrivons à la définition qu‟en donne Lederer (2001 [1976] : 41) à savoir : « une unité minimum de compréhension, en deçà de laquelle il n‟y a pas encore de sens, mais seulement des mots avec chacun leurs signification propre, et au-delà de laquelle commence la communication ». Une micro-unité de sens peut être un terme lexiculturel, un mot condensé, un concept, une date ou un nom propre contenant une allusion, etc… Une unité de sens de volume « moyen » peut être un syntagme nominal ou verbal, une expression métaphorique, une phrase culte, voire un énoncé complet. Nous considérons le texte entier comme une macro unité de sens. Les énoncés constituent la forme générale des unités de sens discursives situés entre les micro- et les macro-unités de sens.

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Vouloir dire Dans la TIT, le vouloir dire correspond au sens que l‟auteur cherche à communiquer à son lecteur et trouve idéalement son corollaire dans le sens compris et déverbalisé par le lecteur. Il est distinct de l‟intention de l‟auteur qui ferait l‟objet Ŕ au-delà de la compréhension du texte Ŕ d‟une approche herméneutique. Valeur connotative La valeur connotative d‟un terme ou d‟une unité de sens est la charge sémantique qui se greffe sur la valeur référentielle intrinsèquement et objectivement liée à cet élément linguistique et discursif. Elle est censée déclencher une association d‟idées. Il s‟agit d‟un halo de significations qui jaillissent dans l‟esprit du lecteur modèle disposant d‟un bagage cognitif pertinent sur cet élément et d‟un ancrage socio-culturel assez profond. Le lecteur issu d‟un autre environnement socioculturel pourrait, lui aussi, se représenter cette charge connotative à l'aide d‟une explicitation pertinente. Néanmoins, à la différence du lecteur modèle natif, cette perception reste schématique et grossière chez le lecteur modèle cible, faute d‟ancrage culturel et de vécu de ces réalités conceptualisées.

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Remerciements ............................................................................................................................... 6 Liste des sigles et abréviations....................................................................................................... 7 Sommaire ........................................................................................................................................ 8 INTRODUCTION GÉNÉRALE ................................................................................................... 10 PREMIÈRE PARTIE : VERS UNE CONCEPTION GLOBALE DE L‟EXPLICITATION ........................................................................................................................................................ 33 Préambule .................................................................................................................................. 34 CHAPITRE I : L‟explicitation dans les différentes approches théoriques de la traduction 37 1. L‟explicitation du point de vue des approches linguistiques ..................................................... 38 1.1. La traduction littérale versus l‟explicitation ....................................................................... 38 1.2. Les procédés de la traduction oblique ................................................................................ 39 1.3. L‟explicitation comme procédé oblique secondaire ........................................................... 39 1.4. Une conception vague de l‟explicitation ............................................................................ 40 1.5. L‟intraduisibilité culturelle chez Catford ........................................................................... 42 1.6. Le concept d‟écart de traduction ........................................................................................ 42 1.7. L‟écart versus l‟explicitation .............................................................................................. 43 2. L‟explicitation du point de vue des approches sociolinguistiques ............................................. 44 2.1. L‟explicitation et les « universaux » de Mounin : le tronc commun .................................. 45 2.2. L‟explicitation comme procédé de l‟équivalence dynamique de Nida .............................. 46 2.2.1. L’explicitation synonyme d’addition d’informations .................................................... 46 2.2.2. L’explicitation des formes linguistiques problématiques : extension du ressort ......... 47 2.2.3. L’explicitation et l’amplification lexicale : différentes dénominations, même notion . 48 2.3. L‟explicitation en tant que paraphrase légitime chez Margot ............................................ 49 2.4. Les techniques d‟addition d‟informations explicitantes chez Newmark ............................ 49 3. L‟explicitation du point de vue des approches philosophiques .................................................. 51 3.1. La rencontre entre l‟écrivain et le lecteur selon Schleiermacher : qui fait le premier pas ? ................................................................................................................................................... 51 3.2. L‟explicitation comme un acte de déformation chez Benjamin ......................................... 52 3.3. L‟explicitation comme un acte de transformation chez Steiner ......................................... 53 3.4. L‟explicitation et l‟éthique de la traduction chez Berman : le Propre versus l‟Çtranger ... 54 3.4.1. L’explicitation en tant qu’acte à la fois informant et déformant chez Berman ........... 54

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3.5. L‟explicitation et le rapport de forces entre les cultures : l‟ « exotisation » selon Venuti . 55 3.6. Vers un dépassement des dichotomies : le décentrement de Meschonnic ......................... 57 4. L‟explicitation du point de vue des approches communicationnelles ........................................ 58 4.1. La TIT : une question de « bon sens » ! ............................................................................. 59 4.1.1. Le principe de la synecdoque : la partie pour le tout ................................................... 59 4.1.2. Les compléments cognitifs : entre bagage et contexte cognitifs ................................. 61 4.1.3. Entre l’intention de dire et le dire : le vouloir dire ....................................................... 62 4.1.4. L’explicitation selon le modèle interprétatif ................................................................ 66 4.1.5. L’explicitation telle que conçue dans certaines études inscrites dans ce cadre de la TIT ................................................................................................................................................. 69 4.1.5.2. L’explicitation et la note du traducteur selon Henry ................................................. 71 4.1.5.3. L’explicitation comme procédé d’amplification selon Molina et Hurtado ................ 71 4.2. L‟explicitation du point de vue du modèle inférentiel : le couple intention/inférence ....... 73 4.2.1. Le principe de la cooperation interprétative : le lecteur-interprète ............................ 74 4.2.2. Les quatre maximes conversationnelles de Grice ........................................................ 74 4.2.3. Le principe de la pertinence : optimiser l’inférence ..................................................... 75 4.2.4. La stratégie minimax de Lévy : maximum d’effets, minimum d’efforts ....................... 76 4.2.5. Quelques exemples d’études inscrites dans le cadre du modèle inférentiel ............... 77 4.3. Application de ce modèle sur l‟exemple nº 1 ..................................................................... 80 5. L‟explicitation du point de vue des approches fonctionnelles ................................................... 82 5.1. L‟explicitation en tant qu‟expansion textuelle selon Halliday ........................................... 83 5.2. L‟explicitation comme une « action » ayant un but ........................................................... 84 5.3. La fonction et le type du texte : les stratégies correspondantes selon Reiss ...................... 85 5.4. La théorie de skopos : la fin justifie les moyens................................................................. 85 5.4.1. Le changement de skopos : nouveau texte, nouvelle fonction .................................... 86 5.5. Avantages et inconvénients de ces approches .................................................................... 87 5.6. Application du modèle fonctionnel à l‟exemple nº 1 ......................................................... 88 6. Bilan d‟étape .............................................................................................................................. 91 6.1. L‟hétérogénéité des approches de traduction ..................................................................... 91 6.1.1. Différents centres d’intérêt .......................................................................................... 91 6.1.2. Différentes méthodologies ........................................................................................... 91 6.1.3. Différentes stratégies de traduction ............................................................................. 92 6.2. Quid de l‟explicitation ? ..................................................................................................... 93

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CHAPITRE II : L‟explicitation dans les approches descriptives de la traduction (DTS) .... 96 Préambule ..................................................................................................................................... 97 1. L‟explicitation du point de vue des approches systémiques ...................................................... 98 1.1. La position de la traduction dans le « polysystème » d‟accueil selon Even-Zohar ............ 98 1.2. Les normes de traduction selon Toury : les clés du processus ........................................... 99 1.3. Les trois catégories de normes de traduction.................................................................... 101 1.3.1. Les normes initiales : l’adéquation versus l’acceptabilité ..........................................101 1.3.2. Les normes préliminaires : la stratégie générale ........................................................101 1.3.3. Les normes opérationnelles : les variations des reformulations ................................101 1.4. L‟explicitation : entre lois, universaux et normes de traduction! ..................................... 102 2. L‟explicitation du point de vue des approches empiriques ...................................................... 104 2.1. L‟hypothèse de l‟explicitation .......................................................................................... 105 2.1.1. Le contexte d’apparition de l’Hypothèse....................................................................105 2.1.2. Les écarts de cohésion et de cohérence inhérents à l’explicitation ...........................106 2.1.3. L’énoncé de l’Hypothèse.............................................................................................107 2.1.4. L’explication de l’Hypothèse .......................................................................................107 2.2. Application de l‟Hypothèse à notre exemple nº 1 ............................................................ 109 2.3. Les confusions autour de cette Hypothèse ....................................................................... 110 2.4. La méthode de recherche préconisée par Blum-Kulka ..................................................... 112 2.5. Les différentes recherches empiriques menées dans le cadre de l‟Hypothèse ................. 113 2.5.1. Les caractéristiques générales de ces études .............................................................113 2.5.2. L’étendue des recherches empiriques ........................................................................113 2.6. Les conclusions de ces recherches à l'égard de l‟hypothèse de l‟explicitation ................ 114 2.6.1. Les conclusions sur l’hypothèse 1 : l’augmentation de l’explicitness .........................115 2.6.2. Les conclusions sur l’hypothèse 2 : la redondance.....................................................115 2.6.3. Les conclusions sur l’hypothèse 3 : l’inhérence de l’explicitation au processus de la traduction..............................................................................................................................116 2.6.4. Les conclusions sur l’hypothèse 4 : l’universalité de la stratégie de l’explicitation ...118 2.6.5. Les conclusions sur l’hypothèse 5 : l’indépendance de l’explicitation de l’expérience des traducteurs .....................................................................................................................120 2.7. Les critiques formulées à l'égard de ces études ................................................................ 122 2.8. Les contributions des recherches empiriques sur l‟explicitation au-delà de l‟hypothèse de Blum-Kulka ............................................................................................................................. 124

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2.8.1. L’hypothèse asymétrique de l’explicitation de Klaudy et Károly................................124 2.8.2. L’hypothèse de l’explicitation de House .....................................................................126 2.9. Les différentes conceptions de l‟explicitation dans l‟optique des recherches empiriques ................................................................................................................................................. 128 2.9.1. L’explicitness versus l’explicitation .............................................................................128 2.9.2. L’extension du concept de l’explicitation ...................................................................129 2.9.3. Les différentes typologies d’explicitation ...................................................................132 2.9.4. Les types d’indicateurs d’explicitation........................................................................135 2.9.5. Les quatre modes d’explicitation ................................................................................135 3. Bilan d‟étape ............................................................................................................................ 142 CHAPITRE III : Vers une conception générale de l‟explicitation ........................................ 145 1. Mise au point sur le cadre théorique et méthodologique ......................................................... 146 2. Notre conception générale de l‟explicitation............................................................................ 148 2.1. L‟explicitation en tant que terme générique ..................................................................... 148 2.2. L‟explicitation en tant que stratégie générale ................................................................... 148 2.3. L‟explicitation en tant que notion vaste ........................................................................... 149 2.3.1. La partie implicite........................................................................................................150 2.3.2. La partie explicite ........................................................................................................154 3. Les caractéristiques distinctives de l‟explicitation ................................................................... 157 3.1. L‟explicitation est un écart par rapport à la traduction directe qui est le degré zéro de l‟explicitation ........................................................................................................................... 157 3.2. L‟écart d‟explicitation doit être motivé ............................................................................ 158 3.3. L‟écart d‟explicitation doit être informatif ou éclaircissant ............................................. 158 3.4. L‟écart d‟explicitation doit être légitime .......................................................................... 159 3.5. L‟écart d‟explicitation doit être optionnel ........................................................................ 160 4. L‟explicitation entre explicitness et explication ....................................................................... 160 4.1. Les écarts relevant de l’explicitness ................................................................................. 161 4.2. Les écarts relevant de l‟explication .................................................................................. 162 5. La distinction entre l‟explicitation et les autres stratégies de traduction ................................. 167 5.1. L‟explicitation versus la traduction directe ...................................................................... 167 5.2. L‟explicitation versus l‟adaptation ................................................................................... 170 6. Les fondements théoriques de l‟explicitation ........................................................................... 174 6.1. L‟explicitation en tant que stratégie de réexpression du vouloir dire du texte ................. 174 6.1.1. L’explicitation comme moyen de produire l’équivalence de sens et d’effet .............175

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6.1.2. L’explicitation entre plénitude et entropie du sens ...................................................175 6.1.3. L’explicitation est un gain d’intelligibilité et non d’informativité ...............................176 6.1.4. L’explicitation versus l'entropie du sens .....................................................................176 6.2. L‟explicitation en tant que rétablissement du rapport explicite/implicite ........................ 179 6.2.1. Le déséquilibre du rapport explicite/implicite............................................................180 6.2.2. Le rééquilibrage du rapport explicite/implicite ..........................................................180 6.2.3. Comment rééquilibrer le rapport explicite/implicite .................................................182 6.2.4. Les caractéristiques du nouveau rapport explicite/implicite .....................................188 6.3. L‟explicitation en tant qu‟adaptation au lecteur cible ...................................................... 193 6.3.1. Lecteur Modèle natif versus Lecteur Modèle cible ....................................................194 6.3.2. L’estimation et l’exploitation du bagage cognitif du Lecteur Modèle cible ...............195 6.3.3. La non-imbécilité du lecteur : l’impression d’une « traduction pour les nuls » !.......197 6.3.4. La difficulté de cerner le public cible ..........................................................................198 6.4. L‟explicitation en tant que processus de prise de décision ............................................... 201 6.4.1. Chaque explicitation est une décision ........................................................................202 6.4.2. La compétence du traducteur : pour expliciter, il faut d’abord comprendre ! ..........203 6.4.3. L’influence des normes et contraintes de traduction.................................................204 6.4.4. Le skopos de la traduction : faire connaître le texte ou le monde du texte ..............206 7. En guise de conclusion ............................................................................................................. 207 DEUXIEME PARTIE : LES MOTIVATIONS ET LES TECHNIQUES DE L‟EXPLICITATION : ANALYSE DU CORPUS DU MD 2001-2011 .................................. 217 Avant-propos ........................................................................................................................... 218 CHAPITRE IV : Les motivations des explicitations dans le corps du MD 2001-2011 ........ 219 Préambule ................................................................................................................................ 220 1. Les risques d‟ambiguïté et d‟incompréhension : gérer ou subir .............................................. 222 1.1. De l‟ambiguïté à l'incompréhension : l'hypothétique et l‟hermétique .............................. 222 1.2. La gestion des risques ....................................................................................................... 224 1.3. L‟explicitation : compromis versus compromission ........................................................ 225 1.4. L‟explicitation comme stratégie raisonnée de résolution de problèmes de traduction ..... 228 1.5. Approche typologique des problèmes de traduction ........................................................ 229 2. Les cinq motivations principales de l‟explicitation .................................................................. 230 2.1. La problématique des lacunes culturelles : dire brièvement ce que c‟est ! ...................... 230 2.1.1. Les référents culturels : l’épreuve de l’étranger ! ......................................................230

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2.1.2. Le vide lexical versus l’intraduisibilité : le « vrai-faux » problème de traduction ! ....231 2.1.3. L’écart explicitant versus l’écart culturel ....................................................................233 2.1.4. Informer le lecteur sur un nom propre : de qui (quoi) s’agit-il?.................................237 2.1.5. Informer le lecteur sur des noms de lieux : localisation ou particularité ! .................240 2.1.6. Informer le lecteur sur les noms de titres de presse : (spécificité et courant idéologique !) ........................................................................................................................242 2.1.7. Informer le lecteur sur des noms de personnages fictifs : (l’œuvre littéraire et/ou le trait de caractère) .................................................................................................................243 2.1.8. Informer le lecteur sur des noms de sociétés ou d’institutions : (de quoi s’agit-il ?) 245 2.1.9. Informer le lecteur sur un fait historique : (de quoi s’agit-il ?) ..................................247 2.1.10. Informer le lecteur sur des dates importantes .........................................................251 2.1.11. Informer le lecteur sur d’autres concepts culturels (éducatifs, politiques, économiques, etc.)................................................................................................................254 2.1.12. Informer le lecteur sur d’autres objets et concepts culturels inconnus ..................263 2.2. La problématique de la métaphorisation du langage ........................................................ 266 2.2.1. Les procédés tropiques : métonymie, métaphore, antonomase, éponyme ..............267 2.2.2. Les mécanismes de compréhension et de réexpression des tournures tropiques ....269 2.2.3. L’explicitation des emplois tropiques des noms propres dans le MD : à quoi réfère le trope ? ...................................................................................................................................272 2.2.4. Les emplois métonymiques ........................................................................................273 2.2.5. Les emplois antonomasiques des noms propres ........................................................285 2.2.6. Les emplois éponymiques des noms propres .............................................................293 2.2.7. Les comparaisons ........................................................................................................299 2.2.8. Les expressions métaphoriques et idiomatiques .......................................................302 2.2.9. Les jeux de mots..........................................................................................................305 2.3. La problématique des allusions et des connotations ......................................................... 309 2.3.1. L’explicitations des allusions .......................................................................................310 2.3.2. L’explicitations des connotations ...............................................................................320 2.4. La problématique des constructions elliptiques................................................................ 331 2.4.1. Des explicitations de sigles et acronymes ..................................................................333 2.4.2. Des explicitations de liens anaphoriques ...................................................................335 2.4.3. Des explicitations d’ellipses ........................................................................................337

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2.4.4. Des explicitations de liens logiques ............................................................................339 2.5. La problématique de la volatilité des désignations dans la langue cible .......................... 340 2.5.1. Des explicitations sur des concepts connus mais sans termes précis ........................341 2.5.2. Des explicitations de concepts connus mais avec quelques nuances ........................345 2.5.3. Des explicitations de noms d’objets connus ...............................................................347 2.5.4. Des explicitations d’emprunts linguistiques jugés méconnus ....................................350 2.5.5. Des explicitations d’anciens termes arabes ................................................................351 3. L‟analyse statistique des motivations d‟explicitations sur l‟ensemble du corpus du MD 20012011 .............................................................................................................................................. 353 3.1. La méthode de collecte des données statistiques sur les explicitations dans le MD ........ 353 3.2. L‟analyse des statistiques de chaque problématique ........................................................ 356 3.2.1. La problématique nº 1 : Les lacunes culturelles .........................................................356 3.2.2. La problématique nº 2 : La métaphorisation du langage ...........................................360 3.2.3. Problématique nº 3 : Les allusions et connotations ...................................................362 3.2.4. Problématique nº 4 : Les constructions elliptiques ....................................................364 3.2.5. Problématique nº 5 : La volatilité des désignations linguistiques en arabe ...............366 4. En guise de conclusion ............................................................................................................. 368 CHAPITRE V : Les techniques d‟explicitation et leur mise en œuvre dans le corpus du MD 2001-2011..................................................................................................................................... 370 Préambule ................................................................................................................................ 371 1. La stratégie d‟explicitation : macro-stratégie, techniques et procédés ..................................... 372 1.1. La stratégie d‟explicitation : deux manières de faire ........................................................ 373 1.1.1. Le mode de l’ajout : le choix conservateur .................................................................373 1.1.2. Le mode du remplacement : le choix pragmatique ....................................................374 2. Les techniques d‟explicitation du MD ..................................................................................... 375 2.1. La technique de l‟incrémentialisation............................................................................... 375 2.1.1. L’ajout d’un classificateur en amont ...........................................................................376 2.1.2. L’ajout d’un qualificatif en aval ...................................................................................379 2.1.3. L’ajout d’un complément étoffant un terme ..............................................................380 2.1.4 Les avantages et inconvénients de cette technique ....................................................382 2.1.5. La fréquence d’emploi de cette technique dans le MD ..............................................383 2.2 La technique de la périphrase ............................................................................................ 384 2.2.1. La périphrase définitoire qui se substitue au terme d’origine ...................................386

Table de matières

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2.2.2. La périphrase explicitante en plus du terme d’origine ...............................................391 2.2.3. Les avantages et inconvénients de la périphrase .......................................................393 2.2.4. La fréquence d’emploi de cette technique dans le MD..............................................394 2.3. La technique de la paraphrase .......................................................................................... 395 2.3.1. La reformulation plus claire et étoffée .......................................................................397 2.3.2. Le procédé de la démétaphorisation ..........................................................................398 2.3.3. La substitution lexicale ................................................................................................400 2.3.4. Les avantages et inconvénients de la paraphrase ......................................................403 2.3.5. La fréquence d’emploi de cette technique dans le MD ..............................................403 2.4. La technique de l‟équivalent synonymique ...................................................................... 405 2.4.1. L’équivalent synonymique explicitant un calque .......................................................406 2.4.2. L’équivalent synonymique accompagnant un emprunt .............................................411 2.4.3. Les avantages et inconvénients de l’équivalent synonymique ..................................413 2.4.4. La fréquence d’emploi de cette technique dans le MD ..............................................415 2.5. La technique de l‟insertion ............................................................................................... 416 2.5.1. L’insertion de complément contextuel .......................................................................417 2.5.2. Le procédé de la référentialisation .............................................................................420 2.5.3. L’insertion de marqueurs typographiques .................................................................423 2.5.4. Les avantages et inconvénients de l’insertion ............................................................426 2.5.5. La fréquence d’emploi de cette technique dans le MD ..............................................426 2.6. La technique de la note du traducteur ............................................................................... 428 2.6.1. Les notes courtes ........................................................................................................430 2.6.2. Les notes développées en fin d’article .......................................................................431 2.6.3. Les avantages et inconvénients de la technique de la note du traducteur ................433 2.6.4. La fréquence d’emploi de cette technique dans le MD ..............................................435 2.7. Une vue panoramique sur les techniques d‟explicitation ................................................. 436 3. La mise en œuvre des techniques d‟explicitation ..................................................................... 440 3.1. Vers une méthode rigoureuse d‟explicitation ................................................................... 440 3.1.1. L’évaluation de la décision d’explicitation ..................................................................441 3.1.2. Explicitation pertinente versus tentative d’explicitation ...........................................443 3.2. La maxime de la pertinence : Be relevant ! ...................................................................... 444 3.3. La maxime de la qualité.................................................................................................... 464

Table de matières

587

3.3.1. Le manque de révision ................................................................................................466 3.4. La maxime de la quantité : le strict nécessaire ................................................................. 474 3.4.1. La « sur-explicitation » : abondance de biens peut parfois nuire ! ............................475 3.4.2. La redondance : l’explicitation qui fait double emploi ! .............................................476 3.4.3. L’explicitation graduelle : expliciter de moins en moins ! ..........................................477 3.5. La maxime de la sûreté : « In doubt, be explicit »! .......................................................... 482 3.5.1. Le risque de sous-explicitation ...................................................................................483 3.5.2. La sous-estimation de l’importance de certains éléments discursifs .........................484 3.5.3. La sur-estimation du bagage cognitif public cible ......................................................485 3.6. La maxime de la manière : la rigueur est de mise ! .......................................................... 489 3.6.1. Le choix de la technique appropriée...........................................................................490 3.6.2. Les normes linguistiques : quel registre linguistique privilégier ? ..............................493 3.6.3. Les normes traductives en rapport avec l’explicitation ..............................................495 3.6.4. Le manque de rigueur dans l’explicitation..................................................................502 4. En guise de conclusion ............................................................................................................. 508 CONCLUSION GÉNÉRALE ..................................................................................................... 512 Références bibliographiques ........................................................................................................ 532 Glossaire ....................................................................................................................................... 565 Table de matières ......................................................................................................................... 579 Liste des tableaux ......................................................................................................................... 588 Liste des figures ........................................................................................................................... 590

Liste des tableaux

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Liste des tableaux Tableau 1: Liste des pays arabes qui distribuent gratuitement le MD arabe en supplément mensuel .................. 21 Tableau 2: Les termes désignant les différentes techniques de traduction, dont l’explicitation et les procédés qui s’y apparentent ......................................................................................................................................... 95 Tableau 3: Récapitulatif des recherches menées sur l’explicitation dans le cadre des DTS ..................................141 Tableau 4: Grille des facteurs qui entrent en ligne de compte dans l'analyse discursive du sens et dans la prise de décision de l'explicitation .........................................................................................................................211 Tableau 5: Des explicitations sur des noms propres ............................................................................................240 Tableau 6: Des explicitations sur des titres de presse ..........................................................................................243 Tableau 7: Des explicitations sur des noms de personnages littéraires ...............................................................245 Tableau 8: Des explicitations sur des noms de scoiétés .......................................................................................247 Tableau 9: Des explicitations sur des faits historiques .........................................................................................251 Tableau 10: Des explicitations sur des dates .......................................................................................................253 Tableau 11: Des explicitations sur des concepts économiques ............................................................................259 Tableau 12: Des explicitations sur des concepts politiques .................................................................................263 Tableau 13: Des explicitations sur des noms de vêtements .................................................................................264 Tableau 14: Des explicitations sur des noms de mets ..........................................................................................265 Tableau 15: Des explicitations sur des concepts liés au domaine de la santé ......................................................266 Tableau 16: Des explicitations sur des emplois métonymiques de noms de rue ..................................................276 Tableau 17: Des explicitations sur des emplois métonymiques de noms de bâtiments .......................................277 Tableau 18 : Des explicitations sur des emplois métonymiques de noms de villes ..............................................277 Tableau 19: Des explicitations sur des emplois métonymiques de noms de couleurs ..........................................280 Tableau 20: Des explicitations sur des emplois métonymiques de noms d’animaux ...........................................281 Tableau 21: Des explicitations sur des emplois métonymiques de noms de mets ...............................................283 Tableau 22: Des explicitations sur des emplois métonymiques de noms communs ............................................285 Tableau 23: Des explicitations sur des emplois antonomasiques de noms de personnes ....................................289 Tableau 24: Des explicitations sur des emplois antonomasiques de noms de lieux ou de sociétés ......................290 Tableau 25: Des explicitations sur des emplois antonomasiques de surnoms de villes ou de pays ......................292 Tableau 26: Des explicitations sur des emplois antonomasiques de surnoms de personnages célèbres ..............293 Tableau 27: Des explicitations sur des emplois éponymiques de concepts économiques ....................................296 Tableau 28: Des explicitations sur des emplois éponymiques de concepts philosophiques et littéraires .............297 Tableau 29: Des explicitations sur des emplois éponymiques de noms de loi ou de méthode .............................299 Tableau 30: Des explicitations sur des comparaisons métaphoriques .................................................................302 Tableau 31: Des explicitations sur des expressions métaphoriques .....................................................................305 Tableau 32: Des explicitations sur des jeux de mots ............................................................................................309 Tableau 33: Des explicitations sur des allusions contenues dans des noms de personnes ou de lieux .................316 Tableau 34: Des explicitations sur des allusions contenues dans des noms de sociétés ......................................317 Tableau 35: Des explicitations sur des allusions à des slogans .............................................................................320 Tableau 36: Des explicitations sur des connotations liées à des noms d’établissements .....................................324 Tableau 37: Des explicitations sur des connotations liées à des noms de partis politiques .................................325 Tableau 38: Des explicitations sur des connotations liées à des surnoms ............................................................327 Tableau 39: Des explicitations sur des connotations véhiculées par certains verbes ...........................................328 Tableau 40: Des explicitations sur des connotations véhiculées par des expressions ..........................................331 Tableau 41: Des explicitations sur des sigles et acronymes .................................................................................335 Tableau 42 : Des explicitations sur des liens anaphoriques .................................................................................337 Tableau 43: Des explicitations sur des ellipses ....................................................................................................339 Tableau 44: Des explicitations sur des liens logiques ...........................................................................................340 Tableau 45: Des explicitations sur des désignations de faits socio-culturels ........................................................343 Tableau 46: Des explicitations sur des désignations de concepts généraux .........................................................344 Tableau 47: Des explicitations sur des nuances de significations de certaines désignations linguistiques ...........347 Tableau 48: Des explicitations sur des noms d’objets connus ..............................................................................350

Liste des tableaux

589

Tableau 49: Des explicitations sur des emprunts jugés méconnus.......................................................................351 Tableau 50: Le nombre total des exemples par problématique et par année ......................................................354 Tableau 51: Des incrémentialisations par ajout de classificateurs en amont de l’élément problématique ..........379 Tableau 52: Des incrémentialisations par ajout de qualificateurs en aval de l’élément problématique...............380 Tableau 53: Des incrémentialisations par ajout de compléments étoffant un terme ...........................................382 Tableau 54: Des périphrases définitoires courtes ................................................................................................389 Tableau 55: Des périphrases définitoires plus étayées ........................................................................................391 Tableau 56: Des périphrases définitoires accompagnant un emprunt .................................................................393 Tableau 57: Des paraphrases impliquant une reformulation plus claire ..............................................................398 Tableau 58: Des paraphrases par démétaphorisation .........................................................................................400 Tableau 59: Des paraphrases par substitution lexicale ........................................................................................403 Tableau 60: Des équivalents synonymiques explicitant un calque lexical ............................................................408 Tableau 61: Des équivalents synonymiques explicitant une expression spécifique .............................................409 Tableau 62: Des équivalents synonymiques explicitant un calque sémantique ...................................................411 Tableau 63: Des équivalents synonymiques explicitant un emprunt linguistique ................................................413 Tableau 64: Des insertions de compléments contextuels ....................................................................................420 Tableau 65: Des insertions explicitant des liens anaphoriques ............................................................................423 Tableau 66: Des insertions de marqueurs typographiques ..................................................................................425 Tableau 67: Des explicitations par courtes notes du traducteur ..........................................................................431 Tableau 68: Des explicitations par des notes du traducteur plus développées ....................................................433

Liste des figures

590

Liste des figures Figure 1: L'ensemble des conceptions et approches de traduction ainsi que les concepts opératoires susceptibles d'éclairer le phénomène de l'explicitation ................................................................................................. 36 Figure 2: La représentation de l’ensemble des suppositions de l’hypothèse de Blum-Kulka (1986) .....................108 Figure 3: La répartition des exemples par problématique générale .....................................................................355 Figure 4: L’évolution du nombre totale d’exemples d’explicitation sur toute la période 2001-2011, toutes catégories confondues..............................................................................................................................355 Figure 5: La répartition par année du nombre total d’exemples inclus sous la problématique des lacunes culturelles .................................................................................................................................................356 Figure 6: La répartition par année du nombre total d’exemples inclus sous la problématique de la métaphorisation du langage .....................................................................................................................360 Figure 7: La répartition par année du nombre total d’exemples inclus sous la problématique des allusions et des connotations ............................................................................................................................................362 Figure 8: La répartition par année du nombre total d’exemples inclus sous la problématique des constructions elliptiques .................................................................................................................................................364 Figure 9: La répartition par année du nombre total d’exemples inclus sous la problématique de la volatilité de désignations en langue cible .....................................................................................................................366 Figure 10: La répartition par année du nombre total des exemples d’explicitation par incrémentialisation ........384 Figure 11: La répartition par année du nombre total des exemples d’explicitation par périphrase .....................395 Figure 12: La répartition par année du nombre total des exemples d’explicitation par paraphrase ....................404 Figure 13: La répartition par année du nombre total des exemples d’explicitation par équivalent synonymique415 Figure 14: La répartition par année du nombre total des exemples d’explicitation par insertion de compléments cognitifs ....................................................................................................................................................427 Figure 15: La répartition par année du nombre total des exemples d’explicitation par notes de fin d’article ......435 Figure 16: L’ensemble des techniques et procédés d’explicitation mis en œuvre dans les textes traduits du MD .................................................................................................................................................................436 Figure 17: La répartition des cas relevés d’explicitation par année et par technique ...........................................437 Figure 18: La répartition de l'ensemble des exemples d'explicitation par technique ...........................................437

Résumé Cette thèse se propose d‟explorer le phénomène de l‟explicitation en traduction et d‟observer la mise en œuvre de la stratégie d‟explicitation dans un grand corpus composé de traductions en arabe du Monde Diplomatique (MD) durant la période 2001-2011. Elle s‟articule autour de cinq questions centrales : Qu‟est-ce que l‟explicitation ? Qu‟est-ce qu‟on explicite ? Pourquoi ? Pour qui ? Comment ? Pour mener à bien cette investigation, nous avons élaboré un appareillage conceptuel dont la Théorie Interprétative de la Traduction (TIT) constitue le socle et auquel les autres approches traductives ont apporté des outils conceptuels et méthodologiques complémentaires. A la lumière des travaux antérieurs, nous avons d‟abord tenté de redéfinir le concept de l‟explicitation afin de déterminer les caractéristiques de cette stratégie ainsi que ses fondements théoriques. Ensuite, nous nous sommes penché sur l'analyse du corpus du MD composé d‟environ 5000 exemples d‟explicitation en contexte. Grâce à l'analyse discursive des décisions d‟explicitation prises par les traducteurs du MD, nous avons pu dégager cinq problématiques principales qui suscitaient leur intervention et six techniques par le biais desquelles ils mettaient en œuvre les explicitations dans les textes arabes. Enfin, nous proposons cinq maximes susceptibles d‟optimiser l‟application de cette stratégie de sorte à permettre aux lecteurs cibles d‟accéder aisément au sens des textes sources. L‟explicitation devient pour nous un travail de marqueterie qui consiste à insérer dans le fil du texte des suppléments informationnels pertinents, mais surtout limités au strict nécessaire. Tout est question de « bon sens ».

Mots-clés : Explicitation, risque d‟ambiguïté, pertinence, rapport explicite / implicite, équivalence discursive, vouloir dire, explicitness, hypothèse de l‟explicitation, décision d‟explicitation, tentative d‟explicitation.

Explicitation in Translation. A case study : The translation of “Le Monde Diplomatique” into Arabic during the period 20012011

Abstract The present thesis explores the concept of explicitation in translation and the implementation of this strategy on a large corpus of Arabic translations of “Le Monde Diplomatique” (MD) from 2001 to 2011. The argument revolves around five central questions: What is explicitation? What is explicitated? Why? For whom? And how? To carry out this investigation, a conceptual framework was developed of which The Interpretive Theory of Translation (TIT) forms the basis, with other translational approaches contributing additional conceptual and methodological tools. In the light of previous research, we have first attempted to redefine the concept of explicitation in order to determine the distinctive features of this strategy as well as its theoretical foundations. Then, we have focused on the analysis of about 5000 examples of explicitation from MD in their context. Through the discursive analysis of the reasons why the translators of MD decided to apply explicitation, we have identified five main issues that justify the strategy and six techniques by which the translators apply it to Arabic texts. Finally, five translational maxims are proposed that optimize the application of explicitation so as to enable readers in the target language easy access to the meaning of the source text. Our conclusion is that when the explicitation strategy is applied in this way, the result is similar to marquetry with supplementary, but above all strictly relevant information inlaid into the text. It is all about „common sense‟.

Keywords : Explicitation, risk of ambiguity, relevance, explicit / implicit report, discursive equivalence, intended meaning, explicitness, Explicitation Hypothesis, decision to apply explicitation, attempted explicitation.

UNIVERSITE SORBONNE NOUVELLE Ŕ PARIS 3 Langage et langue 268, ESIT & Paris 3 Centre Universitaire Dauphine (2ème étage), Place du Maréchal de Lattre de Tassigny, 75016 Paris

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