Histoire De La Littérature Française

  • Uploaded by: Breno Gomes
  • 0
  • 0
  • February 2021
  • PDF

This document was uploaded by user and they confirmed that they have the permission to share it. If you are author or own the copyright of this book, please report to us by using this DMCA report form. Report DMCA


Overview

Download & View Histoire De La Littérature Française as PDF for free.

More details

  • Words: 96,474
  • Pages: 308
Loading documents preview...
Histoire

de

la

G.

DE PLINVAL

E.

RICHER

Littérature

française

G. de

PLINVAL

^

Histoire la

Littérature

française Édition remaniée et mise à jour par Edmond RICHER ancien élève de l'École Normale supérieure agrégé des Lettres

m

FAIRE LE POINT

%

Références

HACHETTE

TABLE DES MATIÈRES Préface

3

Le Moyen âge

5

Les époques de la littérature au Moyen Age

Le

19

xvi^ siècle

Les grandes dates de

Le

la littérature

au xvi®

43

XVII® siècle siècle ....

la littérature

au xviii®

siècle

XI x^ siècle

10

154 155

Les grandes dates de

Le xx®

1

m

xviiie siècle

Les grandes dates de

Le

42

siècle

Les grandes dates de la littérature au xvii®

Le

i8

la littérature

au xix®

siècle

236

237

siècle

Les grandes dates de

la littérature

au xx®

siècle

Index alphabétique

Photo de couverture:

300 301

ENGUERAND

La loi du 1 1 mars 1 957 n'autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l'Article 41 d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective », et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou reproduction intégrale, ou partielle, faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite. » (Alinéa 1 de l'Article 40.) Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les Articles 425 et suivants du

Code

Pénal.

ISBN 2-01-009999-0

©

Hachette, 1984

Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptation réservés pour tous pays.

Préface L'Histoire de la littérature française de G. de Plinval a été publiée en 1930 et constamment mise à jour par son le succès qu'elle a rencontré auteur jusqu'à sa mort depuis 50 ans, signe du besoin auquel elle répondait, un nous conduit à en proposer une édition nouvelle abrégé de Littérature française apparaissant, aujourd'hui plus encore qu'hier, indispensable. :



Le succès de l'ouvrage tenait aux éminentes qualités de critique littéraire et de pédagogue de G. de Plinval, mais aussi à sa clarté, à sa consultation aisée et, malgré son format modeste, à la quantité d'informations qu'il La formule en a donc été conservée une présentation claire et concise de notre littérature. contenait.

:

Toutefois, ces cinquante années avaient çà et là donné quelques rides à l'ouvrage certains auteurs du xix® et du début du xx® siècle n'avaient pas encore acquis la place à laquelle on convient aujourd'hui de les ranger ; les plus récents mouvements littéraires échappaient également, par la force des choses, à l'ouvrage. Tout cela a été revu, et cette édition nouvelle est à jour de la critique et de la création récentes. :

l'enseignement aujourd'hui met à juste titre sur les œuvres dans lesquelles le lecteur du XX® siècle entre aisément celles des deux derniers siècles, et ne s'attache plus de façon approfondie aux auteurs du xvi®, voire du xvii®, comme c'était le cas lorsque G. de Plinval écrivait son ouvrage. Ici aussi, acte a été pris de cette évolution le lecteur trouvera encore l'essentiel pour les siècles précédents, mais les plus proches de nous ont été volontairement privilégiés. Enfin,

l'accent



:

A un moment où l'enseignement du français s'attache, dans les grandes classes, à se frayer des voies nouvelles, à mettre en œuvre les approches les plus diverses de notre littérature, un ouvrage de référence simple et commode, propre à structurer les connaissances, devrait rendre aux grands élèves et aux jeunes étudiants quelques services c'est le vœu que nous formulons en leur présentant cette :

édition nouvelle.

L'Éditeur

1

Le

Moyen Age

6

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

Origines de la langue et

de

la littérature françaises Malgré ses origines presque exclusivement latines, la langue indigène française a, dans la constitution de son vocabulaire et de sa syntaxe, affecté assez vite un caractère analytique et

moderne.

Le français appartient à

la famille

des langues

romanes. L'ensemble du vocabulaire français actuel provient de l'altération des mots du latin populaire (formation populaire). Ce fonds primitif s'est développé, surtout depuis les xv^ et xvi^ siècles, par l'adoption de mots étrangers et l'adjonction de mots latins calqués sur leur forme antique (formation savante) de là résultèrent des doublets, aspects différents d'un même mot ancien hôtel (forme populaire) / hôpital (forme savante) ; requête / réquisition ; armure / armature. :

:

Le français médiéval par son vocabulaire

et

du français moderne par sa grammaire.

différait

La langue était constituée exclusivement de mots d'origine populaire et était soumise à une grammaire spéciale c'était une langue romane, divisée en plusieurs dialectes français (d'Ile-de-France), normand, picard, etc., qui étaient langues d'oïl ; limousin, provençal, qui étaient :

:

langues d'oc.

DÉCLINAISONS. Le suivant

qu'il

était

nom sujet

prenait une forme particulière, ou complément (cas régime).

Très souple et très claire dans la syntaxe, autorisant les inversions, cette langue se prêtait aisément aux besoins et aux caprices de la pensée. D'ailleurs, les mots pouvaient se multipher à volonté, car il suffisait de joindre un suffixe quelconque au radical ; on disait indifféremment blancheur / blancheté ; richesse / richeté, etc. Une telle diversité dans les désinences facihtait l'emploi des rimes et donnait au discours des sonorités plus nettes et plus variées que dans le français actuel. :

Le

Moyen Age

Les premiers

/

7

textes.

Les textes les plus anciens, écrits, il est vrai, dans une langue rude et uniforme, sont Les Serments de Strasbourg (842) et la Cantilène de sainte Eulalie (x^ siècle). Ils n'offrent pas d'intérêt littéraire. :

La

poésie épique au

Moyen Age

(xr et xir siècles) La Chanson de Roland Notre

débuté sous la forme grandiose des « Chanune vaste production épique signale la civilisation

littérature a

sons de Geste

»

;

féodale.

La Chanson de Roland est la plus illustre de ces chansons de geste; elle a conféré une gloire universelle à des personnages légendaires, les pairs de Charlemagne.

Notre poésie épique

est

Vœuvre

des

trouvères

du XI^ aucune trace authentique des prétendues où l'on a cru voir le germe et la forme première de nos légendes. C'est au xi^ siècle, quand les Capétiens étaient seulement les rois de Paris et d'Orléans, qu'un travail immense se produisit dans le monde occidental les expéditions d'Espagne et de Sicile préludaient aux Croisades ; de grands pèlerinages s'échelonnaient sur les routes de Cologne, de Saint-Pierre de Rome et de Saint- Jacques-de-Compostelle ; de riches abbayes, comme Saint-Denis, aux reliques vénérées, attiraient les marchands «

Il n'existe cantilènes »

:

à des foires universellement célèbres. Des trouvères de profession, recueillant et arrangeant les traditions locales, les transmettaient à la foule, dont ils faisaient vibrer les sentiments.

siècle.

8

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

Des sentiments simples

et puissants

inspirent ces

vieux poèmes.

Ce

sont

La

foi.

le

foi,

la

patriotisme et

la

loyauté féodale

:

Une

croyance naïve à des miracles continuels, un culte fervent des reliques animaient également les

marchands,

le peuple. prestige de Charlemagne, entretenu par les clercs, ne faisait que grandir ; la destruction des Sarrasins était le but de guerre de toute âme généreuse ; un sentiment très vif de l'unité française était comme une protestation contre le morcellement réel du pays. La loyauté féodale. Le respect du serment prêté au suzerain, l'horreur du parjure et de la trahison sont couramment exprimés dans la littérature épique.

chevaliers, les

Le patriotisme. Le

La Chanson de Roland et

retrace la mort d'Olivier

de Roland au val de Roncevaux.

Le poème comprend, dans

sa

forme

actuelle, 4 000 vers Il a été achevé

décasyllabiques, distribués en laisses. vers la fin du xi« siècle, avant 1098.

Il a pour auteur présumé Thurold, poète normand. Le manuscrit le plus

ancien a été retrouvé à Oxford, en 1837.

Point de départ historique. Destruction de Tarrièregarde franque, surprise au col de Roncevaux par les Basques en 778 un « préfet » de Bretagne, Roland, :

périt dans la mêlée.

Ce

longtemps oublié,

a été exploité avec génie par plus soucieux de la grandeur que de la vérité, ils ne se sont guère inquiétés de l'histoire et ont conçu une magnifique légende. Analyse Marsile, émir vaincu de Saragosse, délègue par perfidie un de ses fidèles, Blancandrin, vers Charlemagne. Choix du négociateur français la mission est dangereuse. Ganelon est proposé sur l'avis de Roland, son beau-fils de là, son ressentiment, sa trahison ; il pactise avec l'ennemi. Roland commande l'arrièregarde au miheu des défilés de Roncevaux, lui et sa troupe se trouvent assaillis par les Sarrasins. Héroïque résistance et mort successive des défenseurs. Retour de Charlemagne il prend une revanche éclatante mais tardive sur l'émir et ses alliés. les

fait,

trouvères

du

xi^ siècle

:

:



:

:



:



:

Le

Moyen Age

/

9

Le PLAN est majestueux et clair dans l'ensemble. L'auteur, négligeant les descriptions qu'il remplace par une indication sommaire (« hauts sont les puys et les vais ténébreux »), ne met au premier plan qu'une élite de combattants, qui émergent de la foule. Par ce défaut de perspective, qui est aussi un procédé de simplification à la fois primitif et classique, s'accroissent le relief des scènes et la grandeur surhumaine des héros.

L'épopée romanesque (Xir siècle) Au cours de la seconde moitié du XII® siècle, on voit se développer une littérature appelée « courtoise » parce qu'elle a fleuri à l'origine dans des cours raffinées comme celle d'Éléonore d'Aquitaine ou celle des comtes de Champagne.

Deux

traits

peuvent la caractériser.

Le merveilleux féerique. Les chevaliers circulent et guerroient à travers une nature enchantée, où des êtres surnaturels font agir des forces inconnues ; il faut triompher d'animaux féroces, d'ennemis invisibles, d'épreuves dangereuses. La peinture de l'amour courtois. C'est le culte passionné que le chevalier porte à la dame de ses pensées. Il lui doit une fidélité inviolable, un dévouement absolu à ses désirs, à ses caprices.

Les

sujets

comptent parmi

les

plus belles légendes connues.

• Tristan et Yseult, roman célèbre, dont l'action se passe en Cornouailles, décrivant l'amour irrésistible et malheureux de deux cœurs que rien ne peut détacher l'un de l'autre. • Les exploits des Chevaliers de la Table-Ronde, pairs du roi légendaire de Bretagne Arthur, notamment de Lancelot Lancelot à la Charette, œuvre de Chrestien :

10

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

de Troyes. Le Chevalier au Lion décrit les aventures d'Yvain qui, pour la consoler, épousa la dame qu'il avait rendue veuve.

Le

style.

Ces « romans » sont très longs, écrits en vers de 8 syllabes rimant deux à deux. Le style en est prolixe, mais gracieux. Remplis d'épisodes fantastiques, ils exercèrent un très vif attrait ; les sujets qu'ils traitent se sont ajoutés

au patrimoine des légendes symboliques du monde, et Wagner, dans des opéras célèbres, en a dégagé et enrichi l'inspiration mystique l'âme humaine en quête de l'Idéal (Parsifal, opéra, adaptation de Perceval le Gallois). :

La littérature récréative Le Roman de Renan (xir Les fabliaux (xilf

siècle)

siècle)

A

côté des œuvres d'inspiration chevaleresque, une littérature savoureuse s'est plu à retracer la geste héroï-comique de « Goupil » le renard, au milieu d'animaux familiers.

très

Le Roman de Renart Ésope

et

est

un souvenir des fables

une parodie des épopées chevaleresques. Les personnages. Les acteurs principaux sont Renart, le fripon ingénieux par excellence ; Ysengrin, le loup, lourdaud et glouton ; Primaut, le frère d'Ysengrin, encore plus goinfre et stupide que son aîné ; Tibert, le chat, allié défiant, qui tient tête à Renart ; Chantecler, le vaillant petit coq ; Puis de grands personnages Bernard, :

:

l'archiprêtre (l'âne), Brun, l'ours, etc. se

l'entourage de Noble,

le roi (le lion).

meuvent dans

Le

Moyen Age

/

11

Les principaux épisodes sont des chefs-d'œuvre DE BELLE HUMEUR. Ce SOIlt une nuit de Noël, le loup naïf, • La pêche d'Ysengrin un seau attaché à la queue, demeure pris dans la glace ; Renart l'avait persuadé • L'enlèvement de Chantecler de chanter, les yeux clos ; • Les vêpres de Tibert après s'être grisé dans la cave d'un presbytère, il voulut annoncer l'office, et, par la malice de Renart, resta pendu aux cordes de la cloche. :

:

:

:

La production des fabliaux révèle l'incorrigible instinct « gaubonne humeur, à la moquerie, souvent à la licence.

lois » à la

Les fabliaux représentent surtout des scènes de la vie populaire.

On

ou fableaux environ 150 histoires, unes des autres, assez courtes, en vers octosyllabiques, composées en Picardie, Champagne et appelle fabliaux

indépendantes

les

Ile-de-France.

Les personnages. Gens du peuple, bourgeois crédules

ou

avares, clercs dévergondés, vilains disgraciés et stupides, sont les personnages représentés. Les sujets. Ce sont des narrations burlesques de « du prêtre qui mangea les mûres », monté maladresses

tels

:

sur une mule qui soudain s'emballa ; du voleur qui voulut descendre sur un rayon de soleil, etc. ; des récits de vols, de peurs et des quiproquos ; des histoires de coups de bâton.

La poésie allégorique Le Roman de la Rose (Xllf siècle) Le Roman de

la Rose devait être la « Somme des principes de la courtoisie : un « Art d^ Aimer

Il

comprend deux

parties, très différentes d'esprit et

d'étendue, composées à quarante ans

de distance par

» ».

12

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

Guillaume de Lorris (vers 1200-1210, deux auteurs mort après 1240) et Jean de Meung (vers 1240, mort peu avant 1305). • L'œuvre de Guillaume de Lorris est pleine d'allégories :

gracieuses.

L'œuvre est entièrement symbolique, aussi le style, souvent délicat et subtil, manque d'animation. • L'œuvre de Jean de Meung est remplie d'idées hardies

ou subversives. Loin de la courtoisie

à la royauté, à la religion (et

au mariage

capitale de la

deux

et

à la justice, à la propriété,

:

non seulement aux moines),

non seulement aux femmes), etc. la Rose devint promptement l'œuvre littérature du Moyen Age et inspira toute la

(et

Le Roman poésie

de son prédécesseur, tumultueux, s'en prend

raffinée

Jean de Meung, agressif directement aux institutions

de

allégorique

et

siècles, jusqu'à la

qui Renaissance.

abstraite

a

prévalu

pendant

Les chroniqueurs des xir et Xllf siècles Villehardouin

et Joinville

Ce sont des hommes d'action, barons et guerriers, qui ont inauguré la prose au Moyen Age; ils lui ont donné d'emblée les qualités militaires

:

brièveté, clarté, énergie.

maréchal de Champagne^ est un mémorialiste sévère et précis (env. 11 50-1213)

Villehardouin^

Il joua un rôle considérable dans la IV^ Croisade. Cette expédition, destinée à déhvrer la Terre Sainte, fut détournée de son but et aboutit à la fondation d'un empire franc à Constantinople. Son œuvre: ses Chroniques (i 198-1207) sont un rapport militaire et justificatif, où Villehardouin, négligeant les

Le

Moyen Age

/

13

ne rapporte que les grandes lignes des événements. en somme (« Geoffroy le Maréchal, qui onques ne mentit »), mais non impartial.

détails,

Son

récit est sincère

Joinville ( env, 1224-131'/) est le biographe aimable et fidèle de saint Louis (1214-12J0), Joinville, sénéchal de Champagne, fut l'ami et le confident de saint Louis. Son livre {Vie de saint Louis) nous fournit un tableau spontané de la société féodale au XIII® siècle, moins raide et plus mondaine qu'au temps de Villehardouin, éprise de fêtes, de belles étoffes et de beaux coups d'épée, « pour qu'on en parle dans les chambres des dames ». Les portraits. Deux caractères bien vivants, très sympathiques, sont peints dans cet ouvrage • Saint Louisy avec sa piété inaltérable, sa fermeté héroïque jusque dans la captivité, sa justice impartiale, et aussi son grand bon sens et sa familiarité joviale. • Joinville, le plus dévoué des serviteurs, bon chrétien et brave sans exagération, sensible et curieux, aimant ses aises et parlant comme un étourdi, préférant franchement être chargé de trente péchés mortels plutôt que de devenir lépreux. :

Les chroniqueurs des XIV Froissard

et

XV' siècles

et

Commines

Froissart ( 1337-1410 env.) est le peintre excellent des scènes militaires et de la vie des princes. Froissart rapporte avec

des

altercations,

la

une

vérité

tristesse

des

dramatique incidents

la vivacité

tragiques

(capitulation des bourgeois de Calais, meurtre du jeune fils de Gaston Phœbus), le fracas épique et confus des pillages (sac de Limoges) ou des grandes batailles (défense désespérée du roi Jean le Bon à Poitiers).

14

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

Il fait revivre son époque. C'est d'abord la société chevaleresque, qu'il nous peint avec ses fêtes brillantes, ses luttes tour à tour courtoises et barbares, son élégance et ses brutalités (Gaston de Foix) ; puis, à propos d'elle et incidemment, Froissart décrit toutes les autres classes les mercenaires, les brigands, les bourgeois et le peuple avec ses séditions furieuses, etc. Le luxe de la noblesse paraît plus grand qu'au siècle précédent et les conditions de la vie matérielle se sont perfectionnées, mais il y a moins d'élévation morale et :

de générosité.

Le

Le style de Froissart est inégal et confus, doit son animation et sa couleur à la fidélité avec laquelle l'historien rapporte les récits exaltés qu'on lui son style a conservé la vie du discours immédiat a faits fait par les acteurs. mais

style.

il

:

Commines est

( 1445 ?-isii)^ biographe de Louis XI, un psychologue plutôt qu'un écrivain. Philippe de Commines, né à Hazebrouck, fut le serviteur de Charles le Téméraire, puis passa au service de Louis XI ; il joua, au cours du règne, un rôle diplomatique considérable, mais fut disgracié par Charles VIII. Son but, en décrivant les négociations dont il a été le témoin, est de faire part au lecteur de son expérience pohtique il n'est intéressant que par ses jugements et par ses idées. Les portraits. Avec une sûreté psychologique étonnante, il nous fait connaître la faculté maîtresse de ses grands contemporains la présomption de Charles le Téméraire, l'habileté patiente et ambitieuse de Louis XL Les idées. Très positif d'esprit, nullement chimérique ou chevaleresque, il pense que la fin justifie les moyens et conseille l'emploi des agissements les plus sûrs, non les plus brillants peu scrupuleux mais sensé, il reconnaît d'ailleurs qu'un prince a tout profit à gouverner sagement son État. Le style. Instructif par ses idées seulement, Commines est un écrivain médiocre ses phrases enchevêtrées et sans éclat le rendent difficile à lire. :

:

:

:

Le

Le Le Le

théâtre

théâtre a joui au

Moyen Age

/

15

Moyen Age

théâtre au

sérieux

Moyen Age

destiné à illustrer les scènes de V Histoire Sainte,

était

d'une vogue persistante.

Ses origines (xii^ siècle) datent de la figuration des grands épisodes dont l'Église faisait la commémoration liturgique la Nativité, la Résurrection. :

Miracles et Mystères, Les Miracles sont la mise en scène d'un fait édifiant où se manifeste presque toujours l'intercession de la Vierge Miracles de Notre-Dame (xiii® et xiv^ siècles). Citons également le Jeu de saint Nicolas (xii® siècle) et le célèbre miracle de Rutebœuf le Miracle de Théophile. Les Mystères consistent en un long défilé de personnages bibliques. Au xv^ siècle surtout, d'immenses compositions :

:

représentent tout

F Ancien Testament

un ensemble d'événements (50 000 vers)

;

Mystère de

:

Cycle de

la Passion

(35 000 vers). Établis à grand luxe et représentés en plusieurs « journées » dans un décor conventionnel, ces spectacles ne s'adressaient qu'aux yeux. Les Confrères de la Passion en étaient à Paris les acteurs attitrés. Le texte rimé (vers de 8 syllabes) qui accompagnait les tableaux est dans son ensemble de faible valeur.

Le

théâtre comique a été souvent réaliste ou allégorique à V excès.

Les épisodes édifiants des mystères étaient fréquemment coupés d'intermèdes burlesques que remplissaient des diables, bourreaux, voleurs, etc. Mais le théâtre comique eut aussi son existence indépendante.

Moralités et Soties Les revues montées par

(XV^

corporations d'Écoliers (les Enfants sans Souci) et les clercs de la Basoche (étudiants en droit) sont des Moralités^ exhibitions pédantes à fond allégorique, ou des Soties, grosses plaisanteries, dont la satire est inintelligible maintenant. les

siècle).

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

16

/

La

Farce.

La farce est le seul genre dramatique échappant à la médiocrité générale. Elle est la mise en scène d'un fabliau. Nous en possédons un répertoire nombreux. Le fond des sujets, l'intention et l'esprit sont les mêmes que dans les fabliaux avec les mêmes qualités d'à-propos et d'entrain (Farce du Cuvier). Il en est resté un chef-d'œuvre, alliage excellent de naturel et de bouffonnerie La Farce de Maître Pathelin (env. 1464)5 l'avocat malhonnête qui escamota les draps de Maître Guillaume et défendit Thibaut l'Agnelet. :

La

poésie au XV^ siècle Villon, Charles d'Orléans qui fut sincère, au milieu d'une production poétique l'allégorie, a laissé le premier exemple de lyrisme personnel. Villon,

desséchée par

Villon ( 1431-146S env.) est

le

plus expressif des

poètes populaires. François Villon, né à Paris, « près de Pontoise », fut « Écolier » turbulent banni à la suite d'une rixe, il se trouva dévoyé, frôla la potence et passa en prison ou dans les pires compagnies une existence dont nous connaissons encore mal les vicissitudes.

un

:

Son œuvre. • Le Lais ou Petit Testament (1456), énumération de legs burlesques. Ainsi il lègue à son barbier « la gornure de ses

cheveux

».

• Le Grand Testament (1461), sorte d'autobiographie où il a inséré des ballades célèbres Ballade de Notre-Dame ; Ballade des Dames du Temps jadis ; Ballade des Pendus. :

Le

Moyen Age

/

17

Les sentiments. Des sentiments douloureux ressortent de son œuvre • Le regret d'avoir gâché sa vie, d'avoir « fait le mauvais :

enfant

»

:

Ah Dieu! Au temps

si

de Et a bomies

j'eusse étudié

ma

jeimesse folle. dédié. J'eusse maison et couche molle! (Le

mœurs

Grand Testament.)

mort. Il a exprimé cette horreur avec une rare intensité, songeant à ses amis « déjà morts ou roidis », à sa pauvre femme de mère, aux pendus que les corbeaux dépècent sur le gibet de Montfaucon, aux transes de l'agonie, aux grandes dames du temps jadis, aux preux de la légende. L'accent tour à tour ironique, macabre ou éloquent et la sincérité pénétrante de ces pensées, jaiUissant d'un fond souvent trivial, en ont fait la valeur classique. Le style. Villon écrit dans une langue ferme et pittoresque ; ses rimes entrecroisées se combinent sans effort, et il a ponctué ses ballades de refrains inoubliables

• L'appréhension de

la

:

En

cette foi, je

veux vivre

et mourir. (Ballade de Notre-

Dame.) Mais priez Dieu que tous nous

veuille absoudre. ( Ballade

des Pendus.)

Mais où sont les neiges d'antan ? Temps jadis.)

( Ballade

des

Dames du

Charles d'Orléans (1391-146^)

est le dernier

des poètes courtois.

Ce prince de la famille royale, capturé à Azincourt par les Anglais qui le tinrent prisonnier, n'a pas la sincérité vigoureuse de Villon. Dans des rondeaux gracieux, il a enchâssé des motifs délicats empruntés à la littérature allégorique. Il est maniéré, mais clair et élégant.

18

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

Les époques de au Moyen Age

la littérature

Société féodale

;

formation de l'unité

française.

Poésie épique

ET XII^ SIÈCLES.

:

Chanson de Roland

Poésie romanesque Romans de la Table-Ronde. Roman de Renan, Chroniques de Villehardouin. :

Règnes de Philippe Auguste

et

de

saint Louis.

Épopées du cycle féodal

et poésie

courtoise.

• Xni^ SIÈCLE.

Ménestrels et fabliaux Roman Poésie allégorique :

de

la

Rose.

Miracles et Comédies. Mémoires de Joinville.

Guerre de Cent Ans. à forme fixe. Chroniques de Froissart.

• XIV^ SIÈCLE.

Poèmes

• XV^ SIECLE.

Fin de la guerre Louis XL Mystères et farces.

de

Cent Ans.

Charles d'Orléans et Villon. Mémoires de Commines.

XVrsiècle

20

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

La Renaissance Dans

la grande effervescence artistique et morale qui signale XVI® siècle, la littérature appauvrie fut l'objet d'une rénovation profonde due à l'imitation des littératures classique et italienne.

le

U acceptation est le

enthousiaste de la culture classique intellectuel de la Renaissance,

grand fait

Jusqu'alors on avait connu les écrivains antiques (surtout Ovide et Virgile), mais sans essayer de s'approprier leurs qualités artistiques, simplement pour leur intérêt narratii,

moral ou symbolique

:

pour

la

première

fois,

grâce aux leçons des humanistes, on s'inspira directement de leur style et de leur pensée ; ils furent des modèles. Aux classiques latins, des imprimeurs illustres (H. Estienne) ajoutèrent les grands poètes et philosophes grecs, vulgaL'idéal artistique de l'Antiquité, le souci de la perfection du style ont depuis lors dominé notre littérature. Même, dans l'engouement de la première heure, on crut trouver chez les anciens l'expression définitive de l'art, de la philosophie (Platon), de la science, l'exemple parfait des vertus civiques et morales (Plutarque) ; leurs langues, riches et savantes, parurent seules destinées à l'immortahté beaucoup d'érudits, de poètes et d'historiens ont ainsi, au détriment du français, confié au latin des œuvres importantes. risant l'hellénisme.

:

Le goût de

la culture italienne plus

coïncidé avec

V assimilation

moderne a

des idées antiques.

D'autre part, les événements politiques (guerres et de Charles VII et de François ; régence de Catherine de Médicis), ainsi q^ue le prestige des arts en plein épanouissement imposèrent l'ascendant de la culture italienne. Les gentilshommes français s'initièrent au-delà des Alpes à toutes les commodités d'un luxe raffiné, tandis que des artistes, des gens d'Éghse, des diplomates et des aventuriers de toute sorte, voire des astrologues, apportaient en France des manières de penser alliances

Le

des jusqu'à

et la

XVh

siècle / 21

mœurs nouvelles. Le xvi^ siècle français peut, un certain point, être considéré comme l'élève de

Renaissance italienne

:

c'est la

première

fois

qu'une

influence étrangère modifie la littérature nationale.

Les

initiateurs.

Les maîtres humanistes ou italiens, sous l'action desquels s'exerça cette double influence, méritent d'être connus. Ce sont ÉRASME (1467-1536), des Pays-Bas, philosophe et théologien, auteur de dialogues érudits ou burlesques (écrits en latin), précurseur de Rabelais ; PÉTRARQUE (1304-1374), qui écrivit des sonnets d'une sentimentahté subtile, modèle de du Bellay ; BoccACE (1313-1375)5 prosateur italien, conteur d'aven:

tures galantes.

Uesprit de la Renaissance fut avant tout un amour passionné de la vie et de Part,

Un

esprit de fougue et d'individuaUsme a marqué époque où des natures violentes, avec une ardeur toute florentine et souvent une mentalité païenne, se sont précipitées, suivant leur goût, soit vers les arts ou les lettres, soit vers le plaisir ou les intrigues. Cette fièvre cette

explique chez bien des auteurs l'irrégularité de conduite, fécondité des productions, la puissance de travail et d'enthousiasme, la « gaillardise » des propos.

la

La

Réforme.

La Réforme marque une

réaction contre l'esprit de Renaissance l'agitation théologique qu'elle a soulevée achève cependant de donner à cette époque un caractère de confusion et de hardiesse intellectuelle. la

:

Les époques de

la Renaissance,

• La première génération est marquée par l'enthousiasme avec lequel elle se précipite vers le nouvel idéal. Si Marot se rattache encore par certains côtés au Moyen Age, l'amour effréné de la vie et du savoir éclate dans l'œuvre de Rabelais.

22

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

le milieu du siècle. Réforme et Renaissance, qui avaient eu en commun, à l'origine, le souci du retour aux textes (bibliques ou antiques) se dissocient Calvin prêche une doctrine austère où la toute-puissance de Dieu éclipse la liberté de l'homme prédestiné, anxieux de son salut, tandis que les poètes de la Pléiade chantent l'amour épicurien dans des vers qui cherchent à rivahser avec la perfection formelle des modèles antiques. • Dans le dernier tiers du siècle, les guerres de religion tempèrent l'optimisme des débuts et inspirent contradictoirement le fanatisme visionnaire de d'Aubigné et la sagesse un peu sceptique de Montaigne.

• Vers

:

Clément Marot (1496

?

-1544)

« gentil Marot », le premier en date des poètes du XVI® siècle, un amuseur, d'ailleurs exquis, plutôt qu'un grand artiste.

Le est

Marot, poète de CouVy plaît encore par Và-propos et

r enjouement de

ses vers badins,

La

poésie a été lente à recevoir l'impulsion de la Renais; Marot se distingue du groupe des rimeurs laborieux de son temps moins par les idées que par sa virtuosité et le naturel de son esprit.

sance

«Sa vie.

Clément Marot, né

à Cahors,

mais normand d'origine,

entré vers 15 19 au service de Marguerite de Navarre et de François pr, rencontra de grandes difficultés par suite de ses sympathies pour le protestantisme naissant ; emprisonné à diverses reprises, il fut banni deux fois et mourut en exil à Turin.

Son œuvre. Les pièces de circonstance. Marot a été le poète de la Cour ; il a, à ce titre, produit un grand nombre de ballades, rondeaux, « étrennes » ou épigrammes, etc. officiel

Le XVI« siècle

/

23

Le fond

est insignifiant, mais le tour est souvent élégant. Les Épures. Ses Épîtres au Roi et à divers personnages où il raconte certains incidents de sa vie sont classiques par la fertilité des moyens comiques qu'il emploie pour s'attirer la sympathie amusée de ses protecteurs. Il a im talent particulier pour raconter drôlement ses propres mésaventures • Comment il fut incarcéré par « trois grands pendards » ; • « Dérobé » par son valet de Gascogne ; • La mine qu'il fait en exil, etc. Cet « élégant badinage » admiré par Boileau est renforcé à tout propos de synonymes, de réitérations de syllabes et de rimes ou de calembours, procédés puérils dont il use constamment et non, d'ailleurs, sans ingéniosité. Mais son inspiration manque de profondeur. :

Rabelais (1494 ? -1553) Rabelais, dans ses compilations bouffonnes de Gargantua et de Pantagruel, a associé à une verve populaire et gauloise un des aspects primitifs de la Renaissance l'érudition. :

mena de front la vie d'un savant et d'un épicurien.

Rabelaisy moine^ médecin et romancier^

François Rabelais (maître Alcofribas Nasier) successivement cordelier, bénédictin, docteur en médecine, finalement curé titxilaire de Meudon, mena à Montpellier, à Lyon, en Italie, en Lorraine une existence aventureuse de moine, de voyageur et de savant. D'une érudition supérieure (« le très profond abîme de l'encyclopédie »), il avait étudié spécialement les langues anciennes et orientales et les sciences naturelles.

Son œuvre au premier

aspect est bouffonne.

Il publia en cinq livres, en 1532- 1535 et 1546, les vies de Gargantua et de Pantagruel c'est dans l'ensemble une épopée bouffonne, farcie de détails comiques et de réminiscences érudites. :

24

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE



Le Gargantua

est

une

sorte d'IUiade grotesque contant

de Picrochole, suivie de

la fondation de l'abbaye de Thélème, sorte d'Académie studieuse et tolérante « Fay ce que vouldras. » dont la devise est • Pantagruel. Le principal personnage en réalité n'est pas Pantagruel, mais Panurge, son inséparable et subtil compagnon. Panurge veut se marier et, après maintes aventures, dont la plus célèbre est celle où il noie les moutons de Dindenault, finit par consulter l'oracle de « Trinch! » (c'est-à-dire la Dive Bouteille qui lui répond

la défaite

:

:

«

Bois!

»).

Les personnages. Gargantua est, aussi bien que son père Grandgousier, un excellent prince, débonnaire et paisible ; Pantagruel, son fils, un colosse optimiste et « jamais ne se tourmentait, jamais ne se insouciant scandalisait » ; Panurge est un joyeux gaillard, filou mais poltron, grand joueur de mauvais tours. Les procédés comiques. Rabelais a mis en œuvre tous les procédés comiques taille surhumaine des personnages ; disproportion entre les « prouesses gigantales » de ses héros et les résultats obtenus ; réalisation effective de locutions proverbiales (Gargantua dérobe les cloches de Notre-Dame, Panurge « mange son blé en herbe » et a littéralement « la puce à l'oreille ») ; parodie d'épisodes classiques (descente d'Epistémon aux enfers) ; narrations burlesques ou étranges (les moutons de Dindenault ; apparition des aéroplanes au soir de la bataille des Andouilles) ; développement à l'infini d'une idée fantastique à propos de l'herbe pantagruélion qui est le chanvre, Rabelais, dans un éloge éperdu, en vient à prophétiser les inventions futures du génie humain. :

:

:

Uépicurisme

est le fond

de la morale rabelaisienne.

Par plaisanterie Rabelais s'était engagé à révéler « de sacrements et mystères horrifiques ». En fait, ses inventions ne sont pas exclusivement bouffonnes. Science et philosophie. En plus d'une masse de connaissances, de nomenclatures relatives aux sciences naturelles ou à l'histoire ancienne, l'œuvre exprime bien la philosophie indifférentiste et la morale joyeuse de très hauts

Ne jamais s'affliger des choses accidentelles ni des extravagances d'autrui, ne se tracasser pour aucun résultat; d'autre part, s'amuser sans réserve, boire et rire. l'auteur.

Le

XVh

siècle / 25

parce que rire est le propre de l'homme », une gaieté sans mesure servant de détente à une érudition effrénée, telle est « la substantificque moelle » du pantagruélisme. Satire et idées politiques. Rabelais attaque très vivement certaines classes sociales, surtout les théologiens «

intolérants de la Sorbonne et les gens de justice, humbles Chicanons ou cruels Chats -fourrés. Il bafoue d'ailleurs

femmes,

moines, les gens de guerre, les « cagots » et Ses idées pohtiques manquent de précision la royauté patriarcale et pacifique de Gargantua semble son idéal ; il rêve d'un régime qui assurerait aux savants le plus parfait confort en les exemptant de toute inquiétude

les

les

les hérétiques.

:

(Abbaye de Thélème). PÉDAGOGIE. Enfin Rabelais avait en aversion l'éducation scholastique bornée à des théories abstraites de théologie, de logique et de droit. Il a tracé à deux reprises le programme d'éducation de ses héros • Éducation du jeune Gargantua par Ponocrates ; c'est surtout une éducation physique et scientifique, • Lettre du vieux Gargantua à Pantagruel étudiant à Paris. L'auteur vise davantage la formation littéraire (éloge de l'imprimerie) et morale « parce que science sans conscience n'est que ruine de l'âme ». D'une manière générale, Rabelais fait la part belle aux sciences de mémoire (histoire naturelle, langues mortes et vivantes) et il attache une importance égale aux exercices physiques et à l'érudition. Ce programme immense représente plutôt l'idéal scientifique d'une époque qu'un projet pratique de pédagogie. matérielle

:

Le

style

de Rabelais^ réaliste et copieux^

est

d^une

richesse verbale étonnante.

L'imagination hardie et joyeuse de Rabelais, servie par

une mémoire admirablement informée, a abouti à la création d'un style extrêmement complexe et original un réalisme vigoureux ou trivial en est le trait dominant. Sa langue est hétéroclite et confuse, mais très abondante ; il use de mots de toute provenance, multiplie sans arrêt les synonymes, emploie de très nombreuses locutions populaires et construit fréquemment ses phrases suivant :

syntaxe latine, avec inversions et propositions infinitives ; de nombreux calembours accentuent le caractère burlesque de son œuvre.

la

26

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

Mais, malgré

verve et Texcellence de certains passages, pédantisme des énumérations et références techniques et par la grossièreté cynique des le

la

style est gâté par le

plaisanteries.

Rabelais a partagé l'ardeur encyclopédique de la Renaissance ; il possédait toute la culture philologique de son époque, mais il n'a connu encore ni le sens de la mesure ni le sentiment classique de l'art.

La Pléiade La poésie s'est renouvelée sur l'initiative d'une élite savante et distinguée, la Pléiade, qui entreprit de relever à la fois la dignité de la langue et celle de l'inspiration le héraut du groupe fut Joachim du Bellay, le véritable chef, Ronsard^. ;

La

Pléiade^ dirigée par Ronsard et du Bellay^ a inauguré la grande poésie dHnspiraîion classique.

Un enthousiasme commun caractérisait siutout l'esprit de la nouvelle école. Ayant pour la plupart une coimaissance approfondie des lettres antiques et italieimes, les sept membres de la Pléiade voulaient fonder chez nous un art neuf et grandiose ; malgré la différence des tempéraments individuels, ils partageaient tous un ardent amour de la langue française, l'intention d'aborder les grands genres classiques et un vif désir de s'immortaliser. Leur programme fut rédigé en 1549 par Joachim du Bellay

:

Défense

et

Illustration

de

la

langue française.

Après avoir accusé vivement l'insouciance des poètes français et l'orgueil des latinistes, du Bellay, pour illustrer notre langue et la porter au niveau du grec et du latin, recommande de l'enrichir et de renouveler les sujets.

I. Les autres membres du groupe furent Tyard, Baif, Belleau, Jodelle.

:

Daihiat, Pontus de

Le

«

XVh

siècle / 27

Enrichissement de la langue. Attentif à la rendre du Bellay propose les procédés »,

copieuse et riche

suivants

:

• Invention et dérivation (par provignement, c'est-à-dire par « bouturage ») de termes nouveaux myrteux, floride, odoreux, fardeur, adj. (colorant), ailer (donner des ailes), :

déliber (goûter )j

• Formation de mots composés porte-crinière, portecouronne, (le vent) irrite-mer, haut-célébrer ; • Restauration de termes vieillis isnel (léger), ains, los :

:

(gloire)

;

• Emploi de mots techniques et rares ; termes de métiers (calfeutrer), de chasse (pantois), de guerre (morion, gorgerin)

;

• Tournures grammaticales et syntaxiques plus libres ex. adjectif nom adverbe (léger, légèrement) ; infinitif (le dormir, le sommeil, etc.). Ronsard dira dans La Franciade :

=

=

:

Oyant l'effroi du

sifflant

de l'épée

(le

sifflement effroyable).

Du

RÉNOVATION DE LA moins assuré quand il

Bellay s'est montré POÉSIE. a esquissé l'idéal de la nouvelle poésie. On voit seulement qu'elle devra être classiquey c'est-à-dire inspirée aveuglément des « exemplaires » grecs et latins ; savante, c'est-à-dire inaccessible au vulgaire ; et enfin laborieuse, acquise par le travail intense et personnel des auteurs.

Les paragraphes relatifs aux genres ne donnent que des indications sommaires du Bellay définit l'épigramme, l'ode, la satire, le sonnet, « docte et plaisante invention italienne », l'églogue, la tragédie, le poème épique ; il montre que tous, sauf le sonnet, seront renouvelés de l'antique et désigne l'auteur qui a porté le genre à sa perfection. Il conclut d'ime façon belHqueuse :

:

«

Là donc.

Français, marchez courageusement vers cette cité romaine, et des serves dépouilles d'elle

superbe ornez vos temples et autels... Donnez en cette Grèce menteresse. Pillez-moi sans conscience les sacrés trésors de ce temple delphique! »

Écrite sous l'inspiration de Ronsard, la Défense est un manifeste collectif constituant le programme général de la Pléiade ; il ne doit pas être considéré comme une préface de l'œuvre personnelle de du Bellay.

28

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

Joachim du Bellay (1524- 1560) Joachim du Bellay^ poète mélancolique^ est

r auteur

de sonnets remarquables.

Jeune gentilhomme angevin, recruté par Ronsard sur route de Poitiers en 1548, du Bellay remplit d'ennuyeuses fonctions diplomatiques à Rome et mourut à l'âge de 35 ans. Excellent latiniste, il était aussi très au courant de la littérature italienne. Ses propres aveux, sa brève carrière donnent l'impression d'un esprit généreux, mais indécis et vite découragé.

la

Son œuvre. Trop faible pour assurer la réalisation du programme écrasant de la Pléiade, du Bellay échoua dans l'ode et dut se restreindre dans des genres secondaires. Il a laissé trois recueils de sonnets^ et a définitivement popularisé cette forme poétique en France • Olive (1549), œuvre galante et maniérée, imitée :

U

de Pétrarque et ornée de comparaisons compliquées ; • Les Regrets (1557) où, en notant famiUèrement les ennuis qu'il éprouve à Rome, il exprime sa nostalgie du pays natal :

Quand Fumer

reverrai-je, hélas! la

de

mon

petit village

cheminée...

• Les Antiquités de Rome (1558), œuvre de parade, où évoque la majesté des ruines de la Ville Éternelle, Celle qui

Sa puissance à

La style,

sincérité

la terre et

fit

il

égale

son courage aux cieux.

émouvante du sentiment, la limpidité du la langue ont rendu classiques les

pureté de

la

du

plaintes de

Bellay.

Tempérament

à la fois élégiaque et

une nuance de sensibiUté à une ironie fine et mordante, du Bellay aurait peut-être excellé dans la satire on connaît son portrait du Poète courtisan où il raille la paresse et l'ignorance des successeurs de Marot. spirituel, unissant

:

I.

Le sonnet

(4

-|-

4

+

3

est

+

une pièce

3) à

à

forme régulière sans refrain de 14 vers

rimes embrassées.

Le

XVh

siècle / 29

Ronsard (1524- 1585) Ronsard est

le «

maître de

chœur

»

de

la

Pléiade,

le

véritable

fondateur de notre poésie; malgré des défaillances et des erreurs, il a au moins créé le grand style lyrique et oratoire.

La

vie de

Ronsard a

été vouée

à V étude,

Vendômois en 1524 ; d'interrompre une carrière brillamment commencée dans les cours et la diplomatie. La gloire rapide et presque fabuleuse qu'il avait acquise de son vivant lui a été par la suite violemment contestée. Pierre de Ronsard naquit dans le

la surdité l'obligea

Son œuvre. Après une solide préparation de sept années au collège de Coqueret où il étudia sous la direction de Daurat, Ronsard se consacra, au prix d'un labeur immense, à son œuvre d'initiateur, attaquant de prime abord l'ode et se réservant l'épopée.

La Franciade, sont les principales de Ronsard en tant que chef d^école.

Les Odes, puis manifestations

Les Odes (1550). Dans de grandes odes imitées de Pindare, avec des divisions compliquées et des rythmes différents (strophes, antistrophes, épodes), Ronsard a accumulé en longues strophes tumultueuses, mais sonores, des images mythologiques, des pensées morales^ et des expressions brillantes (Ode à Michel de l'Hôpital). Érudites et factices, ces compositions sont gâtées par « le faste pédantesque » que Boileau reprocha plus tard à leur auteur. Toutefois, dans des poèmes d'un genre plus délicat, imités d'Anacréon ou d'Horace, Ronsard a chanté le plaisir et la nature (Odelette à la Rose). La Franciade (1572). Sujet établissement des Troyens en Gaule sous la conduite de Francus, fils d'Hector. Cette épopée, aussi artificielle dans sa facture que dans son inspiration, est aujourd'hui bien oubhée. :

30

/

Les

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

œuvres

élégiaques

Ronsard sont d^une

de

inspiration plus authentique et d'un goût plus

touchant.

Ce sont Les

les

sonnets, églogues et élégies.

Amours

Cassandre

de

sincérité médiocre,



le

Œuvre d*une

(1552).

poète multiplie

comparaisons

les

savantes.

Les Amours de Marie. Inspirés par un sentiment franc et ardent, ils sont écrits dans une langue ingénieuse et souple. Les dernières pièces sont attristées par la mort prématurée de Marie

Comme on

:

voit sur la branche,

au mois de mai,

Les Sonnets pour Hélène (1574). par ridée déjà familière à Ronsard de

Quand vous

serez bien

Ils

la rose...

sont assombris

la fuite

du temps

:

vieille...

Les autres pièces de Ronsard sont surtout remarquables par le sentiment de la nature (Élégie contre les bûcherons de la forêt de Gastine). Les Hymnes (1555-155 6) sont des pièces étendues où les fragments descriptifs et légendaires (Hymne de l'Or), les considérations morales (Hymne de la Mort) ou politiques sont développés en un style oratoire ferme. Les poèmes politiques de Ronsard sont d'une grande VIGUEUR. Enfin, en vivifiant son art par le sentiment direct des événements contemporains, Ronsard a atteint mieux que jamais à la haute poésie. Les Discours des Misères de ce temps (publiés de 1560 à 1569) sont une œuvre partiale mais ardente et patriotique. Ronsard y accuse avec violence les protestants et les poursuit de sa fureur et de son ironie, mais il éprouve une émotion sincère en exposant la détresse du pays.

U œuvre de Ronsard^ dans son ensemble^ représente un

effort

vigoureux de lyrisme joint à

F érudition.

Ses productions embrassent tous les genres, sauf une masse considérable

théâtre, et représentent «

Entre tous

Imagination et niste et

un poète

:

les

Français,

j'ai

seul le plus écrit.

»

en Ronsard un humapédantisme de l'un a souvent nui au

idées. Il y avait le

le

:

Le

XVh

siècle / 31

lyrisme de Tautre. Toxir à tour Térudition, l'inspiration mythologique, l'amour du plaisir et le sentiment de la nature se reflètent dans ses vers. Cependant, même dans les sujets mythologiques, son imagination féconde a parfois dominé avec succès son érudition. Quant au sentiment de la nature, Ronsard l'a exprimé sur des tons très divers, parfois trop mignards (Bel aubépin verdissant), souvent mythologiques (nymphes et déesses de la forêt de Gastine tuées par les bûcherons), mais parfois directement dans des descriptions originales et intéressantes (Églogues.) Ce

goût

était

du

reste sincère

:

J'aime fort les jardins qui sentent le sauvage. J'aime le flot de l'eau qui gazouille au rivage.

La langue et le style. La langue est brillante et sonore, émaillée d'un vocabulaire riche et pittoresque, mais il use sinon de mots composés (peu nombreux), du moins d'apou latines (Neptune, de diminutifs puérils (rossignolet, herbelette). Cherchant à assouplir la syntaxe, il emploie très librement l'adjectif (« l'épais d'un nuage », cf. le frais de l'ombrage), l'infinitif (le dormir, l'oser = pellations inaccoutumées grecques

la

mer; Cérès,

le blé, etc.), et

audace).

Le style est inégal. Les pièces, riches en passages d'une belle envergure, sont mal composées, prolixes, embarrassées de digressions, mais elles sont remarquables déjà par l'accent oratoire, et pleines d'un souffle grandiose dans les

Hymnes

et

dans

les

Discours.

Malgré des reproches injustes^ la gloire restera à Ronsard d'avoir transformé et ennobli la largue et

L'œuvre de Ronsard

est restée

fondé

la poésie classique.

partiellement méconnue

jusqu'à la moitié du xix^ siècle. Boileau a discrédité l'auteur des Odes et de La Franciade et les Romantiques n'ont apprécié que l'auteur des sonnets et de quelques pièces élégiaques. Malgré le charme de ces ouvrages, on ne peut oublier qu'il y a aussi dans Ronsard des poèmes d'une inspiration plus large. En tout cas, son action d'initiateur reste considérable réformateur du style, il a le premier éprouvé la capacité de la langue française en y transcrivant les passages excellents des anciens, mettant ainsi à la disposition des modernes un vaste répertoire :

32

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

de lieux communs; il a assoupli et affermi la langue, « une langue rebelle », a dit Sainte-Beuve; versificateur, il a essayé tous les rythmes possibles et a établi définitivement l'alexandrin. Son influence lointaine et durable s'est étendue en réalité l'école classique du xvii® siècle a pu le renier très loin par la voix de Malherbe et de Boileau, mais elle a vécu l'imitation des Anciens. sur le principe qu'il avait posé :

:

La prose au XVf Calvin et Amyot

siècle

Tandis que Ronsard

illustrait la poésie, Calvin et Amyot, sans affermissaient la prose et abordaient en langue commune les questions les plus sérieuses ou les plus variées de la vie religieuse ou de la morale.

rechercher

l'éclat,

L'Institution de la Religion chrétienne de Calvin été le livre fondamental du protestantisme

a

français. Introducteur en France de la religion protestante, réformateur de Genève, Jean Calvin (1509- 1564), après avoir donné en latin L'Institution chrétienne, traduisit luimême l'ouvrage en 1541 afin de rendre sa doctrine plus accessible

:

Je voulais par ce mien labeur servir à nos Français, desquels j'en voyais plusieurs avoir faim et soif de JésusChrist et bien peu qui en eussent reçu droite connaissance. » «

Une

logique, de la morale agrément externe, à assurer la valeur imposante de ce Hvre ; on n'avait encore jamais rédigé en français courant un travail d'une telle importance, d'un style aussi soHde, sans bouffonnerie ni

préoccupation soutenue de

la

et des saintes Écritures suffit, sans

artifice,

dans une langue

étonnamment pure, tout armée ».

«

triste,

sobre et forte, a dit Michelet, amère, mais robuste et déjà

Le XVI « siècle

/

33

Amyoty en traduisant Plutarque^ a popularisé

les

exemples de Vhéroïsme antique. Helléniste distingué, précepteur de Charles IX, Amyot (1513-1593) a été Tun des éducateurs les plus influents de la pensée française. Traducteur de Plutarque, historien et philosophe grec, il a donné les Vies des Hommes illustres (1559) et les Œuvres morales (1572) de cet auteur. Il a ainsi popularisé chez nous les faits mémorables de l'histoire ancienne et les observations curieuses ou profondes de la morale antique. Il a fourni aux écrivains à venir (Montaigne) un recueil précieux d'exemples ou de réflexions. Grâce à lui, Thémistocle, Alcibiade, etc. redevinrent comme des personnages contemporains ; l'imagination de ses lecteurs fut toute nourrie d'épisodes classiques ; la réputation de grandeur d'âme du « héros antique » a été en partie créée par les Vies de Plutarque. A côté de ces deux écrivains, si différents d'ailleurs, se placent au xvi^ siècle d'autres prosateurs d'un mérite inégal des conteurs ou chroniqueurs, comme Marguerite DE Navarre (1492-1549), auteur de VHeptaméron (1559), recueil d'histoires galantes, souvent osées ; Brantôme (1535-1614) ; MoNTLUC (1501-1577), maréchal de France, qui écrivit des Commentaires (1592) sur ses campagnes, :

notamment pour en

justifier la brutalité.

Montaigne (1533- 1592) Moraliste pénétrant, l'une des intelligences les plus ouvertes de son époque, Montaigne a fondé avec les Essais la littérature personnelle, l'observation psychologique et l'esprit critique c'est en même temps un écrivain artiste et spontané, extrêmement :

séduisant.

Montaigne, gentilhomme et ancien magistrat, unit r expérience du monde à une vaste culture littéraire et morale,

Michel Eyquem de Montaigne (1533- 1592) avait reçu dès sa première jeunesse une éducation choisie. Devenu

34

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

il démissionna en 1570 et se retira dans son château de Montaigne en Périgord, sans pour cela rompre il écrit alors les Essais, fait commerce avec le monde un grand voyage à travers la France, l'Europe centrale et l'Italie, et accepte en 1581 la charge de maire de Bordeaux. Il s'occupa sans zèle mais sans négligence de ses devoirs civiques et familiaux, connut malgré les troubles et la maladie une vieillesse paisible et mourut avec sérénité. Ce fut un caractère enjoué et heureux qui n'eut guère d'autre chagrin que la perte d'un ami très cher, Étienne de la Boétie.

magistrat,

:

Les Essais sont

Montaigne

le

résumé des lectures de de ses idées.

et le tableau

Ce ne

Mémoires ; Montaigne nous donne, de sa vie, celle de ses opinions. Les Essais (publiés en 1580) sont en quelque sorte un recueil d'articles où l'auteur parle de tout sans méthode, des épisodes de l'histoire ancienne, de l'ambition, de la peur, de l'amitié, des événements contemporains, de la découverte de l'Amérique, de l'inteUigence des animaux, des accidents qui lui sont arrivés, de ses goûts particuliers, etc. Cependant, la substance de la plupart des chapitres sont pas des

au

lieu de l'histoire

est

empruntée

à l'histoire

ou

à la morale, et

largement de deux auteurs anciens

Le

scepticisme

la doctrine de

et

:

Plutarque

il

s'inspire

et

Sénèque.

Vépicurisme sont au fond

Montaigne.

Il est impossible d'analyser le livre de Montaigne, mais sa doctrine peut se résumer dans la formule suivante « apprendre à se connaître soiqu'il a laissée lui-même :

même,

à bien

mourir

et à bien vivre

».

L'ÉTUDE DE l'homme SE CONNAITRE SOI-MÊME. • L'auteur. C'est là l'originaHté essentielle du livre des « Je suis moi-même la matière de mon livre. » Essais Montaigne, exposant ses idées et ses goûts, nous montre sa « nonçhalance », ses contradictions apparentes, et proclame avec complaisance un égoïsme systématique et aimable pourtant « se prêter à autrui et ne se donner à :

:

:

-

personne. » • Le monde. Mais puisque « chaque homme porte en soi la forme entière de l'humaine condition », Montaigne a

Le

XVh

siècle / 35

il été amené à étudier la nature humaine en général trouve l'homme « ondoyant, inconstant et divers » ; il a été surtout frappé de la diversité des coutumes et de la fragilité de nos opinions, que suffit à prouver par exemple le désaccord des philosophes. Il a la plus piètre opinion de la raison humaine ; aussi il garde sur toutes les questions d'ordre intellectuel une extrême réserve, un scepticisme discret mais profond qu'il a développé abondamment dans V Apologie de Raymond Sebonde (ii, 12). Ce n'est pas un incrédule, mais, se tenant à égale distance de l'affirmation et de la négation, il prend pour devise « Que sais-je? » L'idée de la mort « Que philosopher c'est apprendre A MOURIR. » La pensée de la mort avait toujours vivement inquiété Montaigne et il a eu du mal à s'accoutumer à cette éventualité. Cependant, fort des leçons de Lucrèce et Sénèque, il s'est « exercité » à en supporter l'idée ; une syncope consécutive à une chute de cheval lui a même appris qu'on ne devait pas trop souffrir en mourant et il a conclu que « la mort est moins à craindre que rien, s'il y avait moins que rien ». Il a de parti pris laissé de côté la possibilité d'une existence future, heureuse ou malheureuse. Une fois écartée la seule pensée qui pût gâter la joie de l'existence, il ne s'agissait plus que de bien vivre. :

:

La morale Bien vivre. Le précepte « Bien vivre » peut s'entendre de deux manières et comprend simultanément les règles de la morale et l'art d'être heureux • Envers les autres^ « la grande règle des règles » sera pour chacun de se conformer aveuglément à la coutume de son pays, si peu raisonnable qu'elle soit au fond ; un tel principe évite l'incertitude, sauvegarde l'ordre public et Montaigne a la « nouvelté » en horreur. D'ailleurs il admire la vertu, les actes de stoïcisme, fait l'éloge de :

:

:

l'amitié, déteste le

mensonge,

l'opiniâtreté et l'intolérance

:

C'est mettre nos opinions à bien haut prix que d'en faire cuire un homme tout vif. » • Envers soi-même^ la grande affaire sera de « jouir loya«

lement de son être ». Montaigne entend par là que l'on doit, en vivant avec confort et modération, sans se passionner pour rien, tirer le meilleur parti possible de la possession de ses amis, de ses livres et de sa santé. S'il est stoïcien d'imagination, «

Pour moi, j'aime

il

est épicurien par ses goûts

la vie et la culture.

»

:

36

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

Les Essais sont une mine inépuisable et de renseignements. Les raisons qui ont

d''

observations

des Essais sont surtout peint « de bonne foi », dans une pose sympathique et originale, avec sa mobilité de caractère, très vif, très curieux, son humeur expansive et bavarde de méridional. « Le charmant projet qu'il a eu de se peindre! » disait Voltaire. La fertilité des idées. Sur toutes sortes de questions d'intérêt pratique ou moral, sur les sciences, la justice, l'art mihtaire, la pohtique, Montaigne a formulé d'ingénieuses réflexions. En littérature, il affectionne les historiens et les morahstes, c'est-à-dire Plutarque et Sénèque « leur instruction est la crème de la philosophie. » « V Institution des Il a écrit un chapitre célèbre sur Enfants » (i, 26). L'éducation qu'il conçoit est fondée sur un développement physique et moral bien équiUbré ; il condamne la barbarie des collèges et s'inquiète moins de la quantité de science que de la justesse du jugement. Montaigne, qui vise à développer l'initiative de l'élève, voudrait susciter la bonne volonté de ce dernier par une méthode attrayante ; il conseille la pratique du monde et des voyages pour nous obhger à « frotter et limer notre cervelle contre celle d'autrui ». En somme, Montaigne ne cherche pas à faire un savant, mais plutôt à former un homme intelligent, de culture moyenne et capable de faire fait l'attrait

La personnalité de

l'auteur.

:

Il s'est

:

bonne figure dans la société. L'abondance des anecdotes. Montaigne collectionne de courage, les événements étrangers, les anecdotes plaisantes ou tragiques empruntées à l'histoire de conjuration de Cinna, aventure d'Androtous les temps clès, etc. Son livre donne des renseignements directs sur la vie au xvi^ siècle, sur les classes de la société, sur les questions intellectuelles et religieuses, les guerres civiles. les traits

:

Le et

style de Montaigne est remarquable d'entrain de mobilité.

Loin

d'affecter l'éloquence, le style de

comme un

Montaigne

est

bavardage familier, rempli de faits et d'images. Les réflexions qu'il ajoutait continuellement aux éditions

Le XVI « siècle

/

37

successives des Essais ont malheureusement encombré les chapitres et alourdi les phrases. L'originalité pittoresque de style est due à l'emploi presque continuel de mots expressifs qui font image « L'amitié a les bras assez longs pour se tenir et joindre d'un bout du monde à l'autre ». « que c'est un doux et mol chevet et sain que l'ignorance et l'incuriosité à reposer une tête bien faite ». :

O

La phrase souple et subtantielle, mais surchargée de réflexions incidentes, et fatigante par cela même, se prolonge indéfiniment au gré de

la

pensée.

Montaigne a surtout

à ses successeurs le goût de la psychologie.

inspiré

Les idées de Montaigne eurent une prompte diffusion, car il enseignait le prix de la paix et le bonheur de vivre. Puis, grâce à sa morale, purement naturelle, et à sa philosophie sceptique, il devint pour un temps le guide des libertins (libres penseurs). Plus tard, amis et adversaires se sont instruits dans son livre et la documentation unique qu'il avait réunie a servi de base à toute la littérature morale du xvii^ siècle. Pascal surtout, La Rochefoucauld et La Bruyère se rattachent à Montaigne, et l'ont étudié de très près ; c'est lui qui a orienté vers l'observation de l'âme humaine la littérature classique.

Les genres poétiques dans la seconde moitié du XVf siècle Après le brillant effort de la Pléiade, la poésie enregistre encore des tentatives importantes dans le poème épique, au théâtre et dans le genre satirique d'Aubigné est une personnalité puissante, mais le théâtre en reste à la période des ébauches. :

Agrippa d'Aubigné (i 552-1630)

homme

d^épée qu'un

est

homme

Après de solides études à Genève, il a participé activement, du côté des huguenots, aux guerres de religion.

autant un de plume.

38

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

s'est attaché longtemps à Henri de Navarre, le futur Henri IV, auquel il ne pardonnera pourtant jamais son

Il

abjuration. Tempérament passionné, excessif, fanatique, il s'est toujours refusé aux moindres compromis, et lorsqu'une grave blessure a mis fin à sa carrière proprement militaire, il a continué à être le champion véhément et intransigeant de la cause protestante et à mettre à son service, à défaut de son bras, son puissant génie poétique. œuvre polémique et somme Les Tragiques (i6i6) POÉTIQUE. D'Aubigné est l'auteur de plusieurs œuvres en prose, chroniques ou histoires, et d'un recueil de vers. Le Printemps (1570), où il chante l'amour non sans démesure et au gré d'un imagination parfois inquiétante. Mais c'est surtout dans son épopée des Tragiques, œuvre de maturité, que s'exprime totalement sa personnalité. Cette œuvre un peu touffue, où l'on trouve le meilleur et le pire, comprend plus de 9000 vers, divisés en sept chants. Les Misères :

(chant I) sont un panorama dramatique de la France déchirée. Dans Les Princes (chant II) se développe une violente satire des princes catholiques corrompus, comme Henri III et ses mignons, ou diaboliques, comme Catherine de Médicis. La Chambre dorée fait le violent procès de la justice et des juges. Feux et Fers (chants IV et V) passent en revue, sous la forme de tableaux saisissants, toutes les horreurs de la guerre. Dans l'avant-dernier chant, Vengeances, d'Aubigné admoneste ses ennemis et appelle sur eux le châtiment de Dieu. Enfin Le Jugement, (chant VII), c'est-à-dire le jugement dernier, marque le triomphe des bons et la confusion définitive des méchants. Les Tragiques sont une somme l'histoire contemporaine s'y enrichit de constants rappels de l'histoire bibhque, le réalisme le plus outré y côtoie le symbohsme. Les bons et les méchants. Dieu et les démons y sont en quelque sorte brassés avec une magistrale puissance. C'est sans doute dans le registre de la vigueur, de la violence que d'Aubigné est le meilleur. Son Caïn criminel fuyant Dieu et les hommes est inoubliable :

:

Il avait

peur de tout, tout avait peur de

lui.

ne peut qu'admirer le souffle grandiose qui anime résurrection de la chair ou l'évocation de l'enfer, im enfer dont il ne sort et l'on

la

Que

l'étemelle soif de l'impossible mort.

Le

Mais d'Aubigné, disciple de Ronsard, délicatement la Nature

sait aussi

XVh

siècle / 39

chanter

:

Une

rose d'automne est plus qu'une autre exquise.

En dépit de ses outrances, marque d'un siècle violent et d'imperfections évidentes, Les Tragiques constituent globalement une réussite. Loin de la médiocrité de La Franciade de Ronsard, et plus tard de La Henriade de Voltaire, en passant par tous les essais ratés qui ont jalonné quatre siècles de littérature, on peut dire que d'Aubigné a doté les lettres françaises d'une épopée moderne authentique, avant Hugo, et peut-être mieux que Hugo. Destin des Tragiques. Commencés en 1577, Les Tragiques furent publiés seulement en 161 6, à une époque où le goût, en voie de devenir classique sous la férule de Malherbe, ne pouvait plus comprendre les farouches beautés d'une autre époque. Aussi l'œuvre passa- t-elle inaperçue et ne commença-t-elle à être appréciée qu'après sa réhabilitation par Sainte-Beuve. Après lui, les modernes la placent très haut.

Le

théâtre voit naître avec Jodelle

genre classique de la Tragédie.

le

Le Parlement ayant prohibé en 1548 la représentation des sujets religieux, la réapparition du théâtre antique, dont la Pléiade allait justement proposer l'imitation à ses adeptes, se trouva en quelque sorte rendue nécessaire par les circonstances et la Tragédie se substitua aux Mystères. Les principaux auteurs furent avec jodelle, (1532-1573) l'initiateur du genre (Cléopâtre captive, 1552), Théodore de Bèze, Jean de la Taille, et surtout Jacques Grévin (1537-1570) et Robert Garnier (1534-1590). Ce dernier, écrivain remarquable, a composé sept tragédies d'un mérite réel ; son chef-d'œuvre. Les Juives (1583), est un tableau pathétique de la destruction de Jérusalem par Nabuchodonosor. La tragédie est alors une composition dialoguée, mais faite

en vue de

la

lecture et très rarement jouée.

Deux caractères La diversité des

sont particulièrement remarquables sujets,

:

fréquemment à (1552), de Th. de

empruntés

l'Histoire sainte (Abraham sacrifiant Bèze) et à l'histoire contemporaine (L'Écossaise (1605),

de

40

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

Mont CHRÉTIEN, a pour sujet la mort de Marie Stuart) et non exclusivement aux sources grecques et romaines. La STRUCTURE LYRIQUE ET ORATOIRE des pièces. L'œuvre dans l'ensemble n'est qu'une suite de discours ou de monologues interrompus par des chants que déclame le chœur à l'imitation du théâtre grec. Les unités de lieu et de temps ne sont pas observées ; l'intrigue, c'est-à-dire la succession émouvante des péripéties, et l'intérêt moral, c'est-à-dire la peinture des passions, sont des éléments tout à fait négligés. Ces insuffisances proviennent du caractère artificiel de ce théâtre auquel manque le souci des conditions imposées par la représentation effective des scènes. En outre, les auteurs, sauf Garnier, sont d'assez faibles écrivains.

La

satire

a été

traitée

avec une verve gauloise

par Mathurin Régnier, Nombreuses sont au

xvi® siècle les œuvres d'invectives, Discours de RONSARD ou Les Tragiques de d'aubigné, mais la satire, au sens classique du mot, n'a

telles

que

les

guère été traitée que par Mathurin Régnier (i 573-1613). Poète débraillé, ses vers peignent bien son humeur dans des satires inégales et grossières, il a tracé quelques silhouettes pittoresques et a trouvé des vers d'une touche :

triviale et vigoureuse. Réfractaire à toute discipline, écri-

vant d'un style dru et incorrect, contre les théories de Malherbe.

Conclusion sur Uhéritage du

le

XVf

il

a

regimbé violemment

siècle

Moyen Age,

Dans les dernières années du Moyen Age, la littérature populaire gardait des qualités de réalisme et de pittoresque (Farce de PatheUn, Villon), tandis que la haute poésie était rendue stérile par l'abstraction et l'allégorie. Les auteurs du xvi^ siècle, en conservant avec Marot et Rabelais les qualités réahstes de l'ancienne langue, ont reconquis le sentiment du grand art en s'imposant l'exemple des modèles antiques.

Le

Le

retour à

XVh

siècle / 41

V antique fut un motif puissant d'' inspiration

L'adaptation

des

un moyen d'exprimer

œuvres anciennes apparut

nouvelle.

comme

beauté. Toutefois, dans le zèle exagéré de l'humanisme, la culture française la tradition chrétienne et chevaleresque faillit disparaître la vie, la vérité, la

:

du Moyen Age

se trouva effacée

au

profit

d'un idéal

purement classique et mythologique. Si regrettable que soit cet abandon, il faut noter que les qualités natives du tempérament national n'ont pas cessé de subsister sous une enveloppe étrangère. Du Bellay, Ronsard, Montaigne, auxquels on a reproché parfois l'imitation aveugle des anciens, ont marqué en leur temps une réaction courageuse contre la suprématie intellectuelle de l'humanisme ; ils ont sauvé et émancipé la langue et la culture nationales.

Les œuvres de la Renaissance offrent ce caractère^ propre à toutes les innovations^ d'hêtre à la fois imparfaites en elles-mêmes^ mais fécondes en résultats. Sans doute les défauts sont nombreux imitation servile, érudition mythologique et pédantisme dans les idées ; absence des qualités de composition et défaillances de style ; caractère hétéroclite du langage. Celui-ci surtout, manié par des écrivains trop divers ou par des novateurs maladroits, restait confus, encombré de synonymes et de termes latins, étrangers ou provinciaux. Mais si la plupart des auteurs, à l'exception de Montaigne, ont été éclipsés par le prestige supérieur des écrivains du règne de Louis XIV, il convient de rappeler la liste nombreuse des améliorations qu'ils ont réahsées Extension du domaine littéraire. La haute poésie, l'expression éloquente des sentiments, les discussions théologiques et politiques, l'observation morale, finalement les formes dramatiques furent autant de conquêtes successives et durables. Affirmation des théories artistiques. Le principe de l'imitation des anciens a été posé d'une manière solennelle ; les principaux genres dans lesquels devait se mouler :

:

42

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

notre littérature classique ont été indiqués. Montaigne avait même montré la vraie méthode à suivre, celle de l'imitation personnelle, c'est-à-dire la libre discussion et le contrôle original des pensées fournies par les anciens.

Perfectionnement de la versification et du langage. L'alexandrin fut consacré comme la forme métrique par excellence du vers français. La langue enfin, grâce aux efforts d'Amyot, tendait à s'unifier, à se débarrasser des tournures dialectales. Indépendamment de ces mérites dont le bénéfice devait se transmettre au siècle suivant, le xvi^ siècle présentait encore des qualités précieuses de lyrisme (Ronsard) ou de réalisme (Rabelais), et, dans la langue, des dons de couleur dont on devait plus tard regretter la disparition.

Les grandes dates de la littérature au XVf

• • • •

siècle

1525-1535 Marot, ^/)£rre5. 1532 Rabelais, Pantagruel. 1534 Rabelais, Gargantua. 1541 Calvin, Institution de la en

religion chrétienne (édition

français).

• 1549

J.

DU Bellay, Défense

et illustration

de la langue

Formation de la Pléiade. • 1552-1555 Ronsard, Les A mours. • 1553-1557 J. DU Bellay, Les Antiquités de Rome, Les française.

Regrets.

• 1577 D'AuBiGNÉ commence à écrire Les Tragiques. • 1580 Montaigne, les Essais (i^^ édition).

Le XVirsiècle

44

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

Introduction

Le XVII^

siècle est

V époque

classique de la

littérature française.

Reposant essentiellement sur Timitation des anciens et l'observation morale, la littérature s'est alors développée dans des conditions qui étaient plus favorables pour accueillir les idées directrices et les qualités d'unité et de goût qui avaient fait défaut au siècle précédent.

La

soumission de tous aux

et littéraires contraste

mêmes

avec

principes

moraux

V individualisme du

siècle précédent.

Trois grands principes s'imposent alors à l'esprit public Les croyances religieuses. Le xvii^ siècle, pris dans l'ensemble, est un siècle chrétien après une période de désarroi et de libertinage, consécutive aux guerres de religion, un puissant mouvement de restauration catholique s'effectue grâce à l'apostolat des ordres rehgieux, à l'influence des Jésuites, à l'action des prédicateurs et des théologiens. L'intérêt qui s'attache à des controverses subtiles ou ardues sur la grâce, l'amour de Dieu, etc., montre combien l'on est pénétré de culture religieuse. Enfin la polémique contre les Protestants reprend avec une assurance plus grande du côté catholique ; victorieuse de fait, l'Éghse veut établir en droit la supériorité et la stabihté de sa croyance. Le respect de l'ordre. Lassés d'un demi-siècle de guerres civiles, les esprit aspirent à l'étabhssement d'une autorité forte et incontestée ; tandis que disparaissent les derniers symptômes de résistance féodale ou protestante, la majorité des individus se soumettent docilement à la tradition et respectent les puissances qui semblent l'incarner le Roi, l'Éghse. :

:

:

Le XVI|e siècle

/

45

En littérature, la création de I'académie française (1635) et la déférence dont elle est l'objet sont le fruit d'une disposition semblable à la règle et à la discipline. Le respect de la Raison. Au point de vue intellectuel, un principe supérieur est universellement reconnu la Raison. Expression de la pensée collective et impartiale, du sens commun, la Raison n'est spéciale à aucun temps et à aucun pays ; elle doit représenter l'opinion moyenne et permanente de l'humanité. Le respect de la Raison suppose en matière littéraire la vérité des idées exprimées et la suite logique des compositions. :

Les milieux

mœurs

et les

favorisent la suprématie de r opinion collective.

Ces idées, proclamées par les philosophes et les écrivains (Descartes, Boileau), ont régné dans les milieux qui constituaient alors presque tout le public de marque les salons et la cour. Dans les salons où se rencontrent familièrement beaux esprits et gens de qualité, le public, perdant son particularisme de province ou de profession, se restreint à une élite de gens cultivés et d'opinions semblables. A l'avènement de Louis XIV, la cour apparaît comme l'endroit le plus distingué de toute l'Europe le roi. Madame, les ministres (Fouquet, Colbert) protègent et encouragent avec intelligence les auteurs. Dans cette aristocratie se fait jour un idéal très caractéristique celui de l'honnêteté mondaine. L'honnête homme n'est ni savant, ni guerrier, ni spécialiste ; « l'honnête homme ne se pique de rien », mais par l'ouverture de son esprit il sait se plier avec aisance à toutes les éventualités ; un sentiment délicat de l'honneur, sa galanterie envers les dames, sa distinction dans les manières font reconnaître en lui l'homme du monde accompli poli, aimable, généreux, parfois impertinent. :

:

:

:

Les écrivains concilient

le culte

des auteurs anciens

avec

le

goût français.

Pour plaire à ce public, les écrivains devront se défaire du pédantisme et de la grossièreté le pubUc, suffisamment :

46

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

pour s'intéresser à des sujets élevés, est trop pour tolérer l'érudition ou l'imitation servile.

instruit

raffiné

Aussi s'appliquera-t-on à imiter les anciens qui ont les premiers représenté la nature, mais, substituant un choix réfléchi à l'imitation indistincte qui avait gâché certaines œuvres de la Renaissance, on ne s'adressa qu'aux modèles dont l'œuvre a une valeur humaine et éternelle, aux Tragiques grecs (Euripide), à Virgile et Horace. Un père de l'ÉgHse, saint Augustin, a été aussi l'une des sources capitales de la Httérature religieuse. La formation d'un idéal purement français fit évincer les influences étrangères cependant l'Espagne a fourni des :

inspirations précieuses à Corneille et l'Italie à ainsi qu'à

Les

Mohère

La Fontaine.

sujets traités

concernent presque exclusivement

les

questions les plus hautes de la philosophie ou de la religion et l'étude des sentiments de l'âme (morale ou théâtre). Le xvii^ siècle n'étudie ainsi que des idées ou passions d'intérêt général (amour, ambition, amour-propre) et se borne souvent aux seules perspectives de la vie sociale ou mondaine.

Le règne de Louis

XIV

marque Vapogée du goût

classique.

Les caractères qui viennent d'être définis ne se sont réaHsés pleinement que dans la seconde partie du siècle, à la majorité de Louis XIV, après deux périodes d'aspect assez différent • De 1600 à 1625 environ (règne de Henri IV, régence de Marie de Médicis), une nouvelle invasion du goût itaUen se traduit par une sentimentalité affectée, la mollesse et les enjolivements du style ; • De 1625 à 1660, le règne de Louis XIII et la Fronde sont marqués par une httérature brillante et superficielle, très indépendante, avec une tendance à l'emphase et dominée :

par le goût espagnol ; • A partir de 1660 commence enfin la période classique tandis que Louis XIV, achevant l'œuvre de Richeheu, impose en matière politique l'ordre et l'unité, une littérature disciphnée, sereine et forte, qui semble modelée à l'image de la monarchie, ajoute son éclat au prestige diplomatique et militaire du règne le roi protège les écrivains et reçoit en échange l'hommage de leurs louanges. :

:

Le XVI |e siècle / 47

du style Malherbe

L'élaboration

classique

Balzac

et

La poésie et la prose ont acquis au cours d'une évolution d'environ trente années (1605-1635) une forme régulière et solennelle, une dignité de style qui allaient devenir nécessaires à l'expression des grands sujets.

La

littérature de

Vépoque de Henri

IV

est

une

littérature de transition.

Dans

marquée par une certaine mollesse saint François de sales {Introduction à la vie dévote, 1608) s'était efforcé de concilier les exigences de l'idéal chrétien avec celles de l'honnêteté mondaine d'Urfé (1567-1625)5 dans le cadre de son roman mythologique et pastoral, UAstrée (1610), avait décrit les différentes formes de la galanterie. En poésie. Desportes, et Bertaut, poètes de cour, avaient eu le mérite de conserver à leurs vers un caractère oratoire et tempéré sans tomber dans le désordre fougueux de DU Bartas; Malherbe, leur concurrent et leur détracteur, ne leur est supérieur que par son application au style. de

cette littérature

style,

Malherbe a pratiqué

le

lyrisme oratoire,

Malherbe (15 55- 1628), poète aux gages de Henri IV, puis de Louis XIII, n'a laissé qu'une œuvre assez restreinte des Odes officielles sur les événements poHtiques du temps {Prière pour le roi Henri le Grand allant en Limousin', Ode à Louis XIII allant châtier les Rochelois) et des paraphrases de psaumes. Il développe à l'aide de réminiscences mythologiques des pensées communes l'horreur des troubles, la nécessité de la mort, etc. :

:

Malherbe a contribué à

régulariser la langue,

A l'aide de tels exemples rares, mais excellents, contenant des modèles de strophes presque parfaites, Malherbe a exercé une action efficace. Toutefois, c'est exagérer son rôle que de parler d'une réforme Malherbe n'a eu ni l'activité féconde de Ronsard :

48

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

ni l'esprit doctrinal de Boileau et s'est borné à des corrections de détail : il fut « le tyran des mots et des syllabes ».

Malherbe eut pour disciple Racan (1589-1670), un descriptif aimable; pour adversaires Mathurin Régnier, (1573-1613)5 puis Théophile de Viau (1590-1626). Ce dernier, poète facile et gracieux, mais très indépendant, a eu à un degré rare dans son siècle le sentiment de la nature.

Avec Guez de Balzac^

la prose évolua

à Punisson

de la poésie.

Guez de Balzac

(i 597-1654), se spécialisant dans rédaction de Lettres cérémonieuses ou de Dissertations morales ou politiques, s'est exercé vers 1624- 1630 à construire systématiquement des périodes savantes, c'est-àdire de longues phrases aux éléments bien équilibrés, d'un rythme grave, où il faisait entrer à défaut d'idées neuves les diverses figures de la rhétorique comparaisons, métaphores, hyperboles, antithèses, prétéritions, etc. C'est grâce à Malherbe et Balzac que la langue a pu acquérir deux qualités indispensables pour de plus grands sujets la fermeté du style et la correction grammaticale.

la

:

:

La et

haute société se prend de goût pour la littérature tombe dans la préciosité,

A

l'action purement livresque de Malherbe et Balzac s'ajoute l'influence vivante de la société au lieu de vivre isolés dans leurs châteaux, les « honnêtes gens » se réunissent dans les salons et se défont de leur arrogance ou de leur rusticité; ils apprennent la politesse et, dans ces groupes :

la préséance est reconnue aux dames, la conversation devient un plaisir délicat. L'esprit, l'élégance du langage sont des qualités mondaines qui ont compensé l'influence qu'aurait pu avoir le style trop guindé de Balzac. L'hôtel de Rambouillet (1620- 1648), créé par la marquise de ce nom (« l'incomparable Arthénice »), assistée de ses filles, fut le premier et le plus réputé de ces salons, voiture (1598-1648) en était l'homme d'esprit attitré ses lettres et poésies badines, malgré le succès qu'elles ont eu, sont d'un esprit extrêmement factice. Un autre cercle d'écrivains, groupés par conrart (1603- 1675), ayant reçu de RicheHeu une investiture offi-



:

Le XVI |e siècle

/

49

(1635), devint I'académie française et entreprit du Dictionnaire (publié seulement en 1694). Une mode assez frivole la préciosité faillit malheureusement gâter le sentiment du naturel par des raffinements ridicules dans les manières et les expressions; cependant elle fit introduire des locutions nouvelles dont quelques-unes ont persisté et qui eurent peut-être pour effet d'assouplir la langue et de la rendre plus imagée; perdre son sérieux, s'embarquer dans on dit encore une aventure, laisser mourir la conversation... Mais le fin du fin consistait à poursuivre la métaphore le plus longtemps possible. Le public, s'appUquant à bien parler, se passionnait cielle

la

rédaction

:

pour de minutieuses questions de grammaire et la conservation du mot « car » fut vivement discutée. Corneille lui-même corrigea ses vers pour les rendre conformes aux décisions du grammairien Vaugelas (1585-1650) dans ses Remarques sur la langue française. C'est ainsi qu'un courant général entraîne et affine la langue et les mœurs. En dépit d'écarts individuels, le public et les auteurs se montrent disposés en tout à se soumettre à la coutume ou à la règle. Mais, faute d'expérience, on risque d'abandonner le naturel et l'on s'égare dans la bizarrerie.

Corneille (1606- 1684) Dans

genre de la tragédie définitivement constitué. Corneille une forme saisissante pour présenter dans des situations pathétiques des âmes d'une trempe admirable. le

a trouvé

Le

théâtre avant Corneille manquait de principes et

Les tragiques du xvi^ siècle n'avaient pas réussi à une tradition le grand fait de l'histoire du théâtre dans les premières années du xvii^ siècle est que l'œuvre dramatique devient un spectacle réel, présenté sur la créer

scène.

:

de modèles.

50

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

Les principaux auteurs avant Corneille furent Hardy, Racan, Théophile de Viau et Mairet. Hardy (1570-1632), improvisateur fécond, a laissé un grand nombre de pièces mouvementées et confuses; Racan a transporté sur la scène les bergers des romans; Théophile de Viau a écrit une tragi-comédie émouvante,

Pyrame

et

Thisbé;

Mairet (1602- 1686)

a

composé

la

première tragédie régulière Sophonisbe (1634). Les pièces représentées entre 1610 et 1634 peuvent le drame qui se rattacher à trois genres principaux comporte la figuration d'épisodes innombrables et impres:

:

sionnants; la pastorale, présentant des scènes d'églogues; tragi-comédie, caractérisée par le tour romanesque de l'action, la multitude des aventures et par le dénouement heureux. L'irrégularité de la forme et la comphcation de l'intrigue sont les traits les plus marquants de ce théâtre cependant vers 1634 la forme proprement de transition classique de la tragédie finit par se déterminer et on la conçoit désormais comme une pièce à cinq actes et en vers, soumise à l'observation des trois unités (temps, lieu, action) et consacrée à la représentation d'un sujet la

:

pathétique emprunté à l'histoire. Ces conditions plus sévères de la forme furent imposées surtout après la publication des Sentiments de V Académie sur Le Cid. Cependant les premières pièces de Corneille conservent des vestiges de l'état antérieur ce sont, outre la tendance à la complication de l'intrigue, une survivance de l'élément lyrique (stances) et le caractère oratoire du style. En ce sens, les pièces de Corneille se rattachent aux tragédies du xvi^ siècle. :

La

carrière de Corneille offre^ après d^éclatants

succès^ Vhistoire d'aune décadence graduelle. Corneille (1606- 1684), né à Rouen, avocat, existence obscure et parfois gênée; dans sa vieillesse, il s'obstina à écrire malgré l'abandon du pubhc qui se tournait vers Racine. Ce fut dans la vie pratique un homme timide et simple, ayant en imagination le goût des grandes choses, des caractères forts et des paroles superbes. On peut distinguer cinq époques dans la carrière de Corneille. Pierre

mena une

Le XVI h siècle

/ 51

Les débuts. Ce sont des comédies d'intrigue consacrées mœurs contemporaines et à la bonne société Mélite (1629), La Galerie du Palais^ La place Royale. MÉDÉE ET Le Cid (1636). Ce sont les premiers essais de Corneille dans le genre tragique avec Le Cid, adapté de Guilhem de Castro, il affirme toute la supériorité de son génie; la pièce abonde en scènes brillantes et héroïques roulant autour d'un sujet passionnant, l'amour de Rodrigue et de Chimène. Le succès inouï de la pièce déchaîna les invectives de Scudéry, provoqua la jalousie de Richelieu ce fut la Querelle du Cid. Le docte Chapelain (1595- 1674) rédigea les Sentiments de V Académie sur le Cid, œuvre de critique maladroite et inintelligente. Corneille méaus

:

:

:

content se tint trois ans à l'écart du théâtre. Les tragédies romaines (1640- 1643). Horace, Cinna, Polyeucte, Pompée. Ce sont des pièces historiques et oratoires, au style solennel, où les règles sont plus strictement observées.

MÉLODRAMES TRAGIQUES (Rodogune, HérocUus) et coméou sans héroïsme (1645 -165 2). Le trait commun

dies avec

de ces pièces est la complication de l'intrigue. Le Menteur, comédie, raconte les aventures galantes d'un étudiant en droit. Dans Nicomède, comédie héroïque, un jeune prince oriental, vaillant et spirituel, fils d'un roi imbécile, déjoue la diplomatie romaine et sauvegarde son indépendance. Après l'échec de Pertharite (1652), Corneille se retire du théâtre pendant sept ans. PIÈCES DE DÉCADENCE (1659-1674). Ce sout des tragédies politiques, aux sujets invraisemblables et d'intérêt médiocre

:

Agésilas, Attila,

Suréna.

semble que deux courants se fassent jour dans le théâtre de Corneille l'un plein de jeunesse et d'animaIl

:

tion qui lui a dicté les scènes généreuses ou alertes du Cid, du Menteur et des comédies héroïques ; l'autre imbu d'une majesté sévère et grandiloquente que l'on trouve dans ses tragédies Cinna, Pompée, Rodogune. :

Uimagination de Corneille s'est déployée dans la comédie comme dans le genre héroïque. Comédies. L'originalité des comédies de Corneille fut de peindre des caractères naturels, des « honnêtes gens » « On n'avait jamais sans forcer dans le sens burlesque :

52

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

vu jusque-là que ridicules, tels que

la

comédie

sans personnages

rire

fît

valets bouifons,

les parasites, les capitans, les docteurs... » (Examen de Mélite,) Dans les situations les plus embrouillées les personnages se tirent d'affaire non par un acte de volonté, mais par leur adresse tel est du moins le cas de Dorante, le Menteur. Le style, plein de verve dans les narrations et les descriptions fantaisistes, s'élève parfois et prend un accent presque tra« Êtes-vous gentilgique. (Reproches de Géronte les

:

:

homme?... ») Tragi-comédies. Le Cid, Don Sanche d'Aragon et Nicomède présentent un autre aspect du théâtre de Corneille celui où il interprète le plus vivement l'imagination ardente et romanesque de ses contemporains, épris d'agitation, de :

aventures, de sentiments fiers, de héros galants, souriants et intrépides belles

:

«

Paraissez, Navarrais,

Maures

et Castillans!...

»

Une pointe de persiflage qui n'est pas dans Le Cid apparaît dans les comédies héroïques de la maturité de Corneille ; le style est spirituel, fougueux. Tragédies. Les tragédies, auxquelles on a tort de réduire presque exclusivement

la

production dramatique de Cor-

consacrées à des débats oratoires sur des questions de poUtique et de morale et à la peinture conventionnelle d'événements historiques. Corneille trace en de larges fresques les époques mémorables du peuple romain, dont il excelle à rendre le génie austère et impérieux « Il peint les Romains, ils sont plus grands et plus romains dans ses vers que dans leur histoire » (La Bruyère). L'action, pathétique et grave dans Cinna, Horace, devient d'une confusion inextricable dans les dernières pièces. neille, sont

:

Corneille se propose F extraordinaire dans des sujets et le sublime dans les sentiments.

Les sujets

le

choix

Corneille recherche les situations « hors de » (intrigues politiques), les actions « implexes », obscures, fertiles en événements et en surprises ; il peint des âmes supérieures, porte à l'extrême leurs qualités ou leurs défauts, et leur prête une volonté inflexible, bonne ou mauvaise, souvent indifférente à l'idée du devoir (Cléopâtre, dans Rodoguné).

l'ordre

:

commun

Le XVI h siècle

Cependant, dans ses pièces aujourd'hui classiques, Corneille a atténué ce qu'il y avait de faux et de violent dans cette tendance. Les sujets, si on les dégage des embellissements légendaires, redeviennent vraisemblables, possibles ; des situations comparables à celles de Chimène, Curiace, Pauline peuvent se présenter même dans la vie réelle. A défaut d'un respect absolu des faits historiques, l'évocation des mœurs et des institutions apporte une certaine garantie de vérité. Les personnages, au lieu d'être des monstres d'énergie, connaissent l'hésitation, la souffrance, la pitié (stances de Rodrigue ; mélancolie d'Auguste ; douleurs de Curiace, de Polyeucte) ; par là, ils redeviennent proches de nous, humains et sympathiques. En tout cas, les rôles de leur entourage ont les traits et les défaillances de l'humanité moyenne Cinna, Félix. La structure des pièces. L'observation des trois unités a obligé Corneille à se contraindre au lieu de s'abandonner à son imagination romanesque, il lui a fallu « contracter » le sujet de ses pièces (cf. Le Cid avec le drame de Guilhem de Castro). Il en résulte un certain tassement des péripéties en vingt-quatre heures, une application insuffisante ou pénible des unités, l'élimination des scènes d'action (meurtre de Camille, assemblées du peuple dans Horace, réunion des conjurés dans Cinna). Des récits remplacent la figuration matérielle des événements ; de là vient que les scènes psychologiques, les conflits d'idées ont la prépondérance sur les scènes d'action (duels, combats). Le théâtre de Corneille y a gagné en profondeur morale. Les sentiments. L'intrigue se ramène donc à une crise de conscience (lutte entre le devoir et la passion Le Cid, Cinna) ou se résout en combat de volontés adverses (Cléopâtre contre Rodogune). Corneille se plaît à développer « quelque passion noble et mâle, telles que sont l'ambition et la vengeance » ; il dédaigne l'amour « trop chargé de faiblesses », oubliant qu'il lui doit les scènes émouvantes du Cid et de Polyeucte. Ses personnages, du moins ceux du premier plan, se distinguent par leur force de volonté, leur « libre arbitre » :

:

:

:

Je suis maître de dans Cinna.)

moi comme de

l'Univers. (Auguste

Même les femmes affichent une fermeté intransigeante qui ne fléchit et ne se trouble jamais (fierté de Cornélie en présence de César, dans La Mort de Pompée) et l'im-

/

53

54

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

pression dernière qui se dégage de tous ces dialogues, des plaidoyers où les antagonistes exposent méthodiquement leurs principes (scène entre Horace et Curiace, acte II), des monologues où se détermine leur pensée (monologue d'Auguste, acte IV), est, en fin de compte, une grande idée morale Le Cid exalte l'honneur, Horace le patriotisme, Cinna la clémence, Polyeucte la foi. En tout cas, le spectacle même de la volonté cornélienne est déjà une éducation du caractère il nous apprend à subordonner en toute circonstance les impulsions du cœur aux lois de la raison (cf. dignité du rôle de Pauline) et lorsque à la noblesse du sentiment s'ajoutent la jeunesse et l'ardeur généreuse d'un héros sympathique (Rodrigue), alors sa grandeur d'âme devient entraînante et communicative elle provoque l'admiration, et Corneille se glorifiait d'avoir ajouté un nouveau pathétique aux deux « ressorts » traditionnels des Anciens la terreur et la pitié. :

:

:

:

Le

style

de

Corneille^

oratoire

et

sentencieux^

recherche la grandeur.

Le style de Corneille est très inégal parfois emphatique ou précieux, lyrique dans certains passages du Cid, il est plus souvent oratoire (délibération de Cinna, Horace, acte V), ou épique dans le récit de la victoire de Rodrigue et dans le tableau des guerres civiles, inspiré de Lucain :

:

Où Rome Où l'aigle Nos

par ses mains déchirait ses emrailles, abattait l'aigle et de chaque côté légions s'armaient contre leur liberté. (Cinnay L)

L'ordonnance logique des discussions, le souffle un peu déclamatoire de « ces tirades qui font frissonner » (Mme de Sévigné), la vigueur superbe de certains vers sont les quahtés les plus apparentes du style cornélien. Il est excellent de simphcité et de brièveté puissante dans l'énoncé des maximes et idées générales :

La

valeur n'attend pas

le

nombre des années. (Le Cid.)

mourir pour son prince est un illustre sort Quand on meurt pour son Dieu quelle sera

Si

la

mort?

(Polyeucte.)

et

dans

les

répliques instantanées

Es-tu

si las

de vivre

?

du dialogue

— As-tu peur de mourir

:

?

(Le Cid.)

Le XVI h siècle

/

55

Albe vous a nommé, je ne vous connais plus. Je vous connais encore, et c'est ce qui me tue!



(Horace.)

Ce

style à la fois sévère et éclatant, plus fertile

en raisons

qu'en images, ayant plus de rudesse que d'harmonie, offre surtout des beautés morales.

Les écrivains scientifiques et philosophiques

Descartes Travailleur indépendant et penseur vigoureux, fondateur de la géométrie analytique et de la philosophie moderne. Descartes a été l'interprète le plus original des principes intellectuels de son temps.

Descartes

mena en Hollande une

existence retirée et studieuse.

René Descartes (1596- 1650), né en Touraine, après avoir des études très complètes à La Flèche, eut une jeunesse

fait

au cours de laquelle il prit part en Allemagne à diverses opérations de la guerre de Trente Ans. Ayant eu en 1619 l'intuition brusque de sa Méthode^ il se consacra exclusivement à partir de 1629 à la réaliser. Pendant vingt ans, il travailla solitaire en Hollande, menant simultanément ses méditations, ses recherches mathématiques et ses études de la nature. Appelé en Suède par la reine Christine, il mourut en 1650.

fort active

Son œuvre. L'œuvre française de Descartes comprend le Discours de la Méthode (d'abord rédigé en latin, puis traduit en français, 1637) et le Traité des Passions^ esquisse de psychologie théorique. Le Discours de la Méthode est un essai de biographie intellectuelle. Descartes y fait dans un style sobre et sub:

56

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

stantiel l'histoire

de ses raisonnements du moins, toutes procéda par le raisonnement

de ses idées

et

:

s'étant décidé à rejeter, provisoirement

connaissances acquises, il seul à la reconstruction totale des sciences.

les

la Méthode renferme de la philosophie moderne.

Le Discours de essentiels

les

principes

Ses règles essentielles se ramènent à quatre • N'admettre que l'évidence (ce qui implique le rejet des arguments d'autorité). • Diviser chaque difficulté ; c'est-à-dire l'analyser. • Conduire par ordre ses pensées en commençant par :

les

objets les plus simples.

• Faire partout des dénombrements entiers, c'est-à-dire récapituler. D'une simplicité surprenante dans leur énoncé, les règles de Descartes tirent leur valeur de l'application systématique et permanente qu'en a faite leur auteur.

Les résultats de la méthode cartésienne.

Dans

les sciences, des découvertees importantes furent de la patience et du génie de Descartes En mathématiques application de l'algèbre à la géométrie ; représentation graphique des fonctions (géométrie analytique) ; En physique découverte des principes de l'optique ; théorie de la réfraction de la lumière. En cosmographie, hypothèse des tourbillons, sorte de phénomènes de pression qui, dans l'espace, détermineraient le mouvement des. astres. En biologie et physiologie^ théorie de l'automatisme des bêtes et de la circulation des « esprits animaux » (sorte d'influx nerveux). De si vastes hypothèses étaient prématurées ; il est à remarquer d'ailleurs que Descartes a plutôt réussi dans les sciences abstraites ; en effet, sa méthode toute rationnelle pouvait s'y appliquer, tandis qu'elle n'était pas assez expérimentale pour atteindre des résultats certains dans les sciences de la nature. En philosophie, l'originalité de Descartes est d'avoir trouvé la base, l'axiome fondamental de notre raisonnement « Je pense, donc je suis. » De l'âme, il remonte le fruit

:

:

:

:

Le XVI h siècle

/

57

par là, il a déplacé le à Dieu, et de Dieu à l'Univers centre même des considérations de la philosophie, leur donnant pour principe le Moi, au lieu du monde. C'est le caractère propre de la philosophie moderne. :

Influence, L'influence de Descartes a été très profonde et contradictoire. Il a soustrait la métaphysique à la théologie ; il a reconquis la certitude, ébranlée par les attaques des sceptiques et de Montaigne ; il a imposé dans les esprits l'ordre au nom suprême de la Raison, une et universelle. Plus tard, cependant, par une conséquence involontaire de sa doctrine, le doute qu'il n'avait accepté qu'à titre provisoire a servi aux critiques du xviii^ siècle à discuter toute croyance dogmatique. Quoi qu'il en soit. Descartes a rénové et vulgarisé la philosophie il a donné, au lieu des traités scolastiques, un exposé complet et clair de métaphysique et de science. En Descartes, à la fois phi« Descartes, ce morlosophe, mathématicien, physicien tel dont on eût fait un dieu chez les païens... » (La Fontaine) ses contemporains avaient l'impression de saluer l'homme qui leur avait apporté le mot de la science :





universelle.

Avant Locke et Newton, rien ne vint infirmer sérieusement les données de la science cartésienne.

Pascal (1623- 1662) Biaise Pascal, savant, homme du monde, philosophe et chrédes esprits les plus complets de l'humanité. Il a cherché passionnément la vérité dans les sciences, la morale et la religion ses Pensées ont gardé l'empreinte de son « effrayant

tien, a été l'un

:

génie

».

La

science et la religion se sont partagé la vie de

Biaise Pascal Biaise Pascal (1623-1662), né à Clermont-Ferrand, avait reçu de son père une instruction exceptionnellement forte. Mathématicien dans l'âme et physicien déjà renommé

58

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

(indépendamment de l'expérience du Puy-de-Dôme sur l'existence du vide et la pression atmosphérique, il a trouvé les théories fondamentales de « l'équilibre des liqueurs », c'est-à-dire de l'hydrostatique), Pascal, après une brève période d'agitation mondaine, s'attacha étroitement à la propagande janséniste qui avait pour centre l'abbaye de Port-Royal. Il mourut accablé d'infirmités à l'âge de 39 ans.

Son

caractère.

Quelques

là la

personnalité de Pascal. esprit insatiable est inces-

traits caractérisent la

L'amour de la vérité. Son samment en quête de preuves son penchant pour

les

et de démonstrations ; de mathématiques dont il admire

rigueur.

La puissance de

l'intelligence. D'une seule vue juste découvre le nœud d'une question, approfondit, explique, conclut, ramène un problème à quelques données essentielles. De là la simpHcité et la fécondité de ses théorèmes (sur les coniques, la règle des partis, le « triangle arithmétique ») ; des inventions pratiques comme la machine à calculer montrent également la souplesse du génie de Pascal. L'impétuosité. Pascal est un esprit impatient, fiévreux, avide de résultats décisifs dans les sciences, il poursuit indéfiniment les conséquences d'un principe ; en morale, en religion, il adopte les opinions extrêmes et catégoriques ; dans la discussion, il veut dominer, écraser l'adversaire. La piété. La charité ardente qu'il a manifestée par ses mortifications et son désir des sacrements s'exprime aussi dans l'humilité de la Prière sur le bon usage des maladies et dans les effusions de tristesse du Mystère de Jésus où il médite sur l'agonie et l'isolement du Christ. Au point de vue philosophique, deux lectures ont suffi presque seules à doter d'idées cette intelligence remarquable la Bible et Montaigne.

et pénétrante,

il

:

:

Ses

écrits scientifiques.

Les traités didactiques de Pascal ont été rédigés en latin, mais quelques textes écrits en français ont une grande valeur.

Dans

le

fragment d'un Traité sur

les sciences positives les

le Vide, il établit dans prérogatives de l'expérience sur

Le XVI h siècle

la

/

59

tradition des Anciens, les conditions du progrès, la une science plus sûre

possibilité d'accéder à

:

des hommes, pendam le cours de tant de siècles, doit être considérée conmie un même homme qui subsiste toujours et qui apprend continuellement...

Toute

la suite

U

Essai sur F Esprit Géométrique est un aperçu très étudié de logique scientifique et de psychologie générale ; le Discours sur les passions de V amour est une étude théorique « A mesure que Ton a plus des sentiments d'esprit, les passions sont plus grandes. Qu'une vie est heureuse quand elle commence par l'amour et qu'elle finit par :

l'ambition!

»

Toutes ces considérations furent subordonnées bientôt à l'étude des questions religieuses.

Pascal adopte

les

principes de Jansénius.

Déjà influencé par l'exemple de sa sœur Jacqueline, Pascal, après sa vision du 23 novembre 1654, se rangea à l'observation d'une vie purement chrétienne et se soumit à la direction spirituelle des « Messieurs de Port-Royal ». Sous l'ascendant d'un prêtre, du Vergier de Hauranne, abbé de Saint-Cyran, les religieuses de Port-Royal, à l'exemple de leur supérieure, la Mère Angélique, et tous les personnages qui se rattachaient à la famille Arnauld, avaient accepté, malgré les censures de l'Église, la doctrine de Jansénius sur la Grâce, c'est-à-dire sur les rapports de l'homme avec Dieu. Pratiquement on peut la résumer l'humanité est irrémédiablement corrompue par le péché originel, seuls, quelques « élus » seront sauvés par un secours tout exceptionnel de la Grâce. Cette doctrine pessimiste et fataliste s'accompagnait d'une morale

ainsi

:

extrêmement rigoureuse.

Dans le conflit qui opposait les Jansénistes aux Jésuites, Pascal prêta à ses amis de Port-Royal le concours d'une conviction ardente. Provinciales, Pascal défend la théologie janséniste et critique la morale des Jésuites,

Dans Les

principale autorité morale du Jansénisme, d'être exclu de la Sor bonne, Pascal la charge d'éclairer l'opinion (janvier 1656).

Arnauld,

se trouvant

assuma

la

menacé

60

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

En i8 lettres variées, mordantes, agressives, publiées à différents intervalles pendant quinze mois, Pascal, sous le nom de Louis de Montalte, écrivant « à un provincial de ses amis », mena la lutte contre la Société des Jésuites. « Vous vous sentez frappés par une main invisible qui rend vos égarements visibles à toute la terre... »

Changeant de point de vue suivant la fluctuation des circonstances, Pascal, dans les quatre premières lettres, discute la question de la Grâce ; dans les suivantes, il prend l'offensive et porte le débat sur la morale. Les casuistes, dans des sortes de répertoires spéciaux sur les « cas de conscience », s'étaient appliqués à définir la gravité relative des péchés et, à force de discerner des circonstances atténuantes, ils avaient paru les autoriser tous.

Discutant les thèses de Bauny, Escobar, etc., Pascal réfute avec énergie et habileté les excuses que ces nouveaux docteurs avaient imaginées sur le mensonge (restrictions mentales), le vol, l'homicide (duel), et flétrit sans réserve leur « morale obligeante et accommodante ». « Toutes les sortes d'éloquence », a dit Voltaire, sont renfermées dans Les Provinciales. Toujours puissantes par la vigueur du raisonnement (quelle que soit la partialité inévitable de la polémique), étayées sur des textes certains, elles sont remarquables par l'éloquence ironique ou indignée voir la conclusion superbe de la IP, ou de la XI sur le triomphe de la vérité, les réflexions véhémentes sur l'homicide dans la XIV^ et, par contraste, la raillerie amère de la XI^. Dans les premières discussions de morale (à partir de la V^), Pascal, par un procédé plus comique que loyal peut-être, met en scène un bon Père jésuite qui très inconsciemment développe des théories déconcer:

tantes.

Les Pensées de Pascal sont les fragments d^une Apologie de la Religion^ fondée sur la connaissance de la misère humaine. Pascal, ému par la guérison soudaine d'une de ses nièces (Miracle de la Sainte Épine, 1656), voulut prouver sa foi et sa reconnaissance en employant ses facultés d'intelligence et de force convaincante à établir la vérité du Christianisme contre les Libertins. Les notes prises par l'auteur

Le XVI |e siècle /

61

en vue de ce travail furent mises en ordre et publiées, non sans quelques corrections, par ses amis et son neveu, Étienne Périer (Éd. de Port- Royal, 1670). Les éditeurs modernes se sont occupés de reclasser et de publier intégralement le texte de Pascal (Éd. Brunschvicg).

Le plan, Pascal est mort sans avoir fixé la disposition définitive

de son ouvrage, mais on peut en entrevoir lignes

les

grandes

:

L'ÉNIGME DE l'homme. • Ignorance et misère. Au point de vue physique, l'homme est perdu dans l'infini au milieu des espaces sans bornes qu'il imagine ; il est logé « dans un petit cachot de l'Univers » ; son corps est infime, souvent malade. Au point de vue moral, l'homme est malheureux par sa pensée qui pose des problèmes sans les résoudre ; il ne sait rien de certain et sa destinée est inconnaissable ; son imagination le leurre et le tourmente ; il a besoin d'être toujours «diverti » par son métier, ses affaires ou le jeu ; la pire infortune qui piiisse lui arriver, c'est d'être seul, sans avoir rien à faire « et de penser à son état ». Au point de vue social, toutes les formes de gouvernement, de propriété sont fausses ou arbitraires ; la justice n'est qu'un nom qui déguise la force. Enfin, l'homme est malheureux parce qu'il sait qu'il «

meurt

• Grandeur. Mais

la

les pires «

misères

L'homme

mais

c'est

n'est

le ciel,

conscience

l'instinct indestructible

dans

menacé de

et qu'il est

Entre nous et l'enfer ou

il

n'y a que

même

l'éternité la vie.

de notre nature,

du bonheur prouvent

de

la vérité et

la

dignité de notre être.

qu'un roseau,

un roseau pensant.

:

»

plus faible de la nature, ne faut pas que l'univers

le

Il

pour l'écraser. Une vapeur, une goutte pour le tuer. Mais quand l'univers l'écraserait, l'homme serait encore plus noble que ce qui le tue, parce qu'il sait qu'il meurt et l'avantage que l'univers entier s'arme

d'eau

suffit

a sur Im, l'imivers n'en

sait rien.

»

La solution chrétienne. Après avoir confronté les philosophies opposées d'Épictète, avec son orgueilleuse sagesse, et de Montaigne, avec son épicurisme humiHant qui n'a voulu voir que la faiblesse de l'homme dont il

62

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

flatte

M.

penchants (Entretien avec

les

s'être livré à

de Saci\ après

un examen sommaire des diverses Pascal aborde l'étude du dogme

religions chrétien. La religion chrétienne se présente d'abord comme vraisemblable, « parce qu'elle a bien connu l'homme » avec l'instinct de bonheur qui est en lui, et qu'elle expHque par une chute originelle la déchéance actuelle

(islamisme),

:

L'œil de l'homme voyait alors la majesté de Dieu... Il n'était pas alors dans les ténèbres qui l'aveuglent ni dans la mortalité et les misères qui l'affligent. Mais il n'a pu soutenir tant de gloire sans tomber dans la présomption. » {Pensée 430. Édit. Brunschvicg.) «

La rehgion apparaît ensuite comme avantageuse dans un argument audacieux, Pascal montre qu'il y a intérêt ;

« parier » pour Dieu. Enfin, elle est vraie, et Pascal s'appuyant sur l'histoire songeait à en établir la vérité par l'accomphssement des prophéties et des miracles.

à

Les idées de Pascal

se distinguent

par

leur originalité

et leur portée philosophique.

Au cours de cet ouvrage qui eût été une immense enquête de philosophie, d'histoire et d'exégèse (étude de l'Écriture Sainte), Pascal devait aborder une infinité de questions.

Psychologie. Après Montaigne, et avec plus de pénéil sonde les facultés de l'âme humaine, marque la fragilité de notre jugement en révélant ce que peuvent sur lui « les puissances trompeuses » l'imagination, l'opinion, la coutume. Il analyse en nous le désir du bonheur, le besoin de « divertissement », les sources de la mélancolie, et dénonce l'égoïsme latent et haïssable du Moi. tration,

:

En philosophie, prenant le contrepied des maximes cartésiennes, il proclame l'insuffisance des principes rationnels pour se conduire dans la vie. Les démonstrations ne suffisent pas pour la persuasion ; il faut encore que l'individu veuille croire, veuille agir :

«

-

Le cœur

a ses raisons

que

la

raison ne connaît point.

»

En morale, il enseigne la gravité, la nécessité du problème religieux qu'il faut bien résoudre par l'affirmative ou par la négative « Il faut parier. Cela n'est pas volon:

taire,

vous êtes embarqué...

»

Le XVII« siècle

/

63

On est libre de ne pas admettre les idées de Pascal, mais, vraies ou fausses, elles s'imposent à la discussion par leur netteté et leur énergie ; de plus, elles émeuvent, car on trouve en elles Técho immédiat des souffrances et des aspirations de l'auteur dont la personnalité, en s'exprimant spontanément, ajoute l'émotion du lyrisme à la force des raisonnements.

Le

style de

Pascal unit la logique à Fimagination.

Dialectique. Dans

les fragments développés, on est mécanisme rigoureux des idées, par l'art invincible d'inculquer une conviction, grâce à une suite

frappé par

le

de déductions précises « géométrie et passion, voilà tout de Pascal » (Havet). Force des termes. L'ampleur de l'exposé est égal à la majesté des idées (passage sur les deux Infinis). Même là où il demeure inachevé et incorrect au point de vue grammatical, le style, visant tout à la propriété des termes, est remarquable de plénitude et de force. :

l'esprit

«

Le dernier

acte est sanglant, quelque belle que soit la jette enfin de la terre sur la

comédie en tout le reste ; on tête, et en voilà pour jamais.

La

»

littérature

au début du règne Boileau

Boileau prit une part active au triomphe du goût classique poète correct et moraliste banal, mais critique judicieux, il a laissé dans L'Art Poétique un monument qui fut longtemps considéré comme un code intangible. :

Une

crise

de préciosité^ de burlesque et d^ emphase a précédé Véclosion du goût classique.

L'époque de Mazarin avait été caractérisée par le mauvais goût et la confusion un certain amour du « clin:

64

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

quant » dans les sentiments ou dans la forme tenait lieu d'inspiration profonde. Deux courants, très fâcheux, d'origine italienne, étouffaient tout sentiment naturel. La préciosité. Recherche futile de la distinction, subtilité ridicule des sentiments jointe à un style fat et contourné. Le badinage de Voiture et Benserade, les pièces galantes de Tabbé cotin (1604- 1682) (« Votre prudence est endormie ») relèvent de ce goût.

Le burlesque. Parodie des sujets héroïques il s'agit de prêter aux dieux et aux personnages une attitude et un langage vulgaires, scarron (1610-1660), le maître du genre, a donné VÉnéide travestie ; d'Assoucy a mis Ovide en belle humeur. Les genres les plus élevés (prose et vers) n'échappaient :

point à

la

médiocrité. C'étaient

:

Le roman héroïque. Interminables récits d'aventures, sans vraisemblance historique, donnant à travers des complications fictives (guerres, enlèvements) la peinture conventionnelle et fade de sentiments modernes (galanterie). Romans de Mlle de Scudéry (i 607-1 701) Le Grand Cyrus, 10 volumes.





:

La

poésie épique. Genre très en faveur. Malgré des pour illustrer les grands sujets de l'Histoire sainte ou de l'histoire nationale, ces épopées emphatiques et Alaric fastidieuses n'ont abouti qu'à d'éclatants échecs ou Rome vaincue, de G. de Scudéry (1601-1667) ; La Pucelle de chapelain (1595-1674), célèbre par son style rocailleux et prosaïque. essais

:

Au théâtre, la comédie extravagante avec Scarron, Desmarets de Saint-Sorlin (1596- 1676) et Cyrano de Bergerac (1619-1655) ; la tragédie galante avec QuiNAULT (1635- 1688) toute remplie de sentiments doucereux et romanesques :

Et jusqu'à je vous hais tout

En

résumé, manque de goût

s'y dit

et

tendrement.

manque de

vérité étaient

défauts de cette littérature du temps de la Fronde. Seul dominait la médiocrité générale le grand nom de Corneille entouré de quelques imitateurs Rotrou, du

les

:

Ryer.

Le XVI h siècle

La Cour rCa pas subi autant

que

les

salons

/

65

V atteinte

de la Préciosité, le désir d'une littérature plus neuve et plus manifeste un peu avant 1660. Le Roi vient d'atteindre sa majorité ; à défaut d'instruction étendue il a le sentiment des belles choses ; près de lui, sa bellesœur. Madame, l'exquise et douce Henriette d'Angleterre, discerne et encourage les vrais artistes. Des courtisans instruits accueillent avec faveur les premières œuvres où brille le naturel, les comédies de Molière. Un jeune critique indépendant, Boileau, paraît à point pour soutenir, d'accord avec la plus saine partie du public, la cause du bon

Cependant

solide

se

goût.

Boileau^ défenseur des idées classiques. Nicolas Boileau-Despréaux (1636-1711), fils d'un greffier de Paris, mena la vie sédentaire et honnête d'un bourgeois cultivé. Par ses attaques contre le mauvais goût contemporain, il assura le triomphe de l'école classique il défendit le mérite de Molière et de La Fontaine et fut pour Racine :

un conseiller assidu et un ami fidèle. Son œuvre critique achevée, il se constitua théoricien et composa UArt Poétique, puis devint historiographe du Roi et académicien. Dans ses dernières années, il soutint une vive polémique contre Perrault, lors de la Querelle des Anciens et des Modernes. Ses œuvres principales sont les Satires, les Épîtres, Le Lutrin et UArt Poétique. Satires (1660-1667) représentent V œuvre polémique de Boileau,

Ce

sont les premières manifestations de son talent

;

on

grouper en deux catégories Les satires morales ou descriptives satire sur l'homme (VIII). Faites surtout de passages adaptés d'Horace et de Mathurin Régnier, elles flétrissent en termes très généraux l'ambition, l'avarice, « les folies humaines », ou essaient de définir « la véritable noblesse », « l'honneur », etc. Cependant, dans la satire sur les Embarras de Paris (VI) et le Repas Ridicule (III), sujets bourgeois et pittoresques, Boileau fait preuve d'un réalisme savoureux et goguenard. peut

les

:

:

66

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

sachant fixer d'un tiques

trait

des détails bien vus et humoris-

:

On Où

a porté partout des verres à la ronde, les doigts des laquais, dans la crasse tracés. Témoignaient par écrit qu'on les avait rincés.

Les mêmes qualités mêlées à plus de fantaisie reparaissent dans le plaisant poème héroï-comique du Lutrin où sont racontées en style quasi épique les discussions et les bagarres des chantres de la Sainte- Chapelle prélats, sacristains, gens d'église sont caricaturés avec une irrévérence amusante. satire sur la Rime ; Les satires littéraires mon Esprit. Avec un entrain juvénile et spontané, Boileau harcelle et couvre de ridicule tous les poètes en vogue Cotin, Chapelain, Scudéry, Quinault, leur mauvais goût, la nulhté de leurs productions. Sa critique s'attaque à des écrivains alors puissants et réputés (Chapelain, « le mieux renté de tous les beaux esprits ») ; sûr de traduire tout haut l'opinion générale, Boileau respecte la personne, mais discrédite l'auteur. La verve impétueuse et spirituelle, l'ironie piquante de certaines réflexions (« Et qui saurait sans moi que Cotin a prêché? »), la justesse évidente des critiques font de la Neuvième Satire un ouvrage excellent. :

A

:

:

Les Épîtres ( 1669-1695) sont des œuvres de la maturité ou de la vieillesse de Boileau, Avec moins de vivacité que dans les satires, les Épitres comportent les mêmes développements sentencieux, les mêmes principes d'une philosophie confortable et superficielle il dit « les Avantages de la paix » (dialogue entre Pyrrhus et Cinéas) ou « les Plaisirs des champs ». L'Épître sur le Passage du Rhin contient un modèle de ce style pompeux que l'on considérait comme propre à l'épopée. L'Épître VII à Racine (1677), écrite après l'échec de Phèdre^ est peut-être le chef-d'œuvre de Boileau avec une éloquence affectueuse et élevée, il explique à son ami le rôle salutaire des envieux de même que l'œuvre de Mohère a survécu aux critiques de ses détracteurs, les pièces de Racine connaîtront dans l'avenir im :

:

:

légitime triomphe.

Que

tu sais bien. Racine, à l'aide d'un acteur. ravir un spectateur!

Émouvoir, étonner,

Le XVI h siècle

L'Art Poétique Vexposé

(1674) officiel

Désireux d'accomplir la même carrière que le poète Horace, son modèle, et surtout pour résumer sa doctrine dans un monument définitif et complet, Boileau composa un poème didactique en 4 chants, UArt Poétique ; Préceptes de style ; aperçu historique sur la poésie I. II.

IV.

;

idylle, ode, sonnet, satire ; Les petits genres Les grands genres tragédie, épopée, comédie ; Idéal poétique et moral ; dignité personnelle de l'écri:

III.

:

vain.

C'est à la fois un programme» de l'école classique et un code des règles constantes de la littérature et du style. Le programme classique. Boileau donne la description

des genres cultivés au xvii^ siècle (sauf

longuement •

la fable)

;

il

étudie

:

tragédie qui, fondée sur la vraisemblance historique conforme à la règle des trois unités, se propose de produire l'émotion, « une douce la

et sur la peinture des passions,

une

terreur,

charmante

pitié

»

;

• l'épopée, qui sera majestueuse sans emphase, ornée de tous les artifices du merveilleux païen ; • la comédie, enfin, qui doit être naturelle sans bouffonnerie.

Correspondant aux principes qu'affirmaient La FonMolière, Racine, UArt poétique nous fournit un exposé pour ainsi dire complet de la doctrine classique. On pourrait la résumer en trois maximes • Obéir à la raison et peindre la nature

taine,

:

:

Aimez donc Empruntent

Cf

Épître

IX

la

raison

les

Homère

surtout

que toujours vos

écrits

d'elle seule et leur lustre et leur prix.

:

Rien n'est beau que

• Imiter

;

Anciens

:

le vrai, le vrai

seul est aimable.

TibuUe, Sophocle, Virgile, Térence,

:

C'est avoir profité que de savoir s'y plaire.

• Plaire et instruire en observant

les règles

67

quelque sorte de la doctrine classique fondée sur la raison.

latin

française

/

du bon goût

:

68

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

Le

secret est d'abord de plaire et de toucher...

Qu'en savantes leçons votre Muse fertile Partout joigne au plaisant le solide et l'utile. xvii^ siècle ont professé le même ni l'expression du moi (lyrisme romantique), ni la peinture objective du monde extérieur (Parnassiens) ni le culte frivole de « l'art pour l'art » (Théophile Gautier) c'est la vérité morale, la peinture des caractères

Tous

les

auteurs

idéal. L'objet

de

du

l'art

pour Boileau n'est donc

:

:

Que la nature donc soit votre étude unique. Auteurs qui prétendez aux honneurs du comique. Boileau offre dans ses vers toutes les qualités d'un bon précision, sobriété et fermeté du style ; ses prosateur conseils ont une netteté impérieuse et sohde. Mais c'est par ses idées qu'il s'est imposé à la postérité, en tant que théoricien et non comme poète. Grâce à son autorité personnelle et à la convenance de ses idées avec les aspirations de ses contemporains instruits, il a donné l'exposé d'une doctrine que partageaient tous les esprits formés à l'école des anciens et du bon :

sens.

Au

xviii^ siècle, il devient « le législateur du Parnasse » ; respect étroit s'attache aux moindres prescriptions de VArt Poétique c'est contre ce joug que se révoltèrent

un

:

les

Romantiques.

Molière (1622- 1673) plus profond de nos poètes comiques, vif tableau des hautes classes et de la bourgeoisie du XVI h siècle par la vérité intense et ridicule des portraits, il a élevé certains caractères à la hauteur de types immortels. Grand écrivain, animateur génial de ses personnages, il professe une morale large, mais sensée et honnête. Molière,

a

le

plus varié et

le

donné dans ses chefs-d'oeuvre un

;

Molière fut à la fois auteur et comédien, Jean-Baptiste Poquelin (1622- 1673), qui prit dès ses débuts le nom de Molière, accomplit comme membre puis directeur d'une troupe dramatique, d'abord intitulée VIllus-

Le

XVIh

siècle / 69

tre-Théâtre, plusieurs tournées dans le Midi de la France ; étant revenu se fixer à Paris (1658) il fut protégé par le

Roi

et

fonda

la

maison qui

est

devenue

la

Comédie-Fran-

Mort en jouant Le Malade

imaginaire. Les difficultés matérielles, les chagrins, les cabales, la maladie enfin expliquent l'accent d'amertume qui transpire cependant, à l'ordinaire, nourri parfois de ses ouvrages de la tradition des auteurs du xvi^ siècle, de Rabelais et de Régnier, entraîné dans la vie agitée des comédiens, il couvre d'une gaieté un peu grosse un fond de bonté simple et de loyauté.

çaise.

:

Molière tendy bien plus que

ses prédécesseurs^

peindre la vie Depuis rencontré

le

début du

un grand

siècle

succès

le

théâtre

comique

avait

:

Farces burlesques, accompagnées de pantomimes grossières

(Scaramouche).

Comédies d'intrigues, souvent invraisemblables, mais écrites avec verve pièces de Scarron^ de Cyrano de Ber:

gerac. Les meilleures étaient celles de Corneille. l'inverse de ses prédécesseurs, Molière, dont le théâtre repose sur l'observation, néglige l'intrigue, serre de plus près la vie réelle (comédie de mœurs) et crée la comédie de caractère. L'ensemble de son répertoire comprend plus d'une trentaine de pièces qu'on ne peut astreindre à ime classification précise. Nous distinguerons principa-

A

lement Les farces. Pièces bouffonnes, simples prétextes à scènes de rire, qui se développent parfois en comédies d'intrigues Étourdi^ Les Fourberies de Scapin, Le Médecin malgré lui. Les pièces de fantaisie, à grand spectacle, avec multiplicité de Ueux et changements de décor œuvres d'allure irrégulière avec des épisodes merveilleux Dom Juan, Amphitryon. Les comédies de mœurs, mettant en scène les gens et les professions de l'époque ; elles sont accompagnées souvent de ballets et d'intermèdes burlesques. L'action est vive, très amusante Les Précieuses ridicules. Le Bour:

:

V

:

:

:

geois gentilhomme,

Le Malade

imaginaire.

,

\

\

i

I

Les comédies de caractère. Pièces d'un genre plus élevé où l'observation morale est à la fois plus profonde et

à

réelle.

70

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

plus délicate. L'action semble moins vivante, mais le style ; toutes sont écrites en vers, sauf L'Avare ; les trois unités sont observées (sauf dans L'École des L'École des Femmes (1662) ; Tartuffe Femmes). Ce sont (1664- 1667) ; Le Misanthrope (1666) ; L'Avare (en prose, 1668) ; Les Femmes Savantes (1672). est plus soigné

:

Molière a exposé dans

Femmes

ses principes

La Critique de l'École des dramatiques.

L'observation. Les pièces de Molière, toutes différentes entre elles et qui vont de la farce à la grande comédie littéraire, ne se ramènent pas à un type déterminé le but de l'auteur était de plaire, non de se conformer aux règles. Mais, par inclination personnelle et d'accord avec les principes de l'art classique, Molière a voulu peindre la nature tout en déterminant un effet plaisant. Il relève avec une vérité profonde tous les traits expressifs de la vie humaine, d'une manie, d'une profession. Chez lui la caricature n'est qu'une exagération de la vérité ses comédies ont pour but de reproduire fidèlement les ridicules :

:

de l'existence.

Le mouvement et l'action. Cette représentation de avec un sens très sûr des nécessités dra-

la vie est réalisé

matiques. Molière puise sans scrupules dans l'expérience de ses devanciers (Plante^, Térence^, les auteurs italiens^) la donnée générale et les procédés techniques de ses pièces surprises, ruses de valets, intervention de comparses, mots caractéristiques (« Sans dot »). Il ménage les incidents, les contretemps, la répétition de scènes identiques ou contraires, de façon à mettre en rehef le caractère d'un personnage et, à mesure que celui-ci s'obstine dans ses errements, la situation devient pour lui plus embarrassante. Mais ces procédés servent seulement à accentuer l'intérêt psychologique ; par elle-même l'intrigue n'est qu'un accessoire, un moyen de liaison, et Molière, qui prépare avec force l'exposition de ses comédies, néglige le sujet réel (thème d'un amour contrarié) et s'accommode d'un dénouement factice ou indéterminé. :

1.

2. 3.

U

Avare. L'École des Femmes. L'Étourdi.

Le XVI h siècle

Le vrai

/ 71

Molière est la peinture des classes et des caractères,

sujet des pièces de

Molière ne représente le peuple (paysans, servantes) que d'une manière incidente ; il est au contraire le peintre de la haute société et de la bourgeoisie. La noblesse. Molière flétrit son inconduite en la personne de Dom Juan, le « grand seigneur méchant homme », fier, séduisant, impie, qui parjure tous ses serments d'amour et demeure cynique devant les ravages moraux qu'il détermine ; il s'en prend à la fatuité des « petits marquis » en la personne d'Acaste, Clitandre, Oronte, les jeunes mondains du Misanthrope, présomptueux et bavards, vains de leur costume ou de leur esprit. La bourgeoisie. Molière raille la naïveté dévote ou vaniteuse de cette classe dans Tartujft et dans Le Bourgeois gentilhomme^ montrant les erreurs auxquelles aboutissaient parfois dans des milieux mal préparés soit des élans de piété mal comprise, soit le désir avide des enrichis d'accéder aux honneurs des « gens de qualité ». Les Femmes Savantes étudient un cercle plus relevé la Ville, c'est-àdire la haute bourgeoisie où l'on imite les manières de la Cour, où fleurissent dans des groupes trop cultivés des prétentions au féminisme (Philaminte) et au bel esprit (Trissotin). Les médecins. Mohère les crible de sarcasmes, tournant en dérision leur jargon latin, leur costume, l'empirisme de leurs méthodes qui couvre leur ignorance (rôle de Diafoirus dans Le Malade Imaginaire). C'est une erreur d'opposer systématiquement les comédies de caractères aux comédies de mœurs : dans toutes ses pièces, Molière « fait reconnaître les gens de son siècle ». :

Le Misanthrope par exemple

est avant tout la peinture des salons de l'époque, avec leurs entretiens spirituels, leurs analyses morales (scènes de portraits), leurs intrigues galantes. Mais il est exact que, dans ses chefs-d'œuvre, Molière a subordonné les contingences d'actuahté à la mise en évidence d'un caractère donné il a peint, dans Tartuffe, l'imposteur, l'hypocrite sensuel et cupide sous « Laurent, serrez l'affectation des maximes pénitentes ma haire avec ma discipline » ; dans Harpagon, l'Avare qui a perdu toute dignité, toute affection paternelle et n'a plus de cœur que pour sa cassette. :

:

72

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

Dans Célimène, il personnifie la légèreté d'une femme coquette et insouciante qui se joue de ceux qui la courtisent, et, dans Alceste, l'homme généreux, d'ailleurs brusque, qui se heurte aux conventions d'une vie raffinée. De tels caractères sont mis en plein reUef leur humeur, l'idée qui les obsède se traduisent spontanément dans les :

et les moindres paroles (Harpagon fouillant les poches de ses domestiques. Tartuffe jetant un mouchoir sur le sein de Dorine) ; d'ailleurs Molière ne craint pas, en exagérant, de grossir un peu l'effet dramatique pour laisser ime impression plus forte aussi ses créations s'imposent comme les types classiques d'un travers, d'une passion. Leur vérité profonde dépasse l'intérêt purement actuel et nous pouvons transposer dans nos conditions modernes de vie Orgon, Chrysale, Philaminte, M. Jourdain, Philinte, etc., bien qu'ils n'aient rien d'allégorique en soi et que Mohère les ait toujours situés dans le milieu concret qu'il avait sous les yeux la société du xvii^ siècle.

gestes

:

:

La le

peinture des caractères est toujours relevée par

comique des situations ou des personnages. Tandis que la richesse d'observation du théâtre de Molière paraît plutôt à la lecture, ses quahtés de comique frappent surtout à la scène. Chez lui la psychologie n'est jamais terne ni insipide, et il abonde en moyens d'égayer le spectacle depuis les plus matériels jusqu'aux plus déli« trucs » traditionnels, maladresse, pitrerie ou imcats pertinence d'un valet, bousculades et soufilets ; répétition plaisante d'un jeu de scène, rencontres imprévues ou contretemps qui impatientent un personnage ou le mettent en position de dupe ; réitération de propos ridicules ou embarrassés («Le pauvre homme! », « Je ne dis



:

pas cela!

»).

Mais Molière préfère

le comique qui est révélateur d'un caractère, résultant soit des discussions contradictoires où s'engagent les acteurs (Alceste et Philinthe ; Alceste et Oronte ; Vadius et Trissotin), soit de l'affirmation inconsciente de leur manie :

Ce

sont vingt mille francs qu'il m'en pourra coûter Mais pour vingt mille francs j'aurai droit de pester Contre l'iniquité de la nature himiaine Et de nourrir pour elle ime immortelle haine!

déclare Alceste.

Le XVI h siècle

Mais, Frosine, explique Harpagon, as-tu entretenu

/

73

la

mère touchant le bien qu'elle peut donner à sa fille? Lui as-tu dit qu'il fallait qu'elle s'aidât un peu, qu'elle fît quelque effort, qu'elle se saignât pour une occasion comme celle-ci? Car encore n'épouse-t-on point une fille,

sans qu'elle apporte quelque chose.

Même

dans les situations les plus tendues, un trait d'esprit vient dissiper l'impression trop lourde produite par la gravité des circonstances (dénouement de Tartuffe) ; à plus forte raison, dans les pièces où « nous nous laissons aller

de bonne

entrailles

»,

foi

aux choses qui nous prennent par les spontanée et presque conti-

la gaieté est-elle

nuelle.

Le trioriy

discours tenu par Sosie à sa lanterne dans Amphycertaines situations de L'École des Femmes, les scènes

du Bourgeois gentilhomme, du Malade Imaginaire déchaînent irrésistiblement le rire posture et accoutrement des personnages, discussions et brocards, danses, musique, bastonnades, épisodes burlesques, tels que la « turquerie » finale du Bourgeois gentilhomme (investiture du Mamamouchi) venant après des traits ridicules de caractère (scène du garçon tailleur), réunissent dans une charge poussée jusqu'au grotesque tous les éléments du comique. Mais ce maître du rire n'est pas un simple amuseur ; tandis que Regnard après lui ne songera qu'à distraire, Molière veut instruire et corriger, et parfois des idées sévères assombrissent la franche gaieté de ses créations. :

La

morale de Molière^ essentiellement bourgeoise^ repose sur la franchise et le bon sens,

Molière, esprit indépendant, abhorre

la

contrainte et

pour la liberté, la nature, l'emploi normal et joyeux de l'existence ; il ne peut souffrir les faux dévots, les pédants, les médecins. Mais il est loin d'encourager pour cela la fantaisie et la licence des pasl'hypocrisie

;

il

est

ce n'est pas un individualiste, il a flétri les libertins Juan) et respecte les bases traditionnelles de la morale, le mariage, la famille. Pour mieux définir sa pensée, il a souvent introduit des raisonneurs qui exposent son point de vue (Cléante, Clitandre). Sa morale, peu élevée, bourgeoise, mais saine et pratique, peut se résumer en quelques principes sions

:

(Dom

:

74

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

Dans la conduite privée, éviter toute exagération. L'excès des meilleures qualités (du savoir, de la piété, de la franchise, de Tesprit d'économie, de Tamour, etc.) afflige l'intéressé, compromet la destinée de ceux qui l'entourent, le rend ridicule et devient un vice :

Les hommes

plupart sont étrangement faits! Dans la juste nature on ne les voit jamais En chaque caractère, ils passent les limites Et la plus noble chose ils la gâtent souvent Pour la vouloir outrer et pousser trop avant. {Tartine, la

I, 5.)

C'est la peinture trop réelle de ces conséquences d'un travers qui prête à certains moments aux pièces de Molière un accent si pénible « qu'on devrait en pleurer » (A. de

Musset).

Dans la

où les mariages seront assortis cœur (Molière trouve ridicule un vieillard amoureux), où la jeune fille doit être libre d'épouser qui elle aime, la femme, instruite mais non pédante vie familiale,

par l'âge et par



le



Je consens qu'une femme ait des clartés de tout »), devra être sage en conduite et bonne ménagère {Les Femmes Savantes). Molière, proteste contre une éducation de cloître où la jeune fille, ignorant tout de la vie, ne peut acquérir le sentiment de sa responsabilité {U École des Femmes) ; il n'admet pas davantage que l'affectation de délicatesse ou de culture intellectuelle vienne étouffer en elle la notion de ses devoirs naturels (Cathos, Armande). Henriette comme jeune fille, Elmire comme femme représentent bien l'idéal féminin de Molière. Dans la vie sociale, où les gens resteront dans l'esprit de leur condition {Le Bourgeois gentilhomme) ; prendront garde à ne pas être dupes de moins scrupuleux (Orgon, M. Dimanche, Sganarelle) les relations ne seront empreintes ni d'une brusquerie incommode (Alceste) ni d'un («



pédantisme fatigant (Trissotin). C'est ainsi, par une morale de modération et de savoirvivre, que Molière est devenu « le législateur des bienséances

Le

»

(Voltaire).

style de Molière^ expressif et variée offre souvent

les licences et la

verdeur de la largue parlée.

Le style de Molière, en vers comme en prose, parfois incorrect et hâtif, est cependant remarquable en général

Le XVIh siècle

/

75

par l'accent robuste et logique des propos, la franchise de la verve et la netteté savoureuse de Télocution. Les premières scènes du Tartuffe et du Misanthrope^ par exemple, sont d'excellents modèles d'un style simple, dru, sans mièvrerie, rarement gâté par le « jargon » que lui ont reproché Fénelon et La Bruyère. La langue de Molière, riche en tournures « orales », prend avec facilité le ton et le vocabulaire de tous ses personnages depuis les vivacités du parler populaire (Dorine, Pernelle) jusqu'à la phraséologie mystique de Tartuffe et aux métaphores prolongées de Trissotin (« Pour cette grande faim qu'à mes yeux on expose ») ; mais elle abonde en trouvailles d'un réalisme vif qui viennent de l'auteur même

Mme

:

Dans

le

monde, à

Elle grouille aussi

vrai dire,

il

se barbouille fort...

peu qu'une pièce de

bois.

{Misanthrope^

II, 5.)

La Fontaine (1621-1695) La Fontaine est le plus indépendant et le plus souple des poètes classiques narrateur excellent, moraliste ingénieux, il a prodigué dans le cadre restreint de ses Fables des dons incomparables de naturel, d'élégance et d'harmonie. :

La

Fontaine mena une vie insouciante

épicurien et d'artiste,

Jean de la Fontaine (1621-1695), né à Château-Thierry, en Champagne, mena une vie insouciante et paresseuse de poète il fut protégé par le surintendant Fouquet, à qui il demeura toujours fidèle, puis par Mme de la :

Sablière. plaisir et la variété des goûts furent, comme confessait lui-même, les traits les plus marquants

L'amour du il

le

de sa nature

:

Je suis c^iose légère et vole à tout sujet ; Je vais de fleur en fleur et d'objet en objet... Il

fut d'ailleurs sincère, obligeant et dévoué.

76

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

Son génie

s^est

formé sous des

influences complexes

et variées.

D'abord bel

esprit et poète précieux, il comprit bien « Horace et de la simplicité par bonheur me dessilla les yeux. » Sa formation intellectuelle est le fruit de lectures nombreuses et dispersées (Platon, Boccace, VAstrée)

vite la beauté

du naturel

:

:

J'en

Mais

il

lis

qui sont du

sauvegarda

Mon

Nord

et qui sont

l'originalité

imitation n'est pas

un

du Midi.

de son inspiration

:

esclavage.

Une double influence se résume en lui celle de la tradition gauloise par laquelle il se rattache à Rabelais, Marot et aux auteurs de fabliaux ; celle de la tradition classique (Horace, Virgile) par son goût de la mesure, de la vérité et de l'harmonie. reste, on ne saurait le considérer comme un isolé dans notre mouvement littéraire « plus égal que Marot, plus poète que Voiture », a dit La Bruyère, il se rattache à tout un groupe de poètes rustiques et galants Racan (Bergeries), Théophile de Viau (Élégies), Voiture dans ses :

Du

:

:

Épîtres, Benserade, auteur de chansons badines et de rondeaux. Cette poésie enjouée et facile est oubhée maintenant, mais c'est à ce courant qu'appartient La Fontaine.

Son œuvre. Les compositions de La Fontaine s'étendent à des genres récit de voyage en Limousin, roman en prose

très divers

:

(Les Amours de Psyché), ballades, élégies, « poèmes » (Adonis), comédies (Clymène), contes et fables. Les Contes sont surtout des adaptations de Boccace où il décrit plus ou moins finement des sujets licencieux. Ses Fables représentent la partie classique et immortelle

de son œuvre.

Les Fables. Les Fables de La Fontaine réparties en douze livres parurent en deux recueils (1668- 1678). Les sujets sont de très anciens apologues empruntés d'abord à Ésope et à Phèdre (auteur latin), puis à des conteurs orientaux :

Le XVII« siècle

/

77

Pilpay. La Fontaine n'a suivi ni la sécheresse de ses modèles anciens, ni la prolixité des narrations arabes ou hindoues il prend ces textes comme simple canevas de développement, servant d'occasion à des histoires à la fois '

:

agréables et morales

Le conte

La

fait

:

passer

le

précepte avec

lui.

structure des Fables évoque celle d'un drame en miniature.

L'auteur lui-même a défini son œuvre

Une ample comédie

:

à cent actes divers.

Le décor est habituellement la campagne c'est le paysage de la province française, observé selon le cours des saisons ou des différentes heures du jour, les prairies, :

les

blés,

les

chènevières,

les

ruisseaux,

étangs,

les

les

chemins. La Fontaine n'a pas dépeint les aspects sauvages et forts de la nature, la forêt, la montagne, mais il y a de la couleur locale dans le réalisme discret de ses tableaux « le thym et la rosée » dans les champs au matin, joncs et roseaux des marais, poussière des grandes routes. La matière du récit est parfois un portrait « un lièvre en son gîte songeait... » ; il nous montre l'animal inquiet, :

:

« un souffle, une ombre, haletant, toujours prêt à la fuite un rien, tout lui donnait la fièvre... » ; en quelques lignes pittoresques, il esquisse la silhouette du héron, maigre :

dédaigneux, « le héron au long bec emmanché d'un long cou ». Parfois il y a contraste le loup affamé est mis en présence du chien robuste et repu, « aussi puissant que beau, gras, poH... » ; le chêne majestueux interpelle orgueilleusement le roseau et

:

:

Le moindre vent qui d'aventure Fait rider la face de l'eau oblige à baisser la tête.

Vous

Généralement il y a un conflit et la forme dramatique du récit est encore plus frappante le conflit est comique si le sot est dupé par un malin {Le Renard et le Corbeau Le Renard et le Bouc Le Singe et le Chat) il devient tragique, et c'est le cas ordinaire, quand le plus faible est victime du plus fort {Le Loup et V Agneau Le Milan :

;

;

;

;

et

le

Rossignol).

78

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

Dans

V Aigle

VEscarbot, l'inégalité des adversaires, faible qui supplée à la force par la ruse, la cruauté, puis la détresse de l'aigle enfin châtiée « (Elle gémit en vain, sa plainte au vent se perd ») font qu'un souffle de représailles et de haine semble planer sur l'action. Souvent le récit se développe en multiples épisodes Hirondelle et les petits Oiseaux, nous suivons de dans saison en saison avec une appréhension croissante la levée de l'herbe funeste ; même aggravation de l'intérêt pathéAlouette et ses petits. tique dans Ce partage du récit en actes successifs est surtout fréquent dans les longues narrations du second recueil Le Chat, la Belette et le Petit Lapin ; L'Homme et la Coula ténacité

et

du plus

:

U

U

:

leuvre.

Les

animaux

La

Fontaine,

sont

les

acteurs

préférés

de

L'homme est le héros de quelques-unes des fables les plus connues et les plus belles de La Fontaine La Mort et le Bûcheron, Le Paysan du Danube. Des croquis réalistes extrêmement pittoresques nous font voir les petites gens du peuple La Vieille et les deux servantes ; La Laitière et le pot au lait ; Le Savetier et le Financier. Cependant les acteurs ordinaires sont des animaux. L'auteur n'a pas eu l'idée de les présenter dans la liberté de leur existence farouche, avec leurs instincts, leurs appétits réels ; il n'y a rien ici qui ressemble aux essais de psychologie animale qu'ont tentés Leconte de Lisle ou Kipling. Bertrand et Raton sont en domesticité ; le chat, le chien, le coq vivent à proximité de l'homme ; le rat, le renard, le loup subsistent à ses dépens. Quant aux autres, La Fontaine les situe dans une société conventionnelle et hiérarchisée dont le Lion est le roi. Mais, cette fiction uie fois admise, La Fontaine décrit à merveille l'allure, la belette " au nez le pelage, le maintien de chaque être pointu », le chat velouté, à l'humble contenance, au modeste regard « et pourtant l'œil luisant ». Ingénieusement, « une tortue il passe du détail physique au détail moral était à la tête légère... » ; tout dans la posture du lièvre « Cette crainte maudite m'empêche dénote la frayeur de dormir, sinon les yeux ouverts » ; La Fontaine rendra :

:

:

:

:

Le XVI h siècle

de

même

la sottise

riquois, la tristesse

/

79

du bouc, l'étourderie du peuple soudu hibou, etc.

C'est une induction gratuite mais qui repose sur une « Les proassociation d'idées depuis longtemps admise priétés des animaux et leurs divers caractères y sont exprimés ; par conséquent les nôtres aussi... » La fourmi symbolise la prévoyance, le renard la ruse, le loup la violence et la voracité. L'observation s'efface alors devant :

l'allégorie.

Sous

la

forme commode de V apologue^ La Fontaine décrit en réalité les mœurs de V homme.

Taine, interprétant rigoureusement cette tendance, a prétendu que La Fontaine n'aurait fait que peindre strictement « les caractères » de son temps ainsi Les Animaux malades de la peste. Les Obsèques de la Lionne sont des tableaux de la Cour ; le Lion représente parfois Louis XIV, :

Renard incarne le courtisan, etc. Mais l'intention satirique est beaucoup plus générale qu'actuelle ; les comédies de Molière sont à cet égard bien plus précises (cf Le Renard et le Corbeau, et, dans Molière, les scènes entre Dorante et M. Jourdain). La Fontaine critique en passant les grands, les magistrats, les moines, les bourgeois, mais il s'en prend aux travers communs de l'humanité (avarice, orgueil, hypocrisie, sottise, etc.), sans spécifier plus direcle

tement

les fautes

de ses contemporains.

La morale

de

La

Fontaine enseigne surtout la prudence.

Cette morale n'a rien d'héroïque ; elle n'inspire jamais borne à nous mettre en garde contre les défauts elle donne bien quelques préceptes de charité, dictés par l'intérêt, car « on a souvent besoin d'un plus petit que soi », mais les maximes de solidarité sont plutôt « Ne t'attends qu'à toi seul... » Pourtant La Fonrares « Qu'un ami taine a chanté l'amitié en termes délicats véritable est une douce chose! » Ce que l'auteur énonce avant tout ce sont des leçons de prudence pratique discernement dans le choix des « il ne faut point juger des gens sur l'apparence » amis (cf L'Ours et l'Amateur des jardins) ; défiance envers le sacrifice et se :

:

:

:

:

:

80

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

ennemis {Le Chat et un vieux Rat) ; prévoyance et sagesse dans toutes nos entreprises {Le Renard et le Bouc ; La Tortue et les deux Canards). Ce sont là des leçons d'expérience, dénuées d'optimisme, qui nous enseignent quelles sont les exigences et les réalités les

la vie ; elles nous apprennent ainsi que la d'ordmaire exploitée par la ruse {Le Renard et le Corbeau) et que la force n'est pas toujours au service du droit {Le Loup et V Agneau) ; mais cela ne veut pas dire que La Fontaine approuve la fourberie ou l'injustice « Si tu veux qu'on t'épargne, épargne aussi les autres. » Au contraire, il est persuadé que la perfidie, la violence finissent par rencontrer une punition {Le Rat et la Gre-

de

cruelles sottise

est

:

nouille

La contre

L'Oiseleur^ F Autour et l'Alouette). ; critique paradoxale formulée par J.-J. la

Rousseau morale de La Fontaine repose sur une impression

sommaire

Le

et inexacte.

talent poétique

offrent

et

de La Fontaine dons de variété et

style

le

au suprême degré

les

de souplesse.

La Fontaine est un des poètes les plus accomplis de notre langue. Les vers de VÉlégie aux Nymphes de Vaux ont une pureté, une noblesse déjà raciniennes, qui font de ce texte un des plus beaux passages de toute la poésie française

:

Lorsque sur cene mer on vogue à pleines Qu'on croit avoir pour soi les vents et les

bien malaisé de régler ses désirs plus sage s'endort sur la foi des zéphirs.

Il est

Le

Mais on

voiles. étoiles,

:

souvent contesté dans

les Fables l'agrément boiteux, disloqués, inégaux », qui rebutaient Lamartine, présentent cependant les plus rares

littéraire

:

a

ces vers

"

qualités de style.

Le trait dominant en est la variété variété dans le ton du recueil où se rencontrent toutes sortes de sujets plaisants, dramatiques, élégiaques {Les Deux Pigeons)^ philosophiques {Les Deux Rats, Le Renard et Pœuf), solennels {Les Animaux malades de la Peste), épiques même {Le :

et le Moucheron) ; variété exquise dans le cours d'un seul récit où s'élèvent au milieu d'une narration naïve une réflexion mahcieuse ou émue, une bouffée de lyrisme

Lion

Le XVI |e siècle

/

81

{Le Songe d'un habitant du Mogol), un mouvement d'éloquence. On peut voir dans L'Alouette et ses Petits avec quelle aisance La Fontaine, après avoir décrit en termes inspirés de Lucrèce « le temps que tout aime et que tout pullule dans le monde », redescend au tableau minuscule

de

la petite

alouette

et fait éclore...

:

«

Elle bâtit son nid, pond, couve

»

D'ordinaire le ton est celui d'une narration simple et légèrement ironique, contée avec une bonne foi puérile qui crée tout de suite une atmosphère de vraisemblance. Les allusions, les détails sont adaptés au sujet il semble même que les sentiments, les façons de juger soient, aussi bien que le cadre, plaisamment réduits aux proportions et à la dignité des personnages

alerte,

:

:

J'avais franchi les

monts qui bornent

cet État...

Le Chat et un vieux Rat Le Cochet, le Souriceau sont des modèles de ce style naturel. à propos du plus humble sujet, il arrive à La Fontaine de prendre sans effort le style ample qui convient à de nobles pensées Le Chêne et le Roseau, Le Paysan du Danube, sont des exemples de ce qu'on appelait alors le « style sublime ». Nul n'a mieux parlé des grandes questions qui concernent la destinée des êtres et du monde (La Mort et le Mourant) ; dans le sujet très simple du Vieillard et les trois Jeunes Hommes, il montre en vers magnifiques le sort inégal qui attend les humains et l'emdit le souriceau.

Chat et Mais

le

:

ploi

qu'on doit faire de la vie Nos termes sont pareils par

:

Qui de nous des Doit jouir

clartés

de

leur courte durée.

la

voûte azurée

le dernier?...

arrière-neveux me devront cet ombrage. bien! Défendez- vous au sage se donner des soins pour le plaisir d'autrui?

Mes

Eh

De

Un

La Fontaine pour évoquer un de Sévigné. Il Cela est peint! » disait montre le roseau courbé sous le poids d'un roitelet, un milan « qui dans l'air planait, faisait la ronde », une carpe qui bondit hors de l'eau. trait parfois suffit à

tableau

:

Mme

«

Langue Le

et versification.

vocabulaire, très riche et pittoresque, est assez for-

tement marqué d'archaïsme « Tel cuide engeigner Merlin qui souvent s'engeigne soi-même! » La versification est :

82

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

une des créations les plus originales de La Fontaine use du vers libre, combinaison extrêmement souple où l'inégalité de la structure métrique (agencement variable :

il

d'alexandrins et d'octosyllabes) se prête à toutes les nuances de la pensée, vive, languissante, énergique, grandiose,

épousant pour ainsi dire

la

Le quadrupède écume Il

courbe

même

de l'action

:

son œil étincelle ; rugit ; on se cache, on tremble à l'environ ; Et cette alarme universelle Est l'ouvrage d'un moucheron. (Le Lion et le Moucheron.) et

la finesse du récit et le sentiment exact des rythmes, Fables sont peut-être les productions les plus délicates et les plus complexes de l'art classique.

Par

les

Racine (1639- 1699) les anciens et par son amour du naturel. Racine a genre tragique à l'étude des forces passionnelles; l'intérêt des situations, la vérité psychologique, la fidélité des tableaux historiques, l'harmonie du style concourent également à la beauté de ses pièces.

Guidé par

consacré

le

La carrière littéraire et mondaine de Racine a duré dix ans, du succès J'Andromaque (lôôj) à r échec de Phèdre ( i6jj) .

Né à La Ferté-Milon, Jean Racine (1639- 1699) fit trois années d'études aux Petites Écoles de Port-Royal où il acquit, en même temps qu'une forte éducation religieuse, une connaissance directe des lettres grecques. S'étant tourné vers la poésie dramatique, il connut une carrière mêlée de succès brillants et d'échecs très pénibles. Après le désastre de Phèdre (1677), le découragement, des scrupules moraux, des raisons de famille le font renoncer au théâtre. Il est nommé historiographe du roi et ne compose plus que douze ans après ses deux tragédies

Le XVI h siècle

Mme

pieuses Esther et Athalie, écrites à la prière de de Il a laissé en prose un Abrégé de VHistoire de Port-Royal. La nouveauté de son art et la vivacité de son caractère lui firent de nombreux ennemis, mais il eut d'illustres protecteurs (Colbert, Henriette d'Angleterre), posséda l'estime personnelle de Louis XIV et trouva en Boileau un ami judicieux et fidèle. Racine offre l'exemple très rare d'un tempérament extrêmement nerveux dominé par une intelligence sereine et lumineuse ; son génie respire l'équilibre. Ses chefs-d'œuvre, sauf les deux derniers, s'échelonnent sur une courte période

Maintenon.

:

• Andromaque (1667). Épisode consécutif à la guerre de Troie Andromaque, veuve d'Hector, captive de Pyrrhus, veut sauver la vie de son enfant Astyanax. • Les Plaideurs, comédie (1668). Imitation libre des Guêpes d'Aristophane. Amusante parodie des mœurs judiciaires le plaideur Chicaneau, la comtesse de Pimbesche, l'avocat Petit- Jean, le juge Perrin Dandin. • Britannicus (1669). Premiers crimes de Néron et disgrâce d'Agrippine enlèvement de Junie, empoisonnement de Britannicus. • Bérénice (1670). Reine de Judée répudiée par l'empereur Titus, invitus invitam (malgré lui, malgré elle). • Bajazet (1672). Une « grande tuerie » dans un sérail au xvii^ siècle ; rôle impétueux et passionné de la sultane :

:

:

Roxane

;

caractère

du

vizir

Acomat.

• Mithridate (1673). Jalousie et guerres d'un vieux monarque oriental vaincu par les Romains ; rôle touchant de Monime. • Iphigénie en Aulide (1674). Fille d'Agamemnon et de Clytemnestre sacrifiée avant le départ des Grecs pour Troie.

• Phèdre (1677). Aventure légendaire de la femme de Thésée, amante incestueuse de son beau-fils Hippolyte. • Esther (1689). DéHvrance du peuple Juif, grâce à l'intervention de la reine près d'Assuérus. • Athalie (1691). Révolution dynastique et théocratique à Jérusalem ; mort de l'usurpatrice étrangère et procla-

mation du

roi Joas.

Plusieurs sujets {Andromaque, Iphigénie, Phèdre) sont empruntés à Euripide, poète grec, et à Sénèque le Tragique.

/

83

84

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

Le système dramatique de Racine

consiste à porter au maximum Vintensité des passions dans des sujets relativement simples.

Venant après le théâtre de Corneille, chargé d'événements extérieurs, après le théâtre de Quinault, affadi par des sentiments tendres,

le

théâtre de Racine se distingue la simplicité et par sa

nettement par ses tendances à psychologie.

Simplicité des situations. Le point de départ est une détresse d'une veuve en pays ennemi ; vengeance d'une femme délaissée ; émancipation brutale d'un enfant vicieux, séparation douloureuse mais librement consentie de deux fiancés ; égoïsme d'un père assujettissant à son ambition la destinée de sa fille, etc. situation assez ordinaire

:

C'est la dignité des personnages, leur condition royale, qui confère d'abord de la grandeur au sujet. Réactions morales. Une fois la situation indiquée (les expositions de Racine sont parfaites de naturel et de clarté) et l'action déclenchée par un événement quelconque (arrivée d'Oreste, enlèvement de Junie, nouvelle fausse de la mort de Thésée), aucun fait extérieur au drame ne vient modifier les péripéties (sauf dans Mithrdiate et Phèdre). Cela ne veut pas dire que l'action soit pauvre pour autant au fond, les pièces de Racine sont aussi complexes que celles de Corneille, mais leur complexité est d'ordre psychologique ; elles se développent par le jeu normal et réciproque des passions qui se précisent, s'accélèrent et se heurtent. Tout est suspendu à la détermination passagère ou décisive d'un personnage principal, à ses sautes d'humeur, à son amour, à sa rancune. VÉHÉMENCE des PASSIONS. Cependant ces personnages n'agissent pas librement Corneille qui voulait faire de la morale exposait les démarches de la volonté ; Racine qui fait de la psychologie observe les mouvements du cœur, les impulsions aveugles de la nature. C'est la véhémence des passions qui est la marque spéciale de son théâtre. Alors qu'en soi l'intrigue d'Andromaque, ou de Mithridate pourrait constituer le thème d'un vaudeville, ce qui différencie et élève le genre de Racine, c'est l'intensité des passions étudiées au lieu de présenter, pour ainsi dire, « au ralenti » les réflexes anodins des caractères dans la vie courante. Racine les porte au paroxysme. Poussés aux dernières limites, ils :

:

:

Le XVI |e siècle

/

85

donnent lieu à des conséquences extrêmes et tragiques. L'application des règles et le développement de l'intrigue. Au point de vue technique, et précisément parce qu'il subordonne tout à l'expression morale, Racine est l'auteur qui s'est le mieux accommodé de la régularité

du genre tragique

observation précise de la loi des trois nombre de personnages. L'heureux emploi des confidents, l'apparition et la succession opportune des acteurs, l'art de ménager les situations tragiques et les moments d'espoir, la gradation de la terreur et de la pitié, souvent la soudaineté et l'horreur du dénouement montrent dans Racine une véritable maîtrise de dramaturge. A cet égard les intrigues d'Andromaque (actes II et IV) et de Britannicus, la « pièce des connaisseurs » (avec les scènes violentes de l'acte III et les péripéties morales de l'acte IV), sont particulièrement remarquables. :

unités, absence des décors, petit

Les

tragédies

passionnelles de Racine peignent surtout r amour furieux et jaloux.

Racine a donc surtout placé

l'intérêt de ses pièces dans peinture des mouvements de l'âme. Si l'on excepte Athalie pièce d'intérêt politique et religieux la passion prédominante qu'il a représentée est l'amour, qui est d'ailleurs la plus mobile et la plus impétueuse des passions. Parfois il l'a montrée sous forme élégiaque teintée de galanterie moderne avec Junie, Atalide, Monime, Iphigénie, Aricie, ou avec les soupirants courtois que sont Britannicus, Xipharès, etc. Mais il a su également la représenter avec puissance et l'a peinte, incarnée de préférence dans des personnages féminins et portée à un degré d'impulsion violente, affranchie d'hésitations, souvent surexitée par la jalousie et capable même de crime. Dans Andromaque, à côté de la veuve d'Hector, symbole émouvant d'affection conjugale et maternelle, nous voyons Hermione, l'amoureuse déçue, arrogante, égoïste, aux sentiments agités et fougueux la





:

S'il

ne meurt aujourd'hui,

je

puis l'aimer demain.

Dans Bérénice, au contraire, c'est l'image de l'amour mélancolique et tendre qui ne peut se résigner sans une surprise douloureuse à prononcer « pour jamais » l'adieu de séparation :

86

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

Pour jamais! Ah! seigneur, songez- vous en vous-même Combien ce mot cruel est affreux quand on aime ?

Dans Phèdre enfin, « c'est Vénus tout entière à sa proie attachée », c'est dans une femme malade, victime d'une hérédité funeste, une véritable « flamme » qui dévore les sens et annihile la conscience, et qui, par une suite fatale, surmontant le devoir, les convenances, l'honneur (« Seigneur, ma folle ardeur malgré moi se déclare »), en arrive au parjure et à l'homicide sans pouvoir étouffer les angoisses du remords :

Hélas du crime affreux dont la honte me suit Jamais mon triste cœur n'a recueilli le fruit. !

A

côté de ces héroïnes, les personnages virils semblent tracés avec moins de relief. Mais il y a une psychologie profonde et sympathique dans l'étude d'Oreste, cet être sans volonté, amoindri par la souff'rance morale, sombre « neurasthénique Je me livre en aveugle au destin qui m'entraîne. » Il y a une vérité effrayante dans la description des mauvais instincts de Néron, le « monstre naissant », despote sensuel, cruel et peureux. Racine a peint également l'amour maternel, plaintif chez

et

:

Andromaque, farouche chez Clytemnestre

(« Venez, si vous mère! »), l'ambition féminine avec Agrippine, l'ambition masculine avec Agamemnon, l'énergie appuyée sur la foi chez Joad

l'osez,

la

ravir à sa

:

Je crains Dieu, cher Abner, et n'ai point d'autre crainte!

Le décor historique que la psychologie.

est traité

avec la

même fidélité

Contrairement aux objections des amis de Corneille, Racine a été un grand peintre d'histoire. S 'inspirant heureusement d'Homère, de Tacite ou de la Bible pour projeter sur ses personnages le reflet d'une époque fameuse. Racine ajoute ainsi à leur prestige et à leur vérité. Si l'on excepte Bajazet, dont l'action réelle s'était passée à Constantinople en 1635, Racine a choisi tous ses sujets dans l'Antiquité. Soutenu par Euripide et surtout par les souvenirs de nous nous rapVlîiade, il explore les temps légendaires pelons avec lui Iphigénie « en Aulide immolée », les adieux :

Le XVI l« siècle

d'Hector et d'Andromaque, la ruine de Troie et le sort des captifs après la victoire des Grecs les vainqueurs tout sanglants partagèrent leur proie ». Phèdre est la restitution mythologique la plus hardie qu'on ait jamais tentée. A l'aube des temps historiques, les personnages sont encore mêlés aux héros et aux dieux :

<(

leurs ancêtres; Phèdre, « la fille de Minos et de Pasiphaé », appréhende de fuir dans la nuit infernale où elle affron-

regard justicier de son père ; Vénus, Neptune sont des dieux réels, agissants et terribles. Racine est le seul auteur moderne qui ait pu sans froideur employer le merveilleux païen déUvrance d'Iphigénie, mort tragique d'Hippolyte. Dans Britannicus, on trouve, refaite fidèlement d'après Tacite, une évocation impressionnante de la Rome impériale au i^'" siècle nous voyons les brigues tramées pour amener sur le trône tel ou tel candidat, les compétitions des princes, les scandales de palais, le rôle louche des affranchis (Narcisse) et la' servilité du Sénat. Dans Mithridate, bien qu'il y ait de la grandeur dans la résistance de ce vieux roi vaincu et indomptable, Racine n'a pas réussi à faire oublier Nicomède. Mais c'est dans Athaîie qu'il a déployé tout son génie. Nous ressentons l'atrocité de ces luttes sanguinaires entre des dynasties rivales (Achab ou David), conflits de races, de rois, de sacerdoces et de dieux, qui se réglaient par l'extermination totale des princes vaincus. La pièce est un admirable raccourci de l'histoire d'Israël. Puis, dans une perspective merveilleuse ouverte par la prophétie du Grand Prêtre, le Messie, l'Église apparaissent dans le déroulement des siècles terait le

:

:

:

Lève, Jérusalem, lève ta tête altière. Regarde tous ces rois de ta gloire étonnés Les rois des nations devant toi prosternés

De

La

:

tes pieds baisent la poussière!

tragédie prend alors une signification surhumaine la puissance divine si éloquemment attestée par Joad s'affirme avec une force irrésistible ; l'entreprise audacieuse et impie d'Athalie s'effondre et c'est l'action divine seule qui détermine l'égarement funeste par où succombe « Impitoyable Dieu, toi seul as tout conduit! » la reine Aucune pièce ne nous ouvre de plus vastes horizons, et dans le cadre de ces cinq actes Racine a égalé le subUme de l'épopée. :

:

/

87

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

88

/

Le

talent poétique de

Racine unit

la

douceur à la

force; son style est parfait de justesse et

d"" aisance.

Douceur et élégance. Dans toutes les tragédies de Racine apparaissent les plus pures qualités poétiques. Mais ce serait peut-être dans Iphigénie, toute baignée d'une clarté hellénique et sereine, et dans l'idylle dramatique d'Esther que se trouveraient le plus délicatement exprimés le

charme

tères

de

et la noblesse qui sont

l'art

racinien

O mon Me

les carac-

souverain Roi!

donc tremblante

voici

proprement

:

et seule

devant

toi!...

(Prière d'Esther.)

Les chœurs, en donnant à Racine l'occasion de reprendre dans Esther et dans Athalie un élément délaissé de l'ancienne tragédie, lui ont permis de déployer avec bonheur un lyrisme limpide des strophes gracieuses, dont les images sont empruntées aux psaumes, chantent les tristesses de l'exil (« Déplorable Sion, qu'as-tu fait de ta gloire? ))), le châtiment de l'impie, les bontés de Dieu dans la nature :

:

Tout

l'univers est plein de sa magnificence!

Force. Mais il ne faut pas réduire le talent de Racine aux seules qualités de clarté, de douceur et d'élégance les pages sombres et fortes de Britannicus, comme l'invective d'Agrippine (« Poursuis, Néron, avec de tels ministres ))), tant de passages d' Athalie, imbus d'un éclat ou d'une violence bibliques, tels que l'évocation de Joad (« Grand Dieu, si tu prévois qu'indigne de sa race... »), sont d'une plénitude et d'une énergie achevées. Variété et mouvement. Les discours s'adaptent avec une appropriation saisissante à l'état d'âme des personnages lents, faciles et abondants dans l'expression de la tendresse, ils se contractent soudain pour marquer la surprise (« Ils s'aiment ; par quel charme ont-ils trompé mes yeux ? » Phèdre) ; ils deviennent haletants et saccadés d'interrogations dans l'explosion de l'angoisse ou des :

:

reproches

:

Mais parle de son sort qui t'a rendu l'arbitre Pourquoi l'assassiner ? Qu'a-t-il fait ? A quel titre ? Qui te l'a dit? :

(Reproches d'Hermione à Oreste.)

Le XVII« siècle

/

89

RÉALISME. Au lieu de se traduire par des raisonnements, des dissertations impersonnelles, les idées se présentent sous forme d'obsessions, de souvenirs ou d'images :

Figure-toi Pyrrhus, les yeux étincelants. Entrant à la lueur de nos palais brûlants...

Andromaque, gardant, dans

sa mémoire une impression Clytemnestre voit par avance le meurtre de sa fille (« Un prêtre, environné d'une foule cruelle... ») et éprouve par imagination l'affreux de son dit

De même,

d'horreur.

retour

:

chemins encor tout parfumés dont sous ses pas on les avait semés!

Je verrai les

Des

fleurs

Un

sentiment de la réalité concrète et visible (« Mais bandeau, la flamme est toute prête! »), des allusions fugitives mais continuelles, toujours adaptées à l'individu, au milieu, aux faits contemporains, font circuler un courant de poésie et de vérité dans les vers de Racine.

le fer, le

la même précision qu'il évoque une coutume, un un acte, il note les émotions, la réaction physique des mouvements de l'âme gestes, jeux de physionomie,

Avec rite,

:

htrmes, rougeur, etc.

Vous veniez de mon Pour dit

aller

Hermione

blesse de

front observer la pâleur rire de ma douleur...

dans ses bras

à Pyrrhus.

Tous

Phèdre sont indiqués

les

symptômes de

la fai-

:

Mes yeux sont éblouis du jour que je revoi, Et mes genoux tremblants se dérobent sous moi.

De

cette justesse parfaite dans l'observation des détails la vie et l'éclat du style de Racine.

proviennent

Langue

et versification,

La langue

est faite d'expressions très simples (« Je ne pas encore embrassé d'aujourd'hui ») qui semblent parfois confiner à la prose et soudain se relèvent par des tournures neuves et brèves qui sont si bien en situation qu'on songe à peine à en noter l'audace

l'ai

:

Je t'aimais inconstant

maque. )

;

qu'aurais-je

fait, fidèle ?...

(

Andro-

90

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

J'entendrai des regards que vous croirez muets.

(Bri-

tannicus.)

Le

La

jour que

je respire...

(Phèdre.)

versification est célèbre par son harmonie douce, paraît un peu monotone dans sa mélodie :

fluide, elle

Le

:

jour n'est pas plus pur que

le

fond de

mon

cœur.

Racine a donné le plus parfait modèle de l'alexandrin classique, régulier, majestueux et coulant, mais cette régularité n'exclut pas la souplesse il y a toujours accord du rythme et de la signification ; parfois le rejet, par sa rareté même, fait ressortir l'idée :

:

trouvé couvert d'une affreuse poussière. Revêtu de lambeaux, tout pâle. Mais son œil Conservait sous la cendre encor le même orgueil. Je

l'ai

(Esther.)

Le style, comme le génie de Racine, donne une impression d'aisance suprême, mais est le fruit d'un grand travail perfectionnant sans relâche les élans d'une inspiration originale et vive.

Les auteurs mondains du règne

A

côté d'une production de poésies galantes, la littérature siècle a donné l'exemple d'un art distingué, tant par le goût de l'observation morale que par la recherche d'expressions fines et exactes, où se remarquent l'influence et les qualités particulières du génie féminin.

mondaine au XVII^

son milieu originel, l'Hôtel de Rammondaine a gardé le goût des analyses psychologiques, et, au contact d'une société plus large, la Cour, elle a ajouté le don du naturel aux qualités qu'elle possédait déjà. Les grands auteurs mondains reflètent dans leurs écrits les meilleurs qualités acquises dans

En

se détachant de

bouillet, la littérature

les salons

:

clarté, finesse, élégance.

Le XVI|e siècle

Le cardinal de Retz a peint au vif les

/ 91

acteurs et les

scènes de la Fronde, Paul de Gondi, cardinal de Retz (1613-1679), coadjuteur de l'évêque de Paris, joua dans la Fronde un rôle turbulent, et a laissé des Mémoires remarquables par l'intérêt dramatique des narrations (Journée des Barricades) et la profondeur souvent malveillante des portraits. Esprit brouillon et factieux, il a agencé des intrigues, observé ou suscité des complots, des mouvements d'opinion, des émeutes il peint au vif les commencements indécis des mécontentements populaires, les premières rumeurs, l'inquiétude ou la colère des foules. Surtout il perce à jour la médiocrité ou les passions d'autrui. :

« M. le duc d'Orléans avait, à l'exception du courage, tout ce qui était nécessaire à un honnête homme. » « La reine avait plus d'aigreur que de hauteur, plus de hauteur que de grandeur, plus de manière que de fond, etc. et plus d'incapacité que de tout ce que j'ai dit ci-dessus. »

Ce goût de

la

documentation psychologique, ce dosage une habitude-née

précis des qualités morales supposent de la préciosité.

La Rochefoucauld a exprimé sous la forme abstraite des Maximes sa rancune contre Vhumanité. Esprit indécis, plein de velléités

du

je

ne

sais

quoi dans



Il

y a toujours eu

M. de La Rochefoucauld

»,

disait

de Retz). La Rochefoucauld (161 3- 1680) se lança dans la Fronde, entraîné par de Longueville. Vite désillusionné, renonçant à l'action, il se confina dans une retraite où Mme de Sablé et de La Fayette furent ses

Mme

Mme

confidentes. Ses œuvres daire, et des piques.

comprennent des Mémoires, d'intérêt seconMaximes, recueil de réflexions misanthro-

Les Maximes sont le résultat d'un divertissement mondain combiné avec un système philosophique. Le divertissement consistait à poursuivre en collaboration « l'anatomie » du cœur en général ou d'une passion donnée, chacun apportant à la discussion les ressources de son expérience ou les termes d'une formule. A ce jeu, La Rochefoucauld, érigeant en loi générale les conclusions

92

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

de sa vie de grand seigneur sceptique et déçu, fournit complément d'une thèse, d'un paradoxe, auquel on ramène toutes les observations accessoires pour lui, l'amour-propre, c'est-à-dire l'égoïsme, est le mobile essen" Les vertus se perdent dans l'intérêt tiel de nos actions comme les fleuves dans la mer. » Partant de ce principe, il discrédite l'amitié, la reconnaissance, la pitié, l'amour de la justice, la modestie, etc. C'est par un excès de l'esprit d'analyse et par manque de largeur d'esprit que La Rochefoucauld dénigre et méconnaît ainsi tout sentiment généreux. Au point de vue du style, les Maximes de La Rochefoucauld, constamment retouchées et réduites, ont subi des modifications curieuses d'une édition à l'autre, on voit la psychologie didactique se substituer à l'observation concrète des mœurs ; telle petite dissertation de 1665 se transforme en 1678 en une définition théorique les images, le

:

:

:

;

sont sacrifiés vent obscur. les détails

;

le style

devient sec, concis, sou-

Madame de La Fayette (1634- 1693) a écrit en quelques pages un des meilleurs romans du siècle La Princesse de Clèves. La situation de l'héroïne est comparable à celle de Pauline à l'égard de Sévère éprise du duc de Nemours, la princesse de Clèves reste cependant fidèle, même devenue veuve, au souvenir de son mari. La dignité des sentiments et la sobriété du style ont assuré jusqu'à nos jours la durée de ce roman. :

:

Madame de Sévigné^ vivant tableau des goûtSy des gens et des choses de son siècle^

Les Lettres de est le

chef-d^ œuvre de la littérature mondaine. Restée veuve à 26 ans, Marie de Rabutin-Chantal, marquise de Sévigné (1626- 1696), s'occupa attentivement de l'éducation de ses deux enfants, un fils et une fille.

Femme instruite, dans

le

intelligente et gaie, elle était très appréciée des qualités de cœur et d'esprit.

monde pour

mariée au gouverneur de Provence de Grignan, une correspondance abondante (1671-1696). D'autres lettres sont adressées à son cousin Bussy-Rabutin, à Charles de Sévigné, son fils, à M. de Pomponne. Elle écrivit à sa

et

devenue

Mme

fille,

Le XVI |e siècle

Intérêt moral. Dans cette correspondance, aussi bien que dans les Essais de Montaigne, nous voyons pendant 30 ans vivre et évoluer une personnalité moins philosophe et moins savante que le grand moraliste, Mme de Sévigné a plus de sensibilité elle nous apparaît telle qu'elle était vraiment avec son caractère mobile et pri;

:

mesautier, son imagination vive, sa gaieté naturelle qui oublier les heures sombres de la vie, sa ten« Adieu, ma chère dresse débordante et toujours alarmée enfant, l'unique passion de mon cœur... » Elle nous dit ses lectures, ses goûts ; elle reste entichée de Corneille et ne veut pas croire au génie de Racine « Racine fait des comédies pour la Champmeslé ; ce n'est pas pour les siècles à venir. » Elle commente les idées de Nicole, de Malebranche, juge les sermons de Bourdaloue et de Bossuet. Nous participons à ses occupations domestiques, à ses embarras pécuniaires ; nous la voyons s'accommoder avec une fraîche simplicité du séjour à la campagne (descriptions de Livry ou des Rochers, près de Vitré) ; c'est avec émerveillement qu'elle suit au printemps le progrès de la végétation, le mélange « trop joli » de rouge et de vert sur les boutons des arbres. lui fait vite

:

:

Intérêt documentaire. A l'attrait moral se joignent les renseignements les plus directs que l'on puisse avoir sur les conditions de la vie aristocratique au xvii^ siècle, les jugements et les propos du monde, dans les salons, à la Cour, en province, les habitudes de la noblesse, le train que l'on menait en voyage, aux eaux, à la campagne, les allures des gentilshommes bretons, la fièvre au moment des États, etc. Plus sincèrement que dans des Mémoires, nous avons la chronique du règne petits incidents de la Cour et grands événements contemporains sont relatés avec toute l'émotion de l'actualité ; c'est un madrigal de Louis XIV, le mariage extraordinaire de Mademoiselle, une représentation d'Esther à Saint-Cyr ; ce sont aussi, jour par jour, les péripéties du procès de Fouquet, les nouvelles qui viennent de l'armée, la consternation à l'annonce des pertes éprouvées sur le Rhin en 1672 :

:

Vous n'avez jamais vu Paris comme il est tout le monde les détails de la mort de pleure ou craint de pleurer » « Il ouvre deux fois de grands yeux Turenne en 1675 et la bouche, et puis demeure tranquille pour jamais. » «

;

;

:

/

93

94

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

Intérêt littéraire. La vivacité et le naturel sont les deux traits les plus heureux de Mme de Sévigné en tant qu'écrivain aucun effort, une élocution aisée et spon:

tanée, de jolies trouvailles d'expression, nuancées tantôt de préciosité et tantôt de réalisme, une langue nerveuse et pure font le charme de ce style que renouvelle à chaque page et dans le cours même d'une seule lettre la diversité des propos, tour à tour sérieux ou enjoués, mais plus souvent enjoués. A ce groupe d'auteurs nous joindrons le chevalier de MÉRÉ (env. 1609- 1684), ami de Pascal, arbitre des bonnes manières et législateur pointilleux des convenances ; Saint-Evremond (env. 1613-1703), critique littéraire et bel esprit sceptique; Madame de Maintenon (1635- i 719), épouse de Louis XIV, toujours sérieuse au faîte des grandeurs, éducatrice des jeunes filles de Saint-Cyr.

Bossuet (1627- 1704) Les préoccupations d'ordre moral et religieux ont tenu une place prépondérante au XVIh siècle; Bossuet est à ce point de vue le représentant le mieux qualifié de l'ancienne France gallicane et royale. « Orateur, historien, théologien, philosophe », salué par a magnifiquement La Bruyère comme un « Père de l'Église », développé les Tdées fondamentales de la tradition catholique et il

classique.

Bossuet, précepteur du Dauphin, évêque de Meaux, est la plus haute personnalité religieuse de son siècle. Jacques-Bénigne Bossuet (1627-1704), né à Dijon, d'une famille de magistrats, fut archidiacre à Metz, puis prédi-

Nommé évêque de Condom et désigné précepteur du Dauphin, il se remet aux études d'histoire et de philosophie et se consacre, sans fruit, à l'éducation de son élève. Évêque de Meaux en 1681, il se trouve par sa science et son éloquence le représentant le plus éminent de l'épiscopat français et à ce titre intervient dans toutes les grandes questions religieuses de cateur à Paris.

comme

Le XVI|e siècle

/

95

assemblée du clergé et déclaration gallicane l'époque de 1682 négociations avec Leibnitz relativement au projet de réunion des protestants avec l'Église romaine controverses contre Fénelon au sujet du quiétisme, contre Richard Simon au sujet de la critique biblique. :

;

;

Son œuvre. L'œuvre très étendue de Bossuet comprend particulièrement les Sermons, les Oraisons Funèbres, le Discours :

sur l'Histoire Universelle, V Histoire des Variations des Églises Protestantes et les Élévations sur les Mystères.

Œuvres

Dans

les

Sermons de Bossuet

sont mises en relief par

les vérités le

catholique, renouvelée par Lingendes et a connu vers 1650 une véritable renaissance. L'originalité de Bossuet, par contraste avec ses confrères, fut de n'être en ce genre ni précieux ni rhéteur. Sa prédication, un peu déclamatoire dans les premières années, devint presque familière dans les homélies pastorales prononcées à Meaux. La période la plus brillante et la plus active de sa longue carrière s'étend

Vincent de Paul,

grand Carême prononcé au Louvre marque peut-être l'apogée de son talent. Il atteint alors aux plus belles qualités de l'orateur sacré élévation des idées morales, art de dominer le sujet et de le développer largement sans aridité ni désordre ; abondance des images et noblesse de style ; enfin puissance d'un mouvement logique et impétueux par lequel les arguments et les visions s'enchaînent, se succèdent et irrésistiblement convainquent ou frappent l'auditeur. Les sermons de Bossuet, ordinairement divisés en 2 ou 3 points, sont de composition libre et très souple, laissant une grande place à l'improvisation. Ils sont étayés sur des l'inspitextes divins et des citations de Pères de l'Église ration est donc plus théologique que morale. Souvent la conclusion esr mise en relief par quelque expression éclatante empruntée à la Bible tel est le magnifique tableau, de 1659 à 1669 en 1662, devant

:

le

le

Roi,

:

:

:

morales

lyrisme du style.

La prédication

saint

oratoires

96

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

où il dépeint la chute d'Assur, symbole de l'ambitieux

repris d'Ézéchiel,

du grand arbre

:

Parce qu'il s'est élevé superbement, et qu'il a porté son jusqu'aux nues, et que son cœur s'est enflé dans sa hauteur ; pour cela, dit le Seigneur, je le couperai par la racine, je l'abattrai d'un grand coup et le porterai par '<

faîte

terre.

»

(

Sermon

sur

P Ambition. )

Au point de vue du fond, l'intention de l'orateur est de provoquer directement la charité du fidèle ou la conversion du pécheur.

Dans les Oraisons funèbres, le panégyrique du défunt devient une leçon à Végard des vivants. Les Oraisons funèbres^ contrairement aux Sermons, dont nous n'avons que des manuscrits, nous offrent le texte définitif et revu par l'auteur d'ouvrages auxquels il a dû apporter tout l'effort de son génie. Les Oraisons funèbres sont l'éloge mortuaire des grands personnages du temps Bossuet considérant ces éloges non comme un prétexte à des déclamations fastueuses mais comme l'occasion d'un sermon édifiant, fondé sur un exemple tout récent, en tire « de grandes et de terribles leçons » pour l'instruction de ses auditeurs. Malgré les difficultés du genre, dont Bossuet lui-même appréhendait les dangers, de tels sujets se prêtaient au déploiement des dons oratoires les plus remarquables biographie souvent mouvementée et tragique de personnages illustres (Henriette de France, Princesse Palatine, Condé) description de scènes pathétiques (mort de Madame), tableaux d'histoire (la révolution d'Angleterre), :

:

;

considérations philosophiques sur la puissance divine (« Celui qui règne dans les Cieux et de qui relèvent tous

épreuves de la vie, les égarements de passion ou de l'orgueil, récits de guerres, descriptions pompeuses et morceaux d'apparat (bataille de Rocroi ; péroraison émue de l'Oraison de Condé), telle était la matière splendide qui s'offrait au panégyriste. Nous rappellerons ses trois principaux chefs-d'œuvre. les empires...), les la

-

• Oraison funèbre de Henriette de France, veuve de Charles (1669). Zèle et piété de la reine dans la prosavec un courage périté ; sa constance dans les revers :

Le XVi|e siècle

étonnant, elle affronte les dangers de mer et de guerre, stimule les armées royales ; vaincue et exilée d'Angleterre, elle

s'ensevelit dans

une sainte

retraite.

• Oraison funèbre de Henriette Angleterre , duchesse d'Orléans, fille de la précédente (1670). C'est moins une biographie qu'un portrait plein de grâce que la mort vient tout à coup « offusquer de son ombre ». Vanité de la grandeur et de la gloire ce qu'une mort soudaine a ravi à Madame (« Elle a passé du matin au soir ainsi que l'herbe :

des champs...

»)

;

ce que la

mort n'a pu

lui ravir

:

sa piété,

ses mérites.

• Oraison funèbre du prince de Condé (1687). Ses qualités de cœur et d'esprit, sa piété. Sa valeur à Rocroy ; son génie militaire comparé à celui de Turenne. Péroraison célèbre invitant les grands, les compagnons d'armes, les amis de Condé et Bossuet lui-même à rendre au défunt

un dernier hommage

« Environnez ce tombeau ; versez des larmes avec des prières. » La loyauté, la gravité et l'émotion font la valeur morale de ces chefs-d'œuvre où Bossuet, par convenance, atténue sans doute les faiblesses de ses héros (défection de Condé), mais sans pourtant donner « de fausses louanges devant les autres », où sa conscience de prêtre lui fait sacrifier le brillant des qualités mondaines en regard de la piété « qui est le tout de l'homme », et où la sincérité d'une douleur personnelle perce sous l'emphase des formules « Prince, agréez ces derniers efforts d'une d'étiquette voix qui vous fut connue... » Le portrait, idéalisé sans doute, est sincère, respectueux, vivant nous connaissons grâce à lui l'intrépidité de Henriette, la douceur et la grâce de Madame « si admirée et si chérie », l'impétuosité altière et le génie de Condé, « qui portait la victoire dans ses yeux ». Ces portraits se complètent d'un large tableau des événements contemporains toute l'histoire d'Angleterre au xvii^ siècle avec la Réformation, Charles I^r, Cromwell et la restauration des Stuarts ; l'histoire de France sous la minorité et le règne de Louis XIV avec les portraits de Retz, de Le TeUier, de Condé ; l'histoire de la Pologne, surprise et envahie par Charles Gustave, sont ainsi rappelées à grands traits. Mais Bossuet commente et juge il montre toujours l'intervention de Dieu dans la vie des nations et des individus. Enfin, porté à envisager les choses :

:

:

:

:

/

97

98

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

sous l'angle qu'il a sous

plus général, prêtant à l'exemple particulier yeux la valeur d'un symbole, il nous fait voir, « dans une seule vie, toutes les extrémités des choses humaines » (Henriette de France), « dans une seule mort, la mort et le néant de toutes les grandeurs humaines » (Henriette d'Angleterre). Il nous montre dans les cas de ses personnages tout le drame de l'humanité avec ses le

les

défaillances, ses épreuves et ses vertus. C'est ainsi que Bossuet a été, comme

on

l'a dit, «

non

seulement le peintre ému des grands événements de son siècle, mais encore l'interprète éloquent des vérités qui sont de tous les temps ». La prédilection de Bossuet pour les vues générales et les exposés synthétiques devait le tourner vers l'histoire.

Œuvres

historiques

Le Discours sur

l'Histoire Universelle (1681) et morale sur les peuples

est

une étude historique

de

r Antiquité. Cet ouvrage composé en vue de l'instruction du Dauphin est depuis les origines du monde jusqu'à Charlemagne un éloquent résumé d'histoire ancienne. L'intention de l'auteur est d'expliquer tous les événements de l'Antiquité juive ou profane en les subordonnant au il expose ainsi la triomphe ultérieur du Christianisme suite de la reUgion, montrant comment, après avoir réussi à dominer le monde païen, elle a survécu seule à la ruine des Empires. Le point de vue est nettement théologique et moral, et tandis que l'histoire scientifique moderne se borne à constapter les faits, Bossuet ne craint pas d'en expliquer

— —

:

la

L'Histoire

cause d'après

des

un plan

Variations

est

providentiel.

un

exposé

des

origines de la Réforme, L'Histoire des Variations des Églises protestantes (1668) un autre genre de préoccupations c'est le plus considérable des travaux d'histoire et de controverse entrepris par Bossuet dans sa polémique contre les Prose rattache à

testants.

:

Le XVI h siècle

/

99

Les Élévations sur les Mystères^ que Ton peut compléter par les Méditations sur V Évangile et le Traité de la Concupiscence, sont un ouvrage d'édification, consacré à commenter les vérités transcendantes de la religion.

Bossuet a

Le

le style

ample, puissant, imagé.

de Bossuet, essentiellement classique, représente dans sa plénitude la meilleure prose du xvii® siècle. Les qualités dominantes en sont la force, le mouvement, l'imastyle

gination.

La

force. Gardant quelque chose de la solidité latine, de Bossuet est à la fois synthétique et clair. Dans le cadre extensif d'une phrase bien organisée, avec tout l'appareil de ses propositions relatives et conjonctives, vient se mouler une idée dans la totalité de son développement, munie de ses conséquences, de ses détails. Le mouvement. Dans cette phrase substantielle et complète, il y a un dynamisme interne, provoqué, pour ainsi dire, par la poussée des arguments et l'apparition successive des faits les verbes aller, marcher, avancer se rencontrent précisément dans les pages les plus saisissantes et donnent un tour dramatique aux scènes les plus remarquables des Sermons. L'imagination. Le sentiment constant des réalités concrètes s'ajoute au mouvement. Bossuet emprunte au monde matériel, aux impressions physiques des traits qui rendent visibles ou palpables même les vérités abstraites le style

:

:

La vie humaine est un précipice

semblable à un chemin dont l'issue affreux... On se console parce qu'on emporte quelques fleurs cueillies en passant, qu'on voit se faner entre ses mains du matin au soir... Enchantement! «

Illusion!

est

»

{Sermon de Pâques, 1685.) Parfois ce sont des comparaisons étudiées et voulues, « figures » conventionnelles ; plus souvent c'est une tournure heureuse, un terme jeté en passant, simple mais éloquent et qui révèle l'intensité d'imagination de l'auteur. Il y a du lyrisme dans cette intuition immédiate du

des

concret et dans l'émotion qui l'accompagne. L'apostrophe à la ville d'Alger, dans l'Oraison funèbre de MarieThérèse, est un exemple brillant de rhétorique et de « Tu céderas ou tu tomberas sous ce vainqueur, poésie :

Alger...

»

100

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

La Bruyère

et

Saint-Simon

La Bruyère, spectateur discret et attentif du monde, a publié ses notes dans un livre de morale écrit avec un souci très vif de la nouveauté du style Les Caractères. Les Mémoires de SaintSimon se rapportent pour le sujet à peu près au même temps et nous présentent, sous une forme plus fruste et plus injuste, un autre aspect de la même société. :

La Bruyère

eut une vie discrète et méditative.

Ancien avocat et trésorier des finances, Jean de La Bruyère (1645- 1696) mena une existence effacée, dont on connaît surtout son préceptorat à Chantilly, près du duc de Bourbon, petit-fils de Condé. Personnage digne et modeste, très estimé de Bossuet, il donne l'impression d'une nature indépendante et honnête. Son œuvre très restreinte se rattache à ce courant de littérature morale et mondaine signalé à propos de La Rochefoucauld.

Les Caractères original^

sont

un ouvrage composite

mêlé de maximes

et

et

de portraits.

La Bruyère a joint à une traduction des Caractères du Grec Théophraste une étude personnelle Les Caractères ou Mœurs de ce siècle (1688), qu'il développa à chaque :

édition.

C'est en dehors de tout plan méthodique un mélange de maximes et de portraits, groupés en 16 chapitres. Les maximes sont des observations sur la vie humaine jugée en général et des épigrammes sur les abus et les travers contemporains :

Les femmes sont extrêmes elles som meilleures ou pires que les homjnes. Il y a des créatures de Dieu qu'on appelle des hommes, qui ont ime âme qui est esprit, dont toute la vie est occupée et toute l'attention réunie à scier du marbre ; cela est bien simple, bien peu de chose. Il y en a d'autres qui s'en étonnent, mais qui sont entièrement inutiles, c'est encore moins et qui passent les jours à ne rien faire que de scier du marbre. ;

:

Le XVI|e siècle

trouvé des

s'est

Il

filles

qui avaient de

la

/

101

vertu, de la

une bonne vocation, mais qui n'étaient pas assez riches pour faire dans une riche abbaye santé, de la ferveur, et

vœu de

On

pauvreté.

un passage

a aussi relevé

peuple dans

les

campagnes

:

«

célèbre sur la misère du voit certains animaux

L'on

farouches, des mâles et des femelles... » Les portraits sont la partie la plus populaire du livre de La Bruyère ; il y dépeint non seulement les dispositions morales, mais encore l'attitude physique de ses personnages ainsi Phédon, le pauvre a « les yeux creux, le teint échauffé, le corps sec et le visage maigre ». D'autres portraits célèbres sont ceux d'Arrias, l'homme universel, d'Irène qui consulte les médecins, de Ménalque, le distrait, de l'amateur de prunes ou de tulipes. Parfois la pensée se cache sous une narration allégorique plus étendue c'est l'histoire de Zénobie, la princesse ruinée, ou le roman d'Emire, amante désespérée. :

:

Faible ou timide dans les grands sujets^ La Bruyère est cependant un moraliste judicieux et droit. Malgré le titre de son ouvrage, La Bruyère, rivalisant avec les moralistes classiques, a voulu étudier des questions qui concernent l'homme de tous les temps. Dans le chapitre des Ouvrages de l'esprit, il énonce de curieuses remarques sur le style, juge les principaux auteurs de notre langue et établit un large parallèle entre Corneille et Racine :

Corneille nous assujettit à ses caractères et à ses idées. Racine se conforme aux nôtres. Celui-là peint les hommes tels qu'ils devraient être, celui-ci les peint tels qu'ils sont... L'un élève, étonne, maîtrise, instruit ; l'autre plaît, remue, touche, pénètre... Corneille est plus moral. Racine plus naturel.

Ces textes se complètent par le Discours à V Académie La Bruyère salue les auteurs illustres du règne. Dans le chapitre du Mérite Personnel, il étudie les qualités réelles propres à un individu ou à une profession ; ailleurs il fait voir les contradictions de nos opinions et les manies de chacun (ch. de l'Homme, des Jugements, de la Mode) ; dans le chapitre des Esprits forts il combat l'orgueil des incrédules et veut établir la nécessité morale de la religion. (1693) où

102

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

Aucun parti systématique n'influence Fauteur ; sa philosophie sévère et droite, souvent nuancée d'amertume, n'est pas stérilement dénigrante comme celle de La Rochefoucauld, mais il a moins de finesse que Montaigne, moins de force que Pascal. Il est au contraire dans son véritable domaine quand

il

fait allusion

aux mœurs contemporaines.

La Bruyère a fait la critique de ses contemporains sans être pour cela V ennemi de son époque. La Bruyère n'est ni un ennemi de la société ni un adverc'est seulement un observateur du régime établi

saire

:

curieux et patient que sa situation, sa culture intellectuelle et son désintéressement disposaient à enregistrer avec plus d'impartialité les tendances sociales, les prétentions et les défauts des gens de toute condition. Les Caractères sont ainsi une satire discrète, non des individus (interprétation des clefs), mais des catégories sociales du les grands, les financiers, les gens de justice xvii^ siècle :

et parfois le clergé.

chapitres des Femmes, du Cœur, de la Société Conversation, on trouverait une étude détaillée de la Vie mondaine avec des remarques sur la préciosité, sur la pratique de la conversation, sur la psychologie des sentiments délicats, vifs et pourtant relativement artificiels, qui prenaient naissance dans un tel miheu. Dans le chapitre des Biens de Fortune, La Bruyère signale le déplacement des conditions produit sous l'influence de l'argent il montre l'importance croissante des financiers, l'intrusion des « partisans » dans les cadres d'une société aristocratique, la convoitise humaine des grands fonaionnaires ruinant une province pour assurer leur opulence, et dit son mépris pour ces âmes « sales, pétries de boue et d'ordure » que sont les gens d'argent. Enfin, dans les chapitres de la Cour, dont il peint les intrigues continuelles, des Grands, dont il flétrit l'orgueil et la dureté de cœur, du Souverain, où il fait un éloge emphatique de Louis XIV, de Quelques Usages, où il critique les abus de justice, de la Chaire, où il blâme la frivolité des prédicateurs, il nous donne comme Mohère tout un ensemble de renseignements sur le régime, la mentalité et les mœurs de l'époque.

Dans

et

de

les

la

:

Le XVI h siècle

Le

style de

La Bruyère

/

103

recherche visiblement

le

pittoresque. C'est un style très travaillé et très expressif. Recherche et précision. Visant à la fois à la brièveté, l'exactitude et l'effet, La Bruyère porte une application spéciale au choix des termes et cherche à l'aide de quaUficatifs rares, de constructions imprévues et surtout par la brusquerie du trait final à frapper l'attention du lecteur :

Ce

palais, ces

enchantent

et

meubles, ces jardins, ces belles eaux vous vous font récrier d'une première vue sur

une maison si délicieuse et sur l'extrême bonheur du maître qui la possède il n'est plus... Ses créanciers l'en ont chassé ; il a tourné la tête et il l'a regardée de loin une dernière fois ; et il est mort de saisissement. :

Une

grande variété de présentation (dialogues, dissertations, etc.) renouvelle l'intérêt, mais cette variété est le résultat d'un effort visible et quelquefois très

maximes,

fatigant.

RÉALISME. Dans les portraits il faut relever la description minutieuse et complète des gestes et de l'allure. Au lieu de déterminer les qualités abstraites des personnages, La Bruyère, avec le souci fondamental d'être véridique et d'écarter les expressions vagues et conventionnelles, enregistre les traits de physionomie, le teint et la complexion générale, la contenance, l'habillement et les actes matériels de chacun aussi bien que ses buts, ses inquiétudes ou ses pensées habituelles. (L'Amateur de prunes.)

Saint-Simon^ grand seigneur vindicatif et ambitieux^ a vécu trente ans à la Cour de Versailles. Louis de Rouvroy, duc de Saint-Simon (1675-1755), pair de France, esprit vaniteux et rageur, n'eut malgré mal vu de sa naissance que peu d'influence poHtique Louis XIV, il fut l'ami du Régent qui le chargea de missions diplomatiques importantes. S'étant retiré dans l'ombre, il rédigea au xviii® siècle ses Mémoires sur la Cour de :

Louis

XIV

(édités

seulement en 1829).

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

104

/

Ses

Mémoires

œuvre partiale

sont une

Entremêlés de redites

et

et

rancunière.

de digressions,

ils

portent sur

une période de deuils, de revers et de décadence politique Saint-Simon se constitue le chroniqueur des et morale intrigues et des scandales de la Cour de 1691 à 1722, et décrit exclusivement par ses dessous et ses laideurs une société dont La Bruyère avait été au grand jour le peintre sévère mais désintéressé. Partial et féodal, élevé dans les préjugés de la noblesse, il critique âprement la politique roturière et le caractère :

despotique de Louis le

même

pressoir, et

XIV fit

« Il mit tout le monde sous de tous, grands et petits, un vil :

peuple en toute égalité. » Il poursuit d'une rancune implacable Mme de Maintenon, les bâtards du Roi (le duc du Maine) et les Parle« Mes yeux fichés, collés sur ces bourgeois mentaires :

superbes...

Ses portraits

et

ses

»

récits

sont d'une indéniable

vigueur. Suspect dans ses jugements, mais puissant par l'intensité de ses portraits, Saint-Simon nous révèle d'un trait cru, avec des retouches nombreuses et circonstanciées, le détail physique et la passion dominante des gens. Quelques figures sympathiques apparaissent celle du duc de Bourgogne, « affable, doux, humain, modéré » ; « Il fallait effort celle de Fénelon, aimable et attirante pour cesser de le regarder. » Mais le plus souvent le portrait n'a rien d'avantageux et la haine qui trouble ou décuple la clairvoyance de l'auteur se traduit par une formule triviale et sans appel « Madame de Castries était un quart de femme, une espèce de biscuit manqué... » Ce ne sont plus les types généralisés de La Bruyère c'est tel ou tel avec le stigmate de ses tares individuelles et de ses passions. Le portrait de Dubois est une merveille réaliste et sinistre

:

:

:

:

:

Tous le

les vices

maître

:

ils

combattaient en lui à qui en demeurerait y faisaient un bruit et un combat continuel

entre eux...

Dans de grandes fresques amplement étudiées, il un détail, retracé des scènes fameuses

sans omettre

:

a,

la

Le XVI h siècle

/

105

mort du grand Dauphin (171 1), Thumiliation des membres du Parlement lors du lit de Justice qui dégradait le duc du Maine en 171 8. Dans ces grandes occasions, il met un zèle de « reporter » à s'informer des événements, à être en bonne place pour scruter, observer l'attitude, les mouvements imperceptibles et les émotions de chacun on assiste en compagnie d'un grand connaisseur d'âmes au jeu des intérêts adverses, des déceptions et des joies. De cette curiosité avide de noter les moindres incidents, d'épier l'élan secret des cœurs, résulte une impression étonnante de vérité et de mouvement. :

Saint-Simon : un

Ce

style riche ^ fougueux , incorrect. un sujet académique ». Son style est d'une âme passionnée. Aucune composition ;

n'est pas

l'expression

«

des phrases inorganisées et violentes, illuminées de formules suggestives, s'entassent et se prolongent tant que la passion n'est pas épuisée ou la narration finie. Les négligences multipliées de style, la monotonie de médisances ou de chicanes fastidieuses n'empêchent pas que ce livre incorrect et tumultueux, « écrit à la diable pour l'éternité » (Chateaubriand), ne soit une source à la fois suspecte et nécessaire pour l'histoire de l'époque. Saint-Simon n'est ni un auteur mondain, ni un moraliste, ni un historien c'est un indépendant et un témoin. :

Fénelon (1651-1715) Fénelon, prélat et littérateur, écrivain politique et religieux aux idées chimériques et subtiles, a exercé par ses dons d'agrément personnel et de style une séduction très forte sur ses contemporains.

Fénelon^ archevêque de Cambrai^ émule et rival de Bossuet, disgracié par Louis XIV. François de Salignac de La Mothe- Fénelon, disciple de Bossuet avec lequel il se fâcha plus tard, fut archevêque de Cambrai et précepteur du duc de Bourgogne, petitfils de Louis XIV. Par sa fermeté persuasive et inflexible, il parvint à changer du tout au tout le caractère de cet

106

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

enfant violent et indiscipliné, au point de faible et scrupuleux. Disgracié

dans

le

l'affaire

rendre trop

du Quiétisme

(1695), il se retira dans son diocèse. Mort en 171 5. C'était un caractère complexe, idéaliste et doux, mais très volontaire au fond et dont les contemporains, La Bruyère et Saint-Simon, se sont plu à reconnaître le charme « Cette autorité de prophète qu'il s'était et l'ascendant acquise sur les siens... ». :

Son œuvre. L'œuvre de Fénelon concerne

la

pédagogie,

les belles-

lettres, la politique, l'apologétique, la théologie.

Ses Ser-

mons, réputés pour leur onction, n'ont pas été conservés (sauf un Sermon sur FÉpiphanie), peut-être Fénelon ne les a-t-il

pas

écrits.

Les Aventures de Télémaque (1699) ont été rédigées pour Vinstruction du Duc de Bourgogne, Le Télémaque

est

un roman mythologique. Le

fils

d'Ulysse, parti à la recherche de son père, parcourt les divers pays de la Méditerranée. Mentor, son précepteur, lui enseigne son métier de roi en lui expliquant la sagesse des institutions de la Crète et du pays de Salente, mais il blâme le faste du roi Idoménée (livre XII). Fénelon nous dépeint l'idéal assez confus d'une monarchie 'à la fois absolue, aristocratique et débonnaire, et condamne indirectement la royauté despotique et belliqueuse de

Louis XIV.

La

Lettre à l'Académie expose des théories littéraires^ souvent subtiles et étonnantes. Cette lettre, rédigée par Fénelon en 17 14 pour répondre ses collègues « sur les occupations de l'Académie Française », donne le résumé de ses théories à

une question de

littéraires.



qu'il Deux chapitres excellents traitent de l'histoire et désire impartiale, plus pittoresque et plus vivante de la rhétorique, à propos de laquelle il demande plus de simplicité dans l'éloquence religieuse (cf. Dialogues sur F Éloquence).



Le XVIIe siècle

/

107

Par ailleurs, les thèses sont très contestables Fénelon voudrait enrichir la langue de mots poétiques et d'inversions ; il loue à ce titre la langue du xvi^ siècle ; il ne goûte ni la versification française ni la rime ; il recommande des sujets simples, attendrissants et champêtres, et condamne l'immoralité prétendue et le galimatias de notre théâtre classique. La Lettre à V Académie est une œuvre séduisante, écrite avec infiniment d'élégance, ornée de citations classiques, judicieuse parfois dans les détails, mais qui, à l'examen, appelle beaucoup de réserves et de critiques. En dépit des apparences, les goûts de Fénelon sont très différents de la doctrine classique comme Boileau, il dit de peindre la nature et d'imiter les Anciens, mais son art est bien moins réahste, plus doucereux et imprécis. Le dernier chapitre était destiné à résoudre le conflit entre les Anciens et les Modernes. :

:

La

Querelle des Anciens et des Modernes (lôSj-iyis) met en cause le grand principe de Vimitation des Anciens.

Depuis Ronsard la littérature française professait sans réserves le dogme de l'admiration des Anciens. Ce principe fut soudain contesté en 1687 Perrault (1628- 1703) avait dit dans un discours que :

...

Le

L'on peut comparer, sans crainte d'être injuste. siècle de Louis au beau siècle d'Auguste.

Perrault et, avec lui, Fontenelle, alléguaient comme raisons la supériorité politique de la monarchie de :

Louis

XIV

perfectionnement des procédés de style, ; le des règles, l'épuration du goût, en un mot, par analogie avec le progrès d'ordre intellectuel, le progrès littéraire, enfin, le mérite des œuvres modernes (Théâtre de Corneille).

Tous les auteurs classiques, qui avaient vécu dans le respect des écrivains anciens, protestèrent La Fontaine dans son Épître à Huet, La Bruyère dans la préface de son Discours à F Académie, enfin Boileau qui riposta par des injures d'abord, puis par de pédantes Réflexions sur Longin. Après dix ans de polémique, une réconciliation survint entre Perrault et Boileau. La querelle reprit en 1714 entre :

108

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

La Motte

et

Mme

Dacier sur

les

mérites d'Homère.

sa Lettre^ malgré les réticences apparentes, Fénelon la supériorité absolue aux écrivains anciens.

Dans donne

Le quiétisme. La nature ondoyante et généreuse de Fénelon lui avait fait adopter les principes de dévotion idéale que professait une mystique, Mme Guyon l'âme, tout entière absorbée par l'amour de Dieu, se désintéresse de ses actes, de sa vie et même de son salut ; la prière et les sacrements deviennent alors inutiles c'est le quié:

:

tisme.

Dans

U Explication

des

Maximes

formellement réprouvé de fut cependant condamné à

Le

style de

Fénelon

est caractérisé

des Saints,

Fénelon

a

conséquences. Le livre Rome et Fénelon se soumit.

telles

par

la douceur.

Ce style, admiré longtemps pour son élégance et sa pureté, est aujourd'hui vivement critiqué. On le trouve négligé et flou dans le détail, faussement enrichi d'épithètes insignifiantes et fades (gazons fleuris, printemps éternel, délicieuse fraîcheur, etc.), d'images surannées.

Conclusion sur

le

XVir

siècle

Limitée dans le nombre et la nature de ses sujets, la classique a eu pour directives l'imitation des anciens de la vie humaine. Cela a suffi pour lui assurer, grâce perfection de la forme, le succès dû à l'intérêt universel tions traitées.

littérature

et l'étude

aussi à

la

des ques-

Nous avons vu apparaître au xvii^ siècle quelques-ims des plus grands génies dont s'honore notre pays le théâtre, l'éloquence religieuse ont alors atteint leur point :

de perfection. Il sera intéressant de rechercher le degré d'originalité des œuvres produites et leurs tendances essentielles.

Le XVI|e siècle

Au XVII^

point siècle

de

a

été

/

109

vue de la forme artistique^ le une période de perfectionnement et

de maturité.

Les auteurs classiques se sont contentés des genres consacrés par Tusage et n'ont pas eu tant le souci d'inventer des idées que de donner à des pensées connues leur expression définitive (cf. Pascal, La Bruyère). La nouveauté les a moins attirés que le vrai et le beau ; Timitation leur paraisqu'à d'autres la création. ont donc sans fausse honte puisé dans la tradition antique, persuadés qu'on ne pouvait faire mieux. Pourtant, à leur insu peut-être, ils ont enrichi la valeur des œuvres qu'ils reprenaient La Fontaine a transfiguré l'apologue ésopique et Racine a ennobli de sensibilité frémissante et de majesté poétique l'art un peu schématique d'Euripide. Seul Boileau a été moins heureux, moins souple qu'Horace. sait aussi méritoire Ils

:

Une

intention morale inspire tous les auteurs.

Le souci supérieur des idées élève les écrivains au-dessus des considérations purement artistiques. Non seulement Pascal, Bossuet, La Bruyère tendent à régler les principes de la vie morale, mais les poètes eux-mêmes (Corneille, Molière) ne se sont pas désintéressés d'instruire, d'inspirer aux esprits quelque saine leçon, de définir les règles des relations sociales. En ce sens, il est vrai de dire que tous les écrivains du xvii® siècle sont des « moralistes ». Ils ont étudié les tendances permanentes des caractères humains et abordé les questnios fondamentales de la vie ils s'inquiètent ou des conditions de la destinée et du rôle de la Providence, ou de la genèse et de l'effet des passions (La Rochefoucauld, Racine). Si important que soit cet objet dans la hiérarchie de nos idées, il ejst peut-être ici trop exclusif l'art classique est vite circonscrit. Il se détourne trop de l'observation des réalités extérieures, néglige les conditions pratiques ou historiques de l'existence, la réaction particulière de chaque sensibilité, les impressions personnelles, les aspects de la nature. En résumé c'est un art plus moral que concret, plus général qu'individuel. Mais précisément parce qu'il se dégage de l'actualité, il peut être compris plus aisément par toutes les intelligences il est universel. :

:

:

110

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

U expression calquée sur la pensée essaie de joindre le

naturel à

V éloquence.

Au point de vue du style, les œuvres du Grand Siècle recherchent le naturel, mais tempéré par im certain idéal de noblesse et même de solennité dans l'expression. Le style, exact et substantiel, réahste dans le meilleur sens du mot, évite l'exagération de couleur autant que l'abstraction. Du reste, dans les écrits de la fin du règne, on retrouve un vif sentiment du pittoresque et du concret avec La Bruyère et Saint-Simon. C'est en se soumettant à de tels principes que le xvii® siècle nous a donné une série de chefs-d'œuvre qui se sont imposés à l'admiration du monde. Voltaire devait dire « Le génie n'a qu'un siècle, après avec découragement quoi il faut qu'il dégénère ». Non; mais il faut qu'il se renouvelle le xviii^ siècle n'offre d'intérêt que sur les points où il a pu renouveler ou étendre le point de vue :

:

classique.

Les grandes dates de la littérature au XVlf

siècle

• 1636 Corneille Le Cid. • 1637 Descartes Le Discours de la Méthode. • 1640 Corneille Horacey Cinna. • 1648-1652 La Fronde. • 1656 Pascal Les Provinciales. • 1668-1660 Chefs-d'œuvre de Molière, Bossuet, Racine, La Fontaine et Boileau. • 1667 Racine Andromaque. • 1674 Boileau L'Art Poétique. • 1677 Racine Phèdre. • 1687 Bossuet Oraison funèbre du prince de Condé. • 1687-1715 Querelle des Anciens et des Modernes. • 1688 La Bruyère Caractères. • 1691 Racine Athalie. :

:

:

:

:

:

:

:

:

:

Le XVlirsiècle

112

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

Introduction La

littérature

r opinion

du XVIII^

publique,,

est y

siècle,

dans

soutenue par

V ensemble, une

littérature d^ opposition.

préoccupations purement artistiques et morales précédent passent au second plan. Tandis que les poètes conservent encore et exploitent sans originalité les formules de l'art classique (principes de Boileau), un esprit nouveau, un parti pris d'opposition et de critique s'élèvent dans la société. Les écrivains, qui sont plus activement que jamais mêlés à la vie quotidienne, recueillent, publient ou devancent les récriminations ils se font les interprètes du public dont ils se prétendent en même temps les guides. Jaloux entre eux, mais cependant d'accord dans l'opposition, ils forment des coteries influentes que l'on finit par considérer comme une puissance La République des

Les

du

siècle

:

:

Lettres.

Le centre de la société se trouve changé la Cour cesse d'être le point de mire des artistes et du public. Paris maintenant éclipse Versailles par ses salons, ses cafés, par ses « nouvellistes » et ses philosophes, par le prestige des choses de l'esprit Paris devient une capitale intellectuelle, « la patrie de la société », disait Voltaire, et son prestige rayonne non plus sur la province, mais sur l'Europe entière. En Allemagne, à Naples, à SaintPétersbourg ou à Varsovie, de partout on a les yeux fixés sur Paris princes, grandes dames et lettrés sont à l'aflfût des idées, des modes, des nouvelles qui en viennent. :

:

:

La

vulgarisation scientifique et la critique traditions sont les thèmes ordinaires de la

des

nouvelle littérature. « A un homme né chrétien et français les grands sujets sont interdits », avait dit La Bruyère. Une telle restriction n'est plus de mise au xviii^ siècle et l'on arrive assez facilement à tourner les prescriptions d'une censure plus vexatoires qu'efficace.

Le XVI l|e siècle

Deux groupes de

sujets,

très

différents

/

113

d'ailleurs,

retiennent l'attention du public. Les questions scientifiques. Des découvertes fondamentales permettent ou paraissent permettre de se faire une conception définitive de la nature. La curiosité géographique se développe; la cosmographie et la physique sont complètement renouvelées par Newton; l'académie DES SCIENCES étend ses recherches au milieu de l'attention générale.

Les gens du monde veulent être instruits des nouvelles pour leur plaire, les écrivains devront tous essayer d'acquérir une culture scientifique. La critique politique et religieuse. Mais les questions sociales et métaphysiques sont d'un intérêt plus passionnant encore. Sans arrêt, à coup d'allusions perfides, d'épigrammes, de citations, on voudra attaquer la superstition et le despotisme, mots convenus sous le couvert desquels on harcelle en réalité la religion et la royauté. Ne se contentant pas de ce rôle négatif et critique, les écrivains travaillent à répandre les idées de Liberté, de Tolérance, à réaliser le Progrès, c'est-à-dire l'amélioration matérielle, intellectuelle et politique de l'humanité. Une différence profonde sépare donc les auteurs du xviii® siècle de leurs prédécesseurs ce sont des philo-

théories, et,

:

sophes réformateurs. Au lieu d'observer des caractères, ils prétendent régler la société la littérature cesse d'être désintéressée pour devenir militante. :

Uinfluence anglaise.

Dans

ces

deux

directions, scientifique et réformatrice,

ont eu pour modèle l'Angleterre. L'Angleterre, patrie des recherches expérimentales, était aussi un foyer de libéralisme et de libre pensée. Nos auteurs commentent à l'envi la Constitution anglaise avec ses trois pouvoirs équilibrés, les restrictions qu'elle apporte à l'autorité royale, sa large tolérance, la façon intelligente les écrivains

dont

On

favorise le commerce, etc. admire pour leur sagacité les écrits du chancelier

elle

Bacon sur la méthode des sciences; Voltaire imitera la poésie sentencieuse de Pope, les contes de Swift. Mais la source fondamentale sera dans les écrits du philosophe ses théories psychologiques (il explique la Locke :

114

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

formation des idées par le jeu seul des sensations Essai sur r Entendement), politiques, pédagogiques, vont inspirer tous nos réformateurs Voltaire, Montesquieu, J.-J. Rous:

:

seau. Il n'est pas jusqu'à la forme des pamphlets, l'habitude des apologues, les journaux, et même le piquant du style, « l'humour », qui ne deviennent articles d'importation.

Les œuvres

et la

forme. dans ses tentatives intellectuelles, le a été médiocre dans les genres purement tragédies, poésie (sauf André Chénier).

Intéressant XVIII®

siècle

littéraires

Dans

:

les

œuvres de propagande,

le libertinage

composition au XVIII® on

Rousseau

Les époques

l'esprit (et quelquefois

des propos) supplée à



au xvii®

fait

on

siècle

des Dictionnaires à l'éloquence

et Buflfon)

la régularité

de

la

des Discours, et (excepté chez siècle précédent.

faisait



du

et les auteurs.

La chronologie de ce siècle est facile à établir dans ses grandes lignes Les œuvres de la première moitié du siècle, peu originales pour le fond, sont conformes à l'esthétique classique (tragédies, poésies légères, études morales). :

Les œuvres postérieures à 1750, beaucoup plus indépendantes et irrégulières d'allure, sont imbues d'un esprit décidément réformateur et même révolutionnaire. Alors paraissent Candide (1759)5 VÉmile (1762), V Encyclopédie (1750- 1772).

L'Esprit des Lois avait été publié

en 1748.

Pour

faciliter l'étude, et sans

qu'à une division

prétendre à autre chose

commode, mais

guerons • Les écrivains scientifiques

arbitraire,

nous distin-

:

Buffon. • Les philosophes

:

:

Fontenelle, Montesquieu,

Voltaire, Diderot et les Encyclopé-

distes.

• Les écrivains poHtiques et moraux Jean- Jacques Rousseau. • Nous terminerons par l'étude du théâtre, de la poésie, du roman et de l'éloquence. :

Le XVIIIe siècle

/ 115

Les écrivains scientifiques au xviir siècle Fontenelle, Montesquieu, Buffon

Le

mouvement

Newton, ne

scientifique,

lancé par Descartes, accru

que se généraliser au XVIIh

par

de grands esprits travaillèrent à vulgariser les découvertes ou à développer Fontenelle contribua à la diffusion de la des études nouvelles science astronomique, Montesquieu et Buffon constituèrent l'étude des sociétés et l'histoire naturelle. fit

siècle;

:

Fontenelle^ bel esprit et mathématicien^ fut Vidéal

du savant mondain. Corneille, homme spirituel, intelligence sceptique, Fontenelle (1657-1757) fut d'abord littéraire dans la première partie de sa longue existence, c'est le bel esprit brouillon et poète, brillant défenseur des Modernes, dont La Bruyère a fait le portrait, Cydias; ensuite il se tourna, par tempérament autant que pour suivre le goût général, vers les études scientifiques.

Neveu du grand

claire

et

— —

Ses

écrits scientifiques.

• Les Entretiens sur la pluralité des mondes habités mettent l'astronomie à la portée des marquises c'est un ingénieux dialogue où la théorie se mêle à de mièvres madrigaux. • Ses Éloges, prononcés devant l'Académie des Sciences, contiennent un exposé remarquable des découvertes modernes et le portrait des esprits les plus éminents de son époque Vauban, Cassini, Leibnitz, Newton. Avec autant de souplesse que de précision, Fontenelle explique les principes et la portée de leurs travaux; il montre ces grands hommes au naturel dans la simplicité féconde du labeur quotidien. :

:

116

Ses

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

écrits philosophiques. Il a écrit en outre une Histoire des Oracles et des Dialogue des Morts où, d'une façon discrète et tendancieuse, " Assuronsil combat le dogmatisme et insinue le doute nous bien du fait avant que de nous inquiéter de la cause. » Il fait en homme du monde ce que Bayle (1647- 1706), ancien pasteur protestant devenu athée, réfugié en Hollande, avait fait comme érudit, soit dans les Pensées sur la Comète, soit dans son gros Dictionnaire historique et critique, poursuivant en tout la destruction des légendes, et aussi des croyances. Dieu ne se mêle en rien du gouvernement du monde ainsi la grande notion de Providence, tant affirmée par Bossuet et défendue par Leibnitz dans la Théodicée, se trouve sapée par la critique des deux auteurs. :

:

Montesquieu a consacré son expérience de magistrat et de lettré à V étude des institutions juridiques et sociales.

homme du monde, Charles de de Montesquieu (1689- 1755) a été, malgré la frivolité de son temps et de ses premiers écrits, l'un des écrivains les plus sérieux du siècle. Des études d'histoire naturelle et de physique, jointes à sa vaste culture de jurisconsulte et de lettré, le préparaient à entreprendre et à réussir la plus grande enquête que l'on eût encore tentée sur les sociétés humaines. Il la mena à bien après vingt années de travail. Magistrat, voyageur,

Secondât

Son œuvre. Les lettres persanes (1721) sont l'œuvre frivole de Montesquieu. Deux Persans, Usbek et Rica, en voyage, font part à leurs amis de leurs impressions d'Europe (156 lettres). C'est une satire spirituelle de mœurs pendant la Régence des institutions occidentales • La critique des mœurs. Reprenant les procédés de La Bruyère, Montesquieu fait des portraits le fermier

et

:

:

général, l'officier en retraite, le « décisionnaire » universel; il décrit avec une naïveté feinte les usages, les modes, « Paris est aussi grand qu'Ispahan... » les habitations :

Le XVIIIe siècle

• La critique des institutions. Avec une indépendance d'enfants terribles, ces étrangers exposent ce que sont la monarchie française, la religion, l'Inquisition, etc. Ils comparent avec celles de leurs pays les croyances, l'organisation de la famille et du mariage, s'intéressent au commerce et aux sciences. Les considérations sur la grandeur et la décadence DES ROMAINS (1734) sont une série de notes sur l'évolution du peuple romain. D'après l'auteur, la constitution républicaine de ce peuple devait nécessairement s'altérer avec l'extension de l'état primitif. Montesquieu a analysé avec une force particulière « la conduite que les Romains tinrent pour soumettre les peuples », la ténacité perfide et ambitieuse de la diplomatie romaine (ch. VI). Il place le début de la décadence au premier siècle avant l'ère chrétienne et n'a pas rendu justice à l'œuvre sohde et civilisatrice accomphe par « Ce projet si bien formé, si bien soutenu..., l'Empire à quoi aboutit-il qu'à assouvir le bonheur de cinq ou six monstres? » Tant au point de vue documentaire que sur la valeur des appréciations de nombreuses réserves seraient à formuler; mais cette étude attentive de l'histoire romaine a amené Montesquieu à concevoir le déterminisme :

historique

:

Ce

n'est pas la fortune (le hasard) qui domine le monde. y a des causes générales, soit morales, soit physiques, qui agissent dans chaque monarchie, l'élèvent, la maintiennent «

Il

ou

la précipitent.

»

des lois (1748) est une vaste enquête de comparée. C'est l'œuvre capitale de Montesquieu et la première tentative d'ensemble que l'on ait conçue pour expliquer le caractère et la constitution des sociétés humaines.

L'esprit

législation

,

Montesquieu analyse les caractères fondamentaux des gouvernements la répubhque, fondée sur la vertu (amour de l'égalité et de la patrie); la monarchie, fondée sur l'honneur; le despotisme, fondé sur la crainte (Livres I :

à XI).

Puis il étudie les modifications pohtiques résultant de l'organisation militaire, du commerce, des mœurs, de la religion et surtout du climat il admire la constitution :

/

117

118

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

des Anglais où s'équilibrent harmonieusement pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire. L'Esprit des Lois n'est pas un simple traité de jurisprudence c'est une synthèse puissante où Montesquieu a essayé de ranger les lois, les usages, la vie économique

libérale

les trois

:

de toutes les nations. • La documentation.

Ne

de consulter curieusement les relations des missionnaires sur l'Orient, le Japon, étudiant même les mœurs des peuples sauvages. Il a observé non seulement les lois, mais toutes les manifestations de l'activité sociale institutions religieuses, questions financières, commerciales, l'esclavage, la popul'histoire

moderne

se contentant pas

et ancienne,

il

a dépouillé

:

lation,

etc.

• La méthode. La distinction de

trois gouvernements purement arbitraire. Montesquieu s'est fait « illusion sur sa méthode J'ai posé les principes et j'ai vu les cas particuliers s'y plier comme d'eux-mêmes. »

types

est

:

ne faut y voir qu'un moyen d'introduire de l'ordre dans des questions si confuses. • La psychologie pohtique. D'ailleurs Montesquieu n'étudie pas les formes gouvernementales dans l'abstrait les faisant reposer sur la vertu, l'honneur ou la crainte, il se trouve amené à réunir la psychologie et la politique. De là, des pages curieuses et profondes sur la mentalité anglaise, l'esprit traditionaliste des Chinois, l'humeur sociable, indépendante, légère et généreuse de la nation « Laissez-lui faire les choses frivoles sérieufrançaise sement et gaiement les choses sérieuses. » • Les idées de réforme. Montesquieu s'est efforcé d'être impartial et ne rejette aucune forme de gouvernement « Chaque nation trouvera ici les raisons de ses maximes. » Il se borne à exprimer l'horreur de l'esclavage et de l'intolérance; pour éviter à son pays des dangers du despotisme (centrahsation), il s'attache à marquer la nécessité des corps intermédiaires (noblesse, parlements) qui doivent faire équilibre au pouvoir du souverain. • La science des sociétés. Montesquieu a eu le mérite d'entreprendre l'étude scientifique des relations sociales là où Montaigne et Pascal n'avaient vu que la fantaisie et la diversité (« vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà »), Montesquieu a montré qu'il y avait des rapports nécessaires que l'on pouvait énoncer et déduire. Il a élevé la pohtique au niveau de la science. Il

:

:

:

:

Le XVI l|e siècle

Le

style de

/

119

Montesquieu est ordinairement fragmentaire et piquant.

Humoristique et irrévérencieux dans les Lettres persanes, un peu emphatique dans les Considérations, le style de Montesquieu est sobre et précis, mais varié, dans L'Esprit des Lois. Phrases courtes, brillantes la suite des idées est saccadée, les transitions omises; l'ensemble :

de

la

composition

est

peu

visible.

Bujfon apporte dans Vétude des êtres vivants la patience^ le goût des idées générales.

V attention^

Né à Montbard, près de Dijon, Georges Leclerc de Bufifon (1707- 1788) fut, pendant près de cinquante ans, intendant du Jardin du Roi (Jardin des Plantes et Musém). d'abord par l'idée de décrire les collections royales, il s'attacha avec l'aide de collaborateurs de grand mérite, Daubenton, Guénau de Montbéliard, à rédiger V Histoire Naturelle (1749-1788), œuvre étendue en 36 volumes, comprenant l'histoire de l'homme, des quadrupèdes, des oiseaux et des minéraux. Lacépède écrivit plus



tard

l'histoire

des

poissons.

Savant consciencieux et éloquent, les traits du tempérament intellectuel de Buflfon sont le goût du travail, « le génie n'est qu'une grande la méthode, l'impartialité :

aptitude à la patience.

»

Sa Estimant qu'une classification systématique des êtres serait prématurée, Bufifon s'est efforcé surtout

vivants

« On doit d'en faire connaître les caractères extérieurs donc commencer par voir beaucoup et revoir souvent. » Dans l'histoire des animaux, il étudie d'abord les animaux domestiques, puis passe aux espèces sauvages. Ses descriptions sont célèbres, mais, trop élégantes ou magnifiques, elles n'ont pas la sobriété du style scientifique. Le véritable mérite de Buffon est • Dans l'exactitude des observations bien qu'il néghge peut-être les caractères anatomiques, il dépeint parfaitement l'allure, les mœurs, les goûts de tel et tel animal, :

:

:

le

miheu où

il

vit

:

le castor, le

chameau,

etc.;

méthode.

120

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

• Dans la hardiesse féconde des hypothèses. Buffon ne se contente pas d'être un observateur il cherche :

à expliquer. Il croit à l'évolution des espèces; il a pressenti qu'il n'y avait « aucune différence absolument essentielle et générale entre les

animaux

et les

végétaux

».

Dans Les Époques de la Nature (ijj^, il a entrevu les transformations du globe terrestre, dont il entreprend audacieusement de retracer les phases et les cataclysmes. S'appuyant sur des intuitions heureuses, sur l'analogie, il évoque les aspects successifs du monde et a deviné ce que devaient révéler la géologie et la paléontologie il imagine, par-delà les temps historiques, quand la Nature d'abord effervescente et tumultueuse a commencé à se calmer, la vie précaire des hommes, les premiers artisans de la pierre et les maîtres du feu. :

Sa

philosophie. Buffon est pénétré de la toute-puissance de la Nature, de sa force éternelle et féconde; mais dans la multiphcité de la création, l'homme occupe une place privilégiée est le bénéficiaire et le transformateur prédestiné il du monde minéral qu'il exploite, le maître des animaux « Qu'elle est belle, qu'il asservit, de la terre qu'il cultive cette nature cultivée! » :

:

Le

style.

Le

style

de Buffon est

l'ampleur de son sujet «

clair et

grandiose

:

il

a compris

:

L'histoire civile, bornée d'un côté par les ténèbres d'un

temps assez voisin du nôtre, ne s'étend de

l'autre

qu'aux

petites portions des terres qu'ont occupées les peuples

soigneux de leur mémoire embrasse également tous

;

au

lieu

que

l'histoire naturelle

tous les temps et n'a d'autres limites que celles de l'Univers. » les espaces,

Chez la

lui la dignité de la phrase s'élève de pair avec majesté des idées. Plus que les pages trop apprêtées

uniforme noblesse, nôus neuve et forte pensée qui lui a inspiré les visions splendides des Époques de la Nature. Dans son Discours à V Académie (1753), il définit le « l'ordre et le mouvement qu'on met dans ses style pensées. » Il recommande de « nommer les choses par

de ses descriptions admirons maintenant

:

et

la

leur

Le XVI l|e siècle

les

termes

les

plus généraux

mots techniques ou

rares.

«

»,

/

121

c'est-à-dire d'éviter les

Les ouvrages bien

écrits sont

seuls qui passeront à la postérité »; il voit en effet dans l'art de l'écrivain la marque d'authenticité qui doit « le style assurer à l'auteur la propriété de ses idées est l'homme même. »

les

:

Voltaire (1694- 1778) Pour ses contemporains. Voltaire fut d'abord un poète de génie après 1750, leur apparut de plus en plus comme un philosophe et devint l'oracle du siècle. Vieillard infatigable et combatif, exerçant sa critique et son activité dans tous les sens, a exercé sur son temps une influence profonde. ;

il

il

La

vie de Voltaire^ trépidante et souvent tracassée^ s^achève à Femey^ au milieu d^une popularité européenne.

Fils d'un notaire parisien, François-Marie Arouet, qui devait bientôt immortaliser le pseudonyme de Voltaire, reçut chez les Jésuites une brillante éducation littéraire. On peut, dans sa carrière remarquablement remplie et dont il est indispensable de connaître les grands événements, distinguer quatre périodes. Sa jeunesse. Sa jeunesse fut studieuse et agitée. C'est une succession d'imprudences, de succès littéraires et de disgrâces politiques. Enfermé à la Bastille en 171 7, puis en 1726, il est exilé en Angleterre (1726- 1729); mis en présence d'idées et de mœurs nouvelles, il gagna à ce voyage plus de maturité et d'étendue d'esprit. Cependant son activité est purement littéraire ; poète, il écrit La Henriade et compose de nombreuses tragédies Œdipe (1718), son premier succès; Brutus, Zaïre (1732). Après la publication des Lettres philosophiques (1734), il dut quitter Paris. Le séjour près de Madame du Chatelet (1735-1749)Pour éviter de nouvelles vexations. Voltaire se retira à Cirey, près de la frontière de Lorraine. C'est la période laborieuse de sa vie travaux scientifiques {Éléments de :

:

122

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

Newton)^ historiques {Siècle de Louis XIV Mœurs, ouvrages publiés plus tard), et Alzire, Mérope. encore des tragédies Voltaire a Berlin (1750- 1753). Frédéric de Prusse lui avait offert le titre de Chambellan Voltaire avait pour fonction de re viser les écrits du roi. Les relations furent orageuses entre le roi et le secrétaire; Voltaire qui s'était brouillé avec les autres protégés français de Frédéric (le médecin Maupertuis, président de l'Académie de Berlin) revint furieux, non sans avoir été molesté la philosophie de

et Essai sur les

:

:

Francfort. vieillesse de Voltaire. Voltaire se retire aux DéUces, puis à Ferney (1759) sur la frontière suisse. Désormais en sûreté, et tout en s'occupant de faire prospérer son domaine, il publie une multitude d'écrits contes, à

La

:

pamphlets philosophiques

et irréligieux;

mémoires

judi-

sur les affaires Calas, Sirven, La Barre, etc. Il organise la lutte contre l'Église; son prestige est universel; les rois lui écrivent et l'honorent. Rentré à Paris, où il est l'objet d'une réception triomphale, il succombe le 30 mai 1778. ciaires

U intelligence

de Voltaire

est

d*une vivacité surprenante.

Souplesse de son génie. Voltaire est un esprit remarquablement doué à défaut d'originalité, il a su assimiler sans peine une quantité d'idées et de connaissances. Également intéressé par la physique, les vers, l'histoire, la politique, il a été un « touche-à-tout » de génie; il :

pouvait dire Tous

:

les

goûts à

la fois

sont entrés dans

mon

âme.

Facilité et fécondité de son talent. Cela explique dans les genres les plus divers, et que pendant soixante ans, malgré son état maladif et sa vie agitée où les fêtes, les déplacements et les préoccupations financières ou politiques avaient autant d'importance que la philosophie et les lettres, il ait prodigué les écrits et inondé son siècle de poèmes, de récriminations, de qu'il se soit essayé

contes, etc.

SuPERFiciALiTÉ. Malheureusement, cette facilité même Brûlant de dire son avis sur tout, de propager ses connaissances à mesure qu'il les concevait, de faire lui a nui.

Le XVI l|e siècle

/

123

admirer son esprit, il s'est dispersé. Il n'a pas eu la patience de discipliner son talent et de parfaire ses œuvres. MÉDIOCRITÉ MORALE. De plus Voltaire n'a eu que de l'esprit et un idéal tout pratique de bon sens et de bienêtre. Il a été rarement soutenu par une inspiration élevée, par une conviction généreuse. Il a sans doute été humain et tolérant, mais les mesquineries de son âme ont transpiré il apparaît envieux, intéressé, dans ses écrits flatteur, indécent, souvent menteur, prudent jusqu'à la poltronnerie. Même au seul point de vue artistique, ses œuvres se sont ressenties de cette défaillance. :

En

a abordé le genre épique, la tragédie, la poésie didactique et galante.

poésie, Voltaire

Les vers furent pour Voltaire l'occupation et le charme de sa vie et l'occasion de ses premiers triomphes. Poésie épique La Henriade (1728). Épopée en dix chants sur l'avènement d'Henri IV, sa victoire sur la Ligue. Le passage fondamental est le récit du siège de Paris. Voltaire exprime son horreur des discordes civiles et reHgieuses. Il crut avoir traité le seul sujet épique qu'il y eût dans notre histoire; en réalité, ce n'est qu'un récit long et fictif, « embelli » suivant les règles de Boileau par l'intervention de personnages allégoriques la Discorde, le Fanatisme, la Clémence. Tragédies. Voltaire a composé inlassablement des tragédies Œdipe (171 8), qui le rendit célèbre; Brutus :

:

:

(1730); Zaïre (1732), pièce musulmane; Alzire (1736), pièce péruvienne; Mérope (1743), tragédie sans amour. Voltaire a essayé de renouveler les sujets tragiques en s'écartant le plus souvent possible de l'antiquité grecque et romaine. Avec une ingéniosité trop visible, il cherche à frapper surtout la curiosité et la sensibilité du public

par le mouvement de l'intrigue, la nouveauté du décor (costumes étrangers) et en prodiguant les scènes pathétiques. Zaïre est la plus émouvante de ses tragédies après soixante années de combats et de captivité, le vieux chevalier chrétien Lusignan retrouve sa fille, Zaïre, qu'il croyait perdue, vivante mais élevée dans la religion :

infidèle et fiancée

Mon

au sultan Orosmane

Dieu, qui

me

la rends,

me

la

:

rends-tu chrétienne?

124

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

Mais

il

manque

nages vivants;

il

à Voltaire le don de créer des personcherche à racheter ce défaut par des

allusions satiriques ou morales. Chaque tragédie devait inculquer une leçon d'humanité ou de tolérance Œdipe :

une critique du clergé; Alzire condamne la violence et Mahomet est une protestation contre le fanatisme. Poésie didactique et légère. Parmi les œuvres diverses de Voltaire figurent un grand nombre d'autres compositions poétiques. Les sept Discours sur Vhomme (1738) sont un code de morale indulgente où, dans des dissertations inspirées de Pope et de Boileau, l'auteur définit les conditions pour être heureux. Les Satires et les Épîtres montrent au vif le caractère de l'écrivain. Dans Le Mondain^ après une description ironique du temps d'Adam et d'Ève, il fait l'éloge du bien-être moderne est

:

Oh!

le

bon temps que ce

Dans VÉpître à Horace,

siècle

de

fer!

résume

à grands traits sa avec Frédéric, décrit région de Ferney et approuve pleinement l'idéal épicuil

vie, ses goûts, rappelle ses relations la

rien d'Horace

:

Jouissons, écrivons, vivons,

mon

cher Horace.

et La Vanité il couvre de ridicule son ennemi, l'obscur abbé Trublet, le poète Le Franc de Pompignan, etc. Des épigrammes, des madrigaux, des épîtres flatteuses achèveraient de montrer la diversité du talent de Voltaire. Il faut ajouter à cette liste le poème burlesque et scandaleux de La Pucelle.

Dans Le Pauvre Diable

Fréron,

Par

ses œuvres historiques^ Voltaire a renouvelé Fart de peindre les mœurs du passé.

curieux de Voltaire recherches historiques.

L'esprit les

XH

devait

le

tourner vers

Histoire de Charles (1731). Biographie du roi de Suède; récits des batailles de Narva et de Pultava. En retraçant la carrière de ce prince qui, par ses folles entreprises, causa la ruine de son État, Voltaire ne peut s'empêcher d'admirer le caractère aventureux et exceptionnel de l'ohmme. Incidemment, il expose la réorganisation de l'Empire russe et fait le portrait du tsar Pierre le Grand.

Le XVII h siècle

Le Siècle de Louis XIV(i75i). Cest l'image grandiose d'un règne dont l'auteur admire la puissance politique et la perfection littéraire, mais dont il regrette les divisions religieuses. L'ouvrage est composé d'une façon singulière, chaque ordre d'événements étant étudié dans un cadre distinct

:

l'histoire

politique et militaire, les anecdotes

Cour et la personne du Roi, puis l'administration, le commerce, les beaux-arts et les affaires ecclésiastiques. Essai sur les Mœurs et l'Esprit des Nations (1756). Manuel original et critique d'histoire universelle. Voltaire sur la

a voulu faire la continuation et la réfutation indirecte du Discours de Bossuet. C'est une histoire sommaire des nations européennes ou asiatiques depuis les temps de Charlemagne jusqu'au xvii® siècle. Voltaire y dépeint ce qu'était le genre de vie à chaque époque en montrant les

progrès de

la civilisation.

Voltaire a eu de réelles qualités d'historien la curiosité, la patience, la mémoire, le sentiment du pittoresque. La documentation est consciencieuse, la mise en œuvre toujours soignée. Il a élargi le point de vue historique. L'histoire politique (vie des rois, récits des guerres et traités) se trouve remplacée par un tableau étendu de l'activité des peuples, de leurs coutumes, de leur vie matérielle, de leur littérature, de leur commerce, etc. Il a rendu l'histoire vivante par la manière habile dont il ménage et retrace les phases des événements {Charles XII), par la multitude d'anecdotes et de détails circonstanciés qui intéressent et instruisent le lecteur en lui donnant l'impression de la réalité. {Siècle de Louis y Essai sur les mœurs.) Malheureusement, l'interprétation est presque toujours tendancieuse. Voltaire ne peut comprendre la mentalité des époques et des races, si leur idéal choque sa sensibilité ou ses préjugés attentif à relever les stupidités ou les atrocités des « temps barbares », il manque d'esprit historique, d'impartialité. Ses livres ont eu pour résultat de fausser longtemps le sentiment du passé, en dénaturant notamment tous les faits religieux de l'humanité l'étabhssement du Christianisme, les Croisades, la Réforme. Néanmoins, le Charles XII demeure une intéressante a contribué à fixer biographie; Le Siècle de Louis devant la France et l'étranger l'image d'une époque mémorable de notre histoire. Quant à VEssai sur les :

XIV

:

:

XIV

/

125

126

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

Mœurs,

a été remplacé par des ouvrages modernes auteurs, appliquant avec plus d'esprit scientifique et d'impartialité les principes mêmes de Voltaire, ont réalisé précisément ce qu'il avait tenté de faire et

dont

il

les

que nous appelons maintenant

l'histoire

intégrale.

Les

écrits philosophiques de Voltaire vulgarisent des idées dHntérêt pratique ou social,

La philosophie de

Voltaire ne vise pas à l'originalité : inspirée de Bayle et de Locke, elle consiste à soutenir les doctrines dont Voltaire reconnaît l'utilité sociale et pratique, et néglige tout le reste. Les Lettres philosophiques (1734). C'est l'ensemble des impressions que l'auteur a rapportées d'Angleterre. Après un essai rapide sur la secte des Quakers, Voltaire décrit avec une sympathie manifeste les lois, la civiHsation

presque

et la

entièrement

pensée anglaises.

ÉLÉMENTS DE LA PHILOSOPHIE DE NeWTON (1738). Exposé des théories physiques de Newton (théorie de encore peu connues en France où régnait l'hypothèse des « tourbillons » de Descartes. l'attraction)

Le Dictionnaire philosophique (1764). Ce recueil portatif », en sept volumes, contient, incessamment grossi de 1750 à 1772, une série d'articles sur la philosophie (âme, Dieu, homme, ignorance), la rehgion (Enfers, genèse,) la morale (gloire, guerre) et la littérature (beauxarts, goût, style, etc.). C'est « la raison par alphabet »; on y trouve l'expression définitive et sans réticence de la pensée voltairienne. La philosophie générale de l'auteur est facile à résumer • En métaphysique, le déisme, c'est-à-dire une religion sans culte et sans révélation. Mais pour la conservation de l'ordre. Voltaire maintient expressément la croyance «

:

en un Dieu « rémunérateur et vengeur ». • En morale, la tolérance et la justice. Voltaire ne reconnaît guère que les vertus sociales; le plaisir lui semble le but naturel et légitime de la morale individuelle. • En politique, confiant dans la philosophie des princes « éclairés » (tels que Frédéric et Catherine II), craignant les passions aveugles de la démocratie, il est partisan d'xm HbéraHsme mitigé la liberté d'écrire lui semble :

surtout

nécessaire

et

bienfaisante.

Le XVII h siècle

/

127

Les œuvres polémiques de Voltaire sont la critique des abus ou des préjuges ». ((

Il n'est pas toujours aisé de distinguer les ouvrages de polémique de ceux qui ont été étudiés dans la section précédente ce sont les mêmes idées, mais présentées sous une forme agressive et insidieuse, souvent allégorique, :

ressassées inlassablement selon les occasions et les exigences de Tactualité. Les Contes. Voltaire a laissé une vingtaine de petits romans. Tantôt la fantaisie prend une allure orientale, s'enrichit de paraboles, d'une phraséologie imagée et sentencieuse histoire de Zadig (1747), le sage et infortimé ministre du roi Nabussan; tantôt, plus fantastique encore, :

elle

imite les fictions de Swift

:

MtcromégaSy récit de

l'exploration faite sur notre globe par un habitant de Sirius et un habitant de Saturne. Candide (1759) est le plus sarcastique et le plus animé des romans de Voltaire après les aventures les plus dramatiques dans tous les pays imaginables, en Prusse, en Portugal, en Amérique (description de ,« l'Eldorado »), Candide, l'élève du philosophe optimiste Pangloss et l'amant de la belle Cunégonde, se console de ses mésaventures en cultivant son jardin « Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes! » Voltaire souligne combien la réalité dément cette maxime de Leibnitz. Il ne faut pas chercher dans les romans de Voltaire la vérité dans l'observation morale ou dans l'intrigue :

:

:

ne sont que des pantins qu'il s'amuse à faire gesticuler. Le thème fondamental est un voyage où le voyageur apprend à ses dépens à se défaire de toutes ses illusions; c'est une façon pittoresque de passer en revue tous les pays et d'en signaler les abus la malhonnêteté des fonctionnaires dans Zadig; les cruautés de l'Inquisition espagnole dans Candide; la souplesse des Jésuites et l'iniquité des lettres de cachet dans L'Ingénu, etc. La vivacité de style, égayé de pastiches nombreux, la rapidité étourdissante et comique des événements rendent très amusants ces récits et en dissimulent la ses personnages

:

conclusion cruelle. Mais la raillerie, toujours piquante, est souvent grossière. Les pamphlets et dialogues. On ne peut énumérer tous les essais, entretiens, écrits improvisés où Voltaire a livré une guerre tenace contre les institutions et le

128

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

Dans les Dialogues entre A. B. C. (1768) critique sévèrement le régime politique; dans la Bible enfin expliquée {1J76) et bien d'autres ouvrages, il s'ingénie à relever les contradictions des Livres Saints, les cruautés commises par les Hébreux ou par l'Église, les scandales, Christianisme.

il

etc.

Les mémoires judiciaires. Profitant de la sécurité qui lui assurent sa résidence à Ferney et son prestige universel. Voltaire s'est attaché à faire réparer les déplorables erreurs d'une procédure et d'une législation barbares. Il fit réhabihter la mémoire de Calas, protestant de Toulouse, condamné en 1762 sous l'inculpation fausse d'avoir assassiné son fils, donna asile à la famille Sirven (1765) proscrite pour un motif semblable, intervint en faveur du chevalier de la Barre et de Lally-ToUendal, gouverneur des Indes. C'est au sujet de Calas que Voltaire écrivit son Traité de la Tolérance (1764), éloquent plaidoyer en faveur de la liberté de conscience. La présentation habile et pressante des arguments, la logique et l'émotion sincère font de cet écrit l'im des meilleurs de Voltaire.

La Correspondance de Voltaire est des faits et idées de son temps.

un

répertoire

Il nous reste environ 13 000 lettres de Voltaire et nous n'avons cependant pas la correspondance entière. Il fut en relations avec les rois (Frédéric II, Catherine II), ministres (d'Argenson, Choiseul) les philosophes les (d' Alembert, Diderot) et tous les personnages considérables de son temps. On peut suivre d'abord dans ces lettres l'épanouissement des idées du siècle et y retrouver l'écho des événements politiques, des discussions littéraires et économiques, le tableau des mœurs, le récit des actes du gouvernement, tantôt violent, tantôt étrangement faible,

et toujours maladroit. la correspondance achève de nous donner complet de Voltaire son caractère intrigant, souvent insinuant et hypocrite, sa jalousie haineuse de J.-J. Rousseau, Fréron, etc., son souci des questions financières (lettres à Thiériot,) la façon fructueuse dont

Surtout,

le portrait

:

Le XVI ll« siècle

/

129

développe le domaine de Ferney et place le produit bas de soie, horlogerie, etc. de ses manufactures Ses occupations littéraires on le voit attentif à la répétition de ses tragédies et inquiet de leur succès; travaillant d'autre part à éditer les œuvres de Corneille afin de pouvoir doter la nièce du poète qu'il avait recueillie. Son activité philosophique Voltaire agit en véritable chef de parti; il assure l'impression et la diffusion en contrebande de ses ouvrages, encourage les dirigeants du mouvement encyclopédiste et convie ses adeptes à la « Écr. l'inf. » (Écrasons l'infâme!) Avec grande lutte d'Alembert et Frédéric, il suppute la destruction prochaine de l'Église, qui symbolise à ses yeux l'intolérance. il

:

:

:

:

La

critique

littéraire

de Voltaire reste classique

avec élève des Jésuites, a eu un souci trop vif pour ne pas tenir à exprimer ses opinions littéraires. On les trouvera formulées dans un essai poétique. Le Temple du Goût (1734), dans le chapitre 32 du Siècle Voltaire,

du

style

XIV (beau tableau des écrivains classiques), dans le Dictionnaire philosophique (art. Esprit, Goût, Imagination, etc.), dans le Commentaire sur Corneille {i'j6^\ enfin dans la Correspondance. On est d'abord surpris par l'étroitesse de goût dont fait preuve l'auteur puriste, épluchant le sens des mots et les incorrections, attentif aux « bienséances » et au naturel, il critique sévèrement les prétendues négligences des auteurs, les bouffonneries de Molière, les archaïsmes de La Fontaine; il est injuste envers Corneille, dont il blâme le sçyle déclamatoire et pompeux. Respectueux de Boileau, il admire l'harmonie, la noblesse de Racine. Quant à Shakespeare, dont il estimait d'abord la vigueur, il flétrit le goût barbare de ses farces « monstrueuses ». On ne peut donc se rallier sans réserve aux jugements de Voltaire; ses conseils sont plus intéressants il recommande la clarté, la mesure, la pureté du langage, le naturel. Ce sont les qualités caractéristiques de la prose française et en même temps celles que Voltaire a possédées au plus haut degré. de Louis

:

:

étroitesse.

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

130

/

La

brièveté et Vesprit sont les marques

du

style

de Voltaire.

Nous venons de définir les qualités propres du style simplicité, clarté, correction. Joignons-y de Voltaire la rapidité et l'esprit. Voltaire vise à la brièveté, procédant par petites phrases incisives, élégantes, il cherche à présenter l'idée sous la forme la plus réduite et, aussitôt qu'il l'a définie, en aborde une nouvelle. Mais cette concision n'a rien de sec et d'abstrait; au contraire, la pensée est vive, spirituelle; elle se tourne volontiers en épigramme. De là les charmes et aussi les limites du style de Voltaire il ne s'élève presque jamais à l'éloquence. :

:

Uinfluence de Voltaire a été très grande^ mais elle a été plutôt intellectuelle et politique que littéraire.

En

littérature. Voltaire n'a rien innové de vraiment si ce n'est, avec le conte philosophique, le style et les procédés de la polémique. En politique, au contraire, son influence a été considérable ; il rempUt de son nom l'histoire du xviii^ siècle. Par la campagne qu'il a menée à partir de 1734, il a discrédité les institutions de l'Ancien Régime et a ruiné dans son siècle l'autorité morale de l'Église. Aujourd'hui, si nous essayons d'apprécier impartialement son rôle, nous lui saurons gré d'avoir vulgarisé beaucoup de connaissances utiles en histoires, en physique, d'avoir semé une foule réforme de la procédure d'idées pratiques et généreuses judiciaire, abolition de la torture, unification des poids, mesures et coutumes, répartition équitable des impôts, abolition des entraves apportées au commerce, etc. intéressant,

:

Il a fait réparer des iniquités odieuses; il a attaché sa gloire à la défense des idées de justice et de liberté de

conscience.

Personnellement, sur son domaine de Ferney, il a encouragé avec intelligence l'agriculture et le travail :

J'ai fait

un peu de bien

:

c'est

mon meilleur ouvrage.

Le XVI ll« siècle

Diderot

/ 131

d'Alembert L'Encyclopédie et

Diderot et d'Alembert firent, dans Y Encyclopédie, la théorie de cet esprit philosophique que Voltaire entretenait et disséminait dans le public; c'est un esprit de réforme et d'hostilité à l'égard du passé ayant pour but de « changer la façon commune de

penser

».

Diderot^ esprit agité mais travailleur énergique^ a été un défenseur infatigable de Vesprit philosophique. Esprit impétueux, changeant, Denis Diderot (17 13- 1784) vie irrégulière et laborieuse, fut l'ami de d'Alembert et de Grimm, le protégé de Catherine II. Ses œuvres, dont les meilleures sont Le Neveu de Rameau (roman d'un musicien exalté) et sa Correspondance^ se remarquent par un style désordonné, fougueux, éloquent. Dans toutes sortes d'écrits, qu'il n'a même pas publiés, il a déversé au hasard des intuitions de génie et des paradoxes.

mena une

Ses Idées littéraires et dramatiques. • La sensibilité de l'auteur ou de l'acteur est un obstacle à la perfection du rôle ou de l'œuvre celui qui est ému ne raisonne pas {Paradoxes sur le Comédien). • Réforme du théâtre. Il faut remplacer la tragédie par un drame bourgeois, emprunté à la vie réelle; dépeindre des relations professionnelles ou familiales, des « conditions » le magistrat, le financier, le père de famille, et non plus des caractères abstraits. {Dorval et moi.) Idées artistiques. Dans des 5û/o«5 célèbres (1759-1781) il s'apphque à traduire la scène représentée par un peintre et commente surtout la sensibilité et le caractère moral des tableaux de Greuze. Idées sociales. Les lois, les institutions, la propriété sont des inventions despotiques; l'homme doit vivre dans la libre nature, sans contrainte. {Supplément au Voyage :

:

de Bougainville

1772.)

idées.

132

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

Dans VEntretien d'un Père avec ses enfants^ il allègue droits de rhumanité à rencontre des prescriptions

les

légales qui sont arbitraires et iniques.

Idées sur l'histoires naturelle. Les êtres vivants sont une agglomération de cellules; la conscience et la vie de l'organisme supérieur ne sont que la somme de ces consciences élémentaires c'est quelque chose comme un essaim d'abeilles qui auraient fusionné en un seul être. Idées sur la philosophie. Diderot n'admet ni Dieu, ni Providence, ni morale. {Lettre sur les aveugles à Vusage de ceux qui voient, 1749.) :

U

Encyclopédie

fut un dictionnaire œuvre de propagande

( 1^51-1 jj 2 )

d'intérêt pratique et une

philosophique,

U

Encyclopédie est une vaste publication, en dix-sept volumes, comprenant l'exposé complet des métiers, de la science et de la philosophie au xviii® siècle. L'édition, qui demanda vingt ans, fut suspendue en 1759; elle ne put être achevée que grâce à la ténacité de Diderot et à la connivence du ministre, M. de Malesherbes. Au point de vue pratique, c'était un immense et utile répertoire de toutes les connaissances de l'époque articles sur les arts et métiers, accompagnés de planches documentaires, établies avec le plus grand soin. Au point de vue philosophique, c'était une critique ouverte ou détournée des croyances religieuses où l'on poursuivait en même temps, sous des dehors respectueux, :

la

destruction des

«

préjugés

»

sociaux

:

autorité, noblesse,

pouvoir royal, privilèges, etc. « Aucun homme n'a reçu de la nature le droit de commander aux autres. »

Malgré la valeur inégale des articles, cette compilation, rédigée avec le concours des esprits les plus réputés, présentée au nom de la science et de la raison, s'impose à l'opinion comme l'expression définitive de la pensée humaine enfin « éclairée ».

Le mathématicien d'Alembert a

été

le

chef de

file des Encyclopédistes.

Grand mathématicien, téressé,

esprit sympathique et désinmais dépourvu de goût httéraire, d'Alembert

(17 17- 1783) a rédigé le Discours Préliminaire de VEncy-

Le XVII h siècle

clopédie



montre

/ 133

succession des sciences et voit de la philosophie. Il écrivit à Frédéric une lettre très digne pour refuser la présidence de l'Académie de Berlin. Secrétaire perpétuel de TAcadémie Française, il en fit un foyer d'esprit libéral et philosophique.

dans

il

la

le xvii^ siècle le siècle

Condorcet

(1743-1794)

a

été

théoricien de ridée du Progrès.

le

Gentilhomme distingué, mathématicien et philosophe, ce disciple de d'Alembert joua un rôle important dans les assemblées poHtiques de la Révolution. Proscrit comme Girondin, il rédigea, avant d'être arrêté, VEsquisse d'un tableau historique des progrès de Vesprit humairiy bel acte de confiance dans l'avenir où il voit les nations plus civihsées, les individus plus heureux, grâce à la disparition des inégalités, à la répartition mieux équihbrée des fortunes, au développement des institutions de prévoyance, de l'instruction et de l'hygiène.

Les salons encyclopédistes et la Ce sont

Société

elles-mêmes qui ont accueilli des philosophes; les salons aristocratiques d'échange et de diffusion des doctrines nouvelles.

les classes privilégiées

et accrédité les idées

ont été

le lieu

La

société

du XVIII^

siècle s'est montrée très sympathique aux philosophes.

Une du

vie mondaine très active a marqué tout le cours xviii^ siècle; mais, sous la Régence et au début du

règne de Louis XV, les divertissements étaient l'unique objet de la société (salon de la duchesse du Maine); à partir de 1745 environ, la préoccupation des idées sérieuses apparaît dans le grand monde.

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

134

/

Les

salons,

LA MARQUISE DU Deffand, vieille femme aveugle et dénigrante, correspondante de Montesquieu et de Voltaire,

Cependant elle reste grande dame d'Ancien Régime et rejette les idées avancées. MADAME Geoffrin, bourgeoise ordonnée et affable, extrêmement riche, mettait son orgueil à recevoir beaucoup

recevait d'Alembert.

d'hôtes le mercredi, elle Helvetius, les gens de lettres. :

Poniatowski,

l'appelait

V Encyclopédie. MADEMOISELLE

DE

«

recevait

Le

roi

maman

Lespinasse,

Diderot,

Galiani,

de Pologne, Stanislas ». Elle subventionna ancienne

lectrice

de

Madame du

Deflfand, fut peut-être la plus intelligente et la mieux douée de ces maîtresses de conversation « les têtes qu'elle remuait à son gré n'étaient ni faibles ni légères ». Ardente, exaltée, elle se passionnait pour les idées et s'enthousiasmait sur les gens. :

MADAME d'Épinay, amie de Grimm,

recueillit

Jean- Jacques Rousseau. D'une valeur morale très supérieure furent

chez

elle

d'Egmont

et la

duchesse de Choiseul

:

femmes

madame d'esprit

de la dignité. madame Necker où se forma, parmi les entretiens les plus sérieux de politique et de morale, Germaine Necker, la future Madame de Staël. de cœur, elles eurent à Citons enfin le salon de

et

la fois

de

l'idéal et

Les aristocraties étrangères ont accepté docilement goûts et les principes de V aristocratie

les

française.

A

l'énimiération des maîtresses de maison, il faut joindre celle des causeurs et des correspondants MarMONTEL, moraliste attendri; Chamfort, célèbre par ses :

boutades; Gallani, petit abbé italien, mondain et pétillant; GRIMM, qui adressait une correspondance périodique aux souverains étrangers sur tous les événements politiques et

littéraires.

Grâce à ces intermédiaires, un échange d'idées se créait dans toute l'Europe entre les aristocraties de la naissance et celle de l'esprit. Les idées de Paris étaient accueilhes, commentées avec faveur dans les cours étrangères en Allemagne, à Naples, en Suède, à Pétersbourg. La langue française acquiert alors une universalité incontestée; on

Le XVII h siècle

/

135

dans toutes les capitales; elle n'est pas seulement langue de la diplomatie, mais celle du cœur et de la raison. En 1784, l'Académie de Berlin couronne sur ce sujet un Discours fameux de Rivarol. la parle la

)'

Jean- Jacques Rousseau (1712-1778) Rousseau est moins un philosophe qu'un moraliste; cet homme désemparé, ballotté par la vie, a tiré de son cœur et de son imagination personnelle des règles de conduite auxquelles se sont ralliées des générations entières.

Jean-Jacques Rousseau eut une vie romanesque^ sans foyer et sans amitiés fixes.

Né à Genève en 1712, Jean-Jacques Rousseau mena une existence errante et malheureuse où Ton peut distinguer deux haltes :



Aux Charmettes

Chambéry, près de de sa j exmesse

:

(1738-1740),

dans

les

environs

de

Mme de Warens, qui fut la protectrice

ce fut

A

[

une période de repos, de bonheiu:

et d'étude.



L

1

\

Montmorency, dans

propriété de l'Ermitage (1756d'Épinay, puis chez le Maréchal de 1759)3 près de Luxembourg. Ce fut la période féconde de Rousseau, où, dans la paix de la nature, il élabora ses grands ouvrages La Nouvelle Héloïse^ VÉmile, le Contrat social. • Entre ces deux arrêts se place ce qu'on pourrait appeler la

Mme

i

J [

:

| »

l

vie mondaine de Jean- Jacques Rousseau : musicien réputé, philosophe original, ami pour im temps de Diderot et de Grimm, il est accueilli dans les salons et compose la

un opéra

Le Devin de Village. • Avant, sa vie n'est que l'histoire d'un enfant abandonné et vagabond; après, c'est l'existence traquée d'un proscrit. A la suite de la pubUcation de VÉmile (1762), il est banni de France et repoussé de Neuchâtel où il avait cru pouvoir se

:

réfugier.

.

|

136

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

Ses écrits démocratiques {Lettres écrites de la montagne, 1764) provoquent à Genève même une véritable guerre civile. Après un court séjour en Angleterre, il obtient de rentrer en France où, malade, hanté par le désir de se justifier, il rédige les Confessions et se distrait à d'inoffensives études de botanique. Mort à Ermenonville, chez le marquis de Girardin, le 2 juillet 1778.

La

misanthropie et la sensibilité de Rousseau se

sont exaltées dans la solitude.

Nature étrange et faite de contrastes, Rousseau représente une personnalité aussi riche que déconcertante. Son histoire révèle son inaptitude radicale aux exigences de la vie sociale impossibilité de s'astreindre à une carrière déterminée, d'accepter la contrainte des bienséances mondaines ou même les charges sacrées de la famille (il plaça à l'Hospice ses cinq enfants). Sa sensibilité exaltée dérègle son jugement, provoque en lui de véritables crises physiques et morales, des émotions intenses, des enthousiasmes et de brusques défiances. Elle explique la facilité de son pathétique, la vigueur spontanée de son éloquence et de son lyrisme; il devient misanthrope, de là aussi sa neurasthénie craintif. Son imagination fantasque déforme totalement la réalité des choses; incapable d'observer objectivement, il se fait sur les événements, les institutions et les individus les idées les plus étranges. :

:

Cependant, malgré les défaillances de sa conduite et égarements de son jugement, Rousseau garde un fond il a souffert de l'existence, et de candeur et de bonté s'il n'a pas eu la force de se conformer à son idéal, il a toujours eu le culte et la passion de la vertu. les

:

V œuvre

de Rousseau repose sur bonté de Phomme. Toute principe

la

le

principe de la

de Rousseau se résume dans ce

doctrine

:

«

La

le

nature a déprave et

l'homme heureux rend misérable. »

fait

le

et

bon, mais

la société

Le XVII h siècle

Dans

ses

/

137

premiers manifestes^ Rousseau fait la critique de la société.

Profitant de roccasion d'un concours littéraire, « ébloui » rintérêt des questions proposées par l'Académie

par

de Dijon, Rousseau, d'ailleurs encouragé par Diderot, se décida d'enthousiasme à publier ses théories. Dans un premier Discours (1750) il montre que le progrès des arts et des sciences, en introduisant le luxe, la corruption morale, fruit du biena perdu les peuples être et des lettres, prépare leur décadence (prosopopée de Fabricius). Dans le deuxième Discours (1754), il établit que l'inégalité, fléau de la vie humaine, est une conséquence de la propriété et de la vie sociale il chante, par contraste, l'état de nature où l'homme est sauvage, bon, libre et :

:

heureux.

Dans rectifier

la Lettre

les

à d'Alembert (1758), écrite en vue de parues dans V Encyclopédie au

afiirmations

Genève, Rousseau se félicite que les spectacles ne soient pas tolérés dans cette ville le théâtre, image fidèle des passions et du goût pubHc, ne peut prétendre à réformer les mœurs. Rousseau s'en prend surtout à Molière qui a amoindri et faussé, selon lui, le caractère « mais il fallait faire rire le parterre. » d'Alceste Après cette critique complète de la vie et des mœurs modernes, Rousseau exposa en trois grands ouvrages, publiés presque simultanément en 1 761- 1762, ses théories sur la rénovation de l'éducation individuelle, de la famille et de l'État. sujet de

:

:

Dans

ses œuvres de maturité^ Rousseau a développé son idéal de réforme, L'Émile pose les principes d^une « éducation naturelle ».

UÉmile est un roman pédagogique. L'enfant, élevé un précepteur d'élite, est soustrait à toutes les

par

contraintes de l'enfance (maillot, leçons livresques, etc.) et soigneusement écarté de la société (éducation négative); il acquiert d'abord par l'exercice une santé robuste, et, par des leçons de choses, les premières notions pratiques des sciences; adolescent, il apprend à gagner personnellement sa vie (métier manuel); son éducation morale se développe il saura être bon, tolérant, religieux. Du haut des Alpes, en présence des merveilles de la création. :

138

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

nature étalait à nos yeux toute sa magnificence », prêtre avait révélé à Jean-Jacques l'existence d'un Être suprême et lui avait enseigné à écouter la voix de la

«

la

un

« Conscience! Conscience! instinct divin... conscience guide assuré d'un être ignorant et borné! » {Profession de foi du Vicaire Savoyard). L'économie du système de Rousseau consiste donc • à soustraire l'enfant à toutes les influences sociales, ou, du moins, à retarder le plus possible leur action sur lui de façon qu'il développe seul ses tendances natives; • à échelonner successivement la formation de ses facultés physiques, intellectuelles et morales. Au point de vue pratique, cette éducation solitaire et truquée est irréalisable; elle est, de plus, purement hypothétique après avoir pris goût à la vie sauvage, rien ne garantit que l'élève s'accommode à la société et y excelle. Il semble aussi que l'aaion du précepteur s'exerçant à chaque instant finirait par tuer en lui toute initiative. :

:

:

:

La Nouvelle Héloïse

:

un roman passionnel^ un

idéal de vie familiale et champêtre, Julie d'Étanges, bien qu'elle soit éprise de son professeur Saint-Preux, a dû, sur l'ordre de son père, épouser M. de Wolmar. Celui-ci, comptant sur la loyauté de son épouse, appelle Saint-Preux à partager leur vie cette situation fausse et douloureuse pour JuHe se prolonge jusqu'au moment où celle-ci meurt en voulant sauver un de ses enfants en danger de se noyer. Rousseau présente son roman sous la forme d'une « Lettres de deux amants. » Cette correspondance peinture enflammée, d'une situation à la fois simple et romanesque, ofifrait un pathétique facile; on fut frappé de la sincérité et de la générosité des personnages. C'était aussi une protestation contre le préjugé des « mésalliances », une critique des mariages sans amour et xm tableau idyllique d'une vie simple et vertueuse dans la paisible demeure de Clarens s'associent la joie :

:

:

et le travail.

paysages du Valais, vendanges, veillées d'hiver, etc., à ce roman dont la longueur et l'emphase

La nouveauté des épisodes ajoutait

des

un

descriptions

saisons,

attrait

nous rebutent aujourd'hui.

:

Le XVII h siècle

Le Contrat

/

139

Social donne la théorie d*une démocratie égalitaire.

Dans cette esquisse, Rousseau, sans tenir compte des contingences historiques, a conçu un type idéal de république, sur le modèle embelli des législations de Sparte et

de Genève.

Dans un

style abstrait et impératif, Rousseau proclame caractère arbitraire et conventionnel du lien social, affirme la souveraineté inaliénable du peuple et expose la théorie de l'égalité absolue des citoyens. Sa doctrine, le

rigoureusement démocratique, est fondée sur Texpression directe de la volonté populaire (ce que nous appelons aujourd'hui le référendum) puisqu'il n'admet même pas

du gouvernement

la

vahdité

il

est vrai, la possibilité

représentatif. Il n'envisage, législation que dans les

de sa

États de très petite étendue. Il subordonne la liberté individuelle à la volonté toute-puissante du « Souverain », c'est-à-dire de la majorité, et veut imposer une reUgion civile réduite à quelques dogmes simples. Sa plus grande erreur est de supposer un peuple abstrait et malléable au gré du législateur, « un peuple qui n'a point encore porté le vrai joug des lois, qui n'a ni coutumes ni superstitions bien enracinées », alors que les traditions imposées par la race, le milieu et l'histoire sont les forces prépon-

dérantes que reconnaît la sociologie.

Les Confessions (rédigées entre 1765 et 1770) sont un panégyrique émouvant et orgueilleux de Rousseau par lui-même. En vue de

se justifier, Rousseau décida de dévoiler de sa vie, afin de prouver au moins la pureté de ses intentions. Il décrit sa jeunesse errante et insouciante, quelques-unes de ses indéUcatesses de laquais ou de précepteur, les instants de bonheur qu'il a vécus aux Charmettes, sa

l'histoire entière

Madame d'Épinay^ ses longs démêlés avec Grimm et la « coterie holbachienne ». Il montre son âme se perfectionnant par un effort soutenu

liaison et sa rupture avec

et arrivant enfin à concevoir et à suivre

un

idéal vertueux.

ii

140

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

Malgré de nombreuses erreurs,

la brutalité

de certains

aveux. Les Confessions (complétées par les Dialogues : Rousseau^ juge de Jean-Jacques) sont im document unique pour connaître le caractère de l'auteur, surtout sa sensibilité frémissante et maladive et son orgueil. Les Rêveries d^un promeneur solitaire, d'un ton plus apaiséj dépeignent sa vieillesse et son amour de la nature.

Les idées de Rousseau^ paradoxales et absolms^ apportaient une conception simpliste de la vie et de la société.

Bonté de l'homme. Rousseau

croit

que l'homme

est

par lui-même capable de vertu, que la pitié est en lui un sentiment inné, que toutes nos passions, prises dans leur tendance primitive avant d'avoir été faussées, sont « nécessairement bonnes Tout est bien sortant des mains de l'Auteur des choses. » NÉGATION DU PROGRÈS. Toutes les circonstances et institutions qui ont éloigné l'homme de son état de nature sont mauvaises; Rousseau aurait volontiers sacrifié le bien-être matériel pour reconquérir l'innocence originelle. :

Rien n'est plus opposé aux idées de Voltaire. Affranchissement de l'individu. Rousseau sera donc disposé à éluder les nécessités qui gênent la libre expansion de l'individu, qui l'assimilent à un groupe, à une nation, restreignent son action et la soumettent à l'action collec« Dès l'instant qu'un homme eut besoin du secours tive d'un autre, l'égalité disparut, la propriété s'introduisit, le travail devint nécessaire. » Par une contradiction frappante Rousseau asservit le citoyen, mais d'une façon momentanée et révocable, à la volonté pubUque. Vertu et croyance. L'homme, Hbéré de toute contrainte, ne sera pas pour cela livré à ses instincts, comme avec Diderot, ou plutôt, pour éclairer ses instincts, Rousseau lui assigne un idéal la vertu, et un guide la conscience. « Toute la moralité de nos actions est :

:

dans

le

jugement que nous en portons nous-mêmes

:

»,

règle singulièrement fragile et subjective. Enfin, l'homme pratiquera les vertus sublimes de l'Évangile. De toute la force de son âme, Rousseau croit en Dieu et l'adore, mais sans se conformer à une religion. Cette attitude lui valut l'attaque des Encyclopédistes, du clergé catho-

Le XVIlh siècle

/

141

lique (l'archevêque de Paris, Christophe de Beaumont) le déisme sentimental de et des Pasteurs de Genève VÉmile fut la cause des persécutions qu'a essuyées :

Rousseau. Toutes ces idées tendaient en somme à exalter l'individu; au lieu d'en faire une critique facile, il sera plus loyal de déterminer la part de vérité qu'elles expriment. D'abord, il est faux que Rousseau ait voulu nous ramener à l'état sauvage, nous faire « marcher à quatre pattes »; son état de nature n'a rien de la brutalité à laquelle aspirait Diderot; c'est un état d'innocence paisible (parfaitement chimérique d'ailleurs) qu'il regrette, mais qu'il sait « la nature ne rétrograde jamais. » irréalisable à nouveau Il rêve maintenant d'une sorte de société patriarcale et laborieuse où les familles vivraient dans une libre et saine aisance c'est la vie des paysans helvétiques et l'idéal de La Nouvelle Héloïse. Il est faux qu'il ait voulu :

:

proscrire en bloc les lettres, les sciences et même le bienêtre, mais il subordonne tous ces avantages au développement de la moralité, à la possession de la vertu et du courage.

Ses idées, équitablement comprises et sagement rectiapparaissent alors plus souvent excessives que foncièrement fausses. fiées,

Il

a

vu au moins que

la société

moderne

était

fondée

sur la propriété; il a montré les dangers d'une civilisation intensive qui déchaîne la concurrence des individus et leurs appétits égoïstes; il a marqué l'utilité d'une éducation plus saine et plus pratique, proclamé le bonheur de la vie familiale, posé les principes de l'égalité politique et de la souveraineté nationale. Les doctrines de Rousseau sont donc un étrange

mélange de sophismes et de vérités l'histoire et la réalité ne comptent pas à ses yeux. Ses théories émanent de son tempérament^: ce sont moins des idées que des croyances, de là leur simpUcité et leur force de propagation. :

Un Style vibrant et énergique^ souvent déclamatoire. La dialectique

et l'éloquence. Toujours affirmatif convaincu, Rousseau pose une formule absolue, paradoxale et inoubhable; puis la développe sous un appareil un peu tumultueux de preuves, d'exclamations, d'apos-

et

142

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

un axiome appuyé par la déclamation. D'autres fois, son imagination reconstitue une scène frappante et pathétique il évoque un héros, un personnage vrai ou imaginaire, lui prête des paroles véhémentes. Tant d'assurance jointe à ce tour oratoire impose silence trophes, etc. C'est

:

à l'esprit critique, étourdit et enthousiasme le lecteur. Le lyrisme. Surtout ce style ample et passionné devait traduire avec ime force inconnue les notions nouvelles que Rousseau introduisait dans la littérature le sentiment du moi, à la fois sincère et arrogant, si net dans les derniers écrits de Rousseau et qui s'opposait à l'impersonnalité classique; la sensibilité et la passion, d'où viennent ces crises de larmes, ces brusques transports et tant de scènes pathétiques de La Nouvelle Héloïse enfin les impressions de la nature. En même temps qu'il retrouvait les forces profondes de la vie humaine, Rousseau, dépassant le :

:

de La Bruyère et des romanciers, révélait campagne, des lacs et des monts, les sensations du grand air, le calme de la rêverie. Par ces sentiments,

réahsme

étroit

l'aspect de la

a régénéré la littérature abstraite du xviii^ siècle et préparé le Romantisme.

il

Uinfluence de Rousseau s^est prolongée jusqu'à notre temps et rCa pas encore cessé (ïagir, EN LITTÉRATURE, le paragraphe précédent montre en quoi l'œuvre de Chateaubriand et tout le mouvement romantique dérivent de Rousseau. AU POINT DE VUE MORAL il a popularisé les goûts pastoraux du xviii® siècle (Trianon), affiné non sans exagération la sensibilité régnante, remis à la mode l'affection conjugale et maternelle et restauré le sentiment religieux combattu par Voltaire. EN POLITIQUE, il a préparé directement les théories de la Révolution française et Mirabeau, Robespierre, Marat, chacun suivant son tempérament personnel, sont nourris de ses œuvres; il a énoncé les idées répubUcaines et, l'on peut dire, pressenti le sociaHsme contemporain.

Vauvenargues fut un

esprit généreux.

Jeune officier dont la carrière fut brisée par la mauvaise Vauvenargues (17 15- 1747) fut un noble caractère

santé,

:

Le XVII|e siècle

/

143

Ses talents, son travail continuel, son application à bien pu fléchir la dureté de sa fortune. » Malgré les déceptions, il garda confiance dans la nature humiane ses Réflexions et Maximes respirent un stoïcisme généreux et optimiste. Antérieurement à Rousseau, il croit à la bonté de l'homme, à la force du sentiment « Nos passions ne sont pas distinctes de nous-mêmes il y en a qui sont tout le fondement et toute la substance de notre âme ». « Les grandes pensées viennent du cœur ». « Il faut avoir de l'âme pour avoir du goût ». «

faire n'ont

:

:

:

Théâtre et Poésie au xviif siècle A

côté des œuvres considérables de Voltaire et de Rousseau, théâtre paraît brillant mais superficiel, malgré la finesse de Marivaux et les audaces de Beaumarchais; mais la poésie, étiolée et abstraite, présente, après un siècle de stérilité, un grand poète André Chénier. le

:

La

tragédie est

un genre qui

épuise lentement.

Le défaut de la tragédie (illustrée d'abord par CréBILLON (1674- 1762), qui recherche les situations effrayantes) est de se glacer dans une ennuyeuse noblesse; seul Voltaire, on l'a vu, sait rajeunir le genre il lui donne la variété, :

mouvement

le

et

l'attrait

des allusions philosophiques.

Entre 1750 et 1785, Ducis essaie d'adapter des drames de Shakespeare Lear, Macbeth.

La

timidement Hamlet, Le Roi

très :

comédie doit à Marivaux

et

à Beaumarchais son originalité.

La

très variée, présente beaucoup plus pour faciliter l'étude, nous en distinguerons principales époques en commençant avec Regnard,

comédie,

d'originalité; les

144

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

qui,

en

réalité, devrait se rattacher

au

précédent

siècle

:

La comédie amusante en vers (1690-1708), avec Regnard. Beaucoup de mouvement et de gaieté au lieu :

de réfléchir aux conséquences réelles des situations dépeintes, Regnard ne pense qu'à s'amuser, sans arrière-pensée. Ses pièces, fertiles en quiproquos et en situations imprévues, d'une verve étourdissante, font le succès de la comédie d'intrigue Les Ménechmes, Le Légataire universel. La comédie satirique, en prose, avec Lesage (1668de creuser

les caractères et

:

1747) qui peint a

pour sujet

Avec

lui, la

les

des financiers Turcaret (1709) aventures d'un « traitant » malhonnête.

la société

comédie quitte

:

la fantaisie

pour

le

réalisme.

La comédie précieuse

et sentimentale (1720- 1740) avec Marivaux {Le Jeu de V Amour et du Hasard). Marivaux s'attache à la peinture élégante et subtile des sentiments; psychologue, il analyse la tendresse plutôt que la passion et s'est spécialisé dans les sujets simples et délicats dans « J'ai guetté les scènes de dépit, de badinage et d'aveux dans le cœur humain toutes les niches différentes où peut se cacher l'amour, losqu'il craint de se montrer. » Le marivaudage désigne précisément ce jeu subtil et infiniment nuancé de sentiments à l'état naissant, comme l'amour lorsqu'il est encore tenu en échec par la pudeur, aussi bien que le style assez souple pour exprimer ces nuances. La comédie larmoyante et le drame, avec Nivelle :

de La Chaussée (1735) et Diderot (vers 1760). C'est une tentative pour introduire dans les sujets bourgeois, jusqu'alors ridicules, l'émotion et le pathétique. concerne Diderot {Le Père de famille), ce fut

En

ce qui

un échec. avec Beaumar-

La comédie agressive (1772- 1784), chais. Beaumarchais, qui mena une vie d'aventurier et de spéculateur, eut des démêlés retentissants avec la justice; dans des Mémoires fameux, il vilipenda un de ses juges, le conseiller Goëzman. Au théâtre, il reste de lui deux pièces excellentes Une fantaisie espagnole, très gaie Le Barbier de Séville (1775)5 chef-d'œuvre de la comédie d'intrigue, où, sous des déguisements variés, un seigneur amoureux, aidé de son valet, s'introduit près de la jeune Rosine et la délivre de la tutelle barbare du vieux Bartholo; Une satire morale et politique très hardie Le Mariage de Figaro (joué en 1784). Cette pièce, brillante et sensuelle, d'une animation étourdissante, est un véritable jeu de :

:

:

Le XVIIIe siècle

/

145

cache-cache, où, par les seules ressources de son ingéFigaro défend l'honneur de sa fiancée Suzon contre Tinconduite du comte Almaviva, son maître. Mais c'est aussi un pamphlet étincelant contre l'incapacité et l'immoralité des grands, les privilèges de la naissance, les subtilités de la magistrature, et les vexations du régime (lettres de cachet, censure, etc.) niosité,

:

«

Ne pouvant avilir l'esprit, on se venge

en

le

maltraitant.

»

Les mêmes personnages reparaissent dans les deux comédies le Comte Almaviva, grand seigneur galant et désœuvré; Figaro, valet astucieux, débrouillard et insolent, qui finit par se poser dans un monologue emphatique comme une incarnation du Tiers État en face de la noblesse. Contre ses adversaires trop avantagés, il n'a l'esprit; il s'en sert et les discrédite; c'est qu'une arme le symbole d'un siècle. :

:

La

poésie a été renouvelée

par André Chénier.

En dehors des essais de Voltaire, eux-mêmes insuffisants, toute la production poétique est manquée • Inspiration nulle, à laquelle on supplée par la mythologie :

par une prétendue noblesse d'expression. • Style sans précision emploi constant de périphrases (l'Astre du Jour, le Père des Mois) et de métonymies (l'airain, canon, cloche ou chaudière; coursier, cheval; génisse, vache; beauté ou objet, jeune fille; Mars, la guerre; Cérès, la campagne; le Parnasse, la poésie). • Versification harmonieuse et monotone, avec coupe régulière invariablement à l'hémistiche. En dehors de l'épopée traitée par Voltaire et de la poésie légère et galante, les auteurs se sont engagés dans deux genres principaux La poésie lyrique. Odes de jean-baptiste Rousseau (1671-1741) et de Lebrun (1728-1807) strophes sonores et vides, d'un ton plus ferme chez le premier, plus agité et plus factice chez le second. La poésie didactique. Poèmes de louis Racine (1692-1763) sur La Religion, de Roucher (1745-1794), sur Les Saisons, de Delille (1738-18 13) sur Les Trois règnes de la nature et F Imagination, garnis de continuelles et vagues descriptions. et

:

:

:

146

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

Un

seul poète, ayant vraiment Tinspiration, apparaît à la fin du siècle André Chénier. :

André Chénier^ qui

rêvait d'aune poésie moderne^ le charme des sujets

a mieux rendu que nul autre antiques.

Né à Constantinople, où son père était consul de France, André Chénier (1762- 1794), qui fut quelques années secrétaire d'ambassade à Londres, était un gentilhomme épris des idées libérales et encyclopédistes; s'étant lancé dans les luttes des partis, royaliste modéré, il voulut s'opposer aux excès révolutionnaires et fut guillotiné en thermidor an II (juillet 1794). Ses œuvres ont été publiées en 18 19. Ami du plaisir et des arts (Élégies), ennemi des « préjugés », épicurien, sinon athée, il ne se distingue de son siècle que par un sentiment profond de la poésie et sa connaissance de l'Antiquité. Ayant le sens de la véritable beauté des Classiques, il put s'affranchir des conventions étroites du « goût » contemporain. Ses théories. L'ambition de Chénier

était

de renouveler toute

poésie en décrivant les découvertes de

la

science

la

moderne

:

Les sciences humaines N'ont pu de leur empire étendre les domaines Sans agrandir aussi la carrière des vers. (L'Invention.) Il

avait donc conçu un ouvrage didactique, UHermès, aurait recommencé le poème de Lucrèce. Sa poétique



il

se

résume dans

le

vers célèbre

:

Sur des pensers nouveaux faisons des vers antiques.

En

Chénier a entrevu à peine

les « pensers » développés; la portion la plus parfaite de son œuvre est antique de forme et d'inspiration.

réalité,

nouveaux

Son œuvre

qu'il

aurait

antique. Il ne nous a laissé que des ébauches et des fragments, mais d'une réelle beauté, œuvres à la fois délicates et

grandiose

:

les

Bucoliques.

Le XVII h siècle

V Aveugle. du

vieil

Large

Homère,

pâtres de Syros

«

rhapsodie

accueilli

»j

au

/

147

décrivant les vicissitudes des flots par des

sortir

:

Je vous salue, enfants venus de Jupiter. Heureux sont les parents qui tels vous firent naître! Mais venez que mes mains cherchent à vous connaître...

La Jeune Tarentine. Tableau d'un charme plastique incomparable :

Mais, seule sur la proue, invoquant les étoiles Le vent impétueux qui soufflait dans les voiles L'enveloppe... Elle crie, elle tombe, elle est

au sein des

flots.

Son œuvre

(Tactualité.

En

dehors de ses Élégies voluptueuse ou mélancoliques, fait servir son .talent à la défense de ses convictions politiques les ïambes, pièces au rythme saccadé, sont une protestation indignée contre les Terro-

André Chénier a

:

ristes

:

[Mourir sans vider mon carquois!...] resterait donc pour attendrir [Sur tant de justes massacrés!]

Nul ne

Pour consoler

leurs

fils,

leurs

l'histoire

veuves, leur mémoire!

La Jeune

Captive est une élégie où, s'attendrissant sur d'une compagne de captivité, Chénier traduit les plaintes de celle-ci et son amour de la vie

le sort

:

Qu'un

stoïque aux yeux secs vole embrasser la mort Moi je pleure et j'espère ; au noir souffle du Nord Je plie et relève la tête Je ne veux pas mourir encore!

:

!

Le style de Chénier joint

la grâce

à

la hardiesse.

Imbu des modèles classiques, ce style est un mélange harmonieux de noblesse et de familiarité pittoresque :

possède la couleur et la précision. Des réminiscences savantes ou instinctives donnent Chénier aux Bucoliques l'aspect même des originaux retrouve les constructions, les ellipses audacieuses et les aUiances verbales admises dans les langues anciennes; Ronsard seul avait essayé des tours aussi hardis il

:

:

148

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

Se trouble

et déjà tend les mains à la prière... Si vous... N'eussiez armé pour moi les pierres et les cris.

La versification, très neuve, irrégulière, essaie de briser par des rejets fréquents la cadence rituelle de l'alexandrin. L'œuvre inachevée de Chénier donne l'impression d'un talent sûr et original.

Le roman au XVlir

siècle

Sans connaître un développement comparable à celui du siècle suivant, le roman est un genre en expansion, qu'ont illustré des écrivains aussi différents que Lesage, Marivaux, l'abbé Prévost, Bernardin de Saint- Pierre, Laclos, Sade.

Le roman picaresque, né en Espagne au

xvi^ siècle

parvenu à son plus haut éclat dans la seconde moitié du xvii^ siècle, exerce une grande influence sur les écrivains français du début du xviii® siècle. Les romans et

espagnols racontaient les aventures savoureuses et colorées de « picaros », personnages vivant en marge de la société et connaissant des fortunes très diverses tout au long de leur vie. Les romans français qui s'inspirent de cette tradition sont en général des monographies qui, en faisant suivre au lecteur les péripéties d'une existence, sont le prétexte à une étude critique des mœurs. Lesage (1668- 1747) est le principal représentant de cette tendance avec son Gil Blas de Santillane {i'7iS-i'J'iS)i histoire d'un jeune homme naïf au départ que des aventures éduquent peu à peu et qui parvient même à la sagesse. L'action du roman se déroule en Espagne, mais c'est en fait la société française que Lesage dépeint avec pré-

humour. Marivaux, surtout connu par

cision et

ses

comédies, à écrit

aussi des romans, dont les plus importants,

La

Vie de

Marianne (1731-1741) et Le Paysan parvenu, illustrent un sens satirique comparable à celui de Lesage. L'abbé Prévost (1687- 1763), dont la fécondité était grande, n'est pourtant passé à la postérité que grâce à VHistoire du Chevalier des Grieux et de Manon Lescaut

Le XVI l|e siècle

(1731)5 mais son succès fut immédiat et durable. Il y a encore des aspects « picaresques » dans le récit de ses aventures mouvementées, mais l'intérêt essentiel porte sur le spectacle de la passion invincible qui attache jusqu'à la mort le héros à l'héroïne et qui font de cette œuvre un des plus beaux romans d'amour de notre littérature. Prévost a réussi à faire sonner vrai et juste une histoire parfois à la limite du vraisemblable et il a su donner à ses héros, romantiques avant la lettre, un charme et une jeunesse qui les rendent inoubliables. L'œuvre principale de Bernardin de Saint-Pierre (1737- 18 14) est aussi un roman d'amour, Paul et Virginie, qui raconte le destin émouvant de deux êtres jeunes et purs qui s'aiment, et que seule la mort de la jeune fille parvient à séparer. Mais Bernardin de Saint-Pierre, ami et disciple de Rousseau, a chargé son roman de toute ime prédication où se retrouvent les grands thèmes de la Nouvelle Héloîse, puissance de la passion, innocence de la nature, accordée à la pureté du cœur, dans im décor exotique emprunté aux souvenirs vivaces que l'écrivain avait gardés de son long séjour à l'Ile de France. Choderlos de la clos (1747- 1803), tout comme l'abbé Prévost et Bernardin de Saint-Pierre, ne doit sa notoriété qu'à un seul livre. Les Liaisons dangereuses. C'est un roman par lettres, dont les personnages principaux sont le brillant vicomte de Valmont qui a élevé, non sans cynisme, la séduction au niveau d'un art et de Merteuil, xme ancienne maîtresse devenue sa confidente et sa compHce. Valmont séduit tout à tour, ou simultanément, la dévote présidente de Tourvel et la naïve Cécile Volanges. Mais l'histoire finit mal Valmont est tué en duel et de Merteuil promise à une mort misérable, Laclos, si on l'en croit, aurait voulu faire œuvre morale et ne peindre le vice que pour mieux s'en détourner, mais ce propos, déjà affiché par l'abbé Prévost, n'est pas tout à fait convaincant. Les qualités formelles de l'œuvre, en revanche, sont éclatantes par-delà la diversité des styles prêtés à chaque personnage. La formule même du roman par lettres, si elle comporte des inconvénients, a l'avantage, que Laclos a exploité au maximum, de permettre au romancier de varier les points de vue en faisant raconter à plusieurs personnages un même événement. Les Liaisons dangereuses sont une des œuvres les plus fortes de leur siècle.

Mme

:

Mme

/

149

150

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

Le Marquis de Sade (1740-1814), libertin lui-même, ne revendiquait pas pour ses livres une ambition morale autre que la recherche du plaisir, effrénée parce que toujours insatisfaite. Justine ou les malheurs de la vertu (1791), puis Juliette ou les prospérités du vice (1798) sont les œuvres d'un anticonformiste qui, par prédilection, célèbre Térotisme dans le paroxysme où il rejoint la cruauté. Les outrances mêmes ont valu à cette œuvre curieuse un ostracisme tenace, sans doute excessif, ou bien à l'opposé une admiration de principe, sans doute excessive elle aussi.

La

littérature politique

sous

la

Révolution L'arrivée

au

pouvoir d'individualités neuves,

événements eurent pour conséquence, sous

la

gravité

des

Révolution, la création d'une littérature politique, mais cette production improvisée et confuse fut très inégale. Ni l'éloquence de Mirabeau, des Girondins et de Danton, ni la prose de Camille Desmoulins ne se

sont imposées

Le génie

comme

la

des modèles classiques.

oratoire de Mirabeau,

La réunion des grandes assemblées déhbérantes (Constituante et Législative) ouvrait pour la première fois depuis le xvi^ siècle le champ libre à l'éloquence politique. L'orateur le plus réputé fut Mirabeau. Tempérament sensuel, violent et généreux, intelligence vaste et réaliste, Gabriel Riquetti de Mirabeau (i 749-1 791) avait eu ime existence tourmentée, remplie de dissensions familiales et de scandales; à l'heure des troubles, porté en avant par les acclamations du Tiers, il ne se trouva pas déconcerté. Il rassemble en lui les traits contradictoires d'un opposant et d'un organisateur. On connaît sa réplique hautaine dans la Salle du Jeu de Paume (23 juin 1789) « Allez dire à votre Maître... » Mais il veut dominer le désordre, relever la nation, établir un gouvernement fort c'est la tendance générale de sa politique à travers :

:

Le XVI l|e siècle

/ 151

compromissions et les marchandages journaliers. Son éloquence est forte, joignant aux vues sérieuses, à ime connaissance des réalités politiques, des explosions de fureur, de sensibilité ou d'indignation, des images « La Banqueroute, la hideuse Banqueroute tragiques est là; elle menace de consumer vous, vos propriétés,

les

:

votre honneur... et vous déUbérez?

»

Les autres orateurs de la période révolutionnaire affectent une éloquence déclamatoire. Girondins, dont les mieux eurent une éloquence souple, aisée, vivante, qui se prêtait facilement à l'exposé des idées générales, aux dissertations émouvantes sur l'amour de la patrie, la liberté, la justice et la loi. danton, plus énergique, affecte les formules brutales qui entraînent le peuple. « Que m'importe d'être appelé buveur de sang ? Eh bien, buvons le sang des ennemis de l'humanité » Robespierre 1758- 1794), au contraire, s'imposait par la logique filandreuse et dogmatique de ses discours. D'une façon générale, l'éloquence révolutionnaire a présenté une puissance incontestable, mais momentanée. Elle a pour nous l'intérêt de nous donner un écho des heures affolantes ou sinistres de 1792 et 1793, de l'Invasion, de la Terreur, de nous manifester, drapé à l'antique, le génie fulgurant des hommes de l'époque, mais, dans son fond et son allure, elle ne fait que reprendre la substance des tirades de Rousseau lieux communs sur le patriotisme, l'immortalité, les droits du peuple, le tout nourri d'allusions aux héros de Plutarque, à Lycurgue, aux Gracques et à Brutus, d'invectives, d'hyperboles tragiques et de prosopopées.

Sous la Convention, doués furent vergniaud

les

et isnard,

!

:

La presse :

Camille Desmoulins,

La presse, représentée par une multitude de feuilles concurrentes, se signale par la violence de ses attaques, plus haineuses encore que celles de la tribune. Un seul talent intéressant se révéla, celui de Camille Desmoulins (1760- 1794), mort sur l'échafaud. Ce ne fut pas un politique à larges vues, mais un impulsif, citoyen enthousiaste, sincèrement désireux du bien public.

152

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

Conclusion sur

XVllf

le

siècle

Pris dans son ensemble^ le XVIII^ siècle donne tout d^abord Vimpression d^un siècle frivole.

Un

courant

de

préciosité

et

de libertinage, visible

surtout dans les œuvres secondaires, s'étend de la Régence jusqu'à la veille de la Révolution. D'ailleurs, l'esprit de conversation, très développé en ce siècle, avec ses avantages a aussi des défauts. En même temps qu'il développe la clarté, l'aisance, la finesse, il stimule l'ironie, nuit à la gra\ité de la pensée; il détourne les auteurs de l'application consciencieuse à une grande œuvre; il les rend superficiels. FonteneUe, Montesquieu, Voltaire, Beaumarchais ont visé à l'espnt, sinon au bel esprit, pour donner à leurs idées un tour plus agréable décisifs,

:

Dites-Dous, célèbre Arouet, rombéen vous «vcz sacxifié de beautés mâles et forces à nocre texsse dâiattSK, et combien Tesprit de gaknterie, a fertile en petin cfaoses, vous en a coûté de grandes ? * (Jean- Jacques Rooaeau.) I

Le A17//^

siècle

a

la

glorifié

sensibilité

et

la

passion.

Cependant

sentiments généreux finissent par de l'esprit. La sensibilité, sous des formes qui peuvent nous sembler toochantes ou ridicules, a inspiré une foule d'écrits eDc se manifeste dans la sentimentalité timide de Marivaux comme dus les effusions pathétiques de Diderot et de Roosseau. EDe a encouragé lusqu'à l'afi'ectatioo le seoedmeat de U pitié, de la bienfaisance elle a dicté à Vohaiie ses meilleures pages pour introduire plus d'humanité et de tolennoe, p>our faire abolir la tonure et les pleines dîspropoftîomiécs. L'enthousiasme est un autre stimufant poor les âmes d'élite la lecture de Plutarque élève les esprits jusqu'au stoïcisme. A défaut de croyances rehgieuses, on se forme un idéal de vertu la noblesse morale de Viuvenargues, les sympathies ferventes que provoque Rousseau, li nostalgie ardente de Mlle de LespiDasse ou fenkûioo de Aladame Roland, tant de mouvoiiciits iii cflécliîs prévaJoir

sur

des

la

délicatesse

:

;

:

:

Le XVII h siècle

/

153

fréquents à la veille de la Révolution témoignent d'une réaction contre la sécheresse égoïste d'une société trop raffinée et marquent une véritable renaissance des élans et des droits du cœur.

Les idées sont^ presque

toutes^ la traduction abstraite

d^un sentiment. Les idées, celles du moins qui présentent quelque puissance, peuvent se ramener à trois ou quatre affirmations • Croyance dans la bonté originelle de l'homme; • Confiance dans le progrès; • Affirmation des droits essentiels de l'individu liberté et égalité. Les avis diffèrent sur la valeur de la civilisation suivant que l'on s'attache de préférence au premier ou au second des principes énoncés ci-dessus. Ces principes, s'imposant à l'esprit par leur simplicité, leur logique, ne sont assujettis à aucun examen critique on ne considère dans une théorie que sa valeur rationnelle et sentimentale. L'ordre de la raison prévaut sur l'ordre des faits; il n'y a donc à tenir compte ni de la complexité réelle des questions, ni de l'état de choses existant, ni des leçons de l'histoire. Cette séduction d'un idéal abstrait et logique explique la hardiesse des réformateurs, l'universalité de leurs ambitions, le ton catégorique qu'ils affectent. :

:

:

La

littérature s'est bornée

à transmettre

et

à propager

les idées

Jamais mieux qu'au xviii^ siècle la littérature n'a été l'expression de la société », c'est à la fois sa force et son défaut. Insuffisante au point de vue artistique, timide et surannée dans les genres d'apparat, elle a possédé à la perfection l'esprit, grâce à Voltaire et à Beaumarchais; puis, avec Rousseau, elle a reconquis l'éloquence et trouvé les sources de l'inspiration lyrique. Malgré la déclamation et l'imprécision du style, il semble aussi qu'elle quitte l'observation morale pour se rapprocher du réalisme le xix^ siècle tirera un magnifique parti de ces indications. «

:

régnantes.

154

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

Les grandes dates de la littérature au XVIir • 1714

FÉNELON. Lettre

siècle

sur les occupations de

V Académie

Française.

• • • • • • • • •

1715 Mort de Louis XIV. 1721 Montesquieu Les Lettres persanes. 1728 Voltaire La Henriade. 1730 Marivaux Le Jeu de V Amour et du Hasard. 1731 Abbé Prévost Manon Lescaut. 1732 Voltaire Zaïre. 1748 Montesquieu L'Esprit des Lois. 1750-1753 Voltaire a Berlin Le Siècle de Louis XIV. 1750 J.-J. Rousseau Discours sur le rétablissement :

:

:

:

:

:

:

:

des

• 1751

Sciences et des Arts. Discours préliminaire de

D'Alembert

:

V Ency-

clopédie.

• 1759 Voltaire • 1761-1762 J.-J.

:

Candide.

Rousseau La Nouvelle Émile, Le Contrat Social. • 1705-1777 J.-J. Rousseau Confessions. :

Hélotse,

:

• • • •

1778 1778 1782 1784

• 1789

Mort de Voltaire et de J.-J. Rousseau. BuFFON Les Époques de la Nature. Laclos Les Liaisons dangereuses. Bernardin de Saint-Pierre Paul et Virginie. Représentation du Mariage de Figaro^ de :

:

:

BEAUMARCHAIS. Réunion des États

Généraux.

Bastille.

• 1794

Mort d'André Chénier.

Prise

de

la

XlXsiècle

156

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

Introduction Le XIX^

siècle

a

été

un grand

siècle

poétique et

littéraire.

Le xix^ siècle a été une époque de renouvellement tandis que le siècle précédent avait tourné complet de préférence son activité vers la politique et la philosophie, au détriment de l'an, le xix^ siècle a produit de nombreux chefs-d'œuvre. :

U abandon des traditions classiques littératures

modernes ont rajeuni

et

V exemple

la

forme

des

et

rinspiration.

Deux principes nouveaux ont favorisé l'éclosion des ou\Tages modernes La liberté de l'art. Les règles fondées sur l'usage et sur l'autorité des Anciens cessent de s'imposer. La doctrine de Boileau, les théories sur la distinction des geru^es et la noblesse du style sont rejetées. On attache désormais plus de prix à l'originahté qu'à la recherche du beau et de la perfection. L'imagination évince la raison; aucun motif n'est exclu de l'esthétique moderne :

:

on admet le grotesque, Le cosmopolitisme. est

le tri\ial,

L'influence

abandonnée. D'autre part,

met

même

le

le laid.

grecque

français, qui

et

latine

perd son

des littératures étrangères iVime de Staël à beaucoup contribué à propager cette tendance Les nations doivent se ser\'ir de guide les unes aux autres... On se trouvera donc bien en tout pays d'accueilHr les pensées étrangères. » • La poésie anglaise, avec Lord Byron, a servi à fixer l'idéal moral du Romantisme, tandis que les hymnes universalité,

se

à l'école

et les imite parfois sans discrétion.

:

d'Ossian apprenaient à dépeindre les agitations de la et que les romans de Walter Scott donnaient le goût des peintures historiques. natuire

Le XIX« siècle

/

157

La

poésie allemande, par les lieder de Goethe et de montrait comment l'on pouvait prêter aux descriptions des choses et aux épanchements de l'âme un accent mystérieux et divin; les historiens et les philosophes allemands, Herder, Frichte, Hegel, en attendant Nietzsche, entraînaient la pensée aux généralisations ambitieuses. Michelet et Renan, dans leur jeunesse, ont été fascinés par le génie allemand qui leur semblait unir à l'érudition du détail la vision totale et explicatrice des ensembles. • Plus près de nous s'est exercé l'influence des romanciers russes (Tolstoï, Dostoïewski) avec leur psychologie minutieuse, leur théorie de la pitié et une sorte de fata-



Schiller,

Hsme mystique.

Les époques.

On

peut distinguer quatre époques dans le xix^ siècle L'ÉPOQUE DE LA RÉVOLUTION ET DE L'EmPIRE (179O1820). Au point de vue httéraire, c'est une période de transition et de torpeur, où subsiste sans modification marquante la contrainte de théories usées ce n'est qu'une continuation du classicisme antérieur. Cependant l'éloquence politique naît sous la Révolution, et, dès l'Empire, les écrits de Mme de Staël et de Chateaubriand préparent l'épanouissement du Romantisme. Le Romantisme (1820- 1850). C'est une époque de mélancohe et d'enthousiasme. En littérature, les écrivains chantent Dieu, la nature, la passion. Dans la vie dominent l'individuahsme et le pessimisme; on veut la liberté :

:

dans les mœurs comme dans l'art, et le suicide est la conclusion d'une vie fantasque et déréglée (cf. Rolla, d'Alfred de Musset). Le Réalisme ou Positivisme (1850- 1880). Époque à tendance scientifique les auteurs, réagissant contre l'imagination, s'appuient sur l'expérience et reproduisent objectivement la réalité. Dans les mœurs reparaît l'esprit bourgeois d'économie et de travail. :

Le Dilettantisme (1880-1914). Tandis que le réalisme s'achève sous la forme extrême du naturahsme et que les poètes retrouvent, grâce au symbolisme, le goût de la sensibilité et du rêve, les esprits, volontiers désabusés et sceptiques, considèrent en amateurs le spectacle des choses.

158

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

Les œuvres,

A

ces écoles opposées correspondent deux catégories les unes d'inspiration individuelle et lyrique, plus nombreuses à l'époque romantique poésie, théâtre; les autres d'inspiration sociale et descriptive, plus nombreuses à l'époque réaliste épopée, roman, histoire.

d'œuvres

:

:

:

Le goût

et la langue.

LE GOÛT devait évoluer et perdre de sa délicatesse par suite de l'initiation hâtive d'un public nombreux et populaire aux choses de l'esprit. Le journalisme, le tirage abondant des éditions, la multiplication des bibliothèques ont facilité la diffusion des œuvres dans toutes les couches sociales. Au contact de ce public hétérogène et de culture récente, la littérature a perdu quelque chose de sa distinction en même temps qu'elle développait certaines de ses qualités. Chez tous les écrivains, elle prend beaucoup plus d'éclat et de couleur, mais elle tombe souvent dans la déclamation et la vulgarité. La composition est souvent médiocre; ce sont plutôt des textes brillants, des morceaux choisis, noyés dans la prolixité de l'improvisation. LA LANGUE, Variée, très riche, abondante en néologismes, manque souvent de rigueur et de correction.

Madame

de Staël

Sans être un écrivain de génie, Mnne de Staël a rendu aux auteurs un service appréciable en indiquant les sources principales d'une rénovation poétique et en proclamant la nécessité d'une littérature nationale qui soit en harmonie avec les mœurs et les idées modernes.

Mme de Staël

:

une esthétique fondée sur Vimitation

des littératures étrangères,

Mme

de Staël (1766-18 17), née Germaine Necker, rare intelligence, forme, par son éducation et les aspirations variées de son tempérament, la transition qui doit mener des salons du xviii^ siècle au seuil du

femme d'une

Le XIX« siècle

Romantisme. L'indépendance de

ses

opinions

lui

/

159

attira

l'animosité de Napoléon, et finalement l'exil. Causeuse impénitente, curieuse d'idées neuves, caractère elle a exercé un ascendant réel, et, malgré l'absence des qualités de style, aucune des œuvres qu'elle

généreux,

a laissées n'est indifférente.

Ses

écrits sont surtout intéressants

par des

idées

nouvelles.

Dans

le

livre

de la littérature (1800)

elle

s'est

efforcée de montrer le rapport qui existe entre les œuvres et les institutions sociales de chaque siècle et de chaque pays. C'est le premier essai où l'on ait associé d'une façon suivie la critique littéraire à l'histoire il s'en dégage cette idée que la littérature classique ne pouvait convenir qu'à l'Antiquité. :

Le

de l' Allemagne (18 10) est un exposé extrêfavorable des mœurs, de la littérature et de la philosophie allemandes. de Staël a été frappée, puis séduite par la mentalité germanique qui, sous une apparence lourde, cachait un sérieux dont la profondeur étonne sa légèreté de Française elle admire la simplicité du caractère allemand et analyse les chefs-d'œuvre de livre

mement

Mme :

Schiller et de Gœthe. Elle révélait en même temps • Les sources d'une poésie fondée sur le mystère des choses, le sentiment et la rehgion, indiquant déjà plusieurs thèmes que devait développer Lamartine; • Les principes de la philosophie allemande, nullement rationaliste, mais intuitive et universelle, englobant dans une synthèse confuse et puissante toutes les forces de l'âme et l'explication du monde « Ils regardent le sentiment comme un fait, comme le fait primitif de l'âme. » :

:

Son

influence a sans doute orienté les premiers essais

Le

style,

chez

Mme

de Staël, terne

du lyrisme français.

et diffus, est très

inférieur à la pensée. Cependant elle n'en a pas moins exercé, autant par ses théories que par les modèles qu'elles désignait, une grande influence sur les origines du roman-

tisme (dont

elle a, la

première, popularisé

le

nom), en

160

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

montrant que seule une poésie nationale

et chrétienne,

ayant ses racines dans notre propre sol était appropriée à notre civilisation et qu'il faudrait s'inspirer de la tradition du Moyen Age et des littératures du Nord « La littérature des anciens est chez les modernes une littérature tran«

)>,

:

plantée.

»

Chateaubriand (1768- 1848) Chateaubriand a été

révélateur de la littérature son nom à la restauration de l'idée catholique, au renouvellement de l'imagination moderne et à la

du XIX®

siècle;

il

le

véritable

a attaché

création d'un style pittoresque et descriptif.

Chateaubriand^ grand voyageur reste surtout

et

homme

politique^

un grand romancier. V initiateur

de la mélancolie romantique. François-René de Chateaubriand, né à Saint-Malo en 17685 connut une enfance turbulente et une adolescence exaltée.

Après avoir exploré divers points de l'Amérique (région des Grands Lacs), 1 791 -1792, il revient en France, émigré, est blessé au siège de Thionville, puis, sans ressources, inconnu, se retire à Londres. Sous l'Empire, il se tient dans une opposition hautaine, puis sous Louis XVIII joue un rôle diplomatique et politique parfois bruyant, est ambassadeur et ministre, fait décider la guerre d'Espagne (1823), et, après 1830, vit dans la solitude. Mort en 1848. Chateaubriand est un caractère étrange et mécontent, fait d'orgueil et de mélancolie, en qui les influences ataviques du Breton et du gentilhomme se sont alliées à des sentiments hérités de Rousseau, mais sa faculté maîtresse fut l'imagination. C'est cette imagination qui lui fait trouver seules dignes d'intérêt les créations illusoires de son esprit et qui déforme toujours, pour en exagérer l'importance ou la beauté, les incidents relatifs à sa personne et les spectacles qu'il veut dépeindre.

Le XIX^ siècle

/

161

Son œuvre. Le Génie du Christianisme (1802) est

une apologie esthétique

et sentimentale

de la religion.

Publié

à

l'heure

même

de

restauration

la

officielle

du culte catholique (application du Concordat). • Le Génie du Christianisme avait pour objet de relever la religion du discrédit que lui avaient jeté les attaques des Encyclopédistes et de Voltaire. Chateaubriand s'applique donc à réfuter la raillerie par le sentiment, en faisant appel « à tous les enchantements de l'imagination c'est moins un traité et à tous les intérêts du cœur » dogmatique qu'un album de phrases et d'images sur la splendeur de la nature et les beautés littéraires et morales de la religion chrétienne et du culte. Descriptions du Nouveau Monde, étude sur les mœurs des oiseaux, perspectives grandioses de la nature (coucher de soleil sur l'Océan, clair de lune dans les solitudes du Niagara), fragments historiques sur le Moyen Age, éloge de l'architecture gothique et des arts chrétiens, réflexions sur le charme des ruines, peinture des cérémonies religieuses et énoncé des bienfaits que le christianisme a rendus à la société, se succèdent suivant un lien assez lâche et captivent le lecteur par la variété des sujets et la noblesse du style. Deux épisodes étaient annexés au Génie du Christianisme René et Atala. • René est une sorte d'autobiographie romanesque destinée à illustrer le chapitre du vague des passions c'est une peinture des « orages » du cœur dans une âme désœuvrée et solitaire ingrat envers la vie qu'il ne se résigne pas à accepter, tourmenté par des désirs malsains, René s'épuise dans la recherche vaine d'un idéal impossible. Seule la religion aurait pu offrir un apaisement à son âme exaltée. • Atala est une idylle funèbre dans les savanes de l'Amérique un sauvage, Chactas, prisonnier d'une tribu ennemie, est sauvé par une jeune chrétienne Atala. Celle-ci qui l'àime, mais qui a été vouée par sa mère à la rehgion, s'empoisonne de remords d'avoir enfreint ses vœux. Les rives du Meschacebé (Mississippi), avec leur végétation splendide, forment le cadre de cette intrigue :

:

:

:

:

émouvante.

162

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

Les Martyrs (1809) sont une un sujet chrétien.

large épopée en

prosey sur

Chateaubriand décrit les aventures de deux jeunes gens, Eudore et Cymodocée, au temps des dernières persécutions (iv^ siècle). Eudore est chrétien, tandis que Cymodocée, descendante d'Homère, représente la tradition poétique de la Grèce. L'action, dénouée par le martyre des deux héros, s'accomplit au milieu d'une laborieuse reconstitution du

monde

antique où Chateaubriand met en parallèle les du paganisme et les vertus morales des chrétiens. Eudore, dans un long récit, nous mène à travers toutes

grâces

les provinces de l'Empire, d'Orient jusqu'en Batavie et la narration fameuse du combat entre en Armorique les Francs et les Romains, l'épisode mystérieux de Velléda dans les forêts de la Gaule sont les fragments les plus célèbres de ce récit. :

L'Itinéraire de Paris à Jérusalem (1811) est récit d'un voyage fait par V auteur en Grèce et en Terre Sainte. Chateaubriand avait

fait

le

ce voyage pour se documenter

avant de composer Les Martyrs. Les qualités qui font l'agrément de l'ouvrage sont la simplicité et la variété amusante des anecdotes rappelées par le voyageur, puis le charme des descriptions, moins pompeuses que celles des premiers écrits, où la noblesse des souvenirs s'ajoute à la beauté des paysages et des monuments décrits (méditation sur les bords de l'Eurotas; lever de soleil sur l'Acropole).

Les Mémoires d'Outre-Tombe sont un vaste

et

orgueilleux récit de la vie de Fauteur.

Dans cet ouvrage (publié en 1849- 1850), Chateaubriand a voulu laisser à la postérité l'image définitive de sa personne. Il raconte son éducation à demi sauvage, ses souvenirs de Combourg, ses promenades avec sa sœur Lucide, son exil, ses démêlés avec Napoléon, son rôle politique

sous

la

Restauration.

Le XIX« siècle

En vie

si

sont

/

163

plus de l'intérêt purement narratif du récit de la mouvementée d'un personnage illustre, ces Mémoires un document moral sur la mélancolie romantique,

véritable maladie de l'âme dont Chateaubriand a présenté un exemple saisissant et dangereux.

Enfin c'est un tableau où l'on retrouve les mœurs d'une génération disparue et tous les événements d'une époque troublée; la vie maussade des nobles de province dans les dernières années de l'Ancien Régime, les spendeurs déclinantes de la monarchie, le despotisme impérial et ses campagnes sanglantes, la retraite de Russie, etc.

Les

idées et les sentiments de Chateaubriand semblent concilier la discipline et les dogmes de la religion avec Vinfluence individualiste de Rousseau.

religieuses le catholicisme. D'abord Chateaubriand en 1798 revient au cathoh« j'ai cisme; converti pour des raisons de sentiment pleuré et j'ai cru », il fait appel au cœur et au goût du lecteur, et s'attache à mettre en relief le caractère profond et émouvant du sentiment religieux; pour réfuter les préjugés voltairiens, il montre ainsi que la religion n'est ni laide ni ridicule, mais au contraire belle, raisonnable Ses

idées

:

indifférent.

:

et utile à l'humanité.

Ses théories littéraires. Ses idées littéraires dérivent de sa philosophie le christianisme, doctrine vraie, doit inspirer une poésie plus pure et plus élevée que le paga« la mythologie rapetisse la nature » et détruit nisme le sentiment de l'infini. :

:

Cependant Chateaubriand admire les écrivains anciens; la forme, il reste rigoureusement classique, respecte les lois des genres et prend soin de conserver à son style pour

noblesse et le sublime. Ses idées morales. En dépit de ses principes religieux et de son respect de la tradition Uttéraire, il n'en reste pas moins que Chateaubriand est au fond un disciple la

de Rousseau et un romantique il a le mal du siècle. De là, le pessimisme latent de son œuvre, le désarroi moral de René, désabusé du monde et enclin au suicide « Hélas! je cherche un bien inconnu dont l'instinct me poursuit est-ce ma faute si je trouve partout des bornes ? » :

:

:

164

Le

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

style de

Chateaubriand

est d'huit éclat inouï

dans

les descriptions. « Le livre de M. de Chateaubriand est un livre de plomb et d'or, mais l'or y domine. » Cette réflexion que Ton prête à Bonaparte après la lecture du Génie du Chris-

tianisme pourrait s'appliquer à l'œuvre entière de l'auteur. Chateaubriand se montre inférieur dans la composition des grands ouvrages et dans la création des caractères ses héros, tous semblables, Chactas, René, Eudore, sont « les fils de ses songes », la projection idéahsée de sa :

propre personne; son style conserve de nombreux chchés conforme à la prétendue noblesse du xviii^ siècle et n'est pas toujours exempt d'emphase. Malgré ces fautes de goût. Chateaubriand demeure un des plus grands prosateurs français par la couleur puissante et pittoresque de ses descriptions et la splendeur des phrases. Ses descriptions

sont d'une précision et d'une vie remarquables du spectacle de la réalité concrète, il excelle à dégager l'impression dominante il évoque d'emblée l'âme d'un paysage, le caractère d'une saison (l'automne), l'immensité des horizons, le charme de la nuit, de la mer et de la solitude. De là une tendance naturelle au symbolisme chaque objet suggère une conclusion morale et cette pensée, habituellement mélancolique, s'exprime en une phrase irréprochable tant par la poésie de l'image que par l'harmonie solennelle et savante et par la couleur des termes :

:

:

choisis

:

peu de chose à ma rêverie une feuille séchée vent chassait devant moi... un étang désert où le jonc flétri murmurait... Souvent j'ai suivi des yeux les oiseaux de passage qui volaient au-dessus de ma tête. Je me figurais les bords ignorés, les climats lointains, où ils se rendent j'aurais voulu être sur leurs ailes (René.) Qu'il fallait

que

!

le

!

:

Chateaubriand a dominé «

sur

littéraire

une »

Romantisme.

de mon siècle, j'exerçai peut-être influence rehgieuse, politique et {Mémoires d'Outre- Tombe). En tout cas, c'est

En dedans lui...

le

au point de vue

et à côté triple

littéraire

que l'influence de Chateaubriand presque sans limites. Donnant

s'est affirmée sans conteste et

Le XIX^ siècle

/

165

une fraîcheur et un éclat inaccoutumés aux sujets et aux sentiments qu'avaient pressentis Rousseau et Bernardin de Saint-Pierre, Chateaubriand « a renouvelé l'imagination il a élargi le spectacle du monde, moderne » (Faguet) fixé les aspirations de sa génération vers la mélancolie .

:

et révélé la la

formule essentielle du Romantisme, c'est-à-dire d'inspiration

littérature

religieuse

et

personnelle.

Lamartine et Victor Hugo par leurs thèmes poétiques, Augustin Thierry dans ses évocations d'histoire, Michelet et Flaubert par le style, procèdent de Chateaubriand, se sont élancés dans son « sillage » qu'ils n'ont fait qu'élargir.

Le Romantisme Tandis que rompu avec la Restauration classiques, et

les

précurseurs du

Romantisme n'avaient point

jeune École qui s'est formée sous la s'est opposée, non sans violence, aux théories a proclamé officiellement « la liberté dans l'art ». tradition,

la

Le Romantisme

résulte d^influences diverses,

françaises et étrangères.

Le Romantisme confus

et

littérature

général

dans

la

est le nom donné au mouvement de rénovation qui se manifeste en première moitié du xix^ siècle.

C'est d'abord une insurrection absolue contre tous les principes classiques et contre les règles énoncées par Boileau, admises encore au xviii® siècle. Issu directement des œuvres de Rousseau et de Chateaubriand, le Romantisme s'inspirait également des modèles contemporains de la poésie anglaise (Shelley, Lord Byron), des récits de Walter Scott, et des ballades de Schiller et de Gœthe.

Mme

de Staël, dans le livre De F Allemagne, avait indiqué ses principales sources d'inspiration; Stendhal, dans une brochure (Racine et Shakespeare, 1825), Victor Hugo, dans la retentissante Préface de Cromwell (1827), essayèrent d'en donner la théorie en réalité, c'est dans les œuvres mêmes des auteurs qu'il faut chercher le caractère propre du Romantisme. :

166

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

U individualisme littérature

est

la

marque

essentielle

de la

romantique.

Chaque auteur, au mun, c'est-à-dire à

lieu

de

sacrifier

au jugement com-

raison, s'abandonne librement à ce qu'il y a en lui de plus original, de plus intime son « moi », son imagination, sa sensibilité. Le poète chantera donc avant tout ses passions, et en particulier son ennui, sa mélancolie, qui est « le mal du siècle ». Il chantera aussi ses croyances religieuses ou ses inquiétudes philosophiques, décrira ses paysages préférés et unira la nature à son âme. En outre, Vigny essayera d'inculquer des idées morales à l'aide de symboles et Hugo prétendra être un guide politique. Mais la grande ambition du Romantisme débutant fut de créer un drame shakespaerien, à la fois grotesque et sublime. Il ne réussit pas dans cette voie le genre romantique par excellence a été la pièce lyrique, « méditation », chant de rêve, de plaisir, d'ennui ou de la

:

:

douleur.

Une forme à

originale et brillante devint indispensable

la nouvelle poésie,

A

ime doctrine plus vaste devait s'adapter une technique plus souple. Les règles étroites qui exigeaient la distinction des genres et des styles cessèrent de s'imposer. Toutes les formes, lyrique, épique, satirique, fantaisiste, etc. se trouvèrent confondues, ou plutôt le lyrisme envahit tous les

sujets.

Le style

revêt im éclat inaccoutumé grâce à des figures exclamations éperdues, métaet inédites phores, antithèses brillantes font saillir chaque détail. Le vocabulaire devient réahste, technique, exotique; le mot pittoresque évince la périphrase noble. Dans la versification, on cesse d'observer le repos le déplacement de la césure monotone à l'hémistiche (coupe tripartite), des rejets fréquents, qui mettent en relief les mots les plus forts, transfigurent l'alexandrin, lui donnent une allure plus vive et plus saccadée. La rime elle cesse d'être « esdevient plus fringante, plus riche clave ».

nombreuses

:

:

:

Le XIX^ siècle

Malgré des

/

167

excès et des fautes de goût, le Romantisme a déclenché un beau mouvement artistique.

Les « truculences » des Romantiques extrêmes sont oubliées aujourd'hui et les chefs du mouvement, Victor Hugo, Alfred de Musset, ont bien vite rejeté les excès d'un romantisme outrancier et conventionnel. Pour l'apprécier impartialement, il faut se rappeler qu'il a été illustré par de grands poètes et songer aux belles œuvres qu'il a inspirées en introduisant dans l'art plus de liberté, de sincérité et des thèmes plus féconds. Inférieure par la psychologie, souvent prétentieuse et factice, aboutissant à la conception d'un héros fatal et immoral (Child Harold) ou bien persécuté par le destin (Hernani), la littérature romantique doit sa valeur • à l'accent de sincérité frémissante des œuvres; • à la nouveauté brillante des descriptions historiques, exotiques, ou à la splendeur des paysages; • enfin et surtout à la richesse insoupçonnée et à l'éclat pittoresque du style. :

Remarquons

d'ailleurs

que

le

Romantisme ne

s'est

pas borné à la poésie et au théâtre; il a pénétré dans tous les genres littéraires roman, histoire. Il a déterminé dans les arts un mouvement analogue; en politique, il a abouti à un vaste courant démocratique et humanitaire dont la révolution de 1848 fut le résultat; il s'est propagé dans les mœurs, et, pendant toute une génération, a enthousiasmé la jeunesse instruite. :

Lamartine (1790- 1869) Lamartine a été la

pureté,

le

l'émotion

plus idéaliste des poètes romantiques; de

douce

et

communicative de son



lyrisme.

Malgré l'abondance de sa production et les efforts qu'il tenta pour son talent, reste pour nous l'auteur des Méditations.

élargir

il

Alphonse de Lamartine (1790- 18 69), né à Mâcon, dans une famille riche où il reçut une éducation presque féminine, mena d'abord une vie désœuvré et facile. Il fut

168

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

un secrétaire d'ambassade oisif et distingué (1823-1830). Il fit en Orient un voyage princier (1832), puis entra dans la vie politique. Il contribua à détacher le pays de la monarchie de Louis-Philippe et fut Tun des membres les plus en vue du gouvernement provisoire de 1848; en cette qualité, il fit garder à la France le drapeau tricolore. Après les événements de 1851, il vécut dans l'oubli et la gêne. Il a raconté l'histoire très embellie de sa jeunesse dans de nombreux écrits en prose Confidences ^ Nouvelles à Florence

:

Confidences, Graziella, etc. Ce fut un caractère sentimental et rêveur, disposé par son optimisme naturel à s'élever sans effort aux sentiments généreux piété, amour, fraternité humaine. :

Les Méditations sont la première expression

du lyrisme au

XIX^

et la plus sincère

siècle.

Après quelques essais tout à fait insignifiants, Lamartine, le coup d'une émotion profonde, composa une série de poèmes élégiaques, « purs comme l'air, tristes comme la mort, doux comme le velours ». Ce furent les Méditations (1820), complétées en 1823 par les Nouvelles sous

Méditations.

Le

eut un succès éclatant et inattendu peinture de l'amour, sans libertinage, l'auteur y décrivait en toute sincérité sans réminiscences ses états d'âme et ses croyances. Ses vers sont dominés par l'image d'Elvire (JuHe Charles), jeune femme, morte depuis, que le poète avait rencontrée à Aix-les-Bains et à Paris (1816-1817). Les pièces les plus célèbres du recueil sont • Isolement, pièce de deuil et d'espérance exprimant livre, très court,

on y trouvait

:

la

:

:

U

la

nostalgie

du bonheur

Que ne Vague

:

puis-je, porté sur le char de l'Aurore,

objet de

UHomme,

mes vœux, m'élancer

jusqu'à toi!

fragment splendide de philosophie spiridédié à Lord Byron. L'auteur proclame sa foi et sa soumission à la Providence et tente de définir la condition humaine



tualiste,

:

Le XIX« siècle

Borné dans

L'homme

sa nature, infini

est

/

169

dans ses vœux,

un dieu tombé qui

se souvient des cieux,

• Le Lacy anniversaire d'un entretien avec Elvire, sur le temps qui fuit dérobe le bonheur le lac du Bourget que voudraient prolonger les amants (« O temps, suspends ton vol! ») et dont le poète cherche au moins à fixer le souvenir dans les lieux qui en furent témoins :

:

Qu'il soit dans ton repos, qu'il soit dans tes orages,

Beau Lac,

et

dans l'aspect de tes riants coteaux...

Qu'il soit dans

le

zéphir qui frémit et qui passe...

V

• Automne, poème de regrets et d'adieu, où le poète gravement souffrant renonce, sans révolte, mais non sans mélancolie, aux beautés et aux joies de la terre :

douce nature. Je vous dois ime larme aux bords de mon tombeau L'air est si parfumé la lumière est si pure Aux regards d'un mourant le soleil est si beau!

Terre,

soleil, vallons, belle et

!

:

!

Au fond de cette coupe où je buvais la vie. Peut-être restait-il une goutte de miel... • Le Crucifix, récit idéalisé des derniers instants d'Elvire. Les Harmonies poétiques et religieuses (1830) sont des hymnes d'un mouvement puissant, plus ample mais moins personnel, de larges descriptions de la nature, imprégnées d'un sentiment presque panthéiste Infini dans les cieux, Le Chêne, Jéhovah. Dans le même recueil se trouve Milly ou la Terre natale « Pourquoi le prononcer ce nom de la patrie? » :

U

:

Les qualités mêmes de Lamartine ne convenaient pas au genre épique, Lamartine ratifs

:

javait déjà

La Mort

donné quelques fragments narLe Dernier chant du pèlerinage

de Socrate,

d'Harold. Pour achever

sa carrière, il imagina d'entreprendre dans un récit immense l'histoire symbolique des destinées de l'humanité; de ce vaste dessein, il ne put réaliser que

deux épisodes

:

• Jocelyn (1836) est un essai d'épopée famiUère. C'est en quelque sorte le roman d'un séminariste Jocelyn sacrifie à la vocation divine son affection pour sa compagne :

170

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

d'infortune, Laurence, et achève sa vie dans les

humbles

d'un presbytère au milieu d'une population L'action se passe pendant la Révolution. • La Chute d'un Ange (1838) est une vision des primitifs un ange, Cédar, devenu homme par d'une mortelle, Daïdha, subit avec son épouse joies

:

rurale.

temps

amour toutes

sortes d'humiliations et d'épreuves.

La poésie de Lamartine est spiritualiste et tendre plutôt que passionnée. De nombreuses lectures ont nourri l'imagination de Lamartine la Bible, Fénelon, Bernardin de Saint-Pierre, d'une part; Rousseau, Ossian, Lord Byron d'autre part, mais ces inspirations contradictoires ont été assimilées, fondues d'une manière très personnelle par son génie aimant et généreux, toujours attaché à la compréhension :

des

sentiments élevés.

Idéalisme et spiritualisme. Tout ce qui est matériel, périssable, le rebute il veut retrouver en tout objet, en tout sentiment, ce qu'il peut y avoir de pur, d'immortel, de divin. De là, une propension naturelle à la philosophie, non pour discuter et convaincre, mais pour croire et pour adorer. Il ne peut se résoudre à admettre définitivement ni le mal ni la mort aussi sa tristesse n'est-elle au fond jamais désespérée; toujours renaît sa croyance sereine au bonheur, à l'immortalité, et la foi, héritage de son éducation, est aussi l'expression spontanée de son cœur « J'aime, il faut que j'espère! » Amour. Sa rencontre avec Elvire a été l'éblouissement Elvire est devenue pour lui ce qu'avaient été de sa vie Béatrice pour Dante et Laure pour Pétrarque, une figure supraréelle, une personnification de l'idéal, un reflet de la beauté suprême. Aussi il a chanté, non l'exaltation du plaisir, mais une forme platonicienne et contemplative de l'amour, ennoblie des graves pensées de la mort, de l'immortalité et du souverain Bonheur. Sentiment de la nature. Lamartine a puisé dans ses souvenirs d'enfance, à Milly, la goût intime de la vie rustique. Il subit l'impression des calmes beautés de la nature et de sa paix consolatrice :

:

:

:

:

Mais

la

nature est

là,

qui t'invite et qui t'aime!

Le XIX« siècle

/

171

D'ordinaire, il en saisit le « charme » général plutôt les aspects visuels et particuliers, et préfère les paysages indécis et spacieux, le soir, le clair de lune; note l'atmosphère, l'éclairage, les sons, tout ce qui il contribue et suffit à former une impression physique et morale à une heure donnée.

que

Les caractères du

style

de Lamartine sont la limpidité et Vharmonie,

Lamartine compose avec clarté, noblesse, abondance, au gré d'une inspiration trop facile. Ses pensées se pressent et s'ordonnent en belles images, en développements éloquents, mais ne revêtent jamais une précision rigoureuse

:

c'est ce qui fait le

charme

et aussi la défectuosité

de ses vers. Les vers ont une douceur fluide et monotone, dont l'harmonie est faite du gHssement des consonnes (ss) et de la sonorité musicale et claire des finales (1, r) ; /Repose-toi,

mon

âme, en

ce dernier asi/e,

/e cœur p/ein d'espoir, aux portes de /a vi//e

Ainsi qu'un voyageur, qui, 5'assied, avant d'entrer,

Et respire un

moment

/'air

embaumé du

soir,

(Le Vallon.)

Alfred de Musset (i8 10-1857) Par son existence désordonnée et l'accent passionné de ses Musset est bien le représentant de l'esprit romantique, et cette même ardeur, qui a peut-être soulevé son inspiration, lui a fait gaspiller son talent, a perdu « sa force de vie ».

vers,

Alfred de Musset a prodigué dans une vie de plaisirs les dons d'aune sensibilité incomparable. Enfant de Paris, admirablement doué, séduit très jeune par la dissipation, prématurément usé par le plaisir, Alfred de Musset (1810-1857) n'a d'autre histoire que celle de ses premiers succès, de ses amours et de sa lamentable déchéance morale.

172

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

Caractère nerveux et versatile, passant fiévreusement de la joie espiègle à la mélancolie et à la passion, ayant conscience d'ailleurs de la dualité de son caractère au point de se voir parfois, par une sorte de mirage, « dédoublé » en deux êtres différents, Musset a écrit La Confession d'un Enfant du siècle, des Comédies en prose, et deux Premières Poésies et Poésies Nouvelles. recueils de vers Indifférent aux événements et aux graves pensées, il n'a donné dans ses vers que l'expression spontanée de son humeur et de son âme, mais avec tant d'exaltation « qu'il y pend toujours quelque goutte de sang ». :

:

Sa

poésie^ d^abord simple jeu d^imaginationy s*est transformée dans Les Nuits en un chant de

souffrance. Ses poèmes romantiques. Dans la chaleur de la bataille romantique, il fut l'un des plus avancés, affectant des sentiments excentriques et violents, cherchant les sujets bizarres et tragiques; dans les Contes d'Espagne et d'Italie, il prodigue les descriptions multicolores, les épisodes macabres. Il s'enthousiasme pour une liberté affranchie ses modèles sont Franck, le de toute entrave sociale héros révolté de La Coupe et les Lèvres; Rolla, le jeune :

libertin fastueux qui se suicide après une dernière orgie « Il prit un flacon noir qu'il vida sans rien dire. »

:

Ses poèmes fantaisistes. Mais à côté des morceaux et de défi, des appels dithyrambiques vers d'autres cieux et d'autres âges (Les Vœux stériles), Musset reprend un ton plus familier dans des pièces où se mêlent l'enjouement, l'ironie et la galanterie telles sont Namouna, fantaisie brillante et effrontée, les Stances à Ninon (« Si je vous le disais, pourtant, que je vous aime? »). Une Soirée perdue, où la rêverie du poète se partage entre le chefd'œuvre de Molière et la grâce d'une « charmante inconnue », voisine de spectacle. Ses poèmes de passion. Le souvenir de sa haison avec George Sand, brusquement rompue après leur idylle de Venise (1834), lui inspira une poésie autrement

de parade

:

profonde

:

Les plus désespérés sont les chants les plus beaux. Et j'en sais d'immortels qui sont de purs sanglots.

Dans Les Nuits (Nuit de Mai, d'Août, 1837),

il

chante

la

d'Octobre, 1835détresse de l'abandon, puis la sainteté

Le XIX« siècle

de l'épreuve qui forme

du poète L'homme

le

caractère

et

épure

le

/

173

génie

:

Et nul ne

Ce sont des par lui

est

apprenti, la douleur est son maître.

dialogues émouvants entre le poète accablé Muse qui veut l'inspirer, le consoler,

douleur et la suggérer l'espoir la

un

se connaît tant qu'il n'a pas souffert.

et le

pardon.

Uart d'Alfred Le

de Musset est d'une spontanéité charmante.

dominant du

talent et du style d'Alfred de souplesse. Avec une aisance suprême, toujours élégant et gracieux, il se montre familier, badin, sentimental, passionné. Les défauts sont visibles incapacité de composer, digressions, apostrophes déclamatoires, négligences fréquentes dans le style, la grammaire et la rime. Mais, même dans les œuvres les plus improvisées, jaillissent des pages, des traits d'une délicatesse exquise Merveilles de la mythologie païenne ou de notre trait

Musset

est

la

:

:

Moyen Age

:

Regrettez-vous le temps où nos vieilles romances Ouvraient leurs ailes d'or vers leur monde enchanté? Où tous nos monuments et toutes nos croyances Portaient le manteau blanc de leur virginité?

Charme d'un

soir de mai (« Poète, prends ton luth »), de promenades, ivresse de la danse et des fêtes mondaines, silhouettes féminines, etc. Dans un vers, il sait, comme André Chénier, faire surgir des visions incomparables de beauté plastique et de fraîcheur (« les épaules d'argent de la nuit qui frissonne »), jeter un cri sobre et intense de passion, de tristesse ou de réconfort !

souvenirs

:

me

dans

la

Qu'est-ce donc qu'oublier

si

Seul, je

suis assis

Et, dans Les Nuits,

il

nuit de mon cœur... ce n'est pas mourir?...

a atteint sans

une défaillance

à des accents d'une éloquence ardente et douloureuse, s'exhalant en symboles nombreux, en images splendides (cf.

Nuit d'Août).

La

versification de Musset présente des inégalités et des beautés semblables à celle du style dans ses premières productions, il affecte de donner à l'alexandrin l'aspect :

V 174

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

plus baroque (enjambements, etc.); par la suite, bien la rime (entrecroisée de préférence) soit faible, même insuffisante, ses vers gardent, par leur harmonie entraînante et légère, une allure délicieuse, tout à fait séduisante.

le

que

Alfred de Vigny (1797- 1863) Au poète de cœur, Alfred de Musset, s'oppose le poète philosophe, Alfred de Vigny épreuves de l'existence, fardeau de notre responsabilité, énigme de notre destinée, tels sont les sujets qui ont fait l'objet de ses réflexions anxieuses et de ses poèmes symboliques. :

Seul de tous les Romantiques^ Alfred de Vigny a essayé de faire une œuvre impersonnelle. Ancien officier, Alfred de Vigny (1797- 1863) mena une existence sévère et digne, assez semblable à celle de Vauvenargues et qui, marquée par de pénibles déceptions, lui inspira également une philosophie généreuse. Hautain plutôt qu'orgueilleux, gardant jalousement pour lui ses sentiments intimes, il n'a dans ses écrits laissé transpirer de sa personnalité que le frémissement d'une conviction profonde. Il voit dans la poésie un art sérieux, une mission au lieu de la faire servir à de vaines confidences, il veut l'employer à répandre des idées :

:

Jetons l'œuvre à

Dieu

la

la

mer,

la

mer

prendra du doigt pour

la

des multitudes

;

conduire au port.

Son œuvre. Alfred de Vigny a laissé en prose Servitude et Grandeur de commentaire sur le métier des armes au temps de l'Empire et de la Restauration; un roman Cinq-Mars^ un drame pessimiste Chatterton-^ historique et en vers, des Poèmes antiques et modernes (1822- 1826), complétés par Les Destinées (écrites vers 1 843-1845). militaires^, sorte

:

:

Le XIX« siècle

/

175

Les poèmes de Vigny ont une signification plus morale que lyrique. Ce ne sont pas de simples compositions descriptives Vigny cherche dans la nature ou surtout dans l'histoire des sujets dont il puisse tirer une conclusion morale, en faire des symboles. De telles pièces, à tendance objective et philosophique à la fois, ne sont romantiques que par le choix de sujets bibliques ou modernes et par le pessi:

misme de

l'inspiration.

• Dans

ange de la Pitié, séduite par Satan, il y a de merveilleux chrétien; dans Le Cor, le poète s'est rémémoré la fin héroïque de Roland. Les poèmes qui semblent le mieux exprimer la philosophie de Vigny sont Moïse, La Colère de Samson, La Mort du Loup. • Moïse dépeint la souffrance de l'homme supérieur, « isolé dans sa gloire prophète centenaire «, Moïse demande à Dieu de le décharger de sa tâche redoutable

un

essai brillant

:

:

:

O

Seigneur! j'ai vécu puissant et solitaire. Laissez-moi m'endormir du sommeil de la terre!

La Colère de Samson femme traîtresse, Dalila •

enseigne

la

défiance envers la

:

Une lutte éternelle, à toute heure, en tout lieu. Se livre sur la terre en présence de Dieu, Entre la bonté d'homme et la ruse de femme... • La Mort du Loup est une leçon de stoïcisme de même que le loup traqué par les chasseurs meurt « sans jeter un cri », le sage ne doit pas capituler bassement devant :

l'épreuve

:

Gémir, prier, pleurer est également lâche ; Fais énergiquement ta longue et lourde tâche

Dans

la

voie



le

sort a voulu

La philosophie

t 'appeler.

de Vigny est empreinte de stoïcisme.

Ces poèmes contiennent ce qu'il y a de plus original de plus fort dans la morale de l'auteur; trois mots suffiraient à la résumer et avec elle toute sa philosophie stoïcisme, pessimisme et bonté.

et

:

176

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

Vigny n'espère ni en Dieu (« le silence éternel de la ») ni en la Nature (« On me dit une mère et je suis une tombe »). L'Univers lui semble étreint par un déterminisme implacable; l'Humanité gémit sous le poids Divinité

des Destinées aveugles. Mais l'idée, VEsprit pur, finiront par affranchir les cœurs; retiré dans sa « tour d'ivoire », le poète ne se désintéresse pas de la lutte il accorde aux victimes un :

tribut de pitié. J'aime

Le

style de

majesté des souffrances humaines.

la

Vigny présente une beauté

sévère,

écrit qu'un nombre restreint de poèmes ; chefs-d'œuvre sont remarquables par la fermeté de la pensée et de l'expression. L'idée se développe en strophes amples et vigoureuses, que l'on pourrait comparer aux « laisses » de notre vieille poésie, chacune contenant un tableau, une idée, ou bien renforçant le motif de la strophe précédente. Parfois un refrain maintient à travers le poème la même note de mélancolie ou de lassitude

Vigny n'a

ses

:

Dieu! que

le

son du cor est

triste

au fond des

bois!...

(Le

Cor.)

Laissez-moi m'endormir du sommeil de

la terre!

(Moïse.)

Certaines visions ou méditations de Vigny ont une doivent à un style pittoresque et fort descriptions d'histoire (le peuple hébreu dans le désert); scènes de chasse ou de navigation; états d'âme (rage de Samson trahi, agonie morale du Christ au Mont des Oliviers), etc. Puis il arrive que la dureté habituelle du sujet soit tempérée par des couplets d'une suavité exquise et affectueuse cf. les strophes à Éva dans La Maison du Berger

grande beauté qu'elles :

:

:

Éva, j'aimerai tout dans

Mais Vigny

excelle

sentences morales

A

les

choses créées...

surtout par l'énergie

sobre des

:

voir ce que l'on fut sur terre et ce qu'on laisse, le silence est grand ; tout le reste est faiblesse...

Seule ...

Aimez

ce que jamais l'on ne verra

deux

fois.

Le XIX^ siècle

Le

vrai Dieu, le

Dieu

fort est le

Dieu des

/

177

Idées.

Ces qualités sont d'autant plus méritoires qu'elles semblent acquises au prix d'un effort laborieux; ailleurs une certaine difficulté d'élocution a rendu le style prosaïque et

pénible, sinon obscur.

Victor

Hugo

(1802- 1885)

Puissant par son génie lyrique, satirique et épique, Victor Hugo occupe une place exceptionnelle dans la poésie du XIX® siècle; après avoir été un chef dans la bataille romantique, devint, dans la maturité de sa vie, la personnalité la plus illustre du monde littéraire quand Les Contemplations, Les Châtiments, et La Légende des Siècles eurent consacré sa gloire. il

M

les soucis

de famille^ ni

les luttes littéraires

ou

politiques^ ni Vexil n^ont entravé l'énorme

production de Victor Hugo.



en 1802, à Besançon,

fils d'un général de l'Empire, dès son enfance, entraîné à la suite de son père en Italie et en Espagne, dont le riche éclat éblouit son imagination. Connu très jeune par ses succès poétiques, protégé par Chateaubriand, il se consacra d'abord à une poésie d'inspiration religieuse et légitimiste. Bientôt il domine de la supériorité de son talent les amis de combat, artistes ou poètes (David d'Angers, Deschamps, Th. Gautier, Sainte-Beuve), qu'il groupait en un Cénacle et, tandis que ses convictions philosophiques et politiques se modifient , au cours des événements, il prend plus de nettement conscience de ses tendances littéraires 1827 (Préface de Cromwell) jusqu'en 1843, il est le chef reconnu de l'École Romantique, et produit avec une activité égale des recueils lyriques, des drames et des

Victor

Hugo

fut,

:

romans. Après l'insuccès des Burgraves (1843) et la mort de sa fille, Léopoldine Vacquerie, il se retourne vers l'action politique et républicaine. Exilé par Louis-Napoléon (décembre 185 1), il réunit dans Les Contemplations ses

178

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

poèmes de deuil avec ses songes métaphysiques, et compose à Jersey, puis à Guernesey, ses grandes créations satiriques et épiques

:

Les Châtiments,

La Légende

des

Siècles.

Revenu en France, en 1870, de

il

est

témoin des

tristesses

l'Année Terrible ». Il prête désormais l'appui de son prestige aux partis avancés de la Troisième République et meurt en 1885. On fit de ses funérailles une sorte «

d'apothéose.

La

sensibilité morale et physique de Victor Hugo a toujours réagi à Vunisson de la foule.

Deux qualités rarement associées, l'orgueil et la bonté, semblent avoir constitué le fond du caractère moral du poète. Il s'est cru investi d'une mission civilisatrice et prophétique, se considérant comme un mage, un guide des nations, la voix de l'Univers et l'interprète de Dieu. Mais il y avait en lui un instinct profond de bonté, un sentiment « humanitaire » réel, auxquels se mêlaient d'ailleurs un peu d'aveuglement et un certain désir de popularité.

Au point de vue psychologique, la faculté la plus remarquable de Victor Hugo est la puissance exceptionnelle qu'il a eue de percevoir, d'amplifier et de combiner des sensations multiples, surtout les sensations de force, de lumière et de sonorité. Cette aptitude innée lui a fait revêtir d'une forme concrète et splendide les émotions et les théories qui lui

venaient du dehors

Tout

:

souffle, tout rayon,

Fait reluire et vibrer

ou propice ou

mon âme

de

fatal

cristal.

Automne.)

(Les Feuilles

Son œuvre

poétique, Victor Hugo a cru longtemps qu'il était destiné à s'imil ne renonça à cette ambition mortaliser par le drame que devant la défaveur formelle du pubHc; il a composé encore des romans célèbres que nous étudierons autre part nous voulons ici déterminer les caractères généraux de son œuvre purement poétique. :

:

Les débuts

poétiques

de

victor

Ballades (1826); Les Orientales (1829).

hugo Dans

:

le

Odes et premier

Le XIX® siècle

Hugo est encore classique par la forme, catholique et royaliste dans ses sujets d'inspiration; dans le second, affranchi déjà des formes classiques, il célèbre l'héroïsme des patriotes grecs en lutte contre les Turcs c'est une occasion de faire miroiter les couleurs éclatantes des costumes, des payages, et des ciels de recueil, Victor

:

la

Méditerranée ou d'Asie.

Le lyrisme de victor hugo. Les recueils romantiques (1830- 1840). Les Feuilles d'Automne, Les Chants du Crépuscule, Les Voix intérieures. Les Rayons et les Ombres sont des productions issues d'une même inspiration. Elles montrent Victor Hugo devenu maître d'une rhétorique brillante et d'une versification prestigieuse, développant les motifs essentiels de son lyrisme • Sentiments de famille et souvenirs d'enfance son éducation insouciante dans le grand jardin des Feuillantines; hymnes pleins de sympathie et de tendresse émer« Il est si veillée devant l'innocence des tout petits beau, l'enfant, avec son doux sourire!... » • Légende napoléonienne l'image surhumaine de l'Empereur domine sa pensée (« Car nous t'avons pour Dieu sans t'avoir eu pour maître »); dans Les Chants du Crépuscule, il a consacré deux odes splendides au souvenir de Napoléon Ode à la Colonne, où, dès 1830, il demande le retour des cendres impériales :

:

:

:

:

:

Oh

nous

de belles funérailles Nous aurons bien aussi peut-être nos batailles Nous en ombragerons ton cercueil respecté! !

va,

te ferons

!

;

Dans Napoléon II, il commente la destinée tragique du Roi de Rome et l'anéantissement des projets ambitieux de son père Non,

:

l'avenir n'est à personne!

Sire! l'avenir est à

Dieu!

• Pitié et fraternité il a écrit des strophes d'une éloquence pressante et généreuse « pour les pauvres » :

:

Donnez,

riches! l'aumône est

sœur de

la prière!

• Poèmes d'amour, exempts de mélancolie rêveuse^ si ce n'est dans la Tristesse d'Olympio tableaux de la campagne et des forêts (A un Riche); méditations intimes et morales (La Pente de la Rêverie, La Cloche); enfin, des descriptions et visions, semi-réelles, où il évoque des formes indécises et superbes, symboles d'idées (Ce :

/

179

180

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

qu'on entend sur la Montagne) ou bien prête une aux grandes forces physiques (Oceano Nox).

âme

Les contemplations (1856). Les plus belles pages sont consacrées au souvenir de la fille du poète, noyée accidentellement dans la Seine, il rappelle la grâce de l'enfant, à Villequier exprime :

sa douleur paternelle et sa résignation finale, qui s'incline devant la volonté divine, mais n'admet ni l'oubli ni la

consolation. Seigneur, je reconnais que l'homme est en délire S'il ose murmurer ; Je cesse d'accuser, je cesse de maudire. Mais laissez-moi pleurer!

Dans la dernière partie du recueil il expose en des poèmes d'une sombre grandeur sa conception de l'Univers et de la destinée (Horror, Ce que dit la Bouche d'Ombre). Plus tard l'œuvre lyrique de Victor

Hugo

s'est

pour-

suivie dans Les Chansons des Rues et des Bois, L'Art d'être Grand-Père, Les Quatre Vents de l'Esprit (1865-1881).

Son œuvre

satirique:

Les Châtiments (1853).

Écrits au lendemain du coup d'État, ces vers traduisent haine du poète exilé. Dans cet amas d'invectives furieuses contre Napoléon III étincellent des pages d'une grande beauté le Souvenir de la Nuit du 4, d'un pathétique sobre qui inspire la vengeance, l'Ode frémissante où il glorifie les soldats de l'An II (« Oh! que vous étiez grands au miheu des mêlées, Soldats! «), puis les phrases tragiques de l'Expiation retraite de Russie, choc désespéré de Waterloo, exil de Sainte-Hélène, enfin dans le tombeau la

:

:

l'humiliation suprême pour l'Empereur d'avoir un successeur indigne. côté des cris de colère s'affirme la résistance indomptable de l'auteur (« Et s'il n'en reste qu'un, je serai celui-là! »), sa foi dans le triomphe de l'idée républicaine.

A

Son œuvre épique: La Légende des

Siècles (1859).

1 877-1883. Complétée par deux séries postérieures C'est le grand poème philosophique et historique sur l'humanité, dont beaucoup d'écrivains du xix^ siècle :

Le XIX^ siècle

avaient eu plus ou moins l'intuition (Vigny, Lamartine, Leconte de Lisle. Cf. Michelet Bible de Fhumanité), Victor Hugo a voulu incorporer en un cycle grandiose le tableau des différentes époques de l'histoire, non pas dans un texte suivi, mais en choisissant des épisodes :

caractéristiques.

Caïn tourmenté par le remords implacable de Dieu (La Conscience); la Judée pastorale au temps de Booz et de Ruth. Souvenirs d'Hésiode luttes formidables des Titans et des dieux. Aspects des civihsations d'Orient, de la Grèce héroïque (Les Trois Cents), de l'Islam et du Moyen Age avec ses légendes sinistres (Kanut le Parricide) ou radieuses (Aymerillot), avec ses chevaliers errants (Le Petit Roi Souvenirs de

la

Bible

:

et fuyant sous l'œil

:

de Galice, Eviradnus). Projections éparses sur les temps modernes Espagne du xvi^ siècle (La Rose de F Infante), bravoure tenace et fidéhté des troupes de Napoléon (Le Cimetière d'Eylau), dévouements obscurs et sublimes de notre temps (Les Pauvres Gens). La valeur historique de La Légende des Siècles est très inégale des époques mémorables sont omises; Victor Hugo a accentué étrangement la férocité des époques barbares, le fanatisme des peuples chrétiens. Cependant, tout en s'inspirant de textes médiocres, il a, par une force de divination merveilleuse, reconstitué les gestes, l'équipement, les exploits, et souvent sans trop le déformer, l'idéal des générations passées. Une idée directrice devait dicter le choix des épisodes « l'épa:

:

:

nouissement du genre humain de siècle en siècle... l'éclosion lente et suprême de la liberté. » Aussi, pour attribuer une signification au mouvement obscur de l'humanité, Victor Hugo a-t-il placé certains Le Sacre de textes aux endroits capitaux de son œuvre la Femme (glorification de la maternité). Le Satyre (transfiguration de l'instinct bestial au contact de l'art et de l'idéal). Plein Ciel, qui montre le parcours sublime du Progrès, l'expansion nécessaire et heureuse du Bien. L'épopée déborde ici les cadres de l'histoire humaine et devient vraiment « le drame de la Création ». Nulle part ailleurs Victor Hugo n'a donné un témoignage supérieur de sa puissance d'imagination et de :

style.

/

181

182

La

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

pitié et la foi

principes

dans

moraux qui

le

progrès sont les deux Victor Hugo,

inspirent

Hugo a proclamé éloquemment sa pitié pour humbles, pour tous ceux qui souffrent les malheureux, les coupables, même les animaux. Les Contemplations, Le Pape et la Pitié suprême', en prose Les Misérables, expriment l'humanitarisme du poète et son espoir dans l'effet toujours moralisateur du pardon, et de l'instruction. Il a foi dans le progrès qui amènera, non seulement le bien-être matériel, mais le relèvement général des Victor

les

:

:

individus, la réconciliation

des classes et des peuples, États-Unis d'Europe ». Sous l'influence de théories spirites, il croit à la vie universelle, à la transmigration des âmes, à leur ascension ou à leur déchéance l'animal, le minéral sont doués d'une âme élémentaire, provisoirement captive. Dans l'Univers, se livre un duel immense entre les deux principes, entre le Bien et le Mal, entre l'ombre et la lumière, mais Dieu finira par triompher les tyrans, les «

les

:

:

rois, les prêtres disparaîtront

;

la

guerre, les fléaux seront

abohs à jamais.

Hugo

est

grand poète par Vimagination. Son imagination descriptive. Victor Hugo dépeint avec une grande richesse tous les aspects de la nature il sait en apercevoir les côtés gracieux et sereins ( Nuit de Juin) et goûte la sérénité reposante des forêts ; mais il enregistre plutôt la forme terrible des choses, la mer sinistre et hurlante avec ses tempêtes (Les Pauvres Gens), la montagne empreinte des vestiges du chaos ( Masferrer) Son imagination exotique ou historique. Il se représente avec une précision aussi intense l'aspect des choses qu'il n'a point vues et retrouve d'instinct la splendeur des pays d'Espagne ou d'Orient. Il ressuscite sans effort les époques disparues, la physionomie d'un pays, d'une civilisation calme de la Judée biblique au temps de la moisson, cruauté des despotes asiatiques, barbarie des nations primitives, grandeur héroïque et farouche du Moyen Age. Il prête ce même cachet légendaire et réaliste à des faits presque contemporains de là cette sorte de :

.

:

:

Le XIX^ siècle

fresque, où défilent les soldats de la Révolution et de la Grande Armée, ces évocations de batailles fameuses, Eylau, Waterloo, avec les noms des régiments, les uniformes, etc. dragons, cuirassiers, canonniers, « portant le noir colback ou le casque poli ». Il jette des traits saisissants que l'on croirait d'un témoin oculaire cf. la retraite :

:

de Russie

:

un rêve errant dans la brume, un mystère... pouvait à des plis qui soulevaient la neige Voir que des régiments s'étaient endormis là... C'était

On

(L'Expiation.)

Son imagination visionnaire et fantastique. Mais Hugo est mieux qu'un grand descriptif il transforme ou invente. Par un don génial et habituel d'exagéraVictor

:

ou de personnification, il crée une vérité poétique qui se substitue au monde réel. • L'agrandissement. Par un artifice facile mais toujours frappant, Victor Hugo développe immensément les proportions de ses héros il élargit « jusqu'aux étoiles » le geste du semeur ; à plus forte raison, quand il s'agit d'un personnage légendaire (Roland, Masferrer) ou mythique (Le Satyre ) • L'image. Parfois, sans modifier la grandeur des choses, Victor Hugo ressent et suggère une véritable hallucination par l'insistance avec laquelle il fixe son regard sur un objet « sa bure où je voyais des constellations » (Le matériel Mendiant). C'est alors un nouvel objet qui efface l'objet réel. Victor Hugo découvre l'image qui s'associe le mieux avec la chose considérée et, en quelque sorte, symbolise avec elle. Telle expression hardie « le pâtre promontoire » est amenée par le spectacle simultané des vagues et d'un troupeau. Murmure confus de la foule et gémissement des flots (« le peuple est une mer aussi »), neige et linceul, bataille et fournaise, croissant de la lune et faux du moissonneur sont des rapprochements du même genre. Victor Hugo a même abusé du procédé

tion, d'analogie

:

:

:

:

L'horizon semble un rêve éblouissant où nage V écaille de la mer, la plume du nuage. Car l'océan est hydre et le nuage oiseau. (Les Contemplations.)

• La personnification. Enfin, emporté par la tendance propre de son génie, Victor Hugo attribue aux êtres, quels qu'ils soient, une volonté, une conscience à la Cloche :

/

183

184

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

« qui dort, oiseau d'airain, dans chêne », aux arbres qui s'associent à ses méditations, aux drapeaux, aux canons des Invalides qu'il voit « bondir et hurler d'aise ». La personnification est chez lui un besoin psychologique de là, la vie et l'âme qu'il prête aux forces de la nature le vent, la tempête, la montagne. Aussi a-t-il pu reprendre les allégories anciennes, la grande République, la Déroute, le Destin ce sont des personnes

d'allégresse et d'adoration sa cage de

:

:

:

vivantes et agissantes. Même les choses abstraites, les facultés de l'âme, s'incarnent et se réaUsent en matière ou en force c'est par là que Victor Hugo a pu envelopper de merveilleux des sujets simplement tragiques le remords se concrétise sous la forme obsédante d'un œil (La Conscience ) Enfin Victor Hugo est parvenu à donner le sentiment de l'irréel, du mystère, à faire saisir des choses qui ne tombent pas sous l'expérience des sens l'infini, l'espace, l'avenir, le monde sépulcral, dans lequel « rôde éternellement » :

:

:

Kanut,

le

parricide.

dans la composition un art saisissant styky un luxe prodigieux d'images.

Il déploie

dans

le

Dans

ety

composition, Victor Hugo tend par-dessus tout une impression puissante, soit dans sa façon de sujet, de manière qu'il y ait un contraste ironique

la

à produire

poser

ou

le

terrifiant,

petitesse, le

une « antithèse » entre la grandeur et mal et l'innocence, le luxe et la misère,

la la

chance et le revers, etc. ; soit dans sa façon de développer, en recourant à d'abondantes et sonores amphfications ; soit par la conclusion soudaine et frappante :

Le lendemain, Aymeri

( Aymerillot.)

prit la ville.

Tiens, dit-elle, en ouvrant

les

rideaux, les voilà.

(Les Pauvres Gens.)

Au par

point de vue de

la

forme,

mouvement ample

il

atteint le

même

but ou

des strophes qui alternent avec les tableaux, dans les discours lyriques (Napoléon II; Ode à V Obéissance passive)^ ou par la succession logique ou heurtée des scènes dans les fragments épiques, soit qu'il y ait une progression dramatique (L'Expiation) ou au contraire un renversement subit des situations (U Aigle du Casque). le

et précipité

Le XIX^ siècle

/

185

de la phrase se retrouve la même tendance emploi des diverses figures de rhétorique (interrogations, exclamations) ; antithèses et images presque instantanées qui tiennent dans un verbe, dans une épithète ; mots propres pris avec leur signification concrète et

Dans

le détail

Imaginative

:

pittoresque. Par une figure hardie, mais assez fréquente, V. une expression concrète à une idée morale

Hugo allie

:

Vêtu de probité candide

et

de

lin blanc.

(

Booz Endormi.)

Dans le vocabulaire, très varié, V. Hugo, sans rechercher mot vulgaire ou trivial, car il n'est pas de mot

le

Ne

où ridée au vol pur puisse se poser tout humide d'azur,

ne craint pas de l'employer « Combien de poux faut-il pour manger un Hon? » (Le Petit roi de Galice.) Victor Hugo a eu littéralement le culte des mots « car le mot, qu'on le sache, est un être vivant » ; beaucoup, par leur :

:

sonorité et leur prestige, ont exercé sur lui

magique

Les mots sont

Aussi

il

immense, les

un

attrait

:

les

passants mystérieux de l'âme... (Les Contemplations.)

affectionne certains adjectifs sinistre, effrayant,

:

ténébreux, sombre, les noms propres,

monstrueux,

termes étrangers.

Sa

versification est

un chef-d"^ œuvre de et

« disloquer » l'alexandrin comme il s'en est vanté, assoupli et modifié en le phant à toutes les exigences

Sans il

l'a

de

la

pensée et de

l'oreille.

Quel que

d'ailleurs le

soit

rythme employé

(vers de 5, 6, 8 et 12 syllabes), la versification de V. Hugo est toujours remarquable par la sûreté de la rime, l'harmonie sonore et l'adaptation exacte et

mesure et des coupes. • L'alexandrin notamment a pris entre ses mains un aspect tout nouveau par le déplacement de la césure, les rejets et les prolongements

variée de la

:

Ceux qui vivent, ce sont ceux qui luttent Ceux dont un dessein ferme emplit l'âme

;

|

ce sont

et le front.

(Les Châtiments.)

souplesse

de force.

186

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

J'ai

vu

Et

compris qu'il faut qu'un prince compatisse malheur c'est-à-dire, ô père! à la justice. (Le Petit Roi de Galice.)

j'ai |

vu

la foi,

j'ai |

vu l'honneur, |

|

Au

Un

le jour,

j'ai

|

|

procédé fréquent consiste à faire un adjectif ou un adverbe

l'hémistiche Et

près de

saillir

:

se remit à fuir sinistre

dans l'espace.

Le groupe formidable au fond de

(La Conscience.)

la vallée.

(Le Petit Roi de Galice.)

Souvent cet adjectif

qualifie

lui-même un mot

abstrait

:

La

rose épanouie... Charge la petitesse exquise de sa main.

(La Rose de VInfante.)

• L'harmonie imitative ou suggestive est impeccable Les

souffles

L'ombre

de

la

:

nuit flottaient sur Galgala.

était nuptiale,

auguste et solennelle

;

Les anges y volaient sans doute obscurément. Car on voyait passer dans la nuit, par moment. Quelque chose de bleu qui paraissait une aile. ( Booz

endormi.)

Par son imagination, son génie et son style, Victor Hugo a transfiguré la poésie. Quel que soit le déchet que comporte une production vaste, on ne saurait trop admirer l'étendue et la valeur de l'œuvre de Hugo. Si la puissance et la grandeur en sont les aspects les plus saisissants, il ne faut pas oublier que ce poète du sombre, du grand et de l'énorme a inséré dans si

d'une grâce délicieuse et touchante. Sa gloire restera d'avoir donné à des sujets communs des proportions subUmes, et d'avoir apporté à l'expression d'idées simples ou généreuses une vigueur et une facilité verbale ou poétique dont nul n'a égalé la magnificence. ses écrits des traits

Le XIX« siècle

/ 187

Gérard de Nerval (1808- 1855) Familier du romantisme allemand, Nerval est le seul romantique français à avoir fait une part aussi grande au rêve, au mystère et à l'irrationnel. Son œuvre est placée très haut par le goût moderne.

La

vie de

Nerval a suivi un itinéraire douloureux à la recherche d^un paradis mystique,

Gérard de Nerval, de son vrai nom Gérard Labrunie, bien qu'il ait perdu sa mère dès iSio, a passé une jeunesse heureuse auprès de son grand-oncle à Mortefontaine, au cœur du Valois, terre des rois de France, qu'il célébrera toujours avec chaleur. Sa qualité de germaniste, à l'issue de solides études classiques, lui fait découvrir Goethe et Hoffmann. En 1836, il conçoit pour une actrice, Jenny Colon, un amour malheureux dont le souvenir le marquera profondément. Une fois Jenny morte, Nerval poursuivra avec d'autant plus d'ardeur son image aussi bien chez d'autres femmes réellement rencontrées que dans les métamorphoses mythologiques de ce que Goethe appelle l'Éternel Féminin. La raison de Nerval ne résiste pas à cette quête mystique. Des crises de démence de plus en plus fréquentes et pénibles ponctuent les dernières années de sa vie, jusqu'à ce qu'on le trouve pendu à un réverbère dans une ruelle de Paris.

Le Nerval a passée à nirs

récit

de Sylvie (1853)

une seule est vraiment dont le sous-titre est Souvepour cadre la région de Senlis et

écrit plusieurs nouvelles

la postérité. Sylvie,

du Valois, a en

effet

est une œuvre à la fois classique et romantique.

:

:

de Compiègne (chère au peintre Corot), qui contribue à donner le charme simple d'une poésie rustique, souvent familière, exprimée dans un style qui est un modèle de hmpidité. Mais le Nerval inquiet et tourmenté est déjà tout entier dans le récit de ces amours, ou de cet amour.

lui

188

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

pour des femmes

différentes Sylvie, la petite paysanne, Adrienne, descendante des rois de France dont l'apparition un soir dans le parc d'un château a transfiguré une ronde d'enfants, puis qui est entrée dans un couvent où elle est morte, Aurélie, une actrice qui est peut-être Adrienne réincarnée. Tous ces souvenirs s'imbriquent dans un récit savant qui prend plaisir à mêler présent et passé, réel et rêve, et qui tire de ces incertitudes un flou poétique :

fascinant que Sylvie a déjà une valeur nous raconte moins les péripéties d'un amour malheureux que les étapes d'une rédemption manquée.

d'autant

plus

initiatique et

Les Chimères (1853) sont une

suite

de sonnets

ésotériques mais émouvants.

Le

titre

du

recueil

en indique bien

l'esprit

:

la

chimère

selon la mythologie, un être redoutable, à la fois femme et animal. Sous cette rubrique, Nerval fait le compte poétique des investigations auxquelles il s'est livré dans les différentes religions et aussi dans l'alchimie à la recherche de la femme rédemptrice, qu'elle soit sainte est,

ou

fée.

La Treizième revient, c'est toujours la première Et c'est toujours la seule, ou c'est le seul moment. Car es-tu Reine, ô toi la première ou dernière ? Es-tu Roi toi le seul ou le dernier amant ? !

Les mythologies égyptienne, hindoue, grecque, romaine, chrétienne inspirent tour à tour ces vers mystérieux qui ont suscité des foules d'exégèses, mais qui pourraient n'être qu'un fatras livresque si d'une part ils n'étaient parcourus par des sentiments vrais et nourris d'une expérience personnelle tragiquement vécue et si d'autre part, en raison de l'étrangeté même de leur style, de leur vocabulaire, de leurs allusions, ils n'inauguraient, en pleine période oratoire et romantique, un art plus subtil, où la poésie pure semble se moquer des recettes poétiques traditionnelles. Je suis le Ténébreux, le veuf, l'Inconsolé. prince d'Aquitaine à la tour abolie...

Le

Mon

front est rouge encore

du

baiser de la Reine...

Le XIX« siècle

La

connais-tu,

Au

pied du Sycomore ou sous

Daphné,

cette ancienne

/

189

romance

les lauriers blancs,

l'olivier, le myrte ou les saules tremblants. Cette chanson d'amour qui toujours recommence?

Sous

C'est pourquoi, de tous les romantiques, Nerval est de loin celui qui a le plus intéressé les théoriciens et les praticiens de la poésie dans le siècle qui l'a suivi.

Aurélia (1854), qui raconte est

un cas

les

limite

rêves de

d^œuvre

Nerval

littéraire.

A

l'origine, c'est par souci thérapeutique que le Blanche qui soignait Nerval dans sa clinique de Passy avait recommandé à son malade de transcrire ses hallucinations de façon sans doute à les maîtriser. Nerval se mit à la tâche. Il en sortit cette œuvre inhabituelle où les visions irrationnelles se succèdent, en partie vécues, en partie Hvresques. Ce n'est pas une œuvre achevée, au sens classique du terme, mais elle inaugure tout un courant de la poésie française, dont les manifestations ultérieures seront les Chants de Maldoror et le Surréalisme.

Le De

théâtre romantique

ambitieux et confus tenté sur la scène par les Romanguère subsisté, grâce à l'éclat du style, que quelques drames de Victor Hugo Hernani, Ruy Blas. l'effort

tiques,

il

n'a

:

Les Romantiques ont substitué le drame historique à Vancienne tragédie de Racine et de Voltaire, Le mouvement romantique avait eu surtout pour objectif la création d'un théâtre moderne les principes de la poétique nouvelle, souvent contestables d'ailleurs, tendirent à remplacer les œuvres de tradition classique (imitations de Racine et de Voltaire) par des pièces irrégulières, inspirées de Shakespeare et de Schiller, et à :

faire

admettre dans

mélodrame populaire.

le

genre tragique

les

libertés

du

190

La

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

préface de

Cromwell

( i82j).

Dans cette préface qui fut le manifeste le plus retentisdu Romantisme, V. Hugo a donné la théorie du drame

sant

:

voit dans ce genre la forme définitive et complète de la poésie moderne, une véritable synthèse artistique apte à reproduire la réaUté tout entière « tout ce qui est dans la

il

:

nature est dans l'art. » Diverses conséquences dérivent de ce principe Suppression des règles de l'unité de lieu et de temps, de la division obligatoire en 5 actes le drame doit se développer largement et hbrement ; Mélange des genres le subHme et le grotesque se croiseront dans le drame « comme ils se croisent dans la vie et dans la création ». Le but de l'art consistera dans l'expression intense de la couleur locale, grâce à des détails :

:

:

le drame une époque, un règne tout

caractéristiques

arrivera ainsi à faire revivre entier avec ses passions, ses contrastes, ses crimes et même ses laideurs. De cette conception provient le drame historique à sujets modernes, qui fut traité surtout de 1829 à 1835 par Alexandre Dumas père {Henri III et sa Cour, en prose), Alfred de Vigny (La Maréchale d'Ancre, en prose), Alfred de Musset (La Coupe et les Lèvres, en vers ; Lorenzaccio, en prose), et enfin par Victor Hugo. :

De

la bataille J'Hemani (1830) à la chute des Burgraves (1843), Victor Hugo a tenté de faire

prévaloir

le

drame romantique.

Victor Hugo a écrit une dizaine de drames, dont trois chefs-d'œuvre • Hemani (1830). Hernani, seigneur rebelle, amoureux de Dona Sol, est poursuivi par la haine de Don Carlos (Charles Quint), roi d'Espagne. le Roi ; le Bandit ; le Les actes ont pour sous-titres Vieillard (Ruy Gomez scène des portraits) ; le Tombeau (sépulcre de Charlemagne à Aix-la-Chapelle) ; la Noce. • Ruy Blas (1838). Ruy Blas, valet de Don Salluste, est amoureux de la reine d'Espagne :

:

:

:

sous vos pieds, dans l'ombre, un homme est Qui vous aime, perdu dans la nuit qui le voile. Qui souffre, ver de terre amoureux d'une étoile.

Madame,

là,

Le XIX® siècle

/

191

Devenu ministre, il réprime les abus, mais, victime des machinations de son maître, il tombe dans un guet-apens avec la reine. Un grand seigneur déchu. Don César de Bazan, débraillé, gouailleur et généreux, tient un rôle presque entièrement comique.

Dans

le

théâtre de Victor Hugo, le lyrisme du style rachète les imperfections techniques.

« Ce que la foule demande presque exclusivement à l'œuvre dramatique, c'est de l'action ; ce que les femmes y veulent avant tout, c'est de la passion ; ce qu'y cherchent plus spécialement les penseurs, ce sont des caractères. » (Préface de Ruy Bios). Voyons comment l'auteur a réahsé cette formule.

L'action

est

naïvement

compliquée

:

événements

bizarres aux conséquences tragiques, coïncidences impossibles, dénouements affreux (Hernani se suicidant au son du cor de Ruy Gomez), empoisonnements, etc. L'intrigue de

Ruy Blas et des Burgraves est d'une invraisemblance choquante, l'emploi du grotesque (acte IV de Ruy Blas) souvent déconcertant. L'ÉTUDE PSYCHOLOGIQUE est très facile. Victor Hugo prête à ses personnages des passions violentes (haine ou amour) que rien n'explique. Hernani est un bandit « admirable et irresponsable en même temps Je suis une force qui va » ; c'est pourquoi il est aimé de Dona Sol « Je vous suivrai partout. » Mais l'auteur attachait une importance particulière à la signification morale et à la vérité historique. L'idée morale se ramène presque toujours à un contraste ; V. Hugo s'applique à réhabiliter tous ceux que l'on méprise un bandit, un bouffon, un laquais, une femme perdue. Ruy Ses personnages incarnent une classe de la société Blas, c'est le peuple. La couleur historique est beaucoup plus exacte dans les détails d'archéologie et de costume que dans les événements. Hernani peint le triomphe de la monarchie espagnole associée à l'Empire à l'heure où Charles Quint dépouillant les misères de sa jeunesse, inaugure son règne par la clémence ; Ruy Blas montre au xvii^ siècle le déclin de la même monarchie, pillée par sa noblesse corrompue. Le luxe des décors et la richesse de style rachètent en partie les insuffisances du drame. Victor Hugo insuffle :

:

:

:

192

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

personnages un style brillant, varié et impétueux. Son lyrisme, rêveur ou politique, se déploie en de longs monologues (Charles Quint devant le tombeau de Charleà ses

magne), dans Messieurs...

Alfred de Musset

les tirades et les invectives

:

«

Bon

appétit!

»

et la

comédie spirituelle

( 1833-184$)

Outre Lorenzaccio (1834) qui est le chef-d'œuvre du drame romantique en prose, on doit à Musset les Comédies et Proverbes, simple jeu d'imagination, composées en vue de la lecture. Aussi aucune contrainte matérielle n'a gêné l'auteur le décor change à tout instant. Aucun souci pédant de couleur locale. Nous sommes en présence d'un monde conventionnel et courtois où passent des silhouettes :

aimables et des fantoches ridicules Les Caprices de Marianne, Fantasio, On ne badine pas avec V amour. Ce sont des conversations galantes et gracieuses, des intrigues fugitives entre jeunes gens étourdis et jeunes filles candides ou jeunes femmes ingénieuses. L'action se place au xviii^ siècle, en Italie, en Bavière ; mais dans ce décor irréel, sous le marivaudage futile des propos et la frivolité apparente du sujet, on retrouve des sentiments vrais, :

humains, émouvants, la jalousie, le regret, le désespoir. « Nous sommes deux enfants insensés, disent Perdican et Camille, et nous avons joué avec la vie et la mort. » (On ne badine pas avec V amour.)

La

fantaisie et la vérité, l'esprit et l'émotion s'unissent

dans un mélange exquis. Le style est un chef-d'œuvre d'aisance et d'élégance.

roman Le roman a acquis au XIX® siècle une variété et une portée jamais eues. Échappant à l'emprise des usages littéraires, susceptible de se prêter à toutes sortes de sujets, ce genre a été choisi par de très grands écrivains, Balzac, George Sand, Flaubert, pour y tracer des tableaux de la vie.

qu'il n'avait

Le XIX« siècle

Le Romantisme a favorisé

la

/

193

résurrection

du

roman

historique.

et Madame de Staël avaient cultivé le d'analyse pour définir les états et les aspirations de leur moi. Les romantiques, avec leur goût pour le pittoresque et la couleur locale, préférèrent les descriptions amusantes et curieuses, prirent pour modèle Walter Scott et traitèrent le roman historique. Vigny (Cinq- Mars )^ Alexandre Dumas (Les Trois Mousquetaires) racontèrent à leur façon des épisodes du temps de Louis XIII ; Mérimée, La Chronique du règne de Charles IX. Victor Hugo a construit en ce genre de vastes compositions.

Chateaubriand

roman

Notre-Dame de dans

le

roman^

Les Misérables sont^ deux œuvres maîtresses de Victor Hugo,

Paris et les

• Notre-Dame de Paris (1831). Originale et forte évocation archéologique du Paris du xv^ siècle, sous Louis XI, avec ses quartiers différents, ses monuments aux silhouettes anguleuses, son immense et sombre cathédrale, ses étudiants, ses clercs, ses archers, ses bohémiens (cour des Miracles) et le peuple qui grouille et s'agite dans les fêtes ou dans les émeutes. colosse difforme, borgne et sourd, Quasimodo, est représenté comme une incarnation vivante de l'architecture gothique, l'âme de la cathédrale. Une bohémienne gracieuse et infortunée la Esmeralda, poursuivie par la convoitise du diacre FroUo, tel est le sujet de l'intrigue. « Ceci tuera cela », le livre imprimé effacera la chronique de pierre sculptée dans nos églises, telle est la thèse philosophique suggérée à l'auteur par le spectacle du Moyen Age finissant. • Les Misérables (1862). C'est le roman social du XIX® siècle depuis 18 15 jusqu'à 1830. Victor Hugo y décrit la rédemption morale d'un forçat, Jean Valjean, qui, traqué par la police, ne se livre que pour éviter de perdre un innocent. Autour de l'intrigue se greffent des descriptions du Paris moderne, de ses quartiers populaires, de ses égouts, de ses journées tragiques (barricades de 1830), des pages d'histoire (Waterloo), des études de mœurs (Gavroche, le gamin parisien ; le ménage Thénardier), des dissertations morales sur le relèvement du

Un

194

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

de l'enfance ignorante et abandonnée, etc. L'œuvre, qui par les dimensions et par le sujet rappelle les romans-feuilletons d'Eugène Sue, est touffue, souvent prolétariat,

déclamatoire. Victor Hugo a encore écrit Les Travailleurs de la

Mer

Quatre-vingt-treize.

et

Les Misérables sont un tableau de la société moderne ; dans ce sens que se sont orientés les plus grands romanciers du siècle au lieu de faire de l'histoire, ils ont c'est

:

mœurs actuelles. C'est en particulier immense de Balzac La Comédie humaine.

décrit la vie et les l'objet

de l'œuvre

:

Les romans de Balzac sont Vœuvre d^un grand imaginatif qui s* est asservi à reproduire la réalité. (1799- 1850) fut un travailleur de notaire, ancien imprimeur, possédé du besoin de lancer et brasser des affaires, il s'est astreint à un labeur effrayant tant pour payer ses dettes que pour la satisfaction de mener à bien une œuvre aux proportions gigantesques. Imaginatif puissant, il échafaude sans cesse des entreprises, des spéculations, des romans les personnages qu'il invente seront comme lui des malades de l'imagination et des hommes d'argent, insatiables,

Honoré

acharné.

de

Balzac

Ancien

clerc

:

affairés.

Balzac a voulu retracer dans une quarantaine de romans scènes diverses de la vie militaire, rurale, provinciale et parisienne au début du xix^ siècle. Certains récits peuvent se rattacher au genre historique (Les Chouans, Une Ténébreuse Affaire), mais en général il décrit l'évolution des fortunes, le changement des mœurs, le développement des ambitions et l'amour de l'argent. • Eugénie Grandet est l'histoire de la fille d'un négociant en vins de Saumur elle et sa mère vivent terrorisées par le vieux Grandet qui poursuit sans pitié ni relâche l'accroissement d'une prodigieuse fortune. • Le Père Goriot montre le sacrifice obscur et résigné d'un ancien commerçant qui meurt dans le dénuement de tout pour que ses filles ingrates continuent leur vie de folles dépenses, cependant qu'Eugène de Rastignac part à la conquête de Paris. • Grandeur et décadence de César Birotteau explique les ambitions illusoires et coûteuses d'un parfumeur parisien. • La Recherche de V Absolu raconte les expériences du les

:

Le XIX^ siècle

riche

Flamand Balthazar Claës qui du diamant.

croit tenir le secret

de

la fabrication

• Les Illusions perdues, puis Splendeurs et Misères des Courtisanes racontent l'histoire tragique d'un autre jeune ambitieux de province, Lucien de Rubempré.

Les romans de Balzac ont un triple intérêt Intérêt documentaire. Balzac nous représente tous les aspects de la vie bourgeoise vers 1820. Il décrit avec un :

soin méticuleux les rues, les maisons, le mobilier, l'habillement, les conditions de la vie économique et familiale, les bases précises de telle ou telle opération commerciale, les moyens d'existence et le passé de chaque individu. La Révolution et le lotissement des biens nationaux, le développement de la fortune mobilière avaient eu sur la situation des familles une répercussion dont on peut étudier les effets d'après les monographies balzaciennes. Intérêt psychologique. Balzac observe les milieux en réaliste attentif, mais il invente ou grossit les caractères. Ses personnages sont aussi maniaques, aussi fameux que ceux de Molière, obsédés par une idée fixe qui les arrache à tout sentiment humain, aboutit pour leur entourage ou pour eux à des conséquences désastreuses. Mais, agissant dans un milieu plus vaste, ils prennent une envergure que n'avaient pas les types de Molière ; ils deviennent, comme ceux de Victor Hugo, énormes, mais plus vrais. Grandet, qui a monopolisé le commerce des vins de Saumur, asservit et torture sa femme et sa fille ; vieux, paralysé, son avarice évolue en un culte du métal or « Ça me réchauffe!... » Sa dernière parole traduit une préoccupation constante « Aie bien soin de tout! Tu me :

:

rendras compte de ça, là-bas... » Par une déformation opposée, Goriot pousse jusqu'à la lâcheté son abnégation « il aimait paternelle, son indulgence pour ses filles jusqu'au mal qu'elles lui faisaient. » Claës, hanté par sa chimère, devient exigeant, méchant, dissipe en expériences insensées un patrimoine magnifique. A côté de ces personnages, Balzac marque en traits aventuriers, expressifs une foule d'individus secondaires petites gens, employés, poHciers, etc., des esprits médiocres, vicieux, des déclassés, tous ceux dont la pratique d'un métier monotone, leur vie confinée ou servile, la routine, ont déformé le physique et le moral. Il échoue dans la peinture de caractères délicats. :

:

/

195

196

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

Intérêt dramatique et littéraire. Servi par sa large imagination, Balzac a composé ses romans avec une véritable maîtrise. Malgré la longueur fastidieuse des descriptions préalables, il agence avec force et solidité les éléments de l'intrigue, « voit » et suit ses personnages qui agissent dans la réalité de la vie courante, se jettent dans leurs entreprises compliquées et se heurtent en des luttes sournoises ou violentes. Par l'accent de vérité de ses récits, Balzac intéresse et captive le lecteur dans la banalité de la vie bourgeoise, il restitue la tristesse afiligeante des discussions de famille, la désolation des revers de fortune et des misères honteuses, le cynisme des ambitions inassouvies ou repues. C'est par cette vérité dramatique que Balzac est un grand écrivain, non par son style véridique, épais, surchargé, dépourvu des qualités proprement artistiques (élégance, harmonie). Une impression pessimiste se dégage du spectacle offert par Balzac médiocrité ou méchanceté foncière de l'espèce humaine. C'est la lutte pour la vie dans une société affranchie de scrupules, où de jeunes ambitieux (ce que nous appellerions aujourd'hui des arrivistes) ne songent qu'à se disputer le pouvoir politique ou l'argent. :

:

:

Stendhal Un romantisme lucide, qui tempère l'ardeur de ses passions, son ardeur de vivre, son « égotisme » par son attention ironique aux réalités vécues. Un écrivain moderne.

Les romans de Stendhal ont attendu plus d^un demi-siècle pour être estimés à leur juste valeur. Stendhal, de son vrai nom Henri Beyle, a connu une existence assez médiocre une jeunesse et une adolescence sans plaisir à Grenoble entre un père veuf, bigot sans grande tendresse, et une tante vieille fille, véritable « diable femelle », et un sinistre précepteur ecclésiastique. Il lui faudra attendre 1802, aimée où un cousin lui obtint :

Le XIX^ siècle

/

197

un poste de

sous-lieutenant, pour qu'il découvre à la fois l'amour et l'héroïsme en rejoignant l'armée de Bonaparte qui venait de s'illustrer à Marengo. Cette expérience sera décisive Stendhal la renouvellera en vivant de 1814 à 1821 à Milan, sa seconde patrie dont il voudra perpétuer le souvenir en faisant inscrire sur sa tombe cette épitaphe Henri Beyle, Milanais. Sous la Restauration, Stendhal mène une vie terne à Paris, celle d'un vieux garçon taciturne dont ses contemporains, même Mérimée qui croit bien le connaître, ne devinent ni le génie ni même le caractère. Installé comme consul en Italie, à Civita Vecchia, il reviendra mourir à Paris en 1842. la

liberté,

l'Italie,

:

:

Une importante œuvre autobiographique a permis de connaître

Dans

Henri Brulard,

le

vrai Stendhal.

a raconté sa jeunesse ; à ce témoignage il convient d'ajouter les Souvenirs d'Égotisme et le Journal. Ces œuvres n'ont été connues que tout à la fin du xix^ siècle mais elles sont décisives pour discerner les traits de Stendhal qui, au moral du moins, est le frère des héros de ses romans qu'il aide ainsi à mieux connaître. Le principal trait de son caractère est une sensibilité extrême, où il entre du romantisme mais aussi le la

Vie

il

goût du panache, de l'héroïsme, du risque, bref de tous les éléments capables de définir un bonheur sans temps mort et sans bassesse. Mais Stendhal s'inscrit aussi dans la lignée des analystes classiques plus encore que de l'émotion, il se méfie, comme écrivain, de sa transcription lyrique, passionnée, rhétorique et montre une sévérité surprenante à l'époque pour les phrases de Chateaubriand. Le Beylisme est l'art de vivre dont on trouve les traits épars dans toute l'œuvre de Stendhal, et qui s'applique aussi bien à lui-même qu'à ses personnages. Le Beylisme est un épicurisme pour Stendhal, la seule affaire importante de la vie est la chasse au bonheur, mais pas n'importe quel bonheur. Les âmes d'élite, auxquelles s'adresse cette morale aristocratique, ne s'épanouissent que dans les grands sentiments et les situations peu communes qui :

:

demandent une énergie passionnée,

parfois

un peu théâ-

mais conquérante et généreuse. Stendhal est sur ce point l'héritier d'une tradition qui remonte à la chevalerie en passant par les tragédies de Corneille.

trale,

198

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

Les grands romans de Stendhal^ loin d'hêtre en rupture avec les œuvres autobiographiques^ se situent, avec des affabulations différentes, dans le même paysage moral, • Le Rouge et le Noir (1830) est l'histoire de Julien Sorel, un paysan qui s'est révolté contre la bassesse de sa condition ; grâce à l'amour de de Rénal, puis de Mlle de la Mole, il parviendra presque au succès mais, moins calculateur que le héros de Balzac, Eugène de Rastignac, il tirera des coups de feu sur de Rénal, se croyant trahi par celle qu'il aime, et finira sur l'échafaud. • La Chartreuse de Parme (1839) nous transporte dans une ItaHe mi-réelle mi-imaginaire. Fabrice del Dongo, jeune homme du même caractère que Julien Sorel, mais favorisé au départ par la naissance, commet assez d'imprudences, au cours de sa vie aventureuse, pour faire un long séjour en prison qui du moins lui fait connaître l'amour. • Lucien Leuwen, roman posthume inachevé, complète cette trilogie avec la figure de son héros, jeune et beau dont la quaUté provoque l'amour partagé d'une aristocrate de Nancy, où il est en garnison.

Mme

Mme

Les romans de Stendhal ont un intérêt historique. Le Rouge et le Noir a pour sous-titre « chronique de », et nous brosse en effet un tableau de la société française de la Restauration, dominée par l'aUiance des nobles et du clergé, mais hantée par le souvenir de Napoléon. Dans Lucien Leuwen, dont l'action se déroule sous la Monarchie de Juillet, on assiste aux différends entre légitimistes et orléanistes. Dans la Chartreuse de Parme, on trouve l'image :

1830

de l'Europe post-napoléonienne telle qu'elle a été façonnée par le Congrès de Vienne. Il y a donc du réalisme chez Stendhal qui définissait le roman comme un miroir qui se promène sur une grande route. :

Mais

son réalisme est surtout psychologique. traité théorique De P Amour (1822), Stendhal attaché à l'étude du cœur humain et avait donné son nom à la théorie de la cristallisation, qui suit les étapes de la formation et de la croissance de l'amour. Dans la

Dans un

s'était déjà

même

ligne, les

personnages de ses romans, auxquels

il

a

Le XIX^ siècle

/

199

donné beaucoup de lui-même, sont d'une richesse peu commune et composent une société inoubliable. Par des interventions constantes, des « intrusions d'auteur », dont a parlé G. Blin, un de ses critiques les plus avertis. Stendhal

en quelque sorte ses personnages, commente en bien ou en mal les propos ou les actions qu'il leur prête, ce qui donne une grande profondeur de champ à la narration tout en l'enveloppant d'un humour très typique où il entre de suit

la lucidité et

de

la

tendresse.

Par son

style aussi

Stendhal

est

très original

à

son époque. Refusant la période oratoire, brisant systématiquement phrase lorsque l'émotion risquerait de l'enfler, il avait pour modèle avoué la sobriété sèche du Code civil. En pleine époque romantique, cet art qui a des aspects voltairiens a contribué sans doute à retarder la gloire de Stendhal. Il y était résigné « Je serai lu vers 1880 », disait-il en dédiant ses livres aux happy few qui seraient un jour capables de le comprendre. Sa prédiction a été réalisée. la

:

Les romans de George Sand sont une description optimiste et idéalisée de la vie. Enfant méditative et boudeuse (elle avait « l'air bête »), femme exaltée et romanesque, collaboratrice de Jules Sandeau, amante de Musset, Aurore Dupin (1804- 1876), qui prit le pseudonyme de George Sand, a, pendant près de quarante ans, sans échec et sans interruption, alimenté la littérature.

Dans

ses

premières

compositions,

d'un romantisme

ardent, tout inspiré de Rousseau, elle proclame les droits de la passion (Indiana, Lélia) ; dans une série de romans « socialistes », elle prêche la fusion des classes, le partage fraternel des richesses (Le Meunier d'Angibault); vers

1845- 1853, ^11^ se consacre au roman champêtre ; ses dernières œuvres sont des fictions tirées de la vie mondaine. C'est dans le domaine nouveau du roman champêtre que G. Sand est devenue classique se souvenant des récits entendus dans son enfance, des excursions et des séjours :

nombreux faits à la campagne, à Nohant, un charme discret et pénétrant, la terre, gens du Berry.

avec travaux et les

elle a décrit, les

200

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

embarras d'un Les sujets sont presque insignifiants paysan veuf et père de famille qui songe à se remarier (La Mare au Diable); bonté de cœur d'une fillette à demi sauvage et qu'on croit sorcière (La Petite Fadette). C'est pour la vérité des descriptions et la nature sympathique des personnages qu'on s'attache au récit. :

Flaubert Flaubert,

le

soumettre son

maître incontesté du roman réaliste, s'imposa de art aux contraintes d'une objectivité scientifique

rigoureuse.

Flaubert a donné dans Madame Bovary modèle de réalisme et dans Salammbô un chef-d'œuvre du roman historique,

un

Gustave Flaubert (1821-1880), né à Rouen, a consacré Amateur de voyages, curieux de scènes pittoresques ou violentes, artiste consciencieux, il n'a écrit qu'un très petit nombre d'ouvrages. Romantique par l'imagination, réaliste par principe, il a dans deux chefs-d'œuvre donné le modèle accompli du roman de mœurs et du roman historique. • Madame Bovary (1857) ^st l'histoire d'une jeune femme romanesque que la littérature mène à l'inconduite et que le déshormeur pousse à la ruine et au suicide. Femme 'd'im petit médecin de campagne, rêvant d'une vie luxueuse et passioimée, elle se laisse détourner de son devoir et se jette dans une vie de dépenses et de hontes ; le jour où l'huissier vient saisir son mobilier, affolée, elle s'empoisonne avec de sa vie entière à la littérature.

.

l'arsenic.

• Salammbô (1862) est une résurrection archéologique et barbare du monde carthaginois. Les Mercenaires révoltés contre la Métropole africaine finissent par être cernés dans le défilé de la Hache et réduits à mourir de faim. Matho, leur chef, est amoureux de Salammbô, fille d'Hamilcar celle-ci, forte de l'ascendant qu'elle a sur lui, fanatisée par le prêtre Shahabarim, ose aller au camp de l'ennemi reprendre le zaïmph, voile sacré, auquel était attachée la fortune de Carthage. :

Le XIX^ siècle

V

• Éducation sentimentale (1869) est le récit d'un amour platonique entre le jeune Frédéric Moreau et Arnoux femme d'un éditeur assez grossier. Autour de Frédéric gravitent plusieurs personnages, jeunes en général, dont la Révolution de 1848 va changer le destin. Flaubert est très grand comme peintre de caractères, comme peintre de milieux et comme artiste. Les caractères. Il a noté avec une vérité profonde Tenchaînement logique des rêves romanesques et des actes d'Emma Bovary ses projets chimériques qui la dégoûtent de la vie ordinaire et bourgeoise, son changement d'allures et de propos, les étapes fatales de sa déchéance. Autour d'elle, et avec la même vérité où se mêlent souvent de l'ironie et du mépris, il montre les personnages secondaires le pharmacien Homais, prétentieux et grotesque, l'obscur Charles Bovary, etc. Les milieux. Observateur attentif, il nous rend les aspects de la vie contemporaine dans un bourg de province (dans la Seine-Maritime) intrigues et tableaux de petite ville, noces de campagne, fermes et paysages, solennité de Comices agricoles, etc. (Madame Bovary.) Dans Salammbô, par un effort combiné d'imagination et d'érudition, il reconstitue la vieille civilisation punique, avec ses mœurs et ses croyances (cultes de Moloch et de Tanit) ; il évoque Carthage avec ses temples, ses palais, ses arsenaux, son atmosphère humide et voluptueuse, ses sufFètes cupides et cruels ; il peint la cohue disparate des Mercenaires, la violence meurtrière des batailles et des sièges, le fanatisme des sacrifices humains. L'art. C'est de l'accumulation patiente des détails matériels ou moraux que se dégage une impression de vérité parfaite on pourrait seulement reprocher à l'auteur de juxtaposer les traits particuliers ou les images sans toujours réussir à les fondre dans un ensemble vivant.

Mme

:

:

:

:

Quoi

qu'il

en

^oit, le style, très précis, très travaillé,

ferme

un des

plus parfaits de la langue française il sait, en gardant toujours les qualités artistiques d'harmonie et de couleur, se ployer à toutes les situations tragique, mélancolique ou passionné. Essentiellement plastique, il tend avant tout à satisfaire les yeux par la représentation précise des attitudes et des décors. et souple à la fois, est :

:

Dans Salammbô,

il

affecte

une

du

festin

tableaux grandioses bataille

du Macar, du

de là, ces Mercenaires, de la

allure poétique

sacrifice à

des

Moloch.

:

/

201

202

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

La phrase d'une syntaxe impeccable, bien rythmée,

est

évocatrice par la musique même et souvent par l'image « Ses rêves, tombant dans la boue comme des hirondelles blessées... » (Madame Bovary). « Quelque chose des dieux l'enveloppait comme une vapeur subtile » (Salammbô). :

Flaubert donne l'exemple d'une imagination très riche, constamment retenue et disciplinée par le souci du vrai

de l'art. Ce sentiment de l'art, qui le distingue des purs naturalistes, et son admiration pour le passé font en quelque sorte de lui un Parnassien de la prose.

et le respect

L'Histoire au XIX^ siècle Abordée par amour du pittoresque ou par conscience scientil'Histoire a donné naissance à des œuvres qui doivent compter parmi les plus beaux monuments de notre littérature. Le rénovateur de l'esprit et du style historiques fut Augustin Thierry le réalisateur le mieux doué au point de vue de l'art fut Michelet; Guizot, Renan et surtout Fustel de Coulanges se sont signalés par la sévérité croissante de leurs méthodes.

fique,

;

Augustin Thierry a exposé une conception nouvelle de Fhistoire, D'abord professeur, puis

journaliste

au service du

parti

sous la Restauration, Augustin Thierry (17951856) finit par se vouer à l'étude exclusive de l'histoire. Ses principes et sa méthode ont été d'abord déterminés par ses idées politiques. SUBSTITUER L'HISTOIRE DU PEUPLE A l'HISTOIRE DYNASTIQUE ; remplacer « le catalogue biographique des rois » par le spectacle de la diversité des provinces, évoluant chacune selon son individualité, ayant ses usages, ses aspirations, ses révoltes, avant d'aller se confonc&e dans

libéral

l'unité nationale.

anciennes invasions, ime occupent un pays les troubles politiques sont la conséquence lointaine d'actes anciens de violence et de conquête. L'histoire de France serait donc le récit de l'émancipation de la race gallo-romaine (confondue avec la plèbe rurale et le

THÉORIE DES RACES. Depuis

les

lutte imprescriptible se livre entre les races qui :

Le XIX« siècle

/

203

Tiers-État) s'afFranchissant par de douloureux efforts de l'oppression germanique (noblesse et royauté).

CONSERVER LA CARACTÉRISTIQUE DE CHAQUE SIÈCLE et le pittoresque des vieilles chroniques. Augustin Thierry s'indigne contre la déformation que les auteurs modernes font subir aux choses du passé en leur imposant une couleur neutre et uniforme. Au contraire, Thierry veut s'inspirer des documents et des légendes et se servira de procédés dramatiques pour bien accuser la rudesse des époques « J'avais l'ambition de faire de l'art en même barbares :

temps que de

la science. »

Dans

Augustin Thierry^ Fart et Vimagination concourent à V exposé des faits.

les écrits

Deux grands ouvrages ont donné à Augustin Thierry l'occasion d'appliquer ses théories et de déployer ses qualités d'écrivain. • Histoire de la conquête (T Angleterre par les Normands (1825). C'est l'exemple de « l'intrusion de tout un peuple au sein d'un autre peuple » ; Thierry s'est appesanti sur la spoliation cruelle dont furent victimes les Saxons vaincus. • Récits des Temps mérovingiens (1840). S'inspirant des textes de Grégoire de Tours, Thierry donne les épisodes les plus frappants du régime consécutif aux invasions, peint la brutalité ou la perfidie des rois francs, la destinée malheureuse de Galeswinthe, figure mélancolique et douce, la perversité astucieuse de Frédégonde. Au contact des conquérants fantasques et violents, la civilisation galloromaine s'éteint ; seuls, des évêques représentent quelque force morale dans un monde de violence effrénée.

La

vie de Michelet fut celle d^un

grand

travailleur^

probe, généreux et modeste. Fils du peuple, poussé « entre deux pavés de Paris

comme une

herbe sans soleil Jules Michelet (1798- 1874) connut, malgré l'affection de ses parents, une enfance malheureuse. Entré à 14 ans au lycée, il arriva à se faire distinguer par son intelligence et ses succès scolaires ; plus tard, il eut dans l'enseignement supérieur une belle carrière que firent interrompre les digressions politiques auxquelles il se livrait en chaire. Il fut destitué par le

Second Empire.

»,

204

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

a voulu écrire Vhistoire ou peindre la nature avec son imagination et son cœur.

//

C'était une nature profondément aimante. Il avait une affection instinctive pour tout ce qui est faible, une commisération fraternelle pour le peuple. En histoire, une tendance invincible le fait vibrer avec ses héros « D'autres moi, historiens ont été brillants, judicieux, profonds » Quand il eut délaissé « la dure, la j'ai aimé davantage sauvage histoire de l'homme », il s'est réfugié dans la contemplation de la nature accueillante et maternelle. :

:

:

la Cette sensibilité intense tourne au mysticisme Nature, la Patrie, la Femme sont pour lui l'objet d'une sorte d'adoration et quand un personnage tel que Jeanne d'Arc est l'interprète ou l'emblème de ces forces sacrées, Michelet l'exalte avec ferveur. :

L'Histoire de France est une résurrection intense et symbolique des grandes heures de notre passé. Précédée d'une Histoire Romaine (1831), suivie d'une Histoire (inachevée) du XI siècle (1876), V Histoire de France (1833-1867) a été l'œuvre capitale de Michelet, l'ambition et la gloire de sa vie. Conçue en 1830, ce devait être à la fois une œuvre de science et de patriotisme. Il en suspendit la publication entre 1 847-1 853 pour donner V Histoire de la Révolution. Michelet a défini son dessein faire de l'histoire « une résurrection de la vie intégrale ». Au lieu d'étudier isolément les règnes, les institutions, l'histoire politique de la France, il a voulu pénétrer « dans le détail des développements divers de son activité (religieuse, économique, :

» ; faire de l'histoire complète en reproduisant les aspects et les classes de la nation à chaque heure du passé. En plus des événements, il décrit les conditions matérielles de la vie (costumes, monuments) et surtout les conditions morales croyances, passions, souffrances des chefs et de la masse. Pour simplifier, il incarne une époque ou un parti dans un personnage (saint Louis, Luther, Danton) qui en représente au paroxysme les tendances. Son symbolisme historique va jusqu'à lui faire prêter intelHgence à des institutions, à des choses, à la terre féodale qui attache l'homme à soi, à l'or, à l'imprimerie, etc.

artistique, etc.)

:

Le XIXe siècle

/

205

Mais, en dessous de ces grands hommes et de ces ou physiques, Michelet atteint dans les profondeurs de la vie nationale l'évolution des forces

facteurs politiques

morales, l'explosion des passions collectives. On n'a jamais réussi à nous arracher plus fortement du présent pour fondre nos façons de sentir avec celles de nos ancêtres.

L'Histoire de France de Michelet est une œuvre de divination plutôt que de critique, la

La nouveauté de sa méthode consiste dans l'étendue de documentation examen direct et minutieux des archives :

inédites

:

registres

communes,

des

dossiers,

chartes,

mémoires, etc. ; recherches particulières sur les à-côtés négligés de l'histoire questions juridiques, financières, pénales ; études sur le commerce, l'armement, la sorcelrenseignements fournis par la géographie, lerie, etc. ; l'archéologie mobilière ou monumentale, la médecine. Avec une ingéniosité étonnante, Michelet tire éclaircissement d'une œuvre d'art, d'un livre, d'un portrait ; il note toute innovation survenue dans les mœurs (le café, le tabac), observe très diligemment les conditions de la vie privée logement, ressources, acquisition de la terre, charges de dettes ou impôts. Pour donner la vie et l'unité à cette poussière de détails, Michelet fait constamment appel à l'imagination. Il s'en sert notamment pour deviner la pensée intime, les sentiments des hommes. Il reconstitue les conflits, les haines, :



:

espérances d'autrefois il a, disait Taine, l'imagination L'histoire devient donc œuvre de sympathie. C'est une constante évocation morale, saisissante mais pturement arbitraire. Michelet n'a pas dissimulé la part « Ma vie de lyrisme qu'entraînait une telle conception fut en ce livre, elle a passé en lui ». Dans la seconde partie de l'histoire apparaissent les inconvénients de semblables principes. Si la méthode et la valeur narrative restent à peu près les mêmes, l'interprétation est totalement différente au parti pris de tout aimer pour mieux comprendre succèdent l'indignation, l'hostilité. Michelet juge l'Ancien Régime au point de vue démocratique et révolutionnaire ; aigri par ses déceptions politiques, il n'a que haine pour la monarchie, l'Église, « J'ai bu trop d'amertumes. J'ai avalé trop les Jésuites de fléaux, trop de vipères et trop de rois ». les

:

du cœur.

:

:

:

206

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

et Tocqueville ont donnée dès Vépoque romantique^ l'exemple d'un art plus sobre.

Guizot

Les tendances littéraires de Thierry autant que de Michelet décèlent l'influence du romantisme, un souvenir plus ou moins sensible de Walter Scott et de Chateaubriand. D'autres auteurs ont essayé de réaliser un idéal plus scientifique d'histoire impersonnelle et objective. • Guizot (1787-1874), homme d'État éminent, historien consciencieux, a étudié spécialement VHistoire de la Civilisation en France et la Révolution d'' Angleterre. Esprit impartial, très solidement informé, il a plutôt décrit les institutions principes du régime féodal au Moyen Age, origines de la monarchie constitutionnelle en Angleterre. • Alexis de Tocqueville (1805-1859), magistrat distingué, pour définir les principes essentiels d'un régime, dirigeant ses recherches sur un pays entièrement neuf, a analysé les causes et les effets de La Démocratie en Amérique; dans un tableau de L'Ancien Régime, il a apporté des :

clartés décisives sur l'administration centrale et provinciale

en France avant 1789. Thiers (1797- 1877), compilateur actif et « intelligent », a étudié en détail le Consulat et l'Empire, apportant une attention particulière à la « partie technique » de l'histoire :

administration, finances, guerre, diplomatie.

Ernest Renan^ historien et philosophe^ dans les questions d'histoire religieuse.

s'est spécialisé

Né en Bretagne à Tréguier, Ernest Renan (1823- 1892) fut séminariste, puis, renonçant à sa vocation, il se consacra aux études syriaques et hébraïques, indifférent aux discussions passionnées que provoqua la publication de ses travaux sur les faits religieux (i 863-1869). Dans ses dernières années il se tourna en amateur et en artiste vers la

philosophie (1876-1886) et eut une vogue très grande

dans

les

miheux

intellectuels.

Caractère impressionnable et ondoyant, Renan a conservé l'empreinte des influences très diverses qui ont celle de son entourage familial (sa mère et sa agi sur lui sœur Henriette), celle de son éducation « cléricale » et studieuse, celles plus profondes encore et contradictoires du mysticisme celtique, de la philosophie allemande (Herder, Strauss) et du positivisme contemporain (cf. Sou:

Le XIX« siècle

venirs d'enfance et de jeunesse). offre

Au

point de vue moral,

un mélange de douceur, de mélancolie

chimérique

;

au point de vue

intellectuel,

il

et

il

de rêverie

a la curiosité

scientifique, la patience, le goût des idées et une répugnance absolue à admettre des convictions arrêtées, des « dogmes »,

quels qu'ils soient.

Comme érudit, il a publié des travaux sur les langues et inscriptions sémitiques, sur la philosophie d'Averroès (auteur arabe) ; comme historien, il a donné V Histoire des Origines du Christianisme^ la Vie de Jésus et V Histoire du Peuple d"* Israël; comme philosophe, il a écrit V Avenir de la Science et des Dialogues ou Drames philosophiques. La méthode. Renan interprète et combine les textes traditionnels relatifs à la fondation des religions de manière à éliminer tout surnaturel. Mais devant Tinsuffisance et la confusion des données historiques, il se permet une reconstitution hypothétique en prenant pour critérium le goût et la

vraisemblance. Ainsi un travail d'arrangement très sur la base préalable d'une critique

subjectif s'appuie intransigeante.

La philosophie de Renan est un mélange de positivisme sceptique et d'idéalisme. Positiviste, Renan voulut remplacer sa foi religieuse par la foi scientifique (Avenir de la Science). Il croit en l'infaillibilité des méthodes critiques et expérimentales et, en 1848, songeait à une organisation scientifique de l'humanité. Plutôt hostile à la démocratie qu'il trouve fanatique ou vulgaire, il aurait préféré confier le gouvernement politique à ime académie de savants ou peut-être à un souverain philosophe, im nouveau Marc-Âurèle. Ce sont les théories mêmes de l'école positiviste, mais tandis que le positivisme pur condamne la spéculation métaphysique, Renan avait dans l'âme trop d'esprit celte et idéahste pour s'interdire la philosophie. L'influence de Renan. Au point de vue historique, la valeur de l'œuvre de Renan a sensiblement diminué, mais elle a provoqué un renouveau des études d'histoire religieuse. Au point de vue philosophique, Renan a joui d'un très vif crédit parmi la dernière génération du XIX® siècle qui trouvait en lui l'oracle du dilettantisme. Au point de vue littéraire, Anatole France avec sa fantaisie intellectuelle, Maurice Barrés par son culte mystique des lieux et des races. Loti dans certaines descriptions, apparaissent bien comme les héritiers de Renan.

/

207

208

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

Fustel de Coulanges a donné le modèle de Vhistoire scientifique^ rigoureusement assujettie aux textes. la Faculté de Strasbourg, puis à la Sorbonne normale supérieure, dont il fut directeur, Fustel de Coulanges (1830- 1889) a fondé l'histoire sur le respect absolu des documents. Ce fut un grand travailleur, un

Professeur à

et à l'École

esprit rigoureux et scrupuleux à qui le souci des détails n'a pas ôté le sentiment des ensembles.

Sa méthode. L'étude désintéressée et impartiale des textes est la condition préalable des recherches historiques. Il faut que l'historien fasse abstraction totale de ses préférences politiques et philosophiques et que, sans vouloir davantage s'identifier avec les anciens, il cherche loyalement et objectivement à comprendre l'esprit et les mœurs des sociétés passées, si étranges qu'ils paraissent. L'histoire est donc une question de patience, d'impartialité et d'intelligence.

Son œuvre. La Cité Antique

Étude sur le culte, le droit Grèce et de Rome. La thèse fondamentale est que les formes politiques se sont développées en fonction des idées rehgieuses et de l'extension du lien



et les institutions

de

(1864). la

famihal.

• Les Institutions de V ancienne France (1874- 1892), en 6 volumes. Refaisant le travail de Guizot, Fustel de Coulanges voulait exphquer la féodalité. Son œuvre, inachevée, débute à la Gaule indépendante et s'arrête à la royauté carolingienne.

Critique et Histoire littéraires Critique d'art La critique s'est enrichie au XIX« siècle des progrès de l'histoire de la psychologie; elle a gagné au contact de ces sciences une exactitude, une largeur et une pénétration plus grandes.

et

Jadis

purement théorique,

bornait à constater les

règles

la

la

critique

concordance entre

traditionnelles

d'Aristote,

littéraire

se

productions et d'Horace ou de

les

Le XIX^ siècle

/

209

au xix® siècle elle est devenue historique et concordance entre les œuvres et le milieu. Elle s'applique à montrer comment la littérature est « l'expression de la société », et s'inquiète moins de formuler des doctrines ou les règles des genres que de retrouver dans l'œuvre la personnalité de l'auteur. Chateaubriand donna l'exemple d'une critique large et libre s'attachant plus aux pensées qu'à la forme ; Mme de Staël, au lieu de définir le Beau en soi, classique et universel, avait défini le caractère individuel et national de l'art. Ces idées furent admises avec plus ou moins de souplesse par ViLLEMAiN (Tableau de la Littérature au XVIII^ siècle)^ non par Nisard, classique convaincu, ennemi du romantisme, qui traça d'un point de vue étroit mais avec force le développement type de la littérature française (point de perfection atteint au xvii^ siècle). Cependant le critique le plus importante est Sainte-Beuve. Boileau observe

;

la

Sainte-Beuve^ historien de Port-Royal, a laissé dans les Lundis les modèles d'une critique éclairée

par

la psychologie.

Poète inégal et familier, auteur d'un roman d'analyse Voluptéy Sainte-Beuve (1804- 1869) abandonna la création artistique pour s'en tenir au rôle de critique qui lui :

convenait mieux.

• Dans V Histoire de Port-Royal (1840- 1859) en 6 volumes, travail remarquable de science érudite et de psychologie, il étudie le foyer et l'expansion des idées jansénistes au xvii^ siècle ; il, a trouvé moyen de rattacher à son sujet tous les grands nOms de la littérature depuis Montaigne et Pascal jusqu'à Mme de Sévigné et Racine. et Nouveaux Lundis (1850- 1869), recueils d'articles littéraires très variés, sont une suite de monographies. Sainte-Beuve, qui les considérait, a-t-il dit,

• Les Causeries du Lundi

comme une «

introduction à une éventuelle et hypothétique histoire naturelle des esprits », s'intéresse par-dessus tout

à la psychologie l'œuvre.

des^ auteurs,

à

l'homme autant qu'à

210

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

Dans ce but il s'appuie sur une information sérieuse correspondances, mémoires, etc. L'agrément anecdotique :

moral et esthétique. Le nuancé, quelquefois subtil, est excellent. Sainte-Beuve fait preuve d'une intelligence très ouverte, très souple, capable de comprendre les caractères les plus et intellectuel s'unit à l'intérêt

style

précis,

opposés. A part quelques réticences et des timidités surprenantes, les Lundis de Sainte-Beuve demeurent une œuvre de beaucoup de goût et d'esprit, mais ils eurent peu d'action sur le mouvement littéraire leur auteur a préféré être un miroir plutôt qu'un guide. Éclectique dans ses jugements, indépendante dans ses procédés, la critique, telle que Sainte-Beuve l'avait conçue, est une question de tact. Après lui, elle se rapproche de plus en plus de la discipHne de l'histoire avec Taine, qui définit et applique catégoriquement les principes de la méthode nouvelle {Essais de Critique et d^ Histoire, 18581865). Dans ses études de la Philosophie de F Art (18651869), il étudie en sociologue plus encore qu'en artiste les productions plastiques et architecturales de la Grèce, des Pays-Bas et de l'Itahe. :

:

La

littérature réaliste et positiviste

Taine Le réalisme croissant des œuvres

littéraires

postérieures à 1852,

développement de l'histoire et de l'observation impersonnelle sont la conséquence de doctrines philosophiques et morales dont Auguste Comte et Taine ont été les grands initiateurs. le

Le

réalisme

scientifiques

marque V introduction des méthodes le domaine de Fart,

dans

Des caractères bien marqués distinguent la littérature postérieure à 1850, dont nous avons déjà mentionné plusieurs œuvres.

Le XIXe siècle

/

211

RÉALISME. Le lyrisme, la fantaisie personnelle s'amoindrissent pour faire place à l'observation désintéressée, c'est-à-dire à l'histoire ou à l'expérience. Toute œuvre s'appuie sur une collection patiente de faits incontestés. Spécialisation. Au lieu des ambitions universelles du romantisme, des synthèses excessives et confuses, chaque travailleur se renferme dans un cadre déterminé. Indifférent ou hostile à toute autre spéculation (métaphysique, politique), il se consacre à un objet précis et exclusif la science pour la science, l'art pour l'art. Telle a été, dans des occupations différentes, la règle de :

Claude Bernard, de Fustel de Coulanges, de Flaubert et de Leconte de Lisle. Plusieurs causes ont contribué à la création de cet état d'esprit • La vanité des illusions romantiques et la lassitude des enthousiasmes ; • Le progrès de l'esprit critique en histoire et en science, qui découvre le danger des intuitions a priori, l'erreur des systèmes préconçus et absolus ; • Le succès de la bourgeoisie industrielle et conserva:

trice,

qui calcule et conquiert le résultat tangible, le gain

immédiat ; • Le régime politique réprime

velléités

les

le gouvernement de Napoléon III d'agitation stérile et assure l'ordre :

matériel propice aux longs efforts. Dans ces conditions s'est produit un retour efficace et discipliné vers l'observation du vrai, une renaissance authentique des traditions classiques secondée par une pratique mieux entendue des méthodes scientifiques. La puissance des idées, l'art des vastes compositions, en un mot le génie ou le style ont compensé chez les grands esprits l'étroitesse ou la désagrégation qui auraient pu résulter d'un excès d'analyse ou d'un abus de critique. Les principes de l'esprit nouveau, du positivisme, ont été formulés par Auguste Comte et appliqués systémati-

quement par Taine.

Auguste Comte Auguste Comte (1798-1857),

est

le

fondateur du positivisme,

professeur à l'École Polytechnique, peut être considéré comme le dernier des Encyclopédistes dans son Cours de Philosophie Positive (1842), il propose de faire la classification des sciences et le bilan définitif de leurs résultats. Il entend appliquer les méthodes rigoureuses des mathématiques à l'étude des hommes et :

212

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

sodologie ou physique sociale. Exclusivement « positiviste il veut ne tenir compte d'aucune considération de métaphysique (« l'inconnaissable w), de religion ou d'art. Cependant, dans une reconstruction chimérique de la société, il définit sa morale altruiste, organise un culte mystique de l'Humanité et confie le gouvernement des hommes à une sorte de théocratie scientifique. Très discutées d'abord, propagées surtout par Littré, les théories d'Auguste Comte se sont imposées par le ton doctrinal de leur auteur et parce qu'elles satisfaisaient exactement les aspirations des contemporains.

fonde

la

scientifique,

)>,

Taine^ philosophe^ critique et historien^ a étendu

dans tous

les

domaines la théorie

positiviste.

Hippolyte Taine (1828- 1893) mena une vie très digne puis de chercheur indépendant, vie consacrée tout entière au travail. En vue d'approfondir les études psychologiques qu'il devait résumer dans son traité De r Intelligence {iijo\ il a abordé de la façon la plus large dans la littérature les manifestations de l'activité humaine (La Fontaine et ses Fables; Essai sur Tite-Live ) ; dans l'art ( Philosophie de Van ) ; dans la vie contemporaine en France et en Angleterre, et enfin dans l'histoire. Convaincu que l'on doit apphquer aux sciences morales la méthode des sciences naturelles (« comme dans les deux la matière est la même »), il n'a fait de la critique et de l'histoire que pour réunir des informations psychologiques. Ce fut un esprit systématique qui voulait unir une logique rigoureuse à un souci profond de la réahté expéd'universitaire,

:

rimentale

:

il

est réaliste, déductif et simplificateur.

Les théories de Taine supposent absolu.

un déterminisme

DÉTERMINISME PHYSIQUE. Il voit dans l'univers un mécanisme où le mouvement des astres, les combinaisons chimiques, la croissance d'une plante ou d'un animal, le développement de la pensée, les événements politiques, tout se produit et se succède automatiquement. Pour connaître le monde, il suffirait de découvrir la formule « l'axiome éternel », et l'on pourrait déduire avec certitude tout ce qui doit arriver. En attendant, il est facile

initiale,

Le XIX^ siècle

quelques

de retrouver

lois

simples

qui

expliquent

/

213

le

développement des individus et des institutions. DÉTERMINISME MORAL. Ainsi un poète (La Fontaine), un historien (Tite-Live), un artiste (Rembrandt) sont le produit de la race, du milieu et du moment. Taine juxtapose la psychologie particulière de l'individu (produit) à l'étude générale des facteurs (race, milieu) ; dans les fables de La Fontaine, dans la tragédie racinienne, il ne veut voir qu'une traduction des aspects de la vie sociale ou mondaine sous Louis XIV.

Taine a

laissé

une empreinte

très forte

sur les

critiques et les romanciers postérieurs.

Grâce à

l'unité

du

de

la

doctrine, à l'ascendant de

l'homme

de Taine s'est exercée écrivains postérieurs à 1875 P. Bourget lui

et à la valeur

style, l'influence

sur tous les doit l'appUcation des méthodes scientifiques à l'observation morale ; les naturalistes (Zola) utilisent ses théories sur la brutaUté instinctive et foncière de l'homme. Brunetière, en rectifiant certaines de ses vues, s'inspire de lui dans la critique littéraire. Maurice Barrés, dans ses romans et écrits poHtiques, adopte ses idées sur la force des traditions nationales, sur la nécessité d'être fidèle aux influences ataviques. :

La

poésie parnassienne

Au déclin de la poésie romantique et sous l'influence du réalisme apparaît l'école parnassienne qui répudie expressément l'ostentation du Moi. Leconte de Lisie, l'auteur des est demeuré le maître de cette école.

Poèmes

Antiques,

Les principes parnassiens imposent V impersonnalité et le souci

semble que

négation de la poésie il aboutit en tout cas à la suppression du lyrisme. Les Parnassiens, groupe de poètes du Second Il

:

l'esprit positiviste devait être la

de Fart.

214

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

Empire, n'ont conservé de l'héritage romantique que le culte de la forme s'attachant plus encore que Victor :

Hugo

à l'éclat du style, à la richesse des rimes, ils ont redonné à l'alexandrin une allure classique, à la composition une grande sévérité (division du poème en strophes régulières ; emploi du sonnet). Pour les sujets, ils se sont inspirés non de leur propre cœur, mais de l'érudition.

Théophile Gautier^ un artiste^ fut Vinitiateur du mouvement parnassien. Poète inégal, prosateur brillant (roman Le Capitaine Fracasse)^ vétéran des luttes romantiques, Théophile :

Gautier (1811-1872) s'est tourné, peut-être par manque de sensibilité personnelle, vers la représentation du « monde extérieur ». Se spécialisant dans le genre des transpositions d'art, il reproduit, avec l'appHcation d'un peintre ou d'un ciseleur, des tableaux, des sculptures, des lithographies. Son livre. Émaux et Camées ^ travail de versification savante, est un exemple parfait de « poésie plastique

».

Théophile Gautier a été l'un des théoriciens de « Vart pour Vart » l'art supplée à tout, prévaut sur la morale et donne seul du prix à la pensée et à l'objet :

:

Tout

passe. L'art robuste

[Seul a l'éternité.]

Oest Leconte de Lisle qui a donné les règles définitives et les chefs-d^ œuvre de la poésie parnassienne. dans l'île de la Réunion, Leconte de Lisle (18 18- 1894), en 1848 par l'ardeur de ses idées républicaines ; trompé par les événements, il se consola par le culte de l'art et groupa autour de lui un cénacle de disciples respectueux les Parnassiens. Il succéda à Victor Hugo à l'Académie française. Helléniste fervent, il a pratiqué assidûment Homère, Eschyle et Théocrite dont il a laissé des traductions originales et fortes. Leconte de Lisle a écrit des Poèmes Antiques (1852), des Poèmes Barbares (1862) et des Poèmes Tragiques (1884). Il s'est proposé surtout de faire réapparaître les croyances se signala

:

Le XIX® siècle

/

215

religieuses qu'a successivement connues Thumanité, et les mœurs de civilisations opposées à la nôtre.

• Les Poèmes Antiques sont presque entièrement consacrés à rinde et à la Grèce. • Dans les Poèmes Barbares et les Poèmes Tragiques, il expose les croyances ou les mœurs des peuples non classiques, juifs, Scandinaves, germaniques, celtiques, perses, arabes, et des scènes du Moyen Age. Enfin, en dehors de l'existence humaine, Leconte de Lisle observe les animaux, interroge la pensée sourde qui il montre les chiens se forme au fond de leur conscience sauvages hurlant après la lune, les grands fauves aux aguets, le jaguar rivé au col de sa proie, les éléphants passant à travers les dunes brûlantes et, au-dessus des sombres Cordillères envahies par la nuit, le condor planant dans :

l'air glacé.

Les idées de Leconte de Pessimisme. Au point de vue artistique, Leconte de Lisle se rattache dans la tradition française à André Chénier

de Vigny, mais pour morale et philosophie il adopte le pessimisme de Schopenhauer et le désenchantement de la doctrine bouddhiste. Le monde n'est qu'une forme illusoire ( Bhagavat ) ; la nature, féconde et splendide dans sa pureté première, a été souillée par l'irruption dévastatrice de l'homme (La Forêt Vierge). L'humanité, florissante et heureuse dans l'essor de ses premières énergies, opprimée maintenant par le christianisme, avilie par l'amour des richesses, est dégradée à jamais (Dies Irae) ; elle est l'œuvre d'un Dieu méchant qui s'est joué de sa créature l'unique espoir de l'homme, ( Quaïn ) ; « suprême et morne volupté », est l'attente du néant et Alfred

:

Et rends-nous

le

repos que

la vie

a troublé!

Culte de la Beauté. Il n'y a plus à compter ni sur le retour des antiques vertus (VAnathème) ni sur la science ou le progrès seul demeure intact l'idéal de l'Art :

:

La mort peut

disperser les univers tremblants. Mais la Beauté flamboie et tout renaît en elle, Et les mondes encor roulent sous ses pieds blancs. (Hypatie.)

Mais où le poète prendra-t-il ses inspirations pour chanter 1' « hymne mélodieux de la sainte Beauté » ? Ce ne sera pas en faisant étalage de ses sentiments intimes :

Lisle.

216

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

Déchire qui voudra

la

De

et

la

Pudeur divine

robe de lumière de la Volupté! (Les Montreurs.)

Le frémissement lyrique qu'il y a au fond des poèmes de Leconte de Lisle est étroitement contenu. Ce n'est guère dans la nature :

La

nature se rit des souffrances humaines... Elle dispense à tous ses forces souveraines Et garde povu: sa part le calme et la splendeur. (La Fontaine aux Lianes.)

Ce

sera plutôt en reportant la pensée vers le seul âge le monde ait connu l'hellénisme, l'antiquité païenne. " La suprême lueur des soleils de la Grèce » baigne de son éclat les poèmes préférés de Leconte de Lisle. Par contre, il voit dans le christianisme une

héroïque et heureux que

:

doctrine farouche et inhumaine. José-Maria de Heredia (1842- 1905), écrivain de souche espagnole, né à Cuba mais élevé en France, a été, après Leconte de Lisle, l'adepte le plus exact des théories parnassiennes. Renouvelant le genre du sonnet, auquel il s'est restreint, il a écrit dans Les Trophées (1893) série de poèmes où il arrive à faire tenir dans le cadre limité de 14 vers la scène la plus large et la plus expressive.

Baudelaire

(

182 1- 1867)

L'œuvre de Baudelaire échappe à tout classement. Aux confins du romantisme et du positivisme, Baudelaire a orienté définitivement la poésie dans des directions insoupçonnées avant lui.

Un

enfant

mal compris^ un poète méconnu, Baudelaire est né à Paris. De sa

vie

il

faut retenir le

remariage de sa mère, qui l'a beaucoup marqué, un voyage jusqu'à l'Ile Maurice, qui a enrichi sa mémoire de paysages exotiques, et sa longue liaison avec une mulâtresse, Jeanne Duval, qui a longtemps inspiré son œuvre avant de grever lourdement sa vie. Si l'on excepte quelques articles de critique littéraire ou artistique, dont l'intérêt est d'ailleurs grand, et quelques pages de journaux intimes, l'œuvre de

Le XIX« siècle

/

217

Baudelaire, se réduit au recueil de poèmes publié en 1857 sous le titre de Fleurs du Mal et à quelques poèmes en prose groupés en 1869 sous le titre de Spleen de Paris.

U œuvre de Baudelaire

est

au carrefour de plusieurs influences.

Baudelaire écrit en pleine période parnassienne, quand rétoile de Leconte de Lisle est au plus haut. Mais, malgré la dédicace des Fleurs du Mal à Théophile Gautier, l'influence parnassienne assez mince se réduit tout au plus à la grande attention portée à la forme poétique et au nécessaire travail de Tartiste. Un des visages de la beauté selon Baudelaire est d'apparaître comme « un rêve de pierre », ce qui l'apparente à la beauté selon les parnassiens. Mais à tout prendre, c'est l'influence romantique qui est la plus forte. Sainte-Beuve situait Baudelaire, dans une formule célèbre, à la pointe extrême du Kamtchatka romantique. Sont en efiet romantiques, chez Baudelaire, l'impression d'être incompris, voire maudit de la foule et de la société, sa tendance au dandysme, sa volonté de choquer en écrivant par exemple La Charogne, et, plus profondément, sa prédilection pour une esthétique du malheur que résume assez bien le titre de son recueil poétique.

Mais Baudelaire apparaît

surtout

comme un novateur.

il a rompu avec certaines formes traditionde la poésie, comme l'effusion lyrique pure et simple ; la tendance oratoire qui organisait bien des poèmes romantiques en vastes strophes, le souci descriptif auquel les poètes avaient tellement sacrifié avant lui. Baudelaire n'a qu'une préoccupation isoler la poésie de toute autre essence qu'elle-même. Avec ses exigences propres, elle doit constituer, selon le mot de Valéry, un langage dans le langage, délivré du souci utihtaire de la prose. Ces analyses sont devenues classiques, mais Baudelaire a été le premier à les énoncer avec force et à les illustrer, ce qui témoigne d'une force de réflexion critique dont l'association avec la puissance créatrice fait également date dans l'histoire de la poésie française. Après Baudelaire, à peu près tous

Le premier

nelles

:

les

poètes écriront aussi

un

art poétique.

218

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

La poésie de Baudelaire rCest pourtant rien moins que désincarnée. au contraire profondément liée non pas au individuelle, mais à celui de la condition humaine, tiraillée entre son aspiration vers Dieu et sa pesanteur vers Satan. C'est ce qu'exprime la première subdivision des Fleurs du Mal, Spleen et Idéal; l'homme écartelé entre « deux postulations simultanées » ne fait qu'entrevoir l'Idéal mais le plus souvent est en proie au spleen, eimui plus profond que celui des romantiques, à la fois mal physique, nausée, et mal moral, angoisse métaphysique Elle est

drame d'une passion

:

Quand

le ciel

bas et lourd pèse

comme un

couvercle

Sur l'esprit gémissant en proie aux longs ennuis Et que de l'horizon embrassant tout le cercle Il nous verse un jour noir plus triste que les nuits, (Spleen.)

Le déroulement plutôt inquiétant des Tableaux parisiens, seconde subdivision, ne saurait guérir l'homme :

Paris change! mais rien dans ma mélancolie N'a bougé! Palais neufs, échafaudages, bloc Vieux faubourgs, tout pour moi devient allégorie. Et mes chers souvenirs sont plus lourds que des rocs.

pas plus que l'ivresse, la débauche ou le blasphème (Le C'est pourquoi seule la Vin, Les Fleurs du Mal, Révolte mort peut achever l'itinéraire .

:

O

Mort, vieux capitaine, il est temps! levons l'ancre! ennuie, ô Mort! Appareillons! Si le ciel et la mer sont noirs comme de l'encre. Nos cœurs que tu connais sont remplis de rayons

Ce pays nous

!

Verse-nous ton poison pour qu'il nous réconforte Nous voulons, tant ce feu nous brûle le cerveau. Plonger au fond du gouffre. Enfer ou Ciel, qu'importe? Au fond de l'Inconnu pour trouver du nouveau! (Le Voyage.) !

Poésie et métaphysique,

La métaphysique

est encore plus présente chez Baudebut qu'il assigne nommément à la poésie, ou à la musique, à l'Art en général faire entrevoir à l'homme « les splendeurs situées derrière le tombeau ». Le sonnet

laire

par

le

:

Le XIX^ siècle

/

219

des Correspondances résume cet aspect majeur de l'esthéla Terre est moins un spectacle tique baudelairienne qu'un langage qui parle du Ciel. Ce langage est difficile à comprendre et s'exprime en confuses paroles. Le rôle du poète est de tenter de le déchiffrer, de pénétrer au cœur du mystère et de retrouver l'unité du monde en relevant les analogies les plus imprévues. :

Les parfums, les couleurs et les sons se répondent. des parfums frais comme des chairs d'enfant Doux conmie les hautbois, verts comme les prairies.

Il est

Baudelaire n'a pas été seulement le théoricien de ces correspondances inattendues ; il en a donné maints exemples dans son œuvre :

Vous

êtes

un beau

ciel

d'automne,

clair et rose. ( Causerie.)

Je suis Je suis

un cimetière abhorré de la lime un vieux boudoir plein de roses

fanées.

(Spleen.)

En

simplifiant un peu, on a pu qualifier Baudelaire à la fois de savant, puisque c'est un artiste très conscient, et

comme un critique, que son une méthode. C'est un fait en profondément marqué la poésie et qu'on

de mystique, ou bien dire, art est à la fois

un

délire et

tout cas qu'il a verra se réclamer de lui les poètes savants (Mallarmé, Valéry) tout comme les voyants (Rimbaud, les Surréalistes).

Le Symbolisme Le Symbolisme, en réaction contre le Parnasse, marque un retour au lyrisme et un affranchissement complet de la forme. D'abord méconnu, le Symbolisme a cependant triomphé des railleries et laissera une empreinte ineffaçable dans la poésie française.

Le Symbolisme n'est pas vraiment une école au sens d'un groupe structuré autour d'un chef ou d'une doctrine, mais une société d'amis poètes Gustave Kahn (1859-1936), Vielé-Griffin (i864-i937),Stuart Merrill (1863-1915), René Ghil (1862-1925), Jean Moréas (1856-1910) qui :

220

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

publia dans

le

Figaro en 1886

Ce mouvement

s'inscrivait

le Manifeste du Symbolisme. dans la ligne de celui des

^

Décadents animés par Jules Laforgue (1860-1887), poète délicat et harmonieux. D'ailleurs en cette fin du xix^ siècle l'imbrication des poètes, des tendances, des revues, des chapelles est telle qu'elle décourage d'avance toute tentative de classement. Aucune grande œuvre n'est strictement symboliste, mais il n'en est aucune non plus qui n'ait peu ou prou été influencée par cette tendance. On peut dire simplement que le symbolisme se rattache à Baudelaire, qu'on le retrouve chez nombre de poètes, mais celles

que les œuvres profondément originales comme de Rimbaud ou de Mallarmé lui sont irréductibles.

Les tendances symbolistes sHnspirent de Vesthétique musicale.

Musique et Mystère. Les Parnassiens avaient voulu décrire des choses précises et tangibles leur poésie plastique semblait rivaliser avec la peinture et la sculpture. Les Symbolistes, au contraire, recherchent le vague, l'indécis et s'inspirent plutôt de la musique. ÉMOTION. Ils se sont efforcés d'exprimer des sentiments subtils, exceptionnels. Leur poésie n'est souvent qu'un thème propice, par son indétermination même, à suggérer au lecteur des pensées confuses et agréables, des impressions. :

Au point de vue de la forme, les symbopréfèrent à la technique rigoureuse du Parnasse une forme libre et complexe, extrêmement nuancée. Abolissant les préceptes de la poétique traditionnelle (alternance des rimes masculines et féminines ; interdiction de l'hiatus), ils conservent habituellement l'alexandrin (malgré l'emploi possible de vers de 9, 11 ou 15 syllabes), mais en disloquent constamment la structure à l'aide de coupes anormales et d'enjambements ; la rime, très souvent sacrifiée (« Oh! qui Indépendance.

listes

dira les torts de la Rime ? »), est parfois omise et remplacée par un jeu d'assonances ou d'allitérations.

Verlaine et

le

symbolisme sentimental,

Paul Verlaine (1844- 1896), « Prince des Poètes », né à Metz, mena la vie lamentable d'un déclassé. Après toutes sortes d'aventures pénibles ou scandaleuses, il passa

Le XIX^ siècle

à rhôpital ses dernières années et mourut célèbre et miséreux en 1896. « Chétif trouvère de Paris », insociable et doux, incorrigible et bon, il désarme la critique, malgré ses égarements, à cause de ses souffrances et de son

ingénuité. Il a donné Poèmes Saturniens (1866) où Ton trouve déjà des accents de mélancolie triste. Fêtes Galantes (1869) où revit un xviii® siècle à la Watteau, Romances sans paroles (1874), Sagesse (1880), son principal recueil. Sa poésie, tour à tour ou « parallèlement » immorale et édifiante, reflète l'opposition qu'il y eut entre sa conduite et son idéal. Sensuel et mystique, Verlaine, en cela héritier de Baudelaire, a chanté les formes basses et charnelles du plaisir ; mais il a ressenti ou deviné les joies très pures du foyer domestique, les charmes de « la vie humble aux

travaux ennuyeux et faciles », l'attrait d'un « amour câlin et réchauffant ». Idéaliste auquel répugnent « l'ironie et les lèvres pincées », parfaitement sincère, il a magnifié l'amour et chanté sa foi rehgieuse retrouvée en strophes d'une humilité poignante et attendrie :

Soyez béni, Seigneur, qui m'avez fait chrétien Dans ces temps de féroce ignorance et de haine...

Mais plus essentiellement qu'un voluptueux ou un chrétien repentant, Verlaine est un poète, c'est-à-dire un interprète exquis des choses gracieuses et indéfinissables, du rêve, de la musique « de la musique encore et toujours ». Des images inachevées, des sensations éphémères, des sonorités douces et languissantes (« les sanglots longs des violons »), thème prédestiné pour les harmonies d'un Debussy ou d'un Reynaldo Hahn, suffisent à constituer le charme immortel des petits chefs-d'œuvre des Poèmes Saturniens, de la Bonne Chanson, des Romances sans Paroles : !

:

Il pleiire

Conmie

dans

il

mon cœur

pleut sur la

ville.

Quelle est cette langueur Qui pénètre mon cœur?

O

bruit

doux de

Par terre

la

pluie

et sur les toits...

La forme chez Verlaine

est très inégale,

incompréhen-

mais, sous sa négligence apparente, avec sa syntaxe tout à fait arbitraire, avec ses rejets ou surjets

sible parfois

:

/ 221

222

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

cadence brisée de ses vers, elle seule convenait pour exprimer la pensée fragile et dolente du poète, sa mélancolie et la

ses repentirs

Verhaeren

et le

ou

ses joies fugitives.

symbolisme

social,

Émile Verhaeren (1855-1916), poète belge, a connu, Baudelaire et Verlaine, des crises affreuses de dépression morale (Les Débâcles)^ mais, plus énergique,

comme

s'est ressaisi, et, dépassant le cadre du lyrisme individuel, a mis son talent au service de ses convictions politiques.

il

Mort accidentellement en 191 6. Verhaeren personnalité puissante, éprise d'action virile

est

une

:

formidable et suprême, et tonique liqueur Pour s'en griser la tête et s'en brûler le cœur!

L'âpre

Distille

réalité,

une assez rouge

Il y a en lui un réaliste et un poète épique. Dans une suite de recueils aux titres prestigieux Les Villes Tenta:

Les Forces Tumultueuses, La Multiple Splendeur, il a décrit la poésie de la vie sociale, glorifiant l'agitation fiévreuse des villes et les puissances dominatrices de culairesy

l'existence

banque,

moderne

:

l'or,

l'industrie,

la

vie

politique,

paquebots et les trains, l'immense activité du monde contemporain, « et le labeur des bras et l'effort des cerveaux ». Son style est rude, tourmenté, généreux. En des vers stridents et synthétiques, en de larges tirades inorganisées mais véhémentes et souples, il subjugue le vocabulaire, les images, les rythmes ; peu lui importent la correction syntaxique ou métrique, les hiatus, l'à-peu-près des rimes tout est sacrifié à l'expression fulgurante ou passionnée d'une image ou d'ime affirmation. la

les

:

Madame

de Noailles et

le

symbolisme de la nature,

Anna Brancovan, comtesse de roumaine

Noailles

(1876-1933),

de naissance, française d'éducation a renouvelé dans le Cœur Innombrable le sentiment de la nature, moins par des descriptions précises que par la ferveur passionnée avec laquelle elle proclame l'immortelle jeunesse du printemps, de la végétation et des cieux. Elle a dit le charme des jardins, l'âme des paysages, la fécondité et hellénique

des saisons, la lassitude des soirs, l'air et des plantes

de

:

les

saveurs ou les

baumes

Le XIX« siècle

/

223

Nature au cœur profond sur qui les deux reposent, Nul n'aura comme moi si chaudement aimé La lumière des jours et la douceur des choses, L'eau luisante et la terre où la vie a germé.

La forme, beaucoup moins

rigide que celle des parnasque celle des symbolistes, et ses vers, des alexandrins nets et harmonieux, tout en acceptant les facilités de la poétique nouvelle, gardent pourtant une siens, est plus claire

allure très classique.

D'autres poètes, en réalité continuateurs du Parnasse, ont seulement profité des licences de la versification symboliste pour traiter des sujets helléniques ou des tableaux Albert Samain (i 859-1900) et Rodenbach (1855- 1898), dans un genre plus élégiaque, Henri de RÉGNIER (1864-1936), Fernand Gregh, et Pierre de NoLHAC dans un genre plus strictement plastique. :

Arthur Rimbaud^ chantre du Bateau Ivre,

est le

poète des vertiges de Vesprit^ des débâcles psychiques^, le conquistador « d'incroyables Florides ».

La vie tragique et vagabonde de Rimbaud (1854-1891) un extraordinaire roman insurgé de la Commune, compagnon de débauche de Verlaine, navigateur en

est

Indonésie,

:

il

son existence sous les traits d'un avenen Abyssinie ; sa carrière poétique s'enclôt de quelques années d'adolescence 1871-

refait

turier colonial dans l'espace

:

1874.

Rimbaud a d'abord été un poète symboliste, versificateur habile, ayant le don de dégager d'une description familière un sentiment étrange ou mélancolique (Les Chercheuses de Poux), mais la marque essentielle de son génie est d'avoir voulu recomposer, hors du monde réel qui se disloque devant ses yeux, un nouvel univers. Comme Mallarmé, il cherche à remplacer les moyens prête aux voyelles des sonorités blanc, I rouge... ») ; il expérimente des transpositions verbales ou visuelles, non par fantaisie, mais dans l'espoir de mettre au jour une langue nouvelle, inouïe, appropriée à des spectacles insoupçonnés ou à des acquisitions spirituelles inédites. Sa poésie, comme sa vie d'ailleurs, est une fugue, une évasion, tour à tour douloureuse, éblouie, chimérique ; il est l'explorateur ordinaires d'expression

et des couleurs



A

;

il

noir,

E

224

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

de TirréeL Son poème du Bateau ivre figure bien ce « décrochage » qui l'entraîne dans un univers fantastique :

Les Fleuves m'ont laissé descendre où je voulais... Et dès lors, je me suis baigné dans le poème De la mer, infusé d'astres et latescent... heurté, savez-vous? d'incroyables Florides!

J'ai

Une Saison en Enfer renferme en prose la Le confession de ses angoisses et de ses affres « J'ai songé à rechercher la clef du festin ancien ». Nous y voyons que le drame intérieur de Rimbaud se situe sur le plan métaphysique, et non, comme la plupart des poètes, sur le plan « J'ai essayé d'inventer de nouvelles fleurs, passionnel de nouveaux astres... J'ai cru acquérir des pouvoirs surnaturels ». Effort transcendantal, dont finalement « Rimbaud a compris l'inanité Je ne pouvais pas continuer c'était mal ». Les Illuminations, postérieures à Une Saison en Enfer relèvent de la même volonté de « fixer des vertiges », d' « inspecter l'invisible et entendre l'inouï », comme Rimbaud le disait déjà dans sa célèbre lettre à Paul Démery, livre

:

:

:

:

dite Lettre du Voyant (15 mai 1871). De cette entreprise épuisante, les poèmes de

Rimbaud,

comme

tant en prose qu'en vers, subsistent

d'impressionnants témoignages où se lisent les soubresauts d'une conscience filant à la dérive jusqu'aux confins du délire et les projections d'imagination d'un « pêcheur d'or et de coquillages », qui ne rêvait qu'écroulements, épaves, jeux de couleurs et de phosphorescences :

Glaciers, soleils d'argent, flots nacreux, cieux de braise, Échouages hideux au fond des golfes bruns...

Lautréamont chante

le

mal,

Lautréamont (1846- 1870), de son vrai nom Isidore Ducasse, est lui aussi un isolé qui disparaît prématurément, emporté par la phtisie. Ses Chants de Maldoror, publiés sans aucun succès en 1869, lui vaudront une gloire posthume. Maldoror, le héros de ces chants en prose, est tour à tour le symbole de l'homme accablé par le Mal puis du Mal lui-même. Avec ses visions monstrueuses, fantastiques, son bestiaire apocalyptique, l'œuvre s'inscrit dans la tradition d'un certain romantisme noir. Mais la puissance étrange de son

Le XIX« siècle

/

225

verbe et la violence de son propos en font aussi une œuvre d'avant-garde que les surréalistes goûteront particulièrement.

Mallarmé

et Vécole symboliste.

Mallarmé (1842- 1898) eut une vie sans histoire. d'assez bonne heure à ses recherches poétiques, réunissait chez lui, rue de Rome, tous les mardis, un

Voué il

nombre de poètes qui partageaient ses préoccupaLes premiers poèmes de Mallarmé, publiés en 1866 dans la revue Le Parnasse Contemporain, ne sont pas révolutionnaires (Brise Marine, Le Sonneur, Les Fenêtres, VAzur). On y retrouve maints thèmes baudelairiens comme le spleen, l'attrait du voyage vers les pays exotiques, de la mort, conjugués avec des rêves de paradis et certain tions.

d'idéal.

La chair est triste, hélas! et j'ai lu tous les livres. Fuir! là-bas fuir! Je sens que des oiseaux sont ivres D'être parmi l'écume inconnue et les cieux!... Mais, ô mon cœur, entends le chant des matelots! ( Brise Marine.)

Ces poèmes sont clairs, les symboles tout à fait explien dépit d'une grande subtilité plus précieuse que vraiment hermétique. Hérodiade et Après-midi d^un Faune relèvent d'une ambition plus haute. Persuadé que le monde est fait pour aboutir à un beau livre, Mallarmé laisse apparaître dans ces œuvres ime personnalité qui se dessinera encore mieux dans des pièces comme Toast Funèbre, Prose pour des Esseintes, la série des Tombeaux et qui le conduira, à la limite, aux essais du Coup de Dés, qui tentera de révolucites

U

tionner aussi

la

présentation typographique.

La La

recherche verbale,

poésie de Mallarmé est inséparable d'une réflexion

originale sur le langage et d'une conscience aiguë de la spécificité de l'expression poétique. Aux yeux de Mallarmé, la poésie, langue hiératique, est la langue par excellence,

mots du langage commun, qu'il appelle mots de la prennent « un sens plus pur ». Cette langue permet d'évoquer le monde des idées et des essences.



les

tribu,

226

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

une fleur! et, hors de l'oubli où ma voix relègue Je dis aucun contour (...), se lève, idée même et suave, l'absente :

de tous bouquets. (Avant-dire au Traité du verbe de René Ghil.)

Mais ce monde platonicien étant, dans sa perfection et Mallarmé a souvent évoqué à son

sa pureté, intraduisible,

propos le néant, l'absence, le silence, le vide enfin, pareil à celui de la page blanche devant laquelle Mallarmé, poète peu fécond, éprouvait régulièrement l'angoisse de l'impuissance. La poésie de Mallarmé est d'un abord malaisé et présente de sérieuses difl&cultés d'interprétation, voire de compré-

hension. Sans doute par tempérament, Mallarmé avait-il tendance à la préciosité et au raffinement. Mais plus profondément, il était persuadé que toute chose sacrée, et la poésie l'était pour lui au plus haut point, doit demeurer mystérieuse et décourager par son hermétisme un profane vulgaire et paresseux. Aussi emploie-t-il des mots rares ou bizarres et s'ingénie-t-il à syntaxe.

compHquer ou

à dissimuler sa

Ses purs ongles très haut dédiant leur onyx, L'Angoisse, ce minuit, soutient, lampadophore. Maint rêve vespéral brûlé par le Phénix Que ne recueille pas de cinéraire amphore, Sur les crédences, au salon vide, nul ptyx. Aboli bibelot d'inanité sonore...

Au fond, Mallarmé a atteint son de lecteurs, mais ses fidèles sont Valéry qui raconte qu'un jour, à aperçu qu'il connaissait par cœur Mallarmé.

but

:

son œuvre a peu comme Paul

fervents,

dix-huit ans, il s'est toutes les poésies de

Le Naturalisme Le Naturalisme, tendance extrême du se

réalisme,

propose la représentation intégrale

de la

et

cynique

vie.

Le Naturalisme un rétrécissement ralistes

ont

du Réahsme dont il est à la fois une exagération. Les écrivains natu-

dérive et

comme

les

réalistes

le

désir de représenter

Le XIX^ siècle

/

227

intégralement la vie, mais sont par principe étrangers au sentiment de l'art. A ces deux tendances, on peut ajouter

pour caractériser

cette école

:

• L'intention de peindre spécialement

les milieux vulbasses classes ». • La prétention à une méthode expérimentale. Le roman n'est plus qu'une collection ordonnée de petits faits authentiques ; la réaction des caractères doit s'établir conformément aux lois des sciences médicales et psychiatriques. Le Naturalisme se réclamait, pour la doctrine, de Taine et de Claude Bernard ; pressenti par Flaubert, inauguré vers 1860 par les Goncourt, illustré par Zola, il a surtout régné de 1880 à 1890, malgré les protestations de Brunetière et d'Anatole France. Edmond (1822- 1896) et Jules (1830- 1870) de Goncourt, observateurs pointilleux, épris d'un Réahsme exigeant et minuscule, ont étudié dans des milieux populaires, bourgeois, artistiques ou religieux, des cas de maladies nerveuses. Leur style, qualifié d'impressionniste, est tremblotant, saccadé, d'une précision artificielle et pédante.

gaires,

«

les

Émile Zola a

laissé

une large collection de romans

naturalistes:

Les Rougon-Macquart.

Au lieu de se borner comme les Goncourt à des monographies diligentes et exceptionnelles, Émile Zola (18401902) s'est adonné à une œuvre plus vaste. Italien d'origine, méridional d'éducation, nature exubébérante et laborieuse, il a tenté de refaire, pour son époque et selon la formule naturaliste, ce que Balzac avait fait dans la Comédie Humaine. Il a écrit en vingt volumes Les Rougon-Macquart, « histoire naturelle et sociale d'une famille sous le Second Empire ». En tant qu'histoire naturelle, les romans de Zola étudient l'hérédité morbide ou criminelle dont sont affligés les descendants d'un couple donné ; en tant qu'histoire sociale, ils dépeignent la réaction de ces mêmes individus par rapport au milieu qu'ils fréquentent, milieu vicieux, misérable ou opulent, classe ouvrière ou industrielle, rurale, commerçante ou bourgeoise, etc. Assommoir Les principaux romans de la série sont (1877), histoire d'un ménage d'ouvriers alcoohques à Paris ; Germinal; La Terre, description cynique des :

U

228

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

mœurs paysannes La

Débâcle, récit de la guerre de 1870. ; Germinal (1855) est sans doute le chef-d'œuvre de Zola c'est une description sombre et précise de la vie dans les pays du Nord avec le récit des événements qui peuvent survenir dans l'histoire d'une mine ou parmi la population explosions de grisou, inondations, travail des corons exténuant et misère des ouvriers, chômages, puis, aux heures de révolte, les grèves, les attentats, les destructions :

:

sauvages. Au point de vue dénuée de valeur

» l'œuvre de Zola est généalogie de ses personnages est purement fictive. Mais, au point de vue documentaire, ses romans contiennent un vaste ensemble de recherches sur le monde ouvrier des diverses professions entre 1860 moyens d'existence, labeur, distractions et et 1875 coutumes des mineurs, couvreurs, mécaniciens, etc. Il tire de son enquête une conclusion républicaine et sociaHste. Deux tendances devaient altérer l'objectivité de l'œuvre de Zola Le talent dramatique du romancier, qui le porte à :

«

scientifique

la

:

:

grouper les faits d'une manière impressionnante son imagination lui fait grossir les proportions réelles, personnifier les choses et transformer en types les individus :

observés.

L'obsession naturaliste, qui par une sorte de perversion ne lui laisse plus apercevoir dans la société que les actes vils et les mauvais instincts d'être dégénérés.

Vart brutal et fougueux de Zola réussit dans la peinture des milieux populaires. C'est grâce à ses tendances littéraires et non à l'appareil scientifique de ses romans que Zola est parvenu à dominer les faits recueillis et à donner, au lieu d'une compilation fastidieuse, des œuvres fortes et durables, d'une indéniable vigueur. Faux ou simpliste dans la peinture des individus, il représente avec génie les foules et les choses. Il décrit

l'atmosphère grisante des réunions, les fêtes, les noces (V Assommoir), les manifestations de panique et de cruauté, les hurlements des masses (la grève dans Germinal), les drames de l'alcool et du vice. Comme Victor Hugo dans Notre-Dame de Paris, il prête une sorte de mentalité contagieuse et hallucinante aux choses, fait ressentir l'impression d'activité fiévreuse, de travail accablant, de

Le XIXe siècle

/

229

ou de douceur qui se dégage d'une usine, d'un grand magasin, d'une mine, des Halles de Paris, d'un cabaret, d'un jardin, etc. Le style de Zola est touffu, compact, lourd, mais entraîné par une sorte de force plébéienne, souvent cynique ou fastidieux, il devient lyrique ou épique, même en prose, quand l'auteur, échappant à l'aridité d'un réalisme sans noblesse, se laisse enlever par le mouvement dramatique des scènes ou par le souffle des idées sociales. plaisir, d'ivresse

Maupassant

et

Daudet,

Guy de Maupassant (1850- 1893), esprit sombre et désabusé, écrivain sobre, d'une précision rare, a conté des nouvelles d'un pessimisme tragique il décrit surtout la bourgeoisie médiocre et la vie paysanne. Alphonse Daudet (1840- 1897), au contraire, s'intéresse plutôt aux classes moyennes en province ou à Paris. Tempérament sensible et nerveux, plus proche des Concourt que Zola, amateur comme eux de petits faits, il a trop de délicatesse pour être entièrement naturaliste. Une nuance très vive de sympathie, d'ironie ou d'attendrissement atténue et humanise dans tous ses romans la vision directe des faits Le Petit Chose, Tartarin de Tarascon, amusante parodie du génie méridional. Les Lettres de mon Moulin, recueil gracieux de nouvelles, Sapho, d'un accent plus tragique, sont les plus populaires de ses œuvres. Son style est agréable et délicat plutôt que puissant. :

:

La

suite

du Naturalisme : Barbusse^ Dorgelès,

Le naturalisme eut pour résultat durable d'inspirer aux romanciers plus de hardiesse dans la peinture totale de la vie. C'est ce sentiment poignant de la réalité qui fait le prix des deux romans de guerre les plus discutés Le Feu (191 6), de Henri Barbusse, qui peint la désolation monotone et sanglante de la guerre de tranchées, dans les boues de l'Artois en 191 5, les misères du « poilu » ; et Les Croix de Bois (1919), de Roland Dorgelès. :

Pierre Loti et

le

roman

Pierre Loti (JuUen Viaud, 1850- 1923) a élargi le domaine du roman par la nouveauté du décor. Dilettante

descriptif.

230

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

désabusé qui contemple

la

disparition des paysages vierges

et le déclin des civilisations archaïques,

il

a

empreint son

œuvre d'un pessimisme funèbre. Au cours d'une longue carrière d'officier de marine, il a parcouru les diverses parties du monde à l'heure où l'invasion du progrès allait abîmer la beauté caractéristique de chaque pays, ruines d'Angkor ou de Thèbes, lieux sacrés de Judée et de Syrie, paysages d'Océanie, du Japon, de l'Inde et de Constantinople. Souvent indécis dans l'expression des caractères, lassant par la monotonie diffuse de sa tristesse, Pierre Loti n'en est pas moins un grand écrivain descriptif dans un style lent et sans prétention qui reproduit seulement les sensations du corps et quelques pensées persistantes, il nous communique l'impression de dépaysement, de fatigue ou d'émerveillement ressentie par un Français dans des régions lointaines ; il dépeint les horizons maritimes, les forêts, les déserts, les climats brûlants du Sénégal, le charme de Tahiti, la brume opaque et glacée de l'Océan. Pêcheur d'Islande (1886), son chef-d'œuvre, est une réahste :

poétique étude de

et

Les orateurs politiques

la

dure existence du marin breton.

et écrivains

du XIX^

siècle

La littérature politique aura été au XIX« siècle plus active que durable, A l'envisager dans l'ensemble, elle n'a connu un éclat

que sous la monarchie de Juillet (1830-1848) et dans quarante dernières années du XIX« siècle (1860-1900). réel

Il

les

semble qu'avec l'étabUssement du régime parlemendû acquérir une valeur

taire, la littérature politique aurait

exceptionnelle. Il n'en a pas été ainsi outre qu'elle a connu de longues intermittences dues aux restrictions apportées sous certains gouvernements à la hberté de parole et de presse, l'absence d'une tradition étabhe, les nécessités de la vie pohtique obligeant les auteurs à employer tout de suite leurs arguments avant de leur avoir donné la forme littéraire parfaite, le vieillissement rapide des théories et des points de vue ont fait que de l'œuvre des orateurs ou des publicistes les plus réputés il reste peu de chose. :

Le XIX^ siècle

De

Maistre^ Chateaubriand

et

été les meilleurs écrivains politiques

/

231

P.-L. Courier ont au début du siècle.

Premier Empire, le pouvoir abolit toute discusau Corps législatif ; mais l'Empereur parle à la les harangues ou proclamations de nation, à ses soldats NAPOLÉON i^^ sont brèves, entraînantes, imagées ; elles ont une beauté martiale malgré la parure factice de quelques « clichés » pompeux (proclamation aux soldats de l'armée d'ItaUe ou d'Austerlitz ; proclamation du retour de l'île Sous

sion,

le

même

:

d'Elbe).

A la même époque, Joseph de Maistre (1753-1821), né en Savoie, ambassadeur de Russie du roi de Sardaigne, philosophe catholique et légitimiste, auteur de Considérations sur la France, rédigeait ses Soirées de Saint-Pétersbourg. De Maistre est l'un des théoriciens les plus remar-

quables de

doctrine anti-révolutionnaire. Intransigeant il a disserté sur la nécessité de la guerre, de la souffrance et de l'expiation, sur le gouvernement temporel de la Providence, etc. En 18 14, Chateaubriand lança une brochure partiale et fameuse contre Napoléon De Buonaparte et des Bourbons; il intervint ensuite dans tous les débats importants de la Restauration, non sans aigreur ni arrogance. Les orateurs en vue sont alors Royer-Collard et le général foy, défenseur des idées libérales. En province, Paul-Louis Courier (1772- 1825), exofficier d'artillerie, affecte le franc-parler d'un « vigneron tourangeau » et dans un style alerte, avec une feinte bonhomie, ridiculise dans ses pamphlets la Restauration, ses fonctionnaires et ses partisans. et exclusif

la

dans ses idées,

:

Sous

la

Monarchie de

Juillet^ Véloquence parlementaire jette un vif éclat.

Le règne de Louis-Philippe marque une belle période pour l'art oratoire. Au gouvernement se distinguent GuizoT, avec plus de raideur, Thiers, avec plus d'esprit ; dans l'opposition, ce sont Montalembert, orateur enthousiaste de la cause catholique et libérale, et Berryer, député légitimiste, avocat illustre ; enfin Lamartine, idéaUste et démocrate, l'un des artisans et des chefs de la révolution de 1848. L'éloquence religieuse même se

232

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

s'imprègne de romantisme sous la parole impétueuse d'un improvisateur de génie, le Père LacorDAIRE (1802-1861). Du reste, dans la presse et les livres, des discussions rafraîchit,

passionnées s'élèvent autour des questions religieuses un défenseur exalté du catholicisme intégral, le prêtre breton Lamennais (1782-1854), passe au libéraUsme et finalement quitte le sacerdoce. Dans son journal L'Avenir et dans ses livres. Les Paroles d'un Croyant (1834), Le Livre du Peuple, il exprime en un style autoritaire et coloré, soutenu d'images bibliques et de paraboles, des idées de fraternité, une sorte de socialisme évangélique. D'autre part, Edgar Quinet et Michelet attaquent violemment l'Église et les Jésuites. Louis Blanc en 1840 expose un programme du parti socialiste fU Organisation du Travail). :

Sous

le

illustrent^

Second Empire^ Veuillot Vun^ la presse^ et Vautre^

et

Gambeîta

la tribune.

Le Second Empire à l'exemple du Premier, réprime les débats politiques. C'est pourtant vers 1860, avec la détente du régime autoritaire, qu'apparaissent, dans la plénitude dans le journahsme Louis enfant du peuple, cathoHque, partisan de l'infaillibilité et du pouvoir temporel du Pape, polémiste vigoureux au style imagé et mordant ; d'autre part, à la tribune, les orateurs répubUcains de l'opposition Gambetta (1838- 1882), le tribun » aux phrases enchevêtrées, au patriotisme grandiloquent, l'animateur du Gouvernement de la Défense Nationale en 1870; Jules Ferry, avocat et homme d'État, au style sobre, distingué et plus académique. de leur talent,

Veuillot

d'une

part

(18 13- 1883),

:

('

Troisième République.

Deux

opposés se remarquent chez les orateurs de tandis que l'éloquence d'affaires, la pratique du barreau tendent à les ramener aux discussions exactes, à un art réaliste et efficace, l'éloquence populaire, favorisée par le suffrage universel et la fréquentation des meetings, se prête au contraire trop facilement aux heux communs sur la démocratie, le progrès, etc. Cependant, de 1870 à 1914, des orateurs d'un réel talent ont représenté dans les divers partis l'éloquence française traits

ce régime

:

:

Le XIX« siècle

/

233

Waldeck-Rousseau (1846- 1904), avocat et président du Conseil; Albert de Mun (1841-1914), défenseur des idées catholiques et nationales ; Jean Jaurès (1859-1914), chef du parti socialiste, orateur abondant à l'éloquence pathétique largement déployée. Puis ce furent les hommes d'État de la Grande Guerre Raymond Poincaré (1860- 1934), orateur précis et nerveux ; Georges Clemenceau (i 841- 1929), plus âpre, au style inégal ; et Aristide Briand (1862- 1932), un des plus forts manieurs de la parole publique, persuasif et :

conciliateur.

Conclusion sur

le

XIX' siècle

La Littérature du XIX^ siècle a présenté un alliage de caractères complexes dont l'ensemble laisse une impression de richesse encombrée par sa profusion même. La confusion des genres, la multiplicité des sujets et des procédés d'expression témoignent d'un élargissement incomparable de l'horizon littéraire.

Le

subjectivisme et le réalisme de Vesprit moderne ont pris leur essor dans des cadres nouveaux et

moins

Par suite du mouvement de libération qui a été dans tous les domaines de la pensée et de la vie pubhque la marque du xix^ siècle, les genres qui se sont montrés les plus féconds ont été ceux qui, échappant à une détermination rigoureuse, se sont montrés plus aptes à s'affranchir de la tradition. La littérature n'a plus été divisée en compartiments étanches roman, poésie lyrique, comédie de mœurs ont été des moules commodes et extensibles qui se sont prêtés à l'expression de toutes les doctrines et de tous les tempéraments. Dans ces cadres très généraux, deux sortes de thèmes opposés ont trouvé leur expression LA PERSONNALITÉ DES AUTEURS. C'est le Cachet essentiel du Romantisme, mais il y eut là une tendance presque irrépressible qui s'est étalée dans l'immense majorité des œuvres Chateaubriand, Michelet, Victor Hugo, Maurice :

:

:

étroits.

234

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

Barrés. Seuls quelques historiens (Fustel de Coulanges), les positivistes et les parnassiens ont refréné cette ostentation

du Moi. LA REPRÉSENTATION (CRITIQUE OU DÉSINTÉRESSÉE) DE LA VIE SOCIALE. Ce fut surtout le thème des écrivains qui ont échappé ou essayé d'échapper à la tendance lyrique précédemment signalée. Tandis que les historiens se sont proposé d'étudier objectivement l'évolution des faits anciens, les romanciers, Daudet, Zola, Anatole France ont voulu, à l'exemple de Balzac, dresser le tableau complet de la société contemporaine. D'une façon générale, ils ont subordonné l'étude des caractères individuels à celle de la famille ; la psychologie a été conçue en fonction du milieu social.

La

tendance à Vuniversalité a du mouvement intellectuel.

été

Vambition principale

Toutes sortes de questions ont été abordées. Il semble pourtant que l'on puisse ramener à quelques chefs principaux les grandes sources d'idées du xix^ siècle la religion, la science, la poHtique. La religion, sentiment du cœur plutôt que doctrine, a été l'un des éléments inspirateurs du Romantisme (Chateaubriand, Lamartine) ; même des écrivains comme Michelet sont à leur manière des esprits religieux, des mystiques. A l'avènement du positivisme, le sentiment religieux cesse d'être un animateur pour devenir un objet d'étude (Renan, Taine), La dernière période du xix^ siècle amène une renaissance sentimentale ou intellectuelle de la foi, avec les poètes symbohstes et Paul Bourget. Les livres de Barrés et de Maeterlinck dénotent une curiosité sympathique des choses de l'au-delà, le tourment ou du moins le sens du mystère, du divin. La science, en même temps qu'elle transformait prodigieusement les conditions de l'existence, s'est imposée aux préoccupations intellectuelles sous la forme impérieuse du positivisme Auguste Comte, Taine, Cl. Bernard, Zola, Berthelot en furent à divers titres les initiateurs auprès du public. Le culte de la science inculqua aux écrivains le sentiment du déterminisme, le goût des explications physiologiques, l'abandon de la psychologie conventionnelle, le dédain de la métaphysique. Le progrès des sciences biologiques explique l'importance attribuée par :

:

Le XIX^ siècle

/

235

romanciers à l'étude des cas d'hérédité et l'introduction dans la philosophie courante du concept de Vie. La politique, d'autre part, a suscité une formidable dépense d'énergie. Les journées révolutionnaires de 1830 et 1848, les événements de 185 1 et 1871, le Boulangisme, l'affaire Dreyfus ont provoqué chez les écrivains non seulement des alternatives d'espoir et de déception, des élans de haine ou d'enthousiasme, mais ont modifié leur orientation morale et parfois même leur destinée entière (Lamartine, Michelet, Victor Hugo, Taine, Zola). Cette inspiration s'est jointe, chez beaucoup, à une préoccupation généreuse des questions sociales. les

Les transformations du

style ont traduit Vassimilation parfois laborieuse des modes nouveaux de la pensée et de la sensibilité.

Cette annexion ininterrompue de faits et d'idées, le désir de rendre d'une façon intense et rapide tous les modes d'activité et de sensation ont imposé une refonte de la langue courante. Les anciens procédés ont paru ne plus suffire à l'expression de conceptions nouvelles aussi la langue a perdu sa rigueur, les néologismes se sont multipliés, la syntaxe s'est dénouée, la poésie est devenue flottante. Depuis 1880, Verlaine, Mallarmé, Verhaeren ont, plus ou moins selon leur tempérament, modifié la technique réguHère et les lois séculaires de la parole française. Il y a là un phénomène remarquable de l'évolution linguistique et mentale contemporaine. :

236

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

Les grandes dates de la littérature au XIX^

siècle

Chateaubriand Le Génie du Christianisme. Lamartine Les Méditations. Victor Hugo Préface de Cromwell. Victor Hugo Hernani. Stendhal Le Rouge et le Noir. 1833-1834 Balzac Eugénie Grandet, Le Père Goriot, La Recherche de V absolu. 1835-1837 Alfred de Musset Les Nuits, Lorenzaccio. 1837 Victor Hugo Ruy Bios. 1839 Stendhal La Chartreuse de Parme. 1852 Le CONTE de Lisle Poèmes antiques. 1853 Victor Hugo Les Châtiments. Nerval Sylvie, Les Chimères. 1856 Victor Hugo Les Contemplations. 1857 Flaubert Madame Bovary. Baudelaire Les Fleurs du Mal. 1859 Victor Hugo La Légende des Siècles. 1862 Flaubert Salammbô. Leconte de Lisle Poèmes Barbares. 1802 1820 1827 1830

:

:

:

:

:

:

:

:

:

:

:

:

:

:

:

:

:

:

1863-1864 Renan Vie de Jésus. FusTEL DE CouLANGES La Cité Antique. 1866 Verlaine Poèmes Saturniens. 1869 Flaubert UÉducation sentimentale. Lautréamont Les Chants de Maldoror. 1873 Rimbaud Une Saison en Enfer. 1876 Mallarmé L'Après-midi d'un Faune. 1885 ÉMILE Zola Germinal. Anatole France Le Crime de Sylvestre Bonnard. 1886 Pierre Loti Pêcheur d'Islande. 1897 Edmond Rostand Cyrano de Bergerac. :

:

:

:

:

:

:

:

:

:

:

XXsiècle

238

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

Introduction est difficile de ranger sous une ou plusieurs rubriques production immense et variée du xx^ siècle. Peut-être parce que le rythme de l'évolution des idées s'est accéléré, sans doute aussi parce qu'il est impossible, quand on est contemporain d'une littérature, d'en discerner nettement les grandes masses et les reliefs, c'est l'impression de Il

la

diversité, d'hétérogénéité irréductible qui l'emporte.

Le xx^ siècle a été marqué par des conffits d'une dimension jusqu'alors inconnue. Sans doute les crises et les guerres n'avaient-elles pas manqué au cours des siècles précédents, mais celles du xx^ ont intéressé pour la première fois la quasi-totalité de la planète. La guerre de 1914-1918 a été justement appelée, la Première Guerre mondiale. Celle de 1939- 1945 mérite encore mieux ce nom. Devant l'ampleur des catastrophes et des hécatombes, l'Europe, qui a payé le plus lourd tribut (plus de 50 millions de morts pour le dernier conflit), s'est prise à s'interroger de façon plus aiguë sur le destin de l'homme, sur le sens de la vie et de la mort des civiHsations. La littérature s'est faite largement l'écho de ces préoccupations en donnant forme et consistance aux idées ainsi brassées et en leur assurant une large diffusion. C'est pourquoi la division la moins artificielle qu'on puisse introduire dans la production littéraire du xx^ siècle est celle qui consiste à emprunter le cadre des grands événements historiques. On peut distinguer trois époques dans le xx^ siècle L'avant-guerre de i 914. Cette période, que l'on appelle parfois la Belle Époque, ne marque aucune rupture ni innovation profonde par rapport aux dernières années du siècle précédent qu'elle continue dans une large mesure. D'ailleurs les principaux maîtres à penser Anatole France (né en 1844), Bourget (né en 1852), Barrés (né en 1862), Jaurès (né en 1859), Bergson (né en 1859), et Maurras (né en 1868) sont aussi des hommes du xix^ qui avaient commencé à écrire et à publier avant 1900. On peut dire toutefois qu'une dizaine d'années avant la guerre, le sentiment que le conflit était inévitable s'est très largement répandu et que les grandes querelles de politique intérieure (Boulangisme, Affaire Dreyfus) ont fait place à des préoccupations et à des querelles de politique extérieure. :

:

L'entre-deux-guerres (1918-1939).

Le sentiment de

Le XX^ siècle

/

239

détente et de bonheur qui a suivi

la fin de la guerre a d'un grand nombre d'œuvres de premier plan qui par leur perfection formelle, leur accord avec leur époque, leur tendance à l'universalité, semblent constituer une sorte de nouveau classicisme. Toutefois, au cours des dernières années de la paix, que l'établissement des dictatures rend précaire, on enregistre quelques accents discordants, notamment dans l'œuvre de Malraux, qui annoncent la catastrophe imminente. L'après-guerre et le temps présent. La guerre elle-

favorisé

même une

l'apparition

et surtout la Résistance avaient

donné naissance

à

de circonstance, publiée clandestinement avec des moyens de fortune. Une fois la paix revenue, les œuvres reflètent encore l'angoisse d'un monde mal apaisé. La littérature exprime alors le plus souvent des philosophies désabusées comme celle de Camus, sensible à l'absurdité de la vie, ou celles qu'a inspirées de près ou de loin l'ExistentiaUsme dont Sartre est en France le plus illustre représentant. Le théâtre et, dans une certaine mesure la poésie, brillent alors d'un vif éclat. Aux alentours des années 1950, sans qu'on puisse en préciser davantage la date, s'amorce un nouveau tournant. Rejetant encore plus systématiquement que leurs précécesseurs immédiats non seulement les thèmes, mais aussi les genres et les moyens d'expression dits classiques, de jeunes écrivains tentent de créer un roman, le Nouveau Roman appelé aussi anti-roman, et qui constitue avec le théâtre anti-théâtre et des recherches révolutionnaires en poésie ce que Claude Mauriac a appelé l'a-littérature contemporaine. littérature

Les maîtres à penser Anatole France, Rolland, Bourget, Barrés, Péguy Les différents courants de pensée de cette avant-guerre personne et des écrits de quelques ténors dont les œuvres sont d'inégale valeur

se sont cristallisés autour de la

240

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

mais qui ont exercé une sorte de magistère moral dont l'influence s'est fait sentir longtemps après eux Anatole France et Romain Rolland, surtout sensibles à l'appel du progrès ; Bourget et Barrés, surtout soucieux de maintenir une tradition ; Péguy, catholique mal vu de l'Église, faisant figure de franc-tireur isolé. littéraire

:

Anatole France

( 1844- 1924)

:

un sceptique devenu

un maître. Critique, historien, mais surtout romancier, il appartient de Voltaire et de Renan par son scepticisme mêlé d'ironie et d'indulgence et par l'élégance classique à la lignée

de son

style.

Ses idées, qu'expriment les fines dissertations du Jardin d'Épicure et les entretiens complaisants de Jérôme Coignard et de Monsieur Berger et, sont une critique désabusée des illusions humaines et des institutions religieuses ou poHtiques

:

le

gouvernement,

la

justice, l'armée.

L'histoire

ironique ou l'actualité sont l'occasion de la plupart de ses romans. Dans Thaïs, il peint la vie étrange des solitaires chrétiens de la Thébaïde aux derniers temps de la civilisation alexandrine et romaine ; La Rôtisserie de la reine Pédauque évoque un milieu curieux d'alchimistes et d'abbés du xviii^ siècle. Les Dieux ont soif (191 2) sont un récit de la vie sous la Terreur. Cependant la pensée d'Anatole France ne saurait se réduire à un dilettantisme souriant. On peut même dire qu'à partir de l'affaire Dreyfus, où il a été dreyfusiste, il n'a pas refusé l'engagement politique. Apôtre de la liberté et des libertés, pacifiste, méfiant envers le fanatisme religieux ou politique, Anatole France a fait malgré son scepticisme peu à peu figure de patriarche de la gauche, voire de l'extrême-gauche. Son idéal était un sociahsme qui assurerait la justice à tous tout en respectant les droits de chacun. Il a obtenu le Prix Nobel en 1921. C'est par son style qu'Anatole France est classique et conservateur petites phrases courtes et claire à la Voltaire, dont la simplicité savante scintille de mille nuances :

d'ironie.

Le XX^ siècle

/

241

Romain Rolland

journaliste ( 1866-1944) ^ non engagé et un romancier original.

De

formation universitaire (École Normale Supérieure il a écrit d'abord des pièces de théâtre avant de se consacrer au roman avec jfean Christophe dont les 10 volumes s'échelonnent de 1904 à 19 12 et Colas Breugnon (1919). Jean Christophe a connu un vif succès. Moins goûté de nos jours, cette ample fresque biographique inaugurait le « roman-fleuve », pour reprendre l'expression même de son auteur, genre littéraire appelé à une grande fortune dans la httérature contemporaine. Épris d'art et notamment de musique, Romain Rolland a écrit plusieurs vies d'hommes illustres dont la plus célèbre est celle de Beethoven (1903). Mais ce sont surtout ses articles publiés en Suisse pendant la guerre et réunis sous le titre de Au-dessus de la mêlée qui lui attireront la notoriété en provoquant le scandale. Poursuivant un idéal humanitaire et pacifiste. Roman Rolland essayait de s'abstraire de la haine nationaliste qui ravageait l'Europe, de même qu'il gardera toujours ses distances, par la suite, avec les différents mouvements ou partis, même ceux de gauche vers qui allait pourtant sa sympathie. et agrégation d'histoire),

Maurice Barrés

et le culte des forces spirituelles.

Maurice Barrés (1862- 1923), né en Lorraine, offre l'exemple intéressant d'un écrivain qui a passé du pur dilettantisme au traditionalisme, de l'école de Renan à l'école de Taine. Barrés s'est d'abord voué ostensiblement au culte du Moi dans des livres prétentieux et subtils, il vise exclusivement à développer sa sensibilité {Le Jardin de Bérénice, 1891) ou à enregistrer les réflexes de son tempérament en présence des paysages lorrains, vénitiens, espagnols. Adoptant ensuite un idéal plus viril, il identifie sa vie propre avec les formes héréditaires de l'énergie nationale, et étudie dans le cadre des provinces d'Alsace et de Lorraine le conflit de civilisation entre le génie français et le génie allemand {Colette Baudoche, 1909). Son originahté est d'avoir fait ressortir les forces obscures qui façonnent notre pensée individuelle ou collective influences ancestrales ou mystiques, la puissance des morts et la puissance des Heux {La Colline inspirée, 191 3). :

:

242

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

Les écrits de Barrés en général sont moins des romans que des méditations lyriques, des analyses de croyances ou de forces morales ce sont des essais très riches où se sont fondues les aspirations complexes de sa génération. A ce titre. Barrés se trouvait préparé par une longue expérience psychologique à chercher en Orient la survivance d'antiques traditions religieuses {Enquête aux pays du Levant) aussi bien qu'à définir, à l'occasion des gestes :

héroïques de la guerre, rituelles de la France ».

l'idéal

des diverses

«

familles spi-

un homme de tradition, nationaliste, anti-dreyfusard, champion du catholicisme. Il a exercé de son temps et après lui une très

Lui-même

est

grande influence sur toute une famille d'esprits. Son style, très artiste, empreint à l'origine d'obscurité, et de pédantisme, s'est élevé peu à peu à une forme classique, volontairement sobre.

Paul Bourget

et le

roman psychologique

et

moral.

Paul Bourget (1852- 1935) a laissé une œuvre homogène, dogmatique qui est une condamnation du dilettantisme. Au lieu d'observer en simple spectateur la vie contemporaine, il est un témoin qui explique et qui juge. Bourget, formé par la pratique de la méditation jointe à de sérieuses études médicales, a fait d'abord d'intéressantes analyses de critique littéraire, sous le titre é*Essais de psychologie contemporaine (1883- 1885). Devenu romancier, tout en marquant à la manière des naturalistes le rôle du tempérament, de l'hérédité, des influences pathologiques, il a voulu aussi être le psychologue des formes les plus hautes de l'intelligence et du sentiment, faire des

études d'âmes, des planches d'anatomie morale. Mais il lui suffit pas de discerner les idées qui inspirent les actes il en juge la valeur, l'efficacité sociale. Critique sévère du cosmopolitisme, du dilettantisme et de la démocratie, il étudie les crises de la vie familiale et nationale de son temps. Il dénonce la responsabilité des maîtres athées d'une génération dans le plus célèbre de ses romans. Le Disciple (1889), s'élève contre le divorce {Un Divorce, 1904), insiste sur la hiérarchie des classes sociales et le danger des élévations trop brusques {U Étape, 1902). Cette prédication constante, qui lui valut une bonne part de son succès, est ce qu'on lui reproche le plus aujourd'hui. Mais ses romans à thèse font de lui un témoin historiquement important.

ne

:

Le XX^ siècle

Alain-Fournier

(1886-1914)

est

/

243

V homme d'un seul livre.

Le Grand Meaulnes (19 13), roman poétique et mystérieux, à mi-chemin entre le rêve et une réalité vécue, d'une qualité très précieuse, qui du Nerval de Sylvie.

est

le situe

dans

la tradi-

tion

Charles Péguy ( 18 j 3- 191 4), polémiste et poète, a exalté les valeurs ancestrales et héréditaires incarnées dans la terre de France; il restera le chantre de Jeanne d'Arc et le pèlerin de Notre-

Dame

de Chartres.

Professeur et homme de lettres, fils d'une ouvrière et de son ascendance paysanne, Péguy a trouvé en 1914 sur le champ de bataille de la Marne, dans une mort héroïque hbrement affrontée, la signification suprême de sa vocation, scellant de son sacrifice un idéal depuis longtemps entrevu. Animateur des Cahiers de la Quinzaine (i 900-1 914), revue qu'il a fondée pour être libre et dont il assure presque à lui seul, dans sa célèbre boutique de la rue de la Sorbonne, la composition et la rédaction, Péguy se signale par l'originalité de son attitude épris de justice sociale, de générosité, insoucieux de choquer les idées régnantes, il s'élève contre la routine intellectuelle et littéraire, contre la tyrannie des partis poHtiques, contre l'égoïsme et l'Argent. Ce défenseur de Dreyfus se brouille avec les dreyfusards et regagne, en franc-tireur, le parti de Barrés ; ce socialiste quitte les socialistes quand ils lui semblent dégrader la mystique en politique ; ce chrétien fervent vit en marge des disciplines de l'Église. Plébéien de naissance, aristocrate au fond, il a l'horreur du « commun », de la médiocrité ; idéaliste intransigeant, il garde contact avec les réalités humbles et positives de fier

:

la

vie.

De là, le caractère spécial de sa « mystique » religieux, d'une sincérité authentique, d'une singulière élévation, mais qui a besoin de s'adresser à quelqu'un, de se fixer sur des personnes, sur des figures SON ŒUVRE.

:

un idéalisme

historiques (Notre-Dame, sainte Genevièvej Jeanne d'Arc), qui se localise sur des monuments consacrés (la cathédrale de Chartres) et s'explicite en des gestes de prière.

244

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

litanies ; un patriotisme vigoureux, ombrageux même, qui s'attache avec une ferveur pressante aux gloires de l'histoire de France, aux horizons de ses campagnes et au courant de ses fleuves (la Meuse, la Loire), au souvenir des générations anonymes qui en ont labouré et défendu

en

le sol.

• Avec une puissance intuitive vraiment incomparable, Péguy a évoqué plusieurs fois en prose et en vers le

Mystère de vocation,

Charité de Jeanne d'Arc le genèse de sa mélancolie de son départ, l'immensité de son

la

la

abnégation

:

:

Adieu, Meuse endormeuse et douce à mon enfance... Voici que je m'en vais en des pays nouveaux :

Je ferai la bataille et passerai les fleuves ; Je m'en vais m'essayer à de nouveaux travaux, Je m'en vais commencer là-bas les tâches neuves.

• Dans une épopée plus touffue {Eve)^ il expose, comme dans une immense psalmodie, le sens général de l'histoire du monde, vue sous l'angle du péché et de la rédemption. C'est là que, sous la houle incessamment battante de ses alexandrins, il faut aller chercher quelques-unes de ses pages les plus profondes sur le lot accablant des misères et des fautes de l'humanité depuis les premiers temps Et je vous aime tant, aïeule roturière... »), sur le (« retentissement historique de la naissance du Christ (« Les pas des légions avaient marché pour lui »....), sur le mérite des sacrifices obscurs :

:

Heureux ceux qui sont morts pour la terre chamelle... Heureux ceux qui sont morts, car ils sont retournés Dans la première argile et la première terre ; Heureux ceux qui sont morts dans une juste guerre Heureux les épis mûrs et les blés moissonnés. ;

SON MODE d'expression. Péguy

a gardé avec obstination d'expression qu'il s'était fabriqué reprise indéfinie d'une formule, d'une image. Sa pensée ne s'élargit, ne s'agrandit, qu'au prix d'une surcharge systématique et continuelle il allonge, il complète, il ne supprime jamais. De là l'impression obsédante et souvent fastidieuse de son style (surtout en prose) ; mais, à travers ce foisonnement de redites, se font jour d'admirables le

mode

:

:

trouvailles.

Le XX« siècle

/

245

Politiques et philosophes Un

nombre de penseurs, en ce début de siècle, intéressent proprement dite que l'histoire des idées ou ta politique. Mais l'influence qu'ils ont exercée leur donne une certain

moins vie

la

littérature

grande importance

à

des

titres divers.

Jean Jaurès^ un

socialiste humaniste.

Chef du parti socialiste unifié qu'il a travaillé à créer (1905)9 Jaurès (i 859-1914) fut un tribun puissant à l'éloquence pathétique. La générosité de sa personne et de ses idées, sa mort symbolique d'apôtre de la paix (il fut assassiné à l'aube de la guerre de 19 14) en ont fait une figure attirante et respectée.

MaurraSy zélateur du

<(

nationalisme intégral

».

Prosafeur de talent {Anthinea, La Musique intérieure), Charles Maurras (1868- 1952) fut aussi un polémiste vigoureux dont la dialectique s'efforça de discréditer le principe du nombre, les instabilités de la démocratie et de restaurer les notions d'ordre, d'autorité monarchique et de raison d'État. Ayant fondé le mouvement royaliste de V Action Française (1899), il mihte non sans un certain succès pour le nationalisme intégral. Sa collaboration avec le gouvernement de Vichy (1940- 1944) a contribué à le discréditer.

Henri Bergson

et le retour

à

autour d'une synthèse à la grandiose les esprits que lassait le Positivisme. En opposition avec l'effort d'Auguste Comte et de Taine qui voulaient restreindre à la connaissance positive les ambitions de la pensée humaine, Bergson a restauré dans la philosophie la légitimité des aspirations métaphysiques. Grand écrivain, s'exprimant dans une langue poétique et lumineuse, autant que le permet la complexité des idées exposées, Bergson fait de la mémoire

Bergson

(i 859-1 941) rallie

fois subtile et

l'intuition,

246

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

associée à la sensation le principe de la psychologie et intègre la notion essentielle de durée à toutes les manifestations de la conscience ; affirmant la prépondérance de l'intuition, il en préfère la brusque et incommunicable évidence à la lenteur du discours logique ; théoricien de la mobihtéj autant qu'Aristote et Descartes l'avaient été de la stabilité et de l'absolu, il conçoit l'univers comme

un échange prodigieusement mouvant de

relations.

On

retrouve plus qu'un écho de ses idées dans des œuvres aussi diverses que celles de Péguy et de Proust.

En

ce début

du xx^

siècle, la critique httéraire est

très traditionaliste avec

encore

Brunetière (1849- 1906) qui tente

d'appliquer aux genres littéraires les théories évolutionde Darwin tout en émettant le plus souvent un jugement moral sur les œuvres ; Faguet (1847- 191 6), plus proche de Sainte-Beuve, Jules Lemaitre (1853-1914), plus artiste, plus impressionniste, et Gustave Lanson (18571934)5 véritable initiateur de l'histoire littéraire, avec ce qu'elle comporte d'érudition, mais dont l'influence, souvent attaquée, se fait sentir encore aujourd'hui. nistes

La poésie avant

la

guerre de 19 14

On

note une certaine permanence de l'inspiration symAlbert Samain, Henri de Régnier, Émile Verhaeren publient encore et l'on peut rattacher à ce courant les œuvres de de Noailles et de Paul Fort (18721960). De son côté Francis Jammes (i 868-1938), sur un mode plus familier, écrit des poésies d'inspiration rustique boliste

:

Mme

et chrétienne.

UUnanimisme. Les

recherches de Jules

Romains

(1885-1972)^ Jules Romains doit sa notoriété au théâtre et surtout au roman. Fondateur de l'Unanimisme, il a voulu instituer un lyrisme des émotions collectives. Animateur d'un noyau

Le XX« siècle

/

247

de jeunes écrivains réunis à V Abbaye vers 1904, il eut ridée d'abandonner le sentiment du Moi (« je me suis tout vidé de vie intérieure ») pour exalter une poésie de l'âme collective et de la vie des foules « Nous, pauvres hommes, nous apprendrons aux groupes à devenir des dieux. » Il voulait élever en dehors et au-dessus des individus une sorte de conscience supérieure qui aurait eu ses mythes, ses espérances et ses réflexes et dans laquelle se seraient fondues toutes les âmes particulières. L'ambition de Romains ne manquait pas d'envergure et d'audace :

:

Le

rêve de la Ville est plus beau que

le

mien.

Elle lui a inspiré certains poèmes d'un réalisme étrange mais il n'a pu réussir à créer un mouvement

et inusité

durable.

Outre Péguy, déjà cité au titre de maître à penser, les deux grandes figures de la poésie de cette époque sont ApoUinaire et Claudel.

Guillaume Apollinaire

(i88o-içi8)y un

artiste

avide de nouveautés. Guillaume Apollinaire (de son vrai nom Wilhelm Apolde Kostrowizki) est né à Rome d'une Polonaise et d'un Autrichien. C'est par goût qu'il se fixe à Paris dès sa vingtième année et qu'il fréquente assidûment les

linaris

milieux artistes de la capitale. Dans les cafés du Quartier Latin et de Montparnasse, c'est alors, au déclin du Symbolisme, un fourmillement d'idées, d'écoles et de revues souvent éphémères. ApoUinaire est de toutes les avantgardes (fauvisme, cubisme) et, comme certains romantiques l'avaient fait avant lui, il se lie aussi volontiers avec des peintres comme Derain, Dufy ou Picasso qu'avec des poètes ; il a en outre une longue liaison avec le peintre Marie Laurencin. C'est lui qui inventera le terme de Surréalisme. Les années de bohème aimable constituent une expérience enrichissante, brutalement interrompue par la guerre, dont le recueil d'Alcools (1898- 191 3) sera l'écho. Mobihsé, ApoUinaire survivra à une grave blessure qui avait exigé sa trépanation mais succombera peu après à l'épidémie de grippe espagnole.

248

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

Vœuvre d'* Apollinaire marque un renouveau tempéré de r expression poétique. Dans une certaine mesure, Apollinaire a rompu avec l'esthétique traditionnelle et il y a parfois de la prose volontairement agressive dans cette poésie, notamment dans ses poèmes-conversations où il coud Tune à l'autre des phrases de la vie de tous les jours. Il ne craint pas de s'attacher à des décors que leur trivialité excluait jusqu'alors du domaine poétique. J'ai vu ce matin une jolie rue dont j'ai oublié le nom... Les directeurs les ouvriers et les belles sténodactylographes Du limdi matin au samedi soir quatre fois par jour y passent Le matin par trois fois la sirène y gémit.

(Zone.)

Dans son

recueil de Calligrammes (191 8) il demandera à la disposition typographique, comme Mallarmé l'avait tenté avec Un Coup de dés, d'ajouter au texte des effets qui rapprochent la poésie de la peinture. AU NIVEAU DU LANGAGE, Apollinaire excelle dans l'alliance insolite des termes, faisant jaillir l'originalité du choc de deux expressions toutes faites (éclat de verre, éclat de rire)

même

:

Mon

verre s'est brisé

comme un

éclat

de

rire.

Parfois c'est l'image brutale et inattendue qui s'impose Soleil

:

cou coupé.

MAIS LA QUALITÉ LA PLUS REMARQUABLE DE LA POÉSIE D'APOLLINAIRE EST PEUT-ÊTRE LA MUSIQUE. Son poème le plus célèbre est d'ailleurs une chanson La Chanson du Mal aimé. Il y a à ce sujet du Romantisme chez ApolHnaire et bon nombre de poèmes d'Alcools se font l'écho d'une aventure d'amour malheureuse qui eut pour cadre en 1901 la région rhénane. La mélancolie d'Apollinaire s'exprime alors en strophes dont le rythme, on voudrait dire l'incantation, s'impose à l'oreille et à la mémoire par-delà le sens, parfois assez mystérieux, des mots :

:

ô sœur lumineuse Des blancs ruisseaux de Chanaan Et des corps blancs des amoureuses Nageurs morts suivrons-nous d'ahan Ton cours vers d'autres nébuleuses.

Voie

lactée,

Le XX^ siècle

Le

/

249

lyrisme de Claudel^ s*élevant dans le drame à des proportions inouïes^ s^ efforce d^ englober dans une synthèse poétique et religieuse les forces de Funivers,

Paul Claudel (1868- 195 5), ambassadeur de France et poète catholique, a entrepris le plus ambitieux effort de généralisation poétique qui ait été tenté de nos jours. Fortement influencé par Rimbaud, un « mystique à l'état sauvage », qui lui a appris à réunir sous une vision unique les objets les plus incompatibles, il veut entraîner dans

d'un hymne à la Divinité, non seulement les hommes de tous les temps et de toutes les races, mais encore les les éléments, les arbres, l'eau, le forces de la nature vent, les astres. Hardiment, il se mêle au chœur des puisl'élan

:

sances surnaturelles, des saints et des anges.

Il

annexe

à son inspiration l'univers et le Ciel. Aucun obstacle ne résiste à la violence poétique

de

tous les matériaux lui sont bons, les plus vulgaires comme les plus élevés ; tous les rapprochements sont possibles et toutes les métaphores valables, même au prix d'un artifice verbal (connaissance co-naissance).

Claudel

;

:

UNE POÉSIE « SANS RIME NI MÈTRE ». Ce lyrisme qui déconcerte souvent par ses inégalités et sa familiarité produit cependant dans les Odes un effet de grandeur, de pression envahissante, une sorte de majesté processionnelle ou impétueuse. Dans le Cantique du Rhône, nous nous représentons, au cœur de l'Europe « exfoliée » qui « se lever et s'ouvrir comme une rose immense », massifs de montagnes et de glaciers environnant le fleuve à sa naissance

semble les

:

...

Vingt cimes recueillant

les souffles

des quatre coins

du

monde. Vingt visages recueillant la bénédiction des Cieux illimités et la déversant de tous côtés vers la terre en un flot torrentiel et solide.

En un pan cataracte l'Extase!

Comme

on

de verre, en une seule masse d'or, en une en une chute aussi fixe que

immatérielle,

le voit,

Claudel a renoncé au vers alexandrin un modèle plus libre de verset

classique pour adopter

rythmique, intermédiaire entre le vers et la strophe, et à peu près équivalent à la durée du souffle respiratoire.

250

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

Vous ne trouverez point de rimes dans mes vers ni aucim sortilège ce sont vos phrases mêmes. Pas aucune de vos ;

phrases, que je ne sache reprendre! Ces fleurs sont vos fleurs et vous dites que vous ne les reconnaissez pas, Et ces pieds sont vos pieds, mais voici que je marche sur la mer et que je foule les eaux de la mer en triomphe!

C'est que Claudel, devenu catholique après une conversion pathétique qui eut pour cadre Notre-Dame de Paris le jour de Noël 1886, assigne à la poésie la tâche de représenter le monde total ), l'immense octave de la création », une nature qui ne soit pas amputée du surnaturel et où, bannissant les médiocres servitudes de la métrique traditionnelle, la Muse qui est la Grâce » unit dans un même mouvement exaltant l'inspiration du poète et l'inspiration

de Dieu.

UN THÉÂTRE D'AFFRONTEMENTS. Mais Une imagination aussi débordante ne pouvait se satisfaire dans le hTisme ; elle a amené Claudel à viser dans le drame à des perspectives plus vastes que celles auxquelles avait jamais pensé

Victor

Hugo dans

la

symboUques qu'on ne

Préface de Cromn-elL par des œuvres

comparer qu'au Second seulement les unités, la suite de l'action et les conditions de vraisemblance les plus élémentaires, requises dans une œuvre normale, n'arrêtent pas Claudel, mais la distance, les impossibiUtés historiques et, pour ainsi dire, l'absurde, ne peuvent freiner son élan inventif. Il admet et recherche les anachronismes, l'apparition des absents et des morts, le mélange des genres le contraste des pas(la bouffonnerie et le recueillement^ sions (l'égoïsme ou la haine en lutte avec la mysticité), des empereurs, des pèlerins, le contraste des personnages des mendiants, la vieille femme qui se nourrit d'un peu et le vieux aux de lait et d'un petit morceau de gâteau oreilles pleines de poil blanc comme un cœur d'artichaut Presque tous ses drames sont consacrés à l'illustration il exalte la soumission à la Provid'une loi théologique

Faust de Goethe.

saurait guère

Non

;

:



»>.

:

dence, l'humilité, l'abnégation, la souffrance. Une force de là, cette atmosphère irrésistible englobe tous nos actes de fatalisme optimiste et surnaturel qui règne même sur Le Partage de Midi (1906^, drame de la tentation charnelle, écho st^'lisé d'une aventure vécue quelques années plus tôt, sur Otage (191 1) et Le Pain dur, synthèse du conflit des castes et des âmes pendant et depuis la Révolution, :

U

Le XX^ siècle

/

251

la silhouette généreuse de Sygne, tandis que Turlure incame la \'ulgarité. Dans L'Annonce faite à Marie (1912), sorte de mystère médiéval, La jeune filU Violaine, indignement calomniée, s'immole par pitié pour un lépreux et, par un miracle de charité, ressuscite l'enfant de sa sœur ingrate, Mara la noire. Plus compliquées encore sont les tragédies conçues dans Christophe Colomb (représenté en un cadre espagnol 1930}, pour lequel il a fallu recourir à l'aide de tous les arts s'adressant à l'oreille et aux yeux et à une machinerie savante, de manière à étendre au même moment l'anention des spectateurs sur des pians variés du temps er de l'espace. Même compUcation et même somptuosité dans Le Soulier de Saiin, pièce en quatre journées 'écrite en 1929, joué en 1942^ où s'aflErontent des caraaères altiers, dont la tension héroïque dépasse celle des personnages

auréolée par

:

coméhens. Qaudel, porté homme en France

très

haut par ses admirateurs ( Un pour Dieu le plafond poétique »),

a crevé

dans les miheux littéraires étrangers, est resté généralement incompris du grand public et son œu\Te difficile n'a guère fait école. C'est un génie solitaire, rude célèbre

et

grand.

Le

théâtre avant la guerre de 19 14

Le théâtre est un genre très vivant et très diversement pratiqué, mais bon nombre des succès de cene époque sont aujourd'hui bien oubUés, comme les pièces à thèse de Fr.\nçois de Curel, (1854-1928} les drames passionnels de Georges de Porto-Riche (1849- 1930', ou les comédies de Tristan Bern.\rd j 866- 194-'}. De façon générale ce sont les pièces gaies qui s'imposent le plus aisément et contribuent à donner de cene époque l'image superficielle mais insistante d'une gaieté débridée. C'est cene gaieté qu'on retrouve dans les comédies de boulevard de de Flers (1872- 192 7) et C^ILL.WTT (i 869-191 5) fU Habit vert, 1912) ou dans les vaudevilles de Georges Fe^t>eau (18621921) qui excelle à embrouiller et à débrouiller sur un

)

252

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

rythme endiablé

les multiples fils d'une intrigue bouffonne compliquée. Courteline (1858-1929) poursuit de son côté avec ses farces, dont les tracasseries administratives sont souvent le sujet, une carrière dont les principaux succès sont antérieurs à 1900 {Boubouroche, 1893 j Gaietés de V escadron, 1895 ; Le Gendarme est sans pitié, Article 330, 1899 ; Le Commissaire est bon enfant, 1899 ;

et

U

1901).

Edmond Rostand (1868-1918). eu

de ressusciter le théâtre en vers. pièce d'allure chevaleresque Cyrano de Bergerac (1897), il a campé la figure originale d'un cadet de Gascogne du xvii® siècle, crâne, généreux, spirituel, amoureux du panache. Il donna ensuite L'Aiglon (duc de Reichstadt), et Chantecler, évocation lyrique du poète épris d'idéal, de beauté et de soleil. Rostand est un virtuose de l'alexandrin, mais il y a beaucoup d'artifice, de jonglerie et dans son art et dans Il

a

l'originalité

Dans une

:

son inspiration.

Alfred Jarry

( 18 j 3-1907 Si

.

Edmond Rostand

était plutôt

un homme du

passé,

d'un certain aspect du romantisme, Jarry sera salué comme un précurseur notamment par les surréalistes. Jarry a écrit des vers, des romans, mais c'est son théâtre qui reste célèbre. Dans ses pièces, dont la plus réussie est Ubu Roi (1896), il met en scène le personnage du père Ubu ce n'est pas un caractère mais une caricature aux traits grossis qui évoque à la fois la farce et l'épopée et auquel son langage déformé (oneilles, phynances, merdre, pataphysique), ses jurons (de par ma chandelle verte) ont contribué à donner une sorte de grandeur absurde. Ubu Roi était à l'origine un divertissement de lycéens (Jarry élevé au lycée de Rennes n'avait que quinze ans lors de la première ébauche collective de sa pièce) ; mais, à tort ou à raison, l'œuvre s'est chargée d'une signification symbolique Ubu, avec sa vulgarité, sa cruauté^ est une image de la nature humaine, et aussi de la condition humaine dans la mesure où il représente la tyrannie aveugle, impitoyable et inintelligible qui écrase souvent les hommes. héritier

:

;

Le XX« siècle

/

253

Les romanciers de l'entre-deux guerres Confirmant une évolution amorcée au siècle précédent, le à devenir le genre majeur de la littérature française et rares sont les écrivains qui ne le pratiquent pas. La diversité des tempéraments des créateurs, la souplesse presque infinie du genre, que ne régit aucune règle, ont entraîné une extrême variété de production qui décourage tout essai de classement.

roman tend

Marcel Proust

(i 871 -1922)

L'œuvre de Proust apparaît monumentale, non seulement par sa dimension, mais par sa richesse et sa nouveauté. A la fois roman et réflexion sur le roman, elle a ouvert des perspectives immenses que les contemporains n'ont pas encore fini d'explorer.

Marcel Proust,

Un mondain

devenu

Marcel Proust, hostile aux tendances érudites de la critique littéraire inspirée par Lanson (cf. p. 246) ne souhaitait pas qu'on cherchât dans la vie d'un auteur le secret de son œuvre. De fait, il y a peu à retenir de la sienne, sinon l'expérience qu'il a acquise et dont il a nourri parfois son roman. Issu d'une famille bourgeoise (son père, le docteur Adrien Proust, avait épousé en 1870 Jeanne Weil, fille d'un agent de change israéhte), Marcel Proust eut une enfance choyée, aussi heureuse que pouvait le permettre sa nature anxieuse, émotive, pour qui la séparation d'avec sa mère, au moment du coucher, était un supplice quotidien. Ensuite Proust fréquente les salons, avec moins de brio que son héros Charles Swann, mais suffisamment pour y goûter les plaisirs du monde, puis pour en mesurer la vanité. La mort de sa mère (1905) hâte sa transformation miné par la maladie et soucieux de se consacrer tout entier à son vaste dessein d'artiste, il quitte le monde, entre en littérature, selon le mot d'A. Maurois, comme d'autres entrent en rehgion et écrit, corrige, enrichit jusqu'à sa :

ascète.

254

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

mort en 1922 un long manuscrit, dont sera

A

la recherche

du temps perdu

et

définitif avait publié

le titre

dont

il

le début, notamment Du côté de chez Swann V ombre des jeunes filles (1913)5 sans aucun succès ; en fleurs (19 19), qui obtint le prix Goncourt ; Du côté de Guermantes (1921), Sodome et Gomorrhe (1922). La suite comprend La Prisonnière (1923), La Fugitive (ou Albertine disparue, 1925), Le Temps retrouvé (1927).

de son vivant

A

A la recherche du temps perdu, un roman qui à lui-même son propre sujet.

est

pas sûr que cette longue œuvre soit un présence continue du narrateur qui lui donne son unité n'autorise pas pour autant à y voir une sorte de somme autobiographique. Ce narrateur, du reste, ne coïncide pas absolument avec Marcel Proust. D'autre part, s'il est vrai que l'œuvre se présente en partie comme un récit, celui-ci, loin de se concentrer dans le raccourci d'une intrigue, se prolonge indéfiniment, s'enrichit et se complète par retouches successives qui correspondent au cours des événements et surtout au jeu capricieux des souvenirs et des dispositions subjectives du narrateur. Si nous en croyons Proust, c'est la saveur d'une petite madeleine trempée dans une tasse de thé, qui, en rappelant la même saveur goûtée des années auparavant, a déclenché un mécanisme psychologique complexe et provoqué le retour, dans toute leur richesse, de mille souvenirs du passé. Du côté de chez C'est tout d'abord l'enfance à Combray Swann celui-ci, ami de la famille, riche bourgeois introduit dans la plus haute société aristocratique mais qui a fait une mésalUance en épousant Odette, une denîimondaine. Leur fille Gilberte, inspirera au narrateur son premier amour d'adolescent. A Vombre des jeunes filles en fleurs transporte le décor à Balbec, plage normande, où, grâce au peintre Elstir, le narrateur fait la connaissance d' Albertine, une des jeunes filles. Le Côté de Guermantes, distingué dès le début de celui de chez Swann, est le heu mystérieux et longtemps inaccessible où régnent le duc et la duchesse de Guermantes. Enfin le narrateur parvient à y pénétrer. Sodome et Gomorrhe s'attache à évoquer un aspect particuher de ce milieu ; la peinture est centrée autour de M. de Charlus, prestigieux et extravagant, tiraillé entre sa noblesse (il est le frère du duc de Il

n*est

roman

:

la





Le XX® siècle

/

255

Guermantes) et ses mœurs spéciales (on sait que Proust lui-même était homosexuel). Mais bientôt Albertine revient La Prisonnière, La Fugitive racontent au premier plan l'histoire de sa liaison tourmentée avec le narrateur, de sa disparition, de sa mort. Le Temps retrouvé évoque d'abord la guerre de 1914, les bouleversements de tous ordres qu'elle opère, notamment dans la société. Enfin, méditant longtemps après sur l'expérience de la madeleine qui ouvrait son œuvre, le narrateur en mesure enfin tout le sens. Comme écrivain, il en retient l'invitation irrésistible à créer une œuvre qui soit justement celle qu'il achève et qui, transcendant en quelque sorte la durée, transforme le temps perdu en temps retrouvé. Il a donc fallu attendre la fm de la Recherche du temps perdu pour en découvrir le sujet et le but. C'est la première fois dans l'histoire de la littérature française qu'un roman a pour sujet l'histoire de sa conception et de son élaboration. :

Une

conception originale de Part.

Pour mesurer dans sa totalité l'ambition de Proust, il donc Ure les dernières pages de son roman. On y découvre que l'expérience de la madeleine n'a pas été unique, qu'il en a fait d'autres toutes semblables et que c'est seulement devant leur répétition que lui-même en a compris toute la portée. Il ne s'agit pas pour Proust de sauver de l'oubU la vie qu'on a vécue, mais, en éprouvant en quelque sorte à la fois dans le passé et dans le présent une certaine impression, de jouir de l'essence des choses, c'est-à-dire en dehors du temps. Encore cette

faut

expérience privilégiée, ce plaisir total sont-ils par définimomentanés. L'art aura précisément pour fonction de prolonger indéfiniment cette extase et de faire accéder à la vraie vie. Aussi l'ambition d'écrire, qui est évoquée dès le début de l'œuvre comme une velléité et qui conclut l'œuvre comme une résolution, n'apparaît-elle pas comme l'ambition mondaine d'un jeune httérateur avide de gloire mais comme un acte de connaissance, c'est-à-dire une démarche proprement métaphysique. De là vient la place privilégiée des personnages d'artistes dans le roman de Proust Vinteuil le musicien, Elstir le peintre, Bergotte l'écrivain sont, par leur personne ou par leur œuvre, les maîtres spirituels du narrateur. Il arrive même que la méditation sur l'art ouvre les portes de l'immortalité. tion

:

256

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

lorsqu'on contemple

les

chefs-d'œuvre

«

ces

captives

que l'on songe que la mort avec elles a « quelque chose de moins amer, de moins inglorieux, peut-être même de moins probable ». divines

Proust

»

et

et la psychologie

dans

le

temps,

comme il y a une géométrie Proust aimait à déclarer dans l'espace, il y a une psychologie dans le temps. Ses analyses psychologiques sont en effet inséparables d'un sentiment très aigu de la durée. Contemporain et disciple de Bergson, Proust a tenté de saisir la richesse proprement infinie que les réseaux de sensations, de souvenirs, de réminiscences créent dans un présent encore tout imprégné de passé. Il retrouve et enregistre jusque dans les plus fins détails la moindre nuance de pensée, l'esquisse d'un geste, la velléité ou l'impression la plus fugace. Il fait en quelque sorte de la psychologie infinitésimale. Mais ces souvenirs conservent toujours l'entourage de sensations physiques qui les ont escortés lors de la première perception :

:

C'est pourquoi la meilleure part de notre mémoire est hors de nous, dans un souffle pluvieux, dans l'odeur de renfermé d'une chambre ou dans l'odeur d'vme première flambée, partout où nous retrouvons de nous-même ce que notre intelligence, n'en ayant pas l'emploi, avait dédaigné... Hors de nous? En nous pour mieux dire, mais dérobé à nos propres regards par un oubli plus ou moins prolongé. ( A V ombre des Jeunes Filles en fleurs.)

De

vertu évocatrice d'un détail insignifiant par saveur d'une madeleine trempée dans une tasse de thé, le parfum des lilas par un soir d'orage ; de là, le déroulement presque automatique des sensations, rêves ou affections qui furent une fois associées dans la conscience au reflet d'un rayon de soleil sur un clocher d'église, à une « bande de ciel rose » vue à l'horizon, à l'image d'une jeune fille devant une haie d'épines, à ime « phrase » musicale. Cette disposition à noter les plus subtils phénomènes de conscience devait conférer à Proust une supériorité rare dans l'analyse des sentiments les plus simples comme les plus raffinés somnolence et rêverie du réveil ; impression désagréable de la solitude, d'un changement d'habitude ou de demeure ; malaise et contradictions inhérents à là,

lui-même

la :

la

:

Le XX« siècle

/

257

l'absence, à Tattente, aux inquiétudes de l'amour. Proust le a fait le diagnostic de tous les sentiments humains dédain, l'envie, le désir de paraître, d'autant plus tenaces :

qu'ils sont

comprimés par

les

convenances

et

ne peuvent

étudié avec pénétration « les intermittences du cœur », la part d'autosuggestion qui entre dans tout amour, le « désaccordement » qui se produit souvent entre deux âmes. Il confronte à diverses époques de l'existence l'idée que nous nous faisons d'une chose ou d'une personne, marque l'évolution de nos désirs et de nos aversions ; il montre en quelques années la transformation, parfois le renversement des situations sociales. La précision méticuleuse et pour ainsi dire exhaustive des analyses de Proust impliquait un certain style, lent, minutieux, surchargé de réflexions accessoires et de déterminations complémentaires ; les phrases tassées, toujours rallongées de nouvelles incidentes, paraissent interminables et le sont souvent en effet. Mais ce style, qui peut rebuter au début celui que Montaigne, lointain ancêtre de Proust, appelait l'indjUgent lecteur, constitue la chair de l'œuvre et en exprime la qualité la plus précieuse. s'afficher. Il a

j

La

Recherche..., chronique sociale.

Proust a nourri son œuvre de sa propre expérience. C'est lui qu'il a pu fixer toutes les nuances de ses sentiments. Mais c'est en regardant autour de lui qu'il a pu constituer toute une galerie de portraits qui sont un des attraits de son œuvre. On sait que Proust n'a pas toujours été un ermite. Il avait au contraire, dès son adolescence, le désir et le goût de pénétrer dans le monde et d'y faire bonne figure. Il n'est pas douteux que les personnes qu'il a côtoyées et observées pendant de longues années lui ont donné tous les matériaux nécessaires à la création des personnages hauts en couleur et plus vrais que nature qui évoluent dans son œuvre. On y retrouve un échantillonnage assez complet de la haute société de l'époque. Les Guermantes sont au sommet de la

en regardant en

hiérarchie sociale leur fortune, leur noblesse, leur esprit leur confèrent aux yeux du narrateur une manière de :

royauté et ils ne perdront leur prestige que lorsqu'il aura constaté leur corruption (M. de Charlus), leur cruauté (comme lorsque les Guermantes se soucient plus d'un

258

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

dîner que de la santé de leur ami Swann, pourtant promis une mort prochaine), la vanité de leur morgue sociale (puisque le prince de Guermantes épouse finalement la ridicule bourgeoise qu'est Verdurin). La bourgeoisie, elle non plus n'est pas épargnée, qu'il s'agisse du snobisme qui règne dans le salon Verdurin, de la bêtise du P"" Cottard, ou d'autres vices criants et odieux sur lesquels Proust attarde volontiers son œil critique. Proust, qui était lui-même d'un rang social élevé, a privilégié dans son enquête la haute société, sinon par la complaisance de ses jugements, du moins par la place qu'il lui a accordée. à

Mme

Mais on ne

saurait

oubUer

le

musicien Vinteuil, dont

l'extérieur très modeste cache un génie novateur, et quelques figures de gens simples, dont la plus justement célèbre est Françoise, la vieille servante de la famille.



qu'il récusait fermeLoin de toute ambition réaliste Proust a su animer un monde, même si ce souci n'était pas au centre de son ambition d'écrivain.

ment



André Gide

(i 869-1 951)

Contemporain de Proust au moins par sa date de naissance, Gide a écrit plusieurs romans mais n'est pas essentiellement un romancier. a exprimé sa personnalité diverse dans des genres Il

littéraires très différents et

c'est

Gide

malaisés à classer.

On

peut dire que

un moraliste au sens classique du terme.

s^est vite révolté

contre la morale puritaine.



dans une famille de bourgeoisie protestante très André Gide a tout d'abord été profondément marqué par son éducation dont le précoce veuvage de sa mère (1880) avait encore renforcé l'austérité. Il en gardera toute sa vie l'empreinte connaissance de la Bible, intérêt porté aux mystères du cœur par la pratique de l'examen de conscience, sens hypertrophié du scrupule. Mais après une brève apparition dans le monde des lettres dont Paludes (1895) fera la satire, il découvre à l'occasion d'un voyage en Afrique du Nord nécessité par son état de santé la joie de vivre dans une heureuse Uberté, fût-ce en satisfaisant des goûts homosexuels. Les Nourritures terrestres aisée,

:

Le XX® siècle

expriment avec un enthousiasme bonheurs de l'évasion et de la déhvrance. (1897)

lyrique

/

259

les

Je m'attends à vous, nourritures!... Satisfactions! je vous cherche. Vous êtes belles comme les aurores d'été Sources plus délicates au soir, délicieuses à midi ; eaux du petit matin glacées ; souffles au bord des flots ; golfes

encombrés de mâtures

;

tiédeur des rives cadencées...

», comme l'appellera son auteur, se propose d'enseigner la ferveur, une façon de brûler ardemment, d'être docile à ses désirs et attentif à tout ce qui peut les aviver. Cet hédonisme, malgré la violence de son affirmation, n'est pas vulgaire. Son but

Ce

«

manuel de déhvrance

ultime est de permettre l'épanouissement total d'un individu dans sa spécificité. Gide adresse à son disciple cette dernière injonction :

Ne

en toi qu'à ce que tu sens qui n'est nulle part ailleurs qu'en toi-même, et crée de toi, impatiemment ou patiemment, ah! le plus irremplaçable des êtres. t'attache

C'est dans la même perspective d'émancipation qu'il faut situer Immoraliste (1902), le premier roman de Gide, en partie autobiographique, qui raconte non sans cynisme l'aventure d'un personnage qui finit par sacrifier la santé de sa femme à son égoïsme. peu plus tard la

U

Un

parabole du Retour de V enfant prodigue (1907) exprimera sous une affabulation évangélique la même volonté d'aviver sa soif pour la satisfaire plus déhcieusement.

Les œuvres de la maturité. Par souci de contraste et surtout parce que les deux tendances coexistaient en lui, Gide, après VImmoraliste, pubhe La Porte étroite (1909), roman dominé par la figure d'Alissa qui par souci de sainteté refuse les satisfactions même légitimes de l'amour humain. C'est une œuvre austère et prenante, d'un classicisme empreint de sobriété, tout comme La Symphonie pastorale (19 19) roman de la sincérité scrupuleuse, victime de ses propres illusions. Mais l'œuvre la plus intéressante, la plus originale de Gide, Les Faux-Monnayeurs (1926) s'engage dans d'autres chemins. Un des personnages principaux du roman est un romancier, Édouard, qui écrit lui-même un roman et dont le journal commente à l'intérieur du roman dont il est un personnage, le roman dont il est l'auteur, et qui

260

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

porte le même titre. Gide de son côté ajoute à son roman des Faux-Monnayeurs un Journal des Faux-Monnayeurs, où lui aussi se regarde écrire. Ce jeu de glaces vertigineux, cette « mise en abîme », issu en partie de l'œuvre de Proust, sera très prisé et pratiqué par les modernes. A côté de ses romans, Gide a écrit des soties, contes bouffons et symboliques dont le plus célèbre. Les Caves du Vatican (19 14), fait la théorie de l'acte gratuit. Les intempérances de la jeunesse de Gide s'estompent ; la société plus libérale issue de la Grande Guerre ne s'émeut pas outre mesure de la tardive apologie de l'homosexualité développée par Corydon (1924). Par son souci de lucidité, son honnêteté intellectuelle qui lui fart dénoncer

du communisme dont il partageait l'idéal, son esprit lui fait pubUer de violentes critiques du colonialisme, Gide s'impose de plus en plus au cours de l'entre-

la réalité

de justice qui

deux-guerres comme une manière de sage. « Être de dialogue » comme il se définit lui-même, préférant l'amour de la vérité au besoin de certitude, d'une curiosité inépuisable, il a toujours tenté « d'assumer le plus possible d'humanité ». C'est sa personne attachante qui fait le prix de son Journal, peut-être sa plus grande œuvre, en qui on a voulu voir les Essais du xx^ siècle. Ainsi l'ancien immorahste est devenu une référence morale, cautionnée par le Prix Nobel en 1947.

André Malraux

(

190 1- 1976)

L'œuvre de Malraux est aussi diverse que sa vie tour à tour archéologue, aventurier témoignant d'une sympathie active aux mouvements révolutionnaires, prophète tourmenté du temps du mépris, puis militant gaulliste, ministre, philosophe de l'art enfin, a s'est exorimé avant tout dans le genre du roman, auquel communiqué le frémissement de sa personnalité pathétique. :

il

il

Un

aventurier de

A

V intelligence.

la ressemblance de beaucoup de ses héros, Malraux lui-même, au moins au début de sa vie, un aventurier. Après des études à l'École des langues orientales, une mission archéologique au Laos (1923) consacrée à des

est

Le XX^ siècle

/

261

recherches sur l'art khmer lui fait connaître directement un milieu haut en couleurs, travaillé en profondeur par le conflit des civilisations, orient et occident, et des idéologies, colonialisme et mouvements révolutionnaires. La Tentation de r Occident (1926) se fait l'écho de ces problèmes sous la forme d'un échange de lettres fictif entre un jeune Français et un jeune Chinois. Mais si son séjour en ExtrêmeOrient a fourni à Malraux le cadre de ses premiers romans {Les Conquérants, 1928 ; La Voie royale, 1930), les personnages qu'il met en scène, même lorsqu'ils participent comme le Garine des Conquérants à l'action révolutionnaire, cherchent plutôt dans une vie dangereuse un accompUssement individuel qui leur permette de vaincre le destin et la mort. On peut en dire autant de La Condition humaine (1930), le chef-d'œuvre de Malraux qui obtint le Prix Concourt. Toutefois ce roman est plus profondém.ent incarné dans la réaUté historique et politique avec le triple conflit qui oppose dans la Chine de 1927 les provinces du nord d'obédience capitaliste, le Kuomintang, mouvement révolutionnaire à l'origine mais dont le chef ChanKaï-Chek va faire un instrument de répression contre la troisième force en présence, les communistes qui essaient de soulever Shanghaï, cadre du roman. Les foules, la masse dont le destin se joue, sont à peu près absentes de cette œuvre qui présente en revanche une incomparable galerie de portraits, on pourrait presque dire un échantillonnage des difi'érentes motivations individuelles qui poussent les protagonistes à la lutte révolutionnaire. Sous une forme ou sous une autre, Tchen le terroriste, Kyo, tête plus politique, ou au contraire Katow, qui a plus de passé que de doctrine, laissent entendre la même interrogation angoissée sur la condition humaine. La révolution, en créant les conditions d'une fraternité virile, dont Malraux dira qu'elle est « le contraire de l'humiliation », est un aspect de la quête, plus individuelle que collective et plus métaphysique que politique, de cet humanisme tragique qui est au centre de la pensée de Malraux.

Du Temps du

mépris à

la Libération.

Le Prix Concourt décerné à la Condition humaine a contribué à faire connaître Malraux qui n'est cependant pas encore célèbre. Bien que le livre soit exactement

262

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

contemporain de la prise du pouvoir par Hitler (1933), il y a un trop sensible décalage entre les romans tourmentés de Malraux, leurs évocations d'apocalypses et l'aprèsguerre relativement sereine au cours de laquelle la France discerne mal les menaces qui pèsent sur son bonheur. En 1935, Le Temps du mépris évoque les prisons hitlériennes, encore peu connues, tandis que V Espoir (1938) présenté d'abord sous forme de film, est une sorte de reportage romancé, bouleversant et frénétique, sur la guerre civile d'Espagne, à laquelle Malraux a participé dans les rangs des républicains, et qui lui donne l'occasion de développer les mêmes thèmes que dans La Condition humaine et de témoigner la même sympathie pour la première phase de la révolution, « l'illusion lyrique ». De 1939 à 1945, Malraux tour à tour mobihsé, blessé, prisonnier, évadé, résistant, mène une vie tourmentée. En 1945, il pubhe Les Noyers de FAltenbourg, roman composite, sans autre unité que la personnahté de son auteur et les problèmes métaphysiques qui le tourmentent, mais dont certaines pages constituent peut-être les sommets de toute l'œuvre. En tout cas, Malraux n'y évoque aucune époque plus récente que la défaite de juin 1940 ; et c'est son dernier roman. Politique et philosophie de Fart. C'est au cours de la

Deuxième Guerre mondiale que

se

situe sa rencontre avec le général de Gaulle. Il est probable que les deux hommes furent séduits l'un par l'autre.

Ministre de l'Information en 1945, il accompagna le général dans sa retraite de 1946 pour redevenir son ministre des Affaires culturelles en 1958 et quitter définitivement la scène poU tique en 1969. Bien que le gaullisme ne fût pas exempt dans son principe (le 18 juin 1940) d'un certain esprit d'aventure, l'engagement de Malraux a parfois troublé ses admirateurs et constitue indiscutablement une rupture avec ses sympathies antérieures. Sur ce point, Malraux ne s'est jamais complètement exphqué. Il s'est absorbé dans de concises et profondes réflexions sur l'art, dont l'essentiel fut pubhé en 1951 sous le titre Les Voix du silence. Il ne s'agit pas là d'une espèce d'appendice au reste de l'œuvre sans rapport avec elle. Face aux interrogations angoissées que Malraux s'est toujours posées sur le destin de l'homme, et après avoir éprouvé

Le XX« siècle

/

263

que pouvaient y apporter coude à coude révolutionnaire, Malraux, qui est agnostique, demande à l'art d'être, pour reprendre sa formule, « une Monnaie de l'absolu » et de permettre à l'homme, en dominant son destin, de fonder l'insuffisance

des

l'aventure solitaire

réponses

ou

le

sa dignité.

Malraux est une des figures éminentes des lettres modernes. L'étendue incommensurable de sa culture n'a d'égale que la vivacité et la profondeur de la réflexion qu'elle nourrit. Malraux n'est pas un artiste du style, mais justement son art abrupt, ses formules inoubliables, lui ont assuré et lui conservent une des audiences les plus grandes parmi les écrivains de son temps.

Saint-Exupéry

est

comme Malraux un homme

d'action qui a réfléchi sur Faction.

Au cours de sa brève existence (1900- 1944), il a vécu les principales expériences du métier d'aviateur, depuis son service militaire à Strasbourg jusqu'aux premières grandes liaisons aéropostales et aux raids intercontinentaux, dont la réussite le plaça parmi les pionniers de l'aviation et lui valut auprès du grand public un succès mérité. Dire que Saint-Exupéry fut aussi un homme de lettres serait méconnaître la profonde unité autour de laquelle s'ordonna sa vie à part le charmant et profond conte pour enfants qu'est Le Petit Prince (1941), l'œuvre de Saint:

Exupéry

est une constante méditation sur son expérience personnelle de pilote. Mais, par une rencontre heureuse, il s'est trouvé que cet ami du risque était aussi un authentique humaniste, qui retrouvait sans effort les grands problèmes de la Terre des hommes et savait les exprimer

dans un style d'une poignante sobriété. Il a ainsi écrit trois chefs-d'œuvre Vol de nuit (1931), qui retrace les premières luttes pour établir une liaison aéropostale avec l'Amérique du Sud, Terre des hommes (1939), le plus riche peut-être de ses Uvres, et Pilote de guerre (publié en 1941 aux ÉtatsUnis), qui évoque l'héroïsme désespéré d'un aviateur français lui-même en pleine défaite de juin 1940. Saint-Exupéry n'avait en effet ménagé aucun effort pour participer activement à la Seconde Guerre mondiale, malgré son âge. En 1944, il pilotait encore un avion de reconnaissance des forces alhées en mission sur la France occupée lorsque, le 31 juillet, il ne revint pas. :





264

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

François Mauriac^ bourgeois^ chrétien, romancier impitoyable et polémiste ardent, Mauriac (1885-1970) est le type même de l'écrivain profondément enraciné dans la terre qui l'a vu naître, la région bordelaise en l'occurrence, avec ses vignobles et les forêts qui couvrent les Landes. C'est le décor à peu près constant de ses livres, et il s'établit parfois d'étranges et poétiques correspondances entre les orages qui menacent et grondent sur le terroir et les passions qui déchirent l'âme des personnages. Jusqu'à la fin de sa vie Mauriac restera fidèle à sa province d'origine, passant le plus clair de son temps dans sa propriété de Malagar. Une autre caractéristique essentielle de Mauriac est son origine bourgeoise qui a facilité sa vie d'homme en le délivrant de tout souci matériel et marqué son inspiration d'écrivain. Non qu'il se fasse le chantre complaisant de la classe sociale dont il est issu, bien au contraire. Il est certes sensible à ce qui constitue l'unité, la spécificité, peut-être la grandeur, d'une famille bourgeoise et il l'a montré dans le Mystère Frontenac (1933). Mais ce roman, qu'il avait songé à intituler le nid de colombes, ne saurait faire oublier le roman précédent. Le Nœud de vipères (1932) dont le titre symbolique évoque les conflits parfois sordides qui opposent et déchirent sans merci les membres d'une famille de haute bourgeoisie et qui prennent souvent la forme vulgaire de compétitions d'intérêts. Le troisième élément fondamental de l'héritage de Mauriac est un catholicisme fervent qu'il a lui-même approfondi en le nourrissant de la lecture de Pascal et qui sous-tend les analyses du romancier comme il fonde et justifie les prises de position du journaliste politique.

LE ROMANCIER. Malgré n'a pas

connu d'emblée

{V Enfant

le

patronage de Barrés, Mauriac Dès ses premiers romans

le succès.

; La Robe prétexte, 191 3 ; Le Fleuve de feu, 1923 ; Le Désert de V amour, 1926) on remarque pourtant les quaUtés

chargé de chaînes^ 19 12

Le Baiser au

lépreux, 1922

;

d'un réaliste qui sait noter avec justesse les traits d'un paysage ou d'un intérieur, exprimer l'atmosphère d'une journée, d'une saison, d'une salle, d'un bar ; on remarque surtout son aptitude à scruter les âmes, à dépeindre les insurrections physiques et morales de l'adolescence, à suivre les cheminements du péché sous toutes ses formes.

Le XXe siècle

la noirceur de ses peintures et l'acide qui en étaient inséparables eurent tôt fait d'alarmer les milieux catholiques de l'époque, auxquels Mauriac avait beau jeu d'objecter le précédent de Pascal dont la profonde enquête sur la misère de l'homme avait déjà pour but de sauver, fût-ce en désespérant. Genitrix (1923) qui oppose dans un huis clos saisissant une mère abusive à son fils, à sa bru, puis au souvenir de sa bru, était déjà, dans la sobriété puissante de son art, une manière de chef-d'œuvre. Le roman le plus célèbre devait sorte de pourtant Thérèse Desqueyroux (1926) être Bovary moderne, victime de l'incompréhension de son mari et, plus généralement, d'une bourgeoisie sans chaleur, féroce, uniquement préoccupée de bienséances, et qui est la principale responsable du crime où elle a en quelque sorte acculé la malheureuse Thérèse. Le Nœud de vipères (1932) est peut-être le sommet d'une production nombreuse, relativement variée, que Mauriac maintiendra à un très haut niveau jusqu'à ses dernières œuvres Le Sagouin (195 1), Galigaî (ig^2),V Agneau (1954). Sans renier sa prédilection pour les âmes noires dont il suit l'aventure tragique, Mauriac les conduit parfois au bord de la rédemption l'avocat du Nœud de vipères est touché par la grâce tout à la fin, et Thérèse Desqueyroux aura en 1935 une suite au titre significatif La Fin de la nuit.

Mais justement

critique

sociale

Mme

:

LE JOURNALISTE. été

Homme

un homme de cabinet

de

lettres,

Mauriac n'a pas

et n'est jamais resté indifférent

devant les grands tourments qui ont marqué son époque malgré ses convictions religieuses il s'est élevé, au moment de la guerre civile d'Espagne, contre l'entreprise du général Franco ; il fut de même un résistant de la première heure et écrivit à ce titre Le Cahier noir (1943) sous le pseudonyme de Forez, avant de dénoncer les excès du coloniaUsme dans son fameux bloc-notes du journal L'Express. Il a soutenu dans ses dernières années la politique du général de Gaulle. Mauriac est un écrivain de premier plan. L'expression trop galvaudée de magie du style est pour lui exacte et explique le halo poétique qui entoure ses meilleurs romans. Comme son modèle Pascal, il était capable, et maint homme politique en a fait les frais d'exceller également dans la polémique et de trouver la formule inoubliable, le trait vengeur dont la blessure ne guérit pas.

ni silencieux

:





/

265

266

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

Georges Bernanos ( 1888-1^48) fougueux et passionné.

est

un tempérament

Il trouva son accomplissement dans un catholicisme exigeant et tourmenté et dans des activités politiques extrémistes. Ses études à la faculté de Droit et à l'Institut Catholique (1906- 191 3) coïncident avec les luttes reUgieuses sous Combes ; c'est aussi l'époque où, dans le prolongement de l'affaire Dreyfus, le poète Déroulède, Barrés, Drumont, théoricien de l'antisémitisme, entretiennent un nationalisme chauvin et raciste. Bernanos a pour maître Maurras et il participe à toutes les turbulences du Quartier latin. La guerre de 19 14 où il est blessé et cité ahmente sa rancœur contre les impuretés et les scandales du monde moderne. Pamphlétaire-né, il s'en prend tout d'abord au conformisme bourgeois dans sa Grande peur des bien-pensants (1931) d'inspiration encore monarchiste. Mais c'est la guerre civile espagnole, dont il fut le témoin direct dans sa résidence de Majorque, qui devait lui arracher les accents les plus authentiques malgré ses convictions rehgieuses, il attaque vivement les excès du soulèvement du général Franco ainsi que le clergé espagnol, son complice, dans Les Grands Cimetières sous la lune (1938), chef-d'œuvre du genre, qui eut un grand retentissement et qui marque une étape décisive dans l'évolution de sa pensée poUtique. Mais ce lutteur toujours sur la brèche, qui devait encore tonner contre les accords de Munich (1938), la pohtique du gouvernement de Vichy, puis la médiocrité de la IV^ République, était aussi un grand romancier. Déjà L'Imposture (1927) et La Joie (1929) présentaient de façon saisissante les figures antithétiques de l'abbé Cénabre qui :

a perdu la foi et de Chantai de Clergerie, rayonnante d'une sainteté dont la lumière finira par atteindre Cénabre. Mais le sommet de l'œuvre de Bernanos est constitué par le Journal d'un curé de campagne (1936) dans le décor cher à son enfance du pays d'Artois, Bernanos met en scène un jeune prêtre qui, comme Chantai de Clergerie, ramène à Dieu des âmes égarées qui semblaient perdues. L'esprit de sainteté et l'esprit d'enfance chers à Bernanos sont unis dans la figure de ce prêtre et expliquent son rayonnement sur les autres personnages qui sont tous à leur façon, dans le bien ou le mal, des âmes d'éhte. :

Le XX« siècle

Bernanos

/

267

dans ce polémiste, ou bien il rêvait d'un monde chrétien total, réconcilié avec luimême et avec Dieu, comme aux plus beaux jours d'une chevalerie idéale dont les hommes ont désespérément

monde.

perdu

Ou

n'était pas à l'aise, spirituellement,

bien

il

le fustigeait

comme

le secret.

Colette^ une écriture sensuelle et colorée. Colette (1873- 1954) ^st née à Saint- Sauveur, aux confins la Bourgogne, et le souvenir de cette campagne boisée où s'éveillèrent son instinct et son âme d'enfant sera le thème d'inspiration le plus constant et le plus heureux de toute son œuvre. Ses débuts Uttéraires suivirent de peu son mariage avec Willy, un médiocre homme de lettres qui signa les premiers romans de sa femme, non sans les avoir corrigés pour mieux les mettre au goût du pubhc, qui n'est pas toujours le bon goût. En tout cas la série des Claudine fut un des grands succès des années 1900. Peu après, Colette divorce, fait du music-hall pour vivre, tout en évoquant des aspirations contradictoires à la Uberté et

de

à l'amour

dans deux romans aux

titres

symboUques

:

(1910) tiVEntrave (1913). Comme l'héroïne de ce dernier Hvre, Colette opte finalement pour l'entrave ; du moins aura-t-elle de ce second mariage une fille. Bel Gazou dont la figure ira rejoindre, dans l'œuvre de l'écrivain, celle de Sido, la mère de Colette. C'est entte les deux guerres que le talent de Colette atteint son plein épanouissement, que sa manière se précise et se diversifie. Les souvenirs de l'occupation, dans Paris de ma fenêtre Étoile Vesper (1944), les confidences de vieillesse, dans (1947), ajoutent encore, s'il en était besoin, une note d'émotion à cette œuvre qui doit sa richesse aux fines et profondes vibrations d'une âme originale et à un style frémissant, aux images imprévues, nerveux et rapide comme la démarche d'un féUn.

La Vagabonde

V

Jean Giono, un conteur

agreste et panthéiste.

Comme maint autre romancier de sa génération, Giono (1895- 1970) est inséparable du terroir où il est né et où il a vécu, la Haute Provence et plus précisément Manosque.

268

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

C'est la montagne qui sert de cadre à son premier roman Colline (1929), bientôt suivi de Regain (1930) qui lui donne un début de célébrité. Pacifiste jusqu'à l'antimilitarisme, inquiet devant la civilisation industrielle moderne, Giono s'est fait le chantre du retour à la terre, de la rusticité

libératrice,

notamment dans Le Chant du Monde demeure (1935),

joie

(1934)5

romans, Les

Vraies

le

plus célèbre de ses

(1936). Compromis sous a continué à publier après la guerre.

Richesses

Giono Mais il avait beaucoup perdu de son audience lui-même n'avait plus le même éclat. l'occupation,

Céline^

le

et

son

art

langage du blasphème et du refus. Céline (i 894-1 961) de son vrai nom Louis- Ferdinand Destouches est à sa manière un aventurier qui après avoir tâté de divers métiers modestes, après avoir participé à la guerre de 1914, après avoir parcouru l'Afrique, trouve le moyen de faire des études de médecine et de s'installer comme praticien dans la banUeue parisienne. A cette personnahté d'exception va correspondre une œuvre d'exception elle aussi, dont le coup d'essai est un coup de maître Le Voyage au bout de la nuit (1932). Rompant violemment avec la rhétorique de son époque, CéHne donne ses lettres de noblesse à l'injure, au cri, et dans une invention toujours renouvelée, fait subir aux mots du langage commun de telles violences inattendues qu'on peut estimer qu'il a créé un nouveau style dont le paroxysme est le trait le plus frappant et le plus continu. Ces quaUtés seront précieuses au polémiste engagé de Mort à crédit (1936), Bagatelle pour un massacre (1938), Les Beaux draps (1940). A la Libération on lui a vivement reproché son antisémi:

tisme

(il

moderne

Louis Aragon^

fut

même

emprisonné).

De

nos jours,

la critique

s'intéresse à l'écriture si originale de ses œuvres.

le grand

maître du réalisme

socialiste.

C'est à la poésie qu'Aragon doit sa célébrité, mais il a aussi pratiqué avec bonheur le roman. Après les fulgurantes lueurs surréalistes du Paysan de Paris (1926),

Aragon (né en 1897), ^l^i ^ adhéré au communisme staUnien et aux théories esthétiques qu'il professait alors, le réalisme socialiste, donne Les Cloches de Bâle (1934), Les Beaux Quartiers (1936), Les Voyageurs de VlmpériaJe (1943),

)

Le XX« siècle

/

269

chroniques parfois imaginaires, mais qui se proposent d'influer sur la transformation du monde réel, au nom de l'idéologie communiste, en dénonçant les bassesses de ses adversaires. Le long cycle des Communistes est aussi un roman à thèse, avec les défauts que cela comporte. La Semaine Sainte (1958) est une des dernières réussites du romancier.

Le roman- cycle Romain Rolland

avait été avec Jean-Christophe (1904-1912), du roman-fleuve ou roman-cycle. Cette forme qui pouvait s'autoriser aussi de l'œuvre de Proust, voire de celle de Zola ou de Balzac, connut un vif succès au cours des années trente. Jules Romain, Roger Martin du Gard et George Duhamel s'y sont l'initiateur

illustrés particulièrement.

Jules Romains (188S-19J2). Il

avait déjà

mis en pratique sa théorie de l'Unanimisme p. 246) aborda assez rapidement le roman.

en poésie (cf. Si Les Copains (19 13) sont le récit des différents canulars auxquels s'adonnent joyeusement une bande de copains, précisément, le récit de la Mort de quelqu'un (191 1), au titre révélateur, tente déjà de dépasser le cadre étroit de l'aventure individuelle. Mais c'est avec la longue série des Hommes de bonne volonté (1932- 1947) que s'affirment le talent et les ambitions de Jules Romains. Refusant de limiter son enquête à un seul personnage, comme Romain

ou à une Romains récuse aussi Rolland,

seule

famille,

comme

Zola,

Jules

Comédie humaine de Balzac dont l'unité lui apparaît composée après coup, donc artificielle. Il va donc, en bon unanimiste, omettre de rapporter l'intrigue à un seul individu mais en faisant apparaître et disparaître divers personnages engagés dans des actions multiples qui ne se croisent pas toujours, tenter d'évoquer dans son ensemble la vie d'une société ; les titres de la plupart de ses vingt-sept volumes sont caractéristiques de cette volonté (Le 6 octobre. Les Humbles, Les Superbes, Montée des périls. Prélude à Verdun, Verdun Il est indéniable que dans les meilleures parties de son œuvre, Jules Romains a réussi à faire vivre de façon le

patronage de

la

.

270

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

moderne et notamment la plus plus révélatrice de ses aventures collectives la guerre, qu'il s'agisse de l'implacable médiocrité des combats ou des sordides intrigues des profiteurs. Mais en dépit de la défiance de Jules Romains pour le héros de roman individualisé qui supporte et unifie l'œuvre, ce sont peut-être les figures fortement typées de quelques-uns de saisissante

la

société

meurtrière mais

la

:

ses personnages,

notamment Jerphanion

et Jallez,

norma-

comme

leur créateur, qui a mis en eux beaucoup de lui-même, qui contribuent à donner son tonus à l'œuvre et s'imposent le plus au lecteur. Malheureusement la qualité des premiers volumes ne s'est pas maintenue jusqu'aux derniers. Aussi, malgré la noblesse morale du plaidoyer pour la bonne volonté, la gloire de Jules Romains connaît-elle de nos jours une certaine éclipse. liens

Roger Martin du Gard (1881-195J). Auteur d'un roman d'idées, Jean Bar ois (191 3), histoire d'un intellectuel tourmenté, et d'une remarquable nouvelle, La Confidence africaine, chargée de sensuahté trouble et de mystère, Roger Martin du Gard doit sa notoriété aux huit volumes des Thibault dont la publication s'est échelonnée de 1922 à 1940 et qui racontent des événements ayant Heu de 1900 à 19 14. Les Thibault sont une famille de grands bourgeois cathoHques et conservateurs, au moins dans la première génération représentée par le père. Oscar Thibault. Mais assez vite, l'intérêt du Hvre s'ordonne autour des figures, sinon antithétiques, du moins diversifiées et complémentaires des deux fils d'Oscar Antoine, traditionaliste, médecin dont le métier est une raison de vivre mais qui a perdu la foi au contact :

du positivisme

scientiste

Jacques, adolescent fiévreux et

;

admirateur des Nourritures terrestres de Gide, qui s'engage dans l'action révolutionnaire et pacifiste. Martin du Gard à qui sa formation d'archiviste avait donné le goût du document, de la vérité scientifique, a tout naturellement écrit une œuvre relativement objective dont il n'a pas voulu faire pour lui-même un miroir. On lui a reproché trop d'impassibihté, mais son récit sobre, qui a mieux résisté au temps que bien d'autres, est riche en scènes émouvantes et laisse apparaître dans l'épilogue son inquiétude et son amertume devant l'invincible absurdité Antoine Thibault, le médecin des tragédies de l'époque rebelle, fervent

:

Le XX® siècle

homme

d'action

lutte contre le

apôtre de les balles

la

est

/

271

brutalement interrompu dans sa la guerre et la mort ; Jacques,

mal par

réconciliation entre les peuples, finit sous le prenait pour un espion.

d'un soldat français qui

Georges Duhamel (1884- 1966), Bien qu'il ait été influencé à ses débuts par l'Unanimisme cher à Jules Romains, Duhamel a Hmité ses perspectives romanesques à la peinture d'un individu qui traîne sa médiocrité en cinq volumes (vie et aventures de salavin) pubUés de 1920 à 1932. Avec le cycle des Pasquier (1932- 1945) l'horizon s'élargit à toute une famille. Duhamel, qui a fait des études de médecine, s'attache avec une conscience digne d'un naturaUste à la peinture de ces bourgeois moyens, qui lui ressemblent, et dont il tente de restituer la diversité. L'art et la pensée de Duhamel sont d'une sérénité parfois un peu plate. Aucun drame ne vient donner du relief à ce qui reste une chronique, avec ce que le mot comporte de linéaire et de superficiel. Témoin, comme médecin, des atrocités de la guerre de 19 14, il a voulu promouvoir un humanisme tempéré où s'épanouiraient liberté et dignité. Mais sa voix, trop faible, n'a pas tardé à se perdre dans les grands fracas de la Deuxième Guerre mondiale.

La

poésie entre les deux guerres

La poésie, dans cette période, est marquée par deux grands courants un courant intellectualiste, néo-classique, attaché à la forme et à ses rigueurs et par ailleurs un mouvement turbu:

lent,

visant à

l'intuition,

la

libérer

l'imagination,

privilégiant

la

spontanéité,

révolte.

Paul Valéry^ un poète

néo-classique.

Paul Valéry (i 871- 1945), qui chantera plus tard les inspirations méditerranéennes, est en effet un méridional ; né à Sète, il fait ses études au lycée puis à la Faculté de

272

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

Droit de Montpellier. Au cours de son service militaire, rencontre l'écrivain Pierre Louys, directeur d'une revue littéraire, la Conque^ où Valéry écrira ses premiers poèmes, connus aujourd'hui sous le titre d'Album de vers anciens^ publié en 1920. Mais surtout Pierre Louys lui fera connaître Mallarmé, dont la rencontre est l'événement le plus marquant de la vie de Valéry, et André Gide qui sera pour lui un ami inlassablement fidèle et un admirateur éclairé. Mais la poésie n'est pas pour Valéry le but unique ni même essentiel de l'activité intellectuelle. Ainsi, malgré des débuts prometteurs, s'absorbe-t-il, dès sa vingtième année, dans d'arides méditations qui sont la substance de V Introduction à la méthode de Léonard de Vinci (1895) de la Soirée avec Monsieur Teste (1896). C'est seulement en 19 17 que, sur les instances de Gide, il revient à la poésie et publie un assez long poème, La Jeune Parque, puis d'autres pièces groupées sous le nom de Charmes (1922). C'est le début de la gloire. Malgré un art d'accès difficile, Valéry est célèbre il entre à l'Académie Française (1925), professe au Collège de France (1937), compose les pensées qui ornent en lettres d'or le nouveau Palais de Chaillot, prononce des discours aux distributions de prix qu'il préside, mais n'écrit plus que des œuvres de circonstance. Du moins n'est-il pas dupe de ces futiles honneurs (il y a en Valéry un fonds de scepticisme) et il faut reconnaître que, manié par un tel maître, le genre le plus minime prend des lettres de noblesse et se prête à l'expression des plus fortes idées. Valéry meurt en juillet 1945 et le gouvernement lui décerne des funérailles

il

:

nationales.

VALÉRY MORALISTE. Valéry n'est ni exclusivement, ni peut-être essentiellement un poète. La poésie ne l'intéresse qu'à titre d'exercice, comme il dit lui-même à propos de sa Jeune Parque, d'un pouvoir plus général de l'esprit. C'est pourquoi il s'est mis, dès 1890, en quête d'une méthode universelle capable de définir et de fonder ce pouvoir. Dans cette perspective, il a brossé le portrait d'un Léonard de Vinci idéalisé, expert en toutes sciences, et de Monsieur Teste, héros imaginaire, qui passe son temps à témoin) de lui-même, être le témoin (en latin, testis et qui, possesseur d'un pouvoir universel sur les hommes et sur les choses, se refuse indéfiniment à l'exercer pour mieux en sonder le principe. En un sens lorsqu'il s'est remis à écrire, en 191 7, Valéry a un peu dévié de la voie

=

Le XX^ siècle

rigoureuse que traçait Monsieur Teste. Mais il a toujours gardé les mêmes préoccupations, et il s'est livré dans de courts opuscules, pensées ou « fragments » divers à Texamen le plus subtil et à la plus instructive enquête sur comment les les conditions créatrices de Tintelligence pensées, les possibles innombrables se succèdent vertigi:

neusement en nous génie de extérieur

(VÂme

et la

Danse); comment

le

l'homme est arrivé à constituer dans le vide une sorte d'espace moral, une atmosphère de

mythes

et de principes qui sont aujourd'hui le milieu nécessaire et, en quelque sorte, l'éther dans lequel vibre sa pensée (Lettre sur les Mythes ) ; comment dans le monde de l'activité artistique (architecture, musique) et même dans nos jeux (danse), nous effectuons la traduction dans la matière d'une logique supérieure, l'incarnation d'un

rythme idéal ( Eupalinos ) Tel dialogue comme VAme et la Danse donne l'impression d'une restitution exquise, unique en notre langue, des pages les plus captivantes .

de Platon.

VALÉRY POÈTE DE l'intellect. Valéry a violemment attaqué la conception romantique du poète, qui n'avait qu'à obéir paresseusement à une inspiration le plus souvent sentimentale. Pour lui au contraire un poème doit être « une fête de l'intellect », à deux niveaux pourrait-on dire d'abord le poète crée en pleine clarté intellectuelle, c'est un artiste lucide qui prend conscience des mille problèmes que posent le langage, l'expression, le rjrthme, la rime... et qui les résout la tête froide. C'est en ce sens que Valéry a pris pour symbole de l'artiste parfait l'architecte (dans son dialogue à Eupalinos) car l'architecte voit son imagination heureusement limitée par tous les problèmes concrets que posent par exemple les lois de l'équilibre ou la résistance des matériaux. Tout artiste, lorsqu'il crée, et même le poète, doit être à sa manière un architecte. En second lieu, au moment de sa rencontre avec le lecteur, le poème doit encore s'adresser à l'intellect de celui-ci, refuser les facihtés du lyrisme et de l'éloquence, et contribuer, par les difficultés qu'il lui propose, à relever la condition du lecteur. On retrouve le même classicisme dans l'éloge constant que Valéry a fait des règles, fussent-elles arbitraires, qui :

une partie de la littérature du xvii^ siècle dont revendique l'héritage et qu'il oppose, une fois de plus, à la paresseuse faciUté de l'art romantique. Ces « gênes

régissaient il

/

273

.

274

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

exquises », il s'en est lui-même accommodé en écrivant plus souvent des alexandrins très réguliers que Malherbe ou Boileau n'auraient pas reniés et qui, parfois, ont retrouvé le secret des simples et mystérieuses beautés raciniennes

le

:

Sans vous, belles fontaines,

Ma

beauté, ma douleur, me seraient incertaines. Je chercherais en vain ce que j'ai de plus cher. Sa tendresse confuse étonnerait ma chair Et mes tristes regards, ignorants de mes charmes, d'autres que moi-même adresseraient leurs larmes.

A

Les termes du langage sont pour lui les signes d'une algèbre compliquée et profonde, si bien que dans ses poèmes où. les images concrètes et instantanées s'associent hardiment aux tours les plus abstraits, la superposition ou de deux ou trois thèmes fondamentaux composent un ensemble tout chargé de signification et dont

l'interférence

complexité a fait le désespoir des interprètes de La Jeune Parque et du Cimetière marin. Plus accessibles parce que d'une idéologie moins savante, seraient le fragment du Narcisse^ l'Ode de La Pythie^ V Ébauche d^un Serpent. Avide de précision extrême, Paul Valéry s'appUque de préférence aux sujets qui permettent de déterminer le seuil et les Umites de la vie consciente, la domination de l'inteUigence sur la matière, la prise de possession du corps par l'esprit au moment du réveil

la

:

toi-même! dit l'Aurore, O grande âme, il est temps que tu formes un corps! ... Remonte aux vrais regards! Tire-toi de tes ombres. Et comme du nageur, dans le plein de la mer. Le talon tout-puissant l'expulse des eaux sombres. Toi, frappe au fond de l'être! Interpelle ta chair!... Je réponds!... Je surgis de ma profonde absence! Mon cœur m'arrache aux morts que frôlait mon sommeil... Existe!... Sois enfin



( Sémiramis.)

Le Moi

comme une

perdue au sein de l'inconnaissable ; il veut faire concevoir l'opposition de la personnaHté et du non-être environnant, le désaccord de l'existence éphémère avec l'immuable durée (Le Cimetière marin ) Un tel art, tendu vers l'expression des idées et déhvré volontairement de tout élément descriptif ou oratoire, lui apparaît

« île »

nécessairement abstrait, si le poète n'avait évité la sécheresse par la beauté des vers et l'inclusion de trouvailles heureuses qui jettent la lueur de la vie sur la texture serait

Le XX« siècle

rationnelle

que chez

du fond. La forme chez Valéry

/

275

est aussi parfaite

la virtuosité parnassiens les plus sévères des allitérations, la magnificence précise et neuve du vocabulaire, l'indépendance audacieuse de la syntaxe, la fougue du mouvement dans les strophes lyriques s'unissent pour enserrer la pensée dans ime enveloppe aussi dense les

:

que précieuse.

Le mouvement Dada, Fondé en 191 6 à Zurich par un jeune poète roumain, Tristan Tzara, il peut être considéré comme le précurseur direct du Surréalisme. Dada prône une négation totale volontiers agressive. Malgré des relations souvent orageuses jusqu'à leur rupture en 1922, Tzara a confirmé les tendances de ceux qui allaient en 1924 fonder le mouvement surréaliste, c'est-à-dire essentiellement André Breton, Paul Éluard, Louis Aragon, Benjamin Péret et Phihppe Soupault.

Le Surréalisme Plus nettement encore que d'autres mouvements, le Surréahsme est inséparable de son époque et notamment de la Grande Guerre qui l'a marqué. Lorsque l'armistice de 191 8 est signé, on mesure l'énormité des ravages et la minceur des résultats. Ceux qui allaient être les surréahstes sont particuUèrement sensibles à ce décalage tragique, dont ils s'autorisent pour proclamer la faiUite de la civiUsation, avec son droit, son art, sa morale, sa science et sa rehgion, également compromises dans le désastre. Les surréahstes vont donc s'intéresser à tout ce qui est irrationnel (physique d'Einstein, intuitionnisme bergsonien, psychanalyse freudienne) et, quoiqu'ils se soient toujours défendus de cette démarche, se chercher des ancêtres parmi ceux qui, à un titre ou à un autre, sont animés d'un certain nihiihsme envers les valeurs traditionnelles, qu'il s'agisse du marquis

de Sade, de Lautréamont, de Rimbaud ou de Jarry. • L'essentiel de la doctrine est rassemblé dans le Manifeste Surréaliste (1924) qui souUgne son caractère d'automatisme psychique, l'absence de tout contrôle exercé par la

276

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

raison

comme

de toute préoccupation esthétique

Le Surréalisme

refuse d'être considéré

et morale.

comme une

école

succédant à bien d'autres. Son ambition n'est pas de définir une nouvelle esthétique, encore moins de créer des œuvres d'art achevées, mais d'ouvrir des champs inconnus à l'investigation humaine, celui du rêve, de la folie, du mythe, de l'inconscient. Si Valéry proclame que le poème doit être une fête de l'intellect, Breton affirme qu'il doit en être la débâcle et qu'une hallucination est plus intéressante qu'un raisonnement. • Pour atteindre ce but, les surréalistes ont pratiqué l'écriture automatique, qui consiste à transcrire tel quel, dans son désordre et son incohérence, tout ce qui se présente à l'esprit en dehors de tout contrôle rationnel. La sincérité, l'authenticité absolue, permettent alors d'atteindre une sorte de monde surréel où, pour reprendre quelques expressions célèbres, les poissons sont solubles, les cadavres exquis, et où les revolvers peuvent avoir des littéraire

cheveux blancs.

André Breton (1896-1966) a dire le chef^ mais

on

dit le

été Vâme^ on n^ose pape^ du mouvement

surréaliste.

dominé

que tout autre il a contribué à le en a jalousement gardé l'orthodoxie. Ses études de médecine, puis son affectation pendant la guerre de 1914-1918 à un hôpital psychiatrique lui donnèrent l'occasion de connaître les théories de Freud sur l'inconscient. Et bien vite il s'intéressa aux mouvements d'avant-garde, comme celui de Dada, auxquels il reprocha pourtant assez vite d'être trop exclusivement négateurs. De même après avoir eu, comme tout son groupe, des sympathies pour le nouveau système politique que la révolution d'octobre 1917 avait installé en U.R.S.S., il prit rapidement ses distances par rapport aux communistes qu'il accusa de méconnaître la spécificité de l'expérience surréaUste, irréductible à l'économique et au social. Breton a été le principal artisan des ouvrages théoriques du surréalisme ; il a écrit aussi en collaboration avec Soupault, Éluard. En poésie comme en prose, Breton a le secret des images frappantes, insolites. Son chefd'œuvre est peut-être le court récit de Nadja (1928), du nom de l'héroïne, jeune femme mystérieuse aux « yeux de Il l'a

et plus

définir, à l'orienter, et

Le XX« siècle

/

277

» qui est pour le narrateur moins la partenaire d'une histoire d'amour qu'une initiatrice plus familière que lui-même au monde surréel.

fougères

Louis Aragon^ du Surréalisme au communisme. Aragon

fut,

avec Breton, un des fondateurs du Surréa-

lisme. Après avoir participé à toutes les premières batailles, s'éloigne de l'orthodoxie surréaHste, représentée par il Breton, pour adhérer à l'orthodoxie communiste. Après

un voyage en U.R.S.S. (1930), la rupture a éclaté. Dans Hourra V Oural (1934), Aragon se fait le chantre de la révolution russe. Alors s'ouvre pour lui une période féconde de production romanesque (cf. p. 268). La défaite de juin 1940, l'occupation et la Résistance réveillent son inspiration poétique. Dans d'admirables recueils {Le Crève-Cœur y 1940 ; Les Yeux d'Eisa, 1942 ; La Diane Française, 1944), le thème de l'amour se mêle subtilement à celui de la patrie. Le Roman inachevé (1956), Le Fou d'Eisa (1963) complètent cette œuvre riche et variée. Virtuose admirablement maître de son archet, Aragon arrive à faire vibrer, à côté des mots trop neufs, prosaïques et qui « détonnent » volontairement (« J'ai retiré ce radium de la pechblende »), des vers d'une ampleur et d'une sonorité raciniennes :

Tes yeux sont si profonds qu'en me penchant pour boire J'ai vu tous les soleils y venir se mirer... (Les Yeux d'Eisa.)

Habile à déchiffrer le jeu savant des symbolistes de la Renaissance, il sait aussi retrouver le secret des « ballades » populaires :

J'ai traversé les

C'est



ponts de



que tout a commencé

pu introduire, dans telle émouvante description des paysages français d'une pureté presque classique, l'écho vif et vengeur des chansons d'autrefois et a

:

Les

lauriers sont coupés,

Compagnons de

la

Qu'importe que

je

Le

Ma patrie

mon

est la

il

est d'autres luttes,

Marjolaine...

meure avant que s'il doit renaître un

visage sacré,

Dansons, ô

mais

se dessine

jour.

enfant, dansons la capucine! faim, la misère et l'amour. (Plus belle que les Larmes.)

278

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

Paul Éluardy poète limpide

et

généreux.

Co-fondateur du Surréalisme, Éluard (1895-1952) apporta aux nouvelles recherches de ses amis la contribution d'un tempérament poétique incomparable. Capitale

U

de la douleur (1926), Amour la poésie (1929), La Vie immédiate (1932) illustrent magistralement une poésie qui se meut aux confins du réel et du surréel. Comme pour Aragon, les épreuves de l'occupation allemande sont pour Éluard l'occasion d'un renouvellement de son inspiration. Poésie et vérité (1942), Au rendez-vous allemand (1944)

chantent

les

drames de

un monde de

la patrie

meurtrie et l'aspiration

Moins entier que habile peut-être qu'Aragon, Éluard a composé des poésies au charme simple, malgré de surprenantes images, où les mots de tous les jours prennent un reUef et une charge poétique étonnants. Son hymne à la liberté est resté justement célèbre à

Breton,

fraternité et d'amour.

moins

:

Sur mes cahiers d'écolier Sur mon pupitre et les arbres Sur le sable sur la neige J'écris

ton

Sur toutes Sur toutes

nom

pages lues pages blanches Pierre sang papier ou cendre J'écris ton nom. les

les

(Poésie et vérité.)

En

dehors du Surréalisme, Bien que le SurréaUsme ait profondément marqué la production poétique de son époque, certains poètes, soit par doctrine, soit par tempérament, soit par le jeu des circonstances, ont à peu près complètement échappé à son influence. Jules Supervielle (1884- 1960) a partagé son cœur et sa vie entre l'Uruguay, sa terre natale, et la France, sa patrie d'adoption. Il s'est complu à des visions à demi chimériques, à la description de spectacles changeants :

Faisant bouger le jour de votre pas tranquille Vous hâlez bellement les coteaux étalés, Et savez retenir les lointains indociles ; Les arbres d'alentour fréquentent vos vallées.

)

Le XX^ siècle

n'est pas de

Il

parfum, d'herbe ni de feuillage

Qui ne connaisse en vous Et

En

l'ivresse

du

passage.

nuées vos gestes vivants volent se transmuer.

les rivières, les collines, les

Cette peinture d'une promeneuse s'apparente aux toiles impressionnistes de Matisse. Évocateur d'images indécises qui se font et se défont comme des nuages ou des gestes, il dit le contour flottant des rêves et des choses, l'émergence des formes et des êtres dans la nature immense aussi bien que dans les nappes de la subconscience ( La Fable du Monde Une inspiration plus sévère, plus douloureuse, dicte les poèmes de Patrice de La Tour du Pin (né en 1911), dispensateur d'images tourmentées et confuses, évocateur des temps maussades de l'automne. Dans sa Quête de Joie, l'élément descriptif et l'élément philosophique se corroborent et concourent à créer une atmosphère de mysticisme anxieux et passionné .

:

Longtemps

avait soufflé ce vent

du Nord où passent

Les Enfants sauvages, fuyant vers d'autres cieux Par grands voiliers, le soir et très haut dans l'espace J'avais senti siffler leurs ailes dans la nuit.

;

Par la distinction de leur langage, par l'harmonie douce de leurs vers. Supervielle et La Tour du Pin expriment en quelque sorte un idéal de poésie purement artistique et désintéressé.

Jean Cocteau (1892- 1963), dont le souple talent s'adapte à tous les genres, très doué, trop doué peut-être, Pierre- Jean Jouve (1887- 1977) et Pierre Emmanuel (né en 1916), poètes d'inspiration chrétienne, ont aussi contribué à assurer la vitalité de la poésie. 7>lais il faut faire une place à part à Saint-John Perse (1889- 1875), pseudonyme d'un diplomate de haut rang, Alexis Léger. Son premier grand recueil, Anabase, date de 1924 ; ses autres poèmes ne furent publiés qu'après la Seconde Guerre mondiale Exil (1944), Vents (1947), Amers (1957). En i960 il a obtenu le Prix Nobel de Littérature. Saint-John Perse a écrit une œuvre puissante, que sa richesse, son foisonnement rendent parfois un peu difficile. Comme Claudel, il a refusé le cadre trop étroit de la métrique traditionnelle pour s'exprimer en phrases longues, dont l'ample respiration s'accorde à la volonté de dilater le langage aux dimensions du cosmos. :

/

279

280

Le

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

/

théâtre entre les

deux guerres

• La mise en scène. Quelques metteurs en scène, passionnés de théâtre, refusent de se laisser enfermer dans leur rôle de techniciens pour jouer de plus en plus, tant auprès du public que des acteurs, voire des auteurs, le rôle d'animateurs.

LuGNÉ-PoE (1869- 1940) au théâtre de l'Œuvre puis Jacques Copeau (1879- 1949) furent à ce propos des Copeau

insiste sur la rigueur, le dépouilstyhsation du décor, le tout au service du texte. Le temple de ce nouveau culte théâtral est le théâtre du Vieux Colombier, où Copeau présente non seulement les œuvres classiques (Shakespeare, MoUère) mais aussi les pièces de ses contemporains (Gide, Claudel). Son influence a été considérable et lorsqu'il a quitté le Vieux Colombier, en 1924, la relève était assurée par quatre hommes qui, dans la diversité de leur tempérament, partageaient son idéal et dont certains avaient même été initiateurs.

lement, et

même

en quelque sorte

la

ses disciples.

• Le Cartel des Quatre. On appelle ainsi l'espèce d'association que formèrent en 1926 pour mieux soutenir une même cause, celle du théâtre, Pitoefif, Dullin, Jouvet et Baty.

Georges Pitoeff (1884- 1939). d'origine russe, s'est surtout employé à faire connaître les œuvres d'auteurs étrangers. Oscar Wilde, Bernard Shaw et surtout Pirandello, Tchékhov, Ibsen, Strindberg. Il trouva dans sa femme Ludmilla une auxihaire dévouée et pleine de talent.

Charles Dullin (1885-1949) a attaché son nom au théâtre de l'Atelier. Metteur en scène, acteur, professeur d'art dramatique, il a exercé une grande influence et beaucoup de jeunes interprètes se sont réclamés de lui. Gaston Baty (i 885-1952) s'est illustré au Studio des Champs-Élysées puis au Théâtre Montparnasse, qui porte aujourd'hui son nom, dans les comédies de Musset. On lui monté la première œuvre de Brecht en France, L'Opéra de quaf sous, en 1930. Louis Jouvet (1887-195 i) a joué à la Comédie des Champs-Élysées puis à l'Athénée. Il s'est illustré aussi doit d'avoir

Le XX^ siècle

/

281

U

Annonce le Knock de Jules Romains que dans Marie de Claudel. Mais le sommet de sa carrière coïncidé avec sa rencontre de l'œuvre de Giraudoux dont

bien dans faite à a

devint l'interprète régulier et privilégié et dont il aida École des Femmes de Molière, succès. La création de dans un décor de Christian Bérard, fut une de ses grandes

il

le

U

réussites.

Le comique à Sacha Guitry (1885-1957) fils du célèbre acteur Lucien Guitry, fut un auteur d'une rare fécondité. Il connut un des plus vifs succès de son époque, mais ses pièces, bourrées de mots d'auteur, habiles mais minces, sont aujourd'hui démodées et oubUées. Édouard Bourdet (i 887-1944) a montré plus de profondeur et de vigueur dans la satire. Les Temps difficiles (1934) fustigent la rapacité de la grande bourgeoisie et ne manquent pas d'accent. Il eut en outre une activité heureuse à la Comédie Française, dont il fut administrateur et dont il ouvrit largement les portes aux mises en scène du Cartel des Quatre. Marcel Pagnol (1895-1974). Pagnol a conquis sa première gloire avec Topaze (1928) qui raconte l'ascension, puis le triomphe d'un médiocre et honnête professeur de cours privé devenu un cynique et malhonnête homme d'affaires. On pourrait trouver dans la pièce l'amorce d'une critique de la société qui permet pareille métamorphose. Mais l'aimable talent de Pagnol n'a pas tenté d'acérer ses traits et ce Provençal de naissance a préféré mettre en scène sans méchanceté, sinon sans malice, les types savoureux d'une région qu'il connaît bien, et rendre populaire ces caricatures pittoresques et bon enfant. MariuSi Fanny et César constituent autour des années 1930 une trilogie marseillaise dont l'adaptation au cinéma a encore élargi l'audience. Marcel Achard (1899- 1974) dont les œuvres les plus connues sont Voulez-vous jouer avec moâ ? (1923), Malbrough s'en va-t-en guerre (1924), La Vie est belle (1928) et surtout Jean de la Lune (1929), fait évoluer ses personnages dans un monde où le rêve et la réalité s'entrelacent et dont les demi-teintes ne sont pas sans charme. Jules Romains qui est plus un romancier (cf. p. 269) qu'un dramaturge, a cependant connu un premier succès avec sa farce de M. Le Trouhadec saisi par la débauche (1923)

la scène.

282

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

dont

personnage principal reparaîtra dans Donogoo Mais son œuvre la plus célèbre reste Knock (1923). Knock est un charlatan dont la compétence médicale est des plus sommaires mais qui a assez d*audace pour acheter la médiocre cUentèle d'un brave médecin de campagne, le

(1930).

Parpalaid, à qui des décennies d'activité sont loin d'avoir apporté la richesse. Le Knock entreprend de retourner cette situation et y réussit plus préoccupé d'assurer le triomphe de la médecine (c'est le sous-titre de la pièce) que de la guérison des malades, il finit par persuader à peu près toute la population d'avoir recours à ses services, grâce à un certain nombre de procédés d'une honnêteté douteuse, dont le plus efficace est l'aphorisme célèbre les gens bien portants sont des malades qui s'ignorent. Knock, riche et respecté, connaît un ultime triomphe celui de voir son prédécesseur, le Parpalaid, aspirer à devenir son patient. Jules Romains a les quahtés d'un homme de théâtre son style est vigoureux, riche en formules qui passent bien, et il a le sens des situations le

:

:

:

:

dramatiques. Knock est une satire de la médecine qui dans une tradition illustrée par Mohère et par les fabUaux. Mais par-delà les médecins et leurs travers éternels, c'est la nature humaine, dont la sottise rend possible l'imposture, qui fait les frais de la comédie. Armand Salacrou (né en 1899) est l'auteur d'une s'inscrit

œuvre

très diverse et difficile à classer.

A

la fois écrivain

proche du surxéaUsme, censeur de la classe bourgeoise et lui-même grand bourgeois, s'inspirant de la tradition de la farce tout en confiant à son œuvre une inquiétude métaphysique, il doit l'essentiel de son succès à quelques pièces aux quahtés indiscutables comme V Inconnue d'Arras (1935), La Terre est ronde (1938), L'Archipel Lenoir (1947), sa meilleure pièce, au comique grinçant qui s'exerce aux dépens d'une grande famille de distillateurs.

engagé

Le

sens

du

et

tragique^ sa problématique.

François Mauriac est, comme Jules Romains, un romancier qui a été attiré par le théâtre, mais, à sa différence, son œuvre de romancier est dans l'ensemble très antérieure à son œuvre de dramaturge. Celle-ci se réduit à deux pièces Asmodée (1937) et Les Mal Aimés (écrite en 1939, jouée en 1945). Asmodée nous fait pénétrer dans une riche famille landaise ; la maîtresse de maison, Mme de Barthas, :

~

Le XX« siècle

qui est veuve, est aimée en secret par le précepteur de ses enfants, qui la domine faute de pouvoir la posséder ; quant à elle, elle est troublée par le jeune adolescent anglais, contemporain de son fils, qui vient passer les vacances chez elle et qui sera aimé de sa fille. Cet entrecroisement de passions n'entraînera pas de fin sanglante, mais les personnages paieront cher en résignation et en le calme revenu. Les Mal Aimés sont de la même encore une famille de bourgeoisie landaise, avec un homme seul cette fois, entouré d'une fille aînée, Élisabeth, qu'il tyrannise et d'une cadette, Marianne, qu'il ignore. La présence d'un jeune homme qui désire épouser Elisabeth est pour le père l'occasion d'un jeu cruel et égoïste entre les deux sœurs pour empêcher le bonheur de l'aînée qui consacrerait sa solitude. La pièce est l'histoire de tous ces déchirements. Le décor des pièces de Mauriac est le même que celui de ses romans région du sud-ouest, haute bourgeoisie, et ses personnages y sont agités des mêmes passions brûlantes où l'amour et la haine, l'égoïsme et la générosité, voisinent, et en quelque sorte, pactisent étrangement. Ce sont encore, comme les romans, des tragédies du péché. Jean Giraudoux (1882- 1944). Giraudoux est né à Bellac, au cœur du Limousin, dont il donnera souvent, dans son œuvre, une image poétique. Au lycée de Châteauroux non seulement il fut bon élève, mais il ne devait jamais rougir de l'avoir été. De brillantes études marquées par son entrée à l'École Normale Supérieure l'amenèrent finalement, après quelques détours, à la carrière diplomatique qu'il quitta en 1939 pour devenir un éphémère ministre de l'Information. Les premières œuvres de Giraudoux sont des recueils de nouvelles. Provinciales École des indijférents (191 1), Arnica America (1909). (19 19) et des romans comme Simon le pathétique (19 18), Siegfried et le Limousin (1922), Juliette au pays des hommes, Bella (1925), Aventures de Jérôme Bardini (1930). On pourrait aussi bien appeler contes ses nouvelles et ses romans, car Giraudoux, qui n'a aucun souci réaliste, emmène volontiers ses personnages et son lecteur dans une aventure en partie irréelle dans un monde à la fois abstrait et féerique qui donne plutôt les plaisirs de l'évasion que ceux de l'analyse. Un pubUc restreint était séduit par ces premiers essais d'autant qu'ils s'exprimaient en un style d'un raffinement extrême, précieux, recherché et cependant coulant. Les

amertume

encre

:

:

U

/

283

284

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

mêmes qualités se retrouveront dans les deux derniers romans Combat avec F Ange (1934) et Choix des élues (1939). Mais c'est au théâtre que Giraudoux a donné ses plus grandes œuvres. Il est possible que son style un peu foisonnant lorsqu'il n'était soumis à aucune règle ait parti:

culièrement bénéficié des astreintes imposées par le genre du théâtre. Lorsqu'on écrit pour la scène, les exigences de communication immédiate imposent la sobriété, l'efficacité, la simplicité. Giraudoux en prit tout de suite conscience d'autant mieux que Jouvet était bien placé à ses côtés pour les lui rappeler et pour aider ce précieux à devenir un classique. Sa première pièce, Siegfried (1928) tirée du roman du même nom glose sur le thème de l'amnésie, et de la nécessaire réconciliation entre la France et l'Allemagne. Les mythologies antique {Amphitryon 38, 1929 ; La Guerre de Troie n'aura pas lieu, 1935 ; Électre, 1937)5 bibhque (Judith, 193 1 ; Sodome et Gomorrhe, 1943), germanique (Ondine, 1939)5 parfois la fantaisie pure (Intermezzo, 1933 ; La Folle de Chaillot, 1945) vont tour à tour nourrir cette œuvre qui vaut sans doute moins par sa substance que par son style, bien qu'en un sens l'un et l'autre soient inséparables. Giraudoux ne se désintéresse pas

dont

absolument du monde

préoccupations se retrouvent dans son œuvre sa première pièce, Siegfried, était inséparable de son contexte historique, les lendemains du conflit de la Première Guerre mondiale, tandis que sa pièce la plus célèbre et la plus réussie, La Guerre de Troie n'aura pas lieu, fait largement écho aux préoccupations de tous ceux qui sentaient monter les périls d'une seconde guerre mondiale. Derrière l'affabulation antique qui reprend le vieux mythe grec du rapt d'Hélène et de la Guerre de Troie, c'est à l'affrontement franco-allemand que Giraudoux pense et nous invite à penser. Quand le destin, depuis des années, a surélevé deux peuples, quand il leur a ouvert le même avenir d'invention et d'omnipotence..., quand par leurs architectes, leurs poètes, leurs teinturiers, il leur a donné à chacun un royaume opposé de volumes, de sons et de nuances..., réel

les

:

aux de couleur et d'épanouissement, mais de ménager son festival, le déchaînement de cette brutalité et de cette folie humaine qui seules rassurent l'univers sait bien qu'il n'entend pas préparer ainsi

hommes deux chemins

les dieux.

(La Guerre de Troie rCaura pas

lieu.)

Le XX« siècle

On

que la guerre est présentée en termes de destin, que la pièce de Giraudoux, en dépit de scènes où domine l'humour, est une tragédie. Les bonnes voit

c'est-à-dire

volontés conjuguées d'Ulysse, d'Hector et de quelques autres ne prévaudront pas contre la fatalité. Le tragique de La Guerre de Troie n'aura pas lieu s'exprime par le décalage entre son titre et son dénouement. Puisque le monde réel, en dépit de tous les efforts, est décidément le lieu des malheurs et des catastrophes, Giraudoux nous convie à le suivre dans un univers idéal, d'où les grands sentiments et les grandes passions, sources « C'était de mésentente et d'affrontement, sont exclus magnifique, c'était sans amour! » Sodome et Gomorrhe. Aux passions de l'amour on préférera une tendresse élégante, compatible avec la fantaisie et l'émerveillement, une sorte de « politesse envers la création », une « certaine manière d'offrir, au lieu de votre bouche à une autre bouche, votre langage à un autre langage. » Précisément cet univers giralducien, la sagesse qu'on doit pratiquer pour y goûter pleinement le bonheur, impliquent, dans tous les sens du terme, un style. Au niveau des mots, Giraudoux est un maître dans le maniement de leurs nuances les plus ténues, parfois les plus artificielles. Comme son héroïne Alcmène, dans Amphitryon 38, on peut dire qu'il préfère aux franches couleurs :

de l'arc-en-ciel le mordoré, le pourpre et le vert-lézard. La gloire de Giraudoux, très brillante de son vivant, connaît actuellement une certaine éclipse la quête individuelle de bonheur que poursuit ce « sourcier de l'Éden », sa relative indifférence à la pohtique, son culte de la forme et du beau langage sont peu en accord avec les tendances de l'époque présente. Mais il reste un grand maître du théâtre qui a constitué avec son ami et interprète Louis Jouvet une équipe irremplaçable. Et dire que son esthétique, où classicisme et préciosité se conjuguent en un alliage délicat, est en effet assez spéciale, c'est lui reconnaître une grande originalité. :

Jean Anouilh et j'en suis très

(19 10- 1987). « Je n'ai pas de biographie, content », déclara un jour Anouilh pour

décourager les indiscrétions d'un journaliste. Il faut savoir seulement qu'il est né à Bordeaux, qu'il est venu très jeune poursuivre ses études à Paris, qu'il n'a jamais fait de journalisme, enfin qu'il vit du et pour le théâtre.

/

285

286

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

Sa carrière s*est épanouie sous roccupation et après la Seconde Guerre mondiale, mais elle avait commencé bien avant avec Hermine (1932), suivie du Voyageur sans bagage (1937) et de La Sauvage (1938). Avec cette dernière pièce, on voit déjà se dessiner les grands traits de l'univers dramatique d'Anouilh, un univers manichéen où le Bien et le Mal se combattent en un affrontement qui oppose la race d'Abel et la race de Caïn, comme Anouilh dira plus tard en employant une terminologie biblique déjà utihsée par Baudelaire. Le personnage qui donne son nom à La Sauvage est une jeune fille, Thérèse, que la veulerie de sa famille a exposée dès l'enfance aux atteintes du Mal. Elle partage l'existence minable d'un père et d'une mère sans honneur jusqu'au jour où elle rencontre un compositeur de musique. Celui-ci appartient à la race bénie jeune, riche, génial, amoureux, il a reçu tous les dons. Le bonheur sera impossible entre lui et Thérèse qui, à la fin de la pièce, « part toute menue, dure et lucide, pour se cogner partout dans le monde. » On retrouve la même opposition des deux races dans Antigone (1944) reprise du mythe antique où Antigone incame la pureté absolue devant Créon, le pohtique réaliste qui va la faire tuer. Mais alors que chez Sophocle Antigone représentait la révolte de la conscience morale, fidèle aux lois non écrites, contre les injustes obUgations des lois de la cité, Anouilh a fait en sorte que dans la pièce le combat soit dépouillé de son sens Antigone ne sait plus trop pourquoi elle meurt et le grand vainqueur de l'affrontement est finalement l'Absurde. Anouilh a contribué à exploiter cette idée après la guerre, c'est-à-dire à une époque particuhèrement bien faite pour la comprendre. La plupart de ses pièces furent-elles aussi de grands succès Roméo et Jeannette (1946), Invitation au château (1947), Ardèle ou la Marguerite (1948), La Répétition ou V amour

V

:

:

:

U

/)Mm (1951).

Anouilh est un écrivain de théâtre ; son évocation de la noirceur, même lorsque la pièce est dite « rose » ou « brillante », s'exprime en un style vigoureux qui passe la rampe. Certains de ses mots, qui sont moins des mots d'auteur que des formules résumant une situation de manière saisissante, sont en passe de devenir classiques. Ce style grinçant et fort, cette maîtrise du dialogue, ce sens très sûr des exigences scéniques, comportent parfois ime certaine complaisance.

Le XX^ siècle

Du

/

287

côté des critiques.

Aux frontières de la littérature et de la philosophie, les Propos d' Alain (1868-1961) d'inspiration rationaUste, connurent un vif succès entre les deux guerres. Dans de courts entretiens, d'une démarche sinueuse et imprévue, empruntés comme ceux de Montaigne aux occasions courantes de la vie, Alain remonte aux phénomènes les plus simples, aux réflexes antiques de l'animal humain, à ses besoins et rites immémoriaux pour expHquer encore, dans notre existence compliquée par le macfdnisme, les besoins primordiaux et éternels de l'homme, sa soumission (qu'il voudrait réduire aux plus justes limites) aux lois de la vie sociale et la contrainte que les saisons, la nuit, la fatigue physique, tous les obstacles salutaires de la réaUté opposent à l'eflfort ambitieux de son esprit {Les Idées et les Ages, 1927). richesse d'analyse, mais plus curieusement tournée vers la vie intime de l'âme, se révèle dans les Carnets de Captivité de Jacques Rivière (1886-1928),

Même

jeune romancier mort prématurément en 1925 dont, en exil, l'inquiétude se tournait, pressante et candide, vers les choses spirituelles, À la trace de Dieu. Tout ce surcroît de renseignements et cet enrichissement de « l'esprit de finesse » que la philosophie bergsonienne et la psychologie moderne ont apportés devaient naturellement élargir et avantager la critique Uttéraire. Aussi, au lieu de vouloir définir une œuvre d'après ses sources et son objet, un écrivain d'après les relations extérieures de race, niiUeu et moment, on voit les critiques contemporains chercher, par sympathie intuitive, à retrouver l'inspiration même qui a guidé l'auteur, à recomposer avec lui son œuvre par le dedans en vertu des lois propres et du dynamisme intérieur qui lui en ont imposé la production. Méthode délicate souvent hypothétique, mais d'un vif intérêt et qui donne leur originaUté aux études d' Albert Thibaudet (1874-1936), de Pierre Quint et de Ramon Fernande z de Molière^ 1929) ; qui a permis à Mauriac de mettre à nu l'âme secrète, l'ambition, les scrupules, les angoisses d'un Racine et d'un Biaise Pascal. André Maurois (1885-1967), disciple d'Alain, a écrit des biographies très appréciées de George Sand, Shelley, Hugo, Balzac, Proust. Charles Du Bos (1882- 1939) d'inspiration chrétienne, Julien Benda (1867- 1956),

288

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

André Suarès

(1868- 1948) témoignent de la richesse de à celle de la création littéraire. Il faut mentionner tout spécialement la Nouvelle Revue Française fondée en 1909 par Gide, Schlumberger (18771968) et Copeau. A la fois revue, maison d'édition et cercle amical, elle exerça une grande influence et sur les auteurs et sur le public entre les deux guerres. la critique parallèle

La

littérature après

1945

une production

est contemporaine, plus il est d'en apercevoir, à plus forte raison, d'en hiérarchiser les valeurs. L'époque présente est marquée par un éclatement des genres encore plus net qu'au siècle précédent, voire par leur remise en question radicale. Tout au plus est-il possible de distinguer quelques personnalités de premier plan qui se sont imposées dans le ou les genres qu'elles ont pratiqués et qui dominent l'immédiate aprèsguerre. La guerre elle-même et l'occupation avaient contribué à renouveler l'inspiration des poètes issus du surréalisme comme Éluard et Aragon mais il y a peu de grandes œuvres de prose parmi toutes celles qu'elles ont directement suscitées. Citons cependant Drôle de Jeu, de Roger Vaillant et surtout Le Silence de la Mer, de Ver CORS (né en 1902), nouvelle d'une pathétique sobriété.

Plus

difficile

Romanciers

et essayistes

L'Existentialisme Sartre a résumé et vulgarisé en 1947 les thèses principales de l'existentiahsme dans un court essai intitulé Existentialisme est un humanisme. Après avoir critiqué les philosophies spirituaUstes selon lesquelles le concept d'homme est dans l'entendement divin antérieur à l'existence des hommes, il ajoute

U

:

L'existentialisme athée déclare que si Dieu n'existe pas, il y a au moins un être chez qui l'existence précède

Le XX« siècle

/

289

un être qui existe avant de pouvoir être défini par aucun concept et que cet être c'est l'honrune. Qu'est-ce que signifie ici que l'existence précède l'essence? Cela signifie que l'homme existe d'abord, se rencontre, surgit dans le monde et qu'il se définit après. L'homme, s'il n'est pas définissable, c'est qu'il n'est d'abord rien. Il ne sera qu'ensuite et il sera tel qu'il se sera fait. Ainsi il n'y a pas de nature humaine, puisqu'il n'y a pas de Dieu l'essence,

pour

la

concevoir,

Sartre^ témoin des contradictions de son temps. Bien qu'il ait commencé à écrire un peu avant la Seconde Guerre mondiale, Sartre (1905- 1980) est un des écrivains les plus représentatifs de la littérature et de la pensée française d'après-guerre. Son premier roman La Nausée (1938) et un recueil de nouvelles Le Mur (1939) laissaient déjà pressentir les grandes lignes de son système. Mais il ne Ta vraiment exposé de façon cohérente que dans VÊtre et le Néant (1943), ouvrage philosophique dont la relative difficulté d'accès ne gêna nullement la vogue de l'existentiaUsme athée. A la nouveauté même de ce système, né de la méditation sur certains philosophes allemands, notamment Hegel et Heidegger, venaient s'ajouter quelques éléments pittoresques, comme les fréquentes apparitions de Sartre ainsi que de son amie et disciple Simone de Beauvoir, elle-même écrivain de talent, au café de Flore, au cœur de Saint- Germain des Prés, si bien que TexistentiaUsme sartrien, pendant les premières années de l'après-guerre, disputa au marxisme les faveurs de la jeunesse du Quartier latin. La fécondité de Sartre, son aptitude à réussir brillamment dans les genres httéraires qu'il abordait, surtout au théâtre, (cf. p. 293) ont fait rapidement de lui le plus éminent des écrivains de sa génération, et même un maître à penser. Il dispose en outre, avec la Revue des Temps Modernes^ dont il est le directeur, d'une tribune où il commente avec âpreté et de brillants dons de polémiste l'actuahté poUtique et intellectuelle. Par ses positions pratiques, sinon par ses convictions idéologiques, Sartre a été parfois très proche des communistes qui ont souvent fait preuve envers lui d'une réelle hostihté. Il s'est séparé d'eux à la suite de la répression soviétique en Hongrie (oct.-nov. 1956) et s'est rapproché récemment de divers groupes gauchistes d'inspiration maoïste.

290

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

L'Existentialisme, qui n'a jamais été vraiment une école, à peine un groupe d'amis, exprime ime conception désespérée de la vie humaine, insérée par l'effet du hasard dans un monde extérieur hostile et odieux c'est à l'individu de se frayer sa voie, s'il peut, dans ce cloaque et, en forgeant pour son compte des valeurs nouvelles, de retrouver les chemins de la hberté. :

Sartre romancier. Cette théorie s'incarne dans ime production de choc et de scandale qui insiste sur les aspects les plus écœurants de la nature humaine, sur les scènes de crapiUerie et d'horreur, qui cherche ses effets diamétralement à l'opposé de l'art classique par l'exhibition de la laideur et de l'ordure dans les choses, de la vulgarité et de la veulerie dans les caractères autant que dans le style. C'est le cas de La Nausée, son roman le plus célèbre et le plus réussi, où Sartre met en scène Antoine Roquentin qui poursuit mollement à Bouville (Le Havre) des travaux historiques et traîne de café en café une existence morne jusqu'au jour où il éprouve pour de bon la nausée. La nausée est un sentiment complexe qui n'est pas hé à des éléments psychologiques il est la prise de conscience d'une angoisse métaphysique. Rien de ce qui existe n'a sa raison d'être, telle est l'évidence longtemps cachée dont la découverte bouleverse Roquentin. Sa propre existence « Moi aussi, constate-t-il, j'étais n'est pas mieux fondée de trop pour l'éternité. » Du moins La Nausée s'achevait-elle sur un fragile espoir, celui de vaincre l'obsédante contingence des choses en donnant un sens à la vie par la création artistique. Mathieu, héros veule des Chemins de la Liberté n'apercevra même pas cette lueur. De même les nouvelles du Mur présentent-elles des personnages et des situations :

:

sans espoir.

Sartre et la littérature. Sartre s'est souvent interrogé sur la littérature. Attaquant violemment les esthétiques ou les courants de pensée qui prônaient plus ou moins directement l'irresponsabilité de l'artiste, il a lancé en 1947 l'idée et la formule de la littérature engagée : l'artiste doit utiUser son art, le prestige et l'audience qu'il lui vaut, pour intervenir dans les

Le XX^ siècle

/ 291

promotion des déshérités. étude sur Baudelaire (1947), une sur Flaubert (1972) témoignent de la curiosité de cet essayiste qui est souvent un pamphlétaire. Cependant, depuis son rapprochement récent avec certains mouvements d'extrême gauche, Sartre semble faire le procès de toute la httérature, y compris la sienne l'aspect terroriste de sa pensée et de sa personnaUté est celui qui appafaît le plus actuellement. conflits politiques et soutenir la

Une

:

Simone de Beauvoir^

la femme et

rengagement.

Amie et disciple de Sartre, Simone de Beauvoir (19081986) a publié plusieurs romans dont VInvitée, Le Sang des Autres, Les Mandarins, chronique des années d'aprèsguerre et de leurs grands débats intellectuels, avant de s'intéresser aux questions féministes (Le Deuxième Sexe), et de faire le point des expériences de sa vie (Mémoires d'une jeune fille rangée, La Force de Vâge, La Force des choses).

Albert Camus; la Révolte contre

Né à Alger, en 191 3, Camus allait s'engager dans la carrière universitaire lorsqu'une maladie interrompit ses études. Dès lors, il voyagea et fit du journahsme. Après la défaite de 1940, il prit ime part active à la Résistance dans le groupe Combat et il fut quelque temps, au journal du même nom im des plus grands éditorialistes de la presse française de l'immédiat après-guerre. En 1942 il avait publié un court roman, L'Étranger, d'inspiration et de style tout à fait originaux. L'étranger, Meursault, le héros du livre, mène l'existence sans intérêt d'un petit employé dans im monde qui lui apparaît absurde. jour, sur une plage algérienne, éblouie de soleil, il a tué un Arabe sans trop savoir pourquoi. Arrêté, accablé par des témoignages qui semblent prouver son indifférence radicale, il est condamné à mort. UÉtranger symboUse l'homme écrasé par un enchaînement de forces que non seulement il ne domine pas mais qu'il ne comprend même pas. Pour en souUgner l'absurdité. Camus a employé un certain ton, un certain style dépouillé à l'extrême, d'une objectivité parfaite, qui ont fait date dans l'histoire du roman français et qui donnent à son court récit une étonnante force sugges-

Un

tive.

V Absurde,

292

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

La même année. Camus posait la théorie de TAbsurde avec Le Mythe de Sisyphe, essai philosophique qui prenait cette fois pour héros Sisyphe, personnage de la mjrthologie grecque condamné à rouler jusqu'au sommet d'une montagne une grosse pierre qui en retombait sans cesse. Mais cette expression particuhèrement vigoureuse de l'absurde indiquait aussi la voie d'une solution. Alors que Étranger était ballotté par des événele Meursault de ments ininteUigibles, Sisyphe est conscient de l'absurde et accepte de l'affronter. Il n'y a de salut pour l'homme que dans un effort soHtaire et une attitude de révolte qui lui permet de témoigner de sa seule vérité qui est le défi. Les derniers mots du Mythe de Sisyphe sont à cet égard

U

« La lutte elle-même rempUr un cœur d'homme. Il

significatifs

à

vers les sommets suffit faut imaginer Sisyphe Ces idées seront reprises et développées en :

heureux. » Homme révolté. 1951 dans Mais auparavant Camus avait pubhé La Peste (1947) son second grand roman. L'histoire imaginaire d'une épidémie de peste à Oran lui permet d'incarner une nouvelle fois ses idées dans des personnages attachants devant cette peste qui symbolise le mal, chacun réagit selon son tempérament et ses idées. Alors que la résignation chrétienne apparaît paresseuse et inadaptée. Camus a accordé toute sa sympathie à un petit groupe d'hommes qui luttent de leur mieux avec les moyens du bord contre le fléau, comme Tarrou, qui voudrait « être un saint sans Dieu », et surtout le D'" Rieux, porte-parole de l'auteur, dont l'ambition a la sobre grandeur de vouloir être un homme. Telle est la leçon de ce Uvre qui souhgne la nécessité d'affronter le Mal non pas dans l'ordre dispersé d'un individuahsme anarchique, qui pourrait tout juste permettre d'être heureux tout seul, mais dans le cadre d'une soHdarité chaleureuse. Camus est une des figures les plus importantes de l'après-guerre. Peut-être est-il un penseur moins vigoureux que Sartre, mais c'est un grand artiste chez qui la sobriété n'exclut ni l'émotion devant le malheur des hommes ni la sensibilité au pittoresque méditerranéen, chanté à l'occasion de petits essais comme Noces ou UÉté. Il a obtenu le Prix Nobel en 1957. Sa vie, comme pour donner une dernière illustration à sa pensée, s'est achevée dans le tragique absurde d'un accident de la route

U

:

en i960.

Le XX« siècle

/

293

En dehors de ces romanciers inspirés par Texistentialisme ou la philosophie de Tabsurde, on peut citer Roger Vailland (1907-1965), dont la carrière commencée avec Drôle de Jeu (1945) s'est poursuivie avec Les Mauvais Coups, La Loi, La Fête; Julien Gracq (né en 1909) épigone du Surréahsme, dont Le Rivage des Syrtes (1951), son chef-d'œuvre, évoque dans un style somptueux un pays imaginaire, lieu d'une fascinante tragédie.

Dramaturges Seconde Guerre mondiale,

le théâtre connaît Cartel des Quatre est assurée par Jean- Louis Barrault, fondateur avec sa femme de la Compagnie Madeleine Renaud- Jean- Louis Barrault qui s'installa au Théâtre Marigny et s'illustra dans des répertoires variés. Plus originale est la tentative de Jean Vilar, fondateur du Théâtre National Populaire, qui a tenté de faire accéder au théâtre le plus vaste pubUc possible, dans la grande salle du Palais de Chaillot ou à l'occasion du Festival d'Avignon, au Palais des Papes. Parallèlement, les écrivains par ailleurs les plus illustres, comme Sartre et Camus, viennent au théâtre, jugeant cette tribune particuhèrement efficace pour diffuser leurs idées. Leurs pièces s'ordonnent en effet autour des mêmes thèmes que leurs autres œuvres avaient déjà fait connaître. côté d'eux, Montherlant, lui aussi romancier, connut

Après

la

un renouveau

:

la relève

du

A

de

vifs succès.

Les pièces de Sartre s'articulent sur une idée. • Dans Les Mouches (1943), reprenant le vieux mythe grec d'Oreste vengeur de son père, il affirme très haut que l'homme s'accomplit et en quelque sorte se crée lui-même par l'exercice de sa Uberté dans l'action. • Huis Clos (1944) a été un grand succès. Sans comporter d'innovations techniques révolutionnaires, la pièce, réduite à une seule scène, avait frappé par sa vigueur, sa concision et la nouveauté de son sujet dans un salon démodé censé représenter l'au-delà, trois personnages médiocres ou criminels, un homme et deux femmes, tentent d'échapper aux actes de leur passé. En vain les couples successifs qu'ils voudraient former ne peuvent échapper au regard du troisième qui rend impossible la comédie. « L'enfer, :

:

c'est les autres.

»

294

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

• Morts sans sépulture (1946), pièce de circonstance faisant écho à la Résistance et à sa répression, pose le problème de la torture. • Plus politique encore, le drame des Mains Sales (1948) pose celui de la fin et des moyens dans l'action politique. Dans un pays imaginaire d'Europe, un jeune intellectuel

communiste d'abattre un des chefs partisan d'une alliance provisoire avec les conservateurs. Lorsqu'il a accompU son acte, le parti a changé sa ligne et adopté précisément celle de sa victime. Devenu « non récupérable », le héros est abattu par ceux est chargé par le parti

de ce

parti,

qu'il avait cru servir. et le Bon Dieu (195 1), vaste fresque un peu touffue. Les Séquestrés d^Altona (1959), illustrent à des titres divers le thème de la morale de l'action. Sartre est un dramaturge habile, qui a eu le souci de se renouveler. Ses pièces ont une composition soUde et la

• Le Diable

langue, vigoureuse, s'impose aisément.

Camus a transposé au théâtre les idées de son SYSTÈME. • Caligula (1942), sa meilleure pièce, met en scène l'empereur romain fou, mais, transformant radicalement le personnage historique, fait de lui le héros de la révolte contre l'impossible. Toutefois sa sohtude vouait d'avance sa tentative à l'échec.

• Le Malentendu évoque le tragique et l'absurde. • UÉtat de Siège est une transposition de La Peste. • Le drame des Justes (1949) clôt cette œuvre théâtrale de quahté, mais qui ne fait pas oubUer les romans.

Henry de Montherlant,

le langage de la grandeur.



à Paris dans une famille aristocratique, Montherlant (1896- 1972) est attiré de bonne heure par des expériences d'action violente. Qu'il soit torero, joueur de football, coureur à pied ou volontaire grièvement blessé pendant la

Première Guerre mondiale,

il

recherche pour lui-même

un accompUssement

individuel avec ce qu'il y entre alternativement de volupté, de sacrifice et de cynisme. L'expérience de la guerre inspire La Relève du matin (1920), Le Songe (1922), celle du sport les Olympiques (1924). Après une période de voyages, Montherlant

pubUe

ses romans majeurs Les Célibataires (1934) et les quatre volumes des Jeunes Filles (1936-39) dont les facihtés d'une insolence Ubertine gâchent quelque peu les quaUtés :

Le XX^ siècle

/

295

de style et d'observation. Quand approche la Seconde Guerre mondiale et notamment après la Conférence de

Munich

Montherlant vitupère violemment les français dans VÉquinoxe de Septembre au nom d'un certain idéal Spartiate puis il exprime sa sympathie pour les régimes forts dans le Solstice de Juin (1941). Mais c'est au théâtre qu'il doit sa gloire la plus durable. En 1942, La Reine Morte est saluée faiblesses

(1938),

du régime répubUcain

comme un chef-d'œuvre. Ferrante, roi du Portugal, voudrait voir son fils Pedro conclure im mariage politique avec l'Infante de Navarre. Mais Pedro est épris d'une jeune fille, Inès, avec laquelle il s'est marié secrètement et dont il attend un enfant. Il refuse donc la proposition de son père sans lui en dévoiler la raison. Lorsque son père l'apprendra, il fera mettre à mort Inès avant d'expirer lui-même. La pièce est dominée par la figure hautaine du roi Ferrante, champion d'un héroïsme dont on distingue toutefois assez mal le contenu. Montherlant aura toujours une prédilection marquée pour ce type de personnages, nobles et purs dans leur langage, mais souvent sceptiques et désespérés au fond d'eux-mêmes, qu'il s'agisse du grand maître d'un ordre chrétien dans le Maître de Santiago (1948) ou d'im condottiere itaUen qui prétend tuer le pape dans Malatesta (1950). Dans la plupart de ses pièces, Montherlant a été soucieux de restaurer la tragédie bien qu'il plante des décors hauts en couleurs que n'auraient pas renié les romantiques il met l'accent sur l'analyse intérieure, dont la complexité n'exclut pas la netteté des traits, et il a un sens aigu de la cérémonie tragique. Toutefois, certaines de ses pièces traitent des mêmes thèmes avec un décor et des personnages de drame bourgeois. :

Même

Montherlant est un écrivain de race. si sa pensée n'a ni la profondeur ni la cohérence qui entraînent l'adhésion, il apparaît comme un maître en matière de style.

Poètes Si l'on excepte les poésies d'Aragon et d'Éluard que la Résistance avait inspirées et qui trouvèrent une audience relativement large à la Libération, le poète le plus populaire de l'après-guerre est Jacques Prévert.

296

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

Prévert (1900- 1977) n'a connu le succès qu'en 1946 lorsque furent réunis et publiés sous le titre de Paroles des poèmes dont certains remontaient à plus de quinze ans. Auparavant il avait acquis une légitime réputation de scénariste dans sa collaboration aux grands films de Marcel Pagnol. Histoires, Spectacle (1951), La Pluie et le

Beau Temps (1955) complètent cette œuvre peu volumineuse mais incontestablement originale. Prévert, qui a subi l'influence du surréalisme, s'amuse avec la matière verbale, recherchant le saugrenu, l'insolite, parfois le calembour. Ses thèmes essentiels se rattachent à un anarchisme souriant, mais il est capable aussi de hausser le ton pour dénoncer avec âpreté les tragédies qui ensanglantent l'histoire humaine. En apparence spontané, l'art de Prévert, dont le registre est très large, est très délicat et très conscient.

Henri Michaux

(1899- 1984) avait écrit bien avant la s'est surtout fait connaître par sa propre anthologie, V Espace du Dedans (1944- 1946). FamÛier du surréel et du rêve, Michaux exprime sa vision dans un style qui tire sa vigueur d'une étrangeté singuHère.

Deuxième Guerre (Plume, 1930) mais

René Char

(1903 -1989) a été d'abord surréaUste, ce qui la difficulté de son lyrisme lors même qu'il désire déUvrer aux autres hommes im message de fraternité. Le Poème Pulvérisé (1947), La Parole en Archipel (1962) sont œuvres d'un poète exigeant, mais d'un abord malaisé.

expUque peut-être

et des réussites diverses, Francis 899-1989) auteur du Parti pris des Choses (1942), Raymond Queneau (1903 -1976), Aimé Césaire (né en 191 3), originaire de la Martinique, témoignent de la vitalité d'un genre qui a du mal à trouver un pubUc.

Avec des ambitions

Ponge

La

(i

littérature

en question

Un peu après 1950, sans qu'on puisse en fixer plus précisément la date, on a assisté non pas à la naissance d'une nouvelle école critiquant ses devancières pour substituer sa propre esthétique aux esthétiques du passé, mais à un

Le XX^ siècle

/

297

courant d'idées assez général qui n'a pas instruit le procès de telle ou telle forme de la littérature mais qui a remis la littérature

elle-même en question. Des influences très œuvré dans le même

variées, parfois contradictoires, ont sens.

• le marxisme, à force de dénoncer les injustices de la société dite bourgeoise a fini par rendre suspecte la littérature qualifiée de bourgeoise elle aussi dans son essence lors même qu'elle critiquait la bourgeoisie ;

• une

sorte de néo-surréalisme anarchisant, dont les effervences de mai 1968 ont fait apparaître quelques aspects, s'en prend systématiquement à toutes les valeurs et à toutes les formes d'autorité de la société contemporaine, renouant avec les violences tapageuses des premiers

compagnons d'André Breton dans • dans

le



même

sens, les écoles

les

années 1920 ; dit souvent sémi-

— on

de psychanalyse, dont la vogue et la vitalité sont grandes, tendent à dévaluer l'œuvre et l'art de l'homme conscient, réputé hypocrite ou du moins superficiel, au profit des différents fantasmes que fournit en abondance l'investigation de l'inconscient ; • la vogue de la linguistique invite enfin à s'intéresser au matériel verbal en tant que tel, dût cette préoccupation faire éclater le langage et disqualifier d'avance le message qu'un écrivain aurait d'aventure songé à lui confier. Telles sont quelques-unes des causes les plus importantes de ce changement capital, le premier peut-être dans l'histoire de nos lettres à mériter pleinement d'être appelé une révolution. naires

Le Nouveau Roman Robbe-Grillet (né en 1922) n'est ni le plus ancien, ni peut-être le meilleur représentant de ce qu'il est convenu d'appeler le Nouveau Roman, mais il est le premier à en avoir codifié la théorie précisément sous le titre de Pour un Nouveau Roman (1963), recueil d'articles où il dénonce quelques notions jugées périmées qui avaient fait les beaux jours

du roman

classique

:

• le personnage dont l'étude des états d'âme substance des romans psychologiques ;

faisait la

298

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

• l'histoire, c'est-à-dire l'intrigue racontée ; • V engagement, c'est-à-dire l'idéologie véhiculée ; • la forme et le contenu dont la distinction est un comble d'arbitraire. Reconnaissant sa dette envers quelques prédécesseurs comme Georges Bataille (1897- 1962), Michel Leiris (né en 1901), Samuel Beckett, Maurice Blanchot (né en 1907), Robbe-Grillet s'est efforcé d'illustrer ses théories avec Les Gommes (1953), Le Voyeur (1955). Dans Le Labyrinthe (1959), où une certaine façon de voir les objets, les choses, a remplacé le jeu d'interaction des personnages.

Michel Butor (né en 1926) impose la même présence lancinante des choses grâce à la minutie extrême apportée à la description d'objets dérisoires, un compartiment de chemin de fer, par exemple, décor de La Modification obtint un vif succès. Mais par-delà quelques (1957) artifices rhétoriques (le personnage principal est désigné à la deuxième personne du pluriel), La Modification est im roman d'analyse psychologique très classique. Depuis cette date. Butor a évolué et sa recherche l'a entraîné sur d'autres chemins. Représentant talentueux de l'École du Regard, comme Marguerite Duras

il

est l'auteur

de

plusieurs fiims.

Nathalie Sarraute (née en 1902) avec

le

Planétarium

(1959), Marguerite Duras (née en 19 14) avec Moderato Cantabile (1958), Claude Simon (né en 191 3) avec La Route des Flandres (i960). Histoire (1967), peuvent être, en dépit de la diversité de leur talent et de leur écriture, rattachés à la même école.

Le Nouveau Théâtre L'évolution est ici parallèle à celle du roman le personnage, l'intrigue, le langage sont aussi en accusation. Ionesco (né en 1912) a connu de vifs succès avec La Cantatrice chauve (1950), La Leçon (1951), Les Chaises (1952) où les personnages n'ont d'autre épaisseur que celle d'un langage dérisoire, dont la seule signification est l'Absurde. Le Rhinocéros (1959) marque peut-être une rupture encore que le sens de la pièce soit fort ambigu. Le Roi se meurt (1962) est ime puissante parodie de Shakespeare. Beckett (né en 1906) doit sa gloire à En attendant :

Le XX^ siècle

/

299

Godot (1953), pièce insolite, sans action, où deux personnages dans une solitude qui ressemble au néant et que ne rompt guère l'apparition de deux autres figures grotesques, attendent un certain Godot, dont la vacuité est également totale puisque nous ne savons, tout comme eux, ni qui il est ni qui il représente.

Genêt (19 10-1986), lui-même sans famille, ancien délinquant, se juge solidaire de tous les déshérités, et ce sont eux que, de préférence, il met en scène, depuis Les Bonnes (1947) qui finissent par s'entre- tuer alors qu'elles voudraient tuer leur patronne, jusqu'aux Nègres (1959) en passant par les prostituées du Balcon (1957). La révolte de Genêt, qu'il a vécue dans sa chair, est plus authentique que beaucoup d'autres, mais au niveau de la forme, son théâtre est en fait moins révolutionnaire, avec ses personnages bien constitués et l'éclat de son verbe. Citons encore Adamov (1908- 1970), Boris Vian (19201959) avec ses Bâtisseurs d'empire (1959), bien qu'il soit connu surtout par quelques romans Écume des jours Arrache-cœur (1953), où le jeu avec les mots, (1947), notamment les expressions toutes faites, ne va ni sans quelque faciUté ni sans quelque monotonie. :

U

La

U

poésie

et la critique

La poésie est le lieu de continuelles recherches que leur complexité coupe de plus en plus du public. Aucune œuvre ne semble encore se détacher de façon incontestable. La critique brille d'un vif éclat et bénéficie, en un sens, de 'la révolution signalée dans la littérature. Le critique n'apparaît plus au second plan par rapport au créateur. Toute

distinction entre l'un et l'autre est

même

sans objet

puisque tous deux ont pour souci commun l'étude du langage. La psychanalyse inspire l'œuvre de Charles Mauron (1899- 1966), fondateur de la psychocritique, la pensée marxiste et un certain structuraUsme celle de Lucien Goldmann (19 13- 1970), le philosophe Bachelard (18 84- 1962), spéciaUste de l'étude des rêveries et de leurs formes imaginaires, celle de J.-P. Richard (né en 1922), le plus brillant représentant d'une critique thématique assez impressionniste. L'œuvre de Roland Barthes (191 5-

300

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

1980), souvent qualifiée de structuraliste, fait aussi leur place aux techniques modernes de la linguistique et de la psychanalyse. JeanStarobinski (né en 1920), Georges Poulet (né en 1902), Gérard Genette (né en 1930), bien d'autres encore, illustrent la diversité des recherches de notre temps.

Les grandes dates de la littérature au XX^ • • • • • •

• • • • • • • • • • • • •

• • • • • • • • • • • • • • • • •

1912 1913 1913 1919 1922 1922 1924 1927 1930 1932 1932 1935 1936 1938 1939 1939 1942 1942 1944 1946 1947 1947 1950 1951 1953 1957 1957 1958 1959 1961 1963 1968 1971 1975 1978 1983

Claudel

siècle

L'Annonce faite à Marie. Apollinaire Alcools. Barrés La colline inspirée. :

:

:

Proust A l'ombre des jeunes filles en fleur. Roger Martin du Gard Les Thibault (début Valéry Charmes. :

:

de parution).

:

Breton Mauriac

Manifeste du surréalisme. Thérèse Desqueyroux. Malraux La Condition humaine. Céline Voyage au bout de la nuit. Romains Les Hommes de bonne volonté (début). Giraudoux La guerre de Troie n'aura pas lieu. Bernanos Journal d'un curé de campagne. :

:

:

:

:

:

:

Sartre

La

:

Arthaud Gide

:

nausée.

Le

:

théâtre et son double.

Journal (1889-1939).

Camus L'étranger. Montherlant La Anouilh Antigone. :

:

reine morte.

:

Prévert

Genêt

Vian Ionesco :

:

Paroles.

Les Bonnes. L'écume des jours. :

La cantatrice chauve. Le rivage des Syrtes. Gracq Beckett En attendant Godot. Butor La modification. St John Perse Amers. Duras Moderato cantabile. :

;

:

:

:

:

:

Sarraute Le Planétarium. Le grand recueil. Robbe-Grillet Pour un nouveau roman. :

Ponge

:

:

YouRCENAR L'œuvre au noir. TouRNiER Le roi des Aulnes. Modiano Villa triste. Perec La vie mode d'emploi. :

:

:

:

Sollers

:

Femmes.

INDEX ALPHABÉTIQUE Achard (Marcel) 281

Adamov 299 Alain 287 Alembert (d') 132, 133 Anouilh 285, 286 Apollinaire 247, 248 Aragon 248, 266, 268 Arbauld 59 Assoucy (d') 64 Aubigné (Agrippa d') 37, 38

Bacon 113 Bachelard 299 Baïf 266 Balzac (Guez de) 48 Balzac (Honoré de) 194, 195 Barbusse (Henri) 229 Bartas (du) 47 Barthes (Roland) 300 Bataille (Georges) 298 Baudelaire (Charles) 216-219 Bayle 116 Beaumarchais 144 Beauvoir (Simone de) 291 Beckett (Samuel) 298 Belleau 26 Bellay (Joachim du) 26, 28 Benda (Julien) 287 Benserade 64 Bergerac (Cyrano de) 64 Bergson (Henri) 245 Bernanos (Georges) 266 Bernard (Claude) 215 Bernard (Tristan) 251 Berruyer 231 Bertaut 47 Berthelot (Marcelin) 234

Béze (Théodore de) 39 Blanc (Louis) 232 Blanchot (Maurice) 298

Boccace 21 Boileau 65-68 Bossuet 94^99 Bourdet (Edouard) 281 Bourget (Paul) 234, 242 Breton (André) 276 Briand (Aristide) 233 Brunetière 215, 246 Buffon II 9- 120 Butor (Michel) 298 Cailla vet 251 Calvin (Jean) 32, 33 Camus (Albert) 291, 292 Céline 268 Césaire (Aimé) 296 Chamfort 134 Chapelain 51, 64, 66 Char (René) 296 Charles d'Orléans 17

Chateaubriand (René de) 160166, 231 Chénier (André) 145-147 Choiseul (Dsse de) 134 Chrestien de Troyes 10 Claudel (Paul) 249, 250 Clemenceau (Georges) 233 Cocteau (Jean) 279 Colette 267

Commines 14 Comte (Auguste)

211, 215 Condorcet 133 Confrères de la Passion 15 Conrart 49 Corneille (Pierre) 50-54 Cotin 64, 66

Courier (Paul-Louis) 231 Courteline 252 Crébillon 143 Curel (François de) 251

302

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

Cuvier (Farce du) i6 Galiani 134 Cycle de l'Ancien Testament Gambetta 232 Garnier (Robert) 39 Gautier (Théophile) 214 Danton 151 Genêt (Jean) 299 Daudet (Alphonse) 229 Genette (Gérard) 300 Daurat 26 Geoffrin (Mme) 134 Deffand (Mse du) 134 Ghil (René) 219 Delille 145 Gide (André) 258-260 Desmarets de Saint-SorUn 64 Giono (Jean) 267, 268 Desmoulins (Camille) 151 Giraudoux (Jean) 283-285 Desportes 47 Goldmann (Lucien) 299 Diderot 131, 132 Concourt (Edmond et Jules) Dorgelès (Roland) 229 227 Du Bos (Charles) 287 Gracq (Julien) 293 Ducis 143 Gregh (Fernand) 223 Duhamel (Georges) 271 Grevin (Jacques) 39 Dumas (Alexandre), père 190, Grimm 134 193 Guillaume (Maître) 16 Duras (Marguerite) 298 Guitry (Sacha) 281

Egmont (Mme

d')

134

Guizot 206, 231

Eluard (Paul) 278

Hardy 50 (Pierre) 279 Hérédia (José- Maria de) 216 Enfants sans souci 15 Hugo (Viaor) 177-186 Epinay (Mme d') 134 théâtre 190, 191 Erasme 21 romans 193 Eulalie (Cantilène de Sainte) 7

Emmanuel

Faguet 246 Fénelon 105-107

Femandez (Ramon) 287 Ferry (Jules) 232 Feydeau (Georges) 251 Flaubert (Gustave) 200, 201, 215 Fiers (de) 251 Fontaine (Jean de La) 75-82 Fontenelle 115 Fort (Paul) 246 Foumier (Alain) 243 France (Aiiatole) 240 François de Sales 47

Ionesco 298 Isnard 151

Jammes

(Francis) 246

Jansenius 59 Jarry (Alfred) 252 Jaurès (Jean) 233, 245 Jeu de Saint Nicolas 15 Jodelle 26, 39 Joinville 12

Jouve (Gustave) 219 Joinville 12

Jouve (Pierre- Jean) 279

Fïroissart 13

Fustel de Coulanges 202, 215

Kahn

(Gustave) 219

Index alphabétique / 303

La Bruyère 100-103

Mérimée 193

Lacépède 119

Meung

Laclos (Cholderos de) 149 Lacordaire 232 Lafayette (Mme de) 92

Michaux (Henri) 296

(Jean de) 12

Michelet (Jules) 204, 205, 232 Mirabeau 150 Laforgue (Jules) 220 Miracle de Théophile 15 Lamartine (Alphonse de) 168- Miracles de Notre-Dame 15 Mohère 69-74 170, 231 Lamenais 232 Montaigne 33-37 Lanson (Gustave) 246 Montalembert 231 La Rochefoucauld 91 Montesqueiu 116-118 La Tour du Pin (Patrice de) Montherland 294-295 Moréas (Jean) 219 270 Lautréamont 224 Mun (Albert de) 233 Lebrun 145 Musset (Alfred de) 171- 173 Leconte de Lisle 214, 215 Leibnitz 116 Napoléon 231 Leiris (Michel) 298 Necker (Mme) 134 Lemîdtre (Jules) 246 Nerval (Gérard de) 187-189 Le Sage 144, 148 Newton 113 Lespinasse (Mlle de) 134 Nisard 209 Locke 113 Nivelle de la Chaussée 144 Lorris (Guillaume de) 12 Noailles (Csse de) 222-223 Loti (Pierre) 229, 230 Nolhac (Pierre de) 223 Maeterlinck (Maurice) 234

Maintenon (Mme de) 94 Pagnol (Marcel) 281 Mairet 50 Pascal (Biaise) 57-63 Maîstre (Joseph de) 231 Pathebn (Farce de Maître) 16 Malherbe 47 Péguy (Charles) 243, 244 Mallarmé 225 Pétrarque 21 Malraux (André) 260-262 Poincaré (Raymond) 233 Marivaux 144, 148 Ponge (Francis) 296 Marmontel 134 Pontus de Tyard 26 Marot (Qément) 23 Poulet (Georges) 300 Marsile 8 Prévert (Jacques) 296 Martin du Gard (Roger) 270 Prévost (Abbé) 148 Maupassant (Guy de) 229 Proust (Marcel) 253-257 Mauriac (François) 264, 265, Porto- Riche (Georges de) 251 282, 283, 287 Maurois (André) 287 Mauron (Charles) 299 Queneau (Raymond) 296 Maurras (Charles) 245 Quinault 64, 66 Méré (Chevalier de) 94 Quinet (Edgar) 232

304

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

Scudéry (Mlle de) 64

Rabelais 23

Racan 49, 50 Racine (Jean) 82-90 Racine (Louis) 145 Régnard 144 Régnier (Henri de) 223 Régnier (Mathurin) 40 Renan (Ernest) 206, 207 Renart (Roman de) 10 Retz (Cardinal de) 91 Richard (J.-P.) 299 Rimbaud (Arthur) 223 Rivarol 135 Rivière (Jacques) 287

Robbe-Grillet 297 Robespierre 151 Rodenbach 223

Roland (Chanson de) 7, 8 Rolland (Romain) 241 Romains (Jules) 246, 264, 281-282 Ronsard (Pierre de) 29-31 Roucher 145 Rousseau (Jean-Baptiste) 145 Rousseau (Jean- Jacques) 135 Rotrou 64 Royer-Collard 231 Ryer (du) 64

Sade (Marquis de) 150 Saint-Evremont 94 Saint-Exupéry 263 Saint-John Perse 279 Saint-Pierre (Bernardin de) 149

Saint-Simon 103-105 Sainte-Beuve 209 Salacrou (A.) 282 Samain (Albert) 223 Sand (George) 199 Sarraute (Nathalie) 298

Sévigné

(Mme

de) 94

Simon (Claude) 298 Staël (Mme de) 158, 159 Starobinski 300

Stendhal 196-199 Strasbourg (Serment de) 6 Stuart Merril 219 Suarès (André) 287

Table Ronde (Chevaliers de) 9 Taille (Jean de la) 39 Taine 210-212 Thibaudet 287 Thibaut l'Agnelet 16 Thierry (Augustin) 202, 203 Thiers 206, 231

Thurold

8

Tocqueville (Alexis de) 206 Tristan et Yseult 9

Urfé (Honoré

d')

47

Vaillant (Roger) 288 Valéry (Paul) 271-274

Vaugelas 49

Vauvenargues 143 Vercors 288 Vergniaud 151 Verhaeren 222 Verlaine (Paul) 220, 221 Veuillot (Louis) 232

Vian (Boris) 299 Viau (Théophile de) 48, 50 Viélé-Griffin 219 Vigny (Alfred de) 174-175, 193 ViUehardouin 12 Villemain 209 Villon (François) 16, 17 Voiture 48, 64 Voltaire 121-130

Sartre (J.-P.) 288-290, 293, 294 Waldeck- Rousseau 233 Scarron 64 Scudéry (G. de) 51, 64, 66 Zola (Émile) 227, 228

(Eure) — N° 47929 — Édition N° 06

Imprimé en France, par l'Imprimerie Hérissey, Évreux Dépôt légal N° 2740-04-1989 Collection N° 16 :



16/5352/6

Cette collection a pour objectif de donner une vision synthétique, mais précise, des principaux thèmes culturels. Diversifiée dans sa démarche et dans le choix de ses thèmes, Faire le Point/Références est aussi bien destinée aux élèves des lycées qu'aux étudiants et à tous ceux qui désirent acquérir ou renouveler des connaissances.

La civilisation occidentale La civilisation islamique • Histoire de la littérature française Guide mythologique de la Grèce et de Rome • Dictionnaire des œuvres et des thèmes •

de

la littérature

française

thèmes



Dictionnaire des auteurs et des



Dictionnaire philosophique de citations

de

la

Autres

philosophie

titres

à paraître.

16/5352/6

HACHETTE

SUD OFFSET 94 MMOIS -

Related Documents


More Documents from "baysaer"

February 2021 2
February 2021 2
January 2021 2
January 2021 2